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Si la notion d'ADN a fait son apparition vers la fin du 19ème siècle, il aura fallu attendre l'année 1953

pour que sa structure en double hélice soit découverte et 2001 pour qu'une première version
(incomplète) du génome humain soit publiée. Depuis, les méthodes de séquençage ne cessent
d'évoluer et les dernières techniques mises au point constituent un réel bouleversement ; certains
parlent même de révolution. Dans cette première partie nous revenons sur les différents dispositifs
disponibles aujourd'hui pour séquencer l'ADN et sur les technologies de demain. Bientôt le génome
humain pourrait être séquencé en quelques heures et plus incroyable encore à l'aide d'un dispositif
de la taille d'une clé USB !

L'ADN et sa séquence

L'acide désoxyribonucléique ou ADN est une molécule, présente dans toutes les cellules vivantes, qui
contient l'ensemble des informations nécessaires au développement et au fonctionnement d'un
organisme. Il est le support de l'information génétique et de l'hérédité car il est transmis lors de la
reproduction. La molécule d'ADN est composée d'éléments de bases appelés nucléotides. Il existe
quatre types différents de nucléotides: l'adénine (A), la thymine (T), la cytosine (C) et la guanine (G).
Cette molécule est constituée de deux brins complémentaires, un A se trouvant toujours face à un T
et un G face à un C. La réplication de l'ADN, notamment lorsqu'une cellule se divise, implique un brin
d'ADN à copier et une protéine spécifique appelée ADN polymérase. Cette protéine 'lit' le brin
modèle et met un A en face d'un T, etc. Le séquençage de l'ADN, consiste à déterminer l'ordre de la
succession linéaire des bases A, C, G et T d'un fragment d'ADN donné.

La méthode Sanger

Frederick Sanger, deux fois lauréats du prix Nobel de chimie (1958 et 1980), a mis au point la
première méthode de séquençage de l'ADN : la méthode Sanger. Malgré les évolutions actuelles des
techniques de séquençage, que nous développerons dans la suite de cet article, la méthode de
Sanger reste la méthode la plus employée dans le monde.

Cette méthode est basée sur l'interruption de la synthèse enzymatique d'un brin d'ADN
complémentaire. Son principe est le suivant. Une molécule d'ADN, extraite d'un échantillon est
clonée et de nombreuses molécules d'ADN simple brin sont produites. Un petit oligonucléotide
(amorce) complémentaire à une partie du fragment d'ADN à séquencer est ajouté et sert de point de
départ à la synthèse du brin d'ADN complémentaire. A partir de là, l'ajout d'ADN polymérase et des
nucléotides A, T, G et C (les dNTP) permet de générer le brin complémentaire. Cependant la méthode
de Sanger comprend également à ce stade l'ajout en faible concentration de quatre nucléotides
analogues appelés didésoxynucléotides (les ddNTP) qui ressemblent aux nucléotides normaux mais
leur incorporation a pour conséquence l'arret de la polymérisation. Il en résulte la formation de
nouveaux fragments d'ADN de taille variable, qui sont ensuite séparés par électrophorèse. [4]

Cette méthode très utilisée comporte cependant plusieurs limites. La première et la plus importante
est le faible rendement. Les étapes de préparation de l'échantillon d'ADN, de fractionnement en
morceaux de taille lisible, et d'amplification sont lentes et coûteuses. Il faut ajouter à cela la limite de
taille des séquences lisibles (inférieur à 1000 nucléotides), le traitement informatique des données et
les vérifications nécessaires. [4]

Quelque temps après la publication du premier génome humain, de nouvelles machines de


séquençage ont fait leur apparition, marquant la première révolution du domaine. L'ensemble de ces
technologies ou plateformes de séquençage est regroupé sous le terme "nouvelle génération de
séquençage à haut-débit" (en anglais "next génération sequencing"). Nous dissocierons ici les
séquenceurs de deuxième génération de ceux dits de troisième génération qui permettent le
décryptage direct d'une seule molécule d'ADN.

Plateformes de deuxième génération, toujours plus rapides

Deux sociétés, Solexa (depuis rachetée par Illumina) et 454 Life Science (Roche), ont proposé les
premières plateformes utilisant un séquençage massif parallèle et permettant ainsi de réduire les
coûts et d'augmenter la rapidité des analyses. Si elles nécessitent toutes les deux une molécule
d'ADN simple brin préalablement préparée (ce qui demande toujours du temps), elles s'appuient par
la suite sur des approches différentes. [4]

La compagnie 454 Life Science, basée à Branford (Connecticut), a mis au point la plateforme 454, qui
s'appuie sur la technique de pyroséquençage. Le pyroséquençage est une technique de séquençage
par synthèse qui repose sur la détection de la libération de pyrophosphate lors de l'incorporation de
nucléotides. Un seul type de nucléotides (A, T, G ou C) est incorporé dans le milieu à la fois. S'il s'agit
du nucléotide attendu pour continuer la synthèse du brin complémentaire, il est incorporé et par une
réaction enzymatique émet un signal lumineux interprété par le séquenceur.

Pyroséquençage explications

Crédits : isradelacon

La société Solexa (San Diego, California), a développé une plateforme qui opte pour une stratégie
plus proche de la méthode de Sanger. La molécule d'ADN à séquencer est mise en présence des
quatre types de nucléotides, chacun associés à un fluorophore différent. Le nucléotide nécessaire à
l'élongation du brin complémentaire est alors inséré mais une modification de sa structure empêche
l'élongation de se poursuivre. Un signal lumineux spécifique du nucléotide présent est alors émis.

Illumina sequencing explications

Crédits : Phlya1

Une clé USB pour lire l'ADN !

Parmi les dernières innovations, Ion Torrent propose une plateforme (le PGM) qui s'appuie sur les
variations de pH que provoque la libération d'un proton lors de l'incorporation d'un nucléotide au
moment de la synthèse d'un brin d'ADN complémentaire. En effet le pH d'une solution varie selon sa
concentration en protons, l'ajout d'un nucléotide a donc pour effet de modifier le pH de la solution.
Lorsqu'un nucléotide précis se trouve dans le milieu de réaction, le séquenceur peut ainsi détecter si
un ou plusieurs protons ont été libéré et déterminer la séquence de l'ADN.

Si cette nouvelle technologie, encore perfectible, est intéressante, elle est menacée par une
révolution bien plus impressionnante. En effet, la société Oxford Nanopore Technology (ONT) a
présenté à la conférence "Advances in Genome Biology and Technology", qui a eu lieu du 15 au 18
février 2012 à Marco Island (Floride), deux nouveaux dispositifs de séquençage: le MinIon et le
GridIon [3].

Ces deux dispositifs, qui devraient arriver sur le marché d'ici la fin de cette année, sont les premiers
séquenceurs dont la technologie s'appuie sur des nanopores (un pore d'un diamètre compris entre 1
et 100 nm). Lorsqu'un nanopore, imbriqué dans une membrane hybride polymères-lipides, est en
contact avec une molécule d'ADN, il émet un signal électrique spécifique selon le type de nucléotides
qui le traverse, permettant ainsi une lecture de l'ADN. Le Dr. Mardis de l'Université de Washington a
confirmé que cette technique comporte deux avantages : la préparation des échantillons est très
simple et rapide et il sera possible de lire des dizaines de milliers de bases en une seule fois. L'un des
inconvénients majeurs est le taux d'erreur (4%) qui reste pour l'instant trop élevé pour la plupart des
applications envisagées dont le diagnostique médical.

Le MinIon, grosse clé USB jetable capable de lire directement l'ADN (jusqu'à 1Gb de données) à partir
d'un échantillon de sang, a été testé sur des génomes simples (virus, bactéries) et a démontré son
efficacité en décodant leur ADN en quelques secondes. Il devrait bientôt être vendu à un prix de 680
euros environ (900 dollars US). Cependant aucun scientifique extérieur à la société n'a encore pu
tester ces technologies et dans ce domaine, on peut s'attendre à une grande différence entre les
promesses révolutionnaires de ce dispositif et la réalité de son utilisation. [5] [7] [8]

Conclusion

Comme le démontre cet article, les techniques de séquençage évoluent rapidement ces dernières
années et permettront sans doute bientôt de faire séquencer son ADN complet en moins d'une
heure chez le médecin. Au-delà des problèmes techniques non résolus du stockage et de la gestion
de ces quantités gigantesques, des questions éthiques se posent. En effet ces avancées ouvrent la
porte à la médecine spécialisée et au diagnostic très précoce de certaines maladies; cependant les
traitements eux ne progressent pas à la même vitesse. Est-il nécessaire de prévenir une personne
qu'elle est susceptible de contracter une maladie grave contre laquelle on ne peut rien faire? Nous
nous intéresserons à ces questions dans notre prochain article.

- [1] Pyroséquençage explications : http://www.youtube.com/watch?v=kYAGFrbGl6E

- [2] Illumina sequencing explications : http://www.youtube.com/watch?v=l99aKKHcxC4


- [3] Site officiel de la société Oxford Nanopore Technology: http://www.nanoporetech.com/

- [4] Philippe Julien. Séquençage de l'ADN: la révolution est (de nouveau) en marche [En ligne].
Disponible sur: http://redirectix.bulletins-electroniques.com/dCHMI

- [5] The New-York Times. Andrew Pollack. Company Unveils DNA Sequencing Device Meant to Be
Portable, Disposable and Cheap [En ligne]. Disponible sur:

http://redirectix.bulletins-electroniques.com/oovcH

- [6] Nature. Erika Check Hayden. Nanopore genome sequencer makes its debut [En ligne]. Disponible
sur: http://redirectix.bulletins-electroniques.com/7CHlE

- [7] C. Audebert. MinION & GridION : Oxford Nanopore en dit plus à l'AGBT [En ligne]. Disponible
sur: http://www.biorigami.com/?p=2134

- [8] Renaud Blervaque. Séquençage haut-débit nouvelle génération: Principes et caractéristiques [En
ligne]. Disponible sur: http://www.biorigami.com/?p=1133

- [9] J. Lamoril et al. Les techniques de séquençage de l'ADN : une révolution en marche. Immuno-
analyse et biologie spécialisée (2008) 23, 260-279

- [10] EL FAHIME Elmostafa et Ennaji Mly Mustapha. Evolution des techniques de séquençage. Les
Technologies de laboratoire - N°5 Juillet-Août 2007

Séquençage de l'ADN : vers une médecine personnalisée [partie 2/2]

http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/69360.htm

Introduction

Comme nous l'avons vu dans notre précédent article [1], les techniques de séquençage ont
évolué rapidement ces dernières années. La diminution drastique du temps et du coût du
séquençage du génome humain, a permis, entre autres, le développement du concept de
médecine personnalisée. Qu'est ce que la médecine personnalisée ? Quand y aurons-nous
accès ? Quels sont les dangers éthiques de cette pratique ? Nous tenterons de répondre à ces
questions dans cette deuxième partie.

Plus rapide et moins cher

Les dernières évolutions en matière de séquençage de l'ADN permettent d'imaginer que d'ici
peu cette opération pourra être effectuée en quelques heures chez son médecin. En effet
durant la dernière décennie, le coût du séquençage d'un génome humain est passé de 100
millions à moins de dix mille dollars (cf. figure 1) !
Figure 1 : Coût total du séquençage d'un génome humain en dollars (USD)
Crédits : http://www.genome.gov/sequencingcosts/

A chaque patient son traitement

La médecine personnalisée désigne la prise en charge d'une maladie en fonction des


caractéristiques génétiques du patient. En effet nous sommes tous différents et un même
médicament peut provoquer des réactions très différentes selon les patients. Une grande part
de cette variabilité est due à des différences génétiques. Pour résumer, deux individus atteints
d'une même pathologie peuvent répondre différemment à un même traitement car ils n'ont pas
le même code génétique.

Les avantages de cette nouvelle approche sont multiples: une innocuité et une efficacité
accrue et moins de ressources et de temps perdus pour un traitement innéfficace. Un grand
nombre de pathologies est concerné par les promesses du séquençage. Les maladies
génétiques ou héréditaires mais aussi le diabète, les problèmes cardiovasculaires, l'obésité et
surtout les cancers. Le cancer est dû à des modifications de l'ADN et si certaines sont
héréditaires, la plupart se produisent au cours de la vie.

C'est la société suisse Roche, un des leaders mondiaux de l'industrie pharmaceutique, qui a
développé en premier cette idée. Vers la fin des années 1990, la compagnie introduit le
premier test compagnon associé à l'Herceptine, un traitement pour les femmes atteintes d'un
cancer du sein lié à une anomalie génétique particulière. Ce test permet de prédire si le
traitement a une chance d'être efficace. En effet, cette mutation n'est présente que dans 15%
des cancers du sein, ce sont les seules à répondre à ce traitement coûteux.

Le National Human Genome Research Institute (NHGRI), Bethesda, Maryland, a annoncé en


décembre 2011 un financement d'un montant de 461 millions de dollars pour un programme
visant à favoriser les découvertes en génomique et donc dans le domaine de la médecine
personnalisée. Le montant a été réparti sur trois centres renommés travaillant sur le
séquençage du génome humain.

Enjeux éthiques et juridiques


Alors que la communauté scientifique s'enthousiasme pour la médecine personnalisée et
toutes les promesses qu'elle suscite, certains rappellent qu'il ne faut pas oublier qu'elle soulève
aussi de nombreuses questions du point de vue éthique ainsi que juridique.

En premier lieu elle posera des problèmes de confidentialité et de respect de la vie privée.
"Une fois qu'un médecin aura en main les renseignements sur le patrimoine génétique d'un
individu, comment gérera-t-il cette information ? Sera-t-il tenu d'informer le patient et même
la famille s'il sait que l'individu, et peut-être d'autres membres de sa famille, présente des
risques de développer telle ou telle maladie ?" explique Mélanie Bourassa Forcier,
professeure à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, Canada. De plus, l'utilisation
de données génétiques dans le domaine médical peut également mener à de la discrimination
génétique par les assurances ou les employeurs. L'établissement de normes juridiques précises
semble plus que nécessaire dans ce domaine.

Conclusion

La médecine personnalisée n'est plus un lointain rêve. Grâce aux extraordinaires avancées
dans le domaine du séquençage de notre génome, la médecine individuelle est pour bientôt.
Ce changement sera aussi un enjeu considérable pour les grands groupes pharmaceutiques qui
vont devoir repenser et remodeler toutes leurs démarches basées depuis des décennies sur le
médicament "moyen" pour le patient "moyen".

BE Etats-Unis N°280. Lecomte Manon. Séquençage de l'ADN : les dernières (r)évolutions ! [partie 1/2]
: http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/69283.htm

Code brève

ADIT : 69360

Sources :

- Susan Young. Funds dedicated to personalized genetics. Nature. 6 December 2011. [En ligne].
Disponible sur: http://redirectix.bulletins-electroniques.com/r5ueY

- John C. Reed. Francis S. Collins. Francis Collins: 3 Scientific Breakthroughs Changing Medicine. [En
ligne]. Disponible sur: http://www.medscape.com/viewarticle/758435

- Agence Science Presse.Médecine personnalisée : jusqu'où prédire? [En ligne]. Disponible sur:
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/WELfn
- Armelle Bohineust. Médecine personnalisée : Roche vise le leadership [En ligne]. Disponible sur:
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/GE636

- ParisTech Review. Marc-Olivier Bévierre. Médecine personnalisée: la révolution est en marche [En
ligne]. Disponible sur: http://redirectix.bulletins-electroniques.com/f94QN

- L'actualité.com. Valérie Borde. La révolution du sur-mesure [En ligne]. Disponible sur:


http://www.lactualite.com/sante/la-revolution-du-sur-mesure

- La médecine personnalisée. [En ligne]. Disponible sur: http://redirectix.bulletins-


electroniques.com/2rPCe

- Marianne Dion-Labrie, M.C. Fortin, M.J. Hébert & H. Doucet. Ré?exions éthiques sur la médecine
personnalisée: l'alliance de la science et de la médecine en? n réalisée? [En ligne]. Disponible sur:
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/vXXDE

- Techno-science.net. Stéphanie Raymond. Médecine personnalisée: avancées qui interpellent les


juristes [En ligne]. Disponible sur: http://www.techno-science.net/?onglet=news&news=9090

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