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Critères d’attribution
Choix, pondération,
cotation et
motivation…
Et autres complications ?
MARIE-LAURE VAN RILLAER CONSEILLER
L
mode de passation conditionne
E CRITÈRE D’ATTRIBUTION du début jusqu’à la fin. C’est cette trame l’existence même
POURRAIT être défini comme étant qui nous guidera au cours de cet écrit. de critères d’attribution
l’élément normalement inscrit dans En début de course, il s’agit d’abord de Le choix entre les modes généraux de pas-
le cahier de charges permettant de déterminer le mode de passation du mar- sation d’un marché public, c’est-à-dire
départager les offres déposées dans le ché public, ce qui fera que l’on aura un l’appel d’offres et l’adjudication, est entiè-
cadre d’une procédure de marché public. ou plusieurs critères d’attribution, ou pas rement libre1 et implique une écriture dif-
Il s’agit donc bien d’évaluer les offres des du tout. Ensuite, lors de l’élaboration du férente du cahier de charges.
soumissionnaires et non les soumission- cahier de charges, le pouvoir adjudicateur En adjudication, le seul critère permettant
naires eux-mêmes (appréciés eux, en choisira et définira les critères d’attribu- au pouvoir adjudicateur de désigner l’adju-
amont, d’après les critères de sélection tion auxquels il aura recours. Ce choix est dicataire est celui du prix puisque l’on choisit
qualitative). certes libre mais la jurisprudence a fixé l’offre la moins disante. En ce cas, le cahier
Comment le choisir ? Pourquoi le choisir ? certaines limites découlant des principes spécial des charges comporte suffisamment
Comment l’apprécier ? de transparence, d’égalité de traitement et de précisions et de conditions d’exécution
Ce sont les quelques questions auxquelles de proportionnalité qui dirigent toute la afin que le seul paramètre variant selon le
nous tenterons de répondre en suivant la matière des marchés publics. Toujours au soumissionnaire soit le prix, le reste étant
logique du déroulement chronologique cours de la rédaction du cahier de charges, figé - ou presque - dans le cahier de charges2.
d’une procédure de marché public. En le pouvoir adjudicateur pondérera (éven- En appel d’offres, par contre, le pou-
effet, le critère d’attribution anime celle-ci, tuellement) ces critères d’attribution. voir adjudicateur choisit l’offre la plus
Parmi ces différentes méthodes, rele- les autres offres se voyant créditer de points pratique permet d’écarter dans son entiè-
vons, de façon non-exhaustive, les plus de manière linéaire du fait, selon elle, du reté une offre dont un des aspects est trop
courantes. non-respect du principe de proportion- peu intéressant23.
Une première méthode consiste à compa- nalité et de ce que l’écart de prix entre les Par ailleurs, le Conseil d’Etat a censuré
rer chaque offre au regard de chaque cri- offres n’est pas reflété dans la cotation20. la méthode - la cinquième examinée ici -
tère, à gratifier la meilleure offre de 100 % Une troisième méthode de cotation consistant, à propos du critère de prix, à
des points sur le critère envisagé et à faire consiste à fixer des bornes de cotation (par attribuer le maximum de points à l’offre
une règle de trois pour allouer les points ex., tel prix minimal obtient tel point et contenant un prix se rapprochant le plus
des autres offres. tel prix maximal obtient tel point). L’offre de la moyenne des prix ressortant de toutes
Cette méthode de type relatif - par oppo- équivalant à la cote minimale empoche les offres. L’objectif était d’obtenir un « prix
sition à absolu - a le mérite de respecter cette borne inférieure tandis que l’offre juste » préservant la qualité et la garantie
les principes de proportionnalité et d’éga- obtenant la borne maximale reçoit la meil- de la bonne exécution du marché public.
lité de traitement. Dès lors, la cotation des leure note21. Le Conseil d’Etat a rejeté la méthode, esti-
offres dépend du nombre d’offres admises, Cette méthode a le mérite d’être transpa- mant que la méthode était « très aléatoire
les points dévolus à une offre variant en rente, facilement explicable aux soumis- au regard de l’objectif poursuivi par [le
fonction de l’acceptation ou non d’autres sionnaires et de permettre la cotation en pouvoir adjudicateur] lors de la fixation
offres, ce qui empêche une évaluation fonction de la valeur intrinsèque de l’offre [du] critère, à savoir l’obtention d’un « juste
intrinsèque - ou par elle-même - de l’offre. et non en fonction des offres déposées, ce prix » 24 ».
A l’inverse, une méthode d’analyse de type qui en fait aussi son inconvénient. Le risque A l’inverse, le Conseil d’Etat n’a pas cen-
absolu a l’avantage d’une certaine prévisi- majeur consiste à mal évaluer ces bornes et suré la formule mathématique en vertu de
bilité dans la cotation. donc à ne pas savoir coter les offres. laquelle il est attribué « zéro point à l’offre
L’autorité de tutelle bruxelloise condamne Un quatrième procédé consiste à indiquer dont le taux d’honoraires s’écarte de 1,5 %
une seconde méthode qui consiste à attri- dans le cahier de charges, qu’à propos d’un ou plus du taux moyen d’honoraires » parce
buer le maximum des points à l’offre la critère d’attribution en particulier, en deçà que « cette dégressivité certes rapide n’appa-
meilleure pour le critère d’attribution et à d’un minimum déterminé, l’offre d’un sou- raît pas à première vue disproportionnée au
attribuer 0 point à la moins bonne, toutes missionnaire ne sera pas retenue22. Cette regard [du] taux moyen d’honoraire » 25.
Notez, pour le surplus, qu’il existe diffé- Au stade de l’écriture du cahier de charges écartement, sans que l’on ne puisse subs-
rentes méthodes d’aide à la prise de déci- et du choix des critères d’attribution, il faut tituer l’appréciation faite par le pouvoir
sions applicables à la problématique des être vigilent à leur utilité et à leur pratica- adjudicateur, sauf erreur manifeste d’ap-
marchés publics et intégrées dans des bilité. Chaque pouvoir adjudicateur doit préciation ou erreur de motifs.
logiciels et notamment celle qui consiste se demander si le critère d’attribution qu’il De façon prosaïque, si les critères d’attribu-
à fixer deux niveaux de performance (le indique a un sens particulier au marché tion sont les outils du peintre, la méthode
niveau neutre « que le pouvoir adjudicateur qu’il crée et s’il pourra sans difficulté véri- d’analyse des offres est la façon dont le
désire au moins voir atteint » et le niveau fier ce qui sera proposé par les soumission- peintre en fera usage, et le marché la pein-
bon « que le pouvoir adjudicateur juge bon naires. La pondération des critères relève ture. A vos pinceaux donc !
d’atteindre »26 qui reçoivent la valeur res- de la logique que le pouvoir adjudicateur Nous restons à votre disposition pour toute
pective de 0 et 100), puis à évaluer l’attrac- veut donner à son marché. l’aide que nous pourrions vous apporter.
tivité d’une offre par rapport à une autre Au stade de la comparaison des offres, le
sur un critère d’attribution déterminé et critère d’attribution encadre l’analyse des
enfin à apprécier l’attractivité d’un critère offres nécessairement faite critère par
d’attribution par rapport à un autre27. critère. Certaines méthodes d’analyse des
offres permettent une comparaison des
En aval de la procédure de offres entre elles alors que d’autres éva-
marché public : la motivation de luent une offre en fonction de sa valeur
la décision d’attribution au regard intrinsèque. Toutes devront respecter les Le lecteur trouvera sur
des critères d’attribution principes de transparence, de proportion- www.uvcw.be
Cette question est bien délicate puisque nalité et d’égalité de traitement. Et la moti- un dossier plus complet sur le sujet.
reposant essentiellement sur des éléments vation qui accompagnera cette analyse
d’ordre factuel et suppose un juste équilibre devra permettre aux soumissionnaires
entre la souveraineté de décision du pou- évincés de comprendre les raisons de leur
voir adjudicateur et la nécessité de veiller
au bon respect de la réglementation des 1 12
A.-L. Durviaux, La procédure négociée : spécificités, opportu- C.E., 3.3.2008, n° 180.337 ; C.J.U.E., 24.11.2005, C-331/04.
marchés publics et des principes de bonne nités et contraintes, Actualités du droit des marchés publics, 13
A.R. 8.1.1996, art. 85 ; voy. également P. Thiel, ibid., p. 216.
administration et de le vérifier. Le contrôle Bruxelles, Larcier, 2010, p. 93 ; D. Batselé, P. Flamme et P. 14
C.E., 19.6.2009, n° 194.415 ; C.J.U.E., 18.10.2001, C-19/00,
Quertainmont, Initiation aux marchés publics, Bruxelles,
exercé par le Conseil d’Etat ne peut être que Bruylant, 1999, p. 132. point 43 ; P. Thiel, Critères de sélection et d’attribution des
marchés publics, Actualités du droit des marchés publics,
marginal, ce dernier ne pouvant s’immis- 2
D. Batselé, P. Flamme et P. Quertainmont, ibid., p. 137. Bruxelles, Larcier, 2010, p. 191.
cer dans l’appréciation faite par le pouvoir 3
Ibid., p. 87. 15
L. 24.12.1993, art. 65/4 ; A.R. 8.1.1996, art. 25, 51 et 80 ; voy.
4
C.E., 11.12.2001, n° 101.745 ; P. Thiel, Mémento des marchés également en jurisprudence : C.E., 15.3.2006, n° 156.428.
adjudicateur sauf à censurer l’erreur mani- publics et PPP 2011, Waterloo, Kluwer, 2010, p. 293 ; Y. Cabuy 16
A.R. 8.1.1996, art. 116.
feste d’appréciation ou l’inexactitude des et R. De Pessemier, La relation entre motivation et cotation 17
dans les décisions d’attribution des marchés publics : analyse A.R. 8.1.1996, art. 115 (en appel d’offres) et 122bis (en procé-
motifs ou des faits matériels28. de quelques cas issus du contrôle de tutelle sur les décisions dure négociée).
La motivation de la décision d’attribution des pouvoirs bruxellois, Chronique des marchés publics 2007- 18
C.E., 19.10.2005, n° 150.423 ; C.E., 19.6.2009, n° 194.415 ; voy.
2008, Bruxelles, EBP, 2008, p. 262 ; J. Noël (sous la dir.), Les aussi : circ. R.W. 25.11.2010, inforum 251691 ; en doctrine,
est adéquate lorsque le soumissionnaire marchés publics - Droits belge et européen - Principes et appli- voy. Y. Cabuy et R. De Pessemier, ibid., p. 260.
évincé connaît les points forts et les points cations, volume 1, Charleroi, Esimap, 2001, p. 201. 19
C.E., 16.1.2007, n° 166.770 ; C.E., 16.12.2005, n° 152.843.
5
C.E., 4.5.2006, 158.316.
faibles de son offre par rapport aux offres 6
20
Y. Cabuy et R. De Pessemier, ibid., pp. 271-272.
Nous le verrons plus loin, en procédure négociée, en deçà des
des autres soumissionnaires29 ou comprend seuils de publicité européenne, le pouvoir adjudicateur n’est
21
Cette méthode n’a pas été censurée par le Conseil d’Etat :
C.E., 16.9.2004, n° 134.986.
les raisons de son éviction30. Un simple pas contraint de fixer des critères d’attribution.
22
Pour un exemple soumis au Conseil d’Etat, voy. C.E.,
7
C.E., 4.5.2006, n° 158.316 ; C.E., 2.7.2007, n° 173.072 ; C.E.,
tableau récapitulatif des points, sans pré- 1.4.2009, n° 192.128 ; jurisprudence émanant de la C.J.U.E. :
18.1.2011, n° 210.489.
cision, ou une considération générale sans C.J.U.E., 18.10.2001, C-19/00, point 37 ; C.J.U.E., 4.12.2003,
23
Le Conseil d’Etat l’a admise : C.E., 28.2.2006, n° 155.632.
C-448/01, point 39. 24
C.E., 4.5.2006, n° 158.316.
comparaison effective ne suffisent pas31. A 8
C.J.U.E., 24.11.2005, C-331/04, point 21 ; dans l’un de ses 25
C.E., 1.4.2009, n° 192.128.
contrario, un tableau des points accompa- arrêts, la Cour de Justice de l’Union Européenne a estimé 26
M.-A. Flamme, ibid., p. 120.
gné de brefs commentaires est suffisant32. que la pondération à hauteur de 45 % d’un critère de nature
27
écologique n’entravait pas l’analyse des critères afin de déter- Le Conseil d’Etat n’a pas non plus critiqué cette méthode :
L’obligation de motivation ne va pas jusqu’à miner l’offre économiquement la plus avantageuse ; la ques- C.E., 16.1.2007, n° 166.770.
tion était ici de savoir en quoi un critère d’attribution de type 28
C.E., 1.4.2009, n° 192.128 ; C.E., 18.1.2011, n° 210.489.
exiger que le pouvoir adjudicateur indique écologique pouvait aider à choisir l’offre la plus avantageuse 29
C.E., 16.12.2005, n° 152.843 ; voy. aussi : C.E., 30.1.2003,
dans son rapport d’analyse des offres, lieu économiquement : C.J.U.E., 4.12.2003, C-448/01 ; dans ce
n° 115.269 ; C.E., 11.1.2010, n° 199.416 ; C.E., 16.12.2005,
même arrêt, la Cour estime que n’est pas lié à l’objet du mar-
de sa motivation, les motifs des motifs33. ché public (fourniture d’électricité) le critère d’attribution de
n° 152.843 ; voy. les références citées in Y. Cabuy et R. De Pes-
semier, ibid., p. 253.
fourniture d’électricité d’origine renouvelable faite dans le
30
passé (point 68). C.E., 17.5.2011, n° 213.294.
31
9
C.E., 25.5.2010, n° 204.259 ; voy. en doctrine : D. Batselé, C.E., 15.3.2006, n° 156.427 ; C.E., 25.4.2000, n° 86.905 ; C.E.,
Conclusion P. Flamme et P. Quertainmont, ibid., p. 178 ; C.J.U.E., 19.10.2005, n° 150.423.
24.1.2008, C-532/06, point 30.
Le critère d’attribution est un levier puis- 10
32
C.E., 2.4.2003, n° 117.877.
Voy. en ce sens : C.J.U.E., 18.10.2001, C-19/00, point 42 ; 33
C.E., 3.3.2008, n° 180.337 ; voy. également les références
sant jouant du début à la fin de la procé- C.J.U.E., 24.1.2008, C-532/06, point 37. citées in Y. Cabuy et R. De Pessemier, ibid., p. 254 ; C.E.,
dure de marché public. Et sa mauvaise 11
C.E., 19.10.2005, n° 150.483 ; M.-A. Flamme, Méthodologie de 18.6.2007, n° 172.400.
cotation des offres dans les marchés publics et de son contrôle
conception peut constituer un retour de juridictionnel, Entr. et dr., 2007, p. 126 ; C.E., 16.9.2004,
manivelle douloureux. n° 134.986.