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L’homme peut « 

ne vivre que dans le présent […] en étant constamment en présence


de ce qui et non de ce qui devrait être ou de ce qui a été dans le passé » (p. 23)
Vérité = « perception de ce qui est » (p. 23)
« Ce qui est […] est sa propre action » (p. 24)
Réalité = « une projection de la pensée, de l’objet de nos pensées ou de nos
réflexions » (p. 24).
« La vérité en action » (p. 25).
« Une action qui soit indivisible » (p. 25).
Tous les objets susceptibles d’exister « sont liés » (p. 25). « Si la pensée a créé ces
objets, ils sont tous liés les uns aux autres » (p. 25).
« Cet arbre est, il est donc vrai, mais cette vérité, je peux la déformer » (p. 26).
« La vérité est action » (p. 26).
« Percevoir, c'est agir, voir c'est agir » (p. 26).
La perception et l’action se confondent avec l’intelligence. « L’intelligence, c'est la
vérité agissant dans le champ du réel ».1 « La vérité est bien l’intelligence » (p. 29)
L’action/perception est « holistique », donc elle est l’intelligence.2
« Cette intelligence est l’essence même de la vérité » (au sens où voir = agir, p. 29).
Elle « opère dans la totalité de l’espace du réel ». (p. 29).
« L’action consiste à voir ce qui est. Cette action passe par l’intelligence » (p. 29)
« L’intelligence n’est autre que l’action de la vérité, mais elle ne peut effectivement
pas se situer sur le plan du réel » (D.B., p. 30)
« vivre d’une manière saine, c'est-à-dire exempte de contradiction », « vivre en
permanence au contact de ce qui est » (p. 31).
« un mode d’existence authentiquement créatif » (p. 31)
« La perception de ce qui est – cette intelligence – peut agir dans et sur cet univers du
réel. Et parce qu’elle est douée d’intelligence, cette perception ne déformera jamais
cette réalité, elle ne tombera jamais dans une activité qui dénaturerait les choses » (p.
32)
« Moi, je suis divisé, fragmenté, atomisé »
« Le commencement de la vérité, ou sa qualité, est-ce le fait même de percevoir les
facteurs responsables de distorsions dans le champ du réel ? ». Le fait de voir « ce qui
est faux, névrotique, et tout ce qui s’ensuit – la perception de tout cela est-elle la
semence de cette "autre chose" ? » (p. 33).
« Nous agissons tout au long de notre vie dans le champ du réel et nous y constatons
des distorsions : la vérité, c'est la perception de ces distorsions » (p. 34).
La réalité est « tout ce qu’a élaboré la pensée, toute l’activité de la pensée lorsqu’elle
se penche ou réfléchit sur un objet – faussé ou rationnel » (p. 34).
« la vérité, c'est ce qui est." Et il ajoute : "Lorsque vous percevez la distorsion, là est la
vérité, là est l’action » (p. 34)
« dans le champ du réel, l’acte même de voir la distorsion – autre dit le fait, le
caractère tangible de ce qui est -, c'est cela, la vérité » (p. 34)
« Lorsqu’on voit que l’observateur et l’observé ne font qu’un, c'est cela, la vérité » (p.
34-35).

1
P. 29.

2
« Toute action holistique n’est autre que l’intelligence » (p. 29).

1
« il n'y a pas d’approche graduelle », car voir = faire3
« Si je ne suis pas affranchi de mes failles, bien que je les constate, c'est que je ne es
vis pas véritablement » (p. 36)
Vraie perception = « tout voir » (p. 36) ; « perception globale » (p. 37)
La « vision/action » n’est pas un processus d’ordre intellectuel (p. 37)
Quand la perception est action, la perception est globale (p. 37)
Commencement : « Peut-on annoncer cet état [l’action de l’intelligence dans le champ
du réel] à l’avance ? Peut-on, grâce à des mots, expliquer à autrui quelle va être
l’action de cette intelligence dans le champ du réel ? Peut-on faire comprendre ou en
décrire d’avance les effets à venir ? » (p. 38).
« Cette vérité qui est à l’œuvre dans le champ de la réalité, c'est l’intelligence » (p. 38)
On ne peut pas poser la question « quelle action va donc avoir cette intelligence en
certaines circonstances », car elle et « biaisée ». « Nous ne cessons de demander :
"Montrez-moi d’abord l’action de l’intelligence dans l’univers du réel, et je vous
suivrai.". Cette intelligence, vous, vous l’avez, et je vous demande, je vous supplie de
m’expliquer comment agit cette intelligence, comment opère la vérité, dans le cadre du
réel » (p. 38)
Amour = « une attitude de compassion » (p. 39). « La compassion c'est l’amour, c'est
la vérité » (p. 40)
« Le plaisir est sans lien avec la vérité », parce qu’il se situe dans le plan de la réalité
(p. 39)
Quand voir c'est faire, « l’action se fait joie » (p. 40)
« Les choses commencent à être difficile à exprimer » (p. 40 ; au sujet de l’amour et de
la vérité).
Perception = action = compassion/amour = vérité
La compassion, c'est quand cesse toute division. Pas d’amour en cas de dualité
« Dès que je perçois véritablement ce tout indissocié – qui n’est autre que l’amour –
alors je vous aime » (p. 41-42)
On peut aimer une personne sans exclure les autres. La préférence est inévitable
En disant « je vous aime », on transformer l’amour en processus exclusif (vous
m’appartenez, je vous appartiens)dépendance.
Je vois la dépendance (et sa « structure d’ensemble », p. 42)je cesse d’être
dépendant, sans être insensible : « la perception consiste en cette perception » = amour
sans dépendance.
« Pour celui qui vit dans l’univers du réel et qui observe le rationnel et l’irrationnel qui
s’y manifestent, le regard lucide qu’il porte sur l’irrationnel est la vérité, car il perçoit
alors tout l’irrationnel présent au sein du réel » (p. 43). « C'est parce qu’il voit tout ce
la – à savoir que voir et agir ne font qu’un – que la vérité est là. Et cet homme vit à la
fois dans la vérité et dans la réalité » (p. 43).
…le « prêtre qui vit dans le plan de la réalité, mais qui a façonné l’image de Dieu, de
Jésus (ou que sais-je encore), qui n’est qu’une distorsion de la vérité ? Cela, il refusera
de le voir » (p. 44).
Il est difficile de faire percevoir la distorsion de la vérité à cause de notre
conditionnement. « La plupart des étudiants – ou n’importe qui d’autre, en fait, en sont
l’illustration. Comment briser cette résistance ? » (p. 44). Pour ça la compassion est
3
LM, p. 36.

2
insuffisante : il faut « une énergie » (p. 45) issue de la passion, de la compassion, etc.
Cette énergie provoque-t-elle une conscience neuve chez les autres ou ne fait-elle
qu’ajouter encore au contenu de la conscience ? Même si on demande à l’auditeur de
ne pas absorber ces paroles pour qu’elles s’ajoutent au contenu de la conscience,
« c'est déjà fait, parce que toutes mes habitudes, tout mon conditionnement me portent
à ajouter sans cesse un fardeau de plus au fardeau existant ». (p. 45). L’enseignant à ce
problème : « comment transmettre ce sens de la vérité à un étudiant ? Alors que cette
vérité coule en vous, brûle en vous. Ce doit être un sacré problème, un véritable casse-
tête. Pas pour moi, heureusement, car peu m’importe qu’on ait ou non envie de
m’écouter : chacun décide pour soi » (p. 45-46). « Est-ce que vous faites passer dans
leur conscience une qualité nouvelle ? Voyez comment Staline, Hitler, ou les prêtres,
au nom de Jésus, ou encore les hindous, et tant d’autres, ont affecté la conscience de
l’humanité » (p. 46). Les prêtres « se sont adressés aux gens, les ont influencés et
torturés moralement et physiquement » (p. 46). K ne veut pas influencer les gens, mais
les invite à « se dégager » de tout le contenu de la conscience. Pause
 L’énergie et liberté
« Il ne peut y avoir de perception lucide sans liberté : tout est là, voyez-vous. La liberté
est l’essence même de la perception – il faut être affranchi de tout préjugé, entre autres
choses. Un esprit qui est libre voit Voir et agir ne font alors plus qu’un » (p. 46). Pour
les communistes, la liberté n’existe pas4 ; même si Marx disait qu’il faut changer la
société ; mais le danger est qu’un homme qui n’est pas libre ne peut pas modifier la
réalité qui est la sienne ; il faut sortir de ce système, ce qui réclame de l’énergie ; mais
l’énergie ne peut pas me libérer tant que je baigne dans l’univers du réel ; « mais la
perception des distorsions existant dans ce plan du réel sera source d’énergie ».
« L’énergie n’est autre que la perception du faux » 5 L’erreur est inévitable tant qu’on
reste dans l’univers du réel, mais on désire mettre fin à l’erreur ; « or « le désir de
mettre fin à l’erreur n’est qu’une erreur de plus ». « Le fait de percevoir ces choses
erronées [les distorsions qui existent dans l’univers du réel] – au sens d’en avoir une
vision globale – est source d’énergie. Ce qui signifie que je ne peux pas dire qu’il soit
impossible de s’affranchir de ces erreurs ».6 L’énergie est le fait même de constater les
erreurs, donc la sensation d’un manque d’énergie est une fausse perception. « La
réalité a son énergie propre », qui « englobe à la fois le désir » et toute forme
d’énergie, « y compris celle propre à la distorsion » (p. 48). « Pour percevoir cette
distorsion, l’esprit doit être libre. Il doit la mettre à distance, en quelque sorte et la
regarder » (p. 48-49).
 néant
« Cette réalité est vide. La réalité n’est rien, elle n’est que néant » (p. 49). La réalité
suppose que quelque chose existe ; donc le néant n’est ni réel ni irréel, il échappe à ce
champ. La réalité n’est rien, mais il existe un espace, un vide ou un néant dans lequel
on peut voir la vérité. « C'est dans l’acte de voir qu’est la vérité – qui, elle, n’est autre
que le rien, le néant […]. Et cette perception ne peut avoir lieu qu’au sein du néant, qui
n’est autre que l’énergie » (DB, p. 50). « Quand notre esprit est vide, lorsqu’il n’est
rien, qu’il n’est que néant –, c'est en cela qu’est la perception » (p. 50). Dans le néant,

4
« L’absence de liberté, c'est la réalité, c'est l’instrument du réel » (Dr Parchure)

5
LM, p. 47.

6
LM, p. 48.

3
il y a une espèce de forme qui est le réel, mais cette forme n’est rien ; ce qui
présupposerait que rien n’ait d’existence ; il faut éclaircir cette image. Il y a un espace
entre l’esprit et la réalité, c'est-à-dire de la distance (sans division). Il y a de l’espace
quand l’observateur est l’observé, mais cet espace n’est pas un facteur de division. Par
exemple : quand je vois un objet, le mot créé un espace, une distance, mais l’acte de
voir n’implique aucune distance ; la division apparaît dès qu’on dit « je vois ». 2
espaces : l’un divise mais pas l’autre. L’espace sans division englobe toute chose. «
Dans cette perception doublée d’une action il n’est point de division. La division va de
pair avec le prétendu espace du temps et de la distance, etc. Mais, ici, toute division est
exclue, et par conséquent cette perception agissante se situe dans l’espace » (p. 51).
Toute chose s’inscrit dans l’espace ; l’espace englobe tout. La liberté est le propre de
l’espace vs. espace créée entre deux personne lorsque l’une aime ou n’aime pas l’autre.
« Un espace "grand ouvert", en quelque sorte. Cette zone franche forme un seul et
même espace, qui inclut l’espace extérieur, tous les objets étant en un sens contenus
dans cet espace global où ils sont tous unis, ne font tous qu’un » (DB, p. 52). « Sans
cet espace nous ne pourrions pas exister […]. C'est aussi l’espace de l’activité
mentale ». La réalité n’est pas située dans l’espace de l’esprit : « La réalité, c'est
l’espace » (p. 52). Je peux créer cet espace artificiellement. Cet espace est « la liberté
du néant », car il n’admet pas de division (voir = agir). « La vérité c'est le néant – le
rien, la non-chose. L’actiond u néant, qui est l’intelligence présente dans le réel – une
intelligence libre de toute contingence -, s’exprime au sein de la réalité sans qu’aucune
distorsion n’intervienne. Si notre esprit est dépourvu d’espace mais encombré de
problèmes, d’images, de souvenirs, de connaissances, il n’est pas libre, il est donc
incapable de voir et, ne voyant rien, il est incapable d’agir. Mon esprit est trop plein
pour être libre, il n’il y a plus de place, plus d’espace en lui » (p. 53). Quand il n'y a
plus d’espace, l’esprit « devient le jouet de son environnement, de ces distorsions ».
L’esprit qui est vide, qui n’est rien, peut voir, donc agir « et cet agir est vérité ». Cet
espace n’est pas « limité par la faute de l’esprit », il n’est pas limité parce qu’il n’est
pas issu de la pensée. Cet espace peut percevoir les objets appartenant au réel et agir en
fonction d’eux. « Il n’existe aucune réalité dans l’espace » (p. 54). « Le réel, c'est tout
ce qui peut être objet de pensée » (p. 54). « zone de vacuité » où la pensée est absente
(p. 55). La pensée n’a pas créé cet espace, donc il n'y a pas de rapport entre eux. « Cet
espace agit à sens unique » : il peut agir sur la pensée ou la réalité, mais pas l’inverse.
Son action vise à remettre de l’ordre ; quand c'est fait, la pensée reprend son cours. La
prise de conscience des distorsions met fin aux distorsions grâce à l’« énergie
perceptive ». La liberté nécessaire pour percevoir les distorsions « sous-entend une
énergie, et l’acte même de voir clarifie la pensée, qui est dès lors rationnelle et saine »
(p. 56-57).
L’espace et la pensée « sont-ils sur deux voies parallèles et distinctes, ou sont-ils en
harmonie ? » (p. 57).
Pensée = mesure = temps. « Cette mesure peut-être faussée ou bien rationnelle » (p.
57).
« La vérité peut agir sur la pensée » (p. 57) ; mais dans ce cas pensée et vérité sont sur
le même plan, dans le même espace au sein de l’esprit ; donc il n'y a plus de division,
de dissociation entre pensée et vérité. Mais si la vérité est étrangère au temps,
comment peuvent-elles être sur le même plan ? « En posant la question, votre pensée

4
se tourne vers la vérité » (p. 58). Donc « elles n’ont pas de lien de connexion. Mais
quand la vérité se tourne vers la pensée, elle lui dit : "Je suis en contact avec toi" – ce
qui revient à dire, en somme : "Je fonctionne dans le plan du temps […] dans le plan
de la réalité" ». La division entre pensée et vérité s’efface « quand la vérité touche du
regard la pensée » ; la division n’existe que « quand la pensée veut refléter la vérité »
(p. 59) ; elle cesse « quand la vérité porte son regard sur la pensée ». « La vérité agit
dans le plan de la réalité, et elle agit avec intelligence ». « Quand l’intelligence opère
dans le champ du réel, elle ne fait qu’un avec lui, elle n’en est pas dissociée » (p. 59).
Le réel n’est pas ce qui est ou une substance autonome : c'est un champ, un plan (p.
60). Il ne faut pas tant s’occuper de la vérité que de la réalité et de ses distorsions  ; si
on observe ces distorsions, on s’en libère (p. 61). L’observation suppose qu’on soit
libre et cette liberté/observation donnent l’énergie nécessaire pour éliminer toutes les
distorsions. La vérité consiste à percevoir ces distorsions :
vérité = voir/agir = « l’intelligence qui agit dans le plan du réel sans la moindre
distorsion » (p. 61).
« la vérité consiste en cette perception agissante, et en cette action de l’intelligence au
niveau du réel » (p. 61)
Il faut effacer tous les facteurs de distorsion « d’un seul coup », grâce à une perception
globale : « quand on embrasse tout d’un seul regard, la vérité est là » (p. 61).
Cette vision suppose qu’il y ait de l’espace au sein de l’esprit.
« Occupation rime avec corruption » (p. 62).
Méditation = « vider l’esprit de son contenu » (p. 62)
Si l’esprit rejette et élimine toute distorsion, la pensée n’est plus nécessaire, sauf « en
tant que fonction » rationnelle (p. 62). La pensée produit des distorsions quand la
vérité n’intervient pas. Par sa nature même, elle divise, altère, crée des distorsions (p.
63).
La pensée ne déforme pas toujours toutes choses, en toutes circonstances : elle
déforme lorsque la vérité n’intervient pas. La pensée dénature lorsqu’elle est
dépourvue de la qualité de vision.

2. Le désir et le bien

Pourquoi le désir a-t-il pris une importance aussi immense dans notre vie ?
L’objet du désir est-il abstrait ou concret ? Pensée = désir (p. 66) ; on désire les objets
qui font partie de la pensée.
Si je vois une voiture et que je remarque sa laideur, je n’en veux pas : c'est une
perception, une sensation ; sensation et perception sont indissociables (p. 67) ; mais
laquelle vient en premier : la sensation ou la perception ? Si c'est la perception,
comment le désir naît-il à partir de la perception ? L’imagination intervient-elle dans le
désir ? Le désir de changer les structures de la société naît de la perception de l’état
actuel de la société. Quand je le perçois ou que j’y réfléchis, avec l’espoir de le
changer, j’imagine une situation meilleure, mais cela est une perception plutôt qu’un
désir :
« je perçois la décadence, la corruption ou le malaise de la société. Je vois cela en toute
lucidité. C'est cette perception qui me motive, et non mon désir de changer la
société. Ma perception m’en montre toute la laideur, et cette perception se fait action,

5
moteur du mouvement de changement. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre »
(p. 68).
Cela ne provoque pas un désir : je ne fais qu’observer, je perçois (il n'y a pas de
manque) et cette perception est action. La perception « appelle l’action » (p. 68) : « la
perception est le début d’une formulation du type d’action à mettre en œuvre » (p. 69).
Cette formulation résulte d’une réflexion, mais la perception ne fait pas partie du désir.
« La laideur de la société est donc perçue – je ne parlerai même pas de "laideur", car il
faudrait alors entrer dans les notions de contraires. La perception est la racine de
l’action » (p. 69). Le désir ne joue aucun rôle la dedans. La perception est « le moteur
de l’action » (p. 69). Il y a perception, contact et sensation et ensuite cela devient désir,
mais quand la perception a eu lieu, le désir ne joue aucun rôle dans la mise en acte de
cette perception. Je ne peux pas concrétiser la perception de façon immédiate.

Le désir n’est pas problématique quand il est simplement là (exemple : je perçois une
pomme, j’ai envie de la manger, je la croque). Distinguer :
- le désir naît parce que j’ai envie de cette pomme, parce que son goût me plaît,
etc.
- Quand je perçois l’état réel de la société et que j’agis : le désir n’intervient pas
Si je ne sais pas comment agir, je prends conseil, je discute ; mais « ma perception est
si claire que rien ne peut me décourager » (p. 71). Si je vois lucidement que le
changement est impossible, alors c'est terminé, fini.
Etre mû « par une vraie perception » ≠ être poussé « par le désir sans pour autant
avoir jamais rien perçu ».
L’origine du désir n’est pas énigmatique (« Je vois cette voiture : je voudrais la
posséder ; j’associe cette voiture au plaisir », p. 72).
« Le désir suppose une envie, une soif ardentes » (p. 73), pas simplement la
perception.
« DB : Une soif d’inaccessible. En fait, que l’objet du désir soit accessible ou non,
nous en rêvons éperdument. K : Voyez-vous, je ne fonctionne pas de cette façon-là »
(p. 73)
Le désir se fonde sur la sensation, l’imagination, « l’anticipation du plaisir tel qu’on l’a
imaginé » (p. 73).
Si je suis prêt à aller si loin pour satisfaire mon désir, ce n’est pas seulement parce que
j’en retire beaucoup de plaisir ou parce que je ne connais rien d’autre que le plaisir ;
c'est aussi parce que je mène une existence très superficielle : « Mon éducation est
superficielle ; le plaisir est superficiel ; voilà d’où me provient cette soif » (p. 74).
Pourtant le désir apparaît parce que je ne me rends pas compte de cette superficialité :
« si j’admets qu’un plaisir est superficiel, il ne me tente plus ». Le plaisir peut donner
l’impression d’être autre chose, quelque chose de fondamental ou d’essentiel, mais ce
n’est pas vrai : je crois à l’importance fondamentale du plaisir parce que le plaisir est
« un moyen parmi d’autres de masquer ma propre vacuité » (p. 75). Quand je vois un
objet, j’aimerai qu’il soit à moi pour toujours à cause de « l’absence de toute beauté en
moi » (p. 75). « La beauté est donc ailleurs, là-bas, et c'est pourquoi je la veux ? » (p.
76).

 Idéalité du bien

6
La vérité ne peut pas être objet de désir (p. 77). On ne peut pas désirer le bien ou le
beau. La beauté n’est pas de l’ordre du réel. La beauté, l’amour et le bien ne sont pas
de l’ordre du réel, c'est-à-dire créés par la pensée ; alors que le désir se situe sur le plan
du réel. / Le désir cherche à faire entrer dans le réel quelque chose qui se situe hors du
réel (p. 78). « La projection, elle, fait effectivement partie du réel, mais ce phénomène
nous échappe » ; c'est pourquoi le désir est contradictoire ; puisque le désire projette
un objet transcendant, tout objet réel obtenu est décevant (la réalité nous déçoit et
provoque un sentiment de manque).
Plan du réel Essence
« Etant donné que la soif de beauté se « La beauté ne se situe pas dans le plan
manifeste dans le plan du réel, il s’agit du réel » (p. 79)
d’un mouvement de la pensée où la
beauté, une fois projetée dans
l’imaginaire, devient ensuite un objet de
désir » (p. 78)
la chose belle (par exemple : un arbre) est ce qui est est de l’ordre du beau.
ou existe (p. 79)
L’arbre est une réalité la vérité, c'est ce qui est
« Problème de langage » (DB) : si on dit que l’arbre n’est pas réel, mais qu’il est :
« DB : L’arbre, c'est ce qui est, pourtant il n’est pas réel. K : Oui, on peut exprimer les
choses ainsi. DB : C'est une telle violation du sens ordinaire des mots ! K. : L’arbre tel
que nous le concevons généralement est une réalité. Mais nous disons que la vérité,
c'est ce qui est. Et, lorsque je regarde l’arbre, je le fais passer dans le plan du réel par le
fait même d’y penser […]. Mettons les choses au clair à présent. Nous disons que le
bien n’appartient pas au champ du réel » (p. 79). « Il n’appartient pas, en essence, au
plan du réel » (p. 80).
Réel Hors du réel
Bonnes œuvres, bonne conduite, bon « le bien en tant qu’essence de ce qui est
goût, bonne cuisine, bonnes pensées bien et bon »

 L’énergie
Une énergie « étrangère à toute contradiction ». DB : « une sorte d’énergie universelle,
indépendante, autonome et ordonnée […] une forme d’énergie autonome ayant une
portée cosmique et qui n’appartiendrait à aucun objet ni à aucune classe d’objets en
particulier » (p. 80). Une énergie « d’un ordre parfait ».
« La réalité, c'est l’objet, la chose. La vérité, elle, n’est pas de l’ordre de / l’objet,
de la chose, c'est le non-objet, la non-chose – le rien, le néant. L’objet génère une
énergie… […] Une seule et unique forme d’énergie », qui est limitée (p. 81) ;
« Alors que la non-chose, le néant, qui est vide, est sans limites » ; cette énergie
« ignore toute contingence. Donc, l’une de ces formes d’énergie est contingente,
dépendante, et l’autre ne l’est pas. Il est possible que toute chose dépende de l’illimité,
de cet autre plan d’énergie.
« C'est ce que nous sommes en train de dire. Mais on tombe alors dans le piège qui
consisterait à dire que Dieu est en nous, que cette énergie suprême est en l’homme ».
Cette énergie et l’énergie de la pensée « ne font qu’un ». / Il n'y a qu’une énergie. « Il
n’existe qu’une seule et même énergie, qui est mise à profit dans l’univers du réel, et

7
qui est par conséquent destructible, pervertie, et source de destruction, de
dégénérescence, etc. Cette même énergie constitue le néant, et le néant n’est autre que
la mort. Nous sommes bien d’accord ? » (p. 82). « Je pense – j’hésite un peu à le dire –
que la forme d’énergie issue du néant est cependant différente de l’autre […] la
connexion ne peut se faire que dans un seul sens, allant du néant vers l’objet ; l’inverse
est impossible. Essayons d’avancer pas à pas. L’énergie du néant est-elle donc
différente, distincte de l’énergie de l’objet ? Pour l’instant, je constate qu’elles
diffèrent l’une de l’autre en raison de leurs dissemblances […]. Les deux ne seraient-
elles pas plutôt confondues ? L’une – celle qui s’applique au champ du réel – étant mal
utilisée, corruptible, etc., et l’autre étant infinie, sans limites ».
2 propositions :
1. Il n'y a qu’une forme d’énergie, qui est infinie, mais l’infini inclut le fini
(résumé par DB)
2. « La relation fonctionne à sens unique – du néant vers l’objet et non l’inverse »
(p. 83).
« Le néant […], c'est la mort, autrement dit la fin absolue et définitive. Par ailleurs, la
pensée, dans le plan du réel, n’a jamais de fin. La pensée génère sa propre énergie.
L’énergie du néant et celle de la pensée sont-elles identiques, ont-elles la même
source ? Dans un cas – le plan du réel -, les êtres humains détériorent cette énergie, la
source en est polluée. Serait-ce donc la même énergie qui agit dans l’univers de la
vérité ? ». Un mouvement ancré dans l’univers du réel ne peut jamais parvenir à la
vérité (p. 83) : « toute jonction entre le réel et le vrai, /toute relation étant impossible et
inexistante, la vérité ne peut agir sur le terrain du réel. Les deux univers restent
disjoints » (p. 84). « Je crois être dans le vrai en disant qu’il y a deux énergies
distinctes. L’énergie du néant, de la non-chose est totalement différente de l’autre » (p.
84). « Ce néant ne peut pas agir, car toute chose y est incluse » ; mais il n’inclut pas
l’univers du réel : / « Là, il faut faire très attention. Nous avons dit que néant voulait
dire fin ultime – donc abolition de toute chose. Dans l’univers du réel, qui dit fin dit
continuité sous une autre forme ; la vérité, elle, n’a pas de continuité, contrairement au
réel » (p. 85). « Du côté du réel, la fin signifie mouvement dans le temps ; du côté de
la vérité, il n'y a pas de mouvement dans le temps. S’agit-il dans les deux cas du même
mouvement ? ». « DB : Le temps serait une sorte de minimouvement au sein même de
l’infini ? K. : Exactement ». Mais la chose dont on parle est radicalement différente de
cette zone restreinte incluse dans un vaste espace. « Dans l’univers du réel, l’amour a
une signification différente – il y a la jalousie, etc. […]. L’amour peut agir dans
l’univers du réel, mais l’amour tel qu’il se manifeste dans la réalité, ce n’est pas
l’amour » (p. 85)./ C'est le désir (p. 86). « L’amour existant au sein du néant peut agir
sur l’univers du réel, mais ne peut jamais être pollué en entrant dans le cadre du réel :
cet amour-là est donc tout à fait original.
Pourrions-nous reprendre les choses à rebours ? Nous avons décrit la mort comme
étant la fin absolue et dit que ce qui a une continuité ne peut jamais être créé. Ce qui
est doté d’un mouvement, au sens temporel, ne connaît pas de fin. Et nous avons dit
que la mort, la mort intérieure, est la fin de tout – de toute chose. Il n'y a aucun rapport
entre les deux. J’aimerais pouvoir me dire que l’action de la vérité dans l’univers du
réel m’est accessible ». La vérité peut-elle agir sur le plan du réel ? « La vérité est

8
dénuée de mouvement ; comment une non-chose pourrait-elle agir sur le réel qui, lui,
est constitué d’objets, de choses ?
Pourrait-on poser ainsi la question : un esprit étranger à toute mesure, et
n’appartenant pas à l’univers de la mesure, peut-il agir sur et dans cet univers de la
mesure ? » (p. 86). Ce qui agit est « la mesure, rien d’autre qu’elle ».
« Pouvons-nous dire que l’univers du réel, c'est la mesure – gardons ce terme
pour l’instant – et que, dans ce cadre du réel, la mesure peut être ou vraie ou fausse ? »
(p. 87-88). DB préfère les termes « exacte, juste », plutôt que vraie, donc « disons
alors que la mesure peut être juste ou fausse dans le cadre du réel. Or le néant, lui,
exclut toute mesure » (p. 88). Celui qui distingue le juste du faux, « l’entité qui
perçoit ce qui, dans le réel, est exact ou faux », est toujours le « même esprit – celui
qui a effectué la mesure » (p. 89). L’idée de mesure est inscrite dans le plan du réel.
DB : ce plan ne garantit pas de fiabilité absolue ; il doit exister une perception qui
transcende ce champ. K. : « On ne pourrait parler d’une autre perception que
vérification faite de l’existence effective du néant […]. S’il n’est qu’une structure
verbale, il reste circonscrit au plan du réel » (p. 89). /
« S’il ne s’agit que d’une théorie, d’une hypothèse, d’un objet de la pensée, on
reste toujours dans le même plan. Alors que nous parlons d’un plan où la pensée n’a
pas accès – qui est donc celui du néant. Et notre question, c'est de savoir s’il existe
une relation possible entre les deux. Là est la question clé. Si j’affirme que la
relation existe, que sa passe-t-il alors ? Je m’échine, je me bats pour atteindre
cette chose idéale. Donc, j’imagine être en relation avec cette chose, soit de manière
théorique, hypothétique, soit en entretenant l’espoir, autrement dit le désir. Je me laisse
prendre au désir et à l’espoir, en m’imaginant intimement lié à cette chose. Pourquoi
une telle attitude ? Parce que j’ai envie de quelque chose qui soit permanent,
invulnérable aux blessures, qui jamais ne s’achève ni ne commence ni ne connaisse la
souffrance – qui soit tout cela à la fois. Je projette donc sous forme d’idéal, d’objet
imaginaire, d’espoir ou de désir, l’idée qu’une telle chose existe. Lorsque, en partant
du niveau où je suis, je projette cette notion idéale, quelle que soit la notion projetée,
elle devient irréelle, imaginaire, illusoire.
Mais si le néant existe vraiment – et pas seulement en théorie -, alors, où est le
point de jonction entre les deux univers ? C'est en mourant à la réalité – mais l’idée
semble absurde – et à cette seule condition que le néant peut exister. "Mourir à la
réalité" veut dire mourir à tout ce qui résulte de la / pensée (p. 91). Cela veut dire
mourir à tout ce qui procède de la mesure, du mouvement et du temps. (p. 92)
Le néant, je ne sais rien de lui. Il dépasse mon imagination. J’ignore ce qu’est le
néant, ce n’est donc pas lui qui fait l’objet de mes préoccupations, mais ce monde-ci –
celui où je vis. Et, dans ce monde, je suis toujours coincé entre le vrai et le faux, entre
juste mesure et fausse mesure, et j’essaie constamment de me maintenir en équilibre
entre les deux. Ou bien je poursuis l’une et je rejette l’autre. Mais je reste toujours
dans ce monde-ci. Alors, suis-je assez lucide pour voir que le désir, l’espoir, la lutte
n’en finiront jamais, puisque c'est ici que je vis ?
Je ne sais rien du néant – vous l’avez inventé de toutes pièces. Peut-être savez-
vous ce qu’est le néant – je préfère l’ignorer -, je ne connais que ceci – mon univers -,
et mon désir ne consiste pas à percer le secret de cela – le néant – mais à me libérer de
ceci » (p. 91). Mes désirs, espoirs, attentes ont tous la même source : ici ; donc je fais

9
intervenir la pensée et veut accéder à cette chose idéale ; « Alors vous me dites de
mettre fin à toute pensée – mais pas parce que j’aspire à cet état. Je peux mettre fin à la
pensée, mais cette mort de la pensée est-elle différente de tout ce que je vis ici ? » (p.
91). « Je peux mettre fin à la pensée par la persuasion, à force de pratique » (p. 92) ; le
processus est le même, mais « j’ai l’impression d’être capable d’y mettre fin » (on
stagne). Il faut « la fin définitive et sans motif de la pensée […] dans ce monde-ci ».
La fin advient quand ma perception est totale : « alors ce plan-ci et celui-là se
confondent dans le néant. Mais je crois que c'est une erreur de ma part de poser la
question de savoir si les deux plans sont reliés. En tout cas, moi, je refuse de la poser,
car je ne connais que ce monde-ci.
Comme je ne connais que lui, mon énergie se limite à ce champ, elle est
corrompue, pervertie, névrotique, pathologique – tout est ainsi. Et celui qui affirme :
"Le néant existe", ne fait rien d’autre que se payer de mots : il n’est pas en contact
avec ce néant, il se contente de dire : "Le néant existe." Comment prendre cet homme
en défaut ? Il ne dit pas : "Le néant contient tout" – car il voit le danger d’une telle
affirmation ; non, il se garde bien de dire cela, il affirme simplement l’existence du
néant. Et un autre rétorque : "A quoi tout cela sert-il ? / Ce n’est pas monnayable, cela
ne soulage pas ma douleur, n’apaise pas mes souffrances – gardez ça pour vous, c'est
sans intérêt ». (p. 93).
« L’énergie propre au néant est très différente de ce que nous connaissons. Et cet
homme dit : "Ne vous préoccupez pas du néant : regardez la réalité en face, et
dégagez-vous-en. Mais ne vous occupez pas du reste. N’introduisez pas la notion de
cosmos dans ce qui n’est rien que le limité. DB : Vous aviez pourtant introduit cette
notion au cours de la conférence avec les scientifiques. K. : Oui, et, si je l’ai fait, c'est
parce que je voulais qu’ils sachent qu’il existe quelque chose de cet ordre – et pas
seulement un tas de choses insignifiantes. C'est une notion qu’on peut rejeter. Et voici
que vous venez me déclarer : "L’état de néant existe." Vous dites cela, et c'est pour
vous une vérité profonde. Cet état est une mort – on a l’esprit vidé de tout. J’entends
cette parole, parce qu’elle provient de vous. J’ai le sentiment qu’elle est vraie, à cause
de la façon dont vous la proférez, et en vertu de votre présence même : vous êtes un
homme parfaitement sensé, et votre univers possède cette chose-là. C'est pourquoi je
veux y entrer. / (p. 93). Mais vous dites : "Allez au diable ! Vous n’y arriverez
jamais !" Je crois que c'est juste, sinon, on retombe dans le piège des vieux discoures
qui disent : "Dieu est parmi nous", "La vérité est là, au sein du réel", et ainsi de suite.
Mais la réponse est-elle que cette beauté, ce bien suprême, cette vérité, dans
toute leur pureté, tout cela ne serait que néant ? Le bien, le beau, le juste sont
pourtant tous dans le plan du réel, qui est différent de l’autre. Telle est, je crois, la
situation exacte ».

« Dans l’univers juif et hindou – pas chez les chrétiens -, on trouve cette notion
d’un incommensurable, d’une entité sans nom. C'est ici que je vis – et pourtant je
l’interpelle sans cesse, "Lui" qui ne reconnaît même pas ce nom ! Tels sont, je crois,
les véritables faits… C'est donc strictement de ce monde-ci que je dois m’occuper ! /
Est-ce que je vois l’ampleur du problème ? Le voir suffit à m’en délivrer. (p. 95)
Tout cela se tient, et j’en soutiens la véracité.

10
Donc, il n'y a pas de relation entre ces deux plans. Pour celui qui fait l’expérience
de la mort – non, je récuse le terme d’"expérience" -, pour celui qui meurt […] tout
en étant vivant, actif, il y a fin, cessation définitive : il n’est plus. Dans le plan du réel,
la fin est une tout autre chose ; il en résulte que les deux plans ne sont pas reliés.
Bien, je reste sur ces positions, qui sont très claires, et je suis prêt à les
soutenir face aux scientifiques ! » (p. 95)
Donc il ne faut pas confondre l’amour tel qu’il existe au sein du réel et ce dont on
parle ici. Dans le plan du réel, la relation est un mouvement lié au temps, au
changement, et passant par des destructions et des mutations, mais quand je perçois la
relation (non dualité), « alors l’ensemble de ce champ du réel cesse d’exister » (p. 96).
On se demande ce qu’est la relation une fois que le champ du réel a cessé
d’exister, mais il faut d'abord en faire l’expérience. Comme si celui qui me parlait
avait « vaincu l’Everest » et que je désirais voir ce qu’il a vu : « C'est cela, l’objet de
mon désir – jouir de la description, mais pas faire l’ascension ». Faire de l’escalade
n’implique pas de désir ; le désir apparaît quand on cherche à réaliser ce qui a été
décrit.
« Bien, je crois que les faits parlent d’eux-mêmes ; la vérité, c'est que nous
cédons au piège de la description, au lieu de nous lancer pour de bon dans l’escalade »
(p. 96).

[…]
2 hypothèses (p. 140) :
1. La pensée a la capacité de percevoir son caractère mécanique (par une
intelligence qui lui est propre)hypothèse rejetée
2. Soit la perception reconnaît que la pensée est mécanique7
« Les divers éléments du contenu de la conscience sont élaborés par la pensée.
L’ensemble de ce contenu provient de la pensée : la conscience est la pensée » (p.
141).

La perception modifie la pensée


Dès qu’il y a perception de la vérité, l’action se déclenche et la pensée prend
conscience de cette action : lorsqu’elle prend en compte cette action, à ce moment-là la
pensée n’est plus mécanique. « La pensée change effectivement » (p. 142).
« Dès lors que je perçois une chose de manière totale, absolue, la pensée n’entre
pas en jeu […]. C'est une perception directe. La perception a un effet direct » (p. 142).
Il y a d'abord une perception totale (= vérité), puis la pensée peut prendre conscience
de cet acte et le mettre en mots. « Cette perception agit dans le champ du réel. Et cette
action ne découle pas de la pensée, mais, parce que c'est une action issue du tout
suprême, la pensée en est métamorphosée » (p. 143).
« C'est bien ce que vous dites ? K. : Non, j’examine simplement la question » (p.
143).

7
« une forme absolue de perception – étrangère à toute pensée – qui constate le caractère
mécanique de la pensée », p. 141
11
« La vérité, c'est quand la perception saisit le tout dans sa globalité » (p. 143). Le
tout agit et cette action n’est pas issue de la pensée. La perception a un effet sur les
cellules du cerveau, donc la pensée est modifiée. « Dès lors que l’on perçoit une
chose de manière /entière et absolue, cette perception totale est différente de la
perception fragmentaire qui caractérisait jusque-là le fonctionnement du cerveau.
Lorsqu’il y a perception totale et action totale, cela affecte immanquablement les
cellules du cerveau […]. C'est un choc pour le cerveau, qui est confronté à une
situation tout à fait inédite » (p. 144).
« Posons la question en termes simples » (p. 144)
Si on se rend compte que la division et la fragmentation sont un danger majeur,
cela affecte toute notre façon de penser ; mais « la pensée résiste […] parce qu’elle
est conditionnée à suivre une routine dont elle ne dévie pas » (p. 144). On ne peut pas
dire que la pensée soit intelligente : « la pensée fonctionne dans la routine, les
habitudes, les souvenirs, et c'est l’ensemble de la structure qu’affecte une perception
totale, absolue » (p. 145). La pensée « veut faire mieux que la machine » (p. 145).
« Mais attendez… j’aimerais revenir un peu en arrière » (p. 145). « Un instant, je
vais y venir » (p. 146)

La disparition de la pensée
« A cause de cette perception, votre activité cesse d’être mécanique » (p. 146). La
pensée ne joue plus le moindre rôle, elle n’est plus nécessaire « dans le domaine
propre à la perception » (p. 147) ; par exemple si je perçois l’avidité, la pensée n’a plus
aucun rôle à jouer pour ce qui touche l’avidité. « Quand la perception est pleine et
entière, il n'y a plus de place pour la pensée […] pas seulement dans la perception : la
pensée n’existe plus par rapport à tout cela » (p. 147).

« Où se situe alors le rôle de la pensée par rapport à tout ce qu’elle a elle-même
créé ? Je ne sais si je me fais bien comprendre. Par exemple, admettons que je perçois
– gardons "je" pour l’instant – de manière exhaustive la nature de la croyance » (p.
147-148).
Si je perçois que toute croyance est irrationnelle, tout ce qui tient de la croyance
s’efface de ma pensée, de mon cerveau.
« Son domaine d’action [à la pensée] est celui des nécessités urgentes –
nourriture, vêtements, logement. Qu’en dites-vous ? DB : Oui, c'est sans doute exact.
K. : Je veux approfondir la question, la remettre en cause » (p. 148).
J’ai besoin de la pensée pour bâtir une maison ; mais « quand la perception est
totale, la pensée n’entre pas dans le processus psychologique » (dans la perception de
l’esprit ?).
« Pourrions-nous dire que la pensée crée l’illusion ? » (p. 149). Parce que « la
pensée a pris la place de la perception ». Elle se croit « capable d’avoir une vue
d’ensemble » ; parce que « lorsqu’il y a perception totale, une perception étrangère à
tout mouvement de la pensée, du temps, etc., l’esprit ne recourt à la pensée qu’en cas
de nécessité ? Et, sinon, il est vide ? ». Lorsque cet esprit recourt à la pensée, « il se
rend compte qu’il s’agit de la pensée – et de rien d’autre » (qu’elle est limitée et qu’il
n'y a pas à lui donner autant d’importance).

12
« Peut-être pourrait-on souligner aussi que, jusqu’à une époque récente,
l’homme ignorait tout des propriétés physiques et chimiques de la pensée, ce qui
expliquerait la place prépondérante qu’il lui accordait ? » (p. 150). L’habitude et le
conditionnement nous font dire que la pensée est essentielle dans la vie. « La pensée
n’a jamais compris qu’elle était limitée ». « La perception totale amène un changement
dans la pensée ».

Le moi
Moi = « notre structure psychologique » (p. 151). Créé par la pensée
La pensée créé le moi, qui semble indépendant d’elle alors qu’il en fait partie ;
mais la perception authentique n’a lieu qu’en l’absence de moi. C'est parce que la
pensée passe par le moi (s’organise à partir d’un centre) qu’elle est fragmentée.
La pensée « fonctionne toujours de façon identique. Car la pensée est une mémoire
dont le centre est la racine » (p. 152). On survalorise le centre « parce que la pensée
n’admet jamais sa nature mécanique ». / « La pensée s’est dit : "Je ne saurais être que
mécanique, je dois être bien plus que cela" » (p. 153) et le centre répond à cette
ambition : « le "moi" donne à la pensée une permanence" ».
« C'est la pensée qui a créé ce microphone qui est là devant nous. Cela, c'est un
objet "permanent" – entre guillemets » (p. 153). La pensée a créé le moi sous la forme
d’une entité permanente. Elle a choisi d’avoir un centre pour devenir permanente
« peut-être à l’imitation du soleil, centre de notre univers. Et s’il y a un centre, comme
vous l’avez dit, il unifie tout » (p. 153). Le centre est inutile si la perception est totale.
« DB : Donc, la pensée n’étant pas capable de réaliser qu’elle est mécanique, elle
s’est mise à traiter ses propres manifestations comme étant animées de vie » (p. 154) ;
mais constatant leur impermanence, elle a forgé la notion de centre pour parvenir à la
permanence.

La perception globale
« Quand votre perception est authentique, n’embrasse-t-elle pas toute chose ?
N’est-ce pas cela [la perception], le noyau central qui tient et relie ? ». On ne
perçoit pas l’avidité, la peur, etc. : c'est « une perception totale, qui englobe toute
chose » (p. 155) ; « il n'y a plus que la perception » (p. 155). « Seule existe la
perception, le sujet qui perçoit n’existe pas ».
« Dès lors qu’il y a un centre, la souffrance est inévitable » (p. 156)
Quand il n'y a pas de centre, la douleur « est simplement d’ordre physique » (p.
156)
« La pensée n’a qu’une fonction mécanique » (p. 156). Puisque la pensée est
mécanique, elle peut « agir dans tous les domaines de façon mécanique sans avoir à
recourir à un centre psychologique, et dans ce cas il n'y a pas de problème » (p. 157).
« La pensée a créé ce centre qui est un pôle de permanence, un pivot qui retient
tout ce qui gravite autour de lui » (p. 157). La pensée est fragmentaire à cause du
centre et « parce qu’elle s’est dissociée de l’objet qu’elle a créé de toutes pièces » (p.
157)

13
« Si je perçois la nature d’une croyance, c'en est fini d’elle. Une peur
intégralement perçue s’évanouit. Et, quand l’avidité est percée à jour, elle disparaît »
(p. 158).

Puisque la perception authentique est globale, tout est « d’emblée "nettoyé" » (p.
159). « Inutile de passer en revue l’avidité, la croyance, la peur, le plaisir – le
nettoyage est fait ! ». « La perception authentique est celle qui voit la nature de la
pensée et, parce qu’elle en perçoit la nature, elle en perçoit tous les fragments épars »
(p. 159).
La perception totale est autre chose que l’ensemble des constructions mentales :
« La perception totale revient à voir la pensée s’attribuer certaines qualités, à la voir
engendrer le centre et lui prêter certains attributs, et à constater tous les phénomènes
issus de ce noyau psychologique » (p. 160).

L’essence
p. 159 : « DB : Oui, je vois. Cela soulève une question que j’ai à l’esprit depuis
longtemps. Dans Tradition et Révolution, vous faites allusion à la notion d’essence,
qui selon vous émanerait de cette perception-là. Vous souvenez-vous de cela ?
K. : Non, je ne m’en souviens pas. DB/ L’idée était, semble-t-il, qu’il existe une
perception – la perception suprême étant l’intelligence – qui permet l’éclosion, comme
pour une fleur, de ce que vous appelez l’essence.
K. : Oui ». Cette essence est identique au « tout » dont on vient de parler.
« Mais attendez un instant – j’aimerais éclaircir ce point » (p. 159). « La
perception embrasse l’essence [de chaque chose ?] et l’intégralité des choses » (p.
160). « DB : L’expression est-elle adéquate ? K. J’hésite quant au terme d’"essence".
Dans ce cas, disons plutôt que c'est l’intégralité que vous percevez. K. Laissons de
côté l’"essence" pour l’instant » (p. 160). « Si c'est cela [la perception totale] que vous
appelez l’"essence", dans ce cas, oui, je suis d’accord avec vous » (p. 161). Cette
structure est universelle (pas uniquement valable pour telle pensée ou telle autre, tel
problème ou tel autre).
« Pareille perception est-elle possible ?
Vous dites qu’elle est effectivement possible – rien de plus. Et parce que vous le
dites, je le vois, je le sens, je vois la vérité de vos paroles. Ce que vous dites est la
vérité ; ce n’est ni ma vérité ni la vôtre, c'est la vérité ». Elle se confond « avec ce qui
est en tant que fait avéré, tangible » (p. 161).
Distinction :
- Vérité : au-delà de la réalité tangible et individuelle des faits ; car c'est une
vision intégrale ; vision de ce qui est universel et nécessaire (résumé par DB).
- Réalité factuelle = individuel. Ce qui est de l’ordre des faits est individuel et
indivisible.
La pensée n’admet pas qu’elle est mécanique : « la pensée n’a rien à admettre : c'est
une constatation » (p. 162).
Un être qui n’est pas conditionné est « un catalyseur » (p. 162).
« Pour revenir un peu en arrière » (p. 162)
Perception de la nature et des activités de la pensée = perception totale du contenu de
la pensée ; or contenu = conscience et tout ce qui forme le centre.

14
Pas de centreperception totalela conscience devient « tout à fait autre » (p.
163),quelque chose de « tout à fait différent ».
Le centre est « un facteur d’unification » (p. 163).
Quand on perçoit l’intégralité de ce qui fait la pensée, il n'y a plus de centre.
« S’il n'y a pas de pensée, il ne peut y avoir de conscience ».
« J’ai dit qu’alors la pensée ne pouvait qu’être totalement différente ».
Les cellules cérébrales peuvent se mettre à fonctionner différemment (« à mon avis,
oui », p. 164). « Je l’ignore [si au sein du cerveau des cellules différentes sont
sollicitées], mais je crois que le cerveau fonctionne autrement », p. 164).
« L’une des qualités de la perception totale est la compassion » (p. 164)
« C'est très intéressant, ce que vous dites là. Comment faire pour transmettre ces
notions à un individu sentimental, romanesque, friand d’illusions, débordant
d’imagination, de fantasmes, de problèmes sexuels et de crainte ? Vous avez beau lui
parler, il ne vous écoute pas. Ici, au contraire, nous avons tout le temps d’approfondir ;
et nous voulons savoir, parce que nous sommes totalement objectifs envers nous-
mêmes.
C'est là, je pense, que la compassion entre en jeu » (p. 165)

Gstaad, le 25 juillet 1975.

5. La tradition et la vérité

« Hypothèse » qui paraît « valable » : « Lorsque le cerveau est soumis à des


contraintes excessives en raison du contexte économique, de l’environnement social
[…] et de tout ce qui échoit aux êtres humains, les cellules cérébrales seraient alors
endommagées » (p. 168)
La perception apporte au cerveau « une guérison totale » (p. 168)
« La tradition est une forme d’agression infligée au cerveau »

 La culture
« Culture » signifie « croître », « faire pousser. Donc, la culture concerne ce qui
pousse, ce qui est susceptible de croître, de grandir. Quel bénéfice y a-t-il à attendre de
la culture ? » (p. 170). La pensée est à l’origine de la culture (p. 171). K. se demande
se demande si la culture est nécessaire à la survie de l’homme. « Il est dangereux
d’être dépendant d’une culture, de s’en servir pour avancer, pour réussir ou pour
pénétrer dans d’autres sphères.
La culture, c'est le passage de l’enfance à l’âge adulte ». Mais existe-t-il une partie du
cerveau qui n’a pas été touchée par la culture ni par autre chose ?
« Si je m’exprime à ce sujet [le sujet de savoir si il existe une partie du cerveau qui n’a
pas été touchée par la culture], m’écouterez-vous – sans rejeter, sans écarter mes
propos ? ».
Evacuer le contenu de la conscience = il cesse d’être conditionné
Si on évacue le contenu de la conscience, y a-t-il une partie du cerveau qui ne contient
aucune emprunte de la tradition, du temps ni d’autre chose ? (p. 172).

15
« Il s’agit non seulement d’une zone spécifique du cerveau, mais d’une conscience
spécifique qui n’est pas cette conscience-ci – celle qui nous est familière […]. Une
autre conscience ».
« Mon cerveau est conditionné par la tradition, la culture et l’hérédité. […] Mon
cerveau a subi des dommages, et il s’en est guéri, définitivement par ses propres
moyens » = « autoguérison ». Un cerveau abîmé peut se guérir « grâce à un flash de
vision pénétrante ou à une perception autre que celle du cerveau mutilé. Le cerveau
n’est pas entièrement endommagé : il a conservé une fonction intacte. Cette conscience
totalement différente de la conscience conditionnée « opère, par exemple, lorsqu’un
très grand composteur a cette intuition, cette perception » (p. 173). « Si mon cerveau
avait été gravement endommagé, il n’aurait pas pu être musicien ». Les dégâts, même
d’origine culturelle, restent superficiels et paraissent plus graves qu’ils ne sont (« ils ne
sont pas si graves que cela »). « Mon cerveau est endommagé par la tradition, mais je
peux m’en sortir. Le cerveau lui-même en dénonce la stupidité… » (p. 173). Les
dégâts affectent des fonctions du cerveau fondées sur la mémoire et le cerveau « peut
faire abstraction de celles-ci ». /
« Attendez un peu… » (p. 174)

« Je vous écoute parce que vous êtes sérieux, parce que vous avez su vous détacher.
Lorsque vous m’en donnez des preuves et que vous dites : "Regardez, écoutez", je suis
attentif, car je vous respecte. Ce que vous dites a une immense portée, et j’en vois la
vérité – ce n’est pas l’aspect rationnel, mais la vérité de vos propos qui me touche » (p.
175)
Je n’oppose « aucune résistance » à cette vérité, parce que je souhaite cette
transformation : « c'est une nécessité vitale pour moi en tant qu’être humain ».
« Vous me montrez ce qu’est la vérité, ce qu’est la transformation. Il y a en cela une
immense sécurité. Vous me faites remarquer que, si je ne me transforme pas
totalement, je serai éternellement en / sécurité, à l’abri. Parce que cette vérité, vous
l’avez vue, vous l’avez en vous, dès que vous parlez, je reçois un choc – et je la vois.
Mais si je ne suis pas transformé, si je suis un filou, un charlatan, alors ce que vous
dites ne signifie rien pour moi » (p. 176).

 Pourquoi le dialogue ne provoque pas la transformation :


Au bout de tant d’années, le message de K. n’a pas… parce qu’« au fond les gens
n’ont pas envie d’écouter », parce que cette question ne les intéresse pas, parce qu’« ils
ont leurs petits havres de paix où ils se réfugient » et pour eux ce n’est pas une
illusion. / Le cerveau « fait volte-face » (une fois qu’il s’est rendu compte de ce qui ne
va pas, il fait marche arrière) « à cause de l’habitude » et de la tradition (p. 177). Et
une explication ne suffit pas à y mettre fin. Qu’est-ce qui peut me faire renoncer à cette
habitude, pour que cerveau puisse voir lucidement et totalement (sans faire marche
arrière) ? C'est quand on a vu la vérité qu’on ne revient plus sur nos pas. / Un individu
fortement conditionné peut « avoir une vision lucide – mais éphémère – des choses, et
revenir ensuite sur ses positions ». Un choc sert-il à quelque chose ? (p. 178). « J’ai
beau provoquer en vous un choc, le lendemain, vous tournez les talons ».

16
« Qu’est-ce donc qui pourrait me rendre capable de voir la situation et d’y mettre
fin ? Cela, voyez-vous, personne n’a réussi à le faire, on dit que c'est le privilège de
quelques élus mais que la grande majorité est incapable de changer ».
Ce n’est pas seulement parce que les cerveaux ont subi de trop gros dégâts dans le
passé. /
« Si l’attention n’est ni un processus conscient ni un processus inconscient […] si
ce n’est pas un processus lié au temps et à la pensée, existe-t-il alors une autre forme
d’attention ayant un effet immédiat et définitif ? » (p. 179).
Ce qui agit est au-delà de l’attention. Tant qu’on reste dans le « cadre limité » de
la pensée, la pensée ne peut produire « une transformation radicale et permanente ».
Expliquez les choses rationnellement, puis ne pas en rester là ; / montrer l’évidence, en
ajoutant qu’il faut cesser de penser, de rationaliser, pour écouter sans contrôle ni
résistance (« écoutez, c'est tout », p. 180). Ne pas faire appel « aux processus
rationnels de réflexion, mais à quelque chose qui se situe au-delà de la pensée » et de
la conscience ordinaire. Touchez dans l’interlocuteur « une corde beaucoup plus
profonde […]. Vous vous adressez à moi à un niveau dont je n’ai pas conscience. Dans
une zone qu’on pourrait appeler la compassion – qui ne se situe pas au niveau de la
pensée ». Si on atteint ce niveau-là, on ne retombe pas dans les habitudes passées. Ce
facteur de profond changement est l’amour.
« Amour et vérité sont une seule et même chose. La vérité, c'est l’amour, la
compassion, et tout le reste » (p. 180).

 Ce n’est pas parce que le cerveau est trop endommagé


« Pouvez-vous, à partir de votre amour, de votre compassion, en appeler à quelque
chose en moi qui me transforme, parce que, pour vous, c'est la vérité, et que vous
considérez la vérité comme […] une chose que vous vivez, dans laquelle vous baignez,
dont vous percevez l’immensité ? Et c'est de cette source / que coule votre parole
quand vous me dites : "Mon ami, voilà cinquante ans que vous essayez, et vous n’y
êtes pas arrivé." La réponse classique devant ce constat serait de dire que le cerveau est
trop endommagé ; un très petit nombre de cerveaux ont échappé aux dégâts, peut-être
pouvez-vous toucher ceux-là. On en revient à dire : "Seuls quelques élus…", avec tout
ce que cela suppose. Mais ce n’est pas une réponse satisfaisante » (p. 181). « C'est un
recul dans la culture et dans le temps, un retour au système des traditions. Et une
nouvelle source de dégâts – comme en attestent les événements »
« Réfléchissons un instant »

 Cause du recul : le danger et l’habitude


« Se pourrait-il […] que vous m’ayez parlé à un niveau si profond que le fait même /
d’écouter m’ait complètement guéri ? » (p. 182). L’explication très claire (« ne soyez
attaché à rien ») a pour source la compassion et la perception de la vérité. « Et là, dans
un éclair de vision fulgurante, je la vois – mais bientôt cette vision me fuit ». (p. 182).
C'est comme un « appel » auquel je réponds seulement pour quelque jours ou mois,
puis « tout s’efface […] Mon cerveau, non content d’être abîmé, refuserait-il en outre
de voir quoi que ce soit de neuf, parce que ce que vous dites pourrait se révéler
dangereux ? ». / « Comment ce phénomène [« retomber dans l’ornière »] se
produit-il ? Est-ce à moi que vous vous adressez, à ma conscience ordinaire, qui n’a de

17
conscience que le nom ? Essayez-vous de me prouver que la réponse ne se trouve pas
au niveau de cette conscience-là ? Est-ce à ce simple niveau que vous me parlez, ou
me parlez-vous en même temps à un autre niveau, beaucoup plus profond ? Il se peut
que de telles profondeurs soient pour moi inédites » (p. 183). C'est comme si je puisais
de l’eau de la fontaine avec un tout petit seau et que vous me dites qu’il est inutile et
n’étanchera ma soif que très provisoirement. « Vous vous adressez à moi à un niveau
qui ne m’est pas familier. Ce plan profond ne fait pas partie de mon horizon habituel.
Je m’y accoutume peu à peu, au fil de votre discours, mais, dès que vous cessez de
parler, tout s’évanoui » (p. 183). Le cerveau cherche à tout réduire à des habitudes. /
Or « "le temps n’existe pas, l’habitude non plus. Cette "autre chose", vous ne pouvez
pas la capturer par l’intermédiaire de votre cerveau, car votre cerveau la réduira à l’état
de routine, de tradition, avec des dégâts encore aggravés – ne faites pas cela" ». (p.
184) Toutes les traditions « se résument » à exiger que la pensée ne s’arrête jamais. /
« Oui, mais – attendez un instant » (p. 187)
« N’allons pas si vite : votre parole peut-elle m’atteindre, compte tenu des
profondeurs de ses sources ? Et cette "autre chose" n’est même pas descriptible, c'est
dans un flash de vision que je la vois, que je la perçois soudain – mais puis-je la
retenir ? » (p. 185)
La culture « assure la sécurité, la stabilité, une place dans la communauté » (p. 185). Si
je romps avec la tradition, je m’attends à « vivre dans la peur, n’avoir ni de rôle social
ni de sécurité » (p. 186)
« Tout cela, vous me l’avez expliqué. Vous avez parlé en toute clarté – de toutes les
manières possibles, à grand renfort d’arguments, verbaux et intellectuels ». (p. 186).
« Vous dites : "Ce que j’ai à dire ne concerne pas ce niveau-là, parce que c'est un
cercle vicieux dont on ne sort jamais." Ce n’est pas du tout à ce niveau-là que vous
vous adressez à moi, mais à un tout autre niveau ».

 Le dialogue provoque la transformation quand sa source est au-delà de la


pensée
« Il y a une strate profonde à laquelle le cerveau traditionnel, altéré, conditionné n’a
pas accès – il y a une profondeur, une dimension sans contact possible avec la pensée.
Tout ce que vous avez dit à propos de la tradition, tout cela n’est autre que le fruit de la
pensée, alors que cette chose dont nous parlons est vierge de tout contact avec le
processus du temps. Cette chose, vous m’en avez parlé, vous me l’avez montrée, et si,
à partir de là, une action se déclenche, le cerveau ne subira jamais plus le moindre
dommage. Il se pourrait que vos paroles, ayant touché en moi cette corde profonde,
aient totalement guéri le cerveau » (p. 186)
L’idée d’une « action directe sur la matière du cerveau » (DB) est « une
piste valable ». Si tous les êtres étaient conditionnés, il n’y aurait aucune issue
(« comment réparer de tels dégâts ? », p. 187). Si on se rend compte que le cerveau est
incapable de trouver une issue, on cesse d’agir. Je réalise « que tout cerveau
endommagé, quoi qu’il fasse, reste toujours enfermé dans cette sphère étroite » (p.
187). « Je réalise donc à quel point ce cerveau endommagé nous joue des tours » (p.
188). Par exemple : il prétend qu’il n'y a rien à faire ; ou il décide de continuer de
réfléchir au problème.

18
« Je ne sais si vous avez regardé la télévision, hier soir. Il y avait un jeune
homme qui chantait des chansons folks, et des milliers de spectateurs en train de
l’écouter. Il s’agit là d’une tout autre voie que celle de la science » (p. 188). « C'est
une fuite en avant du cerveau malade : il ne peut rien faire ni sur le plan social,
moral ou scientifique, ni sur le plan artistique, mais il peut au moins aller écouter ce
genre d’inepties. Bien sûr, s’il est totalement détérioré, il ne peut plus rien faire du
tout ».
« Si le cerveau est irréversiblement endommagé, il n'y a plus rien à faire, on est
bon pour l’asile. Mais nous parlons d’un cerveau n’ayant pas subi de trop gros
dommages » (p. 188). /
« Parce que vous mettez les faits en évidence, j’en prends conscience. La
première nécessité est là : il faut prendre conscience des faits » (p. 189)
« Ce flash de vision m’ayant permis de pénétrer l’insondable, pourquoi
retomberais-je de nouveau dans les vieilles ornières ? ». La parole provoque en moi
« un immense choc, une énorme secousse ». Pour que le cerveau ne s’habitue pas à ces
chocs il faut « que les structures de la pensée n’aient plus de secret pour moi » ; sinon
l’insondable, « l’infini » se transformerait en habitude. « Mais parce que je suis
sérieusement, profondément motivé, et parce que vous m’avez fait toucher du doigt les
rouages de la pensée, la pensée se tait. Et ce sentiment d’infini ne peut en aucun cas
sombrer dans l’habitude » (p. 189). / « L’infini est absent de la conscience ordinaire.
Absent de la sphère de la pensée » (p. 190). On ne peut pas dire qu’il existe un autre
type de conscience, qui fait partie des fonctions du cerveau et qui agit au sein du
cerveau, si quand on parle du « cerveau » on veut dire que « c'est le résultat du temps,
l’aboutissement de l’évolution, etc. ». Difficile de dire si la nature est le résultat du
temps. Savoir cela permettrait peut-être de résoudre le problème du cerveau (il a
évolué de la même manière que le reste de la nature, DB) ; mais il a peut-être « été
cultivé avec un soin particulièrement jaloux ». L’évolution du vivant a demandé du
temps. / « Le temps compte en un certain sens » (p. 191). Y a-t-il « une partie du
cerveau qui n’est pas liée au temps ? ». L’attention ne dépend pas du temps. / « La
capacité d’attention est liée au temps – mais pas l’attention elle-même » (p. 192).
« L’attention proprement dite échappe à toute notion de temps, mais la capacité
d’attention peut être liée au temps » (« qui dit capacité dit temps »). Le temps est
indispensable à la croissance, mais l’attention ne dépend pas du temps. Le temps ne
concerne pas non plus la vérité ou la compassion. Mais la compassion ou la vérité peut
modifier le cerveau pour que quelque chose de nouveau s’immisce dans le temps. / La
perception n’engendre pas la croissance. « Cet infini d’où a jailli la musique, cette
dimension de l’infini est étrangère au temps » (p. 193). Compassion et vérité sont en
dehors du temps, la source de la compassion est en dehors du temps, donc cette chose
n’est pas cultivable (p. 194). DB : « Nous disons donc que la source, l’essence de la
créativité ignore toute notion de croissance, mais que la créativité peut favoriser
certaines éclosions dans des domaines où le temps a cours » (p. 194). « De l’incréé
peuvent naître un homme nouveau, une société nouvelle ». / « L’infiniment
profond » apparaît quand la pensée et le temps prennent fin (p. 195).

Gstaad, le 6 août 1975.

19
Deuxième partie

La sécurité est-elle une illusion ?

« K. : Nous avons cherché à savoir quelle était l’origine de tout l’itinéraire de
l’humanité. Existe-t-il un fondement primitif, une source originelle d’où aurait
jailli toute chose – la nature, l’homme et tout l’univers ? Cette source est-elle
tributaire du temps ? Est-elle en fait l’ordre absolu, au-delà duquel plus rien d’autre
n’existe ? […] Notre investigation n’est pas seulement intellectuelle, elle va plus loin,
jusqu’à la question de savoir comment faire pour comprendre et vivre, comment
avancer en puisant à cette source, à ce fondement originel qui échappe à toute notion
de temps, et au-delà duquel il n'y a rien. Pouvons-nous poursuivre le débat en partant
de là ? » (p. 199)
Si l’homme peut comprendre cette source et « vivre en symbiose avec elle », ça ne
signifie pas « qu’il vive au sein de cette source, mais que la source elle-même soit
vivante » (p. 200).
« La science reste muette » sur ce sujet.

La recherche de l’ordre absolu


La question est de savoir si l’homme, qui vit dans le monde chaotique, peut « avoir
en lui l’ordre absolu, semblable à celui qui règne dans l’univers, et appréhender un
ordre qui est universel » (p. 200).
Percevoir le désordre le dissipe = « premier niveau d’ordre ». / « L’homme
relativement intelligent, bien informé et cultivé » (= civilisé) peut instaurer l’ordre en
lui-même par l’enquête et l’observation (p. 201). Si les humains ont beaucoup d’ordre
en eux-mêmes, nous allons peut-être créer une nouvelle société, mais ce n’est pas
important ; pour la plupart c'est important : seule une minorité comprend qu’il existe
quelque chose d’autre, qui va au-delà. Il ne suffit pas d’étudier l’ordre « en termes
humains et sociaux » dans le « seul but de mener une existence ordonnée » (DB, p.
201-202). « Parce que nous vivons dans le chaos, instaurer l’ordre nous semble être un
véritable exploit, alors qu’il n’en est rien ».
 Il est facile de créer l’ordre matériel (par exemple ranger ma chambre),
 mais instaurer l’ordre en moi = cesser d’être en conflit, de me comparer, d’avoir
le sentiment d’un moi opposé aux autres (source des divisions et des conflits).
« Toute société se désagrège de cette façon-là » : les individus font partie de
communautés (hindou, musulman, etc.). / « Je peux changer les choses. C'est tout
simple. Je n’ai qu’à me dire : "Eh bien, moi, je vais mettre de l’ordre dans ma propre
maison" » (= en moi, p. 203). C'est simple « si tout mon esprit et tout mon cœur se
mobilisent pour résoudre le problème […]. Mais nous n’avons pas envie d’agir » :
l’entreprise paraît difficile car on est liés au passé, à nos habitudes et nos positions. On
manque d’énergie, de courage, de vitalité pour s’en arracher. La vision lucide change
toute la situation. / Le fait d’être attaché à quelque chose engendre le désordre, car cela
implique « une dépendance, une fuite devant notre propre solitude, face à notre peur »
(p. 204).

20
« Sommes-nous prêts à sauter le pas ? » (p. 204). La plupart du temps nos
attachements sont si forts qu’on ne veut pas lâcher prise. « Ceux qui sont disposés à
franchir ce pas sont malheureusement très minoritaires ». / L’esprit qui a remis l’ordre
en lui-même peut accéder à l’ordre cosmique. « Il faut que cet ordre soit un ordre
absolu, et qu’il s’applique à l’humanité tout entière » (p. 205). « Ce n’est pas en
donnant à un problème particulier une solution particulière qu’on résout un problème
d’ordre global ». L’unique voie consiste à découvrir la source du problème global = le
moi (« il faut que tarisse cette petite source, cette petite mare, ce petit ruisseau qui
s’écarte de la grande source ». / DB : « la petite source se prend pour la grande », p.
206). Le centre de l’ego est l’essence du désordre. Il doit disparaître pour que l’ordre
apparaisse.
Existe-t-il « un autre ordre, totalement différent de celui que nous connaissons ? »
On ne connait que le désordre/ordre créé par l’homme. Réalisant cela et voyant le
désordre qu’il sème en lui-même, l’esprit se demande s’il existe un ordre d’une autre
nature, d’une dimension qu’il faut absolument découvrir, « car l’ordre qu’a créé
l’homme n’est qu’une affaire sans grand intérêt ! » (p. 206).
Si je mets ma maison en ordre et que beaucoup d’autres le font, on peut créer une
société meilleure (« c'est une chose admise, utile, nécessaire, mais qui a ses limites ») ;
mais l’esprit humain ne peut pas se satisfaire d’un ordre purement matériel : les limites
(/ « frontières », p. 207) de cet ordre nous font rechercher quelque chose d’autre.
On ne peut pas capturer l’absolu ; « Alors comment aborder ce problème ?
Comment répondre à cette question ? En tant que scientifique, diriez-vous qu’il existe
un ordre qui transcende tout ordre et tout désordre humain ? » (p. 207).
« Cet ordre naît spontanément, grâce à la vision pénétrante : il affectera donc peut-
être la société. Partons de là ». / Existe-t-il « un ordre qui ne doive rien à l’homme –
disons les choses ainsi, je n’emploierai même pas l’expression "ordre absolu" » (p.
207-208) ?
« Comment l’esprit aborde-t-il ce problème ? » (p. 208)
« Tous les êtres prétendument religieux – les mystiques, les saints, avec leurs
illusions – ont cherché à s’en emparer. Ils ont essayé de comprendre ce qui ne
représente qu’une partie de tout cela ». Cette chose advient-elle par la méditation ?
(« si c'est bien le terme qui convient », p. 208).8

Désordre et mesure
« La mesure n’existe que là où il y a désordre ».
« Nous n’employons pas le terme de "méditation" comme synonyme de "mesure",
ni même de "réflexion" ; la méditation telle que / nous l’entendons est le résultat de la
remise en ordre de la maison, et la démarche qui y fait suite » (p. 209). L’esprit doit
cesser de mesurer pour parvenir à l’autre dimension. « Tout effort visant à instaurer
l’ordre au sein du désordre n’est que désordre ». Mesure ≈ contrôle.
Vision pénétrante = « l’observation pure, sans la moindre pressions, sans le
moindre motif, passant au crible l’ensemble du processus de mesure ». DB : mesurer =
devenir ; l’effort de l’esprit pour se mesurer, se contrôler, se fixer un but est la source
du désordre ; c'est une erreur d’appliquer des normes de mesure identiques au monde

8
« Est-ce par la "méditation »- si c'est bien le terme qui convient – comme moyen de mesure que cette chose
advient ? » (p. 208).

21
de l’esprit et au monde extérieur (p. 209-210). / « La mesure échappe à tout contrôle,
et c'est la confusion ».
« Une méditation dépouillée de toute notion de mesure, de comparaison »
permet-elle de « découvrir un ordre, un état dans lequel il y a quelque chose que
l’homme n’a pas créé ? » (p. 210). Toutes les créations de l’homme sont limitées : il
n'y a pas de liberté en elles = religion, science, angoisses, souffrance, attachement,
solitude / + « la révolution physique, la révolution psychique » (p. 211). L’homme a
créé cela. Beaucoup se posent cette question et disent que Dieu a créé tout cela, mais
ce n’est qu’un concept, qui engendre le désordre.
« A présent, toutes ces considérations sont pour nous devenues caduques. Reste
alors une question : y a-t-il, au-delà de tout cela, quelque chose que la pensée humaine,
l’esprit humain n’aient jamais touché ? » (p. 211). L’esprit humain est à la fois la
pensée, le sentiment, le désir et « quelque chose de beaucoup plus vaste » (DB) ; « il
n’est limité que tant qu’il est pris dans tous ces pièges (K). Il a « un potentiel
énorme », dont il n’a pas conscience actuellement, à cause de la pensée, etc. / DB :
« cela même qui transcende toutes ces limites n’est pas touché par ce type d’esprit
limité » (p. 212). Existe-t-il un esprit qui peut dire de manière authentique qu’il a vécu
toutes ces choses limitées ? « Avoir vécu toutes ces choses signifie en avoir fini avec
elles ».
« Vient un beau jour un homme, un individu "X", qui dit : "J’ai compris tout cela.
J’en ai vu les limites – toutes ces choses, je les ai vécues, et je les ai vues s’achever" »,
etc.

Un nouvel esprit
« Je veux être très clair sur ce point [le rapport entre l’esprit limité et le cerveau] ».
L’esprit inclut ou englobe les émotions, le cerveau, les réactions émotionnelles et
physiologiques. Il a vécu dans le désordre, la solitude et / a compris tout cela grâce à la
vision pénétrante. « Cet esprit n’a plus rien à avoir avec l’esprit d’avant » (p. 213 ; cf.
214 : « cet esprit nouveau »). « Il n’est plus ni limité ni altéré ». DB : « Les cellules
elles-mêmes ne sont pas en bon ordre » (p. 213). Mais quand la vision pénétrante
apporte l’ordre, « les dégâts s’effacent ». « Comme un individu qui aurait suivi la
même voie pendant cinquante ans : s’il réalise soudain qu’il n’est pas dans la bonne
direction, tout son cerveau se métamorphose ». La vision pénétrante est « le facteur de
changement ». / K. suggère que l’esprit nouveau est authentiquement réel, qu’il est
« devenu quelque chose de formidablement révolutionnaire » et qu’il « n’est donc
plus l’esprit humain » (p. 214). Quelle relation entre l’esprit « sans nulle trace
humaine » (« plus cet esprit qu’avait façonné l’homme ») et l’esprit « qui porte
l’empreinte de l’homme » (esprit conditionné) ?
« Bien sûr que tout cela est paradoxal ; pourtant c'est un fait, il en va bien ainsi.
Mais reprenons » (p. 214).
Conscience = contenu = « tout ce qui émane de l’homme », à l’échelon individuel
et universel (p. 214-215).
« Que la vision pénétrante soit "potentielle", je refuse de dire cela » (p. 215).
Vision pénétrante = « disparition de tout le contenu de la conscience. Et non bribe
par bribe, mais en totalité » ; ce n’est pas le produit de l’effort humain. Son origine est

22
l’esprit, tout ce qui appartient à la sphère mentale (en ce sens = cerveau, mais mieux
vaut dire esprit).
« Un instant. N’allons pas trop vite. La question [l’esprit existe-t-il ?] est assez
intéressante » (p. 216). « La conscience – individuelle et universelle – est façonnée par
l’homme. Et la logique et la raison nous permettent d’en voir les limites. Alors l’esprit
va beaucoup plus loin », jusqu’à se demander si tout peut s’effacer d’un coup : « cette
vision pénétrante se situe toujours au niveau de l’esprit, mais elle n’est pourtant pas le
fruit de la conscience ordinaire » (p. 216). DB : « l’esprit a en lui le potentiel lui
permettant de transcender cette conscience ». Il s’agit d’un esprit « qui non seulement
ne soit pas façonné par l’homme, mais que l’homme ne puisse ni concevoir ni créer –
et qui pourtant ne soit pas illusoire ». / Cet esprit est-il libéré de l’esprit façonné par
l’homme ? « Nous devons être très clairs. Non, ce n’est pas une illusion », parce que
cet esprit voit que « toute mesure est une illusion » et sait ce qu’est l’illusion et qu’elle
suscite des limitations, etc. ; il a compris cela et l’a dépassé (p. 217). Il est « libre de
tout désir ».
« Libre de tout désir, oui. Telle est sa nature – non, je ne veux pas dire les choses
si brutalement. Disons libre de tout désir » (p. 217).
« Ainsi, cet esprit, qui n’est plus ni général ni particulier, n’est donc plus limité ;
la vision pénétrante a pulvérisé ses limites, il n’a donc plus rien à avoir avec l’esprit
conditionné ». Cet esprit nouveau consiste-t-il « dans le fait de prendre conscience
d’avoir brisé le piège de l’illusion » ? On s’est demandé s’il existait quelque chose de
beaucoup plus grand : « oui, voilà pourquoi je la pose, cette question. Existe-t-il un
esprit qui ne soit pas façonné par l’homme ? Et si tel est le cas, quel rapport y a-t-il
entre cet esprit-là et celui qu’a créé l’homme ? (p. 217) /
Car, en effet, toutes les formes d’affirmations, toutes les formes de discours n’ont
rien à voir avec cet esprit-là. C'est pourquoi nous voudrions savoir s’il existe un esprit
qui échappe à toute empreinte humaine. Je crois que cette question ne peut être posée
qu’une fois toutes les limites abolies, sinon, c'est une question stupide » (p. 218). On
ne peut poser cette question que si on est « totalement affranchi de toutes ces
contingentes […]. Alors, vous soulevez la question – pas "vous", bien sûr -, disons
plutôt que la question est posée : existe-t-il un esprit dont l’homme ne soit pas
l’artisan, et si un tel esprit existe, en quoi est-il relié à l’esprit façonné par l’homme ?
[…]. Sans vouloir être dogmatique ni personnel, ou que sais-je encore, disons-le : oui,
cet esprit existe » ; mais ce n’est pas Dieu. Il n’est pas en relation avec l’esprit humain
(l’esprit que l’homme a forgé). « L’esprit façonné par l’homme ne peut avoir de
relation avec cet esprit-là. Mais ce dernier peut entrer en contact avec notre esprit
humain ».
« Soyons clairs ».
Cet autre esprit « transcendante toute limite » (p. 218-219).
« L’esprit illusoire, celui que l’humanité s’est forgé, est toujours en quête de cette
autre dimension de l’esprit » (p. 219).
« Voulez-vous dire que cet autre esprit entre en relation avec l’esprit humain dès
l’instant où ce dernier s’arrache à ses limites ? »
« Nous devons bien peser nos mots ». /
« Même cela [que l’esprit non façonné par l’homme puisse entre en contact avec
l’esprit limité], je le remets en question » (p. 220). K. semble revenir en arrière parce

23
que DB n’a pas vraiment compris. « Non [je ne change pas d’argument], je le pousse
un peu plus loin, c'est tout ».

L’exemple du (non) rapport entre amour et haine


L’amour n’aucun lien avec la jalousie ou la haine (p. 221).
K. n’est pas sûr que l’amour puisse entrer en relation avec le non-amour et
permette par exemple de comprendre l’origine de la haine. « Je ne suis pas sûr, je ne
suis pas sûr – là, nous devons être extrêmement prudents… ». L’alternative serait que
l’esprit limité lui-même cesse d’exister. « Lorsque finit la haine, cette "autre chose"
advient ; mais cette autre dimension de l’esprit n’a rien à voir avec la compréhension
de la haine » (p. 221). L’amour ne peut pas dissiper la haine. L’amour d’une femme ne
peut transformer la source de la haine d’un homme. « [L’amour est] en filigrane, là,
sous les mots » (p. 223). L’idée que l’amour intervienne directement est
« romanesque ».

Brockwood Park, le 14 septembre 1980.

7. L’intelligence et l’amour

Celui qui a souffert et compris qu’il faut s’affranchir des souvenirs, conflits et
épreuves psychologiques « en arrive au point où son esprit se trouve libre, mais sans
avoir pour autant rassemblé l’énergie suffisante pour aller au-delà de lui-même » (p.
225).

Le problème de la liberté
Que choisir entre :
1. L’esprit, le cerveau, l’ensemble des structures mentales peuvent être affranchis
de tout conflit, perturbation
2. La notion de liberté absolue n’est qu’une illusion.
Faut-il croire, comme certains philosophes l’affirment, que la condition humaine est
« déterminée par le passé, par son propre conditionnement, au point qu’il lui soit
impossible de s’en libérer » ? /
« Il s’est trouvé quelques individus, religieux sans être sectaires, totalement
libres par rapport à toute espèce de religion instituée, de croyance, de rituel ou de
dogme, pour affirmer que la chose est possible, mais rares sont ceux qui ont dit cela.
D’autres disent que c'est un lent processus, qu’il faut passer par plusieurs existences,
par des épreuves et des souffrances de toutes sortes avant de toucher au but » (p. 226).
Sachant que l’esprit de l’homme est entièrement conditionné, peut-il se libérer de son
conditionnement ?
« Et, s’il est capable de toucher au but, qu’y a-t-il au-delà ? Telle est la question que
nous nous apprêtions à aborder.
Pour que cette question ait quelque validité, quelque raison d’être, ne faudrait-il
pas d'abord que l’esprit en ait fini avec toutes les épreuves de la vie ? » (p. 226). « Est-
il possible qu’un esprit foncièrement humain se libère d’automatismes mentaux eux-
mêmes si foncièrement humains ? Comment le savoir ? ». / L’idée d’une

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transcendance ne serait qu’une récompense, une tentation. La solution peut apparaître
si on envisage qu’une partie de l’esprit n’est pas conditionnée. On a dit et redit que
si l’esprit est profondément conditionné, il peut tout de même se libérer grâce à la
vision pénétrante. « C'est là qu’est la véritable clé du problème. Etes-vous d’accord là-
dessus ? » (p. 227). / L’esprit est en mouvement mais ce mouvement est limité : son
territoire est « clairement balisé » (p. 228). « L’esprit peut l’élargir ou le restreindre,
mais les limites sont très, très précises et bien définies ». L’esprit se meut toujours
dans le cadre de ces limites. « Peut-il mourir à toutes ces limites, s’en arracher, y
échapper ? ».

Au-delà de l’universel et du particulier


La vision pénétrante est « un type de mouvement totalement différent » que le
mouvement de l’esprit limité. Mais la source de ce mouvement n’est pas dans l’esprit
individuel ni à son niveau le plus général : « la vision pénétrante ne coïncide ni avec
l’individuel ni avec l’universel. Ce que nous disons là est proprement scandaleux ! »
(c'est contraire à la logique commune qui peut tout distinguer en général ou
particulier). « Alors, cette question [de savoir s’il existe quelque chose d’autre qui
transcende les deux], comment faut-il la poser, ou plutôt comment faut-il l’aborder ? ».
/ L’universel ne s’oppose pas au particulier, même si on privilégie l’un ou l’autre
(homme pratique vs. philosophes). « Pouvons-nous en discuter en toute logique ?
Pouvons-nous, en mettant à contribution le savant que vous êtes, avec son esprit et son
savoir-faire de scientifique, et l’homme qui vous fait face, et qui n’est rien de tout cela,
pouvons-nous engager le dialogue afin de découvrir si effectivement l’universel et
l’individuel ne font qu’un et ne sont pas du tout divisés ? » (p. 229). Actuellement
nous ne sommes dans aucun des deux camps. / « Logiquement, une telle position ne
risque guère de faire l’unanimité » (p. 230). « La pensée, c'est à la fois l’universel et
l’individuel ». Mais peut-elle transcender ces distinctions ? « En règle général,
l’universel et le particulier sont dans la même sphère » ; qu’on se fixe sur l’un ou
l’autre, on reste dans le même plan ; « la pensée est le mouvement qui va de l’un à
l’autre » ; elle a créés ces deux plans.

Le rapport entre le temps et la pensée. La recherche de la sécurité psychologique.


« Quand la pensée prend fin, ce mouvement créé par elle prend fin lui
aussi ». /Donc le temps prend fin. « La pensée est fondée sur le temps, et elle en est
aussi le fruit » (p. 231). Le temps est plus fondamental que la pensée au sens où la
pensée se fonde sur le temps. / « Le temps existe dès qu’un savoir est accumulé » (p.
232). Le savoir n’est pas issu de la pensée : « j’agis d'abord, j’apprends ensuite. Cette
action-là n’est pas fondée sur un savoir acquis ; j’agis, et c'est grâce à cela que
j’apprends » ; puis l’apprentissage est enregistré dans la mémoire ; puis ce qui a été
appris est réactualisé dans l’expérience suivante : « le passé remonte toujours jusqu’au
présent ». / « Le temps existe tant qu’il y a accumulation sur le plan psychologique,
sous forme de savoir, sous forme de "moi", etc. Le temps est le fondement même de
tout cela » (p. 233). Il n'y a pas d'abord le temps, puis l’accumulation : c'est
l’inverse. / La pensée est le fruit de l’accumulation psychologique, qui lui donne cette
impression de continuité qui est le temps (p. 234). « Toute accumulation d’ordre
psychologique est à la fois pensée et temps. […] Un seul terme suffirait […]. Il n’y a

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qu’un seul mouvement, c'est-à-dire le temps et la pensée – le temps plus la pensée, ou
le temps/pensée ». / L’esprit accumule parce qu’il recherche la sécurité («
l’accumulation semble être un gage de sécurité », p. 235). L’accumulation de choses
extérieures, physiques, matérielles, est indispensable à notre sécurité et un mouvement,
un besoin identique existent dans la sphère psychologique (là aussi on accumule pour
se sentir en sécurité). « Or il n'y a qu’un seul mouvement intérieur et extérieur ». /
L’esprit peut s’affranchir du temps psychologique : « tout cela [le capital de pensée et
de sécurité] n’est pas imprimé en nous de manière indélébile » (p. 236) ; il est absurde
que la plupart des gens croit le contraire. / « je crois qu’il faut mettre en cela [l’effet de
la vision pénétrante] en mots » (p. 237). DB : Pourquoi ? Beaucoup préfèrent que tout
reste non verbal. K. : « Pouvons-nous dire que le mot n’est pas la chose ? Une
description, quelle qu’elle soit, n’est pas la réalité, n’est pas la vérité – quoi qu’on
fasse pour l’embellir ou la minimiser ».

Le désir
« Le désir, c'est le temps. L’Etre, le devenir sont fondés sur le temps. […] Ils ne
sont qu’une seule et même chose ». / C'est terminé quand la vision pénétrante nous fait
prendre conscience du processus du désir et de sa capacité à créer l’illusion.

 La soif de devenir (p. 238)


Pourquoi les hommes ont soif de devenir ?
- Dans le domaine extérieur : « physiquement, on fait travailler un muscle pour le
rendre plus fort. De même, on peut trouver un meilleur emploi, jouir d’un plus
grand confort, et ainsi de suite ».
- « Pourquoi l’esprit humain a-t-il cette soif de devenir un être "éclairé" –
gardons ce terme pour l’instant – en cherchant à devenir toujours meilleur ? ».
Est-ce à cause de l’insatisfaction ? / DB : l’homme en veut toujours plus. K. « Je me
demande si ce n’est pas le mot "plus" qui fait que le bât blesse » (p. 239). Ce
mouvement, cet élan (je veux être plus, avoir plus, devenir) est ce qui nous pousse « à
gagner, à comparer, à progresser, à réussir – psychologiquement » (p. 239).
Accumulation et « plus » vont toujours de pair, mais les intellectuels (philosophes et
hommes religieux raisonnablement intelligents) ne l’ont jamais compris. / Pourquoi les
hommes du XIXè siècle, qui faisaient des progrès extérieurs, n’ont-ils jamais remis en
cause l’idée qu’ils progressaient aussi sur le plan intérieur ? (p. 240) Ils auraient pu y
être incités par « cette lutte perpétuelle pour le "toujours plus" ». Ici « l’univers
psychologique » est « envahi est par des pulsions identiques à celles qui agitent le
monde extérieur ». Psychologiquement parlant, l’accumulation est nocive : elle crée
une division entre vous et moi. / L’accumulation divise les hommes, donc provoque
des conflits (p. 241).
Par l’accumulation, l’homme cherche la sécurité psychologique ; sécurité et
accumulation provoquent la division entre les hommes sur le plan psychologique ;
donc les hommes accumulent sans cesse, sans se rendre compte des conséquences. Ce
processus prend fin quand l’esprit « se rend compte qu’il est illusoire de voir dans
l’accumulation un gage de sécurité ». Ce qui pousse les hommes à chercher la sécurité
dans l’accumulation psychologique est le désir et « cet instinct viscéral qui nous
pousse à accumuler en prévision de l’avenir, par souci de sécurité » (p. 241). / « Cet

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instinct va de pair avec le désir » (p. 241-242). Désir + accumulationdivision et
conflit. La fin de tout cela ne requiert pas une action délibérée, sinon il y a récompense
ou châtiment à la clé et rien n’a changé. K. suggère qu’on ne peut pas se connaître soi-
même : dès qu’on se connait, on s’est déjà forgé une image de soi-même. / « La
pensée est le mouvement entre le particulier et l’universel ; la pensée naît aussi de
l’image de ce qui a été accumulé » (p. 243). /

L’intelligence met fin au mouvement de la pensée. Intelligence et amour.


Il faut de l’intelligence pour mettre fin au processus. 2 types d’intelligence :
- « intelligence pratique » : aptitude « à discerner, à distinguer, à résoudre des
problèmes techniques, économiques et autres » (p. 244). « Intelligence de la
pensée » (p. 245 ; « savoir-faire »)
- « une autre intelligence »
« N’allons pas si vite, je tiens à découvrir ce qu’il en est ».
Ce qui met fin au processus n’est « ni la logique, ni la raison, ni les explications ». Est-
ce l’intelligence ? / L’intelligence est-elle liée à l’amour ? « Oui, j’y viens [à l’idée que
l’intelligence et l’amour vont de pair], mais ne brûlons pas les étapes » (p. 245).
L’amour « ne peut faire l’objet d’aucune accumulation » ; « l’amour, cela ne se stocke
pas » et ne s’associe pas à la haine.
« Récapitulons, si vous le voulez bien. » /
Je comprends que l’amour n’est pas le plaisir, désir, etc. ; mais je suis dans l’impasse ;
je cherche « un mouvement qui échappe à tout modèle humain. Et il se peut que ce
mouvement, ce soit l’amour. Je suis désolé de recourir à ce mot, si abîmé, si galvaudé,
mais nous garderons ce terme pour l’instant » (p. 246). « Pas l’amour des "je t’aime" et
"tu m’aimes". Non, l’amour dont je parle n’est ni personnel ni général. Il n’est ni
universel ni individuel. Il va bien au-delà ». Il transcende l’universel et l’individuel.
« Ce n’est pas une lumière particulière : il est la lumière ». Cet amour peut me faire
sortir de l’impasse, mais j’ignore tout de lui : « il ne s’agit pas de "faire" ou de "ne pas
faire", mais de se demander : dans quel état d’esprit suis-je lorsque je réalise que toute
tentative de mouvement de ce côté-ci du mur ne fait que le renforcer ? ». / Je prends
conscience du fait que je ne peux rien faire ; mais je ne désespère pas (car ça serait
rester dans la même sphère). Tout cesse quand je réalise que je ne peux rien faire.
Révolution = tout mouvement de l’esprit cesse. Le mur (de l’impasse) est ce
mouvement ; donc quand le mouvement cesse, l’intelligence, l’amour est présent
(« tout est là », p. 247). / Quand le mouvement cesse, « c'est comme le "sixième sens"
grâce auquel on sent le danger » (p. 248). « Tout danger requiert de notre part une
certaine vigilance » ; mais on ne comprend pas que l’accumulation est un danger, car
on y cherche la sécurité. « La perception fait partie de l’amour ». La perception du
mur, sans motif ni direction, est l’intelligence et l’amour.

Brockwood Park, le 16 septembre 1980.

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