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De la Greffière de la Cour

CEDH 181 (2022)


07.06.2022

Un témoin de Jéhovah devrait bénéficier en Lituanie d’un véritable service de


remplacement au service militaire
Dans son arrêt de chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Teliatnikov c. Lituanie (requête
no 51914/19), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
Violation de l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention
européenne des droits de l’homme.
Dans cette affaire, M. Teliatnikov, un ministre du culte des témoins de Jéhovah, avait demandé à
être exempté du service militaire et à effectuer un service civil en raison de ses convictions
religieuses.
La Cour juge en particulier que le système de conscription lituanien ne ménage pas un juste équilibre
entre les besoins de l’ensemble de la société et ceux des objecteurs de conscience, et que le service
civil ne présente qu’une différence de façade avec le service militaire en ce qu’il demeure sous le
contrôle des structures militaires. Enfin, elle considère que le non-respect de l’objection de
conscience du requérant n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».

Principaux faits
Le requérant, Stanislav Teliatnikov, est un ressortissant lituanien né en 1994 et résidant à Konak
(province d’Izmir, Turquie). Membre des témoins de Jéhovah, religion qui interdit à ses adeptes
d’effectuer un service militaire, le requérant a été élevé au rang de ministre du culte.
En Lituanie, les témoins de Jéhovah ont le statut d’organisation religieuse enregistrée mais ils ne
font pas partie des neuf religions traditionnelles reconnues par l’État.
En juin 2015, M. Teliatnikov fut appelé à accomplir son service militaire. Il écrivit à l’unité dans
laquelle il devait être versé, expliquant que sa « conscience éduquée par la Bible » l’obligeait à
refuser d’accomplir un service militaire ou tout autre service civil auxiliaire et demandant à être
exempté du service militaire ou, à défaut, à être autorisé à accomplir un service civil de
remplacement. À l’appui de sa demande, il citait l’article 9 de la Convention et l’article 26 de la
Constitution. À l’époque pertinente, les ministres du culte des neuf religions traditionnelles étaient
exemptés du service militaire. En septembre 2015, la demande d’exemption du requérant fut
rejetée, et sa demande de service civil de remplacement laissée sans réponse.
S’appuyant sur l’obligation constitutionnelle imposant à tous les citoyens d’accomplir le service
militaire, le ministère de la Défense nationale confirma cette décision.
M. Teliatnikov se pourvut en justice, alléguant qu’il aurait dû être exempté du service militaire en sa
qualité de ministre du culte et soutenant que la loi applicable opérait une discrimination contre les
témoins de Jéhovah. Le tribunal administratif régional de Vilnius suspendit l’instance dans l’attente
d’une décision à intervenir dans une affaire similaire pendante devant la Cour constitutionnelle.

1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois
mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En
pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de
l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des
renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
Les passages pertinents de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle se lisaient comme suit :
« (…) ni les convictions, ni la religion pratiquée, ni les croyances ne peuvent excuser (…) un
manquement à la loi (…) [C]hacun doit respecter la Constitution et les lois (…) Il en résulte
notamment que nul ne peut invoquer ses convictions, la religion qu’il pratique ou ses croyances pour
refuser de s’acquitter des devoirs qui lui incombent en vertu de la Constitution – [tels que]
l’obligation imposée aux citoyens d’accomplir le service militaire ou un autre service civil de défense
nationale – ou pour demander à être exonéré de ces devoirs. »
Après la reprise de l’instance, la Cour administrative suprême rendit en avril 2019 un arrêt définitif
par lequel elle jugea que le devoir constitutionnel des citoyens d’accomplir le service militaire
obligatoire ou un autre service civil de défense nationale s’imposait aux ministres des cultes
traditionnels ou non traditionnels ou des organisations religieuses de Lituanie. Elle conclut qu’au
regard de la Constitution, il n’y avait aucune raison d’exempter M. Teliatnikov de l’accomplissement
du service militaire ou d’un autre service civil de défense nationale.

Griefs, procédure et composition de la Cour


Invoquant l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), le requérant alléguait avoir été
privé du droit de droit de refuser d’accomplir le service militaire malgré ses convictions sincères sur
ce sujet et qu’il n’a pas eu la possibilité d’accomplir un service civil.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 1er octobre 2019.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Jon Fridrik Kjølbro (Danemark), président,
Carlo Ranzoni (Liechtenstein),
Egidijus Kūris (Lituanie),
Branko Lubarda (Serbie),
Gilberto Felici (Saint-Marin),
Saadet Yüksel (Turquie),
Diana Sârcu (République de Moldova),

ainsi que de Hasan Bakırcı, greffier de section.

Décision de la Cour
Selon la jurisprudence de la Cour, le refus d’accomplir un service militaire ou un service de
remplacement peut constituer une manifestation d’une conviction religieuse. Bien qu’en l’espèce le
requérant n’ait été reconnu coupable d’aucune infraction à cet égard, la Cour estime que le refus de
lui accorder le statut d’objecteur de conscience s’analyse en une ingérence dans ses convictions
religieuses profondes. Cette ingérence a une base légale en droit interne et découle d’un devoir que
la Constitution impose aux citoyens dans un but de protection de la sécurité publique.
La Cour rappelle que le service militaire obligatoire impose aux citoyens une lourde charge. Il
convient de ménager un équilibre entre la nécessité de partager la charge du service militaire et la
conscience des individus. La Cour administrative suprême n’a pas recherché si le refus d’exempter le
requérant du service militaire reposait vraiment sur des motifs solides. D’ailleurs, elle fait
systématiquement primer les devoirs constitutionnels des citoyens vis-à-vis de l’État sur le droit à la
liberté religieuse. De manière générale, le système de conscription lituanien ne ménage pas un juste
équilibre entre les besoins de l’ensemble de la société et ceux des objecteurs de conscience désireux
d’apporter leur contribution à la société autrement que par l’accomplissement du service militaire.

2
Par ailleurs, la Cour estime que le service civil de remplacement ne constitue pas une véritable
solution de substitution en ce qu’il est intégré à l’institution militaire, la réglementation pertinente
qualifiant les recrues de « conscrits ». Les États sont tenus de mettre en place des solutions de
remplacement extérieures aux structures de commandement militaire.
Enfin, la Cour juge que le non-respect, par l’État, de l’objection de conscience du requérant n’était
pas « nécessaire dans une société démocratique » et emportait en conséquence violation de
l’article 9 de la Convention.

Satisfaction équitable (Article 41)


La Cour dit que la Lituanie doit verser au requérant 3 000 euros (EUR) pour frais et dépens.

L’arrêt n’existe qu’en anglais.

Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la
Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur
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La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du
Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention
européenne des droits de l’homme de 1950.

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