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JURIDIQUES
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Flash sur le Droit social
NEWSLETTER
N° 7/2018 27 juillet 2018 1. Absence pour cause de maladie du salarié : le fait de
ne pas respecter les dispositions de l’article L.121-6
1. Absence pour cause de maladie
du salarié : le fait de ne pas re-
p.1 (1) et (2)1 ne constitue pas toujours, à lui seul, une
specter les dispositions de l’article faute grave justifiant un licenciement immédiat.
L.121-6 (1) et (2) ne constitue pas
toujours, à lui seul, une faute grave Il convient d’analyser les circonstances dans les-
justifiant un licenciement immédiat.
quelles cette omission a eu lieu pour en apprécier le
2. Congés : une clause contractu-
elle prévoyant qu’en cas de rési-
p.3 degré de gravité.
liation du contrat de travail, le
congé non encore pris du salarié est
imputé sur la dispense de travail que Arrêt de la Cour d’appel du 14 juin 2018, n°43964 du rôle
l’employeur peut lui accorder pen-
dant le délai de préavis est nulle.
3. Reclassement : la condition d’anci- p.5 Faits premier jour de la prolongation de sa
enneté de 3 ans est remplie lorsque maladie, soit le 5 mai 2014, et de faire
la salariée a travaillé de manière Par requête du 28 juillet 2015, la salariée en sorte que l’employeur soit en pos-
continue au même poste de travail A a fait convoquer son ancien employeur, session du certificat médical afférent
depuis 2007 pour des employeurs la société B, devant le Tribunal du travail
successifs, constitués certes sous dans le délai requis par l’article L.121-6
de Luxembourg pour le voir condamner du Code du travail, soit le 7 mai 2014
forme de sociétés distinctes rele-
vant de législations différentes, mais à lui payer, suite à son licenciement avec avant 0.00 heures, ce d’autant plus que
avec à chaque fois une dénomination préavis intervenu à la date du 19 mai 2014 la rigueur au travail de la salariée avait,
sociale identique, et avec prise en qu’elle qualifie d’abusif, des dommages dans le passé, laissé à désirer, tel que
compte, en termes d’ancienneté de et intérêts. cela résultait des manquements profes-
service, du travail accompli depuis
2007. Par jugement du 4 mars 2016, le Tribunal sionnels non contestés décrits dans les
du travail a déclaré justifié le licenciement courriers d’avertissement.
4. Contrat de travail : en principe, il p.6
appartient à celui qui invoque l’exis- avec préavis du 19 mai 2014 et débouté la Le tribunal a en outre relevé que la per-
tence d’un contrat de travail d’en salariée A de toutes ses demandes. turbation de l’entreprise est en principe
rapporter la preuve. Cependant, dans
l’hypothèse d’un contrat de travail ap- Pour le Tribunal du travail, l’absence inhérente à toute absence injustifiée,
parent, il incombe à celui qui conteste non excusée de huit jours de la salariée surtout si elle est prolongée.
l’existence d’un lien de subordination constituait une cause réelle et sérieuse
d’établir le caractère fictif du contrat.
La salariée A a par la suite relevé appel
du licenciement intervenu et il aurait du jugement du 4 mars 2016 et elle
5. DROIT EUROPÉEN : le fait pour p.8 appartenu à la salariée d’avertir l’em- demande à la Cour d’appel de déclarer
une autorité publique - employeur ployeur de son incapacité de travail le abusif son licenciement avec préavis.
d’ouvrir le contenu d’un dossier
intitulé « rires » enregistré sur un
disque dur dénommé « D:/données
1) Art. L. 121-6. du Code du travail
personnelles » sur l’ordinateur pro- (1) Le salarié incapable de travailler pour cause de maladie ou d’accident est obligé, le jour même de l’em-
fessionnel d’un salarié ne constitue pêchement, d’en avertir personnellement ou par personne interposée l’employeur ou le représentant de
pas une violation de son droit au celui-ci. L’avertissement visé à l’alinéa qui précède peut être effectué oralement ou par écrit.
respect de la vie privée. (2) Le troisième jour de son absence au plus tard, le salarié est obligé de soumettre à l’employeur un certi-
ficat médical attestant son incapacité de travail et sa durée prévisible.
[…]

La présente publication constitue un résumé d’un


certain nombre de décisions de justice qui, d’un point de vue
formel, ont été simplifiées et vulgarisées de sorte qu’en
18, rue Auguste Lumière • L-1255 Luxembourg
cas de divergences d’interprétation, seul le texte origi-
T +352 27 494 200 • F +352 27 494 250 nal fait foi.
www.csl.lu • csl@csl.lu

1
Devant la Cour d’appel du certificat, ainsi que de la réception du qu’ils ont été fournis avec une précision
certificat médical par la CNS. telle que leur énoncé en révèle la nature
La salariée A fait valoir qu’elle a fait et la portée exacte et permette au sala-
poster le certificat médical à la date L’absence injustifiée de 8 jours aurait
rié d’en rapporter la fausseté et au juge
du 6 mai 2014 et le cachet de la poste également constitué une perturbation
d’apprécier si le congédiement est inter-
ne renseignerait pas ce dépôt mais la pour le bon fonctionnement de l’entre-
venu pour des motifs valables, ou pour
date de l’envoi. En outre, les précédents prise en ce qu’une perturbation serait
des motifs illégitimes ou s’il constitue
certificats médicaux auraient également inhérente à une telle absence. En
un acte économiquement et sociale-
été envoyés avec retard ce qui aurait l’espèce, le service « Accueil et caisse »
ment anormal.
été toléré par l’employeur, qui n’aurait concerné par l’absence de la sala-
pas appliqué à la lettre l’article L.121-6 riée aurait été désorganisé en raison Selon l’article L.121-6 (1) et (2) du Code
du Code du travail ni l’article 7.11 de la également de l’ignorance quant à la du travail, le salarié incapable de travail-
convention collective de travail. Cette durée de l’absence de la salariée. L'em- ler pour cause de maladie ou d’accident
tolérance devrait être admise en faveur ployeur maintient à cet égard son affir- est obligé, le jour même de l’empêche-
du salarié et ôterait le caractère sérieux mation, selon laquelle A aurait omis, ment, d’en avertir personnellement ou
du motif de licenciement. lors de l’information téléphonique du par personne interposée l’employeur ou
5 mai 2014, d’indiquer la durée de la le représentant de celui-ci. Le troisième
Selon A, l’employeur ne conteste pas prolongation de sa maladie. jour de son absence au plus tard, le
avoir été informé par téléphone de la salarié est obligé de soumettre à l’em-
prolongation de sa maladie, la preuve de Pour l’employeur, c’est à juste titre que
ployeur un certificat médical attestant
ce qu’elle a informé son employeur de la les juges de 1ère instance auraient retenu
son incapacité de travail et sa durée pré-
durée de la prolongation de sa maladie, la prise en considération des antécé-
visible.
résulterait de la durée de 2 minutes de dents professionnels de la salariée et
l’appel en question. notamment des avertissements émis En l’espèce, la salariée A a informé son
et reconnus par A, qui renforceraient employeur à la date du 5 mai 2014 de
Il serait de jurisprudence constante que la faute commise par la salariée en ce la prolongation de son état de mala-
le seul retard dans l’envoi du certificat qu’elle n’aurait pas adapté son com- die et elle soutient avoir fait poster par
médical ne constituerait pas un motif portement pour tenir compte des griefs son époux le certificat médical établi le
sérieux de licenciement et au vu du de manque de rigueur soulevés à son 5 mai 2014 à la date du 6 mai 2014.
fait qu’il s’agissait d’une prolongation encontre. Contrairement à l’affirmation
d’incapacité de travail, l’employeur Il appartient au salarié qui conteste la
de la salariée, les avertissements et les
n’aurait pas été pris au dépourvu. La régularité du licenciement au regard de
appréciations émises lors de l’évaluation
société B n’aurait, par ailleurs, pas jus- l’article L.121-6. (3) du Code du travail
de la salariée démontreraient l’absence
tifié une quelconque perturbation dans de prouver que l’employeur a procédé au
de tolérance par l’employeur en matière
l’organisation de ses services. licenciement malgré le fait d’avoir été
de règles applicables en matière de droit
informé de l’incapacité de travail dans
Enfin, les références à des avertisse- du travail et partant des règles inscrites
les conditions prescrites par les para-
ments et un comportement nonchalant de à l’article L.121-6 du Code du travail et
graphes (1) et (2) dudit article.
la salariée évoquées lors d’un entretien de la convention collective en matière
d’évaluation n’auraient pas été annexées d’incapacité de travail. Selon le tampon figurant sur l’enveloppe
à la lettre de motifs, seraient trop vagues adressée à la société B, le courrier a été
pour que lesdits avertissements puissent posté en France à la date du 9 mai 2014.
être pris en considération et les faits rela-
La décision de la Cour d’appel La salariée A ne conteste d’ailleurs pas
tifs aux avertissements n’auraient pas La Cour d’appel constate d’abord que le certificat médical n’a pas été sou-
concerné des absences pour raison de que par courrier recommandé du mis à l’employeur endéans le délai de
santé. 19 mai 2014, la salariée A s’est vu noti- trois jours tel que prescrit par l’article
fier son licenciement avec préavis pre- L.121-6 (2) du Code du travail.
Selon la société B, les motifs du licen-
nant cours le 1er juin 2014 pour s’achever Au vu de cet aveu et au regard du texte
ciement avec préavis donnés dans la
le 30 novembre 2014 et que, suite à sa formel de l’article L.121-6 (2) du Code
lettre de réponse à la demande des
demande des motifs, la salariée s’est du travail, tant l’attestation testimoniale
motifs du licenciement répondraient au
vu communiquer les motifs à la base versée en cause que l’offre de preuve
caractère de précision exigé par la loi et
de son licenciement par courrier du tendant à établir que le témoin C a posté
ils seraient également réels et sérieux.
16 juin 2014 et qui consistent dans le le certificat d’arrêt de travail à la date
La salariée A aurait envoyé le certificat grief tiré d’une absence injustifiée de A du 6 mai 2014, sont dépourvus de perti-
médical relatif au prolongement de sa du 5 mai au 13 mai 2014, ensemble avec nence et sont partant à rejeter.
maladie avec un retard de huit jours, ce trois avertissements dont il est fait état
qui constituerait une faute de nature à dans la lettre de licenciement. Il s’en suit que la salariée A n’a pas
justifier, au regard de la jurisprudence respecté la condition du paragraphe (2)
La Cour adopte la motivation du Tribunal de l’article L.121-6 du Code du travail, à
en la matière, un licenciement avec pré-
du travail qui a retenu que les motifs du savoir soumettre à l’employeur un certi-
avis. Le retard en question résulterait à
licenciement avec préavis répondent aux ficat médical attestant son incapacité de
suffisance du tampon postal de l’envoi
critères de précision exigés par l’article
L.124-5 (2) du Code du travail dès lors

2
travail et sa durée prévisible au plus tard contestée par l’employeur, est restée à La finalité des paragraphes 1 et 2 de
le troisième jour de son absence. l’état de pure allégation. l’article L.121-6 sont notamment de
permettre à l’employeur de prendre les
Selon la Cour, le fait de ne pas respec- Or, même si, dans le passé, la société B a
mesures nécessaires pour assurer le
ter les dispositions de l’article L.121-6 admis un léger retard dans la fourniture
bon fonctionnement de son entreprise
(1) et (2) ne constitue pas toujours, à lui du certificat médical par la salariée, le
malgré l’absence de son salarié.
seul, une faute grave justifiant un licen- fait de laisser l’employeur dans l’igno-
ciement immédiat. Il convient d’analy- rance des raisons de son absence et En l’espèce, l’incertitude sur la légiti-
ser les circonstances dans lesquelles de la durée de huit jours d’absence non mité de l’absence de la salariée et la
cette omission a eu lieu pour en appré- justifiée, constitue dans le chef de A une durée prévisible de celle-ci au cours
cier le degré de gravité. faute de nature à justifier un licencie- d’une période de huit jours ont sérieu-
ment avec préavis eu égard également sement perturbé l’organisation du ser-
En l’espèce, ce n’est que le 13 mai 2014
aux avertissements et au compte-rendu, vice « Accueil et caisse» auquel était
que l’employeur a eu connaissance du
qui avaient été adressés à la salariée au affectée A au sein de la société B qui a
certificat médical attestant la maladie de
cours des années 2012 et 2013 et qui dû organiser le service en question au
A du 5 mai au 1er juin 2014. L’affirmation
avaient souligné certaines négligences jour le jour.
de la salariée selon laquelle elle aurait
de la salariée dans l’exécution de son
informé l’employeur de la durée de sa Il s’ensuit que le jugement entrepris est
travail, même si ces avertissements ne
maladie lors de l’information par télé- à confirmer en ce qu’il a déclaré le licen-
concernaient pas les obligations de la
phone donnée à la date du 5 mai 2014, ciement avec préavis du 19 mai 2014
salariée en matière de congé de mala-
justifié.
die.

2. Congés : une clause contractuelle prévoyant qu’en cas de résiliation du contrat


de travail, le congé non encore pris du salarié est imputé sur la dispense de
travail que l’employeur peut lui accorder pendant le délai de préavis est nulle.

Arrêt de la Cour d’appel du 12 juillet 2018, n°40702 du rôle.

Les arguments des parties diminution des salaires, indemnités et sur la période de préavis en application
devant la Cour d’appel autres avantages auxquels il aurait pu de la clause précitée, mais parce que le
prétendre s’il avait accompli son travail. salarié, même après avoir reçu sa lettre
Quant à la demande tendant au paie- de licenciement, aurait d’un commun
ment d’une indemnité de congé non pris, Le salarié conteste avoir posé une
accord avec l’employeur préféré prendre
la Cour a invité les parties à conclure sur demande de congé pour la période affé-
ses congés pendant le délai de préavis
base du paragraphe 4 (7) du contrat du rente et donne à considérer que l’em-
plutôt que d’être dispensé de préavis. Il
23 mai 2008, qui stipule : ployeur n’aurait versé ni la demande de
aurait en effet désiré partir dans le sud
congé, ni le livre de congé tel qu’exigé
de la France et être tranquille.
« Bei oder nach einer Kündigung dieses par l’article L.233-17 du Code du travail.
Vertrages, gleich durch welche Partei, L’employeur conclut partant au débouté
ist die Gesellschaft jederzeit befugt, den Il se réfère à une jurisprudence de la
de la demande au motif que le salarié
Geschäftsführer unter Anrechnung auf Cour aux termes de laquelle, si le sala-
aurait maintenu sa demande de congé,
etwaigen noch offenstehenden Urlaub rié peut présenter une demande offi-
malgré la dispense de préavis. Il aurait
von seiner Verpflichtung zur Arbeitsleis- cielle de congés pendant la période de
confirmé son souhait au gérant, B, ce
tung für die Gesellschaft sofort frei- préavis, l’employeur, quant à lui, ne peut
qui résulterait de l’attestation de ce der-
zustellen. Noch bestehende Urlaub- pas imputer automatiquement de son
nier.
sansprüche werden auf die Dauer der propre chef, le solde des congés sur le
Freistellung angerechnet ». préavis, ni en affecter le salaire mensuel Ces faits seraient encore établis par les
redû (Cour d’appel, 8 novembre 2001, fiches de salaires qui renseignent que le
Le salarié fait plaider que cette clause n° 25405 du rôle). congé a été pris pendant la période de
serait nulle, pour contrevenir aux dis- préavis.
positions d’ordre public prévues par les Le salarié demande dès lors la confir-
articles L.233-10 et L.124-9 (1), alinéa mation du jugement entrepris en ce qu’il Ce n’est qu’à titre subsidiaire, que
2 du Code du travail selon lesquelles, a condamné l’employeur à lui payer le l’employeur conclut au débouté de la
non seulement, le congé est fixé à la montant de 7.053,81 euros au titre des demande sur base de la clause litigieuse,
demande du salarié selon son désir, congés non pris. tout en se rapportant à la sagesse de la
mais en outre, jusqu’à l’expiration du Cour en ce qui concerne la validité de la
L’employeur, pour sa part, fait plaider que
préavis, la dispense de prester le préavis clause.
les congés n’auraient pas été imputés
ne doit entraîner pour le salarié aucune

3
Le salarié demande que l’attestation du Le raisonnement de la Cour avis, il n’avait d’ailleurs aucune raison
gérant B soit rejetée pour ne pas être d’appel de demander congé pour cette période.
conforme aux exigences des articles 399
Il ne résulte d’aucun élément du dossier L’offre de preuve par audition dudit
et suivants du Nouveau code de procé-
que le salarié aurait demandé à partir témoin doit quant à elle être rejetée pour
dure civile, B étant le gérant de l’entre-
en congé pendant la période de préavis. défaut de précision et de pertinence,
prise.
L’employeur ne verse ni une demande de puisque le fait que le salarié déclare
En outre, il demande son rejet pour congé écrite et signée par le salarié, ni maintenir ses vacances, n’implique pas
défaut de précision et de pertinence. son livre de congé duquel il résulterait qu’il ait confirmé le congé. En effet, vu
que le salarié était en congé pendant la qu’il était dispensé de prester son préa-
L’employeur réplique que B aurait
période litigieuse. vis, il était libre de toute façon de partir
démissionné de son poste de gérant
en vacances.
avec effet au 31 décembre 2017, de sorte Eu égard aux contestations du salarié,
qu’une éventuelle interdiction de témoi- la simple inscription sur les fiches de Il suit de ce qui précède qu’il n’est pas
gner ne serait plus d’actualité. salaire établies par l’employeur n’est établi que le salarié se trouvait en congé
pas de nature à établir, à elle seule, les de récréation pendant sa période de pré-
Il offre dès lors de prouver par l’audition
affirmations de ce dernier. avis.
de B que « le salarié avait posé, sans
préjudice quant à la date exacte avant Dans son attestation, B relate qu’en date du Concernant la clause litigieuse, il y a lieu
la date de son licenciement, ses congés 30 juin 2009, le salarié l’aurait informé qu’il de dire qu’elle est nulle pour contrevenir
pour la période de juillet 2011 ; que suite ne prolongerait pas son congé de maladie aux dispositions d’ordre public prévues
à la remise de la lettre de licenciement, au-delà du 10 juillet 2009, parce qu’il vou- par l’article L.124-9 du Code du travail,
celui-ci déclara maintenir ses vacances lait partir en vacances avec sa famille dans selon lequel jusqu’à l’expiration du délai
et partit en vacances ». le sud de la France, et qu’il ne pourrait s’y de préavis, la dispense de travail accor-
rendre s’il était toujours en congé de mala- dée au salarié ne doit entraîner pour le
Dans ses conclusions notifiées en date
die. En date du 13 juillet 2009, après qu’il salarié aucune diminution des salaires,
du 29 mars 2018, le salarié conteste
lui aurait remis sa lettre de licenciement, indemnités et autres avantages aux-
encore une fois avoir demandé congé
le salarié aurait rangé son bureau et ne quels il aurait pu prétendre s’il avait
pour la période litigieuse et verse
serait plus revenu. Il serait ensuite parti en accompli son travail.
diverses pièces aux fins d’établir qu’il
était à Luxembourg pendant cette vacances. Il s’ensuit que la demande en paiement
période et qu’il n’était donc pas parti en Cette attestation n’est pas non plus de de l’indemnité de congé, non autrement
vacances. nature à établir que le salarié aurait contestée quant à son montant, est à
demandé congé en date du 30 juin 2009 déclarer fondée à concurrence du mon-
Par ailleurs, il demande le rejet de l’offre
et qu’il aurait réitéré sa demande après tant réclamé de 7.053,81 euros.
de preuve présentée par l’employeur
pour être imprécise, mensongère et non avoir reçu sa lettre de licenciement.
pertinente. Puisque le salarié était dispensé de pré-

4
3. Reclassement : la condition d’ancienneté de 3 ans est remplie lorsque la sala-
riée a travaillé de manière continue au même poste de travail depuis 2007 pour
des employeurs successifs, constitués certes sous forme de sociétés distinctes
relevant de législations différentes, mais avec à chaque fois une dénomination
sociale identique, et avec prise en compte, en termes d’ancienneté de service,
du travail accompli depuis 2007.

Arrêt de la Cour de cassation N° 80 / 2018 du 10 juillet 2018, n° 3991 du registre

Faits ment professionnel que sous condition 2007, ne sont à elles seules et en l'ab-
qu’ils soient en possession d’un certifi- sence de tout lien juridique entre les
La Commission mixte de reclassement cat d’aptitude au poste de travail, établi deux susdites sociétés, pas de nature à
des travailleurs incapables à exercer leur par le médecin du travail compétent lors pallier la carence au niveau de la preuve
dernier poste de travail (Commission de l’embauche à ce dernier poste de tra- à rapporter.
mixte ci-après) a retenu que X n’était pas vail. Le médecin du travail compétent en
éligible à un reclassement profession- Il relève finalement encore que les
informe la Commission mixte lors de la
nel, au motif qu’elle avait occupé son contrôles médicaux que X a passés entre
saisine.»
dernier poste de travail depuis moins de 2007 et 2012 renseignent ... que son
3 ans et qu’elle n’était pas en possession employeur était «Soc1)», sis en France,
d’un certificat d’aptitude au poste de tra- Décision attaquée dont un quelconque lien avec la société
vail établi par le médecin du travail. luxembourgeoise fait, au niveau des élé-
Le Conseil supérieur de la sécurité ments probants de la cause, pareille-
X a contesté cette décision devant le sociale a considéré que X ne remplissait ment défaut.
Conseil arbitral de la sécurité sociale, pas la condition d’ancienneté minimale
qui a suivi la position de la Commission de 3 ans pour pouvoir prétendre à un B a formé un pourvoi en cassation3.
mixte. reclassement, sans avoir un certificat
d’aptitude au poste de travail, établi par
X a interjeté appel contre ce jugement
le médecin du travail compétent lors de
Décision de la Cour de
devant le Conseil supérieur de la sécu- cassation
l’embauche à ce dernier poste de travail.
rité sociale, qui a confirmé le jugement
précédent. Pourtant X affirme que la société Soc1) L’article L. 551-1, paragraphe 1, alinéa
sàrl, ayant son siège social au Luxem- 2 du Code du travail subordonne l’éligi-
X a décidé de porter son affaire devant la bilité au reclassement à une continuité
bourg (où elle a travaillé à partir du 3 juin
Cour de cassation2. des relations de travail avant qu’il soit
2013 comme boulangère), d'une part, et
la société Soc1) sprl, ayant son siège constaté que le salarié présente une
Art. L. 551-1 du Code du travail incapacité pour exécuter les tâches cor-
social en Belgique (où elle a travaillé à
« Le salarié qui n’est pas à considérer partir du 17 juillet 2007, toujours comme respondant à son dernier poste de travail.
comme invalide au sens de l’article 187 boulangère) auraient été exploitées par Le salarié qui occupe son dernier poste
du Code de la sécurité sociale, mais les mêmes personnes. de travail depuis moins de 3 ans doit être
qui par suite de maladie ou d’infirmité en possession d’un certificat d’aptitude
Le Conseil supérieur de la sécurité
présente une incapacité pour exécuter au poste de travail établi par le médecin
sociale considère que cette affirmation
les tâches correspondant à son dernier du travail compétent lors de l’embauche
est contredite par les pièces versées en
poste de travail, peut bénéficier, dans à ce dernier poste de travail.
cause, les statuts de la société Soc1)
les conditions prévues au présent Titre,
sàrl, qui est son dernier employeur, ne Or l’arrêt attaqué retient que « suivant
d’un reclassement professionnel interne
contenant aucun élément permettant contrats de travail versés en cause, X
ou d’un reclassement professionnel
de conclure à l'existence d'un lien entre était engagée à partir du 17 juillet 2007
externe, ainsi que du statut de personne
lesdites sociétés. par la société Soc1) sprl, sise en Belgique
en reclassement professionnel.
Il estime que les fiches de salaire éta- et à partir du 3 juin 2013 par la société
Les salariés qui occupent leur dernier Soc1) sàrl, sise au Luxembourg », et que
blies par Soc1) sàrl qui renseignent une
poste de travail depuis moins de trois les fiches de salaire établies par Soc1)
ancienneté de X à partir du 17 juillet
ans ne sont éligibles pour le reclasse-

2) Le recours en cassation est un recours extraordinaire formé devant la Cour de cassation contre une décision de justice rendue en dernier ressort. La Cour de
cassation ne tranche que des questions de droit ou d’application de droit. Il est obligatoire pour les parties de prendre un avocat.
3) Idem

5
sàrl renseignent une ancienneté de ser- travail depuis 2007 pour des employeurs plus ou moins de trois ans, ne pouvait
vice de la demanderesse en cassation à successifs, constitués certes sous forme se limiter à faire état des seuls « sta-
partir du 17 juillet 2007. de sociétés distinctes relevant de légis- tuts de la société Soc1) sàrl, qui est son
lations différentes, mais avec à chaque dernier employeur, ne contenant aucun
Il résulte encore implicitement des
fois une dénomination sociale identique, élément permettant de conclure à
constatations en fait opérées par les
et avec prise en compte, en termes d’an- l’existence d’un lien » entre les sociétés,
juges d’appel que X a toujours occupé le
cienneté de service, du travail accompli employeurs successifs, de X.
même poste de travail.
depuis 2007.
L’arrêt attaqué encourt par conséquent
Il apparait donc que X a travaillé de
L’arrêt attaqué, pour apprécier si X occu- la cassation.
manière continue au même poste de
pait son dernier poste de travail depuis

4. Contrat de travail : en principe, il appartient à celui qui invoque l’existence d’un


contrat de travail d’en rapporter la preuve. Cependant, dans l’hypothèse d’un
contrat de travail apparent, il incombe à celui qui conteste l’existence d’un lien
de subordination d’établir le caractère fictif du contrat.

Arrêt de la Cour du 12 juilllet 2018, n°44876 du rôle

Faits Pour ce faire, le tribunal a retenu qu’en Par réformation de la décision entre-
présence d’un contrat de travail appa- prise, l’employeur demande à voir
Le salarié A a été employé par la SA S1 rent, il appartient à la SA S1 d’établir constater que le salarié ne rapporte
en qualité de délégué commercial sui- le caractère fictif du contrat de travail, pas la preuve d’un lien de subordination
vant un contrat de travail signé le 17 preuve que cette dernière n’aurait pas juridique, qu’il ne dispose donc pas de
octobre 2014 avec effet au 1er novembre rapportée. la qualité de salarié, de dire en consé-
2014 pour un salaire mensuel brut de quence que les juridictions de travail
3.600 euros. Le 30 janvier 2015, les par- Le tribunal a relevé que le fait que les
sont incompétentes pour connaître de
ties avaient signé un nouveau contrat de contrats de travail ne prévoient pas
la demande de A et de le décharger de
travail avec effet au 1er février 2015 pour d’horaire de travail et que les fiches de
toute condamnation du chef d’arriérés
un salaire mensuel brut de 1.950 euros salaires ne contiennent pas de rubriques
de salaires.
et le 12 février 2016, le salarié a été relatives aux jours de congés ne per-
licencié avec un préavis de deux mois mettent pas de conclure à leur caractère La SA S1 fait plaider qu’il appartient à
expirant le 15 avril 2016. fictif, alors que les contrats indiquent la celui qui prétend être salarié de rappor-
durée de travail hebdomadaire et qu’il ter la preuve du lien de subordination
Par requête du 16 août 2016, le salarié A n’est pas rare que sur les fiches de juridique entre les parties.
a fait convoquer son employeur la SA S1 salaires ne figure aucun état des congés.
devant le Tribunal du travail de Luxem- Le salarié n’aurait cependant pas rap-
La pièce relative à un remboursement de
bourg aux fins de l’y entendre condam- porté la preuve qu’il avait réellement
TVA versée par l’employeur serait égale-
ner à lui payer des arriérés de salaires. exercé des activités techniques diffé-
ment sans pertinence étant donné que
rentes de sa qualité d’actionnaire et
Devant la juridiction de première ins- le contexte et la cause de ce paiement
partant qu’il existait un lien de subordi-
tance, la SA S1 a soulevé à titre principal ne ressortent pas de cet extrait et n’ont
nation entre lui-même et la société.
l’incompétence ratione materiae du Tri- pas non plus été précisés.
bunal du travail en contestant l’existence L’employeur ajoute qu’en tout état de
Les versements faits par la SA S1 à
d’un contrat de travail réel, à défaut de cause et même en présence d’un contrat
A indiqueraient par contre que les
lien de subordination existant entre par- écrit apparent, l’inexistence du moindre
sommes lui continuées sont des paie-
ties. Le salarié A disposerait en effet de lien de subordination entre parties serait
ments de salaire et il résulterait, en
33% des actions de la société depuis d’ores et déjà avérée. Ainsi, A serait
outre, des attestations testimoniales
le mois de novembre 2013 et les deux actionnaire à 33% de la société depuis
établies par T1, T2 et T3 que A a effec-
contrats de travail seraient fictifs. le 5 novembre 2013, soit avant la signa-
tivement travaillé pour le compte de la
ture du prétendu contrat de travail du
société S1 dans un lien de subordination
17 octobre 2014.
par rapport à la société.
Première instance
Il n’aurait commencé à réclamer des
Par jugement du 11 mai 2017, le Tribunal arriérés correspondant à 17 mois de
du travail s’est déclaré compétent pour Instance d’appel salaires qu’à partir du mois d’août 2016.
connaître de la demande qu’il a déclaré De ce jugement, la SA S1 a régulière-
fondée pour le montant réclamé. Les éléments du dossier ne permet-
ment relevé appel par exploit d’huissier traient pas de retenir que A recevait des
du 24 mai 2017.

6
ordres ou instructions précises de la à l’embauche d’un chômeur âgé, ainsi Il s’ensuit qu’il n’appartient pas au sala-
part de la société S1 quant à l’exécution qu’une déclaration affirmative suite à rié d’établir l’existence d’un contrat de
de son prétendu contrat de travail. une saisie sur son salaire. travail, mais il appartient à l’employeur,
qui conteste la validité des contrats, d’en
L’existence de fiches de salaire et les A explique le fait qu’il a attendu avant
rapporter le caractère fictif.
mentions sur les extraits bancaires ne d’agir judiciairement contre son
suffiraient pas pour prouver une relation employeur par les multiples promesses Cette preuve ne résulte pas de la seule
de travail entre parties qui ne dépendrait de paiement reçues oralement, ainsi que qualité d’associé d’une société ano-
ni de la dénomination que les parties par le fait qu’il avait reçu une importante nyme, cette qualité n’étant pas néces-
ont donné à leur convention, mais des somme dans le cadre d’un héritage. sairement exclusive de celle de salarié.
conditions de fait dans lesquelles l’acti- Il n’est pas non plus allégué, ni a fortiori
Pour autant que de besoin, A formule
vité a été exercée. établi, que A avait un mandat social dans
une offre de preuve testimoniale tendant
la société.
L’attestation de T1 serait à rejeter alors à établir qu’il a exécuté des tâches sala-
que le témoin a indiqué que A était une riales et qu’il a reçu des ordres de son Le fait que A a, devant les promesses de
connaissance personnelle sans cepen- supérieur hiérarchique B pour l’exécu- l’appelante de lui régler son dû, attendu
dant préciser la nature de cette relation, tion de ces tâches. un certain temps pour réclamer les
de sorte que l’impartialité du témoin arriérés de salaires n’est pas non plus
ne serait pas garantie. Son attestation de nature à permettre de conclure à
manquerait, par ailleurs, de précision. Analyse de la Cour d’appel son caractère fictif, d’autant plus que
Les attestations de T2 et de T3 seraient Les juridictions du travail sont des juri- le salarié soutient, pièce à l’appui, qu’il
également à rejeter compte tenu des dictions d’exception qui ne peuvent a hérité d’une importante somme, de
déclarations floues, sinon sibyllines des connaître que des affaires qui leur sont sorte qu’il n’était pas dans un besoin
témoins. réservées par la loi. immédiat d’argent.
Les auteurs des attestations feraient, Il y a, dès lors, lieu d’examiner si les Les éléments du dossier ne permettent
en outre, état de faits qui ne corres- parties sont liées par un contrat de tra- pas non plus de conclure à l’absence
pondraient manifestement pas à la vail tel que défini par la jurisprudence d’un lien de subordination.
réalité alors qu’ils indiqueraient que B luxembourgeoise suivant laquelle le Au contraire, il résulte des attestations
est l’employeur de A, respectivement contrat de travail est la convention testimoniales de T2, T3 et T1, qui sont
la personne qui lui avait donné des ins- par laquelle une personne s’engage à toutes à prendre en considération, alors
tructions. Or, ce dernier n’avait aucune mettre son activité à la disposition d’une que le fait pour les témoins d’indiquer
qualité pour ce faire, étant donné qu’il autre, sous la subordination de laquelle connaître personnellement une per-
avait déjà démissionné de sa fonction elle se place, moyennant rémunération. sonne n’est pas de nature à permettre
d’administrateur unique de la société le
L’existence d’un contrat de travail ne de conclure à l’impartialité des témoins,
21 août 2014.
dépend pas de la qualification que les que A a effectivement travaillé pour le
Le salarié A conclut à la confirmation du parties ont donné à leur convention, compte de l’appelante sous un lien de
jugement entrepris par adoption de ses mais des conditions de fait dans les- subordination.
motifs. quelles s’exerce l’activité du salarié. Ainsi T2, qui en tant que retraité a beau-
Le salarié A fait valoir qu’en présence En principe, il appartient à celui qui coup de temps libre a passé de nom-
d’un contrat de travail écrit, il incombe à invoque l’existence d’un contrat de tra- breuses heures/jours dans les bureaux
l’employeur de prouver le caractère fictif vail d’en rapporter la preuve. Cependant, de la société, atteste que B a donné
du contrat, ce que la SA S1 n’aurait pas dans l’hypothèse d’un contrat de travail des instructions à A pour trouver des
fait. apparent il incombe à celui qui conteste terrains, s’occuper de la comptabilité
l’existence d’un lien de subordination ou préparer des virements. D’après ce
Il explique qu’il n’avait pas de mandat
d’établir le caractère fictif du contrat. témoin, B lui a également donné des
social et ne pouvait pas engager la SA S1
instructions pour se rendre avec deux
avec laquelle il avait signé deux contrats En l’espèce, les parties ont signé deux clients auprès de la société S2 avec
de travail et qui a procédé à son licencie- documents intitulés « contrat de travail laquelle la SA S1 travaillait.
ment en 2016. à durée indéterminée », d’abord en date
du 17 octobre 2014 et ensuite en date du T3, qui s’est également rendu plusieurs
La réalité de l’exercice d’une fonction
30 janvier 2015, qui reprennent la nature fois par mois dans les bureaux de la
salariale sous les ordres et la direction
de l’emploi, un horaire à plein temps et société S1 au cours de la période concer-
de la SA S1 résulterait des attestations
une rémunération brute mensuelle sous née, a constaté que A s’est occupé de
testimoniales versées en cause.
déduction des charges légales. la préparation de la comptabilité et du
A ajoute, pièces à l’appui, que la SA S1 classement des documents de caisse.
lui avait remis des fiches de salaires. Il Le fait que les contrats ne précisent pas Le témoin ajoute qu’il a entendu B
résulterait, en outre, des extraits ban- d’horaire journalier précis n’est, devant ordonner à A de contacter des clients,
caires que la société lui versait des la précision de la durée de travail hebdo- de fixer des rendez-vous et des visites
salaires. La SA S1 aurait également fait madaire, pas de nature à contredire leur de lieux.
une demande en obtention d’une aide caractère d’apparence.

7
T1, qui au cours de la période de fin ou la préparation de documents pour la Il suit des développements qui pré-
2014 à début 2016, s’est rendu une tren- comptabilité. cèdent que la juridiction de première
taine de fois au bureau de l’employeur, instance est à confirmer en ce qu’elle
Le fait que B ait démissionné de son
affirme avoir aidé A à rédiger des lettres a retenu que la société S1 n’a pas rap-
poste d’administrateur unique de la
ou remplir des formulaires. Il a pré- porté la preuve du caractère fictif de la
société S1 ne l’empêchait pas d’avoir
cisé que A s’est occupé des clients et a relation de travail entre parties.
exercé la fonction de directeur de la
reçu, à maintes reprises, des ordres de
société et de supérieur hiérarchique de La juridiction du travail est encore à
la part du directeur de la société, B, en
A. confirmer, par adoption de ses motifs,
relation avec des rendez-vous avec des
en ce qu’elle a retenu que A a droit aux
clients, des entretiens avec la société S2
arriérés de salaires réclamés.

5. DROIT EUROPÉEN : le fait pour une autorité publique - employeur d’ouvrir le


contenu d’un dossier intitulé « rires » enregistré sur un disque dur dénommé
« D:/données personnelles » sur l’ordinateur professionnel d’un salarié ne
constitue pas une violation de l’article 8 de la CEDH.

Arrêt de la CEDH (cinquième section) du 22 février 2018, Libert c. France, requête n°588/13

Faits et procédure ainsi que de nombreux fichiers contenant des Droits de l’Homme d’une requête
des images et des films à caractère por- dirigée contre la République française le
M. Libert travaillait pour la société nographique. 27 décembre 2012.
nationale des chemins de fer française
(SNCF) depuis 1976. En dernier lieu, il Suite à une demande d’explications lui Il avance notamment que l’ouverture
y a occupé le poste d’adjoint au chef de ayant été adressée le 7 mai 2008, il a par son employeur, en dehors de sa pré-
la brigade de surveillance de la région répondu qu’en raison d’un problème sence, de fichiers figurant sur le disque
d’Amiens. affectant son ordinateur personnel, il dur de son ordinateur professionnel
avait transféré le contenu d’une clef a emporté violation de l’article 8 de la
En 2007, celui-ci a été mis en examen USB sur son ordinateur professionnel. Convention.
pour dénonciation calomnieuse après Quant aux fichiers à caractère porno-
avoir dénoncé auprès de sa direction graphique, il a expliqué que ceux-ci lui Article 8 de la Convention
un de ses subordonnés qui selon ses avait été envoyé par des personnes qu’il
dires avait adopté un langage outrancier ne connaissait pas par le biais de l’intra- « 1. Toute personne a droit au respect de
à l’encontre d’un collègue. M. Libert a net de la SNCF. sa vie privée et familiale, de son domicile
été suspendu de ses fonctions du fait de et de sa correspondance.
cette mise en examen. Le 21 mai 2008, M. Libert a été convo-
qué à un entretien disciplinaire, puis a 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une auto-
L’affaire ayant fait l’objet d’un non-lieu, été informé le 9 juin 2008 qu’il allait être rité publique dans l’exercice de ce droit
M. Libert a transmis une demande traduit devant le conseil de discipline en que pour autant que cette ingérence est
de réintégration dans ses anciennes date du 15 juillet 2008 où une proposition prévue par la loi et qu’elle constitue une
fonctions à son employeur. En dépit de de radiation des cadres serait examinée. mesure qui, dans une société démocra-
l’invitation à intégrer un autre poste, il a Celle-ci a finalement été confirmée le tique, est nécessaire à la sécurité natio-
maintenu sa demande et a réintégré son 17 juillet 2008. nale, à la sûreté publique, au bien être
service le 17 mars 2008. économique du pays, à la défense de
Le 28 octobre 2008, M. Libert a saisi le l’ordre et à la prévention des infractions
Le jour de son retour, M. Libert a constaté conseil des prud’hommes d’Amiens pénales, à la protection de la santé ou de
que son ordinateur avait été saisi. Convo- pour voir son licenciement déclaré la morale, ou à la protection des droits et
qué par sa hiérarchie le 5 avril 2008, il a comme dépourvu de cause réelle et libertés d’autrui. »
été informé que le disque dur de son ordi- sérieuse. Après rejet de sa demande, il
nateur professionnel avait été analysé en a saisi la Cour d’Appel d’Amiens, qui a,
raison de soupçons exprimés en mars à son tour, rejeté sa demande. Le requé- L’appréciation de la Cour
2007 et en janvier 2008 par la personne rant s’est alors pourvu en cassation au
l’ayant remplacé durant son absence. motif que l’article 8 de la Convention de Sur l’existence d’une ingérence
Cette analyse avait permis de trouver des sauvegarde des Droits de l’Homme et
« attestations de changement de rési- La Cour constate que des fichiers du
des Libertés fondamentales (la Conven-
dence rédigées à l’entête de la brigade requérant ont été ouverts sur l’ordina-
tion) avait été violé. Son pourvoi ayant
SUGE de Lille et au bénéfice de tiers », teur professionnel de ce dernier sans
été rejeté, il a saisi la Cour européenne
qu’il en ait été informé et en dehors de

8
sa présence. Compte tenu des circons- de la jurisprudence de la Cour de cassa- des fichiers litigieux dans la mesure
tances particulières de la cause, la Cour tion française5 , tel était le cas en l’espèce. où ceux-ci n’avaient pas été identifiés
est donc prête à accepter qu’il y a eu comme privés.
ingérence dans son droit au respect de
Sur l’existence d’un but légitime Sous réserve d’une interprétation arbi-
la vie privée.
traire ou manifestement déraisonnable,
La Cour relève qu’en l’espèce l’ingérence il appartient aux juridictions nationales
Sur la qualification d’autorité publique visait à garantir la protection des droits d’interpréter le droit interne, la Cour ne
La SNCF en tant que personne morale d’autrui, en l’occurrence ceux de l’em- contrôlant que la compatibilité avec la
de droit public (un « établissement ployeur. Celui-ci peut en effet « légitime- Convention des effets de pareille inter-
public à caractère industriel et commer- ment vouloir s’assurer que ses salariés prétation.
cial »), placée sous la tutelle de l’État, utilisent les équipements informatiques
qu’il met à leur disposition pour l’exé- Dans cette affaire, les juridictions natio-
dont la direction est nommée par lui, qui
cution de leurs fonctions en conformité nales ont relevé que les fichiers liti-
assure un service public, qui détient un
avec leurs obligations contractuelles et gieux étaient stockés dans un dossier
monopole et qui bénéficie d’une garan-
la règlementation applicable ». dénommé « rires », et que le disque
tie implicite de l’État, doit être qualifiée
« D » (dénommé par défaut « D:/données »)
d’autorité publique au sens de l’article 8
Sur le caractère nécessaire d’une telle servait traditionnellement aux agents à
paragraphe 2 de la Convention.
mesure dans une société démocratique stocker leurs documents professionnels.
Le fait que celle-ci exerce une activité Elles ont constaté à cet égard que :
« à caractère industriel et commercial », Le caractère nécessaire implique qu’une
ingérence soit fondée sur un besoin • un salarié ne pouvait utiliser l’in-
que son personnel relève du droit privé,
social impérieux et notamment propor- tégralité d’un disque dur, censé
que les décisions non règlementaires
tionnée au but légitime recherché. Les enregistrer des données profession-
qu’elle prend à l’égard de celui-ci sont
États contractants disposent d’une cer- nelles, pour un usage privé,
des actes de droit privé et que les
litiges du travail auxquels elle est partie taine marge d’appréciation, cependant • le terme générique de « données
relèvent du juge judiciaire, ne remet pas dans le cadre de son contrôle, la Cour personnelles » pouvait se rapporter
en cause cette qualification. vérifie si les motifs invoqués à l’appui des à des dossiers professionnels traités
ingérences en cause sont pertinents et personnellement par le salarié et ne
Sur une ingérence prévue par la loi suffisants, si la législation et la pratique désignait donc pas de façon explicite
internes offrent des garanties adéquates des éléments relevant de la vie pri-
Cette condition d’application de l’article et suffisantes contre les abus et l’arbi- vée,
8 paragraphe 2 de la Convention vise à traire.
garantir une certaine protection contre • le terme « rire » ne conférait pas
les atteintes arbitraires de la puissance La Cour constate que le droit positif d’évidence au fichier ainsi désigné
publique au droit au respect de la vie français contient un dispositif visant à un caractère nécessairement privé,
privée et familiale, de son domicile et de la protection de la vie privée, en vertu cette désignation pouvant se rap-
sa correspondance. Celui-ci impose le duquel « si l’employeur peut ouvrir les porter à des échanges entre collè-
respect des dispositions de droit interne fichiers professionnels qui se trouvent gues de travail ou à des documents
mais concerne également la qualité sur le disque dur des ordinateurs qu’il professionnels, conservés à titre de
de celles-ci, et exige qu’elles soient met à la disposition de ses employés « bêtisier », par le salarié,
conformes aux principes caractérisant dans le cadre de l’exercice de leurs fonc-
tions, il ne peut, « sauf risque ou évé- • la mesure prise contre le requérant
l’État de droit. Pour satisfaire à ces exi-
nement particulier », ouvrir les fichiers – sa radiation des cadres – n’était
gences, « la loi doit user de termes assez
identifiés comme étant personnels. Il ne pas disproportionnée, étant donné
clairs pour indiquer à tous, de manière
peut procéder à l’ouverture de fichiers que le requérant avait « massi-
suffisante, en quelles circonstances et
ainsi identifiés qu’en présence de l’em- vement contrevenu » au code de
sous quelles conditions, elle habilite la
ployé concerné ou après que celui-ci ait déontologie de la SNCF et aux réfé-
puissance publique à prendre pareilles
été dûment appelé ». Il ressort des élé- rentiels internes, qui rappellent
mesures ».
ments de l’affaire que les juridictions ont que les agents doivent utiliser les
La Cour juge que, grâce à l’applica- dûment fait application de ce dispositif, moyens informatiques mis à leur
tion combinée des articles L. 1121-1 et et ont jugé que celui-ci ne faisait pas disposition à des fins exclusivement
L. 1321-3 du Code du travail français4 et obstacle à l’ouverture par l’employeur professionnelles, une utilisation

4) Ces deux articles indiquent que « au sein de l’entreprise, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions
qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, et que le règlement intérieur établi par l’employeur ne peut
contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature
de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
5) Sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur
mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou après que celui-ci ait été dûment appelé. Cependant, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil
informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un
caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence.

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ponctuelle à titre privée étant seu- ne suffit pas à remettre en cause le partie importante des capacités de son
lement tolérée. caractère pertinent et suffisant des ordinateur professionnel pour stocker
motifs invoqués, et ce d’autant que les fichiers litigieux (1 562 fichiers repré-
La Cour estime que les juridictions
la charte de l’utilisateur pour l’usage sentant un volume de 787 mégaoctets),
internes ont ainsi dûment examiné le
du système informatique de la SNCF il est concevable que la SNCF et les juri-
moyen du requérant tiré d’une violation
indique spécifiquement que « les infor- dictions internes aient jugé nécessaire
de son droit au respect de sa vie privée.
mations à caractère privé doivent être d’examiner sa cause avec rigueur.
La Cour juge les motifs invoqué à l’ap-
clairement identifiées comme telles
pui de l’ingérence en cause pertinents et
(option « Privé » dans les critères OUT-
suffisants. La décision de la Cour
LOOK, notamment) [et qu’]il en est de
Le fait que M. Libert ait utilisé le mot même des supports recevant ces infor- « Les autorités internes n’ont pas excédé
« personnel », tel qu’envisagé par la mations (répertoire « PRIVÉ ») ». la marge d’appréciation dont elles dis-
jurisprudence de la Cour de cassation posaient, il n’y a donc pas eu violation de
La Cour ajoute enfin que compte tenu
française, et non le terme de « privé », l’article 8 de la Convention. »
du fait que le requérant avait utilisé une

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