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MUSIQUES MINEURES, MUSIQUES PENSANTES

Frédéric Bisson, Frédéric Bisson, Pascal Houba

Association Multitudes | « Multitudes »

2012/4 n° 51 | pages 184 à 186


ISSN 0292-0107
ISBN 9782916940854
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-multitudes-2012-4-page-184.htm
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Mineure 51
Musiques-
f(r)ictions
Les « musiques mineures » sont
des musiques-fictions, en un sens voisin
de la « science-fiction ». Elles refont
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musicalement le monde réel à l’image
des récits syncrétiques qu’elles produisent,
alternatifs, mythologiques, futuristes
ou « rétrogardistes ». Ces fictions
ne sont pas les opiums des minorités
aliénées, elles introduisent au contraire
de la friction dans la fluidité
des rapports de pouvoir, du battement
dans l’unisson de la pensée dominante.
Musiques mineures,
musiques pensantes
Frédéric Bisson
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La musique pense. Outre l’immédiateté du plai- rie par les pouvoirs (religieux, politiques, éco-
sir qu’elle peut procurer, elle n’est pas seulement nomiques, médiatiques) qu’elle sert, la création
un objet d’appréciation sensible. La perspective musicale majoritaire peut bien se complaire
de l’auditeur qui domine notre perception de dans une abstraction de rigueur et contempler
la musique constitue un obstacle cognitif. On les êtres musicaux à la manière de Pythagore,
peut prendre sur elle une autre perspective. comme des êtres mathématiques dont l’har-
Penser la musique en musicien et non en audi- monie n’est pas affectée par les luttes terrestres.
teur exige en effet d’entrer dans l’intériorité Mais il en va autrement des musiques mineures,
de la musique, au lieu de la goûter du dehors c’est-à-dire des musiques par lesquelles les
dans son fauteuil. Une telle connaissance n’est minorités étouffées inventent un mode d’ex-
pas strictement technique, musicologique. Une pression qui est tout à la fois un mode de vie.
tonique, un accord, un rythme ou une sonorité Tous les esclaves depuis Spartacus ont appris
timbrée ne sont pas de pures formes, mais sont à se révolter en refondant le fer de leurs chaînes
inséparables d’un sens extra-musical qui passe pour se forger des armes ; ainsi le cuivre
en eux, et qu’ils agencent en musique. du saxophone est-il porté à ébullition et tra-
En faisant rendre à la gamme diatonique vaillé par le souffle des jazzmens, Albert Ayler,
des notes « bleues » hallucinées, c’est avec l’Oc- Pharoah Sanders, Archie Shepp.
cident conquérant et colonial que le Blues Si la musique pense, elle pense musi-
lutte, en pliant ses forces sur elles-mêmes. calement. Elle n’a pas besoin pour cela des
La pensée musicale est d’autant plus vivante ressources extrinsèques du texte ou du dis-
qu’elle répond davantage à une nécessité, non cours qui la surcode. C’est une pathologie de
seulement psychologique, mais sociale. Nour- la musique institutionnalisée que d’être absor-

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bée dans un commentaire infini. Au contraire, ment parce qu’il a tactiquement besoin que les
la voix de Billie Holiday pense d’abord en tant gens ne pensent pas. En ce sens, l’hommage ne
que voix et non essentiellement par les mots peut consister qu’à penser avec ces musiques
qu’elle chante. Par son grain, elle pense en vivantes. Les contre-fictions imaginées par le
affects la même réalité sociale que l’on peut free-jazz des années 1960 (Sun Ra, Anthony
penser en concepts. Les musiques mineures Braxton) constituent bien sûr un prototype de
sont ontologiquement politiques, c’est-à-dire pensée musicale. Ces fictions n’appartiennent
par ce qu’elles sont, du fait même qu’elles exis- pas seulement à l’histoire mythique du jazz, ce
tent, et non pas d’abord par ce qu’elles disent sont des œuvres actives d’imagination qui se
ou par ce qu’on leur fait dire dans le métalan- perpétuent aujourd’hui dans des hétérotopies
gage qui les dématérialise. urbaines, comme à New York au coin de l’ave-
Le présent dossier se veut un hommage nue C et de la 2e Rue. Mais ce dossier a pour but
à ces musiques mineures, plurielles et inas- de tracer une ligne volcanique qui puisse relier
similables. De telles musiques sont indis- ce modèle à d’autres formes aussi extrêmes
solublement politiques et pensantes. Elles d’engagement musical (notamment le punk
sont politiques précisément dans la mesure hardcore ou le rock dit « industriel »), dans une
où elles pensent. Si le pouvoir qui l’investit sorte de généalogie barbare.
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transforme la musique en objet de plaisir ou
de contemplation désintéressée, c’est précisé- Dossier coordonné par Frédéric Bisson & Pascal Houba

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