Liens entre le profil culturel et l’identité nationale des

consommateurs :
Recherche exploratoire
Wiem Berrabah, Samira Zine-Danguir
Dans La Revue des Sciences de Gestion 2015/2 (N° 272), pages 109 à 118
Éditions Direction et Gestion
ISSN 1160-7742
ISBN 9782916490458
DOI 10.3917/rsg.272.0109
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

Article disponible en ligne à l’adresse

https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2015-2-page-109.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...

Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Direction et Gestion.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing 109

Marketing du consommateur
Liens entre le profil culturel et l’identité
nationale des consommateurs :
Recherche exploratoire
par Wiem Berrabah et Samira Zine-Danguir

« La culture peut être un antécédent, un modérateur ou un

médiateur et une conséquence et ses effets peuvent varier selon
le domaine » (K. Leung et alii, 2005, p. 374). C’est ce que les
chercheurs en marketing essaient de confirmer à travers leurs
études interculturelles. Cette importance de la considération
de la culture en termes scientifiques a été la cause de la proli-
fération récente des recherches qui tentent de se concentrer
sur les effets majeurs de ce concept. Le défi immédiat dans le
domaine du marketing est donc, de chercher des effets systé-
matiques plus complexes de la culture et d’intégrer ces effets
Wiem BERRABAH au sein des théories marketing, en l’occurrence les modèles du
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

Maître assistante comportement du consommateur.
Dans la littérature, le concept de la culture est identifié selon deux
ISG-Tunis orientations théoriques presque diamétralement opposées. Suite
Tunisie à la revue de la littérature relative à ces deux conceptualisations,
nous essayons de vérifier si les limites de la conceptualisation
statique, relevées par la conceptualisation dynamique, sont aussi
rejetées empiriquement et ce, en se basant sur une recherche
exploratoire. En d’autres termes, nous allons vérifier, dans un
premier temps, que la culture est en évolution et ce, en montrant
que l’acculturation et le bilinguisme expliquent l’existence de
plusieurs groupes culturels intranationaux (Objectif 1). En second
lieu, nous verrons si la culture et l’identité nationale ne sont pas
confondues. Ainsi, nous visons à explorer la variance de l’identité
nationale du consommateur, en fonction de son appartenance
à un groupe culturel intranational particulier (Objectif 2). Les
implications théoriques et managériales sont par la suite discu-
tées et ce, sous la lumière du besoin croissant des chercheurs
Samira ZINE-DANGUIR de comprendre l’impact de cette relation sur le comportement
Professeure du consommateur.
IHEC-Carthage
Tunisie

mars-avril 2015
Dossier III
www.LaRSG.fr
 110 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing
1. La revue de la littérature
Marketing du consommateur
et le modèle conceptuel
1.1. La conceptualisation statique
de la culture : confusion avec l’identité
nationale
Depuis le début du xxe siècle, plusieurs définitions de la culture
circulent entre les chercheurs spécialistes des sciences sociales.
Nous en citons, par exemple, E.B. Tylor (1920), R. Linton (1945)
et C. Kluckhohn (1945). Particulièrement, le travail de G. Hofstede
(1980) a révolutionné les recherches sur la culture, surtout
dans le domaine du management. Le lien commun entre tous
ces chercheurs est le fait qu’on exprime, de diverses manières,
que la culture est partagée et apprise par les membres d’une
même société. Selon G. Hofstede (2001), la culture est définie
en tant qu’ « une programmation mentale collective ». Pour pouvoir
appliquer cette conceptualisation sur le terrain, D. Bollinger et
G. Hofstede (1987) stipulent que « des facteurs culturels natio-
naux » façonnent la pensée de l’individu, ce qui rend celle-ci
différente d’un pays à un autre et similaire au sein d’un même
pays. La similitude intrapays est causée, selon les auteurs, par
« l’expérience acquise depuis l’enfance au sein de la famille, puis
de l’éducation à l’école et dans les organismes spécialisés, qui
ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre ». Dans ce cadre, on
distingue trois niveaux de programmation culturelle : le premier
est universel, puisqu’il englobe le système de fonctionnement
biologique du corps humain, le second niveau est collectif réservé
à la société (ou la nation) et le troisième niveau est individuel
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
unique à chacun. Ainsi, les partisans de la conceptualisation
statique présument que la culture n’est que nationale (S.J. Gray
et alii, 2013) et que les différences entre plusieurs groupes
d’individus qu’on peut détecter au sein d’une même nation, ne
sont dues qu’à la diversité des racines génétiques. C’est le cas
des États-Unis par exemple ; « malgré la diversité des racines
génétiques, on y trouve une programmation mentale collective
commune » (D. Bollinger et G. Hofstede, 1987).
De là, nous pouvons remarquer que, selon la conceptualisation
statique, le sens de la culture fusionne, en partie, avec celui de
l’identité nationale. En effet, M.J. Herskovits (1948) définit l’iden-
tité nationale comme étant « le degré jusqu’auquel une culture
reconnaît et identifie ce qui représente ses centres d’intérêt
culturels ». B.D. Keillor et alii, (1996) ajoutent que l’identité
nationale, c’est l’ensemble des significations appropriées par
une culture qui la distingue des autres cultures.
De l’autre côté, pour appuyer la conceptualisation statique de la
culture, D. Bollinger et G. Hofstede (1987) stipulent que la culture
est « stable dans le temps ». Cette idée est soutenue par L. Guiso
et alii (2006), qui pensent que la culture demeure inchangée
d’une génération à une autre. Ceci a permis d’identifier différents
stéréotypes culturels propres aux différentes nations (G. Hofstede,
1980 ; G. Hofstede, 1984 ; D. Bollinger et G. Hofstede, 1987 ;
mars-avril 2015
Dossier III
G. Hofstede, G.J. Hofstede et M. Minkov, 2010). Cependant, la
validité de ces travaux a fait l’objet de plusieurs controverses
parmi les auteurs. Nous en citons B. McSweeney (2002), K. Leung
et alii (2005) et Auteur (2011). Ceux-ci affirment que la plupart
des modèles interculturels inspirés des travaux de G. Hofstede
(1980, 1984) ne sont pas souvent vérifiés empiriquement, ou
ne distinguent pas assez bien les différences entre les cultures.
1.2. Les critiques de la conceptualisation
statique
Parmi les postulats de la conceptualisation statique les plus
contestés, nous citons celui qui stipule l’unicité des carac-
téristiques culturelles des individus appartenant à la même
nation. Ceci est rejeté par B. McSweeney (2002) et plus tard
par P. Brewer et S. Venaik (2012), vu l’existence de cultures
organisationnelles et occupationnelles et étant donné que les
valeurs dans une même nation peuvent être très variables. De
l’autre côté, des recherches affiliées à l’anthropologie sociale
et culturelle confirment l’existence d’une diversité culturelle au
niveau domestique, communautaire, national et supranational
(T.C. Patterson, 2001 ; A. Villarejo, 2014).
D’ailleurs, les résultats trouvés par G. Hofstede (1980, 1984)
nient eux-mêmes ce postulat. G. Hofstede (1980, 1991, 2001)
lui-même prévient qu’il ne faut pas interpréter les différences
entre les populations comme si elles étaient les mêmes entre
les individus.
Ainsi, nous concluons que la perspective statique de la concep-
tualisation de la culture présente deux grandes limites, à savoir :
• la considération de la culture comme étant stable dans le
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
temps,
• la confusion entre le caractère culturel et le caractère national
des habitants d’une même nation.
Ces limites empêcheraient les chercheurs d’explorer les tendances
et l’évolution culturelle au sein d’une même nation. Pour essayer
de les contenir, une conceptualisation alternative de la culture
est née ; c’est ce qu’on appelle la conceptualisation dynamique.
1.3. La conceptualisation dynamique
de la culture : distinction entre l’identité
culturelle et l’identité nationale
1.3.1. La remise en cause de la stabilité de la culture
dans le temps
Malgré le succès des recherches de G. Hofstede (G. Hofstede,
1980, 1984 ; D. Bollinger et G. Hofstede, 1987 ; G. Hofstede et
alii, 2010), un nouveau courant de recherche dans la psychologie
cognitive montre que le cerveau humain est fluide et adaptatif et
est engagé dans une interaction active et dynamique avec son
environnement (K. Leung et alii, 2005). Cette conceptualisation
www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing
du cerveau humain, qui est qualifiée de dynamique, stipule que
la culture est représentée par des structures cognitives et des
processus sensibles à l’influence de l’environnement.
Avec l’avènement de la conceptualisation dynamique, une atten-
tion particulière doit être portée au construit de l’acculturation.
Au départ, cette notion était vue comme un processus dans
lequel le consommateur immigrant apprend des comportements,
attitudes et valeurs d’une culture différente de sa culture d’origine
(C. Lee, 1988). Plus récemment, ce concept est redéfini par M.
Touzani, I. Bouaziz et S. Ben Zina (2003, p. 196) comme étant
« la mesure dans laquelle les valeurs et les normes d’un individu
culturel sont influencées par celles d’une autre culture ». Donc,
il n’est plus nécessaire de quitter son pays pour être acculturé.
C. Fitouri (1992) illustre ce cas de figure par l’exemple de la
Tunisie, en définissant l’acculturation comme étant le degré
avec lequel l’individu est influencé par la culture occidentale
(qui vient se greffer sur la culture arabo-musulmane) et adopte,
par conséquent, des actions et des comportements imprégnés
par ces cultures. Avec cette évolution de la notion de l’accultu-
ration, on n’est plus limité à des contextes historiques, comme
l’immigration ou la colonisation, pour être acculturé. Selon S.
Khalbous (1999), les phénomènes d’acculturation sont liés à
toutes les nouvelles situations de contacts interculturels, comme
le tourisme mondial, le commerce international et les nouvelles
technologies de communication. R. Haesbaert (2011) associe
ce phénomène à ce qu’il appelle l’hybridité culturelle. Celle-ci
se manifeste non seulement dans les sociétés postcoloniales
(K. Leung et alii, 2005) mais aussi là où il y a un fort échange
culturel. Une riche littérature se rapportant à l’hybridité dans sa
perspective anthropographique (par exemple, P. Burke (2003)),
pourra illustrer ce qui vient d’être cité et ce, en partant principa-
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
lement du contexte latino-américain (O. Andrade, 1995) ou des
sociétés euro-colonisatrices (B. Maltz, 1993).
Selon R. Haesbaert (2011), l’hybridité culturelle est le résultat
non seulement de la multi-territorialité contemporaine, c’est-à-
dire notre mobilité physique croissante qui intègre un territoire
plus vaste. Mais aussi, elle résulte de l’acculturation in situ.
L’importance de la notion d’acculturation dans les études intercul-
turelles est que la culture est une notion très complexe ayant de
multiples définitions. Ses différentes conceptualisations statique
et dynamique la rendent difficilement opérationnelle. C’est
pourquoi nous introduisons la notion d’acculturation comme une
variable capable de mettre en évidence l’influence des change-
ments culturels sur l’individu (S. Khalbous, 1999) et ce, à l’aide
d’une coupe instantanée dans la population à l’étude. Ainsi, un
fort niveau d’acculturation dans la société nous indiquera qu’il
a y eu une grande évolution culturelle par rapport à la culture
d’origine, tandis qu’un faible niveau d’acculturation nous montrera
que la culture au sein du pays étudié est peu dynamique.
Pour mesurer l’acculturation sur le terrain, nous proposons de
l’appuyer par une notion rarement introduite dans les recherches
interculturelles précédentes, mais qui peut être conceptualisée
comme l’une de ses dimensions. Il s’agit du bilinguisme. En
effet, le bilinguisme peut être vu comme une dimension intégrée
mars-avril 2015
www.LaRSG.fr
111
Marketing du consommateur
dans le processus d’acculturation, qu’I. Ouattara (1996) appelle
l’acculturation communicationnelle. Cependant, le poids du bilin-
guisme est différent d’un pays à un autre. En d’autres termes,
dans les sociétés monolingues comme la France ou l’Allemagne,
S. Khalbous (1999) stipule que le bilinguisme n’est qu’un indica-
teur sur l’ouverture de l’individu sur l’extérieur. Alors que dans des
pays bilingues comme le Canada et la Tunisie, cette dimension
de l’acculturation a un effet beaucoup plus important sur le
consommateur. À cet effet, nous proposons l’objectif suivant :
Objectif 1 : Vérifier que la culture est en évolution ; l’acculturation
et le bilinguisme expliquent l’existence de plusieurs groupes
culturels intranationaux.
1.3.2. La remise en cause de la confusion
entre le caractère culturel et le caractère national
La conceptualisation dynamique de la culture exige la séparation
entre deux caractéristiques, qui étaient confondues dans la
perspective statique ; à savoir le caractère culturel et le caractère
national des habitants d’une même nation. En effet, D. Chevallier
et A. Morel (1985) caractérisent l’identité comme se modifiant
avec l’évolution des rapports sociaux et des appartenances.
Ambiguë, l’identité selon eux peut être tour à tour tue et affirmée.
À partir de là, nous constatons que l’identité au niveau de la
nation est fixée par des rapports sociaux et des appartenances
stables, puisque tous appartiennent pour toujours à une même
nation. Tandis que les rapports sociaux et les appartenances
dans une perspective culturelle sont évolutives et ce, puisque la
culture de chaque partie dans l’interaction sociale évolue. Pour
appuyer cette idée, dans l’UNESCO (2010), les auteurs affirment
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
que l’identité nationale demeure une construction qui se fonde
sur un passé parfois réécrit et qui offre un point de fixation au
sentiment de partager des valeurs communes. Tandis que pour
l’identité culturelle, elle est vue dans le même document comme
étant un processus plus fluide, qui évolue de lui-même, et qu’il
ne faut pas tant percevoir en termes d’héritage du passé qu’en
termes de projet d’avenir. Cette idée est appuyée par les propos
de N. Alexander (2007), qui pense que le caractère dynamique
de la culture nous pousse à comprendre la culture non comme
un substantif, mais comme un verbe. Dans ce cadre, R. Vedina
et I. Baumane (2009) disent que l’identité nationale est basée
sur la valeur attachée à l’appartenance à un groupe national
ou à un autre.
Et si les symboles et les traditions nationaux tendent à persister,
les réalités qu’ils représentent ne sont pas figées. La cause en
est que les cultures sont en perpétuelle évolution. À ce niveau,
nous signalons la récente recherche de S.G. Crafter et alii (2015)
qui montre que l’identité culturelle peut être le résultat d’une
combinaison d’identités nationales différentes, voire même
conflictuelles.
Face à cette complexité évolutive de la culture, nous proposons
d’explorer l’objectif suivant :
Dossier III
 112 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing
Marketing du consommateur
Objectif 2 : explorer la variance de l’identité nationale d’un
consommateur en fonction de son appartenance à un groupe
culturel intranational particulier.
1.4. La conceptualisation de la recherche
Si la culture était réellement attachée à l’identité nationale, toute
personne fortement acculturée aurait un faible attachement à sa
nation. Alors, suite à l’appui de la conceptualisation dynamique de
la culture, pouvons-nous affirmer que le détachement de certains
membres de la société de leur culture d’origine, impliquerait
forcément un détachement de leur identité nationale ? Ou bien,
celle-ci reste-t-elle le lien « éternel » entre les membres d’une
même nation, malgré l’évolution culturelle qu’on peut percevoir ?
En guise de réponse à cette question, nous proposons d’abord
d’explorer empiriquement les différentes orientations culturelles
intranationales qui peuvent coexister. Ensuite, nous cherchons les
limites de la variance de l’identité nationale du consommateur,
en fonction de son appartenance à l’un des groupes culturels
en question.
Pour ce faire, deux étapes de recherche s’imposent :
Étape 1 : décrire la structure culturelle intranationale à travers
une analyse typologique exploratoire, qui met en place un
modèle de prévision des groupes culturels intranationaux, en
fonction des facteurs culturels suivants : l’acculturation et le
bilinguisme. Ces groupes sont identifiables à partir des critères
sociodémographiques (situation familiale, profession, niveau
d’études, revenu, sexe, âge). Dans cette étape, nous apportons
des réponses empiriques à l’objectif 1.
Étape 2 : explorer la variance de l’identité nationale d’un consom-
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
mateur en fonction de son appartenance à un groupe culturel
intranational particulier et ce, à travers une analyse de la variance.
Dans cette étape, nous apportons des réponses empiriques à
l’objectif 2.
2. La méthodologie
2.1. L’échantillon
Traditionnellement, les recherches relatives aux effets culturels
sur la publicité se focalisent sur des participants de nationalités
différentes, pour mettre à l’épreuve les différences culturelles.
Cependant, Y.H. Lee et E.A.C. Lim (2008) montrent empirique-
ment qu’un meilleur test des hypothèses peut être obtenu en
contrôlant plusieurs facteurs qui diffèrent d’un pays à un autre,
alors que l’on voudrait observer seulement les distinctions dans
l’orientation culturelle.
Dans ce cadre, les consommateurs tunisiens semblent nous offrir
une bonne opportunité pour appliquer notre recherche, puisqu’ils
peuvent être soit culturellement ouverts sur les valeurs occiden-
mars-avril 2015
Dossier III
tales, soit caractérisés par le maintien des valeurs culturelles
d’origine (S. Khalbous, 1999 ; Auteur, 2011).
Dans cette recherche, notre population cible est limitée aux
citoyens résidant dans leur pays d’origine. Le but en est d’éviter
le risque accru d’acculturation que subissent les résidents à
l’étranger, suite à leur contact direct et quotidien avec la culture
du pays d’accueil. Cela nous permettra d’explorer si plusieurs
orientations culturelles, différentes de la culture d’origine du
pays, peuvent se produire chez des individus qui ne quittent
pas leur pays d’origine.
Vers la fin, notons que notre recherche est exploratoire. C’est
pourquoi, nous choisissons une taille de départ de l’échantillon
égale à 120, tirée par convenance.
2.2. La mesure des variables
Les variables à mesurer dans notre recherche sont l’acculturation,
le bilinguisme et l’identité nationale. Notons que nous avons utilisé
la triangulation des méthodes pour la traduction des échelles de
mesure. En ce qui concerne l’adaptation culturelle des échelles de
mesure, B. Bartikowski, J.L. Chandon et H. Gierl (2005) affirment
la nécessité de l’adaptation des échelles de mesure lorsqu’elles
sont appliquées à des populations culturellement hétérogènes.
Cette adaptation n’est pas nécessaire dans notre cas, puisque
la population à l’étude partage une même culture nationale. C’est
pourquoi, nous utilisons les mêmes échelles de mesure pour
tous les groupes culturels intranationaux à identifier. Avant de
passer à l’analyse typologique, nous proposons de procéder à
l’analyse factorielle des échelles de mesure de l’acculturation
et du bilinguisme, comme le recommandent D. Caumont et J.L.
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
Chandon (1989). L’analyse factorielle de l’échelle de l’identité
nationale sera ensuite présentée.
2.2.1. L’acculturation
Parmi les rares échelles de mesure de l’acculturation valables
pour les personnes acculturées qui demeurent résidentes dans
leur pays d’origine, nous citons celle utilisée par S. Khalbous
(1999). Cette échelle est adaptée de l’échelle de J.W. Berry et
alii (1994). Elle décompose l’acculturation en deux dimensions :
attitudinale et comportementale.
Lors de l’analyse factorielle, l’indice KMO et le test de Bartlett
montrent que les données sont bien factorisables. Trois items
de la dimension attitudinale appartenant à l’échelle originale de
l’acculturation sont éliminés, sauf que la structure bidimension-
nelle est conservée. Selon le tableau 1, la corrélation entre les
items est jugée bonne, les items sont correctement représentés
et sont tous suffisamment liés à un facteur en étant faiblement
liés à l’autre facteur. La fiabilité de la première dimension est
bonne, alors que celle de la seconde est à la limite suffisante
pour pouvoir mener une étude exploratoire.
www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing 113

Tableau 1. Résultats de l’analyse factorielle exploratoire sur l’échelle de l’acculturation

Marketing du consommateur
Items Dimensions b
Précision de l’échantillonnage a Communautés
Dim.1 Dim.2
Dimension 2 : Acculturation attitudinale
ACa1 Aimez-vous la musique occidentale ? ,586 ,676 ,051 ,821
ACa5 Etes-vous d’accord pour l’arabisation des programmes ,575 ,695 ,050 ,832
scolaires et universitaires ? (-)
Dimension 1 : Acculturation comportementale
ACc1 Fêtez-vous « El Mouled » ? (-) ,885 ,715 ,842 ,072
Acc2 Fêtez-vous Pâques ? ,727 ,823 ,898 ,132
Acc3 Fêtez-vous « Aïd el Fitr » (fin de Ramadan) ? (-) ,714 ,844 ,900 ,184
ACc4 Fêtez-vous le nouvel an de l’Hégire ? (-) ,897 ,580 ,748 -, 143
Indice KMO et test de Bartlett
Indice KMO ,759
Signification de Bartlett ,000
Variance totale expliquée (%) 72,2 48,2 24,0
Fiabilité
Coefficient alpha de Cronbach 0,828 0,549
a
diagonale de la matrice de la corrélation anti-image
b
. Méthode d’extraction : Analyse en composantes principales. Méthode de rotation : Varimax avec normalisation de Kaiser.

Tableau 2. Résultats de l’analyse factorielle exploratoire sur l’échelle du bilinguisme

Items Précision de l’échantillonnage a Communautés Dimension b

Biling1 La langue de vos conversations familiales est ,673 ,612 ,782
Biling2 La langue de vos conversations professionnelles est ,624 ,572 ,756
Biling3 La langue de vos conversations scolaires est ,634 ,628 ,792
Biling4 La langue de vos lectures de loisir est ,861 ,808 ,899
Biling5 La langue de vos lectures professionnelles est ,725 ,832 ,912
Biling6 La langue de vos lectures scolaires est ,718 ,708 ,841
Indice KMO et test de Bartlett
Indice KMO ,836
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

Signification de Bartlett ,000
Variance totale expliquée (%) 69,32
Fiabilité
Coefficient alpha de Cronbach 0,909
a
diagonale de la matrice de la covariance anti-image. Méthode d’extraction : Analyse en composantes principales

2.2.2. Le bilinguisme 2.2.3. L’identité nationale

Le bilinguisme est mesuré, selon S. Khalbous (1999), à l’aide
de six items avec une échelle allant de « exclusivement l’arabe »
à « exclusivement le français ».
L’indice KMO et le test de Bartlett étant satisfaisants, nous
vérifions que la structure unidimensionnelle de l’échelle originale
est conservée. Selon le tableau 2, la corrélation entre les items
est jugée bonne, les items sont correctement représentés et sont
tous suffisamment liés à leur facteur. La fiabilité de l’échelle est
jugée très bonne.
Pour la mesure de l’identité nationale, nous adoptons l’échelle
de B.D. Keillor et alii (1996), adaptée au Yémen - un pays cultu-
rellement proche de notre population à l’étude -, par Ch. Chi Cui
et E.I. Adams (2002). Celle-ci comporte quatre dimensions :
héritage national, homogénéité culturelle, système de croyance
et ethnocentrisme du consommateur.
Lors de l’analyse factorielle et grâce à l’indice KMO et le test de
Bartlett, nous confirmons que nos données sont factorisables
(voir Tableau 3). Les deux dimensions de l’héritage national et
de l’homogénéité culturelle se sont fusionnées, avec une élimi-
nation des trois items.

mars-avril 2015
Dossier III
www.LaRSG.fr
 114 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing

Tableau 3. Indice KMO, test de Bartlett et fiabilité de l’échelle de l’identité

Marketing du consommateur

être alors menée, non plus sur les variables d’origine, mais sur
nationale
les facteurs obtenus. L’analyse typologique commencera par
Dim1 Dim2 Dim3 une classification hiérarchique des répondants, affinée par
Indice KMO ,646 une analyse par nuées dynamiques et vérifiée ensuite par une
Signification de Bartlett ,000 analyse discriminante.
Variance totale expliquée (%) 66,7 28,1 23,9 14,7 La classification hiérarchique donne que les partitions envisa-
Fiabilité geables sont celles en trois et en quatre groupes. Ces deux
Coefficient alpha de Cronbach ,771 ,811 ,598 solutions font alors l’objet d’une analyse par nuées dynamiques.
Par la suite, les deux partitions candidates font l’objet d’une
Selon le tableau 4, la corrélation entre les items est jugée bonne, comparaison à l’aide du programme Evalu-P (J.L. Chandon et
les items sont correctement représentés sauf pour le cas du F. Dano, 1997).
premier item et sont tous suffisamment liés à un facteur en étant Celle-ci donne que la partition en quatre groupes est qualifiée
faiblement liés aux autres facteurs. La fiabilité des deux premières comme légèrement meilleure que celle en trois groupes. Ainsi,
dimensions est bonne, alors que celle de la troisième est à la nous concluons que les deux partitions candidates sont presque
limite suffisante pour pouvoir mener une étude exploratoire. équivalentes.
Pour trancher sur le choix de la partition, nous nous basons
sur le critère de « la convergence vraie », recommandé par D.
3. Les résultats Caumont et J.L. Chandon (1989) ; Y. Evrard, B. Pras et E. Roux
(2003) ; A. Jolibert et P. Jourdan (2006). En appliquant celui-ci,
3.1. L’analyse typologique nous trouvons que la partition en trois groupes converge à 97,1 %
entre les deux méthodes, alors que celle en quatre groupes
Suite à l’analyse factorielle des items de l’acculturation et du converge à 95,2 %. Vu la meilleure stabilité de la partition en trois
bilinguisme et la vérification du « caractère classifiable ou non groupes, nous conservons cette dernière pour la suite de notre
des données » (D. Caumont, et J.L. Chandon, 1989, p. 78), nous recherche. Les résultats relatifs à la partition en trois groupes,
procédons dans ce qui suit à l’analyse typologique. Celle-ci peut nous donnent les barycentres qui figurent dans le tableau 5.

Tableau 4. Résultats de l’analyse factorielle exploratoire sur l’échelle de l’identité nationale

Précision de Dimensions b
Items Communautés
l’échantillonnage a Dim.1 Dim.2 Dim.3
Dimension 1 : Héritage national et homogénéité culturelle
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

NatidN1 les personnages tunisiens historiquement importants sont admirés par ,624 ,394 ,607 ,159 -, 026
les gens d’aujourd’hui.
NatidN2 ce qui fait la force de la Tunisie entre autres, c’est qu’elle se concentre ,817 ,644 ,772 ,189 -, 113
sur des évènements historiquement importants.
NatidC1 le Tunisien a des propriétés culturelles que d’autre gens n’ont pas. ,695 ,521 ,641 -, 323 -, 073

NatidC2 les Tunisiens sentent en général qu’ils ont des antécédents historiques ,637 ,791 ,848 -, 267 ,013
communs.
NatidC4 les gens s’engagent souvent dans des activités qui les identifient en tant ,623 ,597 ,756 ,084 ,134
que « tunisiens ».
Dimension 3 : système de croyance
NatidB1 l’une des caractéristiques des Tunisiens, c’est leur adhérence à un ,591 ,718 ,047 ,164 ,830
dogme religieux spécifique.
NatidB3 l’éducation religieuse est essentielle pour préserver la cohérence de la ,567 ,707 -, 077 ,101 ,831
société tunisienne.
Dimension 2 : Ethnocentrisme du consommateur
NatidE1 nous devons acheter les produits fabriqués en Tunisie pour ne pas ,599 ,882 ,168 ,908 ,169
laisser d’autres pays faire fortune sur nos dos.
NatidE3 les Tunisiens ne doivent pas acheter des produits étrangers, puisque ,610 ,802 ,146 ,875 ,123
cela nuit à l’économie tunisienne et cause du chômage.
NatidE4 je préfère soutenir les produits tunisiens bien que, à la longue, cela ,707 ,619 -299 ,722 ,088
risque d’être coûteux pour moi.
a. diagonale de la matrice de la covariance anti-image
b. Méthode d’extraction : Analyse en composantes principales. Méthode de rotation : Varimax avec normalisation de Kaiser.

mars-avril 2015
Dossier III
www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing 115

Tableau 6. Composition sociodémographique des groupes culturels intranationaux

Marketing du consommateur
Critères sociodémo- Groupe 1 : fermés Groupe 2 : Ouverts Groupe 3 : Modérés
graphiques [n = 20] [n = 6] [n = 79]
Âge 45 ans et plus (95 %) 35 ans et moins (100 %) 35 ans et moins (80 %)
Revenu Moyen (100 %) Elevé (83,3 %) Faible (16,5 %)
Moyen (67,7 %)
Elevé (16,5 %)
Profession Employé/ouvrier (55 %) Profession libérale (66,7 %) Elèves/étudiants (46,8 %)
Retraité, sans emploi, cadre Cadre moyen, cadre Cadre moyen (21,5 %)
moyen (45 %) supérieur (33,3 %) Enseignant, Profession libérale, Cadre supérieur (29,1 %)
Niveau d’études Secondaire (95 %) Universitaire (100 %) Universitaire (92,4 %)

Tableau 5. Barycentres des groupes culturels intranationaux

En tenant compte de ces derniers critères, le lecteur peut consulter
Dimensions culturelles intranatio- Groupes le tableau 6, qui décrit la composition sociodémographique de
nales 1 : Fermés 2 : Ouverts 3 : Modérés chaque groupe culturel.
Bilinguisme -1,72740 ,99660 ,36162
Acculturation comportemen- -, 22513 3,63447 -, 21904
tale 3.2. L’analyse de variance
Acculturation attitudinale -1,28853 ,50667 ,28773
* les chiffres en gras représentent la valeur maximale par dimen- Pour explorer la variance de la valeur moyenne de l’identité natio-
sion, alors que les chiffres en italique représentent les valeurs
nale en fonction des modalités des groupes culturels intranatio-
minimales par dimension.
naux, nous choisissons de procéder à une analyse de variance.
Ainsi, les réponses empiriques mettent en relief trois groupes Le test ANOVA nous donne que par rapport à la dimension de
culturels intranationaux, que nous pouvons définir comme suit : l’héritage national et l’homogénéité culturelle, il n’existe pas
Classe 1 : les consommateurs culturellement fermés sur la culture de différence significative entre les groupes, ce qui n’est pas
d’origine : cette classe affiche un niveau d’acculturation négatif, le cas pour les deux autres dimensions (voir Tableau 7). Nous
aussi bien sur le plan attitudinal que sur le plan comportemental. passons donc au test des comparaisons multiples pour voir le
Notons que pour ce groupe, la prédisposition attitudinale à être détail de ces différences.
culturellement fermée est nettement plus prononcée que la Tableau 7. Test ANOVA sur les dimensions de l’identité nationale en fonction
prédisposition comportementale. Par rapport au bilinguisme, des groupes culturels intranationaux
ces consommateurs sont clairement arabisants.
Dimensions F Signification
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)

Classe 2 : les consommateurs culturellement ouverts sur la
culture étrangère dominante : cette classe affiche un niveau
d’acculturation comportemental très distingué par rapport aux
autres, et le niveau d’acculturation attitudinale le plus élevé.
Donc, pour cette classe, l’acculturation est très visible par les
autres, bien que dans leur esprit elle n’est pas aussi distinguée.
Par rapport au bilinguisme, ils communiquent souvent en français.
Classe 3 : les consommateurs modérés dans leur ouverture
culturelle : le niveau d’acculturation de cette classe est autour de
la moyenne ; ces consommateurs sont prêts, dans leur attitude,
à être plutôt ouverts, mais leur comportement reste encore plutôt
enfermé sur la culture nationale. Par rapport au bilinguisme, ils
tendent légèrement à communiquer plutôt en français.
Suite à un tri croisé des groupes culturels intranationaux en
fonction des critères sociodémographiques, nous avons trouvé
que tous les critères, sauf le sexe et la situation familiale, sont
des critères significativement corrélés à la variable de l’apparte-
nance aux groupes culturels. La corrélation est détectée à l’aide
du test khi-deux de Pearson. Cette corrélation est vérifiée comme
nettement significative, à l’aide du coefficient de contingence et
du coefficient V de Cramer.
Héritage national et homogénéité 2,173 ,119
culturelle
Ethnocentrisme 13,819 ,000
Système de croyance 5,854 ,004
Sous l’hypothèse de variances homogènes, le test des compa-
raisons multiples relatif aux dimensions de l’ethnocentrisme et
du système de croyances donne les résultats qui figurent dans le
tableau 8. En effet, la différence du niveau de l’ethnocentrisme
et du système religieux est significative entre le groupe des
Fermés d’une part et les groupes des Ouverts et des Modérés
d’autre part ; entre ces deux derniers groupes, on ne constate
pas de différence significative.
Finalement, par rapport à l’héritage national et l’homogénéité
culturelle nationale, tous les groupes culturels intranationaux
sont homogènes. Cependant, pour ce qui est de l’ethnocen-
trisme et du système de croyances, seuls les consommateurs
les plus attachés à leur culture d’origine affichent une distinction
significative. En d’autres termes, ces derniers ont une attitude
ethnocentrique et un attachement religieux significativement
différents des autres groupes culturels. Ainsi, l’identité nationale
des Modérés et des Ouverts est homogène sur les trois dimen-
sions mesurées. De l’autre côté, le lien commun entre toutes

mars-avril 2015
Dossier III
www.LaRSG.fr
 116 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing
Marketing du consommateur
les orientations culturelles intranationales demeure l’héritage
national et l’homogénéité culturelle nationale.
Tableau 8. Comparaisons multiples entre les groupes culturels par rapport à l’eth-
nocentrisme et le système de croyances
4. La discussion
À travers cette recherche, nous décelons que la conceptualisa-
tion dynamique de la culture a l’avantage de différencier deux
variables, qui étaient confondues dans la conceptualisation
statique, et qui évoluent différemment dans le temps. La première
est l’identité culturelle, qui présente des déviations plus ou moins
importantes par rapport à la culture d’origine de la nation ; ce qui
témoigne du caractère évolutif de la culture (réponse empirique
à l’objectif 1). Quant à la deuxième, c’est l’identité nationale, qui
demeure partiellement commune à tous les groupes culturels
intranationaux (réponse empirique à l’objectif 2).
En d’autres termes, nous avons vérifié que le consommateur peut
être très éloigné de sa culture d’origine mais toujours attaché,
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
du moins partiellement, à son identité nationale. D’autre part,
l’orientation culturelle intranationale du consommateur serait une
cause pour enfreindre partiellement son identité nationale. En
effet, les résultats ont dévoilé que les consommateurs les plus
attachés à leur culture d’origine ont un niveau d’ethnocentrisme
et de croyances religieuses significativement différents des deux
autres groupes culturels. Par contre, ces derniers affichent une
identité nationale similaire par rapport à toutes les dimensions.
On constate de là qu’il n’y a pas d’effet de dégradation du niveau
de l’identité nationale en fonction de l’attachement du consom-
mateur à sa culture d’origine.
Pour mieux expliciter ce qui vient d’être mentionné, nous analysons
successivement chaque segment culturel intranational des points
de vue de sa structure sociodémographique et de ses attentes :
Le segment des Fermés : il est composé des consommateurs
qui ont largement dépassé l’âge moyen de la population à
l’étude1. Leur niveau d’instruction est inférieur à la moyenne2.
1. L’âge médian en Tunisie est estimé, pour l’année 2011, à 30 ans (Source :
CIA, the Word Factbook, site web : https ://www.cia.gov/library/publications/
the-world-factbook/geos/ts.html#People ).
2. Le nombre d’années moyen passé à l’école (du niveau primaire au niveau
supérieur) en Tunisie, pour l’année 2008, est 15 ans (Source : CIA, the Word
Factbook, site web : https ://www.cia.gov/library/publications/the-world-
factbook/geos/ts.html#People ).
mars-avril 2015
Dossier III
Ces consommateurs appartiennent à la classe socioprofession-
nelle moyenne, par rapport à leur revenu et à leur profession.
Ce segment est le plus sensible à la communication axée sur
toute dimension de l’identité nationale.
Le segment des Ouverts : il est antagoniste par rapport au
premier segment ; composé en totalité des plus jeunes individus,
dont le niveau d’instruction est le plus élevé et dont la classe
socioprofessionnelle est la plus élevée. Ce segment semble être
insensible à toute communication axée sur l’ethnocentrisme et les
croyances religieuses tunisiens. Par contre, une communication
axée sur l’héritage national et l’homogénéité culturelle nationale
demeure efficace.
Le segment des Modérés : ce segment est majoritairement
jeune ; il appartient à une classe socioprofessionnelle moyenne
en général. Sauf qu’il est composé principalement des étudiants.
C’est pourquoi sa situation socioprofessionnelle est transitoire,
car dans sa majorité il n’a pas encore atteint une stabilité profes-
sionnelle. Cette instabilité expliquerait le tiraillement entre la
culture occidentale (au niveau communicationnel et attitudinal)
et la culture tunisienne d’origine (au niveau comportemental). Le
statut d’étudiant de la plupart de ces consommateurs les laisse
encore dépendants de leurs parents (généralement appartenant
au groupe des Fermés) du moins financièrement. C’est pourquoi,
les normes de la famille les tirent plutôt vers la culture d’origine
tunisienne. Par conséquent, ces consommateurs n’osent pas se
comporter visiblement à l’occidentale. Seulement, leur attitude
favorable à l’acculturation les rend prédisposés à se comporter
visiblement à l’occidentale dans le futur, dès que leur milieu
collectif le permet. Ce segment est insensible à toute commu-
nication axée sur l’ethnocentrisme et les croyances religieuses
tunisiens. Par contre, une communication axée sur l’héritage
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
national et l’homogénéité culturelle nationale paraît efficace.
Conclusion
À l’issue de cette recherche, il s’avère pertinent d’annoncer que
la considération de la différence entre les individus peut aboutir à
un positionnement stratégique très fructueux pour l’entreprise. En
effet, comme implication managériale majeure de cette recherche,
nous recommandons aux entreprises qui veulent cibler tout le
marché national, dans sa diversité culturelle intranationale, de
miser la communication sur l’héritage historique et la cohérence
culturelle. Signalons que celles-ci représentent la caractéristique
distinctive de la nation par rapport aux autres pays, à savoir la
culture nationale. Cette politique est valable particulièrement
pour les produits de grande consommation.
Par contre, une communication axée sur l’ethnocentrisme ne
semble efficace que pour les consommateurs les plus refermés
sur leur culture d’origine. Nous en citons les campagnes de
sensibilisation à la consommation des produits locaux, pour se
prémunir contre les dangers de la libéralisation des marchés. Le
reste des groupes culturels intranationaux semble insensible à
ce style de communication. Ces derniers ne chercheraient dans
www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing
leur consommation que les avantages immédiats, procurés par
exemple par l’avantage de prix, de qualité, de proximité, etc.
Quant aux produits conçus pour s’allier au système de croyances
religieuses dominant dans le pays, ils ne doivent cibler que le
groupe culturel des « Fermés ».
Dans une perspective internationale, au lieu de faire une
segmentation culturelle « verticale », imposée pays par pays,
nous proposons aux entreprises internationales de faire une
segmentation « horizontale » qui tient compte de l’homogénéité
des consommateurs, résidant dans des pays différents, mais
culturellement très rapprochés. On peut appuyer cette idée par
le fait que l’interdépendance culturelle, croissante, remet de
plus en plus en cause l’homogénéité des consommateurs d’un
pays donné et accentue certains rapprochements interculturels
des consommateurs d’un segment donné. S. Khalbous (1999)
qualifie ce phénomène de « déplacement culturel des frontières
de la consommation ». Ceci rime avec la notion de l’hybridité
culturelle (R. Haesbaert, 2011) vue dans le cadre de la revue
de la littérature.
Nonobstant toutes les contributions de la recherche dégagées
ci-haut, nous décelons quelques limites, que nous espérons
combler dans les prochaines recherches. Nous en citons la
répartition non équilibrée entre les trois classes du point de vue
effectif et le risque de distorsion des données initiales dû à la
factorisation des variables introduites dans l’analyse typologique.
Vers la fin, nous confirmons à travers cette recherche que certes,
les dimensions de G. Hofstede (1980, 1984), G. Hofstede,
G.J. Hofstede et M. Minkov (2010) et M. Minkov et G. Hofstede
(2011) permettent de distinguer les traits de la culture nationale
caractérisant chaque pays. Cependant, sur le plan individuel,
les recherches permettent de quantifier le degré de déviation
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
des consommateurs par rapport à la « norme culturelle », telle
qu’elle est tracée par la culture nationale. Donc, en aucun cas,
les responsables marketing ne peuvent se fier à la classification
des cultures nationales pour tracer une stratégie marketing
efficace au sein d’un marché.
Dans ce cadre, une recommandation inspirée par A. Boutin et
C. Gaston-Breton (2006), que nous percevons d’une importance
majeure, doit être alors dictée aux chercheurs et aux prati-
ciens du marketing. Elle consiste à éviter la vision statique des
phénomènes culturels, puisqu’il est possible de passer d’une
ouverture culturelle modérée à une ouverture totale ou à une
fermeture assez rapidement au sein d’une même culture et au
cours du temps.
Ainsi, nous proposons d’abord, d’approfondir nos résultats
relatifs à la structure culturelle intranationale, par des recherches
qualitatives plus approfondies. Le but en est de mettre en valeur
une liste exhaustive de facteurs culturels capables de distinguer
les groupes culturels intranationaux. Ceci servira ensuite au
développement d’échelles de mesure dans le milieu culturel de
la population à l’étude. Ce perfectionnement suggéré est dû
à l’importance extrême d’un tel thème de recherche, surtout
suite à la vague de « démocratisation » de plusieurs pays dans le
monde. Pour le cas du monde arabe par exemple, il est composé
mars-avril 2015
www.LaRSG.fr
117
Marketing du consommateur
de pays anciennement colonisés par l’Occident et actuellement
dépendants de celui-ci au niveau économique. La structure
culturelle des sociétés arabes serait donc très similaire à celle
trouvée dans notre population à l’étude. Ceci est en mesure de
renforcer la validité externe de notre recherche.
Selon nous, la vague de démocratisation de plusieurs pays
est un facteur qui appuie l’urgence de l’approfondissement
des recherches futures sur ce thème. C’est parce que dans un
environnement démocratique, les individus expriment mieux
leurs opinions et convictions différentes. Aujourd’hui, ce constat
est très visible dans le domaine politique, avec l’avènement de
plusieurs partis politiques à différentes orientations idéologiques.
Mais aussi, au niveau culturel intranational, le consommateur
est plus amené aujourd’hui à exprimer librement son degré de
conformité par rapport à la « norme culturelle » du pays. Dans
l’ère de la dictature, cette norme culturelle était imposée par
les politiciens gouvernants. C’est ainsi que le consommateur
aujourd’hui exige un style de communication qui soit de plus en
plus en accord avec ses convictions et ses valeurs personnelles,
qu’avec la norme culturelle du pays.
Bibliographie
Alexander, N. (2007). - Rethinking culture, linking tradition and moder-
nity. Communication présentée lors de la seconde réunion de l’Advisory
Committee of Experts, Venise, 2-3 avril.
Andrade, O. (1995). - A Utopia Antropofágica, São Paulo, Globo, 2e éd.
Auteur (2011) - Acceptons-nous les différences culturelles en publicité ?,
Editions Universitaires européennes, Saarbrücken.
Bartikowski, B., J.L. Chandon, et H. Gierl (2005) - L’utilisation des échelles
de mesure à l’international : Une étude interculturelle, Nancy, p. 1-18.
Berry, J.W., Y.H. Poortinga, M.H. Segall, et P.R. Dasen (1994) - Cross-
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
cultural psychology, Reasearch and Application, Cambridge University
Press.
Bollinger, D., et G. Hofstede (1987) - Les diffférences culturelles dans
le management, Les Editions d’Organisation.
Boutin, A., et C. Gaston-Breton (2006) - Segmentation et stratégie de
communication dans les marchés émergents : une approche croisée
des concepts de pyramide économique et d’acculturation, Décisions
Marketing, n° 43/44, p. 79-94.
Brewer, P et S. Venaik (2012) - On the misuse of national culture dimen-
sions, International Marketing Review, n° 6, volume 29, p. 673-683.
Burke, P. (2003) - Hibridismo Cultural, São Leopoldo, Editora da Unisinos.
Caumont, D., et J.L. Chandon (1989) - Quelques problèmes liés à la
validité d’une classification, Recherche et Applications en Marketing,
n° 4, volume 3, p. 77-93.
Chandon, J.L., et F. Dano (1997) - Analyses typologiques confirmatoires
- Evaluation d’une partition hypothétique issue d’une étude sémiotique,
Recherche et Applications en Marketing, n° 12, volume 2, p. 1-24.
Chevallier D., et A. Morel (1985) - Identité culturelle et appartenance
régionale : quelques orientations de recherche, Terrain, n° 5, pp. 3-5.
Chi Cui Ch., E.I. Adams, (2002) - National identity and NATID : An
assessment in Yemen”, International Marketing Review, Vol. 19 Iss :
6, pp.637 - 662
Crafter, S., G. de Abreu, T. Cline et L. O’Dell (2015) Using Vignette
Methodology as a Tool for Exploring Cultural Identity Positions of Language
Brokers, Journal of Constructivist Psychology, n° 1, volume 28, p. 83-96.
Dossier III
 118 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 272 – Marketing
Evrard, Y., B. Pras, et E. Roux (2003) - Market, Etudes et recherche en
Marketing du consommateur
marketing, Gestion sup, Dunod.
Fitouri, C. (1992) - L’acculturation, premier facteur de sous-développe-
ment, Dimension culturelle et développement, Bouhdiba, A., Publications
de l’Université de Tunis.
Gray S.J., T. Kang, et Y. Keun Yoo (2013) - National Culture and
International Differences in the Cost of Equity Capital, Management
International Review n° 53, p. 899-916.
Guiso, L., P. Sapienza, et L. Zingales (2006) - Does culture affect
economic outcomes ? Journal of Economic Perspectives, n° 20, volume
2, p. 23-48.
Haesbaert R. (2011) - Hybridité culturelle, anthropophagie identitaire
et transterritorialité, Géographie et cultures, n° 78, p. 21-40.
Herskovits, M.J. (1948) - Man and his woks : the science of cultural
anthropology, Alfred A. Knopf Inc., New York.
Hofstede, G. (1980) - Cultures Consequences : International Differences
in Work Related Values, Sage Publications, Beverly Hills.
— (1984) - The Cultural Relativity of the Quality of Life Concept, Academy
of Management Review, n° 9, volume 3, p. 389-398.
— (1991) - Vivre dans un monde interculturel, Editions d’Organisation,
Paris.
— (2001) - Culture’s Consequences : comparing values, behaviors,
institutions, and organizations across nations, SAGE Publications,
Thousand Oaks, California.
Hofstede, G., G.J. Hofstede, et M. Minkov (2010) - Cultures and
Organizations : Software of the Mind, McGraw-Hill USA, New York.
Jolibert, A., et P. Jourdan (2006) - Marketing research - Méthodes de
recherche et d’études en marketing, Gestion sup, Dunod.
Keillor, B.D., G.T.M. Hult, R.C. Erffmeyer, E. Babakus (1996) - NATID :
The Development and Application of a National Identity Measure for
Use in International Marketing, Journal of International Marketing, n° 4,
volume 2, p. 57-73.
Khalbous, S. (1999) - Marketing et acculturation : le déplacement
culturel des frontières de la consommation.
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
Kluckhohn, C. (1945), The Personal Document in Anthropological Science,
Social Science Research Council.
Kluckhohn C., W.H. Kelly (1945) - The concept of culture, p. 78-105,
in The science of man in the world crisis. Edited by Ralph Linton, New
York : Columbia Univ. Press.
mars-avril 2015
Dossier III
Lee, Chol (1988), “The Validity of An American Consumer Behavioral
Model for a Confucian Culture Consumer : A Case of Fishbein Behavioral
Intention Model, paper presented at AMA’s Winter Educator’s Conference.
Lee, Y.H., and E.A.C. Lim (2008) - What’s funny and what’s not :
The Moderating Role of Cultural Orientation in Ad Humor, Journal of
Advertising, n° 37, volume 2, p. 71-84.
Leung, K., et R.S. Bhagat, N.R. Ruchan, M. Erez, C.B. Gibson (2005)
- Culture and International Business : Recent Advances and Their
Implications for Future Research, Journal of International Business
Studies, n° 36, volume 4, p. 357-378.
Linton, R. (1945), The Cultural Background of Personality, Appleton-
Century-Crofts, New York.
Maltz, B. (1993) - Antropofagia : rito, metáfora e pau-brasil, dans Maltz,
B., Teixeira, J. et Ferreira, S., Antropofagia e Tropicalismo, Porto Alegre,
Editora da UFRGS.
McSweeney, B. (2002) - Hofstede’s model of national cultural differences
and their consequences : A triumph of faith, a failure of analysis, Human
Relations, n° 55, volume 1, p. 89-118.
Minkov, M., et G. Hofstede (2011) - The evolution of Hofstede’s doctrine,
Cross Cultural Management : An International Journal, n° 18, volume
1, p. 10-20.
Ouattara, I. (1996) - L’utilisation des langues locales comme moyen
pour augmenter l’efficacité de la publicité dans les pays africains : une
approche expérimentale, Revue Française du Marketing, n° 160, p. 51-64.
Patterson, T.C. (2001) - A social History of Anthropology in the United
States. Oxford, New York : Berg.
Touzani, M., I. Bouaziz, et S. Ben Zina (2003) - Les facteurs culturels
explicatifs de l’innovativité du consommateur, p. 193-207.
Tylor, E.B. (1920), Primitive culture, Putnam’s Sons, New York.
UNESCO (2010) - Investir dans la diversité culturelle et le dialogue
interculturel, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la
science et la culture.
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.235.131.3)
Vedina, R., et I. Baumane (2009) - The construction of national identity
among minorities and its manifestation in organisations The case of
Latvia, Baltic Journal of Management, n° 4, volume 1, p. 94-105.
Villarejo, A. (2014) - Beyond textuality, Cultural Studies Review, n° 2,
volume 4, p. 278-282.
www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion.htm