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COMMENTAIRE D’ARRÊT

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15


DECEMBRE 2021
N° 19-20.978

La charge de la preuve est une question récurrente en matière prud’homale,


une fois de plus, elle a constitué le point crucial de l’arrêt rendu le 15
décembre 2021 par la chambre sociale de la cour de cassation.
Un salarié a été engagé pour une durée indéterminée par une société en tant
que responsable général des ventes à compter du premier septembre 2013. Sa
rémunération comprenait une partie fixe et une partie variable selon barème
établi en fonction d’objectifs à atteindre.
Le 9 janvier 2016 le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail au
tort de son employeur.
Le 22 février 2016, le salarié saisit la juridiction prud’homale de demandes
relatives à l’exécution et à la rupture du contrat de travail, en l’objet d’un
rappel de salaire sur la part de rémunération variable pour les exercices 2013,
2014 et 2015, et d’une qualification de la prise acte en licenciement sans cause
réelle ni sérieuse.
Débouté en première instance, voyant sa demande de rappel de salaire rejetée,
sa prise d’acte qualifiée de démission et condamné au paiement de dommages
et intérêts pour inexécution du préavis, le salarié a interjeté appel.
Le 29 mai 2019, l’arrêt de la cour d’appel de Douai infirme le jugement de
première instance, requalifie la prise d’acte de licenciement sans cause réelle ni
sérieuse et condamne la société, outre les dommages et intérêts inférant, au
paiement de certaines sommes au titre de rappel de salaire sur la
rémunération variable pour les exercices 2013, 2014 et 2015.
Le jugement de première instance qui lui était favorable étant infirmé, la
société forme alors un pourvoi en cassation afin d’obtenir l’annulation du
jugement d’appel.
Le demandeur appuie son pourvoi sur deux moyens :
Le premier moyen fait grief à la cour d’avoir infirmé le jugement de première
instance en reprochant au demandeur l’absence d’éléments permettant de
démontrer le caractère réalisable des objectifs de l’année 2013, alors que c’est
au salarié d’apporter la preuve du caractère irréaliste des objectifs fixés,
inversant ainsi la charge de la preuve et violant l’article 1315 ancien devenu
l’article 1353 du code civil.
Il affirme en outre la reconduction tacite des objectifs de l’année 2013 aux
années suivantes et fait reproche à la cour de considérer qu’ils ne concernaient
que la seule année 2013 au mépris de l’article 1134 ancien devenu les articles
1103 et 1104 du code civil.
Le second moyen reproche à la cour d’avoir jugé que la prise d’acte produisait
les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, considérant que le
non-paiement de la rémunération variable constituait un manquement
suffisamment grave pour prononcer la rupture au tort du demandeur, alors
même que ce non-paiement n’avait pas empêché la poursuite du contrat de
travail, la cour ignorant le dispositions des articles 1134 ancien du code civil et
L.1234-1 et L.1237-1 et L1235-1 du code du travail. Il rappelle que le contrat
de travail doit être exécuté de bonne foi et remet en question le motif de la
prise d’acte, évoquant, preuves à l’appui, une proposition de poste faite au
salarié par une société concurrente dans le mois précédent sa prise d’acte.
La cour de cassation a rejeté le pourvoi du demandeur et confirmé l’arrêt de la
cour d’appel, s’appuyant principalement sur l’article 1315, devenu 1353 du
code civil pour affirmer qu’il incombe à l’employeur d’apporter la preuve du
caractère réalisable des objectifs fixés au salarié et qu’en l’absence de preuve,
le non-paiement de la part variable constitue un manquement grave justifiant
une rupture de contrat au tort de l’employeur.
Une clause d’objectifs oblige l’employeur à en vérifier la faisabilité et les
conditions de sa révision.
Si la rémunération constitue l’un des éléments principaux pour caractériser un
contrat de travail, elle peut comprendre une part variable qui est déterminée
par l’atteinte d’objectifs fixés par l’employeur.
Ce type de rémunération donne lieu à l’établissement d’une clause régie par
l’article 1315 ancien devenu 1353 du code civil.
« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait
qui a produit de son obligation »
Dans le cas présent il ne s’agit pas tant pour l’employeur de démontrer que le
salarié n’a pas atteint ses objectifs pour être libéré de son obligation de
paiement de la part variable de la rémunération, puisque cela n’est contesté
par aucun des deux parties mais de savoir à qui incombe de démontrer le
caractère réalisable des objectifs conditionnant l’octroi par l’employeur de
cette part variable, caractère contesté par le salarié, sa disqualification de son
caractère réalisable rendrait cette obligation de résultats, de fait, caduque.
Or, comme le stipule l’article L1235-1, « En cas de litige, […] le juge, à qui il
appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et
sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des
éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les
mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il justifie dans le jugement qu'il
prononce le montant des indemnités qu'il octroie. Si un doute subsiste, il
profite au salarié. »
Dès lors, en l’absence de justification apportée par l’employeur, le juge a
tranché, en bon droit, en faveur du salarié, et ce sans inverser la charge de la
preuve.
De la même manière, le contrat ne spécifiant pas explicitement une reconduite
des objectifs de l’exercice 2013 aux années suivantes, ceux-ci ne s’appliquent
qu’à cette année seulement.
Cette absence d’objectifs au-delà de l’exercice 2013 constitue à lui seul un
manquement grave de l’employeur qui permet de justifier que la prise d’acte
produise les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
S’appuyant strictement sur une application de l’article L.1353 du Code Civil et
L.1235-1 du Code du Travail dans toutes leurs dimensions, la décision de la
Cour de Cassation semble solidement établie et s’inscrit dans la continuité des
jurisprudences en matière de prise d’acte.
On pourrait s’interroger sur les moyens dont dispose un employeur pour
évaluer le caractère réalisable d’objectifs fixés dans le cadre d’un exercice
annuel, mais, pour peu qu’il dispose d’un bilan de l’exercice de l’année
précédente et une étude prospective de l’année à venir, cela demeure dans le
domaine du faisable, d’autant plus que ces deux outils sont devenus
indispensables, voir incontournables, dans la plupart des secteurs
professionnels.
Avec cet arrêt de portée normative, la Cour de cassation ne fait que confirmer
sa jurisprudence en matière de prise d’acte et apporter des précisions sur la
charge de la preuve relative au caractère réalisable des objectifs pouvant être
inscrits dans un contrat de travail.

Emmanuel CHAGNOT

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