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Pereira Leite Joana. Indo-britanniques et indo-portugais : la présence marchande dans le Sud du Mozambique au moment de
l'implantation du système colonial portugais (de la fin du XIXe siècle aux années 1930). In: Outre-mers, tome 88, n°330-331,
1er semestre 2001. Outre-mers économiques : de l'Histoire à l'actualité du XXIe siècle. pp. 13-37;
doi : https://doi.org/10.3406/outre.2001.3835
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2001_num_88_330_3835
Abstract
From the second half of the nineteenth century, the Indian trade Diaspora re-established itself in the
Eastern Indian Ocean. The goal of this paper is to assess the importance of its impact in Southern
Mozambique, at the time of the setting up of the colonial System in the twentieth century. After
presenting the context and the trajectories underlying the origins ofthe Asian presence in this area, we
intend to accurately identify the marks that it has left behind. However, this analysis, based on written
sources (archives andpublished documents), shall prove unable to clarify the countless foggy parts
that, to this day, still cast shadows over this part of the history of Mozambique. In turn, this will enable
us to delimit the boundaries of the invisibility of this subject. We are convinced that this invisibility,
infact inherent in the very nature of the social groups in Diaspora, cannot be overcome without
resorting to other than written sources. That is why we feel that is necessary to use oral testimonies
and qualitative methods in order to be able to reconstruct the economic and family trajectories of the
community and, thus, allow for a reliable analysis of the Indian présence in Mozambique.
Indo-britanniques et indo-portugais :
la présence marchande dans le Sud du Mozambique au
moment de l'implantation du système colonial portugais
(de la fin du XlXème siècle aux années 1930)
From the second half ofthe nineteenth century, the Indian trade Diaspora
re-established itselfin the Eastern Indian Océan. The goal ofthis paper is to assess
the importance ofits impact in Southern Mozambique, at the time ofthe setting up of
the colonial System in the twentieth century. After presenting the context and the
trajectories underlying the origins ofthe Asian présence in this area, we intend to
accurately identify the marks that it has left behind. However, this analysis, based
on written sources (archives andpublished documents), shall prove unable to clarify'
the countless foggy parts that, to this day, still cast shadows over this part of the
history of Mozambique. In turn, this will enable us to delimit the boundaries ofthe
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invisibility ofthis subject. We are convinced that this invisibility, infact inhérent in
the very nature of the social groups in Diaspora, cannot be overcome without
resorting to other than written sources. That is why wefeel that is necessary to use
oral testimonies and qualitative methods in order to be able to reconstruct the
économie andfamily trajectories ofthe community and, thus, allow for a reliable
analysis ofthe Indian présence in Mozambique.
1 À propos de la reconstitution de la diaspora indienne au Mozambique jusqu'aux premières décennies du XX*" siècle voir Pereira
LeiteJ (1996) pp 72-95.
Indo-britanniques et Indo-portugais... 15
2 Le Mozambique a cessé de faire partie de l'État de l'Inde en 1752, au nxxnent où l'Empire Luso-Brésilien succède à l'Empire
Asiatique Portugais.
*
Bilan de la population indienne réalisé à partir du Recensement de 1928, in Anuàtio de Lourenço Marques, 1929- On tient
compte de la population globale sans discrimination de sexe. Il est vérifié que sur l'ensemble de la population non indigène
(subdivisée en européens, jaunes, indo-britanniques, indo-portugais et métis), les individus de sexe masculin sont en majorité. On
compte au total 23 703 hommes pour 12 056 femmes. Toutefois, œ déséquilibre s'accentue considérablement si l'on considère les
différents groupes de population non indigène, à l'exception de la population européenne et métisse. Ainsi, dans la communauté
indo-britannique, il y a à peine 13,7 % de femmes ; elles représentent 24,4 % au sein de la communauté indo-portugaise, et chez les
jaunes, il n'y a que 15,2 % d'individus du sexe féminin.
Sur les fondements du renouvellement de la diaspora indienne au Mozambique, à partir de la seconde moitié du XDP" siècle, voir
Pereira Leite, J. (1996), pp. 72-77.
5 Aœ sujet, voir PereiraLeite,J. (1989), Ie" partie, pp. 33-71, et Newitt, (1995),chap. 15 et 16, pp. 356444.
Indo-britanniques et Indo-portugais... 17
* Surpartie,
4e" l'histoire
pp. 686-716.
de l'intégration de l'économie mozambicaine en Afrique australe, voir Perdra LeiteJ. (1989), 1*" partie, pp. 56-71 et
7 Sur le contexte de la création, en 1686, de la « Compagnie des Banians » ou « Mazanes » de Diu, puis de l'installation et
expansion marchande « banian » au Mozambique, au cours du XVM** siècle, la thèse de Antunes, LF. (1993) est une référence
obligatoire. Notamment, pp. 237-251.
9Mifaain0983.),Presençalus(HaUtica...,f. 102.
9 Rita Ferrera (1982), ibkt.
10 Nous nous rapportons à la recherche de L F. Antunes (1993), citée plus haut À propos de l'origine des mots « Banian » et
« Mazane », question complexe, voir L F. Antunes (1993), pp. 237-251, ou encore M. Lobato (1996), p. 25. En partant de la lecture
de ces deux auteuis, il nous paraît important de souligner l'ambiguïté qui entoure le terme banian. D'un côté, d'après Lobato, ce
terme était appliqué à la fin du XVIIIe", à tout marchand indien de la côte est-afiicaine, qu'U soit hindouiste, djain ou musulman.
Bien qu'il ait existé une corporation ( ou « mahajan ») de marchands indiens du Guzerate, dépendant de la « Compagnie des
banians », qui était établie sur le port portugais de Mu, et qui était dirigé par de riches commerçants hindous. Tout indique que des
éléments musulmans étaient admis dans cette corporation, en tant que partenaires ou simples agents commerciaux, ce qui est plus
probable. Pour L F. Antunes, étant donné l'existence de différentes sous-castes banians (le mot banian dérive du terme sanscrit
« vânij » qui signifie marchand), il est difficile d'identifier qui, sous la désignation de banian et/ou mazane, a participé à la
« Compagnie de commerce des banians de Diu » (op. dt. pp. 237 et 238 ).
^ II faut noter que la Baie de Lourenço Marques (du nom d'un marchand qui y aborda au XYI*"" siècle) est aussi appelée dès le
XVT**, baie de Lagpa (ou encore Ddagoa baie/bay), et baie de « Espirito Santo », en référence aux fleuves qui y ont leur
embouchure 0e La Goa, et l'Espirito santo). Lobato (1961), p. 24, 46, 73.
ibidL, «Bàltazar Perdra do Logo e regresso du ftau^oçâoportugueso 0 bourenço Marques (1767) », pp. 96-98
25 RiU Fendra (1982), p. 1 19 et 120.
*A.£ Smith, (1992), p. 228.
27A. Lobato, (I960, p. 36.
moitié du XVffl*1116 siècle28. À partir des débuts du XIX*™* siècle, le trafic d'esclaves
existait en même temps que le commerce de l'ivoire, et était encouragé soit par
l'augmentation de la demande, paradoxale dans un contexte d'abolitionnisme, soit
par la situation d'instabilité vécue à l'intérieur des sociétés africaines, du fait des
invasions Ngoni29.
Au même moment, la réalité de l'insertion méridionale du Mozambique dans
l'espace sud-africain de l'époque, notamment à travers la république Boer du
Transvaal et la colonie britannique du Natal, met progressivement en évidence
l'importance stratégique de Delagoa Bay dans le futur développement économique
de la région. Dans une première phase, le contentieux politique et économique entre
le Portugal et les pays voisins concernait surtout la régulation du transit des
marchandises entre le sud de la colonie et le Transvaal. Plus tard, pendant la seconde
moitié du XIX*"1' siècle, dans le contexte de révolution économique provoquée par le
développement de l'économie minière dans le Rand et par le démarrage de
l'agriculture de plantation dans la colonie du Natal, c'est la mobilisation de main-
d'œuvre mozambicaine au profit des régions limitrophes qui fait surtout l'objet des
négociations30.
L'impact de cette révolution économique dans le sud du Mozambique ne peut
être remis en question. Ses conséquences sont marquantes, que ce soit un niveau des
transformations socio-économiques au sein des sociétés africaines ou, en ce qui
concerne les avantages financiers dont elle fait bénéficier l'encore fragile
administration coloniale. Les agents qui, à l'époque, structuraient le complexe tissu
marchand de la colonie, voient se multiplier les possibilités de faire des affaires.
C'est en effet un moment où le commerce des esclaves et surtout celui de l'ivoire
sont en décadence, annonçant la capitulation économique et politique de l'empire de
Gaza, que la livre sterling se diffuse dans toute la région au sud du Save. Celle-ci
devient la monnaie véhiculaire d'un commerce intense, stimulé par la dynamique
d'insertion régionale, au moment du passage à la colonisation portugaise du XXbae
siècle31.
Les récits datant des dernières années du XIX*"" siècle qui sont arrivés
jusqu'à nous témoignent bien de cette ambiance de mutation qui caractérisait le
commerce dans le sud du Mozambique : « Les marchands qui partaient de Lourenço
Marques vers le territoire de Muzila (deuxième monarque du royaume de Gaza) à la
recherche de trocs d'ivoire, vont aujourd'hui et en bien plus grande sécurité à
Bilene, où l'échange se fait en livres sterling... Le commerce de Muzila est
aujourd'hui réduit à la vente de quelques peaux aux négociants du Transvaal et du
Natal et en échange de livres perçues sur ses sujets qui viennent des ports du sud et
90
C'est entre 1781 et 1787 que seront posées les premières pierres de la localité, que l'on appelé alors « Presidio » (forteresse) et qui
sera plus tard choisie comme capitale de la colonie. Alexandre Lobato (1961). Notamment « Evocaçâo : a àdade dos acacias
vermdbas »,pp. 147-155.
™
L'expansion Ngoni faite à partir du Natal, commence en 1920, est reliée au contexte de violence sous-jacent à la formation de
l'empire Zoulou, et l'historiographie portugaise y fait couramment référence comme invasion Vatua ou Angune. A. Lobato (1%1),
« Entre duos invasôes - 1 - 0 Presidio de Lourenço Marques e as mvasôes negrasdosid, miciadasem 1820 », pp. 99-104. Et
Rita Fendra (1982) : « 0 Gomérdo no période Angune », pp. 121-126. Au sujet du trafic d'esclaves dans la région sous influence
de la baie de Lourenço Marques, voir Rita Ferreira ( 1982 ), p. 121 et 123. Et encore A. Lobato (196 1) *A invasâo Vàtua de
Lourenço Marques an 1833- 1 -A notida da "memôria contra afacçào dos negreiros" 3- A companbia œmerdal dos
fetioras de Lourenço Marques elnbambane... »,pp. 119-128.
™
Sur la genèse de l'économie de transit et d'émigration, voir entre autres, la synthèse proposée m J. Pereira Leite (1989).
31 Rita Ferreira (1982), p. 124.
Indo-britanniques et Indo-portugais... 21
de Lourenço Marques ».32 Face à un tel processus, il n'est pas étonnant que la région
de Delagoa Bay et de son interland proche aient constitué à l'époque, en dépit du
climat d'insécurité qui régnait dans une grande part de l'empire de Gaza, un pôle
d'attraction croissante pour la communauté marchande asiatique installée sur le
territoire, et qui, progressivement, prit la place du commerce africain33. Mais un
récit de voyage montre de façon révélatrice l'agressivité de l'intervention des agents
indiens : « Les races asiatiques de l'intérieur de nos districts, dès qu'ils sont à une
demi-journée de leurs maisons-mères, se conduisent en maîtres absolus ; à
Inhambane, c'est un véritable essaim qui s'emploie à la chasse aux nègres qui
reviennent du Natal ou de Lorenço Marques à cause des livres qu'ils envoient
ensuite en Inde, où elles atteignent grand prix. Le nègre qui revient chez lui avec de
l'or est immédiatement assailli par une horde de maures et de banians, qui le
séduisent par tous les moyens jusqu'à ce qu'il lâche son argent. »M
On peut admettre que les centres de commerce indo-portugais situés au Sud
du Save, et notamment à Inhambane, aient été les premiers à établir des contacts
avec la région sous influence économique de la baie de Lourenço Marques. En
réalité, si l'on en croit les sources actuellement disponibles, rien ne les empêchait de
parcourir les pistes terrestres qui, dès la première moitié du XVHI^ siècle,
assuraient la circulation des marchandises dans le sud de la colonie : « II serait
naturel de s'attendre à ce que les Portugais soient revenus faire du commerce dans la
baie dès qu'il surent que les Hollandais l'avaient abandonné (1730), mais cela ne
s'est pas passé ainsi car s'était déjà enracinée l'habitude de faire du commerce avec
tout le sud de la colonie, à partir de Inhambane et des anses voisines, d'où, par voie
de terre, les marchandises allaient partout, y compris à Lourenço Marques,
emmenées par des blancs et des nègres. »35
Toutefois, on remarquait bien plus la présence de commis « banians » qui
travaillaient pour le compte des maisons de commerce de la capitale, et que les
navires réguliers amenaient, chaque année, dans le sud du territoire : « Les
négociants, qui étaient banians, et qui sont ceux qui se sont établis, venaient
initialement de l'Ile de Mozambique, comme commis de leurs patrons, eux-aussi
banians, munis des passeports des officiers généraux, selon la loi. Généralement, ils
revenaient sur le même bateau, une fois fait le négoce, ou restaient d'une année sur
l'autre... Ils restaient, et ont continué à rester, échappant au retour. »36 C'est ainsi
que s'effectuait, au cours du XIX**16 siècle, à partir du littoral nord, cette étape
méridionale de l'expansion marchande des banians, que la Compagnie des Mazanes
de Diu avait créée en 1686. On remarque que ce déplacement vers le sud de la
diaspora indienne a lieu dans un contexte où l'implantation du libéralisme au
Portugal avait facilité, à partir de 1838, l'entrée dans la colonie d'indiens originaires
de Diu et de Damâo37. Et qui viendra, naturellement, augmenter la présence
asiatique dans le sud du territoire : « Avec la liberté de résider, de circuler, de
32 Extrait d'un récit de voyage. A. Maria Cardoso, en 1882. Cité par Rita Feneira (1982), p. 124, 125.
33 Rita Fendra (1982), p. 125.
^ Commentaires de M. Serrai», après son voyage de 1890, cités par Rita Fendra (1982), p. 125
35 A. Lobato (1961), p. 78 et 79-
36 A. Lobato (1970) "A fndia na Rua dagtfvea", notamment pp. 195-199-
"
L'arrêté de 1938 de Sa da Bandeira ouvrait définitivement les portes à la présence indienne au Mozambique. On supprimait ainsi
les pressions exercées par des groupes appartenant à la communauté chrétienne (métisse -«goesa »- européenne) visant son
expulsion. Lobato (1970), p. 195. Et aussi Rita Fendra (1982), note 81, p. 129.
commercer, résulta, donc, que se sont établis ici beaucoup d'Indiens, tant au
« Presidio » que dans la brousse... »38 C'est ainsi que la communauté
de Diu, bien qu'elle bénéficie de tous les droits civils et politiques
conférés à l'époque aux citoyens portugais, est dès lors progressivement confrontée
à une concurrence croissante, qui lui est faite principalement par les commerçants
musulmans de l'Inde britannique39.
Ces Asiatiques succèdent aux Indo-Britanniques qui, à partir de la moitié du
XVin*1* siècle, s'étaient établis à Lourenço Marques, une fois débarqués des navires
britanniques qui abordaient là, attirés par le commerce de l'ivoire : « Les premiers,
que l'ont dit être des lascars des « palas » de Bombay et Surat, venaient chaque
année à Delagoa chercher de l'ivoire pour des salaires dérisoires sous le fouet
disciplinaire des téméraires capitaines anglais, matelots à bon marché pour hisser les
voiles. »*> Cette nouvelle vague de migration indienne que le développement
économique de l'Afrique australe du XIX6™ siècle conditionne et consolide, se
structure de façon durable au moment de l'implantation du système colonial
portugais du XX*™ siècle au Mozambique41.
38Lobato(197),p.l96.
39 Rita Ferreira (1980), p. 631. Nous rappelons qu'après un siècle d'administration du territoire par l'East Indta Company (1765-
1858), le gouvernement britannique prend directement en charge l'administration de l'Inde au milieu du XK*" siècle.
40A.Lobato(1970),p.l95.
41 Sur le contexte du renouvellement de la diaspora indienne dans le sud du Mozambique, voir Perdra Leite (1996), 2.2.1. La
vulnérabilité de la frontière méridionale entre le Mozambique et leTransvaalauSudduSave,pp.7&82.
Indo-britanniques et Indo-portugais ... 23
42 Voir «Anuârio de Lourenço Marques », 1928, pp. 58-59- Ou «Anuério de Lourenço Marques », 1931, pp. 55-56.
Portugais et 165 étrangers - 115 noirs et 69 « indéfinis » et, enfin, 245 indiens,
parmi lesquels : « 90 naturels de l'Inde portugaise [...], surtout célibataires, surtout
fonctionnaires et surtout catholiques. Font aussi partie de ce groupe, un avocat et 2
médecins [...] 136 indo-britanniques, [...] commerçants et mahométans [...] et 19
de nationalité inconnue »43.
L'intérêt de ces précisions réside surtout dans le fait qu'elles permettent de
mettre en évidence, une fois comparées avec les données du Recensement de 1928,
l'expansion démographique que la capitale va connaître au cours des premières
décennies du XX*016 siècle. En effet, de 1894 à 1928, le rythme d'installation des
européens accompagne de près celui des indiens, indiquant des taux moyens annuels
de croissance de population de l'ordre de 8,3 % et 7,7 % respectivement44.
L'intensification et la recomposition des présences indo-britannique et
à Lourenço Marques est notoire pendant ces 34 années d'implantation du
système colonial portugais : les données disponibles témoignent que la moyenne
annuelle de la croissance urbaine des deux communautés est de l'ordre de 7 et 9%45.
Étant donné l'importance politique et géo-économique du sud du Save dans
le contexte du démarrage de la colonisation au Mozambique, il n'est donc pas
étonnant que, à la fin des années 1920, 76 % du total de la communauté
(originaire de Goa, Diu et Damâo) se soit installée dans les deux districts
de cette région (tableau 3). 2 363 sujets indo-portugais partageaient en effet cet
espace méridional de la colonie avec les nouveaux arrivés indo-britanniques, qui
étaient alors évalués au nombre de 2179 individus des deux sexes. Nous rappelons
toutefois que, en 1928, le territoire mozambicain dans son ensemble, accueillait 4
837 représentants de cette dernière communauté, ce qui montre que son poids était
considérablement supérieur à celui des 3113 asiatiques originaires de l'empire
portugais. L'installation de ces sujets britanniques, tant à Lourenço Marques comme
dans tout le territoire au sud du Save, est le résultat de la conjugaison de plusieurs
facteurs. En plus de la situation concrète de l'Inde sous colonisation britannique, les
mutations économiques qui révolutionnent l'Afrique australe dès la fin du
XIX**16 siècle, tout comme le contexte de changement résultant de l'implantation de
la nouvelle administration coloniale en Afrique orientale portugaise, conditionnent
ce mouvement. Nous rappelons aussi que cette vague migratoire en direction du sud
du Mozambique, est fortement liée à l'histoire troublée de l'intégration socio-
économique des Indiens en Afrique du Sud, à partir de la seconde moitié de ce
siècle. En effet, tout indique que la discrimination politique et socio-économique
dont les éléments de cette communauté sont l'objet, au début du siècle, notamment
dans le Transvaal voisin, ait fortement motivé leur mobilité vers les territoires situés
au-delà de la frontière sud-africaine46.
On note toutefois que, dès cette époque, se produisent au Mozambique des
manifestations de rejet envers la présence indienne, de la part de certains groupes de
la société coloniale mozambicaine. Nous nous référons notamment à ceux qui
étaient leurs concurrents les plus directs, c'est-à-dire le petit commerce de détail
d'origine portugaise, installé soit en brousse (dans les zones rurales, et appelés
43 Carlos Santos Reis (1973), encadrés 5, 12, 26, p. 2 1, p. 28, p. 36 et enfin p. 37.
** Étant donné que Popn = Pop, (1+r )"
45 rIB = ( 1342/136 )m- 1 = 0,069
rIP = ( 1668/90)"*- 1 = 0,089
* Voir Joana Perdra Leite (1996) 2.2.1. A vuJnerabilidade dafrorUeira méridional de Moçambique: do Transval aoSulab
Save, pp. 77-82.
Indo-britanniques et Indo-portugais ... 25
« cantineiros »), soit dans la capitale, et dont les intérêts étaient représentés par
YAssociaçâo Comercial de Lourenço Marques. Cependant, la position de
l'Administration coloniale portugaise s'est toujours caractérisée par une grande
ambiguïté et inefficacité. En effet, le sentiment aigu que leur activité marchande
était indispensable au développement commercial de la colonie prenait le pas sur la
nécessité de moraliser et de réglementer l'activité marchande des agents asiatiques.
Plus encore, le fait que beaucoup de ces commerçants fussent de nationalité
britannique démotivait fortement la réalisation d'une politique de rigueur de la part
du gouvernement portugais. Les impératifs d'ordre diplomatique, dans le contexte
des équilibres géopolitiques, le recommandaient47.
Les intérêts commerciaux indiens étaient effectivement bien établis dans le
sud du Mozambique aux alentours des années vingt. Ce qui est confirmé tant par
l'information quantitative apportée par le recensement de 1928 que, parallèlement,
d'une manière systématique, par les innombrables anuârios publiés dans la colonie,
à partir des débuts du XXime siècle. À ce propos, les éléments disponibles dans
YAnuàrio de Lourenço Marques de 1931, relatifs à l'activité économique des
différents districts et de leurs sièges respectifs, démontrent clairement comment ces
agents couvraient, à l'époque, l'espace marchand, tant en milieu rural que dans les
centres urbains. Une observation attentive des données relatives à la Section
commerciale de la ville de Lourenço Marques nous montre que l'import-export, le
commerce général et celui des produits agricoles, les commissions et les
consignations, tout comme les ateliers de couture étaient les activités où cette
communauté intervenait à l'époque, de façon significative, encore que non
exclusive. En effet, dans toutes ces branches du commerce, les asiatiques sont en
concurrence avec les entrepreneurs d'origine européenne, en particulier portugais et
britanniques. Une analyse centrée sur les noms des agents, révélateurs potentiels de
la foi religieuse, nous indique aussi que des hindous comme des musulmans
partageaient le même espace marchand48.
À la même époque, les Indiens sont également visibles dans le classement
alphabétique des adresses postales, télégraphiques et téléphoniques des habitants de
la ville de Lourenço Marques et aussi dans les registres des différentes organisations
associatives existantes. En ce qui concerne ces dernières, le détail de la composition
de leurs conseils d'administration peut également nous donner une indication
approximative de leur affiliation religieuse. On distingue ainsi les organisations
majoritairement hindouistes ou musulmanes, des catholiques qui, rassemblent
essentiellement les naturels de Goa. Comme exemples des premières, nous avons la
Câmara de comércio Indiana et deux institutions récréatives et sportives : la Nova
associaçâo Hind de Lourenço Marques et YAssociaçâo Maoemetana. De leur côté,
les naturels de Goa se réunissent à YInstituto Goano, au Cîube recreativo Indo-
Português et au Clube Desportivo indo-português. Il n'y a guère que YUniâo
indiana à faire preuve du pluralisme religieux de ses membres : ils sont catholiques,
musulmans et hindous, et probablement dans leur majorité d'origine indo-
portugaise49.
50 Ibidem, pp.443-672.
51 Ibid. p. 461 et 463. L' « Anuàrio » indique, pour cette circonscription, l'activité de 57 agriculteurs, parmi lesquels 25 européens,
9 indiens, 20 assimilés et 3 indigènes.
" Ibid. p. 467, 471 . On remarque toutefois, que tant à Marruacuene qu'aux Muchopes, la présence commerciale asiatique est la plus
significative.
53 Ibid. p. 496-499- Identification réalisée avec l'aide de FatimaAmade.
5* Voir Anuàrio LM 1931, pp. 500-517. La présence d'agriculteurs asiatiques est signalée dans les circonscriptions de Cuambane,
Homoine, Massinga, Panda et Zavala.
55 Tel est le cas de Panda et de Zavala, pp. 514, 517.
Indo-britanniques et Indo-portugais ... 27
conduits pour leurs commis voyageurs, demandes qui sont en général promptement
satisfaites par le gouvernement de la colonie59.
En étudiant la législation publiée à la fin du XIX*™ siècle, il ne semble pas
que l'administration coloniale ait, à cette époque, empêché la présence et l'activité
des ces négociants, de la même façon que plusieurs décennies plus tard. On
remarque que, dès 1887, l'obligation de présenter un passeport pour les individus
qui sortaient ou entraient par le port de Lourenço Marques avait été abolie60. En
1890, le gouvernement de la colonie, dans l'objectif de « faciliter aux commerçants
la libre circulation entre divers endroits de la province et leur éviter des retards et
des démarches peu utiles », avait décidé que les nationaux ou les étrangers pouvaient
circuler « d'un port à tout autre port de la province ou de tout lieu du littoral vers
l'intérieur de celle-ci, même s'ils poursuivent vers des régions situées hors du
territoire portugais, sans être obligés de faire établir un passeport »61.
La publication, en 1892, des Instructions provisoires pour le service de
police des voyageurs nationaux et étrangers dans la Province du Mozambique, n'ira
pas à l'encontre de l'esprit des lois précédentes62. En effet, bien que les compromis
internationaux acceptés par le Portugal, dans le cadre de l'Acte général de la
conférence de Bruxelles du 2 juillet 1890, et dans le traité avec la Grande-Bretagne
du 11 juillet 1891, obligent à un plus grand contrôle de la présence, de l'activité et
de la mobilité des nationaux et étrangers sur le territoire mozambicain, aucune
restriction ne fut imposée à la « circulation à l'intérieur de la Province », se
conformant ainsi à l'arrêté provincial de 189063. Le contrôle policier des autorités
administratives portugaises s'effectuait alors seulement à l'entrée ou à la sortie du
territoire colonial, tant sur les étrangers comme sur les nationaux64. Il faut noter
toutefois que ce contrôle n'était pas applicable au district de Lourenço Marques. Ce
qui faisait que les libertés établies par le décret de 1887 étaient maintenues, et qu'il
n'est pas étonnant qu'une grande part des mouvements d'éléments de la
communauté indienne ait échappé au contrôle des autorités portugaises65.
Tout porte à croire effectivement que la circulation des asiatiques à l'intérieur
ou à travers l'espace colonial portugais se passait sans grands problèmes. Les
observateurs britanniques qui, à l'époque, pratiquaient une surveillance systématique
des territoires de la « Portuguese East Africa » et de l'activité des sujets indiens
établis à Delagoa Bay étaient particulièrement attentifs à ce fait66. Comme l'on sait,
Lourenço Marques constituait alors non seulement un couloir d'accès
^AM,DirecçMaœServiçosaaAdministaçMcivU/Administra^
1915 -demandes datées des VI 1/99, 6/11/99,7/11/99, 13/11/99, 14/1199,9/11/99.
60 Décret du 10 novembre 1887.
61 Arrêté provincial n.° 566, 26 décembre 1890, publié au Boletim qfidal do Moçambique le 27 décembre 1890. (parag. 1). On
remarque que cet arrêté n'annulait pas les règles établies en 1875 et 1876, pour l'émigration des indigènes vers les colonies du Natal
et du Cap de Bonne Espérance, bien que ceux-ci fassent escale à Lourenço Marques, ni les règlements et autres dispositions relatives à
rémigration clandestine des indigènes (parag. 2).
62 Arrêté n." 467, du 1" octobre 1892, publié par kBoletim qfidal do Moçambique du 1* octobre 1892.
63 Ibid. Chapitre I - De la circulation dans la Province: Article 1": Conformément à ce qui a été déclaré dans l'arrêté Provincial
n*566 du 26 décembre 1890. . . Tous les individus nationaux ou étrangers, peuvent voyager ou circuler librement sur le territoire qui
constitue la province du Mozambique, sans nécessité d'un passeport ou de tout autre titre similaire ».
M Ibid. Chapitre II - De l'entrée dans la province et sortie des passagers ; Chapitre III- Dispositions spéciales sur le libre passage vers
la sphère d'influence étrangère ; Cap. IV - Dispositions spéciales relatives aux passagers noirs ; Cap. V - dispositions générales.
65J.PereiraLeite(1996),p.88.
00 W. M.p. 17,
te
1893, Churchill
47, 55. (1893) Diplomatie and consulat reports on trade andfinance-Portugal. Mozambique. Report on tbeyear
Indo-britanniques et Indo-portugais ... 29
les Portugais, la présence des Asiatiques était incontournable. Et, à notre avis, les
responsables de l'époque étaient conscients que ces négociants s'étaient rendus
indispensables à la dynamisation commerciale, en milieu rural comme dans les
centres urbains.
Enfin, quant aux trajets extra-territoriaux de la diaspora indienne et surtout
indo-britannique, ceux-ci s'accomplissent selon une géographie variable. D'un côté,
on assiste à la reproduction des circuits historiquement établis soit sur différents
lieus de la côte est-africaine, soit par voie transocéanique, en direction de l'Inde
britannique. Dans l'un et l'autre cas, Zanzibar constitue, à partir de la seconde
moitié du XIX*me siècle, une référence obligatoire tant pour la définition des
directions septentrionales de la diaspora, que pour le partage des espaces marchands,
compte tenu de la complexité du contexte géopolitique de l'époque. À partir de
1890, la désagrégation de l'empire marchand de Zanzibar au profit d'intérêts
britanniques et allemands ne s'est pas passée sans soubresauts pour les négociants
indiens qui opéraient dans l'océan Indien occidental72. D'un autre côté, on devine
une mobilité croissante en Afrique australe. En réalité, les ports du sud du
Mozambique, et en particulier Delagoa Bay, sont dès les dernières décennies du
XDCème siècle, des points d'accès stratégiques vers le Natal et surtout vers le
Transvaal, l'Eldorado de l'époque73.
Conclusion
Au terme de notre cheminement, ce qui est en cause n'est certainement pas la
réalité de la présence indienne dans le sud du Mozambique. Ce qu'il est important
de souligner, c'est la dimension de son invisibilité, notamment au cours des débuts
de la colonisation portugaise. Cette invisibilité concerne non seulement le manque
d'éclaircissements quant à la nature hétérogène de cette communauté, à la diversité
de ses pratiques économiques et des processus qui mènent à son intégration, mais
aussi, quant à la nature des conflits qui ont pu exister en son sein ou qui sont le
résultat de son interaction avec les sociétés africaines, les agents économiques
européens et l'administration coloniale.
1 .2 District de Inhambane
Européens Indiens Métis Jaunes Poplnd*
Circonscri Port Autres IndoB IndoP
-ptions
Cuambana 53 44 9 33 9 72 29453
Homoine 101 14 39 472 56014
Inharrime 83 62 21 18 50 125 27620
Massinga 23 1 14 91 37538
Morrumbene 54 13 27 105 424%
Panda 5 5 11 77 25648
Vilanculos 15 5 1 30398
Zavala 9 106 30 89 151 942 249167
Total 343 178 302 1884 498334
Population indigène (recensement de 1930). Non inclus les villes de LM et Inhambane.
Source : données du recensement de 1928 concernant les différentes circonscriptions des
districts de LM et Inhambane. Compilation réalisée à partir de l'Anuàrio de Lourenço
Marques de 1931.
Tableau 2. Indiens au Sud du Save: total des districts et populations des villes de LM
et Inhambane
2.1 Total Districts
Européens Indiens Métis Jaunes
IndoB IndoP
Carte
Bibliographie
1. Travaux publiés :
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-Direcçâo dos Serviços de Administraçâo Civil.
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dossier 1904-1923), 59 (1907/1911) 61 ( 1918-19) e 62 ( 1912-1915).
/Administraçâo. Secçâo A. Requerimentos e petiçôes/1899/Caixas 1914el915
-Fundo do século XIX (Governo Gérai de Moçambique) /1885-19OO/ Caixas : 8-
241, 8-238, 8-237 ; 8-233, 8-229, 8-166, 8-165, 8-164, 8-163, 8-151, 8-116, 8-107,
8-86, 8-85, 8-60, 8-30, 8-28, 8-27, 8-25.
-3.2
General
Maharashtra
Department
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