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Imprimé par Melle anne LEGER le mercredi 23 janvier 2008

Atteinte des fonctions supérieures à la suite de lésions


cérébrales : approche neuropsychologique

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation [26-454-A-10] (1998)

Françoise Guérin-Bonvoisin : Docteur en linguistique générale, diplômée de psychopathologie,


neuropsychologue au centre de la Vallée à Betton
Jacqueline de Labarthe : CES de médecine physique et réadaptation, membre d'EBIS, médecin-chef
d'établissement au centre de la Vallée, Ladapt, à Betton
Ladapt, centre de la Vallée, 35830 Betton , France

Résumé
Selon la théorie de la Médiation de Jean Gagnepain, il existe chez l'homme des facultés spécifiques implicites et
structurales (l'analyse linguistique, l'analyse technique, etc.) qui entretiennent un rapport dialectique avec des
capacités « naturelles » existant aussi chez l'animal : gnosies, praxies, etc. L'existence de cette dialectique oblige à
rompre avec les méthodes d'observation des sciences de la nature puisqu'elle introduit une contradiction entre le
phénomène observé et ce qui le cause. Les auteurs expliquent leur conception des différents troubles (agnosies,
aphasies, apraxies, atechnies, héminégligence, asomasie, aboulie) et montrent en quoi cette approche offre des
perspectives au niveau de la rééducation et de la réinsertion de certaines personnes cérébrolésées.

© 1998 Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés

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INTRODUCTION

La neuropsychologie est une discipline toute nouvelle s'intéressant aux troubles des fonctions supérieures lors de
lésions cérébrales acquises (par traumatisme, rupture d'anévrysme, anoxie, infection, etc.). Cette pathologie
complexe s'apparente parfois aux troubles psychopathologiques, mais s'en différencie par l'origine clairement
organique et par la rupture brutale qu'elle introduit dans l'histoire du sujet.

Nouveauté veut dire balbutiements : si Freud (qui était neurologue) a d'abord écrit sur les aphasies dès le siècle
dernier (avant de s'intéresser aux troubles psychopathologiques), il faut attendre les travaux de Luria [10] pour
avoir une première approche des séquelles neuropsychologiques. Les théories sont encore aujourd'hui diverses.
Notre expérience de plus de 20 ans auprès d'environ 3 000 lésés cérébraux âgés de 14 à 60 ans nous permet
d'avancer quelques hypothèses.

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MÉTHODES D'OBSERVATION

La médecine et la méthode des sciences de la nature


La méthode qui a permis de construire l'anatomie, la physiologie, etc., de manière scientifique, est basée sur la
dissection, l'expérimentation. Les scientifiques ont ainsi pu établir des modèles explicatifs du fonctionnement de
l'organisme. Cette méthode est donc, de façon historique, celle qui a présidé aux premières observations des

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patients porteurs de lésions cérébrales.

Elle reste encore l'approche utilisée aujourd'hui lorsque l'on parle, par exemple, de rééduquer une hémiplégie
comme s'il s'agissait d'un trouble purement physique et que l'on pouvait faire abstraction de ce qui cause ce déficit,
c'est-à-dire la lésion cérébrale qui n'a que rarement des conséquences purement physiques. Un hémiplégique droit
est d'abord une personne qui a des lésions hémisphériques gauches et il y a donc de fortes probabilités qu'il existe
en même temps des troubles neuropsychologiques associés (aphasie, mais pas seulement,...), ce qui change tout
dans la rééducation. L'hémiplégique gauche doit être considéré non pas sous l'angle unique de son déficit
sensitivomoteur gauche, mais sous celui de l'atteinte cérébrale de l'hémisphère droit (dit mineur) avec des
conséquences importantes comme l'héminégligence gauche et souvent d'autres troubles neuropsychologiques
associés.

D'autre part, l'accident ou la maladie s'inscrivent dans l'histoire du sujet (l'individu et son faisceau de relations),
c'est-à-dire parfois dans une structure psychopathologique antérieure.

La théorie plus ou moins implicite de ceux qui croient que l'on peut rééduquer une hémiplégie en ne tenant pas
compte des troubles neuropsychologiques et de la globalité de la personne est celle du schéma sensitivomoteur.
L'explication de l'aphasie se fait aussi encore parfois en termes de trouble moteur (aphasie de Broca) et de trouble
sensitif (aphasie de Wernicke).

Il nous semble que cette façon d'appréhender la pathologie des cérébrolésés fait l'impasse sur la spécificité de ce
qui est ici altéré : à savoir des facultés qui n'existent que chez l'homme. Or, prendre celui-ci pour objet
d'observation oblige à rompre avec les méthodes des sciences exactes, des sciences de la nature.

Méthode des « sciences humaines »


C'est parce qu'il était neurologue que Freud a pu se rendre compte que la paralysie et le mutisme hystériques ne
relevaient pas d'une explication physiologique mais ressortissaient à un autre ordre de phénomènes. Cette
découverte dans la clinique a contribué d'une manière décisive au début de l'élaboration des sciences humaines
grâce à la mise en lumière de l'existence, chez l'homme, sous le nom d'inconscient, de phénomènes qui ne se
donnent pas à voir directement, mais sont implicites, sous-jacents à l'observation des faits bruts.

L'hypothèse de Jean Gagnepain [6] propose l'existence de plusieurs processus implicites spécifiques à l'homme, ce
qui n'empêche pas que nous ayions quelque chose en commun avec l'animal. Mais il y a un seuil entre l'homme -
qui analyse, c'est-à-dire, met en rapport à l'aide de facultés qui lui sont propres : il parle, il fabrique, il a un mode
de relation spécifique, il est capable d'éthique-, et l'animal - qui a des capacités que nous partageons avec lui :
sens et perception, motricité et geste, somesthésie et corps, affect et pulsion -. Le moyen de vérifier ces
hypothèses est le va-et-vient entre la théorie et la clinique. A chaque capacité correspond un trouble pur. Cette
théorie est le résultat d'une collaboration très longue entre le professeur Gagnepain, linguiste et le professeur
Sabouraud [11], alors chef du service de neurologie du centre hospitalier universitaire de Rennes.

Outre l'existence de processus implicites, ce qui spécifie l'humain, c'est le fait qu'il est capable de structurer.
L'homme met en rapport là où l'animal est seulement capable d'apprentissage. Sur le plan linguistique, considéré
comme modèle, un élément de la structure lexicale (exemple : livre) n'a pas de valeur en soi ; sa valeur est
négative ; il se définit par opposition à tout le reste du lexique : il est tout ce que les autres ne sont pas (cette
découverte du linguiste Ferdinand de Saussure en ce domaine vaut pour les autres facultés spécifiques à l'homme).

Autre spécificité des facultés humaines : leur caractère dialectique, ce qui suppose contradiction et dépassement de
cette contradiction. Reprenons l'exemple de la linguistique (fig 1). Pour accéder au concept de livre (c), il faut nier
la perception que l'on a des objets (a), puisqu'on appelle « livre » des objets qui peuvent être complètement
différents (perceptivement). La structure lexicale (b) qui est un des éléments de l'analyse que nous faisons sur ce
plan contredit donc notre perception. Cette contradiction est dépassée puisqu'un élément de la structure lexicale
est réinvesti dans la réalité perçue, et qu'on n'appelle pas « livre » n'importe quel objet. Mais il n'empêche que le
concept ne coïncide jamais complètement avec l'objet (il en est de même dans les autres domaines - cf. infra : la
personne ne coïncide pas avec le sujet).

L'existence de facultés dont le processus implicite produit des manifestations diverses et variées (qui elles seules
sont observables), processus structural et dialectique, oblige à rompre avec l'observation qui a cours dans les
sciences de la nature. On peut enregistrer mille énoncés aphasiques, on n'en comprendra pas plus leur « désordre
», car l'origine est l'altération d'une partie d'un processus implicite sous-jacent à ce que l'on observe directement. Il
ne s'agit pas de comptabiliser les bonnes et les mauvaises réponses, mais de comprendre ce qui les produit. C'est
pour cette raison qu'échouent les échelles d'évaluation quantitative qui s'épuisent à rendre compte de la diversité
des manifestations de troubles dont la cohérence est sous-jacente, même s'il y a, il est vrai, des degrés de gravité
des troubles (certains patients sont plus aphasiques que d'autres, par exemple) ; mais ce qui importe, c'est de
savoir ce qui cause leurs symptômes, pour mieux soigner et réinsérer la personne.

Voici le tableau que propose Gagnepain des capacités et des facultés avec les troubles correspondants (tableau I).

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REPRÉSENTATION ET SES TROUBLES

Agnosies
Neurologiquement, on distingue les sensations qui nous parviennent par les canaux sensoriels (vue, ouïe, odorat,
goût, toucher) altérées dans la cécité, la surdité, etc., et les troubles de la perception dans lesquelles il n'y a pas
d'atteinte sensorielle ; on parle alors d'agnosie.

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Prenons l'exemple de l'agnosie visuelle pour expliquer la différence entre sensation et perception (ou gnosie).
Dominique L, après une anoxie, est porteur d'une agnosie visuelle. Il a des sensations visuelles... mais celles-ci ne
reçoivent pas de contour (de gestalt), si bien qu'il ne constitue pas d'objet visuel ou d'image visuelle alors que,
tactilement, ou auditivement, l'image est aussitôt constituée. C'est ainsi que devant une boîte de diapositives posée
devant lui, il peut donner quelques caractéristiques, mais n'arrive pas à percevoir l'objet. Ce qu'on observe
toujours, ce n'est pas le trouble lui-même, ce sont ses moyens de compensation. Les patients, parce qu'ils ont
conservé leurs autres capacités, vont poser, à partir des éléments qu'ils peuvent voir, des hypothèses sur l'objet.
Ainsi, dans une salle de rééducation où il y avait un rouet ancien, Dominique a vu des barreaux et en a déduit qu'il
s'agissait d'une chaise. L'objet est le point de départ de la dialectique qui permet d'arriver au concept. (cf fig 1).
L'objet (a) n'étant perceptivement pas constitué, le patient en est réduit aux hypothèses qu'il peut poser du fait de
son analyse grammaticale (b). Celles-ci ne sont plus contredites par la perception. Plus ce à quoi il est confronté est
imprévisible (exemple : le rouet), plus il est en échec. Le langage vient modeler la réalité visuelle ; c'est lui qui sert
de cadre d'hypothèse à la vision du monde de l'agnosique. Il y a une cohérence des symptômes du patient
agnosique qui touche le traitement des stimuli visuels quelle que soit leur forme (image, objet, mais aussi écriture),
même si le degré de gravité du trouble peut faire que les symptômes n'apparaissent pas systématiquement
partout. (Il n'y a pas lieu d'isoler la façon de traiter visuellement l'écrit du reste et de baptiser ce symptôme «
alexie ».) On voit que, même face à un trouble « naturel » comme l'agnosie, l'observation se complique de par
l'existence de la dialectique.

Aphasie
Prenons l'exemple de l'Enfant sauvage : le docteur Itard avait essayé d'apprendre à Victor le mot « livre » en lui
faisant associer le son /livr/ à un livre bien précis [(a) dans la figure 1], ce que Victor réussit à faire.

Mais quand Itard lui présenta un livre d'un format différent, Victor ne fit plus l'association. Il n'émergeait pas au
concept (c), mais à l'apprentissage d'un étiquetage.

L'aphasie est l'altération d'une partie d'une faculté implicite (b) qui fait qu'on analyse (qu'on structure) les sens et
les sons. Il n'y a rien là, ni de sensitif, ni de moteur. C'est à cette faculté que Victor ne pouvait pas accéder.
L'aphasique, par lésion cérébrale, perd, s'il est Wernicke, la faculté d'opposer les sons (aphasie de Wernicke
phonologique) et/ou les sens (aphasie de Wernicke sémiologique). Ce que l'on observe, ce sont les moyens de
compensation : ne pouvant plus différencier, le Wernicke compense par l'analyse sur l'autre axe : il développe.
C'est ainsi que le Wernicke sémiologique développe du texte, sans que celui-ci puisse être informatif, puisque ne
différenciant plus, il fait des paraphasies (il ne peut plus opposer entre eux les éléments de la structure lexicale).
Exemple : devant l'image d'une maison : « c'est un... euh ! je sais pourtant, un... j'en ai une,... une ménagerie,
non !... pour..., comment dire ?, pour... habiter, une... ».

Au contraire, l'aphasique de Broca qui, lui, peut différencier, ne peut plus analyser quantitativement son dire : il ne
le segmente plus en unités linguistiques et ne peut plus donc développer ; il se contente de juxtaposer les éléments
lexicaux sans pouvoir générer de phrases. S'il n'est pas au stade le plus grave de la restriction quantitative qu'est le
mutisme puis la stéréotypie, il parle alors d'une façon qui ressemble au style télégraphique (par exemple, devant
une image sur laquelle un bébé pleure, il va dire : « bébé larmes », car l'unité nominale et l'unité verbale ne sont
plus combinées normalement, mais il est informatif puisqu'il peut opposer les éléments lexicaux).

Ce que nous avons tenté d'expliquer rapidement pour les troubles sémiologiques (analyse du sens) se retrouve au
niveau de l'analyse (implicite) du son : le Wernicke phonologique ne peut plus opposer les traits pertinents (par
exemple, dans les sons/p/ et/b/ il n'y a opposition que de deux traits pertinents : « sourd » et « sonore ») alors
que le Broca n'a plus le cadre de l'unité qu'est le phonème.

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L'ACTIVITÉ ET SES TROUBLES

Apraxies
Sans trouble moteur, le patient a perdu ce qui permet de passer de la motricité au geste (ou praxie). Ce n'est pas l'
« idée » du geste qui est altérée, comme le laisse supposer le terme d' « apraxie idéomotrice » (car le trouble dont
nous voulons parler ici correspond à ce qui est décrit sous ce terme), mais le geste lui-même : c'est ainsi que dans
l'apraxie buccofaciale, malgré l'absence de déficit moteur, le malade ne peut plus gonfler les joues ou souffler, etc.
En cas d'apraxie de la main, le malade a perdu sa dextérité.

Atechnie
L'atechnie est l'altération d'une faculté (analogue de l'analyse grammaticale altérée dans l'aphasie, mais
indépendante de cette dernière puisqu'il y a des cas d'atechnie purs), elle aussi implicite, qui fait qu'on analyse
techniquement ce qu'il y a à faire et les moyens d'y parvenir. Là encore, rien à voir avec un trouble sensitif ou
moteur et rien à voir avec l'apraxie qui est un trouble du geste.

Les atechniques peuvent faire preuve d'une dextérité sans pareille en faisant, par exemple, tenir debout un crayon
avant d'essayer d'en enflammer la pointe dans un test où il s'agit, devant du matériel divers, de faire de la lumière.
Là encore, ce n'est pas l'idée qui est altérée (d'où le rejet du terme d'apraxie idéatoire), mais l'analyse technique
dont, en tant qu'humains, nous sommes tous implicitement dotés et qui fait de l'homme un « homo faber ».

On retrouve deux types d'atechnie (analogues aux deux sortes d'aphasie) : dans un cas, le patient ne peut plus
différencier les matériaux ou les tâches (en phase aiguë, le malade pourra mettre de la mousse à raser sur sa
brosse à dents, par exemple) ; dans l'autre, il ne peut plus segmenter son activité en unités (au niveau des moyens

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ou de ce qu'il à faire). Dans ce deuxième cas, on observe une tendance à juxtaposer des façons de procéder qui
donnent l'impression que le malade scotomise des étapes (exemple : en phase aiguë, il mettra le café moulu
directement dans le porte-filtre, équivalent du « bébé larmes » du Broca). En phase d'état, les troubles sont surtout
perceptibles au niveau de l'écriture et de la lecture qui peuvent être altérées en cas d'atechnie tout comme le
dessin ou toute autre activité technique. C'est le cas de notre exemple (fig 2), François, étudiant en BTS âgé de 20
ans, qui, à 3 mois de son anoxie, a des troubles techniques qui se manifestent par exemple quand on lui demande
de réchauffer du café puisqu'il met le verre plein directement sur la flamme de la cuisinière. Les symptômes sont
aussi majeurs à l'écrit et à la lecture (il n'a aucun signe d'aphasie ni d'agnosie visuelle).

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L'ÊTRE ET SES TROUBLES

Héminégligence
Nous nous situons dans la lignée du concept d'hémiasomatognosie tombé en désuétude au profit d'explications en
termes de trouble de l'attention. Il nous semble que cette ancienne conception de l'héminégligence rendait bien
compte des troubles observés dans la clinique au niveau du corps du patient, même si, pour notre part, nous
récusons le terme de gnosie, car nous ne pensons pas que ce soit la connaissance du corps ni même son image qui
soient en cause, mais la frontière elle-même qui le crée d'un côté en même temps qu'elle crée l'espace
extracorporel de l'autre. Sans trouble moteur ni sensitif (au niveau de la sensibilité tactile), le patient peut paraître
complètement paralysé d'un côté ; s'il touche ce côté dans son lit, il croit que c'est quelqu'un d'autre. Il y a des
symptômes de part et d'autre de la frontière corporelle : toutes les informations qui arrivent d'un côté ne sont plus
(ou sont mal) intégrées (et on observe des phénomènes « d'extinction sensitive »). Le patient se conduit comme si
une partie de son corps et de l'espace extracorporel n'existait plus pour lui : il n'a aucun sentiment de manque,
même si, tel ce patient, architecte avant son accident vasculaire cérébral, il dessine le plan de la pièce où il se
trouve avec une béance totale d'un côté (absence d'un mur, etc.), il copie la figure de Rey de la même façon
(béance d'un côté, façon de procéder à partir du côté intégré de proche en proche vers l'autre avec perte des
repères spatiaux, etc.), il ne lit qu'un côté du texte et n'utilise qu'une partie de la feuille pour écrire... Tout ce qui
se passe au niveau des conséquences visuelles du trouble a été étudié [7], mais leur importance nous semble
hypertrophiée, car les symptômes qui se manifestent dans ce domaine sont à envisager comme un des aspects
d'un trouble plus global qui touche à la fois le corps (et donc toutes les informations sensitives qui lui parviennent
et la motricité qui en « part ») et l'espace extracorporel.

Asomasie
Elle correspond aux troubles de la mémoire, mais il nous semble que ces derniers ne sont que des symptômes d'un
trouble qui a des conséquences au niveau de l'analyse (sociale, relationnelle). En effet, ces patients ont parfois
beaucoup perdu de leurs facultés mais n'ont souvent aucun sentiment de perte et donc aucune demande de
rééducation. Ils ne sont pas en position de soignés et ils ne nous reconnaissent pas comme soignants. Certes,
l'asomasique peut admettre certains symptômes (par exemple : au niveau de la mémoire), mais son trouble fait
qu'il ne peut plus mettre ce fait en rapport avec d'autres sur le plan social. C'est ainsi qu'un de nos patients,
plusieurs mois après son traumatisme crânien, reconnaît qu'il a des troubles de mémoire, mais demande à
reprendre ses études universitaires. Il ne peut plus mettre en rapport deux situations sociales différentes. Cette
difficulté est illustrée par l'incapacité à saisir la satire (sociologique) de certains dessins humoristiques ou bandes
dessinées (fig 3). Des patients asomasiques cultivés, ayant pourtant bien récupéré, interprètent régulièrement le
pharaon comme un visiteur qui vient rendre visite à un blessé à l'hôpital (le pharaon est souvent pris pour la
femme du blessé), sans que quoique ce soit leur semble paradoxal : ils actualisent une situation - souvent la leur,
celle d'hospitalisés - et ne saisissent pas que le dessinateur en a introduit une autre incompatible avec la première -
avec des signes d'appartenance sociologique à un autre lieu, une autre époque - ; ils ne saisissent a fortiori pas
l'intention humoristique de l'auteur.

Autant les troubles de la mémoire ont été décrits et font l'objet de recherches pointilleuses [4] - la psychologie
cognitive a dégagé une vingtaine de mémoires différentes ! -, autant ce qui nous semble important d'un point de
vue clinique, les conséquences du trouble (l'asomasie) sur la personne (fig 4), n'ont pas été relevées ou bien
souvent mises sur le compte d'un syndrome frontal ou de troubles psychopathologiques. Chez l'adulte, le trouble,
altérant le sujet biologique (ou somasie) perturbe la dialectique existant entre celui-ci et l'ego (c'est-à-dire la
structure qui permet de s'absenter des rôles que la société lui assigne) ; l'ego, c'est l'absence, mais il se réinvestit
dans la personne, même si, comme pour l'objet et le concept, il n'y a pas coïncidence entre le sujet et la personne.

On peut observer une difficulté à s'absenter (à s'excentrer) : c'est le cas d'un de nos patients, jeune homme de 20
ans victime d'une anoxie avec pour conséquence une asomasie ; alors qu'il n'a aucun signe d'agnosie visuelle, un
dessin tiré de Tintin au Tibet d'Hergé représentant un avion écrasé dans la montagne enneigée est interprété par
Samuel qui est revenu il y a peu d'une semaine aux sports d'hiver, comme une scène se passant dans une station
de ski : il voit des remonte-pente, etc. La scène est totalement réinterprétée en fonction de son histoire qu'il
réactualise, ne pouvant plus s'en excentrer. Parfois le malade ne peut plus réinvestir sa faculté de s'absenter dans
la réalité : on a alors affaire à des patients qui paraissent totalement absents, voire délirants. Autre manifestation
du trouble : ils peuvent adhérer à la situation de malade, c'est-à-dire au discours de l'autre, car c'est l'autre qui les
fait être, leur donne un contenu. Dans tous les cas, l'asomasique ne peut plus être « plusieurs » à la fois, il n'est
plus capable d'ubiquité [8] contrairement à la personne normale, de même qu'il ne peut saisir à la fois les deux
situations sociales dans le dessin du pharaon.

Les conséquences sont importantes au niveau de la réinsertion, car nous utilisons le fait que le patient « colle » à la
situation professionnelle antérieure, ce qui lui permet d'être adéquat, malgré la persistance de symptômes par
ailleurs. C'est différent pour l'enfant et l'adolescent qui n'ont pas encore eu accès au social (ou n'ont pas
d'expérience antérieure de l'exercice d'un métier).

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L'originalité de l'asomasie tient donc au fait que le trouble, malgré parfois une très grande apparence de normalité,
provoque des symptômes importants en test (et dans toute situation abstraite, comme l'est la situation scolaire)
alors que le patient peut se révéler suffisamment adapté dans une situation concrète, connue, qui le soutient (ce
qui rend parfois le handicap « invisible ») ; c'est en s'appuyant sur cette caractéristique de ce trouble (que seul le
modèle théorique nous permettait de prévoir) que nous avons réussi des réinsertions professionnelles précoces au
poste antérieur, même dans des métiers à haute responsabilité, malgré la persistance de symptômes parfois
majeurs dans la vie quotidienne et bien sûr dans les tests. Ceci n'est rendu possible que par une rééducation
appropriée, une prise en charge de la famille (car sans son soutien, la réinsertion professionnelle est impossible) et
une démarche de réinsertion pointue, utilisant en particulier les stages ergothérapiques en entreprise .

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LE COMPORTEMENT ET SES TROUBLES

Aboulie
Ce trouble regroupe ce qui est habituellement décrit sous le terme de « syndrome frontal » qui a été, depuis Luria
[10]
, remarquablement décrit au niveau des difficultés de stratégie [9] qu'il engendre (dans le raisonnement
mathématique, la conduite du récit, la copie de la figure de Rey, etc.), mais ce qui nous semble central dans une
démarche thérapeutique, c'est l'anosognosie, c'est-à-dire le fait que le malade n'ait aucun jugement critique sur ses
séquelles.

Dans notre approche, le syndrome frontal est un trouble de la pulsion (ou boulie) : le malade a des affects, mais
ceux-ci ne déclenchent plus de réactions (de pulsions) normales ; c'est une altération de la « mise en branle » du
comportement, quel qu'il soit (gestuel, verbal, social, etc.) : le malade, de ce fait, se trouve livré à ses impulsions
et ses compulsions. Il y a perturbation de la dialectique qui va de la pulsion au désir légitime (par le biais de la
Norme - l'autocensure -).

Il y a deux versants à ce trouble.

Un versant inhibé : les malades ne se déclenchent pas spontanément, mais peuvent être déclenchés par
l'environnement (« comportement d'utilisation », etc.) ; ils ont un aspect inexpressif : leur faciès, leur voix
n'expriment aucune émotion et ils paraissent rigides et figés. Cependant, cela ne doit pas faire illusion : à la piscine
municipale, une de nos patientes (porteuse d'une aboulie versant très inhibé) nageait impassible dans le grand
bassin, quand l'animateur s'enquit de son état. Elle répondit d'une voix plate et monocorde, sans que son visage
changeât d'expression : « je panique ! »... Cela illustre bien le décalage entre ce qu'exprime le patient
spontanément (rien !) et ce qu'il peut ressentir.

Un versant désinhibé dans lequel, semblant avoir perdu toute censure, il se déclenche de façon totalement
anarchique. Le malade a donc des difficultés à élaborer quelque projet de comportement que ce soit, ce qui
implique défaut de « stratégie », de « programmation » ou de « planification » perceptible dans la conduite du
discours, le récit, le raisonnement mathématique, la copie de la figure de Rey, etc. Le patient se lance
impulsivement, sans aucune possibilité de recul préalable, de prévision.

Les malades ne semblent plus rien désirer (en dehors d'impulsions et de compulsions), par altération du « ça »
pulsionnel qui « pousse » le sujet normal, l'anime, le déclenche, « ça » passé normalement au filtre de la censure,
pour aboutir à un désir autre que pulsionnel, à un désir censuré, légitime ; ou bien, ils semblent se déclencher de
façon anarchique comme s'il n'existait plus de frein. Cette désinhibition n'est pas une altération directe de
l'autocensure, mais de la boulie qui en perturbe le déclenchement. Le malade est livré à ses impulsions : sexuelles,
alimentaires, techniques (un malade démontait compulsivement tout ce qui se trouvait à sa portée dans sa
chambre), verbales (logorrhée), logiques (au niveau des données mathématiques, le malade peut pratiquer des
opérations dans l'ordre où elles apparaissent dans l'énoncé, indépendamment de la question posée et du
raisonnement nécessaire pour y répondre), relationnelles (mégalomanie, etc.). Ce trouble de la pulsion a des
conséquences sur l'autocensure, et le jugement : le malade ne s'évalue pas comme tel, ne se plaint d'aucun
sentiment de perte.

Les abouliques sont aussi piégés par les dessins ou bandes dessinées humoristiques, mais pas de la même façon
que les asomasiques ; les premiers, en général, voient les deux situations, mais pas la contradiction qui existe
entre elles (les asomasiques ne voient qu'une seule situation à la fois). Les deux types de patients ne perçoivent
jamais le second degré (mais pas pour les mêmes raisons). Un test comme le Rosenzweig est intéressant aussi :
l'aboulique peut être complètement désinhibé (fig 5) ou, au contraire, s'excuser sans arrêt. Mais le plus révélateur
est souvent la façon dont le patient s'autoévalue et analyse sa situation.

Les troubles neuropsychologiques survenant brutalement à la suite d'une lésion cérébrale font l'objet depuis ces 20
dernières années de recherches nombreuses et de modèles explicatifs variés. Notre approche inspirée de la théorie
de la médiation de Gagnepain a permis, grâce à son aspect heuristique, de construire au fil des années une
thérapeutique institutionnelle notamment face à certaines conséquences comportementales et relationnelles. Il ne
s'agit pas seulement de rééduquer un trouble, mais de prendre en compte le patient dans son faisceau de relations
familiales et professionnelles en vue de sa réinsertion .

Références
[1] Bellamy O, Cano-Lebourhis M, Guérin-Bonvoisin F, de Labarthe J Psychorééducation chez les
lésés cérébraux. Rev Med Assur Mal 1996 ; 3 : 46-52

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[2] Bellamy O, Guérin-Bonvoisin F, Le Gal C, Pelé S. Clinique thérapeutique et asomasie. Comment


soigner quand le thérapeute fait être le malade ? Revue Tétralogique, PUR, Rennes, 1993 : 187-209
[3] Blaise JL, de Labarthe J Le stage ergothérapique en entreprise : un outil spécifique dans la
réadaptation du traumatisé crânien. Rencontres Reeduc 1991 ; 4 : 71-84
[4] Bruyer R, Van Der Linden M. Neuropsychologie de la mémoire humaine. Presses Universitaires de
Grenoble, 1991
[5] de Labarthe J être ou ne pas être dans la prise en charge spécifique des traumatisés crâniens. Rev
Med Assur Mal 1992 ; 4 : 52-56
[6] Gagnepain J. Du vouloir dire. Livre et Communication, Paris, 1991
[7] Gainotti G. L'héminégligence. La Recherche, avril 1987
[8] Guérin-Bonvoisin F. La personne sans sujet. [thèse], Rennes, 1992 : 1-314
[9] Legall D, Aubin G. Lobe frontal et syndromes frontaux. Rev Neuropsychol Lang Fr 1994 ; 4 (no spécial)
[10] Luria AR. Les fonctions corticales supérieures de l'homme. Paris : PUF, 1978
[11] Sabouraud O, Gagnepain J, Sabouraud A. Vers une approche linguistique des problèmes de l'Aphasie.
Extrait de la Revue de Neuropsychiatrie de l'Ouest. Rennes : Imprimeries Réunies, 1963

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Fig 1 :

Fig 1 :

Dialectique objet (a) - analyse grammaticale (b) - concept (c).

Fig 2 :

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Fig 2 :

Exemples d'écrits et de dessins copiés et spontanés d'un atechnique.

Fig 3 :

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Fig 3 :

Dessin de Serre (Glénat : « Humour noir et hommes en blanc »).

Fig 4 :

Fig 4 :

Dialectique sujet biologique (a) - analyse (Ego) (b)-Personne (c).

Fig 5 :

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Fig 5 :

Réponse d'un aboulique désinhibé au Rozenzweig.

Tableaux

Tableau I.

Tableau I.

Repr�sentation Sensation Gnosie Signe


C�cit� Agnosie visuelle Aphasie
Surdit� Agnosie auditive
etc. etc.

Activit� Motricit� Praxie Outil


Paralysies Apraxie du regard Atechnie
Apraxie buccofaciale
Apraxie du membre
sup�rieur
etc.

Etre Somesth�sie Somasie Personne


Troubles Asomasie Psychose
proprioceptifs
H�min�gligence ?

Comportement Affect Boulie Norme


Apathie Aboulie N�vrose

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