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La drépanocytose est une maladie génétique de l’hémoglobine qui se transmet sur le mode autosomique
récessif. La maladie résulte d’une mutation ponctuelle du sixième codon du gène -globine. La mutation
provoque la synthèse d’une hémoglobine anormale, l’hémoglobine S (HbS). La polymérisation de l’HbS
à l’état déoxygéné est à l’origine d’une anémie hémolytique chronique et de phénomènes vaso-occlusifs.
La maladie est très fréquente dans les populations d’origine africaine subsaharienne. En raison des mou-
vements récents de population, elle existe aujourd’hui sur tous les continents. Chez l’enfant, les crises
douloureuses intenses, les infections graves à type de septicémie, méningite et ostéomyélite, les épisodes
d’anémie aiguë et les accidents vaso-occlusifs graves, notamment neurologiques, sont les complications
aiguës les plus fréquentes. Les progrès faits dans la prise en charge de la maladie ont transformé son
pronostic. La mortalité des enfants dépistés à la naissance et pris en charge dans les centres experts
est de moins de 5 %. Le traitement conventionnel est essentiel dans la drépanocytose : antibiothéra-
pie et vaccinations, antalgiques, transfusion sanguine. Certains enfants ont des formes sévères de la
maladie, et doivent bénéficier d’intensification du traitement par la transfusion sanguine au long cours,
l’hydroxyurée, ou la transplantation de cellules souches hématopoïétiques.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Plan Introduction
■ Introduction 1 La drépanocytose est une maladie héréditaire de l’hémoglobine
■ Physiopathologie 1 très répandue dans le monde. Elle est particulièrement fréquente
■
en Afrique, notamment en Afrique noire, dans les Antilles, en
Génétique 2
Amérique du Nord (États-Unis) et en Amérique du Sud (Brésil).
■ Drépanocytose hétérozygote 2 Elle existe également dans les pays du Maghreb (Algérie, Maroc,
Données du dépistage néonatal 2 Tunisie), en Sicile, en Grèce et dans tout le Moyen-Orient jusqu’en
Clinique 2 Arabie saoudite. On la rencontre également aux Indes. Enfin,
Biologie 2 en raison des mouvements de populations de ces régions vers
■ Drépanocytose homozygote 2 l’Europe de l’Ouest, la drépanocytose est maintenant présente en
Dépistage néonatal 3 France [1] , en Angleterre, au Portugal, en Belgique, aux Pays-Bas
Phases stationnaires 3 et en Allemagne notamment [2] . En France, la drépanocytose est
Complications aiguës 3 systématiquement dépistée en période néonatale chez les enfants
Complications chroniques 5 dont les parents sont originaires de pays à forte prévalence du
■ Hétérozygotes composites 5 trait drépanocytaire ; en 2010, 409 enfants atteints de drépano-
Hétérozygotes composites SC 5 cytose sont nés sur l’ensemble du territoire national (données
Hétérozygotes composites S-00 -thalassémiques 5 de l’Association française pour le dépistage et la prévention des
■
handicaps de l’enfant [AFDPHE]).
Traitement de la drépanocytose 5
Principe de la prise en charge préventive 6
Traitement des urgences 6
Intensification du traitement 7 Physiopathologie [3]
EMC - Pédiatrie 1
Volume 8 > n◦ 2 > avril 2013
http://dx.doi.org/10.1016/S1637-5017(13)61616-6
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4-080-A-20 Drépanocytose chez l’enfant
GLU → VAL). Les molécules d’hémoglobine drépanocytaire (HbS) hémoglobines, et on diagnostique plus rarement des patients S-O
ont la propriété, sous leur forme déoxygénée, de polymériser pour Arab, S-D Punjad, ces deux formes étant souvent assez sévères, et
former des fibres qui déforment le globule rouge en lui don- des patients SE (plus modérés), qui appartiennent aussi au groupe
nant sa forme caractéristique en faucille ou feuille de houx, le des syndromes drépanocytaires majeurs.
drépanocyte. La polymérisation des molécules d’HbS déforme la Les facteurs génétiques et environnementaux sont à l’origine
cellule, la fragilise et la rigidifie. Le globule rouge ainsi déformé a de la grande variabilité de l’expression clinique de la maladie,
deux particularités : le drépanocyte perd ses propriétés de défor- ainsi, certains malades meurent dans les premières années de
mabilité et d’élasticité nécessaires pour passer à travers les petits vie, tandis que d’autres dépassent largement la soixantaine. De
vaisseaux de l’organisme et il est ainsi plus rapidement détruit la même façon, certains malades développent de nombreuses
qu’un globule rouge normal, ce qui rend compte de l’anémie complications tandis que d’autres sont atteints de formes peu
hémolytique. Plusieurs facteurs susceptibles d’affecter le processus symptomatiques.
de polymérisation ont été identifiés. Le premier est la modifi-
cation, même faible, de la concentration intraérythrocytaire des
molécules d’HbS, le second est l’interruption de la croissance du
polymère par toute molécule autre que l’HbS s’intercalant dans
Drépanocytose hétérozygote
la fibre, notamment l’hémoglobine fœtale (HbF). Tous les fac-
On dit aussi des sujets drépanocytaires hétérozygotes qu’ils sont
teurs qui ont une influence sur ces paramètres sont susceptibles
porteurs du trait drépanocytaire.
d’intervenir dans la physiopathologie de la maladie. Il en est
ainsi de l’α-thalassémie, fréquente dans les mêmes populations
que celles à risque pour la drépanocytose. De façon constante, les
drépanocytaires ␣-thalassémiques sont moins anémiques avec un
Données du dépistage néonatal
taux d’hémoglobine et un hématocrite plus élevés. Cette moindre Près de 7000 enfants porteurs à l’état hétérozygote d’une
propension à la falciformation est attribuée à la diminution de anomalie de l’hémoglobine naissent chaque année en France.
la concentration corpusculaire en hémoglobine S. Le rôle protec- L’AFDPHE recommande que les familles en soient informées pour
teur de l’HbF est bien illustré chez les enfants drépanocytaires qui que les parents et d’autres enfants éventuels puissent bénéficier
naissent avec un taux d’HbF largement supérieur à celui de l’HbS d’une étude de l’hémoglobine et que le couple parental puisse
et ne deviennent malades que lorsque le taux d’HbS est supérieur réaliser, s’il le souhaite, un diagnostic prénatal à l’occasion des
à celui de l’HbF. De plus, la production persistante d’HbF est un grossesses suivantes.
élément caractéristique de la drépanocytose. Les molécules d’HbF
s’intercalent dans le polymère d’HbS, ce qui explique leur effet
bénéfique potentiel. L’étude des haplotypes de restriction du locus Clinique [8]
-globine sur les chromosomes porteurs du gène  S a montré
un polymorphisme dans la séquence de l’acide désoxyribonu- La grande majorité des patients drépanocytaires hétérozygotes
cléique (ADN), créant ou abolissant des sites pour les enzymes se porte bien. Dans certains cas cependant, on peut observer chez
de restriction. Leur combinaison pour un chromosome définit un eux des infarctus spléniques au cours de situations d’hypoxémie
haplotype de restriction. Pour la drépanocytose, au moins cinq sévère, et des hématuries macroscopiques. La seule recommanda-
haplotypes différents ont été identifiés, quatre en Afrique sont tion à donner est de ne pas se placer dans les situations à risque
dits de type Bénin, Bantou, Sénégal et Cameroun ; le cinquième, d’hypoxémie (altitude élevée, plongée en apnée sous-marine). Ces
décrit en Inde, est observé aussi en Arabie saoudite. Statistique- patients peuvent subir des anesthésies générales comme tout sujet
ment, les sujets homozygotes pour les haplotypes sénégalais et normal sans préparation particulière.
indiens ont un taux d’HbF plus élevé que les autres.
L’occlusion vasculaire est aussi facilitée par d’autres fac-
teurs favorisants. Les hématies et les leucocytes drépanocytaires Biologie (Tableau 1)
adhèrent excessivement à un l’endothélium vasculaire activé,
Les caractéristiques hématimétriques du sang périphérique des
notamment lors des phénomènes d’hypoxie–réoxygénation [4] .
patients drépanocytaires hétérozygotes sont identiques à celle du
On a identifié plusieurs couples de molécules d’adhésion, les unes
sang normal, tant en ce qui concerne la lignée érythrocytaire
sur les hématies et les leucocytes, les autres sur l’endothélium et
que les lignées leucocytaire et plaquettaire. La morphologie des
le sous-endothélium, responsables de l’adhésion [5] . Enfin, la régu-
hématies est normale et il n’y a pas de drépanocytes en circu-
lation du tonus vasculaire est déséquilibrée avec une exagération
lation. Cependant, lorsque les hématies sont incubées dans un
de la vasocontriction, sans doute du fait d’un défaut de produc-
milieu privé d’oxygène (test d’Emmel) le phénomène de falci-
tion et d’activité de monoxyde d’azote (NO), puissante substance
formation se manifeste et fait apparaître des drépanocytes. En
vasodilatatrice [6] qui est détournée de cette fonction quand elle
pratique courante, cet examen biologique fait partie, avec le test
est complexée à l’hémoglobine libérée pendant l’hémolyse.
de précipitation de l’hémoglobine S en milieu réducteur (test
d’Itano), des moyens qui permettent le dépistage rapide des dré-
panocytaires hétérozygotes.
Génétique L’électrophorèse de l’hémoglobine montre une fraction
majeure d’hémoglobine A de 60 à 55 %, une fraction importante
d’HbS de 45 à 40 % et enfin un constituant mineur d’hémoglobine
La drépanocytose est une affection transmise selon le
A2 de 2 à 3 %. Cet état doit être différencié de celui d’un
mode mendélien récessif autosomique. Les sujets hétérozygotes
sujet drépanocytaire homozygote transfusé ; dans cette situation,
sont dits AS et les homozygotes SS. L’hémoglobine S peut
l’hémoglobine A du donneur disparaît du tracé électrophorétique
s’associer à d’autres hémoglobines pathologiques, principale-
dans les mois qui suivent la transfusion.
ment l’hémoglobine C et les hémoglobines thalassémiques.
Lorsqu’un sujet AS contracte une union avec un sujet por-
teur de l’hémoglobine C ou d’une -thalassémie, ces anomalies
peuvent s’associer et donner naissance à des enfants « double- Drépanocytose homozygote
hétérozygotes » (appelés aussi « hétérozygotes composites ») SC
ou S/-thalassémiques. Du point de vue clinique, les sujets S/0 Les signes cliniques de la maladie font leur apparition dans
thalassémiques ont une maladie comparable à celle des homozy- les premiers mois ou les premières années de vie, quand
gotes SS. L’expression clinique de la drépanocytose SC est marquée l’hémoglobine drépanocytaire a progressivement remplacé l’HbF.
par moins de crises douloureuses, une meilleure espérance de Des révélations cliniques plus tardives, après 4 à 5 ans, ne sont
vie, mais des complications neurosensorielles fréquentes [7] . La toutefois pas exceptionnelles. Le pronostic de la maladie est très
drépanocytose S/+ thalassémique est le plus souvent assez modé- amélioré quand les soins spécifiques sont apportés précocement
rée. L’hémoglobine S peut aussi copolymériser avec d’autres grâce au dépistage néonatal.
2 EMC - Pédiatrie
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Drépanocytose chez l’enfant 4-080-A-20
Tableau 1.
Caractéristiques biologiques des syndromes drépanocytaires majeurs.
Normale (N) SS SC S0 thal S+ thal
Hémoglobine g/dl 12–16 7–9 10–12 7–9 9–12
Volume globulaire moyen fl 80–100 N N 70–90 70–90
Réticulocytes × 10 /mm3 3
50–100 200–600 100–200 200–400 200–300
Électrophorèse de l’hémoglobine %
A 97–98 0 0 0 1–25
S 0 77–96 50 (c = 50) 80–90 55–90
F <2 2–20 <5 5–15 5–15
A2 2–3 2–3 − 4–6 4–6
SS : drépanocytose homozygote ; SC : hétérozygote composite ; S thal : hétérozygote composite S-thalassémique. NB. Les hétérozygotes drépanocytaires AS, bien portants,
ne sont pas atteints de syndrome drépanocytaire majeur.
EMC - Pédiatrie 3
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4-080-A-20 Drépanocytose chez l’enfant
Crises douloureuses des os longs valeur d’orientation. Les parties molles sont parfois un peu plus
Ce sont les complications les plus fréquentes des syndromes inflammatoires lors d’une infection. Ni la numération, ni la CRP,
drépanocytaires majeurs. Elles correspondent à des infarctus et ni les radiographies sans préparation ne sont discriminantes.
touchent préférentiellement le fémur et l’humérus. Le tableau L’imagerie par résonance magnétique (IRM) ne différencie pas
clinique tranche peu avec celui d’une ostéomyélite : le membre de façon suffisante les infections des infarctus, mais est utile
concerné est chaud, œdématié, extrêmement douloureux, immo- en revanche pour préciser l’extension de l’atteinte osseuse. La
bile ; l’enfant peut être fébrile. Il existe parfois un épanchement scintigraphie osseuse au technétium 99 m pourrait être utile
articulaire contigu. Les examens complémentaires sont de peu dans les premières heures de la douleur (hyperfixation en faveur
d’aide pour le diagnostic puisqu’une hyperleucocytose est fré- d’une ostéomyélite), mais n’est, en pratique, jamais effectuée
quente dans la drépanocytose et la C reactive protein (CRP) parfois dans l’intervalle de temps où elle apporte des arguments diag-
élevée dans une crise ischémique. La radiographie est normale nostiques. L’examen le plus utile est en fait l’échographie, car
au début d’une crise douloureuse, mais peut montrer, après 1 elle peut objectiver un abcès sous-périosté ou un épanchement
à 2 semaines, une réaction périostée. Sauf en cas d’arguments articulaire ponctionnables au bloc opératoire, sous anesthésie
cliniques très formels en faveur d’une ostéomyélite, ce qui est générale de courte durée. Les germes responsables d’ostéomyélites
exceptionnel, l’attitude est donc de mettre en place un traite- sont de façon très prédominante les salmonelles, puis les sta-
ment symptomatique de la douleur, une hyperhydratation, de phylocoques, puis d’autres à Gram négatif. Il s’agit toujours de
multiplier les examens cliniques et de renouveler les examens salmonelles non typhiques, non prévenues par la vaccination [20] .
complémentaires. En l’absence de traitement approprié, l’ostéomyélite peut évo-
Plus rarement, l’infarctus osseux peut concerner les vertèbres, luer sur un mode chronique, parfois multifocale, avec risque
les côtes, le sternum. Les crises affectant ces deux derniers sièges fracturaire.
doivent inciter à une surveillance accrue, car elles peuvent En ce qui concerne le paludisme, il a été montré que la drépa-
conduire l’enfant à hypoventiler pour réduire sa douleur, et ainsi nocytose conférait uniquement une protection relative contre le
favoriser un syndrome thoracique aigu. Plus globalement, toute neuropaludisme, mais pas contre les accès palustres avec possibi-
crise douloureuse peut être compliquée par une déglobulisation, lité de déglobulisation sévère [21] .
un syndrome thoracique aigu consécutif à une embolie graisseuse,
ou bien sûr une surinfection de l’os ischémié. Aggravation de l’anémie
Le traitement préventif repose sur une éducation des fac-
Dans la drépanocytose homozygote SS, le taux moyen
teurs favorisants à éviter (exposition au froid, déshydrations,
d’hémoglobine est aux alentours de 8 g/dl et les réticulocytes
etc.). Les parents sont formés à donner des antalgiques à domi-
autour de 200 G/l. L’HbS ayant une affinité diminuée pour
cile : paracétamol, ibuprofène en l’absence de contre-indication,
l’oxygène, l’adaptation fonctionnelle est satisfaisante dans la
codéine. Si l’enfant est insuffisamment soulagé, ou s’il a de la
majorité des cas. Cependant, l’anémie peut s’aggraver dans cer-
fièvre, ou s’il est pâle, les parents doivent consulter aux urgences
taines circonstances et nécessiter une correction. Les carences
hospitalières [16] .
en fer et en acide folique doivent être dépistées par un hémo-
Crises abdominales gramme fait régulièrement. Toute situation fébrile ou toute
crise douloureuse peuvent aggraver l’hémolyse des malades
Les crises abdominales peuvent correspondre à des infarctus
drépanocytaires. Les crises de séquestration splénique sont bien
intéressant la rate ou le mésentère : un tableau caractéristique est
particulières aux enfants de moins de 6 ans ; il s’agit d’un syn-
celui de l’iléus paralytique avec météorisme abdominal et vomis-
drome associant en quelques heures une perte d’hémoglobine
sements qui cèdent au traitement médical. La constipation est
d’au moins 2 g par rapport au taux de base à une augmenta-
un facteur favorisant fréquent chez l’enfant. Enfin, les coliques
tion de la taille de la rate d’au moins 2 cm par rapport à sa
hépatiques peuvent révéler une lithiase biliaire.
taille habituelle. Le traitement repose sur la transfusion sanguine
La survenue de plus de trois crises douloureuses provoquant
immédiate. Le risque de récidive avoisine les 60 % [22] . Enfin, les
une hospitalisation par an est une indication à un traitement par
crises d’érythroblastopénie peuvent survenir dans la drépanocy-
hydroxyurée.
tose comme au cours de toute anémie hémolytique chronique
congénitale ou acquise ; ces accidents d’érythroblastopénie
Infections [17] sont essentiellement imputables au parvovirus B 19, mais pas
Les infections sont responsables d’une part importante de la exclusivement [23] .
mortalité et de la morbidité de la drépanocytose chez l’enfant
comme chez l’adulte. La plus forte incidence des infections Accidents vaso-occlusifs graves
est observée chez les petits-enfants. La fréquence des accidents Les accidents vaso-occlusifs graves regroupent une série de
infectieux diminue avec l’âge, mais le risque persiste toute la complications caractérisées par un déficit organique.
vie. Les méningites et les septicémies sont les infections les
plus graves, car elles peuvent mettre en jeu rapidement le Déficits neurologiques
pronostic vital et laisser des séquelles (complications neuro- Onze pour cent des patients SS et S/0 thalassémiques font un
sensorielles). Le germe à redouter tout particulièrement est le accident vasculaire cérébral avant l’âge de 20 ans [24] . Hémiplégie,
pneumocoque. monoplégie, amaurose soudaines ou progressives sont les mani-
Les pneumopathies représentent l’accident infectieux le plus festations les plus fréquentes ; elles correspondent à des occlusions
fréquent chez les malades drépanocytaires ; elles peuvent partici- complètes ou incomplètes des vaisseaux cérébraux compliquées
per à un syndrome thoracique aigu (cf. infra). d’infarctus cérébraux. Ces accidents sont plus fréquents chez les
Les ostéomyélites sont des complications infectieuses courantes enfants les plus anémiques [24] . Du fait du risque de récidive, la
dans la drépanocytose [18] . Les travaux du groupe français d’étude survenue d’un accident vasculaire cérébral indique la mise sous
de la drépanocytose montrent une prévalence des ostéomyélites programme d’échanges transfusionnels, ou pour les enfants ou
de 8 % avant l’âge de 18 ans, et une incidence de 2/100 patients- adolescents disposant d’un donneur intrafamilial human leucocyte
années [19] . Elles sont rapportées dès l’âge de 8 mois et peuvent antigen (HLA) compatible, la réalisation d’une greffe de moelle [16] .
survenir à tout âge. Les ostéomyélites, avec parfois atteinte de En raison de la gravité de ces accidents, le dépistage systématique
l’articulation contiguë, sont plus fréquentes que les arthrites des sténoses des artères intracrâniennes par Doppler transcrânien
isolées. L’infection est électivement diaphysaire ; les os le plus fait partie des examens qui doivent être faits régulièrement chez
souvent atteints sont le fémur, l’humérus, les métacarpes, les les enfants drépanocytaires (cf. infra).
vertèbres. Le tableau typique d’une ostéomyélite aiguë est rare : Les syndromes thoraciques aigus sont définis par l’association
douleur sus-articulaire vive, fièvre élevée, impotence fonction- douleur, dyspnée, image pulmonaire radiologique anormale. Ils
nelle, douleur transfixiante à la palpation. Bien plus souvent, résultent de plusieurs mécanismes, les crises thoraciques parié-
les signes sont atténués, faisant hésiter entre un infarctus osseux tales, les pneumopathies bactériennes ou virales, les embolies
et une infection. Ni la fièvre ni l’intensité douloureuse n’ont graisseuses secondaires aux CVO [25, 26] . Les symptômes cliniques
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Drépanocytose chez l’enfant 4-080-A-20
varient selon l’âge de l’enfant. Fièvre et toux sont courantes avant pathologie associée (infections virales, surcharge martiale post-
10 ans, la douleur thoracique est plus fréquente après cet âge. transfusionnelle), les anomalies biologiques sont représentées par
La moitié des patients qui font un syndrome thoracique aigu une discrète élévation des transaminases.
sont admis pour un autre motif et cette complication survient La lithiase biliaire est d’une grande fréquence au cours de la dré-
quelques jours après le début de l’hospitalisation. Ainsi, une hos- panocytose et concerne le tiers des malades à partir de 17 ans. La
pitalisation pour crise vaso-occlusive, une fièvre, une intervention cholécystectomie est le traitement de toute lithiase symptoma-
chirurgicale sont des circonstances favorisant le syndrome thora- tique et il existe un consensus professionnel fort pour proposer
cique aigu. La radiographie montre habituellement une atteinte une cholécystectomie aussi en cas de lithiase asymptomatique [16] .
alvéolaire des lobes inférieurs, parfois au niveau des lobes supé-
rieurs chez les patients les plus jeunes. Le taux d’hémoglobine peut
rester stable ou peut diminuer de 1 à 2 g/dl. Une thrombopénie
survenant au cours d’un syndrome thoracique aigu est toujours
Hétérozygotes composites
un signe péjoratif.
Le priapisme, rare dans l’enfance, mais fréquent à partir de Les hétérozygotes composites SC et S/-thalassémiques doivent
l’adolescence, est caractérisé par des douleurs et une congestion être considérés comme des drépanocytaires homozygotes sous
vasculaire. Les familles doivent être informées de sa survenue pos- l’angle des mesures préventives à leur appliquer et des conseils
sible, et de la nécessité de se rendre aux urgences si le priapisme à leur donner. En effet, ces patients peuvent faire les mêmes
ne cède pas au bout d’une heure [16] . complications que les drépanocytaires homozygotes. Certaines
particularités de ces syndromes drépanocytaires majeurs sont
mentionnées ci-dessous.
Complications chroniques
Les complications chroniques sont plus volontiers observées Hétérozygotes composites SC
chez les adolescents et les adultes que chez l’enfant.
Les patients drépanocytaires SC sont atteints d’un syn-
drome anémique moins important que celui des drépanocytaires
Ulcères de jambe homozygotes. L’état hématologique est caractérisé par un taux
Les ulcères de jambe sont rares chez l’enfant. Ils peuvent surve- d’hémoglobine entre 10 et 12 g/dl, de nombreuses cellules cibles
nir chez les adolescents. Ils siègent dans les régions des chevilles et quelques drépanocytes sur le frottis. L’électrophorèse de
et sont favorisés par les traumatismes. Leur guérison est difficile l’hémoglobine montre deux bandes d’intensité égale migrant au
à obtenir et leur récidive est la règle. Ils peuvent être la source niveau de l’hémoglobine S et de l’hémoglobine C (Tableau 1).
d’infections. Les ulcères sont responsables de douleurs chroniques La splénomégalie persiste au-delà de la petite enfance, avec
et de gêne fonctionnelle. Ils peuvent se compliquer d’ankylose un risque prolongé de séquestration splénique aiguë. Toutes les
des articulations tibiotarsiennes. Leur traitement repose sur des complications décrites chez les patients SS sont susceptibles de
soins locaux très réguliers et très attentifs. Dans certains cas, on survenir, mais avec une fréquence moindre, sauf sur deux types
peut s’aider de la transfusion sanguine en association aux soins d’événements. Les malades font plus volontiers des complications
locaux. osseuses chroniques que les drépanocytaires homozygotes. Enfin,
ils sont caractérisés par une fréquence accrue de complications
Nécroses osseuses oculaires et auditives [7] .
Les hanches et les épaules sont les principales articulations inté-
ressées. Ces nécroses sont d’abord asymptomatiques, puis elles Hétérozygotes composites
sont responsables de douleurs et de gêne fonctionnelle. Une
ostéonécrose de la tête fémorale est assez rarement diagnostiquée S-0 -thalassémiques
chez l’enfant. Sa prévalence augmente progressivement avec l’âge.
L’électrophorèse de l’hémoglobine fait la distinction entre les
L’existence d’un potentiel de remodelage osseux chez l’enfant
formes S/+ -thalassémiques et S/0 -thalassémiques. Cet examen
incite à dépister le plus tôt possible cette complication. En cas
montre la présence d’une hémoglobine S, d’hémoglobine F et
d’anomalie à la radiographie de hanche, et chez les enfants pré-
d’hémoglobine A2 . Il existe (+ -thalassémie) ou n’existe pas (0 -
sentant des douleurs de hanche, une boiterie, une limitation
thalassémie) une quantité variable selon les cas d’hémoglobine A
articulaire principalement à l’abduction, l’IRM précise l’étendue
(Tableau 1). Du point de vue de l’expression clinique, les patients
de la nécrose. Le traitement orthopédique a pour but de diminuer
S-0 -thalassémiques ont une maladie qui se rapproche de celle des
la charge subie par les zones atteintes et d’augmenter les charges
homozygotes. En revanche, certaines formes de S-+ -thalassémies
sur les zones saines. Une ostéotomie s’avère parfois nécessaire.
sont quasiment asymptomatiques et passent inaperçues chez
l’enfant.
Complications oculaires Les patients S/-thalassémiques conservent fréquemment une
Les complications oculaires les plus habituelles sont les rétino- splénomégalie au-delà de la petite enfance. Très souvent, cette
pathies prolifératives dont le dépistage préventif par des examens splénomégalie est responsable d’un hypersplénisme qui majore
réguliers de l’œil doit être fait régulièrement à partir de 7 ans l’anémie et dont le traitement est la splénectomie.
environ chez les patients SC (chez qui elles sont plus fré-
quentes), 10 ans chez les patients SS pour intervenir à temps
(laser) [16] . Traitement de la drépanocytose
Complications rénales Le traitement a permis une diminution majeure de la mor-
Près de 10 % des patients évoluent vers l’insuffisance rénale talité pédiatrique en Amérique du Nord et en Europe au cours
chronique, dont le premier signe peut être une accentuation de de ces trente dernières années [10, 27, 28] . On estime qu’elle se situe
l’anémie. Plusieurs équipes proposent aujourd’hui un dépistage aujourd’hui autour de 2 à 3 % de décès chez les enfants diag-
précoce avec recherche d’une microalbuminurie et la mise sous nostiqués à la naissance et pris en charge dans un centre de
inhibiteurs de l’enzyme de conversion en cas de néphropathie référence. Toutefois, la mortalité remonte à partir de l’âge de
drépanocytaire débutante. 18 ans, du fait du développement chez l’adulte d’atteintes orga-
niques silencieuses chez l’enfant [27] . Il est donc important de
dépister régulièrement les atteintes d’organe (rein, cœur, pou-
Complications hépatobiliaires mons, etc.) qui pourraient ainsi être traitées précocement [29] . La
L’hépatomégalie est un signe habituel sans pour autant période de la transition entre la prise en charge des enfants et
être la traduction d’une complication. En dehors d’une celles des adultes doit aussi être accompagnée avec vigilance [30] .
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déjà atteint. Ce type de diagnostic préimplantatoire pose des pro- [13] Gill FM, Sleeper LA, Weiner SJ, Brown AK, Bellevue R, Grover R,
blèmes techniques difficiles, limitant aujourd’hui sa réalisation, et al. Clinical events in the first decade in a cohort of infants with sickle
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Le profil évolutif clinique de la maladie drépanocytaire a consi- [16] Haute Autorité de Santé. Prise en charge de la drépanocytose
dérablement changé ces dernières années puisque 95 à 98 % des chez l’enfant et l’adolescent. 2005. www.has-sante.fr/portail/display.
enfants drépanocytaires vivant dans les pays du Nord atteignent jsp?id=c 272479.
l’âge adulte. Le défi actuel est, d’une part, d’étendre aux pays du [17] Bégué P, Castello-Herbreteau B. Infections chez l’enfant drépanocy-
Sud ces acquis et, d’autre part, de mieux prévenir et enrayer les taire. In: Girot R, Bégué P, Galactéros F, editors. La drépanocytose.
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M. de Montalembert (Mariane.demontal@nck.aphp.fr).
R. Girot.
Service de pédiatrie générale, Service d’hématologie, Hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue de Sèvres, 75015, Paris, France.
Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : de Montalembert M, Girot R. Drépanocytose chez l’enfant. EMC - Pédiatrie 2013;8(2):1-9 [Article
4-080-A-20].
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