Tradition et comportement de consommation au Sénégal :

une étude exploratoire sur la tenue vestimentaire

Fatou Diop
Dans La Revue des Sciences de Gestion 2013/3 (N° 261-262), pages 121 à 130
Éditions Direction et Gestion
ISSN 1160-7742
ISBN 9782916490380
DOI 10.3917/rsg.261.0121
© Direction et Gestion | Téléchargé le 29/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.208.136.65)

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 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 261-262 – Marketing
Tradition et comportement
de consommation au Sénégal :
une étude exploratoire sur la tenue vestimentaire
par Fatou Diop
Fatou DIOP
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Maître Assistante en Sciences de Gestion
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Sénégal
mai-août 2013
121
Ses parures
L
ongtemps considérée comme une variable socioculturelle,
la tradition est à l’origine de nombreuses études histo-
riques, anthropologiques, sociologiques (O. Faye, 1995).
Le marché de l’habillement, caractérisé par un retour fulgurant
des modèles traditionnels riches en culture, est vaguement
segmenté. Au Sénégal, huit Sénégalais sur dix portent une tenue
traditionnelle au moins un jour de la semaine selon une enquête
réalisée par un magazine de la mode sénégalaise1. Les nombreux
défilés de mode et les dépenses somptuaires sur l’habillement
traditionnel poussent les entreprises de mode à s’intéresser au
caractère traditionnel du vêtement. En marketing, la tradition est
de plus en plus utilisée comme un critère de segmentation des
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marchés. Mais pour cela il faut d’abord définir la tradition. Qu’est
ce que la tradition pour le consommateur sénégalais ? Que repré-
sente-t-elle pour lui ? Pourquoi, les consommateurs sénégalais
accordent-ils un intérêt particulier au caractère traditionnel des
habits portés ? La tradition est-elle un critère de segmentation
pertinent et efficace ?
Si la prise en compte de la tradition dans la segmentation est
devenue incontournable pour les entreprises de mode, sa préci-
sion et son efficacité comme critère de segmentation reste à
démontrer. La tradition comme critère socioculturel constitue
une base de segmentation très générale et assez éloignée des
pratiques de consommation. Une approche psychosociologique
de la tradition, fondée sur des caractéristiques et des valeurs
perçues, pourrait permettre une segmentation plus fine des
marchés. Cette approche permettra d’affiner le plus possible
les pratiques de consommation (P. Valette-Florence et al., 2003)
et d’intégrer les motivations et les croyances profondes qui s’y
rattachent.
L’analyse des chaînages cognitifs tente de reconsidérer la signi-
fication donnée au concept de tradition en faisant le lien entre
les attributs du vêtement, les conséquences qu’il procure et les
1. Le magazine « Thiof » n° 13 du 17 janvier 2009.
Dossier II
 122 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 261-262 – Marketing
Ses parures
valeurs mises en évidence dans le choix et l’acte de consom-
mation. L’originalité de la recherche se situe à deux niveaux :
– D’abord, sur la démarche adoptée, elle permet de relier à
chaque attribut du vêtement évoqué la ou les conséquences
associées, puis celles-ci sont reliées, à leur tour, à la ou les
valeurs qui en découlent. La collecte d’information, associant
les connaissances du produit à celles du consommateur, est
qualifiée de « transversale » (P. Valette-Florence et al., 2003)
car elle appréhende la tradition aux trois niveaux de la chaîne
(Attributs-Conséquences-Valeurs), contrairement aux approches
classiques qui ne considèrent généralement qu’un seul niveau
de la chaîne et ne font pas de manière explicite le lien entre les
différents niveaux. Cette démarche, bien qu’originale, a déjà
fait l’objet d’études dans des domaines autres qu’africains (J.
M. Aurifeille et P. Valette-Florence, 1992), sur des produits de luxe
comme le parfum (P. Valette-Florence et al., 2003), de grande
consommation comme les cigarettes (P. Valette-Florence, 1994)
et sur des secteurs très divers tels que l’automobile, l’agroali-
mentaire (P. Valette-Florence et al., 2004).
– Ensuite sur le domaine d’application, le vêtement, sujet à de
nombreuses discussions d’ordre moral, social, religieux, esthé-
tique, a défrayé la chronique ces dernières années et a été à
l’origine de lois en France2. Au Sénégal, le port de la tenue locale
a connu un regain d’intérêt avec un retour aux valeurs tradition-
nelles et une affirmation de l’identité africaine. Les jugements
et les significations donnés aux vêtements sont susceptibles
d’influencer les comportements. L’importance du sujet est
qu’il fait l’objet de rares études en marketing (M.X. Zhang et A.
Jolibert, 2003) et pourtant ses implications sur le comportement
le rendent intéressant.
L’objectif de cette recherche est tout d’abord de définir le concept
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de tradition pour ensuite l’utiliser comme un critère de segmen-
tation des pratiques de consommation. Ainsi, dans un premier
temps nous porterons une réflexion sur le vêtement et ses
fonctions au Sénégal. Nous exposerons dans un deuxième temps
la méthodologie de recherche et, dans un troisième temps, nous
présenterons les orientations générales des sénégalais sur le
vêtement traditionnel.
1. Réflexion sur le vêtement
et ses fonctions
En Afrique traditionnelle, les vêtements offrent une multiplicité
de significations (O. Faye, 1995). Tout vêtement humain a des
fonctions multiples : protéger, mais aussi hiérarchiser, désigner
(ou dissimuler) et séduire. La complexité de représentations des
vêtements varie avec le processus historique. Les quelques
études réalisées (A. Fall, 2001 ; O. Faye, 1995 ; D. Gondola,
1999 ; A. Sylla, 1988 ; R. Léques, 1957) sont très anciennes,
c’est pour cette raison que nous avons trouvé nécessaire de
2. La loi adoptée par le Parlement le 11 octobre 2010 interdisant le port
intégral du voile.
mai-août 2013
Dossier II
commencer par réaliser une étude qualitative tenant compte
des appréciations du consommateur actuel. La plupart des
informations relatives aux significations et fonctions du vêtement
ont été obtenues grâce aux témoignages recueillis sur le terrain.
Cette étude qualitative initiale porte sur une dizaine d’individus
choisis au hasard et ayant un intérêt particulier pour l’habillement
traditionnel. Les entretiens3 utilisés permettent d’identifier le
sens que les consommateurs sénégalais donnent au vêtement
traditionnel. Nous considérons comme vêtement traditionnel la
tenue africaine typiquement locale, appelée ici tenue sénégalaise.
Sur la base des significations données au vêtement traditionnel,
des fonctions lui sont attribuées.
1.1. Fonction de protection du corps
La première fonction du vêtement est de couvrir le corps. Dans
la société traditionnelle sénégalaise, des bandes d’étoffes
assemblées composaient le vêtement qui servait de couverture
partielle du corps (A. Fall, 2001). Les hommes se revêtaient
de ce vêtement pour protéger le buste libérant les membres
supérieurs et facilitant ainsi les gestes ou mouvements. Les
femmes utilisent ce même vêtement de grandeur variable pour
s’envelopper le corps, elles l’attachent autour des reins., il arrive
jusqu’à la cheville.
La tenue occidentale, telle que le pantalon, était une propriété
exclusive de l’homme. Le pantalon symbolisait le pouvoir, l’autorité
et la puissance. Selon les témoignages recueillis un interviewé
affirme que « le pantalon dans la famille symbolisait l’autorité de
l’homme sur la femme, comme c’est le cas entre le commandant
et son subalterne dans l’armée. Seul l’homme pouvait et devait
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le porter dans la famille » (H, 52ans, tailleur).
Le vêtement traditionnel ne se limitait pas à protéger le corps,
il revêt d’autres fonctions symboliques.
1.2. Fonction identitaire
Pour certains individus, le port vestimentaire s’inscrit dans
une perspective d’affirmation d’identités culturelles, l’habit
est surtout un signe du refus de la culture exogène offerte en
guise de référence par les milieux coloniaux. Le vêtement est
tout d’abord un message, une expression « le port de vêtements
traditionnels correspond à un message de défi. C’est une forme
d’expression de la volonté collective et individuelle de sauvegarder
l’héritage culturel » (H. 41 ans, chauffeur). Le vêtement en plus
de son aspect communicationnel, justifie un choix individuel,
« s’habiller ce n’est pas seulement se couvrir d’une catégorie
d’informations appropriées à des fonctions strictes : le travail,
les week-ends, les sorties, mais c’est aussi et surtout exhiber
un choix individuel de valeurs culturelles déterminées, se faire
3. Échantillon de 14 individus choisis au hasard sans distinction de sexe,
d’ethnie, de religion et de niveau social.
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 261-262 – Marketing
le porte-étendard d’une culture de groupe et revendiquer la
reconnaissance d’une personnalité également bien déterminée
et, de surcroît, inaliénable » (H., 48ans, cordonnier).
Dans un pays où chacun, de manière individuelle ou collective,
est à la recherche d’un « ailleurs » social, l’habillement se présente
comme un territoire imaginaire (la tenue sénégalaise) où se
compose de manière ambiguë une identité, elle aussi imaginaire
(être un(e) vrai(e) sénégalais(e)) à travers une référence à une
communauté imaginaire (le pays, le Sénégal).
1.3. Fonction thérapeutique
Les vertus thérapeutiques de la tenue traditionnelle sont attachées
aux pratiques et histoires de la société africaine. Au Sénégal, on
associe au vêtement des fonctions de guérisseur. Le vêtement a
le pouvoir de soigner « le vêtement traditionnel soigne et protège
l’individu contre les mauvais esprits » (H., 39 ans, gérant). La
croyance au pouvoir du vêtement de soigner contre le mystique
est ancrée dans certaines ethnies. Chez ces dernières, les effets
psychologiques de la tenue traditionnelle proviennent souvent
d’antécédents familiaux. Dans certaines ethnies sénégalaises,
les personnes portent des habits de même couleur ou de même
style (modèle), de génération en génération par recommandation
des anciens « chez nous les Sérères, on porte des habits de
même couleur ou même style pour se protéger du mauvais sort
et le respect de cette tradition permet aux descendants d’avoir
une bonne santé et une longévité » (F., 35 ans, commerçante).
Cette attitude est constatée chez les ethnies peules aussi. Ce
comportement vestimentaire est adopté suite à des événements
malheureux qui ont conduit à une disparition successive des
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membres de la famille, les ancêtres recommandent de porter
un certain type d’habits traditionnels qui les protègent du mal
et d’une disparition subite.
Généralement, chez les femmes mariées, le port d’une tenue
traditionnelle est indiqué et il devient obligatoire chez les femmes
enceintes « le port de mouchoir de tête est recommandé aux
femmes et particulièrement aux femmes enceintes. Il évite d’avoir
des maux de tête récurrents et protège des mauvais esprits »
(F., 37ans, restauratrice). Pour la femme sénégalaise « la tenue
traditionnelle décente qui couvre le nombril de la femme protège
contre les avortements spontanés, car dans certaines ethnies,
le nombril de la femme enceinte ne doit pas être exposé aux
regards de certains individus aux pouvoirs maléfiques » (F., 49
ans, ménagère). Cette croyance ancrée dans les modes de vie
est très forte « lorsque la femme est malade et s’adresse à un
guérisseur traditionnel, elle est sommée par ce dernier de porter un
vêtement traditionnel avant de commencer les séances rituelles.
Les guérisseurs eux-mêmes portent toujours durant la cérémonie
rituelle des habits traditionnels » (H., 64 ans, commerçant).
Dans la société sénégalaise, la tenue traditionnelle portée par
les circoncis symbolise la virilité. La couleur blanche de la tenue
de l’initié symbolise la pureté et la protection. La vulnérabilité
du circoncis durant la période d’initiation amène les parents à
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123
Ses parures
le protéger contre les mauvais esprits « la tenue du circoncis a
un pouvoir de protection car du côté gauche de l’habit blanc du
circoncis est attaché un bout de son sexe (prépuce) coupé lors de
la circoncision » (H., 29 ans, étudiant). Enfin, le vêtement protège
le nouveau marié contre le mauvais sort. En Afrique et au Sénégal
en particulier, les nouveaux mariés sont la cible des prétendants
éconduits et mécontents de n’avoir pas obtenu la main de la jeune
fille. Le jour du mariage est l’occasion idéale pour jeter le mauvais
sort parce que les nouveaux mariés deviennent vulnérables « le
jour du mariage religieux au Sénégal, il est conseillé au marié de
porter une tenue traditionnelle (un sabador4) sans sous-vêtement
pour éviter qu’on lui jette un sort qui peut le rendre impuissant
durant la soirée nuptiale » (H., 41ans, chauffeur). On concède
ainsi au vêtement traditionnel des vertus thérapeutiques, il a le
pouvoir de protéger et de soigner psychologiquement.
1.4. Fonction hiérarchique
Les courants anthropologiques, psychologiques et sociologiques
s’accordent à décrire le port vestimentaire comme un phénomène
social (R. Léques, 1957 ; A. Fall, 2001 ; A. Sylla, 1988 ; O. Faye,
1995). Le vêtement a toujours été un signe d’appartenance
sociale fort et il est parfois déterminant dans la position que l’on
occupe au sein d’une communauté. Les vêtements présentent
des variétés dans leur expression. Au Sénégal, le port de la tenue
traditionnelle inspire la confiance et le respect chez les autres.
L’image que les autres ont de la personne est déterminante dans
la société « la tenue traditionnelle est respectable, elle donne à la
personne qui la porte un sens de responsabilité et de droiture »
(H ; 64ans, commerçant). Le vêtement traditionnel assagit la
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personne qui la porte « le port de la tenue traditionnelle donne
un âge présumé supérieur à l’âge normal » (H., 35ans, étudiant).
D’où le respect et les privilèges accordés aux personnes âgées
dans la société africaine. Le port de la tenue traditionnelle
justifie le poids de la responsabilité et un changement de statut
matrimonial « depuis que je me suis marié je porte plus souvent
des tenues traditionnelle parce que je suis devenu un père de
famille » (H., 33ans, comptable).
La qualité du tissu utilisé pour la couture détermine la classe
sociale de l’individu. La manière de coudre le vêtement déter-
mine l’appartenance ethnique, religieuse ou nationale « la tenue
traditionnelle, compte tenu de la manière dont elle est cousue
et le tissu utilisé pour la confection, renvoie à la réussite sociale
dans le milieu des affaires. Elle rehausse le statut social de la
personne dans la société » (F., 45ans, couturière). En effet, la
tenue traditionnelle spécifie l’origine de la personne, de son pays
d’appartenance, de son groupe ethnique. Car elle n’est pas portée
de la même manière au Sénégal, au Bénin ou au Nigéria. Au
Sénégal, il existe des différences au sein des groupes ethniques
(wolof, sérère, diola, peul, manding…) des groupes confrériques
(tidjane, mouride, layènne, ibadourahmane…).
4. Un boubou qui arrive au niveau des chevilles.
Dossier II
 124 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 261-262 – Marketing
Ses parures
Le vêtement traditionnel est une expression sociale qui reflète
la fonction de l’individu et sa classe sociale.
1.5. Fonction de séduction
L’habillement traditionnel, à la lumière de tous ces divers aspects,
cache une dimension esthétique appréciable. L’importance que la
société sénégalaise accorde au vêtement justifie ces propos « le
port de la tenue traditionnelle symbolise la beauté de la femme
africaine. La tenue traditionnelle est source de charme et de
séduction. Elle masque la maigreur et met en évidence la beauté
de la femme sénégalaise et sa féminité » (F., 28ans, secrétaire).
Pour certaines occasions, porter le vêtement traditionnel au
Sénégal ne s’improvise pas. Le vêtement n’est plus vu comme
une loi de conscience ou un accord moral mais comme un signe
de séduction qui met en jeu la discipline et l’éthique sociale.
Le charme avec pudeur s’appelle sexy à la sénégalaise (B. Ba,
1972). Le Sénégalais se débrouille toujours pour enrichir sa
garde-robe à tout prix, l’essentiel pour lui c’est d’arriver à taper
l’œil « frimer sécurise car l’individu a besoin de se savoir admiré.
Cela lui permet de se dire qu’il n’est pas le nul ; qu’il vaut en
quelque sorte quelque chose. Cette envie de séduire devient un
sentiment normal qui est propre à tous les hommes même si,
par ailleurs, les degrés différent » (H., 30 ans, employé banque).
La perception que l’individu a de la tenue traditionnelle change
selon qu’il est citadin ou rural, sénégalais ou béninois, moderne
ou traditionnel. La frime est une dimension constitutive de la
séduction sous ses différentes formes.
1.6. Fonction religieuse
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Les valeurs morales et spirituelles attribuées au vêtement justi-
fient sa fonction religieuse. La tenue traditionnelle est portée pour
accomplir un des perceptes de l’islam (la prière quotidienne), car
elle permet de couvrir certaine partie du corps de la femme qui
est souvent source de tentation chez l’homme. Cette obligation
de pudeur dans la pratique de la prière est valable aussi bien
chez les hommes que chez les femmes « il est conseillé de porter
une tenue décente aussi bien pour l’homme que pour la femme
pour se rendre dans un lieu saint » (F., 54 ans, commerçante).
Le vêtement traditionnel est recommandé à celui qui veut
embrasser la religion musulmane « lorsqu’une personne veut se
convertir à l’islam elle est obligée de s’habiller en tenue tradi-
tionnelle pour recevoir les bénédictions de l’imam » (F., 49 ans,
ménagère). Certains individus vont jusqu’à associer le vêtement
à Dieu, « le fait de s’habiller en tenue traditionnelle rapproche de
la religion musulmane » (F., 54 ans, commerçante).
Au Sénégal, il existe une tradition courante, les sénégalais portent
des vêtements traditionnels lors des fêtes religieuses (Tabaski,
Korité, Tamkharit), lors des funérailles, pour rendre visite à des
chefs religieux ou pour se rendre dans les lieux saints (Touba,
Tivavouane, Yoff). Le port de la tenue traditionnelle le jour du
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Dossier II
vendredi pour se rendre à la mosquée est devenu une habitude
« chaque vendredi je porte obligatoirement une tenue traditionnelle
parce que je dois aller à la mosquée » (H., 52 ans, tailleur). La
tenue traditionnelle est portée aussi durant les cérémonies de
mariage et de baptême. Malgré l’influence des valeurs occiden-
tales, le port de la tenue traditionnelle continue d’être usage
courant au Sénégal et s’adapte à la mode.
Les différentes significations données au vêtement local montrent
la manière dont la tradition est perçue par le consommateur
sénégalais. Ce dernier la considère comme un imaginaire fondé
sur des valeurs symboliques qui met en évidence le caractère
psychosociologique du concept.
L’hypothèse retenue est que le choix du vêtement traditionnel
est strictement guidé par un processus moyen-fin. Le consom-
mateur sénégalais détermine son choix à partir d’associations
cognitives réalisées sur des éléments de la tenue traditionnelle.
Cette activité basée sur sa structure cognitive prend en compte
les caractéristiques du vêtement, la satisfaction qu’il procure et
la plus haute attente espérée par l’utilisateur.
2. Méthodologie de recherche
La méthodologie utilisée pour analyser le processus cognitif du
consommateur sénégalais à l’égard du vêtement est purement
exploratoire. La collecte de données est effectuée de manière
qualitative avec un guide d’entretien et sur un échantillon assez
important d’utilisateurs de vêtements traditionnels.
2.1 La description du processus cognitif
par les chaînes moyens-fins
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Une démarche qualitative est appropriée pour situer la place
de la tradition dans le processus cognitif du consommateur à
l’aide de l’analyse des chaînages cognitifs, développée par les
chercheurs (T.J. Reynolds et J. Gutman, 1984 ; J.M. Aurifeille
1991 ; B. Rapacchi et P. Valette-Florence, 1991 ; P. Valette-
Florence et al., 2003). La démarche repose sur une implication du
consommateur à la formation de chaînes cognitives. Une chaîne
est une association liant les attributs, conséquences et valeurs.
Chaque élément de la chaîne peut être divisé en sous-éléments
en distinguant les attributs concrets des attributs abstraits ;
les conséquences fonctionnelles des conséquences psycholo-
giques ; les valeurs instrumentales des valeurs terminales. Cette
subdivision des éléments de la chaîne permet une distinction
plus fine de la chaîne (T.J. Reynolds et J. Gutman, 1984). Cette
distinction en six niveaux est purement théorique, car dans la
pratique, les frontières au sein d’une même catégorie (attributs
concrets/attributs abstraits) ou entre catégories (attributs/
conséquences ou conséquences/valeurs) restent floues. Pour
plus de simplicité, nous avons choisi de limiter la chaîne aux trois
principaux éléments (A-C-V) comme l’ont recommandé plusieurs
auteurs (P. Valette-Florence et al., 2003). Nous avons effectué ce
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 261-262 – Marketing 125

choix en raison d’une part, du caractère exploratoire de l’étude
et de son domaine d’application (le vêtement), et d’autre part,
des caractéristiques des individus de l’échantillon dont le niveau
d’instruction de certains reste souvent faible. Les premières
chaînes qui seront évoquées par des individus pris séparément
seront retenues pour effectuer la segmentation. L’analyse des
chaînages cognitifs a été choisie pour plusieurs raisons : d’abord
elle permet d’appréhender la tradition, non pas comme un critère
socioculturel, mais plutôt comme un critère psychosociologique.
Ensuite, l’analyse par les chaînes dispose d’une qualité prédictive
de la consommation de différents types de produits (J.M. Aurifeille
et P. Valette-Florence, 1992 ; J.M. Aurifeille, 1993). Enfin, elle
est un moyen pertinent de segmentation du marché du vêtement
dont les valeurs symboliques restent fortes.
2.2. Collecte d’information
Elle a été réalisée en deux temps. Dans un premier temps,
nous avons réalisé deux réunions de groupe pour générer une
liste d’attributs, de conséquences et de valeurs associés au
port de la tenue traditionnelle. Deux réunions de groupe ont
été organisées pour relever les opinions des femmes et des
hommes sur un sujet portant sur le port vestimentaire. Les
entretiens de groupe ont duré chacun 1 h 30, les discussions
ont été enregistrées et retranscrites intégralement. L’analyse
de contenu a été réalisée selon la méthode de la catégorisation
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Ses parures
définie par L. Bardin (2009)5. Elle a permis d’établir une liste non
exhaustive d’attributs-conséquences-valeurs complétée lors des
entretiens individuels. Cette même liste a servi de support aux
entretiens individuels.
Dans un second temps, nous avons effectué des entretiens indivi-
duels pour établir les chaînes évoquées. La collecte d’information
repose sur des entretiens initialement proposés par P. Valette-
Florence et B. Rapacchi (1991b) avec quelques modifications.
Contrairement à la méthode des cartes vierges préconisée par
P. Valette-Florence, nous sommes partie d’une liste préétablie
lors des réunions de groupe pour demander aux individus de la
compléter en mentionnant les éléments non générés lors des
focus group. Dans la pratique, très rares sont les nouveaux
éléments ajoutés par les individus, car les entretiens de groupe
ont été assez performants pour générer l’ensemble des éléments
d’un univers d’utilisation de vêtement traditionnel.
L’échantillon de 200 individus interrogés est réparti en 104
femmes et 96 hommes, d’âge, de niveau d’instruction, de statut
matrimonial, de profession et de niveau de revenu différents.
Ils habitent tous Dakar et sa banlieue. Dans la constitution de
l’échantillon nous avons pris en compte la diversité ethnique
et religieuse. L’échantillon est assez important pour engendrer
un nombre de chaînes représentatif de la totalité du processus
cognitif mis en œuvre pour le choix d’une tenue traditionnelle.
5. La catégorisation est une classification d’éléments constitutifs d’un
ensemble par différenciation puis regroupement par genre (analogie) d’après
des critères préalablement définis.

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Tableau 1. La liste des attributs, conséquences et valeurs générés

Attributs Conséquences Valeurs

1. Local 11. Adapté aux personnes âgées 31. Modestie
2. Qualité 12. Adapté au climat 32. Sentiment d’appartenance
3. Ample 13. Charme 33. Sentiment de responsabilité
4. Léger 14. Séduction 34. Signe de piété
5. Couleur 15. Protège le corps 35. Spiritualité
6. Lieu d’achat 16. Plus valorisant 36. Fierté
7. Artisanat 17. Être bien dans sa peau 37. Relation chaleureuse
8. Pratique 18. Assurance 38. Décence
9. Prix 19. Identité 39. Proche de Dieu
10.Style 20. Question d’habitude 40. Conviction religieuse
21. Se sentir respecté
22. Être à l’aise dans milieu social
23. Protège contre les mauvais esprits
24. Responsabilité
25. Statut matrimonial
26. Statut social
27. Adapté aux coutumes
28. Adapté aux événements traditionnels
29. Respectable
30. Être respecté

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Dossier II
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Ses parures

Le protocole d’entretien en quatre étapes, recommandé par P.
Valette-Florence (1994), a été suivi :
– Étape1 : nous avons demandé à l’interviewé de répartir les
attributs en trois paquets : le premier paquet contenant les attri-
buts jugés les plus importants, le deuxième paquet comportant
les attributs jugés moyennement importants et enfin le dernier
paquet contenant les attributs jugés peu importants dans l’acte
d’achat. Nous lui avons demandé de répéter le même processus
pour les conséquences et les valeurs.
– Étape2 : nous lui demandons de sélectionner dans le paquet
des attributs les plus importants celui qui paraît primordial. Cet
attribut est placé devant lui et sert donc d’ancrage.
– Étape3 : nous lui demandons de sélectionner dans le paquet
des conséquences les plus importantes, celle qui est directement
liée à l’attribut sélectionné. Ce lien indique la satisfaction la plus
importante qu’il attend de cet attribut.
– Étape4 : nous lui demandons de relier dans le paquet des
valeurs les plus importantes, celle qui est directement associée
à cette conséquence. Cette relation justifie l’attente supérieure

Tableau 3. Coordonnées des items dans les axes.

Axe 1 Axe 2 Axe 3 Axe 4 Axe 5

att = pratique 0,95 -1,04 -0,53 0,27 -0,3
att = qualité -1,1 -0,13 1,82 1,5 -0,27
att = prix 1,67 -2,32 -1,25 1,54 -3,07
att = ample -0,96 2,2 -0,02 0,16 -3,51
att = local 1,25 4,14 -0,64 -0,38 0,38
att = artisanat -0,26 0,41 -0,06 0,73 -0,01
att = style 0,24 0,1 -0,83 0,44 1,92
att = leger 2 0,31 2,47 -0,3 0,13
att = couleur -0,16 -0,16 0,03 -1 -0,16
att = lieu d’achat -1,22 -0,41 0,55 0,4 0,54
cons = être bien dans sa peau 0,6 1,6 -0,39 -0,34 0,24
cons = respectable -0,89 0,03 -0,46 0,91 1,82
cons = se sentir respecté -1,04 0,28 0,44 1,28 0,16
cons = charme 0,49 -0,8 -0,46 0,69 -0,48
cons = adapté au climat 0,39 -0,27 -1,23 -1,36 2,16
cons = adapté aux événements traditionnels -1,39 0,1 0,82 0,08 -0,6
cons = protège contre les mauvais esprits 0,36 0 1,26 -0,4 -0,09
cons = adapté aux personnes âgées 0,52 0,07 -0,43 0,27 0,92
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cons = plus valorisant 0,09 -0,01 0,59 -2,11 -0,43
cons = identité -0,77 0,38 -0,12 0,51 -0,3
cons = être respecté -0,15 -0,45 0,11 -0,82 0,3
cons = responsabilité 3,37 0,38 3,84 1,09 0,8
cons = statut social 1,08 -1,2 -0,76 0,67 -0,98
cons = protège le corps 0,51 1,5 -1,41 -0,54 1,34
cons = adapté aux coutumes -0,07 -0,26 -0,64 0,13 0,03
cons = être à l’aise dans son milieu -0,01 0,21 -0,3 -1,08 -0,39
cons = séduction -0,55 -0,35 -0,02 -0,8 0,03
cons = statut matrimonial -1,3 -0,85 1,15 -0,16 0,16
cons = question d’habitude -0,62 0,72 0,22 1,89 -0,31
cons = assurance 0,28 1,39 -0,19 -0,1 -2,88
valeurs = modestie 1,69 -2,43 -1,41 1,53 -1,48
valeurs = sentiment d’appartenance 0,02 1,74 -0,46 -0,05 -0,52
valeurs = décence -0,82 0,05 0,09 0,62 0,03
valeurs = signe de piété 0,31 -0,33 -0,05 -1,45 0,1
valeurs = conviction religieuse 0,39 -0,03 -1,19 0,41 0,15
valeurs = spiritualité 1,86 0,99 2,15 0,76 0,3
valeurs = fierté -1,76 -0,43 1,57 0,44 0,31
valeurs = sentiment de responsabilité 0,34 -0,55 -0,12 0,29 -0,64
valeurs = relation chaleureuse 2,72 -0,27 2,21 0,5 1,75
valeurs = proche de Dieu 0,27 -0,02 -0,87 0,31 1,42

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Dossier II
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 261-262 – Marketing 127

Ses parures
la plus élevée visée par cette satisfaction. Une première chaîne d’inertie montre la qualité de la dispersion. Ces dispersions sont
est ainsi formée, ainsi de suite jusqu’à ce que l’interviewé ne faibles car toutes les valeurs obtenues sont proches.
puisse plus émettre une nouvelle chaîne originale. Une fois les Les axes factoriels ont été identifiés à l’aide d’une chaîne
chaînes évoquées, nous lui demandons de juger sa cohérence moyens-fins constitués par les items les mieux représentés sur
interne (J.P. Helfer et M. Kalika, 1988) à l’aide d’une échelle les axes. Le tableau ci-dessous justifie le choix des items dans
bipolaire sémantique en 5 points, allant de « très mal » à « mal ». l’explication de l’axe.
Les entretiens ont duré en moyenne 35 minutes. En analysant la contribution des items à la formation des axes,
nous remarquons que les items qui contribuent le plus aux axes
sont les associations suivantes :
3. Les principaux résultats Axe1 : Léger → Responsabilité → Relation Chaleureuse
et discussion Axe2 : Local → Être bien dans sa peau → Sentiment d’appar-
tenance
Nous avons utilisé l’analyse par les premières chaînes qui est Axe3 : Léger → Responsabilité → Relation chaleureuse
une méthode conçue dans une optique exploratoire et simplifiée. Axe4 : Prix → Question d’habitude → Modestie
Elle est choisie pour différentes raisons. D’abord, lorsque les Axe5 : Style Adapté au climat Relation chaleureuse
utilisateurs jugent a postériori les chaînes qu’ils ont énoncées, la Les axes 1 et 3 sont expliqués par les mêmes associations
première chaîne collectée est généralement celle qu’ils trouvent d’items, ils sont confondus et constituent un même axe factoriel.
être la plus représentative de leurs processus moyens-fins. Par conséquent nous nous retrouvons avec quatre axes facto-
Ensuite, des tests empiriques montrent qu’une segmentation riels. Ces axes factoriels ont permis d’interpréter les chaînes
réalisée à partir des premières chaînes possède une excellente moyens-fins.
validité prédictive (J.M. Aurifeille et P. Valette-Florence, 1992). Tableau 4. Chaînes virtuelles.
La saisie des données a été effectuée en notant la première
chaîne de l’individu interrogé sous forme d’une succession Chaînes virtuelles Cohérence** Importance*
de trois chiffres correspondant aux codes du tableau 1. Le Léger → Responsabilité → Relation 1,017 45
logiciel R nous a permis d’analyser les interactions entre les Chaleureuse
Local → Être bien dans sa peau → 1,143 42
variables nominales en appliquant le programme de l’Analyse
Sentiment d’appartenance
des Correspondances Multiples (ACM). 1,165 72
Prix → Question d’habitude →
Modestie
1,187 26
Style → Adapté au climat →
3.1. Les résultats de l’Analyse des Relation Chaleureuse

Correspondances Multiples * le nombre de fois que la chaîne a été évoquée par les individus.
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Certains individus de l’échantillon ont évoqué des chaînes non repré-
sentatives
Nous avons d’abord, constitué un tableau sous forme de matrice ** la cohérence est présentée suivant un ordre décroissant
de l’ensemble des codes correspondant aux choix effectués par
les répondants pour les différentes variables (attributs, consé- Pour déterminer les orientations générales des individus, à
quences et valeurs). partir des chaînes virtuelles formées, certains critères comme
Ensuite, nous avons défini, pour chaque variable, autant de la composition des chaînes et leur probabilité ont été retenus
modalités que d’items la constituant. Les axes factoriels définis pour apprécier la sensibilité psychologique des utilisateurs. Le
représentent des associations des différents attributs, consé- tableau présente les principales associations réalisées par les
quences et valeurs. utilisateurs de l’habit traditionnel.
Tableau 2. La contribution des axes à l’inertie Globalement, quatre chaînes virtuelles ont été obtenues chez
les utilisateurs du vêtement traditionnel. Ces résultats ont été
Axes Valeurs propres Pourcentage d’inertie (%) obtenus grâce aux types d’analyse classiques l’AIC6 et le BIC
Axe1 0.62 4,87 qui sont des indices basés sur la théorie de l’information. Ces
Axe2 0.58 4,62 indices sont utilisés pour éviter les optimums locaux en cas
Axe3 0.57 4,47 d’utilisation de différents points d’estimation (P. Valette-Florence
Axe4 0,54 4,27 et al., 2003).
Axe5 0,51 4,02 Les résultats mettent en évidence quatre orientations possibles
des utilisateurs de vêtements traditionnels. Ces orientations ont
Les cinq principaux axes factoriels expliquent 22,25 % de l’infor- été définies à partir de leurs structures cognitives.
mation. La valeur propre, qui représente la variance totale expli- – Une orientation « Visibilité sociale », les individus s’habillent
quée par chaque facteur, est inférieure à 1. En ACM, les valeurs « traditionnel » parce que cette tenue, grâce à son prix et à sa
propres sont toujours faibles (B. Escofier et J. Pages (1988)), mais
elles contribuent à expliquer les axes factoriels. Le pourcentage 6. AIC (Aikake Information Criterion) et BIC(Bayesian Information Criterion).

mai-août 2013
Dossier II
 128 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 261-262 – Marketing

Tableau 5. Les orientations générales résultant de la composition des chaînes virtuelles.

Ses parures

Orientation générale Attributs Conséquences Valeurs

Visibilité sociale -Prix ** -Responsabilité -Sentiment d’appartenance p[0.45]
-Qualité -Statut social -Relation Chaleureuse p [0,87]
-Léger -Statut matrimonial -Modestie p [0,75]
-Question d’habitude
-Être respecté
Bien-être corporel -Ample -Adapté au climat -Relation chaleureuse p [0,13]*
-Style -Assurance
Dimension Spirituelle -Protège le corps -Spiritualité
-Protège contre les mauvais esprits -Proche de Dieu
Sociabilité -Local - Être bien dans sa peau - Sentiment d’appartenance p [0,55]
-Tenue respectable -Modestie p [0,25]
*Les probabilités d’appartenance aux chaînes virtuelles sont > à 0,90 sauf si elle est indiquée
**Les items soulignés sont présents dans les principales chaînes virtuelles retenues dans la formation des axes factoriels
*** la case vide des attributs montre simplement l’absence d’attributs associés à ces conséquences et valeurs

qualité, reflète leur statut social, matrimonial, leur procure respect
des autres et marque un sens des responsabilités. Les attentes
supérieures visées sont l’appartenance à une communauté et
une relation chaleureuse.
– Une orientation « Bien-être corporel », la tenue traditionnelle, par
ses attributs (ample et style), s’adapte au climat tropical (chaud
et aride). Le port de la tenue traditionnelle donne une assurance
à la personne qui la porte. Cette satisfaction est justifiée par sa
relation chaleureuse avec les autres.
Une orientation « Dimension spirituelle », les individus qui portent
le vêtement traditionnel lui accordent un pouvoir psychologique
de protection, thérapeutique et de soumission à leur religion qui
les rapproche de Dieu.
– Une orientation « Sociabilité » de la tenue traditionnelle ; de
par son caractère local distinctif, les individus qui la portent
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La présence de chacune des valeurs dans deux orientations
simultanément montre le caractère polymorphe de la tradition.
3.2. Les résultats de la classification
hiérarchique
Pour approfondir l’étude, une analyse typologique a été réalisée
pour définir des groupes d’utilisateurs homogènes de vêtements
traditionnels, ayant des sensibilités cognitives « semblables ».
L’analyse a été réalisée à partir des coordonnées des individus
sur les axes factoriels retenus à l’issue de l’ACM. Nous avons
choisi la méthode de classification descendante hiérarchique.
Les variables étant qualitatives, nous allons associer à chaque
variable la valeur d’un critère de liaison globale

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se sentent bien dans leur peau, la tenue est respectable. Les
attentes supérieures visées sont la modestie et le sentiment
d’appartenance.
Les résultats montrent que trois valeurs (relation chaleureuse,
sentiment d’appartenance et modestie) sont présentes au niveau
d’au moins deux orientations :
– D’abord, la valeur « Relation chaleureuse » qui appartient aux
orientations « Sociabilité » et « Bien-être corporel » avec, respec-
tivement des probabilités de 0,74 et 0,26. Dans une approche
classique, la « Relation chaleureuse » aurait été affectée à la
« Sociabilité » à cause de la forte probabilité obtenue sur cette
orientation. L’approche que nous utilisons tient compte de la
relation de l’item entre ces deux types d’orientation. Car, malgré
la faible probabilité notée de l’item dans l’orientation « Bien-être
corporel », la relation reste toujours évidente dans la constitution
de la chaîne formée.
– Ensuite, la valeur « Sentiment d’appartenance » qui contribue
aux orientations « Visibilité Sociale » et « Sociabilité » avec des
probabilités d’affectation respectives de 0,45 et 0,55. Ces
deux probabilités contribuent presque de manière égale aux
deux orientations.
– Enfin, la valeur « Modestie » qui contribue à la « Visibilité sociale »
pour 0,75 et à la « Sociabilité » pour 0,25.
Tableau 6. La typologie réalisée sur le marché du vêtement traditionnel.
Numéro classe Effectif des classes Pourcentage de la classe(%)
1 133 66,5
2 50 25
3 17 8,5
Total 200 100
L’analyse typologique a permis de regrouper les individus ayant
les mêmes orientations de la tradition en trois classes :
– Dans la classe 1, (66,5 % de l’échantillon), le choix des utilisa-
teurs est guidé par un sentiment d’appartenance à une commu-
nauté. Leur choix repose fondamentalement sur des valeurs
sociales. Nous les représentons par la chaîne :
Local → Être bien dans sa peau → Sentiment d’appartenance
– Dans la classe 2, (25 % de l’échantillon), les utilisateurs visent
une relation chaleureuse avec leur entourage. Ils recherchent
une visibilité sociale en portant la tenue traditionnelle. La chaîne
qui leur est associée est :
Léger → Responsabilité → Relation chaleureuse
– Dans la classe 3, (8,5 % de l’échantillon), les valeurs recher-
chées sont aussi une relation chaleureuse avec les autres. Les

mai-août 2013
Dossier II
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utilisateurs sont à la recherche d’un bien-être corporel. Ils sont
représentés par la chaîne suivante :
Style → Adapté au climat → Relation chaleureuse
Des variables explicatives telles que l’âge, le sexe, la situation
matrimoniale, la profession et le niveau d’instruction ont été
choisies de manière empirique pour expliquer l’utilisation du
vêtement traditionnel et décrire le profil de chaque classe. Pour
différencier les classes, nous avons utilisé deux méthodes : le
coefficient de khi-deux pour connaître le seuil de significativité
et la valeur-test pour mesurer statistiquement la dépendance ou
la liaison entre les variables. Les tests montrent que seules les
variables niveau d’instruction, situation matrimoniale, sexe et
âge sont très significatives dans l’explication de l’utilisation de
l’habit traditionnel (avec un seuil de signification α= 0,000). Nous
obtenons ainsi une distinction entre les individus qui ont fait des
études supérieures et ceux qui ont fait des études secondaires
et primaires. La caractérisation est faite selon les trois tranches
d’âge retenues, les célibataires et les mariés ; les hommes et les
femmes. Ces variables caractérisent les différentes classes avec
une valeur- test > 2, donc très significative. Les caractéristiques
des trois classes sont :
– classe 1 : représente les mariés (es) ou veuves âgés de 42 à
65 ans, qui ont un niveau d’études du primaire ou qui ont fait
uniquement l’école coranique et qui portent quatre à sept fois
par semaine l’habit traditionnel,
– classe 2 : regroupe les hommes âgés de 31 à 41 ans, mariés
ou célibataires, qui portent deux à trois par semaine l’habit
traditionnel et ont un niveau d’études supérieur,
– classe 3 : comprend des célibataires, hommes ou femmes,
qui portent une fois par semaine l’habit traditionnel, qui ont fait
des études secondaires et sont âgés de 21 à 31 ans.
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Conclusion
Cet article à caractère exploratoire a essayé, d’une part, de
définir le concept de tradition à partir d’un processus cognitif
de formation de chaînes virtuelles et, d’autre part, d’utiliser la
tradition comme critère de segmentation à travers les orientations
données de la tenue locale.
Sur le plan empirique, des limites méthodologiques ont été
identifiées au moment de la réalisation des entretiens. D’abord,
l’approche qualitative utilisée souffre d’une lourdeur de collecte
d’informations sur le terrain relativement important. Ensuite, la
méthode de la formation des chaînes virtuelles nécessite des
explications sérieuses et une traduction en langue locale pour
permettre aux individus, ayant un niveau d’instruction faible
ou ceux initiés à l’école coranique, de pouvoir comprendre la
méthode. Les résultats empiriques confortent l’idée que l’analyse
par les chaînes moyens-fins traduit bien la structure cognitive
de l’utilisateur du vêtement traditionnel. Toutefois, l’hypothèse
que le choix du vêtement traditionnel est strictement guidé par
un processus moyen-fin est en accord avec deux observations :
mai-août 2013
129
Ses parures
– la tradition est un concept psychosociologique qui repose sur
l’imaginaire du consommateur,
– il existe une forte influence des attributs sur les conséquences
qui à leur tour impactent les valeurs.
Sur le plan managérial, la segmentation basée sur la tradition
comme critère est très efficace pour dissocier les différents
groupes de consommateurs. Les entreprises de mode peuvent
se baser sur ces différentes orientations données de la tradition
pour segmenter leur marché. Les tenues traditionnelles doivent
être capables de refléter la « Visibilité sociale » et la « Sociabilité »
tout en assurant un « Bien-être corporel ». Les entreprises pourront
se positionner sur le marché de l’habillement traditionnel en
mettant en évidence les orientations sociales et relationnelles
des Sénégalais. Ces orientations reposeront sur des attributs
déterminants comme le caractère local de l’habit ou léger, le
prix/qualité, le style ; des conséquences déterminantes comme
le sens de la responsabilité, l’adaptation au climat, être bien
dans sa peau ; des valeurs déterminantes comme le sentiment
d’appartenance, la relation chaleureuse, la modestie. Une stratégie
de communication basée sur ces critères pourra accompagner
leur politique. Une voie de recherche utile serait d’approfondir
la recherche en analysant les chaînages latents correspondant
à un niveau latent, non directement mesurable, à la nature des
associations cognitives (Valeurs-Conséquences-Attributs) qui
conditionnent une utilisation du vêtement traditionnel.
Nous espérons que cet article à caractère exploratoire aura
réussi à sensibiliser les théoriciens et les praticiens à l’intérêt de
prendre en compte la tradition dans les recherches en marketing.
Références bibliographiques
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