Vous êtes sur la page 1sur 2

S P E C T R U M Portfolio de compétences

L’acquis, une notion ambiguë


Aider les personnes en réinsertion professionnelle à se positionner de manière réaliste face aux exigences actuelles
de l’organisation du travail, les encourager à acquérir une position réflexive permettant de guider leur action, telles
sont les missions du bilan-portfolio de compétences. Un bilan dont la structure doit privilégier l’analyse de l’activité
plutôt que celle des acquis.

Nicolas Perrin dans un contexte professionnel. Ou alors, rasite l’analyse de l’activité, c’est-à-dire la
elle nécessite une formalisation pour dé- description détaillée des différentes actions.
Depuis plusieurs années, nous accompa- passer son caractère prétendument anodin. Et ceci est logique car l’unité d'analyse n’est
gnons à Retravailler-Corref des personnes Ainsi posée, la question est aussi celle du pas préservée: ce n’est pas un seul et même
au chômage et en emploi dans la réalisation sens que peut donner un participant à la réa- objet qui est investigué (l’activité) mais aus-
d'un bilan-portfolio1 lors d'ateliers collec- lisation de son bilan-portfolio, surtout s'il si bien des ressources que des actions.
tifs. Or, que cette démarche soit choisie ou focalise son énergie sur un objectif à court
non par nos participants, l'utilité de revenir
sur d'anciennes expériences est souvent
questionnée. Pour dépasser le seul «slogan»
terme (recherche d'emploi, réussir une for-
mation …). Accepter de se pencher sur son
expérience ne va pas de soi. Une piste pé-
« L’enjeu est de pouvoir porter son
regard non plus uniquement vers
de la revalorisation personnelle, nous avons dagogique est donnée par la notion de si- le passé, mais également vers
l’avenir, préparant en quelque sorte
été amenés à faire évoluer notre manière de
structurer cette démarche de bilan-portfo-
lio.
tuation-problème chère à Philippe Meirieu
(1995): il est important de mettre l'appre-
nant face à un problème concret qui ait du
l’action … »
Monique Chaput (1997/26) pose clairement sens pour lui. Cela nous pousse à dévelop- L’unité d’analyse est préservée si on se
un premier enjeu: une «dimension non né- per les mises en situation. Mais dans un pre- centre sur l’activité, en la situant dans son
gligeable est à inscrire au niveau de la res- mier temps, pour donner plus de sens, nous contexte et par rapport à sa prescription. Dit
ponsabilisation de l'individu, à savoir que avons déjà travaillé la construction de nos autrement, qu’est-ce qui a été fait, dans
les gens doivent apprendre à décoder dans «séquences didactiques». Dans ce cadre, quelles conditions, avec quelle exigence de
ce qu'ils font les apprentissages qui ont lieu, nous avons défini l’acquis comme «ce qui a qualité? Or ce faisant, on tient compte des
sinon le risque existe de garder des mau- été appris de nouveau» dans l’expérience différents paramètres de la définition de la
vaises preuves». Le problème est posé: sa- analysée. Le caractère positif de cette défi- compétence: mobilisation intégrée de res-
voir décoder les apprentissages afin de gar- nition permet de faire émerger le souvenir, sources (nous y reviendrons) dans une si-
der les bonnes preuves.2 Cela nécessite de de donner accès à l’expérience sans l’analy- tuation donnée en fonction d’un but.
pouvoir véritablement analyser ses expé- ser dans un premier temps.
riences. Nous insistons sur la nécessité de ne pas Se positionner face aux différentes
confondre cette phase – qui se cantonne à un exigences du travail
Faire émerger la richesse de premier contact avec une expérience parti- Le passage de l’acquis aux paramètres de la
l'expérience culière – avec celle de l’analyse. Nous avons compétence pour structurer une démarche
Pour décoder un apprentissage, il ne suffit en effet remarqué que la notion d’acquis pa- de bilan-portfolio est par ailleurs nécessaire
pas de le nommer. Identifier des «acquis» au pour répondre aux exigences de l’organi-
sens général de ce qu’on a appris ou fait est sation du travail actuel et, au besoin, de mo-
Ouvrages cités
insuffisant. Il faut pouvoir «mettre le doigt» bilité. L’acquis a aussi tendance à maintenir
Broussa B., Serre F., Ross D.: «Apprendre de
sur ce qui fait la richesse d’une expérience, l’illusion de la possibilité: il ne faut pas arri-
son expérience», Presses de l’Université du
que ce soit à ses propres yeux ou en vue ver à la conclusion «j'ai fait cela» ou «j'ai ap-
Québec, Sainte-Foye 1999
d’une reconnaissance par autrui. Il faut pou- pris cela» sans tenir compte des contraintes
Le Boterf G.: «Construire des compétences
voir dépasser un premier regard souvent dé- des situations de travail passées ou à venir.
individuelles et collectives», Éditions
préciatif ou circonspect. Souvent, nous Parmi les exigences du monde du travail ac-
d’Organisation, Paris 2000
avons observé qu’une analyse peu détaillée, tuel, la nécessité d’un agir réflexif est sou-
Meirieu Ph.: «Apprendre … oui, mais com-
consentie pour éviter un travail trop lourd, vent affirmée. Elle aussi renvoie à une ap-
ment», ESF, Paris 1995
concourt à une perte de sens, et ce tout par- proche minutieuse de l’analyse de l’activité.
Pineau G., Liétard B., Chaput M.: «Recon-
ticulièrement pour des personnes qui ont Pouvoir réguler son action et être capable de
naître les acquis. Démarches d’exploration
assumé des activités qui se rapprochent de l’enrichir ou de la modifier nécessite de
personnalisée», L’Harmattan, Paris 1997
nos gestes courants. Pour ces activités plus considérer le processus de l’apprentissage
Tardif J.: «Le transfert des apprentissages»,
que pour d’autres, la reconnaissance sociale expérientiel, et pas seulement son résultat.
Les Éditions Logiques, Montréal 1999
n’est pas à la hauteur du travail réel exercé Il s’agit d’expliciter la dynamique de forma-

PANORAMA 6/2001 46
SPECTRUM

tion, le processus d'acquisition des compé- les ressources. À nouveau, en suivant Tardif «L’aquis» – ein
tences, et ce en analysant des expériences a (1999), nous avons encouragé les partici- vieldeutiger Begriff
posteriori. C’est précisément la perspective pants à formaliser ces dernières pour facili-
que nous posons sur le bilan-portoflio dans ter leur transfert dans de nouvelles situa-
la recherche que nous menons actuellement tions. Une telle démarche nous amène à po- Das französische Wort «aquis» (Fähigkeit,
avec l’EPS de Fribourg3 et qui est théori- ser une question sur l’objet de la reconnais- Lernleistung) ist ein mehrdeutiger Begriff.
quement en accord avec le modèle que Kolb4 sance des acquis: faut-il uniquement Gewiss, Ausdrücke wie «Anerkennung von
a développé. L’apprentissage expérientiel reconnaître les compétences effectivement Lernleistungen» scheinen uns vertraut.
est une succession de temps d’expérimenta- mises en œuvre jusqu’alors, c’est-à-dire les Will man aber ein Kompetenz-Portfolio zu-
tion et de réflexion-formalisation de la pra- ressources qui ont déjà fait l’objet d’une mo- sammenstellen und eine Erfahrung analy-
tique, ce dernier permettant à son tour un bilisation conjointe, ou peut-on porter un re- sieren, so sind die Begriffe «Fähigkeit» und
meilleur guidage de l’action. Cela nous mène gard sur le potentiel de développement de la «Lernleistung» oft kontraproduktiv.
notamment à élaborer avec certains par- personne? Autrement dit: quel statut ac- Erstens ist «aquis» ein Oberbegriff, der ge-
ticipants ce que Jacques Tardif (1999) ap- corde-t-on à l'erreur en tant que source d'ap- nauso gut Kompetenzen wie Fähigkeiten,
pelle les savoirs conditionnels («dans quelle prentissage? Il est communément accepté ja, sogar noch allgemeiner formuliert, das
situation? …») et à les mettre en regard des qu’on apprend beaucoup de ses erreurs si Lernen an sich oder eine Qualität bezeich-
savoirs procéduraux (… «je fais quoi?»). celles-ci sont analysées. Dans quelle me- nen kann. Die Auswertung der Erfahrung
Cette distanciation de la notion d’acquis sure un bilan-portfolio permet-il ce travail? wird erschwert, weil diese gar nicht ge-
pour faire place à celle de compétence per- Croisé avec les apports de la science-action nannt wird. Zweitens bleiben «Lernleistun-
met également de clairement individualiser – et notamment le travail sur l’amélioration gen» und «Fähigkeiten» mangels genaue-
des modèles d’action du sujet présenté par rer Beschreibung Quell von Illusionen. An-
Broussa et all (1999) – cette question nous gesichts der Anforderungen der Organisa-
Modèle de la compétence et pratique du
semble particulièrement stimulante pour tion des Arbeitsmarktes und der Mobilität
bilan-portfolio: récit de notre évolution
faire évoluer notre pratique. ist es unumgänglich zu präzisieren, unter
Comme nous l’évoquons ci-contre, notre
welchen Bedingungen und in welchem Zu-
pratique du bilan-portfolio a évolué. Dans un
sammenhang man handeln kann. Und drit-
premier temps, nous nous contentions
tens schränkt «aquis» den Einzelnen da-
d’identifier les acquis liés aux expériences
durch ein, dass dieser seine Weiterentwick-
de plusieurs domaines.
lung nur noch statisch wahrnimmt. Dies
Cette démarche s'est toutefois avérée insuf-
kommt einer rückwärts gerichteten Auffas-
fisante, notamment pour des publics faible-
sung von Weiterbildung gleich, heute gilt
ment qualifiés, ayant évolué dans un con-
jedoch «lernen zu lernen». Zudem schlies-
texte de travail fortement taylorisé. Que dire
sen die Begriffe jede positive Betrachtung
à une personne affirmant qu’elle répondait
von Fehlern aus … was doch gerade die
au téléphone à longueur de journée, et qui
Grundlage des Lernens darstellt!
ne comprend pas la nécessité de décrire
Das Hinterfragen unserer Vorgehenswei-
une telle expérience?
sen sowie die eingeleiteten Nachforschun-
Nous nous sommes alors efforcés de re-
gen ermöglichen es uns, einige Alternati-
prendre «la» définition de la compétence
ven vorzuschlagen. Besonders wichtig ist
pour repenser la structure du processus de Nicolas Perrin, géologue et formateur d’adultes,
accompagne et développe des démarches bilan- es, Tätigkeitsanalysen so durchzuführen,
bilan-portfolio. Une première étape a été
portfolio à Retravailler-Corref (Lausanne). Il dass die Tätigkeiten kontextbezogen und
d’affirmer qu’il existe des «enjeux» même exerce également une activité indépendante en den erforderlichen Qualitätskriterien ent-
aux activités les plus simples. Pour les ef- ingénierie et évaluation de dispositifs de forma-
tion. nicolasperrin@swissonline.ch sprechend zugeordnet werden. Dies erlaubt
fectuer correctement, il faut tenir compte de
auch die Übertragung (und das Aktivie-
plusieurs paramètres.
1 Nous regroupons volontairement ces deux ren?) der Fähigkeiten in andere Bereiche.
Puis, progressivement, nous avons formalisé notions pour focaliser notre attention sur le YMR/CR
les paramètres liés au contexte et à la pres- processus d’analyse de l’activité qui est iden-
cription – ou aux critères de qualité – de tique dans ces deux démarches, et qui devrait
dans les deux cas être rendu crédible par une
l’activité, pour les traiter explicitement dans auto- et co-évaluation (confrontations à des
notre démarche. Cela nous a permis de nous référentiels, enquêtes, mises en situation).
2 Notre position va même jusqu’à affirmer que
rapprocher d’une acception de la compé- le récit détaillé d’une expérience est une
tence décrite comme capacité d’action dans preuve au même titre qu’un résultat – une
des familles de situations données. performance – à produire. D’ailleurs, cela cor-
respond à une des trois entrées pour évaluer
Reste la question de la mobilisation! Notre les compétences que présente Guy Le Boterf
regard se porte sur le processus de l’ap- (2000/110).
3 À l’École du personnel soignant de Fribourg,
prentissage expérientiel et la science-ac- nous accompagnons des infirmières suivant
tion. L’enjeu est de pouvoir porter son regard une formation en cours d’emploi dans la réali-
sation de leur portfolio. L’enjeu consiste à
non plus uniquement vers le passé, mais
pouvoir rapprocher leurs expériences passées
également vers l’avenir, préparant en et leur formation actuelle.
quelque sorte l’action … 4 Ce modèle est notamment présenté dans
Broussa et all (1999/40 ss)

PANORAMA 6/2001 47

Vous aimerez peut-être aussi