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Je tiens à exprimer mes remerciements les plus sincères à
Furuya Sensei, professeur à l’Université de Waseda ainsi
qu’à Fuji Sensei professeure associée à l’Université de
Waseda qui m’ont encadrée au sein de leur laboratoire,
et conseillée quant aux différentes pistes à suivre pour
traiter du commerce à Tokyo. Leur aide et leur
bienveillance, ont été précieuses en particulier pour les
enquêtes de terrain que j’ai mené dans les différents
quartiers de Tokyo.

Je tiens à remercier Ariga Sensei, professeur à l’université


de Waseda, pour ses cours d’urbanisme qui m’ont appris à
voir Tokyo d’un autre paradigme.
5

Je remercie également Monsieur Pierre Bouilhol et


Monsieur Victor Fraigneau, mes encadrants à l’ENSAPLV,
pour leur patience et pour les entretiens qu’ils m’ont
accordés, qui ont été cruciaux dans le développement de
mon sujet, et qui m’ont permis à la fois de me remettre en
question en permanence et de structurer ma pensée.
6
*commerce se réfère à l’entité physique du commerce de détail intérieur de ces problèmes, pour inscrire la fonction commerciale dans
*Tokyo se réfère aux 23 arrondissements de la préfecture de Tokyo
une sorte de pérennité.

Alors, comment la fonction commerciale est elle prégnante à


« Ainsi Tokyo est-elle une ville-amibe, avec sa
prolifération rampante, ses modifications incessantes. Comme Tokyo ? Comment expliquer son ubiquité ? En quoi peut on
les mollusques sans os, comme les corps unicellulaires, elle comprendre les qualités urbaines, paysagères de Tokyo à
ressuscite, même si elle est détruite et brûlée. Bonne ou travers la fonction commerciale ?
mauvaise, la ville-amibe japonaise est douée d’une grande
résistance, d’une grande vitalité. »1 J’ai voulu comprendre l’influence de la fonction commerciale
d’un paradigme sociétal et social, historique, urbain et
L’aire métropolitaine2 de Tokyo est la plus grande ville du paysagé, sur la ville de Tokyo, en tant que synthèse de ces
monde. C’est un lieu où le changement est palpable et où le paradigmes. J’ai donc appréhendé le sujet à l’échelle de la ville,
paysage est modelé par le bâti. C’est une ville d’apparence puis du quartier.
désordonnée mais où tout semble avoir une place et un
objectif. « C'est le prototype d'une ville en constante A partir de différents ouvrages tirés des champs de la
évolution, une métropole de la consommation où l'ancien est sociologie, de la géographie, de l’urbanisme et de
l’architecture, j’ai pu étoffer mon analyse du sujet par plusieurs
instantanément remplacé et où l'avant-garde est
enquêtes de terrain.
constamment mise en avant »3
J’ai réalisé une première étude de terrain sur 12 quartiers de
Tokyo, souvent qualifiée de chaotique et résiliente, est une Tokyo, en me basant sur des faits, des observations, des
ville complexe à comprendre et à apprivoiser, tant par la taille photographies, mais aussi à travers une analyse subjective du
que par le manque de repères qui caractérise son tissu urbain. ressenti véhiculé par l’atmosphère. 7
Une seconde étude a consisté à restituer factuellement des
Tokyo est une ville multinodale avec un certain nombre de
projets commerciaux originaux ou caractéristiques de Tokyo à
sous-centres et d'unités plus petites, de villes et de districts.
travers des photos, des observations et par la réalisation
Ces nœuds sont reliés entre eux par un réseau ferroviaire d’axonométries explicatives.
efficace. Tokyo est une ville faite de plusieurs parties mais pas Une dernière étude plus approfondie a été réalisée sur le
d’un tout. quartier du Shibuya, accomplie à l’aide de croquis de coupes
perspectives, d’observations, de vidéos et de relevés sonores.
La fonction commerciale semble dominer dans la compacité de
Tokyo, elle est partout ou elle n’est pas du tout. Elle s’étire des Le mémoire qui suit s’articule en 4 parties.
sous-sols aux hauts des immeubles et comble les moindres Le premier chapitre a pour but de circonscrire le sujet d’étude,
interstices. La fonction commerciale n’est pas continue, elle en exploitant les atouts d’un concept documenté dans la
s’adapte au schéma polycentrique de la ville, et s’aimante aux littérature, et en présentant les différents commerces étudiés
stations. Dans le même temps, elle déserte le tissu qui lie les à Tokyo.
centres entre eux, conférant aux zones résidentielles une aura Le second chapitre vise à appréhender la relation du
de calme absolu. Quand le commerce émerge dans la ville, il commerce à la société, en étudiant l’emprise de la fonction
commerciale sur la société et dans le même temps l’influence
semble l’incarner en effaçant tout ce qui l’entoure.
de la société sur la fonction commerciale.
Cependant, la fonction commerciale ne peut être envisagée De là, le troisième chapitre s’attache à comprendre la relation
seulement d’un point de vue économique. Elle fait partie du commerce à l’urbain, en étudiant les formes urbaines et
intégrante de la ville. typologies engendrées par le commerce, pourvoyant ou non à
l’urbanité de la ville.
Dans les pays occidentaux, la diversité des fonctions Enfin le dernier chapitre permet de discuter des qualités de la
commerciales, des commerces de proximité aux commerces fonction commerciale et de sa participation à l’activité et à
franchisés, semble vouée à s’amenuiser, par la concurrence l’attractivité de la ville.
grandissante, des commerces en ligne, et pas une injonction
morale à moins consommer. Mais Tokyo semble s’affranchir

1 ASHIHARA YOSHINOBU, L'ordre caché : Tôkyô, la ville du XXIe siècle ? 1994


2 La ville de Tokyo et ses 23 arrondissements ont fusionné avec la préfecture de Tokyo englobant toutes les villes alentour
3 JORIS BERKHOUT, City beyond time dans Tokyo Totem, flick studio, 2015
A. Le commerce dans la littérature
1. le commerce, la culture et l’urbain
Il est fréquent lorsqu’on visite une ville ou un pays
pour la première fois, d’être attiré par ses commerces pour en
comprendre la culture, au sens large du terme.

Selon Beaujeu Garnier et Delobez 4, « le commerce apparaît


sans doute comme l’élément traduisant le plus fidèlement le
type de société dans lequel il est implanté. Il en reflète à la fois
le niveau de développement économique et technique, les
comportements psychologiques, la structure sociale, les
réglementations politiques. » Le commerce permet de saisir la
physionomie et le relief sociétal d’un pays.

Le commerce permet d’explorer à travers son activité


économique, mais aussi à travers les formes urbaines et les
contacts sociaux qu’il engendre, les habitudes, les goûts, les
traditions, la gastronomie d’un pays ou d’une ville.

Tokyo ne fait pas exception, tant les commerces y sont


florissants. Le plus frappant lorsqu’on pose le pied dans la
8 capitale Japonaise est peut-être la quantité de commerces
différents se déployant dans les trois dimensions de l’espace
et jusque dans les milieux jugés pas l’occident comme
inhospitaliers. Mais le commerce à Tokyo permet de ressentir
toute la dichotomie d’un pays tiraillé entre traditionnel et
modernité.

Le commerce, par les dispositifs urbains qu’il amène avec lui,


Figure 1: Une rue commerçante de Tokyo, Ueno par son architecture, par son implantation, par sa fonction
participe à la morphologie du tissu urbain. « Le commerce est
un marqueur de la ville, il en épouse les évolutions, les
transformations, le fonctionnement ou les dysfonctionnements. Il
y participe aussi. […] La ville ne peut se concevoir sans le
commerce de même que le commerce ne peut jamais mieux
s’épanouir que dans un environnement urbain. »5

Le commerce a aussi un rôle prépondérant à l’échelle de la rue.


Emile Magne expose la dépendance de la rue aux fonctions qui
la compose : « Une rue, si belle soit-elle, ne manifeste pas
d'existence par la seule vertu de son architecture. Organisme
inerte, elle a besoin d'être habitée et parcourue pour acquérir
une âme. Dès lors, reflet d'humanité, elle adopte, dans la
collectivité urbaine, l'attitude lui communiquent ses habitants
et ses passants ». Il évoque le magasin en tant qu’âme ardente
de la rue, et décrit une rue sans commerce comme un passage

4 BEAUJEU GARNIER ET DELOBEZ, Géographie du commerce, Masson, 1977


5 PHILIPPE DUGOT, Commerce et urbanisme commercial dans la fabrique de la ville durable, 2019
entre deux murs d’un tombeau Egyptien.6 Le commerce Traditionnellement cette définition est renforcée par la notion
affiche un décorum urbain. de propriété : ne pourrait alors être désigné comme espace
public un bien de propriété privée. On a alors usage de définir
Il est alors indéniable que « les commerces contribuent comme espaces publics, l’ensemble des lieux non construits
fortement à la qualité du paysage urbain, à l’animation des
accessibles gratuitement comme les places, les squares et les
rues de jour comme de nuit, et déterminent en partie
l’attractivité des quartiers par le type de fréquentation de parcs mais aussi les espaces de liaison comme les rues et les
l’espace public qu’ils génèrent : touristes, résidents trottoirs. Dans cette idée, l’espace public se définit
métropolitains, riverains, familles, jeunes… ».7 généralement comme ouvert.

Comme le fait remarquer Philippe Dugot, « Sans doute que le Cependant, en se concentrant sur la définition d’Espace Public,
commerce n'est pas le seul vecteur d'animation rues, et ce il conviendrait d’en exclure les commerces. Pourtant, s’ils ne
faisant de la ville. Le travail sous toutes ses formes anime la sont pas publics, ils ne peuvent non plus être définis comme
ville. Les écoles ou les terrains de sport produisent leurs privés puisqu’ils n’ont pas pour initiative un usage individuel.
propres flux et rassemblements, lieux et moments de En s’attachant à une définition moins rigoureuse, les
convivialité qui font vivre la ville. Mais le fait que le commerce commerces pourraient s’inclure dans l’espace public car ils
ne soit pas le seul animateur de la ville (…) ne doit pas lui sont eux aussi ouverts à tous, sans restriction d’accès. Mais le
enlever de son importance primordiale dans l’épanouissement processus marchand qui le définit annihile forcément la notion
d’une urbanité de qualité. »8 d’équité dans la fréquentation. Il peut parfois devenir une
source d’exclusion. A Tokyo, tout est fait pour inciter à
Le commerce possède une place importante dans l’histoire consommer dans le déchainement de publicités de la rue, mais
ainsi que dans tous les pays du monde. Qu’il puisse être un une fois pénétrés à l’intérieur d’un commerce plus rien, à part
vecteur culturel ou générer de l’urbanité ne feront qu’ajouter sa propre volonté, n’oblige à consommer. Il est par exemple 9
à son attractivité. Il est alors intéressant de voir quelle place a possible d’utiliser les toilettes d’un restaurant sans s’y arrêter
le commerce dans une ville comme Tokyo, au regard de ce qui pour dépenser, chose inimaginable en France. Le commerce
a été dit précédemment. peut alors être seulement un lieu de passage pour les habitants
Il convient alors d’envisager le commerce de la ville de Tokyo de la ville. Le commerce en tant que forme spatiale urbaine
en tant qu’élément urbain avec les dispositifs qui y sont liés, brouille la limite entre « espace public » et « espace privé ».11
avec une influence à la fois sur la morphologie de la ville et sur
ses habitants. Le commerce, s’il ne peut encore être qualifié d’espace public,
peut être néanmoins considéré comme un lieu de
Cependant le commerce est un terme vaste, regroupant les rassemblement public. On pourrait alors parler d’espaces
activités consistant dans l'achat, la vente de biens ou de privés à usage public. Quoi qu’il en soit, le commerce comme
services, l'échange de marchandises, de denrées, de les espaces publics sont des lieux de rassemblement publics.
valeurs.9 On s’intéressera ici au commerce de détail, où la vente
de biens ou de services se fait par l’intermédiaire d’un local Les villes japonaises manquent généralement d’espaces
implanté dans le tissu urbain. Il convient donc de circonscrire publics distincts au sens occidental du terme, avec de grandes
cette définition afin de préciser le sujet d’étude. places ouvertes ou d’autres espaces de rassemblement. Au
lieu de cela, les Japonais utilisent souvent des espaces urbains
2. le commerce et l’espace public
denses à des fins multiples, la signification de l’espace
Qu’est-ce qu’un espace public urbain ? L’Espace Public fait physique variant selon le contexte.
référence à une zone ou un lieu qui est ouvert et accessible à
toute la population, sans distinction de sexe, de race, Tokyo est une des villes dont la densité urbaine est la plus
d’appartenance ethnique, d’âge ou de niveau socio- élevée au monde. La surface du non-construit représente
économique. Ce sont des lieux de rassemblements publics seulement 6% de la surface globale.12 La possibilité d’un
promouvant la démocratie10. Espace Public ouvert en tant que lieu de rassemblement public
semble déjà limitée. En plus de la pénurie de terrains

6 EMILE MAGNE, L’esthétique des villes, Infolio Editions, coll. « Archigraphy Poche », 2012 [1908]
7 CATHERINE BARBE, Introduction aux ateliers de création urbaine, île de France 2030, Ville.Commerce
8 PHILIPPE DUGOT, Commerce et urbanisme commercial dans la fabrique de la ville durable, 2019
9 Dictionnaire Larousse
10 www.unesco.com
11 PHILIPPE DUGOT, Commerce et urbanisme commercial dans la fabrique de la ville durable, 2019
12 HIROSHI OTA, MARIELUISE JONAS, Tokyo Void. Possibilities in Absence. Landscape Architecture Interior Design International Collaboration

RMIT University / Tokyo University, 2010


disponibles, une attitude culturelle spécifique conduit à un relations et la diversité des contacts humains qui constituent
manque généralisé d’espaces publics, en dehors des grands l'essence de la ville. »16
parcs insérés dans la ville durant la période Meiji. 13 En effet,
« l’espace privé est considéré comme si sacro-saint que Il parait alors difficilement niable que les lieux de
l’espace public est considéré comme profane. Quelque chose rassemblement public occupent une place prépondérante
qui appartient à tout le monde n’appartient à personne. »14 dans le développement des interactions sociales entre
citoyens. Si l’espace privé peut être le réceptacle de relations
Tokyo intègre une mixité de fonctions dans sa forme urbaine, familiales ou de longues dates, l’espace de rassemblement
faisant cohabiter temples et jardins traditionnels, public peut être celui de la totalité des contacts sociaux à
infrastructures de transports et immeubles de bureaux laquelle une personne est confrontée, planifiés et non
imposants. L’espace public est en perpétuel mouvement, il planifiés.
ressemble plus à un flux qu’à une forme définie. Rien dans
l’espace public de la capitale Japonaise n’est fait pour s’arrêter « Le point général est que certains types d'espace encouragent
(absence quasi-totale de mobilier urbain par exemple). les rencontres et d'autres non. Par exemple, on soutient que la
L’extérieur n’est pas pensé pour abriter des rencontres entre proximité favorise l'interaction et le développement de la
citoyens tant l’espace public est saturé. communauté (…). Les cafés, bars, boutiques, bibliothèques et
autres commodités du quartier contribuent tous à un
Mais peut être à cause de la forme particulière du tissu urbain sentiment d'appartenance et de rencontre »17
Tokyoïte liée à la propriété foncière, le commerce vient se
répandre dans tous les interstices de la ville. Le commerce est Dans cette perspective, le commerce peut permettre à un
partout. Il permet même de générer, quand plusieurs individu de se confronter dans la ville à des interactions
commerces se regroupent ce qui ressemble le plus à un espace sociales permanentes, qu’elles soient anticipées (réunion
public extérieur, mais financé par des entreprises privées. Il
10 d’amis) ou non (contact humain avec des vendeurs).
s’agit alors d’espaces de rassemblement à usage public de
propriété privée. Cependant, si les commerces sont des lieux de rassemblement
public tous les commerces ne sont pas susceptibles de générer
Les espaces privés à usage public semblent avoir pris le relais des interactions sociales.
sur les espaces publics ouverts pour accueillir les relations
sociales des Japonais dans la ville. Pour circonscrire le commerce aux interactions sociales qu’il
génère, il peut être pertinent d’en croiser sa définition à celle
3. le commerce et les interactions sociales du troisième lieu (third place).
Jane Jacobs développe dans Déclin et survie des Ray Oldenburg est le premier sociologue à s’intéresser au rôle
grandes villes américaines la thèse selon laquelle pour bien social des lieux informels dans The Great Good Place publié en
fonctionner, une ville doit permettre le contact social entre 1989. Il y distingue trois domaines de l’expérience : « L'un est
citoyens et le mélange des générations, ainsi qu’assurer la domestique, le deuxième est rémunérateur ou productif et le
sécurité des individus. Selon elle, « Un quartier n’est pas troisième est inclusivement sociable, offrant à la fois la base
seulement une réunion d’immeubles, c’est un tissu de d'une communauté et la célébration de celle-ci. Chacun de ces
relations sociales, un milieu où s’épanouissent des sentiments domaines d'expérience est construit sur des associations et
et des sympathies. »15 Il est donc fondamental d’observer la des relations qui lui sont propres ; chacun a ses propres lieux
fabrique urbaine de la ville d’un paradigme social. physiquement séparés et distincts ; chacun doit avoir son
En effet, il parait crucial que la ville héberge une version qui lui degré d'autonomie par rapport aux autres. »18
est propre de lieux de rassemblement public et que ceux-ci Le premier lieu est donc celui du domicile alors que le second
fassent partie intégrante de la vie de la population. « Sans ces concerne le lieu du travail. Il ajoute que « le troisième lieu
lieux, la zone urbaine ne parvient pas à nourrir les types de [third place] est une désignation générique pour une grande

13 DARKO RADOVIC & DAVISI BOONTHARM, Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2012
14 RICHIE DONALD, Tokyo: a view of the city, 1999
15 JANE JACOBS, Déclin et survie des grandes villes américaines, Ed. Parenthèses, 2012, page 65.
16 RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the

Community, 1989
17 JOHN R. PARKINSON, Democracy and Public space: the physical sites of democratic performance
18 RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the

Community, 1989
variété de lieux publics qui accueille les rassemblements commerce bien que le commerce ne soit pas forcément un
réguliers, volontaires, informels et joyeusement anticipés troisième lieu. Ray Oldenburg dans son livre sur les third places
d’individus au-delà du domaine de la maison et du travail. » 19 ne définit pas directement les troisièmes lieux comme des
commerces mais tous les exemples développés sont des
Georg Simmel étudie dans La sociabilité. Exemple de sociologie commerces : the German-American lager beer gardens, the
pure ou formale, les interactions sociales de la vie courante, English pub, the French café, the American tavern et the classic
interactions utiles à l’épanouissement personnel de tout être coffeehouses. Le titre du livre lui-même ne cite que des
humain. Il qualifie alors de « pure sociabilité » l’occasion où les commerces. Jérôme Monet quant à lui fait d’ailleurs apparaitre
gens se réunissent sans autre but que pour la « joie, la vivacité que le commerce en tant qu’activité économique, en tant que
et le soulagement » d’engager leur personne en dehors des forme spatiale et en tant que forme de sociabilité est un des
contextes de but, devoir ou rôle. Simmel insiste sur la éléments qui expriment une réponse au défi du vivre ensemble
propension de la sociabilité à véhiculer l’expérience la plus dans une société cosmopolite, liant alors d’une certaine façon
démocratique possible en permettant à l’homme de se « privé » et « public ».21
débarrasser des apparats qui définissent sa classe sociale ou
professionnelle pour se révéler davantage.20 Il semblerait que Pour qu’il permette les interactions sociales, on retiendra donc
le troisième lieu soit le lieu de l’expression d’une sociabilité les commerces pouvant se définir comme troisième lieu, des
pure. lieux liés à la notion de plaisir, de libre-arbitre et permettant
d’exercer la sociabilité planifiée ou non.
Le troisième lieu ne désigne pas seulement l’ensemble des
espaces où l’individu passe du temps entre le domicile et le En première approche, on peut définir comme troisième lieu le
travail. L’on comprend de la première définition de Oldenburg commerce qui s’effectue par l’intermédiaire d’un local localisé
qu’en plus d’être intrinsèquement lié à la sociabilité, il est lié à en ville. Il s’agit de commerce de détail, commerce de biens ou
la notion de loisir. Par définition le loisir concerne le « temps de services. Sa fonction est liée à la notion de plaisir, exemptée 11
de toute notion de devoir ou d’obligation. Il permet les
libre dont on dispose en dehors des occupations imposées, rassemblements informels et n’ostracise aucun catégorie de la
obligatoires, et qu'on peut utiliser à son gré ». Alors, on peut population.
adjoindre un quatrième lieu lié à la notion de devoir, qui trouve
dans la ville place dans de nombreux bâtiments administratifs, On s’attachera par la suite à définir les commerces / troisième
ou commerces de service visités sous la contrainte, soumis à lieux caractéristiques de Tokyo. On peut citer comme
des échanges sociaux majoritairement pauvres (en France, commerces définis comme des third places à Tokyo : les sento,
préfecture, allocations, magasins de téléphonie, assurances, les karaoke, les friperies, les Konbini, les magasins spécialisés,
banques…). les restaurants, les bars, les sous-sols de depâto, les marchés
ambulants, etc. (liste non exhaustive). Le chapitre suivant va
Cependant, il convient un peu de s’éloigner de la définition
permettre de définir plus précisément les commerces de détail
stricte de Ray Oldenburg. En effet, il a construit sa définition au
qui seront étudiés.
regard de l’urbanité et des modes de vie américain, et cela il y
a 30 ans. Il ne qualifie de third places que les lieux réunissant
les conditions suivantes : si l’idée du terrain neutre, de la
promotion de la démocratie par l’égalité sociale, de la
conversation comme activité principale ainsi que la possibilité
d’y développer des habitudes sont toujours d’actualité, la
nécessité d’une esthétique ordinaire et sans attrait ne semble
plus totalement au goût du jour tant la rapidité de transmission
des informations et des jugements, peut ostraciser un lieu en
une seule mauvaise critique.

Le troisième lieu est un générateur de contacts sociaux et est


lié à la notion de loisir, de plaisir. Le troisième lieu est un lieu
de rassemblement public. Ainsi défini, il peut être un

19 RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the
Community, 1989
20 GEORG SIMMEL, La sociabilité. Exemple de sociologie pure ou formale, dans Sociologie et épistémologie, Paris, Presses universitaires de

France, « Sociologies », 1981, pp. 121-136.


21 JEROME MONNET, Commerce, espace public et urbanité, en France, au Mexique et aux Etats-Unis, Géographies et Cultures, n°24, 1997,

p71-90
B. Les commerces à Tokyo
« Les espaces de vie collective qui ne sont pas strictement
politiques mais qui n'en sont pas moins importants pour la
population : les parcs, les espaces de loisirs, les magasins, les
espaces de restauration, autant de lieux qui contribuent à la
qualité de vie dans une ville. »22
Tous les espaces commerciaux présentés ci-après ont des
vertus de third places dans la mesure où ils encouragent les
interactions sociales, mais ont aussi des influences
morphologiques et sociétales variées sur la ville.

1. Le mizu shôbai et le secteur de la restauration


La mizu shôbai ou commerce de l’eau est sans aucun doute le
secteur le plus développé à Tokyo. Il regroupe les restaurants,
bars et cafés. « L’expression indique au demeurant que ces
activités sont instables, fluides comme l’eau. »23 On aura plus
tendance à qualifier de mizu shôbai les restaurants, bars et
cafés propres au Japon alors que les restaurants, bars, cafés,
étrangers, implantés dans la capitale, d’autant plus s’ils sont
raffinés, échapperont à ce qualificatif, dont la connotation
12
peut parfois paraitre négative.

Les restaurants à Tokyo sont de types divers et développent


des formes variées.

Les restaurants les plus communs et abordables sont les


restaurants spécialisés. Ce sont souvent des chaines, même si
cela ne se ressent pas forcément dans les restaurants de la
ville. Au Japon, on trouve rarement un restaurant proposant
tous les plats de la gastronomie Japonaise. Chaque plat a son
type de restaurant : on trouvera donc les restaurants de
ramen, les restaurants de soba, udon, (types de pâtes), les
restaurants de donburi (bol de riz recouvert de différents
ingrédients), les restaurants de curry…Ces restaurants
présentent systématiquement un comptoir où l’on peut
manger seul et parfois des tables pour les petits groupes. Ils ne
sont généralement pas très grands et prônent le repas rapide.
Une fois le plat consommé, il est de tradition de laisser sa place
au prochain. En effet, ces restaurants sont souvent soumis à
une attente sous forme de queue organisée en extérieur. On
commande ses plats sur des machines, soit informatisées soit
mécaniques. On reçoit un ticket que l’on donne au serveur. Les
machines sont souvent à l’extérieur ce qui participe au débord
du restaurant dans la rue, avec la pratique de la queue. Les
plages horaires sont très larges, et certains restaurants
fonctionnent en continu.

22 JOHN R. PARKINSON, Democracy and Public space: the physical sites of democratic performance
23 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988
Les restaurants de sushis peuvent se trouver à la fois dans la que des bars japonais spécialisés dans le whisky ou dans le saké
catégorie abordable ou très chère suivant la forme qu’ils aux ambiances plus tamisés. Le bar permet la sociabilité pour
revêtent. En effet, les belt sushis ou sushis sur tapis roulant les Japonais, même si l’izakaya est la forme la plus privilégiée
correspondent à la forme la plus abordable où les plats défilent notamment pour les réunions entre collègues après le travail.
sur tapis et où l’on doit se servir directement. Il faut libérer
rapidement la place après avoir manger. Les cafés sont variés à Tokyo. On les appelle kissaten. « Les
kissaten sont des lieux où l’on doit éprouver un certain plaisir :
Mais on trouve aussi des sushis bars, petits locaux composés celui d’être ensemble, entre amis, mais aussi celui plus subtil,
d’un comptoir derrière lequel un maitre sushi réalise les plus subjectif que procure une atmosphère. »24On retrouve
commandes au moment, ou encore des restaurants de sushis des cafés imitant des styles architecturaux internationaux mais
traditionnels où l’on peut être assis à une table ou sur des aussi des cafés à thème où les serveuses sont outrageusement
tatamis traditionnellement. Ces restaurants, plus chers, ne déguisées et des cafés à animaux, comme des cafés à chats, à
sont pas voués à une consommation rapide. Le sushi est ici hiboux ou à serpents. « Beaucoup de kissaten sont d’ailleurs
considéré comme un art et réalisé par un maitre. des monuments d’art kitch. Avec leur décor feutré ou
tapageur, rétro ou futuriste, ils se veulent un monde en soi,
Dans la même veine, on trouve les kaiseki, les restaurants cherchant à reproduire un univers, sinon dans son authenticité
gastronomiques du Japon, où le repas est composé d’une du moins conformément à la représentation que les Japonais
multitude de petits plats raffinés réalisés par un chef. Le kaiseki se font d’une atmosphère bavaroise, new-yorkaise ou
est aussi élevé au rang d’art, ce qui explique son prix. montmartroise. »25
Les restaurants étrangers sont très répandus et revêtent
souvent le style de leur pays d’origine, avec un raffinement
2. Les commerces de service de divertissements
spécifique lié aux restaurants Français qui sont toujours primaires 13
considérés comme luxueux.
On retrouve dans cette catégorie les Karaoke, les pachinko, les
On trouve ensuite des restaurants où la convivialité est de salles d’arcades ou les manga kissa. Ce sont les
mise, où l’on se retrouve entre amis, bien que la solitude n’y divertissements primaires les plus plébiscités par les Japonais
soit pas rare et où en général l’alcool coule à flot. C’est le cas pour décompresser après une longue journée de travail, mais
des restaurants de Yakitori ou des izakaya, sorte de pub aussi pour simplement se divertir, seul ou en groupe, à tout
japonais où les plats sont partagés entre les convives. La âge et parmi toutes catégories sociales.
temporalité est alors différente, car ces lieux n’ouvrent que le
soir. C’est le cœur de la vie sociale des Japonais. Ils sont Les Karaoke sont les lieux les plus plébiscités par les Japonais
signalés à l’extérieur par une lanterne. pour une sortie nocturne mais pas seulement. Ils fonctionnent
24h sur 24 et accueille des groupes comme des travailleurs
On trouve encore les restaurants de viande, yakiniku ou solitaires venant s’émanciper du travail. Ce sont de petits
teppanyaki remplis de petits barbecue ou de plaques immeubles divisés en petits boxs plus ou moins grands. Chaque
chauffantes où l’on vient soit même cuire sa viande. Payer pour salle est équipée d’un système son et d’une tablette
faire cuire ses aliments est assez répandu au Japon. On permettant de choisir les chansons. Le service est important
retrouve cette pratique dans les restaurants d’okonomiyaki dans la mesure où un interphone permet de commander ce
également. que l’on veut en termes de nourriture et d’alcool. Les fenêtres
n’étant pas indispensables pour l’activité, elles sont souvent
Dans la totalité des restaurants, en particulier dans les izakaya bouchées par des publicités.
ou dans les restaurants kaiseki, on peut trouver des formes de
consommation traditionnelles, où l’on mange sur des tables « Une figure particulière du ludique lié à la consommation est
basses, assis en tailleur, déchaussés sur des tatamis. cet étrange appareil, nommé pachinko, qui semble procurer à
ceux qui s’adonnent à ce jeu, populaire s’il en fut, une
Les bars sont très répandus aussi, et proposent sensation de vide créateur »26 Les pachinko se trouvent dans
systématiquement une collation. Il existe des micro-bars où des grands bâtiments destinés à un jeu, avec lequel on peut
4/5 personnes logent et où la convivialité est de mise. On
trouve aussi des bars internationaux, ou des bars plus grands gagner de petits lots, à échanger dans les rues parallèles contre
destinés à accueillir des concerts ou des performances, ainsi de l’argent (les jeux d’argent sont interdits au Japon). Ce sont

24 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988


25 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988
des salles où sont alignés des centaines de flippers verticaux, Les primeurs vendant des fruits et légumes frais sont présents
ressemblant à nos machines à sous, mais dans un contexte dans tous les quartiers mais en quantité réduite, et bien
extrêmement bruyant à la limite du soutenable. Vient s’ajouter moindre que les Konbini.
à cela l’autorisation de fumer et cela devient un endroit difficile
à fréquenter pour des non initiés, mais pourtant rempli en 4. Les commerces de biens matériels (vêtements,
continu par de nombreux afficionados. décoration…)
Les salles d’arcades sont des petits immeubles remplis de On trouve différentes échelles de commerces de biens de la
divertissements : jeux-vidéos, jeux d’adresse, photomatons. simple boutique au grand magasin. Les grands magasins
Les Japonais y viennent en masse pour se détendre hors du peuvent être des department store ou des centres
travail tout comme les jeunes qui viennent y passer des heures commerciaux et regroupe un panel de tout ce qui se vend dans
en groupe. Pas de fenêtre pour ne pas distraire le joueur. un quartier. Les petits commerces sont quant à eux disséminés
dans les rues avec des morphologies différentes. Ils peuvent
Les manga kissa sont des sortes de cafés / bibliothèque ouverts être franchisés ou non. On trouve à Tokyo beaucoup de
en permanence, divisés en petits boxs où l’on peut venir boutiques de designers et de friperies mais aussi de nombreux
s’installer pour lire des mangas. Chaque box est équipé d’un magasins franchisés de fast fashion.
ordinateur. On peut aussi s’y reposer et des douches sont
disponibles dans les locaux. Ils sont plutôt destinés au client 5. Les commerces de service liés au bien être
solitaire. De même, les fenêtres sont accessoires, afin d’éviter
On retrouve dans cette catégorie les salons de massages, les
les distractions extérieures.
salons de coiffure, les sento…
3. Les commerces de nécessité
14 Ils comprennent les Drug store, les Konbini, les supermarchés, Les salons de massage et les salons de coiffures sont très
les primeurs. Ils regroupent tout ce qui est nécessaire aux répandus à Tokyo. Dans certains quartiers, on peut en trouver
fonctions vitales. à tous les coins de rue.
Les sento sont les bains publics que l’on trouve implantés à
Les Konbini sont un diminutif japonisé de convenience store.
intervalle régulier à Tokyo. Ils sont très appréciés des Japonais,
Ils sont ouverts 24/24 et ont toujours la même morphologie.
même si moins utilisés que leur version naturelle où l’eau
On y trouve tout ce qui peut être nécessaire. « Les petites
chaude résulte de l’activité volcanique, les onsen. Les
maisons et appartements sont soutenus par l'infrastructure
vêtements y sont interdits, et ainsi les classes sociales
impeccable de Tokyo. Ici, le Konbini, le magasin de proximité,
disparaissent. Les hommes et les femmes sont séparés, et c’est
joue le rôle de vedette. Dans le Konbini, vous pouvez faire tout
un lieu privilégié pour les interactions sociales entre Japonais,
ce que vous feriez normalement dans votre salon ou votre
où l’on se retrouve entre voisins.
bureau. A bien des égards, c'est une extension de votre
maison. Il n'est pas rare de voir les habitants du quartier faire 6. Les commerces de service liés à l’art
une course de dernière minute en pyjama. Vous pouvez faire
une photocopie, obtenir de l'argent et payer vos factures. Vous On trouve de nombreuses galeries à Tokyo, surtout dans les
pouvez faire votre épicerie habituelle, acheter des repas grands magasins, qui cherchent à diversifier leurs activités. Les
préparés, ou aller chercher quelque chose de plus excitant cinémas sont en revanche réservés aux plus grosses stations et
comme du vernis à ongles à paillettes ou un mouchoir décoré la programmation est assez universelle. On trouve peu de
d'une empreinte du mont Fuji. Comme le Konbini documente cinémas indépendants.
les habitudes de dépenses de ses clients, il répond
parfaitement aux besoins spécifiques des citadins qui 7. Les commerces de service des quartiers des
l'entourent. »27 plaisirs
Les supermarchés sont principalement voués à vendre de la On y trouve de nombreux love hotels, hotels tout équipés
nourriture à cuisiner ou cuisinée. On y trouve relativement peu louables à l’heure et donc l’architecture est en générale assez
de produits de soins ou d’entretien, ce que l’on trouvera en kitsch, et de nombreuses discothèques.
revanche facilement dans un Drug store.

27 ANNA BERKHOF, Feeling at home in Tokyo, dans Tokyo Totem: a guide to Tokyo, Flick studio, 2015 p 239
Figure 2: Des plans types de commerces et photos
15
Figure 3: Photos des différents types de commerce

16
Le commerce à Tokyo s’immisce dans
tous les interstices de la ville, jusqu’à
devenir inévitable. Les fonctions
commerciales, liées à la notion de
plaisir et de libre-arbitre sont partout.
Si le tissu urbain de la capitale est un terrain
favorable au commerce c’est avant tout à
cause d’une prédisposition sociale et sociétale
à la fréquentation du commerce. Cette
prédisposition semble trouver sa genèse dans
les contraintes spatiales de la ville qui créent
des contraintes sociales, ainsi que dans une
culture de la consommation et du plaisir.
Mais le commerce permet aussi la
consommation de la culture en véhiculant les
traditions Japonaises ainsi qu’en créant un
modèle de société de masse, d autant plus sujet
au commerce qu’il permet de tisser des
relations sociales.
Mais le consommation, en plus de définir la
société, semble avoir une influence profonde
sur la ville, tant que le commerce semble
participer à l’identité et à l’atmosphère des
différents quartiers. Ces quartiers sont
influencés par les différents groupes de
consommateurs qui cohabitent au Japon, pour
créer un tissu urbain éclectique et unique à
Tokyo.
A. Une prédisposition sociétale au
commerce .
1. Une culture de la consommation et du plaisir
Shôsaburô Kimura décrit la maison Japonaise comme
une ‘maison lit’ : « la vie des japonais qui entrent dans la
maison déchaussés, s’y déshabillent et tout de suite sont
baignés dans une atmosphère détendue, est comparable à une
vie passée au lit pour les Occidentaux. (…) La maison Japonaise,
surélevée sur ses pilotis et recouverte à l’intérieur par les
tatamis, ressemble exactement à un grand lit. »

Ashibara Yoshinobu reprend ce concept dans son livre L’ordre


caché1 pour évoquer l’appétence des Japonais pour ce qui est
extérieur à leurs maisons et de là le développement inévitable
des établissements commerciaux au Japon.

« Dans la mesure où la maison Japonaise possède la nature


18 d’une chambre à coucher, les Japonais ne peuvent nouer les
contacts sociaux qui se réalisent naturellement dans les living-
rooms occidentaux. Par conséquent, ces fonctions s’effectuent
dans les quartiers animés et très fréquentés du centre-ville ».2

Dans la continuité, Fujimoto Sou, dans sa conférence Between


Nature and Architecture3 explique une de ses propositions de
résidence pour un concours : la maison au cœur de la ville.
Cette idée lui est venue d’une expérience personnelle, lorsque
qu’il habitait à Tokyo au cœur de l’arrondissement de Shinjuku.
Il ne travaillait alors pas et se promenait régulièrement dans
son quartier qu’il qualifie lui-même de chaotique, découvrant
sans cesse de nouvelles petites allées ou échoppes et
choisissait de s’arrêter dans une des fonctions qui s’offraient à
lui, une fois un café, une autre un Konbini... Il considéra alors
que ces promenades dans la ville pouvaient représenter le
concept d’une maison, en pensant à la maison non pas en tant
qu’espace, mais en tant que champ de notre vie, champ
d’activités. Selon lui, on pourrait imaginer que le long de ces
petites allées et de ces petites rues, c’est le cœur de la vie. Il
explique qu’il avait alors un petit espace à lui où il vivait, mais
qu’il avait aussi dans la ville alentour d’autres petites
chambres, des cafés, des magasins. En se promenant, il
s’arrêtait pour se doucher, se reposer, manger et à chaque fois
dans des lieux différents. Toutes les fonctions de la maison

1 YOSHINOBU ASHIHARA, L'ordre caché : Tôkyô, la ville du XXIe siècle ? 1994


2YOSHINOBU ASHIHARA, L'ordre caché : Tôkyô, la ville du XXIe siècle ? 1994
3 SOU FUJIMOTO, Between Nature and Architecture, conférence le 3 mars 2014 captée par la Cité de l’Architecture
Figure 1 L'éclatement de la maison selon Sou Fujimoto Figure 2: Une échelle caractéristique de Tokyo

étaient pour lui dispersées dans la ville : en marchant, il qu'il s'agisse de travailler, de manger, de faire du shopping, de
recréait la maison. La ville avec ses zones publiques, semi- lire, de se détendre ou simplement de marcher dans la rue.
publiques, privées, semi-privées devenait la maison.
Le temps de transport est aussi à prendre en compte pour
Fujimoto Sou démontre alors la facilité à projeter la maison expliquer la prédominance de la fonction commerciale dans la
dans des lieux alentours qui appartiennent à la ville et dont les capitale Nippone. Les durées de trajet au Japon engendrent un
fonctions sont souvent remplies par des commerces (manger, dédoublement de la sphère maison / travail. Dans une ville
boire, se laver, se divertir, rencontrer, etc.). comme Tokyo, il n’est pas rare de venir de loin pour son travail
et beaucoup de travailleurs habitent en banlieue dans des
Ce concept est résumé dans la carte en figure 1, où l’on villes dortoirs. En effet, chaque jour, les Tokyoïtes passent
retrouve la maison éclatée selon les fonctions qu’elle généralement deux heures à faire le trajet aller-retour entre
développe dans la ville, fonctions assurées par les commerces. leur domicile et leur lieu de travail, ce qui se traduit chaque
Cependant, selon lui le prolongement de la maison dans les année par 21 jours de trajet au global.6 En moyenne, le temps
différentes parties qui constituent la ville ne peut avoir lieu à libre dont disposent les Tokyoïtes après le travail est de 2
Tokyo que parce qu’il y existe une échelle composée de petits heures 28 minutes alors que la moyenne en Allemagne est de
éléments, à la taille du corps et non seulement de choses 4 heures 15 minutes.7 Leur habitat étant liés à des villes
gigantesques. Il sous-entend qu’il est plus facile de se sentir dortoirs, il n’est pas rare qu’ils y retournent seulement pour 19
chez soi dans des lieux dont l’environnement est à la mesure dormir et s’égarent sur le chemin du retour dans les différents
de l’homme, ce qui à Tokyo caractérise une échelle commerces de la ville en particulier dans les restaurants et
redondante de la ville. On assiste en vérité à une véritable débits de boisson.
dichotomie entre échelle « très petite » et échelle Ainsi Ashibara Yoshinobu s’exprime quant aux conséquences
« gigantesque » elle-même composée de petits ensembles, sociales de ces trajets récurrents. « Pour des raisons de temps
diversité caractéristique de Tokyo. et de distance, il est extrêmement difficile d’inviter des amis,
L’architecte Matsuno Ben, dans le documentaire Espaces des parents ou des collègues à venir se détendre dans
Intercalaires réaffirme la notion de prolongement de la maison l’ambiance familiale. Celui qui gagne le pain de la famille – le
dans la ville : « Lorsqu’on vit dans un espace limité il faut faire mari, le plus souvent- part toute la journée travailler à
des choix. Que garde-t-on en priorité ? Devant cette situation, l’extérieur et passe ses week-ends à se reposer et à regarder la
les espaces privés tels que la salle de bain, le jardin ou le salon télévision. Le couple se couche dans sa maison-boîte comme
perdent de leur importance. A défaut d‘avoir ces espaces chez dans un lit, après un dur travail et un long trajet. Un tel mode
soi, on les utilise à l’extérieur. Ainsi tout le monde peut profiter de vie rend difficile la constitution d’une communauté, même
de la ville à travers ces espaces devenus collectifs ».4 d’un point de vue architectural. » 8 Il devient alors évident que
la sphère sociale ne peut se constituer dans la maison. La ville
UtsumI Tomoyuki dans le même documentaire considère devient alors le théâtre principal des interactions entre
quant à lui que la richesse urbaine de Tokyo permet de vivre habitants. Les distances séparant les entités maisons et travail
dans un endroit petit. Les Konbini, ouverts 24h sur 24 constitue un prétexte pour établir la sphère du plaisir et du
deviennent pour lui le frigo de la maison.5 divertissement proche du travail, et ces deux sphères en
viennent presque à constituer un enchainement naturel.
Parce que l'espace privé dans la maison est limité, les habitants
de Tokyo passent une grande partie de leur temps en public, « Il existe dans la culture japonaise une constante sur laquelle
il convient de s’interroger : l’esprit de plaisir (asobi no

4 BEN MATSUNO dans le documentaire Espaces intercalaires


5
Documentaire Espaces intercalaires
6 Tokyo Salarymen Spend 20 Days a Year for Commuting. (2010, September 10). Retrieved May 24, 2017, from

www.japanstyle.info/09/entry8884.html
7 B. KOWALCZYK, Invisible (Tokyo Station) City of Transformation: Social Change and its Spatial Expression in Modern Japan. Asian and

African Studies, 2011


8 YOSHINOBU ASHIHARA, L'ordre caché : Tôkyô, la ville du XXIe siècle ? 1994
seishin). »9 L’esprit de plaisir, contrairement à l’idée répandue Japonais pour l’hyper-consumérisme : « L’un des phénomènes
en Occident permet aux Japonais de ne pas voir le travail qui marque la culture populaire dans le Japon contemporain
comme un fatalisme ou un impératif catégorique, puisqu’ils est (…) la frénésie de consommer. (…) En l’espace de deux
développent une certaine habileté au plaisir, qui a lieu de décennies, la parcimonie ancestrale s’est évanouie dans cette
manière privilégiée en dehors des sphères de la maison et du négation presque magique de la rareté. »13
travail.
Vers la fin du XXe siècle, pour les universitaires comme pour
« Le plaisir, le jeu, le ludique relèvent d’une longue tradition les touristes internationaux, le Japon était devenu l'archétype
culturelle. »10 de la société de consommation postmoderne.14 Depuis ses
premières rencontres avec l'Occident, et en particulier depuis
Asobi qui signifie plaisir est une notion révélatrice. Dans le sens la Seconde Guerre mondiale, le Japon a adopté sans réserve un
large du terme asobi signifie amusement, délassement, type particulier de capitalisme qui célèbre sans critique la
jouissance, plaisir, disponibilité. Historiquement, asobi consommation.
appartient au Hare (profane) en opposition au Ke (sacré)
puisqu’il rassemble traditionnellement trois divertissements : La consommation et les consommateurs ont toujours fait
« boire, jouer de l’argent et se divertir sexuellement. » Si jouer "partie intégrante de la vie économique " au Japon.15 Même au
de l’argent n’est plus à l’ordre du jour à cause de la main mise XIXe siècle, les Japonais pouvaient déjà choisir parmi une
des Yakuza et de l’interdiction par le gouvernement, en grande variété de produits offerts par les producteurs
revanche les deux autres divertissements sont toujours très nationaux. Les fondements de la culture de consommation
répandus dans tous les quartiers de la ville. D’autres japonaise contemporaine, cependant, ont été mise en place
divertissements ludiques sont venus compléter cette pendant l'entre-deux-guerres. C'est à cette époque que la
20 dimension du plaisir, avec les karaoke, les pachinko, les migration des travailleurs ruraux vers les villes a entraîné une
arcades…. L’assertion jouer de l’argent a alors été remplacée forte urbanisation et l'émergence d'une nouvelle classe
par une frénésie de consommer des biens et des services. moyenne.

L’esprit de plaisir caractérise la culture japonaise mais aussi la « Pendant l'entre-deux-guerres, le Japon a connu le
manière d’appréhender la ville, et la sensibilité aux commerces développement d'un grand nombre des caractéristiques de
qui proposent de le contenter. « Il sourd d’un vouloir-vivre l'infrastructure qui caractérisent la "vie moderne" à l'Ouest -
ensemble, d’une certaine manière d’être au monde, d’un goût banlieues, grands magasins, système de publicité de masse,
du présent, des plaisirs d’instants. »11 etc. À bien des égards, ces caractéristiques ont fourni le cadre
dans lequel une classe moyenne urbaine croissante a cherché
Mais l’attraction naturelle des Japonais pour le commerce ne à obtenir et à accueillir de nouveaux biens de consommation
peut être seulement expliquée par l’implantation de l’habitat dérivés de l'Occident et le mode de vie qu'ils incarnent. » 16
ou son exiguïté, ni par l’esprit de plaisir caractéristique de la
mentalité Japonaise. En même temps, les Japonais sont profondément enracinés
dans l'artisanat d'art, à la fois traditionnel et actuel, qui a
En effet, on ne peut pas négliger la proportion du acquis une réputation mondiale. Cela rend la nation célèbre à
consumérisme dans la diffusion des établissements la fois pour la production de concepts et de produits innovants,
commerciaux dans la ville, qui permettent entre autres et pour son appétit insatiable pour une variété de produits.
l’évasion intellectuelle des travailleurs Japonais. En effet, la Dans les années de la bulle spéculative des années 1980, les
société japonaise contemporaine est fortement marquée par consommateurs japonais ont mené le reste de la planète dans
le consumérisme.12 leur appréciation des marques de luxe et de la haute couture,
Le sociologue Philippe Pons dans son ouvrage D’Edo à Tokyo : tandis que les consommateurs du monde entier développaient
mémoires et modernités met déjà en avant l’attrait des un goût pour bon nombre des produits et services moins chers,

9 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988


10 Id
11 Id
12 DAVISI BOONTHARM, Tokyo, Bangkok, Singapore: Intensities, Reuse and Creative Milieu, Measuring the non-measurable 02, 2013
13 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988
14 PENELOPE FRANCKS, The Japanese Consumer: The Alternative Economic History of Modern Japan, Cambridge University Press.,2009
15 Id
16 SIMON PARTNER, Assembled in Japan, University of California Press, 1999
mais toujours distinctifs et de haute qualité qui composent le profonds et durables que bien des législations. » Ces
style de vie japonais, du sushi et du saké au manga, animé, et différentes règles ont participé à l’émergence d’une culture de
Hello Kitty. masse tournée vers les arts, majoritairement traditionnels
mais aussi vers une esthétique globale qui régit la manière
L’éclatement de la bulle spéculative dans les années 90 a d’être au quotidien.
détourné l’attention du Japon et de son consumérisme
effréné. Mais pour les économistes, les anthropologues et les « La culture de masse est un mouvement social vers des
commentateurs culturels, le Japon contemporain reste un lieu connaissances artistiques, culturelles, vers un système
où la consommation de biens est une activité centrale qui ne d'éducation, un mode de vie sociale et de pensée, un style de
peut être ignorée dans aucune analyse du fonctionnement de comportement, traduit par un acte de consommation, des
la société.17 codes de reconnaissance sociale. » 20
La propension à la consommation couplée à cette tradition du La culture de masse tournée vers les pratiques artistiques
plaisir, sans oublier d’ajouter les contraintes spatiales et traditionnelles, ou internationales, a développé une sensibilité
sociales, rend les Japonais enclins au commerce. particulière pour la mode, la musique, les arts graphiques, le
Aujourd’hui, le Japon est la troisième puissance économique au théâtre, ou la théâtralité des traditions comme la cérémonie
monde.18 Le commerce est plus que jamais présent dans tous les du thé ou l’art du sushi. « Dans la société contemporaine, la
interstices de la ville et la consommation, surtout celle du plaisir, diffusion massive par les media tant de la culture de l’élite ou
est plus que jamais entrée dans les mœurs. des arts occidentaux que de la culture populaire, liée au
conformisme d’une population qui estime à 90% appartenir,
en matière de valeurs et de prestige social, à la classe
2. La consommation de la culture moyenne, a contribué à créer un public potentiel très vaste 21
pour les arts. » La culture de masse érige des standards qui
Le Japon est soumis à une dualité entre tradition et poussent les japonais à la consommation pour faire partie de
modernité : modernité dans sa forme, et tradition dans son société. L’appartenance à la société, et la volonté de ne pas
esprit par ses coutumes, ses pratiques et certains de ses objets. s’en affranchir est une caractéristique importante de
« Le Japon qui fonde son idéologie moderniste sur les valeurs l’intégration sociétale de la plupart des Japonais. "Deru kugi
dites traditionnelles a développé plus que tout autre cette wa utareru"21 est un proverbe japonais qui signifie : le clou qui
fonction sociale de la culture : instrument de glorification dépasse appelle le marteau. Il illustre bien l’aspiration de la
somptuaire et d’identité nationale, la culture dite société nippone traditionnelle à la conformité et l'harmonie
« traditionnelle » joue un rôle de symbole collectif »19 sociale plutôt qu’à l’indépendance et à l'expression
L’attachement à la tradition permet une certaine cohésion de individuelle. Alors, « la diffusion des modes et des goûts est
la population. La culture japonaise semble valoriser une caractéristique de la société nippone contemporaine
constamment les traditions et les rituels plutôt que les assurant à la consommation culturelle d’énormes potentialités
structures bâties. d’expansion. » Le commerce à Tokyo transpirera des goûts et
des modes véhiculées par la culture de masse. Ce paradigme
Sous le Shogunat d’Edo, le Japon été soumis à de nombreuses
renforce la propension des Japonais à consommer pour faire
normes strictes concernant tous les aspects de la conduite
partie d’un tout. Pourtant, quelques sous-cultures
humaine que ce soit au niveau de la vie privée, des vêtements,
significatives ont émergé, notamment à Tokyo, qui exacerbent
des habitations, qui va définir une culture pour le peuple, la
sans s’en affranchir totalement, certains aspects de la culture
culture populaire. Ainsi, « au Japon, infiniment plus qu’ailleurs,
de masse et qui influent sur les différents groupes de
la relation à ce qui était défini comme Beau a pris le caractère
consommateurs.
d’adhésion aux valeurs nationales. Le goût était presque affaire
d’édit. La couleur, la coupe et même la texture ou le nombre Partie intégrante de la culture de masse, la tradition quant à
de points des vêtements, la coiffure, la longueur des poutres elle, imprègne toutes les strates de la société et transparait
des maisons, les éléments de décoration, la largeur des dans les produits de consommation et les services. Le
portes : tout était normé. Cette standardisation de l’esthétique commerce devient le vecteur culturel de la tradition et le porte
[…] eut des effets d’intégration sociale sans doute plus

17 JOHN CLAMMER, Contemporary urban Japan: A sociology of consumption, oxford, 1997


18 https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/JP/bilan-macro-economique-du-japon
19 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988
20 Semioweb.mch-paris.fr
21 Proverbe Japonais
Figure 3: Le restaurateur et ses habitués
de Midnight Diner
étendard de la fierté nationale. Les commerces de restauration 3. L’importance du commerce pour les
par exemple sont soumis à de nombreux codes qui interactions sociales
transparaissent dans le commerce, lui adjoignant une certaine
rigidité dans la forme mais une souplesse dans la pratique. Ils Concevoir le commerce comme third place au Japon ne
sont soumis aux pratiques traditionnelles de l’art de la table, parait pas contradictoire. Le Japonais a tendance à percevoir le
mais aussi à la gastronomie qui s’élève en art (sushi, kaiseki) ou commerce, comme une extension de sa maison. Celle-ci étant
à la tradition du partage de la boisson qui unit la société trop petite et trop éloignée pour accueillir toutes les fonctions
(izakaya). Il en est de même dans le commerce de l’artisanat, et les relations sociales, elles ont lieu dans la sphère
tant pour la pratique de l’indigo que pour les estampes. « publique » de la ville, et par conséquent lorsqu’on lui adjoint
Le commerce, au-delà des biens et des services qu’il propose, une fonction, dans la sphère du commerce.
a tendance à revêtir une forme, par son architecture, son Le marché de consommation des personnes seules est très
agencement, ses façades, qui permet aux Japonais de se développé et les célibataires sont de plus en plus nombreux au
référer collectivement à quelque chose de rassurant, les Japon. Pour comprendre ce phénomène, le gouvernement
traditions. Japonais, inquiet du déclin de la population, a mis en place une
Le commerce transmet la culture séculaire du pays, mais étude. « Pour expliquer cette impasse amoureuse, les sondés
permet l’ouverture du peuple Japonais à d’autres cultures, par - des hommes et des femmes âgés de 20 à 40 ans - indiquent
22 les biens qu’elles véhiculent. John Clammer évoque la qu'ils n'ont pas suffisamment d'opportunités dans leur vie
propension bien connue des Japonais à transformer ce qu'ils quotidienne pour trouver l'âme sœur ou qu'ils n'ont pas assez
ont reçu de l'étranger en quelque chose qui leur est propre, de ressources financières pour oser entamer une vie à
caractérisé par ce style "japonais" particulier.22 A travers le deux. De nombreux célibataires interrogés expliquent encore
commerce, les japonais cherchent aussi à transcender les qu'ils estiment de pas « avoir l'aptitude » pour rencontrer
produits étrangers, à travers leurs restaurants, ou leurs quelqu'un. Questionnés sur leur volonté de changer les choses,
boutiques pour en faire quelque chose d’unique. « Les grands 61,4 % des célibataires reconnaissent qu'ils ne font rien pour
magasins japonais domestiquent les " choses étrangères ", y remédier à la situation. »24
compris les coutumes, les vacances, les marchandises et les Le commerce accompagne ce paradigme : tout est pensé pour
personnes, en créant pour celles-ci un sens cohérent avec le accueillir une personne seule, des boxs à une place aux
tissu existant de la culture japonaise. » 23 comptoirs dans les restaurants, aux boxs dans les karaoke ou
les manga kissa. Là où le commerce peut être un vecteur de
Le commerce véhicule des biens et des services, ou simplement
revêt des formes qui unissent les japonais et qui représentent relations sociales, l’homme ou la femme seule est choyé afin
leur pays, dans sa tradition ou dans son ouverture au monde. de ne pas avoir l’impression de se sentir seul. Il devient facile
pour une personne seule de manger ou se divertir sans se
Le commerce s’élève au Japon et à Tokyo lui-même en art : l’art sentir gêné, et donc d’évoluer dans la vie en esquivant les
du service, l’art de l’emballage, l’art de faire des cadeaux mais relations sociales. Cependant, en parallèle, le commerce
aussi l’art de proposer des produits uniques et des expériences
permet aussi de générer des relations, que ce soit par le service
inédites. Mais le commerce s’inscrit aussi dans la pérennisation
des interactions sociales entre les Japonais, dans une société où ou par les rencontres entre clients. Le commerce transmet
les relations semblent de plus en plus difficiles. l’idée d’une « solitude ensemble. »25

Cette double relation engendrée par le commerce, à la fois


avec le ou les hôtes, ou avec les autres clients, permet aux
Japonais, seuls ou non, de créer du lien social.

22 JOHN CLAMMER, Contemporary urban Japan: A sociology of consumption, oxford, 1997


MILLIE R. CREIGHTON, Maintaining Cultural Boundaries in Retailing: How Japanese Department Stores Domesticate 'Things Foreign'
23

dans Modern Asian Studies, Vol.25, Cambridge University Press, 1991


24 Etude menée par le gouvernement Japonais sur plus de 4000 personnes.
25 GAVIN H WHITELAW, Tokyo Totem, flick studio, 2015
Le commerce, en particulier dans le secteur du mizu shôbai et les personnes seules, le service pallie le manque de
plus généralement dans le secteur de la restauration, est le conversation.
réceptacle particulier des relations sociales, entre amis, en
famille ou entre collègues, et même entre inconnus. « Le service est un élément essentiel de la vie quotidienne. »
En effet, on retrouve le service élevé au rang de coutume dans
Dans le milieu du travail, c’est même une injonction. « Aller tous les commerces liés au plaisir. Que ce soit dans le domaine
boire après le travail, c'est une coutume qu'on ne peut ignorer. du divertissement où les employés feront tout pour vous faire
Si l'on souhaite rester dans la même compagnie, il faut sentir exceptionnel et vous fournir tout ce que vous désirez, ou
accepter ce mal nécessaire, car cette obligation régit les dans le shopping plus classique, où il y a suffisamment de
relations humaines au sein de la société japonaise. »26 vendeurs pour rester avec vous pendant que vous faites vos
courses, pour répondre à tous vos besoins et pour vous aider
Mais dans la vie quotidienne il permet les interactions sociales. soigneusement à peser vos décisions d'achat - sans pression ni
« Les gens du mizushôbai ne vendent qu’une chose : du plaisir impatience. « Le service vise à réintroduire de l’“humain” dans
sous ses formes les plus variées, de la sollicitude, des le quotidien de la consommation de masse en lubrifiant les
attentions, une certaine chaleur humaine, les métaphores de rapports sociaux »29
la séduction, une atmosphère. »27
Les domaines du divertissement, du shopping, du bien-être
La série adaptée du manga « Midnight Diner : Tokyo Stories » sont aussi un tissu favorable au social, car ce sont des lieux de
met en scène les histoires qui se déroulent dans une petite rassemblement publics, destinés à tous qui permettent de se
gargote de Shinjuku à Tokyo, qui ouvre seulement après les retrouver et de partager un moment, ou de profiter seul de ce
derniers trains. Le propriétaire, l’hôte est très impliqué auprès moment de plaisir avec la possibilité de pouvoir discuter avec
de ses clients et passe ses nuits à cuisiner, servir à boire et les vendeurs ou les autres clients, ce qui ne peut avoir lieu dans 23
écouter les histoires des clients habitués. Ils y viennent seuls l’espace de la maison, et encore moins dans l’espace public
ou à plusieurs pour décompresser et passer du temps tant c’est un flux constant d’informations, de transports et de
ensemble, sous l’œil avisé du chef d’orchestre derrière le bar. personnes.
Les clients se retrouvent dans un ambiance joyeuse, où la
conversation est l’activité principale, avec la boisson et la Le commerce, dès qu’il est lié à la notion de plaisir et exempt
nourriture, et toutes les catégories sociales sont mélangées : de la contrainte du devoir, permet de favoriser les interactions
c’est leur third place par excellence. Le “chef d’orchestre“ sociales. Il est destiné à recevoir des moments joyeux partagés
devient le confident et une oreille attentive pour ses clients. avec des proches, ou à encourager les rencontres entre inconnus,
ou favoriser les interactions entre habitués pour qu’ils
Les clients viennent et s’en vont, y oublient leur solitude, y deviennent plus. L’art du service, quant à lui, s’immisce dans les
rencontrent l’amour ou l’amitié. rapports humains pour pallier la solitude, que ce soit sincère ou
que cela donne l’impression de l’être.
Dans le documentaire Espaces Intercalaires, des clients d’une
petite izakaya, considérée comme un micro-bar expliquent que
la proximité favorise le dialogue. Un client confie que grâce à
l’étroitesse du lieu, « ici on est obligé de se parler ». Un autre
affirme que « c’est un peu le prolongement de chez moi, ce qui
compte c’est de passer du bon temps avec les habitués. » Le
restaurateur, lui se pose en metteur en scène avec pour
personnages principaux les clients et se plait à se faire
rencontrer les amoureux.28

Le commerce en plus d’être le prolongement fonctionnel de la


maison en devient aussi le prolongement social.

C’est la même chose pour toutes les activités du mizu shôbai,


bars, cafés et restaurants, où l’activité de consommation est
secondaire par rapport au fait de s’asseoir et de discuter. Pour

26 SHIMAZAKI AKI, Mistsuba, Actes Sud


27 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988
28
Documentaire Espaces Intercalaires
29
PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988
B. Le commerce comme élément
fondateur de la ville .
1. L’identité des quartiers portée par le
commerce
Si le tissu urbain de Tokyo est ancien, la ville est
résolument moderne. La ville a une capacité de résilience à
toute épreuve. Elle a subi de nombreux désastres : les grands
incendies de l’époque d’Edo, car les matériaux traditionnels,
bois et papier, s’enflammaient rapidement, le grand
tremblement de terre de 1923, les bombardements de la
seconde guerre mondiale. Chaque fois, la ville a été détruite et
chaque fois elle a été reconstruite. « Si un quartier brûle, il est
immédiatement reconstruit. Si cet endroit dépérit, on
construit ailleurs. Tôkyô est l'exemple par excellence d'une
ville fluide en régénération. »30

Les désastres en série ont rendu difficile la pérennisation de


monuments comme on en trouve en Europe. Mais le
détachement des Japonais pour l’immortalité du bâti trouve
24
ses racines dans la culture notamment dans la notion
d’impermanence transmise par le bouddhisme.
« Traditionnellement, les Japonais considèrent l'architecture
comme temporaire, ce qui n'est sans doute pas sans relation
avec la notion d'impermanence, la vie terrestre ne
représentant qu'un passage. A, leurs yeux, les monuments
immuables en pierre, préservés depuis des siècles, sont des
curiosités du passé. »31

Dans la pensée Japonaise, « le sentiment de l’éphémère est


profondément ancré et […] l’on s’attache davantage à
l’essence des choses qu’à leur réalité matérielle. »32

Alors, les différents quartiers de Tokyo ne sont pas incarnés par


un monument comme la plupart des villes, mais plutôt par
l’atmosphère qui s’en dégage. Même les grands temples, qui
sont les grandes attractions touristiques liées au patrimoine
matériel de Tokyo, ne sont pas anciens et sont reconstruits
régulièrement et remplacés, sans même avoir besoin qu’un
désastre se produise.

Alors la fonction commerciale ne semble pas étrangère aux


atmosphères qui transpirent des différents quartiers. Elle fait
partie intégrante du paysage urbain, avec ses néons et ses
formes urbaines historiques, et caractérisent le patrimoine
immatériel de Tokyo et du Japon en tant que vecteur culturel
en matière de gastronomie, d’artisanat et des traditions…

30 YOSHINOBU ASHIHARA, L'ordre caché : Tôkyô, la ville du XXIe siècle ? 1994


31 Id
32 Id
Figure 4: Guide des différents quartiers

25
Il n’est pas rare de s’entendre décrire un quartier par sa Le premier, le plus représentatif et majoritaire est la société de
fonction commerciale principale : Jinbocho le quartier des masse tournée particulièrement vers les salary men (ou
bouquinistes, Ikebukuro le quartier des mangas, Roppongi le women). Ils représentent les cadres non dirigeants d’une
quartier international de la nuit, Ueno le quartier des entreprise mais aussi la partie de la population qui utilisent le
vêtements américains, Tsukiji le quartier du marché aux plus les transports. La consommation est contrainte par les
poissons. longues journées de travail. Au japon, il est très important de
vivre pour la communauté et donc vivre pour son entreprise.
Afin de comprendre la propension des différents quartiers de Après une longue journée de travail, il est commun de
Tokyo, à être définis par sa ou ses fonctions commerciales, j’ai rencontrer des hordes de salary men dans les différents bars
étudié les courtes descriptions dans un guide touristique en et restaurants de la capitale. Ils sont aussi grands adeptes de la
ligne sur le site officiel du tourisme de Tokyo. L’analyse des décompression après le travail dans les commerces de
textes présentés en figure 4, est réalisée sur une sélection de divertissements primaires comme les salles d’arcades, les
12 quartiers parmi 50 proposés sur le site qui seront analysés pachinko ou les karaoke et dans les commerces du mizu
spatialement dans le chapitre suivant. Les phrases ou mots shôbai. Dans la journée aussi, le secteur de la restauration
d’accroches liés au commerce sont soulignés.33 attire de nombreux travailleurs pour une pause déjeuner
Il en ressort que dans tous les quartiers sont mis en avant rapide. Le week-end, ils consomment dans les grandes chaines
différents aspects du commerce comme gage d’attractivité, la nationales comme Uniqlo, Muji, ou les grands department
plupart même dans le titre d’accroche. Les différentes store et sont en général aussi des grands consommateurs de
fonctions commerciales et leurs caractères sont utilisés pour mangas. Un exemple de quartier type lié à la consommation de
définir le caractère du quartier. masse est Shinjuku.
26 Le second groupe couvre le marché des seniors au Japon. Le
L’affinité avec différents groupes de consommateurs est mise
en avant, et le guide devient presque un manuel de marketing Japon est le pays avec l’âge médian le plus important au
pour les quartiers, poussant à la consommation. monde. 35 Le terme " silver market " est largement utilisé au
Japon pour désigner les consommateurs âgés en général. 36 Ce
Ce que l’office du tourisme veut véhiculer comme qualités groupe est plus orienté vers les formes traditionnelles du
principales des différents quartiers, ce sont leurs commerces. commerce à échelle réduite mais surtout par les biens de
Les commerces, plus que définir les attractions de la ville, en consommations plus traditionnels et représentant bien les
définissent l’atmosphère tant ils diffèrent suivant l’histoire, les coutumes locales avec un attachement particulier à l’artisanat.
habitants, les habitudes du quartier. Un quartier, par les Les restaurants traditionnels type soba, ramen, ou les
commerces qu’il héberge, trahit les goûts et la culture de ses
boutiques de kimono, de vaisselle traditionnelle sont
habitants, et peut dénoter de leur appartenance à un groupe
de consommateurs particulier. plébiscitées. Le groupe de consommation des personnes âgées
est plus fortement lié au commerce de proximité mais les
grands magasins ont su s’adapter en proposant verticalement
un panel de produits intéressants pour eux. Un exemple de
2. Les marchés de consommateurs quartier type est le quartier de Yanaka qui a su préserver ses
« Il existe ainsi au Japon, un caractère ludique dans la pratique formes commerciales d’avant guerre.
de la ville où la consommation parfois frénétique des produits Le troisième groupe représente une sous-culture plutôt
comme des signes sociaux […] permet d’esquiver les risques marginale au Japon : celle des Otaku. « Ils méprisent le contact
d’un hédonisme béat. »34 Ainsi, différents groupes de physique et aiment les médias, la communication technique et
consommateurs émergent de la société de consommation de le domaine de la reproduction et de la simulation en général.
masse, se forgent une identité à travers ce qu’ils consomment Ce sont des collectionneurs et des manipulateurs
et guident la fabrique commerciale de la ville. Cinq marchés de enthousiastes d'artefacts et d'informations inutiles. Ils sont
consommateurs principaux caractéristiques du Japon se dans la clandestinité, mais ils ne s'opposent pas au système. Ils
dégagent et ont une influence sur la morphologie de la ville. changent, manipulent et renversent les produits prêts à
l'emploi, mais en même temps ils sont l'apothéose du

33 www.gotokyo.org
34 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988
35 https://atlasocio.com/classements/demographie/age/classement-etats-par-age-median-monde.php
36 EMMANUEL J. CHERON, Elderly consumers in Japan in Japanese Consumer dynamics, Palgrave Macmillan,2011
consumérisme et une force de travail idéale pour le l’un d’entre eux et est profondément modelé par la
capitalisme japonais contemporain. Ce sont les enfants des consommation, d’un point de vue historique comme purement
médias. »37 L’Otaku est un consommateur enthousiaste de fonctionnel.
mangas, d'animés et de jeux d'ordinateur/console, ainsi que de
Ces groupes de consommateurs définissent certes le marché au
technologies permettant de visualiser et d'engager ces médias.
Japon, mais ont aussi un impact puissant sur la ville et sur les
Les passe-temps s'étendent aux marchandises et aux quartiers de Tokyo. Les commerces suivant les marchés auxquels
personnalités qui s'y rattachent par la collection ou les ils s’adressent vont revêtir des formes particulières qui vont
cosplays. Ils se distinguent par l'intensité et la longévité de avoir une influence profonde sur la morphologie de Tokyo.
leurs intérêts, qui comprennent souvent un certain niveau Mais un quartier ne pouvant s’adresser qu’à un groupe va
d'engagement créatif. Plus qu'une simple culture de revêtir des formes variées qui vont s’entrelacer pour créer une
consommateurs ou de fans, les otaku représentent cependant mixité sociale, mais aussi une diversité pour l’œil.
un mode d'existence dans la société de consommation de
l'information. Leur quartier de prédilection est Akihabara. 3. Un exemple de quartier modelé par le
commerce : Shimo-Kitazawa
Le quatrième groupe concerne les personnes à fort pouvoir
d’achat dont le secteur privilégié est celui du luxe. On dit En feuilletant les magazines de design de Tokyo, les
souvent que les consommateurs japonais sont très aisés et nombreux guides de mode, les listes interminables de cafés
qu'ils ont le goût des produits de luxe. L'énorme richesse branchés et de boutiques à la mode, les guides touristiques
accumulée au Japon au cours de la dernière décennie a conduit indépendants et les dépliants qui font la promotion de
à un intérêt particulier pour les produits de luxe et les marques restaurants fusion innovants, les noms de plusieurs endroits
occidentales. Le Japon est devenu le premier marché de masse sont apparus à plusieurs reprises. Ils incluent régulièrement
du luxe et, jusqu'en 2008, les Japonais étaient les acheteurs les Aoyama, Harajuku, Shimokitazawa, Kichijoji, Daikanyama, 27
plus avides de produits de luxe dans le monde. Avec la crise Nakameguro, Koenji et Jiyūgaoka. Bien que ces secteurs soient
économique, cependant, les dépenses de luxe japonaises ont dispersés dans l'ensemble de la région métropolitaine, les plus
changé : les ventes ont diminué très rapidement et les importants d'entre eux ont tendance à être situés juste à
entreprises de fast fashion offrant des produits moins chers l'extérieur des grands centres métropolitains établis, tels que
sont de plus en plus populaires. Néanmoins, les plus riches des Shibuya ou Shinjuku.
nouveaux riches n'ont pas changé leur comportement d'achat Ces sous-cultures sont physiquement représentées par des
et profitent toujours des dépenses de luxe. Les quartiers les magasins et des espaces commerciaux qui sont marqués par
plus prisés par ce groupe sont Ginza ou Omotesando . d’importants efforts pour être identifiés comme étant plus
Le cinquième et dernier groupe représente les « créatifs ». innovants et se distinguant notamment des magasins
Cette sous culture est particulièrement active dans le domaine traditionnels. Leur choix s'exprime non seulement dans la
de la mode, du design, de la musique, de la nuit, etc. Leur choix nature des biens achetés et vendus, mais aussi dans la manière
est d'être différent du courant dominant et de s'identifier par dont les magasins se fondent dans l’échelle des espaces
leur mode de consommation. Cette tendance comprend la typiquement résidentiels de Tokyo. L'implantation de ces
célébration de l'esthétique vintage usagée, combinée à la commerces se situe toujours, délibérément en marge, dans la
sensibilité naturaliste et minimaliste du design ; cette tendance sphère où deux zones urbaines distinctes, commerciale et
n'était pas particulièrement populaire au Japon jusqu'à il y a de résidentielle, se chevauchent. Ces magasins offrent des
cela une dizaine d’années. De plus en plus de consommateurs produits uniques, différents de ceux que l'on trouve dans la
ont choisi de définir leur propre style à l'intérieur de ce consommation de masse et ils viennent dans les zones
paradigme, allant de la façon dont ils s'habillent à leur style de résidentielles, pour servir ces produits non prétentieux dans la
vie global, par l'acquisition d'objets qui signifient un système sphère réelle de la domesticité.39
de valeurs particulier, qui s'exprime avec l'esthétique simple Shimo-Kitazawa est un quartier situé dans la zone Ouest de
du vintage, naturel, minimal, et une emphase marquée sur des Tokyo au croisement de deux lignes de train reliant en 5 à 10
objets ordinaires et quotidiens. Ces types de consommateurs minutes, Shinjuku et Shibuya, deux des sous-centres les plus
sont très sélectifs. 38 Plusieurs quartiers à Tokyo sont les importants de Tokyo.
repères de ce groupe de consommateurs . Shimo-Kitazawa est

37 VOLKER GRASSMUCK, “I’m Alone, but not Lonely”: Japanese Otaku-kids Colonize the Realm of Information and Media: A Tale of Sex and
Crime from a Faraway Place, 1990
38 DAVISI BOONTHARM, Tokyo, Bangkok, Singapore: Intensities, Reuse and Creative Milieu, Measuring the non-measurable 02, 2013
39Id
28

Figure 5: Fonctions commerciales de Shimo-Kitazawa, et photos

Surnommée « Shimokita » par sa communauté florissante de à Shimo-Kitazawa aujourd'hui. Au lendemain de la guerre, les
créateurs, cette ancienne ville agricole s'est entièrement soldats américains élurent résidence dans ce quartier où ils
réinventée, sans pour autant dire adieu à ses racines. On peut purent y faire du commerce. Cela explique en partie pourquoi
y apprécier des pièces de théâtre et des concerts de musique, le quartier possède la plus grande concentration de friperies
ainsi qu’y trouver des cafés branchés et une culture rétro. de tout Tokyo, où l’on peut trouver entre autres de nombreux
produits vintages de marques américaines.
Shimo-Kitazawa est caractérisée par son tissu urbain dense
mais d’hauteur modérée. En effet, la quasi-totalité des Cela engendre une forte activité commerciale autour de la
bâtiments du sous-centre ne dépasse pas les 3 étages, station. Shimo-Kitazawa est également un endroit connu pour
morphologie qui correspond en général plus aux zones de nombreux groupes de théâtre et musiciens indépendants.
résidentielles de Tokyo. Les rues étroites et sinueuses datent Ils vivent et travaillent dans ce quartier, ce qui crée de
de l'époque agricole de la ville quand la voiture était rare. nombreux créneaux et points chauds pour divers types d'arts
de la scène et une scène musicale dynamique. Ils se produisent
Le Shimokitazawa d'aujourd'hui est la conséquence du grand dans les différents commerces du quartier qui deviennent un
séisme de Kanto en 1923 et des dégâts qu'il engendra. Ce réceptacle à la culture.
quartier était auparavant peuplé par les agriculteurs de la ville.
Cependant, à la suite du tremblement de terre, de nombreuses Récemment, la communauté locale a fait preuve d'un pouvoir
personnes y déménagèrent, en quête de tranquillité d'esprit. remarquable, en arrêtant le projet de la route 54 proposé par
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est devenu un le gouvernement qui devait couper le quartier. Les
important marché noir, et cette réputation est encore associée organisations locales de Shimokitazawa font preuve d'un
niveau remarquable de conscience de soi et de résilience, ce créatives, avec la création de commerces encore plus
qui contribue à la compréhension des activités créatives et des alternatifs, dans un Shimokitazawa déjà tournée vers le
autres qualités qui marquent son environnement urbain. 40 commerce local, original et créatif, sont encore plus petites
que dans d’autres parties de Tokyo. Le caractère du nord de
Les rues étroites de Shimokitazawa, la circulation piétonnière Shimokitazawa est légèrement différent de celui du reste du
dense et l'activité culturelle dynamique contribuent à la valeur quartier. Les commerces créatifs sont alignés le long de la rue
urbaine unique et culturelle exceptionnelle de Shimokitazawa. principale lchibangai, où d’anciennes forment traditionnelle du
L'intervention créative dans les bâtiments existants à Tokyo a bâti subsistent. La qualité qui en résulte est une atmosphère
tendance à être faible et est limitée à quelques quartiers qui combine le shopping traditionnel avec de nouvelles
plébiscités par le groupe de consommateurs des créatifs utilisations, et qui mélange ainsi avec succès des clients de
comme Daikanyama, Harajuku, Koenji ou plus récemment différentes générations, genres, intérêts et valeurs.
Kiyosumi Shirakawa qui pérennisent l’idée d’un commerce de Shimokitazawa est également connu comme le paradis des
proximité et local. friperies. Le style vintage se répand dans les magasins, et
A Shimokitazawa - tout est petit mais comme dans tous les l'ambiance du milieu est faite de continuité et d'homogénéité
centres urbains de Tokyo, d’une densité exceptionnelle. A au sein d'objets très divers et de la scène complexe de la rue.
l'extrémité nord de la gare se trouvent les magasins de Le mot clé définissant la réutilisation et le recyclage créatifs à
proximité et de la vie quotidienne: le supermarché, les rues Shimokitazawa pourrait être l'unicité. Le quartier est plein de
commerçantes, etc. L'extrémité sud est dominée par les débits ressources à explorer avec une créativité venant de plusieurs
de boissons et les salons de pachinko. Les cultures et de leurs directions, qui incluent la mode, la musique, la performance,
expressions font Shimokitazawa : jeunesse, vintage, musique, et qui transparaissent dans le commerce.41
performance, mode, tradition. 29
Quand on pense à l'avenir du quartier, il semble que la
Shimokitazawa est un vaste quartier, marqué par des schémas communauté locale de Shimokitazawa, qui parvient à se faire
urbains répétitifs, petits et denses. Dans ce contexte, nous entendre, pourrait trouver la force de défendre les marges et
remarquons un certain nombre d'activités diverses. Le centre les espaces intermédiaires grâce aux pratiques de réutilisation
autour de la gare est densément construit, avec des bâtiments et de recyclage créatifs qui constituent son quartier. 42
plus hauts et étroits. Des chaînes de restaurants, des
restaurants et des activités de divertissement sont regroupés Cette réutilisation et ce recyclage du tissu urbain actuel, se
le long des rues principales, juste à côté des sorties Nord et Sud circonscrit à de petites interventions qui diversifient le
de la gare. commerce, augmente l’attractivité sans défigurer le tissu urbain,
comme pourrait le faire les grands projets commerciaux
La circulation piétonne domine les rues étroites, qui sont immobiliers. Ces pratiques sont en croissance constante dans
organisées en rues commerçantes, les shotengai avec des Tokyo, et sont en train de s’insérer dans tous les quartiers de
démarcations claires à l'entrée et à la sortie à chaque Tokyo, à la limite des zones résidentielles, en formant des zones
de consommation Glocales, globales + locales qui qualifient
extrémité. Cela facilite les orientations et donne la structure une échelle commerciale caractéristique et qui participent à la
nécessaire au réseau confus de la zone. Le schéma urbain de diversité, pour l’œil, pour les pratiques, et pour l’ouverture
Shimokitazawa est véritablement organique, avec des objets et sociale. Le commerce, par sa diversité de formes et de fonctions
des réseaux à petite échelle contribuant à un lieu très permet une cohabitation et une mixité sociale dans les différents
pittoresque. quartiers.

Les paysages urbains, l'étroitesse des rues et les gens qui y


exercent leurs activités se combinent pour créer une qualité
qui est reconnue à la fois comme un lieu où il fait bon vivre et
comme un lieu où il faut être.

Les exemples de requalification urbaine se produisent aux


abords de Shimokitazawa. Ce sont les endroits où le
bourdonnement des activités commerciales génériques
s'estompe, et où l'on commence à sentir l'atmosphère
résidentielle reconnaissable de Tokyo. Les interventions

40 Id
41 Id
42 Id
Les japonais, par les contraintes spatiales
engendrées par la compacité de Tokyo, ont
tendance à envisager le commerce comme une
prolongation des fonctions de la maison. Les
contraintes professionnelles et de transport, qui
rythment la vie de tous les jours rendent les japonais
plus enclins, par leur culture du plaisir, à profiter des
moments hors des sphères du travail et de la maison,
à se divertir. La culture de la consommation, dans une
société de masse conditionnée par le collectif, conduit
le commerce à être une fonction dominante. Il permet
la cohésion de la société ralliée derrière la tradition
que véhicule certains commerces en étant très normés,
et en même temps l’ouverture à d’autres cultures. Il
semble aussi essentiel dans la mesure où il participe
aux interactions sociales hors de la sphère maison-
30 travail.

Le tissu urbain est culturellement très influencé par le


commerce, qui devient une attraction touristique en
soi. Mais plus que cela un quartier par ses commerces
traduit la culture et les goûts de ses habitants, ou de
ceux qui le pratiquent. L’influence des différents
groupes de consommateurs, semble se ressentir dans
la diversité de typologies de commerces proposés
dans la ville. L’exemple de Shimokitazawa, plébiscité
par les créatifs montre que la cohabitation des
différents groupes de consommation est possible. La
mixité commerciale qui en découle, lorsqu’elle ne
défigure pas le tissu urbain et intervient à petite
échelle, permet de renforcer la mixité sociale dans
les différents quartiers.
Tôkyô est souvent comparée à un rhizome : « le rhizome est un complexe
entrelacé de pièces hétérogènes qui est sans centre mais dynamique et
en constante évolution. C'est une grappe de parties connectées mais
autonomes qui est vigoureuse et peut s’étendre dans toutes les directions
(selon les conditions et les besoins) »1
En effet, Tôkyô est moins centralisée que ses équivalents occidentaux : elle est
Tôkyô est souvent comparée multinodale,
à un rhizome localise
: « le en Ilses
estcentres
ainsi dulapolycentrisme
globalité dequil’activité,
caractérise alterne entre
le tissu tissus
urbain
rhizome est un complexe entrelacé de piècesdenses
urbains et lâches,deetTokyo.
hétérogènes présente Pourdesle comprendre,
hauteurs de nous bâtisallons en analyser
hétérogènes. la
Chaque
qui est sans centre mais dynamique et en constante
sous-centre gravite autour genèse.
d’unL’implantation
élément biendudéfini commerce n’est pas
: la gare. étrangère
En effet, autour
évolution. C'est une grappe de parties du noyau connectées station,àoù
de la mais la semulti-nodalité de la ville
croisent plusieurs et de
lignes danstransports,
le même temps,le même
autonomes qui est vigoureuse et eutschémas’étendre dans toutes
se reproduit : celle-ci
on retrouveest étroitement
les liée
activités au commerce.
commerciales, puis les activités
les directions (selon les conditions etde lesbureaux
besoins) »et 1
enfin les habitations, à échelle réduite, qui séparent chaque
Mais le polycentrisme va garantir aussi une diversité
En effet, Tôkyô est moins centralisée noyauque sesactif.
équivalents scalaire dans la ville, ainsi qu’une possible répartition
occidentaux : elle est multinodale, localises-en ses centres démocratique des fonctions.
la globalité de l’activité, alterneLeentre tissu tissus
urbain éclectique et chaotique de Tôkyô, maintenu ensemble par
urbains
denses et lâches, et présente des hauteurs de bâtis deIl lasemblerait
l’influence profonde culture surque l’on puisse
la société, trouverqu’ill’origine
a montré pouvaitduêtre
résilient.
hétérogènes. Chaque sous-centre gravite autour d’un « Tôkyô embrassepolycentrisme
tout son dans
contenu les gares
dans un et les
tout. grands
(…) Tôkyômagasins
possède
des facultés
élément bien défini : la gare. En effet, autour du d’adaptation
noyau pouvant être caractérisés d’initiateurs urbains
et de survie proche des amibes. C’est une métropole des centres
de la station, où se croisent plusieurslaide
lignesetdechaotique,
transports, mais de elle
Tôkyôest 4. Car dans ce schéma polycentrique, la gare ne
organique, en constant changement. »1 S’il
le même schéma se reproduit : onsemble retrouvedifficile
les activités sert pas seulement
d’analyser un chaos, cela auxn’est
transports, « elle fabrique
pas impossible selonaussi la
Manuel
commerciales, puis les activités deTardits bureaux 1. Il et puisd’en ville et l’urbanité japonaise, articulant
les comprendre la genèse et les règles qui le définisse. densité et diversité
suffit
habitations, à échelle réduite, qui séparent chaque noyau des fonctions, des services et des populations, qui
actif. Il est ainsi du ensemble,
polycentrisme qui font société
caractérise et
lecitadinité.
tissu »
urbain5
de Tokyo. Pour le
comprendre, nous allons Autour de ces gares vont alors évoluer diversesdu
en analyser la genèse. L’implantation commerce
typologies
ensemble par l’influence profonden’est de pas
la culture sur la
étrangère à laetmulti-nodalité de la caractéristiques
ville et dans le même temps, celle-
société, a montré qu’il pouvait être formes urbaines du tissu urbain
ci estrésilient.
étroitement« Tôkyô
liée auTokyoïte
commerce. et de son identité. Cependant, les formes
embrasse tout son contenu dans un tout. (…) Tôkyô
possède des facultés d’adaptationMais et de le survie
polycentrisme modernes
proche couplé au commerce du commerce va semblent
garantir prendre
aussi unepeu à peu le
diversité dans
des amibes. C’est une métropole laide et chaotique,
la ville, ainsi qu’une pas sur les formes emblématiques
maispossible répartition démocratique des fonctions. de Tokyo.
elle est organique, en constant changement. »2 S’il semble
difficile d’analyser un chaos, celaIl n’estsemblerait que l’on puisse trouver l’origine du polycentrisme dans les gares et
pas impossible
les grands magasins
selon Manuel Tardits . Il suffit d’en comprendre
3 la genèse pouvant être caractérisés d’initiateurs urbains des centres
et les règles qui le définisse. de Tôkyô1. Car dans ce schéma polycentrique, la gare ne sert pas seulement
aux transports, « elle fabrique aussi la ville et l’urbanité japonaise, articulant
densité et diversité des fonctions, des services et des populations, qui ensemble,
font société et citadinité. »1
Autour de ces gares vont alors évoluer diverses typologies et formes urbaines
commerciales caractéristiques du tissu urbain Tokyoïte et de son identité.
Cependant, les formes modernes du commerce semblent prendre peu à peu le
pas sur les formes emblématiques de Tokyo.

1 BARRIE SHELTON, learning from the Japanese City: Looking east in urban design, E&FN SPON,2012
2 YOSHINOBU ASHIHARA, L'ordre caché : Tôkyô, la ville du XXIe siècle ? 1994
3 MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous la

direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS


4 MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous la

direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS


5 RAPHAEL LANGUILLON, Eki, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU,

2013, CNRS éditions, p105


A. L’attachement du commerce à la gare
1. la naissance du polycentrisme : les gares et les
grands magasins comme initiateurs urbains6
Au début du 17ème siècle, Edo devint le bastion du
gouvernement samurai, le shogunat qui unifiait le début des
temps modernes du Japon.

Trois zones se dégagent alors : le château où réside le Shogun,


puis la Vallée du côté Est du château ou Shitamachi (la ville
basse) qui était occupée par les classes populaires, formées
d’artisans et de commerçants et enfin le plateau à l’Ouest ou
Yamanote (la ville haute), qui était réservé aux terres de la
classe dirigeante, daimyô et samurai.

La majorité de la ville basse ayant été gagnée sur la mer, un


système de distribution par voies navigables fut implanté dans
la vallée, majoritairement utilisé pour le commerce.
32 En 1868, le Japon est forcé de se rouvrir au monde après près
de 400 ans de séclusion. L’archipel, jusque-là à l’abri de toute
influence étrangère, ne tarde pas à enclencher le processus
d’occidentalisation : c’est le début de l’ère Meiji.

Edo change alors de nom pour Tokyo et commence à remplir


les conditions d’une ville moderne. Le pouvoir en place
cherche à rattraper le retard pris sur ses rivaux occidentaux :
cela passe par la verticalisation de ses villes et l’importation
massive de bâtiments de style occidentaux en rupture
Premier centre du Tokyo moderne
extérieure avec l’architecture traditionnelle.

En effet, à la suite d’un incendie ravageant les quartiers


populaires de Kyōbashi et Tsukiji dans la partie Shitamachi de
Tokyo, en 1872, la planification d’un nouveau quartier
moderne, inspiré de l’occident et dirigée par un architecte
anglais, est initiée.
Figure 1: Tokyo en 1910
En premier lieu, un nouvel axe est créé : l’avenue Ginza,
traversant des zones déjà actives de la capitale, les quartiers
Shitamachi, traditionnellement artisanaux et commerciaux. En
parallèle, la première gare du Japon, la gare de Shimbashi est
inaugurée en 1873, au Sud de l’avenue Ginza. Elle permet de
relier pour la première fois en train Tokyo à Yokohama.

L’axe de Ginza, célébrant la modernité à l’occidentale avec à


son paroxysme la gare, va alors concentrer rapidement le

6MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous la
direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS
Figure 3: Le quartier de Ginza en 1910 Figure 3: Les transports à Tokyo en 1895

dynamisme de Tokyo, et attirer les établissements économique, les fonctions commerciales et administratives
commerciaux, les gofukuya, ancêtres des grands magasins. étant jusque-là strictement séparées.

Les gofukuya sont des magasins de luxe où les marchandises Les depâto atteignent alors six à sept étages, et la gare devient
n’étaient pas exposées mais seuls des échantillons proposés une véritable porte d’entrée de la capitale, avec la création de
aux clients. la gare de Tokyo en 1914, faisant face au palais impérial, ancien
château du Shogun. Le caractère attractif du quartier
Le modèle évolue rapidement jusqu’à s’aligner définitivement Marunouchi-Ginza prend de l’ampleur, scindant
autour de 1910 sur les grands magasins occidentaux ou complètement le Tokyo central et ses banlieues. Le Shitamachi
department store en anglais, en adoptant leurs réorganisé devient la nouvelle vitrine internationale de Tokyo,
monumentalités, la grande variété des marchandises, et et concentre alors une vraie centralité. Dans le même temps,
l’apparition des vitrines. Le nom se transforme aussi : il devient en 1906, l’état Japonais a lancé une grande procédure de
le depâto, issu de la contraction japonisée de department nationalisation ferroviaire, et fonde la JNR Japan National
store. Ils deviennent rapidement des « catalyseurs d’urbanité Railways. Cependant, certaines petites compagnies de 33
dans les secteurs centraux des principales métropoles chemins de fer privées ont été laissées à l’écart : ce sont les
japonaises »7. ôtemintetsu. Si la JNR se concentre sur les chemins de fers
Mais la modernisation passe aussi par les transports : le nationaux et la desserte du centre ville, les ôtemintetsu
transport terrestre se développe alors sur une aire plus grande développent les lignes de transports urbains vers les banlieues
et un réseau de transports centré sur les chemins de fer est à Tokyo. Cette division entre compagnies privées et publiques
implanté. va jouer un grand rôle dans le processus d’urbanisation de la
ville de Tokyo telle qu’on la connait aujourd’hui.
A la fin du XIXème siècle, le développement des lignes de
transports s’accélère et reste centré radialement sur Tokyo. La A partir du début du XXème siècle, le Gouvernement
ligne reliant Tokyo à Yokohama est prolongée jusqu’à Osaka. métropolitain de Tokyo fait face à la croissance
Deux nouvelles gares voient le jour : la première à Ueno, reliant démographique rapide de la ville qui s’intensifie à partir de
Tokyo au Tohoku, et la seconde à IIdabashi reliant la capitale 1910, provoquant « une vague d’urbanisation non planifiée
aux montagnes de l’Ouest à proximité du Mont Fuji. voire chaotique, essentiellement tournée vers l’Ouest »8.
L’industrialisation rapide à la suite de la première guerre
La gare de Ueno va rapidement être reliée à Ginza par une mondiale combinée à la mobilité croissante de la main
compagnie de voitures à chevaux, permettant le d’œuvre permise par le développement des lignes de
développement d’un axe puissant Nord Sud. Va s’adjoindre à transports privées comme le tramway et les chemins de fers,
cela, la création par la firme Mitsubishi d’un quartier des ont créé des conditions d’expansion rapide vers les banlieues.
affaires à côté de Marunouchi en 1890, puis l’implantation des En 1920, la ville de Tokyo était déjà peuplée par 3.3 millions
grandes administrations à Hibiya : l’ancien Shitamachi devient d’habitants. En 1923, le grand tremblement de terre du Kantô
le nouveau centre-ville de Tokyo. a dévasté les quartiers urbains du centre dans la partie basse
de la ville, Shitamachi et la population a progressivement migré
Au début du XXème siècle, la ville de Tokyo se situe vers le plateau à l’Ouest, jadis réservé aux Samurai, qui a peu
essentiellement dans la vallée, et devient un centre politico- souffert en comparaison.

7 RAPHAEL LANGUILLON, Depâto, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU,
2013, CNRS éditions, p105
8 MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous la

direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS


Figure 4: Les transports à Tokyo en 1920 Figure 5: Les transports à Tokyo en 1970

En 1925 la Yamanote Line, une ligne circulaire construite par la la jonction entre la banlieue et ce qui était jusqu’alors le centre
JNR, ceinturant les parties de Tokyo historiquement peuplées, de Tokyo.
rassemblant le château, Shitamachi et Yamanote (la ville basse
et la ville haute), est achevée et arrête une vision centralisée Y sont adjoint des taminaru depâto, conférant à ces terminaux
de la capitale. Sur son périmètre se succèdent une série de une double centralité, ferroviaire et commerciale. Cette
gares, les plus importantes étant Shinagawa, Shibuya, Shinjuku structure a ainsi créé des points de croissance naturelle à
et Ikebukuro. Elles correspondent à d’anciens relais sur les l’intersection des lignes les plus importantes avec la Yamanote
grandes routes d’Edo, ou de petits villages. « Elles constituent Line. Les compagnies ferroviaires privées de Tokyo vont alors
de petits noyaux dans des zones relativement peu proposer « de véritables mini-stratégies de planification de la
urbanisées ».9 ville »10. Les ôtemintetsu deviennent alors de véritables
promoteurs immobiliers et commerciaux, en plus de posséder
Cependant, dans l’entre-deux guerres, deux facteurs vont une ou plusieurs lignes de chemins de fer.
pousser Tokyo à passer d’une centralité définie à une schéma
34 multinodal. « Cette formule fait progressivement évoluer la gare du simple
débarcadère vers le statut de grand équipement métropolitain
Le premier facteur est la diversification des activités des lignes (lieu de consommation de la mobilité, des produits et des
de chemins de fer privées. Les ôtemintetsu, se lancent alors services urbains qu’offrent la grande ville) dont la diversité
dans des activités résidentielles et marchandes. La compagnie fonctionnelle n’est pas non plus sans rappeler le principe des
Hankyû est précurseur : à partir de 1910, elle fait construire un villes étapes de l’époque féodale »11.
grand depâto dans sa gare terminale d’Umeda à Osaka,
fusionnant pour la première fois les deux grands équipements Les trois principales stations de la Yamanote Line à l’Ouest de
définissant la nouvelle modernité Japonaise : la gare et le Tokyo, Shibuya, Shinjuku et Ikebukuro, se sont étendus en
grand magasin. premier et plus rapidement. En effet, les lignes des
ôtemintetsu s’y terminaient et donc les usagers devaient
A partir de 1930, la diversification des activités pour les descendre pour passer des trains de banlieue aux trains de la
compagnies de chemin de fer privées se généralise : les depâto JNR et aux tramways desservant le centre-ville, et vice-versa,
viennent se fixer sur les gares importantes : c’est la naissance d’autant qu’on trouvait autour une grande quantité de terrains
des taminaru depâto, les depâto de terminaux des lignes. exploitables.12

Le second facteur est l’interdiction pour les ôtemintetsu en Les quartiers de divertissement et de restauration se sont
1935 par la JNR de franchir la Yamanote Line pour construire développés dans ces sous-centres pour desservir les usagers
des lignes dans le centre de Tokyo, desservi alors par le devant obligatoirement changer de train dans ces gares. Les
tramway. La jonction entre les lignes se fait alors succursales des grands magasins principaux du centre-ville et
obligatoirement sur les stations de la Yamanote. On assiste les taminaru depâto construits pas les ôtemintetsu sont
alors à une multiplication de grosses gares terminales faisant apparus. Sorensen affirme donc que le développement initial
des sous-centres était donc en grande partie le produit des

9 Id
10MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous la
direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS
11 BENOIT JACQUET, PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU, Dispositifs et notions de la spatialité Japonaise, PPUR, 2014
12
ANDRE SORENSEN, Subcentres and Satellite Cities: Tokyo’s 20th Century: Experience of Planned Polycentrism, dans International Planning
Studies, Vol. 6, N°1, 2001
Figure 6: Une rue piétonne du Sakariba de Shibuya et un croisement dans le Sakariba de Shinjuku

avantages inhérents de leur emplacement au point où les parce que c’est là que les choses se passent. »Le Sakariba est
usagers devaient changer de mode de transport.13 le paroxysme de la culture du plaisir et de la consommation
propres aux Japonais.
Les nœuds de transport où se développent des taminaru
depâto attirent et font graviter autour d’eux un microcosme de Etymologiquement, le terme Sakariba dérive de deux mots qui
divertissement, lui-même renforcé par la clientèle des bureaux expliquent clairement l’essence de ces lieux : ‘sakaru’ qui veut
venant s’implanter autour. Ce microcosme est la renaissance dire « être actif, être vigoureux et prospérer » et ‘ba’ qui
d’un processus urbain traditionnel : le Sakariba. signifie « lieu ». Ensemble, ils forment le mot Sakariba, qui est
un terme fourre-tout pour désigner des lieux qui procurent du
Le Sakariba signifie littéralement lieu animé, elle relève d’une plaisir et de l'amusement comme les salons de thé, les lieux de
forte concentration de fréquentation et participe à l’urbanité. rassemblement pour les artistes de rue, les quartiers de stands
« Les Sakariba sont des quartiers dédiés aux activités sociales alimentaires dans les périodes antérieures et les bars, les
liées principalement au loisir et au plaisir. »14 salons pachinko, les izakaya, les karaoke, les magasins et les
La polarité s’est alors étendue depuis le nouveau centre boîtes de nuit dans le présent.
moderne de Marunouchi-Ginza vers les grosses stations de Sur le plan spatial, le Sakariba a été définie comme la partie la
transports ancrés sur la Yamanote Line, créant de nouveaux plus fréquentée de la ville, associée au plaisir et au 35
nœuds d’attractivité dans la ville : la ville est devenue divertissement. A la suite d’un entretien privé avec Jinnai
polycentrique. Hidenobu, Manuel Tardits définit les composantes du Sakariba
Ces centres secondaires vont peu à peu grossir pour devenir comme suit : « Un premier noyau apparait avant-guerre,
des centres à part entière. autour d’une gare, et par la suite s’assortit, se complique d’une
efflorescence de lignes et d’autres grands magasins. On repère
« Ainsi les gares et les grands magasins apparus entre la fin du ensuite une sorte de ceinture flottante de boutiques, jeux
XIXème siècle et le début du XXème siècle au Japon sont, dans
vidéo, de pachinko (…), de restaurants, de cafés, de bars à
un rapport dialectique produit-catalyseur, l’expression
construite de transformations socio-économiques et de progrès profusion. Enfin s’établit une zone de bureaux qui fournit un
techniques. » 15 fort bataillon de consommateurs et, légèrement plus éloigné,
un quartier de plaisirs bien garnis en sex-shops, bars à
hôtesses, salons de massage, « love hotels louant des
chambres à l’heure ou à la journée… »17
2. les Sakariba : fonction structurante de l’urbanité
et du dynamisme de Tokyo « Les Sakariba […] structurent l’urbanité et le dynamisme des
principaux centres et vices-centres, en concentrant les flux, les
Augustin Berque dans son article Représentations de l’urbanité activités et la consommation. Avec le Sakariba, est atteint le
Japonaise16 décrit les Sakariba comme un « terme qui plus haut degré d’achèvement de l’urbanité japonaise
s’emploie pour désigner à la fois ces quartiers à la fois animés
et à la mode, dominés par la fonction commerciale et celle des
loisirs, où l’on va essentiellement pour voir et se faire voir,

13 ANDRE SORENSEN, Subcentres and Satellite Cities: Tokyo’s 20th Century: Experience of Planned Polycentrism, dans International Planning
Studies, Vol. 6, N°1, 2001
14 ANDREA FLORES URUSHIMA, Sakariba, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA

MASATSUGU, 2013, CNRS éditions, p391


15 MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous

la direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS


16 AUGUSTIN BERQUE, Représentation de l’urbanité Japonaise, dans Géographie et cultures, 1992

17 MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous
la direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS
GARE COMMERCES
ZONE RESIDENTIELLE

ZONE RESIDENTIELLE

INTERPENETRATION DE LA ZONE NERVURÉ PAR VOIES DE


COMMERCIALE ET ZONE RESIDENTIELLE CIRCULATION FERROVIAIRE
ET AUTOMOBILE

Figure 7: Schémas de fonctionnement du Sakariba

couplant la centralité ferroviaire et la centralité « Dans la comédie urbaine tokyoïte, les Sakariba d'aujourd'hui
commerciale. »18 conservent un rôle comparable à celui de leurs ancêtres qui lie
urbanité et transgression sociale, mais celui-ci s'assortit et se
Le Sakariba a pris forme à l’époque d’Edo : il s’est développé
renforce d'un emploi complémentaire majeur, celui
spontanément dans les zones de repli en cas de sinistre. On en
d'initiateurs urbains. » 21
comptait alors trois types : les hachizume, zones libres de
construction aux abords des ponts, les hirokôji ou larges rues, Tokyo, par le développement du polycentrisme autour de l’eki
et enfin les grandes allées menant aux sanctuaires et aux biru, possède un tissu urbain particulièrement propice à
temples. Ces espaces libres d’emprise devinrent rapidement héberger ou voir naitre ces quartiers animés. Les Sakariba de
des lieux dédiés aux commerces et aux spectacles de rue. Tokyo deviennent même un lieu d’exposition pour les plus
« Pieds de ponts et allées sacrées, ces lieux d'ampleurs grands architectes du monde, tous prêts à venir y poser leurs
exceptionnelles situés aux abords d'une ville très dense, outre bâtiments-sculptures. On compte parmi elles aujourd’hui
cette fonction d'ultime rassemblement offraient avec leurs entre autres Shibuya, Shinjuku, Asakusa, Ginza, Omotesando,
environs immédiats des endroits propices aux commerces Akihabara et bien d’autres, hauts lieux de la consommation,
36
temporaires ou permanents, aux divertissements, aux mais aussi hauts lieux de rencontres pour les Japonais ainsi que
spectacles de rue, forains et saltimbanques, souvent pour les touristes.
agrémentés d'activités de prostitution moins licites. Endroits
en permanence animés, ils constituaient les lieux de « Les Sakariba sont constitués de bâtiments répondant bien à
confluences physique et sociale majeurs de la vie urbaine. l’idée de vernaculaire urbain, tant ils sont devenus anonymes
Echappant au rigide contrôle social de l'autorité shogounale, la dans leur surenchère de matières, de signes, de lumières et de
culture populaire s'affichait ici dans toute sa verve et sa bruits, mais aussi composées d’un foisonnement d’espaces :
licence: l'urbanité d'Edo naquit en ses bords orientaux. »19 sous-sols spongieux à force d’être percé de galeries, dédales
en étages, entrelacs de ruelles et de placettes… »22
Selon l’historien Nishiyama Matsunosuke 20, les Sakariba sont
alors des lieux de rassemblement de foule, non pas saisonniers Généralement, ils sont situés à une bonne distance des zones
comme les fêtes, mais permanents. Ils institutionnalisaient la résidentielles et plus proches des quartiers de bureaux, les
rupture de l’ordre quotidien : dans la foule des Sakariba, rendant facilement accessibles aux masses après travail. Dans
disparaissaient les différenciations sociales et tendait à une ville comme Tokyo, le fossé spatial entre le travail et la
prévaloir l’égalité entre les individus. maison engendre un aspect culturel important dans la vie des
citoyens. Ils sont alors plus enclins, du fait de l’éloignement
Aujourd'hui, la plupart des Sakariba traditionnels ont disparu géographique de leurs maisons ainsi que son étroitesse, et de
ou ont été remplacés par leurs formes modernes, leurs cultures du plaisir et de la consommation, à profiter des
représentées par les quartiers gravitant autour des grandes Sakariba et des divertissement qu’ils proposent entre la sphère
gares ferroviaires (Tokyo-eki, Shinjuku-eki ou Shibuya-eki à domestique et celle du travail.
Tokyo). Ils sont le centre du divertissement pour le Japonais, et
en conséquence pour le touriste. Car si les Sakariba sont des lieux d’activité et de
divertissement, ils le sont majoritairement grâce à l’attrait

18
RAPHAEL LANGUILLON, Depâto, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU,
2013, CNRS éditions, p105
19 MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions,2011
20 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo : mémoires et modernités, 1988
21 MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions,2011
22 MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous

la direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS


qu’engendre le commerce, que ce soient les commerces de 3. l’expansion du modèle polycentrique
bouche comme les restaurants et les bars, les commerces de
service comme les karaoke et les pachinko, ou les magasins, Après la seconde Guerre Mondiale, malgré la destruction
allant du Department store à la petite boutique de quartier. de la ville sous les bombardements, le modèle urbanistique
Comme énoncé par Nishiyama Matsunosuke pour décrire les impulsé par les compagnies de chemins de fer privées
Sakariba à Edo, l'aspect le plus important de ce phénomène s’intensifie. Les voies navigables qui servaient d’infrastructure
qui persiste encore aujourd'hui est que le Sakariba nie toutes pour les districts centraux d’Edo sont comblées et utilisées
les contraintes et hiérarchies sociales, offrant aux gens un comme voies de transports terrestres. La population
scénario presque utopique de " capitalisme sans classe ". augmente et a atteint son niveau d’avant-guerre en 1955. La
situation stratégique du Japon par rapport à la guerre de Corée
Le Sakariba est décrit comme « un espace où la foule se lui permet de relancer son économie, en mettant son industrie
rassemble pour participer à des activités régulières dans une à disposition des occupants américains.
situation où les caractéristiques quotidiennes de l’identité
individuelle sont supprimées, abolissant ainsi les différences « Les lignes ferroviaires guident l’extension du tissu urbain en
de classes sociale, d’âge ou de sexe ».23 doigts de gant. Les gares secondaires polarisent les flux et les
activités des banlieues de plus en plus lointaines. Les gares
En cela, les Sakariba sont proches des third places développées terminales associent transports et fonctions commerciales,
par Ray Oldenburg dans son livre The Great Good Place. “Le avec la construction de grands magasins (taminaru depâto),
troisième lieu est une désignation générique pour une grande puis d’hôtels et restaurants. Les espaces publics devant les
variété de lieux publics qui accueille les rassemblements gares sont aménagés, et les Sakariba se développent à
réguliers, volontaires, informels et joyeusement anticipés proximité. »25
d’individus au-delà du domaine de la maison et du travail." 24
Les anciens quartiers commerçants de l’est, Marunouchi- 37
En plus de cela, le troisième lieu doit promouvoir la démocratie Ginza, ont perdu le statut de centre unique de Tokyo,
dans le sens où c’est un espace lui aussi sans classe, où aucune ingurgités par l'expansion urbaine. Les nouveaux centres sont
hiérarchie sociale n’est reconnue. Le Sakariba présente les les complexes de grandes gares devenus le cœur de nouvelles
mêmes qualités que la third place, dans un univers bien plus zones de divertissement. « Ces ensembles marquent de
étiré et dense cependant que celui décrit par l’auteur en se nouvelles limites plus subtiles, des portes par où transitent des
référant aux banlieues américaines. flux millionnaires d'usagers quotidiens dont l'anonymat
Le Sakariba promeut donc l’urbanité et permet les interactions protège la liberté des comportements. »26
sociales. Selon Augustin Berque, les Sakariba se définissent
Si les sous-centres implantés sur les terminus des trains de
avant tout par l’affluence. Il explique que les Sakariba peuvent
être passagères ou ancrées historiquement bien que toutes banlieue ou dans l’ancienne centralité de Ginza continuent de
prennent le risque d’être effacées par le temps, de passer de se développer pour devenir des centres à part entière, le
mode pour voir émerger de nouvelles Sakariba. En somme, le processus mis en avant par les ôtemintetsu ne tarde pas à faire
principal concurrent du Sakariba, est le futur Sakariba. émerger de nouveaux centres urbains à quasiment tous les
nœuds de transports, ne se restreignant plus seulement à
Il ajoute à leur sujet que « ce sont à la fois des révélateurs et
l’intérieur ou au périmètre de la Yamanote Line mais se
des soupapes du refoulé social, et des condensateurs de l’idéal
d’où naissent les projets sociaux. En quelque sorte, elles donnent déplaçant vers les banlieues.
libre cours à ce qui justement n’est pas le Japon “normal” d’une
« Ces initiateurs urbains qui parsèment la ville contemporaine
époque donnée. Pour le Japon normal, elles sont à la fois un
ailleurs et un au-delà. » d’aujourd’hui, jouent le rôle de centres en chapelets, qui
gonflent comme des ganglions sur les grandes voies
ferroviaires, précèdent et accompagnent la constitution des
banlieues. Ce développement à la fois linéaire et proliférant,

23 ANDREA FLORES URUSHIMA, Sakariba, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA
MASATSUGU, 2013, CNRS éditions
24 RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the

Community, 1989
25 RAPHAEL LANGUILLON, Eki, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU,

2013, CNRS éditions, p114


26 MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions,2011
s’organise comme un rhizome et renforce le caractère d’autant plus que la pression foncière des années 70 verticalise
amorphe de Tokyo. »27 un peu plus la ville, créant des gratte-ciels et enfouissant
profondément les fondations, créant encore plus d’espaces
Augustin Berque résume bien ce phénomène : « Dans la aménageables.
nappe indéfinie de la mégalopole, l’urbanité peut surgir et se
condenser là où nous ne verrions que de la banlieue. Ce « Grands magasins et gares d’interconnexion fonctionnalisent
phénomène, tout de souplesse et de contingence, exprime à l’espace vertical en y mêlant, du dessus des voûtes aux quais
titres divers la tendance topologique ou proxémique de la du métro, services publics et privés, cheminements et
spatialité nippone, et plus encore l’indistinction foncière de la boutiques. »29
ville et de la campagne. Ici l’urbanité ne se délimite pas. Elle se
polarise. » 28 Les sous-sols commerciaux sont depuis la fin des années 80 en
croissance continue à Tokyo comme dans les grandes villes
De nouveaux centres émergent dans la banlieue, malgré leur japonaises. « Malgré leur confinement, ces longs couloirs et
éloignement du quartier des affaires : Shimokitazawa, Koenji, escaliers, toujours plus profonds, sont devenus des lieux
Nakano, Kichijoji…. Ils ne sont pas tous des Sakariba, mais communs sécurisants » La demande est forte : les habitants les
présentent tous les atouts d’un centre. Tokyo se compose alors considèrent comme des endroits confortables et bienveillants.
d’une multitude de petites villes à chaque nœud de transport. Le risque incendie y est mieux maitrisé, la température y est
modérée, l’éclairage constant, la ventilation généralisée, en
D’un autre côté, l’eki biru - littéralement bâtiment de gare - plus d’une piétonnisation totale. 30 C’est un écrin idéal pour le
renforce sa prédominance. Il rassemble alors bien plus qu’une commerce.
simple fonction de transport, en y adjoignant la fonction
commerciale. On le trouve aussi bien sur les petites stations, La pression foncière est telle dans les années 90 qu’aucune
38 rassemblant un ou deux commerces que sur les stations les nouvelle ligne de transport ne peut être créée et l’heure est
plus importantes où il peut rassembler plusieurs depâto. C’est alors à la rentabilisation maximale du réseau existant.
un aimant à commerces. Mais l’eki biru peut alors encore
élargir son influence : par les sous-sols. En effet, le tramway est L’eki biru devient un réseau tentaculaire déployant des
peu à peu remplacé par le métro : les transports s’enterrent. commerces dans toutes les dimensions de l’espace, sur une
surface de plus en plus importante. C’est le point d’attraction
La mise en valeur des sous-sols urbains à des fins commerciales du sous centre autour duquel gravite toutes les activités. Plus
est d’abord attribuée aux depâto qui cherchent à rentabiliser l’eki biru est important, plus il attire, plus des Sakariba ont des
leurs surfaces. Les sous-sols aménagés portent le nom de chances d’émerger.
chikagai au Japon.
Tokyo est aujourd’hui un réseau gigantesque de sous-centres
A la fin des années 1960, les ôtemintetsu se mettent à plus ou moins importants reliés entre eux par des métros et
promouvoir les souterrains à usage commercial. La pression des trains. Des sous-centres se sont largement développés
faite par les pouvoirs publics sur les ôtemintetsu les oblige à dans ce qui autrefois caractérisait la banlieue de Tokyo, en
reconsidérer leur stratégie. Elles sont dans le même temps dehors de la Yamanote Line.
forcées de réinvestir dans du matériel roulant, d’améliorer la
qualité du service et la sécurité, augmenter la fréquence des Tous les sous-centres de Tokyo en viennent à présenter les
trains. Elles sont contraintes de trouver d’autres sources de mêmes caractéristiques en plus ou moins accentuées, Sakariba
profit. Elles ne peuvent agrandir leurs domaines en créant de ou non. On retrouve la gare au centre entouré de la fonction
nouveaux taminaru depâto ou autres par manque de fonds et commerciale, puis un peu plus loin viennent les bureaux et
à cause de la saturation foncière. Le sous-sol se présente enfin les zones résidentielles.
comme la solution. Les ôtemintetsu, transforme alors les sous- Ces sous-centres sont caractérisées par une interpénétration
sols à des fins commerciales. La stratégie se révèle gagnante, d’échelles différentes, grande, moyenne et petite,

27 MANUEL TARDITS, Initiateurs urbains : gares et grands magasins dans La Maitrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone ; sous
la direction de AUGUSTIN BERQUE, 1994, Editions EHESS
28 AUGUSTIN BERQUE, Représentation de l’urbanité Japonaise, dans Géographie et cultures, 1992
29 ANDRE GUILLERME ET MAEJIMA MICHIKO, Chikagai, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et

NISHIDA MASATSUGU, 2013, CNRS éditions,


30 ANDRE GUILLERME ET MAEJIMA MICHIKO, Chikagai, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et

NISHIDA MASATSUGU, 2013, CNRS éditions,


hétérogènes dans le cœur près de la gare et s’homogénéisant centres restent globalement éloignés les uns des autres
en petite échelle vers les zones résidentielles, ce schéma se d’environ 1km soit environ 10 min de marche. Les zones qui
répétant à chaque nœud de la ville. séparent deux centres peuvent être parfois peu agréables à
cause de la monotonie du tissu urbain pueplé d’immeubles
L'environnement urbain de Tokyo est remarquable non génériques mais la durée limitée du trajet les rend acceptables.
seulement pour ses ruelles étroites et ses petits immeubles, Chaque sous-centre, plus ou moins développé, entoure une
mais aussi pour le fait que ceux-ci coexistent avec de grands station. Par ce système, si la répartition équitable dans l’espace
éléments et de lourdes infrastructures. La ville se caractérise des stations de train est respectée, alors la distribution
par un degré remarquable de diversité scalaire. Le critique commerciale sera aussi respectée. Le polycentrisme permet
urbain Michael Sorkin, observe que Tokyo « est une ville d’éviter dans Tokyo l’émergence d’un désert commercial.
constamment reconfigurée par la juxtaposition et
remarquable par sa tolérance de la diversité d'échelle. Partout Autour des gares, se développent à Tokyo des formes urbaines
commerciales caractéristiques comme le depâto et le Chikagai,
dans la ville, les petites structures se bousculent avec les mais aussi le shotengai, le yokochô, le pencil biru et les matsuri.
moyennes et les grandes dans un contrepoids d'énergie et de Ce sont des regroupements de commerces, temporaires ou
repos ».31 permanents ayant un impact fort sur la ville au niveau des
interactions sociales ou de l’urbanité.
Le commerce vient s’implanter dans toutes les échelles du bâti,
du sous-sol au 10ème étage à l’échelle des gares et vient se Cependant, la complexité de la propriété foncière au Japon
mélanger à l’échelle résidentielle, avec des échoppes en rez- fragmente le parcellaire ce qui a une influence profonde sur la
de-chaussée ou à un étage maximum. morphologie du commerce et sur ses typologies.

La systématisation du schéma perpétré par les compagnies de


chemins de fer privées, en couplant fonction de commerce et 39
divertissement, et fonction de transport, renforce le
polycentrisme en créant des nœuds de tailles variées
équitablement répartis dans la ville.
Le polycentrisme, en trouvant son origine dans les gares et les
grands magasins, puis son évolution dans le développement de
la fonction commerciale alentour, consacre les acteurs privés
dans l’urbanisation de la ville. La ville est certes chaotique, et
semble avoir grandi organiquement, mais une logique forte se YAMANOTE LINE
cache derrière le schéma global qui la définit.
Cette logique peut s’appliquer au développement moderne de
toutes les villes Japonaises. « Contrairement aux plans
d'urbanisme à long terme des villes européennes, la construction
des villes au Japon s'est faite selon la circonstance, en
s'adaptant aux demandes immédiates et aux nouveaux
développements. » 32

La carte (Figure 9) a été réalisée à partie des données fournies


par Google maps recensant les zones actives des villes. Il est
donc représenté par des tâches jaunes, les zones d’activité où
fleurissent les commerces de Tokyo aujourd’hui : on peut
observer une multitude de centres, distribués de manière
égale dans la ville bien que plus concentré dans la partie
historique à l’intérieur et sur le périmètre de la Yamanote Line.

Les zones commerciales se développent exclusivement autour Figure 8: Carte des zones d'activités de Tokyo en schéma polycentrique
des gares de Tokyo, créant une multitude de centres qui
respectent un principe d’équité géographique. Les sous-

31 MICHAEL SORKIN, Strolling through Tokyo’s hothouse of architectural wonders, Architectural Record, Vol. 196 Issue 5, 2008, p 39
32 YOSHINOBU ASHIHARA, L'ordre caché: Tôkyô, la ville du XXIe siècle ? chap.2, 1994
B. Commerce et formes urbaines
1. Des formes urbaines malléables, impactées par
la propriété foncière
La densité et l’étroitesse du parcellaire ne sont pas
seulement dus à la surpopulation constatée dans une zone
comme Tokyo. En vérité, Tokyo est beaucoup moins
densément peuplée que Paris, car Tokyo a une population
importante mais sur une superficie conséquente.33

La complexité de la propriété foncière a eu et a toujours une


grande influence sur la morphologie de la ville, et surtout sur
celle du commerce.

La séparation drastique entre propriété foncière et propriété


immobilière peut trouver ses origines sous Edo, mais s’est
renforcée dans la période d’après-guerre pour conduire à la
structure du parcellaire du Tokyo que l’on connait aujourd’hui.

« Le Code civil de 1896 avait établi une distinction entre la


propriété du sol et celle des constructions édifiées dessus ; un
40 "droit de superficie" garantissait la pleine propriété d'un
bâtiment sur le terrain d'autrui. »34

La séparation entre propriété foncière et immobilière vise


surtout à la surprotection des occupants des bâtiments de la
parcelle pour en éviter l’expulsion. Les expulsions deviennent
alors quasi-impossibles pour les propriétaires des terrains.
Pour défendre leurs intérêts, avec la croissance économique
d’après guerre, les propriétaires fonciers exigèrent « un droit
au bail foncier », shakuchiken, proportionnel à la valeur du
terrain. Les prix des baux fonciers attinrent des sommets dans
la période de haute croissance qui précéda l’éclatement de la
bulle spéculative pour être fortement dévalorisés par la suite.

Dans les sous-centres de la capitale, là où s’exercent les plus


fortes tensions sur les marchés (Shinjuku, Shibuya par
exemple), la propriété foncière est d’une grande complexité :
« un même terrain peut être frappé à la fois d’un "droit de
propriété" (shoyûken), d'un "droit au bail foncier"
(shakuchiken) et d'un "droit au bail immobilier" (shakkaken).
Dans ce cas, la propriété s'emboîte à l'image des poupées
gigognes : le propriétaire passe un contrat de bail avec un
preneur qui fait construire et loue les murs à un (ou plusieurs)
locataire immobilier. »35

33
La superficie Tokyo (la ville a fusionné avec la préfecture) est de 2 104 km² pour environ 13,4 millions d’habitants (6 368 hab./km²) alors
que Paris par exemple a une population de 2,3 millions d’habitants pour 105 km² (21 904 hab./km²) – sur https://www.populationdata.net
34
NATACHA AVELINE, La bulle Foncière au Japon, ADEF, 1995 p18
35 Id p 20
Figure 9: Commerces dans les milieux inhospitaliers dans Made in Tokyo

Les baux fonciers, qui durent en général 20 ans, sont On peut nommer ces espaces constructibles, espaces
automatiquement renouvelés sauf si le propriétaire du terrain intercalaires. Le commerce est une fonction malléable dans
parvient à convaincre la Cour Suprême d’une non-légitimité au son implantation, car moins contraignante dans sa forme que
renouvellement. Le bail est effectif tant que le bâtiment tient des bureaux ou des logements. A Tokyo, le commerce se glisse
en place.36 alors dans les interstices. On en trouve non seulement sur des
parcelles difformes conduisant à l’établissement d’immeubles
Cette séparation des propriétés contraint énormément les crayons uniquement dédiés au commerce, mais aussi dans des
promoteurs dans la construction de nouveaux grands milieux jugés comme inhospitaliers en France. Le dessous des
bâtiments. « L'extrême émiettement de la propriété foncière voies ferrés est devenu un réceptacle commun aux commerces
impose la mobilisation d'un grand nombre de parcelles pour 41
dans la capitale Nipponne, tout comme le dessous des grandes
construire un immeuble de gabarit haussmannien. » 37 voies de circulation automobiles.
Les aménageurs doivent alors négocier avec chaque L’exploitation de ces milieux permet non seulement une
propriétaire ou locataire immobilier, même si le propriétaire rentabilisation des terrains, mais aussi une facilité d’accession
foncier est d’accord pour vendre. En accordant peu de marge pour les entrepreneurs car les baux sont financièrement plus
aux propriétaires des terrains, cela conduit à la rétention mesurés. Dans le cas d’implantation sous les voies ferrées ou les
spéculative en friche ou parkings de terrains débarrassés de autoroutes, on vient construire des commerces, souvent liés à la
leurs propriétaires immobiliers, ou à une fragmentation du restauration ou au divertissement eux-mêmes générateurs de
parcellaire qui en visant tout de même à la rentabilisation nuisances. De plus, implanter des commerces dans ces milieux
permet d’éviter des « zones mortes » dans les cœurs de ville.
conduit à peupler Tokyo d’immeubles crayons, pencil biru,
extrusion d’une parcelle étroite, souvent de forme peu Mais on trouve aussi de plus en plus de regroupement de petits
pratique. Si la séparation entre propriétaires fonciers et commerces de vente de biens dans ces zones, dont certains
propriétaires immobiliers est moins drastique aujourd’hui, le pensés comme un projet dans sa globalité, reflètent l’artisanat
tissu urbain n’en reste pas moins fragmenté. La difficulté de la ou les traditions Japonaises.
propriété foncière au Japon ou la création de nouvelles routes,
ou voies ferrés traversant d’anciens quartiers peuvent laisser Tsukamoto, dans son livre Made In Tokyo recense un certain
apparaitre des interstices ou des bouts de terrains aux formes nombre de formes urbaines caractéristiques et originales à
singulières. Ces terrains appartiennent à des particuliers qui Tokyo, dont certaines, commerciales, sont dues à la complexité
construisent ce qu’ils peuvent dans ces espaces contraignants. de la propriété foncière au Japon et à l’émergence des espaces
Comme les constructions sur ces terrains difformes ne peuvent intercalaires.
pas être classiques, leurs fonctions est limitée à certaines
Je vais présenter ici certaines de ces formes urbaines liées au
utilisations.38
commerce, et je vais compléter par d’autres formes urbaines
originales relevées au cours de mes déambulations à Tokyo.

36 Id
37
Id
38
TSUKAMOTO YOSHIHARU dans le documentaire Espaces Intercalaires
42
Figure 10: Les dispositifs urbains commerciaux en milieux inhospitaliers

43
Figure 11 Axonométrie éclatée d'un depâto et photos d'un depachi et de l'extérieur

2. Les regroupements de commerce depachi qui évoquent les allées d'un marché, jusqu'aux
caractéristiques de Tokyo restaurants d'étages flanqués de devantures, de vitrines et
d'entrées transformant les couloirs en ruelles. On retrouve là
cette fortune de l'architecture traditionnelle, appliquée à des
Les depâto sont une des formes caractéristiques du commerce ensembles, décuple le parcours privilégié au détriment de
à Tokyo. Ce sont les grands magasins, implantés au début du l'organisation hiérarchisée ; les lieux plus que les formes ; la
XXème siècle, ou department store, présentés avec les gares métaphore d'un hologramme (image tridimensionnelle privée
44
comme initiateurs urbains dans la partie II. A.1. de corps) plus que la finitude d'un objet. »40

Quel que soit le propriétaire ou son emplacement, le depâto Selon Philippe Pons, les depâto sont « des univers propices à la
se décline souvent de la même façon, et les variations restent déambulation. La finalité mercantile parait seconde » 41 Il
exceptionnelles. On rencontre d’abord en sous-sol – le depachi compare le depâto à une sorte de parc public dont les allées
contraction de department tore et du sous-sol chika - un ou sont librement accessibles et fournissent tout un éventail de
plusieurs étages dédiés à la nourriture. Ces étages mêlent des services pour améliorer le confort de la promenade, proposant
de l’art et de la restauration.
épiceries traiteurs de tout le japon démontrant l’étendue de la
gastronomie Japonaise, s’organisant en petits étals, en sucré Les fonctions de la ville sont essaimées verticalement, sans
comme en salé, et des petits supermarchés alimentaires obligation de consommer pour profiter de l’abri intérieur que
présentant des produits de très bonne qualité, approvisionnés le depâto propose. Il devient même un raccourci ou un détour
dans tout le Japon. Au rez-de-chaussée on retrouve les pour se déplacer dans la ville. Il est souvent plus facile de
grandes marques de luxe occidentales (Louis Vuitton, couper au travers d’un grand magasin pour rejoindre la gare
Hermès…) et les produits de luxe Japonais (Kimono…), les ou pour atteindre la rue parallèle.
cosmétiques et certains articles de maroquinerie au premier,
les femmes au deuxième et les hommes au troisième, les Quant aux taminaru depâto, « la porosité entre la partie gare
enfants au quatrième, et la suite peut être un mélange et les zones commerciales accentue aussi cette confusion des
d’artisanat de luxe, de rayon des animaux d’agrément, de formes, des fonctions et des genres. »42
galeries d’arts, de musées. Le dernier ou les derniers étages
Cependant, une loi sur les grands magasins Hyakkaten hô
sont consacrés aux restaurants et les toits terrasses
limite les nouvelles ouvertures de depâto et leurs
deviennent des brasseries en été. 39
agrandissements afin de protéger les petits détaillants. « La loi
« Territoires poreux, les depâto brouillent aussi les séparations définit un grand magasin comme un magasin situé dans un seul
entre le dehors et le dedans Les intérieurs apparaissent bâtiment, d’une surface de plus de 1 500m², vendant une
comme d'autres extérieurs : depuis les étals de l'épicerie du

39 MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions,2011


40 Id
41 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, 1988
42 MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions,2011
grande variété de biens de consommation. »43 Alors de développe dans la plupart de ses étages des enseignes
nombreux pseudo grands magasins sont apparus pour contrer franchisées. Seuls encore les sous-sols dédiés à la nourriture et
cette loi, fonctionnant en étage(s) indépendant(s) de moins de les derniers étages peuvent voir travailler des commerçants
1500 m², ce qui fait tout de même concurrence aux petits indépendants.
commerces.

Les caractéristiques du Depâto sont les suivantes :

-Implantation : Les depâto sont implantés près des gares soit


Les pencil biru ou immeubles crayons sont des immeubles a
immédiatement sur la gare pour les taminaru depâto soit à
fonction commerciale donc la forme est contrainte par celle du
proximité.
parcellaire. « L'intention architecturale est absente des pencil
-Densité et dimensions : On se trouve dans de grands biru où seule compte la quantité de surface disponible par
immeubles d’une dizaine d’étages voire beaucoup plus. Dans étages, et le caparaçon de la signalétique extérieure. »46
le cas de Sunshine city à Ikebukuro, le depâto se déploie sur 60
Les pencil biru sont des « petites tours de quelques étages de
étages et accueille un planétarium, un aquarium, des mini-
restaurants, de cafés ou de boutiques. Chaque niveau réserve
parcs d’attractions en plus des items habituels. Chaque étage
une scénographie différente, atteinte par un ascenseur qui
fait facilement plus de 1500 m². La densité intérieure est celle
débarque souvent à même la salle. Le constitue en général
d’un grand magasin, avec des allées séparant les étals de 3m
l'entrée est ici oblitéré par la durée de la montée : le temps
environ. On trouve en général plusieurs depâto autour des
moins onéreux se substitue à l'espace compte de la capitale.
grandes stations.
Résumons l'un d'entre eux d'une coupe transversale au
-Temporalité : La temporalité des department store est plutôt premier un restaurant de sushi, au deuxième un restaurant de
yakitori, au troisième un restaurant indien, puis au fur et à 45
diurne. Ils ouvrent en général de 10h à 21h, avec parfois une
fermeture retardée pour les étages de restauration. A la fin de mesure de la montée, une brasserie, un café, un bar et un seuil
la journée, les sous-sols et les derniers étages de restauration d’izakaya. »47
sont assaillis par la clientèle sortant du travail. Les sous-sols
-Implantation : On les trouve dans les sous-centres animés,
deviennent l’antichambre de la cuisine, les travailleurs venant
principalement dans les Sakariba, où le commerce est très
y chercher leurs bentos déjà préparé à déguster seul ou en
présent et les baux chers. Ils sont une extrusion de la parcelle,
famille.
et présentent le maximum de surfaces commerciales à tous les
-Caractère : « Le grand magasin […] est en quelque sorte le étages. On le reconnait de l’extérieur non seulement par sa
miroir de la prospérité du Japon et témoigne du caractère forme mais aussi par sa façade entièrement recouverte de
cosmopolite de sa culture de masse. »44 En effet, bien que les publicité, souvent même les fenêtres.
depâto s’adressent à la culture de masse en général, ils
-Densité et dimensions : Suivant la taille de la parcelle, les
présentent une mixité de biens et de services qui rend celle-ci
plateaux sont divisés en un ou plusieurs commerces et sont
moins limitée que dans certains pays. De plus, la configuration
directement desservis par des ascenseurs et des escaliers en
en ville verticale, recréé des rues intérieures dans le depâto qui
issues de secours. L’ascenseur s’ouvre en général directement
devient un endroit propice aux interactions sociales, en
sur le commerce ou alors sur le couloir de répartition des
particulier les étages du sous-sol / marché et les derniers
commerces. Un pencil biru peut être dédié à un seul
étages de restauration où peuvent se rencontrer les habitués,
commerce si celui-ci est par exemple un karaoke et les étages
et où le service est moins impersonnel. De plus, le depâto
sont divisés entres les boxs du karaoke. Il y a une densité
comme un espace public, est ouvert à tous et est propice à la
importante de pencil biru dans les quartiers contraints
déambulation. « Le grand magasin apparait ainsi avant tout
foncièrement.
comme un espace où le plaisir du papillonnage est associé
étroitement à l’activité marchande. »45Cependant, le depâto

43 RAPHAEL LANGUILLON, Depâto, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU,
2013, CNRS éditions, p105
44 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, 1988
45 Id
46 MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions,2011
47 Id
relativement fermé à l’extérieur, créant une bulle spatio-
temporelle commerciale dans la ville, tant le temps qui passent
et l’espace qui nous entoure ne transparait pas à l’intérieur.
Les pencil biru sont très fréquentés et n’ont d’autres vocations
que la rentabilité. Les commerces étant moins accessibles que
ceux ayant pignons sur rue, ils doivent redoubler d’ingéniosité
pour attirer depuis la rue. En conséquence, ils sont surtout
fréquentés par des connaisseurs, et donc des habitués ce qui
favorise les interactions sociales. Le fait de réunir plusieurs
commerces dans le même immeuble créé un sentiment de
coopération inter-commerciale entre les fonctions différentes.

Yokochô se réfère à un ou un groupe de petites ruelles qui


croisent une rue principale, et forment un lieu semi-caché
rempli de bars et restaurants. Littéralement, Yoko signifie
« côté » et chô se réfère à la « rue » ou « bloc ». Les Yokochô
sont des lieux usuels dans les Sakariba autour des noyaux
principaux de transports et sont souvent considérés comme
des lieux désuets, moins sûrs que le reste de la ville, et
fréquentés par des gens à la réputation douteuse.
46
La plupart des Yokochô ont émergé comme des marchés noirs
temporaires pendant la période de rationnement d’après-
guerre.48 Tokyo hébergeait alors une soixantaine de marchés
noirs. Chaque station où plusieurs lignes se croisaient
possédait son marché de biens étrangers illégalement acquis. 49

Avec la fin du rationnement, les marchés se sont peu à peu


transformés pour accueillir des bars offrant boissons et encas.
Certains ont changé de lieux mais en restant toujours à une
distance de la station confortable à pied.

Avec la croissance économique rapide des années 50 à 70, les


parcelles de terre autour se sont vite transformées en de
grands immeubles de bureaux et commerces. Les terrains en
Figure 12 Pencil Biru de petite et moyenne taille dans le
multipropriété des anciens marchés noirs étaient difficiles à
quartier de Shibuya
réaménager, car il fallait convaincre tous les propriétaires de
vendre leurs lots afin de former un terrain unifié. C'est peut-
-Temporalité : Devant la diversité de fonctions commerciales être l'une des raisons pour lesquelles un certain nombre de
que présente le pencil biru, du restaurant à l’école de langue, yokochô situés au centre ont survécu jusqu'à aujourd'hui.50
du salon de coiffure voir même au yokochô, celui-ci fonctionne
pratiquement tout le temps. Cependant l’activité intérieure ne Les yokochô aujourd’hui sont devenus des reliques urbaines,
peut transparaitre sur l’extérieur tant les façades sont et certains font face à de réels problèmes. Leurs structures bois
opacifiées par les enseignes. Seuls les néons peuvent trahir datant des années 50 se détériore, malgré les rénovations et
l’ouverture ou non. les renforcements. Le manque de successeurs dû à la
décroissance démographique au Japon rend difficile pour les
-Caractère : Le caractère du pencil biru est aussi varié que ses familles la pérennité de leurs affaires.
fonctions. Cependant, il a le trait commun d’être souvent

48 JORGE ALMAZAN, hidden micro-cities: the yokochô bars districts of Tokyo dans Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2013, p57
49 EDWARD EIDENSTICKER, Tokyo Rising: The city since the great earthquake, Harvard University Press, 1991, p153
50 JORGE ALMAZAN, hidden micro-cities: the yokochô bars districts of Tokyo dans Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2013, p57
Figure 13: Nonbei Yokochô à Shibuya, avec zoom sur l'intérieur d'une cellule

Barker, en 1968 a décrit le Yokochô comme un paramètre devenant un terrain propice à la créativité et à l’innovation
comportemental. Le Yokochô et son unité relative, le bar, sont dans ce secteur.55
un lieu stable pour une activité récurrente et pour un
environnement particulier qui peut être décrit comme un Les projets de yokochô offrent une alternative aux
cadre de comportement.51 traditionnelles izakaya, souvent franchisées, en proposant une
diversité d’atmosphères, la communication entre les clients, et
Jorge Almazàn dans son essai hidden micro-cities : the yokochô l’atmosphère rétro des petits stands offrent de vraies
47
bars districts of Tokyo 52compare le Yokochô au troisième lieu opportunités aux entrepreneurs.
selon la définition de Ray Oldenburg présentée en partie 1.
Oldenburg présente le troisième lieu comme le « cadre Les caractéristiques du Yokochô sont les suivantes :
principal de la vie informelle »53, un exemple de « lieux publics -Implantation : On retrouve les Yokochô aux abords des
qui accueillent le régulier, le volontaire, l’informel et les stations, souvent dans des espaces intercalaires comme sous
rassemblements joyeusement anticipés en dehors des ou à côté des voies du métro. Les nouveaux yokochô occupent
domaines de la maison et du travail. »54 en général un étage ou une partie d’étage d’un immeuble
C’est peut-être pourquoi il existe des signes d’un intérêt comme le niku yokochô à Shibuya.
renouvelé pour la typologie et le potentiel du yokochô pour la -Densité et dimensions : Le yokochô est une zone dense en
régénération urbaine. En 2008, un nouveau yokochô a fait son présentant une grande quantité de petits étals sur une surface
apparition dans le quartier branché d’Ebisu. Le Ebisu Yokochô relativement exigüe. Le Yokochô de Golden Gai à Shinjuku
essaie de reproduire non seulement l’atmosphère visuelle des présente 253 établissements pour 3 265m² de terrain, ce qui
vieux yokochô d’après guerre mais aussi sa gestion puisqu’il est équivaut à environ 14m² par échoppe en incluant les
dirigé par de multiples jeunes chefs en charge de leurs propres circulations et les espaces communs. Les ruelles séparant les
mini-bars. La petite taille de chaque étal leurs permet de payer établissements sont piétonnes et ont une largeur de 1,3 à 2,8m
le loyer et leur fournit l’opportunité de développer leurs en général. Les dimensions des échoppes suivent les modules
propres affaires de manière indépendante. traditionnels japonais et déploient une surface au sol d’environ
Comme les stands sont petits et dirigés indépendamment, ils 5 à 7m². Il est courant que l’établissement se développe sur 2
agissent comme un attracteur ou un incubateur pour les étages souvent consacré à la partie habitation du propriétaire.
jeunes entrepreneurs dans le domaine de la restauration, Les nouveaux Yokochô consistent plutôt en un espace à

51
ROGER BARKER, Ecological Psychology: Concepts and Methods for studying Behaviour, Stanford University press, 1968
52
JORGE ALMAZAN, hidden micro-cities: the yokochô bars districts of Tokyo dans Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2013, p57
53
RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the
Community, 1989, p 16
54
Id
55
JORGE ALMAZAN, hidden micro-cities: the yokochô bars districts of Tokyo dans Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2013, p58
Figure 14: Première colonne de haut en bas: Omoïde Yokochô à Shinjuku et le nouveau Yokochô Niku Yokochô à Shibuya / Deuxième
colonne de haut en bas : Harmonica Yokochô à Kichijoji, et Ebisu Yokochô à Ebisu

l’intérieur d’une tour où les mêmes caractéristiques sont petites tailles créé une échelle propice au déploiement d’une
retrouvées mais sur seulement un étage. Les toilettes sont en atmosphère propre.
général partagées dans toutes les configurations.

-Temporalité : Les yokochô sont ouverts généralement la nuit,


traditionnellement pour éviter les nuisances sonores du jour
liées à leurs emplacements. Certains ouvrent très tard, après Le shotengai est une rue commerçante piétonne traditionnelle
48 les derniers métros tandis que d’autres plus ouverts aux Japonaise. Il existe les shotengai et les âkedo qui sont les
touristes par exemple ouvre à la sortie du travail. Les nouveaux shotengai couverts par des arcades. On retrouve les shotengai
Yokochô ouvrent aussi à la sortie du travail dans un souci de dans pratiquement tous les sous-centres. Les shotengai, ont
rentabilité. longtemps été le cœur de la vie économique locale.
Aujourd’hui en déclin, elles réunissent toujours des centaines
- Caractère : Le type de restauration dans les yokochô consiste
de commerçants.
en nourriture et boissons, et ne nécessitent pas une grande
cuisine. Le caractère du bar peut être lu dans la perméabilité Historiquement, ces rues commerçantes seraient apparues au
de sa façade. Quand Omoïde Yokochô à Shinjuku n’arbore pas XVIe siècle, lorsque les marchands, affranchis des monopoles
de façades et est complètement ouvert sur la rue, les échoppes et des guildes, ont pu s’établir librement. Ces marchés
d’autres yokochô peuvent être complètement fermées et à médiévaux ont alors pris la forme, au fil des années, de longues
peine visible de l’extérieur. Cela traduit dans le même temps le artères commerciales composées d’enseignes familiales. Ils se
degré d’invitations à rentrer, plus la perméabilité sur sont ensuite généralisés au XXème siècle en réaction au
l’extérieur étant faible, plus l’échoppe est réservée aux développement des grands magasins.
habitués. Cette politique des habitués transforme l’échoppe
du Yokochô pour ses clients, en véritable deuxième maison. On y trouve entre autres des boutiques traditionnelles et des
Les nouveaux Yokochô sont en revanche moins sélectifs sur restaurants, mais aussi des grandes chaines. La mixité de
leurs clients, le profit et la notoriété étant recherchés. fonctions commerciales créé une vraie mixité sociale.
L’étroitesse des lieux encourage vivement les interactions Ces galeries commerciales, couvertes ou non, dont les
sociales, et il devient quasi-impossible de ne parler à personne. échoppes se transmettent de génération en génération, sont
De plus le regroupement d’une multitude d’échoppes du un emblème de la vie quotidienne où subsistent encore de
même type augmente l’attractivité et facilite à la fois la nombreux commerçants indépendants au lieu des seules
coopération et la compétition. L’attractivité d’une échoppe par boutiques franchisées qui peuplent les eki biru ou les étages
son étroitesse ne pouvant pas profiter à tous les clients profite principaux -hors sous-sol et derniers étages- des department
aux autres échoppes. D’autant plus que la pratique du bar store.
hopping est monnaie courante et permet de profiter d’une
multiplicité d’ambiances. En cela, le yokochô devient un gros
pôle d’attractivité nocturne. Malgré le manque d’effort
architectural déployé, le rassemblement de commerces de
Figure 15 Structure de l'âkedo et photos de ceux de Koenji et Akabane

« On oserait presque affirmer que la rue japonaise est Asakusa, on peut trouver un réseau de galeries couvertes se
commerçante, shotengai, ou n'est pas. Voie principale des croisant à la perpendiculaire.
fragments de grilles ou cheminements ruraux, anciens qui se
sont ossifiés, la grand-rue commerçante est le centre de ces -Temporalité : Les shotengai couvrant une variété de fonctions
quartiers-villages qui compose Tôkyô. Avec ses allures commerciales, leur temporalité est assez large. Les restaurants
informelles de souk, elle croise fréquemment à angle droit la et bars fermeront relativement tard et les boutiques les plus
voie ferrée la plus proche dans les quartiers récents et traditionnelles officieront de 10h à 19h. Les shotengai sont
périphériques où s'établit une petite gare locale. »56 particulièrement vivants les week-ends et particulièrement
appréciés des touristes pour leur charme désuet à toute 49

période de l’année.
-Implantation : Les shotengai sont localisés près des gares, ou -Caractère : Le Shotengai a un caractère empreint de traditions
à proximité des temples et des sanctuaires, ou communiquent même si nombreux sont les commerces à s’être émancipés de
entre les deux. « Les shôtengai sont ainsi l’expression de la ce carcan. Il est caractérisé par son arcade ou par ses arches
tradition marchande des villes basses, des quartiers colorées annonçant le nom du shotengai ce qui induit une
populaires, des espaces sacrés japonais et des environs des redondance dans la forme. Il mixe petits propriétaires et
gares. »57 Des arches en marquent les deux extrémités du commerces franchisés aujourd’hui mais aujourd’hui quelques
parcours et dans le cas d’un âkedo une arcade d’une structure shotengai sont encore entièrement détenus par des petits
propre, ne reposant pas sur le bâti recouvre la rue. On trouve propriétaires. Ils présentent une grande diversité de fonctions
les shotengai dans les quartiers les plus fréquentés pour le commerciales rassemblés en une seule rue et sont un centre
commerce comme Shibuya, Shimo-Kitazawa, Nakameguro et actif de la ville. Ils attirent une population mixte pour la plupart
les âkedo dans les quartiers plus traditionnels ou mixtes là où sont mêlés commerces traditionnels et contemporains,
comme Asakusa, Nakano, Koenji, Akabane, Yanaka. et une clientèle âgée pour les shotengai étant resté axés sur le
Cependant, on ne trouve pas de shotengai dans les quartiers traditionnel. Certains shotengai sont maintenus par les
plus tournés vers le luxe comme Omotesando ou Ginza. propriétaires et les informations relatives diffusées par leur
-Densité et dimensions : Le shotengai consiste en une rue propre site web, dans l’idée de la préservation de ce
totalement commerçante en rez-de-chaussée et très souvent patrimoine cher au cœur de nombreux Japonais. D’autant plus
au premier étage. Dans le cas d’un âkedo, l’arcade couvre deux qu’encore une fois, par la proximité des commerçants,
étages. La largeur de la rue est en général d’environ 5 à 7m. La l’activité forcément présente, et l’intimité dégagée par
longueur varie, elle peut être de 100m pour les plus petits l’étroitesse de la rue et son arcade, il est possible d’y
âkedo à Asakusa, et 250m pour la partie couverte à Koenji se développer des interactions sociales. Les shotengai
prolongeant en shotengai sur encore la même distance. A entretiennent une relation concurrentielle avec les grands
magasins, plus modernes. « La relation entre les shopping-
malls et les shôtengai reprend le diptyque fortement japonais

56
MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions,2011
57
RAPHAEL LANGUILLON, Shôtengai, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA
MASATSUGU, 2013, CNRS éditions, p454
du modernisme et de la tradition, toujours hésitant entre
opposition et continuité. » 58

Les matsuri sont des festivals religieux ou populaires, non


permanents, se déroulant dans les espaces vides extérieurs, et
pour l’occasion desquels se déploient quantité d’étals colorés
de commerçants, principalement tournés vers la restauration.
Les temples accueillent aussi ponctuellement des étals de
nourritures, les mêmes que dans les matsuri. Ces stands
proposent de la nourriture de rue, des boissons, mais aussi des
jeux.

-Implantation : Les matsuri s’implantent dans les espaces vides


de la capitale. Par exemple, Shibuya, les matsuri ont lieu dans
un emplacement réservé du parc de Yoyogi, et à Ebisu au Ebisu
Beer Hall. Le cas est ici partie prenante des emplacements
dédiés aux matsuri récurrentes, mais différentes à chaque fois.
Dans les quartiers où aucun espace n’est dédié, les matsuri
envahissent les rues en les rendant piétonnes.
50
-Densité et dimensions : La quantité d’étals est très dense et
envahissent d’une à plusieurs rues, laissant 4m environ pour
circuler entre les stands. L’espace du Yoyogi dédié aux matsuri
mesure 5000 m² environ et est complété par une rue de 300m
de long et 10m de large. Chaque Matsuri occupe seulement
l’espace nécessaire de manière à garder 4m de circulation
environ entre les étals. Il n’est pas rare que ce site accueille
plusieurs matsuri en simultané. Autour des temples, en
revanche on ne trouve qu’une dizaine de stands au maximum.

-Temporalité : Les matsuri ont lieu en toute saison mais sont


bien plus régulières en été. Elles prennent place de manière
diurne ou nocturne suivant le type d’évènements.

-Caractère : La Matsuri rassemble les Japonais dans un esprit


bon enfant, autour d’évènements traditionnels ou moins
traditionnels, et le commerce accompagne le cœur des
activités (danse, chant, etc.), que ce soit pour se restaurer ou
s’amuser. Dans l’esprit de fête temporaire qu’engendre la
matsuri, toutes les classes sociales se rencontrent et
communiquent plus facilement. Les commerces qui se
déploient sont souvent tenus par des associations de quartier
ce qui rend le contact léger. Même dans l’immédiateté d’un
stand de rue les interactions sociales sont privilégiées. Figure 16 Photos des stands de matsuri

58
RAPHAEL LANGUILLON, Shôtengai, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA
MASATSUGU, 2013, CNRS éditions, p454
Le domaine d'intérêt de cette étude est la zone autour de la ou
C. La polarité commerciale, entre des gares. On va se concentrer sur les zones d’activités de ces
quartiers autour de ces stations, en jaune sur les figures 1 et 6
Sakariba et petites stations de cette sous-partie. Les zones d’activités sont le premier
noyau de zones commerciales qui entourent la gare avant les
1. Analyse de 12 quartiers Tokyoïtes : diversité
zones entièrement résidentielles.
scalaire et urbanité
Il existe une grande variété de sous-districts dans chacun des
quartiers lorsqu'ils sont cartographiés en termes de qualités
Julian Worall dans sa contribution à Small Tokyo suggère expérientielles et scalaires. Ces études visent à l’évaluation des
que « la diversité scalaire dans l'expérience de qualités urbaines des quartiers commerciaux, à une unité plus
l'environnement bâti contribue […] à notre sens de l'urbanité grande que l'échelle d'un immeuble commercial ou d'un
positive d'un paysage urbain. Un environnement hautement terrain, mais plus petite que la zone couverte par une catégorie
uniforme à l'échelle - que ce soient les petites maisons et les de zonage urbanistique.
rues d'un quartier de banlieue, ou l'amassement de grands
immeubles dans une masse dense dans un quartier central des Un certain nombre de visites sur le terrain ont été entreprises
dans le cadre de cette étude, consistant en une observation
affaires - perd le sens de l'imbrication en couches de divers
qualitative et une documentation des quartiers, délimités par
espaces, temporalités et des mondes cote à cote qui se nouent
un rayon équivalent à environ cinq minutes à pied de la gare,
au cœur de l'urbain. En ce sens donc., la diversité scalaire de et souvent dans la limite de la zone d’activités. L'observation
Tokyo constitue une part importante de sa qualité urbaine. »1 directe vise à acquérir une appréciation par le corps et par
l’expérience du caractère, de l'échelle et des modes 51
Pour comprendre l’influence du commerce sur la diversité
d'utilisation des espaces urbains d'interactions et de
scalaire de Tokyo, et son influence sur l’urbanité, j’ai réalisé
consommation publiques.
une étude de terrain sur 12 quartiers d’un km² répartis dans la
ville et tous situés à l’intérieur des 23 arrondissements de On se concentrera sur trois caractéristiques principales pour
Tokyo. On peut décomposer ces quartiers en deux catégories : apprécier les différents quartiers étudiés: (1) la fonction et
l'utilisation; (2) les caractéristiques physiques et visuelles de
-Six des quartiers les plus touristiques, les plus connus de l'environnement bâti, telles que l'échelle, la densité,
Tokyo: Shibuya, Shinjuku, Ginza, Asakusa, Omotesando / l'ouverture, la transparence, le matériau, les caractéristiques
Harajuku, et Akihabara. Ces quartiers sont tous situés sur ou à de l'image et du style architectural et la complexité visuelle; et
l’intérieur de la boucle de la Yamanote Line et sont des (3) la structure sociale, comprenant l'âge, le sexe, ou le statut
Sakariba. Ils sont tous associés à un gros nœud de transport où social. Ces trois caractéristiques - utilisation, atmosphère et
se croisent plusieurs lignes. Les stations associées sont donc structure sociale - interagissent et se renforce mutuellement
d’importance. dans les espaces urbains physiques.

-Six des quartiers animés de la capitale sans être une Plusieurs zones commerciales ont été définies dans le rayon de
destination incontournable des guides touristique, mais prisé la station, récurrente entre les 12 quartiers mais pas
des locaux: Daikanyama / Ebisu, Shimo-Kitazawa, Koenji, automatiquement présentes.
Jiyūgaoka, Akabane et Yanaka. Ces quartiers sont associés à Les différents quartiers ont donc été découpés en zones ci-
une station de taille moyenne et sont situés majoritairement après :
en dehors de la boucle de la Yamanote Line à l’exception de
Yanaka qui est proche de la station Nippori sur la ligne 1. Les grands magasins : Department store, centres
circulaire mais à l’intérieur. Ces quartiers sont tous situés dans commerciaux, supermarchés
des zones plus résidentielles et l’étendue de leurs activités est 2. Les divertissements primaires : karaoke, pachinko, arcades
moins importante que pour les Sakariba. 3. Les divertissements liés à l’art : galeries, cinémas
4. Yoko-cho

1
DARKO RADOVIC & DAVISI BOONTHARM, Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2013
5. Shotengai couverts ou âkedo La zone de consommation Glocale est composée de boutiques
6. Zone de plaisir et de restaurants à proximité de et d'une échelle similaire aux
7. Zone d’hyperconsommation résidences unifamiliales. Ces dernières années, ces districts
8. Zone de consommation Glocale : Global + Local sont devenus considérablement pratiqués à pied par des
9. Le réseau piéton centaines de jeunes consommateurs, souvent des couples, les
10.Temples rendant effectivement presque infranchissables pour les
véhicules. Ces zones sont ici étiquetées comme Glocales car
11.Parcs
elles combinent le capital mondial et local dans une échelle et
12.Canaux et rivières
une structure correspondant à la banlieue résidentielle. Les
produits et meubles de décoration, les cafés et la nourriture
Se référant à la liste ci-dessus, l'ancien tissu commercial
plus gastronomique, et les magasins de vêtements notamment
comprend les éléments (4), (5) et, le tissu plus contemporain
les friperies, sont concentrés ici. Une composition intéressante
les éléments (1), (2), (3) qui sont intrinsèquement liés à la
du mondial et du local est en cours dans ces quartiers, dans
structure sociale des quartiers. Les éléments (1), (2), (3), (4) et
lesquels des marques internationales bien reconnues, telles
(5) ont tous été introduits dans les chapitres précédents. Les
que NIKE, GAP, UNIQLO ou STARBUCKS coexistent avec des
éléments de liaison extérieur du tissu urbain commercial sont
boutiques Iocales distinctives ou des restaurants locaux
représentés en (9). Le zoning des quartiers commerciaux
réputés. Mais c’est surtout dans ces quartiers que les
représente les éléments (6), (7), (8) et ont été définis en
interactions sociales avec les commerçants tout comme avec
conjuguant de manière factuelle et sensible. Les éléments
les autres clients sont les plus probables, car les petits
historiques et naturels sont aussi identifiés en (10), (11) et (12).
propriétaires se mêlent aux boutiques franchisées, mais
52 Le zoning des quartiers a été réalisé selon 3 classifications. toujours à échelle résidentielle, permettant une proximité plus
adéquate à la communication.
La zone des plaisirs correspond à la partie de la ville où le
service principal proposé a trait au sexe : love hotels, salons de Le réseau piéton est en lien direct avec les commerces et
massage, bars à hôtesses. C’est un quartier relativement correspond aux shotengai, les rues principales commerçantes.
nocturne, auquel s’adjoint donc tous les éléments qui Il renforce l’atmosphère créée par le commerce, en créant une
constituent le monde de la nuit : bars, night club, izakaya, et proximité entre les piétons ainsi qu’un objectif commun. On
souvent karaoke. Elle est accessible en général rapidement retrouve souvent les rues piétonnes commerçantes sur le tracé
depuis la gare mais est présente dans relativement peu de des anciens canaux recouverts après guerre, qui se sont
quartiers. La zone de plaisirs la plus emblématique de Tokyo transformés en lieu convivial de commerce par leur non-
reste sans conteste Kabukicho à Shinjuku. accessibilité aux voitures. Le réseau piéton renforce le
commerce, mais le commerce semble naitre et se pérenniser
La zone d’hyperconsommation correspond à la zone là où la voiture ne peut pas accéder, créant une atmosphère
concentrant le plus de magasins, de commerces de de « village ».
restaurations ou de services, sur de nombreux étages. Dans ces
zones, les commerces sont souvent franchisés et l’échelle plus Les quartiers sont donc présentés et découpés en deux parties
conséquente, rendant l’activité commerciale plus de 6 chacun, avec une page d’introduction présentant pour
impersonnelle. C’est aussi dans ces zones que l’activité chacun les pleins, les vides, le réseau viaire et les bâtiments
publicitaire est la plus active, avec une prolifération soumis à une activité dans la zone délimitée de 1km sur 1km,
d’enseignes sur les façades, couvrant même les fenêtres. documents graphiques tous réalisés à la suite des observations
Cependant, l’enchevêtrement en strates de commerces, peut sur le terrain. Leurs descriptions s’appuient sur des
recréer une consommation locale de manière verticale, car constatations visuelles et factuelles, et le vocabulaire employé
plus on monte dans les étages, plus l’atmosphère sera intime, peut se référer à certaines formulations employées dans les
plus on aura à faire à de petits propriétaires et plus les guides de la ville.
interactions sociales seront probables. Ces zones sont souvent
très occupées surtout les soirs et week-ends.
Figure 17: Pleins, vides, viaires et zones d'activités de 6 Sakariba

Figure 1: localisation des 6 Sakariba étudiés et légendeFigure 2: Pleins, vides, viaires et zones d'activités de 6 Sakariba177

53
Figure 18: localisation des 6 Sakariba étudiés et légende

54
Figure19: Zoning de Shibuya et Shinjuku
(1) Fonction et utilisation : Shibuya est considéré comme un (1) Fonction et utilisation : Shinjuku est sans conteste le centre
quartier « branché » présentant un mélange éclectique de le plus important de divertissement de Tokyo. C’est aussi un
designers pointus et de restaurants raffinés destinés à une grand centre de bureaux, avec un Central Business District à
minorité et de grosses boutiques franchisées destinées à tous. l’Ouest de Tokyo, vidé de ses commerces. Shinjuku possède la
Le quartier présente aussi une zone des plaisirs et une vie plus grande zone de plaisirs de Tokyo, Kabukicho avec un grand
55
nocturne très développée, rendant l’activité commerciale nombre de divertissements primaires (karaoke, pachinko,
active sur des plages importantes. En conséquence, on trouve arcades) et grands cinémas diffusant des blockbusters. La vie
un nombre important de commerces de service dédiés au nocturne y est développée et l’activité commerciale est
divertissement primaire. En tant que station importante, continue. Le secteur de la restauration s’insère dans toutes les
Shibuya présente de nombreux department store et centres interstices de Shinjuku. On trouve aussi le plus grand réseau de
commerciaux conférant au quartier une aura de destination taminaru depâto, tous reliés entre eux par la station. La station
shopping incontournable, d’autant plus que de nombreux est la plus fréquentée de Tokyo et déploie des commerces à
bureaux sont présents dans le secteur. On rencontre un tous ses niveaux complétés par les grands magasins alentours.
yokochô historique, et deux nouveaux yokochô insérés sur On trouve à Shinjuku un concentré de tout ce qui fait un grand
deux étages d’un immeuble. centre au Japon, avec tous les commerces types, surtout
franchisés, destinés au plus grand nombre. A l’Ouest, on trouve
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : Shibuya présente un quartier dédié à l’électronique.
une topographie complexe, qui créé un réseau de ruelles
quasi-piétonnes où les commerces de petites échelles (2) Caractéristiques physiques et visuelles : Shinjuku a un
viennent s’insérer. Shibuya alterne entre très grande échelle aspect labyrinthique, avec un dédale de ruelles peu accessibles
commerciale avec une débauche de grands magasins, et des en voiture, mais pourtant pas complètement piétonne. On
immeubles remplis de commerces variés sur les rues reste toujours à l’échelle de l’immeuble d’une dizaine d’étages.
principales et à côté de la station, et une zone commerciale L’architecture des immeubles est de type extrusion, mais
composées d’un mélange de petites structures à l’échelle de la souvent peu visibles derrière les publicités. Shinjuku est une
maison et de petits immeubles lorsqu’on s’approche des zones débauche d’enseignes, dont le paroxysme est atteint dans
résidentielles. Les bâtiments de la zone d’hyperconsommation Kabukicho où les love hotels et bars à hôtesses prennent des
sont d’architecture simple et extrudés, et les façades sont atours de pastiche de temples égyptiens ou de monde peuplé
recouvertes d’enseignes. L’architecture du quartier des plaisirs de robots. On observe surtout à Shinjuku une accumulation
est un peu plus exubérante sans rentrer dans celle de Shinjuku. verticale de commerces, avec peu de transparence sur rue.
Les façades de la zone Glocale sont plus travaillées et plus (3) Structure sociale : Shinjuku s’adresse à un public plus
perméables à la rue. populaire que Shibuya, composé majoritairement de salary
(3) Structure sociale : Shibuya est prisé de la jeunesse men affluant des bureaux alentours.
Tokyoïte, mêlant une foule de créatifs mais aussi le groupe de
masse composé des salary men venant des bureaux alentour.
Figure 20: Zoning de Harajuku/Omotesando et Ginza

(1) Fonction et utilisation : Harajuku et Omotesando est un (1) Fonction et utilisation : Ginza est le quartier de Tokyo
mélange de 3 atmosphères différentes. A l’Ouest on trouve orienté vers le luxe. On y trouve une grande catégorie de
Takeshita Dori, un des rares rues de Tokyo offrant un éventail magasins de luxe occidentaux ou Japonais, dans les
de boutiques de cosplay, donnant sur une grande rue offrant department stores ou les centres commerciaux présents. On y
un panel de boutiques franchisées populaires. Une autre trouve peu de divertissements primaires, mais relativement
56
ambiance dans la rue principale reliant les deux stations, beaucoup de bâtiments liés à l’art. Les boutiques de luxe
comparée aux champs Elysées, qui est un alignement de présentent souvent des galeries à exposition temporaires. On
boutiques de luxe. Derrière se cache un réseau de ruelles peu trouve aussi le théâtre Kabukicho. La vie nocturne est
accessibles aux voitures peuplées de friperies et de petits relativement vivante et composée de quelques bars, mais pas
cafés. On trouve en revanche peu de divertissements primaires assez pour rendre le quartier complètement vivant en continu.
mais beaucoup de galeries d’art, aucun department store mais
que des centres commerciaux orientés luxe. Il y a peu de (2) Caractéristiques physiques et visuelles : Les enseignes sont
bureaux dans les environs immédiats, et la vie nocturne y est très peu présentes à Ginza, et quand elles le sont, elles ne
beaucoup moins développée. Le quartier est actif sur une recouvrent surtout pas les façades. Les bâtiments des artères
plage plus réduite que Shinjuku ou Shibuya. Les boutiques et principales sont des bâtiments sculptures réalisés par des
cafés sont beaucoup plus présents que les restaurants ou bars, grands architectes internationalement reconnus. L’échelle est
donc le quartier vit réellement de 10h à 20h. uniforme et les bâtiments, découpés en blocs, sont composés
d’une dizaine d’étages au maximum. On trouve beaucoup de
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : Sur les artères bâtiments de style occidental, car Ginza est le premier quartier
principales, on trouve une panoplie de bâtiments réalisées par à avoir été aménagé à la suite de l’ouverture à l’occident au
de grands architectes occidentaux ou Japonais, souvent d’une début du XXème siècle. Si des marques occupent souvent des
dizaine d’étages. Dans les ruelles derrière, on est à échelle 1 immeubles entiers, on trouve relativement peu de commerces
voir 2 étages dans des petits bâtiments individuels, avec des déployés dans les étages
façades « créatives » colorées, souvent réalisée par des
(3) Structure sociale : Le quartier de Ginza s’adresse plus
artistes et beaucoup de béton banché et verre. Dans ce cas là,
particulièrement à un public fortuné
on trouve des commerces au maximum au premier étage. Cat
street, une des rues piétonnes commerçantes alternatives les
plus connues de Tokyo est un des canaux recouverts de Tokyo.
Ce quartier est pratiquement dépourvu d’enseignes.

(3) Structure sociale : Harajuku / Omotesando s’adresse à


plusieurs catégories distinctes de la population : le groupe
marginal des geeks avec Takeshita Dori, les populations à fort
pouvoir d’achat et les classes sociales alternatives composées
de créatifs.
Figure21: Zoning de Akihabara et Asakusa
(1) Fonction et utilisation : Akihabara est un quartier populaire (1) Fonction et utilisation : Asakusa est un des quartiers les
pour tout ce qui à trait aux animés, et aux jeux vidéo. On y plus traditionnels de Tokyo, atmosphère en partie véhiculée
trouve de nombreux immeubles d’arcades Sega, mais surtout par ses commerces. On y trouve le grand temple Bouddhiste
une grande quantité de boutiques de figurines sur plusieurs de Tokyo et une grande allée de marchands du temple remplie
étages et des maids cafés. On trouve cependant deux projets de souvenirs. On trouve également 3 Âkedo dont un
57
intéressants situés sous les rails de train et basés sur l’artisanat regroupant un croisement de 3 rues. On y trouve tout ce qui à
Japonais et présentés dans la partie sur les commerces en trait au Japon traditionnel, Kimono, estampes… Une rue semi
milieux inhospitaliers. On ne trouve pas de Department Store couverte est dédiée à l’Ouest à la vaisselle Japonaise. On
à Akihabara mais quelques centres commerciaux consacrés à trouve un mélange de petits commerçants, ‘izakaya, de
l’univers du quartier. Akihabara n’est pas vraiment un quartier restaurants traditionnels mais aussi de grandes boutiques
nocturne et est plus vivant de manière diurne même si l’on franchisées que l’on retrouve dans tous les quartiers de Tokyo.
peut trouver facilement de quoi se restaurer ou boire un verre.
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : Asakusa possède
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : Akihabara est un caractère du Japon traditionnel assez marqué. Lorsque les
composés de blocs d’immeubles d’architecture extrudée boutiques sont fermées, les volets roulants sont peints de
recouverte d’enseignes et d’échelles uniformes d’une dizaine fresques d’Edo. L’architecture des pieds de bâtiments est
d’étages voire plus. Les rues sont plutôt larges et aérées et les plutôt opaque surtout pour les restaurants et imitent les
commerces se regroupent le long et dans les étages. Les façades des maisons traditionnelles en bois, avec les enseignes
enseignes sont ici particulièrement colorées et se réfère à la en tissu. On a un mélange hétérogène d’échelles, avec des
culture manga immeubles de quelques étages au plus loin du temple et des
petits immeubles voire des maisons au plus près du temple.
(3) Structure sociale : Akihabara s’adresse aux Otaku, aux
Les commerces se situent dans les ruelles, les âkedo, ou sur la
Geeks mais aussi à la catégorie des salary men ou des
moyenne artère semi-couverte. Les plus grandes artères et les
célibataires très friands de maid cafés ou de mangas.
bords de rivières sont pratiquement dépourvus de commerces.
On trouve relativement peu de commerces en étages.
L’activité commerciale s’estompe à partir de 22h et le secteur
de la restauration ferme plus tôt.
(3) Structure sociale :Asakusa présente un mélange éclectique
de populations, de tout âge et de toutes catégories sociales,
beaucoup de touristes et de familles.
58

Parmi les 6 quartiers étudiés, 3 sont à répartition mixtes et 3 Les quartiers les plus anciens Shibuya, Shinjuku et Asakusa
sont zonées hyperconsommations majoritairement. présentent des typologies commerciales traditionnelles, le
shotengai et le yokochô. Ginza pourtant le quartier développé
Les quartiers mixtes entre zones d’hyperconsommation et
le premier, marque sa rupture avec le Japon traditionnel dans
zones Glocales présente des caractères et des atmosphères
ses typologies commerciales et dans son architecture.
très différents, mais présentent tous trois une hétérogénéité
d’échelles du commerce, allant de la maison individuelle au Les quartiers tournés vers le luxe présentent beaucoup moins
grand immeuble de commerce. Les enseignes liées aux de divertissements primaires et d’empilement de commerces
commerces sont très présentes dans le cœur de Shibuya et en immeuble, ainsi que d’enseignes.
moins dans les autres quartiers. Les zones Glocales sont
Les department store et les centres commerciaux se
associés à des quartiers dont les classes sociales ne sont pas
développent majoritairement dans les stations les plus
seulement populaires et émergent à l’arrière des grandes
fréquentées, Shinjuku, Shibuya et dans les quartiers tournés
artères.
vers le luxe, Omotesando et Ginza.
Les quartiers majoritairement d’hyperconsommation ont une
Seules les stations les plus fréquentées présentent une vie
morphologie commune avec une échelle de plusieurs étages
nocturne très active et un quartier des plaisirs, et ont donc une
uniforme, un découpage du commerce en blocs eux plus ou
activité commerciale continue.
moins uniformes.
Figure 22: Pleins, vides, viaires et zones d'activités de 6 moyennes stations

Figure 9: Localisation des 6 moyennes stations et légende des zoningsFigure 10: Pleins, vides, viaires et zones d'activités de 6 moyennes
stations

59
Figure 23: Localisation des 6 moyennes stations et légende des zonings

Figure 11: Zoning de Daikanyama/Ebisu et KoenjiFigure 12: Localisation des 6 moyennes stations et légende des zonings

60
Figure24: Zoning de Daikanyama/Ebisu et Koenji
(1) Fonction et utilisation :A l’Ouest, Daikanyama est réputé (1) Fonction et utilisation :Koenji est un quartier de l’Ouest
pour être un quartier envahi de « boutiques et de cafés Tokyoïte réputé pour ses friperies, son ambiance festive et
sélectionnés avec un sens du signe finement réglé ». Il s’agit familiale. On y trouve des formes urbaines du commerce
d’un des quartiers alternatifs plébiscités par les magazines de traditionnelles comme des sortes de yokochô ou une grande
mode et de lifestyle. On y trouve un réseau de designers rue commerçante. Cette rue commerçante est 61
occidentaux et japonais, plus confidentiels que ceux exhibés à particulièrement vivante et relie la gare au temple dans sa
Ginza ou sur l’avenue Omotesando et légèrement plus partie couverte et continue encore pendant des centaines de
accessibles. On trouve aussi nombreux cafés, restaurants mètres. Elle regroupe un mélange éclectique de boutiques
raffinés, et quelques friperies. A l’Est , Ebisu est un centre situé vintages, restaurants variés, commerces traditionnels,
sur la Yamanote, de configuration classique mais hébergeant magasins franchisés classiques. De nombreuses Izakayas
des restaurants plus raffinés et des boutiques franchisées ou peuplent Koenji particulièrement sous et à côté des voies
non plus sélectives., et un nouveau yokochô. Ces deux ferrées, présentant quelques unes des rares terrasses de
quartiers ne sont pas réputés pour leurs vies nocturnes, même Tokyo. La vie nocturne y est un peu développée, et quelques
si leur proximité avec Shibuya leur permet d’héberger quelque échoppes restent ouvertes toute la nuit.
nightclub réputé dans l’élite Tokyoïte.
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : Koenji possède
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : L’échelle de une échelle hétérogène. Le quartier est découpé en ruelles
Daikanyama est résidentielle, et s’hétérogénéise dans les débordant de commerce qui s’infiltre dans tous les interstices.
petits immeubles de 3 étages au maximum. Pas d’enseignes, Les commerces ne montent pas à plus d’un étage sauf dans le
mais une architecture soignée, où une importance particulière cad des quelques immeubles de Karaoke, et ce même si
est accordée aux matériaux et à l’identité de la boutique. Les l’échelle globale est plutôt composée de petits immeubles. Les
commerces se développent dans un dédale de ruelles semi- façades liées aux friperies sont travaillées dans un style
piétonne. Les projets commerciaux sont plus végétalisés à contemporain avec une attention portée aux matériaux et
l’image du Daikanyama T-Site. Ebisu présente une échelle plus celles liées aux commerces de restauration sont dans un style
importante, mais relativement hétérogène. Il y a peu de plus traditionnel avec une certaine porosité. Les enseignes à
commerces en étages et peu d’enseignes. Une attention est néon sont présentes mais dans la mesure vu le peu
apportée aux façades en rez-de-chaussée avec un écho parfois d’empilement des commerces. Il y a beaucoup d’enseignes
traditionnel. traditionnelles en tissu ou lanternes.
(3) Structure sociale : Daikanyama et Ebisu s’adresse à un (3) Structure sociale : Koenji présente des classes sociales
public plus aisé. Daikanyama accueille beaucoup de classes hétérogènes en mélangeant les populations âgées, les familles,
sociales alternatives comme les créatifs, qui portent un soin quelques salary men, et de nombreux créatifs attirés par la
particulier à l’image qu’ils véhiculent et aux marques qu’ils paradoxale tranquillité et animation du quartier.
portent.
Figure25: zoning de Jiyugaoka et Shimo-Kitazawa

(1) Fonction et utilisation : Jiyūgaoka présente un dédale de


ruelles piétonnes ou semi piétonnes remplies de commerces,
franchisés autour de la gare et plus alternatifs en s’éloignant (1) Fonction et utilisation : Shimo-Kitazawa est un quartier
un peu. Au cœur du quartier, on trouve de nombreux réputé pour ses cafés, ses friperies, ses cinémas indépendants
62 divertissements primaires. On trouve beaucoup de cafés, de et ses bars à concerts alternatifs. On y trouve un noyau de
restaurants, de magasins de décoration, et quelques friperies. divertissements primaires liés à une activité nocturne présente
La vie nocturne y est peu développée. et de nombreux bars. La vie nocturne, grâce aux concerts
notamment est développée et une partie du quartier reste
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : L’échelle est commercialement attractif en continu. Le quartier contient
hétérogène alternant entre maisons et petits immeubles. Les aussi beaucoup de galeries. On trouve quelques boutiques et
commerces en revanche montent d’un ou deux étages dans la restaurants franchisés mais beaucoup sont indépendants. Il n’y
zone bleue autour de la station et restent essentiellement à a pas de boutiques franchisées à grande échelle à part un
rez-de-chaussée dans le reste du quartier. Les enseignes sont Uniqlo. Shimo-Kitazawa est un des rares quartiers à présenter
un peu présentes dans la zone bleue et la morphologie du quelques bars avec terrasses. Le quartier était plébiscité par les
commerce est très européenne dans la zone orange avec des américains après-guerre et cela transparait énormément dans
enseignes discrètes intégrées à la façade. Le quartier est les biens vendus. On trouve par ailleurs un grand nombre
d’ailleurs réputé pour son style européen. Cependant les d’articles de luxe occidentaux vintage attirant un public
façades des commerces sont plus colorées et travaillées et se connaisseur.
distinguent nettement du reste du bâti.
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : L’échelle de Shimo-
(3) Structure sociale : Jiyūgaoka est un quartier très peu Kitazawa est relativement hétérogène allant de la maison
touristique, et fréquenté par de nombreuses familles surtout individuelle au petit immeuble en R+4. On peut trouver des
le week-end. On y trouve aussi un mélange éclectique de salary commerces à tous les niveaux depuis le sous-sol jusqu’au R+4.
men, de classes sociales populaires , de personnes âgées et de Les enseignes à néon sont très présentes mais les façades sont
milieux alternatifs comme les créatifs. peu couvertes. Shimo-Kitazawa présente une grande porosité
des façades en rez-de-chaussée avec un débord des
marchandises sur la rue ce qui donne une atmosphère vivante
et colorée au quartier.
(3) Structure sociale : Shimo-Kitazawa est particulièrement
plébiscité par les créatifs mais reste populaire chez tous les
japonais, pour son atmosphère liée à l’occupation américaine.
Figure26: Zoning de Yanaka et Akabane
quartier est populaire auprès de tous les japonais qui viennent
particulièrement pour se fournir en items traditionnels.
(1) Fonction et utilisation : Yanaka est le quartier le plus
préservé de Tokyo avec le plus de maisons traditionnelles (1) Fonction et utilisation : Akabane est un quartier du nord de
conservées. On y trouve de nombreuses machiya, les Tokyo. Il présente une structure commerciale relativement
63
anciennes maisons des commerçants avec l’échoppe côté rue traditionnelle avec un âkedo et un petit yokochô. On retrouve
et la maison derrière. Le shotengai de Yanaka Ginza est très le schéma classique des moyens centres dans la zone bleue,
populaire, et présente un éventail de magasins traditionnels, avec des centres commerciaux, des divertissements primaires.
de kimono, de thé, de vaisselle, de street food et brocantes. On trouve une galerie commerciale sous les rails de train,
On trouve quelques cafés au charme désuet mais aussi éclairée par une verrière. Les magasins y sont franchisés mais
quelques cafés importés par une communauté de jeunes peu modernes. Dans la zone orange, on trouve un panel de
créatifs et réputés dans de nombreux magazines. Ceux-ci ont restaurants, izakayas, et petites boutiques à propriété privée,
développé de nombreuses échoppes liées à l’artisanat, ce qui et d’aspects plutôt traditionnels. Le thème des boutiques est
conforte un secteur déjà présent dans le quartier. La vie pressenti être moins tourné vers la jeunesse. La vie nocturne y
nocturne n’est pas du tout développée et les quelques est peu développée, dans la limité d’ouverture des izakayas, et
restaurants qui peuplent le quartier sont calés sur les horaires des quelques karaoke et pachinko qui peuplent le quartier.
japonais des petites villes et villages où les gens dînent très tôt.
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : L’échelle est
Il n’y a donc plus aucune activité après 19/20h en été et encore
hétérogène. Elle est plus importante en zone orange et à
plus tôt en hiver.
échelle plus résidentielle en zone orange. En zone orange, les
(2) Caractéristiques physiques et visuelles : Les typologies sont typologies commerciales sont de types traditionnels, avec une
traditionnelles, et les commerces sont insérés dans l’échelle architecture traditionnelle bois, des enseignes lanternes et
résidentielles, et souvent dans des maisons traditionnelles. Les tissu, et des ruelles étroites. Dans la zone bleue, on retrouve
rues sont étroites et peu accessibles en voiture ce qui en fait des enseignes néon et sur les façades et une échelle
un paradis pour les piétons. Ici, pas de commerces en étage et d’immeubles de quelques étages où seuls les divertissements
pas d’enseignes à part les quelques enseignes traditionnelles vont s’empiler mais pas les commerces en général. Les façades
en tissu ou lanternes. Les boutiques sont complètement sont peu travaillées en zone bleues sauf dans le cas de
ouvertes sur la rue dans la tradition des machiya. En quelques restaurants franchisés ayant une identité japonaise
contrepartie, hors des moments d’ouverture, les façades sont forte s’exprimant dans leur décoration.
complètement fermées et l’activité déserte complètement le
(3) Structure sociale : Le quartier est surtout peuplé de
quartier.
personnes âgées étant plus tournées vers le traditionnel mais
(3) Structure sociale : La population de Yanaka est relativement le centre moderne est aussi tourné vers les salary men ou les
âgée et a été récemment renforcée par une communauté de classes populaires.
créatifs s’étant établi avec respect dans le voisinage. Le
64

Parmi les 6 quartiers étudiés, 3 sont majoritairement Glocales cas pour Yanaka dont le tissu urbain est trop impacté par sa
alors que 3 sont à répartition équilibrée. forme traditionnelle.

On observe que par rapport au Sakariba, le tissu urbain est Dans le cas de Daikanyama, Koenji, Yanaka, la répartition du
beaucoup plus fragmenté ce qui a automatiquement une commerce est plutôt axiale ce qui change de l’implantation
conséquence sur l’échelle du bâti. concentrique classique que l’on peut lire dans les autres
quartiers.
Dans les quartiers répartis équitablement entre zones glocal et
d’hyperconsommation on observe une structure assez Si on trouve quelques supermarchés, galeries commerciales,
similaire. En effet, dans les trois cas, les zones sont ou petits centres commerciaux, en revanche il n’y a pas de
distinctement séparées et il n’y pas de limites floues entre les department store. Le department store à un ancrage fort à la
deux. Le passage d’une zone à une autre se caractérise station importante.
automatiquement par un changement d’échelle et par une
suppression de l’empilement des commerces. Ils présentent Globalement, le tissu urbain plus fractionné laisse davantage
tous des divertissements primaires. de place aux formes traditionnelles du yokochô ou de la rue
commerçante piétonne, couverte ou non, et permet d’être à
Paradoxalement, dans les quartiers majoritairement glocal une échelle plus réduite qui laisse moins de place au
comme Koenji et Shimo-Kitazawa, on retrouve un empilement débordement d’enseignes.
de commerces sur un ou deux étages et une échelle
complètement hétérogène. Les divertissements primaires y
sont d’ailleurs relativement bien implantés. Ceci n’est pas le
Conclusion de l’analyse: caractère du quartier, étant beaucoup moins présents dans les
quartiers liés au luxe ou aux créatifs, ou sous une forme plus
La cartographie et la description des 12 quartiers de Tokyo a traditionnelle dans les quartiers eux-mêmes plus traditionnels.
révélé la diversité d’espaces urbains du commerce et des
interactions sociales dans Tokyo. L’analyse montre la qualité Dans les plus petits quartiers, on retrouve un microcosme
urbaine qu’engendre la diversité d’échelles à Tokyo : le flottant de petits commerces autour de la station réunissant
rassemblement de zones différentes, autour du cœur du toutes les fonctions commerciales nécessaires ou
quartier, la station, et réunies ensemble par un réseau de caractéristiques de Tokyo, permettant un accès à la globalité
chemins piétons ou peu accessibles aux voitures, et par la des commerces pour tous.
continuité du commerce jusqu’au zones résidentielles, créé un
La diversité d’échelles et d’ambiances maintenue par la
centre urbain remarquable de diversité et de dynamisme. diversité de petits commerces, commerces franchisés et grands
Toutes les zones sont séparées par 10 minutes de marche tout magasins est importante pour la qualité urbaine de Tokyo.
comme l’éloignement de la station, rendant le centre « Cette diversité d’espaces urbains et d’échelles sur une petite
accessible à tous. Cependant, la fonctionnalité des nœuds de la superficie illustre la notion d’un urbanisme à haute résolution
ville de Tokyo et la cohérence globale n’est pas le résultat d’un dans lequel même des quartiers compacts affichent un mélange
masterplan planifié et conscient, mais plutôt d’un complexe d’environnements et d’expériences urbaines en
développement fragmentaire de petits éléments ajustés pour se quelques minutes de marche »2.
tricoter les uns avec les autres à mesure qu’ils se forment. La
diversité d’échelles, renforcée ou initiée par l’insertion du La répartition entre commerces à grande échelle, souvent
commerce permet la diversité d’ambiances urbaines dans la franchisés et les petits commerces détenus de manière privée,
ville et de rompre la monotonie. est plus visible dans les quartiers ayant une répartition
équilibrée dans le zoning. Cependant, elle n’en est pas moins
Le commerce semble avoir son propre code d’implantation qui 65
existante dans des quartiers d’hyperconsommation avérée
influe profondément sur le paysage urbain. Dans les plus
comme Shinjuku où les petits commerces sont plus présents
grosses stations, on observe une débauche d’enseignes et de
lorsqu’on monte dans les étages.
signes lumineux, un empilement de commerces et une échelle
importante près des gares. Plus on montera dans les étages Les petits commerces garantissent d’une certaine manière les
plus les petits commerces remplaceront les commerces interactions sociales. Pourtant on trouve de plus en plus de
franchisés. commerces franchisés qui se répandent partout dans Tokyo peu
importe la station et même dans des zones majoritairement à
Dans les stations moyennes et même parfois dans les grosses petits commerces. "Aujourd'hui, la plupart des espaces
stations, les petits commerces s’insèrent dans la zone floue commerciaux sont anonymes. La climatisation leur permet d'être
entre le cercle du commerce autour de la gare et la zone partout ; le développement énorme des chaînes de magasins et
résidentielle. Certaines stations sont même majoritairement des Konbini le souligne. Ces lieux sont pour la plupart occupés
par des travailleurs à temps partiel, pour lesquels la transaction
composées de petits commerces depuis la gare. Ceux-ci commerciale en tant que forme de communication significative
s’empilent sur maximum deux étages et les enseignes sont est sans importance. En général, aucun lien significatif n'est
beaucoup moins présentes. établi entre le client et le magasin ou son personnel. Dans les
espaces génériques de consommation de masse, la valeur de la
Au niveau de chaque quartier, on retrouve un échantillon de connexion entre l'hôte qui sert et le client qui reçoit est perdue.
toutes les fonctions commerciales, restauration, divertissement, Ici, aucune relation personnelle ne naît de la vente des
boutiques, services à un degré plus ou moins élevé suivant
marchandises ou de la fabrication des produits."3La
l’influence des différentes sous-cultures et donc groupes de
consommateurs. concurrence entre les différentes échelles commerciales est
alors souvent en faveur des grandes chaines et des grandes
La stratégie de publicité s’adapte aussi suivant l’esprit du échelles.
quartier, s’il est créatif avec des bâtiments réalisés par des
architectes connus ou s’il est traditionnel, les enseignes et 2. Le déclin des petits commerces
publicités s’effaceront pour laisser parler la diversité visuelle
qu’engendre le commerce. Cependant, dans les quartiers Si la diversité d’échelles commerciales à Tokyo est une de ses
d’échelle importante où l’architecture est générique, les qualités principales, une échelle pourrait possiblement
publicités et enseignes commerciales se poseront en bardage.
Les enseignes, sont donc plus ou moins présentes selon le

2 DARKO RADOVIC & DAVISI BOONTHARM, Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2013
3 NIKLAS FANELSA, Signboard Machiya dans Tokyo Totem: a guide to Tokyo, Flick studio, 2015
disparaitre. Les petits commerces peuvent ils être considérés quartiers de Tokyo. A cela on peut ajouter « la conséquence
comme en déclin ? croisée du non- renouvellement des propriétaires suite au
vieillissement de la population, de la chute de la fréquentation
L’animé Food Wars adapté du manga éponyme fait état de consécutive au déclin démographique […], et de la
plusieurs conduites récurrentes liées aux petits commerces. Le rationalisation du réseau ferroviaire des compagnies privées
manga raconte l’histoire d’un jeune chef qui quitte son qui ferment un certain nombre de gares en zone péri-urbaine
quartier de Tokyo où le restaurant familial est installé dans un en conséquence du nombre d’usagers. » 5
shotengai pour rentrer dans une école de cuisine prestigieuse.
Dans le premier épisode de la saison 1, avant que le jeune Les petits commerces qui ne peuvent être transmis à la
homme ne parte dans son école, un promoteur recourt à tous descendance sont souvent rachetés pour être remplacés par
les stratagèmes d’intimidation jusqu’à saccager la réserve de des immeubles ou des commerces franchisés.
nourriture pour faire vendre le restaurant, afin de construire
sur la petite parcelle un grand immeuble de logements. La Cependant, les commerces implantés dans les petits ou grands
complexité de la propriété foncière rend les petits commerces, immeubles que ce soit seulement au pied ou à tous les étages
implantés dans le tissu urbain ancien, très convoités pour la semblent avoir une meilleure pérennité. Les petits commerces
surface qu’ils pourraient libérés. déployés dans les étages n’ont pour menace que le manque de
clientèle auquel ils pallient par un débordement d’enseignes et
La recherche de rentabilité a pour impact collatéral la de publicités, ou par le-bouche-à-oreille de connaisseurs. Les
disparition de certains commerces de typologies petits commerces déployés en rez-de-chaussée sont garantis
traditionnelles, en particulier dans les anciennes rues par les logements et les bureaux qui le surplombent.
commerçantes, les Shotengai, supplantés par les commerces
Seuls les petits commerces implantés dans le tissu urbain ancien,
66 rutilants se trouvant dans les immeubles de gare. « Parfois
plutôt traditionnels et donc moins usités par la jeunesse, sans
enserrés dans un tissu urbain dense, les shôtengai sont reconversion morphologique récente semblent très menacés.
confrontés à un double enjeu : la concurrence montante des
shopping-malls, […] et des grands centres commerciaux Néanmoins, dans les quartiers les plus populaires, le commerce
construits à proximité des gares d’une part ; le déclin urbain semble être ancré d’une manière différente. Le tourisme semble
[…] de certains quartiers d’autre part »4 même garantir des formes urbaines du commerce
traditionnelles. Devant le succès des yokochô et des shotengai
Les épisodes 17 et 18 de Food Wars font d’ailleurs état de cette très visités et appréciés des touristes, les autorités en viennent à
concurrence entre les galeries commerçantes des gares et le protéger ces lieux pourtant considérés comme désuets, alors
shotengai du quartier. Le jeune héros revient pendant les qu’il y a une dizaine d’années encore, ceux-ci étaient détruits
régulièrement.
vacances et découvre que la rue commerçante autrefois si
animé est complètement désertée au profit de nouveaux « L’absence de commerces est souvent perçue comme
commerces neufs franchisés ayant émergés dans la gare. Pour pénalisante et peut contribuer à renforcer les déséquilibres
pallier ce désagrément, le jeune homme décide de mettre à démographiques existants. Cette dimension de convivialité,
l’œuvre toute la communauté du shotengai et de travailler matérialisation du lien sociale, est essentielle. »6
ensemble au renouveau de la rue en proposant des produits
nouveaux et complémentaires. Par la force de la cohésion, ils y
parviennent et le shotengai reprend vie. 3. Un commerce pourtant démocratique
Ainsi, les petits commerces, principalement ceux implantés La répartition du commerce, profondément liée au
dans un tissu urbain ancien, sont en danger de plusieurs polycentrisme véhicule une certaine idée démocratique. La
manières : par la menace des promoteurs qui convoitent la répartition des réseaux de trains est très efficace à Tokyo et
terre et par la concurrence avec les galeries commerçantes des créé un chapelet de centres fonctionnant dans un schéma
gares. Mais ce déclin est visible en premier dans les plus petits commun, où une ceinture de commerces vient entourer la

4 RAPHAEL LANGUILLON, Shôtengai, dans Vocabulaire de la spatialité japonaise sous la direction de PHILIPPE BONIN et NISHIDA
MASATSUGU, 2013, CNRS éditions, p454
5 Id
6 PHILIPPE DUGOT, Commerce et urbanisme commercial dans la fabrique de la ville durable, 2019
gare. Hors l’éloignement des stations les unes des autres reste commerces, les goûts et l’exiguïté de certains locaux étant les
en général au maximum de 1 km soit 10-15 min de marche. Les seuls freins possibles.
zones commerciales, sont donc accessibles à tous en marchant
Lorsque les quartiers sont visités par classe sociale comme ce
depuis les zones résidentielles en une durée plus que
fut le cas durant la période Edo, les habitants« sont beaucoup
raisonnable. La répartition du commerce suivant les nœuds
moins susceptibles de rencontrer les autres, moins
des multiples centres de Tokyo est une répartition
susceptibles de comprendre les besoins et les désirs des autres
démocratique dans la mesure où elle est accessible à tous,
et moins susceptibles de se sentir membres d'un public
d’autant plus que les espaces commerciaux sont un terrain
commun. Cela n'est pas seulement important pour ceux qui
propice aux interactions sociales.
pensent que la communauté est un bien en soi. Elle est
« Le point général est que certains types d'espace encouragent également importante en raison du sentiment de
les rencontres et d'autres non. Par exemple, on soutient que la communauté, de " nous ", qui est nécessaire au
proximité favorise l'interaction et le développement de la fonctionnement de la politique démocratique. Il est moins
communauté […].Les cafés, bars, boutiques, bibliothèques et probable que l'on prenne au sérieux les revendications d'un
autres commodités du quartier contribuent tous à un autre lorsqu'elles sont exprimées dans le domaine public si l'on
sentiment d'appartenance et de rencontre, dit-on.»7 ne considère pas l'" autre " comme une personne à laquelle on
est lié par des liens d'identité ou d'intérêt commun. »10
Le commerce, implanté localement, augmente la qualité de vie
en permettant de satisfaire les besoins quotidiens en Ainsi, pour qu’un sentiment démocratique se dégage, la
marchant, et il renforce l'esprit communautaire à l'échelle du diversité semble être la clé : diversité des interactions sociales,
diversité d’échelles, diversité d’ambiances, diversité de
district, car il permet aux gens de se rencontrer, en dehors de fonctions, diversité d’espaces et diversité de chemins pour s’y
la maison ou du travail. Mais le commerce rassemble aussi des rendre. Le commerce porte toutes ses diversités en lui, en plus
lieux où les gens peuvent se réunir pour parler, s'amuser ou de promouvoir une équité dans la répartition géographique 67
simplement profiter de la vie, comme des restaurants, des bars pour un accès pour tous et en cela, le commerce peut être
et des cafés, afin de créer un attachement au voisinage, considéré comme vecteur de démocratie.
comme le préconise la théorie de Ray Oldenburg sur les
Dans la compacité de Tokyo, le commerce semble promouvoir
troisièmes lieux. aussi l’urbanité. Si de nombreux auteurs se sont évertués à
« Un quartier n’est pas seulement une réunion d’immeubles, montrer que les Sakariba, les grands magasins ou les gares
étaient vecteurs d’urbanité, il parait envisageable, par la
c’est un tissu de relations sociales, un milieu où s’épanouissent
diversité qu’elle incarne, et la propension à faciliter toute forme
des sentiments et des sympathies. »8 d’interactions, que la fonction commerciale permet aussi
La diversité d’échelles est une des qualités urbaines les plus l’émergence de l’urbanité.
remarquables de Tokyo. L’échelle des petits commerces semble
être la plus à même de favoriser les interactions sociales et en
cela de voir se développer des third places.« La petitesse
urbaine, souvent considérée dans des termes négatifs comme un
manque d’espace, peut être vue dans une lumière positive
comme un support pour des interactions sociales spécifiques et
informelles, diversité et créativité. »9
Cependant, si les commerces à grande échelle comme les
department store ne peuvent être considérés comme des third
places, on peut réfléchir à leurs implications en tant qu’espace
public promouvant des valeurs démocratiques.
Si certains quartiers sont plus adaptés à certains groupes de
consommateurs, on retrouve cependant un échantillon de toutes
les fonctions commerciales dans chacun pour le plus grand
nombre. Toutes les classes sociales sont bienvenues dans les

7 JOHN R. PARKINSON, Democracy and Public space: the physical sites of democratic performance
8 JANE JACOBS, Déclin et survie des grandes villes américaines, Ed. Parenthèses, 2012, page 65.
9 DARKO RADOVIC & DAVISI BOONTHARM, Small Tokyo, Measuring the non-measurable 01, 2013
10 JOHN R. PARKINSON, Democracy and Public space: the physical sites of democratic performance
La ville s’est formée par le transport et le commerce,
le commerce renforçant les nœuds formés par le
couplage de la gare et du grand magasin, pour
créer une véritable zone d’activité, qui engendra le
polycentrisme. Le paroxysme de ces lieux est la
Sakariba, qui dans son animation voit cohabiter
toutes les strates de la société et une diversité
d’échelles. Il réunit à la fois, la propension à
consommer des Japonais avec leur goût du
divertissement, tout en favorisant les interactions.
68
Le polycentrisme permet une répartition
démocratique de la fonction commerciale, par
l’égale distribution dans le territoire de ses fonctions
qui permet l’accès pour tous. Dans le même temps, on
constate que le commerce incarne la diversité, par la
mixité d’échelles qui le définit, mais aussi par la
mixité sociale qu’il engendre. Il est habité par une
diversité de fonctions, une diversité de formes, une
diversité d’usages, une diversité d’interactions qui
participe à l’émergence et au maintien de l’urbanité
dans Tokyo.
« Tokyo est un intéressant mélange de contradictions, un patchwork de différents
styles et types de bâtiments dispersés dans un réseau de petits quartiers sans noms
de rues, encadrés par des rues plus grandes et des infrastructures de différentes
époques. Chaque parcelle de terrain minuscule et chaque espace urbain à petite
échelle sont utilisés pour construire des structures imaginatives et créatives. En
particulier le long des rues étroites, sous les voies ferrées et dans les petits vides
urbains, on trouve des bâtiments uniques et innovants. »1
Le commerce par sa malléabilité d’implantation, ses différentes échelles, ses différentes
typologies qui engendrent différents types d’interactions sociales, caractérise bien la
diversité prégnante à Tokyo. La diversité incarnée par le commerce participé à la fois à
« Tokyo est la un démocratie
intéressant mais mélange Mais des
aussi àdel’urbanité « dans la société
quartiers. Japonaise, qui
Le commerce l’espace
a une public
influence
contradictions, un patchwork
profondedesurdifférents et quartiers lui permet aussi de se forger une identitédes
styles des
le tissu urbain s’organise davantage autour de la conjugaison forte.
types de bâtiments dispersés dans un réseau de rythmes et des usages
En cela, le commerce entretient une relation durable avec l’espace dans un même lieu que par ses
public, en tant qu’espace
petits quartiers sans noms de rues,
accessible encadrés
à tous, des aménagements
par influence
et a une matériels.
sur les atmosphères qui »s’enEndégagent.
3 cela, l’espace public
rues plus grandes et des infrastructures de semble s’organiser autour des ambiances urbaines
différentes époques. Pour ChaqueTezuka Takaharu
parcelle de dans qui Tokyo,
Usages
terrain caractérisent
le Japon les ne
différents
possèdequartiers. « L’espace
pas la notion d’espace
public telle
minuscule et chaque espace urbainqu’on la conçoit
à petite en Europe. « Le concept de « public » a comme base le sa
échelle public, c’est la ville à hauteur d’œil, où l’on prend privé.
sont utilisés pour Lesconstruire
espaces doivent structures àmesure,
des appartenir quelqu’un,celledonc desaucun
gens,espace des pratiques
n’est purement et despublic.
SeuleEnla particulier
imaginatives et créatives. notion de partage
le long peut différentsl’idée
des approcher usages. »4 forme d’espace public. »2 En effet,
d’une
rues étroites, sous les on
voiesperçoit à Tokyo
ferrées et dans unles
déficit
petitsd’espaces
Le
publics extérieurs en dehors du microcosme de la
Dictionnaire la villeprivé.
et l’urbain définit la notion
vides urbains, on trouverue quedes labâtiments
commerceuniquestend à etpallier, par l’investissement
d’ambiance urbaine comme suit : « On pourrait la
innovants. »1 définir comme l’ensemble des davantage
je-ne-sais-quoi et des
Mais « dans la société Japonaise, l’espace public s’organise autour de la
conjugaison des rythmes
Le commerce par sa malléabilité d’implantation, ses et des presque
usages rien
dans qui
un font
même que
lieu les
que uns ou
par les
ses autres vont
aménagements
matériels.
différentes échelles, ses »3 En cela,
différentes l’espace
typologies associer
quipublic sembleà s’organiser
telle ou telleautour
ville oudesàambiances
un quartier,urbaines
vécu à qui
engendrent différentscaractérisent les différents
types d’interactions tel «moment
quartiers.
sociales, L’espace du public,
jour ouc’est
de l’année,
la ville àdes sensations
hauteur d’œil, de
où l’on
prend sa
caractérise bien la diversité mesure, celle
prégnante des gens,
à Tokyo. Le desconfort, d’agrément,
pratiques de liberté,
et des différents de jouissance,
usages. »4 de
commerce qui a une influence profonde sur le tissu mouvement, ou de malaise, d’inconfort, de sécurité,
Le Dictionnaire la ville et l’urbain définit la notion d’ambiance urbaine comme suit : « On
urbain des quartiers lui permet de se forger une d’ennui… »5
pourrait la définir comme l’ensemble des je-ne-sais-quoi et des presque rien qui font que
identité forte. En cela, le commerce entretient une Il paraît donc nécessaire de comprendre comment
les uns ou les autres vont associer à telle ou telle ville ou à un quartier, vécu à tel moment
relation durable avec l’espace public, en tant l’espace commercial, au travers de ses ambiances, se
du jour ou de l’année, des sensations de confort, d’agrément, de liberté, de jouissance, de
qu’espace accessible à tous, et a une influence sur les connecte à son environnement
mouvement, ou de malaise, d’inconfort, de sécurité, d’ennui… »5 proche. Aborder la
atmosphères qui s’en dégagent. thématique des ambiances urbaines, c’est mettre en
Il paraît donc nécessaire de comprendre comment l’espace commercial, au travers de ses
Pour Tezuka Takaharu dans Usages Tokyo, le Japon relation les structures spatiales concrètes, l’objectif,
ambiances, se connecte à son environnement proche. Aborder la thématique des ambiances
ne possède pas la notion d’espace public telle qu’on avec les contenus sociaux, culturels et sensibles qui
urbaines, c’est mettre en relationhabitent les structures
la ville,spatiales concrètes,
le subjectif. Maisl’objectif, avec les
c’est aussi
la conçoit en Europe. « Le concept de « public » a
contenus sociaux, culturels et sensibles qui habitent la ville, le subjectif. Mais c’est aussi
comme base le privé. Les espaces doivent appartenir comprendre l’appropriation d’une portion d’espace
comprendre l’appropriation d’une portion d’espace par un groupe humain, et le sentiment
à quelqu’un, donc aucun espace n’est purement par un groupe humain, et le sentiment
d’appartenance à un style, la relation à un espace en tant que lieu de vie. On sort alors
public. Seule la notion de partage peut approcher d’appartenance à un style, la relation à un espace
de la dichotomie maison travail pour vivre dans la sphère publique, et y pérenniser des
l’idée d’une forme d’espace public. »2 En effet, on en tant que lieu de vie. On sort alors de la dichotomie
interactions sociales.
perçoit à Tokyo un déficit d’espaces publics maison travail pour vivre dans la sphère publique, et
extérieurs en dehors du microcosme de la rue que la y pérenniser des interactions sociales.
commerce tend à pallier.

1 ATELIER BOW WOW, Pet architectures Guide Book, Tokyo: World Photo Press, 2002
2 TEZUKA TAKAHARU dans Usages Tokyo : Analyse Subjective et factuelle des usages de l’espace public, Archibooks IN-EX project,2012
3 TSUKAMOTO YOSHIHARU dans Usages Tokyo : Analyse Subjective et factuelle des usages de l’espace public, Archibooks IN-EX project,2012
4 D.TROTTIN, J-C. MASSON et F. TALLON dans Usages Tokyo : Analyse Subjective et factuelle des usages de l’espace public, Archibooks IN-EX

project,2012
5 D.PUMAIN, T. PAQUOT, R.KLEINSHMAGER, Dictionnaire - La ville et l'urbain, Economica, 2006
A. Le commerce comme créateur
d’ambiances urbaines
1. Shibuya, un éclectisme visuel
Afin de comprendre l’influence du commerce sur les
ambiances urbaines, j’ai choisi d’étudier six rues différentes de
Shibuya, un quartier équilibré entre zones
d’hyperconsommation, zones glocales et zones de plaisirs.
Shibuya est un des quartiers les plus populaires de Tokyo, une
des stations les plus fréquentées mais présente un mélange
d’échelles et de fonctions commerciales qui font de ce quartier
un parfait exemple de la quasi- totalité des formes urbaines et
typologies commerciales que l’on peut trouver à Tokyo.

L’étude se portera sur des rues englobées dans un cercle de


diamètre de 200m circonscrites dans les trois zones définies au
chapitre 3 dans l’analyse de 12 quartiers de Tokyo. Deux sont
70 localisées en zones d’hyperconsommation, trois sont
localisées en zones de consommation glocale et une est
localisée en zone des plaisirs.

Pour chacune des rues, il s’agira d’identifier en premier lieu les


fonctions commerciales, et la quantité de commerces par bâti.
Par la suite, nous définirons la temporalité de ces commerces
à trois moments de la journée, le matin à 9h avant l’ouverture
officielle des commerces, en plein cœur de la journée à 14h30
et le soir à 20h lorsque les commerces de biens ferment en
général et où la prépondérance commerciale bascule vers le
secteur de la restauration. L’étude de la temporalité est
renforcée par des photographies des rues à ces mêmes
moments.

On ne peut étudier les ambiances urbaines sans étudier les


façades commerciales qui ont une influence profonde sur le
paysage urbain. Pour André RAVEREAU, la façade : «C’est
l’espace privé qui, dans bien des cas, façonne l’espace public
». Sur le plan du droit, la façade est un espace privé alors que
sur le plan et spatial, elle est l’interface entre l’espace public et
l’espace privé. La façade constitue donc un trait d’union entre
les espaces de droit public et les espaces de droit privé, et
entre la vie privée et la vie publique.

La réalisation de coupes perspectives urbaines sur les rues,


permet de comprendre l’influence du commerce sur la
morphologie de la rue par l’identification des commerces en
façades. Les différents dispositifs urbains mis en œuvre à la
limite entre commerce et rue sont constatés. L’étude des
Figure 1: Plan de localisation des rues étudiées

71

différentes strates commerciales permet de comprendre caractères différents suivant la zone d’appartenance ainsi que
l’activité potentielle. par leurs temporalités.

Des photographies des façades de commerces permettent de Le but de cette étude est d’identifier les éléments qui
comprendre leur impact visuel sur la rue en termes de participent aux ambiances urbaines des quartiers de Tokyo.
couleurs, de matériaux, de lumières et de type d’architecture.
Les façades commerciales s’émancipent aussi par leurs
Figure 2: Analyse des rues A, B,C,D,E,F

72
Niveau sonore : Bruyant, principalement à cause du
flux de voitures mais aussi de la musique qui
s’échappe des commerces.

ZONE D’HYPERCONSOMMATION ZONÉE BLEUE DANS ZONING DU III


73

Niveau sonore : Très bruyant, différentes musiques


s’échappent des magasins, le son est élevé et la foule
piétonne participe au bruit ambient.
74
Niveau sonore : Bruyant le soir car discothèques et
bars, mais très calme la journée.

ZONE DES PLAISIRS ZONÉE ROSE DANS ZONING DU III

ZONE GLOCALE ZONÉE ORANGE DANS ZONING DU III 75

Niveau sonore : Rue calme à toutes heures


76
Niveau sonore : Rue calme à toutes heures

ZONE GLOCALE ZONÉE ORANGE DANS ZONING DU III


77

Niveau sonore : Rue calme à toutes heures


78

Figure 3: Photos de façades à différents moments de la journée, dans les différentes zones
79
Rues dans la zone d’hyperconsommation : Rues dans la zone de consommation glocale :
Deux types d’échelles sont ici étudiés pour ce type de zone Trois rues sont ici étudiées : Shinsen qui présente une majorité
commerciale : celui lié à un grand axe de circulation, et celui lié de fonctions liées à la restauration, Jinnan qui présente une
à une rue piétonne. Les bâtiments sur l’axe principal de majorité de boutiques et Udagawacho qui présente un
bunkamura sont plus importants par leurs tailles. équilibre entre les deux. Les trois rues présentent le point
commun d’héberger un seul commerce par bâtiment. La
Dans les deux cas, on observe une stratification commerciale, temporalité est différente selon la fonction commerciale
avec des établissements empilés sur 5 étages au moins, et majoritaire qui se dégage.
présentant donc chacun une mixité commerciale. Dans les
deux cas, les bâtiments abritant une seule fonction hébergent En effet dans le cas de Shinsen où le secteur de la restauration
des commerces franchisés, pouvant se permettre d’investir est prédominant, le seul commerce ouvert à 9h est le Konbini.
tout l’immeuble, que ce soit des grandes marques de La plupart des commerces sont ouverts en milieu de journée
vêtements ou de divertissements comme une marque de sauf les izakayas qui n’ouvrent que le soir. L’activité est aussi
karaoke. importante le soir que l’après-midi. Dans le cas de Jinnan en
revanche, où la majorité des commerces sont des boutiques
Les façades sont identifiées comme commerçantes sur toute de vêtements, la rue est active seulement entre 11h et 20h,
la hauteur du bâti par la présence d’enseignes. Les fenêtres avec quelques boutiques fermant leurs portes à 21h.
sont souvent bouchées. L’animation déserte le quartier le soir. En revanche, pour
La porosité commerciale entre intérieur et extérieur au dessus Udagawacho, il y a toujours un commerce ouvert à cause de la
du rez-de-chaussée est faible, le seul indicateur étant les diversité des fonctions avec des temporalités différentes pour
80 enseignes peuplant la façade. chacun.

La limite rue commerce est nette, le commerce se restreint à Les limites entre commerces et rues sont bien plus floues que
l’intérieur du bâti sans débord sur la rue autre que le débord dans les zones d’hyperconsommation. Les mises en place de
sonore. En effet, le niveau sonore, particulièrement dans la rue dispositifs urbains comme les cours anglaises, les terrasses ou
piétonne est élevé à cause de la musique qui s’échappe des les loggias sont courants dans les 3 rues. On observe aussi un
différents établissements. En rez-de-chaussée cependant, la débord de l’activité sur la rue, avec la présence de bancs, de
porosité est élevée, les façades sont soit vitrées soit plantes, de pancartes ou encore l’apparition de terrasses
totalement ouvertes sur la débauche de marchandises habitées par des tables, des parasols et des consommateurs ce
intérieure, pour promouvoir l’activité commerciale. qui est rare à Tokyo. La transition entre le commerce et la rue
est progressive grâce à ces dispositifs.
La temporalité de ces rues est grande, on trouve des
commerces ouverts à toute heure, avec une prédominance à Les façades de ces trois rues sont caractéristiques des zones
partir de la première plage d’ouverture officielle des magasins glocales. On retrouve quelques façades de même caractère
à Tokyo à 10h. La diversité de fonctions commerciales renforce que celles des zones d’hyperconsommation pour les rares
l’activité permanente de ces zones. Beaucoup de commerces boutiques franchisées. En revanche, en ce qui concerne les
autres que ceux du secteur de la restauration sont ouverts petits commerces une attention particulière est accordée à la
après la fermeture traditionnelle de 20h. Les façades sont façade par les matériaux, et l’architecture qui se dégage
morphologiquement actives, il y a une différence notable entre clairement du reste de la façade, en saillie du bâtiment. Les
le commerce fermé ou ouvert, avec beaucoup d’éclairage à la façades sont plus créatives, avec l’intervention d’artistes ou
tombée de la nuit. Les façades sont caractéristiques de d’enseignes plus originales. L’originalité est prégnante, de
commerces franchisés, avec un schéma récurrent en rez-de- sorte que l’identité du commerce soit forte et qu’aucun ne
chaussée de l’enseigne rectangulaire posée au dessus des ressemble à l’autre.
vitrines, encadrées par un portique où seules les couleurs La porosité entre intérieur et extérieur est variable, certains
diffèrent et une uniformité de matériaux pour tous les commerces ont des parties vitrées ou s’ouvrent partiellement
commerces. L’identité de marque est peu présente à part dans sur la rue, mais beaucoup préservent leurs atmosphères
l’enseigne, et les façades ont peu de caractère. intérieures en opacifiant les façades.
Rue dans la zone des plaisirs : 2. L’importance des Kanban - enseignes
Une des rues principales du quartier des plaisirs est étudiée ici. Les Kanban ou enseignes sont les signes traditionnels des
Elle est composée en majorité de clubs et bars, de quelques commerces qui peuplent les rues de Tokyo. La quantité
restaurants et de love hotels. Les love hotels sont ouverts en d’enseignes et leurs natures ont un lien fort avec l’atmosphère
continu mais la porosité entre intérieur et extérieur est faible qui se dégage des quartiers, ainsi qu’avec l’échelle et la zone
ce qui fait que cela n’a pas d’influence sur la rue. Les clubs, les de consommation qui y est liée. Ils participent aux ambiances
restaurants et les bars de cette rue s’animent le soir, pour urbaines qui se dégagent à Tokyo.
certains biens après 20h. Si la rue est peu animée la journée, le
Mais les kanban ne sont pas nés avec l’avènement du néon : ils
soir elle change de physionomie grâce aux éclairages, mais
sont ancrés profondément dans la culture Japonaise depuis
surtout grâce aux consommateurs qui affluent et aux queues
des siècles. La première apparition officielle du Kanban
qui se forment.
remonte à 833 dans un texte de loi qui invite à renseigner le
La porosité des façades est importante pour certains bars, et nom de la marchandise par un signe sur tous les étalages dans
le débord de l’activité sur la rue est fréquent. Pour les love les marchés.6
hotels les clubs et les restaurants, l’intérieur est préservé et la L’enseigne rentre par la suite dans les coutumes des
queue est le seul indicateur d’activité. Les dispositifs urbains à commerces. Elle est à l’époque Heian un court rideau de tissu
l’interface rue / commerce sont plus dans la veine des fendu utilisé aux portes de commerces, puis à l’époque
quartiers à consommation glocale que ceux Kamakura, une longue et fine lamelle de bois ou de bambou
d’hyperconsommation. On trouve aussi des saillies, des cours sur laquelle on écrivait, puis se sophistique à l’époque
anglaises ou des emmarchements qui créent une transition Momoyama pour gagner un certain sens esthétique qui forge
douce entre la rue et le commerce. l’image de marque de l’établissement, en arborant à la fois son 81

Les façades sont originales dans le kitsch et le ludique afin de nom de l’établissement mais aussi les articles vendus.
correspondre à l’esprit de la nuit ou pour certains commerces « Cette tendance se renforce à l‘époque Edo, où de
dans le créatif, et les enseignes correspondent à ce caractère. nombreuses professions adoptent des enseignes
Les façades sont très colorées. La rue est donc visuellement commerciales de types de plus en plus variés. Citons par
animée même en journée dans la mesure où le regard a exemple le hako-kanban, sorte de boîte carrée dont l’intérieur
toujours quelque chose d’original à quoi s’accrocher. est vide et les quatre côtés en papier, et sa version illuminée le
andon-kanban littéralement lanterne-enseigne, le yane-
kanban, qui comme son nom l’indique, se fixe sur le toit, ou
Conclusion de l’étude: encore le tsurisage-kanban, enseigne suspendue sous l’auvent
des boutiques, qui était sorti tous les matins et rentré à
Les éléments caractéristiques et redondants qui semblent définir l’intérieur le soir venu et à qui l’on doit l’expression encore
les ambiances et l’activité de la rue résident dans l’animation employée de kanban pour signifier la fermeture, notamment
visuelle qui la caractérise. Les enseignes ont un rôle dans les établissements de restauration et du commerce de
prépondérant dans la physionomie de la rue, mais aussi l’eau, mizushôbai. » 7
l’architecture des façades. Les dispositifs urbains qui
caractérisent la limite entre commerce et rue, et les débords du Au XXème siècle, émergent de nouveaux matériaux comme le
commerce sur la rue participent à l’atmosphère qui se dégage plastique ou la résine qui décuple l’inventivité des entreprises
de la rue. commerciales soumises à une concurrence grandissante.
Nous étudierons donc dans un premier temps les kanban ou « Mais c’est surtout l’électrification de ces dernières,
enseignes, puis les différents styles architecturaux des façades notamment l’illumination par le néon, grandement utilisé dans
et enfin les interfaces rue / commerce, et comment ceux-ci
tous les centres urbains, qui a donné une nouvelle dimension
participent à la temporalité de l’espace, à sa qualité, à son
identité et à son animation au paysage urbain japonais […]. »8
Le Machiya, maison traditionnelle des commerçants sous Edo
avec le magasin à l’avant donnant sur la rue, était marqué par
sa mutabilité. En effet, lorsque la boutique était ouverte, la

6 ANTOINE SAURAT, Kanban dans Vocabulaire de la spatialité japonaise de PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU, , CNRS Éditions, 2013
7 Id
8 Id
façade était complètement ouverte sur rue et lorsqu’elle « La multiplication des microcosmes se succédant le long de la
fermait, le machiya redevenait une maison et rien ne rue ou s’entassant les uns au-dessus des autres dans les
transparaissait. « Bien que les machiya d'origine soient immeubles, et qui tous entendent s’annoncer par une
relativement peu nombreux, leur héritage se perpétue dans enseigne extérieure, transforme les façades des quartiers de
tant de rues commerciales du Japon contemporain. Les grilles
et les volets métalliques peuvent, dans une large mesure, avoir
remplacé les cadres coulissants en bois et les enseignes au
néon ont rejoint les bannières et les lanternes. Mais les signes
continuent de proliférer et disparaissent (ou du moins
s'allument et s'éteignent) entre les heures d'ouverture et de
fermeture. »9
Les kanban marquent une temporalité commerciale à Tokyo.
Ils accompagnent le changement morphologique que subit la
ville la nuit tombée à l’ouverture des izakayas ou des bars, où
la fumée commence à s’échapper des établissements, et les
travailleurs à regagner la rue. En effet, « la puissance du néon
et de l'électronique moderne est telle que beaucoup de rues
japonaises passent quotidiennement d'un simple interrupteur
ou d'un circuit électronique programmé - d'un endroit qui est
déprimant et ennuyeux ou même honteusement décrépit le
82 jour à un endroit qui peut être un magnifique pays des fées la
nuit.»10
Les enseignes ne se résument pas aux néons qui grignotent les
façades. Les lanternes sont par exemple encore répandues.
Une lanterne rouge allumée indique une izakaya ouverte. Les
rideaux courts seront plus enclins à trahir des formes du
commerce plus traditionnelles. La fonction commerciale peut
donc transparaitre dans le type d’enseigne utilisée.
Les enseignes, d’abord fonctionnelles deviennent un aspect
important du marketing du commerce, et leurs permettent de
faire transpirer sur la rue leurs identités. « Ils [les signes]
deviennent aussi une source de ludisme par leur caractère
pléthorique, leur densité et leur variété. »11 Les enseignes
caractérisent la morphologie urbaine de Tokyo, habillant des
immeubles génériques, d’architecture extrudées, pour les
transformer en étendards colorés. Elles sont la trace d’un
consumérisme ambient, qui recouvre même les fenêtres, qui
par la multi-présence de l’air conditionné restent accessoires.
Car pour le commerce reste un endroit pratiqué
temporairement qui pour les Japonais ne nécessitent pas les
mêmes qualités qu’un logement ou un bureau, ce qui est
inimaginable en France. Les commerces se propagent alors
partout et les enseignes sont nécessaires pour que ceux-ci
soient visités.

Figure 4: Différents Kanban à Tokyo

9 BARRIE SHELTON, learning from the Japanese City: Looking east in urban design, E&FN SPON, 2012
10 Id
11 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988n p377
Tokyo en un patchwork multicolore. Les enseignes en cascade 3. Du pastiche au minimalisme : l’architecture
placées verticalement le long d’un panneau courant sur toute commerciale à Tokyo
la hauteur de l’immeuble à un coin de celui-ci et permettant
au passant cheminant dans la rue de les voir en levant la tête, Avec sept prix Pritzker, on pourrait s’attendre à ce que Tokyo
se conjuguent à la superposition de celles qui s’étalent sur la soit une vitrine de l’architecture Japonaise. Cependant, la
façade et se succèdent étage après étage. La nuit, la rue est un majorité des immeubles qui peuplent la capitale Nipponne
bariolage de néons immobiles ou spasmodiques. »12 sont souvent génériques, et caractérisent une extrusion de la
parcelle qu’ils habitent. Viennent s’insérer alors des projets
Les enseignes deviennent une image caractéristique de la ville
calibrés d’architecture contemporaine, rassemblant grands
Japonaise, et donne une impression proche de la réalité, par
architectes Japonais et internationaux pour élever des
cette débauche d’électricité, d’une ville en animation
immeubles ou maisons sculptures, mais aussi une architecture
perpétuelle.
ludique parfois au paroxysme du kitsch. Les styles
« Une fois atteint un certain degré de saturation dans la architecturaux se mélangent et se complètent, créant un
sollicitation, le quantitatif se mue en qualitatif : il se produit divertissement incessant pour l’œil. « Tokyo est tout autant un
une sorte d’exorcisme du consumérisme dans cette caricature manifeste d'architectures qu'une absence manifeste
du sens des messages. Dans leur carrousel turbulent, d'architecture»14
s’agressant, se confondant ou se conjuguant inopinément, les
signes s’annulent en tant que message. Ils tendent à ne plus Si l’architecture de Tokyo ne fait pas l’unanimité, l’animation
être que des arabesques colorées, mouvantes. La ville prend pour l’œil qu’elle engendre semble indéniable.« Le regard
alors un caractère que l’on pourrait qualifier, en paraphrasant saute d’une forme à une autre, se heurte sans cesse à un
Rimbaud, d’ « orphéonique ». Elle n’est plus que ‘gastronomie élément inattendu : il se repose sur une façade de bois,
de l’œil’ et espace où les affects se donnent libre cours. En s’écorche sur du béton, flâne sur le feuillage de l’arbuste d’un 83

d’autres termes, ce débordement de signes, à l’origine jardinet, s’accroche sur le bariolage d’une enseigne, se heurte
fonctionnels ou inscrits dans une logique mercantile, n’est plus à la verticalité d’un immeuble plus haut que les autres,
perçu que sur le mode de la vacuité ludique comme les figures s’insinue dans une faille entre deux maisons où joue le soleil.
d’un kaléidoscope. Cette gratuité des signes reconquise, Bref le regard n’est jamais en repos. »15
conjuguée à la fantaisie allégorique de certaines architectures, Pour Philippe Pons, « il n’existe pas au Japon de tradition de la
tend à faire perdre au passant le sens de l’authentique et du façade. (l’asymétrie et l’absence de perspective de l’esthétique
simulacre. »13 traditionnelle sont le résultat d’une logique spatiale qui
Cependant, les signes ne fleurissent pas de la même manière privilégie l’organisation interne de la construction et qui fait du
dans toute la ville. Comme l’a montré l’analyse des différents cheminement la condition de la perception esthétique.) Aussi
quartiers effectuée dans le chapitre 3, ils sont plus enclins à se trouve-t-on dans la rue japonaise une succession hétérogène
propager dans les grosses Sakariba mais en général même de styles, de formes, de bâtiments. »16
pour les plus petites stations, autour du bâtiment de gare. Ils
sont en revanche quasiment absents des quartiers liés au secteur Si cette assertion semble vraie pour les bâtiments les plus
du luxe comme Ginza ou Omotesando, où d’ailleurs les gares proches des stations, elle ne s’applique pas à la totalité des
sont souterraines et ne se manifestent pas au travers d’un bâtiments liés à la fonction commerciale, qui font preuve d’une
bâtiment. Ils sont plus discrets et plus artistiques dans les
créativité sans borne dans la façade pour se forger une
quartiers « créatifs » comme Daikanyama ou Harajuku. Dans
les quartiers les plus anciens comme Yanaka, ou Asakusa, identité, être attractif, et cela à l’échelle du bâtiment, que ce
l’enseigne traditionnelle prévaut (rideaux, lanternes…) soit de petites interventions de 1 ou 2 étages ou de grands
bâtiments pour commerce franchisé, tout comme à l’échelle
du commerce. En effet, la façade du commerce se dégagera
toujours du reste de l’immeuble s’il est de type générique,
parfois simplement par des enseignes en étages mais toujours
par une architecture particulière, des matériaux différents et
des couleurs vives en rez-de-chaussée. Si en levant la tête, on
voit à Tokyo majoritairement une constellation d’immeubles

12 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988n p377
13 Id, p 378
14 MANUEL TARDITS, Tokyo Portraits & Fictions, Le Gac Press, 2011
15 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988
16 Id
génériques en béton, au niveau de l’œil de l’homme qui publicités). »19 Les quartiers des plaisirs sont un débordement
marche dans la rue, les architectures sont toujours variées et de pastiches d’idées que les Japonais se font de l’étranger ou
colorées. des temps anciens, qui ne peuvent que renforcer le caractère
ludique de la ville, tout en créant une diversité bénéfique pour
L’architecture extra-ordinaire est caractéristique de la fonction l’œil, car la monotonie dans la ville peut vite mener à l’ennui.
commerciale, car elle devient un atout marketing, que ce soit
dans l’immeuble bijoux représentant une grande maison de Cette multiplicité des styles dans la ville créé une
luxe ou pour un love hotel s’inspirant d’un palais vénitien. Mais désorientation permanente pour celui qui la pratique. À tout
l’architecture ordinaire, générique en se bardant d’enseignes moment peut émerger d’un tissu urbain uniforme dans sa
devient un réceptacle du commerce privilégié. L’architecture débauche de signe, une architecture commerciale
s’adapte au message commercial qui veut être véhiculé. « Les extravagante. « Cette désorientation n’est sans doute pas le
architectures qui sont elles-mêmes un signe conjugué à la moindre des charmes ludiques de cette ville à la théâtralité
surabondance des graphismes qui se superposent les uns aux cosmopolite. Celle-ci donne à Tokyo l’apparence d’une
autres en une sorte de délire sémiologique confèrent aux immense exposition universelle, c’est-à-dire d’un
quartiers animés des villes japonaises la physionomie d’univers échantillonnage sans fin de constructions qui n’étant pas
lisibles à plusieurs niveaux à la fois. »17 appelées à durer, s’offrent donc le luxe de la frivolité et de la
franchise du simulacre. C’est de cette débauche même
L’architecture s’adapte à la fonction commerciale et donc au d’artifices de trompe l’œil que sourd la « beauté »
quartier qui la supporte. L’architecture de la façade n’est plus cacophonique de Tokyo : dans des villes de province où cette
non seulement un atout marketing mais devient un emblème débauche est inexistante ou réduite, domine en revanche une
des consommateurs qui fréquente le commerce. Les quartiers impression de laideur et de banalité affligeantes »20
84 comme Ginza ou Omotesando, dont la fonction commerciale
prédominante est le luxe, sont peuplés d’immeubles réalisés La liberté de construction et l’absence de règles définies au
par de grands architectes internationaux et japonais qui Japon permet cette multiplicité des styles architecturaux. La
deviennent un écrin pour les produits qu’ils hébergent. Des diversité des fonctions commerciales permet et renforce la
quartiers plus créatifs comme Daikanyama ou Shimo-Kitazawa, multiplicité des styles architecturaux. « Les architectes
présenteront des architectures variées, allant de la donnent libre cours à leur imagination, butinant une palette de
réhabilitation végétalisée à la maison de verre et béton styles sans se préoccuper du message culturel de tel ou tel
banché… Une attention particulière est accordée aux d’entre eux. Ce parti pris confère à la ville une étonnante
matériaux, mais aussi à l’architecture des façades qui se veut atmosphère de liberté. Il semble ne pas y avoir de tabou, de
originale à tout prix mais dans la limite des goûts de sa dogme à respecter. Aucune limite n’entrave, n’encadre
clientèle, artistique et sobre. 18 l’imagination. »21 L’architecture commerciale est libre dans sa
forme mais aussi dans les dispositifs urbains lui permettant
L’originalité va être de mise dans les quartiers des plaisirs des d’optimiser l’espace : cours anglaises pour les sous-sols les plus
Sakariba principalement fréquentés par la « société de chanceux, insert sous les voies ferrées, les autoroutes…22
masse » qui déploient des architectures au summum du kitsch
et du pastiche, qui se prêtent à l’exubérance des lieux Le commerce, par sa diversité de fonctions, d’échelles, et
commerciaux qu’elles représentent. « Les constructions de d’implantations, se révèle le plus à même d’incarner la diversité
Tokyo apparaissent certes comme des réponses fonctionnelles visuelle dans la ville, ainsi que de transmettre l’ambiance qui la
à des besoins sociaux ou à des visées commerciales. Mais elles caractérise. « Nous touchons là à l’une des composantes
fondamentales du ludique urbain propre à une ville comme
peuvent aussi, volontairement ou non, conjuguer celles-ci à Tokyo : la mosaïque formée par les architectures et les univers
des pulsions fantaisistes, conférant à la ville un caractère kitch les plus divers se côtoyant dans un maëlstrom infini. »23
sans doute unique au monde. Celui-ci est renforcé par le jeu
des signes urbains (indicateurs de rues, enseignes,

17 Id, p 378
18 Groupe de consommateurs dans II,A,2
19 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988
20 Id p 378
21 Id
22 Voir chapitre 3, B
23 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988
Figure 5: Immeubles commerciaux génériques

85
Figure 6: L'architecture pastiche et kitsch du secteur du divertissement primaire

86
Figure 7: L'architecture du secteur du luxe

87
Figure 8: L'architecture du secteur créatif

88
4. Les interfaces rue / commerce
Le commerce à Tokyo est témoin de la diversité. La diversité
d’échelles et d’implantation qui le caractérise met en
corrélation une diversité d’échelles et de caractères de rues
qui y sont liées. Les interfaces les plus évidentes entre le
commerce et la rue résident dans les enseignes proliférants sur
les façades, et dans son architecture, deux étendards de
marketing, et d’identification des consommateurs, mais aussi
deux éléments qui participent à l’éclectisme visuel de la ville,
et à la diversité des ambiances urbaines.

Il existe cependant d’autres types d’interfaces de type frontage


entre le commerce et la rue, impactantes visuellement en rez- Figure 9: L'extension accordéon
de-chaussée, qui dénotent des usages faits par le commerce: Shibuya : Grâce à une structure métallique en accordéon
on trouve alors des interfaces matérielles et immatérielles. recouverte d’une toile de plastique transparent, un bar
utilise et protège un petit bout de trottoir.
Les interfaces matérielles, représentent tous les débords de
l’activité commerciale sur l’espace public de la rue : étals,
terrasses, panneaux, bancs, plantes qui participent à l’identité
du commerce, qui sont fonctionnels ou qui sont destinés à
attirer le client. « Il [le regard] est sans cesse sollicité par une 89
profusion de formes, de signes, enregistrés inconsciemment,
qui donnent de la rue une impression plus légère (parce que
plus diversifiée) que celle se dégageant d’une artère
occidentale. »24
Les interfaces immatérielles rassemblent les flux de personnes,
qui sont considérés comme immatériels car en constant
changement. Les queues devant les restaurants ou les cafés,
debout ou assis sur des bancs, l’occupation des terrasses, les
clients s’intéressant aux vitrines ou aux articles débordant sur
la rue, sont garants de l’animation de la rue. Une rue est
animée quand elle est habitée. Mais cela participe aussi au
marketing de l’établissement, dans un pays où faire la queue
est la norme, et devient un gage de qualité.
Le débord matériel ou immatériel du commerce sur la rue
participe à son animation et à son paysage urbain.

Le livre Usages Tokyo, présente une analyse factuelle et


subjective des usages de l’espace public. Pour les auteurs,
l’espace public est ici « la ville à hauteur d’œil, où l’on prend sa
mesure, celle des gens, des pratiques et des différents Figure 10: L'échoppe entre les immeubles
usages. »25 La suite de ce chapitre présente une sélection des
usages liés aux commerces qui paraissent dans le livre, Omotesando : Dans une rue étroite, un petit magasin de
accompagné de leurs courts textes descriptifs et qui sont fournitures artistiques, dispose ses marchandises de part
caractéristiques des interfaces rues / commerces à Tokyo. et d’autre de son entrée, mais aussi contre le bâtiment qui
lui fait face.

24PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988


25DAVID TROTTIN, J-C. MASSON, FRANCK TALLON, Usages Tokyo : analyse subjective et factuelle des usages de l'espace public = a subjective
and factual analysis of uses of public space, Archibooks IN-EX project, 2017
Figure 12: Entre le climatiseur et les poubelles

Nakano : Dans une petite ruelle un peu


défraichie, trois hommes passent devant
une succession de petits restaurants et
d’izakaya.

Figure 13: Les devantures ouvertes


90
Tsukiji : Les marchandises des magasins
sont exposées directement dans la rue,
les balances et autres ustensiles de
cuisine sont alignés sur les tables.

Figure 11: Le magasin qui s'éparpille

Tsukiji : Un magasin expose ses produits


dans des cartons posés sur des palettes
ou à même le trottoir. L’ensemble est
assez chaotique, où commence le
trottoir ? Où commence le magasin ?
Figure 16: Le rideau plastique

Shinbashi : Les bars et restaurants étant


petits et étroits, il n’est pas étonnant de
manger et boire debout. Seul un rideau
de plastique vient protéger des
intempéries, cela crée une limite
élastique et transparente entre
l’intérieur et l’extérieur, entre le lieu de
convivialité et la rue.

Figure 15: Entre les sols

Roppongi : En descendant des escaliers


depuis la rue, on découvre un espace 91
semi-enterré qui sert de terrasse à un
bar. Tous les niveaux sont exploités.

Figure 14: L'assise dedans dehors

Roppongi : Pourtant situé le long d’une


double voie passante, le restaurant
s’ouvre totalement à l’extérieur. Le
dénivelé des assises reliant l’intérieur et
l’extérieur crée un lien assez doux entre
le restaurant et son environnement.
Figure 19: La terrasse parisienne revisitée

Omotesando: Ce café reprend le style


architectural parisien avec des fausses
pierres de taille [et une terrasse], et
recrée même une petite portion d’un
passage couvert.

Figure 18: Entrée libre

Nakano : Les différentes échoppes ont


placé des panneaux sur des chevalets
ainsi que des enseignes pour vanter les
mérites de leurs produits. De la rue on
peut voir, un homme descendre du
premier étage d’un bâtiment, ainsi
92 qu’une entrée qui mène au sous-sol.
Ouvert sur l’espace public l’intérieur et
l’extérieur de l’immeuble n’ont pas
vraiment de limites claires et définies.

Figure 17: Le marché de Tsukiji

Tsukiji : Les consommateurs et les


curieux déambulent dans une rue
encombrée du marché aux poissons et
fruits de mer de Tsukiji.
B. Le commerce comme espace public d’un petit porche à une grande cour, et sont utilisés de
manière quotidienne par les populations.
intérieur Si le commerce participe à la vie urbaine et à son animation, il
1. Les regroupements de commerces, une stratégie faut cependant comprendre que les qualités qu’il engendre
commerciale génératrice d’espaces publics interroge sa capacité à ne pas les contraindre socialement ou
territorialement. Le commerce est alors souvent « le vecteur
L’espace public est la notion utilisée ici "pour désigner le d'une privatisation plus ou moins officielle de l'espace public,
sous-ensemble physique de la sphère publique et y inclure les en tous les cas d'une segmentation de sa fréquentation, ou
espaces qui sont librement accessibles, qui utilisent des d'une production d'espaces publics apparents mais finalement
ressources communes, qui ont des effets communs et qui sont relevant du privé, les centres commerciaux en constituant le
utilisés pour l'exercice des rôles démocratiques. »26 parangon. » 29 Cependant, la prégnance du polycentrisme
permet aux fonctions commerciales d’être réparties de
On peut concevoir que Tokyo, comme le Los Angeles décrit par
manière démocratique dans la ville, et la diversité qui incarne
Jérôme Monnet où il n’y pas d’espace public « mais seulement
le commerce à Tokyo permet l’urbanité et par là la mixité
des espaces collectifs de flux (les autoroutes urbaines) et des sociale. 30
espaces communautaires de vie (les lieux de référence de la
vie quotidienne, y compris les commerces) ». Manuel Tardits Il est pourtant vrai que le commerce participe à la privatisation
décrit d’ailleurs l’espace public à Tokyo comme « flux de gens, de l’espace public en tant qu’espace appartenant à tous, mais
de marchandises et d’information. […] Dans les grandes aussi à son développement. En effet, le gouvernement ne
métropoles nippones, l’espace public tient moins de la forme portant pas la création d’espaces de rassemblement public, les
que du mouvement, de l’onde » opérateurs privés participent à leurs créations, par stratégie 93
commerciale.
Ce qu’il faut comprendre quand on aborde le sujet de l’espace
public au Japon est que sa conception est complètement « Lorsque l'espace est considéré en commun comme un bien
différente de celle que l’on a en Europe. Les grandes places public, le fait que certains individus peuvent faire mieux pour
extérieures ici, grands lieux de rassemblements publics eux-mêmes en refusant de coopérer conduit à l'effondrement
européens, n’existent pas. L’absence d’espaces publics, de de la fourniture du bien, qui doit être remplacé par une
places ou de trop nombreux parcs permettait, sous le shogunat fourniture individualisée, privée, de propriétaires et de
d’Edo, le contrôle social et d’éviter les rassemblements services privés. »31 Cependant, cette vision ne semble pas se
urbains. vérifier à Tokyo. En effet, les promoteurs coopèrent en
utilisant les terrains en y adjoignant des espaces de
« Le concept du public a pour base le privé. » Quand l’espace
rassemblement publics agréables et attractifs, non pas pour
est catalogué public au Japon par le gouvernement japonais,
l’intérêt commun même si cela y participe, mais par stratégie
plus personne ne peut l’utiliser de manière privée. Alors, c’est commerciale.
un espace entouré de pancartes informant les individus que
« cet espace est destiné à l’usage collectif, et qu’ils ne sont Un regroupement de commerces, c’est un centre de
autorisés à s’y attarder qu’en respectant un certain nombre de commerces, et quand il est porté par un seul et même
règles. »27 opérateur, cela devient un centre commercial dont la forme a
été améliorée. Tokyo proposent donc une grande variété de
Cependant, « Dans la ville contemporaine, […], le
centres de commerce, les classiques department store ou les
cheminement, et surtout lorsqu’il est motivé par une activité
malls, mais aussi les formes urbaines traditionnelles du
commerciale (le shopping), est parfois agrémenté par des regroupement de commerces comme le Yokochô ou le
places, des « espaces ouverts » aménagés et gérés par des
Shotengai dont la propriété est morcelée entre plusieurs
organismes privés. » 28 Ces espaces sont de surfaces variables
acteurs, et des formes plus modernes comme les projets
présentés en figure 20, 21, 22,23, portés chacun par un même

26 JOHN R. PARKINSON , Democracy and Public space: the physical sites of democratic performance
27 TEZUKA TAKAHARU, dans Usages Tokyo, Usages Tokyo : analyse subjective et factuelle des usages de l'espace public = a subjective and
factual analysis of uses of public space, dirigé par DAVID TROTTIN 2017
28BENOIT JACQUET, Hiroba dans Vocabulaire de la spatialité japonaise par PHILIPPE BONIN et NISHIDA MASATSUGU, CNRS Éditions, 2013
29PHILIPPE DUGOT, Commerce et urbanisme commercial dans la fabrique de la ville durable, 2019
30Voir chapitre 2 partie B et chapitre 3, partie C
31 JOHN R. PARKINSON , Democracy and Public space: the physical sites of democratic performance
Figure 20: Des espaces publics de maitrise d'ouvrage privée généré par le regroupement de commerces

opérateur.« Le shopping est une culture au Japon et ici, les Ray Oldenburg lorsqu’il décrit les pratiques de développement
centres commerciaux comprennent qu'ils doivent offrir une urbain aux USA, les déclare « hostile à la fois à la marche et à
expérience pour rivaliser avec le marché en ligne. En la parole. » La marche et la parole ont pourtant des vertus
incorporant l'interaction sociale et l'expérience au-delà de la inégalées dans le développement d’un quartier. Un
saisie et du paiement ». Les promoteurs rivalisent d’ingéniosité regroupement de commerces en générant de l’espace public,
pour créer des espaces innovants, qui invitent dans un premier permet à la fois la marche et la parole. « En marchant, les gens
temps au rassemblement puis dans un second temps à la deviennent partie intégrante de leur terrain ; ils rencontrent
consommation. L’espace public devient alors un prétexte pour les autres ; ils deviennent les gardiens de leur quartier. En
amadouer le client, tout comme les espaces culturels qui se parlant, les gens apprennent à se connaître ; ils trouvent et
déploient dans les grands magasins. créent leurs intérêts communs et réalisent les capacités
collectives essentielles à la communauté et à la démocratie".33
94
Pourtant, « l'espace est plus susceptible d'être fourni de La stratégie commerciale des promoteurs commerciaux vise
manière à favoriser des intérêts privés puissants, surtout des donc à introduire la marche, la parole mais aussi le
intérêts économiques, et moins susceptible d'être fourni de divertissement dans leurs commerces, pour en faire des
manière à favoriser les biens publics, les communautés locales, endroits indispensables, attractifs, et subrepticement pousser
les entreprises relativement impuissantes et les gens à consommer.
l'environnement. »32 Cette assertion est valable partout dans
le monde est d’autant plus à Tokyo, où les mêmes opérateurs Alors, il semble que les centres commerciaux classiques, les
possèdent et exploitent une grande partie du patrimoine et où grands magasins, les depâto aussi déploient verticalement les
la propriété foncière est si complexe. Les nouveaux mêmes qualités, en privilégiant la marche dans leurs
commerces détrônent les commerces localement implantés. gigantesques structures, les interactions et les
Cependant, les limitations sur les surfaces commerciales divertissements. La seule différence, témoin d’un passé enclin
comme les depâto, obligent les opérateurs à se renouveler. Ils à construire pour déconstruire, est la forme architecturale
font alors appel à des architectes plus ou moins réputés, qui génériques qu’ils revêtent. Ce sont des espaces de
viennent implanter les regroupements de commerces dans le rassemblements publics ouverts à tous, sans distinction et sans
tissu urbain sans en dénaturer l’échelle, où ils créent des injonction de consommer. Les plateaux qui lient entre eux les
espaces publics, des espaces de rassemblement publics, dans kiosques commerciaux, incarne le même principe que la rue,
un écrin de verdure, destiné à attirer les gens mais aussi à les et deviennent alors un espace public intérieur à la fois
y faire rester. Ils créent des centres commerciaux horizontaux horizontal et vertical dont la spécificité est d’être de propriété
en leurrant sur leurs intentions de vente par la forme incarnée. privée et de posséder une temporalité inactive la nuit.

Quoi qu’il en soit, ces espaces sont pratiqués par les Japonais, Alors, par stratégie commerciale, les regroupements de
car ils sont agréables, originaux dans une ville caractérisée par commerces, en déployant les qualités d’un espace public dans
des immeubles génériques et permettent les interactions. La leur environnement, génère un espace public à usage du plus
consommation devient alors pour eux un bonus pour pratiquer grand nombre. Ce sont des espaces publics de propriété
privée, extérieurs ou intérieurs, verticaux ou horizontaux.
ces espaces urbains et les commerces prolongent alors ces
espaces publics extérieurs.

32JOHN R. PARKINSON , Democracy and Public space: the physical sites of democratic performance
33RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the
Community, 1989
Shibuya Stream est un projet qui fait partie d’un projet global de
redéveloppement de Shibuya Station, en vue des jeux Olympiques
de 2020.

Le gratte-ciel est composé de bureaux, d’un hôtel, d’une grande


salle d’évènements, et de restaurants. Le promoteur Tokyu, une
compagnie de chemins de fer privée, a cherché à revitaliser la
méconnue rivière Shibuya, alors un étroit couloir coincé derrière
des bâtiments bordés de béton et dépourvus de toute verdure. La
rivière a été détournée et un grand réservoir de captage a été
construit pour les fortes pluies. Dans un geste inhabituel pour
Tokyo, l'espace le long d'une partie de la rivière est ouvert en une
place avec des arbres et une passerelle pour les piétons.

Les restaurants se développent sur 3 étages : en bord de rivière, le


long d’une rue haute intérieure au premier étage et en mezzanine
de cette rue au deuxième étage.

Deux espaces publics sont créés.

Un premier sous forme de rue haute connectée aux passerelles


piétonnes qui traversent les différents carrefours alentours, pour
créer une continuité avec l’activité de la station.

Le deuxième espace se développe le long de la rivière et fait partie


d’un projet urbain plus global qui s’établit le long de Shibuya river
en développant une promenade piétonne et verte le long de la
rivière ponctuée de deux autres regroupements de commerces,
notamment le projet Daikanyama Log road à l’autre bout de la
rivière. L’espace public créé est protégé des grandes voies de
circulation par un bâtiment en verre connectant une entrée de la 95
station à la rue haute. Il développe une place en bas des grands
escaliers, au pied des commerces, permettant d’accueillir des
évènements ponctuels. La promenade part de la place le long de la
rivière, ponctuée de petites terrasses sont développées le long de
la rivière.

Figure 21: Axonométrie du projet Shibuya Stream et photos


Figure 22: Axonométrie du projet Log Road et photos

96

Daikanyama river est un projet de regroupement de commerces à l’autre bout


de Shibuya river, qui connecte les quartiers de Shibuya et de Daikanyama.

La superficie du site est de 3 200m² avec une longueur totale de 220m. Il s’agit
d’un sentier piéton qui relie une extrémité à l’autre du site d’anciennes voies
ferrées utilisées par le groupe Tokyu. Le projet présente différents
commerces, cafés, brasserie, et boutiques, tous dans le même style
architectural, en bois.

Le chemin longeant les commerces est bordé d’un côté par les commerces et
de l’autre par un mur pignon précédé de végétation.

« Log road Daikanyama est un nouveau style d’installations commerciales qui


relie de manière transparente diverses scènes, offrant un espace pour les
activités de rassemblement relaxantes et stimulantes. » (texte promotionnel)

Le chemin aboutit à chaque extrémité à de petites places, au niveau de la


brasserie et du café, qui permettent le prolongement du commerce en
terrasses.
Figure 23: Axonométrie du projet T Site et photos

97

Daikanyama T Site est un projet porté par la librairie Tsutaya, une des plus grosses franchises du pays. T-SITE est un « Espace
client qui navigue dans le style de vie » (texte de promotion) qui regorge d'artefacts culturels tels que des livres, des films, de
la musique et des divertissements qui enrichissent le style de vie.

Avant de créer DAIKANYAMA T-SITE, les concepteurs du projet ont envoyé un questionnaire aux résidents et aux travailleurs
du quartier afin d'explorer le type de services qu'ils souhaitaient. Les deux premières réponses ont été les cafés et les librairies,
dans cet ordre. Le site dispose maintenant des deux, ainsi que de presque tout ce que les voisins souhaitaient.

Daikanyama T Site génère un espace public comme une cour intérieure, reliant les différents commerces entre eux. Des
sentiers de jardin verdoyants traversent et relient DAIKANYAMA TSUTAYA BOOKS, un restaurant, un magasin de vélos à
assistance électrique, une animalerie, un magasin de jouets et plusieurs autres commerces sur un terrain de plus de 13 200
m2.

La librairie Tsutaya qui évolue dans l’espace est considéré comme une des 20 plus belles librairies du monde. « DAIKANYAMA
TSUTAYA BOOKS, le TSUTAYA pour les adultes, est lié au thème de "Une bibliothèque dans les bois". Trois ailes de bâtiments
se rejoignent le long de la rue du Magazine, une allée de 55 mètres de long qui coupe le milieu des bâtiments au niveau du
sol. A partir de cette artère en forme de tronc d'arbre, six départements de livres se ramifient par catégorie. Un espace café
est aménagé dans le complexe pour permettre de naviguer tranquillement en magasin. » (texte promotionnel) Le café
Starbucks est servi au rez-de-chaussée, et tout le matériel de lecture peut être apprécié confortablement, même avant l'achat.
2. Le microcosme de la rue Mais « la relation commerce-rue est dialogique : si le
commerce est bon pour la rue, la rue n’en est pas moins
L’Espace Public urbain comme il est envisagé en France, essentielle au commerce. » La rue donne au commerce son
n’existe en général pas, et ce qui s’en rapproche le plus , ce accès, mais aussi sa visibilité, élément indispensable de la
sont les espaces générés par les regroupements de viabilité des commerces situés en étages.
commerces. Augustin Berque constate que « dans la ville
japonaise, les activités dévolues chez nous à la place sont La rue dans sa sollicitation permanente pour l’œil permet
l’épanouissement du piéton. Elle est un espace public, d’autant
généralement assurées par la rue ».34 Dans cette logique, la
plus quand elle est piétonne ce qui est fréquent mais reste dans
rue est elle aussi un regroupement de commerces. un flux constant par l’absence de mobilier urbain. Les différents
commerces qui l’habitent permettent de faire une halte dans ce
La rue à Tokyo est un microcosme : le commerce à ses limites
mouvement perpétuel, et en cela prolongent l’espace public de
latérales, modèle son paysage mais participe aussi aux la rue. Peut-on pour autant considérer le commerce comme un
ambiances urbaines. La morphologie de la rue est espace public intérieur ?
profondément influencée par le commerce ou par son
absence. « Dans les rues commerçantes du quartier domine 3. L’extension de l’espace public vers l’intérieur des
l’enchevêtrement des activités et l’empiètement des espaces commerces
les uns sur les autres parait la règle : restaurants où l’on mange
debout le dos tourné à la rue, simplement séparé d’elle par un Tokyo s’est formée de manière organique, au gré des nœuds
mince rideau de tissu arrivant à mi-corps […], librairies à la créés par le couplage entre un système de transport efficace
devanture desquelles le passant feuillette ou lit sans scrupule et la fonction commerciale. Les acteurs privés,
livres et revues, petits commerces qui resteront ouverts tard le particulièrement ceux issus des transports, sont prédominant
98 soir et dont les étalages débordent sur la chaussée constituent dans le développement de projets commerciaux et participent
les images rémanentes de la rue japonaise. Celle-ci est le à la création d’espaces publics de propriété privés dans la ville,
théâtre d’une irrigation humaine permanente ».35 ce qui favorise l’intérêt commun mais dans une stratégie
purement commerciale. Pour qu’un individu consomme, il faut
La rue à Tokyo est animée ou ne l’est pas, il n’y a pas vraiment qu’il soit dans de bonnes conditions, et les qualités de l’espace
d’entre-deux. Si elle est animée, elle héberge de quelques public, dans la mesure où celui-ci est un réceptacle aux
commerces en rez-de-chaussée jusqu’à plusieurs centaines interactions variées, y participent.
dans toutes les dimensions de l’espace. Alors « les refuges
pour l’œil sont multiples. On ne peut balayer la rue du regard L’entité du commerce est elle un espace de propriété privée à
pour finalement souffler et récupérer le ciel à son extrémité. usage public. Un espace public est un lieu de partage et de
Le regard dans la rue japonaise progresse par plan. »36 Elle est rencontre à l’usage de tous. Il permet aux populations de se
le réceptacle de la diversité qui incombe au commerce. C’est rassembler et de se rencontrer. Il se doit d’incarner la diversité.
une accumulation par strate d’éléments indépendants les uns
Tokyo est en déficit d’espaces publics autres que la rue -qui,
des autres.
par son manque d’aménagements, ne permet pas le repos, ou
Mais la rue à Tokyo emprunte des formes variées qui l’échange même si elle est piétonne- et les parcs excentrés et
influenceront la façon dont le commerce s’y développe. On trop grands pour encourager la proximité. Pourtant les
distingue la rue vouée à la circulation des voitures, et celle Japonais par les contraintes spatiales auxquels ils font face, et
vouée à celle des piétons. Si la deuxième n’interdit pas toujours leur goût pour la consommation et le divertissement, passent
la circulation des voitures, elle n’y invite cependant pas par son la majorité de leur temps dans la sphère publique. Dans Japan
réseau structuré comme un labyrinthe. D’ailleurs, un élément on the Edge, Catherine Slessor écrit: « Les gens ont tendance à
qui influe fortement sur la morphologie de la rue Japonaise est vivre leur vie en public: dans les cafés, les bars et les
l’interdiction pour les voitures de se garer le long. Une restaurants, les centres commerciaux, les parcs et les temples
véritable culture du piéton s’est développée à Tokyo. Alors, la (même les hôtels d'amour sans pudeur remplissent une
rue dans ces conditions permettra au commerce de s’épanouir fonction essentielle), le domaine génère un fort sentiment
pleinement et de devenir son acteur principal dans communautaire et encourage la cohésion sociale. De plus, la
l’animation, là où en France la voiture jouera ce rôle.

34 AUGUSTIN BERQUE, Vivre l’espace au Japon, p 145


35 PHILIPPE PONS, D'Edo à Tokyo: mémoires et modernités, Éditions Gallimard, 1988
36 Id
densité signifie que le temps passé en public est généralement Japonais, un prolongement des fonctions de la maison, et
passé en contact constant avec d'autres personnes. »37 l’endroit privilégié pour accueillir les relations sociales qu’ils
partagent avec leurs proches, ainsi que celles qu’ils n’ont pas
Les regroupements de commerces génèrent des espaces encore créé.
publics, de rassemblement public, de propriété privée en
intérieur ou en extérieur. L’espace public est alors l’espace qui « Les grandes civilisations, comme les grandes villes, partagent
lie les commerces entre eux. Mais ces espaces restent encore un trait commun. Les lieux de rassemblement publics informels
ponctuels dans la ville. distinctifs évoluent en leur sein et sont essentiels à leur croissance
et à leur perfectionnement. Ceux-ci s'intègrent autant dans le
A l’interface de l’espace public de la rue et à l’échelle d’un paysage urbain que dans la vie quotidienne des citoyens et,
quartier, le commerce, en tant qu’entité, tout comme l’espace invariablement, en viennent à dominer l'image de la ville.»39 La
public, promeut l’urbanité. Il complète la rue, il y déborde fonction commerciale couplée à la notion de plaisir s’intègre et
participe au paysage urbain, et est essentielle à la vie
même et participe à ses ambiances urbaines. Mais la rue, qui fonctionnelle et relationnelle des citoyens de Tokyo. Elle permet
lie des entités commerciales entre elles, et qui est en soi la création d’une grande diversité dans leurs formes, dans leurs
l’espace public le plus répandu à Tokyo, reste en perpétuel fonctions, et dans leurs qualités, d’espaces jouant le rôle
mouvement. d’espaces publics intérieurs, sans pouvoir le devenir puisqu’un
échange financier est à envisager.
Ray Oldenburg rappelle la nécessité d’avoir un espace, hors de
la maison ou du travail, où les personnes peuvent se
rencontrer. « Il doit y avoir un terrain neutre sur lequel les gens
peuvent se rassembler. Il doit y avoir des endroits où les gens
peuvent aller et venir comme bon leur semble, où personne
99
n'est obligé d'être l'hôte, et où tous se sentent à l'aise et chez
eux. »38 Or les Tokyoïtes envisagent le commerce, lorsqu’il est
lié au plaisir, comme un prolongement de la maison et comme
une nécessité pour les interactions sociales. Le commerce à
Tokyo, lorsqu’il est lié à la notion de plaisir, de divertissement,
par la manière dont il est envisagé par ses habitants, réunit
tous les critères d’une third place. Le commerce est un lieu
d’échange et de rencontre, ouvert à tous. Paradoxalement, les
lieux qui incarnent le mieux la third place comme lieu
promouvant l’égalité et les interactions sociales, avec pour
activité principale la conversation, sont les commerces du
divertissement primaire et ceux de la restauration, sont ceux
qui nécessitent obligatoirement une compensation financière
pour les pratiquer.

En revanche, les autres commerces liés à la notion de plaisir,


les boutiques principalement, n’obligent pas à la
consommation alors que tout est fait pour l’encourager, mais
sont moins catégoriquement des third places que leurs
homologues de la restauration et du divertissement. Les third
places, si ce n’est l’échange financier, obligatoire ou non, ont
toutes les vertus d’un espace public.

Le comportement habituellement dévolu à l’espace public est


à Tokyo, réservé au commerce. Le commerce joue le rôle
d’espace public à Tokyo sans en être un. Il est pour les

37 CATHERINE SLESSOR, Japan on the Edge, 2001


38 RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the
Community, 1989
39
RAY OLDENBURG, The Great Good Place: Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and other Hangouts and the Heart of the
Community, 1989
Le commerce modèle le paysage urbain. Il participe
aux ambiances urbaines. Mais le commerce permet
aussi l’émergence d’espace publics sous plusieurs
formes. En se regroupant, les commerces, par
stratégie commerciale, créer des espaces publics de
maitrise d’ouvrage privées, qui deviennent de
véritables lieux de vie dans la ville. Mais au Japon,
où on observe un véritable déficit d’espaces publics,
la rue joue ce rôle-là, et le commerce à l’interface
créé l’attractivité nécessaire à la vie dans l’espace
100 public. La gentrification change la morphologie de la
ville par petites interventions commerciales, en
permettant la cohabitation de différentes cultures et
en renforçant la diversité si chère à l’espace public
démocratique. Le comportement, normalement
dévolu aux espaces publics a lieu dans les espaces
privés à usage public du commerce, qui accueillent
les relations informelles, anticipées ou non, ainsi que
les fonctions dans le prolongement de la maison,
essentielles à la vie de tous les jours.
Dans une société profondément collective et ancrée prolongement naturel de l’espace public. Il joue même son
dans la consommation, avec un goût prononcé pour les rôle en accueillant les interactions sociales et la mixité sociale.
divertissements, la prolifération du commerce dans la ville
Cependant, s’il est important pour la société Japonaise, le
n’est pas étonnante. C’est un phénomène de masse tourné
commerce n’en reste pas moins un espace de consommation
vers la tradition mais ouvert aux autres cultures. Le commerce
et ne joue donc le rôle que d’un espace public tarifé. La
incarne un patrimoine immatériel tissé de traditions qui
consommation est tellement ancrée dans les mœurs que
participe à la cohésion des populations. Dans la compacité de
l’idée de payer pour se réunir, ou pour profiter de fonctions
la ville, la fonction commerciale fait partie intégrante des
que la maison, par son étroitesse, ne peut accueillir, est
habitudes des Japonais, et devient naturellement le
naturelle. Il est indéniable que le commerce a une influence
prolongement des fonctions de la maison, en plus d’en assurer
profonde sur le tissu et le paysage urbain de Tokyo. Pourtant
la fonction sociale. La fonction commerciale est alors une
la diversité qui participe à l’urbanité de Tokyo pourrait faire
fonction à la fois structurante et rassurante pour ses
place à une urbanité illusoire, tant il faut maintenant faire la
habitants.
part entre « bon » et « mauvais » commerce, et distinguer la
Dans le même temps, le commerce à Tokyo est modelé par part d’authenticité de chacun. L’un, le commerce de
ceux qui habitent son environnement. Il s’adapte. Dans un proximité, participe à la communauté, à l’économie locale, à
ville peu tournée vers le patrimoine immuable, il en vient à l’échelle du corps, et aux interactions récurrentes alors que
incarner l’atmosphère d’un quartier, et sa mixité sociale. Il l’autre, le commerce franchisé, certes participe à la diversité
participe à sa richesse urbaine et à son identité. visuelle dans la ville, mais au prix de l’enrichissement d’une
économie globale et d’interactions appauvries par
Dans la densité de Tokyo, émergent donc différentes formes 101
l’impersonnalité du service. Le premier type est en déclin à
et typologies de commerce qui participent à sa morphologie.
Tokyo, à cause d’une société qui vieillit et qui peine à trouver
Le commerce encore une fois s’adapte au tissu urbain et
des successeurs, mais aussi à cause de l’attrait de la terre. Cela
épouse ses moindres recoins. Le manque de cohérence qui
ne touche pour l’instant que les quartiers les moins
caractérise le tissu urbain Tokyoïte, génère pour le commerce
développés ou les plus anciens de la capitale. Cependant, la
une diversité d’échelles, de formes, de fonctions, de
communauté des créatifs, s’évertue par réutilisation de
fréquentation, et une diversité d’interactions sans ordre
bâtiments existants et petites interventions dans le tissu
préétabli. La fonction commerciale grossit et se répand de
urbain, à préserver l’esprit de communauté qui se rassemble
manière organique, s’aimantant aux gares qui caractérisent
derrière les petits commerces, et la coopération qui en
les nœuds de la ville. Par la diversité qu’il incarne, il participe
dégage. C’est ce qui a fait le succès des shotengai jusqu’à
aussi à son urbanité alors que ce polycentrisme
aujourd’hui. Mais le commerce peut il rester prégnant à ce
caractéristique de Tokyo garantit sa répartition
point alors que la population décroit de manière dramatique ?
démocratique. Il structure sa compacité.
Les petits commerces sont ils voués à être remplacés par des
Cohésion, adaptabilité, diversité, urbanité. Le commerce est franchises, plus fonctionnelles, plus sûres et moins risquées
une fonction essentielle à la morphologie de la ville. Il pour l’investissement ? Ce serait mettre en danger l’essence
participe aux paysages urbains, mais aussi à ses ambiances, de l’urbanité nipponne, la diversité.
par les flux de personnes qu’il engendre, les temporalités, et
Mais d’un autre côté, comment continuer à prôner la fonction
son « exotisme oculaire».40 C’est d’autant plus criant pour
commerciale pour la cohésion et les interactions sociales de la
l’œil que le commerce n’existe jamais seul. A Tokyo, les
société, alors que ce rôle peut être rempli comme en occident
commerces s’attirent les uns les autres, et se regroupent
par l’espace public, qui ne se développe à Tokyo, qu’avec un
horizontalement dans la rue, verticalement dans des
objectif caché. Partout, pour le bien de la planète, on
immeubles. Ils se regroupent aussi sous l’impulsion
encourage à consommer moins, alors que le Japon reste une
d’opérateurs privés pour former des centres commerciaux de
débauche de consommation, mais aussi de gaspillage, dans les
formes variées accompagnés de leurs espaces publics, pour
formules à volonté omniprésentes ou dans l’hypocondrie du
amener subtilement à consommer. Alors les promoteurs
Japonais qui préfèrera toujours jeter que risquer de
deviennent les acteurs majoritaires de la fabrique des espaces
s’empoisonner. Le bâtiment lui-même devient un
d’interactions pour la ville. L’entité du commerce devient le

40
Expression de MICHEL DE CERTEAU,
consommable. Cependant, même si la création d’espaces fascination pour les commerces « créatifs » qui d’ailleurs
publics reste dévolue aux acteurs privés, ceux-ci par intérêt pourraient être un sujet en soi, par l’inventivité déployée pour
principalement, joue le jeu, et participent de plus en plus à que chaque commerce sorte du lot. De même, le choix du
l’amélioration de la ville d’un point de vue social. La ville sujet n’est pas étranger à l’étonnement et à l’attraction que
semble avoir trouver un certain équilibre dans son j’ai eu pour cette façon d’habiter les sous-faces de métro, et
organisation, organisation qui intègre pleinement la fonction pour le changement de morphologie qui s’opère à la tombée
commerciale dans la fabrique de la ville. de la nuit, à la fois sur la physionomie des Japonais mais aussi
sur l’atmosphère de la rue.
J’ai voulu dans ce mémoire traiter de la relation du commerce
à l’urbain, au paysage et à la société car ce sont pour moi les Il eût aussi été intéressant de compléter les études réalisées
trois éléments majeurs qui constituent la ville. La par des dialogues avec des Japonais, pour comprendre leur
conséquence reste que je n’ai pas pu assez approfondir attachement à la fonction commerciale, autrement que par la
certains sujets liés au commerce. Il aurait été pertinent de se littérature ou les documentaires, mais j’avoue n’avoir pas su
concentrer sur l’aspect communauté qu’engendre le franchir la barrière de la langue.
commerce, avec le phénomène de gentrification particulier au
Le commerce, à l’échelle de la ville, à Tokyo est vecteur
Japon , qui diversifie le tissu urbain et créé de la mixité sociale
d’urbanité par sa diversité et son polycentrisme. Il me semble
mais qui n’attire pas encore les promoteurs. La manière de
que c’est une fonction essentielle à la plupart des villes par les
faire la ville, par la communauté avec le machizukuri est un
qualités qu’il engendre. Le commerce participe d’une certaine
aspect intéressant pour comprendre la relation des japonais
façon au bien-être urbain, par la cohésion, les interactions,
aux commerces. J’ai ici appréhendé le commerce à l’échelle
102 l’ouverture à d’autres cultures et la diversité visuelle qu’il
de la ville, en choisissant de m’axer sur les commerces liés à la
apporte avec lui. Le schéma d’implantation polycentrique
notion de plaisir et de divertissement. Cependant je conçois,
parait un moyen efficace d’assurer l’équité sur le territoire,
qu’il est compliqué de traiter le commerce comme une
équité qui fait aujourd’hui défaut à de nombreuses villes de la
fonction uniforme surtout après avoir démontré la diversité
petite couronne parisienne, où Paris amène à elle la majorité
qu’elle engendre. Il serait maintenant important de
de l’attractivité de l’aire urbaine. La notion d’un schéma
s’intéresser au commerce en tant qu’entité, en rentrant dans
polycentrique parait être l’idée derrière le Grand Paris, pour
chacun, pour en comprendre les usages, les traditions, les
assurer une meilleure distribution de l’attractivité et de
coutumes, les interactions, les ambiances et l’architecture. S’il
l’activité sur le territoire. Il serait alors intéressant, dans la
est indéniable que la fonction commerciale est source de
suite de ce travail, d’étudier comparativement à Tokyo, le
qualité au niveau du tissu urbain et des relations sociales, la
grand Paris pour en comprendre les différences et chercher
grande liberté architecturale qui la caractérise implique aussi
une amélioration commune au bien-être dans les villes.
des sacrifices au niveau du confort intérieur (éclairage et
aération naturelle) pallié par les différentes technologies.

Le cadrage du sujet était d’ailleurs difficile à mettre en place


car le commerce est un terme vaste, qui englobe énormément
d’aspects, c’est pourquoi j’ai essayé de m’astreindre à en
décrire les contours en liant sa fonction à la notion de plaisir,
et aux interactions qu’il engendre. Je peux néanmoins
comprendre que cela puisse encore manquer de précision.

La méthode que j’ai employé pour comprendre la relation du


commerce à la ville, par la pratique du terrain me semble
intéressante pour une première approche, mais on ne peut
pas lui enlever la notion de subjectivité. En effet, en réalisant
les croquis, en choisissant les quartiers, en choisissant les
projets et en réalisant les plans de zoning, je n’ai pu
m’abstraire complètement de mes goûts, notamment de ma
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GEORG SIMMEL, La sociabilité. Exemple de sociologie pure
ou formale, dans Sociologie et épistémologie, Paris, Presses
SOU FUJIMOTO, Between Nature and Architecture,
universitaires de France, « Sociologies », 1981
conférence le 3 mars 2014 captée par la Cité de
JANE JACOBS, Déclin et survie des grandes villes l’Architecture
américaines, Ed. Parenthèses, 2012
JEAN-LAURENT CASSELY, No Fake, Arkhe Editions, 2018 DAMIEN FAURE, Espaces intercalaires, documentaire, 2012

JOHN CLAMMER, Contemporary urban Japan: A sociology


of consumption, oxford, 1997
JOHN R. PARKINSON , Democracy and Public space: the
physical sites of democratic performance, Oxford University
Press, 2012
Couverture Photo personnelle
PARTIE 1
Figure 1: Une rue commerçante de Tokyo, Ueno Photo personnelle 8
Figure 2: Des plans types de commerces et photos Tokyo Totem: A guide to Tokyo 15
Photos personnelles et photos tirées de guides
Figure 3: Photos des différents types de commerces 16
touristiques (Kochi Kochi, Tokyo totem, GoTokyo.org)
PARTIE 2
Conférence du 3 mars 2014 captée par la Cité de
Figure 1 L'éclatement de la maison selon Sou Fujimoto l’Architecture, SOU FUJIMOTO, Between Nature and 19
Architecture,
Conférence du 3 mars 2014 captée par la Cité de
Figure 2: Une échelle caractéristique de Tokyo l’Architecture, SOU FUJIMOTO, Between Nature and 19
Architecture,
Figure 3: Le restaurateur et ses habitués de Midnight Diner Série Midnight Diner 22
Figure 4: Guide des différents quartiers GoTokyo.org 25
Figure 5: Fonctions commerciales de Shimo-Kitazawa, et photos Production personnelle et photos personnelles 28
PARTIE 3
Figure 1: Tokyo en 1910 Moving the margins of Tokyo, PAUL WALEY 32 105
Figure 3: Les transports à Tokyo en 1895 La ville et le rail au Japon, NATACHA AVELINE 33
Figure 3: Le quartier de Ginza en 1910 www.oldtokyo.com 33
Figure 4: Les transports à Tokyo en 1920 La ville et le rail au Japon, NATACHA AVELINE 34
Figure 5: Les transports à Tokyo en 1970 La ville et le rail au Japon, NATACHA AVELINE 34
Figure 7: Une rue piétonne du Sakariba de Shibuya et un
Photos personnelles 35
croisement dans le Sakariba de Shinjuku
Figure 7: Schémas de fonctionnement du Sakariba Production personnelle 36
Figure 8: Carte des zones d'activités de Tokyo en schéma
Production personnelle 39
polycentrique
Figure 9: Commerces dans les milieux inhospitaliers dans Made in
Made In Tokyo, Atelier Bow Wow 41
Tokyo
Figure 10: Les dispositifs urbains commerciaux en milieux
Production personnelle et photos personnelles 43
inhospitaliers
Figure 11 Axonométrie éclatée d'un depâto et photos d'un
Production personnelle et photos tirées du site Tokyu 44
depachi et de l'extérieur
Figure 12 Pencil Biru de petite et moyenne taille dans le quartier
Production personnelle et photos personnelles 46
de Shibuya
Figure 13: Nonbei Yokochô à Shibuya, avec zoom sur l'intérieur
Production personnelle et photos de Small Tokyo 47
d'une cellule
Figure 14: Première colonne de haut en bas: Omoïde Yokochô à
Shinjuku et le nouveau Yokochô Niku Yokochô à Shibuya /
Photos tirées de Small Tokyo 48
Deuxième colonne de haut en bas : Harmonica Yokochô à Kichijoji,
et Ebisu Yokochô à Ebisu
Figure 15 Structure de l'âkedo et photos de ceux de Koenji et
Production personnelle et photos personnelles 49
Akabane
Figure 16 Photos des stands de matsuri Google Images 50
Figure 17: Pleins, vides, viaires et zones d'activités de 6 Sakariba Production personnelle 53
Figure 18: localisation des 6 Sakariba étudiés et légende Production personnelle 54
Figure 19: Zoning de Shibuya et Shinjuku Production personnelle et photos personnelles 55
Figure 20: Zoning de Harajuku/Omotesando et Ginza Production personnelle et photos personnelles 56
Figure 21: Zoning de Akihabara et Asakusa Production personnelle et photos personnelles 57
Figure 22: Pleins, vides, viaires et zones d'activités de 6 moyennes
Production personnelle 59
stations
Figure 23: Localisation des 6 moyennes stations et légende des
Production personnelle 60
zonings
Figure 24: Zoning de Daikanyama/Ebisu et Koenji Production personnelle et photos personnelles 61

Figure 25: zoning de Jiyugaoka et Shimo-Kitazawa Production personnelle et photos personnelles 62

Figure 26: Zoning de Yanaka et Akabane Production personnelle et photos personnelles 63

PARTIE 4
Figure 1: Plan de localisation des rues étudiées Production personnelle 71

Figure 2: Analyse des rues A, B,C,D,E,F Production personnelle et photos personnelles 72


Figure 3: Photos de façades à différents moments de la journée,
Photos personnelles 78
dans les différentes zones
Figure 4: Différents Kanban à Tokyo Différentes sources Google images 82

Figure 5: Immeubles commerciaux génériques Différentes sources Google images 84


106 Figure 6: L'architecture pastiche et kitsch du secteur du
Différentes sources Google images 86
divertissement primaire
Figure 7: L'architecture du secteur du luxe Différentes sources Google images 87

Figure 8: L'architecture du secteur créatif Différentes sources Google images 88


Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 9: L'extension accordéon 89
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 10: L'échoppe entre les immeubles 89
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 11: Le magasin qui s'éparpille 90
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 12: Entre le climatiseur et les poubelles 90
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 13: Les devantures ouvertes 90
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 14: L'assise dedans dehors 91
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 15: Entre les sols 91
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 16: Le rideau plastique 91
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 17: Le marché de Tsukiji 92
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 18: Entrée libre 92
MASSON, FRANCK TALLON
Dessin tiré de Usages Tokyo, DAVID TROTTIN, J-C.
Figure 19: La terrasse parisienne revisitée 92
MASSON, FRANCK TALLON
Figure 20: Des espaces publics de maitrise d'ouvrage privée
Photos de source variées 94
généré par le regroupement de commerces
Figure 21: Axonométrie du projet Shibuya Stream et photos Production personnelle et photos personnelles 95

Figure 22: Axonométrie du projet Log Road et photos Production personnelle et photos personnelles 96

Figure 23: Axonométrie du projet T Site et photos Production personnelle et photos personnelles 97
Table des matières 1. Analyse de 12 quartiers Tokyoïtes : diversité
scalaire et urbanité ......................................................... 51
Page de titre ............................................................................... 3
2. Le déclin des petits commerces ............................ 66
Remerciements .......................................................................... 5
3. Une répartition pourtant démocratique .............. 67
Sommaire ................................................................................... 6
IV. Le commerce comme espace public intérieur, créateur
Introduction................................................................................ 7 d’ambiances urbaines .............................................................. 69
I. Définition du sujet d’étude ............................................... 8 A. Le commerce à Tokyo comme créateur d’ambiances
A. Le commerce dans la littérature ................................. 8 urbaines ............................................................................... 70
1. Le commerce, l’urbain et la culture ........................ 8 1. Exemple de Shibuya : un éclectisme visuel .......... 70
2. Le commerce et l’espace public.............................. 9 2. L’importance des Kanban dans la rue ................... 81
3. Le commerce et les interactions sociales ............. 10 3. Du pastiche au minimaliste : l’architecture
commerciale à Tokyo ...................................................... 83
B. Les commerces étudiés à Tokyo ................................ 12
4. Les interfaces rue/commerces à Tokyo ................ 89
II. Contexte sociétal et social du commerce Tokyoïte ....... 17
B. Le commerce comme espace public intérieur .......... 93
A. Une prédisposition à l’émergence du commerce 18
1. La forme urbaine du commerce, génératrice
1. La culture de la consommation et du plaisir ........ 18
d’espaces publics ............................................................ 93 107
2. La consommation de la culture............................. 21
2. Le microcosme de la rue Japonaise ...................... 98
3. L’importance du commerce pour les interactions
3. L’extension de l’espace public vers l’intérieur des
sociales ............................................................................ 22
commerces ...................................................................... 98
B. Le commerce, comme élément fondateur de Tokyo 24
Conclusion .............................................................................. 101
1. L’identité des quartiers portée par le commerce 24
Bibliographie........................................................................... 103
2. Les groupes de consommateurs ........................... 26
Table des illustrations ............................................................ 105
3. Un exemple de quartier modelé par le commerce :
Shimo-Kitazawa ............................................................... 27 Table des matières ................................................................. 107

III. Formes urbaines et typologies du commerce à Tokyo :


vecteur d’urbanité ................................................................... 31
A. L’attachement du commerce à la gare ..................... 32
1. La naissance du polycentrisme : gares et grands
magasins comme initiateurs urbains ............................. 32
2. Les Sakariba, fonction structurante de l’urbanité et
du dynamisme de Tokyo................................................. 35
3. L’expansion du modèle polycentrique ................. 37
B. Formes urbaines et commerce .................................. 40
1. Des formes urbaines malléables, impactées par la
propriété foncière ........................................................... 40
2. Les regroupements de commerce caractéristiques
de Tokyo .......................................................................... 45
C. La polarité commerciale : entre Sakariba et petites
stations ................................................................................. 51

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