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Maison et lieu de sécurité, corpus de textes

(à rendre rédigé le 29 avril)

➔ Texte 1 : Bachelard, La poétique de l’espace, 1957 (ESSAI)

Il est d'ailleurs très frappant que même dans la maison claire la conscience du bien-être appelle les
comparaisons de l'animal en ses refuges. Le peintre Vlaminck vivant dans sa maison tranquille, écrit
: « Le bien-être que j'éprouve devant le feu, quand le mauvais temps fait rage, est tout animal. Le rat
dans son trou, le lapin dans son terrier, la vache dans l'étable doivent être heureux comme je le suis.
» Ainsi le bien-être nous rend à la primitivité du refuge. Physiquement, l'être qui reçoit le sentiment
du refuge se resserre sur soi-même, se retire, se blottit, se cache, se musse1. En cherchant dans les
richesses du vocabulaire tous les verbes qui diraient toutes les dynamiques de la retraite, on
trouverait des images du mouvement animal, des mouvements de repli qui sont inscrits dans les
muscles.
[…]
Le nid comme toute image de repos, de tranquillité, s'associe immédiatement à l'image de la maison
simple. De l'image du nid à l'image de la maison ou vice versa, les passages ne peuvent se faire que
sous le signe de la simplicité. Van Gogh qui a peint beaucoup de nids et beaucoup de chaumières
écrit à son frère : « La chaumière au toit de roseaux m'a fait penser au nid d'un roitelet ». N’y a-t-il
pas pour l'œil du peintre un redoublement d'intérêt si, peignant un nid, il rêve à la chaumière, si
peignant une chaumière, il rêve à un nid. À de tels nœuds d'images, il semble qu'on rêve deux fois,
qu'on rêve sur deux registres. L'image la plus simple se double, elle est elle-même et autre chose
qu'elle-même. Les chaumières de Van Gogh sont surchargées de chaume. Une paille épaisse,
grossièrement tressée souligne la volonté d'abriter en débordant les murs. De toutes les vertus
d'abri, le toit est ici le témoin dominant. Sous la couverture du toit les murs sont de la terre
maçonnée. Les ouvertures sont basses. La chaumière est posée sur la terre comme un nid sur le
champ.
Et le nid du roitelet2 est bien une chaumière, car c'est un nid couvert, un nid rond. L'abbé Vincelot le
décrit en ces termes : « Le roitelet donne à son nid la forme d'une boule très ronde, dans laquelle est
pratiqué un petit trou placé en dessous, afin que l'eau n'y puisse pénétrer. Cette ouverture est
ordinairement dissimulée sous une branche. Souvent il m'est arrivé d'examiner le nid dans tous les
sens avant d'apercevoir l'ouverture qui donne passage à la femelle. »

➔ Texte 2 : Jacques Pezeu-Massabuau, La maison : espace social, 1983 (ESSAI)

Les voyageurs et les spécialistes s'extasient volontiers sur la diversité que montre l'habitation
humaine. Mais elle ne fait qu'exprimer celle de nos civilisations appliquée à une nécessité qui leur
est commune, entre elles et avec les sociétés animales, et que des disciplines nouvelles permettent
d'analyser : l'éthologie3 qui nous montre, au niveau de l'instinct et du comportement animaux, le
besoin de « loger » son corps dans une portion déterminée de l'étendue, et la proxémique 4 qui

1
Se musser = se cacher
2
Roitelet = nom d’un petit oiseau
3
Ethologie = Étude des mœurs et du comportement individuel et social des animaux domestiques et sauvages
4
La proxémique = étude de l'organisation de l'espace par les espèces animales et notamment l'espèce humaine
déchiffre le sens de nos gestes et de nos attitudes en fonction de leurs coordonnées spatiales. Le nid
est pour l'hirondelle un refuge tiède et confortable et Renart5 abrite dans son château de Maupertuis
son épouse et ses petits ; mais l'oiseau et le goupil6 entourent aussi ce logis d'un territoire où ils
trouvent leur nourriture et qu'ils défendent centre toute intrusion. On décèle ici ce double instinct
— que l'homme perpétue dans sa demeure sous une forme réfléchie — de s'abriter contre les excès
du milieu naturel ou certains de ses semblables, jugés nuisibles, et de s'approprier une portion
d'espace où les fonctions vitales puissent s'effectuer sans contrainte.
[…] La notion de maison : abri naturel se décompose en deux : celle de sa construction en fonction
des matériaux fournis par le milieu local, et celle de la protection qu'elle doit assurer contre ce même
milieu. D'une façon générale, la maison constitue, au-delà du vêtement, une seconde enveloppe
protectrice contre vent et pluie, séismes et cyclones et, surtout, excès thermiques. Mais il faut
considérer à part les types de temps moyens — chaleur humide ou sèche, saisonnière ou
permanente, enneigement hivernal avec froid prolongé ou non... — qui sont des conditions jugées «
normales » et auxquelles la maison s'adapte plus ou moins de façon à réaliser une ambiance propre
à l'accomplissement des fonctions essentielles de la vie. Bien plus redoutable est, pour l'homme,
l'agression des éléments extrêmes du milieu : typhons, averses diluviennes mais brèves, sécheresses
prolongées, excès auxquels on peut joindre les séismes.

➔ Texte 3 : Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, (2011) (ROMAN)

15 février
Ma première soirée solitaire. Au début, je n'ose pas trop bouger. Je suis anesthésié par la perspective
des jours. À 10 heures du soir, des explosions trouent le silence. L'air s'est réchauffé, le ciel est à la
neige, il ne fait que — 12 °C. L'artillerie russe pilonnerait le lac, la cabane n'en vibrerait pas plus. Je
sors dans le redoux écouter les coups de boutoir. Les courants font jouer la banquise.
L'eau, prisonnière, implore sa libération. La glace sépare les êtres (poissons, fleurs et algues,
mammifères marins, arthropodes et micro-organismes) du ciel. Elle fait écran entre la vie et les
étoiles.
La cabane mesure trois mètres sur trois. Un poêle en fonte assure le chauffage. Il deviendra mon ami.
J'accepte les ronflements de ce compagnon-là. Le poêle est l'axe du monde. Autour de lui, tout
s'organise. C'est un petit dieu qui possède sa vie propre. [...]
Je dispose de deux fenêtres. L'une est ouverte sur le sud, l'autre sur l'est. Dans l'enchâssure de la
seconde, on distingue les crêtes enneigées de la Bouriatie7, à cent kilomètres. Par la première,
derrière les branchages d'un pin couché, je suis du regard la courbe de la baie incurvée vers le sud.
Ma table, collée à la fenêtre de l'est, en occupe toute la largeur, à la mode russe. Les Slaves peuvent
rester des heures assis à regarder perler les carreaux. Parfois, ils se lèvent, envahissent un pays, font
une révolution puis retournent rêver devant leurs fenêtres, dans des pièces surchauffées. L'hiver, ils
sirotent le thé interminablement, pas trop pressés de sortir.

➔ Texte 4 : Fabrice Larceneux Hervé Parent, Marketing de l’immobilier, 2010

La première volonté des acheteurs potentiels est avant tout d’acheter un espace sûr, protégé. Le
besoin de trouver sa place au sein d’un espace sécurisé est supposé répondre à des incertitudes et à
des peurs à la fois réelles (agression physique réelle) et fantasmées ou symboliques (peur de l’autre,

5
Renart = personnage des fables, le renard rusé
6
Goupil = synonyme de Renard
7
Bouriatie = région de Russie
de l’inconnu, etc.). L’espace personnel est une zone tampon autour duquel l’individu met en place
un système de protection, un rempart entre soi et les menaces perçues. Il est nécessaire de s’y sentir
en sécurité et de bénéficier de repères délimitants. Ce besoin de sécurisation s’étend de la maison à
l’environnement proche et explique le souhait d’ériger des barrières réelles ou symboliques. Il
explique par exemple le développement des systèmes de sécurité et de clôtures : portes blindées,
vitres anti-effraction ou serrures trois points équipent 42 % des logements (Insee 1ère 1177, 2008).
Les alarmes équipent cinq fois plus de maisons que d’appartements et 96 % des logements parisiens
sont protégés par un digicode. L’installation de systèmes de sécurité culmine entre 50 et 69 ans et
augmente nettement avec le niveau de vie. En réalité, la sécurité est avant tout une sensation : les
femmes se sentent plus souvent en insécurité au domicile (12 % contre 5 % pour les hommes),
sensation que l’installation de système de sécurité ne suffit pas à faire disparaître : les individus ayant
fait installer un système de sécurité continuent à éprouver un sentiment d’insécurité après,
contrairement à ce que l’on pourrait penser. En effet, le lien entre sentiment d'insécurité et nombre
d'agressions est faible : ceux qui redoutent le plus d'être agressés sont aussi ceux qui sont le moins
menacés de l'être. Une maison, et l’espace fermé qui l’entoure, configure une zone protégée qui
sécurise. Mais il peut aussi être contre-productif : afficher trop visiblement des systèmes de sécurité
crée paradoxalement la sensation d’être dans un environnement insécurisé. Cette angoisse de
l’insécurité se retrouve dans la stratégie de privatisation des espaces publics : il existerait par exemple
plus de 1500 passages privés à Paris, souvent des passages sans issue desservant les immeubles lors
des opérations de densification des constructions. Par exemple, « La Villa Montmorency »,
regroupant dès 1853 plus de cent logements, est une forme aboutie de sécurisation d’un espace dans
Paris où des caméras de surveillance ont été récemment installées et des panneaux interdisent
formellement l’entrée aux non-résidents, sous peine de poursuites. La peur de l’insécurité pousse à
la privatisation d’espaces dans la conception même des programmes immobiliers. Dans les années
1990, un des premiers programmes, « Le Domaine du Golf » à Saint-Germain-Lès-Corbeil était
constitué de plus de 400 logements réalisés autour d’un parcours de Golf. L’ensemble était fortement
sécurisé. Il s’agit d’un territoire entièrement privé, clôturé par un grillage de 1,50 mètre mais sans
cloisonnement entre maisons. Cet espace est gardé avec barrières, gardien à l’entrée et rondes de
nuit. Les maisons s’y vendent très facilement, la sensation « d’être en sécurité » étant un critère
crucial dans l’achat d’un logement.

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