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Fifagate : le procès Platini s’ouvre enfin
PAR YANN PHILIPPIN
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 8 JUIN 2022
© Marcus Brandt / DPA via AFP
Déjà sanctionné sur le plan disciplinaire, l’ancien
numéro10 des Bleus doit faire face, à partir de
mercredi 8 juin, en Suisse, à un procès pénal
pour «escroquerie», au sujet du paiement de 1,8
milliond’euros reçus en 2011. L’ex-patron tout-
puissant de la Fifa, Sepp Blatter, sera également sur le
banc des prévenus.
L’heure de vérité approche pour Michel Platini. La
légende des Bleus et ancien patron de la fédération
européenne de football (UEFA) sera jugé pendant
quinze jours, à partir de mercredi, devant le tribunal
pénal fédéral suisse de Bellinzone, en compagnie de
son meilleur ennemi Sepp Blatter, ancien président de
la Fédération internationale de football (Fifa).
Le procès porte sur le paiement présumé frauduleux
de 2millions de francs suisses (1,8million d’euros)
accordé en 2011 par Blatter à Platini, sur le budget
de la Fifa. L’enquête judiciaire, lancée en septembre
2015, leur avait coûté leurs postes et une fin de carrière
anticipée, empêchant Michel Platini de briguer la
présidence de la fédération internationale, remportée
cinq mois plus tard par son bras droit à l’UEFA, Gianni
Infantino.
Michel Platini a perdu le match aller sur le plan
disciplinaire. Banni pour huit ans par la Fifa, il a réussi
à réduire sa suspension à quatre ans en appel. Mais
il a par la suite échoué à faire annuler cette sanction,
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confirmée par le tribunal fédéral suisse, puis par la
Cour européenne des droits de l’homme, qui avait
pointé la «gravité des infractions commises».
Sepp Blatter et Michel Platini à Saint-Petersbourg
(Russie) en juillet 2015. © Marcus Brandt / DPA via AFP
Le match retour va commencer, au pénal cette fois.
Michel Platini et Sepp Blatter seront jugés pour
«escroquerie», délit passible de cinq ans de prison
ou « d’une peine pécuniaire», et subsidiairement pour
«gestion déloyale», «abus de confiance» et «faux dans
les titres».
Ils sont présumés innocents, et démentent fermement
les faits qui leur sont reprochés. Ils affirment que le
paiement de 2 millions d’euros de janvier 2011 était
un complément de rémunération dû à Michel Platini
au titre de sa mission de conseiller technique de Sepp
Blatter à la Fifa entre 1998 et 2002. Ils avaient pourtant
signé en 1999 un contrat écrit accordant à Michel
Platini un salaire de 300000francs suisses par an, et qui
ne prévoyait aucun bonus.
Les deux hommes affirment que Platini avait réclamé
1 million par an, mais que les finances de la Fifa
ne permettaient pas une aussi grosse rémunération à
l’époque. Ils auraient alors passé un «accord oral» au
sujet d’un complément de salaire, que Michel Platini
a attendu neuf ans pour réclamer.
Le parquet fédéral suisse estime que cette version
ne tient pas. Michel Platini a envoyé à la Fifa une
«facture fictive» de 2millions de francs suisses, «sous
prétexte d’une créance qui en réalité n’existait pas,
et à laquelle il n’avait aucun droit», tacle l’acte
d’accusation, consulté par Mediapart.
Les procureurs ajoutent que Michel Platini a aussi
demandé que «toutes les cotisations sociales […]
soit payées par la Fifa», pour 226126francs suisses,
alors même que son contrat écrit prévoyait que les
cotisations étaient à sa charge.
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Michel Platini a adopté une défense politique,
dénonçant un complot ourdi contre lui.
La Fifa, partie civile dans ce dossier, demande
réparation pour le préjudice subi. «Il n’y a aucune
trace de ce prétendu accord oral. Le seul contrat de
consultant conclu est celui que les parties ont signé le
25août 1999. Les 2millions de francs versés en 2011
ne sont pas une dette de la Fifa», indique l’avocate de
la fédération internationale, Catherine Hohl-Chirazi.
« Nous sommes confiants dans le fait que la procédure
aboutira à un résultat positif qui prouvera la totale
sincérité de Monsieur Michel Platini dans cette
affaire », réplique son avocat suisse, Dominic Nellen.
Il va faire déposer à la barre « plusieurs témoins »
que le parquet « n'a pas voulu entendre lors de la
procédure préliminaire, malgré la demande de la
défense ».
Le dossier judiciaire contient des éléments inédits,
dévoilés dimanche par Le Monde, qui fragilisent la
défense des prévenus.
Lors de son premier interrogatoire, le 25 septembre
2015, Sepp Blatter n’avait pas évoqué l’existence d’un
«accord oral»: «Moi-même, le secrétaire général et
le directeur financier avons été surpris lorsque nous
avons reçu une facture de Platini de 2millions. Le
motif invoqué était que, contrairement à ce que j’avais
promis, il n’avait gagné que 500000francs suisses au
cours des quatre premières années, au lieu du million
que je lui avais soi-disant promis. Nous avons été
surpris, puis nous avons dit que nous allions payer
cette facture.»
Toujours selon Le Monde, l’ancien secrétaire général
de la Fifa, le Français Jérôme Valcke, a indiqué
aux procureurs avoir assisté, en 2010, au «coup de
téléphone de M.Platini […] demandant le versement
de cet argent» à Sepp Blatter. Lequel lui avait «fait
part de son étonnement et de sa surprise que ça tombe
à ce moment-là».
Surtout, Jérôme Valcke affirme que Michel Platini
avait réclamé «le double» de la somme finalement
versée, soit 4 millions. Sepp Blatter aurait réagi ainsi:
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«Mais c’est encore plus que ce que je gagnais, moi, à
l’époque, donc il n’y a aucune raison de payer cette
somme.»
Macron sollicité
Ce témoignage est embarrassant pour Michel Platini.
Car en ajoutant ces 4millions au 1,2million déjà perçu
entre 1998 et 2002 en vertu de son contrat écrit, on
arrive à 5,2millions, soit bien plus que l’«accord oral»
à 4millions sur quatre ans qu’il dit avoir conclu avec
Sepp Blatter.
Lors de l’enquête, Michel Platini a démenti avoir
réclamé 4millions en 2010, ainsi que Sepp Blatter.
Reste un mystère: pourquoi l’ancien patron de la Fifa
a-t-il finalement accepté de verser 2millions en janvier
2011? Les procureurs soupçonnent, sans avoir pu le
prouver, qu’il aurait voulu s’assurer que Michel Platini
ne se présenterait pas contre lui à la présidence de la
fédération internationale quelques mois plus tard.
Comme l’a révélé Mediapart, Michel Platini semble
avoir tenté d’influer sur le cours de l’enquête menée
à Berne par le parquet fédéral suisse, en sollicitant
le président Emmanuel Macron, et avec l’aide d’un
haut magistrat français de la Cour de cassation, Michel
Debacq.
« J’ai vu un peu notre ami Michel [Debacq]. […]
On va contre-attaquer. Bon, s’il trouve le moyen que
Berne décide de me lâcher les calbutes et qui clôt
l’affaire, mais c’est pas facile. […] Donc mon seul
rendez-vous, c’est avec le président de la République
début janvier pour qu’éventuellement il m’aide à faire
quelque chose»,disait Michel Platini en 2017, selon
une écoute judiciaire française réalisée dans l’affaire
Qatar 2022.
L’ancien numéro 10 des Bleus a adopté une ligne de
défense politique, soutenant, dès que l’affaire a éclaté
en 2015, qu’un complot aurait été ourdi par Sepp
Blatter afin de l’empêcher de lui succéder à la tête
de la Fifa quelques mois plus tard - sans toutefois en
apporter la preuve. Sepp Blatter a démenti.
Michel Platini veut absolument savoir si Blatter ou
d’autres huiles de la Fifa l’ont dénoncé au parquet
fédéral suisse. C’était l’objectif de la plainte pour
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«dénonciation calomnieuse» qu’il a déposée en France
en septembre 2018. Le parquet de Paris l’a transmise
à la justice suisse, qui a classé l’affaire sans suite
pour cause de prescription. La plainte n’aurait guère
eu de chances de prospérer, puisque les faits ont été
jugés suffisamment étayés par la justice suisse pour
nécessiter un procès.
Le 5 avril dernier, deux mois avant l’audience, l’ancien
patron de l’UEFA a lancé un second contre-feu
médiatique et judiciaire, en annonçant avoir déposé
plainte à Paris pour «trafic d’influence». Cette fois,
il accuse Gianni Infantino, son ancien bras droit à
l’UEFA devenu patron de la Fifa en 2016, d’avoir
manœuvré contre lui. L’intéressé a dénoncé une
«théorie du complot».
Rencontres secrètes
Michel Platini s’appuie sur le scandale de collusion
présumée entre la justice et la Fifa: l’affaire des
rencontres secrètes entre le président de la Fifa
Gianni Infantino et le patron du parquet fédéral suisse
Michael Lauber (il a dû démissionner), que nous
avions révélée grâce aux Football Leaks. Une enquête
judiciaire visant notamment Infantino et Lauber est
en cours en Suisse.
L’une de ces rencontres clandestines a eu lieu le 8
juillet 2015, deux mois avant le lancement de l’enquête
judiciaire au sujet du «paiement différé». Dans un
rapport disciplinaire, l’autorité de surveillance du
parquet fédéral écrit que Gianni Infantino, à l’époque
secrétaire général de l’UEFA, «envisageait alors une
candidature à la présidence de la Fifa et avait intérêt
à se renseigner pour savoir si les procédures» du
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parquet fédéral visant la Fifa «n’étaient pas dirigées
contre lui et étaient dirigées contre deux concurrents
directs», c’est-à-dire Sepp Blatter et Michel Platini.
Mais il n’y a, à ce stade, aucun élément matériel
connu montrant que Gianni Infantino aurait bénéficié
d’informations privilégiées ou qu’il aurait œuvré avec
Michael Lauber contre Michel Platini.
Selon l’avocate de la Fifa, le procureur extraordinaire
chargé de l’enquête sur les rencontres secrètes a
d’ailleurs «écrit noir sur blanc» au tribunal pénal
fédéral chargé de juger Platini et Blatter, pour indiquer
aux juges qu’«il n’a pas constaté de lien entre son
instruction et la procédure qui concerne les deux
millions». «Il faudra bien que la défense finisse par
accepter cette réalité», ajoute MeHohl-Chirazi.
« La défense est en mesure de démontrer en détail
que la procédure engagée contre M. Platini était
motivée par des considérations politiques, dans le
but de l'empêcher de devenir président de la Fifa »,
rétorque l’avocat de l’ancien numéro 10 des Bleus,
Dominic Nellen.
Le procureur du parquet fédéral Olivier Thormann, qui
a lancé l’enquête contre Platini et Blatter, a été
soupçonné d’avoir participé, en juin 2017, à l’une des
rencontres secrètes avec Infantino. Mais il a quitté son
poste en 2018. Et les deux procureurs qui ont repris
le dossier, Thomas Hildbrand et Krisztina Balogh,
ont jugé les faits suffisamment graves pour renvoyer
Michel Platini sur le banc des prévenus.
Boite noire
Mise à jour. Cet article a été modifié pour ajouter les
réponses de l'avocat de Michel Platini, que nous avons
reçues après publication.
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