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LE CAS DE LA BRETAGNE
Lionel Prigent
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Résumé
Le tourisme constitue l’un des secteurs économiques majeurs de la
Bretagne. Mais les résultats de fréquentation du début des années
2010 ont confirmé son essouff lement. Pour y répondre, des initiatives
se sont développées pour diversifier l’offre de produits touristiques et
améliorer la qualité, notamment par des actions vers la gastronomie :
mise en valeur des produits du terroir, soutien aux appellations
labellisées et aux restaurants étoilés. Ces politiques sont portées
par des acteurs économiques locaux, mais elles sont aussi largement
relayées, voire initiées par les pouvoirs publics…
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Introduction
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¾ des lits sont dans le secteur non marchand et 2/3 des lits du secteur marchand sont
en camping. Surtout, l’activité a subi une lente érosion pendant quelques années : si la
« part de marché » est restée stable pour les touristes français, celle des étrangers a subi
une érosion plus sensible (près d’un tiers entre 2000 et 2012). Le nombre de nuitées
a stagné, tandis que les pratiques se transformaient rapidement (Conseil régional de
Bretagne, 2012). Différentes raisons ont été avancées pour expliquer le reflux. Certaines
étaient conjoncturelles : la concurrence accrue d’autres destinations dans un contexte
de mondialisation et de réduction du prix des transports ; une succession de mauvais
signaux comme les naufrages de pétroliers, les « marées vertes », les incertitudes de
la météorologie (quelques étés pluvieux) et les difficultés économiques… D’autres rai-
sons étaient plus structurelles : l’obsolescence des structures d’hébergements (hôtels
et campings) qui ont tardé à adapter leur offre ; l’éparpillement et le vieillissement
des activités.
De fait, le tourisme breton, développé dès le XIXe siècle, aux côtés d’autres activités
économiques (la pêche, l’agriculture, et les transformations de leur produit), est ap-
paru brusquement comme une offre traditionnelle, peu innovante, et vieillissante. Ses
caractéristiques s’appuient sur quelques atouts : une destination maritime avec 2730
kilomètres de côtes, une destination historique avec 3011 édifices protégés comme
Monuments historiques (1ère région en dehors de l’Île de France), 80 phares (un tiers
du parc français), 12 000 kilomètres de sentiers de randonnées. Mais c’est aussi une
destination périphérique, accessible surtout par la route. Et, en dehors des festivals,
qui ont connu une croissance importante, les activités attirent surtout des ménages
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Pour enrailler le phénomène, les collectivités locales et leurs services – qu’ils s’agissent
des observatoires, des agences de développement touristique, des offices de tourisme
–, mais aussi les acteurs du secteur touristique ont engagé une démarche de reposition-
nement : recentrage vers les caractéristiques les plus identifiées (la mer, le patrimoine,
les festivals), soutien et promotions des offres innovantes sur ces caractéristiques,
appui aux activités à plus grande valeur ajoutée susceptible de concurrencer les des-
tinations et les activités plus lointaines. Et, parmi celles-ci, une attention particulière
a été accordée à la gastronomie.
Cet article a pour objet d’identifier les raisons pour lesquelles il apparaît un décalage
entre l’image positive d’une région et sa perte d’attractivité touristique. Il s’agira ensuite
d’examiner la pertinence des initiatives qui misent sur le développement de la qualité
pour reconquérir les faveurs du public, en prenant pour application particulière la
gastronomie et les restaurants étoilés.
Les ressources mobilisées pour ce travail puisent d’une part dans les études quanti-
tatives et qualitatives de l’INSEE, en particulier son antenne régionale, mais aussi les
statistiques et les analyses du Comité régional du tourisme de Bretagne. Pour iden-
tifier les orientations des politiques publiques, nous nous appuyons sur les sources
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Tourisme durable, attractivité touristique et gastronomie : le cas de la
Bretagne
offertes par les différentes structures des collectivités locales, agences développement
touristique, offices de tourisme, etc. Les sources sont les sites Internet, les journaux
institutionnels de communication et les supports promotionnels.
« C’est le pays où flottent, particulièrement par dessus l’Armor (la mer), les menez
(les montagnes), les clochers à jour et les kerivaros (les cimetières), les kroaz (croix)
aux statuettes de granit, les argoat (bois), les lann (ajoncs), les brug (bruyères), les
deruen (chênes), les vieux Ty binniget (logis bénis), comme un parfum d’archaïsme
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À peine plus à l’intérieur des terres, quelques bourgs furent également repérés et
parfois même classés comme monuments historiques (Locronan en 1924 ou certains
édifices de Rochefort-en-Terre en 1923). Ces quelques objets décrits dès la fin du XIXe
siècle, ont constitué, durant tout le siècle suivant, les caractéristiques essentielles de
la Bretagne touristique. Ainsi, en 1977, les éditions Larousse publient-elles une série
d’ouvrages consacrée aux « beautés de la France ». Le volume sur la Bretagne décrit
une région de mégalithes, de golfes, de grèves, de grands caps, et célèbre les côtes de
granit rose et d’Émeraude, les îles, les citadelles, les châteaux, l’art religieux.
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Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, les stations balnéaires ont bénéficié peu à peu
de l’arrivée du chemin de fer (Lozato-Giotart, Leroux et Balfet, 2012). Les réseaux
ferroviaires s’étendaient sur tout le littoral de la Normandie et une grande partie de
celui de la Bretagne (Chemins de fer de l’État, [s.d.])2. Les côtes sauvages et une grande
partie du littoral devenaient plus accessibles mais restaient réservées à une clientèle
aisée (Phlipponneau, 1970). Une autre partie de cette riche fréquentation provenait
de Grande Bretagne, à la suite de la publication de quelques séjours commentés (Le
Disez, 1999). L’ambition était alors de proposer une pratique de villégiature et un
tourisme haut de gamme (Clairay et Vincent, 2008). Et les acteurs locaux entendaient
convaincre de la crédibilité de leurs ambitions, en diffusant notamment des guides et
des revues spécialisées. Citons, pour exemple, La Bretagne touristique, éditée à Saint-
Brieuc dès les années 1920. Chaque numéro exposait en textes et en photos, une partie
de la Bretagne, ses villas et ses plages (Dinard et Saint-Malo dans le numéro de mai
1922), mais aussi les « curiosités historiques, littéraires et artistiques », et quelques
productions nouvelles des « arts appliqués ». Le territoire était décrit pour un public
averti et aisé, et la revue affichait son ambition par une grande qualité d’illustration,
mais aussi par de pleines pages de publicité pour les plus grands hôtels-restaurants.
2 Il existait en fait deux types de réseaux : le réseau national concédé et un chemin de fer à
voie étroite laissé à l’initiative de compagnies privées, parfois étrangères, dont l’installation fut souvent
tardive. Le train n’arriva à Crozon qu’en 1924.
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Tourisme durable, attractivité touristique et gastronomie : le cas de la
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Ces implantations ne furent pourtant que les prémisses d’une vague plus grosse encore
de projets (Bouneau, 2007). Dès le milieu des années 1960, dans le prolongement des
conclusions de la mission interministérielle pour l’aménagement touristique du littoral
de Languedoc-Roussillon (présidée par Pierre Racine), Raymond Marcellin, ministre
de la santé publique (1962-1966), et à partir de 1964 (jusqu’en 1998), président du
Conseil général du Morbihan, entendait renforcer les capacités touristiques de son dé-
partement. Il créa pour la circonstance la société d’économie mixte pour l’équipement
touristique du Morbihan (SATMOR) qui fut chargé de la « zone touristique Kerjouanno-
Le Crouesty-Le Kerver » que devaient constituer un vaste port de plaisance et plusieurs
sites d’hébergement d’une capacité totale de 15 000 lits (Bonnet et Le Couédic, 2011).
Si, la plupart de ces programmes ont été abandonnés à partir du milieu des années 1970
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La culture, elle aussi, connaissait une recomposition. Depuis les années 1950, se créaient
des cercles bretons qui remettaient à l’honneur les chants, les danses, les jeux, les cos-
tumes d’une tradition culturelle, qu’on aurait pu croire en déshérence3. Ils prenaient la
leçon auprès des derniers sonneurs professionnels encore en activité, répertoriaient
les airs anciens, en imaginaient de nouveaux. Les bagadou, des formations de trente
musiciens et plus, supplantaient le couple traditionnel de sonneurs. Les nouvelles
orchestrations laissaient une place de choix à la bombarde, instrument rénové dès
1940, mais empruntaient aux Écossais la grande cornemuse, plus mélodieuse et plus
spectaculaire pour les défilés. De cette évolution sont nés les bagadou qui animent
3 Si les cercles celtiques existaient déjà depuis 1911, il y a eu une amplification du phénomène.
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les étés, mais aussi le festival interceltique de Lorient. Peu à peu, le tourisme cessait
d’être seulement une question de bains de mer et de paysage. L’art de vivre participait
désormais d’une atmosphère à partager, dût-on pour cela en inventer les codes et le
langage. Les produits réputés régionaux font ainsi un panier savamment composé :
coques, couteaux, coquilles Saint-Jacques, pétoncles, bigorneaux, moules, palourdes,
huîtres. Suivent les homards, langoustes, langoustines, araignées, tourteaux, étrilles,
crevettes, enfin les poissons. La liste compte encore les produits de la terre, la charcu-
terie, puis les crêpes, crêpes dentelles, les fraises de Plougastel, les légumes (artichauts,
choux-fleurs, oignons, endives, carottes), le cidre, le chouchen, le lambic. À partir des
années 1960, les ingrédients fondamentaux, qui sont aujourd’hui célébrés et perçus
comme intemporels, sont réunis. Ils ne changeront plus. Ne manquaient à cette liste
que le kig ha farz qui attend son heure dans ses foyers du Léon et le kouign Amann.
Cependant, plus que de terroir et de qualité, il n’était encore question que de produits,
alors que le territoire vivait une profonde mutation.
Car le tourisme n’était pas le seul secteur à connaître une modernisation rapide.
L’agriculture, l’industrie, les transports ont été transformés, sous l’impulsion du Comité
d’étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB), qui portait une nouvelle ambition
régionale. La modernité conquit le territoire très rapidement. Si, au milieu des années
1950, il restait encore nombre de fermes sans raccordement aux réseaux électriques et
au service d’eau potable, il n’a pas fallu 30 ans pour équiper de routes, pour dévelop-
per un tissu économique, notamment autour d’une agriculture productiviste et d’une
industrie agroalimentaire. Plus tard le tourisme durable a investi au fil du temps le
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Tourisme durable, attractivité touristique et gastronomie : le cas de la
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entreprises ont utilisé de longue date leur ancrage local pour forger une image : Hénaff,
Tipiak, Coreff, Breizh Cola, entre autres.
Pour accompagner ces initiatives des marques, et en assurer plus facilement la lisibilité,
un groupe de chefs d’entreprise a créé en 1993 Produit en Bretagne, un label porté par
une association éponyme. L’association compte aujourd’hui 360 entreprises adhérentes.
Le logo, un phare dans un disque jaune, figure sur plus de 4000 produits dont beau-
coup appartiennent au secteur agro-alimentaire. Il est reconnu par la quasi-totalité
des habitants de la région et par un habitant sur deux en Île-de-France (sondage TMO,
2010). Quelques sites touristiques bretons avaient déjà expérimenté une démarche
similaire en créant, en 1976, les « petites cités de caractère ». Les 22 premières com-
munes ont été rejointes depuis par d’autres issues de toute la France, mais le caractère
régional reste fort. Depuis, de nouvelles initiatives territoriales sont apparues comme
la marque Bretagne, portée par le Conseil régional et destinée à être utilisée pour
toutes formes de manifestations, ou comme la marque Finistère lancée par le Conseil
départemental du Finistère. Tous ces signaux combinent l’activité économique et une
reconnaissance territoriale. Mais leur courte existence et la diversité de leurs objectifs
et de leurs cibles ne permettent guère encore d’en mesurer l’efficacité sur l’image de
la région et de son économie.
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La mise en marque est aussi un levier touristique intense (Bindi, 2012) qui se mesure
par des offres construites de visites : la route du cidre en Cornouaille, la route de la
fraise et son musée à Plougastel-Daoulas, le chemin de la sardine à Douarnenez, la
route des algues et des Goémoniers. Plusieurs musées accompagnent ces initiatives,
comme le musée des Johnnies et de l’oignon à Roscoff, l’Haliotika (cité de la pêche, au
Guilvinec), la maison du pâté Hénaff à Pouldreuzic, le musée de la pêche à Concarneau,
etc. Ces initiatives, toutes récentes, connaissent des fortunes diverses mais confirment
la volonté d’animation du territoire et le recours au registre du goût.
Quand l’économie touristique a profité de la période de forte croissance, elle est devenue
un moteur essentiel de l’innovation, sous différentes formes : innovation technique,
économique et culturelle du produit, innovation organisationnelle par l’invention de
relations inédites entre secteurs public et privé, enfin innovation du marketing par la
construction d’un désir de consommation d’espaces de distinction. Ce modèle écono-
mique, après avoir offert une meilleure reconnaissance des destinations, une nouvelle
réputation des animations, a également fixé un corpus gastronomique en transformant
les crêpes en repas, les coquillages et les crustacés en fruits de mer, etc. Mais il a sans
doute vieilli et perdu de son originalité.
4 « [La typicité] est un ensemble de données construites par les communautés locales en rela-
tion avec les autres et avec le panorama global des cultures et du marché. Dans ce sens, la patrimoniali-
sation des styles alimentaires est strictement connectée avec les procès de relocalisation » (Bindi, 2012).
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Tourisme durable, attractivité touristique et gastronomie : le cas de la
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Pourtant, c’est aussi grâce à ses produits exportés et ses marques que jamais peut-être
l’image de la Bretagne n’a été autant diffusée : l’image bretonne est partout : sur les
affiches du métro parisien, dans les magazines, dans les articles de modes, dans les
recettes gastronomiques, sur des enseignes de la plupart des villes du monde. Et l’on
trouve des crêperies à New York, Tokyo, Rio de Janeiro ou même Bombay.
Tout cela, finalement, n’a-t-il pas son revers en provoquant une forme de banalisa-
tion ? Car la diffusion de ces biens, ces services, ces images participent bien de formes
nouvelles pour faire découvrir un territoire et pour satisfaire la demande, toujours
renouvelée, d’un nouvel imaginaire. « La capacité d’un territoire au réenchantement
de son propre quotidien n’est pas sans difficulté, ni sans risque, notamment celui de
perdre le sens de lui-même » (Douence, 2012).
Dans le même temps, les différents secteurs économiques régionaux ont des démarches
et des intérêts segmentés. Évoquer une production locale et les spécificités d’un ter-
ritoire semble impliquer naturellement les opérateurs du tourisme, du commerce et
de la production, notamment la Chambre d’agriculture. Mais cette évidence peut être
contredite par la réalité de l’activité économique : ce n’est pas un produit local que
vendent la plupart des entrepreneurs agricoles mais un bien concurrentiel destiné à
l’exportation sur les marchés mondiaux. Communiquer sur une filière locale renvoyait
donc une partie de ce monde agricole à un tropisme ancien qui ne pouvait plus être
défendu5. Ce paradoxe est d’autant plus problématique que l’offre locale n’est plus en
capacité de satisfaire la demande. Dans les restaurants, le plateau de fruits de mer,
incontournable menu de la carte jusque dans les années 1990, n’est plus aujourd’hui dis-
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5 C’est d’ailleurs pour protester contre l’augmentation du coût de transport pour leur activité
que les agriculteurs bretons se sont mobilisés à l’automne 2013 contre l’écotaxe, tandis que d’autres
revendiquaient pour des circuits courts. L’unité dans la protestation n’impliquait pas automatiquement
une convergence des motifs de revendication.
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d’une part une stratégie de valorisation d’expériences individuelles ; d’autre part, une
stratégie de mutualisation des moyens afin de réussir une promotion collective, d’amé-
liorer l’ensemble de l’offre de services, de renforcer la lisibilité du territoire pour des
visiteurs peu familiers.
Cette recherche de qualité est souvent l’ambition des propriétaires. Mais elle n’a pas
toujours aujourd’hui une demande suffisante pour garantir une viabilité économique.
Une localisation loin des principaux pôles d’attraction touristique et des flux de circu-
lation marque par exemple une contrainte supplémentaire. D’autres dispositions sont
alors nécessaires pour aller à la rencontre des clients : organiser des stages de cuisine,
assurer un service traiteur de qualité, préparer des plats en conserve qui sont ensuite
vendus dans des épiceries fines ou dans les magasins des lieux d’exposition artistique
de la région. De telles expériences sont visibles à Rostrenen, à Landerneau, à La Gacilly,
notamment. La diversification permet à la fois de développer les services, de toucher
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6 Dans ces deux derniers cas, les initiatives sont portés directement par deux familles d’en-
trepreneurs originaires de la ville : les descendants d’Yves Rocher à La Gacilly et la famille Leclerc à
Landerneau.
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Tourisme durable, attractivité touristique et gastronomie : le cas de la
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par les acteurs publics, départementaux et régionaux, qui ont posé différents objectifs
pour l’ensemble des pays touristiques (Finistère Tourisme, 2014) :
• connecter les territoires aux marchés, à travers une politique de marque, une
politique numérique, une meilleure visibilité de la qualité des offres, un travail de
mise en valeur du territoire (démarche sur la requalification des portes d’entrée),
un travail sur les produits ;
Ces actions passent par toutes les formes possibles : des publicités, des informations à
l’intention des habitants du territoire ; des dossiers pour communiquer des éléments
de langage à la presse spécialisée comme à la presse généraliste. Et puis il y a les relais
des réseaux professionnels qui sont des vecteurs de communication incontournables.
Les produits alimentaires locaux et typiques sont mis en scène comme les résultats
d’un héritage culturel. Ils touchent de nouveaux cercles de consommateurs à mesure
que leurs réseaux de diffusion s’élargissent (Grasseni, 2012). Pour renforcer l’efficacité
espérée, il ne reste plus qu’à développer une politique de marque.
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Il faut en effet souligner la place particulière que revêtent les guides touristiques et
les guides gastronomiques : le bottin gourmand, le routard, le Michelin, le Pudlowski
exercent un pouvoir d’autant plus grand que le droit de jugement dont ils se sont auto-
saisis leur est en même temps consenti à la fois par les lecteurs et par les restaurateurs
eux-mêmes. Leur succès repose sur leur influence qui repose sur leur succès ! Le guide
Michelin recense aujourd’hui 4 restaurants « 2 étoiles » et 31 restaurants « 1 étoile ».
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Leur nombre a connu une forte augmentation en quelques années, depuis le début des
années 1980 et ce nombre s’est accéléré depuis le début des années 2000. Réponse à un
besoin de discriminer dans une offre abondante, aide à la décision, garantie de qualité,
les motivations de cette reconnaissance par un guide sont suffisamment nombreuses
et ont été largement étudiées.
Plus intéressantes pour notre propos sont les observations extraites du Tableau 2 :
• alors que l’on attendrait une orientation régionale des tables récompensées,
seuls 3 établissements sont qualifiés comme « bretons » ou « régional », les qualifi-
catifs les plus fréquents sont « modernes » (25 occurrences) ou « gastronomiques »
(15 occurrences) et « créatifs » (25 occurrences) ;
• pour deux tiers (22 sur les 35) des enseignes, la localisation est en dehors des
villes principales (Brest, Lorient, Quimper, Rennes, Saint-Brieuc et Vannes) et bon
nombre sont dans des communes littorales ;
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Tourisme durable, attractivité touristique et gastronomie : le cas de la
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Tableau 3 - Les liens des collectivités locales vers les restaurants
étoilés
Site Pages successives
Finistère
Escapades saveurs Restaurants étoilés - Guide Michelin
tourisme
Morbihan Votre parenthèse gourmande
Les saveurs Les
Vos critères - autres
gourmandes restaurants
Côtes d’Armor À voir à faire Gastronomie Restaurants Classement guides Michelin
Haute Bretagne Planifiez votre séjour Gastronomie Chefs étoilés
Nos expériences iné-
Tourisme
dites pour découvrir la Entrez dans les coulisses d’un 2 étoiles
Bretagne
Bretagne
Exception Bretagne Gastronomie Restaurants
L’ensemble de ces sites met en avant le terroir, le local et le frais qui sont cuisinés sur
place. Outre les étoiles Michelin, l’information relève aussi d’autres labels qualitatifs
(tables et auberges de France, etc.). Le Conseil régional développe un ensemble sites
Internet spécialisés qui mettent en exergue la qualité, l’artisanat et les produits à haute
valeur ajoutée à destination de publics ciblés. La déclinaison est explicite : Exception,
Golf, Bien-être, Osez, Vibrez, Voyagez responsables, En famille, etc. Il est bien entendu
fait mention des avis des guides, et en particulier, de celui de Michelin.
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2.5. Limites
Cette étude constitue un travail exploratoire qui interroge les politiques visant à pro-
mouvoir les activités touristiques à plus haute valeur ajoutée. L’exemple des restaurants
étoilés par le guide Michelin en fait illustration. Mais les limites de l’étude sont encore
nombreuses. D’une part, l’échantillon total est modeste : 35 restaurants répartis dans
4 départements. D’autre part, les informations diffusées par les collectivités locales ne
sont pas non plus si nombreuses. Aucune analyse statistique n’est encore possible. Sans
doute serait-il possible d’observer par ailleurs les initiatives et actions de promotions
des acteurs privés. Mais l’évolution des pratiques et des discours est sensible. Ils ne
peuvent plus apparaître dénués de stratégie. Car toutes ces démarches constituent
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un faisceau convergent. C’est justement cette convergence et son efficacité que nous
devons discuter.
Conclusion
Quels sont les objectifs ? Il faut donc soit trouver un nouveau public, dont le pouvoir
d’achat pourrait compenser la réduction des flux – mais cette quête pousse à chercher
une solution dont la réalité est incertaine ; soit renouer avec les visiteurs qui semblent
s’être plus récemment détournés et qui pourraient apprécier une plus grande qualité
de services ; soit enfin séduire des segments spécialisés de ménages, résidents comme
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Ce ne serait alors qu’un avatar supplémentaire après déjà de nombreuses autres inven-
tions comme les enclos paroissiaux, le patrimoine maritime, ou, comme nous l’avons
vu pour des produits culinaires comme la crêpe, le plateau de fruits de mer, le kouign
Amann ou le Kig Ha Farz. Les historiens y trouveraient sûrement matière à disputer
une interprétation édulcorée, voire fantasmée, de la réalité passée. Car les références
choisies pour décrire l’univers gastronomique n’ont guère à voir avec les faits histo-
riques, ni avec les menus et les commentaires repérés dans les guides des années 1920
et 1930. Les crêpes, le lait et le blé noir constituaient alors l’ordinaire des agriculteurs
pauvres et n’auraient guère satisfait les vacanciers. Le discours joue désormais bien
davantage avec l’imaginaire supposé des touristes potentiels dont il faudrait flatter
le désir… et la gourmandise. Une telle transformation serait-elle un mal nécessaire
pour capter l’attention ? Les touristes seront-ils attentifs à un manque d’authenticité ?
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Tourisme durable, attractivité touristique et gastronomie : le cas de la
Bretagne
Bibliographie
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DEBOS F. (2008), « Le partenariat “viticulteurs-institutionnels du tourisme” : clé
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