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Droit social

Droit social 2024 p.293

Le juge, la vie privée du salarié et la preuve déloyale : suite (et sans doute pas fin)

Christophe Radé, Professeur à la faculté de droit de l'université de Bordeaux

L'essentiel

1. Il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen
de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve
porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits
antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition
que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (n° 20-20.648).

2. Une conversation privée qui n'était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux
obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d'être
justifié (n° 21-11.330).

Cour de cassation

(Assemblée plénière)

22 décembre 2023

Société Abaque bâtiment service c/ M. Y.

Arrêt n° 673 B+R, pourvoi n° 20-20.648, avis de M. Gambert, rapport de M. Ponsot ; D. 2024. 15 ; AJ fam. 2024. 8, obs.
F. Eudier ; AJ pénal 2024. 40, chron.

Cour de cassation

(Assemblée plénière)

22 décembre 2023

Société Rexel développement c/ M. F.

Arrêt n° 674 B+R, pourvoi n° 21-11.330, avis de Mme Grivel, rapport de M. Fulchiron ; D. 2024. 14 ; AJ pénal 2024. 40,
chron. ; Sem. soc. Lamy, n° 2077, 29 janv. 2024, entretien J.-G. Huglo ; Sem. soc. Lamy, n° 2075, 15 janv. 2024, obs.
P. Adam

1. L'admission exceptionnelle de la preuve déloyale

Une nouveauté prévisible : l'admission exceptionnelle de la preuve déloyale (n° 20-20.648). La solution était attendue et
logique au regard des exigences posées par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 12 janv. 2016,
n° 61496/08 , Barbulescu c/ Roumanie, D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2018. 138, obs. J.-F. Renucci
; Dr. soc. 2017. 355, étude G. Raimondi ; Dalloz IP/IT 2016. 211, obs. P. Adam - CEDH, 17 oct. 2019,
nos 1874/13 et 8567/13, Lopez Ribalda, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2019. 2039, et les obs.
; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2019. 604, obs. P. Buffon ; Dr. soc. 2021. 503, étude
J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2020. 122, obs. B. Dabosville ; Légipresse 2020. 64, étude G. Loiseau ; RTD
civ. 2019. 815, obs. J.-P. Marguénaud ) et de l'évolution de la jurisprudence relativement à la preuve illicite (P. Adam,
Sur la recevabilité d'un moyen de preuve illicite - Nouvelle variation sur le droit à la preuve, Dr. soc. 2022. 81 ; C.
Radé, La preuve et le « client mystère » (à propos de Soc., 6 sept. 2023, n° 22-13.783 , publié au Bulletin), Dr. soc. 2023.
922 , et rapp. P. Barincou, Dr. soc. 2023. 899 ; v. égal. J. Mouly, Autorité absolue de la chose jugée au pénal versus
loyauté de la preuve au civil, Dr. soc. 2022. 1052 ; G. Vial, Droit à la preuve, loyauté probatoire et vie privée dans le
contentieux du travail : des articulations confuses, RDT 2023. 156 ).

Jusqu'à lors, la Cour de cassation avait refusé la production de preuves acquises de manière déloyale, fût-ce au nom du
droit à la preuve du demandeur : fraus omnia corrumpit (Soc., 30 sept. 2020, n° 19-12.058 , publié au Bulletin ; D. 2020.
2383 , note C. Golhen ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam ; RDT 2020. 753, obs.
T. Kahn dit Cohen ; ibid. 764, obs. C. Lhomond ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli ; Légipresse
2020. 528 et les obs. ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol ).

C'est désormais chose faite (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 , arrêt n° 673 B+R, avis Y. Gambert, rapp. D.
Ponsot). Il y a donc lieu « désormais » de « considérer [...] que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans
l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit,
lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans
son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant
justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à
son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (n° 20-20.648).

Cette décision constitue le point d'achèvement prévisible d'une vague jurisprudentielle initiée en 2003 par la Cour
européenne des droits de l'homme (CEDH, 28 janv. 2003, n° 44647/98 , Peck c/ Royaume-Uni) et qui avait atteint les
côtes françaises depuis 2016 pour ce qui concerne le droit du travail (Soc., 9 nov. 2016, n° 15-10.203 , Bull. civ. V,
n° 209 ; D. 2017. 37, obs. N. explicative de la Cour de cassation , note G. Lardeux ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D.
Bretzner et A. Aynès ; Just. cass. 2017. 170, rapp. A. David ; ibid. 188, avis H. Liffran ; Dr. soc. 2017. 89, obs. J.
Mouly ; RDT 2017. 134, obs. B. Géniaut ; RTD civ. 2017. 96, obs. J. Hauser ; JCP 2016. 1281, note N. Dedessus-
Le-Moustier. Sur la question, G. Lardeux, Le droit à la preuve : tentative de systématisation, RTD civ. 2017. 1 . X.
Lagarde, Le droit à la preuve. Réflexions sur une notion bancale, D. 2023. 1526 ). L'exigence de loyauté, érigée par la
Cour de cassation en ultime digue pour résister à la déferlante européenne, a donc cédé à son tour, ce qui était prévisible
ne serait-ce que parce que la distinction entre déloyauté et illicéité ne s'intégrait pas dans le schéma de raisonnement de
la CEDH.
On signalera d'ailleurs une première application de cette solution nouvelle qui démontre d'ailleurs, à ceux qui poussaient
des cris d'orfraie et prophétisaient la submersion du droit national, que l'admission de la preuve illicite ou déloyale n'est
pas systématique et que l'exigence de proportionnalité des atteintes aux droits de la partie adverse peut conduire le juge à
l'écarter des débats lorsqu'existent d'autres éléments acquis de manière licite. Le 17 janvier 2024, la chambre sociale de la
Cour de cassation a ainsi déclaré irrecevables des écoutes clandestines, estimant que la preuve des propos tenus pendant
la réunion litigieuse pouvait être rapportée par d'autres moyens licites, en l'espèce le témoignage des personnes qui y
assistaient (Soc., 17 janv. 2024, n° 22-17.474 , publié au Bulletin ; D. 2024. 171 ; Sem. soc. Lamy, n° 2077, 29 janv.
2024, entretien J.-G. Huglo).

Si la Cour de cassation répond ici à la principale question qu'on se posait, elle ne règle pas toutes les difficultés rencontrées,
et il faudra certainement attendre encore d'autres précisions dans les prochains mois.

Quid en cas de provocation à commettre les actes incriminés ? La première interrogation concerne non pas le périmètre
de la mise en balance des intérêts dans le cadre d'une recherche globale d'équité procédurale, car on a bien compris que
c'est bien tout le procès qui doit désormais être appréhendé ainsi, mais l'admission de certains stratagèmes particulièrement
douteux qui ont directement déterminé le comportement des acteurs.

Si l'enregistrement d'images ou de sons par des moyens certes clandestins, mais passifs, ou l'accès accidentel à des
informations confidentielles facilité par l'imprudence de la personne concernée (comme l'enregistrement d'entretien, dans
la première affaire qui nous intéresse ici, ou l'accès à une messagerie dont le salarié ne s'était pas déconnecté, dans la
seconde) ne semblent plus faire difficulté, qu'en est-il d'hypothèses où les personnes (employeurs comme salariés
d'ailleurs) provoqueraient par leurs stratagèmes la faute dont ils entendraient ensuite tirer profit ? En d'autres termes, peut-
on admettre des preuves qui seraient le fruit d'une « provocation à l'infraction » et pas seulement d'une « provocation à la
preuve » (J.-F. Renucci, Loyauté des preuves et distinctions entre « provocation à l'infraction » et « provocation à la preuve
», RSC 2014. 843 ; E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, 2e éd., PUF, 2022, nos 373 s.) ? Dans cette
hypothèse en effet, il s'agit moins d'une question de preuve que de fond puisque c'est bien le comportement établi qui a
été induit par un stratagème, et l'application d'un autre adage, Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (Nul ne
peut se prévaloir de sa propre turpitude).

Dernièrement, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait validé le recours, par des agents de la répression des
fraudes, à la technique du « consommateur mystère » dès lors qu'elle est employée « sans provoquer l'infraction et sans
contournement ni détournement de procédure ayant pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve » (Crim.,
27 juin 2023, n° 22-83.338 , publié au Bulletin ; AJ pénal 2023. 406, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2023.
528, note H. Matsopoulou ; D. 2023. 1990, obs. J. Mouly ; D. actu. 12 sept. 2023, obs. J. Pidoux). Certes, la question
concernait des représentants de l'autorité publique, mais la question nous semble se poser plus largement, y compris pour
des acteurs privés. Ne conviendrait-il pas de reprendre la même solution en matière civile, car il serait pour le moins
paradoxal que la déloyauté y soit désormais admise de manière plus laxiste qu'en matière pénale qui sert ici de modèle ?

Quid de la notion d'efficacité des preuves ? L'exigence de proportionnalité des atteintes aux droits des défendeurs et des
tiers impose de limiter celles-ci au strict nécessaire. Mais qu'en-est-il lorsque le demandeur dispose déjà d'éléments, mais
à la force probante moindre ?

Jusqu'à présent, la Cour de cassation et le Conseil d'État semblaient considérer qu'à partir du moment où le demandeur
dispose d'autres éléments, même moins probants, il ne peut être admis à produire des preuves acquises de manière illicite
(ainsi, en matière de données de géolocalisation : CE, 9e et 10e ch. réun., 15 déc. 2017, n° 403776, Lebon avec les
conclusions ; AJDA 2018. 402 , concl. A. Bretonneau ; ibid. 2017. 2501 ; D. 2018. 1033, obs. B. Fauvarque-
Cosson et W. Maxwell ; Sem. soc. Lamy 2018, n° 1800, p. 16, obs. M. Caro ; JS Lamy 2018, n° 403776, obs. P. Pacotte
et R. Leroy - Soc., 19 déc. 2018, n° 17-14.631 , publié au Bulletin ; D. 2019. 21 ; RDT 2019. 644, obs. M. Véricel
; JCP S 2019. 1038, note B. Bossu). Cette solution pourra-t-elle être maintenue dans le contexte actuel, ou faudrait-il
autoriser le recours à la déloyauté pour améliorer sa capacité probatoire ?

L'impact sur l'office du juge des référés. L'office du juge des référés, saisi dans le cadre de l'article 145 du code de
procédure civile, a été également considérablement renouvelé par la montée en puissance du droit à la preuve depuis
2007 (Soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818 , Bull. civ. V, n° 84 ; RDT 2007. 590 , obs. R. de Quenaudon ; JCP S 2007.
1537, note S. Béal et A. Ferreira - Soc., 11 déc. 2019, n° 18-16.516 - Dans le prolongement de Civ. 2e, 8 févr. 2006,
n° 05-14.198 , Bull. civ. II, n° 44 ; D. 2006. 532 ; ibid. 2923, obs. Y. Picod, Y. Auguet, N. Dorandeu, M. Gomy, S.
Robinne et V. Valette ; ibid. 2007. 1901, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ). Ainsi, « s'il existe un
motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige,
les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par
ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code
civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la
vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit
proportionnée au but poursuivi » (Soc., 22 sept. 2021, n° 19-26.144 , publié au Bulletin ; D. 2021. 1722 ; ibid. 2022.
132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; RTD civ. 2021. 887, obs. H. Barbier
; D. actu. 14 oct. 2021, obs. M. Peyronnet).

Le juge des référés doit donc réduire les prétentions du demandeur pour concilier, le cas échéant, les intérêts en présence
et singulièrement préserver le droit au respect de la vie privée du défendeur, voire de tiers : « Il appartient dès lors au juge
saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord,
de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et
proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve
de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont
de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice
du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces
sollicitées ».

On pourrait se demander désormais si le juge des référés pourrait autoriser le demandeur à avoir recours à des procédés a
priori illicites ou déloyaux, au nom du droit à la preuve, dès lors qu'il serait établi que ces moyens seraient les seuls
susceptibles d'établir les faits dont pourrait dépendre la solution du litige.

2. La protection inconditionnelle des conversations privées

Protection de la vie privée du salarié. La jurisprudence protège de deux manières différentes, mais convergentes, la vie
privée des salariés.

En premier lieu, elle distingue ce qui relève de la sphère professionnelle (lieu et temps de travail) et se trouve fortement
soumis à l'autorité de l'employeur, et ce qui relève de la sphère personnelle du salarié et qui en principe échappe à son
emprise. Ces frontières ne sont pas étanches : les salariés peuvent mélanger plaisir et travail (v. dossier « Amours et
désamours au travail », Dr. soc. 2023. 940 ), travailler au domicile de leur employeur (S. Maillard, La diversité des règles
de droit du travail applicable aux travailleurs domestiques, Dr. soc. 2022. 680 ) ou au contraire travailler au sein de leur
propre domicile (C. Teyssier, Télétravail au domicile : une approche juridique des mutations en cours, Dr. soc. 2023. 38
), ou se trouver face à un éclatement à la fois de leur lieu de travail et de leur lieu de résidence (S. Tournaux,
Déplacements du salarié et subordination, Dr. soc. 2023. 994 ). Même lorsque le travail s'inscrit dans une perspective
plus classique, la généralisation des smartphones et des réseaux sociaux brouille encore plus des frontières déjà
passablement malmenées (C. Radé, L'entreprise et la vie privée du salarié. À propos de quelques arrêts récents de la Cour
de cassation, Dr. soc. 2021. 4 ). Les observateurs attentifs de ces questions soulignent depuis plus de trente ans (et l'arrêt
Painsecq : Soc., 17 avr. 1991, n° 90-42.636 , Assoc. Fraternité Saint-Pie X, Bull. civ. V, n° 201 ; D. 1991. 140 ; Dr.
soc. 1991. 485, note J. Savatier ; RTD civ. 1991. 706, obs. J. Hauser ) que la Cour de cassation penche, au gré des
saisons, plus du côté de l'entreprise en permettant à l'employeur de tirer argument de faits relevant en principe de la vie
personnelle au travers de la consécration du licenciement pour trouble objectif ou sanctionnant la déloyauté, voire en
traitant des situations hybrides comme relevant de la sphère professionnelle (au travers du critère du rattachement « à la
vie professionnelle » ou à la « vie de l'entreprise » ; sur ces expressions, v. notre étude préc.).

La vie privée du salarié est également préservée y compris lorsqu'il se trouve au travail, car ce dernier n'abandonne aux
portes de l'entreprise ni sa personne, ni sa personnalité et les droits qui la protègent. L'employeur ne peut donc pas, sous
prétexte que l'entreprise « lui appartient », disposer de la vie privée de ses salariés et en tirer profit sur le plan professionnel,
ce que confirme l'autre arrêt rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (n° 21-11.330).

La protection des conversations privées. Dans cette affaire, qui n'est pas sans rappeler les faits de l'arrêt Libert, en moins
répugnant (CEDH, 22 févr. 2018, n° 588/13 , D. 2018. 1291, et les obs. , note J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; ibid.
2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; JA 2018, n° 577, p. 42, étude D. Castel ; Dr. soc. 2018. 455, étude B.
Dabosville ; ibid. 2021. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; Dalloz IP/IT 2018. 511, obs. G. Péronne et E.
Daoud ; JCP 2018. 290, obs. F. Sudre ; JCP 2018. 433, note F. Marchadier ; JCP S 2018. 1108, note G. Loiseau), un
salarié avait eu fortuitement accès à la messagerie associée au compte Facebook du collègue qu'il remplaçait et qui avait
négligé de se déconnecter en quittant son poste. Il avait alors pris connaissance d'une discussion avec le salarié d'une autre
entreprise dont il avait ensuite communiqué le contenu à son employeur, entraînant le licenciement pour faute grave du
collègue absent. Ce licenciement avait été considéré comme injustifié en appel, ce que confirme ici le rejet du pourvoi.

L'affaire posait deux questions, l'une relative à la recevabilité de la preuve acquise de manière clandestine, l'autre
concernant l'atteinte à la vie privée du salarié par la révélation d'une conversation purement privée.

La question de la recevabilité de la preuve reléguée. Alors qu'on pouvait croire la question de la recevabilité de la preuve
préalable, elle n'a en réalité pas été abordée ainsi, la Cour ayant préféré se fonder d'abord sur la qualification des faits. On
pourrait s'en étonner mais, dans cette affaire d'accès à Messenger, la preuve aurait été in fine déclarée recevable, à l'instar
de la solution adoptée en 2020 dans l'affaire Petit Bateau (Soc., 30 sept. 2020, n° 19-12.058 , préc. ; D. 2020. 1888 ,
Dr. soc. 2021. 4 , obs. C. Radé). Il semblait certainement plus opérant de fonder la solution directement sur le principe
de la protection de la vie privée des salariés au travail, rappelant ainsi à ceux qui l'auraient oublié que ce n'est pas parce
qu'une preuve est recevable que les faits ainsi établis peuvent être invoqués par l'employeur au soutien d'un licenciement
disciplinaire. Pour la Cour de cassation, en effet, « une conversation privée qui n'était pas destinée à être rendue publique
ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le
licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d'être justifié ».

L'affirmation est claire et nette et coupe court à toute discussion sur le fait que l'accès à la conversation s'était réalisé via le
navigateur installé sur l'ordinateur professionnel du salarié, ce qui pouvait laisser penser que la présomption de caractère
professionnel pourrait disqualifier les informations et permettre à l'employeur de les invoquer à son profit. Dans le
prolongement de précédentes décisions ayant retenu le caractère privé de messages échangés à partir de messageries
personnelles distinctes de la messagerie professionnelle, y compris lorsque le salarié se connecte depuis un ordinateur
professionnel (Soc., 26 janv. 2016, n° 14-15.360 , Bull. civ. V, n° 12 ; D. 2016. 320 ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J.
Porta ; ibid. 2018. 138, obs. J.-F. Renucci ; JA 2016, n° 535, p. 11 et les obs. ; RDT 2016. 421, obs. S. Michel -
Soc., 23 oct. 2019, n° 17-28.448 ), la Cour de cassation considère que cette conversation était « privée » (par nature,
puisque figurant sur une messagerie personnelle), « non destinée à être rendue publique » (donc également privée « par
destination ») et qu'elle ne pouvait donc pas être rattachée à l'exécution du contrat de travail du salarié.

Mots clés :
CONTENTIEUX * Preuve * Recevabilité * Loyauté de la preuve * Vie privée du salarié

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