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Philippe Hamman
Sociologie urbaine
et développement durable
Licence
Master
Doctorat
Sommaire
Introduction 7
Conclusion 157
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Introduction
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Sociologie urbaine et développement durable
3 Christian Thuderoz souligne également que la négociation est « générative » : elle produit
des interactions sociales nouvelles (2010, p. 28).
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Introduction
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Sociologie urbaine et développement durable
D’autre part, les mises en œuvre sont partielles et en deçà des objectifs
avancés. Pierre Lascoumes regrette ainsi le fait que « les références au DD
paraissent […] souvent aller d’une grande idée à de petites manœuvres et se
présenter comme un contenant sans grande consistance et à faible capacité
performative malgré la prégnance des discours » (2008, p. 107).
Comment, en d’autres termes, aller par delà une dénonciation de l’« effet
vitrine » du DD, toute fondée que soit la critique ? Cette aporie est norma-
tive, en particulier lorsqu’elle est retraduite sous les vicissitudes du passage
du « global » au « local » (Bombenger, Christen et Piquette, 2011). Dans les
faits, l’appel à la « proximité » en DD urbain se déploie diversement et traduit
la complexité des dimensions entremêlées, singulièrement entre le procé-
dural (notamment le registre de la démocratie locale et de la participation
citoyenne) et le substantiel. Par exemple, lorsqu’il est question de favoriser le
commerce urbain dit de proximité, les arguments du volet économique du DD
ne doivent pas cacher que le commerce dans la ville exerce un double effet,
plus compliqué, à la fois structurant et déstructurant, entre localisation d’acti-
vités et d’emplois, déplacements induits pour les clients, etc. (Gasnier, 2010).
Sortir de schèmes simplificateurs nécessite de déconstruire la fausse évidence
de l’impératif du DD. Ce répertoire est produit aussi, voire d’abord, comme
un mode de légitimation par et pour certains acteurs et groupes sociaux, plus
que d’autres, afin de susciter l’adhésion citoyenne. Or, la notion floue de DD
se rapporte à des énoncés, à des expériences et à des pratiques très diffé-
rents. Elles ont néanmoins en commun la transversalité des enjeux, compte
tenu de la diversité des acteurs et des échelles d’action impliqués – par
exemple, si on s’en tient aux aires urbaines : le bâti, la ville, l’agglomération,
la métropole. La mobilisation du DD se comprend alors en relation avec les
transformations des périmètres de l’action publique locale, à l’exemple des
processus intercommunaux et de métropolisation, qui impactent les com-
pétences et les ressorts de légitimité des décideurs : se réclamer d’actions
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Introduction
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Sociologie urbaine et développement durable
Une approche par les référentiels se conjugue avec celle qui inventorie les
activités et les instruments mobilisés pour mettre en œuvre ces activités.
Pour ce faire, le livre revient sur les enjeux de la territorialisation du DD dans
les espaces urbains, de façon inédite, à l’aide de l’outillage des transactions
sociales. Nous montrons en particulier comment l’introduction d’un raison-
nement en termes de DD urbain modifie les logiques et les catégories de
raisonnement des acteurs publics locaux et comment, dans le même temps,
celles-ci (encore instables) se construisent selon des processus territoriali-
sés. Ce faisant, l’ouvrage offre une grille de lecture de pratiques en cours de
construction.
Le territoire se lit comme un espace social vécu, marqué par des relations
de pouvoir, un espace d’identité et d’appartenance, c’est-à-dire un espace
investi par des acteurs et des groupes qui se l’approprient et l’organisent
(Bonnemaison, Cambrezy et Quinty-Bourgeois, 1999 ; Cherqui et Hamman,
2009). En même temps, « le territoire, plus que l’appareil d’État, constitue
désormais le lieu de définition des problèmes publics » (Duran et Thoenig,
1996, p. 582), et aussi celui des actions collectives que ce processus sus-
cite. C’est autant la construction sociale des problèmes que la production
des problèmes politiques et leur mise sur agenda qui s’inscrivent dans un
rapport – mouvant – entre espaces et sociétés et qui réinventent leurs rela-
tions. Le territoire est aujourd’hui « le lieu d’inscription des conséquences
de toute action […]. Il définit en fait l’espace des conséquences d’une poli-
tique » (Duran, 1999, p. 50). En cela, le principe même de la territorialisa-
tion – entendue au sens générique, qu’elle soit organisée ensuite localement,
nationalement, etc. – consiste à traiter des lieux à problèmes, c’est-à-dire
qu’elle est « normative » (Béhar, 2000) et, à travers les institutions qui l’incar-
nent, rencontre les mobilisations et la citoyenneté, sur un mode institutionnel,
participatif ou protestataire.
À ce titre, le territoire éclaire la question du DD, à la fois parce qu’il en est
le lieu d’opérationnalisation et parce qu’il en révèle de ce fait la complexité
et les tensions, ainsi que les tentatives pour les dépasser. Le point de départ
repose à nouveau sur le constat du flou qui entoure la notion de DD, et plus
encore ses usages. Le signifiant fédérateur du DD urbain est principalement
décliné sous deux aspects. D’abord, ressort la dimension « multi », soit des
enjeux qui irriguent toute l’action publique locale et s’incarnent avec peine en
un interlocuteur unique, tant ils relèvent d’une multiplicité d’acteurs et de ser-
vices dans l’architecture des collectivités territoriales. Il en va aussi de secteurs
et d’instruments divers, qu’il s’agit de penser ensemble. Corrélativement, se
dégage un aspect « inter », selon lequel la propriété première des politiques de
DD urbain tiendrait à leur transversalité, doublée de celle du profil des acteurs
qui les portent. Cette entrée relationnelle invite à combiner une double focale
portant sur les compétences et les échelles des acteurs, en relation avec les
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Introduction
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Sociologie urbaine et développement durable
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Introduction
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Sociologie urbaine et développement durable
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Chapitre 1
Genèses et filiations du développement
durable urbain
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Sociologie urbaine et développement durable
1 Gro Harlem Brundtland a présidé de 1983 à 1986 la Commission de l’ONU sur l’environ-
nement et le développement ; elle a également été Premier ministre de la Norvège à la fin des
travaux de la commission. Ils ont débouché sur un rapport intitulé Notre futur commun (publi-
cation en 1988 sous le titre Notre avenir à tous, Éditions du Fleuve, Montréal).
2 Cet historique s’appuie sur les travaux de Zaccaï, 2002 ; Brunel, 2004 ; Vivien, 2005 ;
Charles et Kalaora, 2007 ; Zuindeau, 2010.
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Genèses et filiations du développement durable urbain
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Sociologie urbaine et développement durable
3 L’expression développement durable qui s’est imposée en France est une traduction par-
fois pointée comme réductrice de l’anglais sustainable development, qui exprime l’idée de
prudence et de précaution. Aussi certains auteurs préfèrent-ils employer le terme développement
soutenable, à l’instar de Franck-Dominique Vivien (2005) en économie. Il est vrai que tout ce qui
dure longtemps (le béton…) n’est pas nécessairement « durable ».
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Genèses et filiations du développement durable urbain
4 Une part significative de la littérature retient cette perspective, notamment en science poli-
tique. Par exemple, Nathalie Berny (2008, p. 97) étudie « les ressources de réseau et d’infor-
mation, [comme] conditions et facteurs de changement de l’action collective » dans le cas du
lobbying des organisations non gouvernementales internationales d’environnement à Bruxelles.
Sur les négociations environnementales en termes d’écopolitique internationale, cf. Orsini et
Compagnon, 2011, ou encore, sur la dimension symbolique des politiques européennes en DD
qui permet aux institutions communautaires de (se) produire une représentation d’elles-mêmes
conforme à un travail de construction d’affiliation à l’Europe, Baker, 2007.
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Sociologie urbaine et développement durable
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Genèses et filiations du développement durable urbain
Plus précisément, toutefois, Michel Marié (1998) a défini la ville à travers trois
types de rationalité : la ville comme techné, c’est-à-dire une rationalité de
la pratique et de la pensée liée à une logique de l’ingénieur ; la ville comme
polis, renvoyant à la sphère politique, en termes de contraintes et de négo-
ciations ; et la ville comme metis, apparaissant comme un espace de mixité,
de mises en relation, d’hybridation progressive par frottement des pratiques
sociales et des énonciations.
Il convient de se méfier de toute représentation trop unique. Ainsi, Max
Weber, qui cite le vieil adage germanique, rappelle-t-il également que les liber-
tés urbaines (marchandes, politiques) se sont souvent affirmées à la faveur de
privilèges, conquis ou octroyés, qui représentent autant de coupures entre la
ville et son environnement. De plus, la ville a aussi été vue comme un lieu
d’échouage, de relégation, de perte de liberté : il suffit de penser aux muta-
tions de la figure ouvrière au cours du XIXe siècle, où la liberté est associée à
l’ouvrier-paysan (celui qui va prioriser le calendrier agricole des récoltes sur le
travail à l’usine, par exemple) ou l’ouvrier-artisan (celui qui détient un savoir-
faire et l’exerce souvent de façon autonome, voire à façon), et non à l’ouvrier
des grandes concentrations industrielles urbaines : ce dernier subirait particu-
lièrement l’aliénation dans les ateliers, et serait corrompu en divers lieux de la
ville (bar, cabaret, etc.) (Hamman, 2005).
En termes plus contemporains, la thématique de l’exclusion sociale et spa-
tiale dans la ville a été largement questionnée, en particulier quant à la « poli-
tique de la ville » en France. Par exemple, la délimitation de « zones franches
urbaines », destinées à mieux positionner des quartiers dits sensibles dans les
villes et agglomérations concernées, a en fait souvent matérialisé plus encore
des frontières intériorisées (Sélimanovski, 2008). Les villes représentent des
espaces de cristallisation du social, et celle-ci se joue en particulier – et plus
encore à mesure de la croissance et de l’extension urbaines8 – dans les mises
en forme et en catégorie d’enjeux et de territoires qui s’enchevêtrent. À ce
propos, les quartiers d’exclusion sociale ne sont qu’une déclinaison parmi
d’autres des nombreuses frontières, visibles ou invisibilisées, que l’on décèle
au sein des villes actuelles, parfois derrière l’injonction à la « mixité » (Espaces
et sociétés, 2010). Cette dernière se retrouve dans des projets d’éco-quar-
tiers et a été largement désidéalisée, notamment lorsque cet objectif affiché
se réduit à la présence de classes moyennes jugées pacificatrices (Béal, 2011,
p. 252). Les lieux marqués par une volonté de protéger un « entre soi » font
eux aussi frontière, sinon enfermement, qu’il s’agisse des catégories supé-
rieures – Les ghettos du gotha, pour Monique Pinçon-Charlot et Michel
Pinçon (2007) – ou, plus largement, des ensembles d’habitats dits « résidenti-
alisés ». On observe ainsi des processus de « polarisation sociale de l’urbain »,
8 Processus qu’a pointé Jacques Lévy (1999) : à mesure que l’espace urbain s’étale, les enjeux
de différenciation interne à cet espace s’accroissent.
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Sociologie urbaine et développement durable
que Jacques Donzelot (2004) a soulignés dans son modèle de la « ville à trois
vitesses ». La relégation (dans les quartiers périphériques d’habitat social), la
périurbanisation (l’extension des lotissements pavillonnaires et des banlieues
résidentielles) et la gentrification (comme forme spécifique d’« embourgeoi-
sement » des quartiers anciens des centres-villes : Collet, 2012 ; Espaces et
sociétés, 2012) correspondent respectivement à la construction d’entre-soi
contraints, protecteurs ou sélectifs.
De la ségrégation dans la ville, on en arrive à une fragmentation de la ville.
Or, de ce point de vue, les actions en faveur du DD, si elles suscitent du lien
et se donnent pour objectif de réduire les inégalités environnementales9,
sont aussi susceptibles d’induire de nouvelles lignes de partage, à mesure
qu’elles irriguent l’action publique locale, par exemple entre les éco-quartiers
ou les immeubles labellisés pour leurs performances énergétiques et ceux
qui ne le sont pas (Espaces et sociétés, 2011a, 2011b). Les propositions
d’urbanisme insulaire en DD posent la question des mises à distance et de
l’érection de nouvelles frontières dans les aires urbaines, fussent-elles maté-
rialisées par des espaces de « nature en ville », à l’exemple du concept d’« île
de vie » de l’architecte Christian de Portzamparc, qui est notamment inter-
venu sur l’opération des Jardins de la Lironde à Montpellier. On sait que les
gated communities anglo-saxonnes10 ont donné lieu à des débats en socio-
logie urbaine (Paquot, 2009 ; Stébé et Marchal, 2010, pp. 129-148). Les
architectes Pierre Lefèvre et Michel Sabard esquissent un parallèle : « Ces
îles séparées les unes des autres par de larges espaces arborés ne risquent-
elles pas de devenir rapidement des gated communities, pour peu qu’elles
soient réservées à des populations homogènes et si possible aisées ? » (2009,
pp. 55-56).
En effet, ce qui se veut un « nouvel urbanisme » en DD renvoie de façon
centrale à la production de valeur attachée à un lieu (Ascher, 2004), c’est-à-
dire concrètement à un morceau de ville – par exemple un éco-quartier – et
non à l’ensemble d’une aire urbaine, ou du moins pas davantage que les
politiques « sectorielles » par le passé. Or, comme l’écrit Jacques Donzelot,
« il est impossible de valoriser un quartier sans attirer ceux qui peuvent aisé-
ment s’offrir les logements libres et provoquer, pour le coup, une hausse de
marché » (2004, p. 34).
9 Selon Cyria Émélianoff (2010, p. 223), l’inégalité environnementale « met en jeu des dif-
férences d’exposition, de perception et de capacités de protection, d’une part, et, d’autre part,
d’accès aux ressources et aménités environnementales, la plupart du temps par la médiation de
politiques publiques (traitement de l’eau, politiques d’espaces verts ou paysagères, politiques de
transports, de limitation de la circulation automobile, etc.) ». D’autres chercheurs étendent cette
définition au cadre de vie et à la dimension de l’« accès à », par rapport aux équipements et ser-
vices publics. En termes de mobilités urbaines, voir Orfeuil, 2008, pp. 19-49.
10 Communautés fermées, qui correspondent à une tendance des classes moyennes à se pro-
téger du monde urbain perçu comme source d’insécurité.
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Genèses et filiations du développement durable urbain
Cette évolution des politiques urbaines peut aussi se lire comme une inscrip-
tion néomanagériale, en termes d’attractivité territoriale et de concurrence
entre villes, où d’aucuns évoquent une « instrumentalisation du discours [du
DD] à des fins uniques de compétitivité urbaine » (Béal, Charvolin et Morel-
Journel, 2011, p. 80). En sens, le DD urbain est de plus en plus considéré
par les décideurs locaux comme un moyen d’accroître le développement éco-
nomique d’une aire urbaine (While, Gibbs et Jonas, 2004), c’est-à-dire un
moteur de croissance. L’investissement au cours de la décennie 2000 des
grandes villes sur ce « créneau » le traduit11. On repère alors des processus
participant d’une « éco-gentrification » des villes, dynamique soulignée dès
2003 dans le cas britannique (Lees, 2003). Les circulations élargies de la
notion de « ville durable » à l’heure actuelle font que les questions environne-
mentales ne sont plus à l’écart des stratégies de compétition urbaines ; elles
s’y insèrent. Ceci participe de leur diffusion, mais cela se marque aussi dans
de nouvelles fragmentations possibles, sociales et spatiales. Car ces processus
se comprennent en relation avec les initiatives des collectivités elles-mêmes,
y compris dans les dispositifs de « participation ». On pense aux stratégies
de développement économique visant à la transformation de certains quar-
tiers12, qui ne se limitent pas au phénomène « bobo » – les bourgeois bohê-
mes souvent cités au titre de la gentrification. En fait, les deux dynamiques
sont cumulatives : la « nature en ville » vient rencontrer les demandes et
attendus des classes moyennes urbaines (Smith, 1996). Dans ce contexte,
le référentiel du DD prend place dans des stratégies de positionnement de
la ville dans la compétition territoriale et métropolitaine (régionale, nationale
ou internationale), ce qui passe par l’entretien voire la promotion d’espaces
segmentés, notamment pour les classes supérieures, et élude le pan social du
DD (Dooling, 2009 ; Béal, 2011).
Comme l’a exprimé Richard Sennett, la thèse de la liberté et de l’ouverture à
l’autre que favorise la ville, permettant de faire émerger des solutions nova-
trices pour de vieux problèmes, contient en soi son antithèse, le contrôle et
la rationalisation (2002, p. 43 sq.). La diversité croissante pousse à la mise
en place de structures bureaucratiques destinées à encadrer une société de
plus en plus fragmentée. La question des « quartiers » dans la politique de
la ville en France l’incarne (Tissot, 2007). Les enjeux de la « ville durable »
traduisent également cette dialectique entre davantage de relations et de
contacts, mais aussi des modes d’emprise institutionnels qui se font sentir. En
effet, le régime de la modernité amène les acteurs à négocier tant sur le plan
collectif qu’individuel, et donc à réaliser un travail sur eux-mêmes, comme l’a
montré Bernard Francq (2003) dans le cas des urbanités. La ville moderne est
« incertaine », au sens où elle déborde des frontières précises, pour devenir
11 Voir notamment Émélianoff, 2007, dans le cas des politiques relatives au changement
climatique.
12 Sur cette tendance repérable dans les « villes perdantes », voir Rousseau, 2008.
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Sociologie urbaine et développement durable
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Genèses et filiations du développement durable urbain
de villes en transition vers cette “ville durable” souhaitée » (2011b, p. 12). Or,
on sait que des réalisations effectives apportent localement un ancrage maté-
riel qui facilite aussi la diffusion d’un répertoire, au-delà de la dimension per-
formative initiale dont dispose l’énoncé du DD urbain (Benhayoun, 1999).
Comme l’écrit Yann Ferguson, « le développement urbain durable présente
l’étrange particularité d’épouser un consensus social, malgré un contenu
encore largement en chantier. […] Le concept motive le changement qui en
retour participe à le préciser » (2011, p. 361).
Qui plus est, ces évolutions se font via des appropriations variables par rap-
port aux événements internationaux consacrant le DD. Le processus est com-
plexe : il ne s’agit pas de reprise à l’identique, ni des thèmes ni des modes de
justification, pas plus que de transpositions immédiates ou linéaires en termes
de temporalités. Au contraire, à partir d’un référentiel en DD qui se diffuse,
des cheminements propres à chaque territoire, à chaque ville, se repèrent et
sont de nature à nourrir la réflexion.
Le cas de l’Agenda 21 du Grand Lyon est significatif de ces modes de cir-
culation13. C’est en 1992, dans le prolongement du Sommet de Rio, qu’est
élaborée une Charte de l’Écologie urbaine, parmi les premières à être adop-
tées en France. Dans ce document (sans valeur contraignante), la collectivité
s’engage à améliorer l’environnement et la qualité de vie sur son territoire.
Un fascicule présente les objectifs à atteindre et une centaine d’actions sont
détaillées autour de dix thèmes : les territoires urbains, les territoires périur-
bains, l’eau, les déchets, l’air, le bruit, l’énergie, les risques, l’Observatoire de
l’environnement (devant assurer le suivi et l’évaluation des actions), l’infor-
mation et la sensibilisation des publics. Une deuxième Charte de l’Écologie
urbaine suit en 1996. Corrélativement, la Communauté urbaine lance éga-
lement en 1992 une réflexion sur le Plan de déplacements urbains (PDU),
destiné à favoriser « un espace de qualité où tous les usagers puissent vivre en
harmonie », notamment autour de la promotion des transports en commun
(TC) comme alternative à la voiture en ville. Le PDU est approuvé en 1997, il
comprend la création de deux lignes de tramway, une charte d’aménagement
des espaces piétons et un plan vélo.
En 1999, la signature de la Charte d’Aalborg, charte européenne des villes
durables, représente un engagement formalisé du Grand Lyon en DD qui se
situe cette fois à l’échelle européenne. L’adhésion est renouvelée en 2004,
alors que le réseau a pris de l’ampleur. En 2000 et 2001 sont votés deux
documents de planification. Le projet d’agglomération, dit « 21 priorités pour
le XXIe siècle », affirme un objectif de DD : « Le Grand Lyon doit mettre le
DD au cœur de toutes ces politiques » ; et un Agenda 21 local est inscrit au
plan de mandat, par lequel la collectivité entreprend un travail de traduction
13 Pour un cadrage sur les projets urbains lyonnais de ces dernières années et leur régulation,
cf. Boino, 2009.
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Sociologie urbaine et développement durable
territoriale des enjeux de DD. Il est question d’un nouveau « temps des vil-
les », où ces dernières auraient un rôle prépondérant en termes économi-
ques, culturels et d’implication croissante des habitants. En ce sens, le Grand
Lyon instaure en 2001 un Conseil de développement, défini comme un « lieu
de débats et de propositions » qui rassemble des représentants de la « société
civile » (environ 500 personnes sont associées). En 2002, sont organisés, en
termes de production de visibilité, des « Dialogues pour la Terre » et le pré-
sommet « Santé et DD », en amont de la participation de la Communauté
urbaine au Sommet mondial de la Terre de Johannesburg la même année ;
elle y intervient autour de la place des collectivités locales dans la mise en
œuvre du DD.
Sur un plan organisationnel, en 2003, de nouvelles missions sont créées au
sein de la direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon,
rattachée à la Direction générale des services : les missions « Agenda 21 »,
« Concertation » et « Espace des Temps ». C’est là un marqueur de l’inté-
gration des problématiques de DD par l’institution. En particulier, la mis-
sion Agenda 21 accompagne les services communautaires dans la prise en
compte du DD, principalement via le groupe des Correspondants DD, soit
30 agents qui représentent les différents services.
Le répertoire de la démocratie participative est également investi en 2003.
D’une part, une Charte de la participation est actée, en lien avec le Conseil
de développement ; d’autre part, les « Dialogues en Humanité » sont lancés,
manifestation qui veut « initier et soutenir une réflexion permanente et col-
lective sur la question humaine ». En outre, un « Plan de déplacements des
modes doux du Grand Lyon » est mis en place, symbolisé par le service de
location de vélos « Vélo’v ». Des « stations vélos » situées au terminus des
lignes de bus, tram et métro et dans les gares, sont aussi progressivement
créées sur Lyon et Villeurbanne. Dans la même optique, la révision du PDU
reprend les orientations de 1997 en faveur des modes doux et des transports
collectifs. Une volonté de limiter la place de la voiture dans l’espace public
est avancée, avec la révision des plans de circulation, la hiérarchisation du
réseau de voirie de l’agglomération et le développement de « zones 30 » dans
plusieurs quartiers.
En 2004 est lancée la démarche d’élaboration de l’Agenda 21 de la
Communauté urbaine, avec un comité de suivi politique regroupant plusieurs
vice-présidents, qui a pour mission de coordonner le projet. Un Agenda 21
du territoire est ensuite voté en mai 2005. Alors que, par rapport à d’autres,
le Grand Lyon est couramment retenu comme une collectivité active en DD,
voire pionnière sur certains aspects, la formalisation du document – ce qui ne
veut pas dire son application concrète – nous amène pas moins de treize ans
après le Sommet de Rio, déclencheur de la démarche. Le processus montre
aussi que les décideurs sont passés par un Agenda 21 institutionnel, portant
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Genèses et filiations du développement durable urbain
sur la collectivité elle-même, avant de mettre sur pied un Agenda pour l’aire
urbaine. Ceci invite à mettre à distance toute « naturalité » des politiques
urbaines en DD. Le registre est piégeux : il recouvre des réalités différentes,
qu’il masque ou unifie à première lecture, et favorise ainsi des modes d’appro-
priation où chacun peut trouver ce qu’il veut y voir ou pas.
29
Sociologie urbaine et développement durable
Cette pluralité des signifiants du DD urbain est d’autant plus forte qu’elle
s’entend à un double niveau : entre secteurs d’intervention, mais aussi entre
échelles de perception et d’action, à la fois spatiales (global/local) et tempo-
relles (court/long terme).
30
Genèses et filiations du développement durable urbain
31
Sociologie urbaine et développement durable
« Une durabilité faible […] cherche seulement à réduire les impacts négatifs
ou à augmenter les impacts positifs. Nous proposons de définir plutôt une
durabilité forte qui s’appuie sur la transversalité, la recherche de synergie et
la participation des acteurs, afin de créer de véritables dynamiques de projet »
(2011, p. 18). Toutefois, là encore, toutes les définitions ne se recouvrent
pas, et certains utilisent le distinguo « durabilité faible/forte » relativement à
des lectures plus économiques ou plus écologiques du DD14. Cela montre du
moins que la présentation classique en trois piliers présente l’inconvénient
d’être interprétée comme un enjeu à plusieurs variables où il s’agit de favo-
riser des actions sur deux ou trois des volets – à l’exemple de la démarche
HQE (Haute Qualité Environnementale) dans le bâti (Madec, 2002 ; et infra,
chap. 3, §4.3). La théorie du DD, qui se comprend non seulement comme
une conciliation mais aussi comme un équilibre entre les trois pans, porte
alors en elle sa propre relativisation.
De plus, un référentiel « culturel » est également mis en avant parmi les acteurs
locaux. Il est même présenté comme un « quatrième pilier » à part entière du
DD par certains, en particulier à Lille et à Nantes. Un fonctionnaire municipal
nantais déclare : « Tout le monde connaissait les trois points principaux du
DD. Nous, on en a mis un quatrième, le culturel, qui a été repris aujourd’hui
par beaucoup de collectivités. […] Parce qu’il y avait un patrimoine, il y avait la
culture locale, donc c’est d’abord une prise de conscience pour aller aussi vers
des pratiques différentes » (entretien, Nantes, 19/06/2007). Cette extension
s’entend à la fois au sens de l’offre culturelle et de l’accès à des équipements,
de l’interculturalité comme partage d’espaces urbains et d’une acculturation
aux enjeux de la « ville durable ». C’est aussi le cas de travaux interrogeant
la notion de patrimoine en DD ; ils revisitent un clivage développement vs.
protection posé de façon trop unique, mais qui s’est révélé structurant dans
les débats autour de l’écologie et aujourd’hui de l’aménagement durable des
territoires (Maillefert, Petit et Rousseau, 2010).
D’autres chercheurs identifient la démocratie comme un quatrième pan pos-
sible. André Petitat en fait même le troisième pilier du DD, en lieu et place
du social, écrivant : « La configuration normative du développement durable
(DDD disent certains) […] se trouve au carrefour de plusieurs dimensions, dont
les trois principales sont l’économie (Développement), l’écologie (Durable)
et la politique (Démocratie) » (2012, p. 221). Plus largement, de nombreux
analystes soulignent que la mise en œuvre de politiques locales en DD passe
par des modes collectifs de délibération et de transaction (Zuindeau, 2010).
Ceci traduit, là encore, une élasticité notionnelle dont les acteurs et prati-
ciens font usage. Le DD urbain relève d’une mise en rapport d’impératifs
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Genèses et filiations du développement durable urbain
Équitable
Économique Social
Durable
Viable Vivable
Environnemental
33
Index des notions
191
Sociologie urbaine et développement durable
192
Index des notions
193
Sociologie urbaine et développement durable
194
Index des notions
périmètre 10-11, 17, 37-38, 42, 134, 139, 141-146, 150, 152,
157, 159, 161 155-156, 158, 160-163
personnalisation/personnaliser 59, proximité 9-10, 45, 89, 103, 121-
70, 128 122, 128, 131, 142, 145
pilier (du DD) 31-34, 40, 46, 65,
126 Q
planétaires (enjeux) 10-11, 18, 26, qualité 27, 34, 43, 46, 57, 63-65,
103, 114, 141, 157, 163 67-68, 77, 89, 104, 106, 136-
planète 10, 18-21, 37, 51, 95 137
politique de la ville 11, 23, 25, 56, quartier 23-25, 28, 36, 38, 45-46,
61-62, 76, 142, 144-145, 162 48, 56, 60, 62-66, 73, 76,
politisation 56, 58, 60 86-87, 89, 91, 93, 98-100, 105,
portage politique 13, 55-56, 58-59, 110, 115-116, 121-124, 130,
117, 120, 160, 162 142, 145, 157, 159
précaution 20, 50, 102-103, 158 quartier durable 48, 65, 66, 93,
principes (en DD) 8-9, 14-15, 20, 100
29, 34, 38, 40, 42, 47-48, 50,
53, 61, 81-85, 87, 90-95, 100,
R
102-103, 107, 109-111, 114-
récit 18, 50-52, 70, 138, 162
117, 122, 126, 128, 130, 134,
référentiel 12, 25, 27, 32, 67, 76,
136, 141, 147, 153, 155, 157-
104, 115, 146
158, 161
règle 72, 81, 89-92, 94, 100, 115-
priorisation/priorité 14, 30-31, 41,
117, 120, 133-134, 136, 139,
57, 67, 69, 74, 99, 104, 110,
142, 161
113, 117-118, 158, 162
régulation 11, 13, 27, 30, 33, 36,
procédural 9-10, 13-14, 33, 47,
51, 92, 99-100, 120-121, 134,
50, 53-54, 82, 109, 120, 137,
139, 140-141, 159, 163
158
renouvellement urbain 66, 68, 86,
processuel/processus 8-11, 13-15,
93-94, 105, 139, 149, 154, 162
18, 22-23, 25-28, 34, 38-39,
rénovation urbaine 56, 62-63, 142
40-41, 45, 48, 50-51, 53, 55,
répertoire 7, 9-11, 13-15, 27-29,
58-59, 64-65, 68, 74-75, 77, 79,
33, 39, 42, 47, 49-55, 61-63,
81-83, 88, 92-95, 98-99, 102,
66, 69, 74, 76-77, 78, 81, 84,
110-111, 113-114, 122-126,
110, 112, 114, 122, 130, 142,
128, 131, 134, 140-141, 143,
156-157, 159, 161-163
146, 149, 153, 156, 158-159,
réseau 21, 22, 27-29, 31, 34, 36,
162-163
67-68, 76, 94, 122, 126, 129,
professionnalisation/professionnel/
142-143, 146, 154-156
profession 11, 13, 29, 39, 51,
Rio (conférence/sommet de) 7, 20,
53, 62, 75-77, 90, 99, 113, 129,
26-28, 31, 56, 109
141-145, 147, 149, 151-153,
riverain 46, 97-98, 116, 123-124,
161-162
130-131, 136, 149
programmes européens 67-68
projet 11, 13-15, 23, 26-27, 38-39,
44, 47-48, 51-52, 58, 60, 64-70, S
74, 87, 93-96, 98-100, 103, santé 7, 28, 57, 62, 115-116,
113, 117, 122-124, 126, 128, 147
195
Sociologie urbaine et développement durable
secteur/sectoriel 12-13, 17, 20, 24, transaction 8-9, 12, 14-15, 32, 38,
30, 38, 48, 70, 74, 111-113, 40, 43, 48-49, 81-83, 85-87,
121, 141, 159 89, 90-96, 98-99, 101-103,
séquences transactionnelles 9, 94, 106-107, 109-118, 120, 122,
134 125-136, 139-141, 144-146,
socialisation 82-83, 141, 144 148-149, 153, 155, 157, 159-
sociologie urbaine 7, 11, 13, 15, 163
22, 24, 44, 62, 159, 162 transactions bi, tri ou multipolaires
solidarité 10, 35, 37, 50, 57, 83, 15, 109-113, 120, 125, 129-
87, 105, 127 131, 139, 159, 161
substantiel 9-10, 14, 93, 158 transactions de rupture
et de continuité 83-84, 156
transaction seconde 92-93, 100,
T
105, 134, 155, 161
tacite 9, 109-112, 129, 131, 160 transversal/transversalité 9-13,
technicien 9-10, 20, 29, 42, 56, 17-18, 29, 31-32, 36, 40, 56,
58, 63, 77, 90, 110-111, 120, 72-73, 82, 94, 144, 158
129-130, 137, 143, 147, 149,
151, 154, 161-162
temporalité/temporel 8-9, 11, U
14-15, 27, 30, 81, 83, 89, urbanisme 11, 17, 24, 44, 47-48,
93-95, 96, 134, 158, 163 50, 66, 74, 93-94, 102-103,
territoire 11-12, 20, 23, 27-28, 32, 105, 110, 116, 123, 149-150,
35, 37-39, 41-42, 45-49, 51, 55, 152
66, 68-70, 73, 76, 83, 100, 102- utopie 46, 50-51, 53
103, 122, 155-156, 159, 162
territorial 8-9, 11, 15, 22, 25, 28, V
38-40, 43, 47, 53, 55, 61-62, valeur 30, 81-82, 85-90, 107, 115,
64, 68, 78, 81, 83, 93-94, 102- 135, 139, 157
104, 107, 110, 117, 121-122, végétalisation/verdissement 14, 48,
135, 146, 157, 159-163 63, 93
territorialisation 9, 12-13, 15, 26, vélo 27-28, 39, 63-64, 69, 74, 84,
29, 34, 37, 40-41, 55, 70, 81, 106, 127, 136, 140
83, 92, 102, 104, 122, 131, vert 42, 58, 60-62, 72, 89, 101,
133, 134, 141, 154-156, 158- 105, 107, 148, 151
159 ville durable 8-9, 11, 13-15,
tiers 95, 107, 113, 121, 133, 146, 25-27, 32-35, 38, 40-41,
153 43-44, 46-53, 60, 62, 66, 69,
traducteur/traduction 27, 41, 44, 71-72, 76, 81, 99, 102-103,
49, 51, 55, 67, 89, 142, 146- 106, 110, 114, 131, 134, 139,
148, 157, 162 141, 143, 151, 153, 156-158,
tram/tramway 14, 27-28, 39, 42, 159, 161, 163
45-46, 59-60, 63-64, 70-71, 73, voiture/automobile 14, 24, 27-28,
87, 89-91, 96-98, 106-107, 121- 46, 63-65, 69, 74, 84-86, 88,
122, 124, 126-130, 134-137, 93, 95, 100-102, 106-107, 135,
150-156 146, 150, 153, 158
196
Table des matières
Sommaire 5
Introduction 7
197
Sociologie urbaine et développement durable
198
Table des matières
Conclusion 157
199
Sociologie urbaine et développement durable
Réchauffement climatique, énergies renouve- développement durable urbain, plutôt que de
lables, commerce équitable, économie sociale s’enfermer dans un catalogue distribuant des
et solidaire, mobilité partagée : les débats bons ou mauvais points à telle ou telle ini-
politiques, économiques et sociaux actuels tiative. Il prolonge et renouvelle des analyses
mobilisent couramment le répertoire du classiques de sociologie urbaine, s’attachant
« développement durable ». Le succès de notamment à la politique de la ville, et rend
cet énoncé se retrouve aussi bien au niveau raison des travaux récents de la discipline,
international que local, en particulier dans les tout en s’ouvrant aux apports de perspectives
villes et les espaces urbains. variées (aménagement et urbanisme, science
politique, géographie, économie, philosophie).
La sociologie urbaine éprouve pourtant
quelques difficultés à s’emparer de cet objet.
Plutôt que de voir dans le flou qui l’entoure Philippe Hamman est professeur des uni-
une contrainte indépassable, Philippe Hamman versités en sociologie à l’Institut d’urbanisme et
en fait le point de départ de son questionne- d’aménagement régional (IUAR), Faculté des sciences
ment, qui mobilise l’outillage des transactions sociales de l’Université de Strasbourg (UdS). Il est
sociales pour interroger quatre couples de ten- actuellement directeur du Centre de recherche et
d’étude en sciences sociales (CRESS) et deviendra,
sion : entre global et local, court et long terme,
à partir de 2013, directeur-adjoint du laboratoire
principes et applications, ville et environnement. Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (SAGE,
La « ville durable » est ainsi abordée comme UMR CNRS/UdS). Spécialiste de sociologie de la ville,
un problème pour l’action et non comme une des territoires et de l’environnement, il codirige le
solution allant de soi, afin d’explorer ses modes Master mention « Urbanisme et Aménagement » de
concrets de mise en œuvre. l’UdS et anime la spécialité « Projets et sociologie
de l’aménagement, de l’urbain, des médiations et de
En portant attention aux acteurs, aux confi- l’environnement » (PSAUME).
gurations, aux échelles et aux temporalités
des politiques urbaines, cet ouvrage propose
une analyse sociologique des dynamiques du
DEDUUR
ISBN : 978-2-8041-7210-7
ISSN 0777-5235 www.deboeck.com