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INTRODUCTION
CHAPITRE I - GENERALITES
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JORT 8-12 Mars 1968, pp 251-252.
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Cours général de droit international privé
caractéristiques, appellent des réponses qui leur sont appropriées. A ce propos, il est
opportun de rappeler qu’exception faite de la matière de droit international public, les
enseignements juridiques professés aux étudiants de la Licence en droit portaient
jusque là sur des disciplines prenant en charge divers aspects d’une réalité purement
interne. Par réalité interne, il faut entendre ici les situations de droit qui, par leurs
divers éléments, s’intègrent exclusivement dans l’ordre juridique tunisien. On parle
dans ce cas de situations homogènes. De manière concrète, il s’agit de situations où
se trouvent impliquées, de manière exclusive, des personnes de nationalité tunisienne
et dont tous les autres éléments, sont totalement concentrés dans l’espace tunisien. Il
en est ainsi par exemple lorsqu’il est question du divorce de deux époux tunisiens,
domiciliés en Tunisie ; ou d’un contentieux relatif à un contrat conclu et exécuté sur
le territoire tunisien, contrat liant deux parties tunisiennes ; ou encore, de la
réparation d’un préjudice résultant d’un accident survenu en Tunisie entre deux
voitures immatriculées dans ce même pays et appartenant à des personnes de
nationalité tunisienne.
Les enseignements dispensés en Licence se proposaient jusque là de déterminer
le cadre juridique de cette réalité interne sous ses différents aspects.
Dans les situations prises en charge par les différentes disciplines de droit
interne, les réponses juridiques apportées visent uniquement les hypothèses où tous
les éléments de la situation, du rapport de droit en question convergent de manière
exclusive vers l’espace tunisien. Ce sont des situations de droit qui s’établissent,
produisent leurs effets et s’éteignent dans les limites des frontières de l’Etat tunisien.
Dans ces hypothèses, aucun autre ordre juridique n’est touché d’une manière ou
d’une autre.
Toutefois, ces situations ne sont pas l’unique type de rapports pris en charge par
le droit. A côté de ces rapports qui concernent, de manière exclusive, l’ordre
juridique tunisien, il est des rapports qui dépassent le cadre réduit de cet ordre pour
toucher d’autres ordres juridiques. Ces derniers rapports sont de deux sortes.
Tout d’abord, il y a des rapports entre Etats souverains. La société
internationale est composée d’Etats qui entretiennent entre eux un certain nombre de
relations. Celles-ci sont prises en charge par le droit international public dont l’objet
est de régir les rapports entre Etats souverains et par extension, aux relations
impliquant les organisations internationales intergouvernementales.
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Cours général de droit international privé
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Cours général de droit international privé
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Cours général de droit international privé
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D’un point de vue étymologique, le terme extranéité dérive du latin extraneus qui veut dire extérieur,
étranger.
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Cours général de droit international privé
- l’ordre juridique tunisien est impliqué au titre du lieu de domicile des deux
personnes qui désirent se marier. Il est aussi concerné au titre de lieu de
célébration du mariage.
- l’ordre juridique italien est, dans ce cas, intéressé à la relation car les
individus impliqués dans la relation juridique sont tous deux de nationalité
italienne.
Parfois, les éléments d’une même situation intéressent plusieurs ordres
juridiques. Exemple : un tunisien décède en Tunisie, laissant des biens meubles en
Suisse, des biens immeubles en France et en Angleterre. Dans ce cas, il y a, au moins,
quatre ordres juridiques qui sont concernés par la relation en question :
- l’ordre juridique tunisien est doublement concerné puisque le de cujus est
tunisien et que d’autre part, la succession est ouverte en Tunisie ;
- l’ordre juridique suisse est intéressé en raison de la localisation des biens
meubles sur le territoire suisse ;
- les ordres français et anglais sont impliqués dans la relation en cause en
raison de la situation des biens immeubles de la succession sur les territoires
français et anglais.
Que la situation touche un, deux ou plusieurs ordres juridiques, autres que
l’ordre juridique tunisien, le résultat est toujours le même : la situation va être
qualifiée d’internationale dès qu’au moins un élément de la situation en rapport avec
l’ordre juridique étranger présente un caractère déterminant. Ceci nous amène à
évoquer le second caractère de l’élément d’extranéité.
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Cours général de droit international privé
A ce stade il est important de savoir quand est-ce qu’un élément est considéré
comme étant déterminant ? La loi ne le précise pas. Il appartient alors d’apprécier, au
cas par cas, le caractère déterminant de l’élément d’extranéité.
Dans ce contexte, il est permis de souligner que la solution varie suivant les
matières car le centre de gravité de la relation n’est pas le même dans tous les cas. Par
exemple, ce qui est déterminant en matière de statut personnel ne l’est pas
forcément dans le domaine contractuel. Dans une relation de statut personnel, la
personne est l’élément central du rapport de droit dans la mesure où les normes qui y
sont relatives visent intrinsèquement l’individu soit isolément (droit de la personne),
soit dans ses rapports familiaux (droit de la famille). Au regard de l’importance de
l’élément personnel, l’extranéité va s’apprécier par référence à la localisation à
l’étranger d’un attribut de la personne : domicile des parties situé à l’étranger ou
nationalité étrangère des personnes impliquées dans le rapport de droit. Dans ces cas,
on dira que l’élément d’extranéité est déterminant.
En revanche, la nationalité étrangère des parties est, en principe, un élément
peu significatif dans la qualification d’une relation contractuelle. Il paraît difficile,
compte tenu des exigences de l’article 2 du nouveau Code de droit international
privé, de déduire à partir de cet élément (la nationalité étrangère des deux
contractants ou la nationalité étrangère de l’un d’eux) le caractère international du
rapport de droit en question. En effet, dans une relation contractuelle le siège de la
relation est beaucoup plus l’acte que les personnes qui l’ont conclu3. S’il est vrai ici
que le droit des contrats s’adresse à des personnes, celles-ci ne sont visées, dans cette
discipline, qu’à travers les actes qu’elles accomplissent. L’appréciation du caractère
déterminant de l’élément d’extranéité en matière contractuelle doit se faire par
référence à des éléments se rapportant à l’acte lui-même. La nationalité étrangère des
cocontractants n’exerce dans ce genre de relations aucune influence sur la
qualification internationale de l’acte, à l’exception des contrats ayant pour objet un
immeuble situé en Tunisie.
Considérations spécifiques aux contrats ayant pour objet un immeuble
situé en Tunisie-Dans la mesure où l’immeuble constitue l’assise matérielle de la
souveraineté du pays, les opérations immobilières impliquant des personnes de
nationalité étrangère sont surveillées de près par l’ordre juridique tunisien qui leur
dédie à cet effet un arsenal juridique composé de règles substantielles spécifiques.
3
Rappr. A.MEZGHANI, Commentaires du Code de droit international privé, CPU, 1999, spc. p 29.
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Par exemple, l’opération d’achat par un étranger d’un bien immeuble à usage
d’habitation, situé en Tunisie, est soumise, d’après de Décret du 4 juin 1957 relatif
aux opérations immobilières, à l’autorisation du gouverneur. On peut ajouter dans ce
même contexte, l’interdiction faite, par la loi du 12 mai 1964, aux étrangers
d’acquérir des immeubles à vocation agricole.
Hormis ce cas spécifique, c’est l’établissement des domiciles des contractants
dans deux pays différents ou encore le mouvement au-delà des frontières nationales
des biens, des services ou des capitaux qui emporte ici de manière déterminante la
qualification internationale du contrat. En revanche, le lieu de conclusion du contrat à
l’étranger n’est pas un élément significatif susceptible de conférer à la relation en
cause son caractère international car cet élément peut être purement fortuit. Si un
commerçant tunisien rencontre un commerçant suisse dans une foire à Paris et
décident d’un commun accord de conclure un contrat ayant pour objet la livraison des
marchandises produites en Suisse vers la Tunisie, l’internationalité ne peut découler
dans ce cas du lieu de conclusion du contrat car sa localisation en France n’atteste pas
d’un véritable ancrage du contrat dans ce pays. Cette localisation est très
limitée dans le temps. Elle disparaît dès lors que le contrat a été conclu entre les deux
parties. Dans ce cas, l’internationalité du rapport contractuel dérive de l’établissement
des deux contractants dans deux pays différents ainsi que du mouvement
transfrontière qu’opère leur contrat.
première instance de Manouba vont relayer cette information, sans prendre le soin de
vérifier sa véracité. Cette attitude est d’autant plus critiquable que le dossier de
l’affaire ne comporte aucun élément attestant de la localisation à l’étranger du
domicile de l’épouse. L’extranéité est ici simplement déclarée et non pas constatée.
Elle ne correspond pas à une réalité objective et amène, dans son sillage, à un
traitement approximatif de la relation juridique en cause. A suivre cette démarche,
l’intervention des règles du droit international privé devient subordonnée au bon
vouloir des parties qui, au gré de leurs intérêts, peuvent internationaliser le rapport de
droit en cause ou le maintenir sous le régime du droit interne.
C’est dire que l’extranéité pertinente doit être attestée de manière non-
équivoque afin que l’on puisse parler réellement d’internationalité.
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2- Tout lieu où doit être exécutée une partie substantielle des obligations
issues de la relation commerciale ou le lieu avec lequel l’objet du différend
a le lien le plus étroit.
c) Si les parties sont convenues expressément que l’objet de la convention a
des liens avec plus d’un pays.
d) D’une manière générale si l’arbitrage concerne le commerce
international. »
Dans la première hypothèse comme dans la seconde, l’observation du caractère
international de la situation en question emporte l’application d’un régime spécifique.
Dans le premier cas, il s’agit des dispositions spécifiques au contrat de transport
maritime international5, alors que dans le deuxième cas il s’agit des dispositions du
Chapitre III du Code de l'arbitrage relatif à l’arbitrage international6.
SOUS-SECTION 2- LA JURISPRUDENCE
L’examen de la jurisprudence postérieure à l’entrée en vigueur du Code de
droit international privé atteste d’une évolution en « dents de scie ».
Une première mouvance atteste d’une prise de conscience par les juges de
l’importance du rôle dévolu à l’élément d’extranéité en tant qu’élément générateur de
la mise en jeu des règles de droit international privé (Paragraphe 1).
Toutefois, cette tendance qui valorise la spécificité de la matière est
contrebalancée par des décisions qui marginalisent la singularité de la discipline
(Paragraphe 2).
5
Cf, l’article 164 alinéa 2 du Code de commerce maritime.
6
Cf, les articles 47 et suivants du Code de l'arbitrage.
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Tribunal de première instance de Tunis, Jugement n° 33995 en date du 27 mai 2000, Inédit.
8
Tribunal de première instance de Manouba, Jugement n° 1107 en date du 3 mai 2005, Inédit.
9
Voir nos développements, infra.
10
Tribunal de première instance de Sousse, Jugement n° 1692 en date du 4 juillet 2011, Inédit.
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que la relation contractuelle en cause est internationale dès lors que l’un des
contractants a son établissement en Espagne et que par ailleurs, le contrat stipule que
la marchandise sera acheminée du lieu d’établissement du vendeur situé en Espagne
vers la Tunisie (flux des biens au-delà des frontières) et que cette transaction appelle,
en plus, un paiement en devises étrangères (flux de capitaux au-delà des frontières).
S’il est vrai que l’appel à l’un des critères aurait suffi pour caractériser l’aspect
international du litige, la Cour d’appel cumule les différents critères d’internationalité
en vue d’insister sur l’ancrage transfrontières du contentieux qui lui est soumis.
Sur le terrain de la responsabilité délictuelle, le tribunal cantonal de Tunis a
affirmé dans une décision en date du 5 juillet 2006 que le rapport de droit en cause
résultant d’un accident de la circulation routière survenu en Tunisie et impliquant une
voiture assurée auprès d’une société étrangère d’assurance dont le siège se trouve en
France, présente un caractère international. Le contact avec l’ordre juridique étranger
peut a priori sembler faible. Toutefois, l’intervention dans le présent litige d’une
compagnie d’assurance étrangère établie à l’étranger va appeler un mouvement de
services et le cas échéant de capitaux au-delà des frontières ; ce qui rend le contact
avec un ordre juridique étranger assez significatif et permet par là même, à la relation
internationale d’accéder au rang de relation internationale.
12
Arrêt de la Cour de cassation n° 1875 en date du 21 septembre 2004, Bull.Civ, 2004, II, pp 159 et s.
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Tunisie), il n’en reste pas moins que la méthode adoptée est viciée et pourrait
conduire à une méconnaissance de la loi normalement applicable au litige dès que la
mise en jeu de la règle de conflit mènerait, dans un autre cas d’espèce, à la
compétence d’un droit étranger. Dans tous les cas, la concordance des résultats dans
le jugement de 1999 ne doit, en aucun cas, cacher les vices de la démarche. Celle-ci
est d’autant plus contestable que le jugement du Tribunal de première instance
susmentionné constitue un échantillon d’une longue série de décisions qui convergent
toutes dans le même sens (passage sous silence de l’élément d’extranéité).
Ce phénomène judiciaire peut trouver son explication dans l’inadvertance des
principaux acteurs de la justice, juges et avocats, qui, à l’occasion du contentieux
dont ils ont la charge ne détectent pas l’extranéité pertinente qui caractérise leur
litige. Dans d’autres cas, ces mêmes acteurs estiment à tort que la présence d’une
nationalité étrangère et/ou la localisation d’un domicile à l’étranger ne nécessite(nt)
pas un traitement particulier dérogatoire au droit commun. L’encombrement des
tribunaux aidant, ces éléments se recoupent autour d’un manque de conscience de la
spécificité de la discipline de droit international privé, un désintérêt à l’égard des
solutions adoptées en la matière et un défaut de familiarisation avec ses principaux
concepts.
alimentaire à son mari qui était également de nationalité tunisienne ; les deux époux
étant domiciliés en France.
Après avoir obtenu gain de cause devant le juge cantonal, la femme fût
déboutée en appel. Au regard des juges de la Cour d'appel de Monastir, ce rapport de
droit présentait un caractère international eu égard à la localisation du domicile des
deux époux à l’étranger. Ce constat amenait la Cour à mettre en jeu les règles
tunisiennes de droit international privé et à conclure, à la suite de cette mise en œuvre
à l’incompétence des juridictions tunisiennes ; celles-ci n’étant compétentes, en
l’espèce, ni au titre de la règle générale prévue au sein de l’article 3 du Code de droit
international privé, ni au titre de la règle spéciale énoncée par le paragraphe 2 de
l’article 6 de ce même Code.
Saisie de l’affaire, la Cour de cassation censure la décision d’appel au motif
que le rapport de droit en question est un rapport purement interne qui relève de la
compétence exclusive des tribunaux tunisiens. A l’appui de cette position, les juges
de la Cour régulatrice relèvent que la Cour d'appel n’avait pas à attribuer le caractère
international au litige en cause car les deux époux étaient tunisiens. Ce faisant, ils
considèrent que la localisation du domicile des deux époux en France n’autorise pas
la qualification internationale du litige en cause car ce dernier élément n’est pas un
indice suffisamment déterminant pour donner à la relation en cause son caractère
international. A l’argument de la nationalité tunisienne des deux époux, ils ajoutent
deux autres éléments : la conclusion du mariage des deux litigants en Tunisie et la
nationalité tunisienne de l’enfant issu de cette relation.
La solution est critiquable car elle amène à instaurer, en méconnaissance des
textes, un privilège de juridiction au profit des ressortissants tunisiens, excluant ainsi
toute mise en jeu des règles relatives à la compétence internationale des juridictions
tunisiennes dès lors que deux nationaux sont partie prenante à une relation de statut
personnel. Cette démarche qui trouve des prolongements au sein de décisions
judiciaires postérieures à l’arrêt Zouheïra15 doit être condamnée car elle met entre
15
Voir à titre d’exemple, l’arrêt de la Cour de cassation n°3181 en date du 22 octobre 2004, Inédit, cité par
L.CHEDLY et M.GHAZOUANI, Commentaires du Code de droit international privé, CEJJ, 2008, pp 94-95.
Dans l’attendu de principe de cette décision, la Cour de cassation affirme que dès lors que les deux époux
impliqués dans la relation de divorce sont de nationalité tunisienne, les tribunaux tunisiens sont compétents
pour connaître de leur litige et ce même, lorsque ces deux conjoints sont domiciliés à l’étranger. Voir
également en ce sens, l’arrêt de la Cour d'appel de Tunis n° 36946 en date du 4 novembre 2006, Inédit, cité
par L.CHEDLY et M.GHAZOUANI, op.cit., p 71. Dans cette décision, la Cour d'appel commence par
rappeler les termes de l’article 2 du Code de droit international privé pour conclure par la suite que la
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localisation du domicile de deux époux tunisiens à l’étranger ne suffit pas, en l’espèce, à internationaliser
leur rapport de droit et à entraîner par là même, la mise en jeu des règles de droit international privé.
16
Inédit.
17
Jugement n° 33551 en date 27 juin 2000, Inédit.
18
Jugement n°33005 en date du 27 juin 2000, Inédit.
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19
Cf. Y.LOUSSOUARN et P.BOUREL, Droit international privé, Dalloz, 1988, spc. p.3 ; B.AUDIT, Droit
international privé, Economica, 1997, spc. p 4.
20
Cf les articles 19 et suivants du Code de droit international privé.
22
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23
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22
Cf K. MEZIOU, « Introduction au Code de droit international privé », in Le Code de droit international
privé, deux ans après, CPU, 2003, pp 1 et s, spc. pp 3 et s; adde dans le même sens, M-L. NIBOYET,
« Regard européen sur le nouveau droit international privé tunisien », in Le Code de droit international
privé, deux ans après, op.cit, pp 147 et s, spc. pp 149 et s.
23
Voir à ce propos, les définitions des notions d’internationalité (article 2 du Code de droit international
privé), de fraude à la loi (article 30 du Code de droit international privé ) et de droit étranger (article 33 du
Code de droit international privé) .
24
Par directives, il faut entendre des « règles souples destinées à orienter les sujets du droit ou à guider
l’interprète du texte en question dans la poursuite d’une certaine fin sans enfermer sa mise en œuvre dans
des prescriptions de détail ».Vocabulaire juridique, Publié sous la direction de G.CORNU, Puf- Quadrige,
2002, V°Directive, p 300.
Cf à ce propos, les articles, 26, 27, 34 et 38 du Code de droit international privé .
25
Y.LOUSSOUARN, P.BOUREL et P.de VAREILLES-SOMMIERES, Droit international privé, Dalloz,
9ème édition, 2007, spc. pp 65 et s.
26
M-L.NIBOYET, article précité, loc.cit.
26
Cours général de droit international privé
Objectifs- On peut recenser trois objectifs recherchés par la codification du droit international privé :
1- Assurer la prévisibilité des solutions de droit international privé
Favoriser l’accès matériel aux solutions de droit international privé : assembler l’ensemble des dispositions
relatives à la matière au sein d’un même support matériel.
Favoriser l’accès intellectuel aux solutions de droit international privé : opter pour des solutions dont le
contenu est intelligible, simple et cohérent.
2- Assurer la modernisation du droit tunisien en s’alignant sur les tendances lourdes du droit
international privé contemporain
On peut résumer l’apport de modernisation du Code de droit international privé dans quatre grandes idées
directrices :
a- La première idée consiste à fonder une compétence internationale objective des tribunaux tunisiens
b- La deuxième idée révèle le souci du législateur tunisien de favoriser la circulation des actes et décisions
étrangers
c- La troisième idée traduit la recherche d’un équilibre processuel entre les intérêts de l’Etat étranger et
ceux de l’autre justiciable, partie à l’instance, ne matière d’immunités.
d- La quatrième idée vise à assurer un règlement approprié des conflits de lois qui met au premier plan le
principe de coordination entre les systèmes juridiques, sans scarifier l’intérêt de l’Etat et des personnes
destinataires des normes de droit international privé.
3- Assurer un effet de signalement des solutions de tunisiennes de droit international privé
Dans un contexte caractérisé par l’ouverture de la Tunisie sur le marché mondial (Adhésion à l’OMC en
1995 et conclusion d’un accord de partenariat avec l’Union européenne en 1995), il importait de donner, aux
partenaires étrangers, des signaux de modernisation de l’arsenal juridique régissant les rapports privés
internationaux. Le Code de droit international privé en constitue l’une des meilleures illustrations de l’effet
d’affichage recherché.
séjour des étrangers sur le territoire tunisien, loi complétée par le décret du
22/02/1968 fixant les formalités d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire
tunisien, modifié par le décret n° 716- 1992 du 20 avril 1992.
Il importe de citer dans ce contexte le décret-loi n°61-14 du 30 août 1961
relatif aux conditions d’exercice de certaines activités commerciales. Ce texte précise
dans son Titre I les conditions d’exercice du commerce en Tunisie par des étrangers.
Un arrêté du secrétaire d’Etat aux Plan et aux Finances en date du 14/09/1961 est
venu détailler les modalités d’application de ce décret-loi.
On peut également mentionner toujours à titre d’exemple la loi n° 83-61 du 27
juin 1983, telle que modifiée par la loi n°91-71 du 2/8/1991, relative aux immeubles
appartenant à des étrangers et construits ou acquis avant 1956, laquelle loi met
l’accent sur le régime spécifique des opérations immobilières concernant certains
immeubles appartenant à des étrangers.
28
Cours général de droit international privé
SOUS-SECTION 2 - LA JURISPRUDENCE
Au-delà de son impact normatif, la codification du droit international privé a
emporté un meilleur cadrage de la matière ainsi qu’une prise de conscience de son
importance et de ses spécificités. De même, ce phénomène de codification a conduit à
renforcer l’intérêt manifesté par la doctrine à l’égard de cette discipline, lequel intérêt
porte dans son sillage une plus grande attention à l’égard de la production
jurisprudentielle tant sur le plan de la collecte des décisions de justice que sur le
plan de leurs commentaires.
Une plus grande visibilité de la matière va prendre effet au sein de la
jurisprudence tunisienne. Cette visibilité connaît pour l’essentiel trois déclinaisons, à
savoir :
1-L’interprétation des solutions textuelles du Code de droit international
privé. On peut prendre ici à titre d’exemple, l’interprétation qui a été donnée par la
jurisprudence à la notion d’internationalité, telle que définie par l’article 2 du Code
de droit international privé27.
2- Le comblement des lacunes du Code. On peut illustrer ce cas au regard de
la position des juges tunisiens en matière de compétence internationale des
juridictions tunisiennes. En effet, quelques années après l’adoption du Code de droit
international privé, la jurisprudence tunisienne est venue préciser quels sont les
critères de compétence qui pourraient s’ajouter aux critères légaux adoptés par le
Code de droit international privé. Dans ce contexte, les juges tunisiens marquent leur
hostilité à l’égard du critère de la nationalité en tant que chef de compétence des
tribunaux tunisiens28. En revanche, ils adoptent un nouveau critère non prévu par le
législateur, en la matière : le for de nécessité29.
3-La clarification des standards du texte de 1998. On citera à ce propos les
décisions au sein desquelles la jurisprudence tunisienne a eu à mettre en œuvre
l’ordre public au sens du droit international privé. Il est à rappeler que cette dernière
notion assure une fonction de contrôle qui sert à vérifier la compatibilité des normes
étrangères qui sont appelées à être accueillies en Tunisie avec les valeurs essentielles
de l’ordre juridique national.
27
Voir nos développements supra.
28
Cf nos développements, infra.
29
Cf nos développements, infra.
29
Cours général de droit international privé
Ce contrôle peut s’avérer dans certains cas positif, amenant par là même à
l’accueil de la norme étrangère en Tunisie. C’est le cas du divorce extra-judiciaire
français qui a passé avec succès l’épreuve de sa confrontation avec l’ordre public au
sens du droit international privé tunisien30.
A l’opposé de cette première tendance, d’autres normes étrangères n’ont pu
intégrer l’ordre juridique du for car les juges tunisiens ont considéré que leur
réception seraient contraires à l’ordre public au sens du droit international privé
tunisien. C’est le cas de la répudiation31, du Khôol32 ou encore de la bigamie33. Dans
ces cas, ces normes ont été neutralisées par le jeu de ce mécanisme de défense. Le
contrôle se décline ici sous un aspect négatif. Il évince la norme étrangère
normalement applicable.
30
Voir notamment sur cette question, S. BEN ACHOUR, « Le divorce extrajudiciaire français devant le
juge tunisien, une tolérance à contre cœur », A propos du jugement du Tribunal de première instance du 14
novembre 2017 ( n°86358 ), RCDIP, 2018, n°2, pp et 211 s .
31
Voir à titre d’exemple, Tribunal de première instance de Tunis, Jugement n° 34179, 27 juin 2000, RTD,
2000, pp 425 et s, note M.BEN JEMIAA ; adde, Cour de cassation n°46449/2010 du 15 juillet, 2010, Inédit.
32
Tribunal de première instance de Tunis, Jugement n°47564 du 1 décembre 2003, inédit ; adde, Cour de
cassation, n° 64 483 du 12 février 2008, Inédit.
33
Cour de cassation, n°49980/2010 en date du 26 mai 2011, Inédit.
Dans cet arrêt, la Cour régulatrice déclare que la loi algérienne qui est applicable en l’espèce à la relation de
mariage en vertu de l’article 45 du Code de droit international privé (il s’agissait dans cette décision d’un
mariage entre des époux de nationalité algérienne) est contraire à l’ordre public tunisien tel qu’édicté par
l’article 36 du Code de droit international privé. En autorisant le second mariage de l’homme, le droit
algérien de la famille heurte l’un des principes fondamentaux de l’ordre juridique tunisien, en l’occurrence le
rejet de la bigamie, lequel principe véhicule l’idée de la protection de la dignité de la femme et la répulsion
de toute sorte de discrimination entre celle-ci et l’homme.
Ce constat de la contrariété de la loi algérienne à l’ordre public au sens du droit international privé tunisien
emporte son éviction et son remplacement par la loi tunisienne qui intervient ici au titre de sa vocation
générale subsidiaire.
30
Cours général de droit international privé
1971), « l’expression traité s’entend d’un accord international conclu par écrit entre
Etats et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un texte unique ou
deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination
particulière ».
Au regard de cette définition il ressort que le traité est un accord interétatique
écrit régi par le droit international.
Le traité est dit bilatéral lorsque les Etats impliqués à cet accord sont au
nombre de deux.
Lorsqu’il est question d’un accord interétatique impliquant plus que deux Etats,
le traité est dénommé multilatéral.
Précision terminologique. Il est d’usage d’utiliser le terme traité lorsqu’il est
question d’accords interétatiques qui prennent en charge des intérêts publics, c'est-à-
dire des accords qui ont pour objet de régir les relations entre Etats. C’est le cas par
exemple, du traité multilatéral de Marrakech du 17/02/1989 conclu entre les Etats du
grand Maghreb (la Lybie, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie), lequel
traité institue une entité de type confédéral : l’Union du Maghreb arabe (UMA).
Lorsqu’il s’agit, en revanche, d’accords interétatiques qui ont pour objet de
régir des rapports de nature privée, comme c’est le cas en droit international privé, on
utilise beaucoup plus le terme Convention pour désigner ces rapports.
l’étranger exécutoire sur le territoire tunisien. Les tribunaux tunisiens refuseront dans
ce cas d’accorder l’exequatur, c’est à dire qu’ils s’opposeront à autoriser le caractère
exécutoire de ce jugement sur le territoire tunisien, estimant que le tribunal qui a
rendu la décision initiale n’était pas compétent pour rendre une telle décision, le litige
relevant de la compétence internationale exclusive des tribunaux tunisiens (voir sur
ce point les solutions préconisées par les articles 11 alinéa 1 et 8 § 3 du Code de droit
international privé).
La divergence des règles fixant la compétence internationale des tribunaux de
l’Etat X et de l’Etat tunisien deviennent dans le cadre de cet exemple un facteur de
complication, voire même de blocage de la situation. Alors que l’Etat X estime que
ces tribunaux étaient compétents pour connaître de l’affaire, l’Etat tunisien reconnaît
une compétence exclusive à ses juridictions pour les actions relatives à un immeuble
situé en Tunisie (article 8 § 2 du Code de droit international privé). Conséquence: la
décision étrangère dont l’exequatur est requis ne pouvait pas bénéficier du caractère
exécutoire dans l’ordre juridique tunisien (article 11 alinéa 1 du Code de droit
international privé).
Voici donc un exemple où la divergence de législations entre les Etats en cause
conduit à une perturbation de la situation privée internationale. Reconnu comme étant
propriétaire de l’immeuble dans l’Etat X, Monsieur Y ne l’est pas en Tunisie.
L’effectivité de la décision rendue dans le pays X s’arrête aux frontières de cet Etat.
A travers cet exemple on voit clairement que dès lors qu’une situation est appelée à
développer ses effets au-delà d’un seul territoire (transfrontière), son traitement par
un seul ordre juridique, sans égard aux solutions adoptées à ce propos à l’étranger,
devient un véritable saut dans l’inconnu. L’imprévisibilité est, dans cette dernière
hypothèse, de mise. Les droits reconnus dans un Etat peuvent être ainsi remis en
cause par un simple passage des frontières.
En revanche, si les solutions appliquées par les deux ordres juridiques à cette
situation étaient unifiées en vertu d’une Convention internationale, pareille
perturbation n’aurait jamais eu lieu. Dans ce dernier cas, la solution prévue par la
Convention internationale qui lie les deux pays en cause est commune aux deux
ordres juridiques en cause, situation qui autorise facilement son passage d’un ordre
juridique à un autre. Le sort réservé à la situation devient, dans ce cas, plus prévisible
en raison de la certitude de son effectivité au-delà de l’ordre juridique qui l’a rendue.
La sécurité juridique des solutions régissant les rapports privés internationaux se
trouve ainsi renforcée.
32
Cours général de droit international privé
34
Voir la liste complète de ces Conventions bilatérales sur le site du Ministère de la justice, Rubrique
législation.
35
Voir à titre d’exemple, l’article 27 de la Convention tuniso-qatari d’entraide juridique et judiciaire en date
du 6 juin 1997.
33
Cours général de droit international privé
36
Décret de publication n° 73-311 du 20/06/1973, JORT, 26-29 Juin 1973.
37
Décret de publication n° 65-322 du 25/06/1965 portant publication des Conventions conclues le
14/06/1961 entre la Tunisie et la Lybie, publiées au JORT n° 34 des 25-29 Juin 1965.
38
Cette Convention a été ratifiée par la loi n° 93-1991 du 29 /11/1991, JORT, n° 82 du 3/12/1991.
39
Cette Convention a été ratifiée par la loi n° 69-1985 du 12/07/1985, JORT, n° 54 du 12-16 Juillet 1985.
34
Cours général de droit international privé
41
Clunet, 1923, p 430.
42
Arrêt de la CIJ du 28 novembre 1958, Affaire relative à la délimitation du champ d’application de la
Convention de 1902 sur la tutelle des mineurs. Pays-Bas c/ Suède.
Cet arrêt affirme la dérogation à l’application de la loi nationale du mineur, en l’occurrence la loi
néerlandaise, au profit de la loi du lieu de sa résidence qui est, en l’espèce, la loi suédoise. Au regard de la
Cour, cette dernière loi a vocation à s’appliquer directement, sans égard à la loi nationale normalement
applicable à la tutelle. Cette solution se trouve justifiée par l’impérativité de l’application de la loi suédoise
sur l’éducation protectrice. Cette loi qui poursuit une finalité de défense sociale (protection de l’hygiène,
lutte contre la perversion ...), ne pourrait, aux yeux de la Cour, atteindre cet objectif que si « elle s’appliquait
à toute la jeunesse vivant en Suède ».
43
Arrêt de la CIJ du 6 avril 1955 sur les conditions d’opposition à la naturalisation d’une personne physique
par un Etat tiers. Guatemala c/ Lichtenstein.
36
Cours général de droit international privé
L’immunité attribuée aux chefs d’Etat et aux souverains étrangers repose sur
une vieille règle coutumière : le comitas gentium, c'est à dire le respect mutuel de
chaque Etat à l'endroit des représentants des autres États.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation française a eu l’occasion de
rappeler cette norme en soulignant dans un attendu de principe de son arrêt en date du
13 mars 2001 (Affaire Kadhafi) :
« La coutume internationale s’oppose à ce que les Chefs d’Etat en exercice
puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux
parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un
Etat étranger »44.
A l’origine ces normes n’étaient pas codifiées, mais on assiste depuis quelques
temps à un essor de leur codification.
Cette codification est à la fois sectorielle et générale.
On parle de codification sectorielle lorsque les usages consignés par écrit
touchent à un secteur d’activité déterminé. C’est le cas par exemple, des règles et
usances uniformes relatives au crédit documentaire adoptées par la Chambre de
commerce internationale (CCI) en 1933, telles que révisées ultérieurement.
Quant à la codification générale, elle se propose d’offrir un arsenal de normes
matérielles ayant pour objet l’organisation générale des relations contractuelles à
l’échelle internationale. Citons à titre d’exemple, les principes UNIDROIT ou encore
les principes du droit européen des contrats.
39
Cours général de droit international privé
PREMIERE PARTIE
40
Cours général de droit international privé
celles-ci concernent les litiges qui sont totalement intégrés dans l’ordre juridique
tunisien, c'est-à-dire les litiges qui présentent un caractère exclusivement interne.
Pour savoir si les tribunaux tunisiens sont compétents pour connaître du litige
international en cause, il faut alors recourir à des normes spécifiques lesquelles
prennent en charge le caractère transfrontière du litige et tentent de lui apporter des
solutions appropriées.
A ce propos, il faut souligner que ces normes relatives à la compétence
internationale trouvent leur source dans des textes divers. Pour l’essentiel, la question
est réglée par les articles 3 à 10 du Code de droit international privé. Mais ces
dispositions doivent être complétées par d’autres textes d’origine multiple. Aussi,
peut-on citer, à ce propos, les dispositions de l’article 106 du Code de commerce
maritime, l’article 21 de la Convention de Hambourg du 30/03/1978 sur le transport
de marchandises par mer47 ou encore les articles 33 à 36 de la Convention d’entraide
judiciaire entre les pays de l’UMA48.
Compte tenu du fait que ces normes conventionnelles sont peu nombreuses et
couvrent un domaine d’application sectoriel bien ciblé, leur étude sera exclue de ces
enseignements qui couvriront exclusivement les règles générales du Code de droit
international privé.
Ces dernières règles permettront au juge tunisien saisi de vérifier, avant de
statuer sur le litige, sa compétence à connaître des faits qui lui sont soumis.
Cette vérification préalable de la compétence internationale des tribunaux
tunisiens peut connaître deux issues :
1ère hypothèse: les règles tunisiennes de compétence internationale
n’autorisent pas le juge à connaître du litige. Celui-ci doit, dans ce cas, se déclarer
incompétent pour connaître de l’affaire. Il n’a pas à désigner la juridiction
compétente étrangère appelée à connaître du litige car il est unanimement admis que
l’un des attributs de la souveraineté de l’Etat est l’exclusivité qui lui appartient dans
la détermination des cas où ses tribunaux sont compétents. Cette dernière opération
est, en effet, une manière d’organiser un domaine régalien de l’Etat : le service public
de la justice. Dans ce secteur où la souveraineté est en jeu, aucun Etat ne peut tolérer
47
Cette Convention est ratifiée par la Tunisie en vertu de la loi n°33-1980 du 28/05/1980.
48
Convention conclue en Lybie les 9 et 10 Mars 1991 a été ratifiée par la Tunisie par la loi n° 93-1991 du
29/11/1991. Cette Convention n’est pas encore entrée en vigueur en raison de sa non-ratification par le
Maroc.
42
Cours général de droit international privé
la concurrence d’un autre Etat qui viendrait fixer les règles organisant la compétence
de ses tribunaux.
2ème hypothèse: le juge tunisien est compétent pour connaître du litige ; ce qui
l’amène à se saisir de l’affaire en vue de la résoudre. Dans cette dernière hypothèse,
sa compétence à connaître du litige international qui lui est soumis est autorisée par
les règles relatives à la compétence internationale des juridictions tunisiennes. Sa
saisine correspond normalement dans cette hypothèse à un des cas de compétence
internationale des tribunaux tunisiens prévus par les dispositions adoptées à cet effet
par le Code de droit international privé.
Configuration générale du système de la compétence internationale des
tribunaux tunisiens- Les règles relatives à la compétence internationale des
juridictions tunisiennes sont de deux sortes. D’un côté, il y a des règles qui confèrent
au juge tunisien une compétence exclusive pour connaître de certains litiges. D’un
autre côté, il y a des règles qui ne reconnaissent qu’une compétence possible pour le
juge tunisien à l’égard d’autres litiges.
Si on essaye de schématiser l’articulation de ces deux sortes de compétence, on
pourrait dire qu’il existe des cas où les parties doivent nécessairement soumettre leur
litige aux juridictions tunisiennes ; il s’agit dans ces hypothèses d’une compétence
internationale imposée aux parties par le système juridique tunisien.
Hors de ces hypothèses de compétence imposée, la compétence des tribunaux
se justifient par le choix opéré par le demandeur qui décide de soumettre l’affaire aux
juridictions tunisiennes ou encore lorsque les deux parties ont convenu en vertu d’un
accord conclu entre elles de soumettre leur litige à l’ordre juridictionnel tunisien.
On trouve très tôt écho à cette logique dans les premières applications
judiciaires du Code de droit international privé. Dans une décision inédite du
Tribunal de première instance de Tunis en date du 13 octobre 1999, les juges ont
affirmé : « … qu’il est certain que le droit international privé tunisien a ventilé la
compétence internationale des tribunaux nationaux en deux catégories : une
première catégorie où la compétence est obligatoire qui intègre la solution prévue
par l’article 8 du Code de droit international privé et une seconde catégorie où la
compétence est facultative englobant les cas visés aux articles 3 à 7 du Code de droit
international privé »49. Plus de vingt ans plus, la Cour de cassation est venue rappeler
cette configuration binaire de la compétence internationale des tribunaux tunisiens en
49
Tribunal de première instance de Tunis, Jugement n°9901 en date du 13 octobre 1999, STA, Inédit.
43
Cours général de droit international privé
soutenant que si les règles de compétence prévues au sein de l’article 8 sont d’ordre
public et ne supportent pas, par conséquent, la convention contraire des parties dans
la mesure où elles touchent à la souveraineté de l’Etat, les autres normes adoptées au
sein du Titre II du Code de droit international privé prennent en charge des intérêts
privés et peuvent, de ce fait, la soumission du litige en cause à un tribunal autre que
le tribunal tunisien50.
50
Arrêt de la Cour de cassation n° 2019.77286 en date du 1er juillet 2020, Inédit.
44
Cours général de droit international privé
45
Cours général de droit international privé
5- Dans tous les cas où la compétence leur est attribuée en vertu d’un texte
spécial. »
Ce texte innove par rapport au droit antérieur qui se contentait d’une référence
expéditive à la compétence internationale exclusive des tribunaux tunisiens dans
l’ancien article 2 alinéa 3 paragraphe 6 du Code de procédure civile et commerciale51.
L’innovation porte sur la forme puisque les dispositions concernant la notion
de compétence exclusive sont formellement dissociées de ceux relatives à la
compétence possible des tribunaux tunisiens52. La présentation des cas de
compétence internationale des tribunaux tunisiens gagne en cohérence et en clarté.
Sur le plan du fond, le Code de droit international privé innove en précisant les
différents cas de compétence exclusive. L’article 8 comporte une liste des différentes
hypothèses où la compétence des tribunaux tunisiens exclut la concurrence de tout
ordre juridictionnel. Cette liste se caractérise par sa souplesse. Elle présente en effet
« une texture ouverte » 53. A cet égard, il est à préciser que si les quatre premiers
paragraphes déterminent, de manière précise, les cas de compétence exclusive des
juridictions tunisiennes, le dernier paragraphe ouvre la porte à la consécration de cas
de compétence exclusive non expressément prévus par l’article 8 du Code de droit
international privé. Il s’agit des cas où la compétence exclusive est reconnue aux
tribunaux tunisiens en vertu d’un texte spécial.
A partir de cette logique adoptée au sein de l’article 8 du Code de droit
international privé, il convient d’étudier, en premier lieu, les cas de compétence
internationale exclusive expressément spécifiés par le Code (Sous-section 1), avant
de se consacrer, en second lieu, à l’étude des cas attribués en vertu d’un texte spécial
(Sous-section 2).
51
Il y a lieu de rappeler qu’avant l’adoption du Code de droit international privé, la question de la
compétence internationale des tribunaux tunisiens était régie par l’article 2 du Code de procédure civile et
commerciale.
La question de la compétence exclusive des juridictions tunisiennes était prévue au sein de l’alinéa 3
paragraphe 6 de cet article. Suivant cette disposition, « …les juridictions tunisiennes ne connaissent des
actions contre un étranger résident en dehors du territoire tunisien que dans les cas ci-après :
…
6) ….si l’action porte sur une matière de la compétence exclusive des tribunaux tunisiens… ».
Cette disposition a été expressément abrogée en vertu de l’article 2 de la loi n°98-97 portant promulgation du
Code de droit international privé.
52
Voir A.MEZGHANI, Commentaires du Code de droit international privé, CPU, 1999, spc. p 172.
53
Voir A.MEZGHANI, op.cit, loc.cit.
47
Cours général de droit international privé
Les cas qui sont expressément spécifiés par le Code sont les hypothèses
prévues par les paragraphes 1 à 4 de l’article 8 du Code tunisien de droit international
privé.
L’exclusivité de compétence consacrée dans ces paragraphes est tantôt fondée
sur l’idée de souveraineté (Paragraphe 1), tantôt justifiée par le souci d’assurer une
bonne administration de la justice (Paragraphe 2).
54
Rappr. V° Souveraineté, Vocabulaire juridique, Quadrige/ PUF, 2007, p
55
Voir l’article 6 du Code de la nationalité.
56
Voir les articles 7 à 10 du Code la nationalité.
48
Cours général de droit international privé
57
Voir les articles 13 et 14 du Code de la nationalité.
58
Voir les articles 20 et suivants du Code de la nationalité.
59
Voir en ce sens, les dispositions des articles 30 et 32 du Code la nationalité.
60
Voir en ce sens, les dispositions de l’article 33 du Code la nationalité
61
Voir en ce sens, les dispositions des articles 36 et 37 du Code de la nationalité.
49
Cours général de droit international privé
62
P.MAYER, Droit international privé, Monchrestien, 1994, p 593.
63
P.MAYER, Op.cit, loc.cit.
64
Voir l’article 19 du Code de la nationalité.
65
Voir les articles 6 et suivants du Code de la nationalité.
66
On parle dans ce cas d’acquisition par le bienfait de la loi, voir les articles 12 et suivants du Code la
nationalité.
67
Voir les dispositions des articles 30 alinéa 1, article 33 alinéa 1, 36 et 37 du Code la nationalité.
50
Cours général de droit international privé
Mesure conservatoire- Une mesure conservatoire est une mesure urgente qui
tend à sauvegarder un bien ou un ensemble de biens, soit dans l’intérêt du
propriétaire (exemple : la nomination par le juge d’un administrateur pour gérer, sous
son contrôle, les biens de la personne disparue68), soit dans l’intérêt des créanciers
(exemple: une saisie conservatoire69).
68
Voir l’article 83 du Code de statut personnel.
69
Le régime de cette saisie est fixé par les articles 322 et s du Code de procédure civile et commerciale.
51
Cours général de droit international privé
70
Voir l’article 322 alinéa 2 du Code de procédure civile et commerciale.
71
Voir l’article 330 du Code de procédure civile et commerciale.
52
Cours général de droit international privé
tunisiennes74. Les organes d’un Etat déterminé ne peuvent en effet accomplir un acte
de contrainte sur le territoire d’un autre Etat.
Rappelée de manière claire par la Cour de cassation tunisien en 201875, cette
position avait déjà eu les faveurs de la CPJI (Cour permanente de Justice
Internationale) dans la célèbre décision Lotus rendue le 7 septembre 1927. Cette Cour
a exprimé ce principe de la manière suivante : « la limitation primordiale qu’impose
le droit international à l’Etat- sauf règle permissive contraire- est celle d’exclure tout
exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre Etat ».
74
Bien avant l’adoption du Code de droit international privé, la Cour de cassation avait admis que la
compétence des juridictions nationales en matière de mesures conservatoires était d’ordre public. A cet effet,
elle soulignait que « Les tribunaux tunisiens sont compétents pour connaître des litiges ayant pour objet un
meuble situé en Tunisie ou des mesures conservatoires sur des biens situés en Tunisie.
Toute convention dérogeant à cette compétence d’attribution est nulle ».
Cass. civ., arrêt n° 4196 du 18 novembre 1981, Bull. civ., 4-1981, p. 132.
75
Décision de la Cour du 25 janvier 2018, précitée.
54
Cours général de droit international privé
L’action pétitoire est une action en justice qui tend à protéger la propriété
immobilière ou des droits réels immobiliers76. Exemple : l’action en revendication du
droit de propriété sur un immeuble.
L’action possessoire est « une action que la loi accorde au possesseur d’un
immeuble ou d’un droit réel pour se faire maintenir dans sa possession ou s’y faire
rétablir lorsqu’il en a été dépossédé ou pour faire suspendre des travaux »77. Dans
une décision en date du 18 octobre 2017, la Cour régulatrice a souligné à ce propos
que « l’article 8 du Code de droit international privé a conféré aux tribunaux
tunisiens une compétence absolue et exclusive dès lors qu’il est question
d’immeubles situés sur le territoire tunisien, sans égard à la nationalité des parties à
l’action et aux lieux de leur domicile ; qu’il s’ensuit que le demandeur étranger à une
action tendant à faire cesser un trouble possessoire est obligé d’intenter cette action
devant les juridictions tunisiennes dès lors qu’il est question, en l’espèce, d’un
immeuble immatriculé situé en Tunisie »78.
D’autres actions peuvent concerner l’immeuble sans pour autant que celui-ci
soit l’objet de la contestation. C’est le cas des actions personnelles introduites à
l’occasion de dommages causés à un immeuble79.
Fondement de l’exclusivité
Le fondement discuté- A première vue, on pourrait être tenté de reprendre à
notre propre compte l’idée suivant laquelle l’immeuble constitue l’assise de la
souveraineté de l’Etat. Le territoire n’est-il pas considéré, avec la population et la
souveraineté, comme l’un des éléments constitutifs de l’Etat ? Cette idée est
renforcée par l’argument suivant lequel la compétence des tribunaux du for
permettent, dans ce cas, à l’Etat tunisien d’assurer un certain contrôle à l’égard des
biens immeubles localisés sur son territoire, lesquels biens représentent une grande
valeur patrimoniale. A suivre ce raisonnement, il semble dans l’ordre des choses de
retenir la compétence exclusive des juridictions tunisiennes en la matière.
Pour séduisante qu’elle soit, cette idée n’est pourtant pas convaincante car elle
repose sur une approche dépassée de la question.
76
Voir l’article 20 alinéa 3 du Code de procédure civile et commerciale.
77
C’est la définition que donne la loi de l’action possessoire au sein de l’article 51 du Code de procédure
civile et commerciale.
Sur les différentes variantes de cette action, voir l’article 52 du Code de procédure civile et commerciale.
78
Arrêt de Cour de cassation n° 2016.42560 en date du 18 octobre 2017, inédit.
79
Voir l’article 38 paragraphe 1 du Code de procédure civile et commerciale
55
Cours général de droit international privé
D’une part, elle tend à appréhender le droit international privé sous un angle
publiciste qui tend à voir, en cette matière, un instrument de régulation des conflits de
souverainetés étatiques. Ce point de vue ne correspond plus aujourd’hui à la réalité de
la matière, laquelle a pour objet de déterminer un cadre juridique approprié aux
relations privées qui dépassent le cadre interne.
D’autre part, l’affirmation suivant laquelle les immeubles seraient les biens les
plus précieux et les plus importants - d’où l’idée de contrôler les actions qui y sont
relatives en affirmant une compétence exclusive des juridictions tunisiennes en la
matière - est de nos jours contestable. La prééminence des biens immobiliers sur le
plan pécuniaire n’est plus aussi incontestable qu’elle ne l’était auparavant. L’adage
Resmobilisresvilis semble avoir subi au cours des dernières décennies de sérieuses
entorses avec l’essor, sans cesse croissant, que connaissent les valeurs mobilières et
la place, de plus en plus importante, qu’elles occupent au sein de l’économie
nationale.
Le fondement retenu- A la vérité, c’est vers d’autres explications qu’il
convient de se tourner. A cet égard, il faudrait souligner qu’il existe entre l’immeuble
et le tribunal du lieu de sa situation une attraction tellement forte qu’elle rend ce
dernier le seul à même à connaître, de manière convenable, des litiges qui sont
relatifs à cet immeuble. En effet, les actions relatives aux immeubles nécessitent
souvent des mesures d’instruction qui exigent un contact direct, rapide et
efficace avec le fonds en question: audition des parties, audition des témoins,
descente sur les lieux, bornage et expertise ayant pour objet l’immeuble en
question… Au regard de ces éléments, la proximité de ce tribunal de l’immeuble
est une véritable garantie d’une bonne administration de la justice.
En plus, la compétence du tribunal du lieu de situation de l’immeuble
s’impose avec d’autant plus de force que le jugement sur lequel débouchera
l’action va être nécessairement exécuté en ce lieu. Celui-ci est donc le lieu
d’exécution nécessaire de la décision. A quoi bon saisir un autre tribunal, si l’ordre
juridique du for est sûr d’avoir finalement le dernier mot ? La compétence exclusive
du tribunal du lieu de situation de l’immeuble emporte ici pour les justiciables un
gain certain de temps et d’argent.
Ces considérations liées à une bonne administration de la justice font des juges
du tribunal du lieu de situation de l’immeuble les juges naturels des actions qui y sont
relatives. Cette forte attraction explique que cette même solution soit également
56
Cours général de droit international privé
admise en droit interne80 et qu’elle soit, par ailleurs, largement reprise en droit
comparé81.
87
Voir liste de ces actes au sein des articles 446 (redressement judiciaire) et 494 (faillite) du Code de
commerce.
59
Cours général de droit international privé
88
Cette Convention a été remplacée par le Règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 sur la compétence
judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale qui a maintenu,
dans son article 6, l’essentiel de la teneur de l’article 16 de la Convention de 1968.
On retrouvera également cette même teneur au sein du nouveau texte qui s’est substitué au Règlement
Bruxelles I. Voir en ce sens l’article 6 le Règlement Bruxelles II du 12 décembre 2012 sur la compétence
judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
89
Voir nos développements précédents.
60
Cours général de droit international privé
90
Loi n°2001-94 du 7 août 2001 relative aux établissements de santé prêtant la totalité de leurs services au
profit des non-résidents JORT, 7 août 2001, pp 2027 et s.
91
L’article 6 prévoit à cet égard : « Les établissements de santé régis par la présente loi peuvent importer
librement les biens et les équipements nécessaires à leurs activités à condition de les déclarer auprès des
services de douane... ».
92
Suivant l’article 12 de la loi de 2001 : « Les établissements de santé visés par la présente loi ainsi que les
personnes y travaillant sont soumis aux dispositions législatives et règlementaires en matière de change... ».
93
Article 10 de la loi de 2001
94
Voir en ce sens les articles 12 et 13 de la loi du 7 août 2001.
61
Cours général de droit international privé
95
Loi n° 57-3 du 01/08/1957, JORT, n°2 et 3 des 30 juillet et 2 août 1957.
96
Voir en ce sens l’article 64 de la loi du 1er août 1957, précitée.
97
Voir l’alinéa 1 de l’article 63 précité.
98
Voir l’alinéa 3 de l’article 63 précité.
99
Voir les articles 37 et s de la loi n°2001-36 du 17 avril 2001, relative à la protection des marques de
fabrique, du commerce et de services, JORT, 17/04/2001, pp 834 et s, spc. p 838.
62