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KENZA SLAOUI MEMOIRE DE RECHERCHE

CONFIDENTIEL

SUJET :

Quelle place occupe l’intelligence économique dans


le déploiement des entreprises marocaines en
Afrique subsaharienne ?

DIRECTEUR DE RECHERCHE : OTHMAN EL FERDAOUS  

HEC ENTREPRENEURS 2014 AOUT 2014


TABLE DES MATIERES

METHODOLOGIE DE TRAVAIL 4

INTRODUCTION 8

I. LE CONTINENT AFRICAIN AU CŒUR DE LA STRATEGIE D’INTELLIGENCE


ECONOMIQUE DU MAROC 10

A. UNE PLACE A PRENDRE EN AFRIQUE 10


A) LA 1ERE RAISON QUI EXPLIQUE LE DEPLOIEMENT DU MAROC EN AFRIQUE EST D’ORDRE
POLITIQUE 10
EME
B) LA 2 RAISON QUI EXPLIQUE L’EXPANSION DU MAROC EN AFRIQUE EST D’ORDRE

ECONOMIQUE 12
C) LE MAROC PEUT METTRE A PROFIT SON CAPITAL IMMATERIEL POUR PESER EN TANT QUE
PUISSANCE REGIONALE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE 17
D) LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE VERS L’AFRIQUE EST FORTEMENT ENCOURAGE PAR LA
DIPLOMATIE SUD-SUD PROMUE PAR LE ROI DU MAROC 20

B. DES CHAMPIONS NATIONAUX AYANT UNE CAPACITE DE PROJECTION CONTINENTALE 22


A) L’APPROCHE MAROCAINE EN AFRIQUE 22
B) LES GRANDES ENTREPRISES PUBLIQUES SONT LES PREMIERES A SE DEPLOYER 23
C) DANS LA FOULEE DES ENTREPRISES PUBLIQUES, LE SECTEUR PRIVE S’EST MASSIVEMENT
TOURNE VERS L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE 25
D) LES ENTREPRISES MAROCAINES NE SONT PAS ENCORE PERÇUES COMME DES CONCURRENTES
PAR LES ENTREPRISES OCCIDENTALES, CHINOISES ET SUDS AFRICAINES 27

C. L’IMPORTANCE DE L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE 29


A) « L’INFODOMINANCE » AU SERVICE DE LA SURVEILLANCE ET DE LA COMPETITIVITE 31
B) FONCTIONS 33
C) UN PROCESSUS QUI FONCTIONNE PAR ETAPES 35

2
II. LES ENTREPRISES MAROCAINES S’APPUIENT SUR L’INTELLIGENCE
ECONOMIQUE POUR CONQUERIR LES MARCHES SUBSAHARIENS 37

A. LA STRATEGIE « FULL SPECTRUM APPROACH » 37


A) LA MISE EN ŒUVRE D’UNE STRATEGIE D’INTELLIGENCE ECONOMIQUE AU NIVEAU DU
GOUVERNEMENT 37
B) UNE VOLONTE CLAIREMENT EXPRIMEE PAR LE GOUVERNEMENT DES 2005 39
C) LE PARTAGE DE L’INFORMATION A HAUTE VALEUR AJOUTEE ENTRE SECTEUR PUBLIC ET
PRIVE EST QUASI-INEXISTANT 41

B. DES INSTITUTIONS PRIVEES CHERCHENT A DEVELOPPER L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE AU


MAROC 44
A) LES THINK TANKS CHERCHENT A FIXER LE CAP DE L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE AU
MAROC 44
B) L’APPORT DES CABINETS DE CONSEIL EN INTELLIGENCE ECONOMIQUE EST SIGNIFICATIF 47
C) LE ROLE DE LA DIASPORA MAROCAINE DANS L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE AU MAROC 49

C. LES ENTREPRISES DOIVENT METTRE EN PLACE LEURS PROPRES SYSTEMES D’IE POUR SE
DEVELOPPER EN AFRIQUE 49
A) LES OUTILS D’INTELLIGENCE ECONOMIQUE UTILISES PAR LES GRANDES ENTREPRISES
MAROCAINE 49
B) L’IE AU CŒUR DE LEUR STRATEGIE D’EXPANSION EN AFRIQUE 53
C) UNE INTELLIGENCE ECONOMIQUE STRATEGIQUE ET CONFIDENTIELLE 54

III. DES MARGES DE PROGRESSION REELLES GRACE A L’ENRACINEMENT DE


L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE 56

A. LES DEFIS A RELEVER POUR L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE TOURNEE VERS L’AFRIQUE 56


A) ENRACINER L’IE DANS LA STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT DES GRANDES ENTREPRISES 56
B) METTRE EN PLACE UNE INTELLIGENCE ECONOMIQUE PANAFRICAINE 57
C) SURMONTER LA PROBLEMATIQUE LINGUISTIQUE EST UN ENJEU MAJEUR 59
D) APPRENDRE A CHASSER EN MEUTE EN AFRIQUE : LE ROLE DES CLUSTERS D’ENTREPRISES 60

B. PME : DEVELOPPER L’ACCES A L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE ET LE SOUTIEN FINANCIER 61


A) L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE Y EST QUASI-INEXISTANTE 61
B) LA NECESSITE D’UN SOUTIEN FINANCIER POUR LES PME A L’EXPORTATION EN AFRIQUE 64

3
C. LE RECOURS A D’AUTRES LEVIERS POUR SE DEVELOPPER EFFICACEMENT EN AFRIQUE 65
A) LES BANQUES MAROCAINES, UNE SOURCE INFORMELLE D’IE POUR LES ENTREPRISES 65
B) DE NOUVEAUX TYPES DE PARTENARIATS POUR SE DEVELOPPER EN AFRIQUE 67

CONCLUSION 69

BIBLIOGRAPHIE 71

ANNEXES 75

A. DISCOURS ROYAL D’ABIDJAN 75


B. FEUILLE DE ROUTE DE L’AMIE 78
C. METHODOLOGIE APPLIQUEE LORS DES INTERVIEWS 81
D. RESTITUTION DES INTERVIEWS 82
A) ABDELMALEK ALAOUI (AMIE ET GLOBAL INTELLIGENCE PARTNERS) 82
B) BRAHIM SKALLI (ALLIANCES) 91
C) MAMOUN TAHRI JOUTEI (BMCE BANK) 98
D) GHITA LAHLOU ET NADIA FETTAH (SAHAM GROUP) 104

REMERCIEMENTS 111

4
Méthodologie de travail

Définition de l’intelligence économique (IE)

L’IE consiste à surveiller l’environnement d’une organisation par la collecte et l’analyse


d’informations fiables et à haute valeur ajoutée dans l’objectif d’influencer la prise de
décision. Elle est un outil puissant au service de la compétitivité, de la performance et de
l’innovation car analyser l’information, détecter les opportunités et surveiller les menaces est
indispensable dans une économie mondialisée. Mettre en avant ses intérêts stratégiques en
ayant recours au lobbying et à la communication d’influence est également un aspect clé de
l’intelligence économique. Cette pratique se démarque de l’espionnage économique et du
renseignement en ce qu’elle s’exerce en toute légalité et respecte les codes de la déontologie.

Périmètre de l’étude

Ce mémoire de recherche s’intéresse spécifiquement aux pays d’Afrique subsaharienne, et


exclut par là l’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud. Toute référence au « continent africain »
ou à « l’Afrique » fera ainsi référence aux pays d’Afrique Subsaharienne. Le choix personnel
de s’intéresser uniquement à cette partie du continent s’explique par les récents
développements de la diplomatie économique marocaine dans ces pays, ainsi que par
l’intensification des relations commerciales du Maroc et l’activisme du chef de l’Etat en
Afrique, particulièrement après la chute de Kadhafi.

Ce mémoire prendra en compte les liens historiques, culturels et religieux qui existent entre le
Maroc et l’Afrique car ils permettent de comprendre pourquoi les entreprises marocaines
publiques et privées s’intéressent au marché africain ; comment elles l’appréhendent ;
comment elles adaptent leur manière de faire de la veille stratégique sur le continent et
pourquoi elles comprennent mieux les pays africains que certains de leurs concurrents
étrangers. Nous nous intéresserons donc aux entreprises marocaines publiques et privées qui
ont une stratégie de continentale.

5
Corpus

La récolte des propos des dirigeants des entreprises marocaines les plus développées sur le
continent africain est cruciale dans ce travail. En effet, je suis convaincue que seuls les acteurs
du terrain permettent d’en savoir plus sur ce que la littérature ne dit et/ou ne sait pas sur
l’intelligence économique au Maroc.
J’ai ainsi conduit des interviews avec les personnalités suivantes pour alimenter mes
réflexions :
- Abdelmalek Alaoui, président de l’Association Marocaine pour l’Intelligence
Economique et PDG du cabinet de conseil en intelligence économique Global
Intelligence Partners ;
- Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d’intelligence économique de
BMCE Bank, banque marocaine implantée dans plus de quinze pays africains ;
- Ghita Lahlou, directrice générale de Saham Santé et Saham Offshoring et Nadia
Fettah, directrice générale déléguée chez Saham Finances en charge des finances et
des fusions acquisitions. Saham Group est le leader des assurances au Maroc et en
Afrique avec des implantations dans treize pays d’Afrique subsaharienne ;
- Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats chez Alliances, leader marocain de
la promotion immobilière et dont la stratégie d’implantation en Afrique est très
dynamique.

Entreprise Secteur CA 2013 # employés succursales En Afrique En Afrique1


interrogée (m€) africaines depuis
Global Intelligence Conseil en N/A 10 N/A 2010 N/A
Partners IE
Saham Group Assurances 700 2 000 13 2010 75% du RN
dans 5 ans
Alliances Immobilier 200 500 – 1 000 2 2013 30% du CA
d’ici 2015
BMCE Bank Banque 10 500 5 500 15 1980 25% du RN
en 2011

1
Lettre d’information “Regards”, n°3, mai 2013

6
La littérature étudiée dans ce mémoire provient essentiellement d’articles et de publications
presse (papier et web). Ceci s’explique par le fait que le sujet recèle une forte dimension
géopolitique et que de nombreux articles de presse pertinents parus sur le sujet abordent le
sujet dans toute son actualité. Ce mémoire de recherche effectue un aller-retour permanent
entre la littérature académique et journalistique, les interviews que j’ai menées et ma réflexion
personnelle.

Hypothèses de travail

La revue de la littérature académique et journalistique parue sur le sujet, présentée tout au


long de ce mémoire de recherche, m’a permis de dégager trois grandes hypothèses de travail
que j’ai confrontées à la réalité du terrain :
- Il est primordial pour les entreprises de mettre en place une intelligence économique
pour faire face aux défis de la mondialisation et pour s’implanter en Afrique
(hypothèse validée dans ce mémoire) ;
- Les grandes entreprises marocaines ont mis en place des cellules d’intelligence
économique en interne ; en revanche l’intelligence économique est inexistante dans les
PME (hypothèse nuancée) ;
- L’intelligence économique gouvernementale et nationale profite au secteur privé pour
conquérir les marchés africains (hypothèse invalidée).

7
Introduction

En 2014, seize millions de foyers africains disposent d’un revenu équivalent au niveau
européen, contre douze millions en Inde2. D’ici une trentaine d’années, l’Afrique sera le
nouvel atelier du monde avec deux milliards d’habitants. C’est pourquoi, dans le cadre de son
développement, le Maroc a choisi de se tourner vers l’Afrique subsaharienne pour nourrir sa
croissance. Le secteur de la consommation et des services devrait en effet croitre de 300
milliards d’euros d’ici à 20203, ce qui éveille l’intérêt des entreprises marocaines telles que les
banques, les assurances, l’industrie, l’agroalimentaire et le BTP, car le marché marocain
devient trop étroit pour leur permettre de croitre à la mesure de leurs ambitions.
La fermeture persistante de la frontière algéro-marocaine et l’échec de l’UMA explique
également la volonté du Maroc de se développer en Afrique. Le Maroc peut en ce sens utiliser
son capital immatériel comme outil de communication d’influence : l’excellente image dont
jouit le pays sur le continent est un atout non négligeable qui lui permet de renforcer ses liens
politiques et économiques avec les pays d’Afrique subsaharienne.

Dans ce contexte, mettre en place une intelligence partagée entre acteurs publics et opérateurs
privés est primordial. L’enjeu est de taille pour les entreprises : comment gérer la quantité
massive d’informations qui proviennent du marché africain aujourd’hui ? Comment s’assurer
de sa fiabilité dans un continent où la rumeur tient lieu d’information ? Comme l’explique
Céline Perrotey, journaliste au quotidien marocain L’Economiste, « Les entreprises
comprennent que nous ne sommes plus dans le registre de l’offre et de la demande mais dans
le marché de la connaissance. Celui qui gagne est celui qui en sait le plus. La donne
change4 ».
Ainsi, les outils de veille de l’information sont indispensables pour toute entreprise souhaitant
s’implanter en Afrique afin d’appréhender le marché, connaître les consommateurs, repérer
des cibles ou des partenaires. De plus, l’intelligence économique permet également de se
prémunir contre les nombreuses menaces que présente le continent : l’instabilité politique et

2
Marie Christine Corbier, Les Echos, « Les entrepreneurs africains misent sur un développement solide du
continent, loin des hésitations occidentales », http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0202129301433  
3
Selon le McKinsey Global Institute, 2012
4
Céline Perrotey (2005), « Intelligence économique, chefs d’entreprise, pensez aux stratégies d’influence »,
l’Economiste

8
la question terroriste, les risques de défaut de paiement et la corruption rendent la collecte
d’information d’autant plus cruciale pour les acteurs marocains souhaitant réussir leur
implantation en Afrique subsaharienne.

L’objectif de ce mémoire de recherche est de déterminer quelle place occupe l’intelligence


économique dans la stratégie de développement des acteurs publics et privés marocains sur le
continent africain. L’intérêt étant de confronter la vision théorique de cette stratégie relatée
par les décideurs politiques et la presse avec la réalité des pratiques managériales.

Ce mémoire de recherche a vocation à aller au delà de littérature académique et journalistique


parue sur le sujet et pose les questions suivantes : quelle est la place réelle de l’intelligence
économique dans la stratégie de développement des entreprises marocaines en Afrique ? Cette
intelligence économique est-elle formalisée et structurée ? Quel est le rôle réel de l’Etat dans
la mise en place d’une stratégie nationale devant profiter au secteur privé marocain en
Afrique? Quels sont les axes d’amélioration de ces dispositifs aux niveaux public et privé ?

9
I. Le continent africain au cœur de la stratégie
d’intelligence économique du Maroc

A. Une place à prendre en Afrique

a) La 1ère raison qui explique le déploiement du Maroc en


Afrique est d’ordre politique

Le Maroc a historiquement entretenu des liens politiques forts avec les pays d’Afrique
subsaharienne. Les premiers pas de cette amitié remontent à janvier 1961 avec la Conférence
de Casablanca, initiée par le roi Mohammed V, lors de laquelle a été rédigée « la Charte
africaine de Casablanca 5 » donnant un plan d’action pour réaliser les objectifs de
l’indépendance africaine. Ce moment fort a inspiré la création de l’Organisation de l’Unité
Africaine (OUA) en 1963, dont l’objectif était de lutter pour l’indépendance du continent et
de créer des liens entre les pays africains.
Néanmoins, le Maroc, pays co-fondateur de l’organisation, a pris le parti de quitter l’OUA en
1984 suite à l’adhésion de la République Arabe Sahraouie Démocratique6 (RASD) ; et ce
jusqu’à ce que celle-ci se retire de l’OUA. Le pays s’est ainsi privé d’un droit de vote qui
l’empêche de peser sur les décisions de l’organisation. A ceci s’ajoute l’inertie de l’Union du
Maghreb Arabe (UMA) pour les mêmes raisons : celles du différend maroco-algérien.

Le déploiement des entreprises marocaines en Afrique est donc un moyen efficace au service
de l’Etat marocain pour mettre en avant ses intérêts politiques. Comme l’explique en effet
François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique, « en intervenant à
Tombouctou Mohammed VI défend aussi Laâyoune, le Sahara et le Sud du Maroc7 ». Ayant
commencé par boycotter les pays qui ont reconnu la RASD dans l’OUA (Bénin, Nigéria,
Ghana entre autres), le Maroc a progressivement changé de stratégie pour promouvoir les

5
La Charte africaine de Casablanca, Service des relations arabo-africaines au Ministère de l'économie nationale
et des finances, 1962
6
Etat autoproclamé par le Front Polisario en 1976
7
 François Soudan cité dans lematin.ma le 16 février 2014, « de Laayoune à Tombouctou »  

10
intérêts économiques du pays. Cette stratégie a connu une intensification à partir de 1996 avec
la signature de 20 accords de coopération. Comme l’explique N. Alaoui M’Hammdi8, la
diplomatie économique a pour vocation d’asseoir le positionnement du pays sur le continent
et de permettre aux opérateurs privés de s’informer sur les opportunités pour accroître la
visibilité du Maroc et servir les intérêts du pays en Afrique.
Brahim Skalli, directeur stratégie et partenariat du fleuron de l’immobilier marocain
Alliances, ne cache pas le fait que les grandes entreprises nationales, que l’on appelle aussi
« les champions nationaux », ciblent généralement les pays africains qui entretiennent de
bonnes relations avec le Maroc et qui soutiennent le pays sur la question du Sahara. Il
explique : « La prise de position du pays sur la question du Sahara joue en effet un rôle dans
notre décision de nous implanter dans un pays ou non. L’un de nos critères de sélection du
pays est sa proximité politique du Maroc : bien sur, si les relations diplomatiques sont
importantes et intenses comme avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal, c’est plus facile qu’avec le
Nigéria ». D’autres chefs d’entreprises tels que Miloud Chaabi (Ynna Holding) se disent prêts
à investir dans des pays africains inamicaux et donnent ainsi la priorité à leurs intérêts
économiques. C’est le cas de Saham Group, dont l’une des directrices explique que c’est le
seul groupe marocain a être implanté dans le pays malgré le fait que l’Angola était très proche
de l’Algérie. « Depuis peu les relations se sont améliorées avec le Maroc et il y a même une
liaison aérienne directe qui nous relie », explique-t-elle9.

De plus, si le Maroc et l’Algérie sont les mieux placés pour jouer le rôle de puissance
régionale, le royaume chérifien a quelques longueurs d’avance sur son rival. A ce titre, le
Maroc a en effet accueilli plusieurs conférences sécuritaires internationales ces dernières
années ; a été choisi pour accueillir le treizième sommet de la Communauté des Etats Sahélo-
Sahariens et est largement soutenu par les pays occidentaux, qui estiment que le pays peut
jouer un rôle dans la stabilisation de la région. Le discours royal de Bamako10 à propos de la
reconstruction immatérielle du Mali suite à l’intervention française est à cet égard porteur de
sens. Un autre exemple symbolique fort qui illustre ce fait a eu lieu le 31 janvier dernier à la
mosquée Koutoubia de Marrakech, lorsque le leader du MNLA et chef touareg malien a fait
sa prière quelques pas derrière le roi Mohamed VI avant d’être reçu en audience pour signifier
son attachement à la stabilité du régime politique malien. Le Maroc cherche ainsi à se
8
Le Maghreb dans son environnement régional et international, “Politique africaine et positionnement
économique des pays du Maghreb en Afrique subsaharienne », IFRI, Centre des Etudes Economiques, 2010
9  Voir interview en annexe  
10  Discours de Bamako, 19 septembre 2013  

11
positionner comme médiateur diplomatique porteur de stabilité pour la région.

Les propos recueillis auprès d’Abdelmalek Alaoui11, président de l’Association Marocaine


pour l’Intelligence Economique (AMIE) et PDG du cabinet d’intelligence économique Global
Intelligence Partners, n’abondent pas en ce sens. D’après lui, le Maroc ne peut prétendre à une
place de leader régional que s’il s’allie avec l’Algérie, à l’image du couple franco-allemand
dans la construction européenne. Il s’explique : « Il y a besoin d’un leadership pour favoriser
l’intégration régionale. Il y aura besoin, à un moment ou à un autre, d’une conférence des
arrières pensées entre le Maroc et l’Algérie. Quand on parle de moteur, on parle toujours de
couple. Il y a besoin d’un couple pour faire marcher l’intégration africaine ». D’après
Abdelmalek Alaoui, le pays le plus riche par son sous-sol (l’Algérie) et le plus riche par ses
services (le Maroc) sont condamnés à s’entendre et à dépasser leurs différends pour devenir
les moteurs de l’intégration régionale. Et cela peut se faire plus vite qu’on ne le pense : « un
changement de leadership en Algérie peut changer les choses très rapidement, en quelques
mois. Je ne suis absolument pas pessimiste », explique-t-il.

b) La 2ème raison qui explique l’expansion du Maroc en Afrique


est d’ordre économique

Outre les considérations politiques qui ont initié la diplomatie économique marocaine, le
décollage économique de l’Afrique offre des relais de croissance aux entreprises dans le cadre
de la mondialisation. En effet, alors que la croissance économique est atone en Europe, le
continent africain s’est démarqué par des taux de croissance moyens de 5.1%12 par an lors de
la dernière décennie. La croissance sur le continent est tirée par celle de l’Afrique de l’Ouest,
région la plus dynamique avec des taux de croissance de 7% depuis 2011. Les perspectives
macroéconomiques sont encourageantes en Afrique subsaharienne, avec des croissances
prévues entre 5 et 6%13 d’ici 2015.
L’Afrique se classe ainsi deuxième au classement des régions les plus dynamiques au monde
derrière l’Asie du Sud Est : rien d’étonnant, donc, au fait que les projecteurs soient tournés
vers ce continent autrefois marginalisé de la mondialisation et aujourd’hui perçu comme un
véritable eldorado. Les investissements directs étrangers y sont passés de 9 milliards en 2000

11
Voir interview en annexes
12
McKinsey Global Institute, « Africa at work : job creation and inclusive growth », August 2012
13
Perspectives Macroéconomiques en Afrique, BAD, OCDE, PNUD, 2014

12
à 56 milliards de dollars en 2013.

L’émergence de la classe moyenne est l’une des plus importantes au monde avec près de 350
millions de personnes (soit plus d’un milliard de consommateurs). Ce chiffre est amené à
doublier d’ici vingt ans : c’est un cinquième de la population mondiale qui est concerné et qui
a des besoins forts en biens d’équipements, en biens de consommation et en services. A titre
d’exemple, le marché de la téléphonie en Afrique subsaharienne croit de 30% par an, ce qui
représentera un milliard d’abonnés en 2015. D’après le McKinsey Global Institute, le secteur
de la consommation et des services devrait croitre de 300 milliards d’euros d’ici à 2020.
C’est sans compter les ressources naturelles que recèle le continent, qui sont également
considérables (plus de 30% des réserves minérales mondiales), ou l’agriculture, encore
largement sous-exploitée, qui consomme très peu d’engrais et non mécanisée. Le royaume
utilise le don d’engrais comme outil diplomatique pour se positionner sur le continent : lors de
la tournée royale en février dernier, le roi a fait don de 2 150 tonnes d’engrais à la Guinée
Conakry14. L’OCP, fleuron de l’industrie des phosphates, a également lancé un investissement
de plus de 600 millions de dollars15 pour la construction d’usine de production d’engrais au
Gabon. De plus, certains pays tels que le Nigéria, le Gabon ou la Côte d’Ivoire ont adopté des
plans d’émergence qui impliquent d’importants investissements en infrastructures routières,
aéroportuaires, portuaires et industrielles qui pourraient profiter aux entreprises marocaines.

Néanmoins, Brahim Skalli16, directeur de la stratégie d’Alliances, nuance cet afro-optimisme


en expliquant par exemple que le marché des logements sociaux des pays africains ciblés par
l’entreprise ne représentent à l’arrivée qu’une fois le marché marocain en valeur. Ghita
Lahlou, directrice générale chez Saham Group, va dans le même sens en expliquant qu’il faut
considérer le continent dans son ensemble. Il faut raisonner en réseau d’implantations et ne
pas considérer les pays pris séparément afin de mutualiser et de minimiser les risques. « Les
54 pays pris isolément ne représentent rien en termes de marché et les opérateurs qui
s’implantent dans un seul pays africain sont peu nombreux. Le risque pays est trop important
pour placer toutes ses billes dans le même panier », explique-t-elle. Et pourtant, le besoin est
énorme dans les assurances en Afrique : si le marché africain ne représente que 1,5% du

14
Ristel Tchounand, « Le Maroc, nouvel outil diplomatique du Maroc ? », Yabiladi.ma, 11 avril 2014  
15
Journal Economie Entreprise, juin 2013
16
Voir interview en annexe

13
marché mondial des assurances avec 72 milliards de dollars17, les taux de croissance sont de
9% sur les dix dernières années, soit le double de la moyenne mondiale.

Abdelmalek Alaoui18, PDG du cabinet de conseil en stratégie et intelligence économique


Global Intelligence Partners, tempère lui aussi l’optimisme ambiant concernant l’Afrique
subsaharienne : « Beaucoup de gens ont vu de la lumière et pensent qu’il suffit d’entrer ;
mais la réalité est beaucoup plus contrastée et complexe. (…) Dans les années 2000 l’une des
couvertures de The Economist titrait « the hopeless continent » alors qu’en 2012 le même
magasine titrait « Africa rising ». La réalité est que nous ne pouvons pas passer d’un
pessimisme endémique à un optimisme béat… ».
Ainsi, si la part de l’Afrique subsaharienne dans le commerce mondial est encore relative,
cette « ruée vers l’Afrique19 » se justifie aujourd’hui pour les investisseurs et les entreprises
du monde entier qui sont à la recherche de nouveaux relais de croissance. Tous les grands
opérateurs mondiaux entendent profiter du décollage du continent, ce qui implique une
concurrence féroce entre acteurs économiques locaux et internationaux. Le Maroc cherche à
se positionner comme hub vers l’Afrique.
La Chine a été parmi les premiers pays à croire au décollage africain au début des années
2000, et est devenu le premier partenaire commercial du continent : les échanges ont été
multipliés par quatre en sept ans, et les investissements chinois en Afrique subsaharienne se
sont élevés à 75 milliards de dollars entre 2000 et 2011. Les entreprises américaines sont aussi
consciente de ce potentiel : General Electric mise par exemple sur une croissance soutenue à
deux chiffres de ses revenus sur le continent subsaharien dans les dix ans à venir.

Dès lors, comment le Maroc peut-il se positionner sur cet échiquier africain ? En 2000, le roi
du Maroc a annulé la dette financière des Pays les Moins Avancés et a exonéré leurs
exportations de droits de douanes à l’entrée du pays. Les investissements directs étrangers du
Maroc en Afrique subsaharienne s’élèvent à 360 millions de dollars en 2013, ce qui en fait le
deuxième investisseur africain sur le continent après l’Afrique du Sud.
Le Maroc a par ailleurs intensifié ses exportations vers l’Afrique subsaharienne, qui ont
quintuplé en dix ans : elles sont passées de 2 milliards de dirhams en 2002 à 10,4 milliards de

17
Magasine Economie Entreprises, juin 2014
18
Voir interview en annexe
19
Jean-Philippe Rémy, l’Afrique, nouvel eldorado des investisseurs, Le Monde, 01.01.2013

14
dirhams en 201320. Plus de 50% d’entre elles se font avec CEDEAO21 et un tiers avec
l’UEMOA. Par ailleurs, Maroc a mis en place en mai 2009 un plan national pour le
développement et la promotion des exportations, avec pour ambition de triper la valeur des
exportations marocaines d’ici dix ans.

Evolution des exportations du Maroc vers ses principaux marchés en


Afrique subsaharienne
(en millions de dirhams)
2 024

939 945 933 899 858


751
573 545
349
244 207 213
72 87

Senegal Cote d'Ivoire Guinée Nigeria Ghana

2003 2011 2013

Source : Office des Changes, 2014

De plus, le Maroc est l’un des rares pays africains à avoir une offre diversifiée si on le
compare aux autres pays, dont les exportations sont concernent principalement les matières
premières.

20
« Les exportations du Maroc vers l’Afrique », Office des Changes, 2014
21  CEDEAO(Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest) et UEMOA (Union Economique et
Monétaire Ouest-Africaine)  

15
Evolution des exportations du Maroc vers l'Afrique subsaharienne
47,2%

26,6%

10,0%
12,1% 11,2%12,6%
8,2%
6,3% 5,6%
4,6%
1,8%
0,2%

Métallurgie Fabrication de Industrie Raffinage Industrie Industrie


machines automobile chimique alimentaire
électriques

2009 2013

Source : Office des Changes, 2014

La volonté du Maroc de se développer sur le continent est donc manifeste, et est aussi
perceptible dans la stratégie du pays qui a fait le choix d’intensifier ses exportations vers
l’Afrique Subsaharienne plutôt que vers l’Afrique du Nord. En effet, l’Afrique du Nord, qui
représentait la moitié des exportations du Maroc vers l’Afrique, n’en représente plus qu’un
tiers aujourd’hui ; alors que deux tiers des exportations du Maroc vers le continent
aujourd’hui ciblent l’Afrique subsaharienne.

Evolution des exportations marocaines en Afrique


(en milliards de dirhams)

10,4

5,8
3,9
1,9 2,3
1,5

2003 2005 2013

Afrique subsaharienne Afrique du nord

Source : Office des Changes, 2014

16
Toutefois, si le royaume cherche à consolider ses relations commerciales avec le continent
africain, son poids en croissance rapide reste encore faible dans la région : le Maroc ne
représente aujourd’hui que 0,3% des importations africaines, et seul 6,4% des exportations du
Maroc sont dirigées vers l’Afrique subsaharienne.

Les États d’Afrique subsaharienne remettent de plus en plus en question aujourd’hui la


manière dont sont exploitées leurs ressources naturelles par les entreprises étrangères et attend
des retombées positives pour leurs économies. La Chine est en ce sens perçue par les africains
comme une puissance coloniale : le Ghana, premier bénéficiaire des investissements étrangers
chinois en Afrique, est directement concerné par le pillage des ressources en or du pays qui
sont clandestinement exploitées, et cherche à remettre en cause l’hégémonie de la Chine.
Le Maroc joue quant à lui la carte de la confiance et de l’identité africaine pour initier un
cercle vertueux et durable de partenariats économiques à travers un modèle de coopération
sud-sud unique. C’est ce qu’avance le roi Mohamed VI lors du discours d’ouverture du
Forum économique maroco-ivoirien à Abidjan le 24 février dernier : « L'Afrique (…) doit se
prendre en charge, (…) l'Afrique doit faire confiance à l'Afrique ».

c) Le Maroc peut mettre à profit son capital immatériel pour


peser en tant que puissance régionale en Afrique
subsaharienne

Le Maroc peut capitaliser sur six atouts majeurs pour se développer en Afrique.

Le premier est d’ordre historique et géographique : les routes commerciales entre le royaume
et l’Afrique subsaharienne remontent à plusieurs siècles, du temps du commerce caravanier
qui reliait le Maroc à l’Afrique de l’Ouest. Sijelmassa, dans le Tafilalet, a été par exemple,
pendant plusieurs siècles une ville pivot des échanges commerciaux transsahariens ; au même
titre que Samarkand vis à vis de la route de la soie.
La dynastie Almoravide est la première à avoir cherché la conquête vers le Sud dès le XIème
siècle ; tradition de conquête qui s’est poursuivie jusqu’aux Saadiens au XVIème siècle. Ces
dynasties, natives des régions sahariennes, ont étiré le royaume du nord au sud à défaut de
pouvoir conquérir l’Orient du fait de la présence ottomane puis française.
Le commerce transsaharien s’essouffle dès le XVIème siècle au profit du développement des

17
routes maritimes découvertes par les portugais au XVème et XVIème siècle : la caravelle
devient le moyen de transport privilégié pour les marchandises, au détriment de la caravane,
ce qui explique la baisse des échanges commerciaux entre les deux régions. Néanmoins, les
échanges se revitalisent dès l’indépendance des pays du Maghreb, qui recommencent à
manifester leur intérêt pour les pays d’Afrique subsaharienne dans les années 1980. De 1973 à
1987, 73 accords de coopération sont ainsi signés par le Maroc et 17 pays africains,
principalement en Afrique de l’Ouest, dans des domaines aussi variés que le commerce, le
transport aérien, la culture, les télécommunications, la santé, etc., qui redonnent un second
souffle aux échanges régionaux.

Le deuxième atout singulier du Maroc pour développer ses échanges avec l’Afrique
subsaharienne est l’autorité religieuse et spirituelle du roi en tant que Commandeur des
Croyants. L’Afrique de l’Ouest compte 190 millions de musulmans et les confréries
religieuses (Tidjane, Malékite et Mouride) considèrent le roi du Maroc comme leur chef
spirituel. Le pays a par exemple signé, en février 2014, un accord pour la formation de cinq
cents imams avec le Mali, et pour la construction et la rénovation des nombreuses mosquées
au Mali, Guinée, Bénin et Sénégal22.
Toutefois, cette longueur d’avance que confère l’autorité religieuse au Maroc doit être
intelligemment utilisée pour transformer cet atout en réalisations économiques. Comme
l’explique en effet Vish Sakthivel, spécialiste des pays du Maghreb au Washington Institute
for Near East Policy, « cela peut être un outil diplomatique novateur, mais reste à voir
comment le Souverain et son État travailleront avec ».

Le troisième atout du Maroc est de parvenir à se positionner comme centre de formation de


qualité pour les étudiants africains. Plus de deux mille étudiants23 guinéens font actuellement
leurs études supérieures ou suivent une formation professionnelle au Maroc, et des
partenariats pour des échanges universitaires sont noués avec des pays tels que le Gabon.
L’Agence Marocaine de Coopération Internationale a augmenté en 2012 le nombre annuel de
boursiers subsahariens pour le Mali et le Niger. Par ailleurs, l’Office de la Formation
Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT) est devenu un outil de la diplomatie
économique en effectuant des rapprochements entre le Maroc et les pays d’Afrique

22
François Soudan, Jeune Afrique le 19 février 2014 « diplomatie : le Maroc, de Laayoune à Tombouctou »
Mémorable accueil du Roi du Maroc en République de Guinée », 237online.com, 3 mars 2014  
23 «

18
subsaharienne par la formation et le transfert de savoir-faire24. L’Office a ainsi signé un
accord avec la Guinée pour la formation de 100 guinéens à l’OFPPT suite à un diagnostic
réalisé par des experts marocains sur la formation professionnelle en Guinée ; et des
partenariats similaires ont été signés avec le Gabon et le Tchad.

Le quatrième atout du Maroc est la solidarité qu’il déploie en Afrique, puisque le pays est l’un
des plus actifs sur le continent en ce qui concerne la construction d’écoles et d’hôpitaux de
campagne. Lors de son discours auprès des ambassadeurs marocains le 30 août 2013,
Mohammed VI a insisté sur le rôle de l’Agence Marocaine de Coopération Internationale
pour servir les « intérêts stratégiques » du pays25.

Le cinquième atout du Maroc est de savoir « raconter une histoire ». D’après Nadia Fettah,
directrice des fusions acquisitions chez Saham Group, le Maroc possède par exemple une
meilleure image que l’Afrique du Sud sur continent du fait de la proximité culturelle du pays
avec l’Afrique. « Les suds africains sont presque prêts à pactiser avec nous pour s’y
implanter, ils pensent que notre histoire est intéressante », explique-t-elle. Le branding
« Maroc » et le story telling jouent en la faveur du pays pour s’implanter en Afrique.

Le sixième atout Maroc jouit enfin d’une bonne réputation dans les milieux d’affaires en
Afrique subsaharienne : d’après une étude réalisée par le cabinet de conseil en intelligence
économique Knowdys sur un échantillon de 840 personnes résidant dans 12 pays d’Afrique
Subsaharienne, 46% trouvent que le pays est « compétitif », 21% trouvent que le Maroc est
un pays « ouvert » et 27% que le Maroc est un pays « conquérant ».

La stratégie diplomatique du Maroc est donc de capitaliser sur ces six atouts immatériels qui
lui permettent de se démarquer radicalement dans un environnement qui exige une
différenciation et une forte compétitivité pour faire sa place. Le rapport de la Banque
Mondiale26 déclare qu’en prenant en compte le capital immatériel du Maroc (soit son capital
humain et la qualité de ses institutions) dans le calcul du PIB, celui-ci serait multiplié par 7,

24
« Ce knowledge que le Maroc vend au sud du Sahara », quotidien les Ecos en date du 8 juillet 2014
25
Agence Marocaine de Presse (MAP), « Le Souverain adresse un message à la 1ère conférence des
ambassadeurs de SM le Roi », 30 août 2013  
26  Worldbank, « Where is the Wealth of Nations? Measuring Capital for the 21st Century ? »
https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/7505  

19
loin devant l’Algérie (au capital immatériel négatif selon cette méthode de calcul27).
Ismail Regragui, doctorant en relations internationales à l’IEP de Paris, parle ainsi de
« stratégie de marque religieuse »28 pour le Maroc. Le royaume joue la carte de la coopération
solidaire au service de l’intérêt des pays africains, en se positionnant comme puissance
stabilisatrice dans la région et comme passerelle vers l’Europe.

d) Le développement économique vers l’Afrique est fortement


encouragé par la diplomatie sud-sud promue par le roi du
Maroc

Afin de pallier l’isolement du Maroc en Afrique depuis sa sortie de l’UOA, le roi du Maroc a
soutenu depuis le début des années 2000 le développement des entreprises marocaines sur le
continent. La projection des entreprises marocaines en Afrique subsaharienne est réelle :
-­‐ Les 25 représentations diplomatiques du Maroc en Afrique (dont 21 en Afrique
Subsaharienne) sont les principaux relais locaux du pays. Leur capacité d’action et
d’intervention permet de promouvoir le Maroc comme partenaire commercial ainsi
que son capital immatériel sur place ;
-­‐ Les déplacements du roi du Maroc en voyages officiels initiés il y a une dizaine
d’années, accompagnés de délégations officielles de grands chefs d’entreprises,
témoignent de la volonté à la tête de l’Etat de participer au développement des affaires
sur le continent. Plus de 480 accords bilatéraux ont ainsi été signés entre le Maroc et
40 pays africains depuis le début des années 2000.
-­‐ Les entreprises exportatrices sont soutenues par Maroc Export, organisme étatique
sous la tutelle du Ministère délégué auprès du ministre de l’Industrie, du Commerce,
de l’Investissement et de l’Economie Numérique. Ce partenaire des entreprises réalise
des actions promotionnelles pour promouvoir les champions économiques marocains
auprès de cibles internationales, telles que le forum « B to B in Africa » organisé au
Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal en juin 2014.
-­‐ Une commission pilotée par le Ministre des Affaires Etrangères a été créée pour réunir
l’ensemble des entreprises qui ont fait partie de la tournée royale en Afrique en 2013.
Des réunions mensuelles sont organisées pour faire le suivi des partenariats signés

27
« Pour la première fois, le PIB intègre l’impact du goodwill », L’Economiste, Édition N° 4222 du 2014/02/27
28  IsmailRegragui, « La diplomatie publique marocaine : une stratégie de marque religieuse ? », ed. l’Harmattan  

20
dans le secteur privé.
-­‐ La volonté du Maroc de créer des liens avec les organisations économiques régionales
est également forte : le rapprochement avec l’Union Economique et Monétaire Ouest-
Africaine (UEMOA) est lancé grâce à la ratification en cours d’un accord commercial
préférentiel pour encourager les investissements, signé en 2008 et soutenu à nouveau
par le président sénégalais Macky Sall lors de la visite royale en 2013.
-­‐ L’entrée en vigueur en janvier 2015 d’un tarif extérieur commun entre 15 pays de la
CEDEAO devrait profiter aux exportateurs marocains, qui n’auront désormais plus
qu’à payer la taxe douanière à l’entrée de la Communauté après quoi leurs produits
pourront circuler librement dans toute la zone.
-­‐ Enfin, l’accélération des réformes financières permettra de faire de Casa Finance
City29 un hub financier régional pouvant attirer les investissements et les redéployer
sur le continent africain. Le Maroc profite du fait que les grandes places financières
telles que Londres, Dubaï et Johannesburg ne s’intéressent pas à l’Afrique pour se
positionner sur ce marché qui comptera 80% des francophones du monde30 en 2050.

Les tournées royales en Afrique au premier semestre 2014 bénéficient d’un suivi à travers une
commission gouvernementale. Une commission mixte a été mise en place pour assurer le
suivi des partenariats signés lors de la dernière tournée royale en Guinée, au Mali, au Gabon
et en Côte d’Ivoire Comme l’explique Mamoun Tahri Joutei, responsable du département
d’intelligence économique de BMCE Bank, « le soutien diplomatique à notre action est tout
primordial. Le roi est le premier des soutiens en termes de politique économique étrangère :
les tournées royales accompagnées de délégations d’officielles et de chefs d’entreprises
ouvrent la voie à l’implantation du secteur privé marocain en Afrique ». Par ailleurs, le
soutien de la Banque Centrale est fondamental pour les entreprises : elle les accompagne et
les oriente ; il existe un partage réel avec les entreprises exportatrices.

L’Etat marocain joue ainsi de son influence sur les pays africains pour mettre en avant les
intérêts politiques et économiques du pays sur le continent. Cette communication d’influence
pratiquée par l’Etat est une composante essentielle de la stratégie d’intelligence économique

29  Casablanca Finance City (CFC) est une initiative publique-privée née en 2010 visant à faire de Casablanca
une place financière au service du développement de l’Afrique, et en particulier en Afrique du Nord, de l’Ouest
et Centrale. CFC se veut être un hub économique et financier visant à encourager les investissements dans ces
régions, partant de Casablanca.  
30
Sur un total de 700 millions de francophones dans 77 pays en 2050, d’après www.francophonie.org

21
marocaine : celle-ci valorise les liens historiques, culturels et religieux qui lient le Maroc au
pays africains31.

B. Des champions nationaux ayant une capacité de projection


continentale

a) L’approche marocaine en Afrique

Le développement des entreprises marocaines en Afrique se fait dans le respect des cultures
locales par la valorisation des compétences africaines. Ceci est notamment visible dans la
stratégie de BMCE Bank, expliquée Mamoun Tahri Joutei, responsable du département
d’intelligence économique : « notre logique de développement en Afrique se fait avec le souci
majeur du respect des identités locales. Ceci implique une adaptation et une déclinaison
locale de nos services, et c’est ce qui fait notre force aujourd’hui en Afrique ». BMCE Bank
n’est pas dans une logique de transfert de compétences du Maroc vers l’Afrique mais dans
une logique de d’apprentissage mutuel de ce qui se fait de mieux au Maroc et en Afrique. La
banque réfléchit par exemple actuellement à la mise en place du crédit à la consommation au
Sénégal à travers sa filiale Bank of Africa, sur le modèle du succès de sa filiale Salafin au
Maroc. D’autre part, la majorité des patrons de filiales de BMCE Bank sur le continent sont
des dirigeants des pays en question ; les dirigeants de filiales d’Afrique qui sont marocains
sont minoritaires.
Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats chez Alliances, abonde dans le même sens :
« Nous sommes convaincus qu’il faut aller en Afrique avec une culture de l’humilité. Il ne
faut pas y aller en donneurs de leçons ; il faut avoir confiance en la compétence locale ». Il
explique qu’il est très important de recruter en local et réaliser des transferts de savoir-faire
entre expatriés marocains formés à la promotion immobilière chez Alliances et cadres locaux.
Nadia Fettah, directrice déléguée aux finances et au M&A chez Saham Group, ajoute que
Saham n’est pas perçu comme une entreprise marocaine en Afrique car tous ses managers
sont subsahariens. L’entreprise a même tendance à être discrète sur la nationalité de son
capital pour être un opérateur local pour ses clients.

31  cf. Discours royal d’Abidjan en annexe  

22
La capacité d’adaptation est également un facteur clé de succès pour les entreprises
marocaines sur le continent. D’après Nadia Fettah, la capacité d’adaptation exemplaire de
Saham réside dans le fait que l’entreprise a gardé en mémoire ce qu’était le marché marocain
des assurances il y a 30 ans et peut donc mieux comprendre le marché africain. Le Maroc a
depuis fait un saut qualitatif qui fait penser que Saham peut apporter beaucoup à ses filiales
africaines, « mais sans le côté dogmatique allemand, français ou américain (…) », dit-elle.
Un autre point fort des entreprises marocaines réside dans leur rapidité d’exécution : comme
l’explique Nadia Fettah, « je pense que nous avons une agilité et une rapidité d’exécution
remarquables. Nous avons racheté Colina en trois mois. Je pense que cela peut faire la
différence car il y a peu d’opportunités sur le marché. Souvent, nous sommes dans une
démarche proactive, c’est à dire que nous n’achetons pas des compagnies à vendre mais des
compagnies que nous avons envie d’acheter : il faut déjà les convaincre puis agir rapidement
pour être les seuls acheteurs possibles ».

L’humilité, le recours à des ressources humaines locales, l’adaptation et la rapidité


d’exécution sont donc des points communs et des facteurs de succès clés pour les grandes
entreprises marocaines.

b) Les grandes entreprises publiques sont les premières à se


déployer

Le souverain fixe les ambitions à moyen et long terme du Maroc en Afrique ; or, de par sa
fonction, il n’a pas vocation à assurer l’exécution de cette stratégie. « Il ne peut pas tirer un
penalty et jouer au gardien de but juste après ! C’est antinomique », explique le président de
l’AMIE. Dès lors, les entreprises publiques ont pris le relais en se développant en Afrique.

La coopération entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne a été initiée par les grandes
entreprises publiques marocaines (ONEE, OCP, RAM32) sur des projets d’infrastructures de
grande envergure (barrages, routes, télécommunications, assainissement,…) et sur le secteur
bancaire, sous l’impulsion de l’Etat marocain.
L’exemple le plus probant est celui de la Royal Air Maroc, élue meilleure compagnie

32
ONEE : né de la fusion entre l’ONE (Office Nationale de l’Electricité) et de l’ONEP (Office National de l’Eau
Potable) ; OCP : Office Chérifien des Phosphates ; RAM : Royal Air Maroc)

23
régionale africaine en 201433, qui est l’une des premières entreprises publiques marocaines à
s’être déployée en Afrique. Ayant compris le potentiel de développement qu’offrait le
continent (seul 2 à 3% du trafic pour près de 15% de la population mondiale), la compagnie a
progressivement développé son réseau de vols pour servir aujourd’hui 34 destinations,
devenant ainsi la deuxième compagnie aérienne sur le continent après South African Airways.
Le nombre de passagers a doublé entre 2007 et 2013 pour atteindre 900 000 passagers
annuels, ce qui représente près de 45% du chiffre d’affaires de la compagnie, positionnant
ainsi Casablanca comme hub incontournable entre l’Afrique et le monde34.

Citons également l’exemple de Maroc Télécom, leader des télécommunications au Maroc, qui
a vu le jour en 1998 lors de la scission de l’Office national des postes et télécommunications
(ONPT).
Maroc Telecom est l’une des premières entreprises publiques marocaines (aujourd’hui, 70%
de son capital est privé) à s’être déployée en Afrique subsaharienne dans le cadre de la
diplomatie sud-sud. L’entreprise possède aujourd’hui quatre filiales en Mauritanie (2001), au
Burkina Faso (2006), au Gabon (2007) et au Mali (2009), pour un total de trente millions de
clients dans le mobile. Le groupe a déployé la fibre optique sur une distance de près de six
mille kms, reliant ainsi le Maroc au Niger pour un investissement total de 220 millions de
dirhams (19,6 millions d’euros). Le tronçon malien inauguré par le roi Mohammed VI lors de
la tournée royale en février dernier, a symboliquement mis en avant le rapprochement
maroco-malien.
L’opérateur marocain joue un rôle important dans la restructuration des entreprises nationales
de télécoms (le chiffre d’affaires de Sotelma au Mali a été multiplié par six depuis la prise de
participation de Maroc Telecom en 200935). Les investissements (10 millions de dirhams
entre 2003 et 2013 et 4 millions pour la période 2013-2015) ainsi que la mise en place de
cadres qualifiés à des postes clés de ces entreprises permet de tirer la croissance dans ces
pays.
L’Afrique subsaharienne contribue par ailleurs fortement au chiffre d’affaires de Maroc
Telecom : si elle ne représentait que 15% du chiffre d’affaires du groupe en 2012, elle en
représentait près de 30% en 2013. Les filiales africaines de Maroc Telecom en Afrique ont

33  Classement Skyrax Awards 2014  


34  La vie éco, Royal Air Maroc met le paquet sur l’Afrique subsaharienne, 25 janvier 2014  
35  Article Financenews du 25 avril 2014,  «  Maroc Telecom : Champion national à vocation panafricaine »  

24
l’EBITDA le plus élevé de toutes les filiales d’entreprises de télécoms au monde36.
Ainsi, si Maroc Telecom s’est d’abord déployé sur le continent pour servir les intérêts du
pays, l’Afrique subsaharienne constitue aujourd’hui un vivier d’opportunités et de croissance
significatif pour l’entreprise. D’autant plus la forte concurrence au Maroc s’est traduite par
une baisse significative des prix (- 30% dans le mobile et – 10% dans le fixe), qui a conduit à
une baisse de 10% de son chiffre d’affaires au Maroc sur l’exercice 2013.

Les entreprises publiques marocaines continuent à se développer en Afrique : la fusion prévue


dans le secteur des transports entre l’ONCF (Office National des Chemins de Fer) et la SNTL
(Société Nationale de Transport Logistique) a vocation a créer un champion national qui
génèrera 400 millions d’euros de CA dans le transport de marchandises depuis la réception du
fret au port de Tanger Med jusqu’à leur acheminement par voie terrestre au Sénégal et en
Mauritanie.

c) Dans la foulée des entreprises publiques, le secteur privé


s’est massivement tourné vers l’Afrique subsaharienne

Dans un second temps, les grands opérateurs privés se sont eux aussi attaqués le marché au vu
du potentiel encore inexploité dans les secteurs des transports, de la finance et des médias37
notamment.
On compte en effet 1 640 entreprises marocaines exportatrices en Afrique en 2013 contre 1
040 en 2005 ; et 25 opérateurs réalisent 50% du chiffre d’affaires à l’export (soit plus de 100
millions de dirhams)38. Par ailleurs, les IDE du Maroc en Afrique subsaharienne ont généré
1,9 milliards de dirhams de dividendes rapatriés entre 2008 et 201239.
Si des grandes banques marocaines ont commencé à se déployer en Afrique dès les années
1990 (BMCE Bank au Mali et Banque Centrale Populaire en Guinée et en République
Centrafricaine notamment), leurs actions restaient fortement corrélées au jeu politique. Les
trois plus grandes banques sont devenues, en quelques années, des leaders incontournables sur
le continent :
-­‐ Attijariwafabank prend des participations majoritaires dans des banques locales.
36
D’après l’interview du président de l’AMIE en annexe  
37
Hit Radio, la radio des jeunes, opère sur plus de 9 marchés (Burundi, Congo, Centrafrique, Mali,
Cote d’Ivoire, Sénégal, Gabon, Togo, Tchad)  
38
Les exportations du Maroc vers l’Afrique, Office des Changes, 2014
39
Financenews hebdo, « Rapatriement de dividendes : L’Afrique se révèle juteuse en affaires », 17 avril 2014  

25
L’entreprise est présente dans huit pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale et est la
première banque du Sénégal.
-­‐ La Banque Centrale Populaire (BCP) a pris des participations dans sept banques en 2012
suite à un accord passé avec Atlantic Financial Group (Côte d’Ivoire),
-­‐ BMCE Bank a fait le choix stratégique de se développer en Afrique depuis le début des
années 1980. La première coopération de la banque en Afrique a eu lieu avec le
redressement de la Banque de Développement du Mali, et s’est poursuivie avec la prise de
participation dans La Congolaise de Banque en 2003. Suite à ces deux succès, BMCE
Bank a accéléré ses investissements en Afrique en 2008 avec la prise de participation de
72,5% du groupe Bank of Africa (BoA), présente dans 17 pays d’Afrique francophone et
anglophone (Kenya, Ghana, Ouganda et Tanzanie). « L’idée, chère au Président de la
BMCE Bank, Othman Benjelloun, est d’être présents dans les 54 pays d’Afrique d’ici
quinze ans », explique Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d’intelligence
économique de BMCE Bank.
Les banques marocaines profitent du repli des banques africaines pour se déployer sur le
continent. En effet, les banques africaines traversent une crise de croissance réelle : au
Nigeria, la Banque centrale a temporairement interdit aux établissements nationaux de réaliser
des acquisitions en dehors des frontières avec des financements locaux. Par ailleurs, la
valorisation des banques dans les pays d’Afrique subsaharienne est considérée comme trop
élevée pour les investisseurs : le multiple de deux fois les fonds propres est supérieur à celui
que l’on observe dans d’autres pays émergents en Amérique Latine ou en Asie (une fois les
fonds propres).

Les grandes entreprises privées ont quant à elles véritablement commencé leur offensive
africaine en 2010. Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats chez Alliances, explique
que le positionnement des grandes entreprises en Afrique répond à une nécessité quand elles
atteignent leur masse critique sur le marché local marocain : « les entreprises qui ont atteint
la taille de champion national ont besoin de relais de croissance en dehors du territoire si
elles veulent voir leur chiffre d’affaires croitre de manière significative dans les années à
venir ». L’entreprise est aujourd’hui implantée en Côte d’Ivoire, où elle a signé un accord
avec le gouvernement pour la construction de 14 000 logements sociaux ; et est en discussions
avec le Sénégal, le Congo et la Guinée pour d’autres projets de promotion immobilière.

26
Chez Saham, le développement en Afrique s’est aussi fait de manière très rapide. Ghita
Lahlou, directrice générale chez Saham Group, explique que jusqu’en 2010, l’entreprise s’est
cantonnée au marché marocain. En l’espace de trois ans, le groupe a opéré une mutation
significative à travers l’acquisition de la totalité du capital de Colina en 2010, qui opère via 15
filiales d’assurances dans 13 pays ; et de Global Alliance Seguros en 2012 en Angola.
Aujourd’hui, 50% du chiffre d’affaires et 70% du résultat net du groupe sont réalisés en
Afrique. D’après elle, ce transfert a été salutaire : le management s’est rendu compte que le
marché marocain était trop étroit et qu’il ne permettrait pas d’atteindre à lui seul les ambitions
du groupe. En effet, entre 2004 et 2010, celui-ci était principalement tourné vers l’Europe ; or
Saham était trop petit pour apporter une véritable valeur ajoutée sur le marché européen. Le
président Moulay Hafid Elalamy a considéré qu’il fallait alors se déployer dans des pays où le
savoir faire du groupe a la légitimité de se développer. « Il se trouve que le continent africain
totalise un PIB de 5 000 milliards de dollars à ce jour, et les estimations sont de 29 000
milliards de dollars en 2050. Le continent émerge au même titre que la Chine ou l’Inde il y a
dix ans, et est un formidable vecteur de croissance pour nous », explique Ghita Lahlou.
Aujourd’hui, le groupe Saham est le premier opérateur d’assurances en Afrique subsaharienne
(hors Afrique du Sud) et est implanté dans 22 pays.

d) Les entreprises marocaines ne sont pas encore perçues


comme des concurrentes par les entreprises occidentales,
chinoises et suds africaines

Il est intéressant de réfléchir à la manière dont sont perçues les entreprises marocaines par les
grands opérateurs étrangers présents en Afrique car force est de constater que des acteurs de
taille sont présents sur le continent40 :

40
BCG Focus: « The African Challengers : Global competitors emerge from the overlooked continent », 2010

27
Les entreprises interrogées dans le cadre de ce mémoire sont d’accord pour dire que les
opérateurs marocains ne sont pas encore perçus comme de véritables concurrents par les
opérateurs « historiques » sur le marché africain. Cela tient tout d’abord au fait que, quand
bien même le pays figure parmi les six plus gros exportateurs du continent, il ne pèse que
0,3% de ses importations. La Chine arrive quant à elle en première position (14,2%), devant
les Etats-Unis (6%) et la France (5,9%).
D’après Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, les entreprises marocaines se battent sur un
continent qu’une bonne partie des entreprises françaises ont quitté car elles n’ont pas su gérer
le risque pays en Afrique. Elles ont compris qu’elles devaient passer par des entreprises
marocaines, qui ont cette approche différente et qui leur permet d’être plus performants en
Afrique. Ghita Lahlou souligne à ce titre qu’Axa, par exemple, se pose des questions quant à
sa stratégie africaine car ses coûts de structure sont énormes du fait du nombre élevés
d’employés expatriés.

Quant aux leaders suds africains, ils semblent regarder de loin l’implantation des entreprises
marocaines en Afrique aujourd’hui. Brahim Skalli d’Alliances explique que leurs marchés de
prédilection sont les pays anglophones et que les pays francophones ne font pas véritablement
partie de leur stratégie d’expansion. Pour l’instant, il y a peu d’interactions avec ces acteurs,
ce qui permet aux opérateurs marocains de prendre de l’avance. Ghita Lahlou explique par

28
ailleurs que les suds africains ne sont pas très bien accueillis en Afrique du Nord et de l’Est
car ils sont encore perçus comme culturellement très différents.

La Chine, quant à elle, ne considère pas les entreprises marocaines comme concurrents car
elles les perçoivent comme complémentaires dans le jeu du commerce mondial. Les
entreprises chinoises sont très présentes sur les grands travaux d’infrastructures et
l’exploitation de ressources naturelles, alors que les entreprises marocaines exportent
principalement des services. Par ailleurs, les fonds souverains chinois veulent aujourd’hui se
développer sur tous les secteurs en Afrique. Ils sont encore en retard par rapport aux
champions nationaux marocains de services, mais ils commencent à s’y intéresser. Mamoun
Tahri Joutei de BMCE Bank explique que les entreprises marocaines se positionnent plutôt
comme partenaires des opérateurs chinois. L’objectif de la conférence sino-maroco-africaine
« China Africa Investment Meetings » organisée par BMCE Bank41 était en effet de réunir
une cinquantaine de personnalités publiques, diplomatiques, gouvernementales, nationales et
étrangères pour dessiner une alliance tripartite qui mutualiserait les moyens du Maroc et de la
Chine pour le développement de l’Afrique. La chambre chinoise apporte son savoir faire en
termes d’infrastructures et de connaissance fine du marché, et BMCE Bank son réseau
bancaire en cours de déploiement en Afrique. Le but est à terme de créer des joint ventures
maroco-chinoises en Afrique dans le cadre d’une stratégie africaine d’exportation et
d’investissement.

C. L’importance de l’intelligence économique

L’implantation des entreprises marocaines en Afrique nécessite une vigilance particulière.


Tout d’abord, il faut s’assurer que leurs opérations répondent à un besoin réel et que leur
financement est maitrisé. C’est ce qu’explique Mamoun Tahri Joutei 42 , responsable du
département d’intelligence économique de la BMCE Bank, en évoquant l’importance que
joue la Banque Centrale marocaine dans l’implantation des banques marocaines en Afrique.
BMCE Bank est en effet engagée auprès de la Banque Centrale, comme toutes les banques
marocaines, à consolider les risques et le contrôle interne sur chacune de ses dix-sept filiales
et de faire remonter l’information de manière homogène à la Banque Centrale. « Le soutien de
la Banque Centrale est fondamental. Elle nous accompagne, nous oriente ; nous partageons
41
« Une vision pour l’Afrique », interview de Othman Benjelloun, Les Afriques, 10 juillet 2014
42
Voir interview en annexe

29
avec elle toute l’analyse que nous faisons de ces pays. Nous apprenons mutuellement l’une de
l’autre », ajoute-t-il.
Il faut également être vigilant au niveau opérationnel : l’apport des banques et des assurances
est en ce sens précieux car elles participent à la sécurisation des échanges. Mamoun Tahri
Joutei explique en effet qu’il s’agit d’assurer un développement sain des entreprises
marocaines en Afrique. Brahim Skalli43, directeur Stratégie et Partenariats d’Alliances, ajoute
en ce sens qu’Alliances s’implante en priorité dans les pays où des banques marocaines sont
déjà présentes car elles connaissent bien l’entreprise et son fonctionnement, a des contacts
dans le tissu économique local et peut aider à la mise en place rapide de schémas de
financements.

Il faut également faire preuve de vigilance envers la réaction des partenaires traditionnels de
l’Afrique (France, Angleterre, Portugal…) et de celle des pays leaders sur le continent
(Afrique du Sud, Nigéria, Égypte) : pour Abdelmalek Alaoui, il est dangereux de ne pas avoir
de cellule d’intelligence économique qui surveille les leaders africains: « deux pays
produisent de la connaissance intéressante, ont des think tanks et des centres de recherche
axés sur l’intelligence économique : l’Afrique du Sud et le Nigéria. Or ils sont loin d’être des
amis du Maroc ! », explique-t-il.
D’autant plus que le Maroc et ses concurrents africains ont vocation à être présents sur les
mêmes marchés. Comme l’explique Mamoun Tahri Joutei de la BMCE Bank, « Les grands
leaders africains (…) remontent du sud vers le nord ; et effectivement, quand ils
commencerons à aller au delà et que nous irons plus vers le Sud, il y aura confrontation ».

Enfin, il faut faire preuve de vigilance quant aux réactions face aux prises de positions
politiques du Maroc (dossier du Sahara marocain, intervention au Nord Mali…). D’après
Mamoun Tahri Joutei, il incombe à l’État de mettre en place une intelligence économique
pour surveiller et défendre les intérêts de la Nation. Pour lui, c’est à ce niveau qu’il faut
développer une approche offensive d’intelligence en étant présents sur les réseaux sociaux et
sur internet pour défendre l’intégralité territoriale du pays.

Le scandale Ennajate44 témoigne des dérives auxquelles peut être confronté un pays qui n’a

43
Voir interview en annexe
44
« Intelligence économique et guerres secrètes au Maroc », Abdelmalek Alaoui, Koutoubia, Editions Alphée :
en 2002, une société se prétendant basée aux Émirats Arabes Unis propose d’embaucher plusieurs dizaines de

30
pas de système d’intelligence économique pour surveiller son environnement et ses
« signaux faibles45 ».

Il est donc indispensable de mettre en place, aussi bien pour l’État, le gouvernement que pour
les entreprises, un système de surveillance de l’environnement en amont pour détecter les
opportunités et les menaces dans le cadre d’une économie mondialisée. En France, Jean-Marc
Oury46 est le premier à signaler l’importance de la vigilance et des dangers auxquels s’expose
l’entreprise si elle ne la pratique pas. D’après lui, elle nécessite des efforts permanents pour
observer et détecter les signes avant-coureurs d’un évènement inattendu afin de s’adapter
rapidement à son environnement.

a) « L’infodominance » au service de la surveillance et de la


compétitivité

A la lumière des opportunités et des menaces qui entourent les entreprises, il est intéressant
d’étudier la littérature parue sur l’intelligence économique afin de comprendre en quoi elle
peut être une arme pour la compétitivité et la prise de décision.
Un ouvrage de référence sur la surveillance économique est celui écrit par Corine Cohen en
200447. Dans les années 1950, la surveillance était principalement rattachée à la planification
stratégique, à l’analyse de l’environnement, de ses opportunités et de ses menaces dans
l’objectif de permettre aux entreprises de s’adapter à un environnement en perpétuelle
mutation. Les grandes théories du concept de surveillance depuis les années 1960 ont évolué
pour intégrer de nouvelles considérations :
-­‐ Le « scanning » de Francis Joseph Aguilar en 196748 : ancien de Harvard, Aguilar est
le premier à aborder le sujet de la surveillance en faisant référence à un radar de navire

milliers de personnes dans l’industrie du loisir au Maroc (les croisières, plus précisément) avec l’aval
gouvernement. Cette technique de fraude, apparue pour la première fois au Nigéria dans les années 1980,
brouille les victimes en leur proposant des sommes d’argent importantes en échange d’une petite somme
négligeable de départ. L’escroquerie est passée inaperçue pour deux raisons. Tout d’abord, rien ne laissait
présager que les dirigeants étaient des escrocs. De plus, les prétendants au poste devaient passer un examen
médical payant avant de pouvoir signer leur contrat.
L’arnaque, qui aurait pu être débusquée en quelques vérifications sur internet par les autorités, a couté 10
millions de dollars à l’économie marocaine. D’après Abdelmalek Alaoui, elle est à l’origine du taux d’abstention
record lors d’élections politiques jusqu’aux élections législatives de septembre 2007.
45
Strategic Management Journal, I. Ansoff, Vol.1, 1980
46
« Economie politique de la vigilance », Jean-Marc Oury, édition Calmann-Lévy, 1994
47
Veille et Intelligence stratégiques », Editions Hermès-Lavoisier, 2004
48
« Scanning the business environment », F.J. Aguilar, Ed. Macmillan, 1967

31
pour justifier le fait qu’une entreprise doit avoir un système de surveillance propre. Le
scanning est destiné aux cadres dirigeants pour obtenir de l’information, identifier et
comprendre les opportunités et les menaces qui les entourent.
-­‐ L’importance de la surveillance pour la compétitivité de l’entreprise : Humbert
Lesca49 explique que la surveillance permet une adaptation rapide et est un facteur de
compétitivité pour l’entreprise. D’après lui, un certain nombre d’acteurs doivent être
surveillés : les clients, les concurrents, les centres de recherche, les pouvoirs publics,
les collaborateurs…
-­‐ La détection des « weak signals » de I. Ansoff, 1980 : ces opportunités et menaces
que représentent les « signaux faibles » doivent être captées et exploitées pour éviter
les ruptures stratégiques dans un contexte de changements, de concurrence et
d’imprévisible. Ansoff estime que le système de surveillance des entreprises doit
concerner tous les domaines d’activité afin de détecter l’intégralité des signaux faibles
dans son environnement.
-­‐ L’émergence du concept « d’intelligence » : Luhn 50 est le premier à utiliser ce
concept en 1958. Il le définit comme un système de « business intelligence », qui
correspond à tout système de communication qui sert à la conduite des affaires.
D’après lui, l’intelligence sert à trouver des relations entre des faits et de guider
l’action vers un but désiré. Il est le premier à lier intelligence économique et action.
Harold Wilensky va plus loin en 196751 en parlant d’intelligence organisationnelle qui
consiste en la collecte, le traitement, l’analyse et la communication de l’information
pour prendre des décisions. Il considère trois niveaux d’intelligence :
o « L’intelligence de contact » détecte les signaux faibles grâce au réseau et au
lobbying,
o « L’intelligence interne » surveille l’entreprise, ses forces, ses faiblesses et la
sécurité de l’information,
o « L’intelligence des faits et des nombres » utilise la technologie de
l’information pour fournir l’information scientifique, technique, industrielle,
économique, juridique, etc, aux décideurs.
-­‐ L’émergence du concept de veille stratégique : Humbert Lesca est le premier à
parler de « veille stratégique » en la définissant comme une démarche à caractère

49
« Système d'information pour le management stratégique de l'entreprise », Humbert Lesca, Ed. McGraw-Hill,
1986
50
« A business intelligence system », IBM Journal of Research and Development, H.P. Luhn, 1958
51
« Organizational Intelligence : knowledge and policy in government industry », Harold L. Wilensky, 1967

32
volontariste, par lequel l’entreprise traque, assimile et analyse de l’information pour
anticiper les changements dans son environnement afin de créer des opportunités et
d’agir vite, au bon moment.

En France, l’utilisation du terme de « veille » est plus fréquente que celle « d’intelligence ».
Toutefois, la nécessité de mettre en place une veille offensive qui va au delà de la simple
détection de signaux faibles, au service d’une communication d’influence, va imposer le
terme « intelligence économique ».

b) Fonctions

Étudions les fonctions de l’intelligence économique d’un point de vue purement théorique à
travers l’analyse des travaux de Jean-Louis Levet, économiste français et théoricien en
intelligence économique, qui identifie quatre fonctions à cette pratique :
i) La maitrise des savoir-faire et des connaissances
ii) La détection des opportunités et des menaces
iii) La coordination de la stratégie
iv) La mise en place de stratégies d’influence

Les savoir-faire et les connaissances d’une entreprise constituent en effet un capital


immatériel à protéger. Bien les maitriser signifie encourager le développement des idées et
renforcer l’innovation pour créer de nouvelles gammes de produits. La gestion de ce capital
consiste en une codification et un stockage sur des bases de données accessibles à l’ensemble
du personnel. En ce sens, l’une des fonctions de l’intelligence économique est d’identifier et
de protéger ce capital ; et d’effectuer une veille permanente afin de l’enrichir. Plusieurs
facteurs entrent en jeu :
-­‐ Une bonne maitrise du droit et des règles de propriété industrielle sont indispensables
pour protéger le capital immatériel de l’entreprise ;
-­‐ La confidentialité doit entrer en jeu car le capital immatériel est un bien stratégique
qu’il convient de protéger. Sécuriser l’information doit être fait par la mise en place de
procédures de sécurité et par la sensibilisation des employés ;
-­‐ L’intelligence économique doit recourir à l’utilisation des NTIC pour collecter,
analyser et partager l’information en temps réel pour éventuellement la partager sur un

33
intranet sécurisé ;
-­‐ L’allocation des ressources doit être fait de manière judicieuse pour que le
financement corresponde à des besoins réels.

La détection des opportunités et des menaces est, pour Jean Louis Levet, la deuxième fonction
de l’intelligence économique. Il dénombre trois types d’opportunités :
-­‐ celles portant sur l’enrichissement du savoir-faire et le renforcement des capacités
d’innovation de l’entreprise;
-­‐ celles portant sur l’enrichissement et la complexification de l’environnement de
l’entreprise (fournisseurs, clients, concurrents, etc.) qui peuvent permettre à
l’entreprise d’améliorer sa performance;
-­‐ celles portant sur l’obtention de nouveaux marchés. Ici, les risques externes sont
nombreux et la démarche d’intelligence économique permet à l’entreprise d’être
pragmatique et d’anticiper les difficultés potentielles. Les risques internes ne sont pas
négligeables : Jean-Louis Levet distingue, entre autres, les risques de « captation »
(lorsque le savoir-faire de l’entreprise est divulgué hors de l’entreprise) et de
« banalisation » (lorsque les informations ne circulent pas de manière structurée), les
menaces en tous genres (juridiques, lobbying, piratage, etc.).
Afin de pallier ces difficultés potentielles, l’intelligence économique doit assurer une
détection préventive des opportunités et des menaces par :
-­‐ Une veille sur un ensemble de paramètres (économique, juridique, commercial,
concurrentiel, etc.) à travers des outils logiciels adéquats dans l’objectif de partager
ses résultats avec les personnes concernées;
-­‐ Une anticipation des risques en identifiant les points faibles de l’entreprise sur lesquels
elle pourrait être attaquée, le type d’agressions potentielles et la manière d’y répondre;
-­‐ Une évaluation des rapports de force sur son marché, et notamment la capacité de
négociation de ses clients et fournisseurs;
-­‐ Un déploiement sur de nouveaux marchés : celle-ci suppose l’identification des
capacités existantes de l’entreprise, de réseaux et d’alliés pouvant appuyer sa
démarche.

La coordination de la stratégie est la troisième fonction de l’intelligence économique d’après


Jean-Louis Levet. Celle-ci est essentielle pour donner une direction commune et concertée à
des actions menées individuellement. Pour cela, il est nécessaire de :

34
-­‐ mettre en place un dialogue collectif et une culture du partage de l’information selon
des circuits de diffusion prédéterminés;
-­‐ mobiliser les employés et les réseaux autour de cette politique.

Enfin, la quatrième et dernière fonction de l’intelligence économique selon Jean-Louis Levet


consiste à recourir à une stratégie d’influence pour faire valoir les intérêts d’une entreprise ou
d’une nation dans le cadre de l’économique mondialisée. L’influence consiste à diffuser de
l’information pour influencer sciemment une cible dans le but de servir les intérêts de
l’entreprise. La composante politique est donc importante car il est question de modifier
l’opinion d’une cible. A l’inverse des trois fonctions de l’intelligence économique citées ci-
dessus, où l’information brute est centrale, l’influence donne toute son importance au message
porté par l’information. Une stratégie d’influence peut prendre plusieurs formes comme
contourner par exemple un obstacle à la signature d’un contrat; influencer les pouvoirs
publics en faveur d’une règlementation favorable. Il est donc indispensable de bien connaitre
le cadre règlementaire et légal avant d’entamer toute action d’influence. Les facteurs qui
régissent les stratégies d’influence sont :
-­‐ La maitrise des réseaux et sources d’information ;
-­‐ Leur valorisation;
-­‐ L’investissement dans des cellules d’intelligence économique;
-­‐ La maitrise des techniques de « guerre de l’information » afin de se protéger dans un
contexte d’ouverture et de vulnérabilité. Ceci permettrait par exemple au Maroc de se
protéger contre la guerre médiatique que mène la presse algérienne contre le Maroc52.

c) Un processus qui fonctionne par étapes

Face à la quantité d’informations disponibles, il est indispensable pour les entreprises, les
États et les gouvernements de mettre en place un processus de tri et de mise à jour de
l’information.
L’intelligence économique évolue selon un cycle précis :
1) Fixation des objectifs de l’intelligence économique ;
2) Collecte ;
52
D’après le ministre de la communication marocain Mustapha El Khalfi, une partie de la presse algérienne
mène une guerre médiatique contre le Maroc : près de 1605 articles hostiles au Maroc ont été recensés en 2013,
dont 600 portant sur la question du Sahara marocain (source : MAP sur lemag.ma « El Khalfi : une partie de la
presse algérienne mène une guerre médiatique provocatrice contre le Maroc » , 13 août 2014)  

35
3) Stockage ;
4) Analyse et diffusion ;
5) Action.
L’analyse permet de redéfinir les objectifs et de mettre en lumière le besoin de collecter des
informations supplémentaires. Une fois que le cycle est terminé, celui-ci redémarre. Ces
étapes prennent chacune en compte un degré de précision différent de l’information :
1) Les données n’ont pas de signification quand elles sont considérées hors de leur
contexte. A ce titre, l’accumulation des données n’est pas assimilée à une information;
2) L’information correspond à un ensemble de données validées et confrontées;
3) La connaissance correspond à l’ensemble des informations utilisées par l’entreprise
dans le but de prendre une décision.
4) L’intelligence économique est généralement conduite par un service précis au sein
d’une organisation. Sa mission est de permettre aux dirigeants de prendre des
décisions stratégiques sur la base d’informations fiables et protégées afin de s’adapter
rapidement aux changements perceptibles sur les marchés. Disposer de l’information
est un avantage compétitif certain pour une entreprise qui peut surveiller ses
concurrents. Comme le dis Coppola dans son film le Parrain II, repris par Abdelmalek
Alaoui53, il faut « garder ses amis proches, et ses ennemis plus proches encore ».

53
Président de l’Association Marocaine pour l’Intelligence économique

36
II. Les entreprises marocaines s’appuient sur
l’intelligence économique pour conquérir les
marchés subsahariens

A. La stratégie « full spectrum approach »

a) La mise en œuvre d’une stratégie d’intelligence économique


au niveau du gouvernement

D’après l’AMIE, l’État a un rôle primordial à jouer dans l’intelligence économique du pays
en tant que « catalyseur et disséminateur » pouvant doter le Maroc d’une stratégie
économique nationale à la fois défensive et offensive. Il privilégie trois axes d’intelligence
économique pour le gouvernement :
i) Mettre en place des plateformes techniques et humaines de surveillance, de collecte et
de partage de l’information au sein des différents ministères, en plaçant l’analyse de
l’information politique au même niveau que l’information économique et commerciale
afin d’éviter tous risques ou menaces ;
ii) Mettre l’accent sur la formation. Certes, celle-ci existe déjà mais elle nécessite d’être
normée pour s’adapter aux réalités du pays. Par exemple, la recherche en matière de
phosphates et de chimie dans le monde se fait beaucoup en allemand et nécessite la
formation de germanophones. Il faut également encourager les migrations des cadres
du public vers le privé et vice versa pour mutualiser les bonnes pratiques en
intelligence économique ;
iii) Pratiquer la communication d’influence en favorisant le développement d’une
dynamique de veille entre les réseaux commerciaux et diplomatiques marocains. Les
entreprises marocaines déjà implantées en Afrique peuvent mutualiser des
informations précieuses avec l’État en partageant leur expérience et en évitant aux
pouvoirs publics de faire des erreurs. L’enjeu du réseau international d’intelligence
économique public/privé est essentiel pour placer le pays en position d’influence.

37
Pour l’AMIE, le Maroc devrait s’inspirer de la stratégie d’intelligence économique chinoise.
La raison principale qu’il évoque est la dimension politique très forte de la stratégie de
puissance chinoise de « full spectrum approach » dont le Maroc semble s’être inspiré : « la
prééminence du politique et de la doctrine dans la stratégie chinoise se retrouve aussi dans la
stratégie marocaine ».

Certaines entreprises, comme BMCE Bank, estiment que la stratégie d’intelligence


économique (IE) de l’État et du gouvernement doit se cantonner à des actions précises pour
ne pas se disperser et agir efficacement. Mamoun Tahri Joutei, responsable de la cellule d’IE
de BMCE Bank, estime que le Maroc doit développer de l’IE dans deux domaines précis :
- Tout d’abord pour défendre les intérêts du pays sur la question du Sahara marocain. Pour
lui, c’est dans ce secteur que le Maroc doit développer une approche offensive
d’intelligence économique pour défendre l’intégralité territoriale marocaine. Il évoque ici
l’intelligence économique dans son aspect d’influence.
- Pour identifier des opportunités d’affaires sur des marchés étrangers : il propose un
partenariat d’intelligence économique publique et privée pour aider les entreprises
marocaines à trouver des débouchés en Afrique. Il pense néanmoins que la situation n’est
pas si tranchée, car les contrats stratégiques de grande envergure ne sont pas concernés par
l’intelligence économique mais par le soutien et l’action du roi. Celui-ci dispose d’un think
tank dédié, l’IRES54 Il prend ainsi l’exemple de l’usine Renault à Tanger, fondamentale
pour l’économie marocaine (les exportations d’automobiles ont dépassé celles des
phosphates), dont seul le roi a pu garantir 50% de l’investissement au moment où Renault
avait l’intention de se retirer.
D’après lui, l’Etat ne doit pas se disperser et se concentrer sur ces deux points. Il évoque
également le sujet de la sécurité informatique, de la culture de la confidentialité que nous
n’avons pas au Maroc, du passage d’une culture orale à une culture écrite, qui sont des sujets
presque « secondaires » selon lui.

54
L’Institut Royal des Etudes Stratégiques mène des études et analyses stratégiques pour éclairer le roi du Maroc
dans ses prises de décisions. L’IRES assure une veille nationale et internationale sur des secteurs stratégiques
pour le Maroc.

38
b) Une volonté clairement exprimée par le gouvernement dès
2005

Les rencontres de Tétouan en novembre 200555 correspondent à une prise de conscience pour
le Maroc : c’est la première fois qu’une entité publique envisage la mise en place d’une
stratégie d’intelligence économique qui soit adaptée aux spécificités du pays et qui prenne en
compte la richesse culturelle marocaine. L’effet d’annonce est important : le ministre des
affaires économiques et générales et maire de Tétouan Rachid Talbi El Alami a déclaré
l’intelligence économique comme étant « un outil de performance économique, un facteur de
compétitivité et de consolidation du rayonnement du Maroc au sein du concert des nations
modernes. (…) Ceci correspond bien à un impératif de premier plan pour les acteurs exposés
à la compétition mondiale », ajoute-t-il. Mohamed Mbarki, wali de Tétouan en 2004, a mis en
place en ce sens une cellule de recherche sur l’intelligence économique à la mairie de Tétouan
ayant pour objectif d’informer sur l’avancement de grands projets, l’innovation, les bonnes
pratiques et les publications importantes pour la prise de décision au plus haut niveau au
Maroc.
Cette décision de mettre en place une stratégie nationale d’intelligence économique
s’accompagne d’une politique d’intelligence territoriale formulée par M. Assouali, vice
président de la commune urbaine de Tétouan en 2005 : « l’intelligence économique permet au
territoire et aux organisations d’agir efficacement sur l’environnement, d’anticiper les
grandes tendances et opportunités, d’alerter sur les menaces de perte d’attractivité, de
compétitivité ou d’information ».

En 2006, le Haut Commissariat au Plan s’inscrit dans cette dynamique en organisant la


rencontre « L’intelligence économique au profit des entreprises du Maroc dans l’économie
mondialisée », lors de laquelle le président de la fédération française des professionnels de
l’intelligence économique a partagé l’expérience de la France dans ce domaine.
La première expérience d’intelligence économique du Maroc que l’on peut retracer a été
réalisée par le Cabinet Royal à travers l’Institut Royal d’Études Stratégiques (IRES) lors de la
rédaction du Rapport du Cinquantenaire, qui dresse un bilan complet et objectif des
réalisations du Maroc depuis l’indépendance, de ses forces et de ses faiblesses sur 4 500

55
« L’intelligence économique au Maroc », Regards sur l’IE, n°10

39
pages56. Ce document constitue un point de départ important pour la stratégie nationale
d’intelligence économique marocaine.
Par ailleurs, les principales initiatives d’intelligence économique dans ses dimensions
d’influence et de promotion des exportations viennent du Ministère de l’Industrie, du
Commerce, de l’Investissement et de l’Économie Numérique (MICIEN). Le centre marocain
de promotion des exportations « Maroc Export » en est l’exemple le plus frappant. Cet organe
créé en 1976 opérationnalise la politique du gouvernement pour l’appui aux PME à
l’exportation (industrie, artisanat, agriculture, agroalimentaire notamment). Placé sous la
tutelle du MICIEN, chargé du Commerce Extérieur, ses objectifs tels que décrits sur son site
internet sont de :
- Assoir la position du pays sur ses marchés traditionnels,
- Développer les exportations à forte valeur ajoutée,
- Encourager la diversification géographique et rechercher de nouveaux débouchés,
- Accroitre la compétitivité des entreprises en capacité d’exporter,
- Véhiculer une image positive du Maroc et faire connaitre son potentiel,
- Être un centre de veille et d’information sur les marchés extérieurs,
- Développer la coopération commerciale avec d’autres pays et opérateurs
économiques.
Cette stratégie se matérialise par l’organisation des « Caravanes de Partenariat en Afrique »,
qui sont rencontres entre acteurs économiques marocains et étrangers dont l’objectif est de
valoir les atouts du Maroc à l’international et sceller des accords commerciaux. La dernière
rencontre en date appelée « B to B in Africa » a eu lieu du 9 au 14 juin 2014 au Bénin, en
Côte d’Ivoire et au Sénégal. Maroc Export a contribué à la croissance du chiffre d’affaires des
entreprises exportatrices en stimulant des opportunités commerciales. Ces opérations
promotionnelles représentent un moment de networking primordial pour les entrepreneurs
marocains ; ils font connaitre les marchés africains à fort potentiel et appuient la diplomatie
économique du pays.
Le MICIEN cherche aujourd’hui à coordonner de manière plus efficace la promotion des
exportations marocaines à travers la création de la « Moroccan Agency for Trade, Investment
and Services » (MATIS)57. Son but sera de développer conjointement les investissements
directs étrangers au Maroc et de promouvoir les exportations, là où plusieurs agences

56
Le Best Of du “rapport du cinquantenaire”, Telquel n°210  
57
édition web de Jeune Afrique, 2 juillet 2014, « « Avec Matis, le Maroc veut rationaliser sa stratégie
commerciale »

40
gouvernementales se marchaient sur les pieds (l’Agence Marocaine pour le Développement
des Investissements et Maroc Export). Le MICIEN est actuellement en train de réfléchir au
meilleur modèle : soit le maintien des deux agences précitées qui seront placées sous la tutelle
de MATIS, soit les fusionner pour créer une entité unique.

Enfin, la dynamique de l’intelligence économique a également gagné les écoles et universités


publiques, qui ont commencé à proposer des formations spécifiques en la matière, telles que
L’École des Sciences de l’Information (ESI) qui forme en veille de l’information stratégique,
en étude des comportements informationnels et en stratégies organisationnelles ; ou l’Institut
Marocain de l’Information Scientifique et Technique (IMIST), dont l’ambition est de
répertorier toutes les thèses et mémoires rédigées par les marocains (projet « Toubk@l58 »).
L’IMIST est également à l’origine d’une étude sur les besoins en information technique et
scientifique et sur les pratiques de veille d’entreprises dans cinq secteurs clés59 (textile,
habillement et cuir, agroalimentaire notamment), dont les travaux montrent que les entreprises
sont conscientes et l’importance de l’intelligence économique dans la prise de décision, et
qu’elle passe principalement par la veille stratégique.

c) Le partage de l’information à haute valeur ajoutée entre


secteur public et privé est quasi-inexistant

Les initiatives publiques pour l’IE qui se sont enchainées ont laissé penser qu’une véritable
dynamique publique pour la mise en place de structures nationales et locales d’intelligence
économique était en marche. Néanmoins, les initiatives décrites ont un pour point commun de
n’avoir « jamais dépassé le stade de réflexion et d’intention » d’après l’AMIE. Par exemple,
le Centre de Veille Stratégique, qui se revendiquait le cerveau de l’intelligence économique
au Maroc sous la tutelle de la Direction des Investissements, a été un échec cuisant car ses
objectifs n’ont pas été clairement définis : sa seule mission était de faire vaguement « de la
veille ». De plus, cette entité était redondante avec d’autres départements crées sous un effet
certain de mode de l’intelligence économique.
Au niveau de la direction économique du ministère des affaires étrangères, il n’existe donc
aucune structure chargée de la surveillance de l’information. Il n’y a pas d’instance pouvant

58
« Toubk@l : les thèses et les mémoires marocains en ligne », cursus.edu, 11 novembre 2008
59
Association R&D Maroc, « veille stratégique et compétitivité » mars 2005

41
éclairer sur les opportunités et les menaces pour les opérateurs économiques. Il n’y a pas non
plus de partage d’information stratégique entre secteur public et secteur privé. D’après
l’AMIE, le seul niveau de partage d’information structuré se situe au niveau de la DSSI
(Direction de la Sécurité et des Systèmes d’Information). Il porte sur un sujet particulier qui
est la cyber-sécurité et le risque portant sur les installations critiques de la nation. Il explique
également que le Maroc est bon en protection et cela de manière transversale, mais que rien
n’est fait pour anticiper. Il va jusqu’à proposer la coercition pour le partage de l’information
entre le public et le privé car d’après son expérience, la bonne volonté pour partager les
informations s’arrête à la fin des réunions avec les entités publiques. L’une des mesures
proposées par l’Association Marocaine pour l’Intelligence Economique pour obtenir une
transversalité de l’information était justement que toutes les études produites par le
gouvernement soient plongées dans un intranet gouvernemental, et que les budgets ne soient
pas reconduits si un ministère ne partage pas. Or, d’après lui, cela n’a pas été fait. D’après lui,
l’inaction est principalement due à un manque de volonté : « un état souverain qui a un PIB
de 190 milliards de dollars a de quoi financer un big data qui couterait 5-6 millions de
dollars », explique-t-il, surtout que « plusieurs centaines de millions de dirhams ont été payés
par le gouvernement aux cabinets de conseils anglo-saxons » avec des résultats mitigés. La
Corée du Sud a récemment accordé une subvention de six millions de dollars au Maroc pour
renforcer son système d’intelligence économique ; à voir dans quelle mesure ces ressources
seront employées.

De même, les réseaux diplomatiques marocains ne jouent pas leur rôle de pourvoyeurs
d’information à haute valeur ajoutée alors qu’ils sont présents sur place et pourraient partager
cette intelligence économique avec les entreprises marocaines exportatrices. Abdelmalek
Alaoui explique en effet que les représentations du Maroc à l’étranger ne font que de la
diplomatie et du protocole là où, si elles étaient orientées et en ligne avec les ministères
économiques, elle ferait de l’influence pour dénicher des opportunités économiques pour le
Maroc.

Les opérateurs économiques partagent cet avis selon lequel le gouvernement n’apporte pas de
valeur ajoutée en intelligence économique. L’une des raisons est structurelle : il y a un déficit
de partage de l’information au niveau du secteur public60.

60
Ayoub Lahrach, « Le gouvernement revoit sa copie sur le droit d’accès à l’information », lematin.ma,
01/08/2014  

42
Le projet de loi 31-13 concernant le droit d’accès à l’information ne fait en effet pas référence
à la mise en place d’une commission garantissant l’accès à l’information pour tous et l’accès à
certaines informations sensibles est limité. Pourtant, le droit d’accès à l’information est une
liberté fondamentale inscrite dans la Constitution : les citoyens ont un droit d’accès aux
données de toutes les administrations publiques et que « ce droit ne peut être restreint que par
la force de la loi en vue de protéger des informations en rapport avec la défense nationale, la
sécurité intérieure et extérieure de l'État et des citoyens61 ».

Pour Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, il n’est pas possible de demander au Haut
Commissariat au Plan et au Ministère des Finances de mutualiser leurs publications en
matière d’intelligence économique. Il insiste néanmoins, comme Abdelmalek Alaoui, sur le
fait qu’il serait utile pour les opérateurs privés que le gouvernement mette en place un portail
de diffusion et d’agrégation des études en intelligence économique ; d’autant plus que cela est
facile à mettre en place selon lui.
Pour Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats d’Alliances, il faut tout de même
nuancer le fait qu’il n’y a pas d’information partagée entre le public et le privé : le partage se
fait grâce à des réseaux informels. En rencontrant un ambassadeur, ou un ancien ambassadeur
d’un pays où Alliances veut s’implanter, l’entreprise a accès à une quantité d’informations
considérable et à une connaissance très pointue de ces marchés. Néanmoins, il insiste sur le
fait que cette intelligence économique n’est pas formalisée et se partage surtout grâce aux
contacts. Le Maroc devrait s’inspirer selon lui du Ministère des Affaires Etrangères français,
qui a formalisé de nombreuses études en intelligence économique à travers des rapports
disponibles en ligne sur les risques pays notamment.
Pour Ghita Lahlou, directrice générale chez Saham et dont l’actionnaire principale dirige le
MICIEN62 il n’y a aucune mutualisation ni partage d’information avec le gouvernement.

Ainsi, le Maroc souffre aujourd’hui de ses réseaux d’appui au développement limités. Ces
organisations (centres techniques, chambres de commerce et d’industrie, etc.) qui sont les
supports de l’intelligence économique et qui doivent se renforcer avec l’appui de ministères
comme le MICIEN.

61
Dahir d'application n° 1.11.91 du 29 juillet 2011, article 27  
62  Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Innovation et de l’Economie Numérique  

43
Les décideurs marocains, qu’ils soient publics ou privés, doivent à présent passer de la
réflexion à l’action afin de concrétiser leurs engagements, aussi bien au niveau des techniques
de veille que des techniques d’influence.

Note : Il faut savoir que Global Intelligence Partners a pour client le MICIEN (dirigé par
Moulay Hafid Elalamy) mais que ce marché a été lancé du temps de son prédécesseur
Amara 63. Moulay Hafid Elalamy est aussi le fondateur du groupe Saham. Dès lors, le
président de l’Association Marocaine pour l’Intelligence Economique (aussi PDG de Global
Intelligence Partners) et les personnes interviewées chez Saham dans le cadre de ce mémoire
sont à la fois juges et parties lorsqu’ils donnent leur avis sur la politique de l’Etat marocain en
termes d’intelligence économique.

B. Des institutions privées cherchent à développer l’intelligence


économique au Maroc

Les think tanks et les cabinets de conseil spécialisés ont fleuri à partir de 2005 pour pallier les
insuffisances du gouvernement en matière d’intelligence économique.

a) Les think tanks cherchent à fixer le cap de l’intelligence


économique au Maroc

L’Association Marocaine pour l’Intelligence Économique (AMIE), cercle de réflexion à but


non lucratif créé en 2006, a pour objectif de promouvoir et de développer l’intelligence
économique à travers des réflexions ayant vocation à être partagées avec tous les opérateurs
publics, privés et académiques. L’AMIE a présenté une feuille de route le 24 juin 2013 pour
une stratégie nationale d’intelligence économique64 réunissant 16 propositions pour placer le
Maroc aux standards internationaux.
Celle-ci repose sur quatre axes majeurs :
i) La convergence de l’action publique pour surveiller l’information,
ii) Le traitement et l’analyse de l’information de manière coordonnée entre les différents

63  cf.
Brève l’Economiste du 21/10/13  
64
Voir la feuille de route de l’AMIE en annexe

44
départements et échelons du gouvernement,
iii) Le partage de l’information stratégique entre les différentes parties prenantes,
iv) La mise en place d’une politique d’influence servant les intérêts du pays et ce
notamment quand il s’agit de conquérir des marchés étrangers.
D’après Abdelmalek Alaoui, président exécutif de l’AMIE, cette dynamique permettrait au
Maroc d’avoir une croissance à deux chiffres dans un horizon de dix ans65.

Un an après, le bilan de l’application de la feuille de route de l’AMIE, ainsi que le bilan de


l’intelligence économique au Maroc, est décevant. L’une des convictions du président du
think tank est que le Maroc est un acteur inexistant en matière de production de
connaissance ; il en a fait sa mission à la tête de l’AMIE en faisant du cercle de réflexion un
précurseur en produisant de la connaissance à caractère stratégique. Sa deuxième conviction
est que le Maroc produit beaucoup de documents qui ont l’apparence de documents de
stratégie, mais qui sont en réalité des documents qui reflètent une doctrine teintée de
politique.
De plus, le Maroc n’est pas en mesure d’analyser et d’utiliser les publications produites par
les acteurs majeurs de l’intelligence économique (Etats Unis, Allemagne et Angleterre). En
effet, les pouvoirs publics sont par exemple dans l’incapacité de traiter l’information
stratégique qui est produite en allemand car cette langue n’est parlée par aucun fonctionnaire.
De même, en ce qui concerne les pays africains, il explique que deux pays produisent de la
connaissance intéressante, ont des think tanks et des centres de recherche axés sur
l’intelligence économique : l’Afrique du Sud et le Nigéria. En effet, trois des cinq premiers
think tanks les plus puissants66 sont sud africains, le deuxième est sénégalais et le cinquième
est ghanéen. Or, le Maroc n’est pas en position de se nourri de leur intelligence économique.

Certes, certaines propositions de la feuille de route de l’AMIE67 paraissent éloignées des


considérations quotidiennes du gouvernement. Toutefois, la faiblesse de la réflexion
stratégique du pays fait que les acteurs se pencheront sur l’installation d’un big data

65
« La feuille de route L’AMIE pour une démarche nationale d’Intelligence économique », Info-express.ma, 24
juin 2013  
66  Selon la 4ème édition du classement international The Global « go-to think tanks » établi par L’université de
Pennsylvanie. Ce classement porte sur une enquête auprès de 1500 universitaires, politiciens, et journalistes à
propos de 6 480 think tanks dans 169 pays.
67 Voir en annexe

45
gouvernemental68 quand cette proposition sera déjà obsolète. Le Maroc ne fait qu’accumuler
du retard en la matière.
La feuille de route avait pour objectif d’organiser la rupture en matière de production de
connaissance. Le Conseil Economique et Social a officiellement auditionné l’AMIE et
certaines propositions ont, d’après le président du think tank, été reprises dans le dernier
document qui a été fait par la Commission de la Stratégie. Toutefois, le Conseil Economique
et Social reste un organe à caractère strictement consultatif. « Les acteurs sont en général tous
d’accord sur le principe d’une stratégie nationale d’intelligence économique ; mais à partir
du moment où le sujet de son opérationnalisation est abordé, le gouvernement ne réagit
plus », explique Abdelmalek Alaoui. L’AMIE ne remet pas en question l’Etat et certaines de
ses fonctions régaliennes car aujourd’hui l’armée, les services de sécurité et les services de
renseignement sont aux standards internationaux. Il déplore néanmoins l’absence de partage
de l’information entre le militaire et l’économique.
Pour Mamoun Tahri Joutei, responsable du département d’intelligence économique de BMCE
Bank, l’échec de l’action de l’AMIE vient principalement du fait qu’elle n’a pas été
suffisamment précisée et ciblée car nous considérons au Maroc que l’intelligence économique
est tout et rien à la fois. « Considérons-nous par exemple qu’une étude de marché, une
analyse pays ou de comportements de consommateurs constitue de l’intelligence
économique ? La Direction Générale des Etudes et de la Documentation 69 existe :
considérons-nous cela comme de l’intelligence économique ? L’intelligence économique au
niveau de l’Etat et du gouvernement doit-elle être défensive ou offensive ? Les deux ?
Devons-nous y intégrer le renseignement ? ». Ainsi, d’après lui, Il y a toute une réflexion à
mener en amont de la charte pour une stratégie nationale d’intelligence économique. « Celle
proposée par l’AMIE est très orientée « public », alors que je pense que l’action de l’Etat et
du gouvernement en matière d’intelligence économique doit être très ciblée », ajoute-t-il.

D’après Abdelmalek Alaoui, les cercles de réflexion marocains « constituent la force de


proposition la plus faible de toute l’Afrique du Nord ». Seul un seul des neuf cercles de
réflexion marocains figure en effet dans le dernier classement de l’Université de Pennsylvanie
sur les think tanks les plus puissants au Monde (le Centre des Etudes et Recherches en
Sciences Sociales), qui se classe 22ème dans la région MENA).
D’après le président de l’AMIE, « la plupart des think tanks marocains sont des coquilles

68  proposée dans la feuille de route de l’AMIE  


69  Service de renseignements et de contre-espionnage marocain, directement rattaché au roi du Maroc  

46
vides et ne peuvent se targuer de contribuer au Maroc de la connaissance » qui est une étape
indispensable pour mettre en place une stratégie d’intelligence économique. Ceci est
principalement dû aux difficultés de financement qu’ils rencontrent : les subventions
publiques sont faibles et les donations privées rares, ce qui ne leur donne pas la latitude
nécessaire pour embaucher des experts et publier leurs recherches. Or, les think tanks sont
importants pour impulser les réflexions sur le sujet et ils pourraient être une manne
d’innovation et d’intelligence sans précédent sur le continent. Ils pourraient jouer un rôle de
lobbying au service des intérêts de l’État et positionner le pays comme « producteur de
connaissance » sur des problématiques que l’État lui même ne traite pas. S’ils étaient
soutenus, les think tanks pourraient détecter les tendances ou proposer des améliorations pour
les politiques publiques.

b) L’apport des cabinets de conseil en intelligence économique


est significatif

Les cabinets de conseil en intelligence économique se sont développés au Maroc pour


appuyer les entreprises marocaines publiques et privées dans leur déploiement en Afrique. La
rencontre avec l’associé-fondateur de Global Intelligence Partners, Abdelmalek Alaoui,
permet de mieux comprendre le métier de ces cabinets. Global Intelligence Partners exerce
trois activités qui sont la veille stratégique, le conseil en stratégie et la communication
d’influence. Il explique : « Chaque activité correspond à une brique industrielle définie : la
veille permet de surveiller, d’analyser et de transmettre ; le conseil en stratégie permet
d’approfondir et la communication d’influence arrive en bout de chaine pour gérer son
image. Aujourd’hui c’est la communication d’influence qui est en croissance rapide ».

La question des sources d’information de ces cabinets de conseil se pose dans un


environnement où l’information n’est pas structure, fiable et mise à jour régulièrement.
Etudions l’exemple de Global Intelligence Partners (GIP) procède afin de comprendre
comment un cabinet de conseil en stratégie et en intelligence économique structure sa
recherche d’information.

47
i) L’information disponible en open source

Tout d’abord, GIP structure les informations dites « ouvertes » sur la presse papier en en
ligne. Une grosse partie travail du travail concerne la mise à jour fréquente des informations
pour se structurer car généralement, les pourvoyeurs d’information en Afrique émettent
pendant quelques mois puis disparaissent : il est rare qu’ils aient un modèle économique
viable. En effet, l’intelligence économique au niveau panafricain est marquée par une « hyper
politisation des centres de décisions 70 » : d’après une étude réalisée par le cabinet en
intelligence économique Knowdys en 2010, moins de 45% des informations utiles aux
opérateurs économiques est disponible en open source. Parmi ces 45%, deux tiers ont un
niveau de fiabilité de 3,5/5. Dans la majorité des pays africains, l’intelligence économique se
limite à la veille dont les sources principales sont les réseaux humains.

ii) Les réseaux informels et les diasporas

GIP fait aussi appel à des réseaux locaux de correspondants et de contacts issus de la diaspora
africaine pour récolter de l’information à forte valeur ajoutée. Celle-ci permet d’après lui
d’accéder à des interlocuteurs de premier plan car ils sont au contact du terrain. Il ajoute
qu’une grande partie de l’information récoltée en Afrique provient de réseaux informels :
certains contacts viennent d’associations d’anciens élèves des grandes écoles françaises. Les
anciens de Sciences Po Paris représentent à ce titre la plus grande proportion de ministres en
Afrique de l’Ouest par rapport à toutes les écoles confondues71. Le président d eGlobal
Intelligence Partners explique également qu’être producteur de connaissance est un avantage
pour attirer des clients, car ils estiment que le cabinet est pertinent sur ce sujet.

70
Guy Gweth, fondateur du cabinet de conseil en stratégie Knowdys
71  Conférence
organisée à l’IEP de Paris, « Le Maroc : moteur possible de la convergence financière en
Afrique ? »  

48
c) Le rôle de la diaspora marocaine dans l’intelligence
économique au Maroc

L’association R&D Maroc, qui entretient des liens aves les chercheurs marocains d’une part
et les marocains résidents à l’étranger d’autre part, place l’intelligence économique au cœur
de ses préoccupations. L’association crée des réseaux de R&D pour encourager les milieux
universitaires, scientifiques et milieux d’affaires à « produire de la connaissance » en
intelligence économique grâce aux diasporas, dont les réunions de l’association sont des
occasions de rencontres et de mises en commun.
De nombreuses autres initiatives de ce type existent : l’association Savoir et Développement
rassemble des enseignants et hommes d’affaires issus de la diaspora marocaine en France ; le
Forum International des Compétences Marocaines à l’Etranger participe à la mise en place
d’une stratégie nationale d’intelligence économique à travers la mobilisation de compétences
de la diaspora sur plusieurs sujets (soutien à la R&D et à la formation, transfert de
technologies, apport d’expertise sur des secteurs précis, etc.).

C. Les entreprises doivent mettre en place leurs propres


systèmes d’IE pour se développer en Afrique

Face à la faiblesse des réseaux publics d’intelligence économique et au déficit d’organisation


et de partage formalisé d’intelligence économique dans le secteur privé, les champions
nationaux marocains ont compris qu’ils devaient compter sur leurs propres ressources pour
trouver de l’information à forte valeur ajoutée qui dictera leur stratégie africaine et qui les
différenciera de leurs concurrents à l’échelle internationale.

a) Les outils d’intelligence économique utilisés par les grandes


entreprises marocaines

Si les grandes entreprises marocaines concèdent toutes l’importance de l’intelligence


économique dans la prise de décision stratégique et ont pris conscience de la nécessité de
mettre en place un système structuré de collecte, de traitement et de partage de l’information,
le niveau de sophistication des systèmes utilisés varient significativement. Analysons

49
l’intelligence économique chez trois grandes entreprises marocaines qui utilisent des
méthodes différentes et représentatives du panorama marocain en intelligence économique :

i) BMCE Bank : l’un des champions nationaux les plus avancés en termes
d’intelligence économique

BMCE Bank possède un département d’intelligence économique dédié au sein de la banque,


qui emploie une vingtaine de personnes et qui est à l’origine de publications annuelles
partagées avec de nombreux acteurs économiques marocains. La rencontre avec Mamoun
Tahri Joutei, responsable du département d’intelligence économique de la banque, apporte à
ce titre de nombreux éclairages. Ce département a été créé en 1959 par Dahir Royal en même
temps que la création de la banque. L’une des premières missions de la banque est d’inscrire
l’intelligence économique au cœur de ses préoccupations, en citant dans le Dahir de sa
création « la collecte, le traitement et la diffusion gracieuse d’information économique et
financière à l’ensemble des opérateurs » (ambassades, ministères, universitaires, étudiants).
Lorsque la banque a été privatisée en 1995, son président a demandé à ce que la mission de
collecte et de diffusion de l’information continue. Ce n’est que dans les années 2000 que le
centre d’intelligence économique à proprement parler a été créé. Le département fonctionne
de deux manières :
- De manière itérative et récurrente en fonction des besoins exprimés en intelligence
économique par les différents départements de la banque ;
- De manière plus ponctuelle sur des demandes nouvelles et spécifiques des différents
départements.
D’après Mamoun Tahri Joutei, le département d’intelligence économique de BMCE Bank est
structuré autour de quatre activités bien définies :
- La veille stratégique : Le but de cette entité est de devenir un gestionnaire de données
économiques et financières, et pas seulement de données de presse papier. Lorsqu’il a intégré
la banque en 2005, près de la moitié des travaux était consacrée à des traitements de journaux
papiers, contre 5 à 10% aujourd’hui. Forte de 55 ans d’expertise, BMCE Bank a recours à un
outil automatisé de collecte et d’agrégation qui envoie quotidiennement des veilles ciblées
aux départements concernés. Pour Mamoun Tahri Joutei, la veille ne consiste pas uniquement
en la détection et l’analyse de signaux forts et de signaux faibles. Il considère qu’un autre
aspect fondamental de l’intelligence économique tient à la gestion des bases de données. Il
prend l’exemple du risque pays et de la notation des pays africains, qui correspondent à du

50
traitement de données à forte valeur ajoutée qui donne une bonne visibilité sur le continent.
C’est aussi de la veille car cela permet de voir les pays évoluer : au bout de deux ou trois ans,
il devient possible alerter sur un pays qui s’améliore grandement ou un pays qui se dégrade
fortement. Cela permet à BMCE Bank d’identifier des opportunités dans un pays ou chez un
client ; d’où la nécessité de maitriser le traitement de ce type d’informations à travers des
logiciels statistiques notamment.
- L’analyse sectorielle et économique : l’analyse sectorielle est une analyse que la banque
a toujours menée dans l’objectif d’analyser les risques d’une cinquantaine de secteurs de
l’économie marocaine et d’accompagner sa politique commerciale. Au niveau de l’analyse
économique, le département fait de la modélisation et du suivi de conjoncture au Maroc et en
Afrique. L’idée aujourd’hui, d’après Mamoun Tahri Joutei, est d’avoir un suivi économique,
politique, culturel et financier de l’ensemble des pays africains et des meilleures cibles. Le
département suit actuellement environ 20-25 pays de très près sur le continent. Une partie de
la collecte se fait déjà de manière automatique, et ses équipes sont en train de développer un
axe important d’analyse de ces informations en Afrique.
- La connaissance territoriale : elle concerne exclusivement les régions marocaines. Le
département a mis en place un observatoire des régions qui réunit un ensemble d’informations
régionales : les points d’intérêts autour d’une ville, la structuration du réseau BMCE et de
ceux de la concurrence, etc.
- La connaissance de la clientèle : le département analyse principalement leurs
comportements et fait du profiling.

ii) Alliances : la « sous-traitance » de l’intelligence économique à des cabinets


externes

Alliances n’a pas mis en place une structure d’intelligence économique interne à proprement
parler et fait appel à des cabinets de conseil externes. Brahim Skalli, directeur Stratégie et
Partenariats, confie que si l’entreprise n’a pas de département d’intelligence économique
formalisé en interne, il existe trois niveaux informels d’intelligence économique chez
Alliances à ce jour. En interne, Alliances suit de près ce que font ses concurrents marocains
en Afrique ; en externe, l’entreprise fait appel à des cabinets de conseil externes pour réaliser
les études de marchés :
-­‐ Avec des grands cabinets immobiliers (CBRE, JLL, Colliers notamment) qui ont des
bureaux sur place et qui peuvent fournir des études de marché précises et détaillées ;

51
-­‐ Avec des cabinets de conseil en stratégie qui réalisent des études de marché afin de
renseigner l’entreprise sur les types de produits qu’attendent les consommateurs, les
principaux opérateurs locaux, les coûts de construction…
Enfin, l’équipe de développement en Afrique, qui est constamment en déplacement, origine
quant à elle les partenariats et les deals d’une part et fait de l’intelligence économique d’autre
part : elle suit les marchés, les opérations qui sont réalisées, les principaux acteurs… Leurs
sources d’informations proviennent principalement d’internet, de la presse, des rapports
annuels, des assemblées générales et des présentations investisseurs de leurs concurrents.

iii) Saham Group : une intelligence économique qui repose principalement sur des
réseaux locaux

Pour Ghita Lahlou et Nadia Fettah, directrices générales chez Saham, leader africain72 des
assurances, les bonnes opportunités d’affaires en Afrique sont peu nombreuses et il faut être
présents sur le terrain pour obtenir l’information. Celles-ci proviennent du bouche à oreille,
par les réseaux, des courtiers, des banquiers, des coactionnaires (les fonds d’investissement
SFI, filiale de la Banque Mondiale, et Abraaj Capital qui sont très présents en Afrique). A
titre d’exemple, Saham a racheté l’assureur rwandais Corar-AG à l’Eglise Catholique. De
même, les réseaux ismaïliens sont très puissants en Afrique de l’Est, au même titre que les
réseaux libanais en Afrique de l’Ouest. « Ce sont des microcosmes où il faut avoir ses entrées
et c’est là que ce situe le cœur de notre intelligence économique, si nous pouvons l’appeler
comme cela », déclare Nadia Fettah. Les deux directrices ont insisté sur le fait que la stratégie
de Saham est très différente de la stratégie « artillerie lourde » des entreprises occidentales.
Celles-ci payent très cher des cabinets de conseil pour réaliser des études de marché alors que
les primes d’assurances dans certains pays africains sont faibles (dix millions de dollars au
Kenya par exemple), ce qui ne permet pas de rentabiliser leur investissement.

72
Hors Afrique du Sud

52
b) L’IE au cœur de leur stratégie d’expansion en Afrique

En analysant les stratégies africaines de ces trois champions nationaux dans la banque, la
promotion immobilière et les assurances, il apparaît que l’intelligence économique, formalisée
ou principalement informelle, est très logiquement une source décisive pour la prise de
décision dans ces grandes entreprises.
Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats d’Alliances, explique que l’intelligence
économique est cruciale dans leur stratégie de développement. Alliances étudie en effet trois
conditions indispensables au succès de la promotion immobilière en Afrique :
-­‐ Le financement doit être possible (crédits hypothécaires, crédits promoteurs notamment) ;
-­‐ l’écosystème du foncier doit exister (cadastre, enregistrement, hypothèque, système
juridique relatif au foncier, etc) ;
-­‐ La fiscalité doit être avantageuse.
Après analyse de la carte de l’Afrique à la lumière de ces critères, Alliances effectue ses
recherches en interne ou en externe pour identifier les pays qui remplissent les trois conditions
suivantes :
-­‐ Les pays africains où sont implantées des banques marocaines car elles connaissent bien
l’entreprise et son fonctionnement et permet de mettre en place rapidement un plan de
financement si besoin ;
-­‐ Les pays francophones principalement ;
-­‐ Les pays qui ne présentent pas de risque politique : Alliances s’appuie sur les informations
du Ministère des Affaires Etrangères français et marocain, la Coface, la garantie MIGA
(dédiée à l’Afrique), les ambassades et les contacts à haut niveau sur place.
Sur ces pays, Alliances a identifié trois types de marchés : les marchés étroits (où le nombre
de ménages solvables et la consommation de ciment sont faibles) ; les marchés
prometteurs (ceux que l’entreprise va analyser de plus près et qui sont très porteurs) ; et les
marchés complexes (Tunisie et Nigéria : même si ce sont des marchés importants, les risques
le sont tout autant). « Au terme de ces recherches, en excluant la Tunisie et le Nigéria, nous
réalisons que le marché potentiel dont on parle ne représente qu’une fois le marché marocain
uniquement ! », conclue-t-il.

La stratégie de Saham Group en Afrique est quant à elle dictée par l’identification
d’opportunités à maximiser et de menaces à minimiser. D’après Ghita Lahlou, il est

53
primordial d’avoir un réseau d’implantations, car considérer les pays africains pris séparément
est trop risqué. Réfléchir en « réseau » permet de mutualiser et de minimiser les risques. Elle
préconise d’identifier des « grappes », c’est à dire des compagnies africaines implantées dans
plusieurs pays et dans qui pourraient être des cibles potentielles. Saham en a identifié trois,
mais qui n’étaient pas vendeuses. Une opportunité exceptionnelle s’est présentée avec l’une
d’elles (Colina) car l’entreprise a pu racheter les parts d’un actionnaire (personne physique)
grâce à la mise en relation par un contact. Une fois un réseau constitué sur le continent, il
devient plus facile d’acquérir des compagnies d’assurances isolées car elles peuvent être
rattachées au réseau régional. Cette stratégie permet à Saham d’être en avance sur ses
concurrents marocains sur le continent notamment, car il y a très peu de réseaux d’assureurs
en vente.

c) Une intelligence économique stratégique et confidentielle

L’intelligence économique est, dans la majorité des cas, strictement confidentielle et partagée
avec très peu de collaborateurs : étant donné qu’elle sert à la prise de décision stratégique à
très haut niveau, elle ne concerne dans la plupart des cas que les directions générales.
A l’exception près de BMCE Bank, qui partage une grande partie de ses travaux en
intelligence économique avec le secteur privé marocain. BMCE Bank en effet un nombre
important de travaux d’intelligence économique avec les opérateurs marocains. Tout d’abord,
la banque publie annuellement la revue « Le Maroc en chiffres », qui consolide des données
sur près de cinquante secteurs d’activité du Maroc. Cette revue est conçue en partenariat avec
le Haut Commissariat au Plan, et est publiée et financée par BMCE Bank depuis 1963. Il y a
également les publications de l’Observatoire de l’Entrepreneuriat (www.ode.ma) dans lequel
BMCE Bank partage de l’information sectorielle sur le Maroc. La banque organise également
des conférences dans le but d’apporter de l’expertise aux entrepreneurs en leur offrant des
espaces d’échanges pour qu’ils puissent dialoguer, apprendre et partager. A titre d’exemple,
les deux dernières conférences organisées ont accueilli Daniel Cohen à Casablanca et Edgar
Morin à Marrakech. En ce qui concerne l’Afrique, BMCE Bank partage ses publications
annuelles « African Outlook ». Toutefois, l’entreprise ne partage ses veilles sur l’Afrique
qu’avec ses partenaires africains et non pas avec l’ensemble des opérateurs marocains car elle
considère que c’est de la connaissance stratégique. « Ce sont des outils puissants au travers
desquels toute l’information à haute valeur ajoutée remonte », explique-t-il.

54
Pour Alliances et Saham Group, il n’est pas question de partager l’intelligence économique
avec d’autres opérateurs : d’après Brahim Skalli, cette information est destinée à la direction
générale et à l’équipe Afrique uniquement. Elle n’est pas partagée car considérée stratégique.
Ghita Lahlou de Saham Group va plus loin encore : « nous ne partageons rien avec les autres
opérateurs car ils sont potentiellement des concurrents. Nos recherches et notre stratégie sont
classées secret défense ! ».

55
III. Des marges de progression réelles grâce à
l’enracinement de l’intelligence économique

A. Les défis à relever pour l’intelligence économique tournée


vers l’Afrique

a) Enraciner l’IE dans la stratégie de développement des


grandes entreprises

Les grandes entreprises marocaines réfléchissent à renforcer et à formaliser leurs systèmes


d’intelligence économique dans le contexte de la mondialisation. Alliances, par exemple,
cherche à la formaliser en trois pôles sous la direction Stratégie et Partenariats, qui auront
chacun pour objectif de faire, d’après Brahim Skalli :
-­‐ Une veille macroéconomique au niveau de la direction de la stratégie suivant l’évolution
politique, le PIB, les taux d’intérêts, la position du Maroc vis-à-vis des marchés extérieurs,
la production de ciment, le niveau de liquidités du marché financier, le marché boursier…
-­‐ Une veille métier au niveau de chaque pôle d’activité d’Alliances. Elle doit suivre tous les
projets en cours, ce qui est vendu ou non, à quel prix, quelle marge… Cette base de
données existe déjà au niveau de du pôle « résidentiel haut de gamme et golfique » et
l’entreprise souhaite la dupliquer sur son activité de logement social et de construction ;
-­‐ Une veille financière pour surveiller les communications financières des concurrents, les
annonces de contrats, les projets de développement des concurrents, etc.

Chez Saham Group, la démarche de structuration de l’activité d’intelligence économique est


plus balbutiante. En effet, la direction générale a pendant longtemps estimé que l’information
qui provenait de la presse écrite ne représenterait pas des opportunités intéressantes car
l’information n’est pas fiable ou les deals annoncés étaient souvent trop chers. Toutefois, le
réalisme l’emporte : « nous sommes trois chez Saham à travailler sur le développement en
Afrique. Compter uniquement sur nos réseaux et nos déplacements va nous coûter de plus en
plus cher », dit Nadia Fettah. Dès lors, l’entreprise est en train de tester des bases de données
et fait appel à un cabinet de conseil qui lui envoie des bulletins de veille presse

56
hebdomadaires. En tant qu’opérateur économique de taille aux ambitions panafricaines, le
management de Saham se rend compte qu’il lui faut construire sa propre intelligence
économique. « Nous le faisons, donc, mais de manière très modérée à ce jour avec l’espoir de
structurer », ajoute-t-elle.

b) Mettre en place une intelligence économique panafricaine

Face à la faiblesse de l’intelligence économique étatique en Afrique sous ses aspects de


défense et d’influence, des efforts pour structurer une intelligence économique panafricaine
ont été consentis dès 2009. L’un de ses principaux enjeux est de permettre aux entreprises et
aux gouvernements de bénéficier d’informations fiables et partagées entre les pays africains.
Cet effort est tout d’abord visible à l’échelle de l’Union Africaine : lors de sa tribune
« L’Union Africaine en marche73 », le président de la commission de l’UA J. Ping insiste sur
le fait que « l’Afrique ne pourra résister aux défis de la globalisation qu’unie et solidaire ».
Cette affirmation est également inscrite dans la résolution 464 de la 26ème session ordinaire du
conseil des ministres de l’UA, qui marque sa déclaration d’intention pour une intelligence
économique panafricaine à travers « une seule entité d’intégration qui sera le point d’ancrage
et le creuset où tous les États de la région élaboreront et mettront en œuvre leurs politiques
dans des domaines intégrateurs tels que les transports, les communications, l’industrie,
l’agriculture (…) ». Le secrétariat de l’UA s’est engagé à sensibiliser les États membres pour
la mise en place d’une stratégie d’intelligence économique à l’échelle du continent avec
l’appui de la Banque Africaine de Développement et des organismes de coopération comme
la Francophonie.

73
Le Monde Diplomatique n°666, septembre 2009

57
Pyramide de l’intelligence économique proposée à l’Union Africaine
Source : Cabinet de conseil en stratégie Knowdys

La Francophonie a vu l’intelligence économique inscrite à l’ordre du jour de sa 35ème


assemblée de la Conférence Permanente des Chambres Consulaires Africaines74. Pendant
cette réunion, les chambres consulaires ont réfléchi ensemble à l’utilisation de l’intelligence
économique dans le développement d’opportunités d’affaires.
Cette réflexion a également été engagée au sein de L’Assemblée Parlementaire Francophone75
quelques mois plus tard en déclarant que « les États et les entreprises sont amenés à adopter
des attitudes offensives pour accroitre leur réactivité et assurer leur pérennité et leur
compétitivité, tout en faisant preuve de réactivité et d’anticipation ». L’APF a sommé ses
États membres de s’équiper en outils d’intelligence économique pour rattraper son retard.
Enfin, l’APF a encouragé les États membres à recourir au réseau de la Francophonie pour le
partage de l’information, la coopération et la recherche. Les organismes interétatiques jouent
donc un rôle important dans la structuration d’une intelligence économique panafricaine.

74
Réseau de coopération et de soutien aux chambres consulaires pour le développement du secteur privé sur le
continent qui compte plus de cent organisations dans vingt quatre pays africains dans différents secteurs
économiques
75
Organisation qui réunit les représentants parlementaires de 77 parlements, (dont l’Afrique représente un tiers
des effectifs avec vingt cinq pays membres), du Parlement Panafricain, de l’UEMOA et de la CEMAC

58
La sensibilisation des acteurs économiques à ce sujet est également un sujet important pour
l’avènement d’une intelligence économique panafricaine, et surtout pour la fiabilisation, le
partage et la structuration de l’information en présence. Les rencontres et conférences sur le
sujet sont une composante incontournable de cette sensibilisation avec une fréquence
moyenne de cinq manifestations par an en Afrique76. Les cabinets de conseil en intelligence
économique sont les auteurs de publications enrichissantes à ce sujet : pour ne citer que les
plus gros cabinets africains, Global Intelligence Partners, Knowdys, Sopel, l’Organisation
africaine de l’intelligence économique et Strageco enrichissent le débat et sensibilisent aussi
bien les pouvoirs publics que les organisations privées. Enfin, les médias sont des acteurs
centraux de l’intelligence économique : l’hebdomadaire Les Afriques possède des bureaux à
Casablanca, Alger et Dakar et propose une chronique d’intelligence économique depuis 2009
; les journaux en ligne et les sites spécialisés tels que Africa Intelligence contribuent à
également à sensibiliser le public.

Ainsi, la mise en place d’une intelligence économique panafricaine au niveau de la veille


informationnelle sur le continent permettrait-elle à tous les acteurs de bénéficier
d’informations plus fiables possibles dans le cadre d’une économie mondialisée.

c) Surmonter la problématique linguistique est un enjeu


majeur

La question de la langue revêt une importance capitale dans l’intelligence économique : faire
de la veille sur les pays anglophones et lusophones pour un pays qui ne maitrise pas la langue
relève du défi. Comme le rappelle Abdelmalek Alaoui, 80% des productions d’intelligence
économique sont en réalisées en français au Maroc, alors que 80% de l’information produite
dans le monde est en anglais. Il est donc nécessaire de développer l’anglais, l’espagnol,
l’allemand et le portugais dans les techniques de veille au Maroc afin de prendre en compte
l’environnement informationnel dans son intégralité.

La question de la langue se pose également pour les entreprises marocaines qui se déploient
en Afrique. En effet, celles-ci s’orientent en priorité vers les pays d’Afrique francophone du

76
Guy Gweth, fondateur du cabinet en intelligence économique Knowdys

59
fait de la langue et de la proximité culturelle. C’est le cas par exemple d’Alliances, pour qui
l’anglais représente une vraie barrière pour leur implantation en Afrique anglophone au
niveau des ressources humaines. Brahim Skalli, directeur Stratégie et Partenariats,
s’explique : « dans notre métier, faire de la promotion immobilière c’est avoir des ressources
humaines locales qui arrivent à piloter, lancer, construire, vendre et encaisser un projet. Or
les cadres expatriés d’Alliances qui vont les encadrer sont des francophones et ils ne parlent
pas forcément l’anglais ».
D’autres entreprises comme Saham Group tentent de s’adapter face à cette problématique en
recourant à l’anglais et en organisant leurs implantations en régions. C’est surtout la culture
anglophone ou lusophone, plus que la langue en elle-même, qui pose problème, car c’est une
manière différente de faire des affaires. Comme l’explique Nadia Fettah, directrice générale
déléguée aux finances et au M&A, « tout le monde chez Saham se met aux cours d’anglais et
nous essayons de communiquer davantage en anglais. C’est un travail de longue haleine.
Nous essayons aussi de ne pas tout gérer à partir de Casablanca : nous avons un hub à
Abidjan qui chapeaute dix pays et nous sommes en train d’en mettre un en place à Maurice
pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe. Le Nigéria et l’Angola sont suffisamment gros
pour être gérés séparément ».

d) Apprendre à chasser en meute en Afrique : le rôle des


clusters d’entreprises

Les clusters d’entreprise représentent un levier de compétitivité important pour les


entreprises. Ils permettent d’améliorer les transactions, de partager les dépenses et de les
réduire, de faire collaborer les entreprises et de favoriser les transferts de compétences et de
technologies. La mutualisation de l’intelligence économique au sein de ces pôles de
compétitivité pourrait être un atout certain pour les entreprises marocaines en Afrique pour
« chasser en meute ». Ils permettraient notamment de mutualiser le cout d’acquisition de
l’information entre tous leurs membres, qui est le premier obstacle à la mise en place de
cellules de veille stratégique dans les entreprises. L’intérêt est également de se développer
ensemble en Afrique à travers des opportunités qu’une entreprise ne pourrait pas saisir seule.

60
Néanmoins, cette pratique reste très peu répandue parmi les entreprises marocaines, qui se
voient comme concurrentes sur le marché africain. C’est ce que déplore Nadia Fettah,
directrice générale chez Saham Finances, « malheureusement, chacun y va de son côté. La
diplomatie économique n’est pas coordonnée : par exemple, nous sommes très nombreux à
être investisseurs en Côte d’Ivoire et au Sénégal ; pourtant personne n’a négocié de
conventions fiscales ou de convention de non double imposition. Nous ne sommes pas bons
pour nous coordonner et faire des opérations ensemble ». A titre d’exemple, elle explique que
les grands groupes français sont tous assurés chez Axa au Maroc ; alors que les grands
groupes marocains ne sont pas assurés chez Saham en Côte d’Ivoire. D’après elle, il faut
mener une réflexion sur ce sujet car le blocage est principalement culturel. Abdelmalek
Alaoui, président de l’AMIE, va plus loin : « Il faut réfléchir à comment nous allons agrandir
le gâteau plutôt que de s’entretuer sur le petit gâteau dont nous disposons pour l’instant. (…)
Chasser en meute veut dire que l’on va attaquer un gâteau beaucoup plus gros et mutualiser
ce qui peut l’être pour faire des économies. Or, culturellement, il y a un vrai blocage ».
Il faut déplorer le fait que les fédérations professionnelles promouvant les secteurs d’activités
marocains soient principalement centrées sur la protection anti-dumping et l’optimisation du
dispositif de fiscalité, à défaut d’organiser des sorties communes en Afrique.

B. PME : développer l’accès à l’intelligence économique et le


soutien financier

a) L’intelligence économique y est quasi-inexistante

Le tissu économique marocain est formé à 90% de PME et de TPE. Or, l’intelligence
économique, cruciale pour se renseigner sur la concurrence et pour assoir leur compétitivité,
ne semble pas être une préoccupation pour elles aujourd’hui. Les conséquences peuvent être
désastreuses, à l’image du secteur textile au Maroc dont les difficultés sont principalement
dues au fait qu’elles n’ont pas su anticiper les accords multifibres77 et su s’adapter face à la
concurrence étrangère.

77
Cet accord a régi le commerce du textile pendant 30 ans par la mise en place de quotas d’importation. Il pris
fin en 2005 et en 2008 pour la Chine, beaucoup plus compétitive que le Maroc notamment, en raison du faible
coût de sa main d’oeuvre.

61
En effet, rares sont les PME qui ont mis en place leurs propres systèmes d’intelligence
économique en interne car les dirigeants ne perçoivent pas le retour sur investissement que
pourrait leur apporter de tels dispositifs qui sont couteux à mettre en place. Driss Alaoui
Mdaghri, l’une des personnalités pionnières de l’intelligence économique au Maroc,
expliquait déjà en 200978 que le fait que les PME n’aient pas de cellules de veille est
compréhensible, car il est nécessaire pour elles d’atteindre une taille critique avant de
réfléchir à investir dans des outils de veille stratégique.

Dès lors, les PME ont besoin de l’appui des collectivités locales, des universités et organismes
d’intelligence économique publics et privés afin d’accéder à de l’information à forte valeur
ajoutée pour les aider dans leur processus de prise de décision. A. Moutawakil, président de la
Fédération Chimie-Parachimie (FCP)79 explique en effet que « au delà de l’aspect prospectif,
les opérateurs ont des besoins concrets en information commerciale sur le triptyque produits,
marchés et clients, sur la concurrence, sur les stratégies adoptées par les pays concurrents
qui nous ont devancés sur le marché ». Ceci est crucial pour les entreprises dans une optique
d’optimisation de leurs performances et de leur compétitivité.

La création de l’ANPME 80 en 2002 avait, dans sa mission de modernisation des PME


marocaines, pour objectif de permettre aux entreprises d’accéder à de l’intelligence
économique qualifiée. La structure a ainsi mis en place le programme « Yakada » en
partenariat avec la Coopération Technique Allemande (GTZ), qui réalise de la veille
concurrentielle, commerciale, technologique et environnementale (juridique, politique,etc.)
pour les PME. Toutefois, cette aide ne suffit pas à elle seule à aider ces entreprises à s’adapter
à un environnement en mutation.
Le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Innovation et de l’Économie Numérique a mis
en place des mécanismes d’aides financières pour les PME :
- Le programme « Moussanada ti » promeut l’utilisation des nouvelles technologies
dans l’activité des entreprises ;
- Le programme « Imtiaz » octroie des subventions d’investissements pour des PME
innovantes, qui peuvent atteindre 20% de l’investissement (les subventions sont
plafonnées à cinq millions de dirhams).

78
Intelligence économique : la CGEM veut s’engager », l’Economiste, 02 juin 2009
79
Hebdomadaire Economie Entreprises, Juin 2014
80
Agence Nationale pour la Promotion de la Petite et Moyenne Entreprise

62
A ces programmes devrait s’ajouter un soutien pour la mise en place opérationnelle de
dispositifs d’intelligence économique au sein des PME, ce qui n’est pas encore le cas
aujourd’hui.

Des initiatives privées ont également vu le jour et proposent aux PME de les assister dans la
mise en place de cellules de veille à moindre cout pour collecter et organiser les informations
qui concernent l’environnement de leur entreprise. Un outil d’intelligence économique pour
les PME a ainsi vu le jour à l’initiative du cabinet de conseil en veille stratégique Cybion, qui
a lancé, en partenariat avec Form’info+81, un « pack marocain pour la veille stratégique »
appelé E-btikar. Le principe est d’offrir un accompagnement spécifique par un expert,
comprenant une formation à la veille, un outil de collecte automatisé ainsi qu’un logiciel de
surveillance. D’après Mounir Rochdi82, directeur général délégué de Cybion, E-btikar répond
à un besoin réel des PME qui n’ont ni les ressources, ni le temps, ni les outils pour avoir une
intelligence économique en interne. E-btikar leur offre une solution accessible, tout en leur
donnant autonomie et indépendance pour gérer leur propre intelligence économique en interne
afin de mieux connaitre la concurrence, de surveiller les fournisseurs dont elles dépendent, de
mieux s’adapter à leur clientèle, de maitriser son environnement juridique et fiscal et de
suivre les innovations sur leur marché. Par ailleurs, Cybion les sensibilise à la protection de
leur savoir-faire, autre volet de l’intelligence économique qui n’est pas pris en compte par les
PME, afin d’éviter le piratage 83. La menace est réelle : d’après une étude réalisée par
Kapersky84, le Maroc fait partie des pays les plus ciblés par les pirates informatiques85, du fait
d’un mauvais entretien des serveurs et de l’utilisation élevée de Windows XP, vulnérable aux
virus.

81
Formation et accompagnement des entreprises sur des thématiques spécifiques
82
Intelligence économique et PME marocaines, Adil Cherkaoui, chercheur ès Sciences de gestion, Univestité
Hassan II, 2 novembre 2011
83
 En août 2014, des hackers marocains ont piraté un fonds d’investissement sud africain  
84
Logiciels de lutte contre la malveillance informatique
85
 « Le Maroc parmi les pays les plus vulnérables aux virus informatiques », media24.com, 22 août 2014  

63
b) La nécessité d’un soutien financier pour les PME à
l’exportation en Afrique

Dans une perspective d’intelligence économique, la Fédération Marocaine de Plasturgie


(FMP) a lancé une étude pour évaluer le potentiel d’exportation des PME marocaines en
Afrique, dont l’une des conclusions est que le cout logistique et de fret à l’export grèvent la
compétitivité des entreprises. La FMP a ainsi relevé la faiblesse voire l’absence de lignes
maritimes régulières et compétitives et des couts élevés de magasinage dans les ports de
destination. A ceci s’ajoute l’assurance à l’export, qui affecte aussi significativement la
compétitivité des PME industrielles.

Des études similaires réalisées par Maroc Export ont démontré que des pays comme la
Tunisie, la Turquie ou la Jordanie proposent des outils et du soutien financier aux
exportateurs pour le fret via une prise en charge partielle ou totale de ce cout; et pour les frais
de location de magasins de stockage dans les pays de destination.
En Tunisie par exemple, le Fonds de Promotion des Exportations (Foprodex) soutient les
entreprises industrielles sur 30 à 50% de des couts, leur propose un prêt de trois ans
avantageux et leur concède une bonification de dix points sur la partie subventionnée pour
leurs échanges vers l’Afrique subsaharienne. Les exportateurs marocains, eux, ne reçoivent de
subventions de Maroc Export uniquement pour des contrats signés pendant les foires
promotionnelles, salons et rencontres B2B, alors qu’ils auraient grandement besoin de
subventions pour le transport pour toutes leurs opportunités d’affaires.
Certaines PME marocaines exportent déjà timidement en Afrique. Il reste à leur donner les
moyens de démultiplier leurs exportations. C’est ce que demande Mehdi Zouhir, directeur
général de Buzichelli, une PME industrielle qui réalise un chiffre d’affaires de 80 millions
d’euros dont la moitié en Afrique86 : « les ministères de tutelle doivent prendre conscience de
la nécessité d’accompagner des entreprises comme nous à l’export, car aller vers l’Afrique
demande beaucoup de ressources et d’énergie ».

86
Documentaire France 24, « Au Maroc, croissance économique rime avec Afrique », 23/11/2013

64
C. Le recours à d’autres leviers pour se développer
efficacement en Afrique

a) Les banques marocaines, une source informelle d’IE pour les


entreprises

Le secteur bancaire marocain joue un rôle essentiel dans les systèmes d’intelligence
économique des entreprises, qu’elles soient des champions nationaux ou des PME. Les
réseaux de filiales des banques marocaines en Afrique draine une quantité d’informations
considérable sur les marchés, les opérateurs locaux et les consommateurs, et constituent pour
elles un vivier informel d’intelligence économique non négligeable. Les réseaux développés
par les banques marocaines sont en effet utiles pour les exportateurs à quatre égards :
- Financement : les banques marocaines connaissent les entreprises marocaines, ce qui
peut être un atout car cela peut accélérer la mise en place de schémas de financement
pour les exportateurs marocains ;
- Connaissance du marché : Les banques mettent en relation les entreprises marocaines
avec des prestataires locaux. Dans le cas d’Alliances par exemple, leur partenaire
bancaire marocain en Afrique les a mis en relation avec des entreprises dans la
construction, des partenaires juridiques, des avocats et des fiscalistes qui ont
grandement facilité leur entrée sur le marché.
- Garantie de paiements : Le cercle de réflexion marocain IRES87 dont l’influence est
reconnue à Rabat, a suggéré la mise en place d’un système de paiement entre
banques : centrales sur le continent. L’objectif est de garantir le transfert des revenus
du commerce et des investissements en cas de défaillance de paiement entre
opérateurs au Maroc et en Afrique.
- Protection contre les risques non-commerciaux sur le continent : BMCE Bank a signé
un partenariat avec la MIGA88 qui s’applique à une centaine d’entreprises marocaines
accompagnées par la banque dans leur développement en Afrique, et qui les protège
contre (i) les risques de changement politique, de guerres civiles, d’émeutes et
d’incendies, et contre (ii) les risques fiscaux et règlementaires telles que
l’expropriation ou l’interdiction de rapatrier des dividendes.
87
Institut Royal pour les Etudes Stratégiques  
88
Multilateral Investment Guarantee Agency, filiale de la Banque Mondiale

65
- Détection d’opportunités d’affaires : les banques les mettent en relation avec les
acteurs locaux. Comme l’explique Mamoun Tahri Joutei de BMCE Bank, les
entreprises exportatrices marocaines ne souhaitent qu’une chose ; c’est d’être mises en
relation avec des acteurs locaux pour dénicher des opportunités d’affaires. A cet égard,
la conférence sino-maroco-africaine organisée par BMCE Bank en juin 2014 est à
l’origine d’une cinquantaine de rencontres B2B entre entreprises marocaines,
chinoises et africaines.

Ainsi, les banques ont un rôle important à jouer dans l’écosystème d’intelligence économique
des entreprises exportatrices. Cette relation unique permet aux opérateurs d’avoir des
avantages concurrentiels face aux opérateurs étrangers. En effet, pour l’entreprise
exportatrice, la banque marocaine partenaire permet de :
- Diminuer le cout du capital grâce à la baisse du délai moyen du recouvrement des
créances et du cout du crédit ;
- D’avoir un flux de trésorerie prévisible ;
- De bénéficier d’un portefeuille client stable ;
- De garantir une plus grande transparence dans le processus de paiement.
L’intérêt pour les banques est entre autres de :
- Participer aux affaires de leurs clients sur le continent ;
- Fidéliser leur clientèle importatrice et exportatrice ;
- Cultiver leur image de marque en tant que banque clé dans le financement de
transactions à l’international.

Le président du cabinet de conseil en intelligence économique Global Intelligence Partners


nuance ce constat en expliquant que les banques ne peuvent pas être des pourvoyeurs
d’information pour les cabinets de conseil pour des raisons de règles prudentielles qui les
empêchent de remonter de l’information sur leurs clients.

66
b) De nouveaux types de partenariats pour se développer en
Afrique

Les entreprises marocaines réfléchissent à des partenariats avec des institutions ou des
entreprises étrangères pour trouver des opportunités d’affaires en Afrique. Ceci peut venir du
fait que les entreprises ont une capacité d’endettement limitée et qu’elles ont besoin d’un
appui financier pour réaliser certaines opérations sur le continent. Brahim Skalli, directeur
Stratégie et Partenariat chez Alliances, justifie cela en expliquant que « la capacité
d’investissement et d’endettement d’Alliances étant limitée, nous ne pouvons pas nous
engager seuls sur 25 pays. Coopérer avec ces structures multilatérales de financement
signifie que l’on peut envisager ensemble le montage d’opérations plus importantes en
Afrique ». Alliances s’est ainsi rapproché d’institutions multilatérales telles que la Banque
Africaine de Développement, la BERD ou l’AFD pour réaliser des opérations conjointes sur
le continent.

Un autre exemple probant est celui d’Attijariwafabank, première banque marocaine, et de


Bank of China, qui ont signé un accord le 20 juin 2013 à Pékin pour encourager les échanges
commerciaux et les investissements chinois en Afrique grâce à l’appui du Maroc pour la
prospection des marchés des régions Afrique du Nord, UEMOA et CEMAC. D’après le
directeur général d’Attijariwafabank, Omar Bounjou, la présence de la banque dans 14 pays
africains et sa connaissance des marchés lui permet d’accompagner des opérateurs
économiques étrangers sur ces géographies. Il est donc pertinent de mettre en place des
partenariats win-win avec de grandes institutions asiatiques notamment ; ce qui explique le
choix la banque de se rapprocher de la Chine, premier partenaire commercial du continent
africain. Les synergies entre les deux banques sont conséquentes :
- Elles ont une dimension internationale (elles sont présentes à elles deux dans soixante
cinq pays) ;
- Les deux banques possèdent des offres dédiées pour toutes les personnes, entreprises,
organisations et gouvernements ;
- Elles oeuvrent toutes les deux pour la coopération sud-sud.

L’accord conclu entre les deux banques contient quatre volets :


- L’accueil ainsi que l’assistance aux clients en matière de commerce international :

67
Attijariwafabank et Bank of China ont développé un savoir faire en ce qui concerne
l’accompagnement des opérateurs économiques et sont toutes les deux leaders sur
leurs marchés ;
- L’accompagnement et le financement de projets d’investissements : la Chine et le
Maroc étant parmi les plus gros investisseurs en Afrique, il est question de soutenir la
dynamique d’investissement en plaçant l’expertise de chacune au service des
investisseurs dans les marchés africains où les deux banques sont présentes.
- L’organisation de rencontres B2B : l’organisation de rencontres bilatérales vise à
rapprocher et mettre en relation des hommes d’affaires chinois avec les opérateurs
économiques dans les pays où Attijariwafabank est implantée. L’objectif de ces
rencontres est d’aboutir à des investissements croisés et des JV sur le continent. Le
Forum Afrique Développement a favorisé à ce titre plus de 3 000 rencontres B2B en
deux éditions en rapprochant plus de 1 000 opérateurs économiques présents dans les
pays où sont implantées les filiales d’Attijariwafabank.
- L’accompagnement des cadres expatriés de Chine et Afrique et vice versa : La banque
chinoise peut s’appuyer sur le réseau de la banque marocaine pour mieux servir la
communauté chinoise en Afrique (le nombre de chinois vivant sur le continent dépasse
le million de personnes) ; et Attijariwafabank pourra apporter le réseau de Bank of
China aux africains vivant en Chine.

68
Conclusion

Il apparait que l’intelligence économique représente bien un enjeu de premier ordre pour les
entreprises marocaines en Afrique. Les champions nationaux ont conscience que, du fait de
leur spécialisation dans les services, l’intelligence économique est centrale dans leur approche
du marché africain. Mais contrairement à ce que laisse penser la littérature journalistique sur
le sujet, l’IE n’est dans la majorité des cas ni formalisée ni structurée : elle ne porte pas ce
nom auprès des acteurs qui la pratiquent.
Seuls quelques grandes entreprises comme la Royal Air Maroc, Maroc Telecom, BMCE Bank
ou Attijariwafabank ont en effet réellement mis en place des dispositifs structurés avec des
budgets dédiés pour la veille stratégique, la surveillance et la communication d’influence.
Pour la grande majorité du tissu économique marocain, l’intelligence économique n’est pas
une composante formelle de la prise de décision pour se développer en Afrique.

De plus, le gouvernement étudie, depuis une dizaine d’années, la possibilité de mettre en


place une stratégie nationale d’intelligence économique au service du secteur privé mais rien
n’est encore réellement fait à ce jour dans ce domaine. L’État comble partiellement ce déficit
par une diplomatie sud sud dynamique dans le but de décrocher des opportunités d’affaires
pour les entreprises marocaines en Afrique, mais ne met pas de dispositifs d’information et de
veille stratégique à la disposition des entreprises en dehors d’évènements promotionnels à
l’exportation.

Les entreprises marocaines ont vite intégré cette donne et adaptent leur manière de se
renseigner sur le continent. Les sources de la veille stratégique sont pour elles leurs contacts
locaux ; la surveillance de leur environnement règlementaire, juridique et fiscal se fait grâce
aux informations recueillies auprès des réseaux bancaires marocains ; leur communication
d’influence se fait avec l’appui de la diplomatie économique royale et de structures telles que
Maroc Export. La proximité culturelle du Maroc avec l’Afrique est très importante dans ce
contexte.

On retrouve ici une composante essentielle du tissu économique marocain, à savoir le


pragmatisme et la grande capacité d’adaptation de ses entrepreneurs, qui ont recours à une

69
intelligence économique « à la marocaine ». Celle-ci leur donne un avantage unique sur le
continent, malgré le fait que le gouvernement ne semble pas avoir véritablement pris la
mesure de l’urgence à mettre en place une stratégie nationale d’intelligence économique.
Celle-ci est en effet la seule à même de mutualiser un certain nombre de moyens
informationnels et analytiques au service du tissu économique.

70
Bibliographie

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La Nouvelle Tribune, 08 mai 2014

« Une vision pour l’Afrique », interview de Othman Benjelloun, Les Afriques, 10 juillet 2014

74
Annexes

A. Discours royal d’Abidjan

« Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et Messieurs,.


C'est avec un plaisir renouvelé que Je retourne en Côte d'Ivoire, un an, presque jour pour jour,
après Ma visite d'Etat de l'année dernière. Ce laps de temps, aussi court soit-il, permet déjà
de mesurer l'évolution importante que connait la Côte d'Ivoire, dans tous les domaines, grâce
à l'action clairvoyante et déterminée du Président Ouattara et à l'engagement citoyen de
l'ensemble des forces vives de ce pays.

C'est aussi avec une sollicitude toute particulière que Je M'adresse aux travaux du Forum
économique maroco-ivoirien, qui constitue l'expression de Notre détermination à renforcer les
relations entre nos deux pays, en imprimant une nouvelle dynamique à leur coopération
économique. L'organisation, en Côte d'Ivoire, d'un tel Forum -pour la première fois en
dehors du Royaume et sur une terre africaine - n'est pas le fruit du hasard. C'est, d'abord, le
reflet de la qualité des relations entre nos deux pays, et l'expression de l'importance des liens
politiques et économiques entre le Royaume et les pays de l'Afrique centrale et de l'Ouest. Ce
choix est, aussi, une reconnaissance de l'importance de l'économie ivoirienne, et notre
confiance en son avenir. Ce n'est pas sans raison que votre pays abrite l'une des bases
industrielles les plus actives de la région, et l'une des plateformes de commerce les plus
dynamiques. Désormais, à l'heure où les péripéties politiques font partie du passé, l'unité
retrouvée et la paix rétablie sont, assurément, la grande force de la Côte d'Ivoire. Son passé
économique florissant est un véritable avantage comparatif.

Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et Messieurs,.


Le Maroc, comme la Côte d'Ivoire, assume pleinement sa vocation africaine, celle qui a
toujours été la sienne, tout au long de son histoire. Aujourd'hui comme hier, les relations
diplomatiques sont au cœur de nos interactions. Mais, à la faveur des mutations profondes que
connaît le monde, leurs mécanismes, leur portée ainsi que leur place même dans l'architecture
des relations internationales, sont appelés à s'adapter aux nouvelles réalités. Ainsi, auparavant
la diplomatie était au service de la consolidation des relations politiques. Aujourd'hui, c'est la

75
dimension économique qui prime et constitue l'un des fondamentaux des relations
diplomatiques. La coopération, hier basée sur la relation de confiance et les liens historiques,
est, aujourd'hui, de plus en plus fondée sur l'efficacité, la performance et la
crédibilité. L'efficacité donne toujours ses fruits. Elle est le gage de résultats tangibles, de
progrès mesurables et de capacité à répondre aux attentes. Elle garantit la qualité et génère la
confiance. La crédibilité veut que les richesses de notre Continent bénéficient, en premier
lieu, aux peuples africains. Cela suppose que la coopération Sud/Sud soit au cœur de leurs
partenariats économiques.

Dans son ouverture, l'Afrique continuera à développer ses relations fructueuses avec les pays
avec lesquels elle a le plus de relations historiques profondes et le plus d'affinités. Mais, bien
qu'ils constituent des atouts certains, ces liens, à eux seuls, ne suffisent plus. Ils demandent,
désormais, à être accompagnés par une action crédible et un engagement constant. Il n'y a
plus de terrain acquis, pas plus qu'il n'y a de chasse gardée. Ce serait une illusion de croire le
contraire. Ce serait, également, une illusion de croire qu'il y'a des petits et des grands projets.
Tous les projets se valent, tant qu'ils sont pertinents et qu'ils se destinent au service du
citoyen. A l'évidence, il y'a des projets d'importance nationale. Le Maroc est bien placé pour
le mesurer, car nos propres projets d'infrastructure sont entièrement réalisés sur la base de
l'expertise marocaine, depuis la conception, jusqu'à la réalisation et la mise en œuvre, qu'il
s'agisse par exemple d'autoroutes, d'électrification, de barrages, de ports ou d'aéroports Mais,
Il y a aussi des projets qui, bien qu'étant de moindre envergure, revêtent une importance
particulière. Car ils touchent directement les citoyens et visent à améliorer leurs conditions de
vie quotidienne. C'est le cas du village de pêche que Nous lançons ici en Côte d'Ivoire. De
tels projets participent à la création d'emplois et à l'essor des PME-PMI, qui représentent la
véritable locomotive de développement du continent et la principale source de travail pour sa
jeunesse.

"Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et Messieurs,.


L'Afrique est un grand continent, par ses forces vives, ses ressources et ses potentialités. Elle
doit se prendre en charge, ce n'est plus un Continent colonisé. C'est pourquoi l'Afrique doit
faire confiance à l'Afrique. Elle a moins besoin d'assistance, et requiert davantage de
partenariats mutuellement bénéfiques. Plus qu'une aide humanitaire, c'est de projets de

76
développement humain et social, dont notre Continent a le plus besoin. L'Afrique ne doit pas
rester otage de son passé, ni de ses problèmes politiques, économiques et sociaux actuels. Elle
doit regarder son avenir avec détermination et optimisme, en exploitant tous ses atouts et ses
potentialités. Si le siècle dernier a été celui de l'indépendance des Etats africains, le 21ème
siècle devrait être celui de la victoire des peuples contre les affres du sous-développement, de
la pauvreté et de l'exclusion.

"Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et Messieurs,.


Une Afrique dynamique et développée n'est pas un simple rêve pour demain, cela peut être
une réalité d'aujourd'hui, mais à la condition d'agir. C'est, donc, le temps de le faire ou de
l'entreprendre. L'importance de l'action c'est qu'elle donne la crédibilité au travail politique et
permet de réaliser les objectifs escomptés.

L'Afrique doit, en effet, faire face à de nombreux défis qui menacent sa stabilité politique et
entravent son essor socio-économique. Or, ces défis ne peuvent être relevés que par la
coopération, la solidarité entre les peuples africains et le respect de la souveraineté et de
l'intégrité territoriale des Etats. L'Afrique a donc vocation à bénéficier de toutes les
potentialités dont elle regorge, sans pour autant vivre en autarcie. Elle doit multiplier les
partenariats bénéfiques avec les nombreux pays développés qui marquent un intérêt constant,
un engagement sincère et une implication substantielle en faveur de son progrès économique
et de son développement humain. Elle doit bénéficier également des opportunités qu'offre la
coopération triangulaire, en tant qu'outil novateur, facilitant la conjugaison des efforts et
l'optimisation des moyens. A cet égard, le Maroc, qui a été pionnier dans ce schéma de
coopération, est disposé à mettre au service des pays africains frères le capital de crédibilité et
de confiance dont il jouit auprès de ses partenaires. Il est, en effet, de notre devoir collectif de
faire en sorte que la mondialisation devienne une force positive pour le développement de
l'Afrique. Le développement économique, le commerce et l'intégration régionale sont, à cet
égard, parmi les thématiques centrales.

"Monsieur le Premier Ministre,. Excellences,. Mesdames et Messieurs,.


Le développement durable du Continent africain exige que la créativité et le dynamisme du
secteur privé se concentrent sur des domaines porteurs, comme l'agriculture, l'industrie, la

77
science et la technologie, et le développement des infrastructures. Cela reste tributaire de la
libération des potentialités et du renforcement de l'initiative privée, ce qui présuppose
l'existence d'un secteur public efficace, porteur et compétent. La démultiplication des
partenariats public privé sud-sud et des transferts de technologie, revêt une importance clé
dans ce sens. C'est dire que le renforcement des capacités institutionnelles des Etats africains,
constitue un enjeu stratégique. La meilleure gouvernance, le progrès par le droit et la
résolution pacifique des conflits, doivent être des priorités partagées. Grâce aux progrès du
secteur bancaire, à l'urbanisation des populations, et à la hausse continue de la productivité du
travailleur africain, l'Afrique voit chaque jour s'ouvrir à elle de nouvelles voies pour atteindre
la prospérité des générations futures. Elle y aura d'autant mieux accès, lorsqu'elle parviendra
à triompher de l'Afro-pessimisme, grâce à la libération des potentiels, intellectuels et
physiques, des forces vives de tous les peuples africains. J'invite chacun de vous à imaginer
ce que serait, alors, notre continent africain, libéré de ses pesanteurs. En souhaitant plein
succès aux travaux de ce Forum économique, je fais pleinement confiance à votre
pragmatisme et votre créativité, pour déboucher sur des résultats concrets, au bénéfice du
développement de nos deux pays frères et de leurs régions respectives ».

B. Feuille de route de l’AMIE89

L’Association Marocaine pour l’Intelligence Economique a présenté, le 24 juin 2013, 16


propositions pour une stratégie nationale d’intelligence économique :

Proposition 1 : favoriser l’intégration numérique des acteurs de veille nationale à travers


l’utilisation d’une plateforme de veille nationale unique de type « big data » intégrée et
sécurisée : ce dispositif numérique permettra à tous d’accéder à tout.

Proposition 2 : conditionner graduellement l’attribution des budgets à la mise en ligne, au


sein du système national de veille, des études, analyses et autres prestations intellectuelles à
caractère économique et stratégique.

89
http://amiecenter.org/en/243-economic-intelligence-tracks-for-a-more-intelligent-morocco.html#more-243

78
Proposition 3 : structurer un plan national de veille stratégique pour les acteurs existants afin
d’organiser une couverture sectorielle transverse destinée à mettre à profit leur
complémentarité à travers un effort de spécialisation.

Proposition 4 : lancer une mission de réflexion indépendante visant à déterminer l’image


réelle du Maroc dans le monde qui permettrait de sélectionner les capteurs pertinents à
surveiller.

Proposition 5 : mettre en cohérence les dispositifs de collecte d’information avec les


dynamiques linguistiques mondiales, développer l’utilisation de l’anglais, de l’espagnol, de
l’allemand et du portugais.

Proposition 6 : créer une chaire d’analyse stratégique transversale d’intelligence économique


ouverte aux civils au sein du Collège Royal de l’Enseignement Militaire Supérieur
(CREMS).

Proposition 7 : rééquilibrer les cellules de veille existantes au plan national entre veilleurs et
analystes et favoriser la co-construction d’information enrichie.

Proposition 8 : créer un poste de chargé d’intelligence économique au sein de chaque cabinet


ministériel et favoriser la création d’un poste de délégué à l’intelligence économique au sein
des grandes entreprises.

Proposition 9 : organiser les chargés de veille publics et privés autour d’une logique de
réseau avec planification de réunions périodiques permettant de coordonner leur action.

Proposition 10 : effectuer un diagnostic des pratiques liées à l’intelligence économique au


sein des PME marocaines afin d’orienter les futures actions de formation et
d’accompagnement.

Proposition 11 : créer une agence nationale de la cyber-sécurité chargée de proposer des


dispositifs visant la protection des systèmes d’information de l’Etat et permettant d’en
contrôler l’application.

79
Proposition 12 : créer une habilitation « défense » et « secret défense » pour les prestataires
en intelligence économique nationaux qui seront dorénavant seuls habilités à traiter des sujets
à caractère sensible et/ou stratégique pour l’état.

Proposition 13 : créer une filière nationale de recherche sur l’intelligence économique, la


guerre commerciale et la cyber-délinquance, ayant pour vocation de former des compétences
conscientes de l’importance des enjeux de l’IE qui mettront a profit leur talent au service de
l’Etat.

Proposition 14 : lancer une mission indépendante permettant de cerner l’image du Maroc


dans le monde, les attentes des médias et les mediums à investir pour assurer une meilleure
efficacité médiatique.

Proposition 15 : créer une « task force » indépendante de communication politique et


publique du Maroc à l’international, chargée de l’ordonnancement des priorités et de leur
exécution par le déploiement de compétences et de talents sur le terrain informationnel.

Proposition 16 : réserver 10% de la publicité des annonceurs du Maroc au numérique et


subventionner les éditeurs de presse à hauteur de 500.000 DH afin qu’ils effectuent leur
transition numérique.

80
C. Méthodologie appliquée lors des interviews

L’objectif des interviews conduits est de récolter de l’information qualitative sur plusieurs
aspects du sujet :
- Stratégie de développement en Afrique ;
- Place de l’intelligence économique dans cette stratégie ;
- Appui de l’Etat et du gouvernement dans le dispositif d’intelligence économique vers
l’Afrique ;
- Avantages concurrentiels des entreprises marocaines et perception par les concurrents
étrangers.
Les questions étaient plus ou moins ouvertes selon la disponibilité de la personne interrogée.

La méthodologie de l’interview de Abdelmalek Alaoui diffère de celles des dirigeants


d’entreprises dans la mesure où il peut apporter un éclairage et une vision plus globale sur les
politiques publiques et privées d’intelligence économique. Le but était de comprendre avec
lui :
- Comment fonctionnent les cabinets d’intelligence économique ;
- Quel est le rôle de l’Etat et du gouvernement dans le cadre d’un dispositif national
d’intelligence économique ;
- Quel est le bilan de la feuille de route de l’AMIE ;
- Quelles sont les pratiques de l’intelligence économique dans le secteur privé ;
- Quelles sont les grandes lignes de la stratégie africaine du Maroc ;
- Comment l’Europe, la Chine et les grands pays émergents perçoivent le
développement du secteur privé marocain en Afrique.

81
D. Restitution des interviews

a) Abdelmalek Alaoui (AMIE et Global Intelligence Partners)

Président exécutif de l’Association Marocaine pour l’Intelligence économique et directeur du


cabinet en stratégie et en intelligence économique Global Intelligence Partners, fondé en
2006 et basé à Rabat.

v Activité :
1. Quelle est votre activité principale ?
Global Intelligence Partners exerce trois activités équilibrées :
-­‐ La veille stratégique, qui est une activité assez mature,
-­‐ Le conseil en stratégie, une activité très classique dans son fonctionnement,
-­‐ La communication d’influence, qui est en très forte croissance.
Chaque activité correspond à une brique industrielle définie : la veille permet de surveiller,
d’analyser et de transmettre ; le conseil en stratégie permet d’approfondir et la communication
d’influence arrive en bout de chaine pour gérer son image. Aujourd’hui c’est la
communication d’influence qui est en croissance rapide, l’intelligence économique commence
à vieillir !

2. Quelle est la part de votre activité qui est tournée vers l’Afrique ?
Les clients marocains voulant être accompagnés en Afrique représentent 30 à 40% de notre
activité. Le gros de notre activité correspond aux clients africains qui font appel à nous
notamment pour des problématiques d’image et de surveillance des réseaux sociaux. La
grande majorité d’entre eux sont des pouvoirs publics qui font appel à nous pour plusieurs
raisons :
1) J’ai la vanité de croire que notre cabinet offre une certaine expertise ;
2) Il ont une certaine défiance vis à vis des prestataires actuels et envers les anciens
colonisateurs ;
3) Ils ont le sentiment de pouvoir partager un certain nombre de choses avec un
prestataire qui est africain, musulman, arabe…

82
3. Quelle expérience étrangère d’IE vers l’Afrique vous paraît la plus digne
d’intérêt pour le Maroc ?
Très sincèrement, je pense qu’au delà des gimmicks que j’ai théorisées telles que « surveiller
comme les chinois, analyser comme les français, agir comme les américains et partager
comme les arabes », je pense que l’expérience chinoise est véritablement la plus intéressante
pour nous. Tout d’abord parce qu’il y a une dimension politique très forte et parce que les
chinois ont une « full spectrum approach ». En réalité, le diplomatique sert l’économique qui
sert le politique qui sert l’humanitaire. Et puis il y a une stratégie de puissance ; je pense que
le Maroc s’en est inspiré. Nous sommes un pays aux ressources relativement limitées, mais
nous sommes parmi les plus actifs en matière de solidarité continentale en matière d’hôpitaux
de campagne… La prééminence du politique et de la doctrine dans la stratégie chinoise se
retrouve aussi dans la stratégie marocaine.

v Sources :
4. D’où tenez vous vos informations sur l’Afrique que vous communiquez à vos
clients ?
1) On structure déjà les informations qui sont ouvertes, en sachant que sur ce qui constitue les
sources d’informations en Afrique répertoriées par Google News, etc, et qui constituent la
source primaire d’information. Mais cela représente une faible part de l’information que nous
récoltons. Il y a un travail très important à faire au niveau de la mise à jour fréquente des
informations pour se structurer. Pour des raisons très simples : les émetteurs d’information en
Afrique émettent pendant quelques mois puis disparaissent car il est rare qu’ils aient un
modèle économique viable.
2) Nous avons aussi des correspondants sur place et faisons beaucoup appel à la diaspora
africaine pour récolter de l’information à forte valeur ajoutée. Elle nous permet d’accéder à
des interlocuteurs de premier plan car ils sont au contact du terrain en tant que pourvoyeurs de
fonds.

5. Comment avez-vous mis en place ces relations avec vos contacts en Afrique ?
La gestion des sources informelles est structurée dans notre cabinet.
-­‐ Il y a des têtes de réseau qui viennent d’associations d’anciens élèves des grandes
écoles françaises. Les anciens de Sciences Po Paris représentent à ce titre la plus grande
proportion de ministres en Afrique de l’Ouest par rapport à toutes les écoles du monde.

83
-­‐ Il y a aussi le fait d’être producteur de connaissance car les gens viennent vers vous
plus simplement et plus facilement car ils pensent que vous êtes pertinent sur ce sujet.
-­‐ Il y a aussi le fait de connaître un client important, qui connaît des conseillers
importants qui eux mêmes connaissent des gens importants…
-­‐ Il y a un phénomène d’irréversibilité injuste qui empêche les nouveaux entrants de
pénétrer le marché.

6. Quel est le rôle de la rumeur économique en Afrique ? Comment l’appréhendez-


vous ?
La rumeur est beaucoup plus présente dans la veille stratégique sur le politique. Sur
l’économique et du fait de la non structuration des émetteurs d’information (il n’y a pas Les
Echos et le Financial Times au Bénin par exemple), l’information économique est plus lente à
émerger. En revanche, la rumeur politique peut aller très vite sur les réseaux sociaux par
exemple, qui jouent un rôle d’accélérateur.

7. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la remontée


d’informations économique?
Officiellement, les banques ne sont pas des pourvoyeurs d’information pour nous pour des
raisons de règles prudentielles qui les empêchent de remonter de l’information sur leurs
clients. De plus, je ne vois pas quel peut être leur input. Ils sont peut être intéressants sur ces
zones sur les questions de blanchiment ou de biens mal acquis. Ils ont des informations utiles,
bien sûr il est important d’entretenir des relations avec eux, mais les informations qu’ils nous
transmettent restent informelles.

v Rôle et actions du gouvernement dans le dispositif d’intelligence économique :


8. Quel rôle joue le gouvernement dans le dispositif national d’intelligence
économique ? Comment le gouvernement a-t-il accueilli la feuille de route de
l’AMIE, et notamment la création du big data gouvernemental ?
J’ai la conviction que nous sommes des acteurs absolument inexistants en matière de
production de connaissance. Ma mission pendant ce premier mandat à la tête de l’AMIE était
d’être des précurseurs en produisant de la connaissance à caractère stratégique. La deuxième
conviction forte que j’ai est que nous produisons beaucoup de documents au Maroc qui ont
l’apparence de documents de stratégie, mais qui sont en fait documents de conviction. Ils
reflètent une doctrine teintée de politique. Si vous regardez la carte de la production mondiale

84
de l’information, il y a trois acteurs majeurs dans l’intelligence économique qui sont les Etats
Unis, l’Allemagne et l’Angleterre. Il faut d’ailleurs s’interpeller sur le fait qu’il n y ait pas une
seule personne qui parle allemand au Maroc dans les pouvoirs publiques, ce qui explique
l’incapacité à traiter l’information stratégique qui sort en allemand. En Afrique, deux pays
produisent de la connaissance intéressante, ont des think tanks et des centres de recherche
axés sur l’intelligence économique : l’Afrique du Sud et le Nigéria. Or ils sont loin d’être des
amis du Maroc !
J’ai voulu, à travers le travail que nous avons réalisé à l’AMIE, fixer le cap de la stratégie
puisque le gouvernement, de ce que je sais de son action, est face à l’urgence. Le seul qui fixe
le cap sur des ambitions à moyen et long terme est le souverain ; or, de par sa fonction, il n’a
pas vocation à drafter la stratégie ou à en assurer l’exécution. Il ne peut pas tirer un penalty et
jouer au gardien de but juste après ! C’est antinomique.
Evidemment, certaines propositions de notre feuille de route paraissent éloignées des
considérations quotidiennes du gouvernement. Simplement, que va-t-il se passer ? Du fait de
la faiblesse de notre réflexion stratégique, dans 3 ans, des acteurs vont commencer à se
pencher sur l’installation d’un big data gouvernemental que nous avons proposé dans notre
feuille de route. Or cela sera déjà obsolète, nous serons peut être probablement déjà passés à
autre chose.
La feuille de route avait pour objectif d’organiser la rupture en matière de production de
connaissance ; et je dois dire que j’ai été très déçu par le suivi qui a été fait par les pouvoirs
publics de cette feuille de route qui a été applaudie par la communauté scientifique ; le
Conseil Economique et Social nous a auditionné officiellement pour en écouter les
propositions. Certaines ont même été reprises dans le dernier document qui a été fait par la
Commission de la Stratégie ; mais le Conseil Economique et Social reste un organe à
caractère consultatif.
Nous avons 9 points de PIB au sein du conseil de l’administration de l’AMIE. Or, personne
au sein de l’exécutif n’a eu l’idée de prendre son téléphone et de contacter l’association pour
montrer son intérêt pour ce document de doctrine sur le futur de l’intelligence économique au
Maroc. Une seule personne l’a utilisée : Moulay Hafid Elalamy, mais non pas du fait qu’il
était ministre, mais du fait que nous le connaissions parce qu’il est membre de l’association et
qu’il était intéressé.
Sur le principe, dès le moment où l’on dit qu’il faut inscrire le pays dans une démarche
d’intelligence économique, tout le monde est d’accord, cela fait consensus. Dès le moment où
l’ont parle d’opérationnalisation, le gouvernement ne réagit pas. Je ne mets pas l’Etat et

85
certaines de ses fonctions régaliennes en cause : aujourd’hui, l’armée, les services de sécurité
et les services de renseignement sont aux standards internationaux. Mais il n’y a pas de
partage de l’information entre le militaire et l’économique.

9. D’après vous, le fait que la feuille de route de l’AMIE n’ait pas connu de suivi
est-il du au fait que ces changements impliquent des financements importants ?
Je pense qu’un état souverain qui a un PIB de 190 milliards de dollars a de quoi financer un
big data qui couterait 5-6 millions de dollars. Si l’on regarde ce que l’Etat a financé ces
dernières années comme le Ma-Cert, l’efficacité de cet investissement de 450 millions de
dirhams reste à être démontrée. Je pense également aux plusieurs centaines de millions de
dirhams ont été payés aux cabinets de conseils anglo-saxons.
Il y a une vraie question d’Etat stratège en matière d’allocation de la ressource publique :
sommes-nous prêts à mettre de l’argent pour des choses qui ne seront pas immédiatement
rémunératrices, mais qui permettront à l’Etat de mieux s’organiser ?

10. Comment se fait le partage de l’info entre le gouvernement et les opérateurs


économiques ?
Il y a un seul niveau de partage d’information structuré et il se situe au niveau de la DSSI
(Direction de la Sécurité et des Systèmes d’Information). Il porte sur un sujet particulier qui
est la cyber-sécurité et le risque portant sur les installations critiques de la nation. C’est un
organisme hybride puisqu’il est abrité par le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de
l’Investissement et de l’Economie Numérique et est dirigé par le Colonel Rabii. Ils ont été très
bien formés par les suds coréens.
Nous sommes très bons en protection et cela de manière transversale. En revanche, il n’y a
rien qui est fait pour anticiper. Je pense qu’il faut organiser la coercition pour le partage de
l’information entre le public et le privé (c’était l’une des propositions de notre feuille de
route). D’expérience, à chaque fois que l’on se réunit avec des acteurs publics et privés, la
bonne volonté pour partager les informations s’arrête à la fermeture de la porte de la salle de
réunion. L’une des mesures proposées pour obtenir une transversalité de l’information était
justement que toutes les études produites par l’Etat soient plongées dans un intranet
gouvernemental, et que les budgets ne soient pas reconduits si un ministère ne partageait pas.
Mais cela n’a pas été fait.

86
11. Quel est le rôle des relais diplomatiques marocains en Afrique dans le système
d’IE ? quels axes d’amélioration ?
Ils ne font que de la diplomatie. L’IE est du ressort de la politique étrangère. Je ne dis pas que
ce n’est pas lié ; cela devrait l’être ; mais aujourd’hui, les représentations du Maroc à
l’étranger ne font que de la diplomatie et du protocole là où, si elles étaient orientées et en
ligne avec les ministères économiques, elle ferait de l’influence pour trouver des opportunités
économiques pour le Maroc.

v Feuille de route de l’AMIE :


12. Comment les entreprises ont-elles accueilli la feuille de route ? Les grandes
entreprises sont-elles sensibles à l’intelligence économique ?
Les entreprises ont été sensibles à la feuille de route. Il n’y a aucun mystère là dessus : les
entreprises qui sont des champions nationaux en Afrique sont également les champions
nationaux de l’intelligence économique. Les dix premières entreprises les plus actives en
Afrique (OCP, Maroc Telecom, BMCE, Attijari,…) ont toutes des cellules d’intelligence
économique. Je ne veux pas y voir un lien de cause à effet, mais il y a une prise de conscience
sur la nécessité de traiter l’information économique.

v Intelligence économique dans le secteur privé :


13. En général, quels budgets les entreprises allouent-elles à l’intelligence
économique ?
Les budgets alloués à l’intelligence économique par ces entreprises sont confidentiels.
14. Quels dispositifs d’IE sont les plus répandus ? Pouvez-vous citer deux success
stories ?
Les modes d’organisation des départements d’intelligence économique sont très différents et
dépendent des entreprises : on peut voir des entreprises industrielles (OCP) qui vont avoir des
équipes de veille stratégique pour surveiller le métier, le marketing, le business, le politique ;
les entreprises de services comme les banques (BMCE) vont moins surveiller le métier que le
conjoncturel. Cela dépend aussi de la personnalité du dirigeant et de quelle importance il
accorde à ce type de sujets. Il n’y a pas d’organisation idéale.

15. Quel est le degré de partage de l’information au sein des entreprises mêmes ?

87
Il y a de tout : j’ai vu un champion national des télécoms qui a 1 800 collaborateurs qui
interviennent sur la plateforme de veille. L’expérience de Maroc Telecom est pour moi la plus
intéressante en termes d’intelligence économique.

16. Pensez-vous que les PME souhaitant se déployer vers l’Afrique sont plus
sensibilisées à l’intelligence économique qu’avant ?
Il n’y a toujours rien à ce sujet, même si on propose. C’est le rôle d’un think tank de proposer
des choses…

17. Les entreprises marocaines parviennent-elles à chasser en meute en Afrique ?


Non. Tout d’abord, l’outil le plus performant pour chasser en meute est la fédération
professionnelle. Si nous analysons leur discours, elles sont très centrées sur la protection
(elles demandent surtout des mesures anti dumping). Notre conception même de l’économie
au Maroc est une conception insulaire : les gens réfléchissent à comment optimiser le
dispositif actuel, mais ne réfléchissent jamais à un gâteau qui soit plus gros. Même les
revendications des fédérations patronales portent sur l’optimisation du dispositif actuel de
fiscalité. En ce qui me concerne, la fiscalité marocaine me va très bien... Et surtout, je pense
que l’on a l’une des meilleures fiscalités en Afrique puisque personne ne paye ses impôts.
Il faut réfléchir à comment on va agrandir le gâteau plutôt que de s’entretuer sur le petit
gâteau dont nous disposons pour l’instant. C’est le principal blocage aujourd’hui pour chasser
en meute. Chasser en meute veut dire que l’on va attaquer un gâteau beaucoup plus gros et
mutualiser ce qui peut l’être pour faire des économies. Or, culturellement, il y a un vrai
blocage.

18. Comment est accueillie l’implantation des entreprises marocaines en Afrique :


a. Par les autres leaders africains (Afrique du Sud, Nigéria, Algérie, Egypte)
Je ne pense pas que nous soyons véritablement un sujet pour eux aujourd’hui – pour l’instant.
Le Maroc est très présent dans les industries de services ; l’Afrique du Sud, comme le
Nigéria, sont plutôt fortes sur les industries extractives. Par ailleurs, et contrairement au
Maroc, ils opèrent en Afrique anglophone : le Maroc n’est donc pas dans leur radar immédiat.
Ce petit pays de 35 millions d’habitants où l’on parle français est plutôt une curiosité pour
eux. C’est aussi un grand avantage compétitif pour le Maroc, car ils ne nous voient pas arriver
sur leurs radars. Ils ont d’autres problématiques : ce sont des Etats nations, l’un d’entre eux

88
fait partie des BRICS,… Il y a peut être eu une petite crispation des sud africains au niveau de
la place financière de Casablanca.

b. Par les pays occidentaux (France, UK)


Nous sommes hypertrophiés en Afrique de l’Ouest. La France, car nous sommes en train de
nous substituer à leur ancien centre de gravité.

c. Par la Chine et les grands émergents


La Chine va délocaliser 80 millions d’emplois dans les dix années à venir. Il y a deux
approches : soit nous restons dans l’approche protectionniste que je dénonce et qui consiste à
dire que la Chine est une menace ; soit nous les voyons comme acteurs avec qui nous devons
composer. Il faut être prudent. Dans le même temps, en 2002, la part d’exportations d’Afrique
vers la Chine versus l’exportation de matières premières était environ de 50%-50%. En 2013,
d’après l’ouvrage « Emerging Africa » de Steven Radelet, on est à 80%-20% en faveur des
industries extractives. L’Afrique est en position de récupération de leurs matières premières
(notamment de matériaux essentiels pour la fabrication de smartphones qui est aujourd’hui
aussi précieux que le diamant en RDC).
L’Afrique fait la même taille que la Chine en termes de population et de taille, mais le facteur
bloquant est que l’Afrique est constituée de 54 pays, soit autant de frontières et de droits de
vote à l’ONU ; alors que la Chine, en tant qu’Etat nation, peut avoir une stratégie cohérente.
Ma conviction est donc qu’il faut qu’on aille vers un marché unique africain.

19. Qu’en est-il donc Tarif Extérieur Commun de l’UEMOA et du marché unique ?
Aujourd’hui il n’y a pas de leadership pour porter ces sujets. Il y a besoin d’un leadership
pour favoriser l’intégration régionale. Il y aura besoin, à un moment ou à un autre, d’une
conférence des arrières pensées entre le Maroc et l’Algérie. Quand on parle de moteur, on
parle toujours de couple. Il y a besoin d’un couple pour faire marcher l’intégration africaine.
Le pays le plus riche par son sous-sol et le plus riche par ses services sont condamnés à
s’entendre et à dépasser leurs différends, qu’ils le veuillent ou non, pour devenir les moteurs
de l’intégration régionale. Vous savez, il ne suffit de rien pour que tout bascule. Aujourd’hui,
un changement de leadership en Algérie peut changer les choses très rapidement, en quelques
mois. Je ne suis absolument pas pessimiste.

89
20. D’après vous, la forte proximité culturelle et géographique entre le Maroc et
l’Afrique subsaharienne suffit-elle à expliquer la réussite des entreprises
marocaines en Afrique, là où d’autres grandes puissances ont jusque là échoué à
faire de même (dans les cimenteries, la téléphonie, …) ?
Il n’y a pas de pays qui soit en situation d’accueil. Je pense que le Maroc avait vocation à se
développer à l’Est parce qu’il y a une complémentarité économique avec l’Algérie. Mais de
cette contingence, le Maroc a su créer une force : c’est par nécessité que le pays s’est projeté
vers le Sud. Je connais peu d’entreprises qui soient philanthropes ; elles vont en Afrique pour
gagner de l’argent : à ce titre, les filiales de Maroc Telecom en Afrique ont l’EBITDA le plus
important de toutes les filiales d’entreprises de télécoms au monde. Les entreprises
marocaines ont compris que si elles misaient sur des cadres africains et sur moins d’expatriés
comparativement aux français, elles auraient un avantage concurrentiel fort.

21. Qu’est ce qui pourrait contredire cette donne dans les années à venir ? Est ce que
le redémarrage prévisible de la croissance en Europe ne risque pas de ramener le
« désir d’Afrique » à son niveau historique ?
Aucune position dominante n’est irréversible aujourd’hui. Une réalité aujourd’hui pour le
Maroc peut demain se retourner à la faveur ou à la défaveur d’une situation géopolitique
complexe qui évolue. Une déstabilisation du Sahel peut nous enlever toutes nos positions dans
un certain nombre de pays. Rien n’est acquis !

22. Quels sont les écueils à éviter en s’implantant en Afrique ?


Il faut faire attention aux comportements moutonniers en Afrique. Beaucoup de gens ont vu
de la lumière et pensent qu’il suffit d’entrer ; mais la réalité est beaucoup plus contrastée et
complexe.
Je ne dis pas qu’il faut prendre son temps avant de se lancer sur le continent. Je dis qu’il ne
faut pas y aller en pensant faire de la croissance tout de suite. Il faut y aller dans l’idée de
s’enraciner sur le long terme. On ne peut pas aller en Afrique avec une logique de fonds
d’investissement. Il n’y a d’ailleurs pas de fonds d’investissement dédié exclusivement au
continent.
L’Afrique est une zone d’emportement, par exemple dans les années 2000 l’une des
couvertures de The Economist titrait « the hopeless continent » alors qu’en 2012 le même
magasine titrait « Africa rising ». La réalité est que nous ne pouvons pas passer d’un
pessimisme endémique à un optimisme béat…

90
b) Brahim Skalli (Alliances)
Directeur Stratégie et Partenariats d’Alliances, leader marocain de la promotion
immobilière.

1. Quelle est la stratégie de développement d’Alliances en Afrique ?


Tout d’abord, il faut savoir que le Maroc est un pays qui a connu une croissance forte en
2000-2010. Durant cette période, nous avons quasiment doublé le PIB et le SMIC ; et il y a eu
beaucoup d’améliorations économiques. Avec la crise, nos principales sources de croissance
et nos principaux donneurs d’ordres ont connu un ralentissement indéniable.
Depuis son accession au trône, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a une vision stratégique
concernant le développement des intérêts du Maroc en Afrique. Il a fortement encouragé le
secteur privé à se lancer dans cette direction et a eu raison de le faire : le fait d’être déjà
positionné sur un continent en forte croissance comme l’Afrique nous donne une longueur
d’avance. Le continent va connaître une croissance de 5 à 10% sur les dix prochaines années
d’après les chiffres de la Banque Mondiale et du FMI ; en termes de démographie, l’Afrique
compte 1 milliard d’habitants depuis 2010 et nous allons atteindre deux milliard en 2050. Le
potentiel et les besoins sont énormes.
L’immobilier était l’un des leviers de développement les plus importants ces dix dernières
années en tant qu’un des principaux pourvoyeurs d’emplois et de croissance au Maroc (BTP,
politique des grands travaux, infrastructures). Les logements sociaux ont ouvert un marché
énorme de 30 milliards de dirhams qui se développe chaque année. Le besoin est énorme,
certes, mais il reste qu’Alliance représente déjà 10% de parts de marché au Maroc sur ce
secteur ; et les 6-7 plus gros opérateurs marocains se partagent 45% du marché. D’ici cinq
ans, Alliances aura atteint sa taille de maturité et la croissance sera limitée sur le marché local.
Ce positionnement du Maroc vers les pays africains a donc été judicieux. Les entreprises qui
ont atteint la taille de champion national, c’est-à-dire celles ayant atteint leur maturité sur le
marché local, ont besoin de relais de croissance en dehors du territoire si elles veulent voir
leur chiffre d’affaires croitre de manière significative dans les années à venir.

Nous considérons que trois conditions doivent être réunies pour le succès de la promotion
immobilière en Afrique :
1. Le financement doit exister (crédits hypothécaires, crédits promoteurs, capacité des
acheteurs à acheter des maisons et à s’endetter sur plusieurs années notamment),

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2. L’écosystème du foncier doit exister également (cadastre, enregistrement,
hypothèque, système juridique relatif au foncier, etc),
3. La fiscalité doit être avantageuse, et notamment pour le logement social pour qu’il
soit rentable.
En ce qui concerne les projets d’infrastructures, le besoin est énorme en Afrique et pour que
cela fonctionne, il faut des commandes de l’Etat, des garanties par des agences multilatérales
(garantie risque pays, garantie crédit, etc) et il faut un financement par des banques locales ou
des partenaires.

2. A partir de là, comment procédez-vous pour identifier les pays d’Afrique où vous
allez vous implanter ?
Lorsque nous analysons la carte de l’Afrique à la lumière des critères cités ci-dessus, nous
regardons ensuite :
1. Les pays africains où sont implantées des banques marocaines : elles nous
connaissent bien, savent comment nous fonctionnons et nous pouvons avancer
rapidement sur la mise en place d’un schéma de financement.
2. Les pays francophones principalement,
3. Les pays qui ne présentent pas de risque politique : nous nous basons sur les
informations du Ministère des Affaires Etrangères français et marocain, la Coface, la
garantie MIGA (dédiée à l’Afrique), les ambassades et les contacts à haut niveau sur
place.
Sur ces pays, nous avons poussé notre analyse et identifié trois types de marchés :
-­‐ Les marchés étroits : le nombre de ménages solvables et la consommation de ciment
y sont faibles. Nous devons faire attention à la manière dont nous pénétrons ces
marchés car nous pouvons facilement les déstabiliser ;
-­‐ Les marchés prometteurs : ceux que nous allons analyser de plus près et qui sont très
porteurs ;
-­‐ Les marchés complexes (Tunisie et Nigéria) : même si ce sont des marchés
importants, les risques le sont tout autant. Si l’on prend l’exemple du Nigéria, la
corruption y est endémique, le droit instable, le financement problématique et les
marchés souvent donnés de gré à gré. Il faut réfléchir à la manière de pénétrer ces
marchés, peut-être en trouvant un partenaire local, mais ce n’est pas une priorité.
Au final, en excluant la Tunisie et le Nigéria, le marché potentiel dont on parle ne représente
qu’une fois le marché marocain uniquement !

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3. Où êtes-vous implantés en Afrique aujourd’hui ?
Par niveau d’avancement :
1. Nous sommes actuellement implantés en Côte d’Ivoire. Nous avons signé un accord
avec le gouvernement pour la construction de 14 000 logements sociaux et avons
démarré la première partie du projet, sans partenaire local.
2. Nous avons signé il y a moins d’un mois un accord avec le gouvernement sénégalais
pour la construction d’un nouveau pôle urbain près de Dakar dans le cadre d’un
partenariat public/privé. Notre rôle est de viabiliser le terrain, de vendre une partie à
d’autres promoteurs et de développer le reste. Le projet est en cours de lancement.
3. D’autres discussions ont été initiées lors de la tournée royale en Afrique avec le Congo
Brazzaville, Mali, le Cameroun, la Guinée pour des projets de promotion immobilière
à approfondir.

4. La position du pays en question vis-à-vis du dossier du Sahara impacte-t-elle


votre décision de vous implanter ?
La prise de position du pays sur la question du Sahara joue en effet un rôle dans notre
décision de nous implanter ou non. L’un de nos critères de sélection du pays est sa proximité
politique du Maroc : bien sur, si les relations diplomatiques sont importantes et intenses
comme avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal, c’est plus facile qu’avec le Nigéria.

5. Comment gérez-vous les ressources humaines en Afrique ?


Nous sommes convaincus qu’il faut aller en Afrique avec une culture de l’humilité. Il ne faut
pas y aller en donneurs de leçons ; il faut avoir confiance en la compétence locale. Il faut
recruter en local et réaliser des transferts de savoir-faire entre expatriés marocains formés à la
promotion immobilière chez Alliances et cadres locaux.

6. L’anglais est-il une barrière importante pour s’implanter en Afrique


anglophone ?
Oui, car les ressources humaines et les compétences sont un gros paramètre du
développement en Afrique. Nous avons l’impression que l’on peut exporter les schémas
marocains et les dupliquer, mais cela dépend fortement des ressources humaines.
Dans notre métier, faire de la promotion immobilière c’est avoir des ressources humaines
locales qui arrivent à piloter, lancer, construire, vendre et encaisser un projet. Or il faut

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trouver des gens capables de faire cela ailleurs, et les cadres expatriés d’Alliances qui vont les
encadrer sont des francophones et ils ne parlent pas forcément l’anglais.

7. Que pensez-vous du principe de coopétition pour se lancer en Afrique ? Y avez-


vous recours ? Si oui, détails ?
Comme nous sommes concurrents sur notre marché principal, nous ne pouvons pas faire de
projets communs à l’extérieur, il n’y pas de logique industrielle à procéder comme cela. Nike
ne va pas s’associer à Reebok pour attaquer le marché chinois !
En revanche, nous réfléchissons à des montages de ce type à travers des partenariats avec des
institutions multilatérales telles que la BAD, la Banque Mondiale, la BERD, l’AFD… Ces
agences sont très intéressées par le financement du développement en Afrique. D’autre part,
notre capacité d’investissement et d’endettement étant limitée, nous ne pouvons pas nous
engager seuls sur 25 pays. Coopérer avec ces structures multilatérales de financement signifie
que l’on peut envisager ensemble le montage d’opérations plus importantes en Afrique.

8. Quelle place donnez-vous à l’intelligence économique dans votre stratégie de


déploiement en Afrique ? Quels outils et canaux utilisez vous aujourd’hui ?
Nous n’avons pas de département d’intelligence économique formalisé en interne, mais
nous pouvons dire que nous avons trois niveaux d’intelligence économique à ce jour :
-­‐ En interne, nous suivons de près ce que font nos concurrents marocains en Afrique,
-­‐ Nous faisons appel à des cabinets de conseil externes pour réaliser les études de
marchés :
o Soit avec des grands cabinets immobiliers (CBRE, JLL, Colliers notamment)
qui ont des bureaux sur place et qui peuvent nous fournir des études de marché
précises et détaillées ;
o Soit on avec des cabinets de conseil en stratégie qui réalisent pour nous des
études de marché afin de nous renseigner sur quels types de produits attendent
les consommateurs, qui sont les principaux opérateurs locaux, quels sont les
coûts de construction…
-­‐ L’équipe de développement Afrique, qui est constamment en déplacement, origine
les partenariats et les deals d’une part et fait de l’intelligence économique d’autre
part : elle suit les marchés, les opérations qui sont réalisées, les principaux acteurs…

9. Quels budgets sont alloués à l’IE ?

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Il n’y a pas de budget spécifiquement alloué à l’intelligence économique. Nous finançons
principalement un budget annuel pour les déplacements de l’équipe Afrique. Une fois
qu’ils identifient l’opportunité et que nous avons un contact à haut niveau qui la confirme,
nous lançons alors l’étude de marché. C’est un budget alloué en plus selon la validité ou
non de l’opportunité. Ensuite, au niveau interne, nous faisons un suivi constant du
développement des opérateurs marocains en Afrique. Nos sources d’informations
proviennent principalement d’internet, de la presse, des rapports annuels, des assemblées
générales et des présentations investisseurs des concurrents.

10. Qui a accès à cette information ?


Cette information est destinée à la direction générale et à l’équipe Afrique uniquement.

11. La partagez-vous avec d’autres opérateurs marocains souhaitant s’implanter sur


place ?
Non, car nous considérons cela comme des informations stratégiques.

12. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la remontée


d’informations économique?
Les banques jouent un rôle crucial dans notre développement sur le continent : une fois que
nous arrivons sur place, ils nous présentent les sociétés les plus importantes dans la
construction, les partenaires juridiques, les avocats, les fiscalistes. Cela facilite énormément
notre entrée sur le marché.

13. Quelles ambitions pour l’intelligence économique en interne dans votre


entreprise dans les années à venir ?
Nous avons réfléchi à cette question et notre volonté est d’organiser l’intelligence
économique du groupe en trois pôles centralisés par la direction que je dirige (stratégie et
partenariats) :
-­‐ Une veille macroéconomique au niveau de la direction de la stratégie suivant
l’évolution politique, le PIB, les taux d’intérêts, la position du Maroc vis-à-vis des
marchés extérieurs, la production de ciment, le niveau de liquidités du marché
financier, le marché boursier…
-­‐ Une veille métier au niveau de chaque pôle d’activité d’Alliances. Elle doit suivre
tous les projets en cours, ce qui est vendu ou non, à quel prix, quelle marge… Cette

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base de données existe déjà au niveau de notre pôle « résidentiel haut de gamme et
golfique » et nous souhaitons la dupliquer sur notre activité de logement social et de
construction ;
-­‐ Une veille financière pour surveiller les communications financières des concurrents,
les annonces de contrats, les projets de développement des concurrents…

14. Existe-t-il un suivi étatique post-tournées royales en Afrique ?


Oui, une commission a été créée pilotée par le Ministre des Affaires Etrangères qui réunit
l’ensemble des entreprises qui ont fait partie de la tournée royale en Afrique. Des réunions
mensuelles sont organisées pour faire le suivi des partenariats signés dans le secteur privé.

15. Existe-t-il une mutualisation de l’expertise et des ressources en intelligence


économique avec l’Etat pour un partage de l’information économique et
commerciale à l’échelle nationale ?
C’est fait, mais de manière informelle. En rencontrant un ambassadeur, ou un ancien
ambassadeur d’un pays où nous souhaitons nous implanter, nous avons accès à une quantité
d’informations considérable et à une connaissance très pointue de ces marchés. Néanmoins,
cette intelligence économique n’est pas formalisée et se partage surtout grâce aux contacts.
En revanche, le Ministère des Affaires Etrangères français a formalisé de nombreuses études
en intelligence économique, il y a des rapports en ligne sur les risques pays notamment.

16. Avez-vous entendu parler de la feuille de route de l’AMIE pour une stratégie
d’IE nationale ? Que pensez-vous de leurs propositions ?
Non, je n’en ai pas entendu parler.

17. Comment est accueillie votre implantation en Afrique :


a. Par les autres leaders africains (Afrique du Sud, Nigéria)
Pour l’instant, ils regardent de loin le déploiement du Maroc en Afrique. Leurs marchés de
prédilection sont les pays anglophones ; les pays francophones ne faisaient pas vraiment
partie de leur stratégie d’expansion, tout du moins dans le secteur immobilier. Pour l’instant,
il n’y a pas d’interactions avec ces acteurs. Nous sommes en train de prendre de l’avance !

b. Par la France

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L’approche du Maroc sur les pays d’Afrique est très différente de celle des pays occidentaux.
Contrairement à eux, nous n’allons pas dans ces pays pour leurs ressources naturelles. Nous y
allons en tant qu’investisseurs et vendeurs ; alors que les pays occidentaux y vont
principalement pour acheter de la matière première peu chère, la transformer et la revendre.
Quant à nous, nous exportons la banque, les télécoms, l’immobilier.
Nous pensons qu’il y a une période d’acclimatation au marché pour rentabiliser nos
investissements ; mais à terme, nous seront en position de first movers, et c’est la position
idéale pour attaquer un marché.

c. Par la Chine et les grands émergents


Ils sont très présents sur la partir grands travaux, mais je dirais même qu’ils sont tellement
gros que ce ne sont pas nos concurrents. Ils construisent à la fois une mine, l’autoroute qui y
mène, la ville,… avec des milliards de dollars d’investissements. Nous ne jouons pas dans la
même cour. Hier, le forum « China-Africa Investment Meetings » organisé par la BMCE
Bank le 24 et 25 juin 2014 avait pour but de promouvoir un schéma de coopération sino-
maroco-africaine dans laquelle la Chine apporte son savoir faire en termes d’infrastructures et
de moyens, et le Maroc son savoir-faire en termes de pénétration des marchés, de services et
de financements. Nous nous voyons plutôt comme complémentaires !

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c) Mamoun Tahri Joutei (BMCE Bank)
Responsable du département d’intelligence économique de BMCE Bank, l’une des plus
grandes banques marocaines.

1. Pouvez-vous me parler de la stratégie de BMCE Bank en Afrique ?


BMCE Bank a fait le choix stratégique de se développer en Afrique depuis le début des
années 1980. La première coopération a eu lieu avec le redressement de la Banque de
Développement du Mali et s’est poursuivie avec la prise de participation dans La Congolaise
de Banque en 2003. Suite à ces deux succès, BMCE Bank a accéléré ses investissements en
Afrique en 2008 avec une prise de participation majoritaire dans le groupe Bank of Africa
(BoA), présente dans plus de 17 pays d’Afrique francophone et anglophone (Kenya, Ghana,
Ouganda et Tanzanie). L’idée, chère au Président du Groupe BMCE Bank, est que nous
soyons présents dans les 54 pays d’Afrique d’ici quinze ans.
Notre logique de développement en Afrique se fait avec le souci majeur du respect des
identités et des cultures locales. Ceci implique une adaptation et une déclinaison locale de nos
services et c’est ce qui fait notre force aujourd’hui en Afrique : nous réfléchissons par
exemple actuellement à la mise en place du crédit à la consommation au Sénégal à travers
notre filiale BoA, sur le modèle du succès de notre filiale Salafin au Maroc. Nous sommes
dans une logique de transfert de compétences dans les deux sens. Ainsi, nous nous inspirons
par exemple du mobile banking qui explose sur le continent et pour voir dans quelle mesure
cela peut fonctionner chez nous. D’autre part, la majorité des patrons de filiales de BMCE
Bank sur le continent sont des dirigeants des pays en question ; les dirigeants de filiales
d’Afrique qui sont marocains sont peu nombreux.

2. Pouvez-vous me parler du centre d’intelligence économique de BMCE Bank et de


ses développements ?
Le Département des Etudes et Documentation de BMCE Bank a été créé en 1959 par Dahir
Royal, en même temps que la banque. L’une des premières missions du Dahir inscrit
l’intelligence économique au cœur des préoccupations de la banque, en citant « la collecte, le
traitement et la diffusion gracieuse d’information économique et financière à l’ensemble des
opérateurs » (ambassades, ministères, universitaires, étudiants…).
Lorsque la banque a été privatisée en 1995, le président a demandé à ce que la mission de
collecte et de diffusion de l’information continue. Ce n’est que dans les années 2000 que le
Centre d’Intelligence Economique à proprement parler a été créé.

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Nous fonctionnons de deux manières :
- Nous avons au préalable analysé les besoins des différents départements de la banque
en termes d’intelligence économique et réalisons des travaux de manière récurrente
pour y répondre ;
- Les autres entités de la banque peuvent également nous solliciter pour tout projet plus
ponctuel de collecte et d’analyse d’information.

3. Quelles sont les activités du département d’intelligence économique ?


Notre département se structure autour de quatre activités :
- La veille stratégique : Le but de cette entité est de devenir un gestionnaire de données
économiques et financières et pas uniquement de données de presse papier. Lorsque j’ai
intégré la banque en 2005, près de la moitié des travaux était consacrée à des traitements de
journaux papiers, contre 5 à 10% aujourd’hui. Nous avons 55 ans d’expertise et avons recours
à un outil automatisé de collecte et d’agrégation qui envoie quotidiennement des veilles
ciblées aux départements concernés. Pour moi, la veille ne consiste pas uniquement en la
détection et l’analyse de signaux forts et de signaux faibles. Je considère qu’un autre aspect
fondamental de l’intelligence économique tient à la gestion des bases de données. Je pense
par exemple au risque pays et à la notation des pays africains : cela correspond à du traitement
de données à forte valeur ajoutée, car cela nous donne de la visibilité sur le continent. C’est
aussi de la veille car nous voyons les pays évoluer : au bout de deux ou trois ans, nous
pouvons alerter sur un pays qui s’améliore grandement ou un pays qui se dégrade fortement.
Cela nous permet d’identifier des opportunités dans un pays ou chez un client ; et il faut
maitriser le traitement de ce type d’informations à travers des logiciels statistiques
notamment.
- L’analyse sectorielle et économique : l’analyse sectorielle est une analyse que la
banque a toujours menée dans l’objectif d’analyser les risques d’une cinquantaine de secteurs
de l’économie marocaine et d’accompagner sa politique commerciale. Au niveau de l’analyse
économique, nous faisons de la modélisation et du suivi de conjoncture au Maroc et en
Afrique. L’idée aujourd’hui est d’avoir un suivi économique, politique, culturel et financier
de l’ensemble des pays africains et des meilleures cibles. Nous suivons actuellement environ
20-25 pays de très près sur le continent. Il y a une collecte qui se fait déjà automatiquement, et
nous sommes en train de développer un axe important d’analyse de ces informations en
Afrique.

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- La connaissance territoriale : elle concerne exclusivement les régions marocaines.
Nous avons mis en place un observatoire des régions qui réunit un ensemble d’informations
régionales : les points d’intérêts autour d’une ville, la structuration du réseau BMCE et de
ceux de la concurrence, etc.
- La connaissance de notre clientèle : nous analysons principalement leurs
comportements et faisons du profiling.

4. Partagez-vous vos travaux avec d’autres opérateurs marocains souhaitant


s’implanter en Afrique ?
Nous partageons beaucoup d’informations avec les opérateurs marocains de manière générale.
Tout d’abord, nous publions annuellement la revue « Le Maroc en chiffres », qui consolide
des données sur près de cinquante secteurs d’activité du Maroc. Cette revue est conçue en
partenariat avec le Haut Commissariat au Plan, et est publiée et financée par BMCE Bank
depuis 1963.
Il y a également les publications de l’Observatoire de l’Entrepreneuriat (www.ode.ma) dans
lesquelles nous partageons de l’information sectorielle sur le Maroc. Nous organisons
également des conférences dans le but d’apporter de l’expertise aux entrepreneurs en leur
offrant des espaces d’échanges pour qu’ils puissent dialoguer, apprendre et partager. A titre
d’exemple, les deux dernières conférences organisées ont accueilli Daniel Cohen à
Casablanca et Edgar Morin à Marrakech.
En ce qui concerne l’Afrique, nous partageons nos publications annuelles « African
Outlook ». Toutefois, nous ne partageons nos veilles sur l’Afrique qu’avec nos partenaires
africains et non pas avec l’ensemble des opérateurs marocains car nous considérons que c’est
de la connaissance stratégique. Ce sont des outils puissants au travers desquels toute
l’information à haute valeur ajoutée remonte…

5. Quel est le rôle du secteur bancaire dans la remontée d’informations économique


?
Les banques marocaines implantées en Afrique apportent énormément aux entreprises qui
veulent s’implanter. Il faut savoir que les entreprise ne veulent qu’une chose : être mises en
relation avec les acteurs locaux car elles ne connaissent pas le marché. Les banques
marocaines sont donc pour elles de formidables points de contacts pour trouver des
opportunités d’affaires sur le continent.

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Mardi dernier se sont par exemple tenus les « China Africa Meetings » organisés par la
BMCE Bank, qui ont permis une cinquantaine de rencontres B2B entre clients marocains,
africains et partenaires chinois. Notre rôle va donc au delà du financement de projets !

6. Existe-t-il un suivi étatique post-tournées royales en Afrique ? Comment est ce


que l’Etat et le gouvernement vous soutiennent ?
Une commission a été mise en place pour assurer le suivi des partenariats signés lors de la
dernière tournée royale en Guinée, au Mali, au Gabon et en Côte d’Ivoire.
Le soutien diplomatique à notre action est tout d’abord primordial. Le roi est le premier des
soutiens en termes de politique économique étrangère : les tournées royales accompagnées de
délégations d’officielles et de chefs d’entreprises ouvrent la voie à l’implantation du secteur
privé marocain en Afrique. L’OCP a par exemple lancé l’investissement pour la construction
d’usine de production d’engrais au Gabon suite à cette tournée royale.
Par ailleurs, le soutien de la Banque Centrale est fondamental. Elle nous accompagne, nous
oriente ; nous partageons avec elle toute l’analyse que nous faisons de ces pays. Nous
apprenons mutuellement l’une de l’autre.

7. Quel doit être le rôle de l’Etat et du gouvernement dans la stratégie d’IE ?


Je considère qu’il y a deux enjeux sur lesquels le Maroc se doit de développer une intelligence
économique :
- Tout d’abord, pour défendre nos intérêts sur la question du Sahara marocain.
C’est là qu’il faut développer une approche offensive d’intelligence en étant présents
sur les réseaux sociaux et défendre notre intégralité territoriale. Nous parlons donc
d’intelligence économique dans son aspect d’influence.
- Ensuite, pour prospecter des marchés étrangers : il faut un partenariat
d’intelligence économique publique et privée pour aider les entreprises marocaines à
trouver des débouchés en Afrique. C’est ce que commence à faire Maroc Export
notamment. Et encore, la réponse n’est pas simple ni unique. Les contrats stratégiques
de grande envergure ne sont pas concernés par l’intelligence économique mais par le
soutien du roi : si nous considérons l’usine Renault à Tanger par exemple,
fondamentale pour notre économie, nous nous rendons compte que seul le roi a pu
garantir 50% de l’investissement alors que Renault avait l’intention de se retirer.
Je pense que l’Etat ne doit pas se disperser et se concentrer sur ces deux points. Il y a
également le sujet de la sécurité informatique, de la culture de la confidentialité que nous

101
n’avons pas au Maroc, du passage d’une culture orale à une culture écrite…mais c’est une
autre histoire.

8. Existe-t-il une mutualisation de l’expertise et des ressources en intelligence


économique avec l’Etat pour un partage de l’information économique et
commerciale à l’échelle nationale ?
Comme je vous l’ai expliqué, nous partageons beaucoup d’informations avec les autorités ; il
y a également les publications croisées entre la BMCE Bank et le Haut Commissariat au Plan
qui profitent à l’ensemble des opérateurs économiques marocains. Tout d’abord, nous
sommes engagés auprès de la Banque Centrale, comme toutes les banques marocaines, à
consolider les risques et le contrôle interne sur chacune de nos filiales et de faire remonter
l’information de manière homogène à la Banque Centrale dans le cadre du projet structurant
« Convergences ».
En revanche, je pense qu’il n’est par exemple pas possible de demander au Haut
Commissariat au Plan et au Ministère des Finances de mutualiser leurs publications en
matière d’intelligence économique car il convient de conserver une indépendance des deux
institutions.
Il serait néanmoins intéressant de mettre en place un portail de diffusion et d’agrégation des
études en intelligence économique au niveau gouvernemental ; d’autant plus que c’est facile à
mettre en place.

9. Avez-vous entendu parler de la feuille de route de l’AMIE pour une stratégie


d’intelligence économique nationale ? Que pensez-vous de leurs propositions ?
Au Maroc, le sujet de l’intelligence économique doit être davantage cadré. Considérons-nous
par exemple qu’une étude de marché, une analyse pays ou de comportements de
consommateurs constitue de l’intelligence économique ? La DGED (Direction Générale des
Etudes et de la Documentation) existe : considérons-nous cela comme de l’intelligence
économique ?
L’intelligence économique au niveau de l’Etat et du gouvernement doit-elle être défensive ou
offensive ? Les deux ? Devons-nous y intégrer le renseignement ? En France, une bonne
partie de l’intelligence économique provient du militaire. Doit-on faire de même au Maroc ?
Il y a toute une réflexion à mener en amont.
Dans ce sens, je pense qu’il est nécessaire de préciser tous ces éléments et de procéder à des
choix forts avec de décliner une charte nationale d’intelligence économique. Celle proposée

102
par l’AMIE a la mérite d’exister mais elle devrait éventuellement être encore plus spécifique
pour accompagner l’action très ciblée de l’Etat et du gouvernement.

10. Comment est accueillie votre implantation en Afrique par les autres puissances
régionales (Afrique du Sud, Nigéria), émergentes (Chine) et occidentales (France
notamment) ?
Aujourd’hui, les entreprises marocaines se battent sur un continent qu’une bonne partie des
entreprises françaises ont quitté car elles ne souhaitent plus gérer le risque pays en Afrique.
Elles ont compris qu’elles devaient passer par des entreprises marocaines, qui ont cette
approche différente et qui leur permet d’être plus performantes en Afrique.
En ce qui concerne la Chine, nous ne sommes pas leurs concurrents au vu de la différence de
taille. Nous nous positionnons plutôt comme partenaires. L’objectif de la conférence sino-
marocco-africaine organisée par BMCE Bank la semaine dernière était en effet d’initier des
contacts entre les différentes parties prenantes pour mener des projets conjoints.

103
d) Ghita Lahlou et Nadia Fettah (Saham Group)
Ghita Lahlou (G.L), DG de Saham Santé et Saham Offshoring et de Nadia Fettah (N.F),
Directrice Générale déléguée Saham Finances en charge des finances et du M&A.
Saham Group est le leader marocain des assurances vie et non-vie.

1. Pouvez-vous nous parler de la présence de Saham en Afrique aujourd’hui ?


G.L : Le développement de Saham en Afrique s’est fait de manière très rapide. Jusqu’en
2010, nous nous sommes cantonnés au marché marocain. En l’espace de trois ans, le groupe a
opéré une mutation significative : nous avons acquis la totalité du capital de Colina en 2010,
qui a 15 filiales d’assurances dans 13 pays ; et Global Alliance Seguros en 2012 en Angola.
Aujourd’hui, 50% du chiffre d’affaires et 70% du résultat net du groupe sont réalisés en
Afrique. Ce transfert a été salutaire : nous nous sommes rendu compte que le marché
marocain était trop étroit et qu’il ne nous permettrait pas d’atteindre à lui seul nos ambitions.
En effet, entre 2004 et 2010, nous étions principalement tournés vers l’Europe ; or nous étions
trop petits pour apporter une véritable valeur ajoutée. Notre président a considéré qu’il fallait
alors se déployer dans des pays où notre savoir faire là où nous avions la légitimité pour nous
développer.
Il se trouve que le continent africain totalise un PIB de 5 000 milliards de dollars à ce jour, et
les estimations sont de 29 000 milliards de dollars en 2050. Le continent émerge au même
titre que la Chine ou l’Inde il y a dix ans, et est un formidable vecteur de croissance pour
nous.
Aujourd’hui, le groupe Saham est le premier opérateur d’assurances en Afrique subsaharienne
(hors Afrique du Sud) et est implanté dans 22 pays.

2. Quelle a été/est votre stratégie développement en Afrique et quelle est votre


valeur ajoutée ?
G.L : Nous considérons tout d’abord qu’il faut atteindre une certaine masse critique pour
se déployer en Afrique. Ensuite, il faut avoir un réseau d’implantations et ne pas considérer
les pays pris séparément afin de mutualiser et de minimiser les risques. Les 54 pays pris
isolément ne représentent rien en termes de marché et les opérateurs qui s’implantent dans un
seul pays africain sont peu nombreux. Le risque pays est trop important pour placer toutes ses
billes dans le même panier.
Il faut donc identifier des « grappes », c’est à dire des compagnies d’assurances africaines
implantées dans plusieurs pays et dans lesquelles nous pourrions potentiellement investir.

104
Dans notre cas, nous en avions identifié trois, mais qui n’étaient pas vendeuses. Une
opportunité exceptionnelle s’est présentée avec l’une d’elles (Colina) car nous avons pu
racheter les parts d’un actionnaire (personne physique) grâce à la mise en relation par un
contact.
A partir de là, nous avons réalisé que pour faire des deals en Afrique, il faut littéralement
« être » en Afrique et ne pas être conseillé par des banques européennes. Voici ce qui se
passe avec celles-ci : soit le deal a fait plusieurs fois le tour de la place, soit le prix est trop
cher car des fonds ont déjà fait des propositions survalorisées donc ce n’est plus intéressant.
Dès lors, nous faisons tous nos deals en direct à travers notre cellule de M&A en interne. Les
deals se font ainsi très rapidement et dans la confidentialité la plus complète.
La seule raison pour laquelle nous faisons appel à une assistance extérieure est pour le
financement de nos opérations : nous avons fait appel à JP Morgan pour notre levée de fonds
qui a abouti à une augmentation de capital de 250 millions de dollars par la SFI et Abraaj
Capital dans le but de financer nos opérations sur le continent.
Enfin, nous ne changeons rien au fonctionnement des entreprises que nous rachetons car
en général, elles fonctionnent bien. Nous apportons de la valeur ajoutée par notre structure
légère, du conseil par la holding et des synergies notamment. Par exemple, nous avons
organisé des pôles régionaux au sein de Colina qui nous permettent de fonctionner avec des
règlementations régionales spécifiques et de surmonter la barrière de la langue (nous sommes
implantés en Afrique anglophone et lusophone notamment).
N. F : Nous connaissons bien notre sujet et sommes suffisamment sophistiqués pour apporter
de la valeur en termes d’expertise, de bonne gouvernance, de gestion financière ; nous
sommes aussi suffisamment jeunes pour ne pas être dogmatiques. Nous avons une capacité
d’adaptation exemplaire car nous avons une mémoire de ce qu’était le marché marocain il y a
30 ans. Nous avons fait un saut qualitatif qui nous fait penser que nous pouvons apporter
beaucoup à nos filiales africaines, mais sans le côté dogmatique allemand, français ou
américain.

3. Comment faites-vous pour surmonter la barrière de la langue ?


N.F. : La langue est un sujet, mais c’est surtout tout ce qu’il y a derrière qui pose problème :
la langue c’est une culture et une façon de faire des affaires. Nous avons là un véritable
challenge à relever car nous sommes dans cinq pays qui ne sont pas francophones. Même si
l’Angola est un pays lusophone, la compagnie que nous avons rachetée était gérée par des
suds africains donc c’est plus facile pour nous. Tout le monde chez Saham se met aux cours

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d’anglais et nous essayons de plus communiquer en anglais. C’est un travail de longue
haleine.
Nous essayons aussi de ne pas tout gérer à partir de Casablanca : nous avons un hub à Abidjan
qui chapeaute dix pays et nous sommes en train d’en mettre un en place à Maurice pour
l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe. Le Nigéria et l’Angola sont suffisamment gros pour
être gérés séparément.

4. Comment êtes vous accueillis par vos concurrents internationaux sur le marché
des assurances en Afrique ?
G.L : L’Afrique du Sud totalise 75% du secteur des assurances en Afrique (ils sont très
présents en Afrique de l’Est et Centrale); et nous nous partageons les 25% restants avec les
autres opérateurs. Il y a tout le temps des Sud Africains sur les deals, notamment au Nigéria et
en Angola. Les marocains ont la même approche. Ce sont nos concurrents les plus sérieux.
Les entreprises occidentales, quant à elles, ont du mal à croitre en Afrique. Axa, par exemple,
se pose des questions quant à sa stratégie africaine car ses coûts de structure sont énormes du
fait du nombre élevés d’employés expatriés. Les entreprises européennes n’ont pas les mêmes
réflexes et les mêmes approches que les entreprises marocaines ou sud africaines. Par ailleurs,
l’Afrique ne représente qu’un petit marché pour elles (1 milliards de $ sur un total de 100
milliards de dollars pour Allianz par exemple). Pour Saham, c’est 50% de son chiffre
d’affaires qui est réalisé en Afrique aujourd’hui.
Les entreprises chinoises et japonaises sont aussi présentes. Les fonds souverains chinois
veulent se développer sur tous les secteurs en Afrique et notamment dans les assurances. Ils
sont encore en retard par rapport à nous, mais ils commencent à s’y intéresser.
N.F : RMA Watanya était candidate au rachat de Colina et avait d’ailleurs beaucoup plus de
chances que nous de l’emporter parce Bank of Africa (dont BMCE Bank est actionnaire, au
même titre que BMCE Bank est actionnaire de RMA Watanya) et Colina avaient des
participations croisées. Je pense que nous avons une agilité et une rapidité d’exécution
remarquables. Nous avons racheté Colina en trois mois. Je pense que cela peut faire la
différence car il y a peu d’opportunités sur le marché. Souvent, nous sommes dans une
démarche proactive, c’est à dire que nous n’achetons pas des compagnies à vendre mais des
compagnies que nous avons envie d’acheter : il faut déjà les convaincre puis agir rapide pour
être les seuls acheteurs possibles. Par rapport aux assureurs marocains, nous avons juste un
peu d’avance. Celle-ci fait qu’il y a très peu de réseaux à acheter aujourd’hui. Nous
commençons à acheter des compagnies isolées que l’on rattache au réseau de Colina ; nous

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avons un vivier de managers que l’on peut envoyer en Afrique. Nos confrères ont eu un peu
plus de mal et ont mis un peu plus de temps là où nous sommes allés avant tout le monde, au
moment de la crise en Côte d’Ivoire en 2010 où l’on nous prenait pour des fous.
Les suds africains quant à eux sont nos concurrents mais ils n’arrivent pas à monter vers le
nord. Ils ne sont pas très bien accueillis en Afrique du Nord et de l’Est. Dans la mémoire des
gens, les Afrikaners ont gardé une démarche colonialiste qui est très mal vécue par les
populations noires d’Afrique anglophone ; et l’Afrique de l’Ouest est très éloignée de leur
culture. Ils sont presque prêts à pactiser avec nous pour s’y implanter, ils pensent que notre
histoire est intéressante.

5. La position du pays en question vis à vis de la question du Sahara marocain


impacte-t-elle votre décision de vous implanter ?
N.F : Bien sûr, il y a des pays qui peuvent poser problème mais cela va de mieux en mieux.
Nous sommes un groupe très indépendant, nous passons par l’Office des Changes que nous
informons très en amont des pays où l’on veut investir et le Maroc est un pays très libéral.
Néanmoins, il n’est pas judicieux pour nous de nous implanter dans un pays qui n’est pas un
ami du Maroc car cela peut aller jusqu’à la confiscation de nos biens. Typiquement, l’Angola
a été très proche de l’Algérie ; depuis peu les relations se sont améliorées avec le Maroc et il y
a même une liaison aérienne directe qui nous relie. Nous sommes le seul groupe marocain à y
être implantés.

6. Quelle place donnez-vous à l’intelligence économique dans votre stratégie de


développement en Afrique ?
G.L : Nous n’avons pas de structure d’intelligence économique en interne à proprement parler
et nous ne partageons pas nos recherches avec nos collaborateurs : elles sont destinées à la
direction générale.
N.F : Nous commençons à nous équiper en matière d’intelligence économique. Nous pensions
que tout ce qui arriverait par ce biais ne représenterait pas des opportunités intéressantes pour
nous car les deals annoncés sont souvent trop chers, ou l’information n’est pas fiable. Mais
nous sommes réalistes, nous sommes trois chez Saham à travailler sur le développement en
Afrique. Compter uniquement sur nos réseaux et nos déplacements va nous coûter de plus en
plus cher/ Nous sommes en train de tester des bases de données et faisons appel à un cabinet
de conseil qui nous envoie des bulletins de veille presse hebdomadaires. Nous sommes
devenus un acteur suffisamment important pour construire notre propre intelligence

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économique. Nous le faisons, donc, mais de manière très modérée à ce jour avec l’espoir de
structurer.

7. Quelles sont vos sources d’information ?


G.L : Nous obtenons les informations dont nous avons besoin par le bouche à oreille, par le
réseau, par les courtiers, par nos banquiers avec qui nous travaillons en réseau et par nos deux
coactionnaires (les fonds d’investissement SFI, filiale de la Banque Mondiale, et Abraaj
Capital qui sont très présents en Afrique). Par exemple, nous avons acheté les assurances
Corar-AG au Rwanda à l’Eglise Catholique. Les réseaux ismaïliens sont très puissants en
Afrique de l’Est, tout comme les réseaux libanais en Afrique de l’Ouest… Ce sont des
microcosmes où il faut avoir ses entrées et c’est là que ce situe le cœur de notre intelligence
économique, si nous pouvons l’appeler comme cela.
Ce n’est pas du tout une stratégie « d’artillerie lourde » à l’européenne où nous allons payer
très cher des cabinets de conseil pour réaliser des études de marché quand on considère les
primes d’assurances dans certains pays africaines (dix millions de dollars au Kenya par
exemple, ce qui n’est pas beaucoup). C’est d’ailleurs pour cela que les assureurs ou autres
entreprises européennes ne parviennent pas à croitre sur ces marchés : les coûts d’expatriation
de leurs employés sont beaucoup trop important pour que l’opération soit rentable.
N.F : Je me suis toujours occupée de l’exécution du M&A chez Saham. Ce que les gens ne
savent pas, c’est que nous étudions des compagnies d’assurances africaines depuis 2006, sans
succès au début. Nous avons fait beaucoup de terrain, voyagé dans le Maghreb et en Afrique
subsaharienne, nous construisons un réseau de personnes qui permettent, à force, de repérer
les bonnes affaires. Du coup, quand nous avons rencontré Colina, nous savions que c’était
l’opportunité à saisir : la compagnie était bien gérée par d’excellents managers et elle était
d’emblée implantée dans plusieurs pays, ce qui est plus facile pour nous pour rentabiliser
notre investissement. Le patron de Colina, Raymond Farhat, est un libanais qui a vécu trente
ans en Côte d’Ivoire et qui est devenu Directeur Général de Saham Finances car il est le plus
africain de nous tous. Depuis, nous avons largement accéléré notre développement et fait de
belles opérations notamment grâce à sa connaissance du marché africain.

8. Partagez-vous et/ou mutualisez-vous vos recherches avec les autres opérateurs


économiques, l’Etat et le gouvernement ?
G.L : Non, nous ne partageons rien avec les autres opérateurs car ils sont potentiellement des
concurrents. Nos recherches et notre stratégie sont classées secret défense !

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De même, nous ne mutualisons ni ne partageons pas d’informations avec le gouvernement. A
ma connaissance, les ministères ne partagent rien.
N.F : C’est plutôt l’étape de demain ! Malheureusement, chacun y va de son côté. La
diplomatie économique n’est vraiment pas coordonnée : par exemple, nous sommes très
nombreux à être investisseurs en Côte d’Ivoire et au Sénégal ; pourtant personne n’a été
négocier des conventions fiscales ou de non double imposition. Nous ne sommes pas bons
pour se coordonner et faire des opérations ensemble. Au Maroc, tous les grand groupes
français sont assurés chez Axa. En Côte d’Ivoire, les grands groupes marocains ne sont pas
assurés chez nous ! C’est une réflexion générale à avoir, qui est plus culturelle qu’autre chose.

9. D’après vous, comment les gouvernements peuvent-ils accompagner les


entreprises marocaines en Afrique ?
G.L : Le Ministère du Commerce et de l’Industrie joue un rôle très important. Pour l’instant,
il cherche surtout à améliorer la compétitivité des entreprises sur des problématiques
industrielles et sur le financement. Par ailleurs, la CGEM et les associations patronales
essayent d’apporter un soutien ; les chambres de commerce travaillent ; les associations
bilatérales créent une émulation.
Je dirais que la plus grosse problématique que doit régler le Maroc est le problème de
change ; c’est très compliqué. On s’y heurte et c’est presque surréaliste : une fois notre levée
de fonds terminée, nous avons du négocier pendant des mois avec l’Office des Changes pour
ressortir cet argent et l’investir en Afrique, sous prétexte que le déficit budgétaire du pays ne
permettait pas cette opération à ce moment précis. Il faut beaucoup d’énergie et de temps pour
débloquer une telle situation. Par rapport à un pays complètement ouvert, investir à partir du
Maroc est un véritable parcours du combattant.
N.F. : Je pense que le road show de SM le Roi en février dernier a fait beaucoup de bien aux
opérateurs économiques marocains de manière générale. Saham n’est presque pas perçu
comme marocains en Afrique car tous nos managers sont subsahariens. Cette diplomatie sud-
sud nous aide plus à revendiquer notre image d’entreprise marocaine alors que nous avions
plus tendance à être plus discrets sur la nationalité de notre capital pour être un opérateur
local. Entre temps, nous avons unifié nos marques sous la bannière Saham, donc nous
sommes plus visibles. Par ailleurs, cela se passe de mieux en mieux avec l’Office des
Changes. Sur notre premier investissement dans Colina, c’était plus laborieux. Nous avons
pris des engagements très forts que nous avons tenus, notamment en termes de remontée de
dividendes et d’investissements étrangers. Sur les deux ans, nous avons fait rentrer plus de

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450 millions de dollars d’investissements. Nous commençons à investir dans d’autres secteurs
sur des montants beaucoup plus petits et sur des nouveaux business models, c’est normal
qu’ils fassent preuve de plus de diligence.

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement mon directeur de recherche Othman El


Ferdaous pour sa disponibilité, son soutien et son apport lors de la rédaction de ce mémoire de
recherche. Il a su me guider et me réorienter lorsque cela était nécessaire et je voudrais lui
exprimer mon entière reconnaissance.

Je remercie également Abdelmalek Alaoui, président de l’Association Marocaine pour


l’Intelligence Economique (AMIE), car son apport est crucial pour mon travail.

Enfin, je remercie infiniment les dirigeants des quatre entreprises que j’ai rencontrés : Ghita
Lahlou et Nadia Fettah (Saham Group, assurances), Brahim Skalli (Alliances, immobilier et
construction), Mamoun Tahri Joutei (BMCE Bank, banque) et Abdelmalek Alaoui (Global
Intelligence Partners, cabinet de conseil en intelligence économique). Je les remercie pour
leur disponibilité et leur franc-parler car ils ont accepté de partager nombre d’informations
confidentielles dans le cadre de cette étude.

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