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VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.

FR - 14/05/2022 15:39 | BIBLIOTHEQUE CUJAS

Le formalisme apprivoisé

Issu de Gazette du Palais - n°016


Date de parution : 16/01/2014
Id : GPL160j4
Réf : Gaz. Pal. 16 janv. 2014, n° 160j4

Auteur :
Dimitri Houtcieff, agrégé des facultés de droit, avocat à la cour, barreau de Paris, associé, Berger, Houtcieff
Associés

La mention manuscrite apposée sur l'engagement reflète la parfaite information dont avait bénéficié la caution quant à la nature et la portée
de son engagement ; par ces seuls motifs, dont il résultait que l'omission des termes « mes biens » n'avait pour conséquence que de limiter le
gage de la banque aux revenus de la caution et n'affectait pas la validité du cautionnement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Cass. com., 1er oct. 2013, no 12-20278, ECLI:FR:CCASS:2013:CO00919, M. X c/ SARL CIEM, PB (rejet pourvoi c/ CA Saint-Denis de la Réunion, 6 sept. 2011),
M. Espel, prés. ; SCP Baraduc et Duhamel, SCP Marc Lévis, av. : LEDC nov. 2013, p. 3, n° 10, S. Bernheim-Desvaux

Le calamiteux formalisme mis en place par la loi Dutreil, en matière de cautionnement souscrit par des cautions personnes physiques, à l’endroit de
créanciers professionnels, n’en finit pas de nourrir le contentieux 1 . Issus de cette loi, les article L. 341-2 et suivants du Code de la consommation affligent,
en effet, le cautionnement d’une mention manuscrite devant censément être reproduite à la lettre, à peine de nullité : ainsi, le juge de cassation eut-il
sérieusement à s’interroger sur la qualification et la portée juridique de la conjonction de coordination « et »2…

Face à l’embroglio textuel résultant de ce lacis de dispositions, la Cour régulatrice tenta de jeter les bases de solutions équilibrées : s’il convient de
s’assurer de ce que la caution a saisi la portée de l’acte qu’elle conclut, l’on ne saurait en effet admettre qu’elle obtienne l’anéantissement de son
engagement au moindre écart d’un recopiage servil de la mention. La Cour de cassation affirme donc que, si la nullité d'un engagement de caution
souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est certes encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur
l'engagement de caution n’est pas identique aux mentions prescrites, c’est à la condition que le défaut d’identité ne résulte pas d’une erreur
matérielle3. Il s’en déduit, par exemple, que l’apposition d’une virgule entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la
solidarité n'affecte pas la portée des mentions manuscrites4. De même, l’on comprend que la nullité de l’engagement soit écartée lorsque le
cautionnement comporte le mot « banque », au lieu de « prêteur »5…

Plus spectaculairement encore, le juge s’autorise désormais à moduler les sanctions du formalisme. Malgré la lettre des textes, la Cour de cassation a
ainsi estimé que l'inobservation de la mention imposée par l'article L. 341-3 du Code de la consommation – relatif au cautionnement solidaire, combiné
au respect de celle de l'article L. 341-2 – relatif au cautionnement simple, conduit, non pas à la nullité de l’engagement, mais à l'impossibilité pour la
banque de se prévaloir de la solidarité6. La présente décision s’aventure plus loin encore sur ce chemin...

La caution sollicitait, ici, la nullité du cautionnement, au motif que la mention précisant qu’elle s’engagerait « sur [ses] revenus » et non « sur [ses]
revenus et [ses] biens ». Les juges du fond estimèrent que cette omission n'affectait pas la portée et la nature de l'engagement souscrit : la caution se
pourvut donc en cassation. Son pourvoi est rejeté : il résulte des motifs de l’arrêt attaqué que l'omission des termes « mes biens » n'avait pour
conséquence que de limiter le gage de la banque aux revenus de la caution et n'affectait pas la validité du cautionnement.

La sanction est modulée : le cautionnement est maintenu, mais le gage du créancier fait l’objet d’une manière de conversion par réduction. Si le
législateur n’a pas conféré pareil arsenal de sanction au juge, l’on se réjouira qu’il se l’approprie. La solution atténue en effet la fragilisation du
cautionnement opéré par la loi Dutreil. Peut-être le consensualisme n’est-il pas une « victoire des droits modernes sur le matérialisme archaïque des
législations primitives »7 : reste qu’un formalisme aveugle serait à coup sûr une défaite pour l’efficacité du cautionnement.

+
NOTES DE BAS DE PAGE

1 – Sur ce formalisme, A.-S. Barthez et D. Houtcieff, (dir.) J. Ghestin, Les sûretés personnelles, éd. LGDJ 2010, spéc. n os 532 et s.
2 – Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n° 02-17028 : Bull. civ. I, n° 254 ; JCP E 2005, n° 5, p. 183, note D. Legeais ; LPA 29 mars 2005, p. 5, obs. D. Houtcieff ; RDC
2005, p. 403, obs. D. Houtcieff.

3 – Cass. com., 5 avr. 2011, n° 09-14358.


4 – Cass. com., 5 avr. 2011, n° 10-16426 .
5 – Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, n° 12-18544 : D. 2013, p. 1460, note J. Lasserre Capdeville et G. Piette.

6 – Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-10699 : RTD com. 2011, p. 402, obs. D. Legeais.
7 – J. Flour, « Quelques remarques sur l'évolution du formalisme », Le droit français au milieu du XX e siècle , Études Ripert, éd. LGDJ, 1950, t. 1, n° 1.

Issu de Gazette du Palais - n°016


Date de parution : 16/01/2014
Id : GPL160j4
Réf : Gaz. Pal. 16 janv. 2014, n° 160j4

Auteur :
Dimitri Houtcieff, agrégé des facultés de droit, avocat à la cour, barreau de Paris, associé, Berger, Houtcieff
Associés

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