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L’adage latin « Idem est non esse aut non probari » qui veut dire que si un droit est contesté
et que son titulaire ne parvient pas à le prouver, tout se passera, comme si ce droit n'existait pas. ll
existe en effet des cas où la preuve est impossible à retenir face à certains impératifs que le droit
protège tel que le droit à la vie privée. Pendant longtemps ce droit était un obstacle à l’exercice du
droit de la preuve, c’était un empêchement juridique, mais désormais la Cour de cassation consacre
le droit à la preuve dans l’ordre positif comme un droit fondamental avec l’admissibilité de certains
éléments de preuve.
L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 30 septembre 2020 en est le
parfait exemple.
En l’espèce, une salariée, cheffe de projet dans une société a publié sur son compte privé
d’un réseau social une photographie de la nouvelle collection présentée exclusivement aux
commerciaux de la société. A la suite de ça, un autre salarié d’une entreprise concurrente autorisé à
accéder à son compte rapporte à la société cette publication. Ladite société décide de la licencier
pour faute grave.
La salariée intente alors une action en justice contre la société pour le licenciement et contre
le moyen de preuve, qu’elle considérait illicite et déloyal car ça portait atteinte à sa vie privée.
Une décision au conseil prud’homal est rendue puis un appel est interjeté.
La Cour d’appel considère que l’obtention de la preuve n’était pas déloyale car le salarié qui
a rapporté la preuve était autorisé à accéder comme « ami » sur le compte privé de la requérante. De
plus, ladite Cour constate que pour contester la divulgation par la requérante d’une information
confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises
concurrentes, l’employeur s ‘était borné à produire la photographie de la future collection de la
société publiée par la requérante sur son compte et le profil professionnel de certains de ses « amis »
dans le même domaine d’activité et qu’il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour
contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte. Suite à ça ladite
Cour considère que ces éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à
l’exerciez du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, qui est la défense de l’intérêt
légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.
Un pourvoi en cassation est alors formé par la requérante. Elle reproche à la Cour d’appel de
dire le licenciement fondé sur une faute grave et de la débouter de ses demandes au titre de la
rupture du contrat alors que son employeur ne peut pas accéder à son compte privé et donc que la
preuve des faits invoqués est irrecevable car elle a été rapportée par l’intermédiaire d’un autre
salarié autorisé à y accéder. Donc la preuve des faits reprochés est irrecevable. Elle considère que la
Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 9 et 1353 du code civil ainsi
que de l’article 9 du code de procédure civile, en retenant que l’employeur n’avait commis aucun
fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée.
La Cour de cassation devait donc répondre à la question de droit suivant : l’exercice du droit
à la preuve peut il être admis même s’il porte atteinte à la vie privée ?
La Cour de cassation répond par la positive et rejette le pourvoi formé. Elle reprends les
arguments de la Cour d’appel, et considère l’exercice du droit à la preuve peut être admis même si
la production d’éléments porte atteinte à la vie privée car la Cour constate que c’est indispensable à
l’exercice du droit à la preuve et proportionné au but poursuivi, soit à la défense de l’intérêt légitime
de l’employeur à la confidentialité de ses affaires. La preuve même si elle porte atteinte n’est pas
déloyale, conformément aux articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, de l’article 9 du code civil et du code de procédure civile, le droit à la
preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette
production est indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionné au but
poursuivi.
Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée (I)
lorsque cette atteinte est indispensable et proportionné au but poursuivi ( II )
L’obtention de la preuve en droit civil doit être légalement obtenue pour être légalement
admissible. La preuve doit être loyale, si aucun texte ne pose expressément ce principe, la Cour de
cassation l’a ancrée dans sa jurisprudence, elle l’avait énoncé dans un arrêt rendu le 16 janvier 1991
dans sa chambre sociale, « la loyauté de la preuve qui doit présider aux relations de travail interdit
le recours par l’employeur à des artifices et des stratagèmes ». En l’espèce, dans l’arrêt du 30
septembre 2020, la Cour rappelle qu’ « En vertu du principe de loyauté dans l’administration de la
preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour obtenir une preuve », elle est dans
la continuité de l’arrêt de 1991. Si la preuve est obtenue de façon déloyale elle est irrecevable. Mais
la Cour relève que l’employeur dans ce cas d’espèce, n’a nullement obtenu la preuve de façon
déloyale. L’employeur a obtenu la preuve par la communication d’un autre salarié de l’entreprise
qui pouvait accéder au profil privé de la requérante qui l’y avait autorisé en l’ajoutant en tant
qu’ « ami » sur le réseau social. Aucun stratagème, aucune violence n’a été opéré par l’employeur, il
n’a pas eu besoin de forcer pour obtenir la preuve. Ce procédé d’obtention n’est pas déloyale.
Cependant, une preuve obtenue loyalement peut tout de même être jugée déloyale en raison
de son contenu. C’est le cas lorsque la preuve porte atteinte à un droit ou une liberté fondamentale,
tel que le droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du code civil. L’obtention de la
preuve n’étais pas déloyale en soit mais le contenu l’est. En l’espèce, la Cour de cassation admet
l’atteinte à la vie privée de la preuve. En effet, la preuve extraite d’un compte privé auquel
l’employeur n’était pas autorisé à y accéder constituait une atteinte à la vie privée de la salariée. Le
caractère « privé » du compte confère aux publications qui y figurent d’être couverte par ce droit au
respect de la vie privée. La chambre sociale de la Cour avait déjà estimé « que l’utilisation
d’informations extraites du compte Facebook d’une salarié à partir du téléphone portable
professionnel d’un autre collaborateur constituait une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie
privée de la salarié » le 20 décembre 2017.
Mais néanmoins, « le droit à la preuve ne peut justifier portant atteinte à la vie privée qu’à la
condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit
proportionnée au but poursuivie » ce principe posé par la Cour de cassation le 25 avril 2016 de la
première chambre civile est repris quasiment à l’identique dans l’arrêt commenté.
La Cour de cassation vient mettre en balance le droit du salarié au respect de sa vie privée avec le
droit de la preuve. Ce qui explique l’admission de la preuve malgré l’atteinte à la vie privée.
La Cour de cassation dans l’arrêt du 30 septembre 2020 admet la preuve malgré l’atteinte à la vie
privée elle énonce qu’ « il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit
à la preuve peut justifier la production d’éléments portent atteinte à la vie privée ». L’article 6 de la
CEDH pose le principe fondamental du droit à un procès équitable. Au nom de cet article, la Cour
montre la nécessité dans l’arrêt de concilier le droit au procès équitable parmi lequel le droit à la
preuve y est, et le droit au respect de la vie privée. Gwendoline Lardeux, professeure de droit privée
et sciences criminelles dans son ouvrage Du droit de la preuve au droit à la preuve , a énoncé que
« le respect dû à la vie privée peut devoir céder devant les nécessités probatoires, autrement dis
l’impératif de vérité ». La vérité est nécessaire au déroulement et à la finalité d’un procès , pour que
justice soit faite et que chaque partie soit justement jugée. La preuve doit pouvoir alors être accepté
même si elle porte atteinte au principe de la vie privée expressément prévu dans l’ordre juridique
interne et dans les conventions internationales.
La cour de cassation soumet l’atteinte à la vie privée de la preuve à un double contrôle. Elle
accepte la preuve, mais sous condition. La condition d’un contrôle de justification et de
proportionnalité.
La recevabilité de la preuve en question n’est pas sans résistance. Pour que le droit à la
preuve autorise l’atteinte à la vie privée, il faut que la preuve « soit indispensable et proportionnée
au but recherché », la violation de cette condition peut contribuer à la sollicitation de dommage et
intérêt pour violation de droit à la vie privée par le salarié, c’est ce qu’avait retenu la chambre
sociale de la Cour de cassation le 12 novembre 2020.
Celui qui commet l’atteinte ne doit pas avoir d’autres moyens de rapporter la preuve de ses
allégations. En l’espèce, l’employeur n’avait nullement d’autre possibilité de prouver la faute de la
salariée, qui n’a pas respecté le secret professionnel en révélant une collection exclusivement
réservé aux salariés de l’entreprise sur son réseau social. Dans un arrêt du 9 novembre 2016, la
Cour de cassation retenait non pas le caractère « nécessaire » comme elle le fait dans l’arrêt
commenté mais le caractère « indispensable » de l’atteinte. Ce changement de terminologie montre
l’importance du droit à la vie privée. On ne peut pas y déroger sauf quand aucune autre solution
permet de prouver. Le mot indispensable est plus fort et plus contraignant que le caractère
« nécessaire ». La professeure Gwendoline Ladreux dans le même ouvrage précité, pense qu’il
conviendrait « de renoncer à la dimension substantielle de la proportionnalité et d’organiser la
conciliation entre droit à la preuve et droit à la vie privée selon les deux seuls critères
systématisables… : le caractère indispensable de la preuve produite et l’absence de violence ou de
fraude à l’origine de sa détention ». Elle veut revoir le droit à la preuve et considérer qu’à partir du
moment où la preuve revêt le caractère indispensable et loyale elle est acceptable. Sans nécessité de
contrôle de proportionnalité.
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