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Horizons Maghrébins - Le droit à

la mémoire

A propos de quelques séquences symboliques de couleurs dans


deux formes de spiritualité musulmanes
Jean-François Clément

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Clément Jean-François. A propos de quelques séquences symboliques de couleurs dans deux formes de spiritualité
musulmanes. In: Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire, N°44, 2001. Le monde islamique et l’image. pp. 113-135;

doi : https://doi.org/10.3406/horma.2001.1957

https://www.persee.fr/doc/horma_0984-2616_2001_num_44_1_1957

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« On dit de la musique que c'est la jouissance de l'âme. Nos instruments
parlent des mlûk. Ceux-ci ne changent-ils pas de couleur devant toi ? Ne les
vois-tu pas mettre a chaque chant une robe de couleur nouvelle ? Oui ou
non ? »
'
Allai B., Gnâwî, Rabat, avril 1971

«Les jardins du monde spirituel (al-malakût) sont ornés par la fleur de a propos
Sa beauté et les bassins du monde de la toute-puissance (al-jabarût)
débordent par le flux de Ses lumières. » de
'Abd as-Salâm ibn Machîch
quelques

séquences

On peut aborder le problème des couleurs de multiples façons.


L'une d'entre elles est d'examiner l'une après l'autre les couleurs en symboliques
elles-mêmes, dans leurs noms ou leur symbolique . Mais on pourrait
aussi aborder le problème des couleurs en les analysant dans des de
ensembles . On peut alors instituer objet d'histoire les séquences de
couleurs telles qu'elles apparaissent dans différentes cultures et couleurs
chercher éventuellement des significations symboliques associées à un
groupe ordonné de couleurs. Comment se présentent, pour les dans deux
hommes d'une culture donnée, les passages d'une couleur à une
autre par la médiation d'autres couleurs? Comment est reliée une formes de
séquence de couleurs à une éventuelle démarche spirituelle? Que
signifie-t-elle, aux yeux de celui qui l'a produite, comme symbolisa- spiritualité
tion de la métamorphose de l'être ? Car aucune couleur n'a en soi et
4
universellement de sens . Le sens des couleurs est arbitraire comme
tout élément culturel mais les séquences de couleurs ne sont sans
doute pas arbitraires car elles se réfèrent, d'une part, à des gammes, musulmanes
harmoniques ou non, de couleurs ou de gris dont les rapports de tons
peuvent être objectivement analysés et d'autre part à des ensembles
dont le sens n'est plus entièrement libre une fois sélectionnés les sens
affectés aux éléments.
Des séquences de couleurs existent très fréquemment, aussi bien
dans l'alchimie occidentale que dans la médecine ou la poésie arabe,
tout particulièrement celle qui célèbre le vin, ou dans la peinture
religieuse ou profane de divers ensembles culturels. On peut, en partant
d'une couleur donnée, ou d'une non-couleur, aboutir, à des couleurs
ultimes, par exemple, en Europe, l'azur ou l'or. Cette dernière
couleur est, dans l'icône byzantine ou dans la peinture de Giotto, une Jean- François Clément

113 HORIZONS
LE
44/2001
MONDE ISLAMIQUE
MAGHREBINS
ET L'IMAGE
couleur symbolisant le sacré. Qu'en est-il de la symboliques et de la place des séquences de
constitution des séquences de couleurs dans couleurs dans les procédures transférentielles qui font
l'alchimie et la mystique musulmane? Dans chacun glisser d'une séquence à l'autre. Quelle est
des cheminements proposés par les alchimistes ou l'importance de la couleur par rapport aux autres
les maîtres spirituels, de quelle couleur part-on? À symboliques? Pourquoi cet usage de l'œil et de sa
quelle couleur arrive-t-on? Quelles sont les vision et non de l'audition5?
couleurs médiatrices? Ces séquences correspondent-
elles, dans une ou des symboliques, à une
hiérarchie de degrés d'être? Ces symboliques sont-elles QUELQUES SÉQUENCES DE COULEUR
identiques dans l'ensemble de l'aire culturelle DANS L'ALCHIMIE DE JÂBIR
musulmane ou variables d'une aire à l'autre? Si
elles varient géographiquement, sont-elles ensuite Chez un alchimiste comme Jâbir ibn Hayyân, la
semblables pour plusieurs groupes spirituels et teinture fait partie des principes radicaux de l'É-
enfin sont-elles uniques à l'intérieur même d'un lixir suprême avec l'Huile, la Terre et l'Eau. La
même groupe ou, à l'inverse, extrêmement teinture apparaît d'abord dans la Pierre puis dans les
variables dans le temps et dans l'espace, pour un Élixirs créés, de manières différentes, en toujours
même maître, d'un maître à l'autre dans un même moins de temps, à la limite sans attendre le
groupe, d'un groupe à l'autre, etc. ? Bref, peut-on, moindre délai pour celui qui a été au terme de son
oui ou non, parler d'une symbolique musulmane parcours spirituel alchimique. On peut donc
des séquences de couleurs ? distinguer deux séquences, d'une part celle des
Telle est la question préalable de la changements successifs de couleurs de la Pierre et des
problématique relative au nouvel objet constitué et Élixirs, c'est-à-dire des outils de décolorisation-
que je me suis posée un jour après un rituel d'une recolorisation des métaux et d'autre part, celle des
nuit entière à Essaouira. D'autres questions changements des corps modifiés qui changent non
surgiront ensuite relatives aux logiques des classements de formes ou d'accidents, mais peut-être de
qui sont plus intéressantes car liées à la production substances. Si c'est le cas, les deux outils de la
de l'identité. Quelles sont en particulier les sous- transsubstantiation sont la Pierre et les Élixirs. Mais
séquences, par exemple de nuances dans les avant de changer éventuellement la substance, ils
séquences de couleur? Où se situent le noir, le changent d'abord la forme et donc la couleur. Et
blanc ou le gris, le clair ou le sombre? Les pour changer la couleur, ils ont eux-mêmes changé
séquences comportent-elles des couleurs du de couleur pour acquérir le pouvoir de modifier
spectre, des couleurs pures ou des couleurs ensuite les couleurs d'autres corps dont les
mélangées, des gris bleutés, des mauves, des pers, métaux. Ce sont ces séquences qu'on peut
etc.? Comment sont construites les commencer par décrire à partir d'un texte de Jâbir écrit,
sous-séquences? Quels liens ces séquences ont-elles dans comme nous l'avons établi par ailleurs, en l'an 770.
un système général des séquences? Quels liens les Nous commençons par ce texte car il est largement
couleurs entretiennent-elles avec le temps, sont- antérieur aux textes classiques de la mystique
elles stables ou instables? Leur unité apparente musulmane.
cache-t-elle une dualité, voire une pluralité de Il semble tout d'abord, à la lecture du texte de
couleurs ? Quel est le lien également entre les couleurs Jâbir, que la Pierre passe toujours par les mêmes
et la lumière ? étapes colorées. Nous allons examiner cette
Ensuite apparaîtra la question des systèmes première séquence. «Je dis : lorsque la Terre et le Feu sont

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mélangés, abreuvés d'Huile et enfouis, la première couleurs lui manquent, la Pierre devient pareille au
couleur qu'ils prennent est le fauve, soit un rouge mêlé de cinabre. Prends-la, enfouis-la et observe: la rougeur se
blanc. Le couleur est pure et belle, et résulte de la sera accentuée, elle sera devenue comme de la cire à
première mixtion du Feu, qui est rouge, et de la terre, qui cacheter mélangée au cinabre. La couleur se renforce
est blanche. Puis l'on poursuit le mélange, qui amène le encore, devenant comme de la noirceur mélangée au
composé à virer au rouge vif. La couleur s'inverse cinabre. Tu imaginerais alors qu'elle noircirait, et voilà
ensuite, et il verdit. Puis la viridité diminue et il devient qu'elle tourne au bleu. Elle a l'apparence d'un dirham de
jaune. Le jaune s'inverse ensuite en jaune safran, puis céruse avec un dirham d'indigo; puis la couleur bleue
celui-ci fait place au rouge: voilà l'ensemble des diminue ensuite, se clarifie, rejoignant l'aspect d'un
couleurs de la Pierre qu'il est nécessaire de voir apparaître. mélange d'un dirham de céruse et de cinq dânaq
Quant aux couleurs intermédiaires entre celles-ci: le d'indigo. Puis la couleur de la Pierre pâlit graduellement à
rouge (initial) comprend dix tons intermédiaires, le mesure que diminue la proportion de cinabre, jusqu'à ce
jaune dix, le vert également, ainsi que la rubéfaction qu'on arrive à l'équivalent d'un dirham pour un qîrât ».
(finale). Si tu as la connaissance de ces couleurs, tu Si la rubéification est inachevée, les derniers
peux réussir l'opération que tu veux. Voici donc tout ce tons peuvent manquer à la Pierre. La pierre reste
qui a trait aux couleurs. Entends-le et souviens-t-en par alors rouge vermillon. Mais des étapes de salva-
cœur si tu le veux bien ». tion sont alors possibles. Telles sont les dix étapes
Jâbir décrit ensuite, en parallèle à cette permettant de passer du rouge au vert par
pétrification en six étapes, les six étapes de la rubéification, l'intermédiaire des formes du bleu.
en réalité les moments de la formation des dix tons Après cette description de deux gammes
du rouge vif. «Sache que si tu prends une part de céru- isochromes qui sont des nuances à coloration égale
se et projettes dessus le douzième d'une part de cinabre, (rouge et bleu), Jâbir décrit deux autres gammes
en mélangeant cela intimement avec des œufs, il se isochromes (vert et jaune). «À ce moment, la Pierre
rubéfiera. C'est le procédé des décorateurs et des peintres. verdit, devenant semblable à de l'arsenic liquéfié. Verse
Puis jette un dânaq de cinabre sur un dirham de céruse: sur chaque dirham (de Pierre) une dose d'un qîrât
il en résultera une couleur d'un rouge plus vif que la d'indigo, de sorte qu'elle évolue vers un vert parfait. Puis
précédente. Et si, à la place de cinabre, tu jettes de la cire elle acquiert une couleur intermédiaire entre le noir, le
à cacheter solubilisée, la rubéfaction présentera un bleu et le vert. À ce moment-là, elle se citrifie; tu
aspect plus brillant et noble. Les peintres en question augmentes progressivement la citrinité jusqu'à ce que sa
n'ignorent pas cette façon d'agir ; si tu effectuais ce couleur ressemble au mélange d'une part de céruse et
travail toi-même, (la réaction) t 'apparaîtrait clairement. d'un qîrât d'arsenic. Tu la fais citrifier encore plus
Verse ensuite un dânaq et demi de cinabre sur un jusqu'à ce qu'elle ressemble à de l'arsenic liquéfié pur. Puis
dirham de céruse : tu obtiendras un ton de rouge elle se rubifie, devenant semblable à de l'arsenic liquéfié
encore différent. Puis jette deux dânaq de cinabre sur un mêlé d'un peu de cinabre. Poursuivant cette évolution,
dirham de céruse. Augmente sans arrêt la proportion, elle acquiert des reflets rubescents, puis la rougeur
qîrât après qîrât, en observant l'évolution de la couleur, augmente, jusqu'à rejoindre celle du cinabre, puis encore,
jusqu'à ce que tu projettes un dirham sur un dirham; jusqu'à ce qu'elle se stabilise entre le rouge de carthame
c'est le niveau ultime de la rubéifaction pour cette et le noir: c'est l'achèvement des couleurs de cette
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Pierre ». Pierre ».
«J'ai détaillé cette manipulation qîrât après qîrât, On remarque que les dix tons du vert ne sont pas
parallèlement à l'apparition des couleurs de la Pierre au décrits, pas plus que ne le sont les dix tons du jaune .
moment de sa Pétrification. Lorsque certaines de ces Le terme de cette évolution est le jaune safran.

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Puis on passe au rouge final par des reflets né qui la fixe en sorte qu'aucune fumée ne s'en dégage,
rouges dans le jaune safran. On passe par l'étape et la cérifie ensuite, il en résulte un Élixir qui
du rouge vermillon du cinabre pour aboutir au transmute le fer et le cuivre blanc en argent ainsi que tout métal
rouge stabilisé final qui est mélange d'un rouge et solide et dur ».
de noir. Cette Pierre dispose alors d'une capacité Donc l'Eau, traitée de cette manière, supprime
tinctoriale. Elle peut donner plus ou moins les couleurs d'origine des métaux, les blanchit puis
fortement ses teintures aux métaux qu'elle permettra de les argentifie. On passe ainsi d'une couleur
transformer. quelconque au blanc et enfin à l'argent.
Mais Jâbir présente une autre séquence lorsque On peut traiter aussi le Feu. Après sa cal-
l'Œuvre ne se fait plus en 10 jours mais en 9 jours. cination, il devient «une substance rouge friable».
On y apprend que la Pierre n'est pas seulement ce Elle passera ensuite par diverses couleurs, surtout
qui peut teindre. Les éléments purifiés de cette après un enfouissement. Et le Feu, de même,
Pierre ont également ce pouvoir, en particulier pourra prendre des couleurs de façon très concentrée
l'Eau, même si elle est froide et humide. Ce qui est qu'il pourra ensuite restituer aux métaux. On peut
passif est donc actif. On peut donc arriver à enfin traiter l'Huile. Jâbir précise que lorsqu'on
élaborer une teinture à partir de n'importe quel élément distille l'Huile par soixante-dix opérations, toutes
constitutif de la nature, Feu, Terre ou Huile, ce qui les dix opérations, il apparaît une «couleur
revient à dire qu'on peut faire l'économie de la lumineuse, plus pure encore que la précédente jusqu'à ce que le
Pierre. Si on va plus loin dans la pensée, sans doute compte soit atteint ». Après 21 distillations, elle
serait-il possible de teindre sans aucun élément. devient d'un blanc pur. Puis après 700 distillations,
L'alchimie serait alors une forme de spiritualité qui elle se transforme en substance d'un blanc très
imagine certes qu'il n'y a pas de substance puisque léger. On pourrait aussi traiter la Terre. Mais Jâbir
n'importe quelle réalité peut devenir n'importe indique que la teinture peut aussi venir des Élixirs
quelle autre réalité mais là n'est pas l'essentiel. Il d'origine animale, du sang, des cheveux, du crâne,
est ailleurs. Les causes secondes s'effacent les unes des œufs, de l'urine, etc. De toute réalité teinte, on
après les autres devant les causes premières qui, à peut tirer une teinture. Mais cette teinture a
leur tour, s'effacent devant Dieu. Cela impliquerait toujours une activité limitée, même si elle est très
que les séquences de couleur n'ont concentrée. En général, une part d'Élixir peut
rigoureusement aucune signification en elles-mêmes. traiter mille parts de métal. Mais on peut doubler cette
D'ailleurs la nouvelle séquence de Jâbir est la puissance de colorisation, voire aller au-delà.
suivante: «Nous disons, et c'est Dieu qui accorde le L'alchimie poursuit donc un double mouvement,
succès: l'Eau, une fois distillée sept cents fois par les d'efficacité et de rapidité, la limite du mouvement
tiges, accomplit l'amollissement et les teintures alchimique étant de tout colorer par des outils
blanches, ce sur le fer, le cuivre, et particulièrement sur créés en un temps infiniment petit. Toutefois on ne
le cuivre blanc. Lorsque le cuivre blanc et le plomb sont peut aller en-dessous de sept jours dans notre
chauffés et plongés dedans a plusieurs reprises -ou que monde. On peut cependant dépasser cette limite
le plomb est fondu ou versé dedans -et qu'ils se ailleurs et donc produire instantanément la Pierre
mélangent intimement avec l'Eau, ils deviennent alors tous ou les Élixirs. La métamorphose des métaux peut
les deux un métal argenté, qui est de l'argent. Cette Eau donc se faire alors sans aucune attente.
purifie tout particulièrement le cuivre blanc en Jâbir fait une remarque. Plus le temps de
profondeur et l'albifie. Elle lave le mercure et le nettoie énergi- concentration des couleurs est court, et plus la
quement. Quand on verse sur elle du blanc d'œuf force tinctoriale initiale est faible mais on peut

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réitérer l'opération très vite et chaque fois doubler gris. Puis on saute de ces corps à des corps qui
la puissance tinctoriale des outils de colorisation. n'absorbent aucune des radiations chromatiques
Si on crée les outils en sept jours, cette «voie est du spectre ou qui sont, à l'inverse, la somme des
supérieure à l'Œuvre Suprême, du fait qu'elle permet de radiations du spectre.
teindre déjà, après un traitement court, puis d'observer Cette séquence noir-blanc est souvent
l'action tinctoriale de l'Élixir degré après degré alors interprétée comme une oxydation selon le point de
que l'Œuvre Suprême ne présente aucune possibilité vue d'Avicenne dans son Canon de Médecine. «Si
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analogue avant d'avoir atteint son achèvement ». nous chauffons un corps humide, il commence par
Outre l'action, il y a ici connaissance des étapes de noircir, puis il blanchit, et le changement est manifeste
l'action et donc meilleur contrôle de la colorisation quand le degré d'humidité est inférieur a 50%. Ainsi le
et de la transmutation. Mais pour Jâbir, transmuter, bois, par exemple, devient cendres blanches après avoir
c'est avant tout teindre. Cela pourrait signifier, été carbonisé». Les alchimistes occidentaux
contrairement à l'opinion courante, qu'il n'y a appelleront œuvre au noir (nigredo), œuvre au blanc
aucune transmutation dans cette alchimie mais (albedo) et œuvre au rouge (rubedo, citrinitas et
seulement camouflage d'une substance qui iosis) les trois étapes de leur travail.
perdure sous ses couleurs nouvelles . Le deuxième changement est que la séquence
Ce qui est dit chez cet alchimiste diffère de ce jâbirienne vient du rouge (instable) pour retourner
qu'on trouve dans l'alchimie occidentale ou les au rouge. Il part donc, dans son premier schéma,
séquences symboliques de couleurs sont diverses d'une couleur du spectre, le rouge, pour y revenir
mais où existent deux séquences dominantes : en sautant, de façon discontinue dans le spectre, au
vert pour retourner ensuite vers le rouge en
fauve rouge vert jaune jaune safran passant cette fois par les couleurs du spectre, par le
vif safran jaune puis le jaune orangé du safran . Dans son
deuxième schéma, il va plus loin puisqu'il saute du
Séquence de Jâbir rouge au bleu pour passer au vert et revenir au
rouge. L'alchimie occidentale part de l'extérieur du
noir blanc jaune rouge spectre, d'une absence de couleur, du noir pour
gris blanc vert jaune rouge aller vers le blanc qui est toutes les couleurs et
ensuite terminer par la séquence jaune-rouge ou
dans un cas, comme chez Jâbir, par la séquence
Les deux principales séquences vert-jaune-rouge.
de l'alchimie occidentale La première convergence est le terme de la
transformation. La séquence jaune-rouge est
Si on compare ces trois séquences, on remarque présente dans toutes les symboliques alchimistes,
deux changements et trois convergences. Le jâbirienne ou occidentales. La deuxième convergence
premier changement, c'est l'introduction du couple est l'absence du violet dans tous les cas. L'alchimie
noir /blanc à la place de la séquence fauve-rouge occidentale ignore même la séquence du spectre
vif-vert-jaune. Chez Jâbir, il y a des couleurs du violet-bleu-vert. La troisième convergence est
spectre, chez les alchimistes occidentaux, on l'ignorance, dans les deux cas, des radiations qui
trouve, au point de départ, des corps qui absorbent sont situées au-delà du spectre visible de la
totalement ou partiellement tous les rayons lumière blanche, ultraviolet d'un côté et infrarouge de
lumineux reçus à leur surface. On part du noir ou du l'autre.

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QUELQUES SÉQUENCES DE COULEUR La voici :
DANS LE SOUFISME
qalb rûh sirr khafî akhfâ qalb témoi
La couleur ultime est le rouge dans tous les cas (le (le (le (le gnage
cœur) (l'Esprit) secret) caché) très de
de l'alchimie. On vient de le constater en faisant le
caché)
commentaire d'un texte écrit vers 770 qu'on a l'Unicité
comparé à d'autres textes empruntés en particulier à sous sous droite centre milieu
Nicolas Flamel. Mais est-ce toujours le cas dans les le le gauche de delà delà du
textes ou les pratiques religieuses musulmanes sein sein la cerveau
ultérieures? L'observation montre que non. Il y a droit poitrine poitrine
en effet plusieurs cas, dans l'état actuel de nos gauche poitrine
jaune blanc vert blanc bleu
connaissances de cette question, dans les groupes
rouge (avec absence
spirituels musulmans, en ce qui concerne le terme du bril ant de
ultime de la séquence des couleurs . La couleur noir couleur
finale n'est jamais, comme chez les alchimistes, le
rouge . Elle n'est pas non plus le jaune . Mais elle apparent)
peut être le bleu foncé, le vert, le blanc ou le noir.
Nous présenterons des exemples de chacune de
ces séquences. Cette série est intéressante par ses
commentaires. Tout d'abord on constate qu'une série
de six éléments colorés peut être en réalité une
1- Le bleu série de sept éléments car la fin de la progression
Mohamed Boughali présente, chez les Gnâwa peut devenir absence de couleur. C'est ici le cas car
de Marrakech, une séquence de sept éléments qui la série se termine par la chahâda. L'itinérant est
se termine par le bleu foncé . On part de la série alors aspiré par le «Moi existant par lui-même» et
blanche des churafâ'(chorfa) puis on passe à la son ego s' annihilant, aucune perception de couleur
série noire des génies de la terre. La série du feu n'est plus possible. Tel serait donc le terme de ces
fait suite puis la série verte des churafâ'(chorfa), le séries de couleurs, s'abîmer dans le non-coloré.
jaune des femmes, le bleu de l'eau et enfin le bleu Ensuite on constate que les couleurs du début de la
foncé du fer. série ne sont ni la Lumière divine ni même la
Nous avons trouvé en Turquie une série Lumière muhammadienne. «Elle ne sont que
analogue puisqu'elle se termine également par le bleu l'enveloppe cachant la Lumière divine». En conséquence,
mais il s'agit d'un bleu brillant. Cette série est «celui qui s'y attache ne peut atteindre la réalisation».
présente dans la naqchabandiyya. Elle suit la Troisième remarque, le cheminement est en réalité
progression des centres subtils du corps humain. un cercle. On part ici du cerveau pour y retourner
mais alors le rouge est devenu bleu brillant.
Le cycle est ainsi décrit . On commence par la
répétition du nom de Dieu afin de purifier le cœur.
On se représente alors le nom de Dieu écrit en
lettres de lumière sous le sein gauche. C'est alors
que la lumière rouge, ici une aura corporelle,
entoure l'itinérant. Puis, avec la permission du

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maître naqchadand, la répétition est transférée Le vert tout d'abord était une couleur
sous le sein droit. La présence de l'aura jaune habituel e des vêtements du Prophète selon Munâwî.
signifie la purification de l'Esprit. Puis la répétition Ensuite le vert (ou l'émeraude) peut symboliser
passe à gauche de la poitrine jusqu'à ce que l'aura l'espace imaginai, angélique, qui existe au-delà de
blanche se manifeste. Ensuite c'est au tour du côté la limite de notre monde, au-delà du jbel Qâf, où se
droit de servir de support à cette vision du nom trouvent les cités d'émeraude, les villes de Jâbarsâ,
apparent de Dieu et c'est l'aura verte. Puis on Jâbalqâ et de Hûrqalyâ décrites par Tabarî. «La
répète l'exercice au centre de la poitrine. Là, il se couleur verte, dit Najm Kubrâ, dans son "Homme de
produit quelque chose de curieux. Une aura noire Lumière", est l'ultime couleur qui persiste. De cette
apparaît mais ce noir n'est rien d'autre que le couleur émanent des rayons, fulgurant en éclairs étin-
propre corps de l'homme. En réalité, l'aura est celants. Cette couleur verte peut être absolument
blanche mais elle n'est pas perçue par l'être pure. . . Sa pureté annonce la dominante de la lumière
humain ainsi. Une couleur apparente peut ainsi divine.» L'altérité absolue qui est celle de Dieu, qui
cacher une couleur réelle dans un même stade. est lumière sur lumière, a ici un symbole, la
Enfin on répète l'opération en visualisant le nom, couleur verte. La séquence proposée par Najm Kubrâ
toujours avec l'autorisation de son maître spirituel relie les couleurs aux sept cieux astronomiques et
au centre du cerveau et c'est alors que l'ultime aux sept cieux de l'âme .
couleur, l'aura bleue brillante, pourra apparaître. Puis Au Maroc, alors que les membres de la
c'est l'extinction (fana') avant l'extinction de Tîjaniyya dansent en blanc, les Darqawa le font en
l'extinction et la subsistance. vert, rarement en blanc. Les H'madcha ont un
turban vert. Les tentes du Makhzen étaient vertes et
2- Le vert rouges. Elles sont aujourd'hui blanches avec des
La deuxième couleur ultime est le vert. On décors noirs. Il s'agit, dit Abdelhaï Diouri,
trouve cette séquence chez Idries Shah . Cet auteur d'impliquer le corps dans un autre corps mythique en
relie les couleurs aux points corporels de lequel «se déroule la joie de la danse». Le vert est
concentration. En réalité, il reproduit, sans le préciser, la une couleur religieuse essentielle.
séquence du Tanwîr al-qulûb du Chaykh On observe ici l'absence du bleu. Or le colori-
Muh'ammad Amîn al-Kurdî al-Châfi'î al- métriste Pieter J. Bouma remarque, qu'à cause de
Naqchabandî . On est à nouveau dans le groupe la constance de leur tonalité, quelle que soit
spirituel des naqchabands mais la séquence l'intensité de la lumière, «en regardant, sans idée
proposée est très différente de celle qu'on trouve en préconçue, les couleurs du spectre, on arrive à la conclusion
Turquie dans ce même groupe, ce qui prouve qu'il qu'il ne s'y trouve que quatre couleurs principales qui,
n'y a aucune homogénéité des couleurs dans une chacune, donnent l'impression de constituer une unité
même communauté éclatée dans l'espace. indépendante: rouge, jaune, vert et bleu. Toutes les
Cette séquence commence par une première autres couleurs (orange, etc.) évoquent aussitôt une
sous-séquence qui est le terme de la séquence des association avec les couleurs adjacentes ». On sait
alchimistes: jaune-rouge . Puis elle quitte le qu'en imprimerie, on fabrique toutes les couleurs
spectre de la lumière blanche pour passer à une apparentes à partir de trois couleurs, le jaune, le
deuxième sous-séquence: blanc-noir. Et enfin elle bleu cyan et le rouge magenta (qui n'appartient
aboutit à une couleur très souvent présente sur les pas au spectre) et que la télévision en couleurs
drapeaux des pays musulmans, le vert. Pourquoi utilise aussi trois couleurs, le vert, le bleu et le rouge
cette couleur? spectral.

119
Cette séquence se terminant par le vert est qu'elle soit récente car nous n'en connaissons pas
présente aussi chez 'Alâ'al-dawlah Simnânî . les références précises. Elle comporte, outre les
La séquence proposée est celle qui va du couleurs correspondant ailleurs aux quatre
microcosme vers le macrocosme par l'arc de remontée. éléments, le groupe triple des propriétés de l'esprit,
Elle a explicitement un sens spirituel qui est blanc, noir et brun santal qui est une forme d'ocre.
l'explosion des enveloppes du corps subtil. La gamme de sept couleurs correspond aux jours
Il en est de même chez Damâvandî dans le de la semaine et aux sept planètes visibles31.
Miftâh. Sa séquence des modalisations de l'âme est En revanche, nous connaissons, grâce à
la suivante : H. Corbin, une autre série, ou plutôt deux autres
séries iraniennes qui se terminent par le blanc.
vert bleu rouge jaune blanc noir vert
éme- Elles figurent dans la Risâlat al-yaqûtat al-h'amra',
raude La Lettre du hyacinthe rouge, de Karîm-Khân
fleur Kermânî. La première séquence concerne notre
les du res et re de monde terrestre.
des feu ce La deuxième concerne le monde céleste. Ces
arbres temps sence correspondances qui passent de la gauche vers la
bée
droite et du bas vers le haut, commentent un h'adî-
taux dans lue
et le th rapporté par Kolaynî: «Dieu a créé le trône de
lune venir quatre lumières: une lumière rouge par laquelle
culte âme cœur Esprit fana' rougeoie la couleur rouge; une lumière verte par laquelle
lié au purifié ou ère des verdoie la couleur verte; une lumière jaune par laquelle
corps ce néanti jaunoie la couleur jaune; une lumière blanche de
secrète sation ères laquel e dérive la blancheur». Cependant il ne s'agit pas ici
réellement d'une progression spirituelle. On
Mais Damâvandî ajoute que cette séquence indique les couleurs fondamentales en les classant.
n'est pas la même chez tous les spirituels. Il n'est
même pas nécessaire que ces couleurs 4- Le noir
apparaissent car chaque homme diffère des autres . Une quatrième possibilité est celle de la couleur
terminale noire . On la trouve chez Ibn 'Arabî. Cet
3- Le blanc auteur nous propose en effet dans ses Futûhât (II,
Dans ce qui n'est pas une séquence mais un 187) la symbolisation suivante des quatre morts
simple symbole, le blanc est associé au terme du initiatiques :
voyage mystique. «Le Mi'râj, c'est l'être même de rouge blanc vert noir
l'homme, qui s'élève en lui-même, en partant de
l'extérieur, qui est ténèbres, vers l'intérieur, qui est lumière,
et de l'intérieur vers le Créateur. Son corps est comme Ailleurs, on trouve, chez Ibn 'Arabî, une progression
une échelle d'ébène noir, et dans son intérieur se trouve qui se «termine» par le noir .
une échelle d'ivoire blanc. Lorsque tu as dépassé les éclairs bleu ou vert rouge noir
deux échelles, alors tu es arrivé. ..là où Dieu réside assis
29
sur son trône ...»
Une gamme à sept degrés de couleurs apparaît Pour la comprendre, il faudrait commencer par
30
en Iran et se termine par le blanc . Il est possible douter de l'idée de progression et lire les indica-

120
tions données sur la lumière noire par 'Abd ar- lumières soient visualisées soit simultanément soit
36
Razzâq Lâhîjî dans son Gohar-e Morâd publié à successivement ».
Téhéran en 1377 h. Cette lumière est «lumière sur
lumière», elle est la «totalité des Noms et des Le rouge est la dernière lumière visible. Au-delà
Attributs». Comme l'œil, face au soleil, est aveugle, se trouve la lumière noire qui est l'attribut de
cette lumière est obscure à cause de sa trop grande Majesté, le symbole de l'Unicité absolue comparée
proximité. La noirceur ne vient donc pas ici de à la nuit en raison de son indistinction photique.
l'excès de distance mais de l'inverse. Ainsi c'est Mais ces ténèbres d'en-haut sont l'équivalent, en
l'Ipséité divine (Huwiyya) qui est symbolisée par fonction du symbolisme inverse, des ténèbres
ce noir. Mais, pour cette couleur, on ne peut plus d'en-bas. On peut commencer par le noir et
parler de vision car le voyant ne se distingue plus terminer par le noir. S'introduit donc ici l'idée d'une
de ce qui est vu. C'est alors la nuit lumineuse par théologie apophatique.
opposition au noir du jour enténébré représenté Dans les confréries noires de Tunis ou chez
par les 70000 voiles de lumières et de ténèbres de celles de Constantine, il y a des séquences de
Dieu. couleurs qui apparaissent, associées à diverses
On pourrait également rappeler ce que dit 'Abd catégories d'êtres, lors d'une «nuit». Mais au terme de ces
al-Karîm Jîlî, dans son al-Insân al-Kâmil, de séquences, on célèbre des êtres féminins, humains
l'obscurité (al-'Amâ) divine. «L'obscurité divine est le lieu ou non et tout s'achève dans l'obscurité qui peut
primordial où les soleils de la beauté se couchent, c'est être analysée comme une variante du noir. Mais ce
l'âme de l'âme de Dieu. . ., c'est la Réalité des réalités qui noir, avant d'être stable est bariolé ou strié de
ne saurait être qualifiée de divinité. . . L'obscurité divine photismes divers instables dont la compréhension
est donc le parèdre de l'Unité (al-ahadiyya) : de même suppose acquise la théorie des éclairs de Najm
que tout Nom et toute Qualité s'effacent dans l'Unité, Râzî qui distingue les éclairs fugitifs {burûq), les
en laquelle aucune chose ne se manifeste, rien ne se fulgurations (lawâmi') et les lumières prolongées
manifeste ni ne se révèle non plus dans l'Obscurité divi- (lawâmih), les lumières persistantes, les sources de
35
ne ». lumière qui n'éclairent pas et enfin les sources de
On trouve, comme chez Ibn ' Arabî, une lumière qui donnent de la lumière. Les
séquence se terminant par le noir dans le chapitre XVIII fulgurations instantanées peuvent venir de prières
du livre de Najm ad-dîn Râzî, un disciple de Najm liturgiques ou de rites, les éclairs prolongés viennent
ad-dîn Kubrâ, Mirsâd al-'Ibâd. Ces deux auteurs du dhikr ou du Qurân.
étudièrent, comme Semnânî, les photismes colorés À Constantine, il faut distinguer deux rituels, la
et leurs relations avec des états spirituels. «Au nouba et la derdeba. Dans la nouba où est traité un
premier degré apparaît la lumière blanche qui est le signe de individu dans un temps assez court, l'ordre des
l'Islam; au second apparaît la lumière jaune qui est le couleurs «varie légèrement d'un lieu de culte à
signe de la fidélité, de la foi (îmân); au troisième se l'autre». Georges Lapassade décrit tout d'abord un
manifeste la lumière violette qui est le signe de la rituel de nouba, à Dâr Haoussa , qui commence par
bénévolence (ihsân); au quatrième, apparaît la lumière le rouge (Lalla Rima) et qui se termine par le noir
verte qui est le signe de la certitude (itminân); au (Sidi Merzoug). Il signale que c'est l'inverse à Sidi
cinquième, la lumière bleue qui est le signe de l'assurance Bahârî où on commence par le noir pour terminer
(iqân); au sixième, apparaît la lumière rouge qui est le par le rouge. Il ajoute qu'à Constantine, «ce sont les
signe de la sainte stupéfaction (hayamân) et qui est maîtres du culte qui, par leurs invocations, gèrent la
aussi la lumière de l'Essence. Il est possible que ces venue des esprits». La séquence observée par

121
Georges Lapassade comporte sept éléments. des corporations, bûcherons, dont il n'indique pas
Cependant Georges Lapassade ne signale que cinq la couleur, marins pour le bleu et bouchers pour le
39
séquences, en décrivant le noir de Sidi Merzoug, le rouge, couleur du sang . Il signale aussi que
rouge de Sidi Rima (ou de Lalla Rima), le vert Viviana Pâques, dans l'Arbre cosmique, relierait le
d'Abdelqader Jîlânî, les esprits féminins des eaux, rouge au feu, c'est-à-dire à l'un des quatre élé-
40
et le noir de Boussadia. Mais ne sont décrits ments. Il ajoute que, selon Crapanzano , le rouge
ensuite que quatre éléments dans leur ordre de serait la couleur du Dieu phénicien Hammon. On
succession: noir-rouge (rose)-noir-vert, ajoutant ensuite retrouve ici la difficulté méthodologique des
qu'on commence «probablement» par les blancs à études portant sur des couleurs individualisées,
Constantine. Cette description de la nouba est chaque ethnologue interprétant à sa façon, selon ce
incomplète et hypothétique. Les séquences de qui lui paraît «évident», les couleurs et propose un
couleurs n'y sont pas stabilisées. A l'inverse, les prétendu sens de celles-ci.
séquences de la derdeba sont fixées mais non Puis le rituel se prolonge avec les verts qui sont
présentées par Lapassade qui ne la connaît que par les «gens de Dieu» ou les churafâ' (chorfa)
E. Dermenghem et V. Pâques. (descendants du Prophète). Là se pose un problème de
À Tunis, Georges Lapassade a l'occasion couleur car à Rabat, Bel Hâjj, dans son mémoire
d'assister à un rituel qui est une suite de silsilat (ou sur les Gnâwa de Rabat, ne signale que les
chaînes). La série des couleurs lui est confirmée churafâ' (chorfa) verts. À Rabat, AbdelhaïDiouri constate,
par deux informateurs indépendants : elle serait la dans sa thèse La transe et l'écriture, que sont
séquence blanc (Sidi ' Abdelqadir, catalogué vert en distingués, à cette phase du rituel, deux groupes de
général au Maroc sauf chez les femmes de Salé où spirituels, les churafâ' verts tout d'abord puis les
il est également classé avec les blancs), noir, bleu saints appelés «célestiels» (samawiyyîn) ou bleus
(les gens de la mer), rouge et enfin les esprits ciel. A Essaouira, Georges Lapassade pense que ces
féminins sans indication de couleur. deux groupes de churafâ'et de célestiels «forment
On remarque ici l'apparition au début de la un seul et même groupe».
série d'éléments dépourvus de colorations, Puis vient le deuxième groupe de noirs ou «fils
d'éléments neutres, le blanc et le noir, exactement de la forêt» que Georges Lapassade avoue ne pas
comme dans l'alchimie occidentale. Ces couleurs pouvoir comprendre. On doit signaler qu'un
neutres sont les valeurs pures par opposition aux élément de ce groupe catalogué noir, le serpent, Bala
41
valeurs colorées. Elles ont une saturation nulle à Bala Dimba, est blanc . Il a comme symbole l' arc-
l'inverse des couleurs pures qui leur feront suite en-ciel dont il est la synthèse. Mais ceci est absent
dans la série. de la description de G. Lapassade. Cette série n'est
Georges Lapassade décrit une autre série à donc pas homogène. Elle se termine par une
Essaouira 38 . Celle-ci s'achève par la couleur noire. invocation à ' Alî. Enfin le rituel se termine, au septième
La série des «rois» ou «propriétaires» est la degré, par une célébration des femmes, à la fois de
suivante. On commence par la cohorte (mehalla) des la famille du prophète et des jenniyyât. Ce groupe
blancs ou Jîlala. Puis viennent les noirs. Puis vient n'a pas de chef et chacune des femmes a sa couleur,
la famille bleue de Moussa le marin. On la célèbre le jaune pour les femmes invoquées qui sont ber-
avec un foulard, parfois des habits bleus. Enfin, bérophones, le violet pour Lalla Rkia, le jaune
c'est Hammou le Rouge qui est célébré. orangé pour Lalla Mira ou le noir pour Lalla
Georges Lapassade signale l'hypothèse selon 'Aïcha {Qandicha) dont l'invocation clôt le rituel et
laquelle ces groupes d'esprits correspondraient à s'accompagne de l'extinction des lumières.

122
Le début de cette série est exactement celle de Chez les noirs de Salé, la séquence la plus
42
Tunis qui s'arrête au quatrième degré . En réalité, longue apparaît comportant huit éléments. Elle est
la série de Tunis a bien, elle aussi, cinq degrés, car décrite par Fenneke Reysoo . Elle existe chez les
le cinquième est aussi la célébration de femmes. femmes Gnawa. Cependant elle est présentée par
Cette série d'Essaouira se prolonge et, si elle cette ethnologue dans le désordre. Et les deux
s'arrêtait au cinquième degré, elle s'achèverait sur le phases d'une même séquence sont ici distinguées
vert comme la série d'Idries Shah. Mais ce n'est pas d'où le chiffre de huit éléments. Cette série
le cas car cette gamme est à sept degrés, deux s'achève en réalité par le noir bariolé.
nuances l'initient, blanc-noir et cinq tons la
complètent : bleu-rouge- vert-noir-couleurs diverses. rouge noir jaune vert mauve noir blanc bleu
bariolé ciel
On peut appeler «photismes» ces impressions Sidi Sidi Lalla Mou- Lalla Lalla Mou- Sidi
Ham- Mim- Mira lay Malika Aïcha lay Moussa
successives qui surgissent lors de l'invocation des mou mon Bra- Abdel
43
figures féminines de la fin du rituel . Ce rituel est him Qader
pour les six septièmes masculin et pour le dernier musc aloès musc
dre et join join join dre et
septième féminin. A Tunis, il n'est féminin que benjoin noir noir noir benjoin
delà delà
pour un cinquième. Mekke Mekke
À Rabat, Abdelhaï Diouri décrit la séquence:
blanc-noir-bleu (des marins)-rouge-vert-bleu nuit
(ou célestiels)-noir (les maîtres de la forêt)-les Cette séquence n'a donc, telle quelle, qu'un
femmes (avec des traits multicolores où intérêt, montrer les relations entre les couleurs et les
prédomine le jaune de Mîra). Cette séquence est identique parfums. Mais on peut tenter de la rétablir dans
à celle d'Essaouira. Diouri signale que le noir final son ordre effectif. On observe alors que deux
.46
tire vers le bleu gris. Il s'agit donc d'une couleur séquences ont été omises par 1 informatrice :
intermédiaire entre le gris et le bleu, c'est un gris
blanc noir bleu rouge vert et noir jaune,
bleuâtre, donc une couleur froide. bleu mauve
ciel et noir
.
Un maître de Fès, Ahmed Sadguî, avoue à
final
Abdelghani Maghnia que les sept contingents Mou- Sidi Mou- Sidi Lalla
correspondent à sept twâb' ou tempéraments, l'aérien lay Ham- lay Mi- Mira
Abdel- mou Bra- mon Lalla
(hawâ'î), l'aquatique (mâ'ï), le terrien (turâbî), le Qader himet
calorique (nârî), plus aux tempéraments des Sidi Malika et
Lalla
rivières {wîdân), des cavernes (kifân) et du désert Mous a Aïcha
44
(khlâ) . Cette correspondance entre les quatre aloès musc
benjoin coriandre puis benjoin et
couleurs fondamentales et les quatre éléments est delà et noir ben-
aussi présente en Iran. Mekke coriandre et noir
benjoin
Le bleu et le vert sont catalogués froids et le delà benjoin
rouge et le jaune chauds. Le bleu et le rouge sont Mekke
classés dans le sec, le jaune et le vert dans
l'humide. La jonction du bleu et du rouge représente l'est, II faut savoir aussi que le noir final peut aussi
celle du rouge et du jaune le sud, celle du jaune et être remplacé par une absence totale de couleur
du vert l'ouest et celle du vert et du bleu le nord comme chez Kermânî. Il propose en effet une
47
selon Nader Ardalan. Ce groupe quadruple séquence de huit éléments .
correspond aux qualités de la nature.

123
couleurs unies sans monde de la lumière comparative de ces séquences de couleurs? Les
distinction de Dieu hommes du passé qui évoquent les couleurs ne
lumières unies avec une quatre colonnes du trône
pluralité encore intérieure de Dieu connaissent pas les couleurs artificielles ou
synthétiques. Ils ignorent l'existence de colorants de

:
lumière blanche
couleur différenciées d'un univers des esprits synthèse. Leurs couleurs, leurs colorants et leurs
degré intermédiaire teintures, sont tous d'origine naturelle donc différents

:
lumière jaune
couleurs différenciées par monde des âmes et, le plus souvent, moins intenses que les couleurs
leurs formes extérieures séparées que nous connaissons.
lumière verte : Le problème posé par ces hommes n'est pas de
couleurs différenciées par monde de la nature constituer des gammes isochromes ou isophanes
genre lumière rouge
de couleurs. Il n'est pas d'harmoniser des
:

couleurs différenciées monde de la nuée


individuellement colorants. Leur souci n'est pas la maîtrise des formes
:

couleur vert foncée monde imaginai des tapis, des plafonds peints de mosquée ou des
couleurs différenciées par monde des corps décors des portes. Il est plutôt de symboliser des
les sens matériels
progressions spirituelles par des qualités
:

couleur noire
empruntées au monde dans lequel ils vivent. Toutefois
On est donc en présence de la séquence l'idée de progression n'est pas toujours présente et
suivante qui, à nouveau parvient à une indistinction des il peut y avoir d'apparents retours à l'origine. Il n'y
couleurs : a, en particulier, ici aucune considération
mathématique ou quantitative sur les couleurs. Il est vrai
noir vert cendré rouge vert jaune blanc union que les physiciens musulmans comme Ibn al-
foncé des Haytham qui se sont intéressés à la réfraction, à
couleurs l'arc-en-ciel ou à la physiologie de l'œil n'ont pas
Cette série est assez proche de la série des Jilâla poussé leurs recherches dans cette direction, un
marocains telle qu'Abdelghani Maghnia la rappor- engouement pour la compréhension de l'arc-en-
48
te : ciel n'apparaissant en Perse qu'à partir du
II présente aussi, sans référence, une autre 13e siècle.
noir blanc rouge bleu vert jaune couleurs Il n'y a pas non plus ici de relations entre les
diverses gammes musicales et les gammes de couleurs . Ce
Al- Shama Sidi Sidi Al- Lalla Al- qui importe ici est bien le symbolique. Comme le
Buw- rush Ham- Mûsa Buhâli Mîra Buhâli disait Afdal ad-dîn al-Kâchânî, «les créatures sont de
wâb mû al
Ferras deux sortes, celles qui reçoivent l'acte et qui sont créées
et les êtres des origines, ou archétypes, qui sont
série éternels... Il existe donc deux mondes, l'un réel, l'autre
Quels problèmes théoriques peut poser l'étude symbolique. La nécessité appartient au réel, l'univers du
symbole est contingent. L'universel est réel, le
bleu jaune rouge blanc vert noir incolore
Al- Al- Al- Al- Al- Al- Al- particulier est symbole. Et les êtres particuliers ne sont qu'un
'am- law- mul- mut- râdiya mar- kâmila reflet symbolique de l'universel. Les créatures qui
mara wâma hama ma'- (âme diyya (âme peuplent ce monde ne subsistent que par les archétypes de
(âme (âme (âme inna (âme complie) l'autre... La connaissance sensible de ce monde est
(âme ante) agréée) l'image de la connaissance intelligible de l'autre»
tique) mante) rée) pacifiée)
(Musannafât). D'où l'idée d'une hiérarchie des cou-

124
leurs analogues à la hiérarchie des Lumières. «Les taux qu'orientaux. Les couleurs de départ sont
lumières célestes auxquelles s'alimentent les lumières d'abord neutres (10 cas/ 17) puis chaudes
terrestres s'ordonnent entre elles selon la façon dont (5 cas/ 17) chez tous, même chez les Gnawa de
elles puisent les unes aux autres, de telle sorte que la Marrakech. On ne trouve une couleur froide que
plus proche de la Source première mérite davantage le dans un cas.
nom de lumière puisqu'elle occupe le degré le plus L'ordre de ces sous-séquences est dû au hasard.
eleve ». Il n'y a pas de loi expliquant la genèse des sous-
Il n'y a donc pas ici de chromatologie puisqu'on séquences. On ne peut croire que certaines séries
est en face d'une chromatosophie qui est viseraient exclusivement, par les couleurs
herméneutique anagogique ou dialectique ascendante. chaudes, un effet de stimulation et par les couleurs
Celle-ci part des couleurs pour aller vers les froides, un effet sédatif apaisant.
Lumières ou, selon d'autres, pour aller des On pourrait analyser de la même manière le
couleurs créées vers les Couleurs premières existant caractère sec ou humide des couleurs. Encore
avant leur propre manifestation. faudrait-il que cette symbolique soit présente dans le
Ces hiérarchies de couleurs ne sont pas sans système culturel étudié. Or cette opposition n'a été
effet dans la vie quotidienne. Ainsi il peut arriver vue qu'une fois et uniquement dans un texte
que des hommes portent intentionnellement des contemporain.
turbans de la couleur de leur état spirituel et cela Dans son Livre des Temples de la Lumière, Kitâb
aussi bien au Proche-Orient qu'au Maghreb. De Hayâkil al-Nûr, Suhrawardî, expose l'épiphanie de
même, le fait de porter des habits multicolores et la Lumière en partant de la Lumière des Lumières
rapiécés, des patchworks diversement colorés, (nûr al-anwâr) en dehors du monde manifesté, de la
signifie un état de l'itinérant dont parle Hujwirî Lumière nécessaire qui n'est l'effet d'aucune
dans sa Somme spirituelle. illumination, pour aller vers les Lumières possibles ou
On remarque aussi que sont parfois décrites des les lumières qui ne sont nécessaires que par
séquences isochromes, de tons ou de tonalités, l'existence d'autres Lumières comme celles du soleil ou
éventuellement de teintes, mais jamais des de l'éclair. Dieu, se manifestant comme Esprit
séquences isophanes, des nuances de couleur à saint, comme Esprit de l'univers {rûh al- 'âlam), est
clarté égale. De même, le caractère chaud ou froid Lumière sans être couleur, lumière victorieuse, nûr
des couleurs n'est pas analysé. Or il y a des al-qâhir. Il devient alors en tant que Lumière se
séquences complexes avec des allers et retours. réfléchissant sur la lumière, Insân al-kâmil,
Dans l'alchimie de Jâbir, la séquence est chaud Homme parfait, ou existence absolue, al-wujûd al-
(fauve, rouge vif), froid (vert), chaud (jaune), très mutlaq. La Lumière des Lumières ou Lumière
chaud (rouge safran) et chaud (rouge). Les Gnawa unique se déploie en lumières multiples. La théo-
marocains ont une séquence neutre (blanc-noir), phanisation se fait d'abord par la Lumière, c'est-à-
froid (bleu), chaud (rouge), froid (vert), neutre dire par une non-couleur, puis par la couleur
(violet-jaune-noir avec une séquence chaude, le unique du monde imaginai, al- 'âlam al-mithâl, et
jaune). Ibn 'Arabî passe du chaud au neutre, au les couleurs diverses du monde sensible. Mais
froid et au neutre. Idries Shah a une séquence qui chaque lumière puis les couleurs sont d'une part
passe du chaud (jaune-rouge) au neutre (blanc- des manifestations, d'autre part des voiles.
noir) pour parvenir au froid (vert). D'autres auteurs comme Kermânî, longuement
Les couleurs ultimes sont froides chez les étudié par Corbin, pensent au contraire que les
mystiques et chaudes chez les alchimistes tant couleurs sont présentes non seulement dans notre

125
monde mais aussi dans le monde intermédiaire et Dârâ Chukûh dans son Majma'al-Bahrayn, la
même au-delà car, selon eux, à la différence des Lumière divine peut s'épiphaniser sous n'importe
physiciens occidentaux, les couleurs auraient une quelle couleur. «Si elle s'épiphanise sous l'Attribut de
réalité objective qui serait donc présente même Majesté, elle est soit couleur de soleil, soit couleur de
dans l'obscurité . Ainsi les couleurs peuvent rubis, soit couleur de feu; mais si elle s'épiphanise sous
exister sans être manifestées. La lumière n'est alors l'Attribut de Beauté, elle est soit couleur d'argent, soit
cause que de la manifestation et non de l'existence couleur de perle, soit couleur d'eau. La lumière de
de la couleur, il devient important de constater les l'îpséité divine qui est affranchie des attributs ne peut
lumières visibles car elles nous informent sur être perçue que par les Amis de Dieu56».
l'invisible. Ces réflexions n'empêchent pas de proposer
Selon cette conception réaliste des couleurs, la une synthèse quantifiée de ces séquences de
langue ne serait qu'un répertoire, nécessaire pour couleurs. Tout d'abord, on peut résumer toutes les
celui qui appréhenderait l'invisible. Les couleurs informations collectées dans le tableau suivant où
s'ordonneraient antérieurement à la vision qu'en les séquences de couleur sont classées par taille
ont les hommes. Les noms de couleurs ne seraient croissante et où sont signalées leurs origines,
donc pas un code arbitraire tout comme ne le classées par domaine, alchimie (Alch) ou mystique
seraient pas les valeurs et les sens des couleurs. Les (Myst), par zones géographiques, occident,
uns, linguistes occidentaux, ne verraient que Maghreb (Magh) ou proche ou moyen-Orient
l'arbitraire du signe et les autres sa nécessité . (Orient), enfin par pays, Iran, Maroc (Mar), Tunisie
Étudier les séquences de couleurs, c'est donc (Tun) ou Turquie (Tur). (Voir tableau n°l p. 129)
dire ce qu'on pense de la structure du monde
métaphysique. D'où l'extrême importance de ces On peut classer ces séquences selon les régions
réflexions de chromatosophie. S'il y a bien une où elles ont été observées, ce qui permet de
leçon à tirer de cette étude, c'est qu'il n'y a pas «de calculer des moyennes régionales. Les séquences
54
rigueur rituelle pour la couleur ». Contrairement à ce décrites au Maghreb sont moins grandes qu'en
qu'affirme Idries Shah, il n'existe pas ce qu'on Orient. L'hypothèse d'un manque d'attention des
pourrait appeler «la méthode soufie dont l'ordre observateurs doit être sérieusement envisagée car
d'activation est ainsi : jaune-rouge-blanc-noir- pour le proche et le moyen-Orient, nous avons des
vert ». Les séquences varient dans l'espace comme textes originaux, pour le Maghreb, il s'agit de
dans le temps. Elles varient même dans un même descriptions d'ethnologues. Le déficit observé ici vient
groupe spirituel selon les villes ou selon les peut-être uniquement de cette variable.
maîtres. Comme le dit Ghazâlî, il n'y a aucune On peut dès lors classer les séquences par taille
chose de notre monde qui ne soit symbole (mithâl) croissante (tout comme on pourrait les classer par
du monde céleste mais «une seule et même chose peut dates). On observe la prédominance des séquences
être le symbole de plusieurs choses du monde du de 4 éléments ou de 7 éléments. Ceci est à
Malakût, et inversement, une chose unique du Malakût rapprocher des usages de couleurs dans la vie
peut être représentée par plusieurs symboles du monde quotidien e comme, par exemple, le sacrifice du coq à sept
visible.» Une couleur n'a pas de sens en soi mais couleurs à Sefrou .
elle ne symbolise pas plus qu'un parfum, qu'un Par quelles couleurs commencent ces
jour de la semaine, que la figure d'un prophète ou séquences ? (voir tableau n°2 p. 129)
qu'un élément. Comme il y a polysémie dans le
langage, il y a polysymbolisme. Ainsi que le dira

126
Tableau n°l
noir blanc jaune rouge Alch Occident 4
rouge blanc vert noir Myst Magh 4
noir rouge jaune blanc Myst Orient 4 Iran
rouge jaune vert blanc Myst Orient 4 Iran
gns blanc vert jaune rouge Alch Occident 5
jaune rouge blanc noir vert Myst Orient 5
blanc noir bleu rouge noir Myst Magh 5 Tun
rouge rouge vert jaune jaune rouge Alch Orient 6
clair vif safran stable
blanc noir rouge vert jaune bleu bleu Myst Magh 7 Mar
rouge jaune blanc vert blanc bleu pas Myst Orient 7 Tun
(noir brillant coloré

apparent)
noir bleu rouge blanc jaune noir vert Myst Orient 7 Iran
lumineux
vert bleu rouge jaune blanc noir vert Myst Orient 7 Iran
noir jaune vert rouge bleu bleu blanc Myst Orient 7 Iran
santal
blanc jaune violet vert bleu rouge noir Myst Orient 7 Iran
blanc noir bleu rouge vert noir noir Myst Magh 7 Mar
bleu avec avec
ciel un stries
élément
blanc colorées
noir vert cendré rouge vert jaune blanc Myst Orient 8 Iran
couleurs
unies
1 2 3 4 5 6 7 8

Tableau n°2
gris blanc vert jaune rouge
vert bleu rouge jaune blanc noir vert
jaune rouge blanc noir vert
blanc noir bleu rouge noir
blanc noir rouge vert jaune bleu bleu foncé
blanc noir bleu rouge vert et noir noir
bleu ciel
blanc jaune violet vert bleu rouge noir
rouge blanc vert noir
rouge vert jaune blanc
rouge jaune blanc vert blanc bleu sans
brillant couleur
rouge rouge vert jaune jaune rouge
clair vif safran stable
noir blanc jaune rouge
noir rouge jaune blanc
noir jaune vert rouge bleu bleu santal blanc
noir vert cendré rouge vert jaune blanc couleurs
unies
noir bleu rouge blanc jaune noir vert
lumineux

127
Trois couleurs dominent, le noir, mais il n'est veut. Le symbolisme n'a désormais, comme pour
pas de même nature que le noir final, le rouge et le Dieu, plus aucun sens.
blanc. Plusieurs séquences commencent par le Les couleurs de départ sont, par rapport aux
noir, le vert et le rouge qui se terminent également couleurs d'arrivée, les suivantes :
par ces couleurs mais là aussi, les commentaires
signalent qu'il ne s'agit pas exactement de la même
couleur même si elles portent le même nom. noir 5 noir 4

:
blanc 4 blanc 3
On a classé au cours de l'étude, à titre

:
rouge : 3 rouge 3
provisoire, les séquences par leurs couleurs terminales.

:
vert 1 vert: 3
Dans ce cas, les couleurs terminales sont, dans

:
l'ordre, le noir, le vert, le rouge et le blanc. Cela
n'est pas sans effet sur des personnes aux
comportements religieux qui peuvent choisir des habits ou II serait utile de comparer ces couleurs à celles
des turbans en fonction de la couleur qu'elles des drapeaux des États arabes ou musulmans. En
considèrent comme la plus haute (et qui peuvent effet, ces drapeaux ont été présentés dans la revue
59
inversement attaquer des personnes qui portent marocaine Hespéris . On peut également se
des couleurs qu'elles considèrent comme demander comment se répartissent dans les pays
insupportables). Ainsi les Aïssawa qui valorisent le arabes, où les analphabètes sont souvent très
rouge pouvaient attaquer, pendant leur moussem, nombreux, les couleurs des partis politiques, de la
les personnes portant des couleurs noires. majorité comme de l'opposition, et qui s'accapare
Mais il faut bien prendre garde au fait que les ces quatre couleurs fondamentales. On pourrait
couleurs terminales ne sont pas réellement les enfin se demander ce que des designers ou des
couleurs terminales pour des itinérants parvenus au agences de publicité, ou des organes de
terme de leur parcours. Le mystique Ibn 'Ajîba propagande politique ou religieuse, désireux d'envoyer des
insiste sur ce point dans son Mi'râj. Ce que messages efficaces en direction de prospects situés
décrivent en effet les maîtres spirituels n'est que la dans des pays arabes ou musulmans peuvent faire
coloration (talwîn) ascendante. Cette coloration, dit Ibn de ces quatre couleurs caractéristiques d'une
'Ajîba, «peut se produire dans un sens descendant identité collective qui n'existe pas sous cette forme aux
ou ascendant. Mais lorsque l'homme parvient à la États-Unis ou en Europe.
gnose pure (çarîh' al-'irfân) et possède une vision On peut maintenant se demander quelles sont
permanente, on dit qu'il est dans les séquences de couleur qui peuvent être conti-
«l'affermissement» {tamkîn).» La coloration «peut cependant venir guës ou non. Quelles sont les couleurs qui
après l'affermissement. Il s'agit dans ce cas de la précèdent d'autres couleurs? Répondre à cette question
descente dans les stations spirituelles». Mais les couleurs sera un dernier moyen pour définir, au moins
acquises alors volontairement n'ont pas le même provisoirement, à partir de cette étude préalable de
sens que les couleurs de l'arc de la montée. Car quelques séquences de couleurs, l'identité
désormais, loin de subir les états qui sont les siens col ective arabe ou musulmane. Nous nous limiterons aux
ou l'influence du milieu, l'être autonomisé «les suites contiguës de couleur. Sur la ligne du haut
domine et n'en est pas affecté; ni les malheurs ni les ca- figurent les couleurs qui apparaissent en premier.
58
lamités n'ont d'influence sur lui ». Ceci signifie que Sur la première colonne sont les noms des couleurs
pour celui qui s'est réalisé, les couleurs n'ont plus qui suivent immédiatement les couleurs placées en
aucune importance. Il peut adopter la couleur qu'il premier.

128
rouge noir blanc jaune vert bleu gris mauve rouge noir blanc jaune vert bleu gris mauve
rouge 1 2 0 4 1 5 1 0 14 rouge 1 2 0 2 1 5 1 0 12
noir 2 1 5 1 2 0 U 0 11 noir 2 1 5 1 2 0 0 0 11
blanc 3 1 0 5 1 1 1 0 12 blanc 3 0 0 5 1 1 0 0 10
jaune 3 1 2 1 5 1 0 0 13 jaune 3 1 1 1 4 1 0 0 11
vert 5 4 3 1 0 0 0 1 14 vert 5 4 2 1 0 0 0 1 13
bleu 1 3 1 1 2 2 0 0 10 bleu 1 3 1 1 2 2 0 0 10
gris 0 0 0 0 1 0 0 0 1 gris 0 0 0 0 1 0 0 0 1
mauve 0 0 0 1 0 0 0 0 1 mauve 0 0 0 1 0 0 0 0 1
15 12 11 14 12 9 2 1 76 15 11 9 12 11 9 1 1 69

La domination de trois couleurs apparaît ici: On obtient ainsi une première approximation
rouge (15 fois en première place et 14 fois en de l'identité musulmane (occidentale) par les
seconde), suivi du jaune (14 fois en première place et 13 couleurs. Ceci pourra ensuite être affiné par zone
fois en seconde) puis du vert (12 fois en première géographique et par période historique. Car
place et 14 fois en seconde). Le noir et le blanc l'important est ici la coexistence, dans une même aire, à un
suivent ex-aequo. La séquence la plus choisie serait : moment donné, de plusieurs séquences
Rouge- Vert-Jaune-Blanc-Noir. On observe que la «contradictoires». Ainsi on peut trouver actuellement au
séquence du drapeau français, bleu-blanc-rouge, Maroc des spirituels ou prétendus tels qui, classant
par exemple, (ou selon le sens de la lecture arabe, différemment les couleurs, s'habillent de manière
rouge-blanc-bleu) ne peut être créée selon ce différente. Nous avons donné quelques indications
tableau . Le bleu est une couleur terminale suivie à ce propos mais on trouverait toutes les autres
du rouge. Ensuite le blanc ne peut jamais être suivi couleurs. Ainsi Washington a rencontré en 1831 à
du rouge. À l'inverse, si le rouge peut être suivi du Larache un saint habillé entièrement en rouge.
blanc, cette couleur ne peut précéder le bleu. La Cette diversité est importante pour la prise de
séquence analysée, très fréquente aux États-Unis conscience de la relativité du sens des séquences
ou en France apparaîtra donc nécessairement de photismes. Si seul l'Absolu est nécessaire,
comme exotique. En revanche la séquence du toutes les séquences, en tant que signes ou théo-
drapeau allemand Jaune-Rouge-Noir paraîtra moins phanies, sont arbitraires. Mais, à la différence de la
étrangère. On peut donc calculer le coefficient linguistique saussurienne, cet arbitraire ne vient
d'étrangeté des séquences qu'on souhaite utiliser. pas d'un choix opéré par les hommes.
Puisqu'on peut trouver deux fois une fréquence La numérisation de tous les documents faisant
maximale de 5 en passant de la première couleur à appel aux couleurs pourra ensuite être comparé à
la seconde et de la seconde à la troisième, le ces tableaux. On pourra ainsi constater, par une
drapeau français, lu dans le sens gauche-droite ne quantification très rigoureuse, impossible à établir
présente qu'un dixième du maximum définissant le avec des documents non numérisés, l'indice de
système musulman de couleurs alors que le distanciation culturelle des séquences de
drapeau allemand est à six dixième. Il est donc six fois photismes. On pourra ultérieurement se demander ce
moins exotique. qu'a changé, au cours du siècle précédent, la
Si on supprime les deux séquences empruntées connaissance de l'ordre des couleurs du prisme ou
à l'alchimie occidentale, le tableau précédent de la complémentarité des couleurs. Car toutes les
devient: séquences présentées précédemment sont
apparues chez des hommes qui, pour la plupart d'entre

129
eux, ignoraient totalement cet ordre. L'observation de cette connaissance sont latentes: percer des
ne trouve en effet pas de rapport entre les secrets de Dieu en dévoilant son savoir occulté ou
séquences proposées et l'ordre des couleurs du dominer les hommes en exposant une
prisme. hiérarchisation. Dans tous ces cas, le créateur de séquences se
La doctrine des photismes colorés et de leurs pose au-dessus des hommes ordinaires.
séquences n'est donc par une particularité, comme La pensée d'Ibn ' Arabî est importante en ce sens
certains le croient, d'une région particulière de qu'elle montre en quoi le soufisme meurt dans
l'aire musulmane. Elle est présente partout, de l'Asie l'établissement de ces séquences de couleurs, en
centrale au Maroc et, dans la longue durée, du quoi le soufisme de ceux dont l'esprit fonctionne
huitième au vingtième siècles. Elle est liée à la notion en classant n'est plus qu'un nom sans réalité. Car
de cheminement spirituel . Mais cette doctrine ces classements n'habillent pas de mots un ordre
n'est pas présente universellement, sous la même préexistant, ils créent un ordre, fixent des
forme, dans tous les groupes spirituels. Ce sont à la hiérarchies et classent aussi, en fin de compte, les
fois cette permanence et cette variété qu'il faudra hommes. Si ces séquences s'offrent aux
désormais interroger. glissements de sens, aux variations ou aux relectures,
On dit souvent que le soufisme était jadis une c'est qu'il n'y a pas de modèle a priori. Seule la
réalité sans nom mais qu'il est, depuis qu'il est fonction a posteriori, le désir non avoué de spiri-
nommé, un nom sans réalité. Si ce point de vue tualisation ou, à l'inverse, de puissance, et partout
nominaliste a du sens, il nous oblige à définir ce présente.
qu'est le soufisme actuel. Etienne Gilson disait que Il faut cependant faire son deuil de ce désir de
le nominalisme était «ouvert à toutes les possibilités puissance si on veut maintenir le soufisme en tant
défait et ennemi des déductions a priori à partir que tel. Tout au long de l'histoire occidentale,
d'essences hâtivement définies». Comment donc, à partir religieuse puis scientifique, l'image de l'échelle de
de cette doctrine des photismes, définir le Jacob a servi à fixer des hiérarchies. Ici, les
soufisme? Il s'agit d'un mode de pensée symbolique qui séquences de photismes peuvent servir à les
fonctionne par superposition de classifications. détruire. Ils doivent même servir à éliminer l'idée
Mais en même temps, on présuppose un ordre même d'ascension ou de hiérarchisation. Le
divin qui ordonne toute réalité. Cette pensée peut paradoxe est que cette critique de la raison religieuse
être définie comme quête de l'origine ou, d'un pourrait produire à son tour une hiérarchie.
autre point de vue, comme tentative de réduire Mais il faut noter que cette situation paradoxale
l'apparente multiplicité à l'Unité. C'est un art de traverse tous les groupes mystiques. Ainsi les
nommer ou d'identifier les éléments d'une série. Aïssawas sont censés détester le noir et attaquer,
Mais là n'est pas l'essentiel. Cette étude montre durant leur moussem, les hommes qui sont
également qu'il y a deux formes de soufisme porteurs d'habits de cette couleur (parfois aussi
complètement étrangères l'une à l'autre. Pour les uns, d'objets de couleur noire). Or on observe que non
créer une séquence, trouver ensuite un système de seulement ceux qui repoussent l'attaque des «chacals»
correspondance entre la séquence de photismes et qui les agressent, les êtres dominants ou
d'autres séquences (gradation des anges, des spirituellement éveillés qui assistent au moussem tout en
organes humains, des types d'êtres, des astres, portant des habits noirs ne sont jamais attaqués.
etc.), sont des moyens pour expliquer l'harmonie Mais, d'autre part, les Aïssawas n'attaquent jamais
du monde puisque tout fonctionne à partir non plus les Oulâd al-Chaykh pourtant habillés de
d'associations de séquences. Mais deux autres fonctions magnifiques jellabas noires et qui dansent au

130
milieu de leur groupe. On constate donc que seuls porté sur de nombreux points. On a parfois signalé l'utilisation
des couleurs chez les artisans. L'étude de l'usage des couleurs
les hommes «ordinaires» (ou les anthropologues) chez les teinturiers de laine ou de cuir, chez les fabricants
qui croient que les Aïssawas ont une répulsion d'objets usuels ou de tapis par exemple, a parfois été étudiée. Les
relations des préparations magiques et des couleurs sont aussi
pour le noir perçoivent cette répulsion. Etre des objets d'études possibles. On peut ensuite penser aux
informé du sens spirituel de la doctrine des photismes peintres traditionnels ou contemporains (Ali Silem, Parcours
coloré à travers une histoire de la peinture algérienne, LOAB,
modifie la perception des phénomènes sociaux 16-17, 1985-1986, p. 215-223). Des perceptions des hommes
observés. selon leurs «couleurs», existent aussi. Cf. B. Lewis, Race et
couleur en pays d'Islam, Paris, Payot, 1982.
Les couleurs ne sont donc classées et L'usage des couleurs dans la littérature populaire ou savante,
hiérarchisées en séquences que pour permettre à quelques- religieuse ou profane, est un thème qu'on peut aussi aborder
(couleur des jnûn, couleurs dans la poésie erotique, couleurs
uns de comprendre l'absurdité de tout classement dans les contes populaires ou les 1001 nuits, usage des couleurs
en séquences. L'élément perçu comme le plus bas chez les poètes et romanciers contemporains). Il s'agit alors
d'analyser les «sens» ou les significations des couleurs. Par
de toute hiérarchie, par exemple les Aïssawas, exemple: Marie Virolle-Souibes, Les couleurs de l'Amour ou
pourrait tout aussi bien être perçu comme le plus l'art de cultiver les poncifs, LOAB, 16-17, 1985-1986, p. 101-143,
Camille Lacoste-Dujardin, Du génie rouge à la femme blanche,
haut. les couleurs dans le conte et dans deux autres formes littéraires
en kabyle, LOAB, 16-17, 1985-1986, p. 135-155, Denise Vernay,
Les mille et une nuits, des couleurs et des traductions, LOAB,
16-17, 1985-1986, p. 157-178, Jacqueline Arnaud, Les couleurs
errantes chez Khair-Eddine, LOAB, 16-17, 1985-1986, p. 179-193.
Notes 3. Faute de le faire, on peut se contenter, involontairement, de
1. Abdelhaï Diouri, Transe, écriture, Paris, EHESS, Thèse, 1979, noter des correspondances entre certaines couleurs et certains
Tome II, p. 4. symboles ou groupes d'êtres. Les significations psychologiques
2. L'étude linguistique des systèmes de désignation des ou les sociologiques ne peuvent plus, dès lors être
couleurs a usuellement pris pour objet les racines utilisées en arabe appréhendées. C'est ce qui arrive dans l'ouvrage d'É. Dermenghem, Le
(formes af'âl, dérivés en -i et schèmes non spécialisés) ou en Culte des saints dans l'islam maghrébin, Paris, Gallimard, p. 255-
berbère. On peut aussi examiner les sens associés et dérivés des 297. Il y a là une remarque méthodologique très importante. Il
termes de couleur. Pour toutes ces recherches, on peut est en effet assez peu intéressant de saisir analytiquement le
s'inspirer de G. et J. Ducatez, Formation des dénominations de sens possible d'une couleur isolée. Seul est réellement signifiant
couleur et de luminosité en arabe classique et pré-classique: le système dans lequel elle s'insère. Car c'est un outil qui
Essai de périodisation selon une approche linguistique et permet ensuite d'analyser avec la plus extrême rigueur les œuvres
anthropologique, Peuples méditerranéens, n° 10, janv.-mars 1980, culturelles plastiques ou autres qui pourront être à l'avenir
p. 139-172 ou de W. Fischer, Farb- und Formbezeichnungen in der numérisées. Cela dit, les ensembles peuvent être des séquences
Sprache des altarabischen Dichtung, Wiesbaden, Harrassowitz, aléatoires de photismes. Elles pourraient aussi être des
1965, travail contemporain de celui d'Alfred Morabia, séquences d'intensité lumineuse ou de teintes, des variations
Recherches sur quelques noms de couleur en arabe classique, qualitatives entre deux couleurs ou nuances et des variations de
Studia Islamica, XXI, 1964, p. 62-99, article qui donnera plus tard saturations de blanc ou tons.
naissance à l'article Lawn de l'Encyclopédie de l'Islam. On peut 4. Ce n'est pas seulement le sens des couleurs qui est arbitraire,
aussi penser à A. Bouhdiba, Les Arabes et la couleur, in L'autre leur existence même n'a aucune nécessité. Cf. Philippe
et l'ailleurs, Hommage à Roger Bastide, Paris, Berger-Levrault, Braunstein, Le Sinaï décoloré (Vision, langage et paysage à la
1976, p. 347-354 (republié dans Culture et Société, Tunis, Faculté fin du Moyen-Âge), Meknès, Oualili, n°l, 1986, p. 53-62.
des Lettres, 6e série, vol. XII et dans les Cahiers de la Méditerranée, L'observation picturale et les références aux couleurs sont
n° 20-21, 1980). Un travail plus ancien est celui de J. J. Hess, Die souvent totalement absentes des textes alors que la peinture de la
Farbenbezichnungen bei innerarabischen Beduinenstâmmen, même époque fait usage de couleurs. Tant que le sujet n'a pas
Der Islam, n°10, 1920, p. 74-86. Et un travail plus récent est le pris conscience de lui-même, seul existe l'usage symbolique de
mémoire de 3e cycle de Fâris al-'aliyya, Les couleurs en arabe, Fès, la couleur.
Faculté des Lettres, 27 sept. 1989. 5. On trouvera des théories générales sur le champ sensible des
Sur le Maghreb, il y eut récemment le travail d'Ariette Roth, couleurs chez Gœthe ou chez Octavio Paz (L'Arc et la lyre, Les
Essais, Gallimard, 1965). Helmut Gâtje part des idées de Gœthe
Introduction à l'étude des systèmes de désignation de la pour examiner les couleurs chez deux philosophes arabes
couleur dans les parlers arabes du Maghreb, in Dictionnaire du médiévaux, Ibn Bâjja et Ibn Ruchd, in Zur Farbenlehre in der
Prisme, LOAB, n° 16-17, 1985-1986, p. 21-65. On comparera avec muslimischen Philosophie, Berlin, Der Islam, 43/3, 1967, p. 280-
Paulette Galand-Pernet, «Blanc», Lumière, Mouvement, À 301. Ibn 'Arabî, dans son Alchimie du Bonheur parfait, Paris, Berg
propos de l'origine des termes de couleur en berbère, ibid, p. 3-20. International, 1981, p. 126, oppose les spirituels qui parviennent
Ou avec des textes plus anciens R. Basset, Les noms de métaux à l'Absolu sans support (et qui n'ont pas une image
et de couleur en berbère, Mémoires de la Société de linguistique de condition ée de Dieu) à ceux qui utilisent des supports liés aux sens ou
:

Paris, t.9, 1896, p. 58-92. à la conscience imaginative et qui donc produisent une image
Les analyses anthropologiques sur les usages des couleurs ont divine conditionnée, au moins dans un premier temps. Parmi

131
eux sont les âmes audiantes qui ont besoin du support des 15. On peut faire ici une remarque en passant mais elle capitale
diverses modalités des séquences du samâ' ou concert spirituel, pour l'histoire des sciences. Si l'alchimie arabe n'a pas donné
il y a les âmes visionnantes ou les âmes respirantes qui naissance à la chimie, c'est pour la raison de son refus des
prennent odeurs ou parfums comme supports. Une sociologie transmutations essentielles ou substantielles. Seuls changent les
religieuse de l'islam devra se poser la question des relations entre accidents ou formes apparentes. Si tout genre de matière vient de la
les identités apparentes et les choix des supports et cela par Materia Prima, si au-delà, tout existant se réfère à une «Source
zones et par époque. unique» (al-'Ayn al-wâh'ida), il n'y a jamais de changements
Autre question intéressante. On observe souvent des réels d'états mais seulement d'apparences. L'alchimie se réduit
corrélations entre deux sens, couleurs et odeurs par exemple chez les alors à n'être que la Science de l'Élixir et si l'essence change,
femmes gnâwiyyât de Salé, ou entre un sens et un symbole. Ces c'est toujours à partir d'une origine commune. En d'autres
liens ne sont pas dépourvus de signification et devront un jour termes, comme le dit le Savant Noir (al-'Alîm al-Aswad) d'Ibn
être systématiquement analysés afin que les identités 'Arabî, «Les individualités concrètes des choses ne se modifient
collectives, ou les mentalités, puissent être rigoureusement, donc pas.» Cf. Mohyiddin ibn 'Arabi, L'Alchimie du bonheur parfait,
quantitativement, définies. Paris, Berg International, 1981, p. 31 sqq. et p. 91.
Une anthropologie de l'imaginaire des séquences de photismes 16. Ces couleurs jaune et rouge ont été observées dans l'oasis du
devra en conséquence s'interroger sur la quantité de séquences Ferkla. «Le jaune et le rouge, couleurs solaires, font échec au
associées aux séquences de couleurs mais aussi sur leur nature mauvais œil, c'est-à-dire à l'envie» (François Bonjean, Au Maroc,
qui sont si on prend comme base de travail les séquences en roulotte, Paris, Hachette, 1950, p. 188).
d'Orient (Chine et Japon, Indes), du Proche-Orient, de l'Islam 17. Classer ces séquences n'est pas évident. Commencer le
occidental et de l'Europe les suivantes : thèmes musicaux, classement par la couleur ultime est arbitraire et ne peut se justifier
parfois gamme ou note de musique pour l'oreille, le goût (piquant, que si tous les auteurs souhaitent symboliser une progression
sucré, salé) pour la langue, les odeurs ou parfums pour le nez, grâce aux couleurs, ce qu'il faudrait démontrer. De plus les
les émotions (tristesse, joie, etc.) ou leurs expressions (pleurs, couleurs terminales peuvent être non une couleur unique mais des
rire) pour la vie affective, l'énergie corporelle, les lieux du corps ensembles de couleurs comme chez les Gnâwa se résolvant
ou ses organes, les couches externes ou internes du corps, les dans le noir. Enfin ce noir peut être lui-même un mélange de
organes des sens, et ensuite, outre les types de professions, pour couleur s'il est par exemple un gris bleuâtre. On a alors du noir
ce qui ne se rapporte pas à l'homme, les animaux, les éléments avec un peu de blanc et de bleu. D'autre part une couleur de la
de la nature, les saisons, les directions géographiques ou le séquence peut correspondre en réalité à plusieurs couleurs. Les
climat (sec, humide, chaud, froid). La nature des liaisons entre ces classements réels deviennent de plus en plus complexes. On
séquences est une autre façon d'appréhender l'identité pourrait donc trouver d'autres critères de classement qui
personnelle d'un auteur ou l'identité collective d'un groupe pourraient apparaître au terme d'une étude plus détaillée préparant
humain. de futures études.
6. Jâbir ibn Hayyân, Dix traités d'alchimie, Paris, Sindbad, 1983, 18. Cette couleur rouge a une importance centrale dans les
p. 200. Cette œuvre au rouge ou rubedo qui fait suite à l'œuvre séquences de photismes des Canaques selon Métais. Elle était
au blanc ou albedo est celui qui produit «l'Or», terme absent ici aussi très importante pour Confucius en Chine au point où il
chez Jâbir. L'alchimie est sans doute travail «minéral» mais ce condamnait le violet qui distrayait l'œil de la contemplation du
travail est d'abord et surtout le symbole de l'Opus princeps qui rouge pur. Ce qui importait toutefois chez ce penseur était
est recherche de «l'Or de l'Œuvre» (Dhahab çinâ'î), c'est-à-dire d'abord la notion de pureté car il condamnait à la fois les demi-
vision en Dieu. Cf. Claude Addas, Ibn 'Arabî ou la quête du soufre teintes tout comme les bigarrures. On trouvait une attitude
rouge, Paris, Gallimard, 1989, 410 p. En d'autres termes, semblable au Maroc. À Itzer, on rencontrait «des femmes en
alchimie et mystique forment un seul et même ensemble et ce n'est haïe blanc, strictement voilées, à côté de montagnardes aux bas
que le regard de l'analyste mal informé qui séparerait les deux bariolés. Le port, aujourd'hui détesté par les féministes des
ensembles. villes, du haïe et du voile n'en continue pas moins, dans le bled,
7. Mi., p. 200. à marquer une étape de l'ascension des femmes au point de vue
8. Ifcid., p. 201. social» (François Bonjean, Au Maroc en roulotte, Paris, Hachette,
9. Zfeitf., p. 201. 1950, p. 116).
10. Peintres et décorateurs européens contemporains ne 19. Dans le symbolisme des Chakra de l'Inde, la séquence se
distinguent pas habituellement dix tons de jaune mais sept termine par le jaune et elle est blanc-gris-rouge-blanc-jaune. Elle
nuances: miel, beurre, ivoire, cire d'abeille, cannelle, craie et correspond aux cinq éléments: vide-vent-feu-eau-terre. Ce
abricot. symbolisme est également attesté, selon Guy Mazars, chez les
11. Une couleur stabilisée est celle dont la coloration ne se alchimistes indiens. On trouve des symbolismes proches en
modifie plus quelle que soit l'intensité de la lumière qui la frappe. Il Chine ancienne, là aussi autour de séquences de cinq couleurs
n'y a que quatre couleurs, selon Ewald Hering, qui ont cette liées aux éléments et aux directions de l'espace géographique
propriété dans le spectre. Ce sont le bleu (dont la longueur ainsi l'eau est associée au noir et au nord.
d'onde est aux alentours de 0,475 micron), le vert (environ 0,510 20. Mohamed Boughali, Sociologie des maladies mentales au Maroc,
micron), le jaune (environ 0,575 micron) et le rouge (qui est Casablanca, Afrique-Orient, 1988, p. 258. On peut douter que la
l'addition de 0,670 et de 0,460 micron). Ce sont les seules couleurs couleur terminale de cette séquence soit réellement le bleu
constantes, ce qui pose, dans les musées, le problème de foncé. Il est plus probable que cette nuance de bleu soit un des
l'éclairage artificiel souvent de trop basse intensité, ce qui change photismes terminaux qui précède le noir, cette séquence étant à
complètement la perception des peintures. classer avec les séquences s' achevant dans l'obscurité. Une
12. Jâbir ibn Hayyân, Dix traités d'alchimie, Paris, Sindbad, 1983, vérification auprès d'un maître gnâwî de Marrakech serait
p. 210. maintenant nécessaire.
13. M/., p. 135. Ce qui amène cette remarque est la connaissance des sens
14. Mi, p. 230. contradictoires de la couleur bleue au Maroc. Au Sud du Sous,

132
les hommes «ont pour elle une passion sans partage. Il faut que blanchissait un doigt avec de la chaux pour s'assurer une
le bleu imprègne tout. Les femmes au marché, avant d'acheter protection. Les femmes musulmanes mettaient l'empreinte de leur
une étoffe, s'assurent que la couleur déteint à souhait sur les main trempée dans de la chaux sur le mur de la maison où se
doigts qui la palpent» (Abdelkader Ben Barka, El Mehdi Ben trouvait la porte. On cite même un h'adîth selon lequel les
Barka mon frère, Paris, Robert Laffont, 1966, p. 115). De même, à chaussures blanches procureraient l'abondance. Selon un
Fès, au début du siècle, la chambre du sultan était «d'un très hadîth, l'ange chargé de révéler le Coran était vert et blanc et
profond et très beau bleu indigo» (Walter B. Harris, Le Maroc non de couleur noire, etc.
disparu, Paris, Pion, 1929, p. 94). 31. Laleh Bakhtiar, Le Soufisme, Expressions de la Quête mystique,
Mais en même temps, le bleu, la couleur qui éloigne les Paris, Éditions du Seuil, 1977, p. 65. Selon Manilius dans son
mouches, est une couleur qui a été liée au statut des êtres poème les Astronomiques, cette séquence a une correspondance
«soumis» comme les juifs au Maroc ou les chrétiens en Espagne. corporelle. Le soleil correspond à la tête, la lune au bras droit,
Ainsi, il y eut un scandale à Fès, au début de ce siècle, lorsque Vénus au bras gauche, Jupiter à l'estomac, Mars au ventre,
le sultan voulut faire peindre les murs de son palais en bleu et Mercure à la jambe droite et Saturne à la jambe gauche. Nous
leur enlever la couleur blanche de la chaux comme l'indique devons signaler que la séquence des astres visibles de Bakhtiar
Harris. Le bruit avait aussitôt couru que le sultan avait cédé un qui correspond aux noms latins des jours de la semaine n'était
bâtiment de son palais à des chrétiens qui l'avaient repeint avec pas connue dans le monde arabe. Les noms de jours y portent
cette couleur (Walter B. Harris, Le Maroc disparu, Paris, Pion, en général des numéros (à partir du dimanche = 1, etc.) et
1929, p. 63-64). Le Coran ferait du bleu le signe et la marque des l'ordre des astres est très variable d'un auteur à l'autre. Par
réprouvés (Général Brémond, Berbères et Arabes, Paris, Payot, exemple, Ibn 'Arabî les classe ainsi: 1er ciel = Lune = Adam,
1950, p. 361). 2e ciel, = Mercure = Jésus et Jean-Baptiste, 3e ciel = Vénus
21. Nous résumons l'ouvrage anonyme La voie par laquelle le = Joseph, 4e ciel = Soleil = Idrîs, 5e ciel = Mars = Aaron, 6e ciel
chercheur est amené à la Vérité, cf. Le Soufisme, la voie de l'Unité, = Jupiter = Moïse et 7e ciel = Saturne = Abraham. Gamâl
Paris, l'Originel, 1980, p. 86-87. Ghitâny, le rédacteur en chef de Akhbâr al-Adab du Caire, a
22. Idries Shah, Les soufis et l'ésotérisme, Paris, Payot, 1972, présenté, en arabe, une réflexion sur la place et le sens du blanc
p. 323-324. chez Ibn 'Arabî. On peut également consulter les travaux de
Tout comme le bleu, le vert est une couleur aux sens Mohammad Mokri sur cette couleur et ses sens symboliques, La
contradictoires. Mais elle a plus de sens positifs que négatifs. On trouve Lumière en Iran ancien et dans l'Islam, in Le thème de la Lumière
en effet cette couleur dans les rituels de grossesse où elle est dans le Judaïsme, le christianisme et l'Islam, Paris, Berg
associée au garçon mais elle est aussi associée au pouvoir et International, 1976, p. 323-428 et son étude sur La mystique de
donc souvent présente sur les drapeaux anciens. l'Iran ancien publiée à Paris chez Robert Laffont.
23. A. J. Arberry, Le soufisme, Paris, Cahiers du sud, 1952, p. 154- 32. De toutes les couleurs, c'est le noir qui est la plus ambiguë.
155. Elle est d'abord la «couleur de Dieu», «à cause des moutons à
24. Le jaune qui commence cette série termine une série de laine noire» et donc portée dans les jellabas très courtes à laine
couleurs apparues au cours d'un rêve de Râbi'a al-'Adawiyya. Sur écrue et rayées de noir du Rif occidental (Abdelkader Ben
un arbre vert poussaient trois fruits, blanc, rouge et jaune. Mais Barka, El Mehdi Ben Barka mon frère, Paris, Robert Laffont, 1966,
comme Râbi'a était distraite de sa prière, le fruit d'or tomba. Cf. p. 114). Dans la poésie berbérophone, le cheval noir était un
Nelly et Laroussi Amri, Les femmes soufies ou la passion de Dieu, symbole de réussite.
Paris, Dangles, 1992, p. 112-113. Mais la couleur noire est aussi couleur de mauvais augure qu'il
25. Darius Shayegan, Les relations de l'Hindouisme et du Soufisme, faut cacher, par exemple en mettant la face couverte de suie des
Paris, Les Éditions de la différence, 1979, p. 155. marmites vers le sol ou en appelant «blanc» le charbon. Cette
26. P. J. Bouma, Les couleurs et leur perception visuelle, Paris, couleur déclenche l'ire des Aïssawas durant leur fête annuelle.
Dunod, 1949, p. 235. Il faut toutefois être très prudent face à On appelait jadis les chrétiens les «cœurs noirs». Le chien noir
cette structuration quaternaire des couleurs du spectre. On peut était de mauvais augure. Le noir apparaissait lors des rituels de
en effet penser qu'il n'y a là qu'un effet, inconscient, du condamnation des parjures chez les Zemmûr. Lorsque le
langage. Ainsi un hellènophone comme Aristote ne «percevait» que notaire s'emparait de l'argent qui lui avait été confié, on disait que
trois couleurs, pourpre, vert et rouge brun. La langue arabe «le dépôt a noirci le corbeau». De celui qui avait des malheurs,
primitive ne distinguait, elle aussi, que trois couleurs on disait que «sa mère l'a élevé dans des langes noires». Les
fondamentales, le bleu vert (al-akhd'ar), le rouge brun (al-ah'mar) et le hommes noirs seraient apparus à la suite d'une malédiction
jaune brun (al-açfar). remontant à Noë (thèse que contredit Ibn Khaldûn, cette
27. Laleh Bakhtiar, Le Soufisme, Expressions de la Quête mystique, couleur de peau étant uniquement due à la chaleur comme les yeux
Paris, Éditions du Seuil, 1977, p. 97. Cet auteur est étudié en bleus sont, selon lui, dus au froid), etc.
détail par H. Corbin, L'Homme de lumière dans le soufisme iranien, 33. La mort blanche est celle de la faim, la rouge est la victoire
Paris Librairie de Médicis, 1971. sur les passions, la noire est le fait de supporter le douleur
28. Henry Corbin, La philosophie iranienne islamique aux 17e et physique et morale et la verte est la pauvreté symbolisée par l'habit
18e siècles, Paris, Buchet/Chastel, p. 389-392. rapiécé. Il ne s'agit pas d'une progression.
29. Sultan Valad, Maître et disciple, Paris, Sindbad, 1982, p. 178. 34. Ibn 'Arabî s'interroge sur le sens du verbe «terminer» dans
30. Le blanc est aussi une couleur aux sens contradictoires mais le cas d'une séquence de photismes. Un chromatosophie n'a pas
plutôt positifs. Dans la poésie berbérophone, on peut trouver affaire à des couleurs comme une chromatologie mais à des
des connotations négatives des femmes blanches infidèles (par photismes, selon le sens particulier de ce terme empruntés aux
opposition aux métisses ou aux noires). La terre nue ou Alexandrins. Le photisme est en effet théophanie, partielle ou
dépourvue de végétation est la «terre blanche». complète, d'où l'absurdité, dans ce cas, de recherche
Mais en général, le blanc est lié aux idées de chance, bonheur, d'harmonies ou de complémentarités de couleurs. Les liens des couleurs
joie, argent, musulman ou garçon. Ainsi on jetait de l'argent sur sont verticaux et non horizontaux.
l'œuf mis dans des draps pour faciliter l'accouchement. On se Ibn 'Arabî dans sa Tuhfat et son Mawâqï expose la thèse sui-

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vante. La Lumière divine, non reconnue comme telle, se (Sultan Valad, Maître et disciple, Paris, Sindbad, 1989, p. 83).
manifeste d'abord par des éclairs fugaces. Puis apparaissent à la 44. Abdelghani Maghnia, Bala Bala Dimba, Un génie ophidien de la
conscience les lumières bleues ou vertes sans figure. Ensuite les forêt, Ronéo, s.d., p. 4.
couleurs solaires sont perçues. Et «enfin» paraît le noir. Donc 45. Fenneke Reysoo, Pèlerinages au Maroc, Neuchâtel, Éditions
après la contemplation illuminante, il y a la contemplation de l'Institut d'Ethnologie, 1991, p. 76.
comburante, qui détruit l'idée même d'ego. Cependant percevoir 46. Celle-ci présente un ordre psychologique qui lui est propre
les couleurs et les attributs de la beauté divine, tout en et qui pourrait être analysé en lui-même. Cette femme ne fait
conservant donc son ego, est une contemplation plus parfaite que celle pas qu'omettre deux séquences, elle omet aussi la couleur
qui apparaîtra ensuite. Voir Dieu sans les créatures et en être orangée dans la dernière séquence. Enfin elle réduit
aveuglé est moins un charisme qu'une épreuve. L'important symboliquement chaque séquence à une personne alors qu'une séquence
sera de voir Dieu dans les créatures ou, mieux encore, de voir peut comporter une dizaine de personnages.
les créatures, et son propre ego, en Dieu. Les couleurs ne 47. Henry Corbin, Temple et contemplation, Paris, Flammarion,
commencent donc à exister que lorsqu'il n'y a plus d'ego pour les 1980, p. 7-66.
percevoir. 48. Abdelghani Maghnia, Le symbolisme de l'arc-en-ciel dans la
35. 'Abd ak-Karîm al-Jîlî, De l'Homme universel, Paris, Dervy- Zawiya de sydna Blâl, in Royaume du Maroc, Province d'el
Livres, 1975, p. 57-62. Kelaa des Sraghna, Colloque culturel sur le thème Théories
36. Darius Shayegan, Les relations de l'Hindouisme et du Soufisme, psychiatriques et psychanalytiques face aux résultats obtenus par les
Paris, Les Éditions de la différence, 1979, p. 154. méthodes thérapeutiques traditionnelles, Cas de Bouya Omar,
37. Georges Lapassade, Gens de l'Ombre, transes et possessions, 27 juin-ler juillet 1990, p. 23-24.
Paris, Méridiens, Anthropos, 1982, p. 157-170. 49. Cette série est également présente, toujours sans référence,
38. Ibid., p. 92-122 et particulièrement p. 105 sqq. in Eva de Vitray-Meyerovitch, Rûrni et le soufisme, Paris, Éd. du
39. Doit-on rappeler que pour Ibn Khaldûn, «tout groupe Seuil, 1977, p. 99. Ces sept étapes sont reliées aux sept formes du
d'artisans est comme "coloré" (yatalawwanu) par son art. Les jours voyage, aux sept mondes, aux sept états mystiques, aux sept
se suivent, les "teintes" (çibgha) professionnelles se succèdent lieux du psychisme et aux sept relations à la religion.
et les artisans se perfectionnent. Quand le raffinement est Malheureusement, ce tableau est une construction moderne qui
parvenu à son comble, il entraîne l'asservissement aux désirs. De présente comme correspondant à une théorie générale ce qui
..

tant de belles choses, l'âme reçoit de multiples couleurs n'est même pas la pensée de Rûmî ni d'aucun de ses disciples.
(alwân), qui obsurcissent sa vision de ce monde et de l'autre. Il n'y a en effet aucune allusion à des séquences de couleurs
Elle ne peut (alors) garder sa foi... Car les vices empêchent dans le Uvre du dedans, dans le Kitâb al-Ma'ârif de son fils ou
l'âme d'obtenir (les perceptions essentielles au-delà des dans le Manâqib al-'ârifin d'Aflâkî. La croyance naïve en un islam
perceptions sensorielles), en lui donnant des habitudes physiques et intemporel demeure un obstacle épistémologique majeur.
les "couleurs" (alwân) correspondantes» (Ibn Khaldûn, 50. Cependant Jâbir dans le Livre des Soixante-dix cite «un certain
Discours sur l'Histoire universelle, al-Muqaddima, Beyrouth, docteur» qui a relié les proportions de l'alchimie aux gammes
Commission libanaise pour la traduction des chefs-d'œuvre, musicales. Il propose alors les accords suivants 1 ; 1,33; 1,5 et 2.
1968, p. 760, 766 et 1182). Ceci signifie que pour Ibn Khaldûn la Mais cette allusion est moins précise que ce que dit Léonard de

:
félicité de l'Élu ne peut être atteinte par le biais d'une Vinci dans la quatrième partie de son Traité de la peinture: «Le
quelconque perception, du corps ou de l'âme. Les couleurs sont peintre établit des degrés pour les valeurs, objets de la vue,
fondamentalement un obstacle au bonheur suprême. Il est donc comme le musicien pour les sons, objets de l'ouïe.»
inutile d'en décrire les séquences. 51. Ghazâlî, Le Tabernacle des Lumières, Paris, Seuil, 1980, p. 49.
40. Vincent Crapanzano, The Hamadsha: a Study in Moroccan 52. Ce serait aussi le cas des théologiens. Selon Saint Thomas
Ethnopsychiatry, Berkeley, The Univ. of California Press, 1973. d'Aquin, «color nihil aliud est quam lux incorporata», «la
41. Au centre du Kalachakra, qui est le mandala de la roue du couleur n'est rien d'autre que la lumière incorporée».
temps, la couleur apparente supérieure peut cacher plusieurs 53. Sur la notion de code de couleurs, cf. Henri Lefebvre, Le
autres couleurs qui sont les couches de sable profondes. langage et la société, Paris, Idées, Gallimard, 1966, p. 37-38 et la thèse
42. Même remarque pour la série présentée par Abdelghani d'André Coupleux, Préliminaires à une étude sur le contenu
Maghnia, Le symbolisme de l'arc-en-ciel dans la Zawiya de psychique des couleurs, Université de la Sorbonne, Paris, 1964, Thèse
sydna Blâl, in Royaume du Maroc, Province d'el Kelaa des de Troisième cycle.
Sraghna, Colloque culturel sur le thème Théories psychiatriques et 54. Abdelhaï Diouri, Transe, écriture, Paris, EHESS, Thèse, 1979,
psychanalytiques face aux résultats obtenus par les méthodes Tome II, p. 77.
thérapeutiques traditionnelles, Cas de Bouya Omar, 27 juin-ler juillet 55. Idries Shah, Les soufis et l'ésotérisme, Paris, Payot, 1972, p. 324.
1990, p. 21. Cette séquence est Blanc-Noir-Bleu ciel-Rouge- Vert- 56. Darius Shayegan, Les relations de l'Hindouisme et du Soufisme,
Jaune-Mauve. Comme ni le blanc ni le noir ne figurent dans Paris, Les Éditions de la différence, 1979, p. 35.
l' arc-en-ciel, on ne peut retenir le titre de cette étude comme 57. Ce coq doit être blanc, gris, bleu, rouge, vert, noir et jaune.
correspondant à son objet. Cette séquence correspondant aux François Bonjean, Au Maroc en roulotte, Paris, Hachette, 1950,
fumigations suivantes bois de santal - benjoin noir (sauf une p. 47. Ce coq aux sept couleurs est également présent dans les
exception) -benjoin blanc - benjoin blanc - bois de santal - sacrifices des Aïssawas de Meknès. Il s'oppose, dans les
:

benjoin blanc - pistache ou benjoin noir. sacrifices, au coq noir.


43. Ces photismes renvoient souvent à l'image du paon. 58. Jean-Louis Michon, Le soufi marocain Ah'mad ibn 'Ajîba et son
«Lorsque la lumière se fut manifestée et qu'elle vit pour la Mi'râj, Paris, Vrin, 1973, p. 248-249.
première fois le reflet du Soi dans un miroir, Elle Le vit sous la 59. Bernard Dubreuil, Les pavillons des États musulmans,
forme d'un paon à la queue déployée». L'âme mise en présence Rabat, Hespéris, 1961, vol. II, Fasc. 1 et 2-3.
de cette unicité de l'Existence se dilate et rayonne dans toutes 60. En revanche cette séquence irait de soi au Tibet où une
les directions afin de se réfléchir sur toutes les réalités. Aussi «le séquence très fréquence de photismes est Bleu-Blanc-Rouge-
paon est le lieu où se manifeste la perfection de l'œuvre divine» Vert-Jaune. Cette séquence est liée à une séquence secondaire

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qui l'accompagtne mais en retrait: Bordeaux-Orange-Jaune
clair- Vert émeraude-Violet et Vert clair. Une troisième séquence
existe aussi. On remarque, au passage, la fréquence de la sous-
séquence Rouge- Vert-Jaune et cela dans beaucoup de systèmes
culturels.
61. On sait que cette quête comporte deux éléments, l'arc de la
montée et celui de la descente. En général, les théoriciens
décrivent uniquement la montée et non ce qui est le plus important,
la descente qui est, en réalité, théophanie. Mais cette théopha-
nie demeure un risque. Car celui qui a parcouru les séquences
de la montée peut s'enorgueillir de son savoir et se condamner.
Aussi la plus haute des couleurs peut redevenir la première.
Mais il peut aussi, tel un boddhisatva, donner ce savoir
gratuitement à un damné pour lequel il éprouverait de la
miséricorde et ainsi se retrouver dans l'état de la couleur
initiale. Le caractère circulaire de certaines séquences de couleurs
peut alors être l'indice de deux évolutions spirituelles opposées
symbolisées par les archanges Mâlik et Ridwân.

Jean François Clément est agrégé de philosophie, professeur à


Nancy et chargé de l'enseignement de la culture générale à
l'Institut Commercial de Nancy (ICN). A publié des traveaux
sur le Maroc portant sur l'histoire, l'anthropologie et les
sciences politiques. A publié plusieurs articles, notamment
Folie, mystique et modernité au Maroc in L'Afrique et l'Asie
:

moderne. (CHEAM), 1989 ; a co-dirigé l'image dans le monde arabe,


éd. CNRS-éditions, 1995.
Pouvoir et légitimité en Espagne musulmane à l'êpque des taïfas
V/XIe siècle : l'Imam fictif. Histoires et perspectives
méditerranéennes, l'Harmattan, 364 p., 1997, Paris

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