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Sécurité juridique

en droit fiscal marocain :


Analyse critique et recommandations
de renforcement

KHALIL MEKOUAR
Ex-inspecteur divisionnaire des impôts
Expert-comptable DPLE

Cet article reprend les résultats du travail de recherche réalisé par Mr MEKOUAR Khalid dans le cadre du Cycle d’Expertise
Comptable de l’ISCAE. Ce travail, encadré par Mr Ahmed CHAHBI Expert Comptable, a fait l’objet d’une soutenance publique
lors de la session de Novembre 2022 et a obtenu la mention très honorable avec les félicitations du jury.

« Soucieux de renforcer davantage la qualité des normes fiscales à la suite de l’expression de ce besoin ces dernières années
par plusieurs acteurs de l’économie nationale, le législateur marocain n’a pas tergiversé à faire de la sécurité juridique un pilier
fondamental de la nouvelle réforme fiscale » 1.

Le droit doit être accessible, compréhensible et prévisible. particulier sur quelques solutions juridiques possibles. Pour
Il doit également permettre à ses sujets de jouir de garanties cela, nous analyserons les principaux points suivants : (1) les
protectrices suffisantes afin de remplir pleinement son rôle règles d’assiette, (2) le pouvoir de contrôle de l’administration
essentiel de veiller à la sauvegarde des droits des citoyens fiscale, (3) les procédures fiscales et (4) enfin la doctrine
et au respect de leurs obligations, particulièrement avant la administrative en matière fiscale.
survenue d’un éventuel différend.
Ainsi, le principe juridique reflétant les exigences précitées, 1 Les règles d’assiette : Une instabilité permanente et
tel qu’il a été conçu par la doctrine et la jurisprudence une ambiguïté fréquente
internationale, est celui de la sécurité juridique qui peut
être considérée comme un critère d’évaluation de la qualité L’insécurité juridique subie par le contribuable en rapport
avec cette composante du code général des impôts peut
du droit.
être expliquée par les trois points suivants :
Bien que de telles exigences apparaissent évidentes, dans
le contexte fiscal marocain, l’impératif de sécurité juridique 1.1 Le changement permanent des règles d’assiette
n’est pas toujours au rendez-vous. En effet, vu l’inflation Les règles d’assiette sont les plus touchées par l’instabilité
législative qui marque la matière fiscale ces dernières dont souffre le système fiscal marocain dans son ensemble.
années, la qualité des normes s’est vue significativement Cette situation s’explique par le fait que ces règles
détériorée. constituent le moyen préférentiel des autorités publiques
Par conséquent, leur maitrise est devenue une question leur permettant un pilotage rapide des recettes fiscales.
délicate, non seulement pour les contribuables, mais Ce qui affecte gravement la prévisibilité du contribuable à
également pour les professionnels de la fiscalité. Cette sa situation financière/fiscal future. En effet, pour une loi
situation s’aggrave encore plus en raison de l’insuffisance qui change d’une manière continue, même en disposant
des garanties procédurales accordées au contribuable seulement pour l’avenir, elle remettrait en question les choix
et qui ne cesse d’accentuer son sentiment d’insécurité, économiques opérés par un contribuable dans le passé.
particulièrement lors des opérations de contrôle entamées Elle peut donc renverser les calculs microéconomiques sur
par l’administration fiscale. lesquels sont basées ses décisions d’investissements et ses
relations contractuelles.
Cet article donne un bref aperçu sur quelques entraves
qui sont de nature à empêcher le droit fiscal d’atteindre Pour remédier à ce problème, il serait judicieux de procéder
un niveau raisonnable de sécurité juridique avec un accent à un amendement de la loi organique relative à la loi de

1
Préambule de la loi-cadre N° 69-19 portant réforme fiscale du 26 juillet 2021

18 LETTRE D’ARTEMIS 1er TRIMESTRE 2023


finances. Il faudrait, d’une part, instaurer une durée de vie
minimale des dispositions fiscales, et d’autre part, faire
une obligation pour les pouvoirs publics de recourir à la

1. FISCAL ET COMPTABLE
concertation publique avant l’adoption desdites dispositions
fiscales. Une telle mesure permettrait de garantir, à la fois un
minimum de stabilité juridique des normes et une meilleure
L’assimilation
prévisibilité au profit du contribuable.
de l’esprit
1.2 Le caractère rétrospectif des règles d’assiette
Contrairement à la rétroactivité juridique proprement dite
d’un texte fiscal
qui est censurée sur le plan constitutionnel, le caractère
rétrospectif des lois de finances constitue de nos jours
n’est pas toujours
la règle générale. En effet, ce phénomène qui est qualifié
par certains auteurs de « petite rétroactivité », consiste
une tâche aisée,
en l’application des dispositions fiscales nouvelles à des
revenus acquis avant leur publication.
notamment
En réalité, le recours excessif et généralisé à cette solution pour les petits
met le contribuable dans l’incapacité de prévoir le régime
fiscal applicable aux opérations effectuées durant l’année. contribuables
Ainsi, celui-ci doit attendre la publication de la loi de finances
pour déterminer la charge fiscale relative à des opérations
réalisées durant la période écoulée.
L’interdiction pure et simple du recours à la rétrospectivité
revenus, notamment lorsqu’il s’agit de vérifier le caractère
nous parait être de nature à rendre la politique budgétaire
répétitif des opérations de cessions immobilières réalisées
de notre pays plus rigide ; ce qui pourrait nuire à l’équilibre
par une personne physique. La question qui se pose à ce
budgétaire de l’Etat.
niveau concerne le seuil à partir de quel on peut conclure
Pour ces raisons, il serait opportun de limiter partiellement que le caractère répétitif de l’opération de vente ou de
le recours à cette possibilité en exigeant des pouvoirs construction est établi. Et par conséquent, l’imposition
publics de remplir plusieurs conditions avant l’adoption de doit s’effectuer dans le cadre des revenus professionnels
telles dispositions, particulièrement l’existence d’un motif au lieu des profits immobiliers ;
d’intérêt général qui justifie ce recours à l’exception de tout • La difficulté de distinction entre les opérations revêtant le
motif de nature financière (déficit budgétaire, par exemple). caractère d’une redevance et celle revêtant le caractère
d’une prestation de service à la lumière des conventions
1.3 L’ambiguïté des concepts et des notions clés en
fiscales internationales ;
matière d’assiette
• La difficulté de valorisation des biens meubles et
La divergence d’interprétation est un phénomène naturel immeubles cédés à titre gratuit ;
en droit. Cependant, lorsque cela devient trop fréquent, la
sécurité juridique du citoyen se trouve gravement impactée. À cela s’ajoute le fait que les règles fiscales actuelles ne sont
pas liées aux normes comptables en vigueur, particulièrement
Ainsi, l’ambiguïté qui porte sur plusieurs concepts clés en celles applicables à des secteurs d’activité spécifiques tels
rapport avec les règles d’assiette amène à conclure que le le secteur bancaire et le secteur des assurances (durée
pouvoir d’appréciation de l’administration ne se limite pas au d’amortissement des immobilisations, règles d’évaluation
champ défini par l’article 213 du Code Général des Impôts des actifs, constations des provisions,  etc.). Certes, les
(CGI), mais s’étend à toutes « les zones d’ombre » de ce divergences entre les règles comptables et les règles fiscales
code. Cette situation peut être illustrée par les cas suivants : sont corrigées d’une manière extracomptable, toutefois,
• Définitions absente ou partielle, telles que la mise à plus le nombre de corrections est important, plus le risque
d’erreur ou d’omission devient non négligeable.
disposition comme fait générateur des retenues à la
source, les charges revêtant un caractère de libéralité, la
distribution occulte des bénéfices, etc. ; 2 Le pouvoir de contrôle de l’administration fiscale :
• L’imprécision des règles de territorialité en matière Un encadrement juridique insuffisant
de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) concernant
particulièrement celles portant sur les prestations de Le droit de contrôle constitue l’ensemble des prérogatives,
des techniques et des moyens mis à la disposition de
service. Par exemple, la notion de « service exploité
l’administration fiscale, lui permettant de s’assurer de
au Maroc » pose des difficultés pratiques lors de
la bonne application par les contribuables des règles
son application ;
fiscales en vigueur. Nous pouvons résumer les critiques se
• Des conditions de déductibilité imprécises des provisions. rapportant à ce pouvoir comme suit :
À l’exception des provisions pour dépréciation des
comptes clients, dont les conditions de déductibilité sont 2.1 La remise en cause de la valeur probante de
fixées clairement par l’article 10, le caractère suffisant la comptabilité
des approximations des autres provisions demeure une Selon la Commission nationale du recours fiscal (CNRF),
question qui relève de l’appréciation de l’administration Une société ou une personne physique encourt un
fiscale lors des contrôles fiscaux ; risque significatif d’être confrontée à la problématique de
• La difficulté d’appréciation du caractère professionnel des l’article 213 du CGI notamment le rejet de comptabilité.

19
En fait, il a été estimé que ce risque peut atteindre 80 % pour le deuxième type. En effet, l’article 213 précise que
lorsqu’il s’agit des petites et moyennes entreprises (PME)2. l’opération peut être écartée si elle vise uniquement la
recherche des avantages fiscaux à l’encontre des objectifs
Cette statistique démontre qu’il s’agit d’un véritable
poursuivis par les dispositions législatives en vigueur.
problème rencontré par les entreprises marocaines, et qui
peut s’expliquer par le manque d’encadrement juridique de Cette formulation pose de sérieuses difficultés dans la
ce pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale. mesure où le contribuable n’est pas toujours capable de
cerner les objectifs poursuivis par le législateur à travers
En vue de limiter le recours à cette prérogative ayant un
l’instauration d’un régime fiscal. En effet, l’intention du
impact négatif sur la sécurité juridique des contribuables,
législateur n’apparait pas clairement dans les travaux
plusieurs solutions peuvent être adoptées :
parlementaires préparatoires ; ceux-ci sont généralement
• transformer la position de l’administration fiscale stipulée silencieux, voire inexploitables par le grand public.
dans la note de service du 16 mai 2017 qui met l’accent
De surcroit, un texte de loi est publiquement voté par les
sur la nécessité de tenir en compte le caractère significatif
des irrégularités graves constatées par les inspecteurs en parlementaires, et il serait irrationnel de considérer que
une disposition légale. Une telle disposition donnera plus cette assemblée aurait un seul esprit ou une intention
de force juridique et d’opposabilité à l’administration. unique dans la mesure où chacun d’eux a sa propre vision
par rapport au texte soumis au vote.
• mettre en place, tel que c’est en vigueur en France,
d’un nouveau dispositif à même de permettre aux Aussi, l’assimilation de l’esprit d’un texte fiscal n’est pas
entreprises de se prémunir contre le risque de rejet de toujours une tâche aisée, notamment pour les petits
leur comptabilité à l’occasion du contrôle fiscal. Il s’agit contribuables, pour supposer l’existence d’une seule
d’une mission qui peut être assurée par un expert- intention et un seul objectif visé par une norme fiscale. Un
comptable pour la certification de la valeur probante de gérant d’une PME, par exemple, n’aurait pas la capacité
la comptabilité à travers la vérification des irrégularités financière nécessaire pour faire appel à un conseiller fiscal
visées à l’article 213 du CGI. Cette solution contribuerait disposant de tous les moyens pour réaliser un travail aussi
à réduire les cas de rejet de la comptabilité pour les long et pénible portant sur les origines d’adoption d’une
raisons suivantes : disposition fiscale ancienne.

>> cette validation contraint les inspecteurs des impôts En vue d’encadrer partiellement ce pouvoir, il est possible
contraints à apporter des preuves formelles et des d’adopter plusieurs solutions :
motifs fondés pour mettre en cause une comptabilité • clarifier en permanence l’objectif poursuivi par le
validée par un expert-comptable ; législateur à travers l’instauration des dépenses fiscales.
>> la validation de la valeur probante de la comptabilité par Les contribuables pourraient, ainsi, sécuriser leurs
un tiers de confiance constitue un signal de civisme fiscal montages juridiques et pratiquer certaines techniques
et permet au contribuable de réduire les chances d’être d’optimisation fiscale légitimes qui échappent à la loupe
planifié pour un contrôle fiscal ; de l’abus de droit. Le mécanisme dans sa forme actuelle,
est susceptible d’éliminer toute tentative d’optimisation à
>> les entreprises, principalement celles n’ayant pas envisager par les contribuables ;
l’obligation de désigner un commissaire aux comptes,
seront encouragées à procéder à un audit permanent • rendre les avis de la commission consultative pour
de leurs comptes, en vue de bénéficier, en plus des recours pour abus de droit, opposables à l’administration
avantages classiques de la certification, de cette garantie fiscale et exiger la publication dans un délai précis de
fiscale protectrice contre le rejet de comptabilité. toutes ses positions ;
• la publication par l’administration fiscale d’une carte des
2.2 L’abus de droit  : un pouvoir éliminant pratiquement
toute possibilité d’optimisation fiscale pratiques et des montages abusifs.

Il s’agit d’un pouvoir qui permet à l’administration fiscale 2.3 Examen de l’ensemble de la situation fiscale : des
d’écarter toutes les opérations visant à éluder l’impôt ou à garanties insuffisantes
en réduire le montant qui aurait été normalement supporté, S’agissant d’une procédure à caractère sensible qui met
eu égard à la situation réelle du contribuable ou de ses sous la loupe le train de vie du contribuable, en analysant
activités, si ces opérations n’avaient pas été réalisées.
ses ressources et des dépenses personnelles, il serait
À ce propos, deux type d’abus peuvent être distingués : souhaitable de l’encadrer de la manière suivante :
• l’abus de droit par simulation qui correspond à un acte • exiger de l’administration l’information préalable du
juridique fictif réalisé par une entreprise en vue de contribuable avant d’entamer les opérations de contrôle
bénéficier indument d’un avantage fiscal ; et à l’instar de la vérification de comptabilité ;
• l’abus de droit par fraude à la loi qui consiste en un acte • exiger de l’administration l’implication du contribuable
juridique réel, mais qui correspond à un montage juridique au cours des travaux de contrôle à travers l’organisation
adopté seulement pour des considérations fiscales. de plusieurs débats oraux et contradictoires tout au long
de la procédure ;
Si le caractère fictif des actes dans le premier type d’abus
de droit ne pose pas de problème, il n’en est pas de même • limiter la durée du contrôle ;

2
 ohammed Fdil, ex-secrétaire général de la CNRF, contrôle fiscal problématique de l’article 213 du CGI « rejet de comptabilité – reconstitution
M
du CA ».

20 LETTRE D’ARTEMIS 1er TRIMESTRE 2023


• renverser la charge de la preuve qui incombe aujourd’hui la procédure contentieuse administrative. Il demeure, par
anormalement au contribuable. conséquent, légitime de se poser la question sur l’intérêt
pour le contribuable de recourir à ce mode de règlement

1. FISCAL ET COMPTABLE
des litiges tant que l’administration n’est pas contrainte
3 Procédures fiscales : des garanties juridiques de formuler une réponse dans un délai précis. Tout en
insuffisantes sachant que le défaut de réponse de celle-ci n’a aucun
La contrepartie du pouvoir de contrôle mis à la disposition effet juridique sur le sort du litige.
de l’administration est constituée par un ensemble de • l’absence d’un véritable débat durant la procédure :
garanties procédurales attribuées au contribuable visant la pratique démontre que le traitement de la réclamation
sa protection. Elles lui garantissent, d’une part, son droit est assuré par l’inspecteur sur la base des pièces
à l’information préalablement à toute action envisagée justificatives présentées par le contribuable et jointes
par l’administration et, d’autre part, un droit de défense à sa demande. Aucune obligation n’incombe à l’agent
dans le respect du principe du contradictoire régissant les instructeur d’entamer un débat avec le contribuable en
procédures d’imposition à l’échelle internationale. Toutefois, vue de mieux comprendre l’objet du litige. L’administration
plusieurs critiques peuvent être formulées à cet égard et qui semble être le seul acteur de cette procédure et le
peuvent être résumées comme suit : contribuable n’a qu’à attendre sa décision définitive.
3.1 La valeur juridique des garanties fiscales • l’incompatibilité en matière de traitement des
réclamations : la compétence en matière de traitement
Bien que la loi prévoie plusieurs garanties en faveur du
des réclamations est attribuée aux inspecteurs ayant émis
contribuable dans le cadre du contrôle fiscal, comme c’est
les impôts contestés. Ce mode d’organisation peut être
le cas de l’obligation de motivation des redressements,
analysé comme une véritable situation d’incompatibilité.
l’obligation de convoquer le contribuable à un débat oral
Il est difficile, en effet, d’admettre qu’un inspecteur ayant
et contradictoire, l’obligation de respecter le délai de
procédé au calcul et à l’émission d’une imposition se
communication de la demande de pourvoi du contribuable
charge lui-même de l’instruction de la réclamation portant
devant les commissions fiscales,  etc. L’article 220 du CGI
sur cette même imposition.
n’a fixé que deux motifs de nullité de la procédure. Cette
situation conduit à se poser la question sur l’intérêt de Afin de clarifier cette situation, un exemple frappant de la
toutes ces garanties si les sanctions correspondantes en cas valeur locative qui sert de base pour le calcul de la taxe
de manquement ne sont pas fixées clairement par le CGI. professionnelle et qui peut être fixée parfois par voie
d’appréciation directe de l’inspecteur des impôts.
Cette situation est de nature à vider les autres garanties de
leurs valeurs et d’enrichir davantage le contentieux judiciaire En cas de contestation par le contribuable de cette valeur,
dans la mesure où les parties du procès ont tendance à la réclamation est traitée par le même inspecteur qui
poursuivre la procédure jusqu’à la phase judiciaire en vue l’a évalué initialement.
d’obtenir une position du juge par rapport à un manquement
En vue de remédier à de telles anomalies qui sont de nature à
de la part de l’administration.
fragiliser la position du contribuable devant l’administration,
La solution consisterait à élargir les motifs de nullité de la il serait souhaitable de prévoir une sanction claire en cas de
procédure de rectification des bases d’imposition en vue de silence de l’administration telle qu’une suspension d’office
doter les garanties accordées au contribuable de plus de de la procédure de recouvrement forcée ou l’annulation de
poids juridique. toutes les impositions contestées3.

3.2 La procédure contentieuse administrative Par ailleurs, il est fortement recommandé d’instaurer des
brigades spécifiques pour le traitement du contentieux
Les droits émis peuvent faire l’objet d’une contestation administratif en vue de remédier également au problème
administrative par le contribuable conformément aux lié à l’incompatibilité.
dispositions de l’article 235 du CGI. La réclamation est traitée
par l’administration dans un délai de trois mois à compter 3.3 La protection du patrimoine du contribuable
de la date de son dépôt. C’est un mode de règlement des contre le recouvrement forcé
litiges fiscaux dont la gestion est confiée à l’administration
La suspension du recouvrement forcé des droits contestés
elle-même, afin de lui permettre de revoir ses décisions.
est prévue par les dispositions de l’article 117 du code de
Particulièrement celles entachées d’erreurs matérielles ou
recouvrement des créances publiques. Ainsi, le contribuable
d’irrégularités suite à une application incorrecte de la loi.
souhaitant suspendre le recouvrement des droits contestés
Sur le plan pratique, cette procédure souffre de plusieurs est amené à présenter au comptable public chargé
insuffisances qui sont de nature à limiter les garanties du du recouvrement, une des garanties visées à l’article 118
contribuable qui peuvent être résumées comme suit : du même code, et cela même en l’absence du caractère
définitif de l’impôt. L’évaluation du caractère suffisant
• le silence de l’administration  : aucune obligation
de la garantie présentée dépend du pouvoir d’appréciation
n’incombe à l’administration fiscale de traiter la
du receveur de l’administration fiscale.
réclamation du contribuable dans le délai de trois
mois visé à l’article 235 du CGI. Cela constitue une En réalité, cette possibilité n’est pas accessible à tous les
preuve irréfutable du déséquilibre des rapports entre contribuables. En effet, la valeur de la garantie doit être au
l’administration fiscale et le contribuable dans le cadre de moins égale au montant de l’impôt contesté, de plus, seules

3
Il est à signaler dans ce cadre que la loi sur la simplification des procédures administratives publiée en décembre 2020 prévoit déjà que pour
certains actes administratifs, dont la liste sera fixée par voie réglementaire, le silence gardé par l’Administration à l’expiration des délais prévus, sur
une demande de l’usager, vaut décision d’acceptation

21
les garanties de nature immobilière qui sont généralement contentieux portant sur une vérification de comptabilité.
admises par les comptables publics Cela est dû principalement au fait
dans la pratique. Ce qui rend que le droit fiscal est fortement
cet avantage hors de portée des dépendant du droit comptable.
petites contribuables. Un domaine lui-même purement
technique qui n’est pas maitrisé par
L’observation de la pratique
internationale permet de conclure
La situation les juges.
que plusieurs législations fiscales
étrangères accordent ce droit qui rend la matière Ce recours massif à l’expertise
judiciaire est de nature à
avec moins de contraintes. Il serait
souhaitable donc de le rendre plus fiscale sous aggraver l’insécurité judiciaire du
contribuable. D’une part, parce
accessible à travers l’adoption des
solutions suivantes : la tutelle implicite que la crédibilité des décisions
judiciaires est parfois compromise

de l’administration
en raison de l’approbation
• Accorder la possibilité de
automatique des conclusions de
suspendre le recouvrement forcé
l’expert par le juge et, d’autre part,
des impôts et taxes contestés en
cas de paiement partiel qui s’élève
fiscale peut impacter le délai nécessaire pour prononcer
le jugement devient excessif en
à une proportion bien déterminée
(30 % à titre d’exemple) des
négativement raison du recours systématique à
l’expertise judiciaire.
impositions contestées ;
la sécurité juridique • l’attitude de l’administration
• À défaut de paiement de la
proportion précitée, la suspension
est accordée d’office dans la
des contribuables par rapport à l’exécution
des jugements : la prise d’une
décision judiciaire exécutoire qui
limite d’un seuil fixé par décret. Le
constitue la finalité majeure du
surplus ne peut faire l’objet que recours judiciaire reste vaine si son
d’une mesure de recouvrement exécution est incertaine ou trop
de nature conservatoire. lente à l’issue du procès fiscal. Ainsi,
3.4 La procédure judiciaire fiscale la perspective du contribuable que la décision prise en sa
faveur n’ait aucune force exécutoire certaine le dissuade
Il s’agit de la dernière solution mise à la disposition du de recourir d’emblée à cette procédure.
contribuable pour défendre sa position, par conséquent,
la procédure doit être d’une efficacité incontestable en vue Dans la pratique, presque la moitié en moyenne
de préserver ses droits et de le protéger contre les abus des jugements sont exécutés durant l’année par la
éventuels de l’administration fiscale. DGI4. Ce retard ou manquement d’exécution peut
éventuellement entrainer des conséquences graves pour
Les critiques que nous pouvons formuler à cet égard les contribuables.
peuvent être résumées aux points suivants :
La problématique d’exécution des décisions ayant acquis
• l’inexistence d’une procédure judiciaire spécifique : la force de la chose jugée à l’encontre des administrations
contrairement à plusieurs législations étrangères est principalement due au vide juridique qui caractérise
disposant d’une procédure judiciaire applicable au la loi 41-90 instituant les tribunaux administratifs par
contentieux fiscal telle que celle de la Tunisie, le procès rapport à cette question. En effet, celle-ci stipule que
fiscal au Maroc est régi par les dispositions générales du « L’exécution des décisions des tribunaux administratifs
code de procédure civile et de la loi 41-90 instituant les s’effectue par l’intermédiaire de leur greffe. La Cour
tribunaux administratifs. Seules les questions portant sur suprême peut charger de l’exécution de ses arrêts un
le délai de contestation et la qualité des experts judiciaires tribunal administratif5 ».
ont été abordées par les articles 242 et 243 du CGI.
Force est de constater que le législateur n’a pas précisé
• la compétence technique des juges : actuellement, la les modalités pratiques de mise en œuvre des exécutions
complexité qui marque la matière fiscale dépasse même à effectuer à l’encontre des administrations publiques. Il
les juges fiscaux. En effet, nous assistons aujourd’hui à s’est limité seulement à déterminer la partie compétence en
un retrait du pouvoir discrétionnaire du juge au profit matière d’exécution, qui est dans le cas général, le greffe du
de l’expert judiciaire désigné dans le cadre du procès tribunal ayant pris la décision exécutoire.
fiscal. Certes, en vertu de la loi 45-00 régissant l’expertise
Or, il était nécessaire de prévoir en plus de cela l’ensemble
judiciaire ainsi que l’article 241 du Code général des
des moyens contraignants pouvant être mis en œuvre en
impôts. Celui-ci doit se prononcer sur des questions
vue d’exiger de l’administration l’exécution de la décision
techniques choisies par le juge, à l’exception des points
dans un délai raisonnable ainsi que les conséquences
de droit qui restent soumis à l’appréciation exclusive
juridiques qui peuvent résulter d’un éventuel rejet, implicite
du juge. L’expertise n’a donc qu’un simple caractère
ou explicite, de sa part.
consultatif. Toutefois, la réalité du contentieux fiscal au
Maroc remet en cause gravement ce postulat. En effet, À l’issue de ce travail de recherche, nous avons pu
l’expertise judiciaire en matière fiscale s’est transformée formuler un certain nombre de recommandations en
en un véritable outil de décision, notamment dans le vue de renforcer la sécurité judiciaire du contribuable,

4
Source: les rapports d’activité de la DGI publiés annuellement. 5
Article 49 de la loi 41-90 instituant les tribunaux administratifs.

22 LETTRE D’ARTEMIS 1er TRIMESTRE 2023


particulièrement à travers la mise en place d’une procédure soustraction, modification ou élargissement de son
spécifique prévoyant, entre autres, le délai de traitement des contenu. Néanmoins, la doctrine fiscale marocaine
dossiers, le cout de la procédure, les modalités de recours ne cesse de dépasser les limites du texte légal.

1. FISCAL ET COMPTABLE
à l’expertise judiciaire et le délai d’exécution des jugements L’administration fiscale se traduit parfois en un « véritable
par l’administration, etc. législateur », ce qui transforme sa doctrine en une source
indépendante de la fiscalité au Maroc.
Par ailleurs, à l’instar de la pratique internationale6, la
convergence vers une justice fiscale spécialisée est devenue Cette situation qui rend la matière fiscale sous la tutelle
de nos jours une mesure incontournable pour inciter les implicite de l’administration fiscale peut impacter
citoyens à percevoir le fisc comme un acteur citoyen qui négativement la sécurité juridique des contribuables.
leur permet de contribuer à l’essor économique et social de En effet, un débordement d’interprétation du texte peut
leur pays. En effet, cela contribuerait à l’amélioration de la éventuellement priver le contribuable d’un droit attribué
qualité de traitement des dossiers, au raccourcissement des par la loi ou lui faire supporter une obligation fiscale qui
délais et par conséquent au renforcement de la confiance n’est pas légale8.
du contribuable à l’égard de l’institution judiciaire. En vue de sécuriser le contribuable qui désire adhérer à une
4 La doctrine administrative en matière fiscale position exprimée par l’administration dans sa doctrine, il
serait souhaitable de doter notre législation fiscale d’un
La doctrine fiscale, constituée des circulaires et des notes cadre spécifique clarifiant la valeur juridique de celle-ci ainsi
de service de l’administration, devrait viser à la base deux que les conditions de son opposabilité à l’administration.
objectifs majeurs :. le premier est de créer un référentiel
commun aux inspecteurs pour qu’ils puissent appliquer la Cela permettrait à la fois de responsabiliser l’administration
loi d’une manière identique et le deuxième est de déclarer lors de la rédaction de ses circulaires et ses notes de service,
publiquement la position de l’administration par rapport de permettre au contribuable de se prévaloir de ses prises de
à la loi en vue de garantir au contribuable une assurance position devant les commissions fiscales et éventuellement
préalable sur la sécurité des choix fiscaux à faire. En d’autres devant le tribunal administratif, et enfin de le protéger
termes, la publication de l’interprétation administrative contre le changement rétroactif des positions doctrinales9.
permet au contribuable désirant adhérer à la position de Il serait également souhaitable d’améliorer la consultation
l’administration de sécuriser fiscalement ses décisions. fiscale préalable actuelle « Le rescrit fiscal », à travers
Néanmoins, cette raison d’être de la doctrine fiscale est l’élargissement de son champ d’application et la clarification
fortement controversée dans le contexte actuel pour les des effets juridiques résultants d’un éventuel silence
raisons suivantes : de l’administration.
• Une doctrine avec une valeur juridique incertaine. Dans le présent article, nous avons pu aborder quelques
Malgré la position dominante qu’elle occupe dans l’esprit insuffisances qui caractérisent la matière fiscale dans son
du contribuable, le Maroc ne dispose pas d’un cadre état actuel tout en proposant quelques recommandations
juridique spécifique à la doctrine fiscale. Par conséquent, d’amendement inspirées des meilleures pratiques à
l’opposabilité des interprétations administratives à la DGI l’échelle internationale. En réalité, le traitement exhaustif
n’est pas toujours garantie. de toutes les défaillances au niveau d’un seul article est
Si nous nous référons au droit français par exemple, inenvisageable. Il s’agit d’une simple contribution qui ne
nous constatons que l’opposabilité de la doctrine fiscale prétend pas répondre à toutes les insuffisances du système
française est prévue clairement par la loi. C’est une fiscal marocain.
garantie incontestable pour le contribuable français qui Il serait intéressant d’effectuer cet exercice périodiquement
a déjà adhéré à une position de l’administration fiscale. en impliquant tous les professionnels (Experts-comptables,
Cette garantie n’est pas offerte malheureusement par avocats, notaires, universitaires, etc.) et les groupes d’intérêt
la loi marocaine où un contribuable qui a appliqué une en vue de réussir ce chantier entamé par le pays ces dernières
interprétation favorable déclarée par l’administration7 années. Il est clair que la mise en place d’une sécurité fiscale
n’aura pas la certitude de se prévaloir de cette interprétation parfaite est un objectif difficile, voire impossible à atteindre
devant les commissions fiscales ou devant le tribunal, en de par la nature instable du droit fiscal ajoutée au risque
l’absence d’un cadre juridique qui oppose d’une manière permanent d’adopter des dispositions ambiguës ou avec
expresse cette interprétation à l’administration. D’autant des garanties insuffisantes.
plus que les positions jurisprudentielles par rapport à
cette question ne sont accessibles ni au public, ni même Cependant, la surveillance permanente de la qualité des
aux juges des tribunaux administratifs. normes fiscales à travers la publication des rapports
périodiques portant sur la question et la mise en place d’une
• Un débordement d’interprétation répétitif. Comme dynamique de révision des lois y afférentes, permettraient
nous l’avons signalé plus haut, la complexité du droit d’atteindre un niveau raisonnable de sécurité juridique et de
fiscal marocain le met en terrain fertile et favorable à l’améliorer au fil du temps. En définitive, de telles mesures
l’interprétation. La doctrine devrait, en principe, expliquer peuvent encourager les investissements nationaux et
le texte avec des termes précis et clairs, loin de toute internationaux, et maintenir la paix sociale .

6
 xemples : L’Allemagne dispose de tribunaux spécialisés dans le
E
contentieux fiscal. La France dispose également de chambres contribuable de ses droits légaux ont été cités dans notre mémoire.
spécialisées dans la matière fiscale au sein des tribunaux administratifs. 9
L e changement rétroactif de la doctrine peut être défini comme une
7
 l’occasion de notre de travail de recherche, nous avons cité plusieurs
A nouvelle interprétation qui a remis en cause l’ancienne interprétation,
positions favorables exprimées dans les circulaires de la DGI. mais qui a été appliquée à des faits nés avant sa publication (plusieurs
8
Plusieurs exemples illustrant ces dépassements qui privent le exemples ont également été cités au niveau du mémoire).

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N° 26 - 1 ER Trimestre 2023 BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION JURIDIQUE ET FISCALE

1. Fiscal et comptable
LES NOUVELLES STATIONS
DE DESSALEMENT DE
L’EAU DE MER AU MAROC :
Modèles juridique & financier
et proposition de règles comptables
et fiscales particulières
SÉCURITÉ JURIDIQUE
EN DROIT FISCAL MAROCAIN :
Analyse critique et recommandations
de renforcement

2. Juridique
RÉFORME DU DROIT DE
LA CONCURRENCE AU MAROC :
Principaux apports des lois n°40-21 et n°41-21

L’ETAT ET LE RÉGULATEUR SECTORIEL


DES TÉLÉCOMMUNICATIONS :
Une affaire de co-régulation ou
de régulation consolidée
LA RESPONSABILITÉ DU BANQUIER
EN SA QUALITÉ DE COMMETTANT

Conseil de la concurrence :
Une régulation évolutive pour
une économie plus compétitive
M. AHMED RAHHOU
Président du Conseil de la concurrence

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