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TD de droit administratif général (2e semestre) – Le contrôle de l’administration - L2 droit Marseille 2021-2022

FICHE 4
LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE (II)

DOCTRINE

• M. DEGUERGUE, « Regards sur les transformations de la responsabilité administrative »,


Revue française d’administration publique, 2013/3, n°147, pp. 575-587.
• L. DEREPAS, « La responsabilité du fait des lois en cas de méconnaissance des engagements
internationaux », Conclusions sur CE Ass., 8 février 2007, Gardedieu, RFDA, 2007, p. 361.

JURISPRUDENCE

• CAA Nantes, 3 juillet 2018, M. C.


• CE, 17 mars 2010, Garde des sceaux, Min. de la Justice c/ MAIF
• CAA Lyon, 21 novembre 2019, M. X.
• CE, 30 septembre 2019, Compagnie méridionale de navigation
• CE, Ass., 24 décembre 2019, Société Paris Clichy

EXERCICE
À rédiger entièrement
• Résoudre le cas pratique exposé en fin de fiche en prenant soin de justifier de manière
précise vos réponses.

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I – JURISPRUDENCE

CAA Nantes, 3 juillet 2018, M. C.

1. Le 27 novembre 2007, au cours d’une manifestation d’étudiants et de lycéens contre la loi du 10


août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, M. C..., alors âgé de seize ans, a été
grièvement blessé à l’oeil droit par une balle provenant du tir d’un policier armé d’un lanceur de
balles de défense de type " LBD 40x46 mm ". Par un jugement du 28 novembre 2016, le tribunal
administratif de Nantes, après avoir retenu une faute de l’État dans l’organisation des services de
police et une faute de la victime, exonérant partiellement l’État de sa responsabilité, a condamné
celui-ci à verser à M. C...la somme de 48 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de
cette blessure. L’État relève appel de ce jugement tandis que, par la voie de l’appel incident, M.
C...demande que l’indemnité allouée soit portée à la somme de 172 000 euros.

Sur la responsabilité :

2. Dans le cas où le personnel du service de police fait usage d’armes ou d’engins comportant des
risques exceptionnels pour les personnes et les biens, la responsabilité de la puissance publique se
trouve engagée, en l’absence même d’une faute, lorsque les dommages subis dans de telles
circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par
les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence de ce service public. Il n’en est
cependant ainsi que pour les dommages subis par des personnes ou des biens étrangers aux
opérations de police qui les ont causés. Lorsque les dommages ont été subis par des personnes ou
des biens visés par ces opérations, le service de police ne peut être tenu pour responsable que
lorsque le dommage est imputable à une faute commise par les agents de ce service dans l’exercice
de leurs fonctions. En raison des dangers inhérents à l’usage des armes ou engins comportant des
risques exceptionnels pour les personnes et les biens, il n’est pas nécessaire que cette faute présente
le caractère d’une faute lourde.

3. Il résulte de l’instruction que le lanceur de balles de défense de type " LBD 40x46 mm " était à
l’époque des faits une arme nouvelle, en cours d’évaluation, qui devait être utilisée par les services
de police, ainsi que le prévoyait son " instruction d’emploi provisoire ", pour neutraliser des
individus déterminés, auteurs de violences, à une distance comprise entre 10 et 50 mètres. Cette
arme, beaucoup plus puissante et précise que les " flash balls " classiques, nécessitait, en raison de
sa dangerosité, une précision de tir et donc une formation et un encadrement particuliers, distincts
de ceux prévus pour l’utilisation des lanceurs de défense précédents, lesquels, selon les dires du
directeur départemental de la sécurité publique de la Loire Atlantique, étaient des armes à forte
détonation utilisées pour intimider et non pour neutraliser une personne en particulier en vue de
son éventuelle interpellation. Or l’agent de police qui a tiré sur M. C... lors de la manifestation du
27 novembre 2007 n’avait été formé à l’utilisation théorique et pratique du lanceur de type " LBD
40x46 mm " que pendant une demi journée en juin 2007, soit cinq mois auparavant, sur des cibles
statiques uniquement et non des cibles en mouvement. En outre, cet agent de police
insuffisamment formé a fait usage du lanceur " LBD 40x46 mm " sur M.C..., sans mettre un genou
à terre de manière à réduire la hauteur de son tir, à un moment où les manifestants avaient déjà été
repoussés hors de l’enceinte du rectorat, où les forces de l’ordre n’étaient plus gravement menacées
par les manifestants et où un tir au moyen d’un " flash ball " classique pouvait suffire à intimider
les manifestants. De plus, il résulte de l’instruction que l’auteur du tir a déclaré que son supérieur
hiérarchique lui avait dit, au cours de la manifestation, à propos d’un manifestant, dont l’agent de
police lui-même reconnait qu’il ne s’agissait pas de M. C..., que si ce manifestant continuait à
envoyer des projectiles, il faudrait " lui tirer dessus ". Dès lors, l’utilisation dans les conditions
précédemment décrites du lanceur " LBD 40x46 ", arme dangereuse comportant des risques
exceptionnels pour les personnes, sur un manifestant très jeune qui n’était pas l’auteur des jets de

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projectiles et qui se trouvait à une distance réduite, constitue une faute de nature à engager la
responsabilité de l’État.

4. Cette faute est à l’origine de la grave blessure à l’oeil droit dont a été victime M.C.... Il suit de là
que le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à soutenir que le lien de causalité entre la faute des
services de police et la blessure dont M. C...demande réparation n’est pas direct et certain.

5. Enfin, M. C...participait à la manifestation et se maintenait, avec d’autres manifestants, à


proximité de la brèche que les manifestants avaient pratiquée dans le grillage d’enceinte du rectorat,
après avoir été repoussés par les forces de police à l’extérieur du parc qui entoure le bâtiment du
rectorat. Si certains manifestants ont lancé des projectiles contre les forces de police, il ne résulte
de l’instruction ni que M. C...en aurait lui-même envoyé ni qu’il aurait, avant le tir, entendu une
sommation lui intimant de s’éloigner. Ainsi, la faute de l’intéressé se borne à s’être maintenu à
proximité immédiate des manifestants responsables de jets de projectiles. Compte tenu du caractère
minime de la faute ainsi commise par M.C..., celle-ci n’est de nature à exonérer l’État de sa
responsabilité qu’à hauteur de 10%.

Questions (réponses à justifier) :


1. En l’espèce, sur quel fondement l’État a-t-il été condamné à indemniser M. C ?
Pourquoi l’État n’a-t-il pas été reconnu responsable à 100 % ?
2. Un autre régime de responsabilité administrative aurait-il éventuellement trouvé à
s’appliquer ? Lequel ?

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CE, 17 mars 2010, Garde des sceaux, Min. de la Justice c/ MAIF

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du
5 janvier 2000, le tribunal pour enfants d’Albi a condamné solidairement trois mineurs et les
personnes qui en étaient civilement responsables à verser la somme totale de 22 374,04 francs (3
410 euros) aux victimes de divers dommages dont ils s’étaient rendus coupables ; qu’en application
de ce jugement ainsi qu’au titre d’une procédure amiable concernant l’une des victimes, la
compagnie AXA, assureur du département du Tarn, déclaré civilement responsable de l’un des
mineurs en cause, placé auprès de lui au titre des articles 375 et suivants du code civil, a versé aux
victimes une somme totale de 6 048,27 euros correspondant à la réparation de l’intégralité des
dommages ; que, le 15 janvier 2004, la compagnie AXA a demandé à la MAIF, assureur du foyer
ITEF l’Essor, de lui rembourser les deux tiers de l’indemnité versée aux victimes, correspondant à
la part de ce montant imputable aux deux autres mineurs, placés auprès du foyer au titre, pour l’un,
des articles 375 et suivants du code civil et, pour l’autre, de l’ordonnance du 2 février 1945 relative
à l’enfance délinquante ; que, le 5 novembre 2004, la MAIF a versé à ce titre à la compagnie AXA
une somme de 4 523,78 euros ; que par un courrier du 31 décembre 2004, la MAIF a demandé au
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE de lui rembourser cette somme ; que le
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE se pourvoit en cassation contre le
jugement du 25 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’État à
verser à la MAIF une somme de 4 523,78 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 25
juillet 2005 ;

Sur la recevabilité du pourvoi :

Considérant qu’en vertu du premier alinéa de l’article R. 821-1 du code de justice administrative, le
délai de recours en cassation est de deux mois ; qu’il résulte de l’instruction que le jugement du 25
janvier 2008 que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE attaque lui a été notifié
le 29 février 2008 ; que ce délai étant un délai franc, il commençait à courir le 1er mars 2008,
lendemain de la date de son déclenchement ; que le 1er mai étant un jour férié, la date d’expiration
du délai se trouvait reportée au 2 mai 2008 ; qu’il en résulte que le pourvoi du GARDE DES
SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil
d’État le 2 mai 2008, n’est pas tardif ;

Sur le bien-fondé du jugement :

Considérant, d’une part, que la décision par laquelle une juridiction des mineurs confie la garde
d’un mineur, dans le cadre d’une mesure prise en vertu de l’ordonnance du 2 février 1945, à l’une
des personnes mentionnées par cette ordonnance transfère à la personne qui en est chargée la
responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie du mineur ; que si, en raison des pouvoirs dont
elle se trouve ainsi investie lorsque le mineur lui a été confié, sa responsabilité peut être engagée,
même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur, l’action ainsi ouverte ne fait
pas obstacle à ce que soit également recherchée, devant la juridiction administrative, la
responsabilité de l’État en raison du risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en oeuvre
d’une des mesures de liberté surveillée prévues par l’ordonnance du 2 février 1945 ;

Considérant, d’autre part, que la décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d’un
mineur, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants
du code civil, à l’un des services ou établissement mentionnés à l’article 375-3 du même code,
transfère la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie du mineur à ce service ou à cet
établissement, dont la responsabilité est engagée pour les dommages causés aux tiers par ce mineur,
même sans faute, sans qu’il puisse, lorsqu’il ne relève pas de l’autorité de l’État, rechercher la
responsabilité pour risque de ce dernier au titre des agissements du mineur concerné ;

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Considérant, enfin, que lorsque l’un des coauteurs d’un dommage a indemnisé intégralement la
victime des préjudices qu’elle a subis, il ne peut, par la voie de l’action subrogatoire, se retourner
contre un autre coauteur que dans la limite de la responsabilité encourue individuellement par ce
dernier ;

Considérant qu’il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Toulouse,
saisi, ainsi qu’il a été dit, par l’assureur du foyer ITEF l’Essor, qui avait pris en charge
l’indemnisation des dommages causés par les deux mineurs dont les agissements engageaient sa
responsabilité, même sans faute, au titre, respectivement, des articles 375 et suivants du code civil
et de l’ordonnance du 2 février 1945, d’une action subrogatoire contre l’État, dont la responsabilité
pour risque était susceptible d’être engagée à raison des agissements de celui de ces deux mineurs
relevant de l’ordonnance du 2 février 1945, a condamné l’État à rembourser au demandeur
l’intégralité de la dette dont il s’était acquittée ; qu’en mettant ainsi à la charge de l’État l’intégralité
de cette somme au seul motif que sa responsabilité sans faute était engagée pour l’un des deux
mineurs à l’origine des faits, alors qu’il lui appartenait de rechercher, au vu des circonstances de
l’espèce, quelle était la part respective des deux mineurs coauteurs dans la réalisation du dommage
afin de déterminer la somme due par l’État, le tribunal administratif a commis une erreur de droit
; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est fondé à demander, pour ce
motif, l’annulation du jugement attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en
application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que les dommages dont la MAIF, assureur du foyer ITEF
l’Essor, a pris l’indemnisation en charge trouvent leur origine, à parts égales, dans les agissements
des deux mineurs placés auprès du foyer sur le fondement respectif des articles 375 et suivants du
code civil et de l’ordonnance du 2 février 1945 ; que la responsabilité de l’État ne saurait être
engagée pour les agissements du premier mineur, l’ITEF ne relevant pas de la responsabilité de
l’État ; que la mise en oeuvre du régime de liberté surveillée prévu par l’ordonnance du 2 février
1945 est la cause directe et certaine des dommages causés par le second mineur ; que dans ces
circonstances, et en l’absence de toute faute commise par le foyer ITEF l’Essor, il y a lieu de
condamner l’État, au titre de l’action en garantie intentée par la MAIF, à payer à cet assureur une
somme de 2 261,89 euros, correspondant à la moitié de l’indemnité versée à la compagnie AXA au
titre des agissements des deux mineurs ;

Questions (réponses à justifier) :


1. Lorsqu’un mineur en liberté surveillée au sens de l’ordonnance du 2 février 1945
cause un dommage à un tiers, de qui ce dernier peut-il rechercher la responsabilité
(excepté celle du mineur lui-même), et sur quel(s) fondement(s) ?
2. Lorsqu’un mineur placé au titre de l’assistance éducative en application des articles
375 et suivants du code civil cause un dommage à un tiers, de qui ce dernier peut-
il rechercher la responsabilité (excepté celle du mineur lui-même), et sur quel(s)
fondement(s) ?

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CAA Lyon, 21 novembre 2019, M. X.

1. M. X., qui était alors ressortissant indien, est arrivé en France le 22 février 2002 pour suivre des
études de langues étrangères appliquées à l'université de Lyon 2. Il aurait été approché par des
agents du ministère de l'intérieur qui l'auraient chargé de missions de surveillance et d'infiltration
pour le compte de leurs services de renseignement, entre mars 2003 et avril 2010. Soutenant avoir
été illégalement privé de l'exécution d'un contrat de droit public signé le 12 décembre 2003, il a
vainement saisi le ministre de l'intérieur d'une demande de versement des sommes de 439 000 €
correspondant à la rémunération qui aurait dû lui être servie en exécution de ce contrat et de 20
000 000 € en indemnisation des préjudices qu'il soutient avoir subis dans sa vie personnelle à la
suite de son refus de poursuivre ses missions. M. X. relève appel du jugement du 21 juin 2017 par
lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense ;

2. En premier lieu, aux termes de l'article 2 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : « La présente loi
s'applique aux fonctionnaires civils des administrations de l'Etat [...] ». Aux termes de l'article 3 de
cette même loi : « Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils
permanents de l'Etat [...] sont [...] occupés [...] par des fonctionnaires régis par le présent titre [...]
». Aux termes de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, dans sa rédaction en vigueur à la
date à laquelle M. X. soutient que le contrat aurait dû être conclu : « Par dérogation au principe
énoncé à l'article 3 du titre Ier du statut général, des agents contractuels peuvent être recrutés dans
les cas suivants : 1° Lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les
fonctions correspondantes ; 2° Pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les
représentations de l'Etat à l'étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les
besoins des services le justifient [...] ». Enfin, aux termes de l'article 6 de cette loi : « les fonctions
qui, correspondant à un besoin permanent, impliquent un service à temps incomplet d'une durée
n'excédant pas 70 % d'un service à temps complet, sont assurées par des agents contractuels. / Les
fonctions correspondant à un besoin saisonnier ou occasionnel sont assurées par des agents
contractuels, lorsqu'elles ne peuvent être assurées par des fonctionnaires titulaires ».

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'un agent contractuel ne peut être recruté que
pour occuper un emploi des services de l'Etat, à temps incomplet, ou pour pallier la vacance
momentanée d'un emploi à temps complet. Une mission de service public ne peut être qualifiée
d'emploi et, partant, relever du champ d'application de ces dispositions qu'à la condition d'être
budgétairement ouverte dans le service considéré, de s'insérer dans une chaîne hiérarchique et de
comporter des attributions stables et déterminées. Tel n'est pas le cas de la collecte de
renseignements confiée clandestinement, fût-ce par des contrats - formalisés ou non - à des
correspondants de police, en dehors de tout emploi budgétaire et selon des contreparties fixées
discrétionnairement.

4. Il s'ensuit que, quelle que soit leur nationalité, les collaborateurs occasionnels recrutés pour les
missions de la police du renseignement ne peuvent relever du régime des agents contractuels de
l'Etat. M. X., dont il n'est pas sérieusement contesté en défense qu'il a pu participer à des missions
de surveillance et d'infiltration pour le compte des services des renseignements français, entre mars
2003 et avril 2010, ne pouvait donc être lié à l'Etat par un contrat de droit public au sens des
dispositions précitées du statut général de la fonction publique. L'engagement qu'il soutient avoir
signé, hors de tout cadre juridique, et dont il ne détient aucun exemplaire, n'a eu de portée
qu'officieuse. Il n'a lié les signataires qu'autant qu'ils décidaient de collaborer pour des missions
ponctuelles et la rétribution, nécessairement laissée à l'appréciation du service en fonction de la
qualité et de l'utilité des renseignements communiqués, a pu prendre une forme non pécuniaire. M.
X., qui ne détient aucune créance contractuelle sur l'Etat n'est, par suite, pas fondé à demander le
versement d'un arriéré de rétribution qu'il évalue à 439 000 €.

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5. En second lieu, l'Etat est tenu d'indemniser, même sans faute, M. X., en sa qualité de
collaborateur occasionnel, de tous les dommages qu'il aurait eu à subir dans l'accomplissement ou
à cause de l'accomplissement de ses missions. Toutefois, les pressions, menaces, dommages
physiques ou pertes de chances ayant affecté ses perspectives professionnelles dont il allègue avoir
été victime lors de la cessation de sa collaboration en avril 2010 ne sont appuyés d'aucun
commencement de preuve, non plus que l'implication fautive des services de police ou de
renseignement dans les faits qu'il dénonce. Il suit de là que la réalité du préjudice qu'il chiffre à 20
000 000 € n'est pas établie.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de recourir aux mesures avant-dire-droit
sollicitées par le requérant ni de mettre en oeuvre les articles R. 623-1 à R. 623-3 du code de justice
administrative, que M. X. n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Lyon
a rejeté ses demandes pécuniaires et indemnitaires et que les conclusions de sa requête doivent être
rejetées.

(…)

Questions (réponses à justifier) :


1. De quel régime de responsabilité peut bénéficier le requérant ?
2. En l’espèce, pourquoi le juge a-t-il refusé de faire droit à sa demande
d’indemnisation ?

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CE, 30 septembre 2019, Compagnie méridionale de navigation

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 1er juillet 2014, une centaine de
marins de la société nationale Corse Méditerranée ont bloqué, sur le port de Marseille, le navire "
Kalliste " qui assurait le transport de passagers, véhicules et marchandises à destination ou en
provenance de certains ports de la Corse et appartenait à la société compagnie méridionale de
navigation, devenue La Méridionale. Par une ordonnance en date du 1er juillet 2014, le président
du tribunal de commerce de Marseille a ordonné l’expulsion immédiate de toute personne, tout
engin ou tout matériel empêchant l’accès à ce navire. La société compagnie méridionale de
navigation a, par voie d’huissier, requis, le même jour, le concours de la force publique. Le blocage
n’ayant été levé par les salariés grévistes que le 9 juillet, la société compagnie méridionale de
navigation a adressé à l’État, le 26 septembre suivant, une demande tendant à la réparation des
préjudices en ayant résulté. Par une décision en date du 6 novembre 2014, le préfet a rejeté sa
demande. Par le jugement du 16 octobre 2017 contre lequel le ministre de l’intérieur se pourvoit
en cassation, le tribunal administratif de Marseille a jugé que le préjudice résultant pour la
compagnie méridionale de navigation du blocage du navire " Kalliste " et du déroutement de deux
autres navires vers Toulon présentait un caractère anormal justifiant l’engagement, s’agissant des
pertes subies au-delà des vingt-quatre premières heures, de la responsabilité sans faute de l’État et
ordonné qu’il soit procédé à une expertise afin de déterminer les préjudices de toute nature subis
par la société.

2. Le dommage résultant de l’abstention des autorités administratives de recourir à la force publique


pour permettre l’utilisation normale du domaine public portuaire ne saurait être regardé, s’il excède
une certaine durée, comme une charge incombant normalement aux usagers du port. Ces derniers
sont fondés à demander réparation à l’État d’un tel préjudice, s’il présente un caractère grave et
spécial, alors même que l’abstention des autorités administratives ne présenterait pas de caractère
fautif.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, devant le tribunal administratif, la
société compagnie méridionale de navigation faisait valoir que l’abstention des autorités de l’État
de prendre les mesures destinées à garantir l’accès des passagers et véhicules et de mettre fin au
blocage des navires entre le 1er et le 9 juillet 2014 lui avait causé un préjudice suffisamment grave
et spécial de nature à ouvrir droit à réparation. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif
s’est, notamment, fondé, sur le motif tiré de ce que le dommage résultant de l’abstention des
autorités administratives à accorder le concours de la force publique ne saurait être regardé, s’il
revêt une gravité suffisante, et notamment s’il excède une certaine durée, comme une charge
incombant normalement aux usagers du port et a jugé, en l’espèce, qu’eu égard aux caractères
spécifiques du transport maritime de passagers et de véhicules entre la Corse et le continent,
particulièrement pendant la période estivale, la compagnie méridionale de navigation avait subi, du
fait du blocage entre le 1er et le 9 juillet 2014 du navire " Kalliste " et du déroutement de deux
autres navires vers le port de Toulon, un préjudice grave et spécial, excédant les charges que les
usagers doivent normalement supporter, engageant la responsabilité de l’État pour la part du
dommage correspondant aux pertes subies au-delà des vingt-quatre premières heures.

4. En premier lieu, en se fondant sur de tels motifs pour juger que la responsabilité de l’État était
en l’espèce engagée sur le fondement du principe rappelé au point 2, le tribunal administratif n’a
pas commis d’erreur de droit.

5. En deuxième lieu, en jugeant que la décision de dérouter vers le port de Toulon deux autres
navires de la société, qui n’étaient pas en mesure d’accoster à Marseille du fait du blocage du port,

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avait pour cause directe l’abstention des autorités administratives face à ce blocage, le tribunal
administratif a exactement qualifié les faits de l’espèce.

6. En troisième lieu, en jugeant que le blocage, du 1er au 9 juillet 2014, de l’accès à l’un des navires
appartenant à la société requérante ainsi que l’impossibilité pour deux autres de ses navires, du fait
du même blocage, d’utiliser le port de Marseille avaient, eu égard à la période concernée et au
caractère saisonnier de son activité, causé à la société, au-delà des vingt-quatre premières heures,
un préjudice suffisamment grave et spécial pour ouvrir droit à indemnisation au titre de la
responsabilité de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques, le tribunal administratif
a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

7. Enfin, s’il résulte des principes gouvernant la responsabilité des personnes publiques, repris par
les dispositions de l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution, que le représentant
de l’État, saisi d’une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de
l’exécution d’une décision de justice ayant force exécutoire, la responsabilité de l’État étant
susceptible d’être engagée en cas de refus pour faute ou même sans faute lorsque le refus est
notamment fondé sur des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l’ordre public, le
tribunal administratif, ainsi qu’il a été dit au point 3, s’est à titre déterminant fondé, pour juger que
la responsabilité de l’État était en l’espèce engagée, sur le principe rappelé au point 2. Il s’ensuit que
le ministre de l’intérieur ne saurait utilement critiquer les motifs par lesquels le tribunal administratif
a examiné les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’État du fait de l’abstention de
prêter son concours à l’exécution de l’ordonnance du 1er juillet 2014 du président du tribunal de
commerce de Marseille, lesquels présentent un caractère surabondant.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à demander
l’annulation du jugement qu’il attaque. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la
charge de l’État le versement à la société La Méridionale d’une somme de 3 000 euros au titre de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Questions (réponses à justifier) :


1. Sur quel fondement la responsabilité de l’Etat est-elle engagée en l’espèce ? Quelles
sont les conditions d’engagement de cette responsabilité ?
2. Sur quel(s) autre(s) fondement(s) la responsabilité de l’Etat aurait-elle pu être
éventuellement engagée ?

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CE, Ass., 24 décembre 2019, Société Paris Clichy

Considérant ce qui suit :

1. En vertu du premier alinéa de l’article 7 de l’ordonnance du 21 octobre 1986 relative à


l’intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise et à l’actionnariat des
salariés, toute entreprise employant habituellement plus de cent salariés, ou au moins cinquante
salariés depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 novembre 1990, " quelles que soient la nature de
son activité et sa forme juridique, est soumise aux obligations de la présente section, destinées à
garantir le droit de ses salariés à participer aux résultats de l’entreprise ". Aux termes du premier
alinéa de l’article 15 de cette ordonnance : " Un décret en Conseil d’État détermine les entreprises
publiques et les sociétés nationales qui sont soumises aux dispositions du présent chapitre. Il fixe
les conditions dans lesquelles ces dispositions leur sont applicables ". Ces dispositions ont été
codifiées, par l’article 33 de la loi du 25 juillet 1994 relative à l’amélioration de la participation des
salariés dans l’entreprise, respectivement à l’article L. 442-1 et à l’article L. 442-9 du code du travail.
Par un arrêt du 6 juin 2000, rendu sur le pourvoi opposant l’union syndicale CGT des syndicats du
17ème arrondissement à la société Hôtel Frantour Paris-Berthier, la Cour de cassation a jugé qu’une
personne de droit privé ayant pour objet une activité purement commerciale, qui n’est ni une
entreprise publique ni une société nationale, peu important l’origine du capital, devait être soumise
aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 21 octobre 1986. Le législateur, par l’article 85 de
la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, a ensuite modifié l’article L. 442-9 du code du
travail pour prévoir que : " Un décret en Conseil d’État détermine les établissements publics de
l’État à caractère industriel et commercial et les sociétés, groupements ou personnes morales, quel
que soit leur statut juridique, dont plus de la moitié du capital est détenue, directement ou
indirectement, ensemble ou séparément, par l’État et ses établissements publics qui sont soumises
aux dispositions du présent chapitre. Il fixe les conditions dans lesquelles ces dispositions leur sont
applicables. / Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux sociétés, groupements ou
personnes morales quel que soit leur statut juridique, dont plus de la moitié du capital est détenue,
ensemble ou séparément, indirectement par l’État et directement ou indirectement par ses
établissements publics, à l’exception de celles et ceux qui bénéficient de subventions d’exploitation,
sont en situation de monopole ou soumis à des prix réglementés. (...) ".

2. Par sa décision 2013-336 QPC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que le premier
alinéa de l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, devenu le premier alinéa de l’article L.
442-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004, était contraire
à la Constitution. Il a relevé qu’en soustrayant les " entreprises publiques " à l’obligation d’instituer
un dispositif de participation des salariés aux résultats de l’entreprise et en se bornant à renvoyer à
un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient néanmoins soumises, sans
définir le critère en fonction duquel elles seraient ainsi désignées ni encadrer ce renvoi au pouvoir
réglementaire, le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions qui
affectaient l’exercice de la liberté d’entreprendre.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Paris Clichy, venant aux
droits de la société Hôtel Frantour Paris-Berthier, a été condamnée, par un jugement du tribunal
de grande instance de Paris du 5 octobre 2004, rendu à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du
6 juin 2000, à répartir entre l’ensemble des salariés bénéficiaires le montant de la participation leur
revenant au titre des exercices allant de 1986 à 1995, chiffré à 1 015 080 euros, augmenté des
intérêts légaux au profit des salariés requérants. A la suite de la décision du Conseil constitutionnel
du 1er août 2013, la société Paris Clichy a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner
l’État à lui verser la somme de 1 220 637,29 euros, augmentée des intérêts légaux, qu’elle a dû verser
à ses salariés et anciens salariés en exécution de ce jugement ainsi qu’au titre du forfait social, de la
contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, en
faisant valoir que ce versement était la conséquence de l’inconstitutionnalité du premier alinéa de

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l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, devenu le premier alinéa de l’article L. 442-9 du


code du travail. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 octobre 2018 par lequel la cour
administrative d’appel de Paris a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de
Paris rejetant sa demande.

Sur le principe de la responsabilité de l’État :

4. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution : " (...) les lois peuvent être
déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le
Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés
ou soixante sénateurs ". Aux termes du premier alinéa de son article 61-1 : " Lorsque, à l’occasion
d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte
atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi
de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un
délai déterminé ". Aux termes de son article 62 : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur
le fondement de l’article 61 ne peut être promulguée ni mise en application. / Une disposition
déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la
publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette
décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets
que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. / Les décisions du Conseil
constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à
toutes les autorités administratives et juridictionnelles ".

5. La responsabilité de l’État du fait des lois est susceptible d’être engagée, d’une part, sur le
fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de
préjudices nés de l’adoption d’une loi à la condition que cette loi n’ait pas exclu toute indemnisation
et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse,
dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.

6. Elle peut également être engagée, d’autre part, en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie
des normes, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’application d’une loi
méconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France. Toutefois, il résulte
des dispositions des articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution que la responsabilité de l’État n’est
susceptible d’être engagée du fait d’une disposition législative contraire à la Constitution que si le
Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l’article
61-1, lors de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, ou bien encore, sur le
fondement de l’article 61, à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui la modifient, la
complètent ou affectent son domaine. En outre, l’engagement de cette responsabilité est
subordonné à la condition que la décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions
et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en
cause, ne s’y oppose pas, soit qu’elle l’exclue expressément, soit qu’elle laisse subsister tout ou partie
des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en
cause.

7. Lorsque ces conditions sont réunies, il appartient à la victime d’établir la réalité de son préjudice
et l’existence d’un lien direct de causalité entre l’inconstitutionnalité de la loi et ce préjudice. Par
ailleurs, la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de
l’application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime,
sans qu’elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l’existence de sa créance jusqu’à
l’intervention de la déclaration d’inconstitutionnalité.

8. Par sa décision du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a précisé que la déclaration
d’inconstitutionnalité prononcée prenait effet à compter de sa publication, que les salariés des

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entreprises dont le capital était majoritairement détenu par des personnes publiques ne pouvaient,
en application des dispositions de l’ordonnance du 21 octobre 1986 relatives à la participation des
salariés aux résultats de l’entreprise, demander, y compris dans les instances en cours, qu’un
dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions
déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur et que cette déclaration d’inconstitutionnalité ne
pouvait conduire à ce que les sommes versées au titre de la participation sur le fondement de ces
dispositions donnent lieu à répétition. Une action indemnitaire dirigée contre l’État, que cette
décision n’exclut pas, ne serait pas susceptible d’affecter les conditions et limites dans lesquelles
elle prévoit la remise en cause des effets produits par la disposition législative considérée, qui
intéresse les rapports entre employeurs et salariés. Cette décision ne fait ainsi pas obstacle à ce que
soit engagée, devant la juridiction administrative, la responsabilité de l’État du fait de l’application
des dispositions, déclarées inconstitutionnelles, du premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance du
21 octobre 1986 puis du premier alinéa de l’article L. 442-9 du code du travail, dans leur rédaction
antérieure à la loi du 30 décembre 2004.

Sur le lien de causalité :

9. Par sa décision du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition législative qui
lui était soumise contraire à la Constitution en raison de la seule méconnaissance par le législateur
de l’étendue de sa compétence dans la détermination du champ d’application de l’obligation faite
aux entreprises d’instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats, affectant
l’exercice de la liberté d’entreprendre. Il a, en revanche, écarté les griefs tirés de la méconnaissance
des principes d’égalité devant la loi et les charges publiques et de la méconnaissance de l’article 16
de la Déclaration de 1789 et a précisé que le législateur aurait pu, pour définir le critère en fonction
duquel les entreprises publiques sont soumises à cette obligation, se référer, par exemple, à un
critère fondé sur l’origine du capital ou la nature de l’activité. Il n’a, ainsi, pas regardé comme
contraire aux droits et libertés reconnus par la Constitution la portée que la Cour de cassation a
conférée à cette disposition, dans le souci de garantir la libre concurrence et l’égalité des droits entre
salariés d’entreprises exerçant une même activité dans les mêmes conditions, par son arrêt du 6 juin
2000 et ses arrêts ultérieurs, qui excluent qu’une société de droit privé ayant une activité purement
commerciale soit regardée comme une entreprise publique au sens de cette disposition. Au surplus,
par la loi du 30 décembre 2004, le législateur a confirmé pour l’avenir la soumission des entreprises
aux obligations relatives à la participation des salariés aux résultats en fonction d’un critère tiré non
de l’origine de leur capital, sauf en cas de détention directe par l’État, mais de leur situation
concurrentielle. Par suite, la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans
la détermination du champ d’application de l’obligation d’instituer un dispositif de participation ne
peut être regardée comme étant directement à l’origine de l’obligation faite à une entreprise telle
que la société requérante, avant même l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004, de verser
à ses salariés une participation à ses résultats. Seuls pourraient être regardés en lien direct avec cette
inconstitutionnalité les préjudices résultant, le cas échéant, de l’obligation de reconstituer a
posteriori une réserve spéciale de participation et de verser immédiatement l’ensemble des sommes
exigibles sans avoir pu prendre en considération, dans la stratégie commerciale et financière de
l’entreprise, cette charge au cours des exercices au titre desquels elle devait être constatée. Il en
résulte que la cour administrative d’appel de Paris, dont l’arrêt est suffisamment motivé, a
exactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant qu’il n’existait pas de lien de causalité direct entre
la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence et le préjudice dont la société
requérante faisait état, tenant aux sommes versées à ses salariés et anciens salariés au titre de leur
participation à ses résultats pour les exercices 1986 à 1995 et aux prélèvements sociaux afférents,
et n’a pas commis d’erreur de droit en écartant son indemnisation au titre d’une perte de chance,
invoquée par cette société, d’entrer dans le champ des entreprises publiques soustraites au régime
de la participation des salariés.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Paris Clichy n’est pas fondée à demander l’annulation

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de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qu’elle attaque. Ses conclusions présentées au
titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite,
qu’être également rejetées.

Questions (réponses à justifier) :


1. S’agissant de la responsabilité de l’Etat du fait des lois, de quelle(s) jurisprudence(s)
antérieures la décision n’est-elle qu’une simple confirmation ?
2. Toujours s’agissant de la responsabilité de l’Etat du fait des lois, sur quel aspect
vous paraît-elle innovante ? Eu égard à ces conditions d’engagement, la
responsabilité de l’Etat sur ce fondement vous paraît-elle susceptible d’être
fréquemment engagée ?
3. En l’espèce, pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il rejeté la demande indemnitaire ?

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II – CAS PRATIQUE

M. Biblot et Mme Biblot possèdent une boutique dans le quartier des antiquaires à Marseille. En
mai 2022, après que les évènements liés à la crise sanitaire ont mis en péril leur activité, ces derniers espèrent
pouvoir retrouver rapidement une vie professionnelle stable.

Malheureusement, les espoirs du couple sont réduits à néant quand ils apprennent qu’une loi visant
à encadrer très strictement l’importation sur le territoire français d’œuvres artistiques d’origines étrangères
a été adoptée. Leur activité étant effectivement centrée sur l’art de la Renaissance italienne, ces derniers
craignent de se trouver dans l’impossibilité de satisfaire leurs clients – déjà peu nombreux depuis la crise
sanitaire – et que la notoriété de leur affaire s’en trouve affectée.

Convaincus que la loi en question est contraire au principe de libre circulation des marchandises
consacré par le droit de l’Union européenne, M. et Mme Biblot convoque donc une réunion de « La ligue
française des Antiquaires » en urgence. Au terme de la réunion, la ligue décide d’aller manifester devant le
Panthéon, au cœur du Quartier latin.

Arrivés à Paris, les membres de la Ligue constatent cependant qu’ils ne sont pas les seuls à
manifester ce jour. De nombreux étudiants et enseignants visant à lutter contre une réforme de l’Université
sont en effet positionnés devant le bâtiment. Se retrouvant au milieu de cette foule et voyant la situation
dégénérée (les manifestants commençant à jeter des projectiles sur les forces de l’ordre), M. et Mme Biblot
ainsi que les membres de la Ligue décident de s’en écarter mais Mme Biblot se prend malencontreusement
un coup de matraque dans le ventre.

M. Biblot, qui arrive à s’écarter du mouvement de foule, constate qu’un membre de la Ligue des
antiquaires est victime d’une agression par une personne extérieure à la manifestation qui lui arrache
violemment sa sacoche. M. Biblot se met alors à courir derrière le malfaiteur pour tenter de rattraper le sac
de son ami. Malheureusement, au moment d’atteindre la sacoche avec son bras, il trébuche et tombe sur le
sol se fracturant la cheville droite.

Enfin arrivés chez eux, M. et Mme Biblot constatent avec surprise que leur boutique aurait été
vandalisée par des jeunes délinquants résidant dans un centre éducatif à proximité.

Aux vues de tous ces évènements, M. et Mme Biblot décident d’agir et vous posent les questions
suivantes :

1. Dans l’hypothèse où la loi visant à restreindre l’importation d’œuvres étrangères était


contraire au droit de l’Union européenne, l’État pourrait-il être responsable des pertes
professionnelles de M. et Mme Biblot et à quelle(s) condition(s) ?

2. Sur quels fondements Mme Biblot pourrait-il engager la responsabilité de l’État du fait du
préjudice résultant du coup de matraque qu’il a reçu ?

3. M. Biblot peut-il demander réparation à l’Etat en tant que collaborateur occasionnel du


service public ?

4. L’État pourrait-il être responsable du fait de la vandalisation opérée par les jeunes
délinquants résidant dans un centre éducatif ?

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