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LA CONSTITUTION BRITANNIQUE : CONTINUITÉ ET CHANGEMENT

Quelques réflexions sur la Constitution britannique et son évolution à l'occasion de


la publication des Mélanges en l'honneur de Vernon Bogdanor

Iris Nguyên-Duy

Presses Universitaires de France | « Revue française de droit constitutionnel »

2014/3 n° 99 | pages 581 à 606


ISSN 1151-2385
ISBN 9782130629313
DOI 10.3917/rfdc.099.0581
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La Constitution britannique : continuité et changement
Quelques réflexions sur la Constitution britannique
et son évolution à l’occasion de la publication
des Mélanges en l’honneur de Vernon Bogdanor

IRIS NGUYÊN-DUY*

En 2009, le professeur émérite titulaire de la chaire de « politique


et gouvernement » à l’Université d’Oxford, expert de la Constitution
britannique, Vernon Bogdanor1, publiait un ouvrage très vite consi-
déré comme un « classique », The New British Constitution, dans lequel
il affirmait que la Constitution traditionnelle (the old Constitution) telle
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qu’elle avait été analysée par Dicey et Bagehot à la fin du xixe siècle
avait été remplacée par une nouvelle en ce début de xxie siècle. L’adhésion
du Royaume Uni à la CEE en 1973, les changements constitutionnels
qui ont marqué le Royaume-Uni depuis la fin des années 19902 ont été
si radicaux qu’ils ont contribué, d’après Bogdanor, à l’émergence d’un
nouvel ordre constitutionnel.
En 2003, Vernon Bogdanor dirigeait le premier ouvrage scienti-
fique et interdisciplinaire ayant pour thème la Constitution britan-
nique au xxie siècle, avec des contributions de spécialistes en histoire,
droit et science politique, comme Geoffrey Marshall, Rodney Brazier,
Jeffrey Jowell, David Feldman, Martin Loughlin, Brigid Hadfield et Ian

* Iris Nguyên-Duy, Docteur en droit public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,


l’auteure de cet article est actuellement post-doctorante à la faculté de droit de l’Université
d’Oslo. Elle a consacré sa thèse à la souveraineté parlementaire britannique et oriente ses re­
cherches vers les défis auxquels le parlement norvégien est confronté en ce début de xxie siècle :
I. Nguyên-Duy, La souveraineté du Parlement britannique, Paris, L’Harmattan, 2011.
1. Le professeur Bogdanor s’est intéressé, dès les années 1970, au processus de dévolution,
aux conventions constitutionnelles, à la Monarchie mais surtout aux réformes constitution-
nelles en général et à la participation populaire et à la représentation proportionnelle pour
les élections à la Chambre des Communes en particulier. Voir, entre autres : V. Bogdanor, De­-
volution in the United Kingdom, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; V. Bogdanor, « The
English Constitution and Devolution », The Political Quarterly, 1979, vol. 50, n° 1, pp. 36-49 ;
V. Bogdanor, Power and the People. A Guide to Constitutional Reform, London, Victor Gollancz,
1997.
2. Le gouvernement de Tony Blair a inauguré en 1997 une ère de réformes constitu-
tionnelles qui ne cesse de s’amplifier à ce jour.

Revue française de Droit constitutionnel, 99, 2014


582 Iris Nguyên-Duy

Loveland3. Dix ans après, à l’occasion de son 70e anniversaire, onze experts
de la Constitution britannique (dont Dawn Oliver, Joseph Jaconelli,
David Feldman, Peter Riddell et Richard Gordon QC), mais aussi un
constitutionnaliste français (Denis Baranger4), lui ont rendu hommage
dans des Mélanges coordonnés par celui qui est considéré comme le spé-
cialiste international des référendums, Matt Qvortrup5. L’étude de la
Constitution britannique est un sujet extrêmement difficile à appréhender
dans sa globalité. Ancrée dans une histoire, une culture et des traditions
diverses, elle requérait tant l’approche doctrinale de spécialistes qu’une
analyse transdisciplinaire par des historiens, des constitutionalistes et des
politologues qui, joignant leurs forces, ont apporté un éclairage actualisé
à la Constitution britannique.
L’intitulé des Mélanges Bogdanor condense, avec une simplicité
magistrale, les caractéristiques essentielles de la Constitution britannique
en deux mots : continuité et changement.
Bien que certains auteurs aient tenté autrefois de réfuter son existence
(Alexis de Tocqueville ou Thomas Paine, par exemple6), personne ne doute
aujourd’hui que la Constitution britannique est une réalité7. Mais c’est
une réalité non écrite dont il s’agit, ou plus exactement, non codifiée,
puisqu’elle ne se trouve pas figée dans un document écrit unique8. Il est
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aujourd’hui communément accepté qu’elle soit constituée d’un ensemble
de lois, de conventions constitutionnelles, de pratiques et de principes,
tels que la souveraineté du Parlement britannique et l’État de droit.
La nature même de la Constitution britannique rend délicat, voire
impossible, tant sa définition précise (I) que l’identification des chan-
gements constitutionnels dont elle fait l’objet et leur contrôle par le
Parlement dans le cadre du processus démocratique (II). Pourtant il
semble qu’émerge aujourd’hui une nouvelle façon de penser le droit et la

3. V. Bogdanor (ed.). The British Constitution in the Twentieth Century, Oxford, Oxford
University Press, 2003.
4. D. Baranger, Ecrire la Constitution non-écrite : une introduction au droit politique britan-
nique, Paris, Puf, « Léviathan », 2008. Une version française de la contribution du pro-
fesseur Baranger  aux Mélanges Bogdanor est disponible en ligne : D. Baranger, « Sur la
manière française de rendre la justice constitutionnelle », Jus Politicum n° 7, 2012, http://
www.juspoliticum.com/Sur-la-maniere-francaise-de-rendre.html, site consulté en août 2013.
5. M. Qvortrup (ed.), The British Constitution. Continuity and Change. A festschrift for Vernon
Bogdanor, Oxford, Hart Publishing, 2013.
6. A. De Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1848, http://www.gutenberg.org/files
/30513/30513-h/30513-h.htm, site consulté en août 2013 ; T. Paine, Rights of Man, 1791,
vol. II., chap. 4, http://www.constitution.org/tp/rightsman2.htm, site consulté en août 2013.
7. Toutefois, avant l’adoption du Human Rights Act de 1998, il aurait été difficile de lui
appliquer à la lettre l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen française
de 1789 selon lequel « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni
la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » Le Bill of Rights de 1689
est néanmoins considéré comme faisant partie de la Constitution britannique.
8. À l’instar du Royaume Uni, Israël et la Nouvelle Zélande sont les seules démocraties
n’ayant pas de véritable Constitution écrite.
La Constitution britannique : continuité et changement 583

Constitution au Royaume-Uni, qui résulterait sinon en un changement


paradigmatique, tout au moins en une codification de la Constitution
britannique.

I – L’impossible dÉfinition de la Constitution


britannique ?

Le concept britannique de Constitution est mystérieux et fascinant


justement parce qu’il est difficile à saisir, voire « insaisissable », et que
son contenu est impermanent/mouvant. Ainsi David Butler débute sa contri-
bution aux Mélanges Bogdanor par un constat fondamental : « Toutes les
Constitutions évoluent – mais une Constitution non écrite évolue dans
l’ombre9. » Effectivement, Dicey remarquait déjà, dans son Introduction to
the Study of the Law of the Constitution, que

« [le commentateur ou professeur anglais] peut parcourir le statute-book


d’un bout à l’autre ; il n’y trouvera pas une seule loi contenant les articles de la
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constitution ; il ne possédera pas de critérium lui permettant de distinguer les
lois constitutionnelles ou fondamentales des lois ordinaires […] [S]’il n’a pas
la chance de rencontrer un guide pour diriger ses pas, il trouvera que le
domaine appelé droit constitutionnel forme un maquis où l’explorateur est
sans cesse arrêté par l’erreur, le préjugé et la convention10. »
Une première difficulté, immédiate, mais peut-être aussi nécessaire
pour maintenir (ce qui fait) son essence et sa force, est qu’il n’existe pas de
définition claire et précise de ce qu’est la Constitution britannique, ni de
son contenu. L’explication pragmatique du professeur Sir Jeffrey Jowell
suffit probablement à un Britannique, mais déroute le reste du monde :
« Quand on examine la législation, on sait ce qui est constitutionnel. On

9. « All Constitutions evolve – but an unwritten Constitution evolves obscurely. » D. Butler,


« The Changing Constitution in Context », in M. Qvortrup (ed.), The British Constitution :
Change and Continuity, op. cit., p. 7.
10. Traduction française de A.V. Dicey, Introduction à l’étude du droit constitutionnel, 1902,
http://www.scribd.com/doc/52227557/Dicey-A-V-Introduction-a-l-etude-du-droit-
constitutionnel-1902, site consulté en août 2013. « He may search the statute-book from
beginning to end, but he will find no enactment which purports to contain the articles
of the constitution ; he will not possess any test by which to discriminate laws which are
constitutional or fundamental from ordinary enactments ; he will discover that the very term
“constitutional law”, which is not (unless my memory deceives me) ever employed by
Blackstone, is of comparatively modern origin. […] [H]e will find, unless he can obtain some
clue to guide his steps, that the whole province of so-called “constitutional law” is a sort of
maze in which the wanderer is perplexed by unreality, by antiquarianism, and by conventio-
nalism. » A.V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 1915, http://oll.
libertyfund.org/?option=com_staticxt&staticfile=show.php%3Ftitle=1714 &chapter=14211
5&layout=html&Itemid=27 Site consulté en août 2013.
584 Iris Nguyên-Duy

n’est pas forcément capable de le définir, mais on le sait quand on le voit. »


Celui qui s’attelle à la tâche de comprendre ce qu’est la Constitution bri-
tannique sans être un ressortissant britannique doit passer par d’autres
méthodes. Le résultat de cette enquête ouvre de nouvelles perspectives et
conduit à s’interroger sur l’apparition d’un nouveau paradigme.

A – Définir la Constitution par le fond ou par la forme ?

Une Constitution est, en règle générale, un document écrit, rassem-


blant les règles constitutionnelles d’un pays et rédigé lors de la conver-
gence de circonstances historiques et politiques particulières. Pour des
raisons essentiellement historiques et politiques, le Royaume-Uni n’a pas
de Constitution se présentant sous la forme d’un document écrit unique.
Constitution non-écrite, ou, plus exactement, partiellement écrite ou
codifiée, elle est une Constitution dite « politique ».
En l’absence de Constitution écrite, on pourrait a priori penser que la
Constitution ne soit définissable que matériellement, en fonction de cri-
tères de fond. Paradoxalement, c’est parce qu’il est difficile d’identifier son
contenu exact qu’il est, dans un premier temps, plus aisé de ne décrire que
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les catégories « formelles » de « normes » entrant dans la composition de
la Constitution (lois, conventions, common law, etc.) et ses caractéristiques
essentielles en deux mots : tradition (élément de continuité et de longé-
vité, avec l’idée d’un ancrage dans le passé) et adaptation (élément de mou-
vement, de changement et d’évolution prenant en compte l’urgence de la
situation présente, voire l’avenir, à plus ou moins long terme). Certains,
évoquant le principe constitutionnel de souveraineté parlementaire et la
procédure qui y est attachée, résument laconiquement la Constitution en
quelques mots « Ce que la Reine-en-Parlement édicte fait loi » (« What
the Queen in Parliament enacts is law »)11. D’autres affirment qu’elle est
constituée de documents écrits, « constitutionnels », rédigés entre 1215
et maintenant12. Différentes sources complètent la source prédominante,

11. Personne (pas même les cours) ne peut contester ou remettre en cause les lois votées
par le Parlement. La souveraineté du Parlement est considérée comme le principe fonda-
mental du droit britannique. Le Parlement souverain a le pouvoir de déterminer la nature de
la Constitution.
12. Pour un exemple français, voir S. Rials, J. Boudon, Textes constitutionnels étrangers, Paris,
Puf, « Que sais-je », n° 2060, 2012. Au chapitre consacré à la Grande Bretagne, on trouve : la
Grande Charte, le Statut « De tallagio non concedendo », la Confirmation de la Grande Charte,
la Pétition du droit, l’Acte d’amendement de l’Habeas corpus (1679), le Bill des droits, l’Acte
d’établissement (1701), le Parliament Act de 1911, le Parliament Act de 1949, la loi sur les
droits de l’homme de 1998, la loi sur l’Écosse de 1998, la loi sur la Chambre des Lords, la
loi de réforme de la Constitution de 2005 et la loi sur la durée déterminée des législatures
(« Fixed-term Parliaments Act 2011 »). Si cette liste était remise à jour, il faudrait rajouter le
European Union Act de 2011 et, éventuellement, le Succession to the Crown Act de 2013.
La Constitution britannique : continuité et changement 585

le Statute law, à savoir : les conventions constitutionnelles13, le Common


law, les Law and Customs of Parliament, la prérogative royale, sans oublier
l’influence du droit de l’Union européenne, de la Convention européenne
des droits de l’homme et des autres traités européens et internationaux14.
Ainsi, la Constitution britannique a évolué de telle manière que les règles
constitutionnelles qui ont vu le jour en réponse aux circonstances du
moment se sont accumulées et qu’« elles peuvent être considérées comme
le résidu d’un processus historique avec des lois et conventions parti-
culières incorporées à la suite d’événements importants15 ».
Si de nombreux constitutionnalistes ont tenté de définir ce qui
peut être considéré comme « constitutionnel », le pouvoir judiciaire et
le Parlement ont fait de même, mais en se concentrant sur son aspect
matériel.
Ainsi, dans un arrêt très remarqué de 2002, Thoburn v. Sunderland City
Council, le Lord Justice Laws a déclaré qu’il fallait distinguer entre deux
sortes de normes : les lois ordinaires et les lois constitutionnelles. Une
loi constitutionnelle est une loi qui « (a) conditionne la relation juri-
dique entre le citoyen et l’État d’une manière générale et principielle ou
(b) étend ou diminue la portée de ce que nous considérons maintenant
comme des droits constitutionnels fondamentaux16 ». Précisant que le
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statut particulier des lois constitutionnelles résulte du statut spécial
des droits constitutionnels, il cite comme exemples : la Magna Carta, le
Bill of Rights de 1689, l’Acte d’Union, les Reform Acts qui ont distribué
et élargi le droit de suffrage, le Human Rights Act, le Scotland Act 1998 et
le Government of Wales Act de 1998. Il précise également que le European
Comunities Act appartient clairement à cette famille.

13. En l’absence de Constitution codifiée, les conventions constitutionnelles, en tant que


règles non juridiques (non-legal rules), sont une source très importante de la Constitution bri-
tannique et jouent un rôle crucial dans la compréhension des mécanismes et du fonctionne-
ment de la Constitution. Sur les conventions constitutionnelles, voir G. Marshall, Constitutional
Conventions : The Rules and Forms of Political Accountability, Oxford, Oxford University Press,
1987 ; P. A. Morton, « Conventions of the British Constitution », Holdsworth Law Review,
1991-1992, vol. 15, pp. 114-80 ; R. Wilson, « The Robustness of Conventions in a Time of
Modernisation and Change », Public Law, 2004, pp. 407-420.
14. P. Leyland, The Constitution of the United kingdom. A Contextual Analysis, Oxford, Hart
Publishing, 2012, chap. 2.
15. « […] they can be regarded as the residue of a historical process with particular laws and
conventions incorporated following significant events. » Ibidem, p. 11.
16. « We should recognise a hierarchy of Acts of Parliament : as it were «ordinary» sta-
tutes and «constitutional» statutes. The two categories must be distinguished on a principled
basis. In my opinion a constitutional statute is one which (a) conditions the legal relationship
between citizen and State in some general, overarching manner, or (b) enlarges or diminishes
the scope of what we would now regard as fundamental constitutional rights. […] The special
status of constitutional statutes follows the special status of constitutional rights. Examples
are the Magna Carta, the Bill of Rights 1689, the Act of Union, the Reform Acts which dis-
tributed and enlarged the franchise, the HRA, the Scotland Act 1998 and the Government of
Wales Act 1998. The ECA clearly belongs in this family. » Thoburn v. Sunderland City Council
[2002] EWHC 195 Admin, § 62.
586 Iris Nguyên-Duy

Après avoir constaté que la Constitution était en flux ou en évolution


constante (« in flux », « constantly evolving ») et qu’il n’existait pas de liste
unique, acceptée et reconnue des lois qui forment la partie écrite de la
Constitution, le comité constitutionnel de la Chambre des Lords a donné
une définition de la Constitution dans son premier rapport. C’est :

l’ensemble des lois, des règles et des pratiques qui créent les institutions fon-
damentales de l’État, et ses éléments et pièces connexes, et précisent les pouvoirs
de ces institutions et les relations entre les différentes institutions et entre les
institutions et les individus17.
Il a ajouté à cette « définition de travail » la liste des cinq principes de
base sur lesquels le système juridique britannique repose : 1) la souveraineté
de la Couronne-en-Parlement, 2) l’État de droit, qui inclut les droits de la
personne, 3) l’Union des quatre pays ou nations, Angleterre, Ecosse, pays
de Galles, Irlande du Nord (the Union State), 4) le gouvernement représen-
tatif, 5) l’adhésion au Commonwealth, à l’Union européenne et à d’autres
organisations internationales. Dix ans après, le même comité estime que sa
définition a fait ses preuves et a surmonté l’épreuve du temps.
Une difficulté majeure est que ces définitions et ces catégorisations
restent superficielles et n’aident pas particulièrement à distinguer ce qui est
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constitutionnel de ce qui ne l’est pas lorsque l’on se trouve face à des pans
entiers de législations longues et détaillées. Parfois, seules quelques dispo-
sitions législatives au sein d’une loi ont valeur constitutionnelle. L’exemple
classique que donne généralement Vernon Bogdanor est celui de la légis-
lation sur le système électoral. Si le droit de vote est très certainement un
droit politique fondamental, et donc constitutionnel, peut-on en dire autant
de toutes les dispositions de la loi qui règlent des questions de procédure en
matière d’organisation électorale (décompte des votes, détermination de la
carte électorale, etc.) ? En matière de dévolution, il a été constaté à la lecture
de la cinquième annexe du Scotland Act de 1998, portant sur les matières
réservées au Parlement britannique, que, bien que cinq matières soient énu-
mérées, elles ne permettent pas, en tant que telles, de savoir à quelles lois il
faut se référer, ni d’identifier ce qui y est vraiment constitutionnel.
Au vu de la fréquence actuelle des changements constitutionnels et
de leur forme, n’est-on pas témoins de l’émergence d’un nouveau para-
digme pour la Constitution britannique modifiant tant sa définition que
sa nature ?

17. « […] The set of laws, rules and practices that create the basic institutions of the state,
and its component and related parts, and stipulate the powers of those institutions and the
relationship between the different institutions and between those institutions and the indi-
vidual. » House of Lords Constitution Committee, Reviewing the Constitution. Terms of reference
and method of working, (2001), 1rst Report, Session 2001-2002, HL Paper 11, http://www.
publications.parliament.uk/pa/ld200102/ldselect/ldconst/11/1103.htm#note11, site consulté
en août 2013.
La Constitution britannique : continuité et changement 587

B – Émergence d’un nouveau paradigme ?

De par son ampleur, sinon toujours qualitative, au moins quantitative,


l’ère des réformes constitutionnelles engagées dès la fin des années 1990
nous oblige à nous interroger sur la nature de la Constitution, sa place,
son statut dans le système politique et constitutionnel britannique, afin
de comprendre si nous sommes actuellement face à un changement révo-
lutionnaire de paradigme ou dans une phase uniquement transitoire.

1 – D’une Constitution politique à une Constitution juridique ?


En théorie, une Constitution constitue, dans les démocraties modernes
et contemporaines, le fondement du contrat social entre les individus
(Locke, Kant) et d’un ordre juridique stable, propice à la bonne gou-
vernance. Elle joue un rôle symbolique et instrumental. Elle est censée
être le miroir structurant de la société qu’elle régit. Au Royaume-Uni, à
défaut d’être inscrite dans un document unique, la Constitution semble
reposer sur le soutien et la reconnaissance diffus qui lui sont accordés par
l’ensemble des acteurs politiques. Elle tire sa légitimité de la façon dont
elle a évolué au fil du temps, de sa souplesse et de sa rapidité d’adaptation
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aux circonstances et aux besoins de la société.
Les constitutionnalistes distinguent généralement entre les concepts
de « Constitution politique » et celui de « Constitution juridique »
et présentent traditionnellement la Constitution britannique comme
étant essentiellement politique. Mais l’évolution de ces dernières années
laisse à penser qu’un processus s’est enclenché, allant dans le sens d’une
Constitution plus juridique.
La Constitution britannique est traditionnellement décrite comme
étant une Constitution politique. De nombreux auteurs ont expliqué ce
qu’était la Constitution britannique au sens de Constitution politique.
Pour Eric Barendt, « [l] a Constitution est [...] intensément politique
en ce que son interprétation et son développement dépend, dans bien
des contextes, autant de la manipulation et des manœuvres des partis
politiques et de leurs dirigeants que de la sagesse des juges18 ». Selon
Adam Tomkins, « une constitution politique est celle dans laquelle ceux
qui exercent le pouvoir politique (disons le gouvernement) sont constitu-
tionnellement tenus de rendre des comptes, par des moyens politiques,
et par le biais des institutions politiques (par exemple, le Parlement) ».
En revanche, avec une constitution juridique, « le principal moyen et
la principale institution en vertu desquels le gouvernement est tenu de
18. « The Constitution is […] intensely political in that its interpretation and development
depends in many contexts as much on the manipulation and manoeuvres of political parties
and their leaders as on the wisdom of judges. » E. Barendt, « Is there a United Kingdom
Constitution? », Oxford Journal of Legal Studies, 1997, pp. 137-146, p. 137.
588 Iris Nguyên-Duy

rendre compte reposent sur le droit et la salle d’audience des cours19 ».


Selon Richard Bellamy, une constitution politique démocratique « crée
des mécanismes d’équilibre politique et de responsabilité politique qui
incitent les hommes politiques à prendre en compte les jugements et à
satisfaire les intérêts de ceux qu’ils gouvernent20 ».
Toutefois, l’analyse de John Griffith reste la référence en la matière,
bien qu’il n’offre à aucun moment (comment le pourrait-il ?) une défi-
nition très précise de la Constitution politique. En effet, d’après Griffith,
c’est une expression qui recouvre toutes les normes non juridiques en
vigueur qui régissent le système politique et constitutionnel britannique.
La Constitution britannique « vit, changeant de forme de jour en jour, car
elle n’est ni plus, ni moins que ce qui arrive21 », alors qu’une Constitution
juridique « fournit des règles fortes et détaillées sur le caractère, le
contenu et le fonctionnement de la Constitution, dont, par exemple, les
règles énonçant quels droits inclure dans une déclaration des droits écrite
et sur quels fondements s’exerce le contrôle de constitutionnalité22 ».
Pour les partisans de la Constitution politique, la principale objec-
tion à une Constitution juridique et écrite est « que le droit n’est pas
et ne peut être un substitut à la politique23 ». L’absence de cadre (ou
d’instrument) juridique spécialisé, l’absence de séparation nette entre les
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pouvoirs et de protection spéciale des droits et liberté (malgré l’adoption
du Human Rights Act en 1998), l’absence de procédures spéciales pro-
tégeant la Constitution de changements intempestifs, la prédominance
du Gouvernement, sinon en droit, en fait, et, bien entendu, l’absence
d’un document unique à valeur supérieure aux lois ordinaires sont autant
d’éléments laissant à penser que la Constitution britannique n’est point
19. « A political constitution is one in which those who exercise political power (let us
say the government) are held to constitutional account through political means, and through
political institutions (for example, Parliament). » ; « the principal means, and the principal
institution, through which the government is held to account is the law and the court-room. »
A. Tomkins, Public Law, Oxford, Oxford University Press, 2003.
20. « Institutionalize mechanisms of political balance and political accountability that pro-
vide incentives for politicians to attend to the judgments and interests of those they govern. »
R. Bellamy, Political Constitutionalism : A Republican Defence of the Constitutionality of Democracy,
Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
21. J.A.G. Griffith, « The Political Constitution », Modern Law Review, 1979, vol. 42 (1),
pp. 1-21, p. 19.
22. « [A legal constitution] provides detailed and strong prescriptions as to the basic char-
acter, content and workings of the constitution, including, for example, prescriptions on
which rights to include in a written bill of rights and on which grounds to exercise judicial
review. » G. Gee, G.C.N. Webber, « What is a Political Constitution? », Oxford Journal of
Legal Studies, 2010, vol. 30 (2), pp. 273-299, p. 286.
23. « That law is not and cannot be a substitute for politics. […] For centuries political
philosophers have sought that society in which government is by law and not by men. It is
an unattainable ideal. Written constitutions do not achieve that. » J.A.G. Griffith, « The
Political Constitution », op. cit., p. 16. Bien entendu, une constitution écrite n’est qu’un aspect
formel de la Constitution juridique, qui offre surtout des mécanismes juridiques permettant
de limiter et contrôler l’exercice du pouvoir par les gouvernants (par exemple, le contrôle de
constitutionalité des lois).
La Constitution britannique : continuité et changement 589

juridique, mais politique. En l’absence de Constitution codifiée, les méca-


nismes informels et les conventions constitutionnelles, en tant que règles
non juridiques (non-legal rules), restent une source très importante de
la Constitution britannique et continuent de jouer un rôle crucial dans la
compréhension des mécanismes et du fonctionnement de la Constitution
en général et dans la régulation du comportement des acteurs politiques en
particulier. En effet, selon Peter Leyland, « [e] n général, les conventions
rendent bien service à la Constitution en comblant le vide [qui existe]
entre la formalité constitutionnelle, en définissant ce que les acteurs
doivent faire pour que la Constitution fonctionne, et la réalité politique,
en déterminant comment tel comportement pourrait être modifié pour
tenir compte de l’évolution des circonstances24. » David Feldman explique,
quant à lui, ce qui rend « constitutionnelles » ces normes non juridiques :
« C’est la tradition, et non le droit, qui forme le cœur et l’essence de la
Constitution. Les conventions constitutionnelles sont une expression-clé
de cette tradition et elles donnent sa légitimité à la Constitution. » Il
poursuit en précisant le rôle des conventions constitutionnelles :

« Le concept classique de “convention” couvre un large éventail de différents


types de normes non juridiques et de déclarations sur l’utilité de certaines pra-
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tiques. Elles sont constitutionnelles lorsqu’elles portent sur les institutions
de l’État, soit pour les créer (comme dans le cas du Cabinet), les gérer ou les
guider dans leurs relations avec les autres institutions étatiques. Une convention
constitutionnelle est enracinée dans une tradition constitutionnelle : les plus
importantes représentent comme des solutions pour résoudre un conflit entre
principes constitutionnels contradictoires ; les moins importantes (tels que les
déclarations sur les méthodes de travail efficaces) sont neutres à l’égard des prin-
cipes constitutionnels25. »

24. « In general conventions have served the constitution well in filling a gap between
constitutional formality, in the sense of defining what the actors should do to make the
constitution work, and political reality, in the sense of determining how such conduct might
be modified to take account of changing circumstances. » P. Leyland, The Constitution of the
United Kingdom, op. cit., p. 42.
25. D. Feldman, « Constitutional Conventions », in M.  Qvortrup (ed.), The British
Constitution : Continuity and Change, op. cit., pp. 93-119. Il explique en effet : « It is tradition,
not law, which is the core and essence of the Constitution. Constitutional conventions are a
key expression of that tradition and they provide legitimacy to the Constitution. » (p. 95) ;
« The classical concept of “convention” covers a wide range of types of non-legal norms and
statements of useful practices. They are constitutional if they concern institutions of the State,
whether by constituting them (as in the case of the Cabinet), managing them or guiding
their relationships with other institutions of the State. A constitutional convention is rooted
in a constitutional tradition : important ones represent judgements as to the weighting of
conflicting constitutional principles ; less important ones (such as statements of efficient
working practices) are neutral as between constitutional principles. » (pp. 118-119). Notons
néanmoins que les conventions constitutionnelles sont différentes des normes écrites à bien
des égards. Il ne faut pas oublier que, loin de confirmer certaines règles constitutionnelles
formelles, certaines conventions, dont quelques-unes parmi les plus importantes, les contre-
disent et/ou jouent un rôle bien différent. Ibidem, p. 112.
590 Iris Nguyên-Duy

Divers éléments permettent néanmoins à une majorité émergente de


constitutionnalistes, dont Vernon Bogdanor et Richard Gordon, de sou-
tenir que la conception classique de la Constitution britannique semble
être sur le déclin ou, tout au moins, qu’un processus transitoire est
enclenché, depuis quelques années déjà. La notion de Constitution poli-
tique évoluerait progressivement vers une Constitution plus « juridique »
ou « normative »26 (from political to legal Constitution). Plus précisément, le
point d’équilibre qui avait été trouvé entre « Constitution politique » et
« Constitution juridique », avec une prédominance très nette en faveur
de la Constitution politique, paraît se déplacer. Il est, en effet, possible
d’observer un phénomème de « juridicisation » constitutionnelle (consti-
tutional juridification), de « constitutionnalisation » (constitutionalisation),
selon lequel l’action des pouvoirs publics est de plus en plus exercée et
soumise aux normes, principes, valeurs et procédures « constitution-
nels27 ». On assiste à une certaine « rigidification » de la Constitution,
du fait du recours à la forme écrite (lois, statutes) de plus en plus fréquent.
Le Statute law joue un rôle important au vu des multiples lois récentes
réformant différents aspects de la Constitution. Plus simplement, l’usage
de l’écrit, sous forme de codes, guides, etc., permet de clarifier le contenu
et l’application de certaines conventions constitutionnelles28.
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Il est néanmoins prématuré de conclure au passage d’une Constitution
politique à une Constitution juridique, bien que cet espoir ait nourri de
nombreux idéalistes au début de la vague de réformes constitutionnelles
entreprises par le parti travailliste dès 1997. Peut-on vraiment parler de
changement de paradigme lorsque ce qui fait l’essence de la Constitution
reste identique, malgré tous les changements effectués ?
Bien qu’il explique que la définition que l’on donne de la Constitution
ait sensiblement évolué des années 1950 à nos jours, David Butler
confirme que la plupart des éléments essentiels de la Constitution ont
survécu et que le changement est souvent passé inaperçu29.

26. Le professeur Dawn Oliver est d’un avis contraire : « Much has not changed since
Griffith’s article. » ; « Griffith’s political constitution is still going strong : but within the
Coalition it is less party-based and less secret than it was. » – D. Oliver, « The Politics-
Free Dimension to the UK Constitution », in M. Qvortrup (ed.), The British Constitution :
Continuity and Change, op. cit., pp. 70, 92. Voir également J. Beatson, op. cit., p. 71.
27. M. Loughlin, « What is Constitutionalisation? », in P. Dobner, M. Loughlin (ed.), The
Twilight of Constitutionalism, Oxford, Oxford University Press, 2010. Écouter également le
podcast (en anglais) de M.  Loughlin, « What is Constitutionalization ? / Qu’est-ce que la
constitutionnalisation ? », http://juspoliticum.com/Qu-est-ce-que-la.html, site consulté en
août 2013.
28. Voir le contexte et la raison pour lesquels le Parliament Act de 1911 a été adopté,
par exemple. Pour une presentation des différentes méthodes pour transformer une conven-
tion constitutionnelle en norme juridique, voir J. Jaconelli, « Conventions : Continuity and
Change », op. cit., pp. 136-138.
29. D. Butler, « The Changing Constitution in Context », op. cit., p. 12, 16.
La Constitution britannique : continuité et changement 591

Comme l’expliquent également Vernon Bogdanor et Matt Qvortrup,


rien ne s’est (encore ?) réellement matérialisé : le système de la politique
d’opposition (adversary politics) n’a pas été ébranlé, le pouvoir n’a pas
été redistribué vers le bas, mais entre les élites et les réformes constitu-
tionnelles en général n’ont pas donné aux juges non élus un rôle plus
important30.
Nous pensons qu’il ne devrait pas être nécessaire de distinguer entre
Constitution politique et Constitution juridique. Il faut effectivement
comprendre, comme le sous-entendait Griffith en 1979 et comme
le soutiennent Graham Gee et Grégoire Webber, que les notions de
« Constitution politique » et « Constitution juridique » ne sont pas
alternatives, ni exclusives l’une de l’autre, dans le cas du Royaume-Uni,
mais, au contraire, cumulatives ou complémentaires. Elles représentent
les deux faces d’une même médaille31.
En conclusion, il n’est pas envisageable de soutenir qu’il y a, à l’heure
actuelle, émergence d’un nouveau paradigme – on reste, tout au plus,
dans un processus transitoire, que les auteurs tentent d’enfermer dans
des catégories/classifications variées. Leurs analyses mettent l’accent
sur la complexité de la Constitution britannique et ses multiples
dimensions.
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2 – Les nouvelles dimensions de la Constitution britannique
Face aux multiples facettes de la Constitution britannique, les auteurs
s’essaient à catégoriser ou re-catégoriser certaines lois ou phénomènes à
valeur constitutionnelle.
Ainsi Matt Qvortrup suggère que les lois sur la dévolution à l’Ecosse,
à l’Irlande du Nord et au pays de Galles sont autant de « constitu-
tions intermédiaires de facto » (de facto proxy constitutions32). Il fonde son
argumentation sur la déclaration de Lord Bingham dans l’arrêt de la
Chambre des Lords de 2002, Robinson v. Secretary of State for Northern
Ireland : « La loi de 1998 ne répertorie pas toutes les dispositions cons-
titutionnelles en vigueur en Irlande du Nord, mais elle est de facto
une Constitution33. » Ce principe a été repris et appliqué dans l’arrêt
AXA General Insurance Ltd. V. The Lord Advocate par Lord Hope qui
affirme que « [l] e pouvoir législatif du Parlement écossais n’est pas

30. M. Qvortrup, « “Let me Take You to a Foreign Land” », in M.  Qvortrup (ed.), The
British Constitution : Continuity and Change, op. cit., p. 58 sq.
31. G. Gee, Webber, G.C.N., « What is a Political Constitution ? », Oxford Journal of Legal
Studies, 2010, vol. 30 (2), pp. 273-299, p. 286, 290, 299.
32. M. Qvortrup, « “Let me Take You to a Foreign Land” », op. cit., p. 61.
33. [2002] UKHL 32, § 11, Lord Bingham : « The 1998 Act does not set out all the consti-
tutional provisions applicable to Northern Ireland, but it is in effect a Constitution. »
592 Iris Nguyên-Duy

sans limite. Il ne peut pas faire et défaire les lois comme il l’entend34 » -
sous-entendant ainsi qu’il est limité par une norme supérieure à valeur
constitutionnelle.
Se concentrant sur la période où le New Labour était au pouvoir,
Matthew Flinders et Dion Curry soutiennent, quant à eux, qu’en ce
qui concerne tant la nature de la démocratie britannique, que les chan-
gements constitutionnels qui y sont liés, il n’y a pas eu passage d’un
modèle à un autre, mais que le New Labour a utilisé, depuis son arrivée
au pouvoir, une approche hybride, en appliquant non pas un, mais
deux modèles simultanément, un pour le « centre » et l’autre pour la
« périphérie ». C’est ce qu’ils appellent la « bi-constitutionnalité ». Le
New Labour a montré sa volonté d’organiser la dévolution du pouvoir
entre les différentes nations du Royaume-Uni, de renforcer les pou-
voirs des autres acteurs constitutionnels vis-à-vis de l’Exécutif, entre
autres, « dans le sens d’un « modèle de démocratie plus pluraliste et
consensuel » (a move towards a more pluralist and more consensual model
of democracy), tout en restant très attaché au modèle de Westminster
en ce qui concerne ses « orientations méta-constitutionnelles35 » (meta-
constitutional orientations).
Matt Qvortrup présente également le Human Rights Act 1998 comme
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une « (semi) Constitution », comprise comme un « document qui limite
l’exercice du pouvoir aux limites posées par ce document36 », puisque,
d’après lui, le Human Rights Act limite l’omnipotence du Parlement37.
Il n’est pas improbable que les lois sur la dévolution fassent office de
Constitutions pour l’Écosse, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles. Mais
il ne faut pas oublier le niveau auquel elles s’appliquent : elles peuvent
être considérées comme autant de « mini-constitutions » ou « sous-/infra-
constitutions » par les différentes nations concernées du Royaume-Uni

34. [2011] 3 WLR 871, § 46, Lord Hope : « The Scottish Parliament’s power to legislate is
not unconstrained. It cannot make or unmake any law it wishes. » http://www.supremecourt.
gov.uk/decided-cases/docs/UKSC_2011_0108_Judgment.pdf, site consulté en août 2013.
On remarquera le contraste entre le pouvoir législatif souverain du Parlement britannique
– et la règle, énoncée par Dicey, selon laquelle le Parlement britannique peut faire et défaire
n’importe quelle loi – et celui du Parlement écossais.
35. M. Flinders, D. Curry, « Bi-constitutionality : Unravelling New Labour’s Constitutional
Orientations », Parliamentary Affairs, 2008, vol. 61 (1), pp. 99-121, p. 113.
36. M. Qvortrup, « “Let me Take You to a Foreign Land” », op. cit., p. 61, 67 : « If by
constitution we mean a document that limits the exercise of power within the confines of that
document then the Human Rights Act has many of the hallmarks of a constitution », « the
Human Rights Act 1998 has become a de facto constitution. »
37. Le Human Rights Act ne limite pas de jure le pouvoir législatif du Parlement, puisque les
cours de justice n’ont toujours pas la possibilité d’annuler une loi adoptée par Westminster.
Elles ne peuvent qu’en déclarer l’incompatibilité et le Parlement peut en prendre acte ou ne
rien faire. Voir I. Nguyên-Duy, La souveraineté du Parlement britannique, op. cit. Sur les 27 décla-
rations d’incompatibilité prononcées entre 2000 et 2010, 8 ont été renversées en appel. Les
déclarations de certains juges dans l’arrêt Jackson restent minoritaires. Voir Jackson v. Attorney
General [2006] AC 262.
La Constitution britannique : continuité et changement 593

mais ce ne sont que des lois, certes à caractère constitutionnel, faisant


partie d’un tout bien plus vaste et complexe : la Constitution britan-
nique. Par ailleurs, il est difficile de nier que le Human Rights Act ait un
caractère constitutionnel. Il n’a cependant pas les effets d’une véritable
Constitution juridique qui reconnaîtrait notamment aux cours le droit
d’écarter ou d’annuler la législation qu’elles jugent inconstitutionnelle au
nom d’une norme constitutionnelle « supérieure ».
Le professeur Dawn Oliver identifie, quant à elle, une « nouvelle
dimension » de la Constitution britannique qui contribue tant à son enri-
chissement qu’à sa complexification : une dimension de la Constitution
exempte de politique (the politics-free dimension of the Constitution) 38.
Cette théorie séduisante s’ajoute sans difficulté aux deux autres dimen-
sions de la Constitution britannique, la Constitution politique et la
Constitution juridique, et les complète, pour donner un tableau plus
complet, tridimensionnel même, de la Constitution britannique. Cette
dimension non-politique de la Constitution s’est développée, ces trente
dernières années et même avant, à la fois pour « immuniser de nombreux
domaines de l’administration publique et de l’élaboration des politiques
gouvernementale contre la “mauvaise politique” [menée par les gouver-
nants] » et pour « limiter les considérations et processus liés à la poli-
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tique de parti, subjectifs, partisans ou égoïstes lors de la prise de décision
politique39 ».
Elle rappelle un autre aspect, moins connu, de la redistribution des
pouvoirs et du dessaisissement des hommes politiques : de nombreuses
fonctions qui étaient auparavant exercées par le gouvernement ou les
ministères ont été privatisées ou transférées, soit à des agences de type
« quango » et autres organismes indépendants (arm’s length bodies), soit à
des organismes publics non ministériels comme les « tribunaux40 ». Par
ailleurs, les activités des gouvernants et de leurs collaborateurs sont de
plus en plus restreintes par des limites formelles ou procédurales, prenant,
entre autres, la forme de documents non juridiques ou opposables (soft
law documents), tels que codes (the Ministerial Code, the Cabinet Manual),
conventions, guides, memoranda. Ils sont également confrontés à la pres-
sion des médias et du grand public ou d’institutions bénéficiant d’une
certaine indépendance, comme les comités spéciaux (select committees)
au Parlement. Les cours jouent également un rôle important et « neu-
tralisateur » dans le cadre du contrôle juridictionnel (judicial review),

38. D. Oliver, « The Politics-Free Dimension to the UK Constitution », op. cit., pp. 69-92.
39. « Efforts have been made to immunise many areas of public administration and govern-
mental policy from “bad politics” », « to limit party political, subjective, partisan or selfish
considerations and processes in politicians” decision making. » Ibidem, p. 71.
40. Voir le Franks Report, Administrative Tribunals and Enquiries, 1957, Cmnd. 218 ; PASC,
Mapping the Quango State, 2000-2001, HC 367.
594 Iris Nguyên-Duy

puisqu’elles vérifient que le parti ou les intérêts partisans ne l’ont pas


emporté sur des considérations d’intérêt général, par exemple.
Ces différents constats sur la nature de la Constitution britannique
conduisent à s’interroger sur la fonction qu’elle doit remplir. Cette ques-
tion se pose notamment lorsqu’on analyse la portée des réformes constitu-
tionnelles entreprises dans un pays.

II – La rÉforme de la Constitution britannique :


changements et perspectives d’avenir

S’il est peu évident de définir la Constitution britannique, il est a


contrario relativement facile de la modifier. La souplesse (et la résilience)
de la Constitution britannique : qui est sa qualité première, a assuré sa
longévité au cours des siècles. Néanmoins, l’absence de procédure for-
melle, spécifique et prédéfinie pour modifier la Constitution présente
aussi des inconvénients.
La fréquence des changements constitutionnels introduits depuis la
fin des années 1990, ainsi que leur qualité inégale, conduit à s’interroger
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sur l’adéquation de la Constitution à la société qu’elle est censée réguler
et servir et sur la nécessité d’envisager la codification de la Constitution
britannique.

A – L’absence de procédure formelle de révision


de la Constitution : ses justifications et ses inconvénients

La raison première de cette absence de règles formelles particulières


est à trouver dans la nature même de la Constitution et dans le principe
de souveraineté parlementaire, qui continue d’être la clé de voûte des
institutions britanniques, les lois adoptées par le Parlement britannique
sont la source suprême et ultime du droit. Il en résulte que le Parlement
peut modifier la Constitution en suivant la procédure législative ordi-
naire. De plus, plusieurs aspects de la Constitution britannique ont été
et peuvent être modifiés par voie conventionnelle, par les conventions
constitutionnelles.
Certains admirent la flexibilité, la souplesse et la facilité de modi-
fier la Constitution, au coup par coup, en l’absence de procédure for-
melle, écrite ou codifiée. Pour Dicey, la Constitution britannique est
« le système politique le plus souple existant » (« the most flexible polity
in existence »).
C’est cette souplesse même qui, paradoxalement, rend le processus
bien plus complexe à décrire que lorsque des procédures écrites, plus
La Constitution britannique : continuité et changement 595

exigeantes, doivent être mises en œuvre pour modifier une Constitution


rigide.
Contrairement à l’expérience américaine, la transformation, même fon-
damentale, de la Constitution britannique s’effectue en l’absence de constitu-
tional moments41, 42, au gré des circonstances, en fonction des besoins et suivant
la forme qui convient le mieux, loi ou convention constitutionnelle. Autant
dire qu’il est également difficile d’identifier un changement constitutionnel,
puisque la révision de la Constitution s’effectue selon un processus continu,
souvent informel, plutôt qu’à la suite d’événements ponctuels de nature cons-
titutionnelle. La Constitution et les conventions constitutionnelles peuvent
même évoluer progressivement, par glissement subreptice, sans qu’aucun
acte spécifique ne soit accompli, pas même l’adoption d’une loi43.
Le système actuel se justifie tant qu’il fonctionne. Mais il présente
également des aspects qui sont de moins en moins satisfaisants.

1 – Tentative d’identification des récentes modifications substan-


tielles, matérielles de la Constitution britannique – Les raisons
d’être du système actuel
Il est difficile, voire impossible, de définir la Constitution britannique.
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Il n’est pas non plus évident d’identifier un changement constitutionnel
et d’en apprécier toute la portée.
En 2008, Pavlos Eleftheriadis écrivait :

« Nous n’avons pas, par exemple, de théorie claire de l’amendement cons-


titutionnel après Jackson44. Nous savons que c’est possible, mais nous n’avons
pas de critères clairs. La situation constitutionnelle est effectivement en pleine
mutation et il est certain qu’elle changera davantage encore lorsque le plein
effet du Constitutional Reform Act de 2005 se fera sentir. Ce sera aux cours et au

41. Sur les « constitutional moments », voir, entre autres, B. Ackerman, We, The People,
Cambridge, Massachusetts, Belknap Press of Harvard University Press, 1991.
42. Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse qui sera organisé par le Parlement écos-
sais le 18 septembre 2014 menace d’ébranler fortement la Constitution britannique. La crise
constitutionnelle qui en découlerait pourrait être considérée comme un moment constitu-
tionnel si elle résulte en une modification radicale de la Constitution, voire une sécession du
Royaume-Uni. Voir S. Tierney, « The Three Hundred and Seven Year Itch’ : Scotland and the
2014 Independence Referendum », in M. Qvortrup (ed.), The British Constitution : Continuity
and Change, op. cit., p. 141.
43. Pour des exemples d’évolution de conventions constitutionnelles, voir J. Jaconelli,
« Conventions – Continuity and Change », in Qvortrup, M. (ed.), The British Constitution :
Continuity and Change, op. cit., pp. 124-135.
44. Il convient de préciser que les déclarations très controversées faites par certains juges de
la Chambre des Lords dans l’arrêt Jackson (Lord Hope, Lord Steyn, Baroness Hale), suggérant
qu’il existe des limites à la souveraineté parlementaire et que la souveraineté parlementaire
était une création du common law, ont été prononcées « obiter ». Voir R. (Jackson) v. Attorney
General [2005] UKHL 56.
596 Iris Nguyên-Duy

Parlement de déterminer plus en détail comment ces principes constitutionnels


de droit supérieur devront être appliqués dans chaque affaire45. »
Avec beaucoup de précautions et de caveat, la Chambre des Communes a
publié, en décembre 2012, une liste non exhaustive des changements cons-
titutionnels qui ont eu lieu depuis le début du xxe siècle46. Sur les 30 chan-
gements constitutionnels répertoriés, 12 ont eu lieu entre 1997 et 201147.
En 2011, la Chambre des Lords a examiné le processus de changement
constitutionnel dans le but de responsabiliser le gouvernement lorsqu’il
décide de réformes constitutionnelles de grande ampleur. Elle s’est heurtée
notamment au principe de souveraineté parlementaire, rendant la tâche
ardue puisque, même pour les actes législatifs entraînant un changement
constitutionnel important, la forme normative choisie est la même : une
loi ordinaire, un « Act of Parliament », n’ayant donc pas formellement de
statut supérieur aux autres lois. Le comité constitutionnel de la Chambre
des Lords a néanmoins retenu la liste non exhaustive, établie par le pro-
fesseur Sir John Baker, reposant sur différents critères permettant d’iden-
tifier des changements constitutionnels significatifs. Entre autres :
– toute modification de la structure et de la composition du Parlement ;
– toute modification des pouvoirs du Parlement ou tout transfert de
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pouvoir, que ce soit par dévolution ou traité international, qui serait
en pratique difficilement réversible ;
– toute modification de la succession à la Couronne ou des fonctions du
Monarque ;
– toute altération substantielle de l’équilibre des pouvoirs entre le
Parlement et le gouvernement, dont l’attribution trop large ou mal
définie de légiférer par voie de décret ;
– toute altération substantielle de l’équilibre des pouvoirs entre le gou-
vernement central et les autorités locales ;
45. « We do not have, for example, a clear theory of constitutional amendment after
Jackson. We know it is possible, but we do not have clear criteria. The constitutional situa-
tion is certainly in flux and is certain to change further as the full effects of the Constitutional
Reform Act 2005 are felt. It will be the work of the courts and of Parliament to determine
in greater detail how these complex principles of higher law are to be applied in each case. »
P. Eleftheriadis, « The Constitution as Higher Law », 2008, Working Paper n° 04/2008,
http://ssrn.com/abstract=1090437.
46. K. Parry, Constitutional change : timeline from 1911, House of Commons Background
Paper, 2012, SN/PC/06256, http://www.parliament.uk/briefing-papers/SN06256, site
consulté en août 2013. Pour une liste détaillée d’événements, actes, textes/rapports et juri-
sprudence « d’importance constitutionnelle majeure » (of major constitutional significance) entre
1901 et 2000, voir V. Bogdanor (ed.), The British Constitution in the twentieth century, op. cit.,
Appendix 4, pp. 729-49. Voir également E. Wicks, The Evolution of a Constitution : Eights Key
Moments in British Constitutional History, Oxford, Hart Publishing, 2006 et sa critique par
V. Bogdanor, Law Quarterly Review, 2007, vol. 123, pp. 480-484.
47. Il faut comprendre que ces réformes, en particulier la création d’une dévolution asymé-
trique, ne font pas partie d’un plan de réformes constitutionnelles d’envergure, mais sont
uniquement, à la base, des réponses pragmatiques à des problèmes urgents ou pressants, en
l’occurrence, les revendications écossaises, galloises et nord-irlandaises.
La Constitution britannique : continuité et changement 597

– toute modification substantielle de l’instauration ou de la compétence


des cours, y compris toute mesure qui placerait l’exercice du pouvoir hors
de la portée des cours ou qui affecterait l’indépendance du Judiciaire ;
– toute altération substantielle à l’Église anglicane ;
– toute altération importante des droits et libertés des sujets, dont le
droit à l’habeas corpus et jugement par jury48.
Le comité constitutionnel est conscient de la principale qualité de la
procédure actuelle ; sa souplesse intrinsèque fait indéniablement sa force.
Mais les faiblesses du système actuel (manque d’approche holistique en
matière de changement constitutionnel et manque d’évaluation, en amont,
des éventuelles implications et répercussions d’une réforme constitu-
tionnelle, etc.) découlent de cette même absence de procédure spécifique
pour amender la Constitution. Constatant que les changements consti-
tutionnels d’envergure (significant constitutional change) ont, par nature,
une portée qui se prolongera au-delà du gouvernement qui les a initiés,
le comité constitutionnel a finalement recommandé au gouvernement
d’instaurer une procédure différente de la procédure législative ordinaire
pour la révision de la Constitution afin, non seulement d’en souligner la
différence qualitative au fond, mais aussi d’introduire un certain degré
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de rigidité dans la Constitution. Une telle proposition, suggérant sans le
dire l’établissement formel d’une hiérarchie normative, n’aurait pas été
possible il y a quelques années. En effet, elle va à l’encontre d’une idée
spécifique de la Constitution, dont un des fondements ou principes fon-
damentaux est la souveraineté parlementaire britannique, qui établit la
suprématie juridique des lois prises par le Parlement. Peut-être rejoint-on
en cela l’affirmation de Richard Gordon49.
Il est prégnant que le Gouvernement ait finalement décidé, très laco-
niquement, de rejeter, en bloc, les recommandations formulées par le
Comité constitutionnel de la Chambre des Lords. Soulignant l’incapacité
du comité constitutionnel à définir ce qui devrait être considéré comme
de la législation constitutionnelle comme premier écueil, sans préciser
quels seraient les autres, le gouvernement demeure convaincu du carac-
tère « inapproprié » de procédures spéciales en matière d’amendement
constitutionnel50.

48. House of Lords, Select Committee on the Constitution, The Process of Constitutional
Change, 15th report of session 2010-12, 2011, HL Paper 177, § 11, http://www.publications.
parliament.uk/pa/ld201012/ldselect/ldconst/177/177.pdf, site consulté en août 2013.
49. Voir R. Gordon, op. cit., p. 160-161.
50. « It is intrinsic in the United Kingdom’s constitutional arrangements that we do not
have special procedures for dealing with constitutional reform. […] The first stumbling point,
as the Committee has itself noted, is the problem of the definition of what should be subject
to special treatment. It is for this reason that the Government continues to believe that special
procedures are inappropriate. » The Government Response to the House of Lords Constitution
Committee Report “The Process of Constitutional Change”, 2011, Cm 8181, http://www.
official-documents.gov.uk/document/cm81/8181/8181.pdf, site consulté en août 2013.
598 Iris Nguyên-Duy

La réponse du gouvernement révèle un attachement, sinon explicite,


du moins implicite, au système existant, dominé par la souveraineté
du Parlement britannique – et la conviction, consciente ou non, que la
Constitution ne peut résister51 à la pression du changement que si l’on
préserve ce qui fait sa souplesse première : l’absence de procédure spéci-
fique et contraignante qui enfermerait les nouveaux amendements dans
un cadre rigide et préétabli.
La Constitution britannique est une Constitution matérielle. Une
Constitution qui se définit par son contenu, puisque les règles constitu-
tionnelles qui la composent ont des formes si diverses. Ses amendements
offrent presque toujours une réponse ponctuelle à des problèmes ou crises
constitutionnels émergents. Jusqu’à présent, le système juridique britan-
nique a su se développer de façon idiosyncratique, sui generis. Un équilibre
a été trouvé dans le déséquilibre ou le désordre des normes et des conven-
tions de nature constitutionnelle, du fait même du caractère générale-
ment peu formel, incontesté et ad hoc des solutions retenues. C’est un fait
que le recours au droit « formel » au Royaume-Uni a traditionnellement
été rare et que l’on y recourt uniquement lorsque les arrangements ou
accords informels n’offrent pas une alternative suffisante et satisfaisante.
La Constitution ayant un rôle fondamental à jouer dans la création d’un
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cadre ou support pour le système politique et constitutionnel d’un pays
et la préservation d’un équilibre au sein même des institutions et dans les
rapports de ces institutions avec les individus, toucher à la nature même
de la Constitution britannique reviendrait à risquer d’ébranler, voire de
détruire, ce qu’elle protège.

2 – Les inconvénients du système actuel


« Pourquoi réparer ce qui n’est pas cassé », pour reprendre une expres-
sion américaine ? Une réponse simple : il n’est pas sûr que le système
actuel soit aussi performant qu’on le croie52.
L’une des principales qualités attachées aux Constitutions est, outre
le fait qu’elles servent de fondement à un système politique et consti-
tutionnel, leur durée – et leur endurance, leur capacité à résister aux
« assauts ». Le changement dans la continuité est ce qui a jusqu’à présent

51. Ou plutôt « endurer », si l’on reprend le terme des professeurs Elkins et Ginsburg.
Z. Elkins, T. Ginsburg, J.  Melton, The Endurance of National Constitutions, Cambridge,
Cambridge University Press, 2009.
52. La frilosité exprimée par Anthony King à l’égard de la nécessité d’une codification
n’est pas sans fondement : « There is no need for a written constitution […] the United
Kingdom has already undergone – ever since the late 1960s – a period of intense and unre-
metting constitutional change. Good sens would seem to suggest that the time has come to
pause, to absorb the changest hat have already taken place and to reflect upon them, certainly
before embarking on new and potentially hazardous constitutional adventures. » A. King, The
British Constitution, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 353, 365.
La Constitution britannique : continuité et changement 599

fait la force de l’architecture constitutionnelle britannique. Néanmoins,


sous la pression répétée, accentuée, incessante de la vague de change-
ments constitutionnels qui occupe le paysage politique et constitutionnel
depuis près de vingt ans, sans pour autant que leurs conséquences à moyen
et long terme sur le système constitutionnel ne soient suffisamment ana-
lysées en amont, il semble que les vertus de flexibilité, d’élasticité de la
Constitution britannique atteignent leurs limites – et on peut douter de
sa durabilité et de son efficacité à remplir son rôle.
Comme le remarque Jack Beatson, il y a déjà eu plusieurs ères, ou
« vagues », de réformes constitutionnelles au Royaume-Uni depuis
l’époque de Blackstone. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Le pro-
blème est que la Constitution est aujourd’hui certes plus démocratique,
mais moins bien équilibrée qu’avant53. Si le processus de réforme consti-
tutionnelle commence à s’inscrire dans le temps, il reste très fragmenté,
tant pour les thèmes abordés que pour le type de procédures suivies. Il ne
semble pas aller dans le sens d’une perspective ni holistique, ni ration-
nelle et systématique.
Le Gouvernement britannique ne semble pas, dans les faits, s’écarter
de la position traditionnelle, qui est de fournir une réponse pragmatique
à des problèmes particuliers. Ses ambitions gouvernementales restent
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modestes : modernisation de la Constitution, plus de transparence et
d’effectivité, un pouvoir exécutif plus responsable, améliorer la communi-
cation avec le peuple afin d’accroître son intérêt pour ce type de réformes
et la politique en général. Mais il continue de s’opposer fermement à
certaines mesures pour deux raisons : d’une part, elles sont politiquement
délicates à régler (la West Lothian question, notamment), d’autre part, elles
pourraient provoquer une véritable révolution politique et juridique,
comme l’instauration d’un contrôle juridictionnel de constitutionnalité
des lois. Jack Beatson remarque aussi que, « à l’exception de la dévolu-
tion, aucun des engagements politiques pris depuis 1997, ni les réformes
proposées depuis, ont été une réponse directe à une pression populaire
généralisée » et que « certains des problèmes difficiles n’ont pas été mis
de côté. Ils ont tout simplement été négligés ou sous-estimés54 ».
Les contributions des auteurs dans les Mélanges Bogdanor, coordonnés
par Matt Qvortrup, confirment cette tendance. Les réformes ne dominent
pas la vie de la nation55. Cela donne à réfléchir.
Il convient de souligner aussi que la modification fréquente de la
Constitution via le Statute law, combinée à des mesures d’importance
constitutionnelle majeure, à l’importance de plus en plus accordée aux

53. J. Beatson, « Reforming an unwritten constitution », Law Quarterly Review, 2010,


pp. 48-71, p. 50.
54. Ibidem, p. 60.
55. M. Qvortrup, op. cit., p. 2.
600 Iris Nguyên-Duy

référendums56 et à la codification progressive des conventions constitu-


tionnelles57, repousse un peu trop les limites de la légendaire souplesse
de la Constitution britannique. La Constitution s’incarne de plus en plus
sous forme écrite et dans les mentalités tant des gouvernants, que des
auteurs et du grand public, une pensée constitutionnaliste se développe58,
elle se rigidifie progressivement et perd sa caractéristique première et
essentielle, sa flexibilité. Il est d’ailleurs paradoxal qu’en s’ancrant davan-
tage dans la réalité, la Constitution mine ce qui faisait sa force et sa
vitalité.
Ces différents constats nous conduisent à nous poser la question sui-
vante : ne devrait-on pas établir de nouvelles règles pour la modification
de la Constitution britannique ? Deux solutions : ne rien faire, continuer
la pratique, ou bien instaurer des mécanismes ou procédures permettant
de formaliser un minimum59 et de redistribuer (rééquilibrer) les responsa-
bilités respectives du Gouvernement, du Parlement et des cours60, dans
le processus de transformation de la Constitution. Sidney Low a dit, au
début du xxe siècle, « Other constitutions have been built, that of England has
been allowed to grow61 ». Pour reprendre la métaphore du jardinage, elle
a poussé à la manière d’un jardin anglais. On ne suggère pas d’en faire
un jardin à la française, mais une codification de la Constitution serait
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souhaitable.

B – Une codification de la Constitution souhaitable

Dans son article analysant la dialectique « changement constitu-


tionnel – souveraineté parlementaire », Richard Gordon QC argumente
en faveur de l’établissement d’un « concordat constitutionnel » entre les

56. V. Bogdanor, 2004, op. cit., p.246.


57. Voir Lord Wilson of Dinton, « The robustness of conventions in a time of modernisa-
tion and change », Public Law, 2004, pp. 407-420, p. 420. Voir également D. Oliver, op. cit.
58. Au vu des différentes réformes constitutionnelles entreprises au Royaume-Uni au début
du xxie siècle pour mieux séparer les pouvoirs législatif et judiciaire, Claire De Beausse de la
Hougue a écrit : « L’idée d’une constitution écrite ne paraît plus impensable alors que cela
constituerait une véritable révolution, un bouleversement de tous les fondements des institu-
tions britanniques. » C. De Beausse de la Hougue, « Un aspect des réformes constitutionnelles
au Royaume-Uni : la disparition du Lord Chancelor. D’une Constitution non-écrite vers une
Constitution écrite », Revue française de droit constitutionnel, 2005, vol. 62 (2), pp. 291-310,
p. 309.
59. On a vu précédemment que le comité constitutionnel de la Chambre des Lords a sou-
ligné les vertus, mais aussi les nombreuses faiblesses du système. Sans aller jusqu’à proposer
une codification de la Constitution, il propose, quant à lui, une formalisation du processus de
sa modification.
60. Lors de la réforme du Lord Chancellor en 2003, le Lord Chief Justice Lord Woolf déplo-
rait que les cours n’aient pas été consultées à ce sujet. Propos rapportés par BBC News, http://
news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/politics/3054119.htm, site consulté en août 2013.
61. Cité par V. Bogdanor, « Our New Constitution », (2004), Law Quarterly Review,
vol. 120, pp. 242-262, p. 259.
La Constitution britannique : continuité et changement 601

différents pouvoirs, où le Parlement, plus que le Gouvernement, aurait


la responsabilité d’introduire des réformes constitutionnelles et où les
cours, elles aussi, auraient un rôle à jouer en s’assurant que le rule of law
soit respecté62. C’est l’alternative que le livre vert (green paper) de 2007
proposait également pour le futur de la Constitution britannique : un
concordat ou une Constitution écrite63.
Il n’est pas impossible d’aller plus loin et d’envisager une codification
de la Constitution. Elle présenterait, au vu des difficultés répertoriées
précédemment, des avantages incontestables et ne remettrait pas (néces-
sairement) en cause la souveraineté parlementaire britannique.

1 – Les arguments en faveur de la codification


Malgré le grand avantage offert par la « souplesse » de la Constitution,
les lacunes du système actuel sont relativement nombreuses et un besoin
de clarté, peut-être même de sécurité juridique, concomitant avec l’évo-
lution d’une société de plus en plus individualiste et d’un peuple qui sait
qu’il a des droits et entend les faire respecter, se fait sentir. On peut par
exemple citer : le manque de clarté dans la répartition des compétences,
le manque de protection des compétences dévolues aux législateurs écos-
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sais, nord-irlandais et gallois, l’absence d’un mécanisme de protection
formalisé et juridiquement protégé en cas de contentieux de compé-
tences sérieux, etc64. Par ailleurs, l’absence de procédure formelle spéciale,
l’absence d’un « rituel » autour de la modification de la Constitution
contribue, d’une part, sinon à la désacraliser, à entretenir le désengage-
ment du grand public et, d’autre part, à des effets négatifs quant à la
qualité substantielle des réformes et leur portée. La majorité des auteurs
constatent le « volume » quantitatif de changements constitutionnels
depuis 20 à 30 ans au Royaume-Uni, tout en critiquant ouvertement
leur qualité – qui contraste avec les vagues de réformes constitutionnelles
britanniques du xixe siècle, par exemple. Ils soulignent pratiquement
tous le caractère « fragmentaire » des réformes entreprises, le « manque
de “plan d’envergure” » (lack of “grand plan”). Il en résulte un désordre
constitutionnel peu salutaire et probablement peu viable à long terme,
dont les conséquences n’ont pas toujours été telles que souhaitées (dévo-
lution, par exemple).
De plus, l’accélération du mouvement de réformes constitutionnelles,
avec laquelle les gouvernements britanniques ont réformé la Constitution

62. R. Gordon, « Constitutional Change and Parliamentary Sovereignty – the Impossible


Dialectic », op. cit., pp. 162-163.
63. The Governance of Britain, 2007, Cmnd.7170, § 212, http://www.official-documents.
gov.uk/document/cm71/7170/7170.pdf, site consulté en août 2013.
64. Voir aussi la liste des motivations pour les réformes répertoriées par Jack Beatson.
J. Beatson, op. cit., p. 60.
602 Iris Nguyên-Duy

depuis la fin des années 1990, conjuguée avec l’absence d’intérêt que lui
porte le peuple, est révélatrice d’un décalage, d’une inadéquation entre
le procédé mis en œuvre, le choix du sujet et les problèmes auxquels
le Royaume-Uni est confronté. La classe politique traditionnelle n’a pas
réussi à suivre l’évolution de la société, ni à juguler la crise économique et
se retrouve à essayer, tant bien que mal, de faire coïncider ses initiatives
et ses actions avec les attentes du peuple, en adoptant davantage de lois.
Le Royaume-Uni a donc probablement besoin d’un nouveau type d’arran-
gement constitutionnel (a new constitutional settlement).
Il y a plus d’un siècle, Dicey qualifiait la Constitution britannique
d’« historique », non seulement de par son âge et sa longévité, mais aussi
parce que, comme l’explique Vernon Bogdanor, elle était « originale et
spontanée, un produit de l’évolution plutôt que d’un dessein délibéré,
fondée moins sur des règles codifiées que sur des ententes tacites65. »
Aujourd’hui, au contraire, avec le European Communities Act, le Human
Rights Act et l’ensemble de la législation sur la dévolution, sans compter
les référendums et la loi sur la durée déterminée des législatures (Fix-Term
Parliaments Act) de 2011, la plus grande visibilité des réformes constitu-
tionnelles en général (notamment du fait qu’elles prennent, pour la plu-
part, la forme d’actes parlementaires), la Constitution est de plus en plus
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« fondée sur un choix délibéré » et « est refaçonnée de manière extrême-
ment consciente et délibérée66 ». Malgré l’apparente absence de cohérence
ou de lien entre les différentes mesures adoptées qui diminue leur impact,
notamment auprès du public, cette évolution des mentalités, dans un
sens plus « constitutionnaliste », ouvre la voie à une possible codification
de la Constitution.
À mi-chemin entre la Constitution juridique et la simple compila-
tion, la codification de la Constitution constitue effectivement une alter-
native intéressante qui n’entrainerait pas nécessairement une rupture avec
l’histoire constitutionnelle britannique. Selon l’explication de l’historien
du droit Raoul Van Caenegem, que l’on peut transposer au cas qui nous
intéresse, « une véritable codification est une œuvre originale et, contrai-
rement à une compilation, doit être entendue comme la réglementation
générale, exhaustive d’un domaine particulier du droit (par exemple,
le droit civil ou la procédure civile). En outre, l’élaboration d’un code
implique un programme cohérent et une structure logique homogène.

65. « […] Original and spontaneaous, a product of evolution rather than deliberate design, based
less on codified rules than on tacit understandings. » V. Bogdanor, « Book review : E. Wicks,
The Evolution of a Constitution : Eights Key Moments in British Constitutional History », op. cit.,
p. 484.
66. « Based on deliberate design », « The Constitution is being refashioned in a highly conscious and
deliberate way. », idem.
La Constitution britannique : continuité et changement 603

La langue d’un code moderne doit être accessible à tous et, autant que
possible, sans archaïsmes ni jargon professionnel technique67 ».
L’idée d’une codification de la Constitution britannique n’est pas nou-
velle. Il y a eu des propositions dans ce sens depuis les années 1970,
provenant d’individus ou de groupes politiques très différents. Le parti
travailliste, parti d’opposition entre  1979 et  1997, y voyait un moyen
d’établir un système constitutionnel de poids et contrepoids (checks and
balances) afin de mieux contrôler la dictature élective (elective dictatorship)
des conservateurs. Les libéraux démocrates ont également toujours sou-
tenu cette idée. L’idée d’une Constitution écrite a attiré l’attention lorsque
Gordon Brown, en tant que Chancellor of the Exchequer, puis en tant que
Premier ministre, l’a prônée, notamment dans le livre vert (green paper)
du gouvernement de 200768. Aujourd’hui, la Chambre des communes
s’interroge sur sa nécessité et a confié la tâche d’enquêter à ce sujet à son
Political and Constitutional Reform Committee69.
Une codification de la Constitution britannique aurait un apport démo-
cratique indéniable : elle permettrait aux citoyens de mieux connaître la
Constitution et ses mécanismes, les droits et devoirs qui sont les leurs et
également ceux des gouvernants.
Elle pourrait également jouer un rôle symbolique qui accroîtrait proba-
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blement un sentiment d’appartenance du peuple, des nations du Royaume-
Uni, un sentiment de « britishness ». Si l’on pense aux problèmes liés à la
dévolution et aux revendications écossaises et anglaises, une codification
constitutionnelle permettrait peut-être de réaffirmer l’unité du pays au
travers de la Constitution.
En un sens, la Constitution britannique est déjà partiellement codifiée,
puisque, entre autres, trois lois, le Scotland Act de 1998, le Government of
Wales Act de 1998 et le Northern Ireland Act de 2001, forment le cadre
constitutionnel pour la dévolution et le Human Rights Act de 1998 joue
pratiquement le rôle de « bill of rights » moderne, en matière de droits
de l’homme. Enfin, l’idée d’une séparation des pouvoirs plus « nette »
(untidy concept) semble avoir été renforcée par l’adoption de lois réparant
certaines « anomalies » ou « idiosyncrasies » du système, et qui portaient,
entre autres, sur la fonction du Lord Chancellor, la nomination des juges

67. « [A] true codification is an original work and, in contrast to a compilation, must be intended as
a general, exhaustive regulation of a particular area of law (for example, civil law or civil procedure).
Furthermore, the drafting of a code involves a coherent programme and a consistent logical structure. The
language of a modern code ought to be accessible to all and, as far as possible, free from archaisms and
technical professional jargon. » R.C. Van Caenegem, An Historical Introduction to Private Law,
Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 12.
68. The Governance of Britain, op. cit., § 212.
69. L’idée est à l’étude. Le Comité de réforme politique et constitutionnelle de la Chambre
des communes étudie la question. Voir notamment : Mapping the path to codifying – or not codi-
fying – the UK constitution, http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201213/cmselect/
cmpolcon/writev/mapping/contents.htm, site consulté en août 2013.
604 Iris Nguyên-Duy

et l’instauration de la Cour suprême du Royaume-Uni. Il existe donc des


signes qui évoluent dans ce sens70.

2 – Codification constitutionnelle et souveraineté parlementaire


Une codification ne signifierait pas forcément la remise en cause de
la souveraineté parlementaire britannique, contrairement à ce que sou­-
tiennent Vernon Bogdanor, Richard Gordon et d’autres auteurs. Le
recours à la forme écrite, législative, formaliste, pour développer et réviser
la Constitution, ne remettrait pas en cause les principes fondamentaux de
la Constitution et ne serait pas, en soi, en contradiction avec le principe
de souveraineté parlementaire. Tout dépend du type de codification qui
sera choisi. En effet, une codification de la Constitution pourrait se faire
sous la forme d’une transcription des principales règles constitutionnelles
intégrées dans un document unique, prévoyant que le texte sera « consti-
tutionnellement » protégé dans la Constitution en tant que loi suprême
du pays et norme supérieure (entrenched and overarching). La Constitution
aurait alors une valeur supérieure aux normes législatives issues du
Parlement. En cas de non-intégration (unentrenched), le Parlement, s’il
restait le seul pouvoir capable de modifier la Constitution, resterait en
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pleine possession de sa fonction normative, puisqu’une Constitution
codifiée ne jouit pas forcément d’un statut juridique formel supérieur aux
lois ordinaires. Jack Beatson abonde dans ce sens en prenant l’exemple
du Human Rights Act de 1998 : « The model used in the HRA shows how
weight can be given to fundamental rights and rules while retaining sovereignty
and without entrenchment71 ». Le pouvoir normatif du Parlement britan-
nique serait même renforcé, si la tâche lui restait confiée de modifier la
Constitution.
Quoiqu’il arrive, les Britanniques devront, au moment de codifier leur
Constitution, prendre en compte le concept de souveraineté parlemen-
taire et de longues et houleuses discussions s’ensuivront probablement.

Conclusion

Il est assez vain de tenter de définir de manière rigide un objet aussi


mouvant et fluide que la Constitution britannique, bien que la tâche
70. Certains pourraient arguer qu’il est quelque peu paradoxal que le Royaume-Uni se dirige
progressivement vers une codification de sa Constitution, alors que, d’après Neil Walker, la
tendance actuelle est de dépasser la notion de « Constitution holistique », N. Walker,
« Beyond the Holistic Constitution ? », in P. Dobner, M. Loughlin (ed.), The Twilight of
Constitutionalism ?, Oxford, Oxford University Press, 2010, pp. 291-308.
71. J. Beatson, « Reforming an unwritten constitution », op. cit., p. 71.
La Constitution britannique : continuité et changement 605

soit rendue plus aisée avec l’utilisation plus fréquente des lois pour les
modifications les plus importantes de la Constitution. La meilleure (et
seule ?) façon de se faire une idée de ce qu’est la Constitution britannique
est de multiplier les perspectives et les « angles d’attaques ». C’est pour-
quoi les mémoires Bogdanor sont un apport précieux à la littérature sur
le sujet : l’ensemble transdisciplinaire des contributions permet d’offrir
un « instantané sur le vif » informatif, expert et critique de l’état de la
Constitution britannique à jour de 2013.
Vernon Bogdanor conclut son ouvrage sur la coalition et la Constitution
avec la prédiction suivante :

« Cette ère [de réformes constitutionnelles] ne prendra fin que lorsque notre
système politique sera enfin en harmonie avec la philosophie publique de l’âge
post-bureaucratique, dont le mot d’ordre est la fluidité et dont le leitmotiv est
la souveraineté du peuple, le seul fondement sûr pour une nouvelle Constitution
britannique72. »
Pour le moment, en tout cas, comme l’explique Matt Qvortrup dans
son introduction aux mélanges Bogdanor, « les changements paraissent
révolutionnaires, mais une grande partie de la structure sous-jacente reste
inchangée73 » - notamment la volonté de ne pas entraver la souveraineté
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parlementaire, qui, bien que parfois remise en question ou critiquée, reste
la référence et la pierre angulaire de la Constitution et du système poli-
tique britannique. Ce ne sera que lorsque les Britanniques seront prêts
à se défaire de ce principe que le système pourrait changer de manière
radicale, voire révolutionnaire.
Le 8 février 2006, Stephen Hockman QC, en tant que Président du
Conseil de l’Ordre des avocats (Bar Council), suggérait, dans une lettre au
Times, « l’adoption d’une mesure de codification qui contiendrait dans
un seul document tous les principes et procédures constitutionnels clés
qui sous-tendent la gouvernance du pays » au plus tard en 2015 pour
fêter les 800 ans de la Grande Charte de 1215, qui est également le pre-
mier document constitutionnel majeur dans l’histoire du Royaume-Uni74.
L’objectif était séduisant et ambitieux, mais la durée de réalisation est peu
réaliste, trop brève. Il faudra probablement aux Britanniques des longues
réflexions de fond avant de pouvoir codifier de manière satisfaisante

72. « That era [of constitutional reform] will come to an end only when our political system has come
to be congruent with the public philosophy of the post-bureaucratic age, whose watchword is fluidity and
whose leitmotif is the sovereignty of the people, the only sure foundation for a new British constitution. »
V. Bogdanor, The Coalition and the Constitution, Oxford, Hart Publishing, 2011. Voir aussi le
cours de Vernon Bogdanor sur ce thème, http://www.gresham.ac.uk/lectures-and-events/the-
coalition-and-the-constitution, site consulté en août 2013.
73. M. Qvortrup, op. cit., p. 4.
74. « A codifying measure, which would contain in a single piece of legislation all the key consti-
tutional principles and procedures which underpin the governance of the country. » S. Hockman, QC,
lettre au Times, 8 février 2006.
606 Iris Nguyên-Duy

la Constitution, si tant est qu’ils choisissent de le faire75. Une pensée


constitutionnaliste commence à se développer, mais elle n’est pas encore
suffisamment mûre pour ce défi s’inscrivant en faux de la tradition cons-
titutionnelle britannique. C’est une mutation qui prend du temps et doit
nécessairement s’inscrire dans le temps, car, une fois de plus, c’est moins
le résultat final que le chemin parcouru qui sera important. Il faudra –
idéalement, si la question écossaise et celle de l’Europe ne précipitent
pas les choses – de longues années avant que le Royaume-Uni se dote
d’une Constitution adéquate. La finalité, c’est-à-dire l’élaboration d’une
Constitution sous forme écrite, à l’instar de celles de la quasi-totalité des
démocraties contemporaines, est-elle suffisamment mobilisatrice ? Peut-
être pas, ni pour la classe politique, ni pour le peuple britannique. D’autant
plus que la tâche est loin d’être aisée : « l’adoption d’une Constitution
serait une tentative de capturer l’essence d’une Constitution en plein pro-
cessus de transformation au moment même où on la décrit76. »
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 82.123.84.255)

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75. La Chambre des communes étudie la question depuis 2010. Voir supra.
76. « Enacting of a constitution would be an attempt to capture the essence of a tradition that was
in the process of altering while it was being described » V. Bogdanor, S. Vogenauer, « Enacting a
British Constitution : Some Problems », Public Law, 2008, p. 41. Parmi les difficultés immé-
diates auxquelles seront confrontés ceux qui seront chargés de la codification : qu’inclure dans
la Constitution codifiée ? La rédaction d’une Constitution contraint toujours à faire des choix,
de forme et de fond. Sur quels principes la fonder ? Quel type de codification choisir ? Une
codification pour les juristes (a lawyer’s constitution) ou pour le peuple (a people’s constitution) ?
Voir sur ce dernier aspect, V. Bogdanor, T. Khaitan, S. Vogenauer, « Should Britain Have a
Written Constitution ? », Political Quarterly, 2007, pp. 503-505. Pour un exemple rédigé de
proposition de Constitution codifiée, ibidem, pp. 506-517.

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