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Apprendre a?

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Laurence Lentin

Apprendre
à penser, parler,
lire, écrire

Acquisition du langage
oral et écrit
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 2

© 1998 ESF éditeur


Division de la société Reed Business Information
SAS au capital de 4 099 168 €
2, rue Maurice Hartmann, 92133 Issy-les-Moulineaux cedex
Président : Antoine Duarte
Directeur de publication : Antoine Duarte
2 e édition 2009

www.esf-editeur.fr
ISBN 978-2-7101-2920-2
ISSN 1158-4580

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nées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but
d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4). Cette repré-
sentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanc-
tionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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Pédagogies
Collection dirigée par Philippe Meirieu

L a collection PÉDAGOGIES propose aux enseignants, formateurs, animateurs, édu-


cateurs et parents, des œuvres de référence associant étroitement la réflexion
théorique et le souci de l’instrumentation pratique.
Hommes et femmes de recherche et de terrain, les auteurs de ces livres ont, en effet,
la conviction que toute technique pédagogique ou didactique doit être référée à un
projet d’éducation. Pour eux, l’efficacité dans les apprentissages et l’accession aux
savoirs sont profondément liées à l’ensemble de la démarche éducative, et toute édu-
cation passe par l’appropriation d’objets culturels pour laquelle il convient d’inventer
sans cesse de nouvelles médiations.
Les ouvrages de cette collection, outils d’intelligibilité de la « chose éducative », don-
nent aux acteurs de l’éducation les moyens de comprendre les situations auxquelles
ils se trouvent confrontés, et d’agir sur elles dans la claire conscience des enjeux. Ils
contribuent ainsi à introduire davantage de cohérence dans un domaine où coexis-
tent trop souvent la générosité dans les intentions et l’improvisation dans les pra-
tiques. Ils associent enfin la force de l’argumentation et le plaisir de la lecture.
Car c’est sans doute par l’alliance, sans cesse à renouveler, de l’outil et du sens que
l’entreprise éducative devient vraiment créatrice d’humanité.

Pédagogies/Références : revenir vers l’essentiel pour mieux penser l’urgence. Des livres qui
permettent de comprendre les enjeux éducatifs à partir des apports de l’histoire de la péda-
gogie et des travaux contemporains. Des textes de travail, des outils de formation, des
grilles d’analyse pour penser et transformer les pratiques.

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* *
Voir en fin d’ouvrage la liste des titres disponibles
et sur le site www.esf-editeur.fr
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Remerciements

J e tiens à remercier toute l’équipe de praticiens-chercheurs de l’AsFoReL et du


CRALOÉ pour le soutien et l’enrichissement permanent qu’elle m’apporte,
année après année.

J’exprime en particulier ma reconnaissance à ceux qui ont bien voulu relire cet
ouvrage et formuler leurs remarques constructives : Christiane Baruth, Daniel
Bianchet, Marcelle Chambaz, Martine Karnoouh-Vertalier.

Enfin, à mon mari et à mes enfants, qui subissent souvent les conséquences
d’un travail envahissant, je voudrais dire combien me sont précieuses leur patience
et leur active compréhension.
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Sommaire

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Introduction à la deuxième édition.


Dix ans après, y a-t-il du nouveau ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Des recherches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
L’apprentissage de la lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Les applications de terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Une expérience concluante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
La formation, parlons-en ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

1. Le français parlé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Comment parlons-nous ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

2. Comment étudier l’apprendre à penser – parler ? . . . . . . . . . . . . . 31


Historique des travaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Savoir parler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

3. Appprendre à penser – parler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41


Le « premier mot » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Enquêter auprès des bébés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Apprendre à parler, ce n’est pas apprendre des mots . . . . . . . . . . 46
Le parler de l’adulte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
L’hypothèse des schèmes sémantico-syntaxiques créateurs . . . . 48
L’interaction cognitivo-langagière entre l’adulte et l’enfant . . . . . 52
La compréhension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
L’intuition de la langue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

4. Français oral, français écrit : une même langue . . . . . . . . . . . . . . 61


Schéma des ensembles énonciatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
La fréquentation par l’apprenant du français « écrivable » . . . . . . 62
La narration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Le livre illustré et son texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Passer de son parler à l’écrit de son parler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

5. Apprendre à lire – écrire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73


Lire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Écrire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

6. Questions et réponses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Quelle différence entre communiquer et parler ? . . . . . . . . . . . . . . 79
Apprendre à parler, est-ce apprendre la langue « standard » ? . . 80
Quelle est la différence entre les exercices structuraux
et ce qui est proposé avec le concept des schèmes sémantico-
syntaxiques créateurs ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Y a-t-il une différence entre langage spontané
et langage authentique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Les enfants s’apprennent-ils à penser-parler
les uns aux autres ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Que penser de l’apprentissage d’une langue étrangère
à l’école maternelle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Y a-t-il un ordre dans les acquisitions langagières ? . . . . . . . . . . . 85
À quel âge peut-on affirmer qu’il y a retard de langage ? . . . . . . . 86
Comment les enfants sourds apprennent-ils à parler ? . . . . . . . . . 86
Que faire avec des enfants « mutiques » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Comment aider des enfants bègues ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Un enfant qui a besoin d’un entraînement cognitivo-
langagier à l’école maternelle est-il un enfant en difficulté ? . . . . 88
Interaction langagière au sein d’un petit groupe ou interaction
entre un adulte et un enfant : quelle différence ? . . . . . . . . . . . . . 88
Comment mettre en pratique une interaction individualisée
au sein d’une collectivité (famille, crèche, halte-garderie,
école maternelle…) ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Comment s’y prendre avec des apprenants tardifs ? . . . . . . . . . . . 90
Y a-t-il une démarche spécifique pour les apprenants
non francophones ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

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Sommaire

7. Problématique de l’acquisition du lexique par l’enfant


tout-venant depuis la naissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Que peut-on entendre par « lexique » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Distinguer lexique et vocabulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Lexique et syntaxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Rôle de la mémoire dans le fonctionnement
et l’acquisition du lexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Apparition chez l’enfant des premiers éléments
syntactico-lexicaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Rôle de l’adulte dans les acquisitions langagières
du petit enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Quelques exemples du travail de l’enfant
pour acquérir le lexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

8. L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant :


une problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Intercompréhension mi-verbale, mi-non-verbale . . . . . . . . . . . . . . 106
Intercompréhension grâce à l’interaction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Méprise de l’enfant sur une correspondance signifiant-signifié . . 107

9. Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler,


lire et écrire de I’enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
L’apprenti parleur est déjà un apprenti de la lecture
et de l’énonciation écrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
L’illustration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
« Livres illustrés » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
L’objectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Lisons-nous ou ne lisons-nous pas le texte? . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
Qui lit des livres aux petits enfants ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Les caractéristiques du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
La simplicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Le vocabulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
La construction syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Adapter son langage à l’enfant en écrivant comme en parlant . . . 132
Comment concevoir un texte pour livre illustré . . . . . . . . . . . . . . . 132
Conceptions traditionnelles sur l’écrit destiné
aux jeunes enfants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
Une tribune d’échanges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

10.Le formateur est un chercheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137


Apprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Un éducateur « compétent » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Connaître les apprenants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
L’interaction entre appreneur et apprenant . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
La formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
Proposition de stage destiné aux formateurs d’instituteurs . . . . . 144

ANNEXES
Conventions pour la transcription d’enregistrements adulte-enfant
(interprétation orthographique) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Présentation de la première feuille de transcription . . . . . . . . . . . 149
Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Quelques définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Introducteurs de complexité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Grille pour l’analyse en catégories syntaxiques d’énoncés . . . . . 157
Guide pour l’analyse d’un livre illustré destiné à être lu
par un adulte à un enfant non encore lecteur . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Quelques éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163

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Les conditions pour enseigner et apprendre


c’est-à-dire comment enseigner
et apprendre de telle sorte qu’il soit
impossible de ne pas réussir
Coménius
La Grande Didactique
1657 (Éd. 1992, Paris, Klincksieck, chap XVI, p. 119)

Tout ce qu’on prétend enseigner, il faut,


suivant l’âge, le présenter de manière
à n’apporter que ce qu’il est capable d’apprendre
(ibid., p. 121)

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Introduction à la deuxième édition


Dix ans après, y a-t-il du nouveau ?

I L VA SANS DIRE QUE, DEPUIS DIX ANS, NI LES CHERCHEURS NI LES PRATICIENS-
chercheurs ne sont restés inactifs.

Des recherches
De nombreuses recherches se sont développées pour étudier des aspects de
plus en plus variés des modalités de l’acquisition du langage par l’enfant depuis
sa naissance, à savoir son appropriation de la langue – ou des langues – en usage
dans son entourage. Beaucoup d’études quantitatives et de relevés « pointus » sur
tel ou tel phénomène de l’apprentissage. Depuis quelque temps apparaissent éga-
lement davantage de recherches qualitatives 1. Parfois aussi des observations de
l’interaction langagière entre l’enfant qui apprend à parler et le locuteur expert qui
dialogue avec lui.
Pour ce qui est des activités du cerveau, bien des travaux de pointe en neuro-
sciences sont en cours, mais les plus sérieux d’entre eux s’en tiennent à des inter-
prétations limitées. Certaines localisations cérébrales sont même contestées, y
compris celle du langage, sans parler de celles qui « prouveraient » qu’un bébé de
deux mois est capable de faire une addition !
Certains travaux en sciences cognitives sont très prometteurs, d’autres sont
sujets à discussion. Il s’agit de recherches fondamentales qui, pour la plupart,
n’ont pas d’incidence sur la pédagogie scolaire. Une exception importante pour-
tant : les recherches sur la langue des signes.
La langue des signes permet aux enfants sourds d’avoir une langue maternelle,
puis de devenir bilingues lorsqu’ils peuvent être initiés à la langue orale qui leur
donne ensuite accès à la langue écrite. Les travaux, les formations et les informa-
tions se sont multipliés et, fort heureusement, la France est en train de rattraper son
considérable retard sur de nombreux pays pour la mise en application généralisée

1. À titre d’exemples, on retiendra les travaux du CRALOE (Centre de recherche sur l’acquisition du
langage oral et écrit, université Sorbonne nouvelle), de l’Université Nancy 2, de l’AQRQ
(Association québécoise pour la recherche qualitative).

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

de cet enseignement et de cette pratique. Comme chacun peut le constater, la tra-


duction en langue des signes accompagne de plus en plus fréquemment les émis-
sions télévisées, les conférences, les cours, les spectacles, etc. La langue des
signes est même en train (encore timidement) de devenir une langue vivante à part
entière, qui peut par exemple être choisie pour les oraux de certains examens. Un
peu partout on peut constater l’expansion des formations en langue des signes
aussi bien pour malentendants que pour entendants.

L’apprentissage de la lecture
Le lieu n’est pas ici d’évoquer les querelles récurrentes sur l’apprentissage de
la lecture. Malheureusement, sous diverses formes en réalité peu renouvelées, ces
querelles sont toujours identiques. Même si certains « spécialistes » mentionnent
l’importance de la maîtrise du langage oral pour accéder à l’apprentissage de
l’écrit, le retour au « B.A.BA » et à la technique du déchiffrage ne cesse d’envahir
non seulement les publications spécialisées, les méthodes de lecture, les instruc-
tions officielles, mais aussi les medias.
Au fil des années, la conception de l’apprentissage de la lecture-écriture comme
activité cognitivo-langagière, évoquée dans ce livre et dans les précédents, n’a fait
que se renforcer grâce aux résultats obtenus concrètement auprès de nombreux
apprentis-lecteurs de tous âges. L’essentiel est de toujours commencer par instal-
ler l’intuition de ce qu’est l’écrit, son statut, son immuabilité, ses fonctions de
communication et d’information. En tout premier lieu, l’apprenant doit acquérir la
notion que lire c’est avant tout comprendre. Le corollaire obligé est qu’écrire
nécessite l’anticipation de la compréhension du destinataire du texte. Le débutant
en lire-écrire ne doit pas appréhender l’apprentissage de la lecture comme un
décryptage transformant des signes graphiques en signes sonores, il doit avant
tout découvrir un sens, une signification qui lui apportera information, connais-
sance, éventuellement – et nécessairement quand il s’agit d’un enfant – plaisir.
L’apprenant doit donc d’abord exercer une activité langagière et interprétative
avant d’acquérir, dans un deuxième temps seulement, la technique du déchiffrage,
bien entendu indispensable.
Et tout ceci ne devrait pas se produire prématurément. Nombreux sont ceux qui
déplorent que la dernière année d’école maternelle ait tendance à se transformer
en « cours préparatoire anticipé ». En effet, s’il est nécessaire de familiariser
l’enfant le plus tôt possible avec l’écrit, son statut, son utilité et son agrément pour
chacun, de lui faire approcher la « culture écrite », l’apprentissage proprement dit
ne devrait pas commencer avant six ans, l’âge prévu institutionnellement en
France.

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Introduction à la deuxième édition – Dix ans après, y a-t-il du nouveau ?

Quant à la préparation à la rédaction écrite, souvent qualifiée de « production


écrite », ce que nous avons appelé « dictée à l’adulte » 2, s’est révélé au fil des
années une activité préliminaire remarquablement efficace. En dictant à un scrip-
teur expert son discours parlé, l’apprenant constate la transformation de sa pen-
sée en texte lisible par autrui. Certains éducateurs ont exprimé leur étonnement
des effets bénéfiques, souvent très rapides, de cette expérience pour des enfants
à partir de 5 ou 6 ans ou même pour des jeunes en difficulté ou des adultes en
cours d’alphabétisation 3.

Les applications de terrain


Qu’en est-il des applications sur le terrain des recherches en linguistique de
l’acquisition évoquées dans le présent ouvrage ? Il est encourageant de constater
que ces applications se sont multipliées.
Plusieurs facteurs ont participé à cette expansion. En premier lieu les besoins
des enseignants, surtout à l’école maternelle, sont devenus de plus en plus pres-
sants, non seulement en raison du nombre croissant des petits écoliers dont le
français n’est pas la langue maternelle mais aussi par le fait que l’importance de
la première acquisition du langage oral pour l’avenir de l’enfant est devenue une
préoccupation nationale. Il faut cependant souligner que les enseignants atten-
dent en vain une information et une formation leur permettant de faire face de
manière appropriée à cette demande généralisée.
Certains praticiens ont la chance de bénéficier d’une information – ou mieux –
d’une formation conforme aux données recueillies par les chercheurs. On doit ces
formations, parfois à de rares universités où quelques professeurs ont la géné-
reuse audace de proposer un tel enseignement mais, le plus souvent, ce sont des
associations qui les dispensent. Les progrès des enfants dans leur apprentissage
du langage ont encouragé ces praticiens pionniers à poursuivre des pratiques édu-
catives maintenant dûment éprouvées. Soulignons néanmoins qu’il leur faut beau-
coup de courage car ils se situent largement à contre-courant. Et c’est ici l’occasion
de leur rendre un hommage chaleureusement reconnaissant.
La nécessité de l’individualisation, de l’adaptation à chacun, qui est pourtant
abondamment évoquée par les chercheurs en sciences de l’éducation, et même
dans les instructions officielles du ministère de l’Éducation nationale, n’est que
très difficilement prise en compte dans l’enseignement scolaire ordinaire. Même à
l’école maternelle, interagir un moment en présence de toute la classe avec un

2. Dénomination trop souvent utilisée pour de tout autres pratiques.


3. Voir à ce sujet, entre autres, M. Dauriat (1986), M. Guillou (1986), J-M.O. Delefosse (1999) ;
L. Lentin et al. Du parler au lire (1977).

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

enfant seul pour s’adapter strictement à ses caractéristiques et à ses besoins


spécifiques, n’est guère en usage dans la pédagogie institutionnelle. Pourtant,
répétons-le encore et toujours, chaque individu, qu’il soit en difficulté ou simple-
ment en période d’acquisition, a sa façon personnelle d’apprendre. De surcroît,
plus l’apprenant est jeune, plus ceci se vérifie.

Une expérience concluante


L’efficacité de la personnalisation des échanges de l’éducateur avec le petit
enfant se révèle parfois étonnante et dépasse souvent les prévisions. Une réalisa-
tion intéressante se poursuit depuis bientôt cinq ans à l’initiative de l’AsFoReL
(Association de formation et de recherche sur le langage) 4. Il s’agit d’une action
périscolaire assurée par des animateurs rétribués, voire par des bénévoles. En
accord avec les enseignants, les inspecteurs de l’Éducation nationale, les parents
et les enfants, financé par les municipalités qui délèguent un « pilote », le « Coup
de Pouce Langage » (Atelier Mieux parler pour ensuite apprendre à lire) s’adresse
à des enfants d’école maternelle.
Cette activité ne vise pas des enfants présentant une pathologie quelconque
mais seulement des enfants ayant un développement langagier limité ou ne rece-
vant pas ou peu dans leur milieu de vie le soutien qui leur permettrait d’aborder
sereinement l’apprentissage de la langue écrite.
On peut ainsi constater qu’une ou deux séances hebdomadaires d’entraîne-
ment individuel au langage, au cours d’une année scolaire, se révèlent suffisantes
(bilans rigoureux établis scientifiquement) pour faire progresser dans leur appren-
tissage du langage et leur rapport aux livres 80 à 90 % des enfants concernés.
Ces séances d’entraînement au langage individualisé se présentent sous la
forme de dialogues entre un adulte et un enfant. Elles se déroulent dans les locaux
scolaires, une à deux fois par semaine à raison de quinze à vingt minutes pour
chaque enfant, en dehors des horaires de classe. L’essentiel de l’interaction se
situe autour d’un livre illustré dont l’histoire intéresse l’enfant et correspond à ses
possibilités langagières du moment 5.
Les animateurs qui conduisent ces ateliers ont été baptisés à Angers, ville pilote
de l’action, « facilitateurs de langage ». Ils suivent obligatoirement des journées
de formation. Elles sont assurées par des intervenants de l’AsFoReL qui se char-
gent également du suivi scientifique de l’action. La formation se situe avant le

4. AsFoReL : 6, square H. Sellier 92290 Châtenay-Malabry. Courriel asforel@rnaf.net, site internet


httpwww.asforel.com. On trouvera une description détaillée de cette action dans le n° 52-53 de
L’acquisition du langage oral et écrit (2004).
5. Quelques titres figurent en bibliographie à la fin de l’ouvrage.

14
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 15

Introduction à la deuxième édition – Dix ans après, y a-t-il du nouveau ?

début de l’action, puis en cours et en fin d’année et se poursuit d’année en année


pour les mêmes animateurs, permettant mises au point, échanges et éventuel-
lement aménagements nécessaires du déroulement des séances d’entraînement.

La formation, parlons-en ! 6
Oui, il faut en parler, et d’ailleurs on en parle : demandes réitérées, protesta-
tions des enseignants, des parents, des spécialistes. Mais, hélas, sans effet sur
une éventuelle mise en œuvre, quelle qu’elle soit.
On constate pourtant avec satisfaction que, depuis plusieurs années, les docu-
ments publiés par le ministère de l’Éducation nationale 7 insistent expressément
sur le rôle primordial de l’école maternelle pour amener l’enfant à la maîtrise de la
langue orale avant le début de sa scolarité à l’école élémentaire. La recommanda-
tion est claire : cet apprentissage conditionne tout l’avenir scolaire – et civique –
de chaque enfant.
D’année en année se renouvellent des demandes pressantes, des protesta-
tions, aussi bien de la part des enseignants que des familles ou de certains spé-
cialistes comme le linguiste A. Bentolila. Celui-ci, chargé par le ministre d’un
rapport sur la rénovation de l’école maternelle en 2007, expose avec vigueur cette
nécessité. Et pourtant, contre toute attente, aucun projet n’apparaît concernant la
formation, qu’elle soit initiale ou continuée, qui préparerait les professeurs d’école
maternelle à affronter cette tâche difficile. En effet, cette tâche est difficile entre
toutes, la responsabilité en est redoutable. Il s’agit d’un enseignement bien parti-
culier qui nécessite, en dehors des qualités requises pour tout enseignement, à la
fois des connaissances en linguistique, des connaissances en psychologie sur les
caractéristiques et le développement du très jeune enfant et, bien sûr, une culture
générale et artistique.
On est confondu d’entendre – tout récemment encore – des discours officiels
au plus haut niveau niant la nécessité d’une formation poussée et spécialisée, ou
même de toute formation, pour les professeurs d’école maternelle. Rappelons que
le grand Jean Piaget soulignait un jour que, pour éduquer les plus jeunes enfants,
il fallait choisir les éducateurs les plus instruits, les plus fins, les plus délicats, les
plus documentés, les mieux préparés et les plus robustes. Il avait raison de

6. Voir page 144, la proposition de formation des instituteurs présentée par L. Lentin en 1986.
7. Entre autres : ministère de l’Éducation nationale (1992) La maîtrise du langage à l’école, Paris,
CNDP, BO de l’Éducation nationale (1999), hors-série n° 8, BO de l’Éducation nationale (2000)
Hors-série, n° 1 Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire (2002), BO de
l’Éducation nationale, hors-série, n° 1 Programmes prévisionnels de l’école maternelle, BO de
l’Éducation nationale, n° 24 (2008).

15
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 16

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

mentionner cette dernière qualité car travailler auprès de tout petits enfants est
très fatigant. Françoise Dolto rejoint également cette position : « J’ai tendance à
penser qu’à l’instar des pédiatres qui se spécialisent quelques années de plus que
les généralistes, les enseignants de maternelle devraient être davantage formés
que leurs collègues » 8.

Il n’est pas utopique d’affirmer que l’État français réaliserait de considérables


économies en prenant les dispositions indispensables pour aider l’école mater-
nelle à jouer efficacement le rôle qui lui est confié. Parlons de l’égalité : une for-
mation spéciale et adaptée aux besoins réels des enseignants d’école maternelle
assurerait à tous les enfants, sauf cas pathologiques graves (très rares) un avenir
scolaire sans « difficulté ». Nos expériences, en matière de langage 9, et bien
d’autres actions pédagogiques innovantes concernant les premiers apprentissa-
ges, ont fait depuis longtemps leurs preuves dans cette perspective.
Serons-nous entendus ? C’est à vous, amis lecteurs (enseignants, parents, tous
éducateurs et citoyens conscients de l’enjeu) de résister avec nous, de défendre
bec et ongles notre école, et en tête notre belle école maternelle.
Le dernier mot sera laissé à Philippe Meirieu, qui conclut ainsi son livre
Pédagogie : le devoir de résister :

« Personne ne prétend que la tâche est facile. Elle requiert détermination et inventivité.
Échanges, solidarité et travail en équipe. Elle exige du courage. Et la force de nager à
contre-courant. Il ne faut pas avoir peur de la marginalité. Car, plus que jamais et selon
la belle formule de Jean-Luc Godard « C’est la marge qui tient la page ».

8. La cause des enfants, R. Laffont, 2005.


9. Voir à ce sujet L. Lentin, Ces enfants qui veulent apprendre. L’accès au langage chez les enfants
vivant dans la grande pauvreté, Éd. de L’Atelier – Éd. Quart-Monde, 1995.

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Avant-propos

L E PRÉSENT LIVRE NE REMPLACE PAS LES TROIS PRÉCÉDENTS, APPRENDRE


à parler à l’enfant de moins de six ans, Comment apprendre à parler à l’enfant,
Du parler au lire. Il est complémentaire.
L’essentiel des thèses de la recherche sur l’acquisition du langage oral et écrit,
exposées dans ces ouvrages, demeure mais la réflexion a progressé. La mise en
œuvre auprès d’apprenants de tous âges, par de nombreux praticiens et praticiens-
chercheurs, a alimenté les recherches théoriques et apporté des expériences dura-
bles qui ont permis une avancée non négligeable.
Dans notre pays et dans beaucoup d’autres, on a vu, depuis vingt-cinq ans,
foisonner les recherches sur le langage de l’enfant, sur l’apprentissage de l’oral et de
l’écrit. En outre, les linguistes qui étudient le français parlé ont enfin commencé à
trouver place parmi les chercheurs scientifiques, bien qu’il reste beaucoup à faire
pour que leurs recherches soient suffisamment reconnues et disposent des
moyens nécessaires à ce travail indispensable.
Le contexte scientifique ainsi que les expérimentations d’application ont donc
évolué depuis 1972, 1973 et 1977, dates de première parution des trois ouvrages
précédents 1. On ne peut que s’en féliciter : les travaux de la communauté scienti-
fique sont nécessaires à la réflexion de chaque chercheur. Tous sont stimulants,
qu’ils soient – ou non – dans la même ligne de pensée.
On pourrait estimer que vingt-cinq années constituent une bien longue période
pour faire admettre des thèses confirmées et faire passer dans la réalité des pro-
positions d’application sur l’apprendre à penser, parler, lire, écrire. Mais ce qui est
proposé ici, tout en semblant proche de solutions de simple « bon sens », oblige à
rompre avec nombre d’habitudes, d’idées reçues, de pratiques très anciennes, et à
résister aux « modes » éphémères qui, dans ce domaine comme dans bien d’autres,
viennent trop souvent brouiller la réflexion et la pratique. Sans doute vingt-cinq
années ne sont-elles pas suffisantes : la première acquisition du langage n’a tou-
jours pas conquis la place essentielle qui devrait être la sienne dans l’analyse – et
donc la pratique – des apprentissages premiers. Et le caractère strictement indi-
viduel de l’apprendre à penser-parler, puis à lire et à écrire, n’est toujours pas recon-
nu comme la condition sine qua non d’un apprendre authentique.

1. Par rapport aux premières éditions, les rééditions successives ont été remaniées et augmentées.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Bien qu’un certain nombre de chercheurs aient mêlé leurs voix, sur la base de
travaux sérieux et convaincants, dans le domaine du langage ou dans d’autres –
par exemple concernant les mathématiques (S. Baruk, ERMEL, travaux de l’INRP,
voir bibliographie), l’individualisation des apprentissages n’est encore évoquée le
plus souvent que du bout des lèvres et semble, pour beaucoup, n’être réservée
qu’aux apprenants « en difficulté », alors qu’elle concerne en réalité tout un cha-
cun. C’est là un problème de fond.
Notre époque voit croître – sur le plan national et international – les préoc-
cupations suscitées par l’étendue des inégalités devant le savoir et l’insertion
dans la société. Il paraît donc important de revenir sur certains aspects fonda-
mentaux de l’apprendre. En particulier, il convient d’évoquer les perspectives
ouvertes par les travaux en linguistique de l’acquisition portant sur l’apprentis-
sage du langage oral et écrit, pour une meilleure compréhension des processus en
jeu et ce, chez tous les apprenants, quels que soient leurs origines, leur histoire
personnelle ou leur âge.

Avis au lecteur

Afin de ne pas gêner la lecture, peu d’auteurs ou d’ouvrages seront cités au fil des
pages. Le lecteur trouvera une bibliographie en fin de volume. Un classement som-
maire par thèmes et quelques commentaires lui apporteront une information sur
certains des écrits les plus marquants et les plus facilement accessibles dans le
domaine ou dans des disciplines voisines. N’ont été retenus, volontairement, que
des ouvrages et articles en langue française.
Pour compléter certains passages du présent ouvrage, le lecteur trouvera, en fin de
volume, des textes parus antérieurement et devenus introuvables.
La présentation des exemples de langage parlé transcrit pourra étonner. Le lecteur
voudra bien se reporter aux conventions pour la transcription d’enregistrement
adaptées aux nécessités de la recherche et figurant en annexes.

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Introduction

E N FRANÇAIS, LE MOT APPRENDRE PEUT ÊTRE AMBIGU, PUISQU’IL ÉVOQUE


à la fois l’activité de celui qui acquiert un savoir, une maîtrise, un savoir-faire,
et l’activité de l’éducateur qui aide l’apprenant dans ses acquisitions.
Cette ambiguïté n’est sans doute pas une entrave au projet du présent ouvra-
ge, dont l’objet est précisément l’apprendre sous son double aspect.
Il importe cependant d’écarter d’emblée ce qui pourrait prêter à malentendu : il
ne s’agit pas d’un traité de pédagogie. L’apprenant et l’appreneur seront constam-
ment pris en considération en tant que personnes autonomes, interagissant au
cours d’activités communes. L’éducateur est responsable face à celui qu’il éduque,
conscient de ses responsabilités, capable de s’adapter à chaque cas et à chaque
personnalité, apte à tout moment à remettre en cause son action éducative.
Quel que soit son statut face à l’apprenant : parent, enseignant, responsable
à un titre quelconque (en permanence ou épisodiquement), l’éducateur trouvera
ici des informations, des observations, des réflexions, issues de plus de vingt-
cinq années de recherche. Un va-et-vient constant entre pratique de terrain et
interprétation scientifique des données recueillies étaye une démarche de cher-
cheur, seule garantie pour un appreneur d’être en mesure de s’adapter de façon
pertinente et efficace à chaque apprenant, tout en adoptant une lucidité stimu-
lante à l’égard de son propre fonctionnement mental, intellectuel, affectif et
langagier.
Apprendre, pour l’appreneur comme pour l’apprenant, est une activité indivi-
duelle et créatrice, non une technique plus ou moins mécanique de mémorisation
et de répétition. Activité intelligente, aux modalités propres à chacun, l’apprendre
est toujours le résultat d’une interaction complexe entre l’apprenant et des per-
sonnes, des événements, des idées, la société sous de multiples formes.
Chaque apprenant, dans sa spécificité unique et ses valeurs propres, éprouve
un besoin vital, non pas toujours de réponses, mais au moins d’offres et de
propositions adaptées, ajustées à ses tâtonnements, à ses hypothèses et à ses
recherches. Accueillir ce que formule l’apprenant, lui en présenter une utilisation
ou une interprétation, qu’il pourra à son tour exploiter en vue d’un fonctionnement
maîtrisé et autonome, tel est le travail complexe de l’appreneur, du formateur, qui
refuse d’offrir à tous les mêmes formules ou les mêmes conduites standardisées.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Les travaux menés à propos de l’acquisition du langage oral et écrit rencontrent


la difficile problématique de cette interaction entre apprenant et appreneur. Des
études minutieuses commencent à dégager diverses modalités des échanges
qu’exploitent les deux interlocuteurs, montrant ce qui est repris ou n’est pas repris
par l’un ou par l’autre dans leurs productions verbales respectives. L’objectif de
telles recherches est de tenter de découvrir quelques-unes des lois qui président
à ces interactions. Mais il convient de rester extrêmement prudent. En effet, nous
ne connaissons pas encore les processus précis des échanges langagiers entre
locuteurs experts, nous sommes donc largement ignorants de leurs effets dans
l’apprentissage et nous sommes encore loin de conceptions généralisables.
S’il ressort nettement de nos travaux que l’apprendre se réalise dans son opti-
mum en situation d’interaction duelle, il apparaît non moins clairement que tous les
enfants (tous les individus ?) aiment apprendre, veulent apprendre. Un apprentis-
sage en interaction ne signifie nullement « préceptorat », « soutien » ou « rééduca-
tion », il s’agit seulement de l’apprendre tel que chacun le développe, dans tous les
domaines. Apprendre qui ne peut engendrer d’échec, chaque apprenant progressant
par rapport à lui-même et non par rapport à quelque norme prédéterminée.
Est-il nécessaire de rappeler que, si l’on a le souci de réduire les inégalités
criantes qui existent entre les apprenants, l’école est sans conteste le lieu où
chaque enfant devrait rencontrer des échanges humains, à la fois affectivement
riches et intellectuellement ajustés à sa personnalité et à son expérience, qui seuls
lui permettent d’apprendre.
Serait-il rétrograde d’avancer qu’aucun ordinateur ne saurait assumer seul
cette tâche ?
Notre point de vue est anthropologique : l’homme, seul parmi les êtres vivants,
est doué de la capacité, créative à l’infini, de penser et de parler. Depuis une
époque récente de son évolution (six mille ans environ) il a acquis, dans certaines
sociétés, la possibilité de lire et d’écrire.
L’équipement génétique de l’être humain comporte, entre autres fonctions
« supérieures », la fonction langage. Particularité biologique, la fonction langage
constitue chez l’être humain la possibilité intelligente d’accompagner, grâce à une
activité autonome, un acte cognitif ou un enchaînement d’actes cognitifs d’une
suite verbale porteuse de signification : l’énonciation orale ou écrite.
La capacité intellectuelle (incluant l’activité affective) de l’homme est d’une
complexité extrême. À partir de matériaux que puisent ses sens dans l’univers qui
l’entoure, chaque individu crée en permanence de nouvelles combinaisons, de
nouvelles mises en relation, générées par le fonctionnement de son cerveau, ou ce
qu’on appelle désormais plutôt son système nerveux central. Chacune de ces créa-
tions est originale et unique, le nombre en est donc potentiellement infini.

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Introduction

Les chercheurs des neurosciences et de la génétique apportent des informa-


tions scientifiques sur le fonctionnement du système nerveux central, tout en rap-
pelant constamment que leurs connaissances dans ce domaine sont encore
réduites, même si leurs travaux des vingt dernières années ont permis une avan-
cée notable.

Il n’est pas possible de développer dans ces pages cet aspect essentiel du
domaine abordé ici. Mais il est souhaitable que le lecteur puise le complément
indispensable dans les ouvrages des spécialistes. Un petit nombre de références
dans la bibliographie en fin de volume guidera un premier choix. On trouvera tou-
tefois ci-après quelques citations de « spécialistes » du cerveau, dont les propos
peuvent utilement alimenter notre réflexion sur l’apprendre. Il peut en effet paraî-
tre frustrant de constater que la nature exacte de l’activité cognitive reste encore
aussi mystérieuse. Il est cependant important d’accepter de ne pouvoir (provisoi-
rement ?) tout expliquer, tout comprendre du fonctionnement mental.

« Je prononce le mot “cerveau”. Cette action est l’aboutissement audible d’un processus
complexe qui inclut l’image mentale que j’ai de l’objet cerveau, la recherche du mot cor-
respondant dans mon lexique, l’utilisation de règles phonologiques et la mise en jeu des
muscles de mon tractus vocal pour produire les phonèmes qui le constituent. Enlevons
par l’imagination tous les mécanismes nerveux qui ont permis le déroulement de ces
opérations et qui font que le mot a finalement été prononcé. Que reste-t-il ? En d’autres
termes, qu’est-ce qu’une activité cognitive sans le cerveau qui, en définitive, la
fabrique ? Ces questions montrent bien l’intimité des relations qui unissent activité
cérébrale et cognition. Paradoxalement, pourtant, la connaissance que nous avons du
fonctionnement nerveux après un bon siècle de recherches ne nous éclaire encore que
très peu sur la nature de ces relations. »
M. Jeannerod, Le courrier du CNRS, 1992.

« On dit volontiers du cerveau qu’il est “complexe”. Cette difficulté à voir et à


comprendre ne peut que constituer un atout supplémentaire à la diversification des
approches de la recherche. La complexité n’est pas la complication 1. Si le cerveau n’était
que compliqué, il suffirait de la description précise de chacun des morceaux du puzzle
pour comprendre l’ensemble. Or, nulle description précise des cheminements d’ions à tra-
vers la membrane neuronale ne fournira une définition de la pensée, encore moins une
explication causale du phénomène; pas plus que les lois de la physique ou de la chimie ne
permettent à elles seules de comprendre les causes de la disparition des dinosaures.
La complexité est beaucoup moins simple que la complication. Pour chaque niveau d’in-
tégration, de l’ion au corps, du corps à la personne, elle implique de nouveaux outils, de
nouvelles questions, de nouvelles manières de formuler les réponses. Il y a dans le cer-
veau 15 à 20 milliards de cellules nerveuses, des centaines de milliards de cellules non
neuronales et des centaines de milliards de synapses. Nul n’oserait fournir des chiffres

1. Tout ce qui est souligné dans les citations l’est par moi, L.L.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

précis mais l’on sait que, même en s’en tenant au cas des neurones, il est impossible de
parvenir jamais à une description précise des interconnexions qui s’établissent lors des
actes de la vie courante. Ne serait-ce qu’en raison de l’extrême importance de la varia-
bilité individuelle dans ce domaine. »
M. Sicard, Le cerveau dans tous ses états, 1991, p. 12-13, introduction.

J.-P. Tassin, directeur de recherche à l’INSERM, répond à une question concer-


nant les grands champs actuels de questionnements sur le cerveau :

« Je crois que l’on ignore plus de choses que l’on en sait à propos [du cerveau]. Deux
questions me semblent très importantes. La première, fondamentale, concerne la
mémoire, car on ne sait pas du tout comment le cerveau parvient à stocker l’informa-
tion de façon aussi longue. Les modèles actuels ne permettent d’expliquer le maintien
de circuits privilégiés que pendant des périodes qui vont de quelques minutes à plusieurs
jours. Pour comprendre comment des souvenirs résistent plusieurs années, il faudra
probablement trouver d’autres mécanismes. »
Dans M. Sicard, 1991, p. 168.

Autre question : « Ne pensez-vous pas que la question : “Qu’est-ce qu’un acte


d’apprentissage ?” pourrait constituer une question fédératrice simple des domai-
nes impliqués dans le champ des sciences cognitives ? »
Réponse de Michel Imbert (directeur du Département des neurosciences de la
vision à l’Institut des neurosciences, CNRS-Université Paris V) :

« Il s’agit là d’une question très vaste. Tout dépend du niveau auquel on se place.
Lorsqu’il s’agit d’apprentissage, on peut aller jusqu’à s’intéresser aux mécanismes
cellulaires, ou même subcellulaires, impliqués dans l’apprentissage. Dans tout appren-
tissage, il faut qu’il y ait au niveau des cellules, au niveau des synapses, des modifi-
cations durables, qui s’expriment par exemple dans la force qui relie les éléments d’un
circuit. Cette démarche, qui consiste à descendre de plus en plus bas dans l’analyse, est
dite, souvent de façon péjorative, réductionniste ; elle caractérise en fait toute démarche
scientifique positive.
Mais c’est vrai que l’on peut également s’intéresser à l’apprentissage à un autre niveau,
beaucoup plus élevé : comment apprend-on à écrire, comment apprend-on à trouver son
chemin dans une ville nouvelle, etc. Le danger serait de penser que, parce que l’on a à
sa disposition quelques mécanismes cellulaires bien décrits et bien clairs, on va pouvoir
les appliquer immédiatement à des apprentissages complexes, du type “apprendre à
jouer du piano, apprendre à réciter un poème”. Voilà le réductionnisme dans sa forme
caricaturale.
C’est la forme de réductionnisme qu’on ne saurait admettre, qui consiste à dire : “On
va expliquer quelque chose de complexe en se contentant de décrire des éléments plus
simples”. L’explication n’est pas transitive. Ce n’est pas parce que vous connaîtriez
tous les atomes (ou des quarks, ou des neurones, ou des transmetteurs, etc.) que vous

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Introduction

comprendriez pour autant ce qui se passe dans votre cerveau lorsque vous identifiez
un visage familier. Ce n’est pas parce que vous savez que l’eau est composée d’oxygène
et d’hydrogène, que vous pouvez comprendre pourquoi elle désaltère, pourquoi elle
glisse sur une surface lisse… Il y a des propriétés de l’ensemble qui ne sont pas la som-
me des propriétés des éléments constitutifs. Ceci est bien banal.
Je pense qu’à chaque niveau d’organisation, il doit y avoir une relative autonomie dans
les moyens d’investigation et dans les outils conceptuels, ainsi que dans le type d’expli-
cation qui est donné. Dès lors, je pense que le fait de connaître l’ensemble du système
nerveux et même de connaître le comportement de chacun des neurones particuliers
dans notre cerveau ne sera pas suffisant pour comprendre les comportements.
Même s’il était possible de connaître l’ensemble des mécanismes nerveux, ce qui n’est
sûrement pas possible, cela ne suffirait pas pour comprendre pourquoi ce soir j’ai envie
d’aller au cinéma. »
(ibid., p. 188-189).

Question : « Quels sont, selon vous, les grands domaines d’ignorance concer-
nant le fonctionnement du cerveau ? Quelles sont les questions actuelles qui vous
semblent les plus importantes ? »
Réponse d’Alain Prochiantz (directeur Unité de recherche associée CNRS-ENS
sur le développement et l’évolution du système nerveux à l’École normale supé-
rieure) :

« Certainement la morphogénèse, pour le cerveau comme pour les autres organes. La


mise en place de lignages cellulaires, la migration cellulaire, sont mal connues. On ne
comprend pas grand-chose non plus à la mort cellulaire qui est un phénomène massif
dans le cerveau. Nos connaissances en ce qui concerne l’établissement des connexions
restent très limitées. Quant à son fonctionnement ! » (ibid., p. 132).

Question : « Est-ce que l’inconscient ce n’est pas seulement de la mémoire et


du souvenir ? »
Réponse de J.-D. Vincent (professeur de physiologie et directeur de l’Unité de
neurologie intégrative de l’INSERM à Bordeaux) :

« Donner à l’inconscient une spécificité au sens où l’entend Freud, l’envisager comme une
espèce d’appareil psychique qui fonctionnerait sous l’instance consciente me paraît trop
simplificateur. Je crois qu’il faut laisser à l’inconscient tout ce qui n’est pas conscience,
c’est-à-dire le travail du cerveau quand il n’y a pas la conscience. La conscience repré-
sente finalement très peu de chose par rapport à toutes les activités du cerveau.
En général, lorsque je choisis, je ne me dis pas que je vais faire tel ou tel choix qui aura
telle ou telle conséquence. La plupart du temps, mon choix est déjà fait, bien avant que
la conscience intervienne. Mais dès que je le formule, que j’en ai une représentation,
j’en fais un phénomène de conscience. La conscience de la représentation se surajoute
donc à l’acte de choisir. » (Ibid., p. 214).

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Ces considérations sur le choix sont en particulier à prendre en compte lors-


qu’il s’agit de la création langagière chez tout locuteur.

« […] Le cerveau de l’homme est un immense réservoir de représentations, que l’indi-


vidu acquiert à la fois de la collectivité et de son expérience propre de sujet et qui vont être
structurées et organisées par l’imaginaire. » (Ibid., p. 221).

La fonction langage est une fonction mentale. Y a-t-il langage sans pensée ?
Y a-t-il pensée sans langage ? Interrogation des hommes depuis la nuit des temps,
interrogation sans réponse… Le point de vue adopté ici est que pensée (au sens le
plus large, englobant toute activité mentale et affective) et langage verbal (oral ou
écrit) sont indissociables.
Élément essentiel du patrimoine génétique humain, la fonction langage n’est
pourtant, du point de vue biologique, qu’une virtualité. La possibilité de penser-
parler ne peut être acquise que grâce à l’expérience procurée à l’individu par sa vie
dans une société humaine, pensante et parlante, quelle qu’elle soit. Innée la fonc-
tion, acquise la capacité. C’est pourquoi Henri Wallon a pu qualifier cette fonction
de « biologico-sociale ».
Remarque importante : cette fonction mentale propre à tous les humains peut
se réaliser dans des parlers innombrables, dont chacun est utilisé par un groupe de
personnes plus ou moins étendu. Ce qu’on nomme (souvent abusivement) langue
maternelle peut être n’importe lequel de ces parlers, à condition qu’il soit utilisé
par les personnes plus âgées que lui qui parlent au bébé depuis sa naissance. Ce
parler n’est donc pas obligatoirement une « grande langue ». Il peut s’agir aussi
bien d’un patois, d’un dialecte, d’un créole, d’une variante argotique, d’un sabir
(langage constitué d’emprunts), etc.
Le système cognitivo-langagier se met en fonctionnement en même temps que
l’enfant découvre le monde et qu’il se découvre lui-même, grâce à la médiation
verbalisée de ses adultes. L’enfant apprend à parler en apprenant à observer, à rai-
sonner, à réfléchir, à argumenter, à expliciter ce qu’il vit, ce qu’il expérimente, ce
qu’il ressent, ce qu’il pense. Il apprend à verbaliser la signification.
Il importe de souligner ici que cet apprendre – qui est fondamental pour tout le
devenir de l’individu, on le sait – se réalise sans que l’apprenant en prenne cons-
cience, sans qu’il y ait à proprement parler de « leçons » de pensée ou de langage.
Lorsqu’on apprend une langue étrangère au contraire, il arrive qu’il y ait réflexion
consciente sur la verbalisation, l’apprenant recourant parfois à une traduction de sa
langue maternelle ou à des comparaisons entre les deux langues. Tel n’est pas le cas
pour le premier apprentissage du langage et là réside l’une des difficultés majeures
de notre analyse du processus apprendre, des modalités de l’action de l’appreneur
et des caractéristiques de l’interaction langagière entre les deux interlocuteurs.

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 25

1
Le français parlé

P OUR ÉTUDIER LES PROCESSUS DE LA PREMIÈRE ACQUISITION DU LANGAGE,


il est nécessaire de définir clairement l’objet même de l’apprentissage auquel
va se livrer le débutant.
Il ne sera question ici que de l’acquisition du langage se réalisant dans la
langue française. Mais quelle langue française ? Il faudrait essayer de prendre
conscience des caractéristiques du français (des français ?) auquel est confronté
l’apprenti-parleur car – nous ne le répéterons jamais assez – celui qui apprend
n’invente rien, il ne peut que travailler les productions langagières des locuteurs
qui lui parlent.
L’état actuel des connaissances ne permet pas de prendre en compte ce qui
serait une description (sinon une grammaire) du « français tel qu’on le parle ». Il
convient toutefois de ne pas négliger ce que l’on sait du français parlé ni surtout
les recherches actuelles qui le concernent (voir la bibliographie, notamment
C.B. Benveniste).
En effet, il est fréquent de voir attribuer à l’enfant des particularités langagières
– baptisées « fautes » – qui en réalité sont d’un usage courant chez tous les fran-
cophones dans certains contextes, comme le montrent amplement les travaux des
spécialistes et aussi une écoute attentive des conversations de nos contemporains.
Quelques exemples :

moi, je vais à l’école

Cette reprise du pronom sujet de première personne est souvent interprétée


comme révélateur de ce qui serait l’« égocentrisme » du jeune enfant. L’écoute
d’un entretien quelconque entre adultes francophones montrera rapidement que
ce double sujet est d’un emploi extrêmement fréquent, sans pour autant devoir
être interprété comme l’expression d’un « narcissisme » du locuteur.

mes frères, i(ls) veulent pas me prêter leurs camions

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Cet énoncé contient trois « entorses » aux règles de l’écrit, phénomènes cou-
rants dans le parlé de tout francophone :
1. Reprise du sujet « mes frères » par le pronom de troisième personne du plu-
riel.
2. Prononciation de i pour ils.
3. Négation exprimée par pas et non par ne pas.
Un exemple entre mille, pris au vol dans les propos d’une institutrice d’école
maternelle adressés à l’ensemble des enfants de sa classe :

Simon, i(l) veut peindre mais, vous savez, les mamans elles vont bientôt arriver, on va
pas commencer à peindre maintenant.

Nous retrouvons les « entorses » signalées plus haut, en y ajoutant le on uti-


lisé comme pronom personnel première personne du pluriel qui – n’en déplaise
aux puristes – sont courantes dans le français parlé de tout un chacun, quelle que
soit sa culture.
Ces usages ne sont pas à rejeter, mais ils ne sont pas non plus à ériger en
règles. Il faut seulement admettre que tout locuteur « compétent » dispose de
diverses variantes, parmi lesquelles il choisit suivant ses besoins, qui dépendent
de ses habitudes, de ses goûts, de ses humeurs et surtout du contexte (caracté-
ristiques de la situation et de son (ses) interlocuteur(s)).
Nous reviendrons plus longuement sur cet aspect fondamental au chapitre 3.
Citons seulement un exemple, également pris au vol dans les propos de la même
institutrice, au cours de consignes adressées collectivement aux enfants de sa
classe, qui montre que les « entorses » ont disparu :

Maintenant les filles marchent deux par deux et les garçons ne marchent pas deux par
deux, ils marchent un par un.

Un même locuteur construit des formulations différentes, pratiquant un choix


non conscient parmi les possibilités langagières dont il dispose, suivant ses besoins
adaptés au contexte.

Comment parlons-nous ?
Qui que nous soyons, quelle que soit notre formation, avons-nous conscience
des caractéristiques du français que nous parlons ?
La réponse est sans risque d’erreur : non, mis à part quelques linguistes et
quelques personnes qui ont été amenées à s’entendre parler, grâce à des conver-
sations familières enregistrées au magnétophone, réécoutées et analysées.

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Le français parlé

Certes, nous ne croyons pas « parler comme des livres » toujours et en toutes cir-
constances mais nous ne sommes pas conscients de nous exprimer fréquemment
dans des formulations qualifiées par les spécialistes qui les analysent d’agrammati-
cales, de désyntaxisées, disloquées, ou simplement présentant des configurations
propres à l’oral et que nous n’utiliserions en aucun cas à l’écrit.
Il y a, en général, une différence notable entre la représentation que se fait un
francophone de la langue qu’il parle et la langue qu’il parle réellement (on excep-
tera nombre d’Africains francophones qui, eux, parlent constamment une langue
normée).
On pourrait citer d’innombrables exemples pris sur le vif. Je n’en choisirai que
quelques-uns, laissant au lecteur le soin d’en collecter d’autres ou d’en glaner
dans les ouvrages spécialisés, notamment dans ceux qui figurent en bibliographie.
Toute honte bue, je commencerai par me citer moi-même. Avant de commencer
les enregistrements destinés à mes recherches, voulant expérimenter mon pre-
mier magnétophone, je le mis en route au cours d’un repas familial. L’écoute qui
suivit fut cruelle ! Je m’entendis dire :

(au moment du dessert, où circulait la corbeille de fruits)


– Moi pomme non
(puis, au cours de la conversation à bâtons rompus)
– Tout de même les bébés un peu de fièvre c’est souvent
et
– I(l)s ont pas fleuri les boutons hein aux iris

Sans commentaire !
Exemples relevés au cours d’émissions de radio ou de télévision :

• Un musicologue, au sujet d’un guitariste et de son coéquipier :


– ils ont fait des tournées à partir de 52 tous les deux européennes
• Un universitaire :
– C’est le cas du Centre de la Recherche par exemple Scientifique
– Quand j’ai entendu l’orateur précédent jusqu’où il allait j’ai dit ça va
• Quelques formulations, notées au cours de conversations de francophones, tous
titulaires de diplômes universitaires élevés :
– Pas intéressant ce livre
– Mon oncle ? un célibataire endurci
– En vacances elles sont toutes les deux
– Trois fois par jour ils se baignaient
– Lui à la campagne il va aller

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

– Hier pas moyen de travailler


– J’en ai une de casquette
– Même pas la soupe elle a mangé
– Ma voisine son père son jardin eh ben pas un légume
etc.

L’étude du français parlé prend en compte, plutôt que des règles, l’usage que
font de leur langue les francophones.
Le français est une langue vivante, c’est dire que ceux qui le parlent et l’écri-
vent lui donnent vie, donc le font changer. Sans traiter ici la considérable problé-
matique de ce changement (dont on ne sait que rarement l’origine : les acteurs en
sont-ils les enfants, les jeunes, les médias… ?), donnons quelques exemples de
l’évolution syntaxique ou lexicale de notre français.
• La négation, à l’oral, s’exprime de plus en plus souvent par le seul élément
pas, et ce quel que soit le degré de culture du locuteur, de l’illettré à l’académicien
(mais oui ! vous pouvez vérifier vous-même, en ouvrant vos oreilles).
À noter que l’histoire de la langue nous montre qu’il n’y a pas si longtemps
l’expression de la négation en français écrit ne comportait que l’élément ne.
• La forme interrogative est de plus en plus fréquemment exprimée par la seule
intonation, sans inversion du verbe et du sujet. Exemples : Tu viens ? Vous voulez
manger ? etc. Le complément se transforme également : que veulent-ils ? devient ils
veulent quoi ? etc.
• Il y a une raréfaction de l’utilisation orale du passé simple, à l’exception de
certaines régions ou de certains récits.
• On constate une quasi-disparition de l’emploi oral (et même, pour beaucoup,
à l’écrit) de l’imparfait du subjonctif.
• Il faudrait aussi évoquer les mots nouveaux, issus de l’évolution du monde et
notamment de la technologie ou du sport. Si nos ancêtres revenaient, comment
comprendraient-ils les mots chaîne, cassette, fusée, les verbes assurer, se planter,
gonfler, jeter, sucrer, galérer ou les innombrables troncations du type « p’tit déj »,
« 5 heures du mat », « appart », « intro », « instit », « info », « compile », « perso »…
• Raréfaction également de l’emploi des relatifs dont et lequel, ce dernier par-
ticulièrement malmené par tout un chacun et très souvent mal accordé. Exemples :

L’histoire auquel se réfère l’auteur (un écrivain au cours d’un entretien radiophonique)
La femme duquel il s’était séparé (journaliste, informations radiophoniques)
Une langue dans lequel les plus grands chants ont été composés (un ministre de
l’Éducation nationale, au cours d’un entretien télévisé).

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Le français parlé

• De nombreuses expressions changent de sens au cours du temps. Un exemple :


Lorsqu’on parlait autrefois (il n’y a pas si longtemps) d’un objet très coûteux,
on disait qu’il coûtait les yeux de la tête, il coûte maintenant la peau du dos (ou
des fesses, ou du cul !).
On pourrait écrire des volumes sur les changements de la langue, ainsi que sur
les « modes verbales » : au niveau de (employé à tort et à travers), bon ou disons
ou je dirais ou comment dire, ou en fait, remplaçant le n’est-ce pas des orateurs
d’antan… tous les mots emphatiques comme super, géant, génial… ou péjoratifs
comme glauque ou nul…
Les linguistes spécialisés dans l’étude du français parlé, et – d’une autre façon
– les linguistes de l’énonciation étudient ce fonctionnement de la langue, consi-
déré comme non standard. N’est-il pas finalement « standard » si les francopho-
nes, dans leur plus grand nombre, l’utilisent ? Ce que l’on peut affirmer, bien
entendu, c’est qu’il ne s’agit pas de français communément accepté à l’écrit.
Contrairement à ce que certains affirment, il ne peut être question d’un quel-
conque code oral, qui serait opposé à un code écrit, puisque les recherches
concernant le français parlé (syntaxe, morphosyntaxe, lexique, énonciation, sans
parler de l’intonation) sont très loin d’analyses et de descriptions susceptibles
d’aboutir à une codification, à une grammaire.
Quant au français écrit, s’il obéit à un certain nombre de règles, il reste infini-
ment varié et variable, suivant les styles choisis et la personnalité du scripteur. Il
ne répond pas non plus à ce qu’on peut appeler un code.
Nous verrons plus loin que la conception adoptée ici est celle d’une absence
d’opposition entre les variantes du français oral et les variantes du français écrit,
écartant de ce fait toute rupture entre les différentes variantes de la langue, et
donc dans leur apprentissage.

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2
Comment étudier l’apprendre
à penser – parler ?

A PRÈS LES TRAVAUX DE QUELQUES « PRÉCURSEURS » DE LA FIN DU SIÈCLE


dernier et du début de ce siècle 1, l’étude de la première acquisition du langa-
ge par l’enfant est à présent menée à travers le monde depuis plus d’un quart de
siècle par de nombreux chercheurs : psychologues, psycholinguistes, psychana-
lystes, généticiens, neurobiologistes, anthropologues, cognitivistes, sociolinguis-
tes, linguistes.
Courants de pensée, théories du langage, théories de l’apprentissage, et
même conceptions philosophiques ou métaphysiques diffèrent, voire divergent.
Variées aussi les méthodes d’observation, de recueil des données, d’analyse des
faits réunis.
Il paraît donc nécessaire d’évoquer sommairement les méthodes de travail
mises au point et les vues théoriques prises en compte, au fil des années, pour les
recherches qui aboutissent aux propositions du présent ouvrage. Il s’agit de
travaux en linguistique de l’acquisition, « linguistique de terrain » (donc science
expérimentale).

Historique des travaux


Une double question m’était posée, lorsqu’en 1969 j’ai pu me consacrer « à
plein temps » à des recherches concernant l’acquisition du langage (voir L. Lentin,
1971, 1975) :
1. Est-il possible de faire progresser la connaissance du processus d’acquisi-
tion du langage par l’enfant ?
2. Peut-on déceler des causes, extérieures au sujet lui-même, qui provoquent
les importantes différences de fonctionnement langagier que l’on constate
entre les apprenants, dont l’une des conséquences est l’échec scolaire dès
l’apprentissage de la lecture ?

1. Cf. J.M.O. Delefosse, Sur le langage de l’enfant. Choix de textes, L’Harmattan, 2009.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

La problématique était vaste et il n’existait à l’époque que très peu de travaux


proposant des méthodes d’investigation, du moins pouvant convenir à mon projet.
D’emblée étaient écartés les tests ou les questionnaires standardisés suppo-
sant des réponses attendues, la « bonne » et la « mauvaise » et visant à dégager
des normes de développement.
Observer, en vue de les comprendre ou au moins de tenter de les analyser, les
phénomènes en jeu dans un langage en voie d’acquisition supposait, à mes yeux,
une récolte de données en contexte authentique de production langagière, dans
des situations de vie quotidienne, au cours de conversations familières.
Un choix s’imposait : la méthode dite du corpus, qui n’avait été utilisée que par
quelques rares chercheurs. Elle était généralement peu appréciée et même parfois
sévèrement critiquée. De nombreux chercheurs de l’époque, en linguistique ou en
linguistique appliquée, estimaient impossible un travail scientifique portant sur un
recueil d’échanges langagiers authentiques, en situation. N’étaient rigoureuses, à
leurs yeux, que les analyses d’exemples pris dans les productions verbales du
chercheur lui-même, ou dans des constructions fabriquées pour la démonstration.
La méthode du corpus, maintenant réhabilitée, consiste à recueillir un maxi-
mum de productions langagières au cours de dialogues coutumiers, pour ensuite,
après transcription (s’il s’agit d’enregistrements au magnétophone), choisir les
faits à observer (les observables) et mettre au point des procédures d’analyse
adaptées.
Dès le début, une décision a été prise (qui à l’époque constituait une originalité) :
l’enregistrement, la transcription, l’analyse, concerneraient obligatoirement non
seulement les énoncés de l’enfant mais aussi les énoncés de l’adulte.
Une des hypothèses de départ était que l’enfant ne peut apprendre à penser-
parler que grâce au parler qu’il reçoit de ses interlocuteurs. Il paraissait donc
inadéquat de limiter des investigations aux seules productions langagières de
l’enfant (ce qui était – et est encore malheureusement – trop souvent la pratique
des chercheurs du domaine).
Les dialogues entre un adulte et un enfant étaient recueillis dans des contex-
tes variés, dans des situations quotidiennes. Deux remarques au sujet du corpus
ainsi établi :
1. N’avoir pas rencontré une occurrence d’un mot, d’une forme, d’une construc-
tion, etc. n’implique pas nécessairement que l’élément en cause n’appar-
tient pas au système langagier du sujet.
2. À ne pas respecter la remarque 1, on risque de sous-estimer le système lan-
gagier. Mais le risque symétrique existe : attribuer au système langagier de
l’apprenant un élément qui n’est pas encore en fonctionnement permanent,
sur la foi d’une seule occurrence rencontrée dans un corpus.

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Comment étudier l’apprendre à penser – parler ?

Exemple :
L. (2 ans 8 mois) dit :
moi j’ai une copine qui joue aux billes
Cet emploi du qui relatif apparaît isolé dans un corpus assez abondant de la même
époque ; de nombreux énoncés tels que :
moi j’ai vu un chien il avait pas d(e) queue
montrent que l’usage du qui relatif ne fait pas encore partie de façon stable du sys-
tème de production langagière de L.

La conséquence commune à ces deux remarques est que l’analyse interne des
corpus doit être complétée par un appel à de nouveaux échanges langagiers chaque
fois qu’apparaît un point litigieux relativement au système langagier du sujet.

La récolte
Il fallait donc entreprendre une récolte, la plus abondante possible, de langage
de jeunes enfants. À l’époque, l’usage du magnétophone commençait seulement
à se répandre et mon équipement était des plus rudimentaires. Mais il ne pouvait
être question de se passer de ce moyen extraordinaire de disposer de documents
plus fiables que des notes et exploitables à l’infini.
Les enregistrements ont été et sont toujours accompagnés de notes écrites,
compléments indispensables portant sur leur contexte : situation, événements
non perceptibles dans l’enregistrement, toutes informations sur le sujet enregis-
tré, ses relations avec son interlocuteur, les paramètres affectifs et émotionnels…
La pré-recherche porta sur une soixantaine d’enfants « tout-venants » entre 3
et 6 ans, enregistrés dans une école maternelle de la région parisienne. Les ensei-
gnantes, directrice en tête, le personnel de service, le personnel spécialisé,
accueillirent le projet avec générosité, en dépit des inévitables perturbations
causées par un travail qui faisait irruption dans la vie quotidienne de l’école. Leur
aide ne s’est jamais démentie et je leur en garde une profonde gratitude.
Les échanges au jour le jour avec des praticiens de terrain, qui accompagnent
le chercheur et participent à sa réflexion, sont l’une des essentielles garanties de
la qualité d’un tel travail de recherche 2.

Que chercher ?
Le corpus récolté était considérable : la soixantaine d’enfants avaient été enre-
gistrés au cours de dialogues avec des adultes pendant toute une année scolaire,
pour certains plusieurs fois, au cours de séances de quinze à trente minutes.

2. On lira avec profit sur ce sujet : E. Canut, Apprentissage du langage oral et accès à l’écrit.
Travailler avec un chercheur dans l’école, 2006, SCEREN CRDP d’Amiens.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

La transcription effectuée sur cette première récolte de langage enfantin et de


langage adressé par des adultes à des enfants a nécessité la mise au point d’une
méthode de travail, élaborée et modifiée en fonction des difficultés rencontrées.
La description de la méthode adoptée figure en annexe (conventions de trans-
cription).
Embrasser toute l’acquisition du langage n’est pas possible. Toutefois aucun
choix a priori n’avait précédé ce premier recueil de données quant au domaine pré-
cis à explorer plus particulièrement.
Il s’agissait donc, dans un premier temps, de déterminer ce qui apparaîtrait
comme central et en conséquence permettrait de formuler des hypothèses ou
même des réponses aux questions posées.
Une première exploitation du corpus a porté sur le recensement du vocabulaire
de chaque enfant. Pourrait-on déceler des différences dans la maîtrise du langage
à partir du trésor lexical dont dispose chaque enfant ? Le résultat a été négatif. La
comparaison d’enfants donnant l’impression de « parler bien » avec des enfants
donnant l’impression de « parler mal », portant sur un décompte du vocabulaire
attesté dans le corpus, révélait un nombre sensiblement égal de « mots » connus.
Les « mots » des uns n’étaient pas nécessairement les « mots » des autres :
chacun dispose du vocabulaire que lui apporte sa propre expérience, verbalisée
par ceux qui l’entourent 3.
Un autre dépouillement a eu pour objet l’observation de l’emploi des marques
grammaticales : masculin-féminin, singulier-pluriel, conjugaison des verbes, etc.
Là non plus, aucune différence significative n’apparaissait entre les enfants.
Chez les uns, aussi bien que chez les autres, on pouvait entendre :

(1) j’ai (ou j’es) tombé (= je suis tombé)


(2) ils sontaient (= ils étaient)
(3) je va (ou je vas) (= je vais) dans la cuisine
(4) ma sœur i (= elle) viendait (= venait) avec moi
(5) les autres i (= ils) veut (= veulent) pas sortir

(1) Se comprend facilement, puisque l’enfant entend souvent ses interlocuteurs lui dire
« tu es tombé » (ou même « t (u) es tombé ») et que, de plus, beaucoup de passés
composés se conjuguent avec l’auxiliaire avoir (ex. j’ai sauté).

3. Voir à ce sujet, en fin de volume : L. Lentin, Problématique de l’acquisition du lexique par l’en-
fant tout-venant depuis la naissance.

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Comment étudier l’apprendre à penser – parler ?

(2) L’imparfait du verbe être est ici formé à partir du modèle des verbes du premier
groupe (ils sautent/ils sautaient ; ils sont/ils sontaient).
(3) Aller, verbe irrégulier, est conjugué comme un verbe régulier (je parle, tu parles ; je
va, tu vas).
(4) Les enfants emploient souvent il pour elle. On remarquera qu’au pluriel, en fran-
çais, le masculin l’emporte toujours, que ce soit pour les pronoms ou pour les adjec-
tifs ; l’imparfait du verbe venir semble ici formé à partir du présent vient.
(5) Il n’y a pas d’accord du verbe avec le sujet pluriel. Songeons que, à l’oreille, on
n’entend pas de différence entre il mange et ils mangent, d’où la fausse hypothèse de
l’enfant.

Les incorrections de ce type sont souvent décrites comme des « fautes intelli-
gentes » de l’apprenant. Notons qu’il est généralement tout à fait illusoire de vou-
loir les corriger. Elles disparaissent peu à peu, à mesure que l’apprenant acquiert
l’intuition de la langue, à travers une expérience verbale riche et diversifiée en
réception et en production. Cette évolution se réalise inconsciemment dans le
fonctionnement langagier de l’apprenant, qui ne pourra raisonner que bien plus
tard sur les marques grammaticales.
Linguiste et aussi ancienne enseignante formée aux conceptions « classiques »
de l’enseignement du français, j’ai poursuivi méthodiquement l’examen de l’emploi
par les enfants des différents éléments du discours : prépositions, conjonctions de
coordination et de subordination, pronoms, adverbes, adjectifs, substantifs, verbes
(les temps, les modes, les formes aspectuelles, les voix active et passive), puis la
négation, l’interrogation, etc. Ce n’est que lorsque j’en suis arrivée à comparer
la configuration syntaxique des énoncés que j’ai été frappée par les différences
entre les enfants.
Les uns (les « bons » parleurs) utilisaient un système syntaxique au fonction-
nement varié et complexe : énoncés souvent longs, articulés en deux ou plusieurs
séquences, impliquant des subordinations juxtaposées ou enchâssées. Toutes
formulations qui soutiennent à la fois le raisonnement, l’argumentation, l’explici-
tation de la pensée.
Les autres (les « mauvais » parleurs) présentaient un système syntaxique au
fonctionnement infiniment moins varié : énoncés souvent brefs, rarement articulés
en deux ou plusieurs séquences. Peu de subordination, pratiquement aucun
enchâssement. Conséquence : les formulations pouvaient le plus souvent être
qualifiées d’implicites par rapport à la pensée à verbaliser.
Voici, à titre d’exemple, une comparaison des verbalisations de deux enfants
(N. et R.) de 4 ans 2 mois, pris individuellement dans une même situation :
l’observation d’une diapositive dans une visionneuse (l’image n’est donc pas
visible par l’adulte (A.) qui en demande la description)

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

(1) A. – Tu me dis ce que tu vois ?


N. – e(lle) tombe
A. – Qui ?
N. – la fille
A. – Pourquoi ?
N. – la pierre
A. – Quelle pierre ?
N. – la pierre la pierre qu(i) est par terre
A. – La fille tombe sur une pierre ?
N. – oui e(lle) court vite

(2) A. – Tu me dis ce que tu vois ?


R. – oui je vois une fille qui tombe sur une pierre pa(r)ce qu’elle la voit pas en cou-
rant trop vite

Comparer ces deux énonciations verbales ne nécessite pas de longs commentai-


res. Il va de soi que si le fonctionnement (cognitivo-affectivo) langagier de N. ne pro-
gresse pas vers la maîtrise d’une combinatoire variée des articulations syntaxiques
de la langue, cette enfant aura de grandes difficultés à expliciter sa pensée et souf-
frira de ne pouvoir choisir dans chaque situation, pour chaque interlocuteur, la
formulation, la variante langagière adaptée.
Le choix s’imposait : il fallait examiner comment l’apprenti-parleur parvient à
une maîtrise autonome du système syntaxique de la langue, indispensable à son
avenir d’apprenti lecteur-scripteur, en même temps qu’au développement de son
activité cognitive.
Après une étude des longueurs d’énoncés (mesurées en « mots ») qui ne sera
pas développée ici, les investigations se sont alors orientées vers une exploitation
du corpus recueilli en vue d’un relevé des articulations syntaxiques du discours
pouvant être utilisées par des enfants en voie d’acquisition du langage jusqu’à 6 ou
7 ans.
J’ai donc pu établir une liste, à partir des occurrences rencontrées dans cette
étude, de ce que j’ai appelé (à la suite de M. Gross) les introducteurs de complexité.
On trouvera cette liste en annexe. Elle est établie suivant l’ordre alphabétique. En
effet, ni au cours de cette première recherche, ni au cours des vingt-cinq années qui
ont suivi, il n’a été constaté chez les apprenants un ordre fixe d’apparition de ces
éléments de fonctionnement de la syntaxe. Ce fait ne saurait nous surprendre,
puisque chaque enfant choisit à sa façon l’utilisation de ce que lui proposent ses
interlocuteurs et que ces propositions sont variables qualitativement et quantitati-
vement suivant les habitudes langagières de ces interlocuteurs.

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Comment étudier l’apprendre à penser – parler ?

On notera que, pour la plupart, les apprenants utilisent ces introducteurs de


complexité à un âge qui varie entre 2 et 6-7 ans. Les disparités viennent de la fré-
quence d’utilisation, de la disponibilité à l’emploi, de la possibilité de combinatoire
de ces éléments.

La « complexité maxima »
Il est ensuite apparu intéressant de rechercher, pour chaque apprenant étudié,
l’énoncé (ou les énoncés) présentant une complexité maxima, c’est-à-dire compor-
tant le maximum de complexité syntaxique selon les critères adoptés.
Ce paramètre permet de comparer les apprenants entre eux et surtout chaque
apprenant à lui-même, dans une observation diachronique. On aperçoit déjà l’inté-
rêt du suivi de cette évolution pour accompagner activement les progrès de l’enfant.
Quelques complexités maxima du corpus recueilli
Les exemples qui suivent donnent un aperçu des disparités pouvant exister
entre enfants du même âge.

(1) J.-P. (3 ans 11 mois) :


– et p(u)is quand maman e(lle) veut pas eh ben eh ben j(e) peux pas (sous-entendu :
aller chez ma mamie)
(2) M. (3 ans 9 mois) :
– j’ai pas mis mon gros col roulé i fait chaud
(3) L. (3 ans 11 mois) :
– i (l) veut pas Titou i(l) veut pas pa(r)ce que i(l) veut pas
(4) A.-M. (3 ans 10 mois) :
– oui Martine elle est pas là elle est malade
(5) N. (3 ans 10 mois) :
– Pierre a dit à ma maman que Martine e(lle) viendra à l’école quand elle a(u)ra p(l)us
les oreillons si le docteur il a dit oui
(6) K. (3 ans 9 mois) :
– le papa eh ben i(l) prendait le ballon et p(u)is i(l) le faisait rouler fort pa(r)ce que il
était en colère c’est vrai !
(7) B. (3 ans 9 mois) :
– et la grosse vache elle a mangé le gros bouquet que le garçon il a fait pour sa maman
pa(r)ce que la vache elle avait faim et le garçon i(l) pleure pa(r)ce que il a plus son bouquet
(8) M. (3 ans 7 mois) :
– ma maman e(lle) veut pas qu(e) j(e) mets le pull que ma mamie elle a tricoté pa(r)ce
que quand j(e) mange à la cantine eh ben souvent je/je/j(e) fais une tache

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Il est clair que les exemples (5) à (8) révèlent le fonctionnement d’un système
syntaxique permettant au locuteur une verbalisation explicite. À l’opposé, les
exemples (1) à (4) sont l’illustration d’un système syntaxique qui restreint le locu-
teur non seulement à une verbalisation brève mais surtout à un caractère implici-
te qui ne permet guère qu’une transmission d’information réduite.
Toutefois, du point de vue cognitif, il n’y a pas à émettre de jugement de valeur
qui désignerait les enfants J.-P., M., L., A.-M. comme sujets « moins intelligents »
que N., K., B., M. Qui pourrait en effet prouver, par exemple, que l’énoncé (4) tra-
duit un raisonnement moins élaboré que l’énoncé (5) ?
En revanche, il est certain que si les quatre premiers apprenants ne parvien-
nent pas à disposer des moyens langagiers qu’attestent les énoncés des quatre
derniers, ils rencontreront de plus en plus de difficultés, non seulement dans leurs
verbalisations, mais aussi pour leurs apprentissages, notamment du lire-écrire.
Voyons maintenant l’évolution des complexités maxima de deux apprenants
suivis de 3 ans 8 mois à 4 ans 11 mois : N. et L 4.

• 3 ans 8 mois
N. – on dort quand i(ls) mangent Papa et Maman
– c’est Papa qui préfère
L. – y a des voitures c’est pour jouer
• 4 ans 1 mois
N. – non i(l) peut pas dormir pa(r)ce que il entend le petit chat
– c’est le petit ours qui dit que c’est lui qui a cassé le pot de miel
L. – il entend Riquiqui qui pleure
– on dirait qu(e) c’est un ballon là
• 4 ans 2 mois
N. – maintenant faut que je mette le tracteur à côté d(e) moi sinon j(e) peux pas l(e)
voir/j(e) peux met(tre) les pieds par terre quand j’ai une grande chaise
L. – ben quand tu tombes on te donne des micaments (= médicaments)
• 4 ans 5 mois
N. – y a Zouzou qui parle e(lle) dit que le ballon est tombé dans le puits– il a mangé les
petits enfants pa(r)ce que il croyait que y avait une maison/le petit Poucet était monté
dans l’arbre il avait vu que y avait une petite lumière et puis i(l) croyait et puis i(l) croyait
que c’était la maison de papa et maman et puis c’était la maison de l’ogre et puis la
femme de l’ogre elle a dit la dame/mets vite tes bottes de cuir et p(u)is courez vite dans
la maison et cachez-vous et p(u)is dépêchez-vous
L. – là y a un ballon qu(i) est tout au fond de l’eau
– comment va faire pour ressortir ?

4. Cet exemple est extrait de Lentin L. « Recherche sur l’acquisition des structures syntaxiques
chez l’enfant entre 3 et 7 ans », in Études de Linguistique Appliquée, n° 4 (Larousse), p. 44-45.

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Comment étudier l’apprendre à penser – parler ?

• 4 ans 11 mois
N. – elle dit que si on fait toujours des nœuds peut pas les défaire/c’est pour ça alors
elle veut plus qu’on les mette les habits/mais les habits d(e) cow-boys on peut les
mettre pa(r)ce que ç(a) a pas de capes
– c’est quelqu’un qui était plus grand qu(e) lui qui avait dix ans qui lui a donné un coup
de pied ici et p(u)is qui lui a fait une cicatrice et après la maman téléphone au docteur
pa (r) ce que i (l) faut bien qu’il aille à l’école pa(r)ce que si i(l) va pas à l’école i(l) peut
pas jouer avec ses petits amis
– on dit qu(e) c’est une pièce pa(r)ce que si c’est rond et p(u)is y a pas d(e) trou on dit
qu(e) c’est une pièce et p(u)is on donne
L. – la deuxième c’est celle qui grimpe
– i(l) demande très vite de l(e) soigner

Pendant cette période de 3 ans 8 mois à 4 ans 11 mois, les deux enfants N. et
L. n’ont bénéficié de notre part d’aucun entraînement au langage particulier. Leurs
productions langagières montrent qu’ils ne progressent pas de la même façon
dans leur maîtrise du système syntaxique de la langue. N. dispose peu à peu d’un
grand nombre d’introducteurs de complexité, il les utilise aisément, il les juxtapo-
se, il les emboîte (voir à ce sujet, en annexe, la partie méthodologique) suivant ses
besoins et il parvient à des énonciations étendues et explicites. L. ne produit que
des énoncés courts, peu explicites, dont les phrases sont souvent incomplètes et
n’utilisent que peu d’introducteurs de complexité.

À noter qu’après cette étude diachronique, nous avons pu travailler avec L. et


l’amener, grâce à une interaction adaptée, à disposer d’un système syntaxique
comparable à celui de N., même si son aisance verbale n’était néanmoins pas la
même. Ceci confirme l’hypothèse que L. n’avait pas reçu, de la part de ses interlo-
cuteurs habituels, l’approvisionnement nécessaire au développement de ses
capacités cognitivo-langagières.

Nous avons pu rencontrer les parents des deux enfants. Une conversation avec
chacun des deux couples a renforcé l’impression, déjà ressentie au cours de brefs
échanges antérieurs, d’habitudes langagières différentes, d’un statut du langage
différent dans chacune des deux familles.

Savoir parler
Il n’est sans doute pas possible de proposer une définition globale de ce qu’est
savoir parler. Il est néanmoins nécessaire de fixer un objectif au premier apprentis-
sage du langage si l’on veut à la fois analyser les processus d’acquisition et propo-
ser des modalités d’aide du formateur à l’apprenant. Les données recueillies ayant

39
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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

mis en lumière le rôle central du fonctionnement syntaxique, la définition du savoir


parler adoptée ici correspond à cet aspect spécifique de l’acquisition du langage :

Définition

L’enfant « sait parler » lorsqu’il maîtrise un fonctionnement syntaxique lui permet-


tant d’énoncer explicitement au moyen du seul langage une pensée ou un enchaî-
nement de pensées en ou hors situation 5.

Les articulations syntaxiques du discours nécessaires à ce savoir parler ont été


déterminées expérimentalement, comme décrit précédemment.
Il ne s’agit pas là, il faut le rappeler, d’un fonctionnement abstrait de la syntaxe
qui serait l’application formelle de règles, il s’agit bien de la syntaxe qui permet
d’agencer entre eux des éléments langagiers signifiants, grâce à un fonction-
nement inconscient.
On notera que l’expérience de vie, accompagnée de sa verbalisation (en récep-
tion et en production) permet à l’apprenant l’utilisation du langage verbal à l’inté-
rieur d’un champ de signification. Il va de soi que l’accès au sens suppose non
seulement l’acquisition d’un système syntaxique mais aussi celle d’un lexique
correspondant, ainsi que d’une certaine maîtrise de la prononciation et de la
prosodie de la langue.

5. Cette définition figure déjà dans L. Lentin, Apprendre à parler à l’enfant de moins de six ans,
Paris, ESF éditeur, 1972.

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3
Appprendre à penser – parler

L ES CHERCHEURS ONT DÉSORMAIS ÉTABLI QUE, DÈS SA NAISSANCE, L’ÊTRE


humain est un être pensant. Des observations scientifiques indiscutables ont
permis d’abandonner les descriptions représentant les bébés comme des êtres
sensori-moteurs dépourvus d’activité mentale et d’établir que, dès la naissance,
l’être humain est un être pensant.
S’agissant du penser-parler, on peut considérer que, dès les premiers instants
de sa vie, le bébé humain amorce son apprentissage. Les études neurologiques,
psychologiques, psychanalytiques montrent que la parole que lui adressent ceux
qui l’accueillent, ceux qui prennent soin de lui, installe le nouveau-né dans un
monde signifiant. Bien que, à l’évidence, il ne puisse pas comprendre le parler qui
lui est adressé, dès ce moment le nourrisson perçoit la communication qui se réali-
se entre lui et ceux qui s’occupent de lui. Il commence à se créer des repères à la
fois phoniques et cognitifs dans le parler qu’il reçoit. Son expérience au jour le jour
lui fournit des occasions répétées d’établir des correspondances entre une pro-
duction langagière qu’il perçoit, à sa façon, et un vécu d’ordre sensoriel, perceptif,
intellectuel, affectif ou des personnes, des choses, des événements ayant sens
pour lui. Cette correspondance, il tentera éventuellement de la produire, à sa
façon, une ou plusieurs fois.
Il convient, au début, non pas de guetter des « mots », même déformés, de notre
langue mais bien des éléments langagiers qu’utilisera le bébé et qui constitueront
un système le plus souvent éphémère et dont la caractéristique essentielle est que
nous risquons fort de ne pas pouvoir le saisir.

Un exemple
Richard, à 16 mois, désigne l’armoire de sa chambre par le « mot » [li] que les adultes
qui l’entourent interprètent comme le mot français lit et s’étonnent de la confusion que
fait l’enfant entre lit et armoire.
Au fil des mois, la transcription de nombreux enregistrements des dialogues de l’en-
fant avec les adultes révèle que [li] est pour Richard la prononciation de livre. En effet,
l’armoire abrite, entre autres, les livres de Richard, qui sont l’une de ses passions.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Il est fort probable que, sans l’étude suivie des dialogues de l’enfant avec son
entourage, il n’aurait pas été possible de comprendre la correspondance entre un
objet et un élément langagier (entre signifié et signifiant) que Richard avait établi,
« faussement » à nos yeux.
La contradiction est de taille : le seul parler que l’homme se révèle incapable
d’apprendre est celui de sa propre progéniture ! Ce qui tendrait à prouver qu’un
parler en cours d’apprentissage présente des caractéristiques propres à chaque
individu, et non reproductibles.
Les premières productions langagières du bébé sont, entre toutes, les plus
difficiles, non seulement à comprendre mais même à reconnaître. Le langage en
cours d’acquisition varie d’un individu à l’autre, et chez le même individu d’un
moment à l’autre ; et le jeune locuteur serait bien en peine de se transformer en
informateur pour un chercheur : inutile d’essayer de demander au bébé ce qu’il
veut dire en nous adressant des productions verbales telles que bababa, a-eu,
titi, mamao, agre, ou autres combinaisons.
Nos recherches visent à progresser dans la saisie de la toute première mise en
route de ce qu’on peut supposer être des systèmes successifs, même s’ils sont
rudimentaires et fugitifs. Alors que le nourrisson nous semble produire « lalla-
tions », « gazouillis », « babillages », l’hypothèse est que certains éléments de ces
émissions phoniques sont déjà des signes porteurs de sens, et non uniquement
des signaux, des associations conditionnées (cf. B.F. Skinner comme représentant
du behaviorisme), des activités sensori-motrices (cf. J. Piaget et les innombrables
auteurs qui l’ont suivi ou le suivent dans cette conception).
Quelles sont les traces que laisse une mise en relation établie par le bébé ? Ces
traces sont-elles le point de départ du système qu’il va construire pour apprendre
à penser-parler ou s’agit-il d’éléments isolés ? Cette capacité de mise en relation
est-elle de même nature que celle qui permet à l’enfant les mises en relation que
lui proposent les adultes ? Cette capacité a-t-elle quelque lien avec les universaux
(cf. ceux que cherche par exemple N. Chomsky, et bien d’autres à sa suite) ?

Quelques exemples
C., aux environs de 4 mois, dit gu gu gu (avec un [g] guttural) dès que quelque chose
lui déplaît. Tout au moins est-ce vers cette époque que sa mère a pu déceler cette mise
en relation, qui peut-être s’était produite antérieurement. Il n’a pas été possible
d’identifier cette émission à un élément pris dans le parler adulte.
F., 5 mois, salue d’un awa enthousiaste et bien scandé tout plaisir (arrivée d’une per-
sonne connue, offre d’un biscuit ou d’un jouet, câlineries, chants, etc.). Première inter-
prétation « glottocentrique » de l’entourage : pourquoi diable dit-il au revoir dans ces
situations ?

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Appprendre à penser – parler

On trouvera une explication grâce aux enregistrements au magnétophone pra-


tiqués depuis la naissance, à leur transcription et aux tentatives d’analyses des
productions du bébé en relation avec celles des adultes qui lui parlent. En effet, il
apparaît que, dans les situations génératrices de plaisir, le père ou la mère adres-
sent généralement au bébé un énoncé du genre : Regarde qui est-ce qui arrive,
François, écoute la jolie musique, François, viens faire un petit câlin, François. La
dernière syllabe de François est toujours prolongée, appuyée, selon une intona-
tion assez particulière, imitée à sa façon par le bébé (awa).
L’aspect intonatif de l’apprendre à parler constitue d’ailleurs une voie de
recherche importante, jusqu’alors explorée seulement par quelques chercheurs
(voir bibliographie, en particulier G. Konopczynski).
À des âges aussi précoces, et à plus forte raison chez des nourrissons encore
plus jeunes, ces correspondances significatives ne peuvent être décelées que rare-
ment « à l’œil nu ». L’hypothèse est que, le plus souvent, elles passent inaperçues,
surtout au tout début de la vie du bébé lorsqu’elles n’ont qu’une durée très limi-
tée qui n’offre pas aux adultes la possibilité d’accueillir et d’encourager ces pre-
miers essais à l’aide d’une activité énonciative multipliée.
Il est bien connu que les personnes soignant habituellement un bébé recon-
naissent ses cris-signaux et peuvent les interpréter parfois très finement. Certains
auteurs vont même assez loin dans l’estimation de l’intercompréhension extrême-
ment précoce entre l’enfant et l’adulte (F. Dolto par exemple). Nous n’évoquerons
pas les hypothèses et les expérimentations en cours sur la communication, avec
l’extérieur, du bébé in utero.
Ce qui est envisagé ici est autre : il s’agit d’une énonciation verbale signifiante
produite par le bébé grâce à la mise en œuvre de sa fonction langage, alors qu’il
n’est pas encore capable de la réaliser dans sa « langue maternelle ». L’hypothèse
est que cette activité du bébé est le commencement de son apprendre à parler.

Le « premier mot »
À quel âge votre enfant a-t-il dit son premier mot ? Cette question figure dans
la plupart des questionnaires que doivent remplir les jeunes parents dans les ser-
vices sociaux ou médicaux, à côté des demandes concernant les dates de double-
ment du poids de naissance, de la première dent, de la marche, des premières
maladies, etc.
Il va de soi que nul ne peut répondre à cette question. Le premier signifiant
véritable que se forge le bébé nous échappe sans doute toujours, comme nous
l’avons vu plus haut. Et s’il s’agit d’un mot « français », il faudrait alors que soit
demandé le premier signifiant qu’ont reconnu les adultes, encore que très souvent

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

le désir est si intense d’entendre « Papa » et « Maman » que les parents négligent
toute autre reconnaissance antérieure d’élément signifiant dans le parler du bébé !

A-re a-re…
Un phénomène concernant le nourrisson est à noter comme l’un des seuls
constatés massivement chez les bébés français. Très tôt, parfois avant 2 mois, le
bébé français produit des « a-re a-re » bien articulés et sonores, qui sont aussitôt
encouragés et repris par l’entourage attendri.
Jusque-là, rien de bien étonnant. Mais ce qui suit est inattendu : vers 6, 7,
8 mois (parfois un peu plus tôt, parfois un peu plus tard), ce « a-re » disparaît chez
la presque totalité des bébés et la capacité d’articuler le son [r] ne reparaît quel-
quefois que vers 6 ou même 7 ans (dans certains cas aussi dès 2 ans et demi ou
3 ans). Je n’ai jamais rencontré d’explication probante ni d’ordre articulatoire ni
d’aucune sorte sur ce donné phonique, que ce soit à propos des bébés français ou
à propos de bébés d’une autre ethnie.
Je voudrais revenir, en quelques mots, sur l’assertion souvent avancée qu’au
cours de ses premiers mois, le bébé prononcerait n’importe quel son, ou même les
sons de toutes les langues. Ceci est très exagéré et ne saurait évidemment être
vérifié. Il est certes indéniable que le nourrisson est apte à produire avec son
appareil phonatoire toutes sortes de sons et de « clics », en s’aidant de sa langue,
de ses lèvres, de sa salive… que nous autres adultes sommes bien en peine de
reproduire (et parfois de noter en transcription). Mais de là à affirmer qu’il produit
effectivement tous les sons…
D’ailleurs, si on tente d’établir un relevé de ces productions, on s’aperçoit
qu’elles varient d’un bébé à l’autre, même s’il y a de toute évidence des caracté-
ristiques communes. Ajoutons que le bébé abandonne progressivement une
grande partie de ces éléments phoniques, à mesure qu’il sélectionne les sons du
parler de ceux qui l’entourent et les utilise couramment.

Enquêter auprès des bébés


Ce qui précède souligne la position adoptée dans nos recherches : l’apprendre
à parler du bébé n’est pas un processus programmé à partir d’un dispositif inné
(par exemple celui que pose N. Chomsky) ou une construction dépendant des sta-
des obligés du développement cognitif, notamment en étroite correspondance
avec l’apparition et l’évolution de la fonction symbolique (J. Piaget).
L’homme parviendra-t-il à une explication définitive de l’activité langagière et
de son apprendre ? Nul ne peut répondre à cette question.

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Appprendre à penser – parler

S’agissant des bébés, les modalités de l’investigation sont particulièrement


délicates. Le souci permanent est de ne pas généraliser abusivement en identifiant
à des phénomènes génétiques la spécificité de l’apprendre chez un enfant, unique
par définition.
La méthodologie mise en œuvre pour observer les débuts du langage chez les
bébés nous interdit jusqu’à présent le grand nombre. Il ne saurait être question de
concevoir des expérimentations dans l’esprit de celles qui permettent d’observer
et d’interpréter chez le nouveau-né les activités perceptives ou sensori-motrices,
la communication gestuelle avec les adultes, l’interaction avec les personnes de
l’entourage. De nombreuses expérimentations, depuis une quinzaine d’années,
tendent par exemple à montrer que, très tôt, le nourrisson atteste à sa façon (suc-
cion renforcée, diverses manifestations d’attention) qu’il distingue [p] et [b] ou
encore la langue dont il a l’habitude en opposition à une autre langue, qu’il est
sensible à l’intonation du discours qui lui est adressé.
Il s’agit, pour le moment, de monographies qui permettent de suivre diachro-
niquement l’apparition de l’activité langagière chez un sujet. Le matériau recueilli
rend possibles des études comparatives, mais il convient de souligner que cette
méthode de travail est extraordinairement coûteuse en temps et en travail et que
son application est hérissée de difficultés de toutes sortes. Pour n’en citer qu’une :
un bébé ne gazouille pas sur commande et rarement à heures fixes, et il semble
souvent prendre un malin plaisir à rester obstinément muet dès qu’on branche un
magnétophone, ou à réaliser son plus bel exploit verbal au moment où il est tout
à fait impossible de l’enregistrer…
L’exploitation d’enregistrements ou de notes sur le langage en général, et à
plus forte raison lorsqu’il s’agit de bébés et de jeunes enfants, n’est efficace qu’en
présence du plus grand nombre possible d’informations sur le contexte verbal, ou
non verbal, de l’énonciation.
Observer un jeune enfant de façon prolongée en milieu institutionnel (maternité,
crèche, pouponnière…) soulève des obstacles en série ; en outre, il n’est pas toujours
possible d’y obtenir une continuité dans les informations sur le bébé (changements
d’établissement, succession du personnel…). Observer un enfant dans le milieu
familial n’est guère envisageable pour tout autre qu’une personne vivant au foyer,
une présence quasi permanente étant indispensable. Il faut surtout être assuré
d’une « mémoire » de tout ce qui concerne le bébé et la vie qui l’entoure, afin de
réduire autant que possible les erreurs dans la consignation des données.
Intervient enfin une dimension déontologique : dans la mesure où nous tra-
vaillons toujours sur les « énonciations » du bébé en liaison avec celles des adultes
qui lui parlent, il faut bien se rendre à l’évidence : celui qui travaille sur ce corpus
pénètre dans l’intimité du bébé et des siens, ce qui ne va pas toujours sans gêne.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Pourtant ces documents sont irremplaçables pour que le chercheur avance (à


petits pas) dans son investigation, et conserve la prudence et l’humilité indispen-
sables. Ce mode de travail préserve notamment de l’incroyable audace de certains
spécialistes (auxquels aussitôt une cohorte de non-spécialistes emboîtent le pas,
cela va de soi) qui n’hésitent pas à établir des chronologies obligées de l’appren-
dre à parler de l’enfant.
À l’heure où, dans notre pays, il est plus que jamais question de l’application
« sur le terrain » de toute connaissance mise à jour par le chercheur au cours de ses
recherches, c’est ici l’occasion d’élever la voix pour une vigoureuse mise en garde.
On trouve sur des tableaux très « scientifiques » (à savoir quantitatifs et éva-
luatifs) l’indication par mois et par année, entre 0 et 7 ans, de ce que l’enfant dit
(ou doit dire et/ou comprendre). Telles voyelles, puis telles consonnes, puis tels
assemblages de syllabes ou de mots, tels éléments morphologiques, tels agence-
ments syntaxiques, tel trésor lexical…
Ces affirmations doctrinales et a priori n’ont rien à voir avec la science. En
outre, elles sont dangereuses, car comment réagiront les parents dont l’enfant ne
« comprendra » pas 1 (?) mot à 10 mois, 19 mots à 15 mois ou 2 562 mots à 6 ans
(sic, J. Rondal, Votre enfant apprend à parler, 1979, p. 26) ? On peut se demander
ce que signifie là « comprendre » et comment diable ceci pourrait être contrôlable !
Et à nous les tests ! Testons, trions les bons et les mauvais d’après ces tableaux
« scientifiques ». On connaît la suite…
Ces assertions reviennent à postuler que l’apprendre à parler est programmé
chez l’enfant selon une succession scientifiquement établie, c’est ne prendre en
compte ni ce que l’enfant a reçu ou n’a pas reçu de son entourage, ni ce qu’il a pu
exploiter dans ce que lui ont offert ses adultes, ni les caractéristiques qualitatives
(et non quantitatives) de l’apprendre à penser-parler, ni enfin la personnalité et
donc les modalités d’apprentissage de chaque individu.

Apprendre à parler,
ce n’est pas apprendre des mots
Si vous apprenez par cœur le dictionnaire d’une langue étrangère, vous ne sau-
rez pas pour autant parler cette langue. L’énonciation verbale ne se limite pas à la
juxtaposition de mots, elle nécessite une organisation des éléments signifiants au
moyen de règles de production qui respectent des catégories grammaticales et un
fonctionnement sémantico-syntaxique.
Nous savons maintenant que, pour apprendre à parler, l’enfant est actif. Il se
livre à un travail ardu, dont la mémorisation des éléments lexicaux n’est que l’un
des paramètres.

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Appprendre à penser – parler

L’enfant développe son intelligence, élabore ses capacités de raisonnement et


d’argumentation, en s’insérant dans le monde de la signification, dans son réel et
en verbalisant.
Ce qui est exposé ici n’a pas la prétention d’aboutir à une théorie explicative,
mais s’éloigne à la fois de l’hypothèse « préformiste » chomskyenne d’une gram-
maire universelle dont les contraintes seraient génétiques, et de l’hypothèse
« constructiviste » piagétienne du langage déclenché par l’intelligence, dans le
cadre de la fonction symbolique, après la période sensori-motrice.
Bien différemment, notre thèse est que, dans une activité dialogique signifian-
te avec l’adulte, l’enfant prend progressivement ce qu’il est en mesure d’utiliser
pour faire fonctionner son système de production-compréhension langagière. Ce
qui a pour conséquence évidente qu’il ne saurait y avoir de programmation géné-
ralisable puisque les réalisations verbales de tout locuteur dépendent des cir-
constances, des habitudes, d’un ensemble de conditions individuelles, sociales,
locales… du hasard… des rencontres… On pourrait évoquer ici un usage langagier,
peut-être une culture langagière propre à chacun.

Le parler de l’adulte
Aussitôt s’ouvre un autre champ d’investigation : quel est ce parler adressé par
l’adulte à l’enfant ? Depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux ont été
entrepris dans ce domaine. Certains soulignent des traits communs relevés dans
différentes langues, sans être vraiment convaincants, les enquêtes étant réduites.
Certains autres constatent un peu rapidement que le parler adressé à l’enfant par
l’adulte est « plus simple » que le parler couramment adressé à un interlocuteur
adulte. La notion de « simple » reste floue. Et des travaux comme ceux d’E. Ferreiro
sur simple, opposé à complexe chez le jeune enfant, montrent qu’on ne peut pas
se livrer à la légère à de tels classements et que ce que nous supposons être sim-
ple pour un enfant est parfois ressenti par lui comme compliqué, ou vice versa.
Un point commun indiscutable pourtant : tout adulte familier d’un enfant adapte
à son jeune interlocuteur son débit, son articulation, son intonation, son lexique,
sa syntaxe, bien entendu avec plus ou moins de bonheur suivant les individus.
Un exemple : sur des centaines de milliers d’énoncés enregistrés au cours de
dialogues entre adultes et enfants de 0 à 6 ans, depuis plus de vingt-cinq ans,
nous n’avons trouvé que chez un seul adulte des occurrences du relatif dont, alors
qu’il est présent dans les dialogues des mêmes adultes avec des enfants plus âgés
ou avec d’autres adultes.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

L’hypothèse des schèmes


sémantico-syntaxiques créateurs
Ses conceptions sur le patrimoine génétique qui détermine l’état initial de la
faculté de langage ont amené N. Chomsky à poser un postulat : à partir du parler
de l’adulte constitué essentiellement de bribes d’énoncés, de formulations lacu-
naires, de discours interrompus et/ou implicites, d’ambiguïtés, de lapsus, de faux
départs… tous les enfants apprennent à parler de façon conforme à la langue de
leur milieu de vie. On n’apprend pas aux enfants les traits pertinents de la syntaxe
ou de la sémantique, et pourtant ils ne se trompent pas, donc les règles de pro-
duction et de compréhension sont universelles et innées.
Mon hypothèse est autre. Il est vrai que l’adulte n’apprend pas à l’enfant les
règles qui permettent de produire ou de comprendre le parler, si apprendre signi-
fie énoncer une règle, donner des exemples d’application de cette règle, faire fai-
re des exercices et procéder par le système bien connu du stimulus-réponse.
Pourtant c’est bien l’adulte qui apprend à parler à l’enfant mais, curieusement
et le plus fréquemment, sans que ni l’un ni l’autre n’en prenne conscience.
Précisément ce ne sont pas les fragments décousus de discours qui, miraculeuse-
ment, déclenchent chez l’enfant le fonctionnement canonique d’une grammaire uni-
verselle innée. Non que de telles productions soient absentes du parler de l’adulte,
mais elles alternent avec des énonciations explicites, présentant les caractéris-
tiques phonétiques, intonatives, morphologiques, syntaxiques et sémantiques de
la langue, en correspondance avec une activité mentale de l’enfant (raisonnement,
argumentation, narration, commentaire d’activités, émotions).
L’enfant tire parti de ces apports sémantico-syntaxiques assimilables parce
qu’ils lui parviennent à un moment opportun où il demande en quelque sorte à les
recevoir. L’enfant tire parti de l’énonciation appropriée de l’adulte, ce qui ne signi-
fie pas que les enseignements qu’il en exploitera seront liés à une situation iden-
tique. Tout se passe comme si, par généralisation, il dégageait de cet apport
quelque chose de plus abstrait.
Ce « quelque chose », il a fallu le nommer, afin de pouvoir se servir du concept,
même s’il restait abstrait et peu saisissable. À l’opposé d’un « modèle », il s’agit
d’un phénomène pris dans une dynamique, et cette dynamique s’instaure entre
deux interlocuteurs, le couple adulte-enfant. Dans cette interaction se trouvent
engagés :
• un couple adulte-enfant ;
• une situation de dialogue ;
• une énonciation suffisamment explicite de l’adulte ;
• le caractère approprié à la situation de cette énonciation ;

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Appprendre à penser – parler

• la possibilité de réception par l’enfant de l’énonciation de l’adulte au


moment précis où elle se produit.
C’est à partir de ces considérations qu’est née la dénomination de schème
sémantico-syntaxique créateur.
Le caractère créateur de ces schèmes s’applique à l’énonciation de l’adulte,
dans le cadre du dialogue adulte-enfant. Concernant l’énonciation de l’adulte, il y
a virtualité de création d’une modification ou d’un enrichissement du système lin-
guistique chez l’enfant. Et chez l’enfant, le schème devient créateur, immédiate-
ment ou en différé, parce qu’il lui est proposé dans un contexte ajusté à ses
attentes et à ses capacités.
Contexte inclut ici la situation, les circonstances, la relation entre l’adulte et
l’enfant, l’actuel fonctionnement du système langagier de l’enfant, etc.

Exemples recueillis sur le terrain


(dans un train, dans un service médico-social)
(1) S. (2 ans 2 mois)
S. – pas là nounou(r)s
A. (= Adulte) – Oh ! il est pas là, ton Nounours !
S. – (i)l est pas là non (i)l est pas là aussi le vélo

(2) V. (2 ans 6 mois)


V. – dans la (r)ue !
A. – On va se promener dans la rue.
V. – va p(r)omener dans la (r)ue

(3) R. (3 ans 7 mois)


R. – (re)ga(r)de peux pas l’est trop gros
A. – Ah ! tu ne peux pas porter le paquet parce qu’il est trop lourd ? Regarde, je vais t’aider.

Ces trois exemples sont des échanges authentiques, captés à l’improviste.


Dans chaque cas, j’ai entamé la conversation avec l’adulte. Chacune m’a affirmé
qu’elle « n’apprenait pas à parler » à l’enfant et même, pour (1) et (3), que l’enfant
« parlait mal ». Ces personnes n’avaient pas conscience de l’interaction appropriée
qu’elles pratiquaient avec l’enfant.
On remarquera, par exemple, dans (1) que la deuxième production langagière
de S. ressemble plus à une phrase française complète que la première.
Il va de soi que la reprise efficace par l’adulte de ce que propose l’enfant n’est
pas constante, on entend aussi des énonciations lacunaires ou peu adaptées, évo-
quées plus haut.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

(4) S. (2 ans 2 mois)


S. – monter ! hmm !
(S. veut monter sur les genoux de A.)
A. – Hop ! tu… ah voilà !

(5) V. (2 ans 6 mois)


V. – mamie ! (V. s’aperçoit que le lacet de son soulier est défait)
A. – Viens, je vais… je vais, attends je…

(6) R. (3 ans 7 mois)


R. – on arrive quand ? (dans le train)
A. – Reste tranquille !

Il y a aussi parfois des relations chaleureuses entre un adulte et un enfant, sans


accompagnement d’aucune verbalisation.
Ces diverses caractéristiques des échanges entre adulte et enfant sont partie
intégrante des relations quotidiennes de communication. Mais revenons à des
échanges verbaux favorisant l’apprentissage.

Les répétitions
En étudiant de nombreux échanges verbaux familiers et quotidiens entre des
adultes et des enfants, la pratique de la répétition m’est apparue comme l’un des
facteurs décisifs de l’apprendre à parler du jeune enfant.
Il n’est peut-être pas superflu de souligner que cette conception de l’interac-
tion qui s’instaure entre l’adulte et l’enfant exclut la notion de la « répétition écho-
lalique », dont on a usé et abusé.
Certes, l’enfant « répète » beaucoup, parfois inlassablement jusqu’à faire sor-
tir l’adulte de ses gonds. En écoutant converser jeunes enfants (et même jeunes
bébés) et adultes, on est frappé des innombrables séquences répétitives, dans le
parler de l’un et de l’autre. Mais des études un peu fines des répétitions montrent
que « l’écho », la répétition en quelque sorte passive, est rarissime. Il y a beau-
coup de façons pour l’enfant de répéter, ou plutôt de reprendre ce qu’il dit
lui-même ou ce que lui dit l’adulte. Loin d’être mécanique, cette activité est volon-
taire, personnelle, autonome, en quelque sorte « intelligente », et participe de
l’apprendre. Il est parfois étonnant de voir l’enfant exploiter la reprise de séquen-
ces parlées plus ou moins étendues pour s’approprier, opposer, interroger, rejeter,
progresser dans l’articulation, l’intonation, la morphologie, l’agencement des élé-
ments verbaux, la compréhension. Citons quelques exemples de ces reprises d’ap-
prentissage :

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Appprendre à penser – parler

(A. = adulte, E. = enfant)


• A. – Ah la voilà !
E. (10 mois) – ah ah ah ah (reproduction de l’intonation de l’adulte)
• A. – Coucou !
E. (1 an 4 mois) – co(u)cou ! (essai de reproduction du mot proposé par l’adulte)
• A. – Tu l’as attrapée, la balle !
E. (1 an 6 mois) – (l)a (l)a balle (l)a balle akrapé
• A. – Regarde, il est là, le chat.
E. (1 an 7 mois) – (i)l est là sat (i)l est là (i)l est là (i)l est là sat sat sat sat
• A. – Le nounours a mal à l’oreille.
(E., 1 an 8 mois) – mal oleille
E. (1 an 10 mois, voit l’eau d’un bassin) – hmm ?
• A. – Oui, il y a de l’eau, de l’eau dans le bassin.
E. – eau

• A. – Il y a de l’eau.
E… – de l’eau de l’eau de l’eau (il y) a de l’eau

• A. – Maintenant tu manges ta soupe.


E. (2 ans 1 mois) – a sou(pe) a man(ge)

Certaines reprises peuvent aussi servir au jeune enfant à pallier ses lacunes.
Ci-dessous un exemple où la répétition remplace chez un enfant l’utilisation des
marques du pluriel.

F. (2 ans 1 mois) voit des pommes dans un panier :


– une pomme une pomme une pomme une aut(r)e une pomme.

Les répétitions (ou reprises), comme toute émission ou toute énonciation,


révèlent un fonctionnement mental dont les productions sont chaque fois origina-
les, bien que s’inscrivant dans un système (on trouvera une intéressante étude des
répétitions chez le bébé dans C. Nicolas, 1980). À noter que les répétitions sont
également abondantes dans les conversations entre adultes.
Il faut le rappeler, en empruntant cette fois la voix d’E. Benveniste (1966,
Problèmes de linguistique générale, I, p. 45) : « Le langage est […] la faculté la plus
haute et la plus mystérieuse de l’homme. »
Qu’on accepte donc, à titre d’hypothèse, ce concept abstrait de schème séman-
tico-syntaxique créateur, dont la saisie explicite nécessiterait que nous soyons

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

plus avancés dans la connaissance du fonctionnement du cerveau humain, notam-


ment en ce qui concerne la production et la compréhension du parler et du penser.
Ces schèmes créateurs (syntaxe ne peut être séparée ici de sémantique) ne
sont pas utilisés comme des fragments formels et inertes de discours. L’enfant les
saisit dans la dynamique du fonctionnement d’un système qui lui apporte du sens
sous forme d’information, d’explication, de plaisir à propos du monde et de lui-
même. Une définition pourrait en être proposée dans les termes suivants :

Le schéme sémantico-syntaxique créateur

Les schèmes sémantico-syntaxiques créateurs ne sont pas des modèles, mais des
stimulations mentales de mise en relation d’éléments verbalisables. Ce fonctionne-
ment mental permet à l’enfant, dans d’autres circonstances, de s’approprier pour
son propre système langagier un fonctionnement dont on lui a donné l’expérience.

Prenons le cas d’une expression syntaxique de la causalité :

R. (3 ans 2 mois) – maîtresse viens je veux peindre


• A – Non, je ne peux pas venir maintenant parce que je travaille avec C.
En « différé », deux jours plus tard, on note l’échange suivant :
R. – j(e) peux pas jouer avec la voiture pompiers
• A. – Ah bon ?
R. – non j(e) peux pas pa(r)ce que y a une roue elle est cassée

Il n’y a pas ici répétition, mais utilisation d’une formulation de la causalité dans
un autre contexte que celui où l’adulte l’avait employé.

L’interaction cognitivo-langagière
entre l’adulte et l’enfant
Les observables de cette interaction entre les adultes et les enfants ne sont que
rarement saisissables de façon univoque (comme ils le sont dans les exemples (1)
et (2) des enfants S. et V. cités plus haut).
C’est en « différé » que l’enfant utilise le plus souvent les schèmes proposés
par l’adulte, interdisant au chercheur de décider à coup sûr des modalités de
l’interaction pour chaque occurrence (c’est le cas dans l’exemple ci-dessus sur
l’emploi de parce que).

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Appprendre à penser – parler

Néanmoins l’étude d’un corpus diachronique abondant concernant un enfant,


depuis la naissance ou durant un certain nombre de mois ou d’années, fait appa-
raître des effets indiscutables de cette interaction.

Quelques idées reçues à revoir


Je ne prendrai que quelques exemples, destinés à ébranler des idées reçues
(reçues d’où ?) particulièrement tenaces :
Il est banal de remarquer que le jeune enfant emploie relativement peu
d’adjectifs, et surtout que, pendant assez longtemps, il n’en maîtrise qu’un éven-
tail très restreint. Or, lorsqu’on fait des relevés d’adjectifs dans le langage de
l’adulte adressé aux jeunes enfants, jusque vers 3-4 ans, on remarque une utilisa-
tion massive de quelques adjectifs, toujours les mêmes, et la rareté pour ne pas
dire l’absence des autres. Quelques-uns des plus courants sont : petit, grand,
beau, pas beau, gentil, pas gentil, sage, vilain, bon, pas bon…
Une expérience facile consiste à émailler volontairement sa conversation cou-
rante d’un assortiment plus varié d’adjectifs, on voit alors le tout-petit se saisir de
ces nouvelles possibilités verbales avec volupté, prouvant que la fréquence d’em-
ploi et la variété des adjectifs dans le langage de l’enfant ne tient pas à la nature
interne de l’adjectif, mais à la nature de l’offre adaptée (sélective ou non) qui en
est faite par l’adulte.
Avant de commencer une recherche systématique sur le parler de l’enfant,
j’imaginais que les très jeunes sujets n’utilisaient pas la forme de discours rap-
porté qu’on appelle traditionnellement le discours indirect. Comme tout un chacun
(ou tout au moins tout enseignant) j’avais présentes à l’esprit les tortures infligées
aux élèves de cinquième ou quatrième des collèges, sous forme d’exercices de
transformation de discours direct en discours indirect, avec l’avalanche des mons-
truosités sur les pronoms, les concordances de temps, etc. Quelle surprise donc
d’entendre L. (2 ans 7 mois) déclarer :

– Le do(c)teu(r) (i)l a dit que faut pas qu’e(lle) manze ma sœu(r)) pa(r)ce que elle a mal
au vent(re)

Après étude de nombreux enregistrements transcrits de dialogues entre des


adultes et des enfants, il est nettement apparu que le fonctionnement précoce du
discours indirect était loin d’être général. Pour vérifier l’hypothèse du rôle des
schèmes sémantico-syntaxiques créateurs dans la mise en œuvre du système
langagier de l’enfant, les adultes expérimentateurs ont consciemment utilisé le
discours indirect dans leurs dialogues avec les enfants enregistrés. Assez vite, les
énonciations de plusieurs d’entre eux ont comporté des occurrences de discours
indirects, plus ou moins corrects, cela va de soi.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

La corrélation entre l’emploi par l’adulte et les occurrences d’emploi par


l’enfant semble à peu près constante. Les occurrences évoquées ici sont des
emplois de la construction de discours indirects dans une énonciation entièrement
autonome de l’apprenant, tant pour la forme que pour le contenu, il ne s’agit évi-
demment pas de répétition de séquences identiques.
On notera trois remarques importantes
1. Comme on peut l’observer dans les exemples cités, au cours de ses échan-
ges avec le très jeune apprenant, l’adulte ne pratique pas à proprement parler des
corrections. Il propose des formulations, des dénominations qui ne sont pas
reçues par l’apprenant comme des refus de ce qu’il a verbalisé mais comme une
reprise, sous d’autres formes, de ce qu’il a voulu dire. Peu à peu, l’expérience
renouvelée aidant, mettant à profit ces offres adaptées, l’enfant construit (à son
insu) des hypothèses sur ces nouveaux éléments et substitue peu à peu à ses pre-
miers tâtonnements le « mot juste », les configurations syntaxiques de la langue.
2. N’oublions pas qu’apprendre n’est pas ajouter des informations à celles qu’on
a en mémoire mais c’est s’approprier de nouveaux éléments ou de nouvelles moda-
lités de fonctionnement qui transforment les structures cognitives déjà en place.
Chaque élément appris modifie, remet en quelque sorte en question tout ce qui
a été appris antérieurement.
3. Au cours de la première acquisition, il y a fréquemment dans le fonctionne-
ment langagier de l’apprenant cohabitation d’une forme non canonique avec les
premiers emplois de la forme canonique. Il faut être vigilant et ne pas considérer
comme acquis des éléments lexicaux, des formes grammaticales, des configura-
tions syntaxiques qui auront été produites une ou deux fois. Les nouvelles acqui-
sitions doivent recevoir confirmation et consolidation grâce à de nombreuses
expériences verbales diversifiées.
Il est, par exemple, surprenant d’entendre un petit enfant dire je raconterai et
un instant après je mangera ou encore, dans la même journée dire une fois j’ai
prendu et une fois j’ai pris.
Comme noté plus haut, il est inefficace de corriger l’enfant en déclarant : « On
ne dit pas comme ça, on dit comme ça ! » mais l’adulte peut reformuler l’énoncé de
l’enfant. Exemple :

Y. (4 ans 9 mois) – peut-être qu’il a pleuvu cette nuit, i(l) pleuvra encore tout à l’heure
Réponse de l’adulte – Oui, tu as raison, peut-être qu’il a plu cette nuit et qu’il pleuvra
encore tout à l’heure.

La substitution des formes canoniques aux formes non canoniques ne s’opère


que peu à peu et ne mène souvent que lentement à la généralisation.

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Appprendre à penser – parler

Une erreur à rectifier


Dès les premières observations sur le développement du langage, j’ai essayé de
démonter certaines conceptions figées et non fondées linguistiquement, dont la plu-
part sont intégrées dans un discours parfois fort spécialisé et par ailleurs compétent.
L’une des plus irritantes, et peut-être des plus nocives, est celle que l’on retrouve
encore fréquemment sous la plume de psychologues influents ou même de lin-
guistes de renom, dont la bonne foi n’est pas en cause mais qui ne se sont livrés à
aucune investigation « sur texte » qui puisse étayer leurs assertions. Il s’agit de
l’apparition du pronom personnel « je » dans le parler du tout-petit. Je voudrais
souligner ici le travail acharné, la patience et la rigueur à toute épreuve qu’exige la
recherche en linguistique de l’acquisition, lorsqu’elle concerne des corpus diachro-
niques de parler enfantin authentique. Je rêve qu’elle parvienne enfin à dissiper ces
confusions a-scientifiques et néfastes entre phénomènes génétiques et phénomè-
nes d’acquisition dépendant de l’apport du fonctionnement cognitivo-langagier.
Il est encore aujourd’hui enseigné en psychologie de l’enfant, et écrit dans des
revues de psychologie ou de pédagogie qu’autour de 2 ans l’élaboration de
l’image de soi et la distinction moi/non-moi transparaît dans le langage. D’après
cette description génétique, les enfants découvriraient d’abord leur prénom en
l’entendant, puis apprendraient à le dire, en parlant d’eux à la troisième personne,
comme s’ils se percevaient comme un objet parmi les objets qu’ils apprennent à
nommer. Puis le moi, puis le moi je, puis le je apparaîtraient, indiquant que l’enfant
se considère désormais comme une personne particulière distincte d’autrui.
Or, notre observation du langage, grâce à des méthodes exigeantes, nous
apprend (sans pour cela mettre en cause le versant psychologique du développe-
ment de l’enfant) que le moment et les modalités de l’apparition des différentes
façons verbalisées de s’autodésigner dépendent avant tout de la manière dont
l’adulte s’autodésigne et désigne l’enfant en lui parlant.
Il est vrai qu’il y a une pratique très répandue pour s’adresser au bébé jusqu’à
2, 3 et même parfois 4 ou 5 ans, qui révèle l’absence d’emploi des pronoms per-
sonnels de première et deuxième personnes par l’adulte :

« Bébé n’est pas content ? »


« Isabelle a faim »
« Elle a faim, Isabelle ! »
« Jérôme donne à Papa le joli caillou. C’est bien ! »
« Tata regarde Christophe. Oh là là Christophe va tomber ! Attends, Tata va porter
Christophe »
« On écoute Maîtresse »
« Les petits enfants sont sages, Maîtresse va donner la peinture »

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Les observations montrent que lorsque, très précocement, l’adulte (volontaire-


ment ou non) utilise les pronoms personnels des trois personnes pour s’autodésigner,
désigner l’enfant ou les autres, le fonctionnement s’en déclenche également préco-
cement chez l’enfant.
Des études systématiques sur des corpus diachroniques de dialogues entre des
adultes et des enfants permettent de progresser dans le domaine particulièrement
complexe de l’apparition des marques de personne chez le bébé (voir en biblio-
graphie les références des travaux de C. Baruth, C. Le Cunff, F. Luxereau). Ces travaux
montrent l’absence de stades obligés chez le jeune enfant concernant la mise en
fonctionnement de ces marques et font ressortir l’étroite dépendance des différents
emplois avec ceux des adultes dans leurs dialogues avec les enfants. Il y a de nom-
breuses variantes dans l’autodésignation, qui ne sont jamais toutes présentes chez
le même enfant, qui peuvent cohabiter et même être fluctuantes dans la mesure où
change le principal interlocuteur adulte de l’enfant pendant un temps assez
prolongé.
Quelques possibilités couramment rencontrées expriment sans conteste l’auto-
désignation en tant que personne :

– veux ça
– bébé veut ça
– veut ça, Luc
– i(l) veut ça, Luc
– i(l) veut ça, moi (ou ma)
– c’est Luc veut ça
– moi, veux ça
– moi Luc veux ça
– moi je (ou ze) veux ça
– je veux ça
ou même :
– tu veux ça

Dans ce dernier exemple, tu remplace je, sans qu’il y ait le moindre trouble de
la personnalité ! En effet, il faut éviter de confondre apprentissage de la verbalisa-
tion et développement de l’ego, mis à part d’éventuels cas pathologiques de ce
développement de la personnalité. Un certain nombre de jeunes enfants, auxquels
on s’adresse nécessairement le plus souvent au moyen du pronom de deuxième
personne, adoptent le tu pour s’autodésigner pendant une période variable, entre
2 ans et 3 ans et demi ou 4 ans. Ce que H. Wallon (1949, p. 277) signalait ainsi :
« L’enfant ne sait pas convertir en “je” les “tu” qui lui sont adressés ».

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Appprendre à penser – parler

Il serait fort intéressant d’étudier comparativement le développement des


marques de personnes chez l’enfant dans des langues fonctionnant sans pronoms
personnels.
Les quelques faits cités laissent apercevoir la contribution que peuvent appor-
ter les travaux du linguiste de l’acquisition à ceux du pédagogue, du psychologue
ou du pédopsychiatre.
Les derniers phénomènes évoqués confirment la dépendance étroite et indubi-
table du fonctionnement du système de production-interprétation de l’enfant par
rapport au système de l’adulte ou du groupe d’adultes qui lui parlent.
Les voies tracées à la sociolinguistique vers le milieu du siècle par un précur-
seur comme M. Cohen, les travaux récents de W. Labov (pour ne citer que ces deux
noms) aident à compléter l’étude plus strictement linguistique du parler de l’enfant.
Il s’agit là d’un vaste domaine qui dépasse le cadre du présent ouvrage. Le lecteur
pourra se reporter aux quelques titres figurant en bibliographie.

La compréhension
De nombreux travaux traitent de la compréhension, domaine particulièrement
ardu et complexe, dont l’essentiel demeure encore largement mystérieux.
A. Culioli écrit :

« […] mon aphorisme favori : la compréhension est un cas particulier du malentendu. »


(1991, Pour une linguistique de l’énonciation, p. 38).

Sans aller aussi loin, force est de constater qu’il est toujours délicat d’affirmer
que l’un a compris l’autre.
Parmi d’innombrables définitions de la compréhension, du comprendre, nous
en choisirons deux.
1) Définition de V.N. Volochnikov :

« Comprendre l’énonciation d’autrui signifie s’orienter par rapport à elle, la replacer


dans un contexte adéquat ; à chaque mot de l’énonciation à décoder nous faisons cor-
respondre une série de mots à nous, formant une réplique […]. Comprendre, c’est oppo-
ser à la parole du locuteur une contre-parole. » (cité par J. Peytard, 1990, in Langue
Française, Larousse, n° 85, p. 16).

2) Définition de J. Ségui, J.-Y. Pollock, J.-L. Nespoulous :

« La compréhension d’une phrase exige, entre autres choses, la mise en relation des infor-
mations issues du lexique avec celles provenant de la syntaxe (ordre des mots, catégories

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

syntaxiques, hiérarchie structurale, etc.). » (1992, « Langage » in Le Courrier du


CNRS, n° 79, Dossier « Sciences Cognitives »).

Si ces définitions révèlent la difficulté de l’intercompréhension entre locuteurs


experts, elles nous sont en outre un avertissement contre les illusions qui peuvent
nous habiter quant à l’intercompréhension entre un locuteur expert et un enfant
en cours d’acquisition du langage. En effet, comme le remarque avec pertinence
J. Caron :

« Comprendre un énoncé, ce n’est pas seulement saisir ce qu’il veut dire, c’est aussi iden-
tifier de quoi il parle. En d’autres termes, c’est tout à la fois en déterminer le sens et la
référence. » (in Buscila « L’interaction », 1989).

Or, si le locuteur s’efforce d’adapter son énoncé aux capacités langagières qu’il
peut attribuer avec une certaine précision à son jeune interlocuteur, il lui est en
revanche très difficile d’imaginer les références, les représentations dont dispose
l’apprenant pour interpréter ce dont on lui parle.
Pour illustrer ce phénomène, le lecteur voudra bien se reporter à mon article
reproduit à la fin de ce volume, intitulé L’intercompréhension dans le dialogue
adulte-enfant : une problématique.
En ce qui concerne la référence, évoquée plus haut, chacun de nous comprend
les propos d’un interlocuteur, ou encore le texte qu’il lit, à partir de ses connais-
sances, à partir de son expérience du monde – sans parler de ses caractéristiques
personnelles, de ses goûts, de son attention au moment où il reçoit le langage de
l’autre, etc.
Un exemple supplémentaire, particulièrement frappant, fera apparaître l’écart
considérable entre les références dont un adulte peut disposer pour parler et
celles dont dispose éventuellement, sur le même sujet, un petit enfant.

Un petit Coréen de 5 ans, adopté par une famille française, révèle des capacités assez
exceptionnelles pour apprendre le français. Une amie de la famille, en visite, lui dit :
« Tu as fait beaucoup de progrès depuis la dernière fois que je t’ai vu ! »
Réponse de l’enfant : « Dis, quand je saurai très bien parler français, je n’aurai plus les
yeux comme ça ? » (Il montre ses yeux bridés).

Cet enfant a établi des références qui lui sont propres. Il a repéré, chez les
Français qui l’entourent, deux caractéristiques qu’il convoite et qu’il a associées :
maîtriser la langue et avoir des yeux non bridés.
L’interprétation par les jeunes apprenants des propos de leurs interlocuteurs
adultes est beaucoup plus souvent qu’on ne le croit altérée par cet écart qui existe

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Appprendre à penser – parler

entre la vision du monde de l’un et celle des autres. Dans la majorité des cas,
l’incompréhension reste non dite. Le cas le plus fréquent, chez l’enfant, est qu’il ne
comprend pas qu’il ne comprend pas. Quant à l’adulte, il lui est très difficile d’ima-
giner les références et les représentations dont dispose l’enfant et donc de situer
l’éventuel malentendu.
Il faut admettre qu’il n’est pas nécessairement pertinent d’opposer compré-
hension à incompréhension : la capacité de comprendre et, corrélativement, de
distinguer compréhension et incompréhension, se construit progressivement chez
chacun au cours de son expérience.

L’intuition de la langue
Le fonctionnement mental qui permet à l’être humain de penser et de parler
est, nous l’avons vu, inconscient (certains auteurs parlent d’un « inconscient
cognitif »). Notre maniement de la langue n’est pas non plus une activité analysée
consciemment au moment où elle se produit. Si on peut évoquer l’intuition de la
langue – avant tout l’intuition de la langue maternelle – c’est que la pratique (en
production et en réception) en est directement disponible, sans intervention d’une
analyse ou d’un raisonnement.
Il va de soi que, lorsque nous parlons ou lorsque nous écoutons parler l’autre,
nous ne procédons pas à une analyse consciente telle que : « Dans cette phrase, il
y a un sujet féminin pluriel, puis un verbe accordé au sujet, suivi d’une préposition
et d’un complément comportant un nom masculin singulier et un adjectif accor-
dé… » Il serait alors impossible de parler ou de recevoir le parler de l’autre.
C’est dans l’accumulation d’expériences de la langue commune aux membres de
son milieu de vie, grâce à l’interaction langagière mentionnée précédemment, que
l’apprenant acquiert cette intuition. Citons ici la définition que propose de ce mot
l’Encyclopédie philosophique universelle. Les notions philosophiques (1990, Paris,
PUF) : « forme de savoir dans lequel l’objet connu est immédiatement présent à
l’esprit […], s’oppose aux connaissances discursives, déductives ou symboliques ».
Nous disons spontanément d’une énonciation : « c’est français » ou « ce n’est pas
français », dans une appréciation immédiate, découlant d’une opération mentale
instantanée, même si nous avons appris les règles de la grammaire traditionnelle.
Lorsque nous écrivons, au contraire, les connaissances acquises concernant la
langue écrite (morphosyntaxe, lexique, ponctuation, style…) nous permettent une
analyse des éléments qui composent une phrase, un énoncé, un texte. Nous pou-
vons alors procéder consciemment à des ajustements successifs qui modifient
notre écrit. On remarquera cependant que, même dans cette activité raisonnée,
l’intuition de la langue n’est pas absente, plus, elle guide souvent nos choix.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Le jeune débutant parleur maîtrise progressivement, à son insu, un fonction-


nement langagier qu’il inscrit intuitivement dans la langue normée, bien avant de
pouvoir en analyser et en décrire les éléments constituants.
Songeons, par analogie, aux admirables conteurs d’antan, j’en ai connus dans
ma jeunesse et il en reste encore quelques-uns, qui parlaient dans une langue cor-
recte en même temps que savoureuse, tout en étant parfois analphabètes.
Revenons à l’apprenti parleur. Il est très important, pour l’éducateur qui l’aide
à apprendre à penser-parler, d’avoir constamment comme objectif, non pas une
prise de conscience (« réfléchis, on ne dit pas comme ça, on dit comme ça ») mais
bien une multiplicité d’expériences verbales en même temps que cognitives infini-
ment variées, qui peu à peu aboutissent, à travers une activité intelligente, à
installer cette intuition de la langue, fondement indispensable d’une ultérieure
maîtrise autonome.
Pour clore ce chapitre, laissons la parole à L. Vygotski qui souligne l’importan-
ce de l’intuition dans le fonctionnement mental :

« Selon la loi générale du développement, la conscience et le contrôle volontaire n’appa-


raissent qu’à un stade très avancé du développement d’une fonction mentale, après qu’elle
a fonctionné de manière inconsciente et spontanée. Pour soumettre une fonction au
contrôle intellectuel et au contrôle de la volonté, il faut d’abord que nous la maîtrisions. »
(1986, Thought and Language, Cambridge Mass., USA, MIT Press, trad. anglaise
d’A. Kozalin, p. 168. Passage traduit en français par M. Karnoouh-Vertalier)

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4
Français oral, français écrit :
une même langue

N OS TRAVAUX DE RECHERCHE PRENNENT APPUI SUR UNE THÉORIE DU LANGAGE


affirmant l’unité de la langue, l’interdépendance de l’écrit et de l’oral. Un
même système syntaxique – encore imparfaitement connu – régit l’oral et l’écrit de
la langue, tous deux considérés comme présentant un ensemble infini de varian-
tes énonciatives qui, pour certaines, appartiennent à l’un et l’autre usage de la
langue. Le locuteur francophone expert ajuste l’emploi de ces variantes à ses
besoins, aux circonstances, au contexte énonciatif, à l’écrit comme à l’oral. Ses
choix sont guidés par l’expérience qu’il a de la langue.

Schéma des ensembles énonciatifs


Pour représenter de façon fruste (mais opérationnelle) le chemin emprunté par
l’apprenant pour développer son penser-parler, puis son penser-lire-écrire, on vou-
dra bien accepter le schéma proposé ci-dessous. Il ne s’agit en aucune façon de la
représentation graphique du système syntaxique de la langue française. Il s’agit d’un
schéma destiné à montrer le processus nécessaire et suffisant qui permet à l’ap-
prenti d’acquérir sans rupture la maîtrise de variantes orales et écrites de la langue.
Légende :
A: ensemble (pratiquement
illimité) d’énonciations pouvant
être parlées
B: ensemble (pratiquement
a1 illimité) d’énonciations pouvant
(1) (1') (3) b1 être écrites
(2) (2')
c1 C: intersection des deux
c'1
ensembles (énonciations
pouvant être soit parlées, soit
écrites)
a2 b2 a1c1: classe de variantes orales
« équivalentes » (d’un point de
c'2 c2 vue strictement informatif)
b1c’1: classe de variantes écrites
« équivalentes » (d’un point de
vue strictement informatif)
C c1c’1: intersection des deux classes
A B précédentes (d’un point de vue
strictement informatif)
a2c2: autre classe de variantes orales
b2c’2: autre classe de variantes écrites

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Exemples I
(1) Catherine sa mamie eh ben des pommes sa voisine elle est gentille un panier plein
elle lui a donné
(1’) Des pommes sa grand-mère à Catherine plein un panier e(lle) lui a donné sa voisi-
ne elle est chouette
(2) La voisine de la grand-mère de Catherine lui a donné un panier plein de pommes
(2’) La grand-mère de Catherine a une gentille voisine qui lui a apporté en cadeau un
plein panier de pommes
(3) La grand-mère de Catherine compte au sein de son voisinage une fort obligeante
personne dont elle a reçu présent d’un panier empli de pommes

Exemples II
(1) Jérôme son copain eh ben son cousin il est plus grand des petites voitures il est
sympa i(l) lui a prêté une boîte pleine
(1’) Une boîte pleine de petites voitures i(l) lui a prêté son grand cousin au copain de
Jérôme tu sais c’est gentil
(2) Le copain de Jérôme a un grand cousin très gentil qui lui a prêté des petites voitu-
res plein une boîte
(2’) Le copain de Jérôme a un grand cousin très gentil qui lui a prêté une boîte pleine
de petites voitures
(3) Le camarade de Jérôme a un cousin, plus âgé que lui, qui lui a prêté fort gentiment
une boîte pleine de petites voitures

Les énoncés 1 des exemples I et II sont les énoncés respectivement d’un enfant
de 5 ans 9 mois et d’une enfant de 6 ans 2 mois, lors d’une dictée à l’adulte (voir
plus loin).
Les énoncés I (1’), I (2), II (1’), II (2), sont les formulations successives des
enfants, obtenues au cours de l’interaction orale avec l’adulte. Les énoncés I (2’),
I (3), II (2’), II (3) n’ont pas été suggérés à l’enfant. Ils sont proposés ici, sur le
modèle de textes pris dans des manuels de lecture de fin de cours préparatoire.

La fréquentation par l’apprenant


du français « écrivable »
Avant de lire et d’écrire lui-même, l’apprenti-parleur doit être capable de pro-
duire des formulations verbales dont certaines soient « écrivables » ((2) et (2’) de
l’exemple I, (2’) de l’exemple II). Il doit donc maîtriser la production d’énonciations
appartenant à l’ensemble A ainsi qu’à l’ensemble C de notre schéma.

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Français oral, français écrit : une même langue

Nous avons vu que, volontairement ou non, les adultes adressent fréquemment


à l’enfant des énoncés comportant des formulations complètes, explicites, qui
seraient acceptables à l’écrit. Progressivement, l’enfant bénéficie de cet apport lan-
gagier qui accompagne ses expériences du monde et sur lequel il lui est possible
de faire à son insu des hypothèses et dont peu à peu il maîtrise le fonctionnement.
Récemment, une professeure d’école me confiait son inquiétude au sujet d’une
petite fille de 2 ans 8 mois qui lui semblait présenter un retard de langage.
L. disait : « ma (=moi) soif à boi(re) Ma(r)tine » (nom de sa professeure). Je
revois l’enfant trois mois plus tard. Je l’entends déclarer : « Je vais dire à Maman
qu’elle me donne à boire parce que j’ai soif. »
La professeure, les parents, sont stupéfaits devant ce qu’H. Wallon appelait un
« bond qualitatif », dans le maniement de la langue chez cette enfant. Elle est pas-
sée d’une formulation implicite en éléments juxtaposés à une production verbale
explicite, complète, syntaxiquement complexe, « écrivable ».
Les tâtonnements de l’apprenti parleur varient d’un individu à l’autre. Tantôt la
progression est régulière et observable, tantôt elle procède par « bonds ». On
notera qu’il en est ainsi dans bien d’autres apprentissages.
Quel que soit le rythme des progrès langagiers de l’enfant, les observations
permettent de vérifier qu’il profite toujours (immédiatement ou en différé) des
offres verbales que lui proposent les locuteurs experts qui conversent avec lui.
D’où l’importance décisive de l’approvisionnement adapté, comme nous
l’avons vu au chapitre 1.
Quelques mots à propos de notions complexes, délicates à définir. Que peut-on
qualifier d’implicite, que peut-on déclarer explicite dans une énonciation verbale ? Il
s’agit d’appréciations relatives, dépendant des interlocuteurs en présence, de leur
interconnaissance, de leur vécu commun, du contexte, de la situation.

Exemple
Je rentre chez moi avec une amie. Mon mari m’annonce : « Ça y est, j’ai fini ». Il s’agit
là d’un « implicite partagé » : je sais de quoi parle mon mari. Il n’en est pas de même
de mon amie, à laquelle j’explicite : « Il a entrepris cette semaine de ranger quelques
rayons de sa bibliothèque ».

Au cours de leurs entretiens avec les formateurs, les apprenants rencontrent


fréquemment une difficulté majeure : l’évaluation de l’implicite partagé avec leur
interlocuteur et en conséquence de l’explicitation nécessaire.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Exemple
Une enfant (4 ans 7 mois) raconte : « Les monsieurs i(l) s ont tout cassé ma maison ».
L’institutrice n’est pas en mesure d’interpréter cette déclaration. Grâce à un long dialogue
interactif, l’adulte comprend que la réfection de plusieurs pièces de l’habitation familiale
a nécessité des travaux de préparation que l’enfant a interprétés comme une destruction.
L’enfant n’a pas pris en compte l’ignorance de ces circonstances par l’adulte.

Plus l’implicite est important, plus le travail de compréhension de l’interlocu-


teur est ardu, voire voué à l’échec.
Si l’apprenti parleur est habitué à recevoir de ses interlocuteurs des explicita-
tions verbales fréquentes accompagnant ce qu’il vit et évoquant des événements
passés ou futurs, il prend lui-même l’habitude de réduire l’implicite et d’accroître
l’explicite dans ses énonciations. Il est alors conduit intuitivement à formuler des
configurations discursives explicites, complètes, syntaxiquement construites, écri-
vables. Il est prêt à apprendre à évaluer la proportion d’explicite qu’exigent diffé-
rentes catégories d’écrit. Il peut, en toute autonomie, raconter de façon
chronologique et organisée, aussi bien son vécu qu’une fiction.

La narration
L’importance de la narration chez l’enfant au cours de son apprentissage du
langage ne saurait être mieux présentée que par J. Bruner dans son ouvrage Car la
culture donne forme à l’esprit (1991). Il écrit :

« La narration est une structure interne au discours, plus loin […] il existe une dispo-
nibilité, ou une prédisposition à organiser le vécu sous forme narrative […] (p. 58) […]
Les jeunes enfants savent très tôt reconnaître que ce qu’ils ont fait ou envisagé de faire
n’est pas seulement interprété d’après leurs actes eux-mêmes, mais également d’après la
manière dont ils en ont parlé […] On est contraint, pour situer culturellement sa propre
action, de devenir un narrateur. Il ne s’agit pas seulement dans cet exercice d’étudier
comment l’enfant s’implique dans le récit, mais de montrer à quel point cet investisse-
ment compte pour vivre au sein d’une culture […] (ibid., p. 93). »

Dans la vie quotidienne, nous sommes tous des narrateurs :

« […] Les jeunes enfants entendent sans cesse leurs proches (parents, frères et sœurs plus
âgés) parler de leurs propres relations avec autrui […] (ibid., p. 97), […] ces enfants
apprennent à comprendre les récits « quotidiens », non seulement comme un moyen de
raconter, mais aussi comme une forme de rhétorique […] (ibid., p. 98). »

Outre ces productions verbales « libres », l’enfant a besoin de fréquenter des


textes écrits.

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Français oral, français écrit : une même langue

Le livre illustré et son texte


Pour préparer l’apprenti de la langue à « savoir parler » mais aussi le rendre
apte à l’apprentissage du lire-écrire, les interactions langagières au cours de dia-
logues coutumiers sont, nous l’avons vu, indispensables, mais elles ne sont pas
suffisantes.
Grâce à la médiation de lecteurs experts, l’apprenant doit fréquenter des textes
écrits qui lui sont accessibles. Il apparaît donc que, non seulement il est nécessai-
re de raconter des histoires aux enfants, mais il importe également de leur en lire.
Le texte illustré d’un livre, lu par l’adulte, apporte au tout-petit une expérience
indispensable. Si l’éducateur prend la précaution de prévenir l’enfant lorsqu’il lit
ou lorsqu’il raconte, la pratique nous montre que, très tôt, dès 2 ans et parfois
avant, le petit enfant différencie à l’écoute narration et lecture.
Il est courant, en petite section d’école maternelle, que, habitués à la distinc-
tion toujours annoncée par l’adulte, les enfants demandent : « Non, tu racontes
pas, tu lis ! » Un petit de 2 ans 3 mois recommande ainsi à l’adulte commençant à
lui raconter un livre : « Pas avec ta bouche, avec le livre ! »
La lecture à haute voix se distingue en effet d’une narration « libre ». Le débit, le
rythme, la prosodie, les intonations, les caractéristiques mêmes de la voix, sont pro-
pres à la lecture d’un texte, quel qu’il soit. On lira en fin de volume (Lentin L., 1980,
« Le texte du livre illustré » in La Revue des livres pour enfants, n° 72-73) une cita-
tion de J.-P. Sartre qui, dans Les Mots, décrit de façon magistrale sa prise de cons-
cience, lors de sa prime enfance, de la différence entre raconter et lire une histoire.
L’enfant acquiert ainsi l’intuition de certains caractères de l’écrit. La perma-
nence : quel que soit le nombre de relectures, quel que soit le lecteur, le texte reste
identique à lui-même ; la signification : le petit auditeur reçoit de ce texte écrit par
quelqu’un (généralement inconnu de lui), lu par un médiateur, un discours qui
prend sens pour lui ; le plaisir : un écrit peut donc apporter une expérience positive,
voire jubilatoire.
Songeons que, pour certaines familles, les écrits pénétrant dans le foyer sont
pour la plupart porteurs de désagréments : factures, avertissements, convocations
diverses… Ou encore : les livres sont des livres scolaires des aînés, souvent géné-
rateurs d’angoisse.
Dans les lieux où vivent les tout-petits (familles, crèches, pouponnières, halte-
garderies, écoles maternelles…) le livre doit non seulement être présent mais il
doit occuper une place spécifique et privilégiée. Il ne s’agit pas d’un jouet parmi
d’autres jouets. On ne le déchire pas, on ne gribouille pas sur ses pages, on ne le
suce pas, on ne joue pas à la balle avec. Le plus tôt possible, on regarde le livre à
l’endroit, en commençant par la couverture (le titre), puis les pages dans l’ordre.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Les petites mains sont très tôt capables, si on prend le temps de le leur apprendre,
de tourner les pages une à une, sans les froisser.
Certains albums – trop rares – présentent une mise en page qui permet d’ha-
bituer l’enfant à regarder d’abord la page de gauche et ensuite la page de droite,
préparant ainsi sa future activité de lecteur. Dans ce cas, il est indispensable que
l’histoire comporte un déroulement logique, soutenu ou complété par les illustra-
tions, de la première à la dernière page. L’enfant apprenant s’habitue alors à ce
qu’une histoire, un récit, ait un début, un développement et une fin.
Contrairement à l’opinion de certains auteurs ou praticiens, cette discipline
précoce n’est nullement un obstacle à l’amour du livre, bien au contraire. Pour cer-
taines de leurs activités, les enfants apprécient les règles. Il va sans dire qu’à côté
de ces contraintes justifiées, toutes les occasions possibles d’activités entière-
ment libres doivent être constamment proposées à l’enfant. Après tant d’années
de pratique avec des petits enfants de tous milieux, je peux affirmer que, si on leur
en propose de façon appropriée, tous les enfants adorent les livres (bien entendu,
plus ou moins tôt, suivant leurs caractères propres et leur histoire personnelle).
Nous avons la chance, à notre époque et dans notre pays, de disposer d’une
quantité imposante de livres et de revues pour enfants qui, en majorité, sont de
grande qualité. Le petit enfant peut donc choisir, feuilleter, regarder, interpréter les
images à son gré, alimenter son imaginaire. L’adulte peut lui commenter certains
albums à sa façon, lui lire des poèmes ou des textes dont l’enfant profitera à plus
d’un titre, même s’il ne les comprend pas toujours vraiment.
Pour ce qui nous occupe ici, l’apprendre de la langue proprement dit, il est
besoin de livres illustrés dont les textes présentent à la fois la configuration syn-
taxique, le champ lexical, le déroulement logique, le sens qui peuvent être reçus
par l’enfant grâce à son fonctionnement coginitivo-langagier du moment.
Nos recherches sur la première acquisition du langage nous ont amenés à
expérimenter des livres illustrés dont le texte était écrit en conformité avec les
besoins de l’enfant au cours de son apprentissage 1. De même qu’il les trouve dans
les verbalisations que lui adresse l’adulte, l’apprenant rencontre dans ces textes
des schèmes sémantico-syntaxiques créateurs, sources des hypothèses qui ali-
mentent la progression de son propre fonctionnement cognitif et langagier.
Des psychologues ont montré que, pour apprendre, l’individu doit être
confronté à 80 % de connu pour 20 % d’inconnu, sinon l’apprenant est privé des

1. Des livres, conçus et expérimentés par notre équipe, ont été écrits par des auteures ayant tra-
vaillé les textes en tenant compte de nos thèses sur l’acquisition du langage (Lokra, G. Allain,
M. Bertin entre autres…). Ils ont été illustrés par des dessinatrices ayant accepté nos exigences
sur la relation texte-image, notamment Claire Lhermey, Françoise Luxereau, Maïou… On trouve-
ra les références dans la bibliographie en fin de volume.

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Français oral, français écrit : une même langue

repères qui lui permettent une acquisition. Il en est ainsi des textes qui sont lus
aux apprentis du penser-parler.

Il est bien connu que les enfants réclament inlassablement la relecture de leurs
livres préférés, ce qui parfois lasse les adultes mais est de première importance
pour les petits. Ces lectures répétées sont à la fois sécurisantes et éducatives.
L’enfant connaît de mieux en mieux l’histoire, il peut anticiper sur le texte et, en
quelque sorte, se l’approprier. Vient alors le moment où il souhaite raconter lui-
même, ce qui lui apporte à la fois le plaisir de maîtriser une narration et une expé-
rience de verbalisation explicite, cohérente, syntaxiquement construite.

Il ne s’agit nullement que l’enfant apprenne le texte du livre par cœur : il y pui-
se les éléments nécessaires à ses propres formulations, qui, en général, diffèrent
largement de celles de l’auteur (voir en bibliographie les ouvrages traitant de ces
questions, notamment L. Lentin et al. 1984 et 1995, M. Karnoouh 1986, 1988,
1992).

Passer de son parler à l’écrit de son parler

Les fonctions de la langue écrite doivent être perçues par l’apprenant avant
qu’il en acquière lui-même le maniement. L’enfant vit, entre autres, l’expérience
d’écrits servant à la communication : lettres adressées à lui, à sa famille, à sa clas-
se ; lettres envoyées à un ou des destinataire(s) qu’on lui désigne (correspondan-
ce familiale, correspondance interclasses, commandes à des fournisseurs,
demandes à une bibliothèque ou à un service quelconque) ; cahiers de correspon-
dance entre l’école et la famille ; petits messages échangés entre les membres de
la famille ou parmi le personnel de l’école ; affiches informatives placardées sur les
murs de l’école ou de la cité, que les adultes lui lisent ; tous documents transmet-
tant des informations dont le sens lui est accessible… (On lira à ce sujet l’étude de
M. Dauriat « Les écrits destinés aux adultes dans une école maternelle », in
L. Lentin et al., 1988).

Des textes, non des étiquettes

Il s’agit toujours de textes et non de mots isolés, tels qu’ils peuvent être recon-
nus globalement sur des étiquettes : café sur le bocal à café, farine sur le paquet de
farine, chat sous une image de chat, toilettes sur une porte… Dans ce cas il y a une
correspondance terme à terme entre le graphisme d’un mot et l’objet reconnu, et
non à proprement parler un acte de lecture qui, lui, consiste à chercher puis à déga-
ger du sens à partir des seules traces écrites de la langue, sans autre représenta-
tion visible. Ce même principe gouvernera également l’apprentissage systématique
de la lecture.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

La dictée à l’adulte, la dictée au formateur


Vient ensuite une expérience décisive pour que le parleur devienne un vérita-
ble lecteur-scripteur, ou plutôt un lecteur-rédacteur, et non un déchiffreur et un
copieur : l’apprenant découvre que ce qu’il parle peut devenir un texte écrit. Cette
activité est ce que nous avons appelé la dictée à l’adulte (Lentin L. et al., 1977,
M.-Th. Rébard, 1987) lorsqu’il s’agit d’enfants, puis dictée au formateur lorsqu’il
s’agit d’apprenants tardifs (Delefosse J.-M.-O., 1991). L’apprenant devient acteur
de la production d’écrit par la médiation d’un scripteur compétent.
Avant l’apprentissage systématique de la lecture, l’apprenant ressent au cours
de cette activité le rôle social de son écrit, qui a un sens pour lui : il dicte une lettre,
une recette, un événement vécu, une histoire… dont il connaît le ou les destinatai-
res. Un dialogue, une négociation avec le scripteur l’amènent progressivement à
énoncer des variantes langagières écrivables, dont la configuration est justifiée par
l’objectif nettement défini et intéressant pour lui : être compris par le ou les futurs
lecteurs de son texte.
Précisons bien la nature de cette activité car la dénomination dictée à l’adulte est
désormais, malheureusement, utilisée par de nombreux auteurs ou praticiens pour
désigner des pratiques différentes de ce qui est visé ici. Par exemple, il ne s’agit pas
de « réécriture de texte » par l’adulte, à savoir rédiger le récit écrit d’une narration
orale préalable de l’apprenant. Au contraire, il faut que, au moyen d’une interaction
verbale dirigée par le formateur, l’apprenti parvienne à dicter lui-même des énon-
ciations écrivables, c’est-à-dire formulées dans un français canonique acceptable à
l’écrit.
On constate que l’enfant qui a été bien préparé par la fréquentation de textes
de livres illustrés, qui a acquis l’intuition d’une multiplicité de variantes de la lan-
gue et qui donc dispose de la possibilité de choisir ses formulations, parvient rapi-
dement, au cours de ce dialogue avec l’adulte, à des énonciations satisfaisant aux
exigences de la langue écrite.
Il va de soi que le temps nécessaire pour obtenir cette performance diffère d’un
apprenant à l’autre. Il est indispensable d’accepter ce temps, quel qu’il soit, car il
est décisif pour un véritable apprentissage ultérieur de la lecture-écriture.
On est souvent surpris de l’efficacité de l’interaction verbale conduite au
moment où l’enfant est ainsi invité à dicter un texte à un adulte. L’enfant expéri-
mente qu’il va être maître de « son » écrit avant de pouvoir recevoir directement
l’écrit des autres par la lecture. Entendre le scripteur lui relire ce qu’il a dicté est
pour l’apprenant une joie, ou même une jouissance incomparable.
À noter que nous ne nous trouvons pas là dans une recherche formelle du
« bien-écrire », du « style élégant ». Nous sommes dans le domaine de la signifi-
cation, bien entendu à travers des formulations acceptables à l’écrit.

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Français oral, français écrit : une même langue

Un exemple
Si l’enfant dicte
– le garçon i(l) veut pas sortir
Celui qui tient la plume dira
– Bon, j’écris : le garçon ne veut pas sortir

Sans faire de remarque explicite à l’enfant mais en relisant plusieurs fois le tex-
te écrit, on s’aperçoit que, rapidement, l’enfant se met à dicter des énoncés ne
comportant pas de reprise du sujet par un pronom et utilise les deux éléments de
la négation.
L’apprenti est là en présence d’une activité double : lecture et écriture. En
effet, le formateur lit, relit inlassablement le texte écrit, depuis son début : « Je
te relis ce que tu m’as dicté et que j’ai écrit. Ça te convient ? Crois-tu que le lec-
teur comprendra ? » Observant le scripteur qui écrit sous ses yeux (les deux pro-
tagonistes sont assis l’un à côté de l’autre), l’apprenant remarque et repère les
intervalles entre les mots, les majuscules, la ponctuation et même l’orthogra-
phe. Vient ensuite le moment où le « dicteur » demande au scripteur de s’arrê-
ter : « Laisse, maintenant c’est moi qui écris ! »
Pour de nombreux apprenants, une expérience unique suffit, si elle est menée
au bon moment, et réussie. Pour quelques-uns, il faut plusieurs, voire de multiples
expériences, en commençant par un texte de dimension réduite et en progressant
doucement jusqu’à une réussite satisfaisante.

Une activité difficile


La dictée à l’adulte (ou au formateur) est une activité qui présente des difficul-
tés pour les deux partenaires. La négociation menée par celui qui tient la plume
varie avec chaque « dicteur » : nature et objectif du texte écrit, fonctionnement lan-
gagier de l’apprenant, sa préparation antérieure… Il faut trouver un équilibre ent-
re l’exigence par rapport au but fixé en commun et l’intérêt et le plaisir de
l’apprenti. Savoir s’arrêter, puis reprendre un autre jour, sans oublier qu’il s’agit
d’un effort intense, donc fatigant pour l’apprenti et astreignant pour le formateur.

Remarque
Il est toujours délicat de trouver le bon moment pour proposer la dictée à
l’adulte à un apprenant. Il faut éviter à tout prix cette activité avant que soit acquise
une maîtrise orale de la langue permettant une autonomie d’utilisation des varian-
tes langagières nécessaires, en même temps qu’une représentation pertinente de

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

l’écrit. Pour certains enfants, ce sera dès cinq ans, pour d’autres seulement à cinq
ans et demi ou 6 ans et plus.
Une bonne préparation à cette activité individuelle consiste, à l’école mater-
nelle, à pratiquer dans la classe quelques « dictées à l’adulte » collectives. Le
scripteur écrit au tableau ce qu’il choisit parmi les propositions orales des enfants
qui ont convenu d’un projet commun : lettre du groupe à un correspondant, déci-
sions concernant la vie du groupe, recettes… Les enfants font ainsi l’expérience de
la transformation en un texte écrit de leurs verbalisations orales.
Afin d’expliciter un peu mieux le déroulement de l’interaction langagière entre
un adulte et un enfant, l’exemple qui suit donne une idée de ce que peut être une
dictée à l’adulte individuelle (exemple extrait de l’étude de M. Guillou, « La dictée
à l’adulte », in L. Lentin et al., 1988, p. 167).
La situation : des dictées à l’adulte collectives ont déjà été réalisées dans une
classe de grande section d’école maternelle. « L’histoire des lapins » a été racon-
tée (et non lue) plusieurs fois aux enfants de la classe et à Emmanuel (5 ans
8 mois) individuellement, avec le support de six images que chacun des enfants de
la classe a à sa disposition sous la forme d’un petit livre qu’il a confectionné et
colorié. Le dialogue qui s’instaure (dont seul un petit extrait est reproduit ici) mon-
tre comment l’adulte apprend à l’enfant à reconnaître intuitivement les énoncés
écrivables et à acquérir une représentation de l’acte de lire (l’adulte lit et relit ce
qu’il écrit sous la dictée de l’enfant).
Les numéros sont ceux des énoncés du corpus. On trouvera en annexe les
conventions de transcription propres à la dictée à l’adulte.

A = adulte
Em = l’enfant
Em 36 – ils roulent sur la route
A 37 – Voilà.
Em 37 – avant ils ont regardé le panneau
A38 – Bon, comment est-ce que tu vas me dire cela ?
Em 38 – ils ont regardé le panneau si c’était la bonne route
A39 – Ils ont regardé le panneau pour voir.
Em 39 – si c’était la bonne route
A 40 – Si c’est la bonne route. Vas-y !
Em 40 – ils ont regardé sur le panneau si c’était la bonne route
A41 – Ils ont regardé sur le panneau si ils avaient pris la bonne route. C’est ça.
Em 41 – oui
A 42 – Bon. Ils ont regardé sur le panneau si ils avaient pris la bonne route. C’est très
bien, Emmanuel. Mais qui est-ce qui a regardé sur le panneau ?

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Français oral, français écrit : une même langue

Em 42 – les lapins
A 43 – Oui, il faudrait que tu me le dises. Alors qu’est-ce que je vais écrire ?
Em 43 – ils ont regardé
A 44 – Non, je ne vais pas écrire « ils ». Parce que, « ils ont regardé », si on ne regarde
pas l’image ça peut être le papa et la maman, ça peut être n’importe qui.
Em 44 – les lapins ils ont regardé
A 45 – Les lapins ont regardé sur le panneau si
A 46 et Em 45 (ensemble) – s’ils avaient pris la bonne route/si c’était la bonne route.

Em 68 – ils sont repartis les enfants lapins
A 69 – J’écris. Les enfants lapins sont repartis.
Em 69 – ils avaient mangé leurs goûters
A 70 – Oui, ils ont mangé leurs goûters. En fait, ils sont repartis quand ils ont mangé
leurs goûters. Quand ils ont eu fini de manger leurs goûters, ils sont repartis. Alors
qu’est ce que tu vas me dire ? Les enfants lapins sont repartis.
Em 70 – ils ont mangé leurs goûters, avant de partir
A 71 – Ah ! Ils ont mangé leurs goûters avant de partir.
Em 71 – trois petites feuilles tombaient du panier
A 72 – Trois petites feuilles tombent du panier. Tu ne dis pas pourquoi elles tombent,
les feuilles ?
Em 72 – parce qu’ils roulaient trop vite

Commentaires à propos de cette petite séquence de dictée à l’adulte :


« En A 39 et A 40, l’adulte interagit pour construire avec Em un énoncé écriva-
ble. En A 41 et A 42, l’adulte répète l’énoncé bien construit pour conforter le choix
de l’enfant. Puis l’adulte demande ce qu’il faut écrire. Em 43 donne le début de l’é-
noncé que A 45 écrit en lisant au fur et à mesure. Em 68 a quelques difficultés avec
le temps des verbes, les pronoms personnels. Aussi, quand l’adulte estime que Em
a fait le maximum, il décide d’écrire. L’adulte le signale à l’enfant, puis lit en écri-
vant. Cette lecture indique à l’enfant la forme définitive que prend l’écrit (l’adulte
procède aux changements qui s’imposent : suppression de la reprise du sujet, cor-
rection des temps des verbes). La lecture de ce que l’adulte écrit conduit l’enfant
à poursuivre l’énoncé. Comme la liaison entre l’énoncé Em 68 et l’énoncé Em 69
n’est pas satisfaisante, A 70 lui fait quelques propositions. Puis elle relit encore
une fois ce qu’elle vient d’écrire pour inciter Em à poursuivre. Em 70 a parfaite-
ment compris l’attente de l’adulte et trouve une solution originale, personnelle et
écrivable. A 70 lui fait savoir sa satisfaction et écrit l’énoncé. L’adulte apprend
donc à l’enfant à discerner l’écrivable. » (ibid., p. 170).

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5
Apprendre à lire – écrire

L IRE ET ÉCRIRE NE SONT PAS DES FONCTIONS HUMAINES, CE SONT DES USAGES
socio-historiques présents dans certaines civilisations, somme toute de date
récente. Il y a environ six mille ans seulement que les humains ont inventé des écri-
tures, alors qu’on suppose l’apparition du langage chez l’homme infiniment plus
ancienne. Le langage est une fonction biologique, propre au système nerveux cen-
tral de l’homme, la lecture et l’écriture sont des techniques inventées par l’hom-
me. À noter qu’il existe encore de nos jours des langues parlées et non écrites.
L’apprentissage du lire-écrire n’est donc pas identifiable au premier apprentis-
sage du langage, comme certains croient pouvoir l’affirmer. L’apprenti parleur,
devenu un parleur compétent, est capable de formuler explicitement sa pensée,
l’enchaînement de ses pensées, dans des énonciations verbales répondant aux
exigences de la langue. Faut-il préciser qu’il ne maîtrise pas toutes les variantes
énonciatives qu’il utilisera peu à peu durant son parcours scolaire et tout au long
de sa vie ? Il dispose toutefois d’une possibilité de choix pour s’adapter à un grand
nombre de contextes énonciatifs.
Sans rupture, le parleur a expérimenté l’écrit de son parler, dans une réalisa-
tion devenue tangible de son activité cognitive (la dictée à l’adulte, au formateur).
Il a par ailleurs été préparé, grâce à des activités graphiques diversifiées, à tracer
lui-même les signes qui permettent de transcrire une énonciation orale. Sachant
écrire les lettres de l’alphabet, il va être capable d’utiliser cette technique pour son
usage de la langue écrite, à savoir : rédiger. Une représentation équilibrée des usa-
ges de l’écrit, une intuition ainsi qu’une expérience de son statut et un désir d’ap-
prendre dans le plaisir, rendent l’enfant apte à un apprentissage systématique.

Lire
De nombreux auteurs et spécialistes ont travaillé, travaillent sur le délicat pro-
blème de la lecture et de son apprentissage. On trouvera quelques références
dans la bibliographie en fin de volume.
Les remarques qui suivent sous-tendent la conception ici adoptée : le lire et
l’écrire sont des activités langagières, supposant un fonctionnement mental

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

autonome et ne sont qu’en deuxième lieu tributaires de techniques. C’est en effet


notre fonctionnement langagier, notre expérience cognitive, qui rendent possibles
l’attribution d’un sens à ce que nous lisons et la capacité de transmettre une signi-
fication par l’énonciation écrite.
Les neurosciences nous ont appris que le lecteur expert ne déchiffre pas
chaque lettre, chaque syllabe, chaque mot. Les yeux du lecteur balayent un texte
écrit sur trois lignes au moins, procédant par allers et retours, « sautant » le plus
souvent les « petits mots » : les articles, les mots de liaison… sont pris en compte
par le lecteur sans être à proprement parler reconnus à la lecture. On considère
donc le texte comme l’unité de lecture. Il ne s’agit pourtant pas de devinettes mais
d’une activité d’anticipation, assurée par une maîtrise de la langue. Les yeux
s’arrêtent sur les mots inconnus, ou insolites. À ce moment, soit le contexte permet
d’interpréter les éléments non connus, soit il y a interruption de la compréhension,
soit il y a décision de recherche (relecture, dictionnaire ou autres documents). Bien
entendu, nous lisons différemment un texte traitant d’un domaine qui nous est fami-
lier et un texte dont le sujet nous est peu ou pas connu, une liste ou une recette, un
horaire de chemin de fer ou une publicité, un poème ou un roman…
Conséquence pour l’apprenti-lecteur : il peut dégager un sens d’un texte qu’il
tente de lire dans la mesure où la formulation et la signification de ce texte cor-
respondent aux possibilités de son fonctionnement langagier du moment et à son
expérience antérieure du monde. Si tel n’est pas le cas, l’apprenti lecteur devient un
apprenti déchiffreur, soucieux d’oraliser des signes graphiques, ce qui ne constitue
pas un acte de lecture, à savoir une interprétation signifiante par le lecteur des tra-
ces graphiques d’un texte, production langagière d’un auteur. Cette interprétation
(aidée par la possibilité d’anticipation) est rendue possible par le système syn-
taxique de la langue maîtrisé par le lecteur et par ses connaissances au sujet de la
signification du texte.
Prenons quelques exemples, connus ou moins connus, d’énoncés français
impossibles à comprendre par le seul déchiffrage mais lisibles, donc interpréta-
bles grâce à la recherche de sens, appuyée soit sur le contexte, soit sur les
connaissances du lecteur.

Les poules du couvent couvent


Le résident et les fils du président résident près de la fabrique de fils téléphoniques
qu’ils président
Il faut que nous portions les portions à la population
Ce livre est-allemand est passionnant
Le journal mentionne les menus faits de la veille
Ne pas se fier à lui, il est trop fier

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 75

Apprendre à lire – écrire

Les mots couvent, résident, président, fils, portions, est, fier ne peuvent être ni
lus ni prononcés correctement si on ne les distingue pas d’abord d’après le sens
de l’énoncé dans lequel ils sont employés. La reconnaissance des sons et la
connaissance de l’orthographe ne sont ici d’aucun secours.
Lire n’est donc pas transformer des graphèmes en phonèmes. On peut vivement
regretter que, pour la plupart et peut-être même dans leur totalité, les méthodes de
lecture destinées aux apprentis lecteurs présentent dès leur première page, en
même temps que des morceaux de texte (de valeur inégale), l’étude systématique
des « sons » qui, à nos yeux, doit constituer la dernière étape de l’apprentissage de
la lecture, au cours de laquelle l’apprenant effectue de lui-même des observations,
des comparaisons, des recoupements qui l’aident à acquérir la technique voulue.
Le fameux b, a, ba, dont la connaissance est indispensable au déchiffrage (déco-
dage technique), constitue néanmoins, au début de l’apprentissage, un obstacle à
la lecture (recherche de sens). Comme le dit plaisamment Jean Vial : « Beaucoup
d’épelé, peu de lu ».
Les exercices de déchiffrage qui, en outre, portent souvent sur des « non-
mots », des syllabes, des mots isolés (donc hors sens) ont en effet l’inconvénient
de fausser la représentation que peut se faire l’apprenant de ce qu’est lire (voir
E. Duntze, 1991, L. Lentin et E. Duntze, 1992). On peut même qualifier de « non-
textes » de nombreux énoncés proposés au débutant, défilant ligne après ligne
sans lien entre eux.
Exemple : quel sens peut être attribué à cette suite, proposée aux élèves d’un
cours préparatoire cinq semaines après la rentrée scolaire ?

Fabien ira au jardin


Qui rira ?
Marion rira bien
La souris arrive dans le jardin
Le papa de Damien va partir
r, i ri
r, a ra
i, r ir
a, r ar

Donnons à nouveau la parole à J. Bruner :

« Les phrases décontextualisées […] surgissent comme si personne ne les avait émises et
comme de nulle part ; ce sont des énoncés pris pour eux-mêmes, sans « parrainage ». Pour
en établir la signification, il faut faire appel à un ensemble extrêmement abstrait d’opé-
rations formelles […] » (op. cit., 1991, p. 75).

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 76

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

On objectera que tout un chacun croit avoir appris à lire grâce au b, a, ba. Or,
pour ceux qui sont devenus de véritables lecteurs, cet apprentissage technique n’a
été généralement pour eux que la phase finale d’un apprentissage préparatoire
antérieur de l’écrit, tel qu’il est décrit précédemment.

Écrire
Il convient de ne pas confondre écrire au sens de copier, tracer des signes gra-
phiques, et (c’est ce qui nous occupe ici) une activité d’énonciation. Écrire (rédi-
ger) est un acte langagier de communication, un acte créatif qui permet de
verbaliser sa pensée sous une forme tangible et durable.
À travers la dictée à l’adulte, l’apprenant est en contact à la fois avec l’acte de
lire et l’acte d’écrire, ce qui est indispensable pour assurer un apprentissage cohé-
rent et efficace de l’écrit. Toutefois il ne faut pas oublier que la maîtrise autonome
de l’énonciation écrite ne s’acquiert pas aussi vite que celle de la lecture. Peu à
peu, l’apprenant devient capable de produire des énonciations simples, de petits
textes, puis des textes plus importants. On sait qu’un lecteur-scripteur expert est
toujours plus performant comme lecteur que comme scripteur. Nous lisons tous
une multitude de textes que nous serions bien en peine de rédiger nous-mêmes !
La dictée à l’adulte conduit l’enfant plus ou moins rapidement à l’énonciation
écrite autonome. Après avoir copié l’écrit de son parler tracé par l’adulte médiateur,
l’enfant commence par rédiger seul de courts textes, en utilisant des éléments de
ceux qu’il a dictés à l’adulte, complétés par ceux dont il demande la graphie à
mesure de ses besoins. L’apprenant s’exerce ainsi en même temps à relire ce qu’il
écrit (des exercices appropriés de graphisme l’ont préparé dès l’école maternelle,
et au début de l’année de cours préparatoire, au tracé graphique nécessité par
l’énonciation écrite qui lui est alors proposée).
Pour réaliser ses premiers écrits autonomes, l’enfant prend appui sur son acti-
vité langagière, en interaction avec l’adulte lecteur-scripteur expert. C’est-à-dire
que sa rédaction est toujours précédée d’un échange langagier avec l’adulte. Pour
cet apprentissage, l’adulte se donne comme objectif de mettre à la disposition de
l’enfant des écrits dans lesquels il peut puiser, et de lui fournir, à sa demande, les
éléments écrits complémentaires dont il a besoin (voir C. Clesse, in L. Lentin et al.,
Du parler au lire, p. 108-125).
Dans une classe de cours préparatoire, dans une quelconque situation d’ap-
prentissage de la langue écrite, il est nécessaire d’établir un « texte de référence »
(et, progressivement, d’en établir plusieurs). À partir d’un thème ou d’une histoi-
re intéressant directement les apprenants, une dictée à l’adulte collective permet
d’écrire un texte. Chaque apprenant peut copier et conserver ce texte pour son
usage personnel.

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 77

Apprendre à lire – écrire

L’enfant est ensuite invité à écrire un texte librement. Il choisit dans le texte de
référence les éléments dont il a besoin. Il est capable de déterminer les éléments
qu’il souhaite utiliser qui ne figurent pas dans le texte de référence mais il sait qu’il
ne peut pas en inventer la graphie. Il les demande à l’adulte qui les lui fournit par
écrit, non pas sous forme de mots isolés, mais inclus dans un énoncé dont les aut-
res termes lui sont connus. Le mot est pris dans un contexte dont la signification
est accessible à l’enfant, qui peut alors le lire, puis l’écrire à la place qui convient
dans son propre texte.
L’exemple qui suit est extrait de l’ouvrage de M.-Th. Rébard Un apprentissage
personnalisé de la langue écrite, p. 159. Il s’agit d’une première énonciation écrite
libre de Natacha (6 ans 6 mois) qui dispose d’un texte de référence de 23 lignes :
Le bain du bébé. Orthographe et ponctuation sont respectées.

« Victor et Pauline tiennent bébé qui rit papa sort la baignoire pour laver bébé. Il écla-
bousse, maman arrive. »
N. a demandé les mots « rit », « laver », « éclabousse » qui ne figurent pas dans le texte
de référence et que l’institutrice lui a écrits dans trois phrases :
Il rit
Maman va laver le linge
Nathalie éclabousse la cuisine

Par la suite, on constate les progrès des énonciations écrites de N. qui s’éloi-
gne de plus en plus des textes de référence, tout en utilisant les éléments qu’elle
connaît pour rédiger des textes de son choix.

À 6 ans 9 mois, à la suite d’une visite à un garage, elle écrit :


« Jeudi 24, nous sommes allés voir le garage. Un pont monte la voiture mais les quatre
roues restaient dans le vide. »
À 7 ans 1 mois, N. écrit :
« Le bureau de mon papa.
Un jour où je n’avais pas de classe à Noël mon papa nous avait amenés à son bureau
on a vu un père Noël je ne savais pas que le père Noël existe. Après on nous a donné
un cadeau moi j’ai eu un landau ma sœur a eu un cinéma. »

Peu à peu, l’apprenant rédige des textes de plus en plus longs, de plus en plus
personnels. Conscient de ce qu’il sait ou ne sait pas écrire, il se renseigne à l’aide
de textes qu’il connaît, du « dictionnaire » qu’il s’est constitué et, plus tard, quand
le déchiffrage n’a plus de secrets pour lui, du vrai dictionnaire. Son recours ultime
reste toujours le lecteur-scripteur compétent qui est à sa disposition pour l’aider à
créer son texte.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Apprendre à lire et à écrire, c’est déjà lire et écrire. L’apprenti de la langue


écrite procède par tâtonnements, réussis ou non, et essais. Chercheur de sens, il
conçoit clairement l’activité de lecture et d’écriture, non comme un exercice tech-
nique mais comme un acte de communication entre lui et l’auteur d’un texte ou
entre lui et son lecteur.
Apprendre est donc – ici comme ailleurs – exercer déjà l’activité visée, avec
l’aide ajustée d’un médiateur expert.

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6
Questions et réponses

L ES QUELQUES QUESTIONS QUI SUIVENT ONT ÉTÉ CHOISIES PARMI CELLES


qui sont apparues le plus fréquemment lors de sessions de formation. Les
réponses sont succinctes mais peuvent être complétées par la consultation de
publications figurant dans la bibliographie.
Si les lecteurs veulent bien nous écrire pour poser éventuellement d’autres
questions, nous leur répondrons, soit directement, soit dans les éditions ultérieu-
res de cet ouvrage.

Quelle différence entre communiquer et parler ?

L’être humain communique avec ses semblables au moyen du langage, oral ou


écrit. La langue pratiquée dans une communauté est également utilisée dans les
médias modernes, quels qu’ils soient, accompagnée ou non d’images.
Il peut toutefois y avoir communication interpersonnelle sans parole, au moyen
d’onomatopées, de cris, de regards, de mimiques, de gestes, de contacts tactiles
ou corporels, d’objets transitionnels, ou également avec un minimum de parole
contenant une proportion plus ou moins importante d’implicite et même de silence.
Mais l’interprétation de ces messages transite par le langage, qu’il soit formulé ou
non.
La signification d’un acte de communication dépend de l’activité mentale à la
fois de l’émetteur et du récepteur.
Parler est une activité mentale qui, non seulement tend à assurer la communi-
cation interpersonnelle, mais constitue une action individuelle à caractère créatif.
L’être humain parle certes pour communiquer, mais aussi, ce faisant, il construit
sa personnalité, sa pensée. Il s’agit d’une réalisation individuelle de l’activité men-
tale, propre au locuteur.
Restreindre l’acte langagier à un acte de communication serait donc une ampu-
tation et une erreur.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Apprendre à parler, est-ce apprendre la langue « standard » ?


Il faut remarquer, très rapidement, qu’il n’y a pas de définition de la langue
standard, qu’en conséquence cette dénomination n’a pas de sens…
Le tout premier apprentissage du langage peut se réaliser dans n’importe quel
parler pratiqué par l’entourage du bébé. La fonction langage peut ainsi s’installer,
c’est-à-dire que l’enfant apprend à maîtriser une formulation en suite phonique
signifiante de sa pensée ou de l’enchaînement de ses pensées. Cette capacité
cognitive peut ensuite s’adapter à n’importe quel autre parler ou n’importe quelle
« grande langue » propre à une communauté.
Il ne s’agit pas, pour l’apprenti penseur parleur, d’acquérir par mémorisation
une langue figée. La fonction langage lui rend possible l’acquisition d’un fonction-
nement diversifié des usages de la langue, propre à sa communauté linguistique,
et éventuellement l’acquisition d’autres langues.

Quelle est la différence entre les exercices structuraux


et ce qui est proposé avec le concept des schèmes
sémantico-syntaxiques créateurs ?
Les exercices structuraux
À l’origine, les exercices structuraux ont été conçus pour l’enseignement des
langues étrangères. Ils ont été progressivement appliqués à l’enseignement du
français langue maternelle, essentiellement à l’école élémentaire et même, sous
diverses formes plus ou moins ludiques (comptines, chansons, jeux divers), à
l’école maternelle.
Les exercices structuraux, comme leur nom l’indique, invitent l’apprenant à
reproduire une structure à partir d’un modèle, en en changeant mécaniquement un
ou plusieurs éléments mais en ne tenant pas compte du sens (on a pu dire qu’il
s’agit d’exercices « en sens interdit »), les phrases sont présentées hors contexte.
Ces exercices proposent un maniement automatique des principales structures
grammaticales de la langue, sorte de réflexe, de conditionnement, dont on trouve
l’origine dans les travaux de Pavlov et, plus tard, de Skinner. Ce conditionnement
est destiné à faire acquérir une connaissance des structures de la langue, non à
accéder à un fonctionnement créatif issu de l’usage Intuitif de la langue. Le stimu-
lus proposé ne peut recevoir qu’une et une seule réponse.

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Questions et réponses

Exemples
Modèle donné à l’élève :
Avez-vous du thé ? Oui, j’ai du thé
Non, je n’ai pas de thé
Exercice
Stimulus Réponse attendue
Avez-vous du pain ? Oui, j’ai du pain
Non, je n’ai pas de pain
Avez-vous des pommes ? Oui, j’ai des pommes
Non, je n’ai pas de pommes
Avez-vous de l’eau ? Oui, j’ai de l’eau
Non, je n’ai pas d’eau

Cet exercice est conçu comme une sorte de dressage comportant confirmation
et rectification immédiates.
Différentes sortes d’exercices structuraux sont proposés : questions-réponses,
répétition, répétition avec addition, substitution, sans ou avec accord, transfor-
mation, réponses construites.

Exemples de cette dernière catégorie


Modèle
Je dis à Pierre : entre ! Je dis à Pierre d’entrer
Exercice
Stimulus Réponse attendue
Je dis à Paul : pars ! Je dis à Paul de partir

Les méthodes d’enseignement de la grammaire à l’école élémentaire présen-


tent, pour la plupart, ce type d’exercices, visant à l’acquisition des structures, des
formes normées de la langue. Il s’agit donc d’éliminer chez l’apprenant les « fau-
tes » de français. Le but n’est pas de l’amener à produire des énonciations verba-
les autonomes, destinées à formuler une pensée, un message, une information…
mais de lui faire construire des phrases sur le modèle d’autres phrases.
Après un grand engouement de la part des enseignants, les exercices structu-
raux ont fait l’objet de critiques approfondies, parfois par ceux-là mêmes qui les
avaient introduits. Leur efficacité s’est révélée discutable. On ne compte plus les
élèves qui, réussissant parfaitement ces exercices systématiques, restent néan-
moins « nuls en français ». En effet, la réussite de ces exercices mécaniques hors

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

contexte n’entraîne pas la disponibilité des structures au moment de parler ou de


rédiger dans un contexte donné. Il a été dûment établi que la répétition passive
n’entraîne pas une acquisition.

Les schèmes sémantico-syntaxiques créateurs


F. de Saussure nous l’a appris : la langue n’est pas un catalogue (de mots, de
formes, de structures) mais un système en fonctionnement. Nous savons que ce
fonctionnement est assuré, non par une mémorisation d’éléments inertes, mais
par une activité mentale créatrice autonome, fondée sur une connaissance intuiti-
ve de la langue, apportée par une interaction langagière adaptée avec des locu-
teurs experts.
Le fonctionnement de la langue est multiple, le locuteur scripteur disposant de
diverses variantes verbales qu’il choisit conformément à ses besoins et à la situa-
tion. L’usager expert de la langue a acquis cette possibilité de choisir les éléments
signifiants que nécessite sa pratique quotidienne de la langue en situation et non
hors situation.
L’enfant, au cours de sa première acquisition du langage, met en fonctionne-
ment un système sémantico-syntaxique avant de se plier à toutes les contraintes
morphologiques de la langue. Les quelques écarts de l’enfant, à l’oral, par rapport
aux exigences de la langue normée écrite, ne l’empêchent pas de produire des
actes de langage correspondant à son activité cognitive autonome.
L’interaction langagière, destinée à aider l’enfant à apprendre à penser-parler,
suscite donc une activité mentale, intelligente (mais non reflexive), ancrée dans la
signification, dans une situation authentique de communication. Nous avons vu,
au contraire, que l’exercice structural propose un modèle que l’apprenant doit
reproduire dans une situation de « pseudo communication ».
Le lecteur pourra se reporter au chapitre 3 de cet ouvrage qui présente des exem-
ples illustrant l’hypothèse des schèmes sémantico-syntaxiques créateurs, qui sup-
pose une activité créatrice intelligente inscrite dans un champ de signification.

À noter

Des exercices structuraux peuvent toutefois, éventuellement, trouver leur utilité


auprès d’apprenants maîtrisant déjà leur fonction langage et un fonctionnement
diversifié de la langue. À ce moment, il est parfois possible d’amener ces appren-
tis à une réflexion sur la langue justifiant la mémorisation des normes de la langue
écrite.

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Questions et réponses

Y a-t-il une différence entre langage spontané


et langage authentique ?
Pour étudier le parler des enfants en cours d’acquisition du langage, il est
apparu nécessaire de distinguer entre discours spontané et discours authentique.
Nous dirons qu’une énonciation spontanée est produite librement sans incita-
tion ni contrainte par autrui, comme une sorte de production instinctive de « pre-
mier mouvement ». Tel est, par exemple, ce que chez les enfants on a pu appeler
le « langage de la récréation », produit dans des conditions bien particulières de
communication.
Si l’on se contente de recueillir ce type de productions verbales, que ce soit
chez des enfants en voie d’acquisition du langage ou chez des adultes locuteurs
compétents, on se condamne à ne disposer que d’une portion infime de leurs
capacités langagières. Songeons, par exemple, aux émissions verbales qui surgis-
sent au cours d’un jeu, en pleine action sportive, ou encore lorsque l’on confec-
tionne un mets à la cuisine.
Par langage authentique, nous évoquons un discours qui n’est pas altéré ou
dénaturé par des stimulus contraignants, qui ne subit pas d’influence déformante.
Ce type de discours peut être produit dans des situations d’échange naturelles,
quotidiennes. L’interlocuteur de l’apprenant attend, non pas une réponse ou une
structure précises, mais des productions qui peuvent être explicites et constituer
éventuellement des exemples du fonctionnement cognitivo-langagier maximal de
celui qui parle. Des conversations familières entre un adulte et un enfant appor-
tent le plus souvent, grâce à une interaction avisée de la part du locuteur expert,
des témoignages fiables des capacités verbales de l’apprenant.
Il va de soi que de telles séquences langagières ne doivent jamais être inter-
prétées de façon isolée. Elles n’ont de valeur que dans la durée, et sont vérifiables
grâce à une étude diachronique la plus prolongée possible.

Les enfants s’apprennent-ils à penser-parler les uns aux autres ?


En parlant avec leurs pairs, les petits enfants apprennent le rôle social du lan-
gage, ce qui est indispensable. On dit souvent qu’ils ne s’écoutent pas les uns les
autres et que leurs discours sont plutôt juxtapositions que réels échanges. Ce n’est
pas toujours vrai. On assiste parfois à d’authentiques dialogues entre tout-petits.
Dans le domaine lexical, les parents sont souvent surpris d’entendre dans la
bouche de leur petit enfant toute la panoplie de « gros mots », acquis auprès de
leurs pairs après seulement quelques jours d’école maternelle.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Il est cependant évident que les apprentis parleurs ne peuvent pas élaborer
leur système syntaxique en conversant seulement avec leurs congénères. Ils ont
besoin d’une interaction ajustée de la part de leurs interlocuteurs, ce qui ne peut
être le fait de leurs coapprenants.
Il peut arriver que des enfants plus âgés aident efficacement des plus petits à
apprendre à parler mais il convient de ne pas généraliser. De sérieuses études de
psycholinguistes ont montré que, dans les familles nombreuses, les enfants par-
lent de moins en moins bien en allant de l’aîné au plus petit. L’explication est que,
d’une part, plus il y a d’enfants dans une famille, moins les adultes disposent de
temps pour parler à chacun, d’autre part, les enfants se comprennent entre eux,
sans souci de « correction » ou d’explicitation.
En même temps qu’il apprend à parler à un enfant en voie d’acquisition du lan-
gage, l’éducateur lui apprend à raisonner, à argumenter. Ceci n’est pas à la portée
d’enfants du même âge. Les thèses exposées dans cet ouvrage montrent sans
doute amplement que le rôle interactif joué par l’éducateur auprès de l’apprenti
penseur-parleur ne saurait être joué par l’un de ses pairs.

Que penser de l’apprentissage d’une langue étrangère


à l’école maternelle ?
Il ne peut s’agir d’un apprentissage, ni à plus forte raison de « bilinguisme »,
comme on a pu l’évoquer à tort, mais d’une modeste sensibilisation dont les effets
pour l’avenir sont au moins contestables.
La population de nos écoles est constituée, dans une proportion non négli-
geable, d’enfants vivant dans un milieu francophone, mais dont les usages langa-
giers ne sont pas ceux de l’école. Il ne semble donc pas souhaitable de consacrer
temps et énergie à une fréquentation systématique d’une autre langue que le fran-
çais, dont tous les enfants ont un besoin impérieux, tant pour leur parcours sco-
laire que pour leur vie de citoyen.
Il n’est pas question de discuter l’importance de l’apprentissage des langues
vivantes. Mais chaque chose en son temps : la maîtrise de la langue maternelle
pour les enfants francophones, la pratique d’un bilinguisme obligé pour les
enfants non francophones vivant en France, avec toutes les difficultés que cela
peut comporter, sont une garantie pour le futur apprentissage d’autres langues
(voir le numéro 38, 1997, de la revue L’acquisition du langage oral et écrit consa-
cré aux questions soulevées par le bilinguisme).

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 85

Questions et réponses

Y a-t-il un ordre dans les acquisitions langagières ?


Il n’y a pas, chez l’enfant, d’ordre obligé des acquisitions langagières. À cela
deux raisons essentielles :
1. Les acquisitions dépendent des caractéristiques personnelles de l’apprenant,
de son rythme propre de développement, de son goût pour le langage. C’est
ainsi que l’on constate une grande dispersion d’âges pour l’apparition d’un
discours construit, syntaxiquement organisé, lexicalement pertinent. Certains
bébés, dès dix-huit mois, produisent de telles énonciations. D’autres, parfois
jusqu’à deux ans et demi ou trois ans n’en produisent aucune.
À noter que l’époque, précoce ou tardive, où apparaissent les formulations
usuelles de la langue, n’influe en aucune façon sur l’avenir mental et verbal
de l’apprenant, à condition toutefois qu’on ne cesse jamais de lui parler de
façon diversifiée, même si lui ne parle pas ou peu.
2. Pour faire ses choix, pour s’exercer en formulant inconsciemment des hypo-
thèses sur le fonctionnement de la langue, l’apprenti parleur est tributaire de
l’apport langagier qu’il reçoit de ses interlocuteurs. Il est facile de concevoir
les différences considérables existant d’un locuteur francophone à l’autre.
L’ordre de succession des acquisitions langagières de l’apprenant en est
nécessairement influencé. Il va de soi qu’aucun nourrisson de six mois ne produira
un énoncé comportant une subordonnée relative, et que si un enfant de cinq ans
ne produit que des phrases de deux éléments, il faut s’inquiéter… Mais il n’est pas
possible d’établir un calendrier de l’acquisition du langage.
Chez les bébés, on constate quelques phénomènes généraux : production de
voyelles et de quelques consonnes au cours des premiers mois, assemblages de
deux sons ou de deux syllabes. Le passage à l’assemblage de trois éléments se
remarque souvent comme un progrès sensible (trois syllabes et, plus tard, trois
« mots » ou éléments langagiers distincts). Beaucoup de petits enfants mettent
plusieurs mois à passer de colat à chocolat, de palon à pantalon, de veux pas à
veux pas manger, etc. À remarquer que, franchie cette difficulté de la combinaison
de trois éléments, l’apprenant accède facilement à l’assemblage de quatre (ou
plus) syllabes ou éléments langagiers.
De nombreux travaux ont tenté d’établir un ordre d’apparition des différents élé-
ments grammaticaux : verbes, substantifs, pronoms, prépositions, « connecteurs »…
sans qu’aucune généralisation ne soit convaincante.
Faisons néanmoins appel au bon sens : l’enfant profite de tous les apports et il
a besoin, de temps à autre, d’une interaction langagière appropriée qui lui per-
mette de progresser à partir de ses réalisations du moment. L’essentiel est qu’il
progresse par rapport à lui-même et non pas par rapport à une quelconque norme
de développement.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

À quel âge peut-on affirmer qu’il y a « retard de langage » ?


Il n’est pas possible d’indiquer un âge précis à partir duquel on puisse décider
qu’un enfant présente un retard de langage. Le diagnostic est délicat à établir. En
premier lieu, ne pas perdre de vue l’irrégularité du développement du langage
chez l’enfant car les disparités sont considérables. En outre, l’activité cognitivo-
langagière est dépendante de nombreux paramètres d’ordre psychologique,
physiologique, perceptif, sociologique.., et les indices de « retard » sont difficiles
à repérer. L’écueil le plus fréquent est de confondre une difficulté (souvent passa-
gère) de prononciation avec une pathologie du langage.
Seule une longue fréquentation des très jeunes enfants permet de distinguer
un apprentissage lent du langage d’une acquisition retardée. Il faut se méfier de
conclusions hâtives, dans un cas comme dans l’autre. Dans l’éventualité de doute
ou d’inquiétude, il est préférable, sans affoler l’entourage, de consulter un spé-
cialiste, un psychologue ou un orthophoniste.
On peut regretter, à ce sujet comme dans bien d’autres, que la formation des
futurs professeurs d’école ne réserve pas davantage de place à cet aspect des acqui-
sitions de l’enfant.

Comment les enfants sourds apprennent-ils à parler ?


L’apprentissage du parler-penser par un enfant sourd dépend, au début, essen-
tiellement de l’information et des choix de son entourage.
Jusqu’à une époque récente, du moins en France, on n’apprenait aux enfants
sourds que le parler oralisé, ce qui constitue un tour de force : lecture labiale, dif-
férents dispositifs pour pallier l’absence d’accès au son, etc.
Toute langue est un système de signes. Or ces signes peuvent être aussi bien
gestuels que vocaux. C’est ainsi qu’est née la langue des signes, véritable langue
désormais universellement reconnue. Il s’ensuit que la première langue « naturelle »
de l’enfant sourd est la langue des signes, qui assure son développement cognitif
par la connaissance du monde qui l’entoure et constitue pour lui un moyen de com-
munication équivalent à la langue oralisée, à condition qu’il s’entretienne avec des
interlocuteurs sourds, ou entendants, maîtrisant cette langue.
Afin de s’insérer dans la société parlante dans laquelle il vit, l’enfant sourd doit
ensuite devenir bilingue, c’est-à-dire apprendre en deuxième langue la langue
orale, qui l’amène à la langue écrite, dont l’acquisition est grandement facilitée par
l’établissement préalable de la fonction langage dans la langue des signes (pour
une information succincte : voir E. Manteau, 1997 ; pour une information poussée
D. Bouvet, 1982, 2003).

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Questions et réponses

Que faire avec des enfants « mutiques » ?


Le mutisme d’un jeune enfant n’est pas à proprement parler un problème de
langage. Il s’agit toujours d’un phénomène psychologique, éphémère ou durable,
dont les origines peuvent être diverses.
Dans les écoles maternelles, on connaît bien ces enfants, dont les parents quel-
quefois disent qu’ils sont bavards en famille, et qui peuvent rester des mois, voire
plus, sans faire entendre le son de leur voix en milieu scolaire. Situation embarras-
sante, angoissante même pour les éducateurs, qui parfois, avec le temps, se dénoue
d’elle-même un beau jour, sans que l’on sache toujours comment.
Il est impératif que les adultes ne s’acharnent pas sur ces enfants. Il faut ban-
nir tout reproche et même toute allusion à cette absence de parole et surtout ne
pas cesser de leur parler, comme s’ils dialoguaient, comme s’ils chantaient avec
les autres. Si vraiment le mutisme est trop tenace, il y a lieu de consulter un
psychologue ou un pédopsychiatre. Pour ce phénomène, comme pour bien d’aut-
res, il est difficile d’énoncer des règles générales.

Comment aider des enfants bègues ?


Le bégaiement est toujours un symptôme, non un problème de langage.
Il faut toutefois distinguer le faux bégaiement, que l’on rencontre fréquemment
chez l’enfant en cours d’acquisition du langage, et souvent chez l’enfant qui aime
parler, qui parle beaucoup et bien. Les mots « se bousculent », ou bien l’enfant
cherche à formuler le mieux possible ce qu’il veut dire, ce qui l’amène à buter sur
les mots, à répéter plusieurs fois le même mot ou la même syllabe. Peu à peu, ces
manifestations d’hésitation se font plus rares, puis disparaissent d’elles-mêmes
lorsque se met en place une maîtrise grandissante de la langue.
Pour aider un apprenant aux prises avec ce faux bégaiement, on ne peut que
lui déconseiller la précipitation, l’encourager dans ses efforts, surtout ne jamais lui
enjoindre de répéter, ou de « parler mieux », bref ne pas accorder trop d’impor-
tance à cette particularité.
Le vrai bégaiement est un phénomène complexe, aux origines souvent diffici-
les à déterminer. Il ne s’agit ni d’un problème langagier ni d’un problème moteur,
mais d’une manifestation d’ordre psychologique qu’il y a lieu de considérer avec
ménagement. Surtout ne pas en rendre l’enfant responsable : il ne peut pas agir
volontairement contre son bégaiement. Ne pas lui faire répéter des mots, éviter à
tout prix de le culpabiliser à ce sujet.
S’il s’agit d’un bégaiement tenace, le spécialiste compétent à consulter est le
pédopsychiatre, qui conseillera sur la conduite à tenir. Il faut savoir que, dans la
majorité des cas, le bégaiement est difficile à traiter.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Un enfant qui a besoin d’un entraînement cognitivo-langagier


à l’école maternelle est-il un enfant en difficulté ?
Nous l’avons vu, tous les enfants ont besoin d’un entraînement cognitivo-
langagier pour établir leur fonction langagière et l’inscrire dans la langue de leur
communauté.
Cet entraînement peut se réaliser de façon intensive dans le milieu de vie de
l’enfant. Si tel n’est pas le cas, le rôle de l’école maternelle (et éventuellement,
avant elle, de la crèche) est de fournir à chacun ce qu’il est en droit d’attendre de
la société. Dans notre pays, les enfants fréquentant l’école maternelle sont, dans
leur majorité, concernés. D’importants travaux de sociologues de l’éducation ont
montré, dans les années soixante et soixante-dix, qu’il ne s’agit pas là de « com-
penser » un manque mais bien de remplir la fonction d’éducateur par excellence.
On ne saurait évoquer des « difficultés » d’apprentissage avant d’avoir proposé
à l’enfant une interaction éducative adaptée. L’école a pour vocation d’apprendre
à l’enfant et non de constater ce qui a été appris ou non ailleurs.

Interaction langagière au sein d’un petit groupe ou interaction


entre un adulte et un enfant : quelle différence ?
Au sein d’un groupe, les phénomènes d’interaction langagière peuvent être
positifs pour chaque membre du groupe mais ils ne peuvent être strictement ajus-
tés à chacun selon ses besoins.
Dans le groupe se produit généralement une complémentarité entre ce que
disent les uns et les autres, sans que nécessairement l’énonciation de chacun soit
entièrement et correctement construite. Si ces échanges sont, certes, indispensa-
bles, ils ne sont toutefois pas suffisants pour l’apprendre de chacun.
Interaction individualisée ne signifie ni préceptorat, ni rééducation, ni soutien.
Comme indiqué plus haut, toute interaction individualisée ne suppose pas un
apprenant en difficulté, mais un apprenant tout court.
L’acte d’apprendre exige le fonctionnement de l’intelligence. Le fonctionne-
ment de chacun étant unique, apprendre est une activité individuelle. Que deux
enfants aient les mêmes caractéristiques psychologiques, la même histoire per-
sonnelle, les mêmes repères, la même expérience, est impossible. Le discours de
l’autre est reçu et travaillé différemment par chacun.
Par des tâtonnements et des interactions successives et complexes, par des
apports répondant aux questions de l’apprenant, l’éducateur parvient à ajuster de
mieux en mieux son discours à chaque individu. Vient le moment où l’apprenant
réussit à circonscrire et à nommer ses ignorances, qui ne sont pas forcément les

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Questions et réponses

mêmes que celles de son voisin. Il demande alors « Qu’est-ce que tu as dit ? », « Je
n’ai pas compris ! », « Qu’est ce que ça veut dire ? ». À partir d’erreurs, d’hypothè-
ses, de recherches qui lui sont propres, l’apprenti parvient ensuite à une activité
créative. Telles sont les caractéristiques du processus de l’apprendre : activité per-
sonnelle de chacun dans sa singularité, quel que soit l’objet de l’apprentissage.
Même si ces moments ne peuvent être que de très courte durée, il est indispen-
sable que chacun se trouve parfois dans la situation d’autonomie que suppose la
création verbale personnelle. L’éducateur se doit de réserver à chaque apprenant
de telles possibilités.

Comment mettre en pratique une interaction individualisée


au sein d’une collectivité (famille, crèche, halte-garderie,
école maternelle…) ?
Quelle que soit la dimension d’un groupe d’enfants, l’adulte qui en a la charge
s’adresse plus souvent qu’on l’imagine à un enfant individuellement. La difficulté,
pour exercer une interaction langagière efficace, est de dialoguer avec chacun des
membres du groupe d’une façon adaptée. Ceci n’est réalisable que s’il y a de la
part de l’adulte une réflexion préalable qui justifie son effort de formulation ver-
bale personnalisée et une organisation appropriée des activités du groupe.
De nombreuses applications ont montré que, même très jeunes, les enfants sont
capables d’attendre que l’adulte ait fini de parler avec un autre membre du groupe,
à condition qu’on leur ait fait vivre et qu’ils aient compris le « chacun son tour ». Ce
mode de fonctionnement d’une collectivité suppose aussi que, très tôt, l’enfant ait
été habitué à une certaine autonomie qui lui rend possibles des activités ne néces-
sitant pas une aide permanente (voir à ce sujet M. Guillou, 1994 et M. Bertin, in
L. Lentin et al., 1995). Dans cette perspective, le langage n’est pas seulement objet
d’apprentissage mais aussi, et peut-être surtout, un moyen d’apprendre.
En effet, toute activité proposée à l’enfant peut lui être explicitée verbalement,
en ajustement avec ses besoins propres. Devant une tâche à accomplir (s’habiller,
se servir à boire, se laver les mains, réaliser un puzzle, exécuter un mouvement
corporel, tracer un graphisme, enfiler des perles, interpréter une image…), chaque
apprenant se livre à des tâtonnements, formule des interrogations, tente des
essais, qui lui sont propres. Un échange verbal, même très bref, peut assurer à
chacun l’apport dont il a besoin dans l’instant.
Une telle pratique est sans doute plus contraignante pour l’éducateur qu’une
verbalisation « standard » adressée au groupe entier, mais combien plus efficace !
Il s’agit là avant tout de discipline et d’organisation et, l’habitude venant, l’adulte
exerce sans mal cette interaction langagière nécessaire à chacun qui, finalement,
lui apparaît assez rapidement comme naturelle.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Comment s’y prendre avec des apprenants tardifs ?


Le principe de l’interaction langagière adaptée est valable, quels que soient
l’âge et l’histoire personnelle de l’apprenant.
Qui sont ces « apprenants tardifs » ? Enfants ayant échoué au premier appren-
tissage de l’écrit, préadolescents et adolescents en échec scolaire, jeunes adultes
ou adultes « illettrés » ou « analphabètes », voire même personnes trop rapide-
ment qualifiées d’« handicapées mentales ».
Tous sont des sujets parlants. Il est donc possible de s’appuyer sur leurs capa-
cités mentales et verbales pour travailler en premier lieu sur l’énonciation orale et
les amener à la maîtrise de variantes énonciatives diversifiées, pour passer très
progressivement à la dictée à l’adulte (au formateur), puis à l’énonciation écrite
autonome.
Chacun de ces apprenants tardifs a une histoire personnelle déjà plus ou moins
longue, plus ou moins douloureuse. Son apprentissage du lire-écrire en dépend et
dépend surtout de son désir et de sa volonté d’apprendre. Il est évident que, avec
ces apprenants, il est essentiel de pratiquer une interaction verbale adaptée, ce
qui suppose chez le formateur souplesse et imagination.
La démarche proposée n’étant pas le b, a, ba mais un travail exclusivement ancré
dans la signification, il faut à tout prix proposer à l’apprenti des conversations, puis
des textes adéquats, dont le contenu l’intéresse. Différents travaux concernant les
apprenants tardifs ont déjà été publiés. On se reportera avec profit aux ouvrages
figurant en bibliographie (notamment F. Coppalle 1990, J.-M.-O. Delefosse 1991,
1996, M. Uzé 1989).

Y a-t-il une démarche spécifique


pour les apprenants non francophones ?
Cette question se pose en effet quotidiennement dans nos écoles, notamment
au sujet des enfants de migrants.
La démarche d’interaction langagière utilisée avec les apprenants francopho-
nes est valable également pour les non-francophones, puisque l’éducateur
formule toujours ses propositions verbales en tenant compte du fonctionnement
langagier de son interlocuteur.
S’agissant d’un apprenant ignorant complètement le français, il faut bien
entendu lui fournir au départ, à la faveur d’activités appropriées, un lexique mini-
mal utilisé dans des verbalisations présentant des constructions syntaxiques à
complexité progressive. La vie sociale en pays francophone facilite grandement
ces acquisitions lexicales.

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Questions et réponses

Il convient de distinguer deux cas différents : soit l’apprenant maîtrise déjà sa


fonction langage dans le parler de son milieu familial, soit il n’a pas encore accom-
pli cette première acquisition.
Dans le premier cas, l’activité cognitive nécessitée par le parler étant déjà assu-
rée, l’apprentissage d’une deuxième langue dans un milieu francophone est en
général facile, à condition de pratiquer l’apport langagier voulu. À noter qu’il est
déconseillé de demander à l’apprenant de traduire d’une langue dans l’autre. Si
tout se passe bien, il deviendra bilingue en utilisant l’une et l’autre langue comme
des variantes énonciatives lui permettant de formuler ses pensées et de commu-
niquer avec ses interlocuteurs dans leurs langues respectives.
Dans le deuxième cas, qui est celui d’un très jeune enfant, l’apprenant établit
sa fonction langage à la fois dans le parler familial et en français. Cette double
acquisition est parfois un peu plus lente mais si aucun blocage d’ordre affectif ou
social n’interfère elle se réalisera dans les mêmes conditions que dans le premier
cas.
Dans les deux cas d’apprentissage, il est fondamental que la langue d’origine
soit explicitement valorisée et ressentie par l’apprenant comme une richesse sup-
plémentaire, non comme un handicap (voir sur cette question la revue
L’acquisition du langage oral et écrit, 1997, n° 38).

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Problématique de l’acquisition
du lexique par l’enfant tout-venant
depuis la naissance 1

L ES TRAVAUX DE RECHERCHE QUE JE CONDUIS DEPUIS UNE VINGTAINE


d’années concernent l’acquisition du langage oral et écrit.
Les populations d’enfants observées peuvent être qualifiées de « tout-venant »
bien qu’il ne soit pas toujours facile ni pertinent dans ce domaine comme dans
bien d’autres de délimiter le « normal » et le « pathologique ».
Un enfant de 5 à 6 ans qui remplace fréquemment la dénomination de concepts
ou d’objets par « truc », « machin », « bidule »…, un enfant qui déclare à tout bout
de champ « j’sais pas comment ça s’appelle »…, un enfant qui confond « facteur »
et « docteur », un enfant qui ne comprend pas quand on lui parle de ses « sou-
liers »…, ces enfants présentent-ils nécessairement une pathologie de l’acquisition
du lexique ?
Certes non. J’y reviendrai.
L’étude de l’apprendre à penser-parler de l’enfant depuis la naissance m’a rapi-
dement amenée à choisir comme champ privilégié d’observation, d’analyse, de
réflexion, d’expérimentation, celui de la syntaxe.
Est-ce à dire que ce choix exclut l’observation des acquisitions lexicales de
l’enfant ? Évidemment non ! Depuis Saussure (au moins), chacun sait que la mise
en fonctionnement du système langagier de l’être humain est un phénomène
sémantico-syntaxique qui, en particulier, inclut les aspects lexicaux.

1. Ce texte est paru dans Rééducation Orthophonique, Vol. 27, septembre 1989, n° 159.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Que peut-on entendre par « lexique » ?


La linguistique actuelle n’oppose plus lexique et grammaire, mais travaille sur
des unités porteuses d’une forme et d’un sens : les morphèmes grammaticaux qui
sont en nombre restreint (la liste en est fermée), les morphèmes lexicaux qui sont
innombrables (la liste en est ouverte).
Dans un mot considéré comme une unité graphique, on peut admettre qu’une
partie appartient au domaine de la grammaire, une autre au lexique. Exemple :
dans grande, on pourra distinguer l’élément lexical grand et la marque grammati-
cale de féminin e.
Certains mots sont définissables par une description (maison, chien, casse-
role…), d’autres sont beaucoup plus délicats à définir (manger, comprendre, brû-
ler, etc.), d’autres encore présentent de grandes difficultés aux auteurs de
dictionnaires : les prépositions (dans, sur, entre…), les conjonctions (parce que,
et…), etc.
Je ne m’étends pas sur ces considérations, je souligne seulement ici qu’il est
impossible d’établir un relevé exhaustif des « mots » d’une langue, de même qu’il
est impossible d’établir un relevé exhaustif du lexique d’un individu, quels que
soient son âge et ses compétences.

Distinguer lexique et vocabulaire


Si on enregistre au magnétophone un locuteur, dans le but d’évaluer sa com-
pétence lexicale, on pourra certes relever une liste de mots (i.e. le vocabulaire) uti-
lisés par le locuteur dans le corpus recueilli, mais il serait erroné d’en déduire
l’évaluation de sa compétence lexicale.
En effet :
1. Tout locuteur n’utilise que partiellement les mots dont il dispose, puisque
toute énonciation suppose des choix.
2. Tout locuteur n’utilise qu’une partie des mots qu’il est capable de reconnaî-
tre (de « comprendre »). On dit qu’il dispose d’un vocabulaire actif d’un
vocabulaire passif, l’un et l’autre appartenant à sa compétence lexicale.
S’il en est ainsi d’un locuteur maîtrisant la langue, à plus forte raison en est-il
de même chez un enfant au cours de son acquisition du langage.
Ces considérations – beaucoup trop rapides, bien entendu – excluent toute
évaluation synchronique du système lexical d’un locuteur, qu’il maîtrise la langue
ou qu’il soit en cours d’apprentissage.

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Problématique de l’acquisition du lexique par l’enfant tout-venant depuis la naissance

Lexique et syntaxe
Les travaux relativement récents de la lexicographie ont profondément renou-
velé la conception même des dictionnaires dont les auteurs se soumettent désor-
mais à des critères linguistiques.
Les lexicographes prennent en considération l’intrication entre lexique et syn-
taxe ; le lexique n’appartient donc plus à un domaine isolé, mais se rattache aux
autres domaines de la linguistique.
Il s’ensuit que dans l’étude du fonctionnement du langage et donc de son
acquisition, syntaxe et lexique sont considérés comme indissociables.
Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, la conséquence incontournable de ces
conceptions est qu’il est devenu pour les linguistes hors de question d’envisager
le lexique de façon spécifique, ce qui conforte le parti-pris qui est le nôtre de ne
jamais étudier les éléments lexicaux que par rapport à leurs contraintes contex-
tuelles.
À noter que, dans l’état actuel des connaissances, et malgré de nombreuses
recherches en cours, on connaît encore très mal le fonctionnement des éléments
lexicaux des langues. Toutefois il est établi – ceci est d’une importance décisive
pour l’étude de l’acquisition du lexique – que les locuteurs d’une même langue
peuvent avoir des compétences lexicales diverses, alors que la compétence syn-
taxique est (ou peut être) pratiquement la même chez tous.
En ce qui concerne l’acquisition du langage et l’observation qu’il est possible
d’en faire, il importe de prendre dès l’abord en considération ce donné que le sys-
tème syntaxique d’un locuteur compétent dans une langue est relativement fixe et
complet alors que son système lexical est nécessairement partiel, dépendant de
son histoire personnelle, et amplement variable. Le lexique, en effet, bien plus que
la syntaxe et surtout bien plus rapidement, évolue dans la langue et chez chaque
usager de la langue.
Je ne prendrai qu’un seul exemple qui m’a récemment frappée simplement pour
en sourire : jusqu’à un passé récent l’expression « lever le pied » désignait la fugue
d’une dame quittant le domicile conjugal… De nos jours, « lever le pied » (sous-
entendu de l’accélérateur de la voiture) signifie réduire une activité, atténuer un
engagement…

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Rôle de la mémoire dans le fonctionnement


et l’acquisition du lexique
L’acquisition du lexique, comme toute acquisition, nécessite une activité de
mémorisation.
Les recherches récentes des cognitivistes sur la mémoire nous fournissent des
vues nouvelles et éclairantes. Sans développer ici ce vaste champ d’étude et de
réflexion, il faut cependant évoquer le courant qui tend à devenir prédominant qui
assigne à la mémoire, non plus un rôle spécifique de stockage de significations lin-
guistiques, mais le rôle d’un stockage général du savoir. La mémoire est utilisée
par chaque individu pour construire sa conception du monde ; elle constitue un
système en réseau formé de concepts et de relations entre ces concepts.
Et – aspect important notamment pour l’acquisition du langage – l’homme
(contrairement aux autres animaux) est capable, d’une part d’utiliser sa mémoire
pour produire des textes (manifestations de portions de la mémoire) et d’autre part,
de recevoir des textes qui entraînent la modification de portions de la mémoire.
D’après Figge et Job, 1987, il y a quatre espèces de concepts : de propriété,
d’objets individuels, de catégorie de différents niveaux, d’objets généraux de dif-
férents niveaux.
Le propos n’est pas ici de développer ces analyses. Considérons plutôt
quelques exemples d’emplois lexicaux chez Anne-Sophie à l’âge de 1 an 10 mois.

[1] [ɔvwa]
signifie à la fois : au revoir, manteau, cagoule, sac, voiture.
(2) [pε̃]
signifie à la fois pain et tout ce qui se mange.
(3) [wawa]
signifie à la fois chien, chat, animal à quatre pattes leur ressemblant plus ou moins.
(4) [abwa]
signifie à la fois : à boire, verre, biberon.
(5) [asi]
signifie à la fois assis(e), je veux m’asseoir, je m’asseois, chaise.
(6) [ba]
signifie à la fois : balle, ballon, ce qui est rond.

Dans chacun de ces exemples, on constate l’extension du champ de significa-


tion d’un seul élément lexical révélant dans la mémoire d’A.-S. le fonctionnement
de catégories qui lui sont propres – et qui (cela va de soi) prennent appui sur l’ex-
périence du monde qui est la sienne. Par hypothèse, le bébé a choisi un signifié

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Problématique de l’acquisition du lexique par l’enfant tout-venant depuis la naissance

dans ce qu’il a perçu des verbalisations adultes coïncidant avec ce qu’il a reconnu
et conceptualisé du contexte événementiel vécu.
Dans (1), on peut admettre que l’enfant ne dispose dans son réseau mnésique,
dans ses relations interconceptuelles, que d’une catégorie générale « départ »,
« changement de lieu », « promenade »… (appliquée à soi-même ou à autrui). Il tra-
duit donc par un seul élément lexical [ɔvwa] l’ensemble des concepts qui pour l’a-
dulte (ou même l’apprenant un peu plus âgé) constitue un ensemble de catégories
de différents niveaux se diversifiant en catégories de propriété, d’objets indivi-
duels ou même d’objets généraux.
Dans (3), le concept général de « chien » englobe pour A.-S. tous les quadru-
pèdes qu’elle connaît et ceux qui lui paraissent leur ressembler. Pour que cette
catégorie conceptuelle se différencie en sous-catégories des divers quadrupèdes,
il est nécessaire qu’intervienne un déplacement de la typicalité, ce qui est d’une
grande complexité.
En observant diachroniquement les acquisitions d’un enfant, on constate que
les champs de signification des éléments lexicaux se rétrécissent, les concepts se
précisent, se spécialisent, s’opposent dans les relations que le bébé devient capa-
ble d’établir. Ces modifications de la distribution des éléments lexicaux chez l’en-
fant ne sont possibles que grâce à des expériences repétées que vit l’enfant,
expériences constamment verbalisées dans leur contexte par l’adulte.
De nombreuses occurrences des mêmes rencontres référent-représentation
verbale sont en général nécessaires pour que le petit apprenti-penseur-parleur
parvienne à une hiérarchisation des concepts qui se rapproche peu à peu de celle
d’un adulte.
En effet, un individu disposant du concept général de « chien » sait que le chien
est un quadrupède, mammifère, à poils, qu’il aboie, qu’il est en général domesti-
qué, qu’il peut mordre, qu’on peut le dresser, qu’il s’alimente de telle et telle
façon, qu’il existe un grand nombre d’espèces (dont il connaît certaines) de chiens
de toutes tailles, de toutes couleurs, de tous caractères, etc. On peut en outre
avancer que le concept général de « chien », ne gouverne pas le même réseau de
référents chez tous les locuteurs.
Chez le très jeune enfant, on constate que l’élément lexical « chien » peut à la
fois (c’est le cas d’A.-S.) s’étendre indûment à des « non-chiens » ou inversement
désigner un référent unique de chair et d’os (Boby, le chien de la maison, familier
à l’enfant).
Une constatation surgie au cours des expérimentations avec des tout-petits
concerne les imagiers. La plupart d’entre eux présentent les objets et les animaux
précédés de l’article défini : le chien, le lit, le pantalon, la pelle, la fleur… La consé-
quence est que si ces dénominations ne correspondent pas aux référents connus

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

de l’enfant dans son expérience du monde, il y a décalage et non identification.


C’est pourquoi il faut préférer (ce que de rares éditeurs acceptent) : un chien, un
lit, un pantalon, une pelle, une fleur…
Il va de soi que l’enfant ne peut parvenir à la typicalité d’ordre général s’il ne
prend pas conscience dans son expérience propre qu’il existe différents référents
correspondant à un même élément lexical, ou encore plusieurs éléments lexicaux
correspondant à un seul référent.

Exemple:

Jean-Louis, 4 ans 2 mois, auquel on demande d’énumérer les desserts qu’il connaît, et
qui reste muet. On lui souffle : une banane, de la mousse au chocolat…, en vain. J.-L. n’a
pas conceptualisé dans son expérience verbalisée l’élément lexical de catégorie supé-
rieure « dessert », il ne peut donc s’en servir pour classer dans cette catégorie d’autres
référents, par ailleurs connus de lui sous leur dénomination verbale.

Le même phénomène s’est produit avec Martine, 5 ans 5 mois, à laquelle on


demandait de nommer les meubles qu’elle connaissait… Il y aurait à ce sujet beau-
coup à dire sur certains « exercices de vocabulaire » proposés aux jeunes enfants.
Dans la saisie de la typicalité des concepts et de leur expression lexicale, le
locuteur compétent se distingue de l’apprenant justement par les différents
classements de catégorie supérieure qu’il peut faire par exemple de l’élément
« chien » : un être vivant, un animal, un quadrupède, un mammifère, etc.

Apparition chez l’enfant des premiers éléments syntactico-lexicaux

Les travaux de recherche que nous menons sur des enfants depuis la naissance
révèlent certes certaines régularités dans les processus d’acquisition, mais ils font
ressortir principalement des particularités propres à chaque apprenant dans les
acquisitions elles-mêmes et dans le rythme de leur progression.

Méthodologie

Je ne m’étends pas ici sur la méthodologie mise au point dès 1969 (voir
L. Lentin et al. 1984 et 1988), et enrichie depuis par les praticiens-chercheurs qui
travaillent avec moi : enregistrements de dialogues de vie quotidienne (non stan-
dardisés, en toute situation) entre l’enfant et l’adulte (ou les adultes) qui lui
parle(nt), transcriptions, analyses, comparaisons.
Nos études sont toujours diachroniques, c’est à dire que nous suivons chaque
enfant au fil des semaines, des mois, des années.

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Problématique de l’acquisition du lexique par l’enfant tout-venant depuis la naissance

Il convient de préciser que nous ne travaillons pas sur de grandes populations


de bébés. Nos moyens sont en effet limités car nous ne bénéficions pratiquement
d’aucune aide institutionnelle, l’essentiel des recherches étant assuré par des pra-
ticiens qui, par ailleurs, exercent leur profession à plein temps. Toutefois, au fil des
années, le nombre des observations est devenu important.

Les premiers éléments de signification


Dès les premières semaines de la vie du bébé, nous tentons de saisir dans ses
émissions phoniques les relations qu’il établit entre ce qu’il capte des verbalisa-
tions des adultes et ce qu’il retient des événements qu’il vit. Recherche ardue car
le plus souvent les signifiants articulés par le bébé ne ressemblent que de très loin
– parfois même ne ressemblent pas du tout – à des mots de notre langue.

Marion, 2 mois, articule avec insistance des « i » sonores et joyeux pour accueillir son
biberon et cette dénomination devient dans les semaines qui suivent « an ». En exa-
minant a posteriori les corpus recueillis par les parents, on s’aperçoit que la mère
accompagne régulièrement l’offre du biberon à Marion d’énoncés du genre : « voilà ton
biberon, ma chérie » (en accentuant la dernière syllabe), « c’est le biberon de ma peti-
te chérie », « il est bon le biberon de ma chérie », « elle a fini son biberon, ma
chérie », etc. Bien que la mère prononce souvent le mot « chérie » en d’autres occa-
sions, M. a provisoirement attribué au référent « biberon » la dénomination « i » puis
« an ». Cet usage a persisté plusieurs semaines.

De telles mises en relation sont propres à chaque bébé. Comme elles ne durent
parfois que très peu de temps (deux ou trois jours, une semaine…), il est difficile
de les déceler. Paradoxalement, il est plus facile pour nous de suivre les hypothè-
ses langagières des enfants dont le rythme d’acquisition est plus lent que celles
des enfants dont l’évolution est rapide.
Mon hypothèse est que, bien plus souvent que nous le pensons, le nourrisson
ne se contente pas de la jubilation que lui procure son babil, mais qu’il attache des
significations à des productions phoniques. Quel sens le bébé attribue-t-il à ses
« are are », « bababa », « ata ata » et autres improvisations ? Nous sommes enco-
re loin de pouvoir interpréter ces bribes de langage éphémère qui ne s’inscrivent
pas dans les conventions de la langue.

Rôle de l’adulte dans les acquisitions langagières du petit enfant


S’il est vrai que les jeunes enfants acquièrent le langage chacun à sa façon, il
est non moins vrai que leurs acquisitions sont étroitement dépendantes de l’ap-
port reçu de l’entourage.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Je ne m’étendrai pas ici sur les relations affectives indispensables à l’équilibre


et en conséquence aux apprentissages du bébé. En revanche, il importe de souli-
gner le rôle déterminant joué par les caractéristiques des verbalisations offertes
au bébé par les adultes qui lui parlent ainsi que par l’accueil réservé à ses tâton-
nements.
Pour qu’il puisse travailler sa capacité cognitivo-verbale, il faut que ceux qui
s’occupent de l’enfant lui fournissent constamment, en toute occasion, les maté-
riaux propres à alimenter et à soutenir ses efforts.
Laissant de côté les différences individuelles entre les apprenants, qui sont
essentiellement d’ordre psychologique (je ne traite pas ici d’éventuelles difficultés
instrumentales), il convient de prendre en considération des paramètres sociolo-
giques.
L’enfant évoqué plus haut qui ne dispose que de substituts lexicaux (« truc »,
« machin »…) est un enfant auquel ses adultes n’ont pas eu la possibilité, le
temps, la volonté ou tout simplement la compétence de proposer le « mot juste »,
d’accompagner ses expériences de verbalisations explicitantes adaptées à ses
possibilités du moment.
Mon propos n’est pas de développer le paramètre sociologique qui intervient
dans les acquisitions de l’enfant, mais on ne saurait passer sous silence l’effet
néfaste de mauvaises conditions de vie – dans le domaine du lexique comme dans
tous les aspects du développement de l’enfant.
Nous avons en cours des recherches sur l’acquisition du langage par des enfants
vivant dans la misère, travail mené avec le mouvement ATD/Quart Monde au sein de
populations très pauvres. Ces enfants ont, comme tous les enfants, envie d’appren-
dre et nos observations montrent qu’ils en ont la capacité. Dès qu’il est possible
d’alimenter de façon adaptée par des verbalisations explicites leur désir d’appren-
dre, on les voit progresser. Il est important de souligner que les parents – eux-mêmes
généralement des sous-alimentés du langage – prennent souvent part à ce travail, à
la fois pour aider leurs enfants et pour développer leurs propres capacités 2.
Dans ce même aspect sociologique ou sociolinguistique, il va de soi que le
milieu de vie influe sur la nature même du lexique. Un enfant de 7 ans vivant à la
montagne nous a étonnés par le nombre de noms de champignons qu’il connais-
sait alors qu’un petit citadin du même âge ne connaissait que les petits morceaux
bruns trouvés dans les sauces et le fameux champignon des livres d’enfants au
chapeau rouge à points blancs…

2. Voir à ce sujet, L. Lentin et al., Ces enfants qui veulent apprendre. L’accès au langage chez les
enfants vivant dans la grande pauvreté, L’Atelier-ATD Quart Monde, 1995.

100
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 101

Problématique de l’acquisition du lexique par l’enfant tout-venant depuis la naissance

Quelques exemples du travail de l’enfant pour acquérir le lexique


Pour illustrer ce qui précède, voici quelques exemples « en vrac ».
• L’enfant attribue parfois une corrélation entre un concept et une émission
phonique perçue dans les productions adultes.

Anne Sophie (1 an 10 mois) à la vue de tout objet déchiré :


[ujujuj] (= ouille ouille ouille !)

• L’enfant éprouve souvent des difficultés dans le choix des prépositions, mots
dont l’usage pertinent n’est pas aisé à repérer, nous l’avons vu.

Martin, 1 an 9 mois :
– morceau à pain (= morceau de pain)
– je mets le dessin dans la table
– je veux m’asseoir dans la chaise
– on est passé dans le canal (sur le canal)
– faire pipi à le pot
– je veux venir à votre lit
– ma boîte de légos, elle était dessous dans l’armoire
2 ans 1 mois :
– le biberon est à chambre
2 ans 11 mois :
– le lapin est dans le piano (se reprend) sur le piano

• Constructions faites par analogie, non conformes à l’usage (la place de


l’adjectif en français est une difficulté bien connue).

Martin, 1 an 10 mois :
– un militaire camion
– des secs raisins
2 ans
– une montagne gros

• Essais pour exprimer plusieurs, beaucoup, nombres supérieurs à 2.

Martin, 1 an 9 mois :
– deux la balle (plusieurs balles)
– oiseaux deux (5 oiseaux sur une image).

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Martin, 2 ans 9 mois, veut évoquer le nombre de lits du dortoir de l’école :


– encore encore encore
– un un un un… (en faisant mine de compter avec son index).

• L’enfant fait des hypothèses de segmentation dans le langage que lui adresse
l’adulte.

Martin, 2 ans 7 mois :


– i(I) va au pital (= à l’hôpital)
– y avait une dame dans la bulance (= l’ambulance)
– faut prendre ta grafeuse (= agrafeuse)
– tu vas faire un cident (= accident)
– ma siette (= mon assiette)
– le gnétophone

Zoé, 2 ans 4 mois, à qui l’adulte dit :


– il faut l’attacher, le chien.
– non, c’est un chien, on dit faut le tacher

Zoé, 4 ans 3 mois, voyant sa mère s’habiller pour partir, à son père d’un ton furieux :
– Maman va encore à la dégoûtante Pêtrière (= la Salpêtrière)

Jonathan, 2 ans 6 mois, parle de « patatàmodeler ».

Fréquemment l’enfant extrait des énonciations de l’adulte les éléments qu’il


reconnaît, ce qui entraîne des confusions.

• On parle d’un voisin mort devant Martin, 1 an 7 mois :


M. – mami (= Camille, petite fille qu’il a mordue la veille)
• On parle d’une ampoule devant Martin, 1 an 8 mois :
M. – cot cot cot !
• Martin, 2 ans :
Adulte – Ton père est en train de se laver.
M. – non, y a pas de train
• Martin, 2 ans, 1 mois :
Adulte (regarde un livre d’images avec M.)
– C’est un crabe.
M. – non c’est une bête
• Martin, 2 ans 7 mois, a mangé de la mousse au chocolat :
Adulte – Tu as une moustache.
M. – mais non, c’est de la mousse au chocolat !

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 103

Problématique de l’acquisition du lexique par l’enfant tout-venant depuis la naissance

• Martin, 2 ans 7 mois :


Adulte parle de la couverture d’une revue que regarde M.
M. (se fâche) – ce n’est pas une couverture !
• Anne-Sophie, 1 an 10 mois :
Un adulte parle de Stéphane
A.-S. – hihan hihan !
• Adrien, 2 ans 6 mois :
La Tour Eiffel est devenue pour lui « la grande échelle ».

• Les verbes pronominaux posent souvent problème.

Zoé, 2 ans 5 mois, essaye de s’habiller seule :


Z. – maman, me t’aide

2 ans 6 mois
A – Tu ne veux pas que je t’aide ?
Z. – non veux pas que je t’aide
A. – Tu peux pas te lever toute seule ?
Z. – non […] vais tomber, viens Maman venir me t’aider viens me t’aider

L’analogie est souvent utilisée par l’enfant pour former des éléments lexicaux
« hors langue ».

Zoé, 4 ans 3 mois (en train de goûter) :


– j’ai presque fini mon mangement
– on joue à la première attrapation ?
– (réclame un livre d’Astérix, mot qu’elle écorche et que sa mère ne comprend pas)
– mais celui qui a un casque ailu ? (en analogie à une vache cornue vue à la campagne).

Zoé, 3 ans 3 mois :


– on va jouer à la cachette ça sera moi la chercheur et lui le cacheur

Yacine, 3 ans, simule la lecture d’un livre d’adulte (sans images) en le feuilletant
consciencieusement page après page, le referme et déclare :
– je suis un grand livreur

Yacine souhaite boire un jus de citron et demande à l’adulte :


– tu veux me précipiter un citron ?
– je veux un citron précipité
(Y. a établi une équivalence entre presser et précipiter)

Charles, 5 ans, à l’adulte qui lui parle de son pull, tricot maillot gilet…, sans arriver à se
faire comprendre, dit soudain
– ah tu veux dire mon col roulé ?

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Marine, 5 ans 2 mois, ne comprend pas l’adulte qui lui parle de mouchoir car elle ne
connaît que le mot Kleenex.

Laurent, 5 ans 8 mois, ne comprend pas l’adulte qui lui parle d’une armoire, d’un buffet
Après avoir vu des images représentant des cuisines, L. a une illumination
– tu veux dire les éléments ?

Les exemples sont innombrables…, le capital lexical des enfants s’élabore au


gré des hypothèses qui se confirment ou s’infirment au cours de leurs échanges
langagiers avec des locuteurs compétents.
On comprendra aisément que les modalités de cet apprentissage complexe et
étendu dans le temps excluent toute possibilité d’établir des échelles d’acquisi-
tion, des normes d’apprentissage, des listes d’items… Il faut que le lexique –
comme la syntaxe – soit acquis par l’apprenant progressivement au gré de ses
hypothèses et des apports intelligents et adaptés des adultes, à la faveur d’inte-
ractions langagières toujours orientées vers le fonctionnement personnel d’un
système propre à l’homme et en perpétuelle évolution.

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8
L’intercompréhension
dans le dialogue adulte-enfant :
une problématique 1

L A LINGUISTIQUE DE L’ACQUISITION DU LANGAGE SUPPOSE UNE INTIMITÉ


quotidienne avec les productions verbales de l’enfant. Le domaine est infini-
ment vaste, les problèmes sont nombreux au départ, et se multiplient à mesure
que la recherche se développe.
L’analyse du discours de l’enfant au cours du développement de sa fonction
langage, quel que soit l’aspect choisi par le chercheur, exige très vite la prise en
considération du déroulement du dialogue entre l’enfant et son interlocuteur.
Alors se pose la question ample et entre toutes délicate de la compréhension, ou
plutôt de l’intercompréhension
Il est trivial de noter, avant tout examen détaillé d’un dialogue entre un adulte
et un enfant, qu’il n’est pas possible de limiter cette étude à une analyse linguis-
tique, au sens étroit du terme. Il est non moins trivial, mais nécessaire, de rappe-
ler qu’il n’existe encore aucune théorie générale de la compréhension ni pour la
linguistique ni pour aucune des sciences concernées par cette problématique :
neuro-physiologie, psychologie, sémantique. Il s’impose donc d’être circonspect
dans l’évaluation de l’intercompréhension car, comme le souligne John Lyons
(p. 315) : « Nous ne disposons pas de données qui témoignent directement de la
compréhension des énoncés, mais seulement de leur mauvaise compréhension :
ces moments où quelque chose « cloche » dans le procès de communication 2. »
Il est à remarquer :
1. que ce quelque chose qui « cloche » permet éventuellement de déceler une
« mauvaise compréhension », mais ne fournit pas pour autant la nature des
éléments perturbateurs ;

1. Ce texte est paru dans Rééducation orthophonique, mai 1976 (numéro spécial jubilé – S. Borel
Maisonny).
2. Linguistique générale, Paris, Larousse, 1970.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

2. qu’une mauvaise intercompréhension peut passer inaperçue et aux deux


interlocuteurs, et à celui qui étudie le dialogue ;
3. que les difficultés du repérage, puis de l’élucidation de la mauvaise inter-
compréhension, sont considérablement augmentées lorsque l’un des inter-
locuteurs est un très jeune enfant.
Les quelques exemples choisis dans un important corpus de dialogues entre
des adultes et des enfants (environ 200 000 énoncés) apportent un aperçu néces-
sairement fragmentaire de la problématique de l’intercompréhension entre l’adul-
te et l’enfant. Ils devraient néanmoins permettre d’évoquer concrètement
l’étendue et la complexité du domaine abordé. Il s’agit, de même que pour toutes
les études de la recherche en cours, d’échantillons de discours recueillis dans des
situations de conversation fortuite, et non de dialogues provoqués par des situa-
tions contraignantes standardisées.

Intercompréhension mi-verbale, mi-non-verbale 3

Exemple 1 : Catherine (16 mois)


La mère est en train de téléphoner, pieds nus. Ayant froid elle s’adresse à C.
A. – Va chercher mes chaussons.
C. – (Regarde autour d’elle, regarde sa mère d’un air interrogateur. Visiblement, elle
ne comprend pas la consigne.)

(L’adulte montre ses pieds nus avec le doigt)


C. – (Court chercher les chaussons, et essaye de les enfiler à sa mère.)

Il est possible que C. ait saisi /va chercher/, mais n’ait pas identifié le lexème
/chaussons/ et la compréhension s’est déclenchée grâce au geste de la mère dési-
gnant ses pieds nus, ce qui est assez complexe.

Intercompréhension grâce à l’interaction

Exemple 2 : Gabrielle (22 mois)


La grand-mère : – Va porter la boîte à maman.
Gabrielle prend la boîte, mais donne tous les signes de la non-compréhension, ne sait pas
comment exécuter la consigne, ce qui étonne les adultes présents car elle a coutume de
comprendre ce genre de consigne. Soudain, la grand-mère saisit et reprend :
– À maman Martine.

3. Les transcriptions de cet article ont été faites avant l’établissement des conventions qui figu-
rent page 149.

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L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant : une problématique

Il semble que l’enfant était troublée par le fait qu’elle avait entendu (remarqué)
pour la première fois ce jour-là, que sa mère appelait sa grand-mère /maman/ et
elle ne comprenait plus. Elle avait apparemment déplacé l’appellation /maman/
de sa mère à sa grand-mère. Le prénom de sa mère ajouté au mot /maman/ lève
l’ambiguïté. On devine ici tout un travail cognitif très complexe de l’enfant, et de la
grand-mère qui a été très intuitive.

Méprise de l’enfant sur une correspondance signifiant-signifié

Exemple 3 : Mathieu (19 mois)


La mère (posant à terre l’enfant qui était sur ses genoux) :
– Allez, maintenant, on marche.
Mathieu se dirige précipitamment vers la télévision, et se livre à force mimiques pour
demander qu’on la mette en marche.
Mathieu a l’habitude d’entendre : « La télé marche ». « La télé ne marche pas ».

Ce très jeune enfant a isolé dans le discours de l’adulte un seul signifiant,


auquel il ne fait pas correspondre le même signifié que le locuteur ; Mathieu a isolé
ce mot du contexte et l’a replacé dans une situation qu’il connaît (et désire).

Exemple 4 : le même Mathieu (19 mois)


La mère essaye de lui apprendre à dénommer sa /main/. Elle instaure un jeu qui amuse
beaucoup l’enfant : elle est en train de l’habiller et joue à cacher sa main en lui enfilant
son gilet, puis son anorak.
Il s’avère impossible de faire dire /main/ à l’enfant. La dénomination est : /ajε/
La mère prend ensuite conscience qu’elle avait dit et répété :
– Ça y est : on la voit plus la main !
– Ça y est : maintenant on la voit la main ! etc.

On voit dans cet exemple un cas où il est bien difficile de décider s’il y a inter-
compréhension. Il y a là un phénomène fréquent au cours de la première acquisi-
tion du langage : l’enfant attribue dans une situation concrète un élément du
discours de l’adulte à un signifié, et l’adopte comme signifiant correspondant. Ici
le lexème n’est pas repris par l’enfant : par contre son comportement prouve qu’il
attribue une dénomination à sa main qu’il était bien dans l’intention de l’adulte de
lui faire dénommer. Il faudrait s’étendre sur le rôle que peut jouer par exemple l’in-
tonation dans la méprise de l’enfant.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Exemple 5 : Pierre (2 ans 1 mois)


Dans le train, P. regarde le magazine que feuillette sa mère.
P. 1 – (montrant du doigt toutes sortes de personnages) monom (bonhomme) ;
monom ako (encore) monom.
A. 1. – Tu vois : là c’est une dame, encore une dame…
P. 2. – monom ako monom
A. 2. – C’est une dame, une dame !
P. 3. – monom, monom
A. 4. – Et là, regarde, c’est un bébé.
P. 4. – monom ako monom
A. 5. – C’est un bébé, regarde et là c’est un monsieur.
P. 5. – (touchant du doigt chaque personnage) monom monom monom monom
(voix de plus en plus forte et insistante)
A. 6. – (s’adapte en capitulant) – Oui, si tu veux, c’est un bonhomme.

L’exemple 5 montre le refus du petit Pierre de distinguer, d'« opposer », diffé-


rentes sortes de personnages qu’il réunit tous dans sa verbalisation sous le seul
lexème monom.

Exemple 6 : Juliette (3 ans)


(L’enfant range des poupées dans un lit, au cours d’un jeu).
A. 1. – Si, encore dans le lit des poupées, tu vas lui trouver une place.
J. 1. – voilà paintnan (= maintenant) i dort par(ce) que ah da (= regarde) y’ai mis
grand i (= et ?) p(u)is le (pe)tit reiller (= oreiller ?) su(r) le grand reiller (= oreiller ?)
A. 2. – Attends, j’ai pas compris.
J. 2. – ze mets le petit reiller dans le grand reiller
A. 3. – Le petit oreiller ?
J. 3. – oui et p(u)is le petit reiller dessus le grand reiller
A. 4. – Dessus le grand oreiller ?
J. 4. – oui
A. 5. – Mais je ne vois qu’un oreiller. Oh tu as mis le drap blanc par dessus le drap rayé.
J. 5. – ouais
A. 6. – C’est ça ? le drap rayé ?
J. 6. – ouais
A. 7. – Ça c’est le drap rayé blanc et orange.
J. 7. – et puis en dessous ze mets le noreiller alà ! (= voilà).
A. 8. – Et puis en dessous tu as mis le drap blanc.
J. 8. – et puis/l reje/(I reiller ?).
A. 9. – Et dessus le drap rayé.

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L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant : une problématique

L’exemple 6 montre une intercompréhension douteuse. La segmentation incer-


taine de l’enfant ne permet pas dans ce langage encore mal articulé de décider si
l’enfant oppose réellement /oreiller/ et /drap rayé/. Ici, la manipulation accompa-
gnant dans la situation concrète le discours n’aide guère à en éclairer l’aspect lin-
guistique.
Exemple 7 : Valentine (3 ans 9 mois)

– et pi la dame elle a son lapin pi sais pu où il est son lapin


– Elle a un lapin
– oui et pi il/ekri/
– Il écrit ?
– oui son lapin il est gris
– Il est gris
– oui comme les p(e)tites souris dans ton liv(re)

Dans l’exemple 7, la prononciation inexacte de l’enfant entraîne une segmen-


tation erronée de l’adulte qui ne « comprend » pas.
II est remarquable de voir ici l’enfant expliquer à l’adulte à l’aide d’une compa-
raison, et dissiper ainsi définitivement l’incompréhension.
Exemple 8 : Michel (5 ans 6 mois)

(Conversation libre. Michel raconte ce qu’il a fait le mercredi ; son articulation n’est pas
très nette.)
M. 1. – et puis, j’ai vu un monsieur qu’il avait plus cheveux
A. 1. – Tu as vu un monsieur qui n’avait plus de cheveux, ça arrive que les gens perdent
leurs cheveux…
M. 2. – ou peut être qu’il a tout coupé ?
A. 2. – Peut être qu’il les avait rasés, oui.
M. 3. – eh ben eh ben j’ai fait un éléphant qui rasait un monsieur j’ai vu ça dans le
cirque et puis j’ai fait ça en briques
A. 3. – Tu as vu un éléphant qui faisait semblant d’écraser le monsieur ?
M. 4. – non, dans le cirque j’ai vu ça
A. 4. – L’éléphant mettait la patte sur le monsieur, il ne l’écrasait pas vraiment !
M. 5. – ah ! non il a mis la patte/les quat (re) pattes par terre l’éléphant et pi après
il a fait quoi il a il a, il a euh, le le (é)léphant il a rasé le monsieur avec ça d’la mous-
se, la mousse l’a (ou : la) partout, pi l’a mis une serviette autour du cou comme ça
A.5. – Il a rasé le monsieur !…

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Il faudrait pouvoir entendre l’enregistrement de cet exemple 8 qui rendrait plus


vraisemblable l’incompréhension du discours de l’enfant par l’adulte. Le mot
/raser/ a été interprété par l’adulte, habituée à rétablir des mots tronqués ou défor-
més par l’enfant. L’interprétation sémantique excluant qu’un éléphant puisse raser
un homme n’est rectifiée que grâce à la ténacité de l’enfant qui, décelant l’incom-
préhension de l’adulte, parvient au cours d’une interaction bien menée à lui faire
abandonner un a priori et comprendre, enfin, le sens de son discours.

Exemple 9 : Michel (5 ans 6 mois)


A. 1. – Alors avec les briques qui ressemblent au jeu de l’école, tu as fabriqué un télé-
phone. À qui tu as téléphoné ?
M. 1. – c’est/c’est/c’est les monsieurs en jouet qui z ont téléphoné
A. 2. – Tu as téléphoné chez les monsieurs qui ont des jouets ?
M. 2. – non les monsieurs en (j)ouet i z ont téléphoné
A. 3. – Les messieurs en « vrai » i z ont téléphoné ?
M. 3. – non en en briques !

Le même Michel, qui je le rappelle, articule plutôt « en bouillie », a bien du mal


également dans cet exemple 9 à se faire comprendre de l’adulte.
Visiblement, l’adulte cherche à interpréter ce que dit l’enfant en attribuant à
son discours un contenu qui lui paraît plausible, à elle.
Là encore, l’enfant parvient à se faire comprendre grâce à la poursuite du dia-
logue. Mais il faut souligner qu’il reçoit, lui, le discours de l’adulte avec suffisam-
ment d’exactitude pour déceler où se situe l’incompréhension, et y remédier.

Exemple 10 : Yann (4 ans 2 mois)


(Il s’agit d’encrer des dessins sur feuille d’aluminium. L’enfant le fait à côté de son
institutrice).
A. 1. – Alors je vais te tenir si tu veux le papier pour pas que tu t’en mettes plein les
doigts.
Y. 1. – (parce) que toi tu t’en mets plein les doigts ? si tu t’en mets plein les doigts
maman elle va te dronder (= gronder)
A 2. – Tu crois que ma maman elle va me gronder si je m’en mets plein les doigts ?
Y. 2. – oh oh
A. 3. – Tu crois quand je rentre chez moi je vais chez ma maman ?
Y. 3. – non, non t’as an (= un) mari toi
A. 4. – Je suis Anne-Marie.
Y. 4. – non, t’as un mari

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L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant : une problématique

A 5. – J’ai un mari ? Ah ! non j’ai pas de mari tu vois.


Y. 5. – t’as un nana ?
A 6. – Hein ?
Y. 6. – t’as une maman ?
(Dialogue sur le travail d’encrage en cours).
A. 7… – voilà regarde quand tu tournes, ça étale l’encre.
Y. 7. – tiens ouais
A. 8. – Toi aussi tu as une maman ?
Y. 8. – hein ?
A. 9. – Toi aussi tu as une maman ?
Y. 9. – non j’ai pas de lett(r)e moi je fais pas dessus moi je fais sur mon cahier, j’ai
pas d(e) crayons j’ai pas ça moi, maintenant je vais prendre un autre, je vais faire
celui là… (Yann cherche un autre dessin à encrer).

L’exemple 10 montre un cas où l’intercompréhension n’est que partielle et où


l’on ne peut pas décider lequel des deux interlocuteurs ne comprend pas l’autre.
Le dialogue avorte en quelque sorte. Et il est difficile (ou plutôt impossible) de
décider s’il s’agit de méprises sur la segmentation, sur le lexique, sur la significa-
tion même des discours de l’adulte et de l’enfant. On peut aussi évoquer des élé-
ments plus profonds, qui amènent l’enfant à une sorte de refus du dialogue.

Exemple 11 : Nicolas (5 ans)


Déclare subitement, sans lien avec la situation :
N. 1. – nous, on va jamais en Afrique pa(r)ce que c’est loin
A. 1. – En Afrique, tu aimerais y aller ?
N. 2. – non, ch’sais pas comment on parle moi
A. 2. – Tu as déjà entendu parler de l’Afrique ?
N. 3. – non je connais jamais moi

Exemple 12
A. 3. – Où on pourrait mettre ton dessin, tu n’as pas une petite idée ?
N. 4. – non, ma p(e) tite sœur elle est mignonne oh la la !

Les dialogues 11 et 12 sont presque ce qu’on appelle couramment des dialo-


gues de sourds.
(11) : Il est difficile pour l’adulte de savoir ce que pour cet enfant recouvre le
mot /Afrique/, et les connotations (connaissances, éléments affectifs, etc.) de
cette évocation surgie brusquement.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

On peut par ailleurs supposer que dans l’énoncé A. 2. l’expression /entendre


parler/ n’est pas comprise par l’enfant, et N. 3. n’est pas compréhensible pour
l’adulte.
(12) : il n’y a aucune interprétation sémantique possible à ce dialogue. On peut
par exemple supposer que l’enfant ne comprenant pas /petite idée/ a repris /petite/
et a bifurqué grâce à ce lexème sur sa /petite sœur /, comportement qui en tout cas
a l’avantage de le rassurer.

Exemple 13 : Thomas (5 ans 2 mois)


Chez le pédiatre avec sa mère.
Le médecin : – Ôte tes souliers, mon petit.
Th. – ???
Le médecin : – Ôte tes souliers, voyons !
Le médecin s’étonne : – L’enfant est-il sourd ? Lui parle-t-on à la maison ? Comprend-il
ce qu’on lui dit ?
La mère : Enlève tes chaussures, Thomas.
Thomas, soulagé, sourit et s’exécute.

Cet exemple 13 pourrait donner lieu à diverses hypothèses. La première étant


peut-être que l’enfant a obtempéré à la consigne seulement lorsqu’elle a été trans-
mise par la mère.
Il semble pourtant plutôt que l’absence de réaction de l’enfant ait été due au
non décodage de l’énoncé du médecin : lexique non connu de l’enfant, peut être
intonation et voix insolites pour lui…

Exemple 14 : Valentine (3 ans 9 mois)


V. 1. – pi après papa il a cassé la douche
A. 1 – Il a cassé la douche ?
V. 2. – (les yeux de V. sont pleins de malice) papa !
A. 2. – Raconte-moi ça : comment il a fait pour casser la douche ?
V. 3. – avec un râteau (marteau ?) et pi/et pi aussi il a pris la poubelle le monsieur
un monsieur et pi il avait deux poubelles
A 3. – Il faut que tu m’expliques mieux que ça, parce que je n’ai pas compris. Tu me dis
que papa a cassé la douche ?
V. 4. – et pi il a il a il a pris avec un râteau
A. 4. – Avec un râteau ?
V. 5. – oui et pi aussi il a tout cassé il a, il a pris un rouleau il a aceté
A. 5. – Un rouleau ?
V. 6. – oui

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L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant : une problématique

A. 6. – Pour quoi faire ?


V. 7. – pour, pour qu’on se baigne pa(r)ce que nous on voudrait bien s(e) baigner
A. 7. – Pour arranger la douche, il a acheté un rouleau et il a collé ?
V. 8. – oui mais i pouvait et pi il a marcé par la douche et pi elle a même pas tombé
A. 8. – Ah oui ! Et ton histoire de poubelles, je ne l’ai pas bien compris.
V. 9. – il a/il avait deux poubelles et puis aussi les deux poubelles i/i et pi i les a mis
par terre et pi après comment qu’i vont faire les aut(res) monsieur(s) demain pour
prend(re) ça avec ses mains pa(r)ce qu(e) il a tout cassé
A. 9. – Cassé les poubelles ?
V. 10. – mais non il a cassé la douce comment qu’i vont faire les aut(res) monsieur(s)
pour prend(re) ça ?
A. 10. – Ils auront du mal à prendre ça dans la poubelle ? C’est maman qui a dit ça ?
V. 11. – oui, demain i vont l(e) prend(re) mais pas main(te)nant pa(r)ce que c’est dur
à les prend(re)

L’exemple 14 révèle la difficulté d’intercompréhension entre un adulte et un


enfant jeune dans le cas où l’enfant tente de rendre compte d’une suite d’événe-
ments. L’enchaînement, les relations de causalité, etc., supposent de la part de
l’enfant la compréhension de ce qu’il a vécu et de ce qu’il lui faut expliciter pour
transmettre l’information à l’adulte. En outre, il doit maîtriser les éléments lexicaux
et syntaxiques nécessaires à la verbalisation de ce vécu hors situation.
Dans le discours de Valentine, il y a de toute évidence un mélange de sa pro-
duction autonome et de la réutilisation des discours qu’elle a entendus au cours
du déroulement des événements (discours adressés à elle, ou non).
L’enfant décèle suffisamment ce que l’adulte ne comprend pas pour essayer
d’apporter l’information nécessaire.

Exemple 15 : Juliette (3 ans)

Elle regarde un hamster qui se recroqueville dans un coin de la cage à la vue d’un chat.
J. – le hamster il est p(e)tit. Quand i s(e) ra grand il aura plus peur du chat.
A. – Le hamster va rester petit, un petit animal.

On peut supposer qu’ici l’intercompréhension est seulement partielle. Les réfé-


rences dont dispose l’enfant ne lui permettent pas d’imaginer qu’un animal petit
ne va pas grandir, /petit/ correspond sans doute ici pour elle à /jeune/ et /grand/
à /moins jeune/ ou /plus vieux/.

113
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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Exemple 16 : Jérôme (7 ans 6 mois)


Jérôme rencontre le mot /rayon/ dans un exercice de lecture.
A. 1. – Tu sais ce que c’est : un rayon ?
J. 1. – Oui, C’est quand on a mal aux oreilles.
A. 2. – Ah tu penses aux oreillons ? Non : /rayon/… (Suivent des explications, accom-
pagnées de dessin : les rayons du soleil, les rayons de la roue de bicyclette
Acquiescement de l’enfant).
A. 3. – Tu as bien compris ?
J. 2. – oui.
A. 4. – Et aussi, au supermarché il y a le rayon des lessives, le rayon des jouets, le
rayon des chaussures…
J. 3. – c’est drôle des chaussures qui ont mal aux oreilles I

Il s’agit ici d’une mauvaise intercompréhension : méprise lexicale, non éclaircie


par un essai d’interaction.

Exemple 17 : Marion (7 ans 3 mois)


Marion regarde une image avec un adulte qui commente :
A. 1. – Le garçon regarde le papa qui répare la voiture.
M. – oui. Le garçon il regarde papa (pause) qui repart la voiture.

Suit un long dialogue au cours duquel l’adulte tente de faire comprendre à l’en-
fant ce que signifie « réparer ». Aucun emploi de synonymes, aucune évocation de
scène éventuellement vécue en famille ne permettent d’évoquer pour l’enfant
quelque chose de connu.
Il faudra détériorer et réparer effectivement une mécanique devant l’enfant
pour parvenir à un début de compréhension.

Exemple 18 : Annabel (4 ans)


À l’école maternelle, au moment du coucher de la sieste :
A. – T’as été faire pipi, Annabel ?
An. c’est papa

On pourrait qualifier ce dialogue d’insolite et l’intercompréhension d’implicite.


Une analyse structurale de la réponse de l’enfant rendrait difficile son acceptation
comme réponse pertinente.

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L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant : une problématique

On pouvait supposer que l’enfant avait voulu dire « C’est papa qui m’a fait faire
pipi avant de venir à l’école », ce qui a été confirmé par le père.
L’exemple suivant donne un cas tout à fait analogue, mais cette fois dans un
dialogue entre adultes.

Exemple 19
Dialogue entre adultes (Intercompréhension grâce à l’implicite).
Pendant des vacances à la montagne, dans un chalet, plusieurs familles réunies.
A. – Tu vas chercher tes neveux à la patinoire ?
B. – non, on n’a pas besoin de saucisson.
(Implicite : on a fait les courses ce matin. On ne savait pas si on avait acheté assez de
saucisson, finalement oui, donc je n’ai pas besoin d’aller en ville en voiture).

L’échange verbal est compris par l’interlocuteur et un témoin du dialogue.


Déclenche un éclat de rire chez les autres.

Exemple 2o : Sophie (5 ans)


A. 1. – Y avait des outils.
S. 1. – ben nous aussi on en a
A. 2. – Pour quoi faire ?
S. 2. – pour/pour faire des/moi j’ai fait un, un, petit landau
A. 3. Un petit landau ?
S. 3. – un petit lit pour une poupée pasque/pasque i n’avait pas d’ut
A. 4. Alors vous en avez fabriqué ?
S. 4 – non j’en ai fait un, moi
A. 5. En quoi tu l’as fait ?
S. 5. – en, en bois des on avec des clous
A. 6. Alors tu fabriques des meubles dans la classe de Dominique !
S. 6. – ah non pas des neub'
A. 7. – Des meubles.
S. 7. – c’est quoi ?

L’exemple 20 montre une non-compréhension entre l’adulte et l’enfant ayant pour


base un lexème non signifiant pour l’enfant. Mais ici l’intercompréhension se trouve
rétablie grâce à une prise de conscience par l’enfant de sa non-compréhension.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Les deux exemples suivants assez chargés d’angoisse, sont des cas extrêmes.
Une méprise sur un lexème, rencontré par l’enfant dans une situation donnée, n’est
pas décelée par l’adulte, et entraîne des conséquences dramatiques et durables.
Cette méprise se produit dans un contexte autre, où le lexème prend une signi-
fication absolument différente. L’enfant élabore alors inconsciemment des hypo-
thèses d’analogie ou de généralisation qui ne sont pas comprises par l’adulte.
Dans ces conditions, la signification attribuée par l’enfant à l’ensemble de la
situation vécue est absolument imprévisible pour l’adulte.

Exemple 21 : Olivier (3 ans 6 mois)


(Père, cadre moyen, mère, institutrice, sœur aînée à l’école élémentaire)
Entre à l’école maternelle à 3 ans 6 mois à la rentrée de septembre, très heureux et
joyeux. La première matinée se passe très bien, la sortie de midi s’effectue dans le
vaste préau où les mamans viennent reprendre leur enfant. L’école comporte de nom-
breuses classes, il y a donc un grand rassemblement au moment de la sortie. La mère
d’Olivier arrive dans les dernières (ayant à assurer la sortie dans sa propre école pri-
maire), trouve l’enfant en larmes, hurlant, très contracté.
Olivier devient à partir de ce jour un enfant crispé, angoissé, accroché à sa mère de
façon si excessive que la vie de toute la famille en est modifiée. Impossible de le remet-
tre à l’école (crises genre épilepsie, etc.). On ne peut trouver aucune raison à son nou-
veau comportement ni à son refus catégorique de retourner à l’école. Les institutrices
de l’école maternelle n’ont rien remarqué qui ait pu déclencher chez l’enfant cette ter-
reur tenace, devenue pathologique.
Plusieurs pédiatres et psychiatres sont consultés. Ce n’est qu’au bout de près de deux
ans que l’un d’eux parvient à reconstituer, avec l’aide de la mère et de l’enfant, l’origine
de cette perturbation.
Comme dans beaucoup d’écoles maternelles aux effectifs nombreux, il avait été
demandé aux parents pour le jour de la rentrée de fixer aux vêtements des enfants une
étiquette portant leur nom et leur date de naissance. Bien entendu, la chose avait été
« expliquée » à Olivier.
Mais qu’avait-il compris ?
Au moment où les mamans cherchaient dans la foule à reconnaître leurs enfants, il
avait assimilé l’étiquette que chacun arborait aux étiquettes dont sa mère lui avait
récemment expliqué au marché qu’elles indiquaient le prix des marchandises. Il avait
compris que chaque dame choisissait l’enfant qui lui convenait et l’emportait, et était
terrorisé à l’idée d’être choisi avant que sa mère soit arrivée. Il n’avait bien entendu
pas pu expliquer sur le moment cette interprétation qu’il avait même peut être oubliée,
ou dont il n’avait pas pris conscience explicitement.

On voit ici les conséquences entraînées par le fait que les limites référentielles
d’items lexicaux peuvent être indéterminées.

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L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant : une problématique

L’exemple 22 est moins dramatique, mais a tout de même gravement perturbé


une fillette pendant plusieurs mois, la rendant pour de nombreuses années
anxieuse quant à son avenir scolaire.

Exemple 22 : Brigitte, 12 ans


(Fille d’OS et d’employée de maison)
En classe de sixième, au cours de latin, le professeur indique dès le début de l’année
que l’étymologie montre souvent que les mots français viennent de mots latins, cette
remarque est assortie de quelques exemples.
L’enfant perd vite pied en latin, ce qui l’angoisse, mais elle ne peut compter sur aucune
aide familiale. Pendant plusieurs mois, elle cherche en guise de traduction, à trouver
dans les mots latins des anagrammes de mots français…
Aucune interaction adaptée à son cas individuel ne lui permet de déceler son incom-
préhension ni de l’orienter vers une compréhension.
À signaler qu’il ne s’agit pas d’une enfant « inintelligente »… Malgré toutes les diffi-
cultés rencontrées, elle a fait de très bonnes études (sans latin !). Elle est sur le point
de terminer sa médecine.

Ces divers exemples illustrent un certain nombre d’aspects de la problématique


qui nous occupe. Il apparaît particulièrement délicat de décider d’une intercompré-
hension, à plus forte raison d’une « bonne » ou d’une « mauvaise » compréhension.
On en arrive à s’interroger sur l’opportunité d’étudier le comprendre de l’en-
fant, ou celui de l’adulte, et à douter qu’il soit possible (dans l’état actuel des
connaissances) d’étudier l’intercompréhension elle-même.
Cette constatation n’a rien de bien nouveau, certes. Néanmoins la pédagogie
mise en oeuvre tant en éducation qu’en rééducation suppose le plus souvent le
problème résolu.
***
Si on se tourne vers Chomsky et ses hypothèses sur la compétence et la per-
formance du sujet parlant, on rencontre un système de production de discours qui
n’est pas distingué du système de réception. On trouve le postulat de réversibilité
qui résiste difficilement à l’examen dans une situation concrète d’énonciation.
Mais soulignons ici fortement que Chomsky a lui-même indiqué sans équi-
voque possible dès les premières pages des Préliminaires d’Aspects de la théorie
syntaxique en 1965 qu’il ne travaille que sur un locuteur-écouteur idéal, dans une
communauté linguistique complètement homogène. Il s’agit donc d’un personna-
ge abstrait, psychologiquement irréel et hors situation véritable.
Dans ce cadre théorique chomskyen, certains linguistes ou psycholinguistes se
sont laissés entraîner à une conception aprioriste qui consiste à prendre pour base

117
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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

de l’analyse un modèle de la grammaire enfantine. On sait que dans ce domaine


les travaux ont été jusqu’à présent assez décevants. Il ne faut d’ailleurs pas s’en
étonner. Mais d’autres orientations, plus récentes, ouvrent de nouvelles perspec-
tives intéressantes.
***
Le schéma « classique » de la communication admet également une réversibi-
lité de l’activité verbale entre locuteur et allocutaire, postulant qu’émettre un dis-
cours et le recevoir sont deux phénomènes inverses, à condition bien entendu que
le code soit commun entre les deux interlocuteurs.
Quiconque tente une analyse linguistique du langage d’un enfant en conversa-
tion avec un adulte s’aperçoit vite qu’il n’est pas possible d’admettre un code
commun. Même si l’on considère que la production et la réception d’énoncés
« acceptables » attestent l’existence d’un code, on ne dispose pas de repères suf-
fisants au sujet des représentations mentales de l’enfant, ni de son système de
production, pour poser qu’il y aurait identité de code entre l’adulte et l’enfant.
***
En s’appuyant sur des théories psychologiques du développement de la pen-
sée chez l’enfant – se réclamant, ou non, et à tort ou à raison, des travaux de
Piaget – on a pu tenter d’analyser le discours de l’enfant en fonction de son accep-
tabilité référentielle.
Un procédé courant consiste à admettre comme une manifestation de compré-
hension du discours de l’adulte par l’enfant l’exécution d’une consigne. L’enfant
en agissant prouve qu’il a compris, en n’agissant pas ou en agissant de travers
révèle qu’il n’a pas compris.
Il serait bien entendu absurde de rejeter complètement ce critère mais il appa-
raît vite, lorsque l’on dispose d’un corpus diachronique assez étendu d’un enfant,
que l’exécution d’une consigne verbale par l’enfant ne suppose pas nécessaire-
ment une compréhension totale du discours de l’adulte sur les plans phonolo-
gique, morphologique, syntactico-sémantique. Sans évoquer les malentendus qui
peuvent porter sur l’action même réalisée par l’enfant et sa signification.
***
Les travaux commençants de la linguistique de l’énonciation (par exemple ceux
de Culioli, de Desclés, après ceux de Benveniste) apporteront-ils un éclairage nou-
veau ? Sans doute, mais ils risquent à leur tour de ne pas pouvoir réduire nos igno-
rances quant au « noyau » commun qui peut exister entre l’idiolecte de l’adulte et
l’idiolecte de l’enfant.
Une partie des exemples cités ci-dessus amènerait à l’hypothèse que, même si
du point de vue structural les discours de l’enfant et de l’adulte présentent des

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L’intercompréhension dans le dialogue adulte-enfant : une problématique

systèmes comparables, les références (et donc le contenu) sémantiques divergent


parfois fondamentalement.
***
La « compétence » de l’adulte ne lui permet pas toujours de recevoir le discours
de l’enfant. Le linguiste – quel que soit son choix méthodologique et théorique –
se trouve dans une situation inconfortable, mais dont il importe qu’il conserve en
permanence une conscience aiguë : il lui faut travailler sur les productions verba-
les d’un locuteur qui ne peut, le plus souvent, pas être interrogé sous la forme de
questions/réponses à propos de son propre discours, qui ne saurait être amené à
une réflexion sur le contenu ou la forme de son énonciation. Le chercheur n’a pas
non plus la ressource de s’adresser à un autre informateur, supposé appartenir au
même « groupe sociolinguistique ».
Le linguiste de l’acquisition travaille sans filet…
L’adulte ne peut prétendre qu’à une marge très réduite de prévisibilité sur le lan-
gage de l’enfant. Il arrive même que cette possibilité de prévisibilité soit nulle, tant
sur le plan structural que sur le plan syntactico-sémantique – ce qui limite considé-
rablement les probabilités d’intercompréhension. (Il s’agit ici bien entendu, non de
prévisibilité statistique, mais de pouvoir de prévision psychologique et linguistique,
du récepteur sur la production du locuteur !). Sans enfermer l’intercompréhension
dans le verbal, ce qui serait contraire au bons sens et à la réalité la plus évidente de
toute situation de dialogue, on ne voit pas comment échapper dans ce domaine à la
problématique de l’énonciation, dans le cadre d’une situation réelle qu’appréhende
individuellement chacun des locuteurs. Psychologiquement, quelle part du dis-
cours de l’un va être signifiante pour l’autre, et réciproquement ? Comment cerner
la signification d’un discours (émis ou reçu) par un sujet donné ? Quel traitement
appliquera-t-il à son énoncé ou à celui de l’autre pour parvenir à une signification ?
Dans le cas du dialogue entre un adulte et un enfant, on peut admettre que
l’émetteur adulte produit son discours en fonction du code qu’il suppose à l’enfant.
Mais ceci ne signifie pas qu’il y réussit toujours, on l’a vu tout à l’heure. Il est en
outre évident que plus l’enfant est jeune, moins l’adulte peut faire d’hypothèses sur
les possibilités de compréhension de l’enfant. Songeons, à l’extrême, au nourris-
son. Le problème reste entier du repérage de ses premières activités verbales révé-
lant la mise en relation d’un signifié et de ce qui pour lui (et pour lui seul) est un
signifiant, hors code, quel qu’il soit, puisqu’il n’y a aucune concertation possible.
Il faudrait évoquer ici l’immense et épineuse question de la norme, des nor-
mes, pour souligner encore – s’il en est besoin – l’illusion d’un traitement possible
de l’intercompréhension.
La problématique de l’intercompréhension entre l’adulte et l’enfant, ou plutôt
entre un adulte et un enfant dans une situation donnée, pousse à expérimenter

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

une linguistique autre, une linguistique qui nous permette d’échapper au modèle,
au système, à la compétence, à l’acceptabilité, etc., une linguistique appliquée à
l’interaction entre les deux interlocuteurs que sont un adulte et un enfant.
Ici prendraient place les hypothèses qui guident toute une expérimentation met-
tant en œuvre le concept de schème syntaxique créateur fonctionnant au sein d’une
interaction entre adulte et enfant, permettant toute une activité de tâtonnements
verbaux chargés de signification. Ces tâtonnements semblent amener l’enfant à
expérimenter constamment un travail qui concerne simultanément activité verbale et
activité cognitive en relation avec un contexte présent ou différé, concret, ou abstrait.
Il y a donc interaction, non seulement entre l’adulte et l’enfant, mais aussi entre
les deux interlocuteurs et une multiplicité de contextes d’énonciation.
Cette expérience amène petit à petit l’enfant à l’intuition de « ce qui cloche » dans
sa compréhension ou dans celle de son interlocuteur. Cette voie semble pouvoir
amener l’enfant à la discrimination de ce qu’il comprend et de ce qu’il ne comprend
pas. Ceci suppose un constant ajustement des productions verbales des deux locu-
teurs.
S’agissant d’éducation et/ou de rééducation, on voit à quel point cette concep-
tion exclut l’exercice collectif et combien astreignantes deviennent les contraintes
de l’adulte qui vise dans un dialogue avec un enfant, non l’illusoire intercompré-
hension, mais la confrontation, l’ajustement, l’interpénétration de deux réalités le
plus souvent très éloignées l’une de l’autre. Il est aisé d’en pressentir les implica-
tions sur le plan cognitif, affectif, sociologique, culturel.

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9
Le texte du livre illustré
et l’apprendre à parler,
lire et écrire de I’enfant 1

L ES QUELQUES RÉFLEXIONS QUI VONT SUIVRE ONT POUR ORIGINE


d’innombrables rencontres avec les livres d’enfants, au cours de longues
années de pratique et de recherche auprès des tout-petits.
Mon propos n’est pas de présenter je ne sais quel « modèle » de texte, mais
d’attirer sur une problématique particulièrement complexe l’attention des adultes
utilisateurs (et/ou acheteurs), des auteurs, des traducteurs, des illustrateurs, des
éditeurs de livres illustrés pour jeunes et très jeunes enfants.
Les livres dont il va être question comptent parmi ceux qui sont destinés à l’en-
fant au cours de son acquisition du langage, essentiellement avant l’apprentissa-
ge proprement dit de l’écrit (lire et écrire), ce qui n’exclura pas d’évoquer le texte
des premiers livres utilisés au cours de cet apprentissage.

L’apprenti parleur est déjà un apprenti de la lecture


et de l’énonciation écrite
N’oublions pas qu’ici et maintenant, dans nos pays dits « avancés », tout enfant
venant au monde vit dans une société alphabétisée, est entouré d’écrit et d’êtres
humains parlant, lisant et (parfois) écrivant. Par conséquent le bébé-homme com-
mence à acquérir le lire-écrire dès qu’il commence à parler (c’est-à-dire pratique-
ment dès sa naissance).
Ces considérations impliquent une conception du langage qui n’oppose pas le
parlé et l’écrit comme deux « codes », mais les analyse comme des formulations,
des registres de la langue française parfois voisins, parfois différents.

1. Texte paru dans La Revue des livres pour enfants, n° 72-73 (mai-juin 1980).
La diffusion des livres pour enfants et les méthodes de lecture ont changé depuis la rédaction
de cet article, mais les textes, eux, n’ont guère évolué.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Toute une gamme de registres de parler est offerte à l’enfant par les adultes par-
leurs compétents dans des situations constamment renouvelées, adaptées au
besoin, au désir, au plaisir, au réel de l’enfant à chaque moment de son développe-
ment et de son histoire. Un riche éventail de formulations est ainsi progressivement
mis en fonctionnement, qui permet au jeune enfant d’adapter sa production verba-
le à toute situation d’énonciation. Le locuteur éducateur, souvent sans en avoir
conscience, met en oeuvre dans certaines formulations parlées des constructions
syntaxiques permettant une explicitation complète, appuyée et articulée sur le rai-
sonnement. C’est ce qu’on appelle parfois, de façon réductrice, le « registre récit »,
dont il faut souligner qu’il ne saurait être réservé au récit d’une histoire, d’un conte,
mais qu’il peut servir couramment dans l’énonciation verbale quotidienne.
La maîtrise de ce type de formulation, à l’oral, se révèle indispensable (même
si parfois la simple communication entre deux interlocuteurs ne l’exige pas) : il
s’agit moins d’un « style » que d’une organisation syntaxique, qui sert de passe-
relle entre les parlés les plus coutumiers à l’enfant (à la fois ceux qui lui sont adres-
sés et ceux qu’il produit) et les formulations qu’il sera amené à fréquenter lorsqu’il
sera sollicité pour un apprentissage, systématique cette fois, du lire-écrire.
Il s’agit du domaine du livre et du rôle qu’il joue très précocement dans l’inter-
vention de l’adulte auprès de l’enfant pour lui apprendre à parler. Au cours des
recherches sur l’acquisition du langage par l’enfant, et des expérimentations
qu’elles exigent, le linguiste est vite confronté à l’utilisation du livre illustré. Dans
le milieu familial, dans les collectivités (garderies, crèches, pouponnières, écoles
maternelles, bibliothèques, services de santé, etc.), le livre illustré permet des
activités et des échanges faciles, rapides, riches, attrayants.
Précisons toutefois d’emblée que tout livre illustré n’a pas à devenir un outil de
l’apprentissage du langage. Non, certes non ! Simplement : il paraît juste, et
indispensable, d’inclure parmi les différentes sortes de livres proposés aux très
jeunes enfants des livres qui soient propres à jouer ce rôle, sans cesser pour
autant de mériter le nom de livres d’enfants. Ce n’est pas là un projet aisé, comme
nous allons le voir…

L’illustration
Les chroniques consacrées aux albums et livres pour petits, et notamment
dans la Revue des livres pour enfants, traitent souvent, sous divers aspects, de ce
que peut déclencher un livre chez un enfant. Le sujet, le contenu, le titre, le choix
des personnages, le format, la typographie, toutes les caractéristiques d’un livre
font de chaque confrontation avec un enfant une expérience originale, car elle
dépend non seulement des goûts et tendances de l’enfant, mais aussi de sa vision

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 123

Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler, lire et écrire de I’enfant

du monde qui est nécessairement provisoire et en constante évolution, puisqu’elle


est remise en cause par chaque nouvelle acquisition, par chaque nouveau vécu.
Un mot seulement à propos de l’illustration : son importance n’est plus à démon-
trer, elle est primordiale dans un livre pour enfants. Si donc l’illustration n’est pas
l’objet de cette étude, du moins est-elle constamment présente, sinon en vue d’une
analyse spécifique, du moins pour son rôle majeur dans le rapport texte/image.

« Livres illustrés »
« Livres illustrés », et non « livres d’images » : il s’agit d’une distinction qui peut
sembler arbitraire, mais j’appelle « livre illustré » un livre qui comporte des images
(de préférence une par page) et un texte qui est en correspondance avec cette ima-
ge. Le texte, illustré par des images, raconte une histoire, et pas n’importe quelle his-
toire : l’histoire que l’auteur a écrite, à laquelle l’enfant ne peut avoir accès qu’en
lisant le texte ou, s’il ne sait pas encore lire, en écoutant l’adulte lecteur.
J’appelle « livre d’images », par contre, un livre qui accorde infiniment plus de
liberté à celui qui le regarde. Dans un tel livre, on peut regarder la page 8 avant la
page 3, la page droite avant la page gauche, commencer à la fin, regarder
quelques pages et s’arrêter, feuilleter les pages à toute vitesse : l’enfant prendra
ce qui lui conviendra sur les images qui lui plairont, qui le frapperont, qu’il sou-
haitera regarder à nouveau, seul ou avec l’aide de l’adulte. Et n’oublions pas qu’in-
terpréter, s’approprier une image constitue une activité sans doute encore plus
complexe que l’écoute d’un texte.
Rappelons aussi que le livre n’est pas le seul écrit que rencontre le petit enfant.
Certains chercheurs qui travaillent sur l’acquisition de la lecture insistent beau-
coup sur les affiches et inscriptions de tous genres, notations de toutes sortes par
exemple sur les emballages alimentaires ou autres, etc. Nous vivons, c’est vrai,
dans un monde de l’écrit, même à l’ère de l’audiovisuel.
Mais il est question ici du livre.

L’objectif
En incluant l’étude du texte du livre illustré dans les recherches en cours sur
l’acquisition et le fonctionnement du langage, on vise un objectif multiple.
1. Apprendre à l’enfant à avoir du plaisir avec le livre, et ce, par rapport à une
signification accessible, ce qui le prépare à aimer lire plus tard.
2. Apprendre à parler à l’enfant futur lecteur. Ceci suppose que le texte lu par
l’adulte soit utilisable par l’enfant pour son apprentissage actif : un texte

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

adapté doit, au cours de lectures successives par l’adulte, permettre à l’en-


fant d’élaborer ses hypothèses, puis de raconter l’histoire à son tour,
3. Apprendre ce qu’est un livre, et son texte : un livre n’est pas un jouet. On
apprend à tourner les pages, de la première à la dernière : on regarde la
page de gauche avant la page de droite. Tel livre raconte ceci, tel autre livre
raconte cela. Le texte, tel qu’il a été écrit par l’auteur, est immuable. On ne
peut pas « inventer » ce que raconte un livre. (Ce qui n’empêche pas l’en-
fant de commenter verbalement le texte, d’y ajouter ses propres vues, sa
propre expérience, ses commentaires, ses rêves, de poser à l’adulte toutes
les questions que fait surgir l’histoire. Là comme ailleurs : autant de lec-
teurs, autant d’appropriations de l’œuvre écrite.)
4. Apprendre à établir un rapport fixe entre le texte et l’image. (Texte et image
peuvent être en partie redondants, et même ils doivent l’être dans les pre-
miers livres destinés aux plus petits.)
5. Apprendre à trouver dans la succession des pages un enchaînement et une
cohérence qui étayent un contenu. L’enfant peut alors s’approprier active-
ment l’histoire qui lui est proposée, l’intégrer dans son fonctionnement
mental, et la parler ensuite lui-même suivant les possibilités que lui donne
sa maîtrise verbale du moment.
6. Apprendre à raisonner à partir de ce que propose le texte, en relation avec
l’illustration.
L’enfant apprend grâce à l’interaction qui s’instaure entre lui et l’adulte. Il pro-
cède à des tâtonnements, à des ajustements successifs à partir d’hypothèses dont
il ne prend pas conscience. Dans le cas qui nous occupe, le jeune apprenti se
trouve placé dans ce que Paul Faucher a nommé le triangle livre-adulte-enfant.
Pour cette activité qu’attendons-nous du texte ?

Lisons-nous ou ne lisons-nous pas le texte ?


Que chacun s’observe, à l’intérieur de ce fameux triangle : que se passe-t-il
lorsque nous nous asseyons avec un enfant devant un livre ?
Un enfant de quel âge ? demanderez-vous. Il n’est pas nouveau de noter à quel
point il est difficile, et dangereux, de parler d’âge. Indiquons plutôt qu’il s’agit des
premiers livres qu’on propose à l’enfant. Ce peut être dès deux ans, ou même
avant, et la question ne change guère jusqu’au moment où l’enfant va apprendre
à lire.
Le plus souvent, nous ne lisons pas le texte et il y a sans doute différentes rai-
sons à ce comportement. Mais la raison essentielle me semble être que ce texte
n’est pas lisible en tant que texte, compte tenu de son destinataire, à cause de ses

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Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler, lire et écrire de I’enfant

caractéristiques lexicales, morphologiques, syntaxiques, ou encore tout simple-


ment par suite des rapports qu’il entretient avec l’image, ou avec l’enchaînement
des images entre elles. Il peut en effet y avoir décalage entre texte et image, ou
bien carrément absence complète de correspondance, ou encore (c’est le cas le
plus fréquent) insuffisance : un court énoncé, brièvement descriptif, énumératif ou
simplement allusif, remplace la nécessaire explicitation.
Si nous ne lisons pas le texte, le récit que nous transmettons à l’enfant change
nécessairement d’une « lecture » à l’autre, d’un adulte « lecteur » à l’autre. Il n’y
a plus permanence d’une verbalisation, ni par conséquent permanence d’un écrit.
Il ne s’agit plus du livre dont il est question ici. (Et chacun a présent à l’esprit l’in-
satisfaction, voire la fureur, d’un petit enfant lorsque l’adulte médiateur modifie un
mot, une phrase, un élément de l’histoire…).

Qui lit des livres aux petits enfants ?


Il faut ajouter ici un point de vue en quelque sorte sociologique : si nous assis-
tons depuis quelques années à une multiplication spectaculaire des livres desti-
nés aux enfants, nous savons néanmoins que leur diffusion ne dépasse pas une
couche restreinte de la population 2.
En France, il n’est pas coutumier, ailleurs que dans les milieux dits « cultivés »,
de considérer l’enfant qui ne sait pas encore lire (ni même le lecteur débutant)
comme un consommateur de livres. On lui achètera des sucreries, de petits jouets,
mais pas de livres. L’apparition de certaines collections dans les rayons de maga-
sins à grande surface ne semble guère avoir changé cet état de fait.
Dans d’autres pays, notamment en Angleterre, au Canada, en Russie, on achète
facilement et fréquemment des livres aux tout-petits, quel que soit leur milieu de
vie. En outre les bibliothèques enfantines (beaucoup plus nombreuses qu’en
France, où dans ce domaine notre retard est, on le sait, considérable) prêtent des
livres aux enfants dès le plus jeune âge, ce qui crée très tôt le statut de « consom-
mateur de livres ».
Il est donc souhaitable que des livres illustrés conçus de façon adaptée soient
présents partout où se trouvent les tout-petits, tant dans les collectivités qu’en
famille. Tout adulte, même s’il n’a aucune formation spécialisée, aucune expé-
rience en ce domaine, doit avoir à sa disposition un texte qu’il peut lire à l’enfant
pour que se réalise dans le « triangle » l’interaction évoquée plus haut.

2. Ceci serait à nuancer quelque peu en 1998. Il faudrait mentionner l’accroissement notable de
la présence des livres dans toutes les collectivités de petite enfance (les écoles maternelles en
tête), ainsi que l’excellente action de terrain menée dans ce but par ACCES, association créée
par le docteur R. Diatkine et la docteure M. Bonnafé.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Les caractéristiques du texte


Si aujourd’hui on peut réfléchir et travailler sur ces difficiles problèmes, c’est
en poursuivant l’œuvre novatrice des précurseurs. Je voudrais ici exprimer le sou-
hait que soit offert à la connaissance du public de notre époque l’apport irrempla-
çable de Paul Faucher (cité précédemment), fondateur des collections du Père
Castor 3, aux éditions Flammarion, collections célèbres de longue date, tant en
France qu’à l’étranger.

L’intuition de l’immuabilité du texte,


préalable de la lecture

Sartre explique, dans Les Mots (Gallimard, p. 34-36) comment lui a été communiqué
le désir impérieux d’apprendre à lire, comment il a pris conscience par le truchement
de sa mère, de la différence entre parlé et écrit :
« Anne-Marie me fit asseoir en face d’elle, sur ma petite chaise ; elle se pencha,
baissa les paupières, s’endormit. De ce visage de statue sortit une voix de plâtre. Je
perdis la tête : qui racontait ? quoi ? et à qui ? Ma mère s’était absentée : pas un sou-
rire, pas un signe de connivence, j’étais en exil. Et puis je ne reconnaissais pas son
langage. Où prenait-elle cette assurance ? Au bout d’un instant j’avais compris :
c’était le livre qui parlait. Des phrases en sortaient qui me faisaient peur : c’étaient
de vraies mille-pattes, elles grouillaient de syllabes et de lettres, étiraient leurs diph-
tongues, faisaient vibrer les doubles consonnes ; chantantes, nasales, coupées de
pauses et de soupirs, riches en mots inconnus, elles s’enchantaient d’elles-mêmes
et de leurs méandres sans se soucier de moi : quelquefois elles disparaissaient avant
que j’eusse pu les comprendre, d’autres fois j’avais compris d’avance et elles conti-
nuaient de rouler noblement vers leur fin sans me faire grâce d’une virgule.
Assurément, ce discours ne m’était pas destiné. Quant à l’histoire, [que Sartre
connaissait par les récits « parlés » de sa mère], elle s’était endimanchée […]. Anne-
Marie, aussi, c’était une autre, avec son air d’extra-lucide : il me semblait que j’étais
l’enfant de toutes les mères, qu’elle était la mère de tous les enfants […]. À la longue
je pris plaisir à ce déclic qui m’arrachait de moi-même […]. Aux récits improvisés, je
vins à préférer les récits préfabriqués ; je devins sensible à la succession rigoureuse
des mots à chaque lecture ils revenaient, toujours les mêmes et dans le même ordre,
je les attendais. Dans les contes d’Anne-Marie, les personnages vivaient au petit
bonheur, comme elle faisait elle-même : ils acquirent des destins. J’étais à la Messe :
j’assistais à l’éternel retour des noms et des événements.
Je fus alors jaloux de ma mère et je résolus de lui prendre son rôle. […] »

3. Il existe maintenant une association « Les amis du Père Castor » (87380 Meuzac) qui réédite
des textes de Paul Faucher et certains albums qui ont toujours autant de succès auprès des
enfants.

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Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler, lire et écrire de I’enfant

Lutteur inlassable, Paul Faucher a apporté dès 1929 des orientations décisives
dans les conceptions et objectifs des utilisateurs et des concepteurs de livres d’en-
fants.
Les écrits que nous possédons de Paul Faucher sont en nombre réduit : quel-
ques interviews et articles, mais les livres réalisés dans ses collections illustrent
largement ses vues.
En ce qui concerne les caractéristiques des textes, il n’a pas à ma connaissance
poussé très loin les précisions, se contentant de remarquer qu’il avait tenté « de
délivrer les enfants des thèmes conventionnels qui leur étaient imposés à cette
époque (1930). Ce que les albums du Père Castor leur ont apporté, c’est la poésie
du réel et le merveilleux de la nature ».

Écrire pour les enfants

« Mais il ne suffit pas de connaître la nature et de l’aimer, il ne suffit pas d’être docu-
menté dans le plus petit détail, il ne suffit pas d’écrire agréablement. Pour toucher
les enfants, il faut encore être près d’eux par le cœur. Pour capter leur intérêt, il faut
savoir trouver le ton juste et les mots qui portent. C’est un don très rare. Je ne l’ai pas
rencontré plus de trois ou quatre fois en trente ans. »
Paul Faucher, Conférence à Zurich, mai 1957.
Ailleurs :
« Nous avions le désir d’aider nos jeunes lecteurs à saisir le pouvoir de la lecture en
leur offrant des récits qui répondent à leurs intérêts, écrits dans une langue qu’ils
puissent comprendre, avec des illustrations vivantes qui racontent elles aussi l’his-
toire, expliquent et touchent. Ambition à échéance plus lointaine : donner l’habitude
de la lecture personnelle et non la manie de feuilleter ou… de dévorer l’imprimé 4. »

Pouvons-nous, actuellement, attribuer au texte destiné aux enfants des carac-


téristiques plus précises et dépasser le flou d’indications telles que « simplicité
du style » ou « langue qu’ils puissent comprendre » ?
Autrement dit : pouvons-nous, dans l’état actuel des connaissances sur l’ac-
quisition du langage, parvenir à une analyse suffisamment stricte, suffisamment
informante et généralisable du parler des enfants petits, pour adapter un texte à
ce qu’ils vont pouvoir capter ?

4. Enfance, numéro spécial « Les livres pour enfants », 1956. Interview de Paul Faucher par
Marc Soriano.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Une réponse honnête à cette question ne peut être que négative. Le travail de
recherche n’est encore qu’ébauché, il s’avère fort délicat, car il faut prendre en
compte des composantes disparates et faire la chasse aux idées reçues.

La simplicité
Parmi les idées reçues, l’une des plus tenaces est que l’adulte disposerait des cri-
tères qui permettent de reconnaître ce qui est simple, donc ce qui ne l’est pas, pour
un enfant. Or nous sommes ramenés à plus de réalisme, aussi bien par des études
sur le développement cognitif (voir les travaux d’Emilia Ferreiro de l’Université de
Genève, par exemple sa contribution au Colloque sur Apprentissage et Pratique de
la lecture à l’école, actes du Colloque, CNDP, Paris 1979, p. 118-119), que par des étu-
des linguistiques de parlers enfantins (voir par exemple L. Lentin et al. « Apparition
de la syntaxe chez l’enfant », Langue Française n° 27, Larousse, 1975).
L’enfant s’installe dans le monde réel, et met en fonctionnement tous les élé-
ments de sa personnalité, non pas suivant un processus programmé dans tous ses
détails, le même pour tous, mais à travers une succession d’événements (néces-
sairement différents pour chaque individu) parmi lesquels il tâtonne et choisit et à
partir desquels il organise et construit ses propres systèmes.

Le vocabulaire
Ceci implique que, suivant ce que lui apporte sa vie, le milieu naturel et social
qui l’entoure, la façon dont ce qu’il vit est verbalisé par autrui à son intention, l’en-
fant va comprendre ceci et non cela, « accrocher » à ce qu’il connaît pour savoir ce
qu’il ne connaît pas… On ne peut donc pas affirmer par exemple : l’enfant de 3 ans
comprend tels mots, et non tels autres. Certes, il ne faut jamais se départir du bon
sens : nulle étude approfondie n’est nécessaire pour refuser de lire à un enfant de
3 ans un commentaire d’image de ce genre : « Le regard de X trahissait son anxié-
té », ou « Après mûre réflexion, Y se résigne à se passer de souper », etc.
Par contre, on est parfois surpris de voir un enfant bloqué dans l’incompré-
hension d’un texte « très simple » où il est question d’un gilet (alors que lui
connaît : tricot, pull, maillot, ou… col roulé, ou même « petite laine »), ou bien d’un
placard (alors qu’il connaît : armoire, buffet ou… élément), ou encore d’un épicier
(alors que lui ne connaît que la grande surface du coin). Ainsi de : partir/s’en
aller/se barrer, enlever/ôter, mettre/foutre, soulever/porter, fric/argent, etc.

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Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler, lire et écrire de I’enfant

Méthodes de lecture
toujours utilisées dans les écoles

Étude du son [d], page 29 :


« Élodie donne de la salade à René. »
« La dorade est petite. »
« Papa a réparé la pédale du pédalo. »
Étude du son [è], page 37 :
« Il a mal à la tête. »
« Il rêve d'une arête. »
« Il est têtu. »
« A-t-il obéi à son père ? »
« Il est mon élève. »
Lecture tout terrain : méthode de lecture,
Bordas, juillet 2007.

« La tête de papa. Papa a une tête. » (1er livret, p. 20).


« Pato a une patte. Mimi a une patte. » (1er livret, p. 24).
« Mémé a une tulipe. Le lilas et la tulipe. »
« Pato mange un pâté. La petite tulipe de mémé. »
« Nanou a une petite tomate. Nanou a pâli. » (1er livret, p. 31).
Tinou et Nanou, méthode de lecture
par P. Tondeaux, M. et R. Le Neuthec, Larousse.

« Jean Petit a un lasso. Il le lance !


À l’école, Natacha a lu.
La mère dit à sa fille : Vous n’irez pas danser !
Le petit garçon suce son pouce.
Yves est malade : il dort.
Natacha a sali son manteau. » (1er livret, p. 35).
Chantepages. Le français au CP,
M. Diaz-Garcia et Ch. Le Bas, Bordas.

Si l’on considère des « champs lexicaux », on s’aperçoit que parfois les enfants
sont précocement très « calés » dans un domaine qui leur est familier, complète-
ment dépourvus d’information dans un autre qui leur est étranger, mais ce qui est
familier aux uns peut être étranger à d’autres enfants. Le phénomène est d’ailleurs
le même chez les adultes, mais il ne porte généralement pas sur ce qui nous sem-
ble appartenir au familier et au quotidien de tout un chacun.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Un petit citadin de 5 ans, voyant un poulain sur une image, déclare « ça, c’est le veau
du cheval », ce qu’assurément ne pourrait pas dire un enfant vivant dans un milieu
d’agriculteurs (il y en a encore).

On pourrait multiplier les exemples pour montrer la nécessité :


– d’une stricte correspondance texte/image ;
– d’un rôle très actif et constamment ajusté de l’adulte dans sa médiation de
lecteur entre le livre et l’enfant ;
– d’une très grande variété de livres pour petits quant aux thèmes choisis et
au milieu de vie représenté, aux personnages mis en scène, etc.

La construction syntaxique
Le texte que nous cherchons devrait présenter des formulations proches du
parler que l’enfant est habitué à entendre et à manipuler. Qu’est-ce à dire ?
C’est sans doute à ce confluent que se situent les difficultés les plus considé-
rables : s’agit-il de « style » ou s’agit-il d’une langue écrite standardisée dans une
« correction » normée, voire puriste…
Passerelle entre le parlé connu (ou reconnu) de l’enfant et l’écrit sous ses for-
mes infiniment diverses, une « bonne » formulation est-elle possible ?
Une expérience désormais courante consiste à enregistrer au magnétophone
du français parlé (causeries, entretiens de toutes sortes, dialogues, tables ron-
des, etc.), puis de le transcrire. On s’aperçoit alors que si on se tient à une trans-
cription exacte (même en supprimant les répétitions et bafouillages ainsi que les
nombreux euh… hein… alors… ben, etc.) on n’obtient pas une énonciation écrite
utilisable sans modification. Si donc on veut obtenir une séquence de français
écrit, il faut procéder dans une large mesure à une écriture, au cours de laquelle
vont surgir quantité de problèmes à résoudre.
Par exemple, que feron-nous :
– des formes interrogatives non canoniques du type : « Je peux entrer ? », « Ma
copine est malade ? », etc.,
– de la fameuse forme négative qui, de plus en plus et chez les locuteurs de
tout « niveau » d’instruction, se réduit de nos jours à un élément post-verbal
(pas, plus, jamais, etc.), le ne préverbal disparaissant (« on veut pas », « je
le ferai plus », « elle ira jamais »…). On notera que c’est un changement en
cours de la langue française.
Parmi les producteurs de livres pour enfants, certains ont pris un parti (souvent
mal compris, mais le public s’y fait petit à petit…) que le linguiste ne peut

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Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler, lire et écrire de I’enfant

qu’approuver : lorsqu’il s’agit d’un passage de récit, les deux parties de la négation,
la forme interrogative inversée.., sont respectées, mais lorsqu’il s’agit d’un discours
rapporté mis entre guillemets, c’est la forme parlée courante qui est écrite.
À quoi bon ? objecterez-vous.
Au cours des expérimentations que nous menons maintenant depuis de lon-
gues années avec de jeunes et très jeunes enfants, nous avons constaté que
lorsque le texte d’un livre présente ces caractéristiques, l’apprenti parleur réussit
une approche du livre radicalement autre que si on lui lit par exemple une comp-
tine, un texte « poétique » ou un conte écrit dans un style traditionnel. Pour éviter
toute méprise, je répète à nouveau qu’il n’est pas question de rejeter ces autres
écrits, mais je veux dire que l’enfant ne peut pas recevoir, exploiter de façon iden-
tique un texte qu’il comprend peu, voire pas du tout (même s’il lui apporte plaisir
et richesse affective) et un texte qui est en grande partie à sa portée.
Certains chercheurs ont montré, par des enquêtes fort intéressantes, que pour
qu’un lecteur (adulte ou enfant) puisse comprendre ce qu’il lit (ou ce qui lui est lu),
il faut qu’il puisse repérer du déjà connu dans une proportion de 80 % par rapport
à 20 % d’inconnu ! Si vous regardez la plupart des livres d’enfants, la proportion
est bien souvent inversée !
Que fait l’enfant d’un texte approprié ? D’abord, il y trouve un plaisir affectif, sen-
soriel, esthétique, mais en même temps il y trouve un matériau dans lequel il peut
puiser pour verbaliser à son tour. Attention ! il ne s’agit pas de mémorisation d’un
texte, d’un « apprendre par cœur », comme c’est le cas pour une comptine, un
poème, une chanson… Il s’agit d’un choix qu’opère l’enfant, choix qui est pour nous
imprévisible, puis l’enfant intègre dans son propre système du moment les éléments
qu’il a choisis, sans qu’il soit possible (dans l’état actuel de nos connaissances) de
distinguer les éléments du fonctionnement mental des éléments du fonctionnement
verbal. Raisonnement et verbalisation du raisonnement s’élaborent dans un travail
interactif (nous suivons ici la voie féconde ouverte par Henri Wallon).
Ce travail rend possible toute la suite de tâtonnements qui permet à l’enfant
d’accéder progressivement à l’autonomie langagière. Rappelons que, comme tout
apprendre, l’apprendre à parler et à penser est un processus actif et non un phé-
nomène passif. Ce travail, facilité par le texte du livre illustré, apporte en outre à
l’enfant ce qu’on peut appeler (pourquoi pas ?) un plaisir intellectuel. Ce n’est pas
aux lecteurs de la Revue des livres pour enfants que j’apprendrai la joie intense
que manifeste un enfant lorsque, après des lectures et des relectures par l’adulte,
à travers mille et mille tâtonnements, il réussit à parler l’histoire que raconte un
livre depuis le début jusqu’à la fin. (Notons en passant que cette verbalisation
peut être au début très partielle, le bébé commençant par mimer, produire des
onomatopées ou s’approprier d’une façon quelconque les éléments du récit qu’il
choisit.)

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Adapter son langage à l’enfant en écrivant


comme en parlant
Les travaux sur le langage adressé par les adultes aux enfants se multiplient
depuis quelques années. On admet maintenant en général qu’en conversant avec
un enfant, un adulte adapte son énonciation verbale, afin de communiquer agréa-
blement avec son petit interlocuteur, tout en l’aidant à progresser dans son
acquisition du parler et du penser.
En revanche, dès que des éducateurs de jeunes enfants demandent des textes de
livres illustrés respectant les mêmes contraintes, ils provoquent un tollé général…
« Écrire, c’est créer », « Il faut respecter la personnalité de l’auteur », « L’écrivain écrit
d’abord pour lui-même, en suivant son inspiration, sans avoir à tenir compte de son
public »… (Voir par exemple Le Monde de l’Éducation, décembre 1978, l’enquête de
Michèle Jouhaud-Castro : « Pourquoi avez-vous choisi d’écrire pour les jeunes ? »).

Comment concevoir un texte pour livre illustré


Quelles exigences faut-il respecter, quelles contraintes peut accepter un
auteur, quelles données recueillies au cours des recherches sur l’acquisition du
langage par l’enfant peut-on utiliser dans la conception d’un livre pour enfants et
de son texte ?
Ne dissimulons pas qu’il s’agit d’un débat considérable, qui n’a encore été que
bien peu entamé. Pourtant, en ce qui concerne les livres destinés aux enfants qui
viennent d’apprendre à lire, saluons deux articles qui amorcent la réflexion (La
Revue des livres pour enfants, n° 71, février-mars 1980) : Isabelle Jan « Faire vivre
une collection » (« De l’auteur au lecteur ») et Jacqueline Kerguéno « Lisibilité du
texte et des images pour les lecteurs débutants ».
Pour les enfants « avant la lecture », nous n’en sommes pas là. Parcourons les
comptes rendus d’albums et livres pour enfants dans les revues spécialisées, ainsi
que les revues ou périodiques non spécialisés qui, depuis quelques années, sont
de plus en plus nombreux à présenter une rubrique « livres d’enfants ». Relisons
même certains numéros spéciaux, entièrement consacrés à ce qu’on appelle sou-
vent la « littérature enfantine » : sauf cas rarissimes, le texte des livres pour petits
enfants est soit entièrement passé sous silence, soit évoqué rapidement au moyen
d’appréciations dont la précision ne dépasse pas des remarques du genre :
« Langue riche, précise, rythmée », « texte clair et simple », « fraîcheur poétique »,
« clarté d’écriture », « texte très simple réduit à deux courtes lignes, ne dit que
l’indispensable », « le texte court, simple, exactement enfantin (souligné par L.L.),
complète l’illustration… », « écrit dans une langue très simple où chaque mot
touche juste », « peu de texte, mais les images racontent tant de choses… ».

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Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler, lire et écrire de I’enfant

Quelques exemples de style


pour livres de tout-petits

• Emploi de « je »
« Je joue avec mes poupées ».
« Je regarde par la fenêtre ».
« Je vais à l’école ».
Qui est ce « je » ?
– Est-ce la personne qui lit à l’enfant ? Ou quelqu’un (Qui ? L’auteur ?) qui parle par
sa voix ?
– Est-ce le personnage représenté sur l’image ? mais alors il n’a pas été présenté.
– Est-ce l’enfant à qui le texte est lu ? Mais alors ce serait l’adulte lecteur qui dirait
« je » à sa place !

• Emploi de l’impératif et du présent 2e personne du singulier.


« Regarde comme Marie a de jolis cheveux blonds ! »
« Regarde bien, le petit lapin va retrouver ses frères et ses sœurs dans le jardin ».
« Connais-tu ce petit garçon ? C’est Julien, il va te présenter ses amis ».
Qui est ce « tu » ? Qui parle ? À qui parle-t-on ? Est-ce au jeune auditeur, et dans ce
cas doit-il répondre ?

• Le texte interpelle le personnage mis en scène.


« Il est temps de te coucher… Dors bien, petit Nico ! »
« Vite, Sandrine, habille-toi, tu dois partir à l’école ! »
Qui parle ? Comment le lecteur va-t-il assumer ce discours en lisant à l’enfant ?

• Emploi excessif de pronoms personnels : l’enfant ne comprend pas de qui on lui


parle.
(1) « Il était une fois un petit garçon.
(2) Il s’appelait Cédric.
(3) Il avait beaucoup de jouets.
À chaque fois, le « il » n’a pas le même sens.
Parfois, les difficultés s’accumulent, par exemple :
« Jacques et Colette disent au revoir à Victoria. Ils rentrent chez eux et ils racontent
à maman qu’ils se sont bien amusés chez elle. »
Un énoncé se poursuit d’une page à l’autre, en commentaire de plusieurs images
successives. L’enfant peut alors difficilement exploiter le texte.
1. Rémi part en courant
2. jusqu’à l’école où il retrouve
3. ses copains dans la cour.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Ou bien : «… Le texte ne suit pas toujours et peut déboucher sur des interpré-
tations erronées », « un texte très mal adapté aux petits », «… les illustrations sont
expressives et très lumineuses. Elles pourraient se passer du texte qui, pourtant
les accompagne parfaitement… », « Le texte est superflu… », « versification un peu
laborieuse », « vocabulaire non adapté aux petits »…
Il faudrait aussi mentionner que, pour certains spécialistes, les textes écrits (ou
dictés à l’adulte) par des enfants, seraient particulièrement bien adaptés (ce qui
n’est pas mon avis, expérimentations à l’appui).
Les remarques qui précèdent évoquent (un peu sommairement) une manière
de critique littéraire. Ces analyses ne proposent pratiquement jamais de mise en
relation des caractéristiques d’un texte avec les informations que les recherches
des vingt dernières années ont commencé à apporter sur l’acquisition et le fonc-
tionnement du langage chez l’enfant. (Pour une première évocation en profondeur
de cette problématique, je rappelle l’important chapitre qu’Isabelle Jan a écrit
dans Du parler au lire : « Le texte dans le livre pour enfants ».)

Conceptions traditionnelles sur l’écrit destiné aux jeunes enfants


Par contre il semble exister certaines « idées » sur ce que doit être un texte des-
tiné à de jeunes enfants, idées que l’on retrouve d’ailleurs dans certains partis-pris
adoptés couramment dans la plupart des traductions en français de livres et
albums parus dans d’autres langues.
On se reportera à ce sujet avec profit au n° 57-58 de la Revue des livres pour
enfants (décembre 1977) où Jacqueline Guillemin-Flescher, traitant de la traduc-
tion d’Alice au pays des merveilles, apporte au cours d’une analyse détaillée un
certain nombre d’éléments pertinents sur la question.
Par contre, dans la première partie du même article, J. Guillemin-Flescher pen-
se pouvoir « cerner de plus près les différences entre langage adulte et langage
enfantin », en examinant les caractéristiques choisies par Michel Tournier pour
récrire à l’intention des enfants son livre Vendredi ou les limbes du Pacifique. Ici
nous rejoignons les « idées » évoquées plus haut.
Je prendrai un exemple qui me paraît particulièrement important et qui concerne
la construction syntaxique. M. Tournier a choisi, d’une façon générale, de rempla-
cer la subordination (utilisée dans son texte destiné aux adultes) par la coordina-
tion, qu’il considère comme plus accessible aux enfants. Or mes thèses, formulées
dès 1970 et constamment confirmées depuis par une abondante expérimentation,
montrent que l’articulation syntaxique des énoncés complexes constitue au
contraire, très tôt (dès 2-3 ans), un appui indispensable à la compréhension et à
l’exploitation personnelle par l’enfant du discours de l’adulte (parlé ou lu). Ce,

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Le texte du livre illustré et l’apprendre à parler, lire et écrire de I’enfant

à condition bien entendu de prendre un certain nombre de précautions, dont cer-


taines sont d’ailleurs mentionnées par J. Guillemin-Flescher : bannir les apposi-
tions, les incises. Par contre, il ne faut pas nécessairement éviter toute
subordonnée en tête d’énoncé, comme elle le pense. On constate aussi que si un
relatif comme dont doit à tout prix être évité car il n’est pas exploitable avant un
âge avancé, il ne faudrait pas croire qu’un fonctionnel comme avec soit forcément
d’un maniement plus aisé… (Songeons en effet à tous les sens très divers que peut
prendre ce petit mot.)
Enfin je voudrais attirer l’attention sur des constatations assez surprenantes :
si la verbalisation (orale ou écrite) en est réalisée de façon adaptée, l’enfant est
très tôt capable de produire des séquences renvoyant à une réalité extérieure à
l’événement ou l’objet présenté à condition que l’explicitation soit suffisante. Il y
aurait à ce propos beaucoup à dire sur la construction (et le sens) des phrases pro-
posées à l’apprenti-lecteur dans la quasi-totalité des méthodes de lecture. (Ces
phrases permettent sans doute le déchiffrage, mais non la lecture, considérée
comme la recherche d’une signification.)
Il serait intéressant d’examiner également de quelle façon et depuis quand de
telles habitudes se sont installées, comment elles inspirent d’autres productions.
Pensons par exemple au « ton », pris dans les émissions télévisées ou autres spec-
tacles destinés aux petits, caractéristiques que l’on retrouve aussi dans une cer-
taine publicité.
Il faudrait de même travailler sur les écrits documentaires. À signaler sur ce très
important domaine, bien que traitant d’un public d’enfants un peu plus âgés, un
excellent article de deux physiciens (Françoise Balibar et Jean-Pierre Maury) paru
dans le n° 108 de La Recherche en février 1980, qui ouvre un champ dont l’explo-
ration me semble urgente.
Il serait également nécessaire d’étudier ces questions dans d’autres langues,
sachant en particulier qu’il y a en français un écart assez considérable entre le
parlé et l’écrit, ce qui n’est pas le cas dans toutes les langues, de même que les
incidences sur les écrits des diverses attitudes adoptées vis-à-vis des enfants.

Une tribune d’échanges


Le sujet serait inépuisable… Il faudra y revenir et notamment analyser un grand
nombre de textes, en les confrontant à leur utilisation dans l’optique évoquée ici,
poser la question de l’écriture par l’auteur du texte pour tout-petits (il s’agit de
textes « fabriqués » ? Ne fabrique-t-on pas toujours un texte ?), comparer le choix
de livres fait par des enfants ayant des expériences diversifiées (il serait temps de
rompre enfin avec les « normes » admises qui concernent les enfants, suralimentés
en livres, d’un certain milieu, et ignorent la masse des autres…), etc.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Le souhait que je voudrais formuler est que s’ouvre ici une tribune d’échanges
à propos d’un projet de longue haleine, dont l’extrême complexité et l’enjeu
n’échappent à personne.
Est-il traité ici de « littérature enfantine » ? je ne sais pas, mais il est certaine-
ment question de livres pour enfants… Or il est plus urgent que jamais d’œuvrer à
faire se rejoindre (voire même se confondre) livre-plaisir et livre scolaire puis-
qu’aussi bien il est désormais amplement prouvé qu’on n’apprend véritablement
qu’en rencontrant plaisir et intérêt.
Paul Faucher disait déjà en 1957, lors d’une conférence à Zurich :

« […] Il n’est pas suffisant d’amener un plus grand nombre d’enfants au livre. Il faut
encore que les publications qui leur sont offertes leur apportent quelque chose de plus
que le plaisir de lire. […] Il devrait être possible de concevoir des ouvrages qui seraient,
non pas des livres scolaires, mais des instruments de développement personnel.
Instruments conçus de telle sorte que le seul fait de s’en servir amène l’éducateur, insen-
siblement mais nécessairement, à prendre une nouvelle attitude pédagogique !... »
Et plus loin : « … Les enfants ont droit à plus d’égards et de respect que tout autre
public »… pensée qu’on aimerait adopter comme devise et comme program-
me !

L’écrit doit offrir une activité à l’intelligence de l’enfant

« Pourquoi se refuse-t-on systématiquement à les [les enfants] inciter à réfléchir, à


compter sur leur propre faculté de raisonner ? Nous touchons là au cœur du problè-
me. Pour nous, nous voulons croire que la science, l’attitude scientifique, sont des
facteurs de libération. Nous voulons croire qu’en comprenant mieux ce qui l’entoure,
l’enfant s’enrichirait, dominerait mieux le monde, prendrait goût à s’attaquer lui-
même aux problèmes pour les résoudre – et il ne s’agit pas seulement des problèmes
scientifiques… »
Françoise Balibar et Jean-Pierre Maury,
« La vulgarisation scientifique pour enfants »,
La Recherche, n° 108, février 1980.

136
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 137

10
Le formateur est un chercheur 1

L A PÉDAGOGIE EST-ELLE UNE SCIENCE ? IL N’EST PAS DANS MES INTENTIONS


de répondre, ni même de tenter de répondre à cette question.
Toutefois je voudrais prendre comme point de départ une constatation faite sur
le terrain, depuis de longues années, à propos d‘une conviction largement répan-
due parmi les praticiens de l’éducation ou, si l’on préfère, de l’enseignement.
Grossièrement résumée, cette conviction est la suivante : étant donné un appre-
nant de tel âge, ou de telle classe, étant donnés la connaissance ou le savoir-faire
à lui inculquer, le praticien dispose de différentes instructions ou méthodes élabo-
rées par des « spécialistes », que de convaincantes expérimentations ont confir-
mées et parmi lesquelles il peut choisir. La panoplie comporte aussi bien les
pédagogies de papa ou de grand-papa que les pédagogies les plus avant-gardistes,
voire même utopiques.
À partir de là, on pourrait longuement gloser : il y a mille et une manières de se
servir de méthodes, de règles ou d’instructions, chacun les adapte à ses caracté-
ristiques personnelles, ses goûts, son expérience ou son inexpérience, le groupe
d’apprenants visé…
Arrêtons-nous seulement à l’un des effets les plus redoutables de cette convic-
tion pédagogique : l’élève qui résiste à la méthode choisie par le maître est
« immature », « inattentif », « peu ou pas doué », « inintelligent », voire « retardé »,
« inadapté », « inapte » et, très vite, ne relève plus de la pédagogie normalisée
mais de pédagogies spécialisées, réservées aux apprenants affligés d’une quel-
conque « difficulté » (lisez : « pathologie »).
Or on connaît la tragique réalité : l’écrasante majorité des enfants de la classe
ouvrière échouent à l’école…
J’entends déjà hurler les foules… « Ce n’est pas si simple ! » En effet. Pour trai-
ter de la pédagogie, il faudrait prendre en considération l’ensemble de notre sys-
tème éducatif et notamment la formation des maîtres, présente et passée. Soit,

1. Ce texte est paru dans Raison Présente, n° 71, 1984. Ces quelques réflexions semblent encore
d’actualité, alors qu’il est toujours difficile d’établir la communication entre recherche et pratique.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

mais si vous vous entretenez avec des formateurs de formateurs, ils vous diront
presque inévitablement : « Ce que demandent les praticiens, ce sont des recet-
tes. » C’est également la demande que rencontre bien souvent le chercheur.
Comment s’en étonner ? La formation reçue par les maîtres eux-mêmes leur a
proposé une certitude : en matière d’enseignement, les mêmes procédés suscitent
les mêmes résultats.
Que dire qui n’ait été dit et redit ?
Notre système éducatif et ses pédagogies ont été, essentiellement, depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale, l’objet d’innombrables analyses, critiques,
polémiques, projets, contre-projets, recherches, réformes, contre-réformes… C’est
une tarte à la crème que d’évoquer l’incertitude et l’angoisse de beaucoup
d’enseignants et de beaucoup de parents, l’agressivité de certains autres et, d’une
manière générale, la préoccupation d’ordre national qu’est devenu ce domaine
particulièrement complexe où dominent malheureusement plus souvent des
modes ou des vedettes que les résultats de recherches en sciences humaines.
Dans l’espace restreint de ces pages, je me bornerai à quelques notations que
m’inspirent de nombreuses années d’enseignement et de recherche. Je me limite-
rai essentiellement aux secteurs dans lesquels je travaille : l’apprentissage du lan-
gage oral et écrit dans l’enseignement pré-élémentaire, élémentaire, spécialisé
secteurs « sensibles », s’il en est.
Sans polémiquer sur le terme même de pédagogie, celui qui porte la redouta-
ble charge d’enseigner ne devrait réclamer ni recettes ni procédés préfabriqués.
Ce dont il a fondamentalement besoin est autre. Des connaissances, il lui en faut
certes, à propos de ce qu’il doit enseigner, mais il lui faut (il lui faudrait) surtout
avoir mené de sérieuses réflexions ainsi que des expérimentations diversifiées sur
quelques points essentiels :
• Qu’est-ce qu’apprendre pour lui, adulte, et que peut-il en déduire sur ce
qu’est apprendre pour tout apprenant ?
• Comment exerce-t-il, lui adulte « compétent », l’activité cible ou comment uti-
lise-t-il les connaissances visées ?
• Que sait-il des apprenants qu’il a à instruire ? (Nous posons que chaque indi-
vidu est unique et nous nous refusons à considérer anonymement une clas-
se d’âge, une catégorie d’élèves, etc.)
• Comment envisage-t-il ses propres échanges avec les apprenants, son rôle
dans l’interaction qui s’instaure entre apprenant et appreneur au cours du
processus de l’apprendre ?

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Le formateur est un chercheur

La nouvelle attitude engendrée par une telle préparation évite à coup sûr la
désastreuse habitude, actuellement la plus répandue, qui consiste pour le praticien
à appliquer des directives pédagogiques sans être en mesure de se demander pour
chaque activité qu’il propose, ce qu’il est réellement en train de faire et par rapport
à chacun des élèves qu’il enseigne et par rapport à l’objectif poursuivi.

Apprendre
Apprendre n’est pas recevoir passivement quelque transmission de savoir ou
de savoir-faire, apprendre suppose une activité créatrice de celui qui apprend et
de celui qui éventuellement l’aide.
Chaque élément que tente de s’approprier l’apprenant s’introduit dans le fonc-
tionnement de son système mental (pour ne parler que de lui) en le modifiant. De
nombreux auteurs l’ont montré : ce qui est appris ne s’additionne pas à ce qui est
déjà maîtrisé, mais modifie l’ensemble du système. Je renvoie ici aux nombreux
travaux récents qui tentent de faire avancer la connaissance du fonctionnement du
cerveau, particulièrement en ce qui concerne la mémoire d’une part, et la compré-
hension d’autre part.
Apprendre est un ensemble d’actes personnels, intelligents, impliquant des
mises en relation propres à chaque individu, qui parvient ainsi à un usage auto-
nome de ce qu’il acquiert et à la possibilité d’accroître ou de modifier indéfiniment
cet apprendre, grâce à un libre accès aux travaux du passé ainsi que de la
communauté scientifique, technologique et culturelle de son temps.
Il n’est sans doute pas nécessaire de préciser qu’une telle conception de
l’apprendre suppose l’intérêt et le plaisir de l’apprenant.
On parle, on a parlé jusqu’à saturation de l’indispensable « motivation » de
celui qui apprend.
Notons seulement que certains apprentissages qui sont éventuellement res-
sentis comme ennuyeux, répétitifs, seront acceptés facilement, dans la mesure où
ils seront insérés dans un projet global apprécié et assumé par l’apprenant.

Un éducateur « compétent » ?
L’instituteur est un maître « polyvalent »… il devrait être un homme-orchestre !
Or, comment pourrait-il acquérir une compétence spécialisée dans tous les domai-
nes qu’il lui faut aborder avec ses élèves ? En revanche, il me semble qu’il lui est
possible de parvenir à une attitude et de pratiquer une démarche qui lui permet-
tront d’affronter la diversité de ses tâches.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Suivant ses goûts, il peut choisir d’approfondir tel ou tel champ. Il y deviendra
compétent, ou au moins éclairé, capable de choisir ses conduites d’éducateur en
connaissance de cause. Il se tiendra au courant des recherches et expérimenta-
tions et pourra en tirer profit sans précipitation et sans a priori, ayant acquis la
possibilité de se faire une opinion personnelle.
Dans mon travail de chercheur, mené constamment en équipe avec des prati-
ciens et devenant parfois action de formation, il est apparu avec une évidence
aveuglante que celui qui devient dans un domaine ce praticien-chercheur qui à
mes yeux est le seul « pédagogue » authentique, celui-là adopte de façon irréver-
sible cette attitude ouverte et féconde dans tous les autres domaines et sait trou-
ver les voies et les moyens de pratiquer les démarches voulues auprès des
apprenants.
Prenons un exemple : le langage ou plutôt le parler-lire-écrire.
Qu’est-ce que parler, pour un adulte « compétent » qui maîtrise ce qu’on
appelle sa langue maternelle (ou langue natale) ? Sans devenir nécessairement un
linguiste émérite, chacun peut, en rapport avec sa propre expérience et grâce à
certains travaux spécialisés, prendre conscience de la problématique complexe du
fonctionnement du langage dans ses aspects anthropologiques, sociologiques,
scientifiques.
Qu’est-ce que lire, pour un lecteur compétent ? Comment aider des apprenants
(quel que soit leur âge) à acquérir la langue écrite si on n’a pas regardé de près la
nature de l’acte de lire, ainsi que son statut socioculturel ? D’innombrables métho-
des de lecture (très « pédagogiques ») amènent les maîtres à croire que l’appre-
nant sait lire (= recevoir et traiter la signification d’un texte) alors qu’il ne sait que
déchiffrer (= transformer un signe écrit en un signe sonore, assembler des lettres
et des syllabes). C’est en analysant sa propre activité de lecteur, à la lumière des
travaux des chercheurs, que l’éducateur pourra enseigner à l’apprenant à trouver
le sens de ce qu’il lit en utilisant le fonctionnement de son propre langage.
Enseigner à écrire suppose aussi qu’on ait découvert qu’écrire ne signifie pas
copier, mais rédiger et qu’on ait pris conscience que les difficultés que rencontre
le débutant ressemblent comme des sœurs à celles que doit surmonter tout un
chacun dans cette activité, sans tomber dans le piège des « dons », des « non-
dons », ou des « sur-dons ».

Connaître les apprenants


Pour sortir des schémas de l’apprenant standard capable d’apprendre grâce
aux mille et une propositions de pédagogies prêtes-à-porter… il faut prendre cons-
cience que chaque apprenant présente une spécificité unique, possède ses

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Le formateur est un chercheur

valeurs propres, sa représentation du monde, qu’il a vécu (même s’il est encore
très jeune) sa propre histoire, qu’il construit sa personne au moyen de ses expé-
riences qui ne sont celles d’aucun autre.
Si l’espèce humaine possède dans son patrimoine génétique un certain nom-
bre de potentialités, nous savons désormais que chaque être ne les développe que
grâce aux échanges féconds qui s’instaurent entre lui et d’autres et que ses
milieux de vie conditionnent l’ensemble de son développement en lui offrant les
matériaux, les interactions, les expériences qu’il peut exploiter pour construire sa
personnalité, son savoir, son savoir-faire.
Je ne veux pas dire que dans nos écoles les enseignants devraient connaître de
l’intérieur tout ce que vit chacun de leurs élèves. Ne caricaturons pas ! Je veux dire
que si l’éducateur parvient à rejeter le « bon élève » modélisé et pédagogisable
qu’il a dans la tête et qui lui occulte toute autre occurrence d’apprenant, il consi-
dérera chacun de ceux qu’il a à enseigner comme un être humain à part entière,
quelles que soient ses caractéristiques ethniques, physiques, psychologiques,
sociologiques… et instaurera avec lui des relations personnalisées et privilégiées
qui seules peuvent étayer un dialogue éducatif.
Cette capacité de dialogue authentique est une qualité indispensable à tout
éducateur, quel que soit l’âge de ceux dont il a la charge et quel que soit le domaine
de l’enseignement.

L’interaction entre appreneur et apprenant


Dans l’interaction avec l’apprenant, l’éducateur se comporte comme un récep-
teur autant qu’un émetteur, s’efforçant de chasser les normes et les poncifs péda-
gogiques, si tenaces en chacun de nous.
Accueillir ce que propose l’apprenant, ses hypothèses, lui en présenter une uti-
lisation qu’il pourra à son tour exploiter, voilà qui est plus complexe, parfois plus
fatigant mais souvent plus captivant et gratifiant que d’offrir à tous les mêmes for-
mules ou les mêmes conduites standardisées.
Attention ! je n’évoque nullement ici une quelconque non-directivité ou une
confiance absolue dans les capacités d’invention de l’élève. Des recherches rigou-
reuses tentent de mettre en lumière les diverses modalités des échanges qu’ex-
ploitent les deux interlocuteurs. Nous ne sommes pas encore en mesure, il est vrai,
d’analyser ni de décrire le processus exact de cette interaction (de ces interac-
tions) et nous sommes encore loin de toute conception généralisable. Il convient
de rester très prudent, même si un objectif raisonnable demeure la découverte de
quelques-unes des lois profondes qui président à ces interactions.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Au gré des mouvements aussi variés et inattendus que ceux de la vie elle-
même, au cours d’improvisations qui vont et viennent entre deux partenaires,
l’appreneur ajuste étroitement à chacun le contenu et la forme de son interven-
tion. Au cours de l’apprendre à parler du jeune enfant (de la naissance à 5-6 ans),
puis au cours de l’apprendre à lire-écrire, on peut ainsi étudier le rôle décisif de
ce que l’éducateur « offre » ou « renvoie » à son interlocuteur. A partir de là, quelle
est la place de la reprise, de l’imitation, de la mémoire, de l’intuition, de la compré-
hension, de la relation affective, de l’imagination… ?
Les expérimentations montrent comment l’apprenant travaille à sa façon, selon
ses choix (dont nous ne perçons pas les secrets), à partir de ce qu’il maîtrise déjà
et à partir de ce qu’il expérimente à l’aide des matériaux et des fonctionnements
qui lui sont présentés par l’autre.
Ajoutons, en passant, qu’il n’est pas besoin d’utiliser de « ruse pédagogique » :
on redécouvre chaque jour au cours de ces expérimentations que tous les enfants
aiment apprendre, veulent apprendre, à la seule condition qu’on n’entrave pas
leurs efforts en ne les reconnaissant pas tels qu’ils sont et en leur imposant une
pédagogie collective, unifiée et figée.
Le moins émouvant n’est pas de constater que des adultes de tous âges, si
l’exclusion par l’école et la société peut être rompue, manifestent également ce
désir d’apprendre. Je pense notamment à des adultes des populations les plus
démunies – le Quart Monde – qui demandent à apprendre à lire et à écrire, et qui
y parviennent.
J’entends d’ici ceux qui m’accusent de préconiser la très ancienne pratique du
préceptorat. Il n’en est rien : je crois à l’école et au collectif qu’elle représente, à
condition qu’elle soit véritablement insérée dans la cité parmi tous les citoyens, et
à condition qu’au sein de cette collectivité chacun soit enseigné de façon appro-
priée. Il est possible, de nombreuses expérimentations le montrent, d’individualiser
les échanges avec chaque apprenant, à condition de modifier certains aspects de
l’organisation scolaire et de rompre avec un apprendre fictif, fruit d’illusions péda-
gogiques.
Ce rejet de l’illusion pédagogique suppose des enseignants devenus des
praticiens-chercheurs, ce qui bien entendu ne s’improvise pas.

La formation
Une telle pratique de l’interaction, pour être efficace, ne peut s’appuyer que
sur une formation appropriée, tant formation initiale que formation continuée.
Ce qui a été évoqué pour l’apprenant doit être mis préalablement à la disposition
du formateur. Il s’agit pour lui d’acquérir cette nouvelle attitude, non seulement vis-

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Le formateur est un chercheur

à-vis de l’apprenant, mais aussi vis-à-vis de soi-même. Réflexion, approfondisse-


ment, connaissance des recherches les plus avancées en psychologie, en sociologie,
en neurophysiologie, en psychanalyse…, expérimentation du travail en équipe aussi
bien que du travail individualisé, ajusté à chacun et à chaque objectif.
Le praticien a besoin avant tout d’apprendre à être un chercheur, responsable
et autonome. C’est ainsi, et ainsi seulement, qu’il sera en mesure d’aider chaque
apprenant, quel qu’il soit, à accomplir toutes ses potentialités.
Pour finir, je voudrais évoquer les efforts actuels, dans notre pays, pour une
avancée dans les directions qui ont été indiquées à grands traits dans ces
quelques pages, aussi bien dans le domaine de la recherche que dans les disposi-
tions institutionnelles.
Pourtant il ne faudrait pas nous dissimuler les considérables obstacles qui se
dressent un peu partout contre un tel courant. Il convient de ne pas sous-estimer
la résistance tant du public que des spécialistes contre la fin de l’élitisme
qu’entraînerait inévitablement la généralisation d’une formation des formateurs
qui ferait d’eux à tous les échelons de véritables praticiens-chercheurs.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Proposition de stage destiné


aux formateurs d’instituteurs

Cette proposition, adressée à la division de la formation, de la recherche et du déve-


loppement au ministère de l’Éducation nationale, n’a pas été acceptée (des stages sur
le même modèle avaient pourtant été organisés à la même époque par l’AsFoReL,
sous forme d’universités d’été agréées par le même service du ministère et avaient
rencontré un grand succès).

Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3


Centre de recherche sur l’acquisition du langage oral et écrit

Le 21 février 1986

– Objet : stage d’initiative nationale pour la formation continue des formateurs


d’instituteurs (DEN, PEN, IDEN, Maîtres formateurs) pour l’année 1986-87.
– Proposition :
Discipline d’enseignement à l’école : français.
Responsable pédagogique : Madame Laurence Lentin

Acquisition et maîtrise du langage oral et écrit

• Aspects linguistiques, psychologiques, sociologiques de l’acquisition du langa-


ge et de l’apprentissage de la langue. La linguistique de l’acquisition. Aperçu de dif-
férentes écoles de pensée à propos du développement de la fonction langagière.
• Thèses développées : la fonction langage, point de vue anthropologique. L’activité
langagière et cognitive : parler-lire-écrire. Les différentes variantes de la langue et
leurs interférences. Rôle de la syntaxe et de la sémantique. Étude de l’interaction
entre l’apprenant et le locuteur-lecteur compétent.
• Méthodologie de L. Lentin : Observation et analyse d’énonciations d’enfants en
voie d’acquisition du langage et d’adultes. Étude de corpus enregistrés (dialogues
« authentiques » entre adultes et enfants).
• Applications : La verbalisation à l’école maternelle : le rôle de l’adulte.
→ L’individualisation de l’apprentissage (oral et écrit) en milieu scolaire.
→ L’énonciation : production, compréhension.
→ Rôle du parler dans l’apprentissage du lire-écrire. « Dictée à l’adulte ».
→ La médiation de l’adulte en vue d’une maîtrise étendue du langage.
→ La problématique des textes destinés aux enfants non encore lecteurs et
débutants.
→ Un cas particulier : le bilinguisme des enfants de migrants.

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Le formateur est un chercheur

• Conclusions : Incidence de l’étude des phénomènes d’acquisition et de fonction-


nement du langage sur l’enseignement du français à tous les niveaux, dans la lutte
contre l’illettrisme et perspectives concernant la formation des instituteurs.
NB : Les stagiaires seront invités à quelques travaux personnels en application
directe de la réflexion proposée.
• Durée, sessions : deux sessions d’une semaine. Si possible session « retour » de
trois jours, un an après la deuxième session.
• Collaboration d’enseignants : en dehors de L. Lentin, PEN, CPEN, CPIDEN, RPP,
RPM, (de l’Île-de-France), universitaires (Sorbonne-Nouvelle Paris 3).

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Annexes

Afin d’aider ceux de nos lecteurs qui souhaiteraient réaliser eux-mêmes une
étude de langage en cours d’acquisition, les annexes qui suivent présen-
tent quelques indications concernant la méthodologie utilisée pour les tra-
vaux évoqués dans cet ouvrage.

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Conventions pour la transcription


d’enregistrements adulte-enfant 1
(interprétation orthographique)

Présentation de la première feuille de transcription


Sur la première feuille du corpus, noter :
(à gauche) (à droite)
Nom de l’adulte qui a enregistré Date de l’enregistrement
et parlé avec l’enfant
Nom du transcripteur.
Prénom et initiale du nom de l’enfant Date de naissance.
Numéro du corpus (ex. Corpus n° 1 C 1) Âge de l’enfant au jour
de l’enregistrement :
année ; mois ; jour.
Nombre d’énoncés de l’enfant (ex. n = 127)
Nombre d’énoncés de l’adulte (ex. nA = 130)
[…]

Transcription

Présentation matérielle
Les énoncés de l’adulte sont transcrits à partir de la gauche de la feuille, à la
marge, et sont numérotés A 1, A 2, …… A n.
Les énoncés de l’enfant sont transcrits en retrait de la transcription de l’adulte,
vers la droite, à 4 cm de la marge (ou 10 intervalles). Ils sont désignés par l’initiale

1. Au cours des dix dernières années, ces conventions ont été légèrement modifiées. En revan-
che, de nouvelles conventions ont été établies et sont en cours de recherches, en vue d’un trai-
tement informatique de corpus de langage oral en voie d’acquisition. Voir à ce sujet le n° 60-61
de l’Acquisition du langage oral et écrit, 2008.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

du prénom de l’enfant suivie de la numérotation, par exemple pour les énoncés de


David : D1, D2, …… Dn.

Exemple de présentation :
A 1 – D’abord, il ramasse un joli caillou rond.
D 1 – i(l) va le mett(r)e dans le p(e)tit panier
A 2 – Oui, i(l) va pas mett(r)e tous les cailloux, il choisit les cailloux qu’il va ramasser.
D 2 – oui ben maintenant il est en train d(e) le ramasser

La transcription
Il faut savoir que la transcription ne peut pas refléter l’enregistrement avec une
fidélité parfaite : la prononciation d’un même sujet, enfant comme adulte, est
variable. Le but de notre travail sur corpus n’est pas une analyse fine de la pro-
nonciation. C’est une étude approfondie de la sémantique et de la syntaxe en fonc-
tion de l’objectif précis que nous fixons à l’analyse. Cette analyse doit être
rigoureuse, chaque corpus présentant des données particulières. Les éléments
transcrits sur lesquels subsistera un doute ne seront ni interprétés ni analysés. On
ne formulera éventuellement que des hypothèses.
1. Transcrire tout ce qui est dit par l’adulte et par l’enfant.
2. Transcrire les hésitations, les répétitions.
3. Transcrire les mots selon l’orthographe usuelle, c’est-à-dire :
– dans le cas de mots où certaines lettres ou syllabes ne sont pas prononcées,
les faire apparaître entre parenthèses pour la compréhension du corpus :

Exemple : i(l) f(r)appe – e(lle) cou(r)t – pa(r)ce que – pa(rce) que

– ne pas changer ce que dit l’enfant si ce n’est pas compréhensible mais indi-
quer entre parenthèses l’interprétation que vous en faites :

Exemple : un sat (= chat) – ze (=je) veux – papemoute (= pamplemousse)

– dans le cas d’un doute d’interprétation, mettre un point d’interrogation dans


la parenthèse après le mot ou le groupe de mots incompris ;

Exemple : i(l) a i (=parti ?)

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Conventions pour la transcription d’enregistrements adulte-enfant (interprétation orthographique)

– noter les mots indistincts (ind.). Ne pas numéroter l’énoncé si tous les mots
de cet énoncé sont indistincts ;
– « mm » seul n’est pas comptabilisé comme énoncé mais est transcrit sans
que l’énoncé soit numéroté. Exemple :

A 1 – Il prend pas son parapluie, il prend son panier.


D 1 – alo(r) s là i(l) prend son panier
A – mm
D 2 – pour aller,, mener
A 2 – Il prend son panier pour aller se promener.

4. Remarques sur l’interprétation orthographique


– Ne pas mentionner/ne/lorsque cette partie de la négation n’est pas pro-
noncée.
– Concernant la transcription de « e ».
• On ne met pas entre parenthèses les « e » en fin de mots qui sont généra-
lement muets dans la plupart des régions de France.

Exemple : la porte.

• On met entre parenthèses les « e » qui sont susceptibles d’être prononcés


et qui ne le sont pas dans cet énoncé.

Exemple : J(e) n’ai pas pris la peine de r(e) peindre la grille.

– Notation de deux sons mal différenciés.


Quand deux sons sont mal différenciés et qu’il y a hésitation pour la trans-
cription, noter les deux sons l’un au dessus de l’autre :

[s] [ə]
Exemple : un chat une pomme

5. Indiquer la ponctuation chez l’adulte et commencer les énoncés par des


majuscules. Chez l’enfant, ne pas mettre la ponctuation, sauf « ? » et « ! » pour
exprimer l’intonation correspondante. Ne pas employer les majuscules sauf pour
les noms propres.
6. Indiquer les interruptions dans le déroulement du corpus entre deux énon-
cés par des pointillés à l’intérieur de crochets, par exemple, lors d’une interruption
due à un dérangement, à une intervention extérieure, etc.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

7. La notation des silences est très importante. Les silences sont notés entre
deux virgules plus ou moins espacées :

Exemple : ,, ou,, ou,

8. Notation d’hésitation de l’enfant et de l’adulte dans le déroulement de l’é-


noncé. Mettre une barre oblique «/» :

Exemple : il a il a p/il a pris

9. Noter la prise de parole simultanée de l’adulte et de l’enfant par « ensem-


ble ». Exemple :

A 7 – Ta maman range les


(ens.) yaourts dans le frigo.
E 8 – ben non c’est pas le frigo

10. Au cours de la transcription, préciser les détails de la situation, les modifi-


cations en cours d’enregistrement, l’arrivée de quelqu’un, les déplacements. Ces
détails permettront une meilleure compréhension lors de l’exploitation du corpus.
11. Rappeler en tête de chaque page de corpus le nom et l’âge de l’enfant.
Cas particulier : transcription de la dictée à l’adulte.
– L’adulte écrit sous la dictée de l’enfant :
• de façon continue : soulignage en continu

Exemple : la maman lapin

• de façon discontinue, terme après terme : intervalle de trois espaces.


Chaque mot (ou groupe de mots) est souligné selon le débit de la dictée

Exemple : la maman lapin.

L’adulte relit ce qui a été dicté par l’enfant : soulignage en petits traits dis-
continus

Exemple : la maman lapin

152
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 153

Conventions pour la transcription d’enregistrements adulte-enfant (interprétation orthographique)

– L’adulte relit ce qui a été dicté pour inciter l’enfant à continuer la dictée à
l’adulte. Il emploie un ton suspensif : terminer l’énoncé par une virgule sui-
vie d’une barre oblique

Exemple : la maman lapin,/

– L’enfant passe du langage courant à la dictée : mettre une double parenthè-


se au début et à la fin de la partie dictée, avec espacement des mots selon
le débit de la dictée

Exemple : (( ……… … ……))

– Ton conclusif de l’enfant lorsqu’il termine un énoncé de dictée à l’adulte :


mettre un point entouré de parenthèses (.).
– Ton suspensif de l’enfant lorsqu’il termine un énoncé de dictée à l’adulte :
pas de ponctuation (cf. les conventions générales de transcription).
– L’enfant dicte en même temps que l’adulte écrit et dit ce qu’il écrit : com-
mencer la ligne de l’énoncé de l’adulte au même endroit que celle de
l’énoncé de l’enfant (avec barre verticale précédée de : ens.)

A 27 – les petits lapins


ens.
E 26 – ((les petits lapins))

– Tout ce qui concerne la prosodie dans les énoncés de l’enfant dictant doit
être indiqué de façon très détaillée entre parenthèses.
Noter les silences.
– La ponctuation de l’écrit est respectée :
• quand l’adulte dit ce qu’il écrit, il n’y a pas de majuscule en début d’énoncé
s’il n’y en a pas dans le texte. Exemple :

A 19 – Les lapins
E 20 — ((sont rentrés chez eux (.)))
A 20 – sont rentrés chez eux

• quand l’adulte relit ce qui a été écrit, la ponctuation de l’écrit est conservée.

Exemple : A 21 – J’ai écrit : « Les lapins sont rentrés chez eux. »

153
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 154

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

– Numérotation des énoncés de la dictée à l’adulte : Conserver la même


numérotation que pour la transcription d’énonciations orales, y compris la
relecture de ce qui a été dicté. Une transcription de dictée à l’adulte com-
porte la même numérotation même si elle a lieu en plusieurs séances.
Indiquer avec précision les interruptions et les reprises.
– En fin de corpus, en dehors de la transcription et des énoncés, en encadré,
récapitulation du texte de la dictée à l’adulte.
NB. Ces instructions de transcription ont été arrêtées récemment, certains cor-
pus de dictées à l’adulte contenus dans cet ouvrage ne les respectent donc pas
entièrement.

Quelques définitions
Corpus (C) : ensemble des énoncés attestés dans des enregistrements de
conversation entre un enfant déterminé et un adulte. Par extension, fragment de
cet ensemble produit lors d’un enregistrement déterminé.
Énoncé (é) : d’après Z.S. Harris, « toute partie de discours, tenue par une seule
personne, avant et après laquelle il y a silence de la part de la personne ».
Phrase (Ph.) : pour L. Bloomfield et au sens où nous en avons besoin ici : « La
phrase est une forme linguistique indépendante qui n’est pas incluse en vertu d’une
quelconque construction grammaticale dans une forme linguistique plus grande ».
Complexité des énoncés : les énoncés peuvent être caractérisés par des formes
de complexité syntaxique différentes. On distinguera :
– Ph. s. : les énoncés contenant une phrase simple.
– Ph. s. m. : énoncés contenant des phrases simples multiples ; énoncés compo-
sés de phrases simples juxtaposées ou coordonnées.
– Ph. c. : les énoncés contenant une ou plusieurs phrase(s) complexe(s) compor-
tant un introducteur de complexité et éventuellement une ou plusieurs phra-
ses simples.
– I.C. : les « introducteurs de complexité » ont été déterminés expérimentale-
ment ; certains (introducteurs sélectionnés) sont apparus comme les plus
significatifs de la progression de la complexité syntaxique en liaison avec
l’articulation du raisonnement dans le langage en voie d’acquisition (liste
établie au cours de l’enquête préliminaire à la recherche effectuée en 1969
sur un corpus de dialogues authentiques entre des adultes et des enfants de
3 à 7 ans, et toujours confirmée depuis).
Dans une phrase contenant plusieurs introducteurs de complexité (I.C.), ces
I.C. peuvent être juxtaposés ou emboîtés.

154
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 155

Conventions pour la transcription d’enregistrements adulte-enfant (interprétation orthographique)

• I.C. juxtaposés :

Exemple : maman emmène Tom chez la dame qui le garde et il a emmené le petit lapin
que Mamie lui a donné

• I.C. emboîtés :

Exemple : quand maman fait la cuisine, Victor et Pauline se font de grandes mousta-
ches en léchant le chocolat qui est dans le bol
Victor est déjà là parce qu’il est descendu plus vite que elle.

Essai : tentative de l’apprenant concernant exclusivement une phrase conte-


nant un I.C. échouant ou suivie d’une solution de remplacement.

Exemple : ma sœur elle est plus petite que/plus petite de/ma sœur elle est petite et
moi je suis grande

NB. Dans les transcriptions, les énoncés sont repérés de la façon suivante :
l’initiale du prénom du locuteur et le numéro.

Exemple : D 17 dans C 3 est l’énoncé 17 de David du corpus n° 3.

155
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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Introducteurs de complexité

Liste par ordre alphabétique

à + V inf*

comme étant donné que

comparative = comme ; ex. : elle écrit comme elle parle

de + V inf

discours indirect

divers opposition (tandis que, alors que), tellement que, sans


que, surtout que, déjà que, sinon, etc.

« essais » concerne uniquement des essais portant sur des


constructions utilisant des introducteurs de complexité

extraction c’est, voilà, il y a… qui, que, où, etc.

gérondif ex. : en marchant

il faut que

interrogative indirecte ex. : je sais ce que, je vais voir comment, je (ne) sais (pas)
si…

introducteurs temporels autres que quand (lorsque) : dès que, après que, chaque
fois que, pendant que, avant que, etc.

où relatif

parce que

pour + V inf

pour que

puisque

quand (ou) lorsque

quantitative comparatif ; ex. : Paul est plus grand que Pierre

que conjonction

que relatif complément

qui relatif sujet

si supposition et condition

V + V inf

* V inf : verbe à l’infinitif.

156
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Conventions pour la transcription d’enregistrements adulte-enfant (interprétation orthographique)

Grille pour l’analyse en catégories syntaxiques d’énoncés

Nom de l’aprenant : Corpus n°:


Date de naissance : Âge :
Adulte : Date de l’enregistrement :

ANALYSE ÉNONCÉ PAR ÉNONCÉ

N° Ph. s. Ph. s. m. Extraction Ph complexe (n° d’IC) Essai Divers Fiches


d’énoncé juxtapositiond’IC = +
emboîtement d’IC =/
A E A E A E A E E A E

Total

Méthodologie L. Lentin (Recherches sur l’acquisition du langage, PSN, t. 2, 1988).

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Guide pour l’analyse d’un livre illustré


destiné à être lu par un adulte
à un enfant non encore lecteur 1
Le livre
Présentation générale
Titre
Auteur
Illustrateur
Éditeur
Traducteur
Dates de parution, du copyright, de la traduction
Format
Nombre de pages. Mode de pagination
Type de reliure. Solidité
Prix
Âge-cible
Indications pédagogiques contenues dans le livre
ou dans le catalogue
de l’éditeur
Le sujet
Présentation rapide. Remarques éventuelles sur le contenu idéologique.
L’histoire
Chronologie et enchaînement des séquences. Le déroulement des événements
et des actions permet-il un raisonnement logique sur lequel l’enfant pourra
s’appuyer pour raconter l’histoire ?

Le texte
Les relations énonciatives
S’agit-il d’une narration à la troisième personne avec effacement du narrateur
ou d’une narration à la première personne ?
Narration et dialogues sont-ils bien distincts ?
Les différents locuteurs sont-ils identifiables avant leurs paroles ? Comment ?
(Phénomènes à éviter, ne convenant pas pour des enfants dont le langage est en

1. Version remaniée du « Schéma d’analyse de livres » paru dans L. Lentin et al.


Les livres illustrés pour enfant et l’acquisition du langage, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 5e éd.
1998.

159
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 160

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

cours d’acquisition : incises avec inversion sujet-verbe ; l’auteur, ou le narrateur


s’adresse au lecteur, aux personnages).
Types de phrases
Phrases simples, phrases complexes.
Signaler la présence de phrases nominales ou de phrases incomplètes qui ne
favorisent pas le langage explicite.
Relever les différentes modalités : assertion (affirmative, négative) ; interroga-
tion ; exclamation ; modalité impérative.
Emploi des temps et modes verbaux
Cohérence ou changements, justifiés ou non.
Unité de temps et de lieu
L’action se déroule-t-elle en un temps, en un lieu ?
Locutions adverbiales de temps et de lieu assurant l’enchaînement interne du
récit.
Noms et reprises pronominales
Les référents des pronoms et des termes anaphoriques (possessifs, démons-
tratifs) sont-ils clairement identifiables ?
Mobilité des éléments dans la phrase
Un même élément apparaît-il dans des environnements différents ou y a-t-il
des syntagmes figés ?
Constructions comportant des difficultés
Propositions en incises, appositions, etc.
Remarques sur le lexique
Précis, générique, trop spécialisé ?

Correspondance texte/illustration
Mise en page
Pages de couverture (titre, image-titre : est-elle reprise d’une image du livre, ou
non ?), pages de garde, page titre. Typographie. Présence de majuscules. Emploi
de la ponctuation.
Emplacement respectif du texte et de l’illustration.
Régularité ou irrégularité de la mise en page. Préparation au mouvement de la
lecture.
Redondance justifiée ou non, ou contradictions, entre le texte et l’illustration.

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Guide pour l’analyse d’un livre illustré destiné à être lu par un adulte à un enfant non encore lecteur

L’illustration
Style. Les illustrations sont-elles accessibles à l’enfant ? Objets et personnages
sont-ils représentés en entier ou de manière partielle ? Les personnages sont-ils
reconnaissables et différenciables les uns des autres ? Présence de repères dans
l’espace et permanence du décor.

Conclusion
Dans quelle mesure le texte peut-il être utilisé pour l’entraînement langagier et
cognitif de l’enfant ? Comporte-t-il des éléments qui permettront à l’enfant de
raconter l’histoire à sa manière après quelques lectures par l’adulte ?
L’âge d’utilisation possible et les qualités du livre vous semblent-ils concorder
avec les indications de l’auteur ou de l’éditeur ?
Avis personnel.

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 163

Quelques éléments de bibliographie

Acquisition du Langage Oral et Écrit, (2008) n° 60-61 « Interaction adulte-enfant,


deux approches. Essais actuels d’informatisation de corpus. Travaux universitaires
sur l’acquisition de la syntaxe ».
ALLAIN G. (1980), Apprentissage du langage et repères de l’espace. Monographie :
Rééd. 1998. Catherine de 3 à 5 ans, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle.
• Ce travail montre comment sont imbriqués les éléments verbaux, cognitifs,
affectifs, corporels dans toute acquisition de l’enfant, comment l’apprendre
ne se réalise que dans l’exercice constant, répété, diversifié d’une interac-
tion entre l’adulte et l’enfant, et décrit le processus diachronique de mise en
relation du vécu permettant les premiers repères dans l’espace et de sa ver-
balisation constamment orientée par l’adulte interagissant avec l’enfant.
Apprentissage et pratique de la langue écrite à l’école (Divers auteurs : Actes du
colloque du ministère de l’Éducation nationale), Paris, CNDP, 1979.
ARRIVÉ M., GADET F., GALMICHE M., Grammaire d’aujourd’hui. Guide alphabétique de
linguistique française, Paris, Flammarion, 1986.
• Utile outil de travail
ASTOLFI J.-P., L’école pour apprendre, Paris, ESF éditeur, 1992.
AUSTIN J., Quand dire c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970.
BAKHTINE M., Marxisme et philosophie du langage, Paris, Éd. de Minuit, 1977.
– Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984.
• Écrits théoriques originaux et importants
BARUK S., L’âge du capitaine, Paris, Le Seuil, 1985.
– Comptes pour petits et grands (Pour un apprentissage du nombre et de la
numération, fondé sur la langue et le sens), Paris, Magnard, 1997.
• Les travaux de Stella Baruk apportent une vue originale et féconde sur l’en-
seignement des mathématiques, dès l’école maternelle. Démystifiant le « nul
en math. », elle montre comment un apprentissage individualisé et adapté
permet à chacun d’apprendre.
BARUTH C., LE CUNFF C., Éléments pour une étude de l’interaction langagière adulte/
enfant : les marques de la première personne entre 2 et 3 ans, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle, 1983.
• Deux études distinctes mettent en question la genèse encore trop souvent
supposée de la chronologie du fonctionnement des marques de première
personne chez l’enfant.

163
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 164

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

BENTOLILA A. et JAFFRÉ J.-P., Communication et découverte de l’écrit à l’école mater-


nelle, Paris, ONL, 1995.
BENTOLILA A. éd, Parole, écrit, image, Les entretiens, Nathan Actes III, Paris, Nathan,
1997.
BENVENISTE É., Problèmes de linguistique générale : t. I, 1966 ; t. II, 1974, Paris, Galli-
mard.
• Ses travaux sont fondamentaux pour la linguistique moderne. Ses concep-
tions fondent en grande partie les choix théoriques de L. Lentin. Dépassant la
fonction de communication, il définit la signification comme « l’être même de
la langue ». Le langage a pour fonctions « toutes les activités de parole, de
pensée, d’action, tous les accomplissements individuels ou collectifs qui sont
liés à l’exercice du discours » (T. II, ch. 5). Il est l’un des fondateurs de la lin-
guistique de l’énonciation.
Benveniste vingt ans après, n° spécial de LINX Paris X Nanterre, Centre de recher-
ches linguistiques, 200, av. de la République, 92001 Nanterre Cedex, 1997.
BERNSTEIN B., Langage et classes sociales, Paris, Éd. de Minuit, 1975.
• Ouvrage qui a joué un rôle important pour la réflexion en sociolinguistique.
La thèse de cet auteur attribue au langage un « code restreint » ou un « code
élaboré » suivant les classes sociales. Cette conception a été fortement dis-
cutée, mais elle a été féconde pour les travaux ultérieurs dans ce domaine.
BERTIN M., « Pratique de l’interaction langagière individualisée en section des Grands
à l’école maternelle », L’acquisition du langage écrit et oral, n° 32, 1994.
– « Le langage en petite section d’école maternelle. Interaction avec un livre
illustré ». Acquisition du langage oral et écrit, n° 34, 1993, p. 19-22.
BLANCHE-BENVENISTE C., JEANJEAN C., Le français parlé. Transcription et édition, Paris,
Didier-Érudition, 1987.
BLANCHE-BENVENISTE C. et al., Le français parlé. Études grammaticales, Paris, éd. du
CNRS, 1990.
BLANCHE-BENVENISTE C., Approches de la langue parlée en français, Paris, Ophrys,
1997.
• Les travaux de cette linguiste font autorité dans le domaine. Ce dernier
ouvrage est particulièrement précieux, car il en propose une synthèse à la
fois claire, complète et accessible. Dissipant le préjugé encore très répandu
à l’encontre des usages parlés par opposition au français écrit, C. Blanche-
Benveniste présente une étude rigoureuse de données recueillies dans de
nombreux enregistrements. Elle montre qu’on peut décrire le français parlé
et le français écrit avec les mêmes règles syntaxiques – compte non tenu du
respect des normes.
BONNAFÉ M., DIATKINE R, Les livres, c’est bon pour les bébés, Paris, ACCES, Éd.
Calmann Lévy, 1994.
BONNEL B., « Quelques remarques sur les modalités de l’interaction adulte/enfant
autour du livre illustré (enfants du Quart-Monde) », in L. Lentin et al., Recherches sur
l’acquisition du langage, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, t. II, 1988, p. 55-75.

164
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 165

Quelques éléments de bibliographie

BOSSEAU A., CANUT E., Elle/il apprend à parler. Comment l’aider ?, Paris, Retz, 2009,
(sous presse).
• Petit manuel simple et clair expliquant en détail les mécanismes de l’acquisi-
tion du langage, le caractère individuel de cet apprentissage, le rôle des
adultes qui parlent à l’enfant apprenti-parleur, les caractéristiques d’une inter-
action langagière bien adaptée. Des exemples, des informations complètent
cet ensemble.
BOURDIEU P., Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris,
Fayard, 1982.
– La misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993.
• Les travaux du sociologue P. Bourdieu font autorité dans les domaines qu’ils
abordent et apportent un éclairage fondamental.
BOUVET D., La parole de l’enfant : pour une éducation bilingue de l’enfant sourd, Paris
PUF, collection Le fil rouge, 2003, réédition augmentée.
• Ouvrage fondamental d’une pionnière de la langue des signes pour l’acqui-
sition du langage par l’enfant sourd.
BOYSSON-BARDIES B., Comment la parole vient aux enfants, de la naissance jusqu’à
deux ans, Paris, Odile Jacob, 1996.
BRONCKART J.-P., Genèse et organisation des formes verbales chez l’enfant, Bruxelles,
Mardaga, 1976.
– Théories du langage. Une introduction critique, Bruxelles, Mardaga, 1977.
– Activité langagière, textes et discours : pour un interactionnisme sociodis-
cursif, Paris-Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1997.
• Principes théoriques de l’interactionnisme sociodiscursif en sciences cogni-
tives.
BRONCKART J.-P., SCHNEUWLY B., Vygotsky aujourd’hui, Paris-Neuchâtel, Delachaux
et Niestlé, 1985.
• Exposé clair des vues de Vygotsky.
BRUNER J.-S., Le développement de l’enfant : savoir-faire savoir-dire, Paris, PUF, 1983.
• Recueil d’articles publiés en anglais entre 1972 et 1982, fondamentaux de
la pensée de l’auteur.
– Comment les enfants apprennent à parler, Paris, Retz, 1987.
– Car la culture donne forme à l’esprit (de la révolution cognitive à la psycho-
logie culturelle), Paris, ESHEL, 1991.
– L’éducation, entrée dans la culture, Paris, Retz, 1996.
• Pour cet auteur, l’évolution de l’intelligence est inséparable de la structura-
tion par le langage. Le développement individuel est soumis à l’influence du
milieu socioculturel. Importance du « tutoring » : interaction individualisée
permettant le passage de la communication au langage.

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Apprendre à penser, parler, lire, écrire

CANUT E., « Mise en fonctionnement de structures syntaxiques complexes dans les


narrations orales d’un enfant », Acquisition du langage oral et écrit, n° 34, p. 27-39,
1995.
CANUT E. ed., Apprentissage du langage oral et accès à l’écrit. Travailler avec un cher-
cheur dans l’école, SCEREN/CRDP Amiens, 2006.
CANUT E., « Un socle indispensable à l’apprentissage du langage. Les conceptions
interactionnistes de la linguistique de l’acquisition à la lumière des approches
contemporaines. L’exemple de parce que », L’apprentissage du langage. Une appro-
che interactionnelle, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 69-125.
CANUT E. et Vertalier M. eds, L’apprentissage du langage. Une approche interac-
tionnelle. Réflexions théoriques et pratiques de terrain, Paris, L’Harmattan, collec-
tion « Enfance et langages », 2008.
• Les nombreux textes réunis dans cet ouvrage offrent une somme sur des
recherches et les pratiques innovantes qui en découlent. Une biographie, plus
de vingt témoignages de praticiens (enseignants, orthophonistes, auteurs et
éditeurs de livres pour enfant), une bibliographie, apportent une information
approfondie et stimulante sur les travaux de Laurence Lentin.
CATACH N., Les délires de l’orthographe : en forme de dictionnaire, Paris, Plon, 1989.
• Les conceptions à la fois historiques et actuelles des travaux de la linguiste
N. Catach apportent un éclairage original et important aux travaux sur l’ac-
quisition du langage oral et écrit.
CHAMBAZ M., « Livre lu, livre raconté », in L. Lentin et al. Recherches sur l’acquisi-
tion du langage, t. 2, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1988, p. 107-122.
CHARMEUX É., Apprendre la parole, Paris, SEDRAP, 1997.
CHARTIER A. M., HÉBRARD J., Discours sur la lecture 1880 à 1980, Paris, BPI Centre
G. Pompidou, 1989.
• Ouvrage fondamental sur l’histoire de l’enseignement de la lecture.
CHARTIER A. M., CLESSE C, HÉBRARD J., Lire écrire. Entrer dans le monde de l’écrit, Paris,
Hatier, 1991.
CHAUVEAU G., Comment l’enfant devient lecteur, Paris, Retz, 1997.
CHAUVEAU G., MAYO C., Il a du mal à apprendre à lire. Comment l’aider ? Paris, Armand
Colin, 2006.
• Ce petit livre est destiné à l’information des parents (ou tous autres éduca-
teurs) sur ce qu’est apprendre à lire. Un exposé précis et accessible pour
aider à accompagner un enfant au cours de ce qui est parfois une dure
épreuve. Des détails précis, un exposé accessible, des conseils concrets, de
nombreux exemples aideront les adultes à dédramatiser cet apprentissage
décisif et à l’aborder sereinement et sans angoisse.
CHILAND C., L’enfant de six ans et son avenir, études psycho-pathologiques, Paris,
PUF, 1973.
– « De diverses manières de ne pas lire » in Lecture et pédagogie, Actes du col-
loque de Tours, Orléans, CRDP, 1973.

166
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 167

Quelques éléments de bibliographie

• Les travaux de cette auteure définissent les caractéristiques du langage


« gratuit » des écrits pour enfants, qui est différent du langage de la com-
munication et montrent que le petit enfant doit obligatoirement être mis en
présence de ce langage pour accéder ensuite à l’activité « solitaire » qu’est
la lecture. Médecin et professeur d’université, C. Chiland est l’une des pre-
mières à avoir dénoncé, recherches et expérimentations à l’appui, tout
apprentissage précoce de l’écrit.
CHOMSKY N., « Un compte rendu du Comportement verbal de B.F. Skinner » in
Langages, n° 16, Paris, Larousse, 1969, p. 16-49.
– Le langage et la pensée, Paris, Payot, 1970.
– Réflexions sur le langage, Paris, Maspéro, 1977.
– « Sur la nature, l’utilisation et l’acquisition du langage », in Recherches Lin-
guistiques de Vincennes, n° 19, 1990, p. 21-44.
• N. Chomsky a joué un rôle déterminant dans la linguistique contemporaine. Il
a notamment exprimé une partie de ses vues dans sa critique de B.F. Skinner,
tout en dénonçant les théories « behavioristes ». D’innombrables travaux
(notamment en linguistique générative) sont issus de la pensée de cet auteur.
COHEN M., « Sur les langages successifs de l’enfant », in Mélanges linguistiques
M. Vendryès, Paris, Champion, 1925. Republié, Acquisition du langage oral et écrit,
n° 31, 1990.
– « Sur l’étude du langage enfantin », Paris, Enfance n° 3, 1952, republié en
1969, Enfance n° 3-4.
– Grammaire française en quelques pages, Paris, SEDES, 1965.
– Matériaux pour une sociologie du langage, t. 1 et 2, Paris, Maspéro, 1971.
• Linguiste et sociologue à l’œuvre considérable et variée, Marcel Cohen est
l’un des rares chercheurs du début du XXe siècle à avoir étudié l’acquisition
du langage par l’enfant. Il a établi une méthode d’observation (adaptée aux
moyens de l’époque) et avancé quelques hypothèses d’interprétation scien-
tifique. Il a ainsi ouvert la voie aux actuelles recherches en linguistique inter-
actionniste de l’acquisition.
COPPALLE F., « Amener des illettrés à une recherche de signification de l’écrit », Acqui-
sition du langage oral et écrit, n° 16, 1990, p. 18-23.
– « Amener des illettrés à une recherche de signification de l’écrit (suite de
l’étude) », Acquisition du langage oral et écrit, n° 39, 1997.
COURIER P., GAONAC’H D., PASSERAULT J.-M., Psycholinguistique textuelle, Paris, Armand
Colin, 1996.
• Cet ouvrage fait le point sur les travaux les plus récents portant sur le texte
dans la psychologie du langage et le traitement cognitif de la dimension
textuelle.
Courrier du CNRS, Dossiers scientifiques, n° 79 : Sciences cognitives, Paris, 1992.
CULIOLI A., « Pourquoi le français parlé est-il si peu étudié ? », in Recherches sur le
français parlé, n° 5, Aix-en-Provence, université de Provence, 1983.
– Pour une linguistique de l’énonciation, t. 1 et 2, Paris, Ophrys, 1991.

167
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 168

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

DANON BOILEAU L., Le sujet de l’énonciation. Psychanalyse et linguistique, Paris,


Ophrys, 1987.
DAURIAT M., « Dictée à l’adulte en grande section : règles de jeux de société »,
Acquisition du langage oral et écrit, n° 16, 1986.
• « Les écrits destinés aux adultes dans une école maternelle », in Lentin L. et
al, Recherches sur l’acquisition du langage, t. II, Paris, Presses de la Sorbonne
Nouvelle, 1988, p. 147-162.
DAVID M., APPELL G. (1973), Loczy ou le maternage insolite, Paris, Scarabée Réédi-
tion 1996 (Ass. Pickler Loczy de France, 250, bd Raspail, 75014 Paris).
• Description convaincante d’une expérience en pouponnière sur le dévelop-
pement de l’enfant privé de sa famille à partir d’interactions individualisées
dans tous les domaines.
DEFR0M0NTI J.-M., La boîte à musique, Paris, éd. Quart-Monde, 1984.
• Histoire captivante et pleine d’informations d’un enfant vivant dans la
misère, dont la vie est transformée un jour par une mystérieuse boîte à
musique (pour adultes et enfants à partir de 10 ans).
DELEF0SSE J.-M.O., « Maîtrise du langage oral et écrit chez l’adolescent en difficulté
scolaire : quelques points de linguistique », in Lentin L. et al. Recherches sur l’acqui-
sition du langage, t. I, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1984, p. 181-187.
– « La dictée à l’adulte, une pratique langagière conduisant à la maîtrise du lire-
écrire », in Rééducation orthophonique, vol. 29-165, Paris, 1991, p. 69-81.
– « Une pratique sociale du langage : la médiation de la dictée au formateur »,
in Par l’écriture. Réinsertion dans l’écrit des publics hétérogènes, (J.M.O.
éd.) Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1993, p. 125-133.
– « Conditions de l’apprendre à lire avec des adolescents ou adultes peu
lettrés », Acquisition du langage oral et écrit, n° 36, 1996, p. 21-25
– « Parler l’écrit pour accéder à la littératie ». Université d’été (Lyon) Illettrisme :
où en sommes nous ? De la diversité des situations à la construction des
savoirs, Paris, Magnard, 1996.
DELEFOSSE J.-M.O., (1999) « Entre l’oral et l’écrit de l’apprenant, la dictée à l’ex-
pert », « La parole émergente », Parole, Mons, Belgique, 9/10, p. 101-126.
DELEFOSSE J.-M.O. (2008) « Évaluer le langage oral des apprenants », Canut E. et
Vertalier M. Eds, L’apprentissage du langage. Une approche interactionnelle, Paris,
L’Harmattan, p. 127-153.
DELEFOSSE J.-M.O., Travaux sur l’acquisition du langage. Choix de textes. De Whit-
ney (1877) à Cohen (1962). Paris, L’Harmattan, 2009.
• Ce livre, très attendu, apporte une information abondamment documentée
sur des textes peu connus traitant de phénomènes d’apprentissage du lan-
gage chez de jeunes enfants. Ces précurseurs des siècles passés prati-
quaient en général leurs observations sur leurs propres enfants.

168
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 169

Quelques éléments de bibliographie

DELSART C., FAYART D., Le Quart-monde, TDC (Textes et documents pour la classe)
n° 537, Paris, CNDP, 1990.
• Document bien conçu sur la misère en France, les populations du Quart-
Monde dans leur réalité crue. Analyse constructive orientée vers des solu-
tions culturelles et de solidarité dans le cadre des Droits de l’Homme.
DESCLÉS J.-P. et al., Langage et cognition, Paris, revue Intellectica, n° 6, 1988.
DIATKINE R., « L’enfant en communication dans ses différents milieux de vie. Propos
d’un psychanalyste », Paris, Enfance, 4-5, 1980.
– « L’écrit, l’enfant et le psychiatre », in L’enfant et l’écrit, Paris, Textes du
Centre Alfred Binet, n° 3, 1983, p. 1 13.
– « La formation du langage imaginaire », Paris, Le français aujourd’hui, n° 68,
1984, p. 25-29.
• R. Diatkine, pédopsychiatre, a apporté, par ses recherches, son enseigne-
ment et son action, un éclairage original et décisif sur le développement de
l’enfant en général, et en particulier sur son développement mental et lan-
gagier. Il s’est intéressé particulièrement aux enfants de milieux démunis ou
en échec scolaire, prônant inlassablement la prise en considération de
chaque enfant dans sa personnalité unique, au moyen d’une interaction
individuelle.
DOLTO F., Destins d’enfants, Paris, Gallimard, 1995 (rééd.).
– Tout est langage, Paris, Gallimard, 1995 (rééd.).
• Les travaux de F. Dolto, célèbre pédopsychiatre, marquent fortement les
conceptions contemporaines sur le développement mental et affectif de
l’enfant depuis la naissance. Elle a particulièrement démontré l’importance
des échanges langagiers de l’entourage avec le bébé pour assurer dans
l’harmonie toutes les acquisitions vitales de l’enfant.
DUNTZE É., « Apprendre à lire avec Bigoudi et compagnie », Acquisition du langage
oral et écrit, n° 27, 1991, p. 29-42.
ÉQUIPE DE DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES, « Un, deux, beaucoup, passionnément ! »,
Rencontres pédagogiques, n° 21, Paris, INRP, 1980.
• Cet ouvrage propose une vue renouvelée de l’apprentissage des mathéma-
tiques pour les jeunes enfants.
ERMEL, Apprentissages numériques en grande section, Paris, Hatier, 1990.
– Apprentissages numériques au CP, Paris, Hatier, 1991.
– Apprentissages numériques au CE1, Paris, Hatier, 1992.
• Conception originale et individualisée de l’apprentissage des mathéma-
tiques par les jeunes élèves.
FAYOL M., Le récit et sa construction. Une approche de la psychologie cognitive,
Paris-Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1985.
– Des idées au texte : psychologie cognitive de la production verbale orale et
écrite, Paris, PUF, 1997.
• Panorama des méthodes, recherches et orientations théoriques en psy-
chologie cognitive de la production verbale (du mot au texte en passant par
la phrase).

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 170

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

FERREIRO É., GOMEZ PALACIO M., Lire-écrire à l’école. Comment s’y apprennent-ils ?,
Lyon, CRDP, 1988.
– Apprendre à lire-écrire (Extraits d’un document rédigé pour l’UNESCO en
1988), Lyon, Voies-livres, 1990.
• Psychologue généticienne, E. Ferreiro mène des études génétiques sur la
représentation de l’écrit que se fait le jeune enfant avant l’apprentissage du
lire-écrire.
FIGGE U.L., JOB. U., « Mémoire, champ lexical et système notionnel », Linguistical
investigationes, t. XI, fasc. 2, Amsterdam, J. Benjamin, 1987.
FIJALKOW J., Entrer dans l’écrit, Paris, Magnard, 1993.
FLORIN A., Pratiques du langage à l’école maternelle et prédiction de la réussite
scolaire, Paris, PUF, 1991.
– Parler ensemble à l’école maternelle, Paris, Ellipse, 1995.
• Soucieuse de la réduction de l’échec scolaire, la psychologue A. Florin
observe les comportements des enfants dans leurs classes en s’intéressant
particulièrement à l’apprentissage du langage, mais sans le dissocier des
autres aspects du développement. Des aménagements du fonctionnement
habituel des classes sont expérimentés et les résultats discutés.
FOUCAMBERT J., La manière d’être lecteur, Paris, OCDL/SERMAP, 1980.
– Lire c’est vraiment simple quand c’est l’affaire de tous, Paris, OCDL (AFL),
1982.
– L’enfant, le maître et la lecture, Paris, Nathan, 1994.
• Militant pour que tous les enfants apprennent à lire et à écrire, J. Foucambert
a apporté de vigoureuses critiques sur les méthodes utilisées pour l’appren-
tissage de l’écrit. À noter que ses propos ne prennent jamais en considération
l’apprentissage du langage.
FRANÇOIS F. (éd.), Conduites linguistiques chez le jeune enfant, Paris, PUF, 1984.
– La communication inégale : heurs et malheurs de l’interaction verbale, Paris-
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1990.
FREINET C., La méthode naturelle (I. L’apprentissage de la langue), Paris-Neuchâtel,
Delachaux et Niestlé, 1968.
• Pédagogue original, Célestin Freinet a combattu pour promouvoir une péda-
gogie respectant la personnalité et le rythme de chaque enfant. Afin de
favoriser l’accès à l’autonomie de tout apprenant, il préconisait une interac-
tion ajustée à chaque individualité. Il a laissé une œuvre considérable qui con-
tinue à alimenter la pratique et l’action de ses nombreux continuateurs.
GADET F., Le français ordinaire, Paris, Armand Colin, 1989.
– Le français populaire, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1992.
• Les travaux de cette linguiste mettent en évidence les mouvements et l’évo-
lution du français. Elle considère la langue comme « un système unique à
deux manifestations » (l’oral et l’écrit) « ne mettant pas enjeu les mêmes
paramètres lors de leur énonciation ».

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 171

Quelques éléments de bibliographie

GARDIN B. et al., L’interaction, Paris, Buscila, 1989.


• Le concept d’interaction traverse aujourd’hui l’ensemble des sciences du
langage : les publications qui en traitent sont innombrables. Cet ouvrage est
constitué d’une série de présentations d’ensemble sur la place du concept
dans les diverses sciences du langage et d’études empiriques, émanant de
vingt-cinq spécialistes.
GROSS M., Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du verbe, Paris,
Larousse, 1968.
• Les travaux de cet auteur sont d’une importance reconnue pour une approche
renouvelée aboutissant à une description exhaustive du français.
GUIBBERT P., VERDELHAN M., Écrire et rédiger à l’école, Paris, ESF éditeur, 1980.
• Cet ouvrage décrit très clairement, à l’aide de nombreux exemples de pra-
tique à l’école élémentaire, une manière renouvelée et efficace d’apprendre
à rédiger.
GUILLOU M., « L’écrit au sein de la collectivité en Grande Section », Acquisition du
langage oral et écrit, n° 16, 1986, p. 22-29.
– « La dictée à l’adulte en Grande Section d’école maternelle », in L. Lentin et al.
Recherches sur l’acquisition du langage, t. II, Paris, Presses de la Sorbonne
Nouvelle, 1988.
– « Pratique de l’interaction langagière individualisée en section des grands à
l’école maternelle », Acquisition du langage oral et écrit, n° 32, 1994a, p. 51-
54.
– « L’interaction langagière individualisée dans des situations mathématiques
en section des grands à l’école maternelle », Acquisition du langage oral et
écrit, n° 36, 1994b.
– « Mettre en place les conditions de l’apprendre à lire sans apprendre à lire,
en section des grands d’école maternelle », Acquisition du langage oral et
écrit, n° 36, 1996, p. 13-20.
HÉBRARD J., « Le travail scolaire du langage » ; « L’exercice de français est-il né en
1823 ? », Études de Linguistique Appliquée, n° 48, Paris, Larousse, 1982, p. 58
et 9-31.
– « L’évaluation du savoir lire/écrire à l’école et au collège. Pourquoi ? », Le
français aujourd’hui, n° 87, Paris, 1989, p. 114-122.
HUOT H. éd., Les exercices structuraux, Études de Linguistique Appliquée, n° 20,
Larousse, 1982.
• Ensemble de descriptions et d’analyses critiques des exercices structuraux
par divers auteurs.
JACQUART A., L’éloge de la différence, Paris, Le Seuil, 1981.
– Inventer l’homme, Bruxelles, Éd. Complexe, 1984.
– C’est quoi l’intelligence ?, Paris, Le Seuil, 1989.
• Les ouvrages de ce généticien, en général très accessibles, apportent beau-
coup dans l’éclaircissement du problème inné/acquis. Il montrent en parti-
culier l’égalité de tous les individus et leur aptitude à apprendre.

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 172

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

JOUTARD Ph., Grande pauvreté et réussite scolaire. Changer de regard, Toulouse,


CRDP, 1992.
• Rapport rédigé par le recteur de l’académie de Toulouse, avec participation du
mouvement ATD Quart Monde, qui présente treize propositions. Document de
première importance pour comprendre comment, sans changer aucun texte,
« l’éducation étant un facteur de cohésion sociale, […] la solidarité doit
impérativement imprégner la vie éducative et permettre à tous d’accéder à
une citoyenneté ».
KAIL M., « Recherches récentes de psycholinguistique développementale : bilan et
perspective », La linguistique appliquée aujourd’hui, (AFLA), Paris, 1995.
KARNOOUH-VERTALIER M.,
– « Traduction ou adaptation ? Quelques réflexions sur les textes des livres
illustrés traduits de l’anglais pour les tout-petits », Paris, La Revue des livres
pour enfants, n° 76, 1980, p. 25-28.
– « Variations des relations énonciatives dans les livres illustrés pour tout-
petits », in L. Lentin et al. Recherches sur l’acquisition du langage, t. I, Paris,
Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1984.
– « Variantes langagières de l’enfant racontant un livre illustré », in L. Lentin
et al. Recherches sur l’acquisition du langage, t. II, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle, 1988, p. 123-136.
– Apprentissage de la langue et littérature enfantine, Thèse de doctorat,
Université Paris III Sorbonne Nouvelle, 1992.
– « Importance de la narration pour le développement du langage et l’accès à
l’écrit », Acquisition du langage oral et écrit, n° 37, 1996.
KERBRAT-ORRECHIONI C., L’implicite, Paris, Armand Colin, 1986.
– Les interactions verbales, Paris, Armand Colin, 1990.
KERGOMARD P., (1886) L’éducation maternelle dans l’école, Réédition avec préfaces
et notes de H. Brulé et E. Plaisance, Paris, Hachette, 1974.
• Inspectrice de l’enseignement public, fondatrice de l’école maternelle fran-
çaise, P. Kergomard est une précurseure de la pédagogie de la petite enfance.
Entre autres, elle conseille de raconter les histoires et de commenter les
images cent fois et plus, de manière à inciter l’enfant à raconter lui-même
l’histoire : « […] Une histoire qu’il (l’enfant) a entendue cinq ou six fois ne lui
dit presque rien ! C’est à la vingtième, à la cinquantième fois qu’il l’aime… »
KONOPCZYNSKI G., Le langage émergent. Aspects vocaux et mélodiques, Hambourg,
Buske Verlag, 1991.
– « Le soliloque chez l’enfant entre 1 et 2 ans », in J. Perrot éd. Polychronie
(Mélanges pour I. Fonagy), Paris, L’Harmattan, 1997.
LABOV W., Sociolinguistique, Paris, Éd. de Minuit, 1972.
– Le parler ordinaire, Paris, Éd. de Minuit, 1978.
– « La transmission des changements linguistiques », in Langages, n° 108
(« Hétérogénéité et variation : Labov, un bilan »), Paris, Larousse, 1992.
• L’apport de cet auteur à la sociolinguistique marque de façon originale et
importante les recherches et la réflexion des chercheurs dans le domaine.

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 173

Quelques éléments de bibliographie

Lentin L., « Sur le problème de l’apprentissage du langage à l’école maternelle »,


in M. Cohen et al. Études sur le langage de l’enfant, Paris, Éd. du Scarabée, 1962,
p. 151-160.
– « Recherches sur l’acquisition des structures syntaxiques chez l’enfant entre
3 et 7 ans : une méthode, premiers résultats », in Études de Linguistique
Appliquée, n° 4, Paris, 1971, p. 7-52.
– Apprendre à parler à l’enfant de moins de 6 ans. Où ? Quand ? Comment ?,
Paris, ESF éditeur, 1972, 12e éd. 1997.
– « Interaction adultes/enfants au cours de l’acquisition du langage. Étude du
langage de deux enfants de milieux socioculturels différents, et de celui de
leurs parents », in Études de Linguistique Appliquée, n° 9, Paris, Didier, 1973.
– Comment apprendre à parler à l’enfant ? Aperçu d’une expérience en cours,
Paris, ESF éditeur, 1973, 10e éd. 1996.
– (et al) « Apparition de la syntaxe chez l’enfant », Langue Française, n° 27,
Paris, Larousse, 1975.
– Apprendre à parler en racontant, Livret de présentation de « Pauline et
Victor », Paris, Istra, 1975.
– « Première étape de la lecture : apprendre à parler », Bulletin d’analyses de
livres pour enfants, n° 43-44, Paris, mai juin 1975.
– (et al.) Du parler au lire, Paris, ESF éditeur, 1977,8e éd. 1996.
– Le livre du lecteur débutant, Livret de présentation, Histoires à lire, série
orange et série verte, Paris, Istra, 1979.
– (et al) Les livres illustrés pour enfants et l’acquisition du langage, Paris,
Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1979 (Nouvelle édition revue en 1998).
– (et al.) Recherches sur l’acquisition du langage, t. I, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle, 1984.
– (et B. Bonnel) Apprendre à parler : le rôle de l’école maternelle, Paris,
CTNERHI, diff. PUF, 1986.
– (et al.) Recherches sur l’acquisition du langage, t. II, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle, 1988.
– « La dépendance de l’écrit par rapport à l’oral : paramètre fondamental de la
première acquisition du langage », in Pour une théorie de l’écrit, N. Catach
éd., Paris, CNRS, p. 113-121, 1988.
– (et E. Duntze) « Textes proposés aux enfants dans les écoles pour appren-
dre à lire. Quel langage ? », Acquisition du langage oral et écrit, n° 28, 1992.
– (et C. Le Saint et M. Bertin) « Le langage en petite section d’école mater-
nelle. Cycle des apprentissages premiers. Problématique, pratique, évalua-
tion », Acquisition du langage oral et écrit, n° 30, 1993.
– (et al.) Ces enfants qui veulent apprendre. L’accès au langage chez les
enfants vivant dans la grande pauvreté, Paris, Ed de l’Atelier – Ed. Quart
Monde, 1995.
LE SAINT C., « Quelques aspects de la mise en œuvre des thèses de la Formation de
Recherche dans une école maternelle d’application », in L. Lentin et al. Recherches
sur l’acquisition du langage, t. I, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1984.
LURÇAT L., L’activité graphique à l’école maternelle, Paris, ESF éditeur, 1979, 4e éd.
1988.

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 174

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

• Ouvrage fondamental pour analyser et accompagner les premiers appren-


tissages graphiques du petit enfant.
LUXEREAU F., « Moushloum apprend à lire, ou rattrapage d’un apprendre à lire man-
qué », Acquisition du langage oral et écrit, n° 27, 1991.
LY0NS J., Linguistique générale, Paris, Larousse, 1970.
• Ouvrage de référence.
MANTEAU E., « Du “nourrissage langagier” à une dynamique interactive. Chemi-
nement théorique et clinique pour une (ré)éducation orthophonique des enfants
sourds », L’apprentissage du langage. Une approche interactionniste, Paris, L’Har-
mattan, 2008, p. 333-348.
MARCHAND F., Le français tel qu’on l’enseigne, Paris, PUF, 1971.
• Cet ouvrage, toujours actuel, présente une analyse rigoureuse et critique de
la classe de français à l’école élémentaire, établie par un linguiste qui fut
longtemps instituteur.
MEHLER J., DUPOUX J., Naître humain, Paris, Odile Jacob, 1990.
MEIRIEU Ph., Apprendre… oui, mais comment ?, Paris, ESF éditeur, 1988.
MEIRIEU Ph., Pédagogie : le devoir de résister, Paris, ESF, 2007.
• Cet ouvrage est un vigoureux encouragement pour tous ceux qui veulent véri-
tablement lutter contre l’échec scolaire et améliorer le quotidien de tous les
écoliers de notre pays, en même temps que celui des enseignants. Une solide
argumentation montre l’erreur de ceux qui voudraient revenir à des méthodes
d’enseignement dépassées. Un plaidoyer convaincant montre la nécessité de
l’adaptation d’une pédagogie vivante et innovante à chaque élève selon ses
besoins propres. Vers la fin du volume, on trouve un précieux rappel historique
de la résistance des « pédagogues d’hier » depuis le quatorzième siècle.
MINOST-MOUSSET M.R., L’acquisition du langage par l’enfant porteur d’une fente
palatine, Thèse de doctorat d’État, Université Paris III Sorbonne Nouvelle, 1989.
• Travail riche et approfondi de linguistique qui a permis aux médecins spé-
cialistes de cette pathologie d’avancer de façon significative l’âge de l’inter-
vention chirurgicale indispensable, favorisant ainsi l’acquisition du langage
par ces enfants.
MONSEL D., « Des livres pour enfants non lecteurs », Acquisition du langage oral et
écrit, n° 22, 1989, p. 38-43.
– « Une approche diachronique de l’utilisation de deux livres de La Cité des
Bleuets », Acquisition du langage oral et écrit, n° 27, 1991.
NICOLAS-JEANTOUX C., Juliette apprend à parler, Paris, Masson, 1980.
PATTE G., Laissez les lire ! Les enfants et les bibliothèques, Paris, Éd. Ouvrières, 1978.
Piaget J., Le langage et la pensée chez l’enfant, Paris-Neuchâtel, Delachaux et
Niestlé, 1923.
– La formation du symbole chez l’enfant, Paris-Neuchâtel, Delachaux et Niestlé,
1945.
• Pour J. Piaget, dont l’œuvre épistémologique est d’une importance capitale, à
la fois dans sa vigueur et dans les discussions qu’elle suscite, l’évolution de la

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 175

Quelques éléments de bibliographie

socialisation des structures et des fonctions de la pensée passe à travers la


pensée égocentrique pour parvenir au langage socialisé et à la pensée
logique.
PLAISANCE É., « Éducation et compensation », in Les Cahiers de l’enfance inadaptée,
n° 189 et 190, Paris, 1974.
– (et al.), L’échec scolaire, nouveaux débats, nouvelles approches sociologi-
ques, Paris, CNRS, 1985.
– L’enfant, la maternelle, la société, Paris, PUF, 1986.
– Pauline Kergomard et l’école maternelle, Paris, PUF, 1997.
PY B., BERTHAUD A.-C., Des linguistes et des enseignants, Berne, Peter Lang, 1993.
• Petit ouvrage traitant de la langue maternelle et d’une deuxième langue, et
de l’interaction dans l’apprentissage des langues.
RÉBARD M.-Th., « Dictée à l’adulte et énonciation écrite au CP. Étude linguistique »,
in L. Lentin et al. Recherches sur l’acquisition du langage, t. I, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle, 1984.
– Un apprentissage personnalisé de la langue écrite (la dictée à l’adulte,
l’énonciation écrite), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1987.
• Cette étude rend compte des modalités d’entrée dans la langue écrite d’un
groupe d’enfants de cours préparatoire. On observe comment les enfants
sont amenés, dans une activité langagière sans rupture, à s’appuyer sur leur
fonctionnement langagier oral pour arriver à des activités de lecteurs et
d’énonciateurs d’écrit.
Rondal J., Votre enfant apprend à parler, Bruxelles, Mardaga, 1979.
– L’interaction adulte-enfant et la construction du langage, Bruxelles, Mardaga,
1983.
REUCHLIN M., Les différences individuelles dans le développement cognitif de l’en-
fant, Paris, PUF, 1989.
ROULET E. et al., « L’analyse de conversations authentiques », in Études de Linguis-
tique Appliquée, n° 44, Paris, Larousse, 1981.
– L’articulation du discours en français contemporain, Berne, Lang, 1985.
SAUSSURE de F., Cours de linguistique générale, 1916, Éd. critique par T. de Mauro,
Paris, Payot, 1972.
• Il s’agit de l’œuvre fondatrice de la linguistique. Pour F. de Saussure, la
langue est un système de signes disposant d’un nombre limité de formes et
de combinaisons syntaxiques, dont le fonctionnement permet de construire
un nombre infini de combinaisons (phrases).
Sciences Humaines (revue), Dossier : « Apprendre. Les arcanes du savoir », n° 32,
Auxerre, 1993.
SENTILHES I., Parle-moi ! Pré-écoles familiales en Quart-Monde, Paris, Éd. Quart-
Monde, 1988.
• Description d’une expérience auprès de populations du Quart-monde, des-
tinée à sensibiliser les familles à l’acquisition du langage par leurs enfants.

175
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 176

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Les familles ne sont pas « assistées » mais partenaires de l’éducation de


leurs enfants.
SÉPULCHRE-MANTEAU É., Rôle d’une interaction langagière bilingue (langue des signes
française/français oral) au cours de l’acquisition du langage par l’enfant sourd, Thèse
de doctorat, Université Paris III Sorbonne Nouvelle, 1998.
SICARD M. éd., Le cerveau dans tous ses états, Paris, Presses du CNRS, 1991.
SIMONPOLI J.-F., Apprendre à communiquer. La conversation enfantine, Paris,
Hachette, 1991.
SMITH F., La compréhension et l’apprentissage. Un cadre de référence pour l’en-
seignement, Paris, Vuibert, 1986.
– Comment les enfants apprennent à lire, Paris, Retz, 1980.
– Devenir lecteur, Paris, Colin-Bourrelier, 1986.
• « Le feedback qui fournit une information spécifique doit toujours être en rap-
port avec l’hypothèse que l’enfant essaie de vérifier […] Le très haut degré de
structuration de l’enseignement qui caractérise bien des efforts en éducation,
pourrait être considéré comme une privation systématique d’information,
dans la mesure où l’enseignant prive l’enfant d’information générale en ne lui
offrant que de l’information spécifique, qui peut être sans rapport avec les
hypothèses que l’enfant essaie de vérifier. » (Extrait de Comprehension and
Learning, 1975, traduit par M. Karnoouh-Vertalier).
STOECKLE R., GROMER B., BOURGUIGNON J.-C., L’album pour enfants. Pourquoi ?
Comment ?, Paris, Colin-Bourrelier, 1985.
UZÉ M., Rattrapage d’un apprendre à lire manqué chez un enfant tout-venant, Paris,
Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1982.
– Je parle donc je lis. Vaincre l’illettrisme avec les livrets ON Y VA, Paris, Fleurus,
1989. Nouvelle édition, GREPS 2008.
• Cet ouvrage présente une démarche originale, appuyée sur les travaux de
L. Lentin, pour apprendre à lire et écrire à des apprenants tardifs. La démarche
est décrite minutieusement et les livrets destinés à l’élève lui proposent, dans
des formulations adaptées, des scènes de la vie courante faciles à compren-
dre et à exploiter.
VALENTIN D., « Les enfants et les nombres. La question du sens », Acquisition du
langage oral et écrit, n° 29, 1992.
VENEZIANO E., « Interaction, conversation et acquisition du langage dans les trois
premières années ». M. Kail et M. Fayol Eds, L’acquisition du langage. Le langage
en émergence de la naissance à trois ans, Paris, PUF, 2000, p. 231-265.
VENEZIANO E., HUDELOT C., « Développement des compétences pragmatiques et
théorie de l’esprit chez l’enfant : le cas de l’explication », Pragmatique et psycho-
logie, Bernico J. et al. Presses universitaires de Nancy, 2002, p. 215-236.
VERTALIER M., « L’activité narrative avec des livres illustrés. Contribution à l’appren-
tissage oral et préparation au statut de lecteur », L’apprentissage du langage. Une
approche interactionnelle, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 195-234.

176
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 177

Quelques éléments de bibliographie

VION R., La communication verbale. Analyse des interactions, Paris, Hachette, 1992.
VOS VAN STEENWIJK DE A., II fera beau… le jour où le sous-prolétariat sera entendu,
Paris, Éd. Quart-Monde, 1977.
• Ce livre est l’histoire de dix années du courage, de l’endurance, de l’espoir
de la population du Quart-Monde, pour éveiller, élever et éduquer ses
jeunes enfants.
VYGOTSKY L., Pensée et langage, Paris, Messidor, 1985.
• « Le développement de la pensée est déterminé par le langage, c’est-à-dire
par les outils linguistiques de la pensée et par l’expérience socioculturelle
de l’enfant ».
• « […] il (le langage intérieur) découle du langage externe de l’enfant paral-
lèlement à la différenciation des fonctions sociales et égocentriques du lan-
gage et finalement […] les structures fondamentales maîtrisées par l’enfant
deviennent les structures fondamentales de sa pensée. » (Trad. américaine
Thought and Language, 1934, passage traduit en français par M. Karnoouh-
Vertalier).
WALLON H., « L’interrogation chez l’enfant », in journal de Psychologie, XXIe année,
n° 1-3, Paris, 1924, p. 170-182.
– L’évolution psychologique de l’enfant, Paris, Armand Colin, 1941.
– De l’acte à la pensée, Paris, Flammarion, 1942.
– Les origines de la pensée chez l’enfant, Paris, PUF, 1945.
– Les origines du caractère chez l’enfant, Paris, PUF, 1949.
• On souhaiterait que les ouvrages de ce grand penseur de la psychologie de
l’enfant soient mieux connus et davantage utilisés pour la réflexion actuelle
dans ce domaine.
WIRTHNER M., MARTIN D., PERRENOUD P. éd., Parole étouffée, parole libérée. Fonde-
ments et limites d’une pédagogie de l’oral, Paris-Neuchâtel, Delachaux et Niestlé,
1991.
• Cet ouvrage contient différents articles sur la pratique et la pédagogie de
l’oral.
WYATT G., La relation mère-enfant et l’acquisition du langage, Bruxelles, Mardaga,
1969.
• Cette auteure a exploité de nombreuses conversations authentiques entre
enfants et adultes pour montrer les interactions favorables à l’apprentissage
du langage. Elle a dégagé la notion féconde de « feedback correctif » adap-
té, ou non, aux besoins de l’enfant à un moment donné.
Livres pour enfants

L. LENTIN et al.,
– Histoires à parler, 18 livres (chaque livre 6 pages). Texte : LOKRA. Illustrations :
Claire LHERMEY, Paris, Hachette/Istra, 1989. Nouvelle édition. Illustration :
F. LUXEREAU, AsFoRel, 2007.
– Apprendre à parler en racontant, (La Cité des Bleuets), 12 livres de 8, 12,
16 pages. Texte: LOKRA. Illustrations: Claire LHERMEY, Paris, Hachette/Istra, 1989.

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Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 178

Apprendre à penser, parler, lire, écrire

Histoires à lire :
– 1978: Série orange : 1 livre.
Divers auteurs et illustrateurs.
– 1979 : Série verte : 1 livre Jo et Timothée, Texte : LOKRA (traduit et adapté de
l’anglais). Illustrations : P. Claude LAFONTAINE.
– 1981 : Série rose : 1 livre.
Texte : divers auteurs. illustrations : divers dessinateurs, Paris, Hachette/Istra.
Les livres verts de l’école :
– « Basile et Valentin », texte M. J. RANCON, illustration C. LHERMEY, Poitiers,
Scolavox, 1981.
– « Lire, fabriquer, cuisiner », texte et illustration C. LHERMEY, Poitiers, Scolavox,
1981.
Les livres jaunes à parler ensemble :
– « Madame Moutarde et son chien prennent le train », texte LOKRA, illustration
C. LHERMEY, Poitiers, Scolavox, 1981.
– « Tout pour rien à la foire », texte LOKRA, illustration C. LHERMEY, Poitiers,
Scolavox, 1981
Collection Grenadine 6 livres (chacun 12 pages)
– Texte G. ALLAIN et M. BERTIN, illustration D. CHABOT, A. CRAPON, D. LAUER, Paris,
Fleurus Enfants, 1988, nouvelle édition, Châtenay-Malabry, AsFoReL, 2008.

Certaines revues pour enfants éditées par Bayard Presse jeunes, Paris, (notam-
ment Popi, Pomme d’Api, Youpi, J’aime lire) publient des textes dont la formulation
syntaxique et le vocabulaire correspondent souvent aux exigences du langage du
jeune enfant en voie d’acquisition du langage oral et écrit.

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Dans la collection Pédagogies

ADMINISTRER, GÉRER, ÉVALUER LES SYSTÈMES ÉDUCATIFS


Une encyclopédie pour aujourd’hui
Sous la direction de Jean-Jacques Paul
À L’ÉCOLE DE L’INTELLIGENCE
Comprendre pour apprendre
Jean-Yves Fournier
À L’ÉCOLE DES BANLIEUES
Gérard Chauveau,
Éliane Rogovas-Chauveau
APPRENDRE ENSEMBLE, APPRENDRE EN CYCLES
Classes maternelles et primaires
avec la Maison des Trois Espaces
APPRENDRE ET ÊTRE
Langage, littérature et expérience de formation
Jorge Larrosa
APPRENDRE… OUI, MAIS COMMENT ?
Philippe Meirieu
L’APPRENTI-CITOYEN
Une éducation civique et morale pour notre temps
Georges Roche
L’AUTORITÉ EN ÉDUCATION
Sortir de la crise
Gérard Guillot
AUTORITÉ ET DISCIPLINE À L’ÉCOLE
Maria Teresa Estrela
AUTORITÉ OU ÉDUCATION ?
Entre savoir et socialisation: le sens de l’éducation
Jean Houssaye
BANLIEUES : LES DÉFIS D’UN COLLÈGE CITOYEN
Jacques Pain, Marie-Pierre Grandin-Degois, Claude Le Goff
LE CHOIX D’ÉDUQUER
Éthique et pédagogie
Philippe Meirieu
LES CLASSES RELAIS
Un dispositif pour les élèves en rupture avec l’école
Élisabeth Martin, Stéphane Bonnéry
LES COMPÉTENCES TRANSVERSALES EN QUESTION
Bernard Rey
COMPRENDRE ET AIDER LES ÉLÈVES EN ÉCHEC
L’instant d’apprendre
Emmanuelle Plantevin-Yanni
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 180

CONSTRUIRE LA FORMATION CEPEC,


Sous la direction de Pierre Gillet
COURANTS ET CONTRE-COURANTS DANS LA PÉDAGOGIE CONTEMPORAINE
Daniel Hameline
DE L’APPRENTISSAGE À L’ENSEIGNEMENT
Pour une épistémologie scolaire
Michel Develay
DÉBUTER DANS L’ENSEIGNEMENT
Témoignages d’enseignants, conseils d’experts
Coordonné par Jean-Luc Ubaldi
DE L’ÉDUCATION TECHNOLOGIQUE À LA CULTURE TECHNIQUE
Yves Deforge
DE LA FORMATION AU MÉTIER
Savoir transférer ses connaissances dans l’action
Louis Toupin
LA DÉMOCRATIE AU LYCÉE
Robert Ballion
LA DÉMOCRATISATION DE L’ENSEIGNEMENT AUJOURD’HUI
Gabriel Langouët
DES ENFANTS ET DES HOMMES
Littérature et pédagogie 1: la promesse de grandir
Philippe Meirieu
DÉVELOPPER LA CAPACITÉ D’APPRENDRE
Jean Berbaum
DÉVELOPPER LA PRATIQUE RÉFLEXIVE DANS LE MÉTIER D’ENSEIGNANT
Professionnalisation et raison pédagogique
Philippe Perrenoud
DEVENIR COLLÉGIEN
L’entrée en classe de sixième
Olivier Cousin, Georges Felouzis
DICTIONNAIRE DES INÉGALITÉS SCOLAIRES
Coordonné par Jean-Michel Barreau
DIDACTIQUE DU FRANÇAIS
De la planification
à ses organisateurs cognitifs
François Victor Tochon
DIX NOUVELLES COMPÉTENCES POUR ENSEIGNER
Philippe Perrenoud
L’ÉCOLE À L’ÉPREUVE DE L’ACTUALITÉ
Enseigner des questions vives
Coordonné par Alain Legardez et Laurence Simonneaux
L’ÉCOLE FACE AUX PARENTS
Analyse d’une pratique de médiation
Patrick Bouveau, Olivier Cousin, Joëlle Favre-Perroton
L’ÉCOLE HORS L’ÉCOLE
Soutien scolaire et quartiers
Sous la direction de Dominique Glasman
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 181

L’ÉCOLE, MODE D’EMPLOI


Des « méthodes actives » à la pédagogie différenciée
Philippe Meirieu
L’ÉCOLE POUR APPRENDRE
Jean-Pierre Astolfi
L’ÉDUCATION CIVIQUE AUJOURD’HUI : DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE
Georges Roche avec Y. Basset,
J.-M. Fayol-Noireterre, M. Langanay, C. Paillole, G. Bach
ÉDUCATION ET FORMATION : NOUVELLES QUESTIONS, NOUVEAUX MÉTIERS
Sous la direction de Jean-Pierre Astolfi
ÉDUCATION ET PHILOSOPHIE
Approches contemporaines
Sous la direction de Jean Houssaye
L’ÉDUCATION FACE À LA VIOLENCE
Vers une éthique de la gestion de la classe
Yannick Joyeux
L’ÉDUCATION, SES IMAGES ET SON PROPOS
Daniel Hameline
ÉDUQUER CONTRE AUSCHWITZ
Histoire et mémoire
Jean-François Forges
ÉLÈVES À PROBLÈMES, ÉCOLES À SOLUTIONS ?
Cécile Delannoy
ÉMILE, REVIENS VITE… ILS SONT DEVENUS FOUS
Philippe Meirieu, Michel Develay
ENCYCLOPÉDIE DE L’ÉVALUATION EN FORMATION ET EN ÉDUCATION
André de Peretti, Jean Boniface,
Jean-André Legrand
ENFANTS EN SOUFFRANCE, ÉLÈVES EN ÉCHEC
Ouvrir des chemins
Francis Imbert
ENFANTS PERDUS, ENFANTS EXCLUS
Andréa Canevaro
L’ENFANT PHILOSOPHE, AVENIR DE L’HUMANITÉ
Ateliers AGSAS de réflexion sur la condition humaine (ARCH)
Jacques Lévine avec la collaboration de Geneviève Chambard, Michèle Sillam,
Daniel Gostain
ENSEIGNANT ET COMÉDIEN, UN MÊME MÉTIER ?
Edmée Runtz-Christan
L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL AUJOURD’HUI
Dominique Raulin
ENSEIGNER À L’ÉCOLE MATERNELLE
Quelles pratiques pour quels enjeux ?
Jacqueline Pillot
ENSEIGNER : AGIR DANS L’URGENCE, DÉCIDER DANS L’INCERTITUDE
Philippe Perrenoud
ENSEIGNER, SCÉNARIO POUR UN MÉTIER NOUVEAU
Philippe Meirieu
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 182

ENTRER DANS L’ÉCRIT AVEC LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE


Laurence Pasa, Serge Ragano, Jacques Fijalkow
L’ENTRETIEN D’EXPLICITATION EN FORMATION INITIALE
ET EN FORMATION CONTINUE
Pierre Vermersch
L’ENVERS DU TABLEAU
Quelle pédagogie pour quelle école ?
Philippe Meirieu
L’ÉTABLISSEMENT SCOLAIRE, AUTONOMIE LOCALE ET SERVICE PUBLIC
Jean-Louis Derouet, Yves Dutercq
L’ÉVALUATION EN QUESTIONS
Charles Delorme et le CEPEC
L’ÉVALUATION, RÈGLES DU JEU
Des intentions aux outils
Charles Hadji
L’ÉVALUATION SCOLAIRE, MYTHES ET RÉALITÉS
Michel Barlow
FAIRE L’ÉCOLE, FAIRE LA CLASSE
Philippe Meirieu
LA FINLANDE : UN MODÈLE ÉDUCATIF POUR LA FRANCE ?
Paul Robert
FOOTBALL : UN TERRAIN IDÉAL POUR L’ÉDUCATION
Michel Amram, Emmanuel Audusse
LE GUIDE JURIDIQUE DES ENSEIGNANTS
Écoles, collèges et lycées de l’enseignement public
Laurent Piau
L’IMPOSSIBLE MÉTIER DE PÉDAGOGUE
Praxis ou poièsis. Éthique ou morale
Francis Imbert
L’INCONSCIENT DANS LA CLASSE
Transferts et contre-transferts
Francis Imbert et le Groupe de Recherche en Pédagogie Institutionnelle
INNOVER AU CŒUR DE L’ÉTABLISSEMENT SCOLAIRE
Monica Gather Thurler
INNOVER POUR RÉUSSIR
Sous la direction de Charles Hadji
JE EST UN AUTRE
Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse
Jacques Lévine, Jeanne Moll
LES MATHÉMATIQUES AU LYCÉE
Clés pour une réussite
Sylviane Gasquet
MÉDIATIONS, INSTITUTIONS ET LOI DANS LA CLASSE
Francis Imbert et le Groupe de Recherche en Pédagogie Institutionnelle
LA MÉTACOGNITION, UNE AIDE AU TRAVAIL DES ÉLÈVES
Coordonné par Michel Grangeat, sous la direction de Philippe Meirieu
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 183

MÉTIER D’ÉLÈVE ET SENS DU TRAVAIL SCOLAIRE


Philippe Perrenoud
MÉTIER IMPOSSIBLE
La situation morale des enseignants
Pascal Bouchard
1914-1998, LE TRAVAIL DE MÉMOIRE
Dossier pédagogique sous la direction du Parc de la Villette
Jean-François Forges
MILLE ET UNE PROPOSITIONS PÉDAGOGIQUES
Pour animer son cours et innover en classe
André de Peretti, François Muller
MOTIVATION, PROJET PERSONNEL, APPRENTISSAGES
Monique Croizier
MOTS POUR MAUX À L’ÉCOLE PRIMAIRE
Enseigner, c’est possible !
Élisabeth Godon
LA NEUVILLE : L’ÉCOLE AVEC FRANÇOISE DOLTO
suivi de DIX ANS APRÈS
Fabienne d’Ortoli et Michel Amram
LES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES EN FORMATION INITIALE
ET EN FORMATION CONTINUE
Daniel Hameline
ORTHOGRAPHE : À QUI LA FAUTE ?
Danièle Manesse, Danièle Cogis,
Michèle Dorgans, Christine Tallet
LA PÉDAGOGIE À L’ÉCOLE DES DIFFÉRENCES
Fragments d’une sociologie de l’échec
Philippe Perrenoud
PÉDAGOGIE : DICTIONNAIRE DES CONCEPTS CLÉS
Apprentissage, formation et psychologie cognitive.
Françoise Raynal, Alain Rieunier
PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE : DES INTENTIONS À L’ACTION
Philippe Perrenoud
LA PÉDAGOGIE ENTRE LE DIRE ET LE FAIRE
Le courage des commencements
Philippe Meirieu
LA PÉDAGOGIE : UNE ENCYCLOPÉDIE POUR AUJOURD’HUI
Sous la direction de Jean Houssaye
PÉDAGOGUE ET RÉPUBLICAIN : L’IMPOSSIBLE SYNTHÈSE ?
Philippe Lecarme
PENSER L’ÉDUCATION
Notions clés en philosophie de l’éducation
Coordonné par Alain Vergnioux
PETITE ENFANCE : ENJEUX ÉDUCATIFS DE 0 À 6 ANS
Coordonné par Nicole Geneix et Laurence Chartier
PEUT-ON FORMER LES ENSEIGNANTS?
Michel Develay
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 184

LES POLITIQUES ET L’ÉCOLE


Entre le mensonge et l’ignorance
Maurice Niveau

LES POLITIQUES SCOLAIRES MISES EN EXAMEN


Onze questions en débat
Claude Lelièvre

POUR MIEUX APPRENDRE


Conseils et exercices pour élèves de lycées, étudiants, adultes
Jean Berbaum

POUR UNE DÉONTOLOGIE DE L’ENSEIGNEMENT


Gilbert Longhi

POUR UNE ÉTHIQUE DE L’INSPECTION


Dominique Sénore

POUR UNE PÉDAGOGIE DE LA PAROLE


De la culture à l’éthique
Claude Lagarde avec Annie Laporte, Joël Molinario, Christian Picard

POUR UNE SOCIÉTÉ ÉDUCATIVE


Une réflexion syndicale sur l’école et la société
Unsa Éducation – Textes rassemblés par Dominique Lassarre

PRATIQUES DE L’ENTRETIEN D’EXPLICITATION


Sous la direction de Pierre Vermersch et Maryse Maurel

PREMIERS PÉDAGOGUES : DE L’ANTIQUITÉ À LA RENAISSANCE


Sous la direction de Jean Houssaye

PRÉPARER UN COURS
Tome 1 : Applications pratiques
Alain Rieunier

PRÉPARER UN COURS
Tome 2 : Les stratégies pédagogiques efficaces
Alain Rieunier

PROFESSEURS ET ÉLÈVES : LES BONS ET LES MAUVAIS


Jean Houssaye

QU’EST-CE QUE LA PÉDAGOGIE ?


Le pédagogue au risque de la philosophie
Michel Soëtard

QUESTIONS DE SAVOIR
Gabrielle Di Lorenzo

QUESTIONNER POUR ENSEIGNER ET POUR APPRENDRE


Le rapport au savoir dans la classe
Olivier Maulini

RADIOGRAPHIE DU PEUPLE LYCÉEN


Pour changer le lycée
Coordonné par Roger Establet
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 185

LES RUSES ÉDUCATIVES


Cent stratégies pour mobiliser les élèves
Yves Guégan
LA SAVEUR DES SAVOIRS
Disciplines et plaisir d’apprendre
Jean-Pierre Astolfi
SAVOIRS SCOLAIRES ET DIDACTIQUES DES DISCIPLINES
Une encyclopédie pour aujourd’hui
Sous la direction de Michel Develay
SE CONSTRUIRE DANS LE SAVOIR
À l’école, en formation d’adulte
Odette Bassis
LES SCIENCES DE L’ÉDUCATION, UN ENJEU, UN DÉFI
Bernard Charlot avec la collaboration de la CORESE, J. Gautherin, J. Hédoux
et A. Tuijnman
SYSTÈME, PERSONNE ET PÉDAGOGIE
Une nouvelle voie pour l’Éducation
Georges Lerbet
VIOLENCES ENTRE ÉLÈVES, HARCÈLEMENTS ET BRUTALITÉS
Les faits, les solutions
Dan Olweus
VIVRE ENSEMBLE, UN ENJEU POUR L’ÉCOLE
Francis Imbert et le Groupe de Recherche en Pédagogie Institutionnelle
Y A-T-IL UNE VIE APRÈS L’ÉCOLE ?
Georges Snyder
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 186
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:02 Page 187

Hors série

ÉCOLE CHERCHE MINISTRE


Pascal Bouchard

ÉCOLE, DEMANDEZ LE PROGRAMME


Philippe Meirieu

LETTRE À UN JEUNE PROFESSEUR


Philippe Meirieu

PÉDAGOGIE: LE DEVOIR DE RÉSISTER


Philippe Meirieu

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