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Choderlos de Laclos a laissé son nom parmi les auteurs du XVIIIème siècle par son roman, Les Liaisons
dangereuses, qui lui a valu, en raison du comportement immoral des deux héros, Valmont et la Marquise de
Merteuil, une réputation de libertin. Pourtant, il est avant tout un homme du siècle des Lumières, soucieux de
faire évoluer sa société, comme il le montre dans cet extrait d’un « Discours », intitulé De
l’Éducation des femmes, paru en 1785, qui semble préfigurer les revendications d’Olympe
de Gouges. Il y répond à la question d’un concours proposé par l’Académie de Châlons-
sur-Marne » : « Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation des
femmes ? » Comment procède-t-il pour inciter les femmes à conquérir leur liberté ?
Pour répondre à cette question, nous montrerons l’opposition qu’il établit entre la situation
présente des femmes et la révolution féministe à laquelle il les invite.
Ce court passage brosse un triste tableau de la condition féminine, dont il dénonce les coupables.
En représentant les femmes, Choderlos reprend l’image traditionnelle de
leurs défauts. Le premier mentionné, qui rappelle le mythe grec de Pandore, est la
« curiosité », et, en ajoutant « dirigée une fois sur des objets utiles », il l’associe à un
autre : « vos occupations futiles ». Les femmes sont donc, encore à son époque
considérées comme des êtres frivoles, et, de ce fait, inutiles à la société. Elles
préfèreraient une vie superficielle, ce qui les aurait amenées à l’asservissement : « nées
compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave. » Son lexique péjoratif est
violent pour décrire cet esclavage, héritage ancien puisqu’il est, à présent, une « longue
habitude ». Il le qualifie d’« état abject », les juge ainsi « dégradées » et souligne, par
l’allitération, leurs « vices avilissants » : « le mal est sans remède, les vices se sont
changés en mœurs. », écrit-il en empruntant cette phrase au philosophe latin Sénèque.
Mais, à ses yeux, cette image, qu’il présente comme réaliste, n’est pas l’ « état naturel »
des femmes, puisqu’il passe de l’insistance sur son réalisme, sur l’objectivité de son
regard, « ce tableau fidèlement tracé », à l’expression de son émotion qui le conduit à
faire ce « récit de vos malheurs et de vos pertes ». Il n’accepte donc pas que soit
maintenu ce qui, à ses yeux, est une déchéance indigne.
En amplifiant ainsi l’image critique des femmes, il renforce, parallèlement, la
dénonciation des coupables. Elle est d’abord générale : « les avantages que vous
avait donnés la nature, et que la société vous a ravis » les présente comme victimes de
tous ceux qui avaient intérêt à les maintenir dans un état d’infériorité. Il précise ensuite les
véritables adversaires : « les hommes auteurs de vos maux ». Mais les femmes elles-
mêmes ne sont pas sans reproches. Choderlos de Laclos se montre, en effet, sévère
envers elle en les accusant de s’être finalement accommodées de leur esclavage : « vous
êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel » est repris, de
façon encore plus critique par « vous en avez préféré les vices avilissants, mais
commodes ». Quand il leur ordonne « ne vous laissez plus abuser par de trompeuses
promesses », il blâme donc les femmes de s’être elles-mêmes aveuglées, en
choisissant une vie facile, en refusant les efforts qu’exigerait la lutte.
Cette approche critique joue un rôle important dans cet extrait : il s’agit de faire réagir les lecteurs en
montrant qu’une évolution est possible.