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LE MÉTIER DU BANQUIER ET LE RISQUE : LA DÉNATURATION DES FONCTIONS DE


FINANCEMENT DU SYSTÈME BANCAIRE
Author(s): Sandrine Ansart and Virginie Monvoisin
Source: Cahiers d'économie politique / Papers in Political Economy, No. 62 (2012), pp. 7-35
Published by: L'Harmattan
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/43107804
Accessed: 17-03-2016 12:37 UTC

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LE MÉTIER DU BANQUIER ET LE RISQUE :
LA DÉNATURATION DES FONCTIONS
DE FINANCEMENT DU SYSTÈME BANCAIRE

Sandrine Ansart et Virginie Monvoisin1

L'actuelle crise financière interpelle le The banker's profession and risk :


grand public comme les analystes sur le the alteration of the finance functions
rôle des banques. Bien que Minsky ait of the banking system.
été l'un des rares auteurs à traiter du lien While the financial system has experienced
entre les banques, le risque et les crises, a historical crisis, questions about the
son approche nous paraît insuffisante role of banking sector are rising among
pour éclairer la totalité des mécanismes the public and commentators. Although
à l'œuvre actuellement. Nous proposons Minsky was one of the few authors who
donc de revenir sur l'histoire de la studied the link between banks , risk and
banque afin de souligner à la fois le lien crisis , nevertheless his approach seems
spécifique du banquier avec le risque, incomplete for throwing light on the whole
la notion de risque elle-même, et de set of phenomena of the current crisis. So,
montrer alors l'altération récente du we propose to go back to history of banks in
métier de banquier comme source de a perspective to show how the link between
déstabilisations majeures. the banker and risk is specific, and how the
recent alteration of this profession is source
of main disequilibria.

Mots clefs : Banquier, financement, risques, régulation.


Keywords: Banker, financing, risks, regulation.

Classification du JEL : E12, E44, E51, GOl

1. Sandrine Ansart Grenoble École de Management - sandrine.ansart@grenoble-em.com.


Virginie Monvoisin Grenoble École de Management - vmonvoisin@grenoble-em.com.

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Sandrine Ansart et Virginie Monvoisin

Introduction

La fin des années 2000 inaugure une ère pour le moins exceptionnelle sur le
plan économique : une crise - peut-être sans précédent - s'est amorcée dans
le fracas de l'effondrement des bourses mondiales et dans le morcellement
des systèmes bancaires. Alors que la simple crise financière de 2007 est
désormais devenue une crise systémique, les politiques et les économistes
tentent notamment de proposer des modes de régulation à même d'en
limiter les impacts immédiats ou d'éviter quelle ne se reproduise.

Les observateurs et les politiques ont rapidement désigné un certain


nombre de coupables et de mécanismes comme facteurs déclencheurs de
la crise. Pour leur part, le grand public et les analystes ont mis en cause les
traders, banques, et autorités monétaires - tous amalgamés et tenus pour
responsables des défaillances du système financier. Plus encore, le monde
s'est horrifié des prises de risque excessives de la sphère financière et de leur
dissémination tant à travers celle-ci qu'à travers la sphère réelle. Le principe du
crédit subprime, consistant à octroyer des crédits à des ménages peu solvables,
est décortiqué et critiqué dans tous les médias ; les différents mécanismes de
levier financier - LBO et autres - font l'objet d'une réprobation générale.
La situation désastreuse des banques n'incite pas à la mansuétude, mais au
contraire à la colère et à l'indignation, puisque ces entités privées s'en sont
remises aux pouvoirs publics pour les sortir de la situation dans laquelle elles
s'étaient elles-mêmes enfoncées.

Évidemment, le diagnostic appelle des remèdes à sa mesure. Or, pour


l'instant, il n'en est rien. Les actions mises en œuvre semblent timides et,
pire, ignorent la question du risque ! En effet, les politiques se penchent
sur les rémunérations des acteurs financiers, les paradis fiscaux, voire sur un
nouveau Bretton Woods avec une réforme du FMI. Pourtant, il y a peu, le
risque semblait être au cœur de la crise financière.

Afin de résoudre ce paradoxe et d'envisager des modes de régulation


appropriés à la gravité de la situation, il paraît donc utile de revenir sur
l'analyse du risque et de ses liens avec la sphère financière. Si le risque est
inhérent à la vie économique des différents agents, les institutions financières
se sont exposées à des risques très différents les uns des autres, certains étant
effectivement inhérents à leur activité usuelle, d'autres étant clairement en
dehors de leurs missions. Qu'en est-il exactement ?

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L'apport de Minsky dans ce domaine est incontestable : il développe une
argumentation éclairante sur le lien entre les banques, les agents économiques,
les risques et l'instabilité financière et de nombreux analystes et politiques
s'accordent pour reconnaître que la crise actuelle est une crise minskyenne,
un Minsky Moment. Les mesures proposées s'avèrent dès lors conformes à la
théorie.

Cependant, l'approche de Minsky n'est pas exempte d'imperfections


ou de lacunes : elle ne nous apprend rien sur la dissémination du risque
et sous-estime l'impact des transformations en matière de métier bancaire
et de rapport aux risques des banques. Un retour sur l'histoire des banques
s'avère alors nécessaire pour appréhender leur rapport effectif et tangible aux
risques et pour expliciter quels en sont les changements récents susceptibles
de compléter les explications de la crise financière actuelle. Pour proposer des
actions ciblées et pertinentes, il est nécessaire de prendre toute la mesure des
dysfonctionnements et d'en souligner les dangers.

Ainsi verrons-nous dans un premier temps en quoi consiste la théorie


du risque et de l'instabilité financière de Minsky afin d'en montrer les
enseignements analytiques. Puis, dans un second temps, nous reviendrons
sur l'analyse de l'évolution du métier de banquier et de sa relation au risque
qui permet d'expliciter certains des mécanismes de la crise autres que ceux
proposés par Minsky. Il nous sera alors possible de comprendre comment la
dissémination du risque s'est mise en place et comment il est donc possible
de la combattre.

Notre problématique consiste à démontrer combien la dénaturation du


métier de la banque et de la fonction de financement du système bancaire
est dangereuse pour le système économique et que la crise actuelle n'est pas
seulement un moment minskyen. Les événements récents n'en sont que la
confirmation.

I. La conception dominante de l'approche du risque


influencée par Minsky

La crise économique actuelle trouve ses racines dans de nombreux


dysfonctionnements. Beaucoup ont été évoqués, tous relatifs au système
financier, et plus particulièrement à la prise de risque excessive des acteurs

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Sandrine Ansart et Virginie Monvoisin

financiers. La théorie de Minsky a alors largement été mobilisée tant pour


son analyse des événements que pour la réglementation qu'elle suppose2.

D'une part, il est vrai que peu ďauteurs lient avec autant de pertinence et
de cohérence les pratiques bancaires et le rapport de la banque aux risques :
Minsky est Pun des rares économistes qui permettent d'appréhender une
mécanique de crise, le rôle des banques et l'importance des innovations
financières comme de la titrisation. D'autre part, son approche des risques et
de la crise inspire amplement les approches actuelles de la réglementation en
matière financière et bancaire dirigée vers la gestion prudentielle, les accords
de Baie et leur révision relevant strictement de cette logique.

Néanmoins, si Minsky traite longuement du risque, il ne nous éclaire pas


sur les mécanismes de dissémination des risques dans la sphère financière et
dans la sphère réelle ou plus précisément, son analyse demeure finalement
traditionnelle et insuffisante pour dessiner un cadre législatif satisfaisant
pour éviter une nouvelle crise.

1.1. Les risques bancaires et la fragilisation financière

En 1957, Hyman Minsky entend proposer un modèle foncièrement


différent de la théorie standard de la banque et, en tant que keynésien3, une
théorie dynamique des crises dans un cadre d'une économie monétaire de
production - soit une économie où la dichotomie sphère réelle et sphère
financière n'existe plus.

Depuis, et plus encore depuis 2007, l'étude des risques encourus par les
établissements de crédit s'appuie souvent sur les principes de Minsky relatifs
à l'activité bancaire, sa gestion et les innovations financières des banques.
En fait, la nature de la relation prêteur-emprunteur est d'abord précisée par
Keynes, dans le chapitre 11 de la Théorie générale , par la définition de deux
risques, le risque emprunteur et le risque prêteur4. Afin d'éclairer une partie

2. Le vocable « Minsky Moment » est largement utilisé par des quotidiens tels que The Financial Times
ou le Wall Street Journal , des revues telles que Finance and Development ou comme des auteurs autrichiens
(David Prychitko).

3. Minsky est avant tout un keynésien, et ce, à plus d'un titre. Comme le rappelle Tymoigne [2006],
Minsky s'inscrit pleinement dans la tradition keynésienne et décrit une économie monétaire de produc-
tion. Il s'agit de l'un des principaux aspects de la révolution keynésienne qui consiste à ne plus traiter la
monnaie comme une variable accessoire, mais, au contraire, de la placer au centre du système économi-
que, car Keynes théorise une économie monétaire dans laquelle la monnaie n'est plus neutre.

4. Keynes [1936, p. 144],

IO

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de l'activité des banques, Minsky érige chacun de ces risques au rang de
concept, et ces concepts seront non seulement repris par les post-keynésiens
mais aussi par de nombreux auteurs. S'ensuivra la nécessité de tenir compte
des fragilités financières de chaque agent - firme, ménage ET banque - et des
risques qui leur sont associés afin d'appréhender la dynamique de fragilisation
globale de l'économie.

Rappelons le raisonnement général de Minsky : dans un univers incertain,


les banques ont plusieurs leviers d'action - taux d'intérêt, liquidités et crédit
- et se montrent actives et innovantes. La justification du comportement du
système bancaire s'appuie sur la prise en compte des risques encourus par les
établissements de crédit, et plus précisément « la préférence pour la liquidité
des banques commerciales vise à réduire les deux grands risques de crises
microéconomiques liés à leur activité : une crise de liquidité [et] une crise de
solvabilité » [Le Héron, 2001, p. 1 13-1 14] 5. Elles vont donc agir en fonction
de l'évaluation et de leur perception du risque par rapport aux emprunteurs
et à elles-mêmes.

Ici, les banques sont principalement confrontées à deux risques liés à leur
pratique et à leur gestion les exposant à la menace d'une faillite individuelle :
le risque d'insolvabilité et le risque d'illiquidité. La fragilisation financière
des banques vient alors de la fragilisation de la structure financière des agents
non financiers.

1. 1.1. Le risque d'insolvabilité

Face au risque d'insolvabilité - ou de solvabilité par abus de langage -, la


banque tente d'évaluer la qualité des projets qu'elle décide de financer, pour
savoir si l'emprunteur est capable de faire face aux échéances du crédit à
rembourser, puisque la banque s'expose au risque de défaut.

Si la banque, à l'instar de tous les agents, évolue dans un environnement


incertain, elle peut néanmoins essayer de prévoir l'avenir en supposant, au
moins en première approximation, que le futur est prévisible. Selon la qualité
des projets, elle modifie sa préférence pour la liquidité et les conditions
d'octroi du crédit pour se prémunir contre d'éventuelles complications. Cela

5. En réalité, E. Le Héron [2001] montre que ces deux risques recouvrent d'autres risques bien connus
des banquiers : Le risque de défaut de remboursement ou de crédit, le risque de liquidité- soit la difficulté
à mobiliser la liquidité -, le risque de solvabilité - lié aux risques opérationnels -, le risque de taux - lié à
la variation des revenus bancaires - et le risque de marché - soit une variation de la valeur des actifs. Ces
différents risques sont généralement étudiés par le biais des risques d'insolvabilité et d'illiquidité.

II

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Sandrine Ansart et Virginie Monvoisin

se traduit par des mesures portant sur le volume des crédits, mais aussi sur
leur prix.

Quen est-il du concept même de risque d'insolvabilité ? Ce risque se


rapporte à la notion de ratio d'endettement des entreprises, c'est-à-dire à
leur structure financière. Selon Minsky6, cette structure influence le « risque
prêteur » et le « risque emprunteur » :

- le « risque prêteur » revêt un caractère plutôt objectif, puisqu'il renvoie


au défaut de paiement de l'entreprise et à l'évaluation comptable de la
situation - le ratio d'endettement7. C'est ce risque qui figure dans le contrat
d'octroi de crédit [Lavoie et Seccareccia, 2001, p. 82] et qui s'accroît en
situation de fragilisation de la structure financière de l'entreprise et donc
de l'économie.

- le « risque emprunteur » revêt un caractère plutôt subjectif et reste dans


« la tête de l'emprunteur » [ibid., p. 81] puisqu'il renvoie à l'anticipation
des recettes de l'entreprise8. Il s'agit du « sentiment » de l'entrepreneur
face à la rentabilité et au risque de son investissement.

Les risques prêteur et emprunteur sont assimilables au principe de risque


croissant de Kalecki qui fait référence à l'endettement de l'emprunteur,
au risque qu'il représente pour sa solvabilité9. Dans le cadre d'une analyse
statique et individuelle - microéconomique -, le principe de Kalecki explique
effectivement les choix et l'octroi de crédit des banques.

En revanche, d'un point de vue macroéconomique et dynamique,


l'argumentation se doit d'être nuancée : Toporowski [2008, p. 435-436]
explique que l'origine de l'incompatibilité de la théorie monétaire de Minsky
et de celle des profits de Kalecki tient à un sophisme de composition. En
effet, si les entreprises s'endettent à terme, c'est dans le but de générer une
certaine activité et un certain profit à terme. L'augmentation du crédit
suppose que, globalement, les profits vont s'accroître, et même si des banques
se retrouvent en besoin de financement en raison du défaut d'un emprunteur

6. Minsky [1957, p. 174].

7. Minsky suppose que l'augmentation du risque prêteur induit une augmentation des taux d'intérêt. La
banque fait varier ses taux en fonction du ratio d'endettement des entreprises, ce qui se traduit par une
courbe d'offre de monnaie de crédit à pente positive.

8. Nasica [1997, p. 13].

9. Lavoie [1996, p. 285], Nasica [op. cit., p. 13].

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à la solvabilité fragile, d'autres banques auront la capacité de réaliser des
financements10.

Autrement dit, ce nest pas parce que les structures financières sont plus
fragiles que les entreprises vont nécessairement générer moins de profits et
que la crise va survenir. Si l'endettement s'accroît, c'est en corrélation avec
des perspectives de profits ; ces derniers augmentent donc globalement le
montant des dépôts bancaires et donc la capacité des banques à alimenter
le marché interbancaire et à soutenir le système bancaire. Les faillites
individuelles sont possibles, alors que le système dans son ensemble détient
plus de liquidités.

/. / .2. Le risque dïlliquidité

L'analyse du risque d'illiquidité - ou risque de liquidité - concerne plus


spécifiquement la banque et sa gestion ; cette dernière fait l'objet d'études en
termes plus courts et explicitement microéconomiques. Descamps et Soichot
[2003, p. 106] définissent que « [la] liquidité d'une banque se mesure par sa
capacité à mobiliser sans délai des avoirs en monnaie centrale pour faire face
à ses obligations de règlement ou de constitution de réserves ». Être illiquide
pour une banque signifie donc être incapable de satisfaire la demande de
dépôts des agents - soit la difficulté de convertir les dépôts en monnaie1 1 - ou
d'honorer ses engagements envers le système bancaire dans son ensemble12.

Plusieurs causes sont à l'origine d'une crise d'illiquidité pour une


banque :

- une situation d'insolvabilité déjà installée qui se répercute sur la


liquidité,

- des difficultés à mobiliser des liquidités pour des raisons liées à l'activité
ou quand la Banque centrale exerce une contrainte,

- ou un risque de marché. Ici, il y a une multiplication des risques


encourus par les banques : risque de taux, de prix, de défaut, de change
et climatique.

10. Lavoie [1996, p. 285-287].

11. Dymski [1988, p. 516].

12. Le Héron [2001, p. 113].

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Une « mauvaise » gestion de la liquidité peut conduire la banque à une


situation d'illiquidite, voire à la faillite, notamment si elle ne peut tenir ses
engagements « liquides » envers les autres banques. Les banques s'efforcent
donc de résoudre le risque de liquidité, déjà décrit par Keynes13.

Afin de gérer le risque de liquidité, les banques accroissent donc


naturellement leur préférence pour la liquidité. Rappelons quelles
disposent de dépôts extrêmement liquides au passif et doivent octroyer des
crédits qui restreignent leur liquidité à l'actif. Elles peuvent avoir recours à
l'intermédiation du marché grâce à la titrisation. Cette stratégie consiste,
soit à vendre des créances sous la forme d'actifs financiers, soit à augmenter
la part des titres financiers à l'actif par acquisition. La première pratique
permet aux banques de diminuer leur exposition au risque d'illiquidité, les
titres pouvant être plus facilement transformés en liquidité que les créances
bancaires. Néanmoins, les banques doivent anticiper l'évolution du cours
de ces titres, laquelle est soumise à l'incertitude, tout comme la liquidité
bancaire future.

Les banques ont aussi la possibilité de faire appel à la gestion du passif, le


liability management . Ce dernier consiste à pratiquer une gestion rigoureuse
des opérations clientèle afin de mesurer les besoins ou les excédents de liquidité
et d'accorder des crédits sans faire appel aux refinancements - et maintenir
leurs ratios de réserves face à l'actif. Il s'agit, grâce aux innovations financières
comme à la vente de certificats de dépôt, d'accorder plus de crédits avec la
même liquidité ; c'est la vitesse de circulation de cette dernière qui s'accélère.
Le sentiment par rapport au risque prêteur augmente bien puisque le bilan
bancaire est moins liquide, mais permet tout de même d'accroître l'activité
des banques [Brossard, 1998a].

Les banques, soucieuses de faire des profits comme n'importe quelle autre
entreprise, mobilisent des actifs ou leurs fonds propres, et sont donc amenées
à gérer leur structure de bilan au plus près pour ne pas se retrouver illiquides.
Ces mesures, les prévisions sur la liquidité et le liability management , vont
dans le même sens : elles correspondent pour les banques à une gestion de la

13. En effet, le risque de liquidité s'apparente au problème pratique du banquier de Keynes [1930, p. 21].
Voir Monvoisin et Pastoret [2003]. « La préférence pour la liquidité des banques commerciales vise à
réduire les [...] grands risques de crise microéconomique liés à leur activité : une crise de liquidité propre
à la transformation bancaire, c'est-à-dire le fait que leur passif monétaire est très liquide comparé à leur
actif. Toute demande massive de remboursement de monnaie à une autre banque peut l'entraîner à la
faillite par insuffisance de liquidité bancaire, soit parce que son actif n'étant pas mobilisable suffisamment
rapidement [...], soit parce que cette mobilisation de l'actif se fait à un coût très élevé n'assurant pas la
contrepartie nécessaire [...]. » [Le Héron, 2001, p. 113-114]

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préférence pour la liquidité. Globalement, la gestion du risque ďilliquidité
relève davantage d'une analyse de court terme et microéconomique alors que
le risque d'insolvabilité concerne davantage le long terme, les perspectives
macroéconomiques et 1' impact de la conjoncture sur les banques.

Notons que la crise des subprimes s'est justement traduite pour les banques
en crise ďilliquidité et d'insolvabilité. Le gel du marché interbancaire, les
faillites ou les fusions-acquisitions et les débuts de panique bancaire ont
précipité les banques dans ces deux crises, pourtant objets de toutes les
attentions des banquiers et des législations bancaires.

1 .2. Minsky, les banques, les risques et la fragilisation


du système financier

Nous l'avons déjà évoqué, Minsky est keynésien et donc refuse toute
analyse dichotomique. Son approche des risques bancaires s'inscrit dans une
mécanique plus large qui lie la sphère réelle et la sphère financière. Il actualise
les travaux de Fisher [Lavoie, 1983, p. 311] et « il semble que les idées de
Minsky rendent bien compte de l'instabilité intrinsèque des économies de
finance libéralisée [...] » [Brossard, 2001, p. 291].

Selon Minsky, les risques bancaires ne sont pas le fait des seuls acteurs
financiers, ils surviennent à la suite des déséquilibres provenant des
entreprises ou de tout autre agent comme les ménages. Plus précisément,
la théorie de l'instabilité financière, conçue comme des prises de risque de
plus en plus grandes de la part des banques, présume de la fragilité croissante
de la structure financière de l'économie dans son ensemble. Cette dernière
connaît, comme avec Fisher, deux grandes phases, l'une de croissance pendant
laquelle la fragilité financière monte, et l'autre de crise.

Durant ces deux phases, alors que coexistent toujours trois états en matière
de financement, l'économie est dominée successivement par l'un d'entre
eux, du plus sûr au plus fragile. Le premier est la hedge finance (financement
couvert) : les emprunteurs remboursent le principal et les intérêts du prêt.
Le deuxième état est celui de la speculative finance (financement spéculatif) :
les emprunteurs ne remboursent que les intérêts du prêt. Le troisième
état est celui de la Ponzi finance (financement précaire) : les emprunteurs
remboursent les intérêts de la dette antérieure et vendent leurs actifs.

Pendant la phase de croissance, dans le cas d'une fragilisation venant des


entreprises les plus rentables du secteur le plus porteur, celles-ci tendent à

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s'endetter davantage. Elles sont imitées par les entreprises de ce secteur, dont '
F investissement tend donc à augmenter. Une première période de croissance
se caractérise donc par sa stabilité et son optimisme ; la structure financière
est de type hedge finance . Les entreprises ont de plus en plus confiance en
l'avenir et dans les perspectives de profits, ce qui les conduit à augmenter
leurs investissements. Le contexte mène à des structures financières plus
spéculatives et moins prudentes grâce aux innovations financières qui
permettent de répondre à la demande de crédits, c'est le « paradoxe de la
tranquillité ».

Pendant une deuxième période de croissance, l'endettement entretient et


intensifie l'activité, les profits et la confiance. L'évaluation des risques se relâche
dans toute l'économie. Pour être plus précis, Lavoie [1983, p. 304] explique
que les banques agissent en fonction de conventions et de leurs expériences
et qu'elles font preuve de capacités d'apprentissage et d'oubli : « [En matière
de norme d'endettement, il] n'existe vraiment aucun standard objectif de
sécurité. » En période de boom économique, la structure financière devient
donc spéculative et le risque prêteur augmente en même temps que le risque
emprunteur. Les banques s'exposent davantage au risque de solvabilité.

Par ailleurs, les innovations financières réduisent la liquidité des banques


car, comme l'explique Brossard [1998b, p. 414-415], les innovations
financières s'accompagnent toujours d'une réduction du ratio liquidité/titres
de l'économie, soit une réduction de la quantité des moyens de paiement par
rapport aux engagements comme avec le liability management 14. Nasica [ 1 997]
évoque alors une illiquidité croissante de l'économie15 et une dégradation de
la structure des bilans des prêteurs et des emprunteurs. Les établissements de
crédit s'exposent donc également au risque de liquidité.

La structure des financements des entreprises tend à être de plus en plus


précaire - elle devient de la Ponzi finance . Le mécanisme s'entretient de lui-
même et les banques s'exposent16 à la fois aux risques de solvabilité et de
liquidité.

14. Soit un décalage entre la maturité du passif - court terme - et la maturité de l'actif/des créances -
long terme.

15. Minsky décrit alors une généralisation de la préférence pour la liquidité aux banques. Globalement, la
relation entre évolution des taux d'intérêt et fragilisation financière est complexe : voir Nasica [1997].

16. Brossard [1998b] remarque que les banques sont à la fois victime et complice de la fragilisation
financière.

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La troisième période souvre alors sur le point de retournement et le
déclenchement de la période de crise, dû à une hausse des taux d'intérêt,
constante depuis le début de la phase de croissance. Elle déclenche les
premières faillites et provoque une prise de conscience de la fragilité du
système financier. Elle continue sur un processus de déflation à la Fisher ;
l'économie se trouve face à la menace ďun risque systémique.

Lavoie [1983, p. 310-311] récapitule l'enchaînement qui mène à la


fragilisation de la structure financière de l'économie à travers la succession
des événements suivants (voir figure 1).

Figure I . Le processus de la fragilisation financière

Hedge Hausse de Boom Speculative


Finance : W l'investissement ^ économique ^ Finance :
Stabilité de Banques moins Hausse des taux Hausse des
l'économie prudentes d'intérêt coûts de

tranquillité)

y
Faillite des Déflation donc Ponzi Finance : Retrait du soutien
entreprises ^ hausse de ^ Contagion des ^ bancaire
et banques l'endettement difficultés financières Baisse du nombre
spéculatives réel d'entreprises aux de projets
donc reprise

Globalement, l'économie s'engage dans un processus qui la mène à une


prise de risque macroéconomique, systémique, et donc à une crise. Minsky
traite donc aussi bien des risques microéconomiques des entreprises, des
ménages et des banques que des risques macroéconomiques de l'économie.
La crise de 2007 des subprimes s'explique justement, dans une première
lecture, par ce Minsky Moment et la montée de la fragilisation financière des
ménages américains. Inutile de revenir sur les aberrations en matière d'octroi
de crédits et sur la fragilisation des banques.

1.3. Quels risques pour quelles régulations ?

Reprenons à présent les notions fondamentales et les éléments essentiels que


souligne Minsky quant aux risques et aux crises financières afin d'apprécier en
quoi elles sont éclairantes en matière de compréhension de la dissémination
du risque et de réglementation.

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L'analyse minskyenne invite avant tout les banques à gérer le risque


de solvabilité et le risque de liquidité grâce à une gestion prudentielle.
Les faits et les réglementations en vigueur répondent parfaitement à ces
recommandations. Depuis 1 988, les accords de Baie consistent pour l'essentiel
à faire respecter une batterie de ratios, pour les plus connus les ratios Cooke
ou Mac Donough : il s'agit avant tout de protéger les établissements de crédit
des risques de solvabilité et de liquidité et Bale III ne dérogera pas à la règle.
Actuellement, les nouvelles propositions politiques ne dévient pas de ce cap.
Finalement, alors que Minsky entend proposer un modèle singulier, il ne fait
que souligner pour les banques des difficultés auxquelles sont confrontées
n'importe quelles autres entreprises, le risque de solvabilité et le risque de
liquidité.

Alors que l'analyse des crises financières a longtemps été un champ


marginal d'investigation pour les économistes, la position de Minsky est
claire grâce l'hypothèse de fragilisation financière et l'exposition au risque
systémique. Minsky repère, pour sa part, deux approches possibles de la
défaillance des marchés, applicables au système financier et à ses éventuels
déséquilibres17 [Whalen, 2007, p. 10 ; Kregel, 2007, p. 3-4].

La première relève de l'économie classique et suppose la mise en place


d'un cadre législatif destiné à assurer que le marché génère des résultats
socialement acceptables. La deuxième approche repose sur les principes de
l'efficience des marchés et donc sur la non intervention des pouvoirs publics.
Ces deux approches s'appliquent ainsi à tous types de marchés, marchés des
biens, du travail ou des capitaux.

Minsky propose une troisième approche, spécifique au système financier.


Elle suppose que, ni la régulation des marchés, ni leur efficience, sont des
approches pertinentes des marchés financiers car, comme l'explique Kregel
[2007, p. 4] : « It was the nature of economic stability to create the seeds of
its own destruction by leading individuals to engage in financial transactions

17. Ce point de vue est étayé par le rapport du Conseil d'analyse économique qui repère effectivement
sept approches des crises financières qui correspondent à l'analyse de Minsky. Le rapport énumère les
explications relatives aux financières et repère sept types d'explications reposant sur :des défauts d'infor-
mation, sur l'efficience des marchés et sur la finance comportementale [Malkiel, Shiller, Orléan] ; la prise
de risque procyclique [Bernanke, Gertler, Shiller] ; le risque de résonance entre actifs et le mimétisme
[Eichengreen, Zettlemeyer, Bacchetta, Hausmann] ; le système bancaire et la crise du passif ou de l'actif
[Diamond, Sgar] ; le régime macroéconomique [Krugman] ; le dysfonctionnement des Institutions inter-
nationales (la gouvernance mondiale) ; l'illusion que les marchés financiers soient plus importants que les
banques [Plihon, Shiller, Orléan, Blinder].

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increasingly less likely of completion. This can be called an increase of
"financial fragility" ».

Globalement, il s'agit pour Minsky d'analyser les cycles économiques


- comme Keynes - et d'expliquer « [...] l'impact de l'endettement sur les
comportements et [...] la façon dont l'endettement est consenti » [Minsky,
1992, p. 6]. Or, comme souvent, une analyse cyclique des phénomènes laisse
craindre un abandon de l'intervention publique dans la mesure où les cycles
sont inévitables et que la fragilisation, la prise de risque et les innovations
financières auront toujours une longueur d'avance sur le législateur.

Enfin, Minsky ne semble pas mesurer l'importance de certains éléments


comme les innovations financières ou le rôle effectif des banques. Non
seulement Minsky explique pourquoi les innovations financières existent
- pour équilibrer les bilans des banques afin qu'elles puissent répondre à
la demande croissance de crédits -, mais il montre en quoi la titrisation
transforme la sphère financière et l'activité bancaire. Néanmoins, il semble
ignorer leurs impacts directs sur l'économie, sur la nature des relations entre
le système bancaire et la sphère réelle et sur la pratique concrète du métier
du banquier. Or, sans les innovations financières, il n'y aurait pas eu une
telle dissémination des risques et cette amplification de la crise financière.
Il ne s'agit pas de remettre en cause leur existence mais de comprendre
en quoi elles modifient le rapport aux risques des agents économiques, et
plus particulièrement des agents financiers. Quant au rôle des banques,
dans une analyse affichée comme spécifique au système financier, il semble
complètement secondaire. Elles répondent sans limitation aux demandes
de crédit et les risques auxquels elles s'exposent, liquidité et solvabilité, ne
diffèrent pas de ceux des agents non financiers.

Alors, en dehors de l'intérêt et des éventuelles limites du processus de


fragilisation de Minsky que nous ne discutons pas ici en profondeur, nous
voyons que ce modèle de référence propose une analyse incomplète des
risques puisqu'il ne permet pas de comprendre comment ils se sont dispersés
dans l'économie. Et de fait ne permet-il pas davantage de dessiner les
contours d'une réglementation pertinente. Enfin, il ne permet pas non plus
de comprendre quelles sont les spécificités du rôle des banques ni en quoi ce
dernier a été entamé par des prises de risque de plus en plus grandes.

Peu de théories appréhendent la notion de risques bancaires dans toute sa


complexité et permettent d'expliciter la nature et la spécificité de la banque.
Pour la théorie de Minsky, la question est plus difficile à trancher car la
mécanique semble systématique et immuable. Un retour sur les pratiques

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bancaires relatives aux risques s'avère alors utile pour comprendre les
mécanismes de dissémination et pour proposer des pistes de régulations.

2. L'évolution du métier de banquier


et de sa relation au risque

La question du rôle des banques et de leurs fonctions dans l'économie nous


amène à faire un retour sur l'histoire afin de valider la force du lien qui les
lie à l'activité productive et d'apprécier la réalité de leur approche du risque,
au sens de leur niveau d'implication. Nous reviendrons alors sur le métier
des banquiers tel qu'il a évolué à travers les âges. Ceci nous permettra dans
un second temps d'interroger certaines pratiques actuelles à la lumière des
pratiques passées et de revenir à la fois sur la question de la pérennité du rôle
des banques dans l'économie et de leur éventuelle dénaturation, et dès lors
sur leurs contributions à la mécanique de crise de Minsky.

2. 1 . Un banquier qui gère au travers des âges les risques


liés à l'activité productive

Tenter d'établir quel est le métier du banquier à travers les âges suppose de
revenir sur des écrits faisant état de cette histoire et de répertorier quelles
sont les principales opérations effectuées par ces banquiers. La plupart
des définitions des banques, extraites de leur cadre théorique, retient trois
opérations essentielles18 pour définir le métier de banquier :

- la collecte de dépôts,

- la gestion des moyens de paiement,

- et l'octroi de crédit.

D'ailleurs les statuts de la banque française tels qu'ils sont définis par la
loi de 1984 s'appuient sur ces opérations pour caractériser les établissements
de crédit. Nous proposons d'exploiter notamment les travaux et apports de
de Mourgues [1988], Bonin [1992], Descamps et Soichot [2002] afin de
dresser un inventaire des principales opérations réalisées depuis l'Antiquité
jusqu'à la fin de la période de l'entre-deux-guerres19. Nous excluons de ce

18. De ces opérations sont déduites les deux grandes fonctions de la banque dans l'économie : l'intermé-
diation financière et la création monétaire.

19. Notre propos repose essentiellement sur l'étude du système bancaire français. En réalité, les divergen-

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retour sur l'histoire la période plus récente depuis le lendemain de la Seconde
Guerre mondiale et ce pour deux raisons :

- ďune part, le lendemain de la Seconde Guerre mondiale se caractérise


par une prise en main par l'État du canal du crédit, afin de faire face aux
immenses besoins de la reconstruction et notamment à des financements
de longue échéance. Dès lors, on peut voir dans ce caractère réglementé
l'introduction ďun biais dans la « nature » du métier de banquier.

- ďautre part, le processus de déréglementation qui va s'ensuivre et donc


le nouveau paysage bancaire qui se construit sont à la fois plus connus que
l'activité bancaire des périodes antérieures et seront en partie évoqués lors
de l'analyse des pratiques actuelles du métier de banquier.

2.1.1. L'accompagnement de l'activité de production

Il peut apparaître futile, voire inutile, de revenir sur l'histoire de la banque


pour souligner à quel point les banquiers interviennent en accompagnement
et en soutien à l'activité économique. Cela peut être considéré comme acquis.
Néanmoins, à la lumière des pratiques au cours de la crise, et en particulier
de l'implication toujours plus grande des banquiers dans des innovations
financières qui semblent de plus en plus éloignées des titres financiers
physiques20, il semble nécessaire et justifié d'effectuer un rappel sur cette
fonction du métier de banquier.

Cette notion d'accompagnement de l'activité de production s'effectue


essentiellement jusqu'au XVIIe siècle par la gestion des moyens de paiement, et
peu par les crédits à proprement parlés. Les fonctions de la monnaie - unité
de compte, moyen de paiement et réserve de valeur - expliquent à la fois son
usage comme son lien direct avec le développement du commerce. Durant
cette période, les services proposés par les banquiers relèvent de la gestion
des moyens de paiement : la diversité des monnaies, tant du point de vue des
multiples cités émettrices que du point de vue des caractéristiques physiques
de chacune d'entre-elles, les projette dans la posture de « changeur ». Cette
activité de « changeur » est centrale du fait de son importance pour la bonne

ces nationales entre les pratiques des banquiers apparaissent lors de l'institutionnalisation des systèmes
bancaires. Néanmoins, l'histoire de la banque française peut être élevée au rang d'exemple puisqu'elle
est proche de nombreuses autres expériences et qu'elle a inspiré des législations européennes à travers le
modèle de la banque universelle.

20. Nous reprenons une distinction classique entre titres physiques - actions et obligations par exemple -
relatifs au financement des entreprises et les titres dérivés relatifs par définition à un actif sous-jacent.

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marche du commerce ; elle est risquée du fait de la manipulation et du


stockage des métaux précieux.

Par la suite, durant toute la période du Moyen Age et des foires, le


commerce se développe naviguant à travers des lieux et des périodes plus ou
moins stables, mais aussi en fonction des croisades. Le métier de banquier
reste ainsi intimement attaché au commerce, que sa vocation soit nationale
ou internationale : « La lettre de foire, puis la lettre de change, constituent
un moyen d'effectuer des paiements à distance, sans déplacement physique
d'argent. » [Descamps et Soichot, 2002, p. 25] « Le prélèvement d'un intérêt
étant interdit21, la rémunération des banquiers marchands est fondée sur ces
opérations de change au comptant et à terme, qui masquent de véritables
crédits. » [Ibid. y p. 26]

Le banquier gère les moyens de paiement et, en proposant des avances


sur les règlements futurs, il supporte l'activité de production en fournissant
un service qui gère le risque dans l'espace et dans le temps, les paiements des
ventes réalisées, et ainsi donc des productions déjà engagées.

À compter du XVIIIe siècle, à côté des opérations de gestion de paiement


qui évidemment gagnent en complexité, les activités de crédit au sens large
connaissent un développement certain, à l'instar du métier de banquier.
Rappelons que le contexte est celui de l'essor industriel fondé tout d'abord
sur la première révolution industrielle puis la seconde. Se développent
en premier lieu les maisons dites de « Haute Banque » qui préfigurent les
« banques d'affaires ». Toutes deux se dédient largement au financement des
entreprises. À la fin du XIXe siècle, apparaissent à côté des banques d'affaires
les grandes banques de dépôts à long terme. Ainsi le métier du banquier
prend-il une nouvelle dimension grâce à sa composante d'octroi de crédits
à destination des entreprises. Il n'est pas question à l'époque d'octroyer des
crédits aux ménages. C'est bien la production que les banques financent. Ce
financement s'effectue par deux canaux essentiels :

- les crédits de « campagne » ou « saisonniers », autrement dit des crédits de


court et moyen termes qui accompagnent les entreprises dans leurs écarts
de trésorerie entre l'engagement de la production et l'enregistrement des
recettes liées à la vente de cette même production ;

- des crédits de plus long terme à travers la souscription d'importantes


masses de titres par ces banques, qu'il s'agisse initialement de la Haute

21. S'il était nécessaire, rappelons l'interdiction de l'Église sur la pratique des intérêts.

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Banque ou plus tard des banques d'affaires constituées souvent sous forme de
syndicats. On parle à l'époque d'« opérations capitalistiques » dans lesquelles
les banques simposent comme des acteurs clés : elles sont à la fois celles qui
organisent l'émission des titres et leurs souscriptions, et celles qui géreront
ensuite les enregistrements d'écritures colossaux que cela suppose.

Pour le second canal des achats de titres, plusieurs périodes se distinguent.


Dans les premiers temps, ces opérations de financement via les titres
représentent des volumes très conséquents et témoignent de la nécessité pour
l'industrie naissante de trouver des financements en complément de leurs
propres capacités - elles recourent pour l'essentiel à l'autofinancement. Au
XVIIIe siècle, cet appel à l'épargne sollicite tout d'abord les milieux d'affaires
et les grandes fortunes pour ensuite s'étendre au cours du XIXe siècle à la
petite et moyenne bourgeoisie : l'objectif est « d'attirer le numéraire flottant
qui reste dans les caisses au titre des besoins journaliers de l'industrie et du
commerce22 ».

En revanche, à la fin du XIXe siècle, l'émergence des « grandes banques


de dépôts » permet de solliciter l'ensemble de la population23. À côté des
titres émis par les entreprises, la part des émissions de titres d'État devient
également conséquente : eux aussi permettent de financer l'activité productive
puisqu'ils correspondent à des investissements dans l'équipement urbain,
au financement des déficits, mais aussi des guerres ! [Bonin, 1992, p. 109].
Bonin {ibid., p. 108] précise « que l'objectif originel des grandes banques
[de dépôt], ce qui justifie leur création par les entrepreneurs de la première
révolution industrielle, c'est la mise en place d'un réseau de placement des
titres boursiers, les actions, les obligations. Il faut réveiller l'épargne qui dort,
mobiliser les aspirants rentiers, leur faire souscrire le " papier " émis par les
sociétés ».

Au total, les banques supportent ainsi une profonde mutation : à compter


de la seconde moitié du XIXe, les valeurs mobilières - au rendement plus
élevé - supplantent la terre et la pierre comme « motif d'épargne ». Elles
constituent 55 % des fortunes françaises en 1911 contre 45 % en 1869
[ibid. y p. 108].

22. Dires de Henri Germain en 1863, Fondateur du Crédit lyonnais selon de Mourgues [1988, p. 1 16].

23. Concernant la France les cinq premières banques de dépôt sont fondées entre 1848 et 1894 : le
Comptoir national d'escompte (devenu plus tard la BNP), le Crédit industriel et commercial, la Société
générale, le Crédit lyonnais et le Crédit commercial de France.

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2. 1.2 . Des caractéristiques qui laissent supposer une certaine


approche du risque

L'inventaire des opérations réalisées par les banquiers sur plusieurs siècles nous
amène à souligner que leurs activités sont intimement liées à la production,
dans les premiers temps au titre des moyens de paiement soutenant la
commercialisation de ce qui a été produit - et donc la production -, ou plus
tard au titre du financement indirect et même direct de la production, via
les achats de titres et ponctuellement leur revente. Les banques financent des
activités privées aussi bien que des activités publiques, comme par exemple
les guerres. À l'instar de ce que spécifient certaines approches théoriques,
les banques remplissent à côté de leur activité de création monétaire - se
distinguant en cela des autres institutions financières - une fonction
d'intermédiaire financier. Elles permettent alors de satisfaire les besoins des
agents en matière de financement.

Cette partie prenante des banques dans l'activité de production relève


clairement d'un accompagnement de la prise de risque réalisée par les
entreprises dans leur activité de production et de commercialisation. Ainsi,
au-delà de l'inventaire des opérations prises en charge, est-il possible d'affirmer
que le métier du banquier consiste à gérer les risques liés aux moyens de
paiement et au crédit. Pour ce faire, il met en œuvre une compétence clé : sa
capacité à évaluer et à gérer ces risques. Les modes d'évaluation et de gestion
des risques varient en fonction de critères propres aux banquiers, reposant
aussi bien sur ceux de l'établissement que sur ceux attachés au système
bancaire auquel il appartient - les uns pouvant être fortement influencés par
les autres.

Si nous revenons sur les pratiques du métier de banquier à travers les


âges, et plus spécifiquement aux xvine et xixe siècles, période où l'activité
bancaire connaît un important essor, il apparaît qu'un critère majeur vient
influencer l'approche du risque du banquier tant dans son évaluation que
dans sa gestion : l'implication du banquier pour son propre compte dans une
bonne part de ses activités.

La fonction ď intermédiation financière, dans son acception courante,


suppose une mise en relation des agents à capacité de financement avec les
agents à besoin de financement grâce à l'intermédiaire financier - ici les
banques. Il s'avère que, jusqu'à la fin du XIXe siècle, les agents à capacité de
financement restent avant tout des banquiers, leurs proches, et des relations
d'affaires. Ainsi le banquier est-il intégré à l'activité économique à double

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titre : en tant qu'intermédiaire financier, mais aussi en tant quagent à
capacité de financement.

Rappelons que les banques ont une clientèle de déposants assez limitée
jusqu'au XIXe siècle et que, par la suite, celle-ci est constituée avant tout de
grandes fortunes souvent bâties sur le développement de l'activité économique,
comme la petite et moyenne bourgeoisie dont les banques souhaitent attirer
le numéraire issu des activités quotidiennes.

Le banquier s'investit à titre personnel dans diverses activités. Citons


notamment :

- Au Moyen Age, les prises de risques personnels liées au « commerce des


épices » dans les activités de commerce international et de développement
dans des contrées étrangères : commerce de métaux précieux, de monnaies,
d'épices, de tapis et de fourrures, armement des navires, développement
de contrées lointaines, de l'artisanat local et financement d'activités
nouvelles [de Mourgues, 1988, p. 1 1 1].

- Au XIXe siècle, les banques d'affaires ont une part importante de leurs
activités constituée de prises de risque personnel importantes dans
la création de nouvelles entreprises assortie, en contrepartie, d'une
participation à la prise de décision dans les entreprises [ibid., p. 118].

- Au xixe siècle, les maisons de Haute Banque puis les Banques d'affaires
appuyées par les Banques de dépôt - afin de placer une masse croissante
de titres - participent largement à des syndicats d'émission de titres pour
lesquels elles sont mandatées24 et où, là encore, elles prennent des risques
personnels importants puisqu'elles s'engagent à acheter pour leur propre
compte les titres non placés [Bonin, 1992, p. 109-1 10].

Les capacités de financement mises à disposition par l'intermédiaire des


banques relèvent pour beaucoup des propres fonds du banquier, de ceux de
ses proches, qu'ils soient de la famille ou émanant du réseau des relations
d'affaires.

24. « Les opérations capitalistes' procurent aux banques une part significative de leur volume d'activité -
avec beaucoup de manipulations de papier et donc de main-d'œuvre -, mais aussi de leurs recettes. Pour
chaque mission, les banques organisent l'opération ; elles placent les titres auprès de leur clientèle qu'elles
conseillent. Elles sont d'autant plus actives à le faire qu'elles ont souvent garanti aux émetteurs le succès
de l'émission : si la souscription marche mal, elles doivent verser malgré tout l'argent à la société et se
retrouvent collées' avec ce papier (...) » [Bonin, 1992, p. 1 10]

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Cette forte composante des deniers du banquier ou de proches dans la


masse de capitaux gérés par notre intermédiaire financier laisse supposer (i)
une attention toute particulière à l'évaluation du risque encouru et (ii) une
implication forte du banquier dans des projets relevant de la production
de biens et de services où il revêt les habits de l'entrepreneur : le banquier
« est investi » plutôt qu « il investit ». Cet investissement, cette prise en
charge du risque ne signifie pas « trop de risques » ou « pas assez », mais
une connaissance de la prise de risque jugé « supportable », voire « juste »,
et ceci dans une activité liée à la production puisqu'il s'agit de gestion des
moyens de paiement, de crédits de court et moyen termes, d'achats de titres,
ou d'activités de négoce ou d'arbitrage. Le fait que le banquier - à titre
personnel ou pour des proches - soit partie prenante dans les fonds investis
incite à soutenir une certaine approche du risque basée avant tout sur sa
capacité à l'évaluer, et moins sur celle à le gérer.

Expliquons-nous. Les pratiques passées des banquiers se fondent soit sur


une implication directe dans les activités de production, soit sur une intense
proximité de ces mêmes banquiers avec les entreprises financées. Il s'agit avant
tout pour le banquier d'évaluer le risque et de l'intégrer dans un portefeuille
d'actifs. La gestion du risque consiste à apprécier constamment ce dernier,
grâce à un engagement direct ou à un suivi très régulier et très proche, à
l'intégrer dans une stratégie de diversification des actifs, et éventuellement à
s'en désengager le cas échéant. Dès lors, la compétence du banquier s'exprime
dans son évaluation première du risque et son appréciation régulière.

Pour corroborer cette approche du risque, citons :

- les relations d'intense proximité entre les entrepreneurs de l'époque et


les banquiers ;

- la nécessité pour le banquier - du fait de la place prépondérante du


crédit de court et moyen termes à travers d'autorisations de découverts
[Bonin, 1992, p. 94] - d'être particulièrement proche de l'entreprise qu'il
finance pour saisir les raisons de cette fluctuation d'activités et déterminer
le risque auquel il s'expose ;

- ajoutons enfin que cette approche du risque s'avère encore plus


performante quand le banquier est lui-même issu de l'activité commerciale
ou industrielle. Certains ont d'abord été à la tête de sociétés de négoce,
le cas le plus probant étant Worms qui passera du négoce de charbon à
la banque [ibid., p. 61], et d'autres souhaitaient construire leur propre
outil bancaire - le Crédit lyonnais est fondé en 1863 par des hommes

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d'affaires de la région lyonnaise issus surtout de la métallurgie de la Loire,
des sociétés gazières et soyeuses de Lyon. Non seulement le banquier peut
être lui-même initialement entrepreneur dans l'activité industrielle, mais
il maintient à titre personnel des participations fortes dans la conduite des
entreprises [ibid., p. 94].

Il apparaît ainsi que la gestion du risque par les banques s avère tout autre
depuis une trentaine d'années par rapport à ce quelle a été à travers des
siècles. En effet, le métier de banquier consiste bien en la gestion du risque,
quii s'agisse du risque lié aux moyens de paiement quand la banque reçoit
les fonds du public et gère les moyens de paiement ou qu'il s'agisse du risque
de crédit.

Quel qu'il soit, le risque comporte de fait deux phases essentielles : une
première qui est l'évaluation du risque lors de sa prise en charge et de l'entrée
de l'actif dans le portefeuille du banquier ou de l'un de ses clients, une
seconde qui est sa gestion à proprement parler. L'évaluation initiale semblait
à l'époque revêtir un enjeu tout autre puisque l'actif - et donc le risque -
restait dans le portefeuille soit du banquier, soit du client, mais un client très
proche du banquier, qu'il était important de ne pas décevoir.

De plus, le banquier investissant ses propres deniers accordait une


importance particulière à l'évaluation première et régulière de l'actif et du
risque encouru. Qu'en est-il aujourd'hui de cette approche du risque et
notamment des pratiques d'évaluation et de gestion du risque ?

2.2. La question de la constance du métier de banquier


et de sa dénatu ration

À la lumière de ce détour historique, les pratiques actuelles des banquiers


laissent perplexes. Il est légitime de s'interroger sur leur accompagnement de
l'activité productive et sur leur approche du risque, voire sa prise en charge.

Il est acquis que le métier de banquier a évolué avec le processus de


déréglementation financière qui a commencé dans les années 1980. Les 3D
(Déréglementation, Décloisonnement, Désintermédiation) induisent un
paysage bancaire nouveau dont les principales caractéristiques sont :

- l'accentuation de la concurrence au sein du milieu bancaire mais aussi


avec d'autres secteurs,

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- l'accroissement des opérations sur titres et produits dérivés tant du point


de vue de l'actif que du passif - montée de l'intermédiation de marché et
de la marchéïsation des bilans bancaires.

Ces évolutions engendrent de nouvelles pratiques supportées par un


processus d'innovations financières fertile. Si, de prime abord, les activités
de gestion de moyens de paiement et de crédits des établissements bancaires
ne sont pas remises en cause, il semble bien qu'une nouvelle approche de la
gestion des risques prend forme. Il est possible de faire état de trois évolutions
majeures, pourtant bien connues de tous, qui soulignent l'affirmation d'une
nouvelle approche du risque par les banquiers : le développement de la
titrisation, le recours accru aux CDO et CDS {Collateralized Debt Obligation
et Collateralized Default Swap ), et enfin le rapprochement de deux secteurs,
la banque et l'assurance, qui amène de plus en plus à parler du secteur de la
bancassurance et d'une certaine affirmation d'un mode de gestion du risque
par mutualisation.

Depuis le début des années 1980, la place des titres, tant du côté de l'actif
que du passif des banques, s'accroît. Ce qui nous intéresse ici, c'est plus
particulièrement le processus de titrisation de l'actif bancaire25. En effet,
l'intermédiation classique a fait place au modèle Originate and Distribute qui
rend compte du processus de titrisation des crédits accordés par les banques.
Les banques extraient de leur bilan les crédits qu'elles ont accordés. Ces
opérations revêtent d'autant plus d'intérêt qu'elles démultiplient la capacité
de prêts des banques puisque, titrisés26, ces crédits n'entrent plus dans le
calcul des ratios internationaux de Baie, qui rapportent leurs engagements à
leurs fonds propres. Par ces opérations, les banques :

- se défont du risque,

- participent à la dissémination de ce risque dans différents produits


financiers,

- modifient de ce fait leur approche du risque, puisqu'il ne restera pas


dans leur portefeuille,

- et développent les encours de crédits pour lesquels le risque n'est pas


correctement appréhendé.

25. Contrairement à Minsky qui s'intéresse aux innovations financières et au passif des banques.

26. Tels que les avait décrits d'ailleurs Minsky.

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Cette tendance à la titrisation a trouvé notamment dans deux instruments
financiers que sont les CDO et les CDS des supports particulièrement
pernicieux quant à l'approche du risque par les banques. Les CDO sont des
obligations adossées à un ensemble de créances comprenant généralement des
crédits bancaires, des obligations, et même d'autres CDO : ils mixent ainsi,
au sein d'un même fonds, différentes qualités de créances. Le tout forme
un ensemble de plusieurs tranches d'actifs dont les premières bénéficient
d'une liquidité maximale - notée AAA par les agences de notation - et les
tranches inférieures supportent tous les risques, mais offrent des rendements
plus élevés. Ceux-ci ont notamment été émis par les institutions financières
pour couvrir les risques liés aux emprunts à taux variables, qui représentaient
91,6 % des crédits immobiliers aux États-Unis en 2006.

Ces instruments ont largement participé au processus de titrisation de ces


dernières années en permettant aux banques d'extraire des créances de leurs
bilans, et en les mixant dans un fonds spécifique - SPV (Special Purpose
Vehicle). Très clairement, C. Dupuy [2008, p. 1] souligne qu'il s'agit :

« [D]e transferts de risques dans la profession de la finance : les prêts


octroyés par les courtiers étaient confiés temporairement à des banques
"hypothécaires" sous-capitalisées puis revendues en bloc à des banques
d'investissement (d'où les problèmes de Lehman Brothers) qui les
restructuraient et les vendaient à des investisseurs institutionnels -
après notation. De fait, à chaque étape, les intervenants de cette chaîne
de "valeur" étaient motivés par les gains liés aux frais bancaires. Cette
titrisation à outrance a conduit au développement de nombreuses autres
innovations - dont les fameux CDS. L'émergence de ces contrats dérivés
sur défauts de crédit est l'innovation majeure de ces dernières années. Ils
représentaient en 2005 (selon George Soros) 42 600 milliards de dollars
soit l'équivalent du patrimoine immobilier privé américain (contre 18 500
milliards à la capitalisation boursière et 4 500 milliards aux valeurs du
Trésor américain). »

Ces CDS permettent tout simplement de se prémunir contre un risque de


défaut. Autrement dit, ces deux instruments, CDO et CDS, fournissent aux
banques de nouvelles possibilités de gestion des risques. Ce mode de gestion
se caractérise notamment par la possibilité, mais surtout, le développement
des pratiques de non-conservation en portefeuille des créances que les
banques ont elles-mêmes émises. Dès lors, l'enjeu de l'évaluation première
du risque par la banque, au moment où s'établit la créance, s'amoindrit
fortement. En effet, tout d'abord le titre a toutes les chances de ne pas rester
dans le portefeuille de la banque, ensuite cette extraction du bilan bancaire
est facilitée par les possibilités d'intégration de créances douteuses dans des

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packages pour lesquels la demande reste forte - en raison de l'éventail des


qualités et des forts rendements proposés -, ceci est rendu in fine d'autant
plus réalisable que de nouveaux produits financiers permettent de garantir
les risques de défaut.

Alors que la banque est censée porter le risque en accompagnement de


l'entrepreneur, elle ne le porte plus, elle sen défait. L'approche du risque
que nous avons présentée comme incluant à la fois processus d'évaluation
et processus de gestion est totalement perturbée : la gestion ne suppose plus
essentiellement le suivi du risque initial que la banque a estimé comme
« supportable » et qu'elle a donc accepté. Le processus d'évaluation s'en
trouve fortement affecté et, au premier chef, l'appréciation première liée à
l'octroi du crédit.

La forte proximité du banquier avec l'activité de production telle qu'elle a


existé pendant les siècles précédents n'a plus ou peu de raisons d'être. L'activité
d'évaluation du risque se positionne désormais ailleurs : elle concerne avant
tout l'évaluation du risque sur les titres secondaires et non sur les titres
premiers en lien direct avec l'accompagnement de l'activité de production.

Ajoutons à ces éléments le mouvement de rapprochement depuis


plusieurs années du secteur de la banque et celui de l'assurance, autre
exemple de cette évolution de l'approche du risque par les banques. En effet,
s'il est généralement convenu que le point commun entre les deux secteurs
réside dans la gestion du risque, leur approche et donc leur métier respectif
diffèrent. Pour les assureurs, la gestion du risque s'appuie sur deux principes
fondamentaux : la probabilisation du risque et la mutualisation du risque au
niveau de la population. Il apparaît là encore que les pratiques du banquier
évoluent et, à certains égards, se rapprochent d'un mode de gestion du risque
qui n'était pas le leur. Les instruments de couverture du risque intégrés par
les banques s'appuient sur des calculs de probabilité de réalisation du risque.
Le processus de titrisation par la dissémination du risque, avec notamment
les CDO et CDS, instaure de fait une mutualisation du risque. L'approche
du risque telle que les banques la pratiquaient au siècle dernier est désormais
bien loin.

Supposées expertes dans l'évaluation du risque, son acceptation ou non


via l'octroi de financement ou non, et sa gestion, les banques - lorsqu'elles
exercent traditionnellement leur métier - représentent un régulateur essentiel
de risques au niveau de l'économie. Il semblerait que l'évolution de leurs
activités les ait amenées à ne plus remplir cette fonction de régulation et bien
plus, à être maintenant à l'origine-de nouveaux risques. Certains observateurs,

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dont J. de Larosière, parlent de « perte de sens du risque »27. Dans tous les cas,
si certaines voix soulignent cet état de fait, cela reste des constats ponctuels
qui font état de « dérapages ». Peu reviennent sur ces « dérapages » pour les
présenter comme symptomatiques de problèmes plus fondamentaux sur le
métier de banquier et sur l'approche du risque telle quelle est envisagée et
pratiquée aujourd'hui. Pourtant des changements majeurs se sont opérés et
s'opèrent toujours :

- un détachement de la part des banques à l'égard de l'activité de


production tant pour leur propre compte que pour le compte de tiers
- une part accrue de leur produit net bancaire provient des activités et
arbitrages sur titres et produits dérivés ;

- une forte remise en cause de la fonction de régulation des risques à


l'échelle de l'économie puisque les banques n'ont plus les mêmes
contraintes d'évaluation du risque, vu qu'elles le gèrent différemment ;

- au-delà de l'amoindrissement de la fonction de régulation du risque en


général au niveau de l'ensemble de l'économie, les banques deviennent
elles-mêmes productrices et disséminatrices du risque : elles participent
activement à un processus de mutualisation du risque et ne remplissent
plus de fait leur mission première. Dès lors, qui gère le risque ? Qui a les
compétences pour le gérer ?

Conclusion

La crise en cours suscite de nombreux questionnements, surtout concernant


le système bancaire et financier. Néanmoins, les interrogations semblent peu
suivies de mises en œuvre : concrètement, peu de mesures ont été prises et
la réforme du système bancaire reste superficielle. En réalité, les économistes
se sont massivement tournés vers Minsky et sa théorie de la fragilisation
financière pour expliciter les liens entre crise, prises de risque excessives des
agents et financement. Il est vrai que seul Minsky propose une analyse si
achevée et à même de lier des phénomènes monétaires et réels.

27. J. de Larosière souligne notamment « un certain nombre d'institutions financières ont souhaité mal-
gré tout accroître leur rémunération en accordant des crédits risqués à plus forte marge. Afin d'attirer les
investisseurs - au moyen de la titrisation de ces crédits - en leur accordant des rendements supérieurs
aux faibles taux d'intérêt ambiants, nombre d'institutions financières les ont incités à prendre des risques
démesurés » [Larosière, 2008, p. 12].

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Néanmoins, sa théorie demeure peu éclairante sur la mécanique de


dissémination du risque, si dévastatrice pour l'ensemble de l'économie ;
Minsky se penche principalement sur les risques de liquidité et de solvabilité
qui proviennent du comportement des entreprises financées, mais ignore le
risque de dissémination dont les banques peuvent elles-mêmes être à l'origine
de par leurs propres comportements.

Les économistes qui s'inspirent de son analyse portent donc leurs efforts
sur la réglementation prudentielle des banques puisqu'elle permet de limiter
ces risques. Or, ce type de réponses semble dérisoire au vu de ce qui s'est
fait par le passé et des difficultés présentes puisqu'elles ne répondent pas à la
question de la propagation du risque.

Ainsi un retour sur l'histoire des pratiques bancaires, et plus spécifiquement


sur le rapport au risque du banquier, permet-il de souligner combien ce
rapport, ce lien, est intrinsèque pour le métier de la banque. Que ce soit dans
l'accompagnement des activités commerciales, et donc de la fourniture et
du dépôt des moyens de paiement, ou dans l'accompagnement des activités
productives, et donc de l'octroi de crédit, le banquier a toujours pris des
risques. Son métier, sa compétence, consistent fondamentalement à évaluer
et à gérer le risque financier et économique.

Les pratiques actuelles se sont largement éloignées depuis une vingtaine


d'années de ces préoccupations. L'abondance des exemples en témoigne :
CDS, CDO, bancassurance, crédits subprimes. Ces derniers sont révélateurs
de la moindre implication du banquier dans son activité de financement.
Cette moindre implication provient certes des changements législatifs et
des mutations économiques, mais aussi pour beaucoup des banquiers eux-
mêmes. Plus encore, ces transformations se traduisent par un nouveau
rapport au risque. Est-il significatif d'un abandon du métier de banquier ?
Qu'advient-il alors du risque ? Qui l'évalue ? Qui le prend en charge ? Les
banques ne l'évaluent plus, ne le filtrent plus. Se prenant pour un agent
financier comme un autre, elles participent à son développement et à sa
dangerosité croissante.

Nulle régulation ne semble prendre en compte le rôle et le métier du


banquier dans ce qu'il a de plus fondamental. Pourtant, avec des banques
qui n'en sont plus, l'avenir économique paraît bien sombre et prometteur
d'heures tout aussi sombres que celles que nous venons de traverser.

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