Sous la direction de

Marie-Laure Legay

Anne Dubet, Joël Félix, Jean-Claude Hocquet, Sébastien Kott,

Yannick Lemarchand, Bernard Lutun, Natalia Platonova

Dictionnaire historique
de la comptabilité
publique
vers 1500-vers 1850

Presses Universitaires de Rennes

2010

Ouvrage publié avec le soutien de l’Agence nationale de la recherche.
© Presses Universitaires de Rennes
UHB Rennes 2 — Campus de La Harpe
2, rue du Doyen-Denis-Leroy
35044 Rennes cedex
ivww.pur~editions.fr
Dépôt légal : 1er semestre 2010
ISBN 978-2-7535-1102-6
Introduction
Ce dictionnaire est le premier outil d’analyse des termes, techniques et réformes comptables
restitués dans leur contexte historique. Il est le fruit du travail d’une équipe composée non seu­
lement d’historiens, mais aussi de juristes et de spécialistes de sciences de gestion, et a fait l’objet
du soutien de l’Agence nationale de la recherche. Il ne constitue pas un dictionnaire des finances
publiques et ne s’intéresse aux institutions et aux politiques financières que dans leur rapport à
l’histoire des comptes publics et de la science comptable.
L’histoire des comptes publics est en chantier, non que les historiens n’aient guère prêté attention
aux archives comptables, censiers, cherches de feux, « comptes », « états », « aperçus », « journaux »,
« livres de raison », « grands-livres », « registres », « prospectus », « brouillards », « manuels »..., mais
ces archives ont rarement été exploitées pour qualifier le système comptable d’un Etat, organisation
publique qui se développe à partir du xme siècle et impose, sur un territoire donné, son adminis­
tration militaire, judiciaire et fiscale. Si les comptes qui ont subsisté, d’un fermier, d’un clerc, d’une
fabrique, d’un monastère, d’un hôpital, d’un gentilhomme, d’un marchand, d’un bourgeois, d’une
manufacture, d’un entrepreneur... sont exploités, décrits et analysés, ceux de l’Etat demeurent encore
mystérieux pour la plupart des chercheurs. La matière est ardue certes, encore que la comptabilité
des temps modernes soit d’une archaïque simplicité, si on la compare aux programmes informatisés
d’aujourd’hui. L’histoire des comptes publics peut cependant s’appuyer sur des précédents historiogra­
phiques. Les travaux de Pierre Jeannin, Jochen Hoock et Wolfgang Kaiser sur les manuels et traités à
l’usage des marchands ont non seulement identifié les contours socio-culturels d’un groupe d’acteurs,
les marchands, mais révélé un savoir, une géographie européenne et un discours sur la gouvernance de
l’économie1. L’Etat en construction, a exploité ce savoir bâti sur le capitalisme commercial, industriel,
puis financier. Il a aussi défini ses propres normes et pratiques comptables et finalement produit ses
propres traités de « comptabilité ».
Ce dictionnaire a été conçu dans un esprit résolument comparatiste. Ses auteurs se sont
efforcés de mettre en lumière les convergences dans la pratique et dans la conception du contrôle
comptable des Etats européens à l’époque moderne, convergences repérées dans les règles de tenue
des livres et le vocabulaire commun, même si l’on constate pour la fin de la période l’émergence
de modèles différenciés.
Chronologie : les comptes de la gestion ancienne des Etats européens
L’ouvrage opte pour une chronologie resserrée 1500-1850. Le terminus a quo marque l’instal­
lation ou la consolidation de l’Etat moderne2, et le terminus ad quem inaugure les premiers règle­
ments codifiés de comptabilité publique, celui du 18 décembre 1824 en Prusse, du 31 mai 1838 en
France, celui plus tardif du 7 octobre 1848 en Russie, la Loi d’administration et de comptabilité du
20 février 1850 en Espagne..., règlements où l’on peut encore lire la part des héritages de la comp­
tabilité ancienne. Le terme 1850 s’entend aussi comme écho à la périodisation définie avant nous
par les historiens de la comptabilité privée qui distinguent la période pré-capitaliste (depuis 4 000
1. Hoock Jochen, Jeannin Pierre, Kaiser Wolfgang, Ars Mercatoria, Handbücher und Tracktatefur den Gebrauch des
Kaufmanns, 1470-1820, t. III, Analysen 1470-1700, Schôningh, Paderborn, 2001.
2. Jean-Philippe Genet, « La genèse de l’État moderne. Les enjeux d’un programme de recherche », Actes de la recherche
en sciences sociales, n° 118, juin 1997, p. 3-18.
 avant J.-C. jusqu’à la fin du premier millénaire après J.-C.), la période du capitalisme marchand comptables en réponse aux changements de l’environnement et des besoins de la société, ainsi que
(vers l’an mil-vers l’an 1760), l’avènement du capitalisme industriel (1760-1830) et finalement l’ère les effets de cette évolution sur l’environnement6.
de développement du capitalisme financier après 18303. Il importe cependant d’intégrer la lecture
politique de l’évolution des livres de comptes des organisations étatiques. La prévision et l’exécution : le système des « états »
Avant la reconnaissance des nations par les régimes de type parlementaire et l’avènement des
Le dictionnaire fait apparaître l’existence d’une prévision des recettes et des dépenses pour une
finances « publiques », les élites nobles d’une part, détentrices de la terre et donc des recettes directes,
année. Pour comprendre les origines de la construction budgétaire, il faut partir du document
et les hommes d’affaires d’autre part, financiers de la guerre et de la trésorerie, ont géré les deniers
provisoire qu’un receveur dressait au Moyen Age pour rendre compte de sa gestion et faciliter
pour le compte des souverains européens. Peu d’entre eux ont échappé à la nécessité de recourir
le travail de correction du compte définitif à la chambre des comptes. La compilation des états
aux intermédiaires financiers, tant il est vrai que les ressources du domaine princier ne suffisaient
des receveurs permit progressivement d’établir un état général des recettes pour un territoire
guère à financer l’expansion de l’État. Que la souveraineté du prince fut complète, comme dans
donné. Cependant, la chronologie varie selon les États européens car il faut que la souveraineté
la monarchie française, ou incomplète, comme dans les territoires des Habsbourg, le monarque
du prince sur les territoires concernés soit clairement établie avant de compiler les revenus qu’ils
s’appuyait sur les corps constitués (assemblées provinciales, villes, clergé...) qui formaient avec lui
rapportent. De ce point de vue, le contraste entre la monarchie des Valois et des Bourbons et
le royaume et administraient une partie des recettes ordinaires. Les compagnies de finances et les
les monarchies multinationales des Habsbourg est saisissant. De même pour les dépenses, en
banques privées furent sollicitées de leur côté pour financer les dépenses extraordinaires. Dans tous
dresser la liste suppose une organisation de type ministériel (dépenses par « département ») qui
les cas, la gestion des deniers était dans les mains de receveurs et trésoriers dont les statuts, variables,
fut parfois longue à mettre en œuvre, tant il est vrai que le mode de gouvernement par conseils
n’avaient rien de comparable à ceux des fonctionnaires d’aujourd’hui.
a caractérisé les États modernes, comme l’Espagne par exemple. On trouve souvent dès la fin
Qui veut comprendre les comptes d’autrefois doit garder à l’esprit le fait qu’avant le dévelop­
du Moyen Âge des « états » généraux de recettes établis sommairement et par estimation. Plus
pement de la monnaie fiduciaire (du latin fides, confiance), la rareté des espèces donnait lieu à des
délicate est l’apparition des « états » de dépenses car, outre la contrainte organisationnelle que
pratiques de gestion particulières. Les avances d’abord : tous les souverains ont sollicité des avances,
l’on vient de mentionner, le principe de l’assignation des dépenses sur les recettes amenait le plus
non seulement des gens d’affaires qui signaient avec le roi des traités, des contrats de fournitures, des
souvent les teneurs de livres à consigner les premières dans les états des secondes. L’historien a
contrats de prêts... pour financer les besoins extraordinaires, mais aussi des receveurs et trésoriers de
donc le plus souvent affaire à un seul et même document : l’« état des recettes et dépenses »,
leurs États au titre des recettes fiscales, directes ou indirectes. Les monarques ne maîtrisaient pas la
dénommé parfois « bilan » comme dans les États de Piémont-Savoie (dès le xvne siècle) ou dans
négociation du numéraire et conséquemment, leur trésorerie. La fraude ensuite : receveurs et tréso­
les États italiens, ce qui ne facilite pas la compréhension générale du processus comptable. Le
riers étaient d’autant plus tentés que la définition même de l’intérêt public était lâche. Où commen­
« bilan » ici évoqué est bien un état estimatif des recettes et des dépenses construit en vue d’en
çait le service du prince, ou finissait le service du receveur ? Par ailleurs, quand bien même tous les
tirer des extraits, par trimestres, par mois, pour faciliter l’exécution budgétaire. Dans certains
acteurs de cette histoire demeuraient sensibles aux préceptes de leurs Églises qui leur enjoignaient de
territoires allemands, comme celui du prince-électeur de Brandebourg, cet état estimatif semble
renoncer aux taux usuraires, le service d’avances avait un coût. Le secret enfin : le mystère procédait
avoir existé dès l’époque d’Albrecht Achilles (1470-1486).
d’une économie morale. Il était encore fréquent au xvie siècle de jurer sur les Saints Évangiles de ne
Quand l’état général est dressé, on a affaire à un outil budgétaire. L’exécution du « budget »
rien révéler de ce qui se délibérait au sein des assemblées et des conseils. Le secret relevait aussi d’une
est alors organisée par le re-fractionnement de l’état général en états spécialisés par comptable,
pratique absolue du pouvoir et de la raison d’État4. *
ce dernier ayant en charge une branche de revenus ou un territoire. Le fait se constate partout
Dès lors, on mesure en quoi consistait le contrôle comptable de cette époque. Il a fallu tout à
en Europe. Ce fractionnement permet de faire la répartition des fonds entre trésoriers actifs ; en
la fois définir les obligations des « gestionnaires » ou administrateurs des deniers du roi vis-à-vis
outre, il contraint les ordonnateurs secondaires à agir en respectant ces états, le prince gardant évi­
du souverain et solliciter une reddition des comptes — procédure qui caractérise le rapport du
demment la possibilité d’en modifier l’exécution. Le système des états consistait donc en comptes
comptable (c’est-à-dire, en français, le responsable du maniement de deniers) à l’organisation
de synthèse dressés par les comptables publics pour rendre compte de leur gestion, comptes ou
publique et que l’on ne retrouve pas dans les obligations du comptable privé -, mobiliser des
états à partir desquels on projetait les recettes et dépenses pour l’exercice suivant, c’est-à-dire, car
« contrôleurs », « inspecteurs », « auditeurs », « réviseurs ».. .consacrés par les institutions et finale­
le mot vient de là, pour la période de fonction de leurs successeurs.
ment, non seulement améliorer les procédures judiciaires de contrôle, mais encore construire une
La prévision budgétaire a connu ensuite quelques améliorations essentiellement liées à la sta­
comptabilité administrative capable d’accompagner le développement des organisations étatiques et
bilisation des États modernes. Les postes « budgétaires » devinrent plus détaillés, la séparation
de leurs dettes. Paradoxalement, l’encadrement bureaucratique de l'affairisme identifié au cœur de
de l’ordinaire et de l’extraordinaire plus courante. On observe cette séparation entre assignations
l’État s’est aidé de l’expertise comptable marchande : Jean-Baptiste Colbert était fils de marchand,
« ordinaires » et assignations « extraordinaires » dès le début du xviic siècle dans le bilan général des
comme l’Espagnol Pedro Luis de Torregrosa avant lui. Mais il a fallu aussi que les administrateurs
finances de Savoie par exemple; en France, Colbert imposa de même le principe d’une telle distinc­
comprennent toutes les opérations comptables (la prévision, l’exécution, la vérification) comme
tion. En Prusse, Frédéric-Guillaume Ier renforça la « budgétisation » en faisant dresser deux états
un tout et les unissent en une même branche. Comme nous le fait comprendre Henry Roseveare
généraux (un pour les revenus des domaines et un pour les revenus de la guerre) en trois colonnes
qui a travaillé sur le Trésor royal anglais : « The logic was only slowly perceived, the interdependence
pour chacun : les recettes ordinaires et extraordinaires, les dépenses ordinaires et extraordinaires
only belatedly created\ » De fait, le mot « comptabilité » n’apparaît en France que dans la deuxième
et la colonne pour le calcul du total des recettes et du total des dépenses ; l’état général pour les
moitié du xvme siècle. A la rencontre des deux mondes, on assiste à la formation d’une science
domaines contenait par ailleurs un « Extraordinàrer Bau- undMeliorations-etat » dit Extraordinarium
administrative sans que cette histoire soit linéaire ni progressive. L’histoire de la comptabilité
pour prévoir les dépenses d’aménagement. Mais ce qu’il faut surtout apprécier, c’est le moment où
publique prétend donc à son tour étudier l’évolution de la pensée, des pratiques et des institutions
une organisation étatique parvient à estimer non seulement les recettes et dépenses du Trésor du
3. Edwards John Richard, A history offinancialAccounting, Londres, Roudedge, 1989, p. 9. prince, mais l’ensemble des recettes et dépenses d’un territoire, y compris celles des caisses qui ne
4. Etienne Thuau, Raison d’Etat et pensée politique à l’époque de Richelieu, Paris, Albin Michel, 2000.
6 5. Henry Roseveare, The Treasury 1660-1870. The Foundations ofControl, Londres, George Allen & Unwin Ltd, p. 47. 6. Parker Robert H., in Macmillan Dictionary ofAccounting, Londres, Macmillan Press, 1984, p. 3. 7
 dépendaient pas directement du Trésor mais se trouvaient sous l’autorité du souverain. On entre
ici dans l’étude de la centralisation politique et administrative qui aboutit, quant à la prévision, à la
formation de documents d’un genre nouveau dénommés selon les cas « aperçu », « compte-rendu »,
« résumé » ou encore « bilan », dans le sens de balance générale des recettes et des dépenses d’un
territoire pour une année. Ces documents ont un caractère tout à la fois récapitulatif et prévision­
nel : l’effort de compilation rend la prévision plus précise. On peut aisément intégrer dans cette
liste l’« état » général des recettes et dépenses, mais pour les revenus du domaine seulement, formé
pour la première fois en Prusse en 1689 à la suite des efforts de Dodo von Knyphausen, le premier
« bilan » de Venise établi en 1736, l’« aperçu » présenté en 1733 par Patrice-François de Neny, tré­
sorier général des Pays-Bas autrichiens et défini comme un « apperçu de la recette et de la dépense
qui ont pu être évaluées d’avance et qui se trouvent expliquées dans la colonne d’observations », les
« balances générales des revenus et dépenses par année » de la Maison d’Autriche qui résultaient du
rapprochement entre l’aperçu pour l’année courante, qui tenait compte des arrérages de l’année pas­
sée, et le résultat des recettes et dépenses effectives, le « compte-rendu » au roi de Necker de 1781...
Le lecteur familier de l’Etat moderne ne sera pas surpris de constater le caractère tardif de ces
« budgets » saisissant l’ensemble des caisses d’un territoire. Il importe encore de rappeler que les
administrateurs qui ont fourni cet effort de compilation baignaient dans une culture économique
renouvelée au xvme siècle par le développement de la statistique descriptive. Cette science positive
se muait alors en une science de la comptabilité territoriale que les historiens de l’économie poli­
tique ont décrite7. Le dictionnaire n’a pas pris le parti de renseigner le lecteur dans le détail de cette
histoire intellectuelle car la comptabilité publique est d’abord née du contrôle des comptables. L’on
trouvera néanmoins dans plusieurs notices, comme « produit net, produit brut », « Lavoisier », les
éléments d’analyse qui permettent de comprendre comment les notions chères aux économistes
libéraux ont été ou non intégrées par les administrateurs des comptes publics, dès l’étape de la
prévision : le président de la Chambre des comptes de Vienne, Karl von Zinzendorf, signale à
Joseph II en 1786 que ses services ont réussi à tirer l’aperçu de la recette et de la dépense des Pays-
Bas autrichiens pour l’année 1782, le revenu brut étant distingué du revenu net.
Sur le plan politique en revanche, la gestation du « budget » tel que le conçoivent les contempo­
rains, c’est-à-dire un acte par lequel sont prévues et autorisées tant les recettes que les dépenses, fut
plus chaotique, encore qu’il convient de se demander si le principe d’autorisation n’était pas déjà
contenu en partie dans celui du consentement des impôts par les assemblées des régimes anciens
(diètes, cortès, états provinciaux, états généraux...) pour la partie recettes. Le cas anglais, longue­
ment détaillé dans ce dictionnaire qui reprend une historiographie peu connue en France, doit évi­
demment être souligné : à partir de 1688, le principe selon lequel nul impôt ne pouvait être levé ni
aucune dépense payée sans le consentement et l’autorisation préalables des contribuables représentés
par le parlement de Londres ne fut plus remis en cause. Cependant, les députés n’examinaient pas
chaque année l’ensemble des dépenses de l’Etat, mais seulement celles qui étaient « politiquement
sensibles », en particulier les dépenses militaires, les dépenses nouvelles ou les dépenses imprévues
de l’exercice précédent qui n’avaient pas de fonds affectés à leur paiement. On retrouve là les débats
qui animeront un siècle plus tard l’assemblée issue de la Révolution française.
Le contrôle comptable et la question de la partie double
L’étude du contrôle comptable est sans doute la plus stimulante, pour trois raisons : d’abord,
elle met en évidence plusieurs modes, voire modèles de contrôle qui nous permettent de dif­
férencier les systèmes comptables, ce que l’analyse de la prévision et de l’exécution ne rend pas
possible. Elle amène l’historien à observer de l’intérieur comment l’Etat se construit en dictant
des règles de contrôle sur lui-même ; elle permet enfin d’isoler des savoirs comptables, basés le* 8
7. On peut se reporter à Jean-Claude Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, XVIf-XVllf siècle, Paris,
EHESS, 1992 ; Béraud Alain et Faccarello Gilbert (dir.), Nouvelle histoire de la pensée économique, Paris, Éditions
8 La Découverte, 1992.
plus souvent sur la connaissance du fonctionnement des institutions concernées, et sur lesquels
d’est édifiée une science administrative aboutie.
Les enjeux du contrôle comptable sont de deux ordres : le repérage des « erreurs », « faux-
emplois », et plus généralement des « fraudes » et malversations des comptables d’une part, et le
suivi de la situation des recettes et dépenses d’autre part. L’un des apports de ce dictionnaire est
de mettre en lumière comment le suivi de la trésorerie devint un enjeu capital au moment où les
Etats modernes, pour financer les guerres, perpétuaient un niveau d’endettement élevé. Aux xvnc
et xviiie siècles, la dette des Etats européens commença de déterminer de nouvelles politiques
de gestion. Il importait notamment de suivre à intervalles plus réguliers, voire constamment, les
recettes et dépenses. Le facteur temps devint essentiel à l’analyse de la situation. Contrôle judiciaire
et contrôle administratif des comptes n’avaient donc pas tout à fait les mêmes objectifs.
Les magistrats des « chambres des comptes » ont dès le Moyen Age eu pour mission de contrôler les
comptes des comptables, du domaine du prince d’abord, de tous leurs Etats ensuite. L’administration
du domaine était autrefois dans leurs attributions. Le contrôle judiciaire par les chambres est décrit
dans ce dictionnaire pour le cas français. Les procédures de « calcul », de « reddition », de « correc­
tion », d’« audition » et de « clôture » des comptes... étaient analogues dans les autres pays européens.
Quand la nécessité se fit sentir de renseigner plus fréquemment le gouvernement des finances
sur la situation des comptables afin que celui-ci puisse ordonner des paiements sur des balances
de comptes encore positives, la question du contrôle administratif des comptes se posa pour uni­
formiser avec plus d’acuité. En charge de la clôture, les chambres des comptes étaient en mesure
de fournir de telles informations, mais les comptables devaient se conformer aux prescriptions
en transmettant des états de situation réguliers avec toutes les pièces justificatives pour permettre
une prompte clôture des comptes (une révision). De ce point de vue, les recherches des auteurs
du présent dictionnaire font émerger plusieurs interrogations. De toute évidence, les souverains
qui faisaient clore les comptes par trimestres, comme dans le cas de la Prusse ou du royaume de
Piémont-Sardaigne, bénéficiaient d’une information plus régulièrement actualisée que ceux qui
laissaient les comptables présenter leurs comptes une fois l’exercice achevé. Le fait est d’impor­
tance car il permet de comprendre les maux de la comptabilité du royaume de France. Là est
sans doute la clef qui permet de saisir pourquoi le « contrôle général » s’est développé en dehors
des chambres des comptes dans ce royaume, tandis qu’ailleurs, comme dans les Etats allemands,
le rôle du contrôleur général à la tête des chambres des comptes se renforça. Cependant, si le
contrôle général des finances français fit l’admiration de bien des administrateurs européens, il
semble que la mise en œuvre du contrôle par « états au vrai », que les comptables transmettaient
avec plusieurs années de retard, n’ait pas donné de grandes preuves d’efficacité.
Au-delà de ces interrogations, nous mettons également en avant les expériences d’adaptation
aux livres publics de la tenue des comptes en partie double héritée des savoirs marchands. Le
lecteur ne sera pas étonné de voir cette méthode adoptée très tôt dans les Etats italiens, le cas véni­
tien, longuement développé dans ce dictionnaire, se révélant être l’un des plus symptomatiques
de cette fusion organique entre la cité et la marchandise. La tentative espagnole de juillet 1580,
suivie par celle de 1592, est peut-être moins connue. Les auteurs de ce dictionnaire ont mis en
avant les « passeurs » de ce savoir, qui ont permis l’hybridation culturelle entre la marchandise et
l’administration du prince, puis de l’État, depuis Pedro Luis deTorregrosa (1522-1607) jusqu’à
Nicolas Mollien (1758-1850), en passant par Simon Stevin (1548-1620), les frères Paris ou
Johann Matthias Puechberg (1708-1788). Tout aussi captivante a été l’analyse des obstacles qui
se sont élevés contre ces tentatives. La puissance financière des comptables se révèle ici au grand
jour, tant il est vrai que les receveurs et les trésoriers tiraient de substantiels bénéfices grâce à la
rétention de recettes. Celle-ci était reconnue par tous dans les limites flexibles fixées par la morale
et par conséquent il semble logique que la tenue des livres en recette, dépense et reprise n’ait pas
cherché à la rendre visible au moment où elle était commise.
Il importe en outre de préciser que la tenue des livres en partie double ne formait pas
nécessairement la réponse adaptée aux problèmes auxquels les organisations publiques étaient 9
 confrontées. En effet, l’un des premiers objectifs du contrôle a été d’obtenir des comptables
l’enregistrement exact des faits dans les journaux et le report régulier de ces mêmes faits dans les
livres centraux par l’emploi d’« extraits » ou « bordereaux ». Soumettre tous les comptables d’un Abaque
Table utilisée pour effectuer les opérations. Il existe
même territoire à ces obligations constituait déjà en soit une gageure. De ce point de vue, la
deux types d’abaques : l’abaque à lignes, destiné au
comptabilité en « recette, dépense et reprise » fit ses preuves lorsqu’elle tenait à jour ce qui était calcul et l’abaque à bandes ou colonnes, destiné aux
effectivement reçu et effectivement payé. En outre, il existait à côté de l’expertise marchande, comptes en monnaie. Les anciennes méthodes de
une expertise « domaniale » dont les enseignements pour l’Etat étaient tout aussi fructueux. De comptabilité étaient dépourvues de numération de
position. Il fallait donc avoir recours à un moyen
la tenue des livres du domaine du prince, les administrateurs de la chambre (caméra) tiraient des
auxiliaire de calcul*, l’abaque à colonnes et à
méthodes d’enregistrement des recettes, des dépenses, mais aussi des biens mobiliers et immo­ jetons. On lisait à haute voix les parties de recette et
biliers, qui donnèrent naissance à une comptabilité dite camérale qui sera très vite appliquée à dépense d’un compte et l’on maniait les jetons
l’ensemble des revenus des souverains et s’adapta au développement de l’Etat. La « comptabilité correspondants (unité, dizaine, centaine...) pour
effectuer les additions ou soustractions. A l’époque
camérale » nouveau style conçue en Autriche en est un exemple.
moderne, l’emploi des tables ou tapis de compte se
raréfia avec le développement du calcul à la plume
Science des comptes, réformes comptables et circulation des modèles en chiffres arabes, mais les Chambres des comptes*
en conservèrent l’usage jusqu’à la Révolution. M.-
Tous les pays ne sont pas représentés dans ce dictionnaire et l’on déplorera l’absence des L. L.
royaumes Scandinaves, compensée toutefois par les développements sur la Russie. L’introduction Voir Calcul, Chiffre de finance
de notices portant sur cet empire est utile à la compréhension de la circulation des modèles.
Bibliographie : Scharling A. (2003).
Encore faut-il s’interroger sur l’existence effective de ces derniers. Les recherches menées ne
permettent pas de conclure à ce jour sur la réalité de modèles différenciés au début de l’époque A bon compte
moderne. L’intense circulation d’hommes et de savoirs à l’intérieur des monarchies composées
Procédure dérogatoire mise en œuvre dans
(telle la monarchie espagnole jusqu’au xvme siècle) favorisait certes les transferts d’expertise, mais l’administration militaire pour doter les forces
la modélisation, c’est-à-dire la construction intellectuelle de modèles différenciés par les acteurs, engagées d’une avance de trésorerie, en attendant
l’implantation d’une structure financière plus
semble être apparue plus tardivement, plutôt au xvme siècle.
complète composée de l’ordonnateur* secondaire et
On notera par ailleurs que les souverains n’ont pas hésité à utiliser les compétences d’experts du payeur* des armées. Les dépenses d’à-bon-
« étrangers ». Au-delà de l’exemple du français Benoît-Marie Dupuy qui offrit ses services à compte sont indispensables à la vie opérationnelle
des unités militaires. Elles leur procurent une
Bruxelles, c’est toute l’expertise comptable des fermes générales qui se diffusa à travers l’Europe
autonomie d’action et doivent, pour cette raison, se
du xvme siècle jusqu’à Berlin et à Florence8. Pour autant, P« importation » d’experts ne garantis­
faire au niveau le plus déconcentré possible. Le
sait pas le succès, tant il est vrai que toute réforme comptable supposait une connaissance intime caractère dérogatoire réside dans le fait que les
des institutions auxquelles elle s’appliquait. Une réforme avait d’autant plus de chance de réussir crédits sont directement transférés, sans
engagement juridique préalable, dans les caisses des
quelle s’appuyait sur une tradition d’administration, ce que sut faire Jean Orry (1652-1719)
trésoriers*. Les modalités de restitutions
en Espagne en réformant la trésorerie de guerre, ce que comprit plus difficilement Joseph II de
comptables de ces procédures ont beaucoup
Habsbourg lorsqu’il réforma la tenue des comptes à Bruxelles ou à Milan. préoccupées les législateurs des régimes anciens.
Lorsque la République des lettrés prit goût aux sciences de l’Etat, le mode de diffusion par Les règlements en cette matière ont été de plus en
appropriation intellectuelle des modèles comptables étrangers devint possible. Le réformateur plus précis. Celui rédigé en France en 1724 pour la
tenue des registres journaux des trésoriers de
de la comptabilité russe, Karl Ivanovic Arnold (1775-1845), étudia les sciences camérales et l'Extraordinaire des guerres indique : Article 50:
comptables à l’université de Berlin avant de se rendre à Moscou. Cari August von Malchus « Lorsque par le mouvement des troupes, le service
(1770-1840) étudia à l’académie de Heidelberg avant de travailler pour le compte de Jérôme demandera que les trésoriers commettent dans une
Bonaparte... Il prit connaissance des travaux de Martin Gaudin (1756-1841) qu’il reproduisit place de donner aux troupes les aboncompte
nécessaires, ce ne sera qu'à condition que le
pour partie dans ses propres écrits. A l’articulation des xvme et xixe siècles, la science comptable, donneur d'aboncompte fournira le 1er de chaque
comme la science de l’estime qui s’occupait à la même époque d’apprécier le revenu territorial9,
mois au trésorier qui l'aura commis un bordereau
atteint donc un nouvel âge et devient l’objet de traités que nous avons recensés dans le chapitre des recettes et dépenses faite par le donneur
« sources » de la bibliographie générale, première du genre. d'aboncompte dans le mois précédent ». Article 51:
« S'il arrive une diminution d'espèces qui se
trouveront entre les mains du donneur
d'aboncompte, il en sera dressé procès-verbal par le
Marie-Laure Legay subdélégué ou commissaire ordonnateur de la place
ou l'officier général qui commandera le camp. Ce
procès-verbal contiendra le fonds que le donneur
d'aboncompte avait en caisse le 1er du mois, le
8. Jean-Claude Waquet, « Les fermes générales dans l’Europe des Lumières : le cas toscan », Mélanges de l’Écolefrançaise montant de ce qu'il aura reçu depuis et la dépenses
de Rome, Moyen Age et temps modernes, LXXXIX, 1977. qui aura été faite sur lesdits fonds et il sera fait
9. Pour une comparaison de l’évolution des deux sciences, on peut se reporter à De l’estime au cadastre en Europe.
10 L’époque moderne, Paris, CHEFF, 2007.
détail par le même procès-verbal des espèces qui se
seront trouvées en caisse lors de la publication de la
diminution et du montant de ladite diminution ».
De semblables préoccupations sont repérables dans
les autres pays. En général, il s’agit de rappeler les
officiers et sous-officiers à leur obligation d’inscrire
les avances faites dans les états de distribution*.
Les ordonnances militaires espagnoles précisent par
exemple que les sergents doivent remettre les reçus
au trésorier* qui délivre les à-bon-compte, mais
doivent également veiller à se faire rendre ces
« recibos de a buenas cuentas » lorsque le reste* de
la somme mensuelle leur est délivré, avant de signer
l'état de la distribution* des sommes que leur tend
le trésorier*. Le Général des finances de Turin
faisait part des mêmes préoccupations pour
régulariser les comptes à la fin de la guerre de
Succession d’Autriche (1740-1748): «Comme au
commencement du mois prochain, on doit faire la
répartition du fond qui a été assigné pour la
courante année en aboncompte de la bonification
des fournitures faites par les provinces pendant la
dernière guerre, je vous prie de me faire parvenir
l’état de ce qu’à peu près peut monter la créance
des villes et communautez respectives de ce Duché
[de Savoie] pour lesdites fournitures ». M.-L. L.
Voir Trésorier général de la Guerre
Sources: AN, E 2042, f° 202, Arrest du Conseil
d'Etat du Roy portant règlement pour la tenue des
registres journaux des trésoriers de
l’Extraordinaire des guerres, 8 janvier 1724. J.-A.
Portugués, Colecciôn general de las ordenanzas
militares, 1764, Madrid, t. I, p. 463-465. AD de
Savoie, Chambéry, C 264, lettre du général des
finances à l’intendant général de Savoie, Turin, 20
novembre 1751.
Abus
Voir Malversation
Acquit
Billet de décharge qui libère le débiteur de son
obligation. Lorsqu’un comptable passe une partie*
dans la dépense de son compte, il doit rapporter les
acquits, faute de quoi la partie reste en souffrance*.
L’acquit est un terme général qui recouvre en
réalité plusieurs types de documents reconnus plus
ou moins valides par les autorités publiques :
ordonnance*, quittance*, reçu... Le simple reçu ou
récépissé* provisoire se révèle insuffisant s’il n’est
pas coté, paraphé et enregistré comme fait
comptable dûment établi. Toute la difficulté, poul­
ies trésoriers, tient dans la nécessité de convertir la
masse de ces récépissés en bonnes et valables
quittances*. Ils ne négligeaient rien pour parvenir à
leurs fins et réduire au maximum les cas de
souffrances*, mais beaucoup d’obstacles
s’interposaient. D’abord les comptables n’étaient
pas à l’abri des malversations* de leurs commis*.
En France, le trésorier général de la Maison de la
Dauphine, par exemple, fut confronté en 1763 à la
mauvaise foi d’un caissier qui avait « reçu des
sommes considérables dont il n’a remis qu’en
partye les pièces et acquits ». Il refusa de livrer le
reste des documents, obligeant le secrétaire d’Etat
de la Maison du roi à faire perquisitionner chez lui
«tant pour former les comptes de ses exercices que
pour faire la vérification préliminaire des acquits
des sommes qui ont été payées ». Ensuite, il arrivait
que l’ordonnateur* ne remette pas à temps ces
ordonnances. Charles Magalon, trésorier provincial
des Ponts et Chaussées à Grenoble, ne parvint
jamais à établir des quittances* par devant notaire
pour les dépenses faites dans les exercices 1718 et
1720 sur ordres particuliers de l’intendant* de la
généralité, car ce dernier n’expédia jamais ses
ordonnances. On mesure là toute la lourdeur d’un
contrôle comptable judiciaire dont l’anonyme
Trésorier de France de Lyon se plaignit
amèrement: « Plus de cent familles, dit-on, sont
dans le même cas : il faut qu’elles paient des débets
considérables et recouvrent des pièces que
l’absence ou la mort de ceux qui dévoient les
fournir rendent impossibles à trouver ».
Le problème était particulièrement sensible pour les
trésoriers de guerre. Quand il abandonna sa
fonction de payeur* général de l’année de Flandres
en janvier 1600, Jeronimo Walter Zapata avait
accumulé une masse importante d’acquits en retard
car l’administration de l’année était incapable de
délivrer des justificatifs de paiements à temps. Le
retard de présentation d’acquits reconnus valables
provoquait la condamnation du comptable par les
Chambres des comptes*, très minutieuses dans la
vérification des pièces*. Un receveur général des
finances* de Franche-Comté, Pierre Durey, fut
condamné en 1757 en jugement de correction* de
ses comptes de 1743 à 1748, puis finalement
déchargé en 1761 : sa condamnation avait été
provoquée par le retard de la conversion des
récépissés* en « quittances comptables du Trésor
royal qui seules sont prises en considération par la
Chambre des comptes ». M.-L. L.
Voir Pièces justificatives, Quittance, Ordonnance
Sources : AN, O1 107, f3 102, «Ordre au
commissaire au Châtelet de faire perquisition dans
les papiers des sieurs Legros et Desjardins», 18
avril 1763. AD de l’Isère, Grenoble, 7C 743,
registre des lettres écrites à M. Paris de Montmartel,
lettre du 1er janvier 1723. AN, K 890, pièce 3, Le
Trésorier de France ramené à son état véritable,
Amsterdam, 1780, p. 14. Auteur cité par son
contradicteur. Arrêt simple sur requête, Versailles,
17 février 1761. Inventaire E 26 des AN.
Bibliographie : Esteban Estringana A. (2002).
12
Acquit à caution
Tenne utilisé dans l’administration des douanes*
pour désigner le billet que le commis d’un bureau
délivre à celui qui déclare la marchandise destinée à
l’exportation. « On nomme ce billet acquit à caution
parce que celui à qui on le délivre se rend caution
du payement des droits des marchandises exprimés
dans l’acquit ». Une fois les balles visitées et
plombées, le voiturier fait inscrire la marchandise
dans le registre de déclaration du bureau de la
douane, il reçoit l’acquit à caution. Arrivé au lieu de
destination, il se rend encore au bureau de la
douane où les balles sont de nouveau vérifiées ; il
se fait délivrer un « certificat de descente » inscrit
au dos de l’acquit ; ce certificat est ensuite renvoyé
à celui qui s’est rendu caution et présenté au
commis* qui a rédigé l’acquit afin de se faire
décharger du cautionnement. On retrouve
sensiblement les mêmes procédures partout en
Europe. Dans le duché de Toscane étudié par Jean-
Claude Waquet, l’acquit à caution est assimilable
au billet ou bulletta que le bureau central de
Florence délivrait au voiturier. M.-L. L.
Voir Douane
Sources : Dictionnaire des finances (1727).
Bibliographie : Waquet J.C. (1990), p. 277.
Acquit de comptant
En France, lettres patentes expédiées à la décharge
du garde du Trésor* pour les sommes qui étaient
remises au roi. Le monarque n’avait pas de caisse
secrète, mais une partie de ses dépenses échappait
tout de même au contrôle* comptable ordinaire. Il
signait en effet des ordonnances au porteur ou des
ordonnances de comptant. Certaines étaient
enregistrées dans les états au vrai* du Trésor
royal*. D’autres n’étaient pas enregistrées dans ces
états. Dans tous les cas, ces dépenses étaient
justifiées à la Chambre des comptes*. Une
ordonnance du 6 janvier 1582 enjoignit les
administrateurs des finances d’expédier réellement
les acquits de comptant mis dans les mains du roi et
de les faire passer à la Chambre dès qu’ils
dépassaient 1 000 écus. La Chambre devait les
accepter comme pièces justificatives* à l’appui
d’un compte, sans avoir forcément connaissance de
l’emploi exact des fonds. Cet abus fut
régulièrement dénoncé par les Etats généraux,
comme ceux de 1614 au cours desquels le tiers état
réclama la suppression des dépenses secrètes par les
comptants, et par les cours de justice. En 1634, les
comptants atteignirent plus de 84 millions de livres
alors que les dépenses de politique extérieure ne
montaient pas à 27 millions. Colbert* tenta
d’enrayer cet usage, mais les dérives reprirent de
plus bel au XVIIIe siècle. Barbier rapporte dans son
Journal les remontrances de 1760 rédigées par le
parlement de Paris, réclamant tout à la fois
l’examen des comptes du Trésor royal et la
justification des dépenses passées par acquits de
comptant. En 1789, la Chambre des comptes de
Paris ne manqua pas de déplorer l’ampleur de cette
pratique : « On ne peut prononcer le mot d’acquits
de comptant sans réveiller l’idée du scandale les
plus désastreux en Finance ; ils étoient autrefois
bornés au secret des affaires étrangères, et fixés à
une somme déterminée et peu considérable. Leur
progression douloureuse depuis Colbert jusqu’à nos
jours est effrayante. On assure que dans certaines
années, ils se sont élevés à plus de cent millions ».
De fait, la Chambre compta pour 67 millions
d’acquits dans le dernier compte jugé du Trésor
royal, celui de 1770. Quant au dernier état au vrai*
complet du Trésor, il fait apparaître 136 684 800
livres d’acquits de comptant, sur un total de
dépenses de la monarchie de 849 952 000 livres
(soit 16 %, mais 30,89 % si l’on rapporte ce
montant aux seules dépenses de l’exercice 1785).
Les dépenses par acquits de comptant couvraient
une multitude d’objets. D’après Richard Bonney
qui les étudia pour le XVIIe siècle, leur principale
fonction était de transférer aux financiers des taux
d’intérêt supérieurs à ceux autorisés par les
procédures de vérifications de la Chambre des
comptes*. A la fin du XVIIIe siècle, leur utilité
semble avoir évoluée en une facilité administrative,
même s’ils continuaient à cacher à la Chambre les
intérêts concédés dans les affaires de finances
(intérêts d’avances de fonds, commissions,
escomptes...). Ces ordonnances couvraient toutes
sortes de largesse : remboursements d’emprunts à
l’étranger, remises de droit de survivance, de
confirmation de noblesse, de maîtrise, gratifications
à des magistrats ou des commis... Il est possible
qu’elles aient en partie couvert des dépenses
courantes et aient été utilisées par simple facilité
administrative. M.-L. L.
Voir Caisse de réserve, Livre rouge, Menu de
comptant
Sources: Arrêté du 16 février 1760 du parlement de
Paris, relaté dans le Journal de Edmond-Jean-
François Barbier, t. 7, Paris, Charpentier, 1866, p.
384. Observations sur la comptabilité et sur la
juridiction de la Chambre des comptes, Paris, Impr.
Veuve Delaguette, 1789, p.12. Etat des
ordonnances de comptant. Année 1779, Paris, De
l’Imprimerie royale, 1790 : il s’agit d’un état établi
en 1788 et publié en 1790 sur ordre de l’Assemblée
constituante.
Bibliographie : Bailly A. (1839). Bayard F. (1988).
Bonney B. (1976). Bonney R. (1995). Harris R.D.
(1986). Weiss F. (1939).
Affectation
A l’origine, les dépenses sont assignées sur des
caisses* et les caisses sont abondées par des
recettes spécifiques. Il existe donc un lien
« physique » entre la recette et la dépense. Pour
dépasser la notion d’assignation* qui relève de la
technique comptable, on utilise le concept
d’affectation. Une dépense est dite affectée à une
recette à travers la caisse qui la contient. Cette
affectation recèle deux dimensions qui sont autant
de justifications, une pratique et une politique.
L’affectation « comptable » est une nécessité
pratique : Philippe Hamon illustre la difficulté
d’organiser un circuit de paiement fiable sur
l’étendue du royaume au début du XVIe siècle. Les
troupes de François Ier en particulier « sont
rémunérées dans des conditions particulièrement
mauvaises et les délais de versement sont
considérables ». Sans aborder le point de la
disponibilité des fonds, leur seul transport est une
véritable gageure. La technique de l’assignation*
permet, à distance, d’opérer des paiements sur des
caisses locales, d’éviter les transferts et ainsi
d’accélérer le paiement. « Les unités rémunérées
sur les fonds locaux sont peut-être les plus
régulièrement soldées, à l’image des gendarmes
stationnés en Bretagne, qui relèvent des finances du
Duché ».
Progressivement, la pratique de l’assignation se
répand et les revenus sont en bonne partie dépensés
localement incitant à distinguer le produit brut* de
l’impôt (le montant prélevé sur les contribuables)
du produit net de l’impôt (ce qui est compté au
Trésor royal*, déduction faite des assignations).
Sous l’Empire puis la Restauration, l’amélioration
des conditions de gestion de la trésorerie par la
centralisation comptable permettra de distinguer la
phase du paiement, dont relève en fait l’assignation,
de la phase de l’ordonnancement et ainsi de
dépasser la règle du produit net*.
L’affectation a une signification politique : il peut
s’agir d’un impôt particulier ou d’un droit. Sous
l’Ancien régime, ce ne sont pas seulement des
dépenses spécifiques (l’entretien des troupes, la
construction d’une digue) qui sont affectées, mais
aussi des faveurs. Le concept d’affectation dépasse
le stricte champ de la technique comptable pour
revêtir une dimension plus politique : quelle
ressource pour financer quelle charge ?
L’affectation présente alors deux caractéristiques
bien distinctes. D’un côté, elle permet de justifier
politiquement une dépense. La taille concourt à
l’entretien des troupes stationnées sur un territoire :
elle trouve sa justification. D’un autre côté, la
multiplication des affectations sur des caisses
locales rend impossible toute tentative de
totalisation, voire de contrôle des pensions et autres
récompenses, payées localement.
Sous la Restauration, la pratique de l’affectation
perdure sous cette seconde forme politique. Le titre
X de la loi du 25 mars 1817, qui est une loi sur les
finances autant qu’une loi de finances*, est intitulé
« affectation d’un revenu particulier à la dette
publique». Son article 139 dispose que «les
produits nets de l’enregistrement, du timbre et des
13
domaines, et ceux des administrations des postes et
de la loterie, sont affectés au paiement des intérêts
de la dette perpétuelle et au service de la caisse
d’amortissement » et opère bien un lien politique
entre certains revenus et un type de dépense bien
identifié, quand bien même il s’agit du
remboursement de la dette publique*. S.K.
Voir Assignation, Produit brut/net, Unité,
Universalité
Sources : Necker J. (1781). Loi du 25 mars 1817.
Bibliographie: Hamon P. (1994). Molinier J.
(1989).
Affermage
Voir Régie
Affirmation, Affirmer un compte
« Affirmer un compte, c’est jurer et assurer qu’il est
véritable. Les comptables, quand ils présentent
leurs comptes, ont coutume de mettre à la marge de
la première page ces mots : présenté et affirmé
véritable ». De fait, Y affirmation désigne aussi bien
le serment que prête le comptable oralement devant
la Chambre des comptes* à laquelle il présente
l’état* de sa dépense et de sa recette, que l’écrit
qu’il met à la tête de son compte, affirmant qu’il l’a
« présenté et affirmé véritable » ou « certifié
véritable ». Le juriste Claude-Joseph Ferrière
précise encore que l’« affirmation en fait de
compte » se met « au haut de la première page du
compte et dans la marge », indication donnée aussi
par Pierre Bernard d’Hénouvüle. Le compte en
question est appelé « état certifié ». De fait, le
manuel de tenue des livres de d’Hénouville (1709)
donne pour équivalentes les expressions « affirmer
un compte » et « certifier un compte ».
Les ordonnances établies en 1554 en Espagne au
tenue d’une visite* du Conseil des finances*
exposent les raisons de cette exigence d’un serment,
énoncée alors pour les comptes extraordinaires :
« et parce que quelques-uns de ceux qui ont la
charge de nos finances, au moment de rendre leurs
comptes, commettent quelques fraudes tant dans
leur recette, en omettant de porter quelques parties à
leur charge, que dans leur dépense, en y portant
plus que ce qu’ils ont payé et dépensé et qu’ils
doivent en toute justice inscrire dans leur dépense,
ce qui pour nos dits Contrôleurs des Comptes et
officiers, quoiqu’ils s’efforcent de le déceler, est
très difficile à percevoir en raison des nombreuses
façons de recevoir et de se faire payer des finances
et des différentes assignations et paiements, et parce
que la façon la plus sûre de vérifier cela est l’âme et
la conscience de celui qui craint Dieu, car il connaît
la vérité de son compte, Nous ordonnons que
dorénavant, quand ils se feront rendre des comptes
extraordinaires où que ce soit, ils fassent prêter
serment suivant la forme réglée par le droit aux
personnes qui auront eu la charge des fonds, de ce
14
que la recette et la dépense de leur compte sont
vraies et certaines et que ni dans ce compte ni dans
une de ses parties il y a fraude ou tromperie ; et s’il
apparaissait néanmoins qu’il y a eu fraude ou
tromperie, le comptable paiera trois fois la somme
qu’il aura omis de porter à sa charge ou qu’il aura
inscrite dans sa dépense, peine que devront exécuter
nos dits Contrôleurs. »
En 1569, c’est cette même raison qui conduit
Philippe II à imposer la présentation d’états
certifiés à la grand Chambre des comptes* aussi
pour les comptes ordinaires. En 1640, le chef de la
grand Chambre des comptes, Tomâs de Aguilar,
cite ce texte comme une référence pour justifier les
relations certifiées. La pratique demeure au XVIIIe
siècle. Ainsi, le nouveau règlement imposé par
Necker* aux comptables en 1778 stipule que ces
derniers remettront chaque année à la Chambre des
comptes un « compte signé d’eux et affirmé
véritable », et chaque mois, « le même compte
certifié véritable » à l’administrateur général des
finances qu’il institue. En 1791, l’ordonnateur du
Trésor public* se fait apporter tous les huit jours
des « états certifiés des recettes et des dépenses
faites dans la semaine par les divers payeurs du
trésor ». A.D.
Voir Examen d’un compte
Sources : Dictionnaire des finances (1727).
Encyclopédie méthodique, Finances, t. I (1784),
Notice «Comptable». Ferrière C.J. de (1758),
p. 65. Hénouville P.B. d’ (1709), p. 55-56. Nueva
recopilaciôn, liv. 9, tit. V, ley XVI (chap. 7 des
Ordonnances de 1554) et loi XXXVI, § 13 («La
orden que se ha de guardar en la Contaduria Mayor
de Cuentas acerca del ver y despachar los
negocios », 2 août 1569), dans Côdigos espaholes
(1850), p. 282 et 287. BNE, Ms 18 731-5, fol. 328
r-328 v, Relation de Tomâs de Aguilar, 1640. De la
situation du Trésor public (1997), p. 81. AAE, CP
Espagne 120, fol. 106-108 et CPE 119, fol. 112-
114, Jean Orry, «Projet de décret sur le trésorier
général des dépenses pour les guerres en Espagne et
sa traduction », 1703.
Agiotage
Se dit initialement des opérations qui se font sur
l’agio, c'est-à-dire sur la différence qui existe entre
deux monnaies par rapport à leur pair intrinsèque.
Pris dans son acception négative, le terme désigne
les opérations de bourse qui ne portent pas sur des
objets vrais, denrées, dépôts d’argent, inscriptions
de rente sur les fonds publics, lettres de change*....
Il s’agit de marchés fictifs à tenue, jouant les
valeurs à la hausse ou à la baisse. Toutes les
bourses européennes ont été le théâtre de telles
pratiques d’agiotage, la spéculation effrénée sur les
tulipes entre 1634 et 1637 à la bourse d’Amsterdam
ou celle sur les actions de la compagnie de la mer
du Sud à la Royal Exchange de Londres entre 1711
et 1720 constituant de célèbres épisodes.
Cependant, l’agiotage prit dans l’histoire une
ampleur particulière lorsque les gouvernements ont
commencé à fabriquer du papier-monnaie et ont
cherché à en orienter artificiellement la valeur à la
hausse. Ce fut le cas en France dans les années
1718-1720 avec les billets* de la banque Law. Le
directeur de cette banque royale* introduisit
publiquement des marchés à prime pour obtenir des
actions de la compagnie* d’Occident au pair dans
un délai de six mois. Une fois constituée la nouvelle
compagnie des Indes, il ne mit plus de borne à
l’agiotage, multipliant inconsidérément les actions
de la compagnie et les émissions de billets de
banque supposés représenter leur valeur. A partir
des années 1720, la dénonciation de l’agiotage
devient un lieu commun de la littérature de part et
d’autre de la Manche. A Londres, Jonathan Swift,
mais aussi Daniel Defoe attaquèrent les agioteurs
(jobbers) de la Coffeehouses Alley. A Paris, les
marchés à terme furent interdits au sein de la
nouvelle bourse ouverte en 1724 dans une
dépendance du palais Mazarin. Après un demi-
siècle de torpeur, celle-ci connut néanmoins un
regain d’activité exceptionnel dans les années 1780.
Comme le précise l’auteur de l’article « dette
publique » de Y Encyclopédie méthodique, « si
malheureusement les effets publics sont tellement
multipliés que connoître leur valeur, suivre leurs
changemens, gouverner soi-même ces variations
soit devenu un art obscur & difficile, il s’établira
une espèce de commerce stérile», qui ne manqua
pas de se développer. On pratiquait toutes sortes de
spéculations, sur les piastres espagnoles, sur les
louis d’or dont la valeur était surévaluée, sur les
actions des compagnies à privilèges, comme la
compagnie* des eaux de Paris, la nouvelle
compagnie des Indes, la compagnie de la gomme
du Sénégal, de l’acier d’Amboise, d’assurance
contre les incendies, les actions de la banque Saint-
Charles introduites en bourse en 1785. Cet agiotage
fut longuement défini par Mirabeau dans sa
Dénonciation de l ’agiotage au Roi et à l 'assemblée
des Notables, ouvrage de 1787. Après avoir
présenté l’acception ancienne du terme, l’auteur
propose de réserver ce mot pour qualifier les
spéculateurs de la pire espèce : « Ce titre (agiotage)
ne peut s’appliquer avec justesse qu’à ceux qui,
pour favoriser leurs spéculations, employent des
ruses plus ou moins coupables, donnent des avis
faux, des conseils trompeurs, disent qu’ils vendent
lorsqu’ils achètent, forment des sociétés simulées
pour faire de véritables dupes, sollicitent des
privilèges extravagans ou des annihilations
odieuses, des défenses absurdes ou de scandaleuses
permissions et trompent ainsi tout à tour l’autorité,
le public et leurs propres complices».
Lorsque le pouvoir est fragilisé par ces pratiques, il
légifère sévèrement. En novembre 1781, Necker*
interdit la négociation des effets royaux
commerçables à la Bourse, fonction réservée aux
agents de change. En janvier 1785, le ministre
Calonne intervient pour mettre fin aux spéculations
sur les dividendes de la caisse d’escompte. En août
1785, il condamne de nouveau l’agiotage: «ces
engagements qui, dépourvus de cause et de réalité,
n’ont, suivant la loi, aucune valeur, occasionnent
une infinité de manœuvres insidieuses, tendant à
dénaturer momentanément le cours des effets
publics », précise-t-il dans son arrêt du 7 août. Cet
arrêt déclare nuis les marchés à terme et interdit
l’immixtion dans les fonctions d’agents de change.
Ces derniers furent admis à posséder leurs charges
en mars 1786, alors qu’ils exerçaient auparavant
leurs fonctions en vertu de commissions*
révocables depuis 1724. En dépit de ces mesures,
les spéculations continuèrent. Le 22 septembre
1786, le gouvernement forma une commission
extraordinaire pour connaître des contestations nées
de ces marchés à terme et des compromis d’effets*
royaux. Mais dans le même temps, le contrôleur
général* mit dans le circuit une masse
d’assignations* anticipées savamment distillées
auprès des agioteurs pour soutenir la hausse. Cette
double politique d’encouragement du capitalisme
financier et d’encadrement des marchés par voie
extraordinaire, ne porta pas ses fruits. Sous la
Révolution, la condamnation des pratiques
d’agiotage reprit lorsque la valeur des assignats fut
menacée. La loi du 13 fructidor an III condamna
tout contrevenant à deux années de détention, à
l’exposition en public avec écriteau sur la poitrine
portant le mot « agioteur » et à la confiscation de
tous ses biens au profit de la République. Sous le
Directoire, les opérations du financier Gabriel-
Julien Ouvrard, qui fit escompter à la Banque de
France des traites de complaisance, ne sont pas tout
à fait assimilables à l’agiotage, si l’on s’en tient à la
définition que retient finalement le code pénal
impérial de 1810. L’article 422 définit en effet les
paris à la hausse ou à la baisse des effets publics
comme des conventions de vendre ou de livrer de
tels effets « qui ne seront pas prouvés par le
vendeur avoir existé à sa disposition au temps de la
convention ou avoir dû s’y trouver au temps de la
livraison ». Ces marchés fictifs furent condamnés à
une peine d’emprisonnement d’au moins un mois, à
une amende de 5 à 10 000 francs (articles 419 à 422
du code pénal du 12 février 1810). M.-L.L.
Voir Banque d’Etat, Monnaie.
Sources : Mirabeau (1787), p. 17-25. Encyclopédie
méthodique, Finances, t. I (1784), p. 525. Recueil
des anciennes lois françaises..., t. XXVII, p. 119-
122, Arrêt du conseil sur les agents de change,
leurs cautionnements et la police des aspirants, 26
novembre 1781. AN, V7 180, minute de jugement
du 30 avril 1787.
Bibliographie: Bouchary J. (1943). Taylor G.V.
(1962).
15

Allemagne
Voir Prusse
Angleterre
Comme dans la plupart des pays européens, le
système comptable anglais plonge ses racines dans
les attributions des hommes et des services qui,
dans les temps médiévaux, étaient attachés à la
personne du roi et à sa cour, en particulier l’office
du Lord High Treasurer et le personnel de
l’Echiquier. C’est dans ce cadre ancien, qui inclut
bientôt le Parlement, puis les diverses
administrations de la Couronne, que s’est effectuée
la rénovation des structures du contrôle financier et
des techniques comptables qui allaient
accompagner l’essor de la puissance britannique et
de son empire colonial aux XVIIIe et XIXe siècles.
Amorcée sous les Tudor, la modernisation de la
comptabilité demeura un processus fort lent qui
s’étendit sur près de deux siècles, entre 1650 et
1850. L’évolution procéda par soubresauts, avec
deux temps forts : dans la seconde moitié du XVIIe
siècle, dans le cadre des conflits ayant opposé le
Parlement et le souverain, puis au tournant des
XVIIIe et XIXe siècle, conséquence des pressions
financières des guerres entre la Grande-Bretagne et
la France. Parmi les institutions nouvelles, ou dont
le rôle financier fut renforcé, il faut surtout noter le
développement du Trésor à compter de la
Restauration de Charles II (1660), le renforcement
du contrôle financier par le Parlement, après la
Glorieuse Révolution et l’accession de Guillaume
III au trône d’Angleterre (1688), enfin la création
de la Banque d’Angleterre (1694) qui se substitua
progressivement à l’Echiquier.
Ces diverses institutions formèrent conjointement
autant d’instruments politique, administratif,
comptable et judiciaire d’un contrôle sur les recettes
et dépenses de l’Etat, qui entendait protéger les
libertés individuelles contre les abus d’autorité du
souverain. A compter du milieu du XVIIIe siècle,
des voix s’élevèrent pour essayer de rationaliser,
simplifier et professionnaliser les techniques d’un
contrôle financier par trop coûteux, diffus et en
partie inefficace. Ces voix réclamaient une plus
grande lisibilité de l’usage de l’argent public, des
besoins du gouvernement et une meilleure maîtrise
du crédit.
1) Le Parlement
A compter de 1688, le principe selon lequel nul
impôt ne pouvait être levé ni aucune dépense payée
en Angleterre sans le consentement et l’autorisation
préalables des contribuables représentés par le
Parlement ne fut plus remis en cause. Alors que
dans les années 1626-1640, les trois quarts des
revenus du gouvernement provenaient encore de
taxes extra-parlementaires, autrement dit perçues de
la seule autorité du roi ou en vertu des droits
16
attachés à la souveraineté, ils ne représentèrent plus
guère que 3% des recettes entre 1689 et 1714. Le
principe d’une session régulière du Parlement étant
acquis, les procédures de contrôle parlementaire sur
les finances se fixèrent rapidement. Le contrôle
parlementaire s’opérait de quatre manières : 1) par
l’autorisation des dépenses (Supply) ; 2) par
l’autorisation des recettes (Ways and Means) ; 3)
par l’affectation des crédits (Appropriation) ; 4)
enfin par l’audit des administrations et services
financiers (,Select Committees et Commissions).
Supply. Pour le Parlement britannique, l’année
financière débutait toujours avec le discours du
Trône qui ouvrait la session parlementaire. Le
souverain, qui était seul habilité à soumettre une
demande de fonds au Parlement, annonçait aux
députés qu’il allait leur transmettre les projets de
dépenses {Estimâtes) de son gouvernement et leur
demandait de veiller aux moyens de les couvrir. Le
règlement intérieur des Communes interdisant aux
députés de délibérer immédiatement sur une
demande de crédit, l’examen du discours du roi
était systématiquement remis au lendemain. Les
Communes décidaient alors de fixer une date pour
se réunir en committee of the Whole House, qui
comprenait l’ensemble des députés, mais était
présidé par un Chairman au lieu du Speaker.
Le rôle du Committee of Supply consistait à
examiner les estimâtes, ou états* de prévision des
dépenses, préparés par les départements ministériels
et le Trésor (voir ci-dessous). Les députés
n’examinaient pas chaque année l’ensemble des
dépenses de l’Etat, mais seulement celles qui
étaient politiquement sensibles, en particulier les
dépenses militaires ou, en temps de guerre, les
subsides, enfin les dépenses nouvelles ou les
dépenses imprévues de l’exercice précédent qui
n’avaient pas de fonds affectés pour leur paiement.
Depuis la Glorieuse Révolution, les députés avaient
en effet pris l’habitude d’allouer au roi, en début de
règne, une somme annuelle forfaitaire pour payer
les frais de sa Liste civile, c'est-à-dire les dépenses
de la Maison du roi et les frais de fonctionnement
des services civils du gouvernement, ce qui incluait
les salaires. Les fonds pour le service de la dette,
sauf les billets de l’Echiquier* dont le montant
variait chaque année, n’avaient pas non plus besoin
d’être autorisés annuellement car tout nouvel
emprunt donnait lieu à une augmentation des
recettes fiscales qui, nonnalement, devait suffire à
payer les intérêts.
Les principaux estimâtes transmis aux députés
concernaient les dépenses militaires,
essentiellement la Marine, l’Armée de terre {Land
Forces), les munitions {Ordnance) et les invalides
de la guerre {Chelsea Hospital). Les prévisions de
l’année 1733 fixaient par exemple les dépenses de
ces quatre postes à £1,3 millions, soit les trois
quarts des fonds votés par les députés. Ils ne
représentaient cependant que 20 % des dépenses
totales qui s’établirent, en 1733, à £6.7 millions,
dont £3.6 pour la dette et £0,89 millions pour la
liste civile. Les états de prévision des dépenses
militaires demeuraient assez sommaires. Les
dépenses de Y Ordnance, par exemple, étaient
divisés en trois chapitres : Land Service (ordinaire,
établissements étrangers, demi-soldes),
Extraordinaries (fortifications et réparations),
Exceedings (dépenses de l’exercice précédent sans
fonds alloués). En outre, les états de prévision
étaient partiellement inexacts ou trop peu détaillés
pour assurer un contrôle efficace. Dans le cas de la
Navy par exemple, les dépenses étaient calculées
sur la base du coût théorique par marin, un coût qui
n’avait pas changé depuis la fin du XVIIe siècle.
Pour cette raison, et en l’absence d’un chapitre
réservé, dans les estimâtes, aux dépenses
imprévues, sauf dans le cas de Y Ordnance, le
Parlement était contraint de valider après coup les
débours imprévus ou pour lesquels aucun crédit
n’avait été voté.
Le Committee of Supply avait le pouvoir de
diminuer le montant des états estimatifs des
dépenses ou de les rejeter, mais non pas de les
augmenter. Dans ce cas, les députés devaient voter
une Address au roi qui avait seul l’initiative des
dépenses. Le Committee of Supply rendait ses
décisions au fur et à mesure de ses réunions. Sur le
rapport de ce comité, les Communes réunies en
séance ordinaire votaient un Bill of Supply - ou bill
de subside. En temps nonnal, la procédure
d’autorisation des dépenses s’effectuait assez
rapidement. Pour les dépenses de l’année 1733,
prévue pour être une année de paix, l’examen des
estimâtes et le vote du subside {Supply) concerna 18
chapitres de dépenses et s’effectua en 9 séances, du
24 janvier au 4 avril 1732. Seuls quatre articles ne
furent point autorisés. En revanche, l’analyse des
dépenses de l’année 1762, dernière année de la
Guerre de Sept Ans et l’une des plus chères du
siècle, s’étendit sur six mois, du 21 novembre 1760
au 13 mai 1761, occupa 26 séances du Committee
of Supply et exigea pas moins de 48 votes of Supply
pour la somme totale de £18.2 millions (soit 432
millions de livres tournois).
Les estimâtes étaient le plus souvent adoptés tels
quels. Ainsi, entre 1776 et 1789, les états de
prévision de la Marine, l’un des plus gros postes de
dépenses, passèrent sans le moindre amendement.
Il est vrai que le contrôle parlementaire s’exerçait
encore par la communication aux membres des
Communes de très nombreux états, comptes,
mémoires et autres documents préparés par les
officiers des différentes administrations {Treasury
Board, Board of Customs, etc.). Cette fonne de
publicité* occupa une place de plus en plus
importante au fil du XVIIIe siècle. Le Parlement
examina ainsi 286 comptes et documents financiers
de 1715 à 1719 et 977 entre 1795 et 1799. En 1732,
par exemple, les Communes reçurent les comptes
de l’hôpital de Greenwich, un compte des marins
employés en 1731, les ordres de payement pour les
subsides au roi de Danemark en 1731, les frais
concernant les troupes de Hesse, les contrats pour la
fourniture du sel, le produit des revenus de la Liste
civile, la liste des veuves des officiers en demi-
solde, etc. Une partie de ces documents était insérée
dans le Journal of the House of Commons, dont les
volumes ont survécu à l’incendie du Parlement de
1834. L’inflation des documents comptables soumis
au Parlement força bientôt à les faire publier à part.
Ways and Means. Après avoir autorisé par leur Vote
of Supply les projets de dépenses du gouvernement,
les députés se réunissaient dans un Committee of
Ways and Means pour examiner les moyens
proposés par le chancelier de l’Echiquier pour
couvrir les dépenses et procéder ainsi à ce que l’on
appellera, dès le milieu du XVIIIe siècle, le vote du
Budget*. Pour y parvenir, les députés disposaient
des comptes des recettes fiscales de l’année
financière échue et de rapports concernant leur
évolution probable. L’essentiel du travail des
députés consistait à voter de nouvelles ressources
pour compenser l’insuffisance des recettes ou
acquitter les accroissements de dépenses. C’est à ce
niveau que le Parlement jouait un rôle fondamental
en autorisant l’augmentation des impôts, en général
par des taxes additionnelles, et l’émission
d’emprunts. En conséquence de leurs décisions, les
services du Trésor préparaient des Money Bills pour
chacune des ressources votées par le Parlement. A
compter de 1722, le Parlement refusa de donner
suite aux pétitions contre les Money Bills
puisqu’elles entravaient le droit exclusif du
Parlement à voter les crédits. En revanche, il
acceptait de prendre en considération les critiques
concernant la nature des taxes. C’est ainsi que le
projet d’Accise {General Excise) de Walpole,
l’impôt sur le cidre {Cider Duty) de Lord Bute
(1763), l’impôt du timbre (Stamp Act) de Grenville
(1765) et l’impôt sur le revenu {Income tax) de Pitt
(1799) furent finalement retirés.
Appropriation. Le contrôle financier du Parlement
s’effectuait encore par YA et of Appropriation,
véritable loi de finances* qui consistait à affecter
tout ou portion des revenus de certaines taxes ou
emprunts au financement des administrations dont
les dépenses faisaient l’objet d’un vote annuel.
L ’appropriation avait pour but d’empêcher le
souverain ou les ministres d’utiliser le produit des
diverses recettes allouées par le Committee of Ways
and Means à des dépenses autres que celles qui
avaient été autorisées par le Committee of Supply.
Ce système présentait l’inconvénient majeur de
compliquer à l’outrance les comptabilités. Les
lendemains de guerres donnaient souvent lieu,
comme en 1715, 1787 ou 1815, à la consolidation
17
de multiples articles de recettes établies pour
financer une dépense particulière, dans un fonds
unique qui alimentait un seul type de débours, en
général le service de la dette.
Audit et Spécial Committees. En plus des
procédures parlementaires concernant le vote
annuel des subsides, les députés exerçaient leur
droit de regard sur l’usage des fonds publics par
l’intermédiaire de commissions d’enquête. Ces
commissions prenaient la forme, soit de Select
Committees composés de députés, soit de
commissions indépendantes dont les membres
étaient choisis hors du Parlement. Une Commission
of Public Accounts fut notamment instituée en 1691
pour s’assurer des intentions de Guillaume III, et
fonctionna jusqu’en 1697. Elle fut rétablie sous le
règne de la reine Anne mais n’eut plus d’activités
après 1713. A compter de la seconde moitié du
XVIIIe siècle, le retour des guerres, l’explosion de
la dette publique et la publication des premières
histoires financières de l’Angleterre depuis la
Glorieuse Révolution, débouchèrent sur un désir de
transparence du système comptable. Les radicaux
en particulier, stigmatisaient l’excès des dépenses
publiques qu’ils voulaient réduire pour limiter
l’interférence royale dans les élections et ainsi
obtenir une représentation parlementaire plus juste
des intérêts du pays. C’est dans ce contexte
politique et financier, devenu particulièrement
difficile pendant la guerre d’Amérique, que les
députés et le gouvernement décidèrent en 1781 de
nommer une commission d’enquête qui réalisa, de
1781 à 1787, un audit complet des services
financiers de la monarchie, en 15 rapports, dont les
principales conclusions sont présentées plus bas.
En 1797, un Finance Committee fut établi pour
faire le point des réformes introduites suite aux
travaux de la commission de 1781. Il remit à son
tour 36 rapports et dressa le premier tableau
synoptique des finances de la monarchie, c'est-à-
dire réunissant sur une seule page, le total des
recettes et des dépenses de l’année échue. Ce
tableau annuel des dépenses était cependant encore
incomplet parce qu’il ne tenait pas compte des frais
de recouvrement des comptables qui s’acquittaient
directement sur les caisses locales et centrales.
Originellement vouée à limiter les déplacements de
fonds, cette pratique, qui concernait près de 10 pour
cent des taxes annuelles au XIXe siècle, mettait en
cause le principe fondamental du contrôle politique
exercé par le Parlement sur la levée des impôts et
leur destination. C’est en 1857 que ces dépenses
furent pour la première fois intégrées dans les
comptes publics annuels soumis au Parlement.
Au XIXe siècle, les comités et commissions
devinrent un élément régulier du contrôle
parlementaire. Entre 1801 et 1832, ils remirent 33
rapports concernant les dépenses et la comptabilité
publiques. Grâce à leur travail, les principes d’une
18
comptabilité publique moderne se diffusèrent dans
toute l’administration du royaume.
2)Le contrôle de l ’Echiquier
Lower Exchequer. Le Lower Exchequer, aussi
appelé Court of Receipt, Exchequer of Receipt ou,
tout simplement The Receipt, était la caisse centrale
de la Couronne. Une partie de ses prérogatives a été
mise en cause à la fin du Moyen Age, mais à partir
de 1554, la centralisation des recettes et dépenses
dans la caisse de l’Echiquier reprit.
Traditionnellement, la caisse de l’Echiquier avait
été placée sous l’autorité administrative du Lord
High Treasurer (et sous lui, confiée à un Under-
Treasurer). A partir de 1667, les fonctions de ce
grand officier de la Couronne furent exercées
collégialement par les commissaires du bureau du
Trésor, dont l’un des membres, le Chancellor of the
Exchequer, cumulait son office avec celui d'Under-
Treasurer. A la différence des commissaires du
Trésor, des postes politiques qui changeaient avec
le gouvernement et dont les bureaux se trouvaient à
Whitehall, l’administration du Receipt était confiée
à des officiers permanents établis directement
auprès de la caisse à Westminster. Dans les années
1830, Y Exchequer of Receipt n’employait pas
moins de 68 personnes. Ses principaux officiers
étaient le Clerk of the Pélis, Y Auditor of the
Receipt, les quatre Tellers et les trois paymasters of
the Exchequer Bills.
Les bureaux du Clerk of the Pells du Lower
Exchequer tenaient registre de l’ensemble des
documents émanés du bureau du Trésor, autorisant
les paiements par l’Echiquier. En effet, nulle
dépense ne pouvait être payée par l’un des tellers,
ou caissiers de l’Echiquier, si les ordres de
paiement ne portaient le visa, ou Recordatur, du
Clerk of the Pells signifiant qu’il avait inscrit la
dépense sur l’un de ses registres. L’Auditor of the
Receipt tenait un double de toutes les autorisations
de paiement et des livres de comptes. Il était
particulièrement chargé de contrôler les
encaissements* et décaissements* de fonds par les
tellers qui, avec les paymasters of the Exchequer
Bills, étaient les seuls officiers comptables. Les
registres et comptes de Y Auditor of the Receipt
permettaient ainsi de contrôler ceux du Clerk of the
Pells.
Le paiement des dépenses par l’Echiquier étant
initié par le personnel du Trésor, son mécanisme est
décrit plus bas. Pour ce qui concerne les recettes, la
comptabilité opérait selon un modèle assez simple.
Par suite des importantes innovations fiscales
introduites durant la Guerre civile et sous la
Restauration, ainsi que des réformes financières
contemporaines de la Glorieuse Révolution, les
recettes provenaient de quatre sources essentielles :
1) les revenus du domaine de la Couronne ; 2) les
impositions directes {Land tax, ou impôt sur les
biens fonds, les Assessed tax, telles les taxes sur les
domestiques et voitures) ; 3) les impositions
indirectes, surtout les Customs (douanes*), et les
Excise (accise), c’est à dire les taxes sur la
production et la consommation, en particulier la
bière, les vins et spiritueux, mais aussi l’impôt sur
le sel, les droits de timbre ou de formule, les cartes
à jouer et divers autres objets ; 4) enfin, les
ressources extraordinaires, essentiellement les
emprunts.
Des receveurs* particuliers, établis en Angleterre
pour la perception des taxes, étaient tenus
d’adresser régulièrement le produit de leur caisse à
des receveurs généraux établis à Londres, qui à leur
tout versaient leurs fonds dans la caisse de
l’Echiquier. Les recettes fiscales étaient toujours
versées nettes des dépenses qui s’acquittaient
directement sur les caisses locales ou les caisses
centrales établies auprès de chaque bureau
d’impositions (voir ci-dessous). L’Echiquier
encaissait en outre les revenus extraordinaires
provenant des emprunts et gérait les avances de
trésorerie pour la Couronne. Cette situation évolua
cependant avec la création de la banque
d’Angleterre (1694) qui s’empara progressivement
des fonctions bancaires de l’Echiquier. Au XVIIIe
siecle, l’Echiquier ne conservait que la recette des
rentes viagères et des annuities, autrement dit des
emprunts remboursables au terme d’un nombre
déterminé d’années. Le revenu de tous les autres
emprunts était versé directement à l’un des commis
de la Banque d’Angleterre établis auprès de la
caisse de l’Echiquier. Les officiers furent de plus en
plus confinés à des opérations de centralisation
comptable. L’Echiquier abandonna aussi à la
Banque la gestion du crédit à court ternie,
notamment par l’émission et le remboursement des
Bills of the Exchequer.
En fonction de la nature de la recette à verser à
l’Echiquier, les comptables se rendaient à l’office
de l’un des Tellers ou, de plus en plus, à l’un des
trois commis de la banque d’Angleterre. Les
caissiers devaient alors procéder à diverses écritures
qui leur servaient plus tard pour leur décharge et
celle des payeurs. En premier lieu, le teller
inscrivait dans un Waste-Book le montant de la
somme versée, le nom du payeur, la nature du
revenu et la date du paiement. Chaque teller devait
en outre dresser chaque jour une copie au net de ses
recettes qui servait à établir des certificats
hebdomadaires de leurs recettes (et dépenses) que le
Clerk of the Pells transmettait ensuite au bureau du
Trésor. Tous les six mois, les certificats
hebdomadaires étaient compilés pour former la
déclaration des caissiers {Tellers’ Déclarations) qui
était établie sur parchemin.
Après l’inscription au Waste-Book, le teller portait
les mêmes informations sur un Teller’s Bill, ou
billet de caisse, également dressé sur parchemin.
Mais au lieu de délivrer ce billet de caisse au
payeur pour lui servir de quittance*, le teller le
jetait immédiatement (pour éviter toute fraude par
grattage*) dans un tuyau qui communiquait avec
une salle située en-dessous, la Tally Court ou salle
de la taille. Là, divers officiers étaient préposés à la
préparation d’un outil comptable très particulier, le
tally. Dans le principe, le tally était la forme de
quittance, véritable quittance comptable*, que
délivrait l’Echiquier pour tout versement d’argent
effectué par un individu, habituellement un
receveur d’impôts, dans l’une des caisses des
tellers. A la différence d’une quittance rédigée sur
papier ou parchemin, le tally était une baguette de
bois normalement faite de noisetier, sur lesquelles
une série d’encoches de formes diverses,
correspondant chacune aux diverses unités de
mesure (milliers, centaines, unités), indiquaient le
montant de la somme versée à l’Echiquier. Le tally
portait en outre diverses écritures : le versement,
exprimé en chiffres romains, le nom de la personne
remettant l’argent, l’origine de la recette, le mot
‘soT pour solution, stipulant que la somme avait été
payée, etc. Après que les encoches et les écritures
avaient été effectuées et vérifiées par les officiers
de l’Echiquier préposés à cet effet, le tally était
divisé en deux dans une partie de sa longueur.
L’une des deux parties, le stock, était remise au
payeur pour lui servir de quittance* et l’autre, le
foil, était archivée à l’Echiquier.
La procédure d’audition des comptes des
comptables par la cour de l’Echiquier consistait
donc, entre autres, à rapprocher, en fin d’exercice,
les deux parties des tailles, celui du comptable, et
celui conservé par l’Echiquier qui, s’ils se
correspondaient, les déchargeaient en recette ou en
dépense. Les comptables principaux utilisaient eux
même les tailles pour faire compter devant eux
leurs subordonnés.
En dépit de son caractère primitif, le système de la
comptabilité par tailles connut des développements
surprenants dès le Moyen Age. Ils donnèrent
naissance à des techniques originales de paiement et
de crédit. Le tally fut notamment utilisé par la
caisse centrale pour faire payer certaines dépenses
sur les fonds des caisses locales. Le tally agissait
alors comme un outil de centralisation comptable
qui permettait aux officiers de l’Echiquier
d’enregistrer une recette fictive. Dans ce cas de
figure, un stock était délivré au créancier ou à la
personne qui était la bénéficiaire de la dépense. Ce
dernier portait son stock à un comptable local, qui
le prenait en échange de la somme remise en
espèces. De cette manière, le versement par le
comptable local apparaissait dans les comptes de
l’Echiquier et pouvait être justifié par le
rapprochement du stock et du foil. Il existait
d’autres tallies, dit tailles pro (du latin pour), qui
portaient directement le nom du bénéficiaire et de la
caisse spécialement affectée pour le paiement.
Utilisée moins fréquemment, cette forme de
paiement offrait de solides garanties au
19
créancier qui pouvait assigner en justice le
comptable si ce dernier n’était pas en mesure de
payer la dépense assignée par l’Echiquier sur le
produit de sa caisse.
Le système des tallies fut encore développé pour
consommer par avance le produit des recettes
fiscales. Le tally sol se comportait alors comme une
anticipation*, c’est à dire une promesse, affectée
sur une caisse particulière, de payer à une certaine
date une certaine somme correspondant au prêt
d’argent versé dans la caisse de l’Echiquier
augmentée de l’intérêt. Ce système de crédit à court
tenne fut modernisé par George Downing, lui-
même ancien teller devenu secrétaire du bureau du
Trésor, qui inventa, en 1665, l’ordre de paiement*.
Vers la fin du XVIIe siècle, les emprunts à court
tenne émis par anticipation sur les recettes
donnèrent enfin lieu à une dernière innovation :
l’émission, par l’Echiquier, de tallies of fictitious
loan. Ces nouveaux effets, payables à ternie sur une
recette particulière, étaient cette fois de pures
avances de trésorerie. Ils étaient remis aux
trésoriers des départements ministériels qui
pouvaient les utiliser pour payer leurs fournisseurs
ou les vendre à des particuliers, notamment les
orfèvres qui les escomptaient. Ces tallies jouèrent
un rôle crucial dans le financement des guerres de
la Ligue d’Augsbourg et de Succession d’Espagne,
au point de générer des effets financiers pervers. En
1703, le volume des tallies émis par l’Exchequer
était de £1,2 millions, soit 40% du total des
ressources provenant de l’anticipation des recettes
fiscales.
En 1697, la dépréciation des tallies força la banque
d’Angleterre, qui en détenait une quantité
considérable, à intervenir pour éviter une crise du
crédit à court tenne. Des prorogations des taxes
anticipées et une nouvelle émission de capital de la
Banque payable 4/5e en tallies pennirent de réduire
le volume des tallies qui s’échangeaient à perte sur
le marché, et de contenir le coût de l’argent. La
Banque accepta de prendre les tallies à un intérêt de
8 %. Durant la guerre de Succession d’Espagne,
diverses mesures furent mises en œuvre pour éviter
de multiplier le volume des tallies of fictitious
loans. Les Bills of the Exchequer se substituèrent
progressivement à eux. En 1726, l’Echiquier cessa
d’en créer et bien qu’il en fût encore émis par la
banque d’Angleterre pour conserver cette forme de
crédit qui trouvait des préteurs, l’usage des tallies
offictitious loans disparut définitivement à la fin de
la guerre de Sept Ans.
Au cours du XVIIIe siècle, le système de la
comptabilité par tallies fut de plus en plus inadapté
aux développements économiques et financiers. Les
tallies, dont la plus grande unité autorisée était le
millier, avaient eu tendance à voir leur taille
s’accroître, en même temps que l’enrichissement
global du pays, au point d’atteindre plus de 80 cm
de long. Il arrivait que l’Echiquier soit contraint de
20
tailler plusieurs tallies lorsque que le versement des
fonds était particulièrement important. En 1785,
l’Echiquier ne remit pas moins de 1 775 tallies pour
constater le versement des recettes du receveur
général des douanes. Les tallies furent
officiellement abrogés en 1786 mais leur usage
perdura jusqu'à la suppression de la caisse de
l’Echiquier, en 1834. Ses fonctions échurent
désormais à la banque d’Angleterre. La décision de
brûler les tallies, qui s’étaient accumulés depuis
plusieurs siècles, fut à l’origine de l’incendie qui
anéantit l’ancien palais de Westminster.
Exchequer of Account. Aussi désigné par le tenne
de Court of Barons, Y Exchequer of Account, était
l’organe chargé de l’audition et du jugement des
comptes des comptables, ainsi que du contentieux y
relatif. Faisant les fonctions d’une Chambre des
comptes, l’Echiquier était seul habilité à délivrer
aux comptables le quitus* de leur manutention ou
de mettre en branle les procédures judiciaires de
recouvrement des fonds indûment payés. Au
XVIIIe siècle, cette cour, qui relevait
hiérarchiquement du bureau du Trésor (voir ci-
dessous), était composée d’une quinzaine
d’officiers placés sous l’autorité conjointe du Lord
Chief et des Barons. A l’époque moderne, seuls les
sheriffs étaient encore tenus de se présenter en
personne ou par député, pour assister aux
procédures d’audit de leurs comptes devant la cour
de l’Echiquier. Pour les autres comptables, la
procédure d’audit s’effectuait par l’examen des
pièces justificatives (vouchers). Cet audit
administratif était confié à plusieurs auditeurs*.
Comme en bien des pays, il n’était pas rare, surtout
en temps de guerre, que plusieurs années s’écoulent
entre la fin de l’exercice d’un comptable et le
jugement de ses comptes. Ainsi, l’Echiquier ne
reçut qu’en 1780 le compte du Trésorier de la
Marine pour l’année 1758, soit un retard de 22
années. Il était en effet difficile pour le trésorier de
la Marine d’obtenir en temps voulu l’ensemble des
Ships books, autrement dit les comptes qui portaient
les noms des marins embarqués sur chaque navire
et les payements effectués par les comptables
secondaires qui obtenaient des délais de grâce.
Comme il était, en outre, interdit à un trésorier en
exercice de payer les dépenses du trésorier hors
d’office, une partie des fonds remis par l’Echiquier
restait longtemps entre les mains des comptables
qui pouvaient les faire valoir à leur profit. En 1785,
une commission pour l’audit des comptes publics,
composée de cinq personnes, fut instituée pour
remplacer les Auditors of the Imprests. Afin de
réduire les délais de reddition et d’audit des
comptes, la commission eut pouvoir d’assigner
devant elle les personnes qu’elle désirait entendre et
surtout, d’obtenir les détails des fonds remis par les
comptables principaux aux comptables secondaires.
Ces derniers étaient en effet souvent à l’origine des
retards de la reddition* des comptes. Dans la
Marine, par exemple, les comptes demeuraient
ouverts aussi longtemps que les vaisseaux étaient
en mer. Les guerres napoléoniennes obligèrent à
créer une commission supplémentaire pour
maintenir la célérité du processus de reddition et
contrôle des comptes des trésoriers généraux.
3) Le contrôle du Trésor
Le développement du Trésor dans la seconde moitié
du XVIIe siècle est l’une des principales étapes
dans l’histoire de l’administration des finances de la
monarchie britannique, de la modernisation de son
crédit et de son système de comptabilité publique.
L’essor de ce département, comme la plupart des
innovations financières de cette époque, est à
rechercher dans la synthèse qui s’opéra entre les
nouveautés mises en place durant la guerre civile et
les besoins de la monarchie restaurée. En 1667 et
1668, une série de décisions de Charles II posa le
principe d’un contrôle financier a priori par le
Trésor. Dans un premier temps, le roi modifia le
cadre des activités du Lord High Treasurer qui,
depuis les réformes financières des Tudors, était le
second en titre des grands officiers de la Couronne
et avait en particulier le Lower Exchequer dans son
département. Le roi, qui avait alors besoin d’argent
et d’idées nouvelles, profita du décès du titulaire de
l’office du Lord High Treasurer en 1667 pour en
confier les fonctions à plusieurs commissaires
(Lords commissioners), dont la jeunesse était plus
propice aux innovations. Ces derniers choisirent de
nommer pour leur secrétaire George Downing
(1623-1684) qui fut l’un des grands inspirateurs des
réformes financières introduites à cette époque,
notamment le principe de VAppropriation et des
ordres de paiement* (1669), ancêtres des Bills of
Exchequer.
Au mois de novembre 1667, une seconde décision
de Charles II posa en principe que nul projet de
dépenses ne pourrait être soumis à la signature du
roi s’il n’avait été, au préalable, communiqué pour
avis aux Lords commissioners composant le bureau
du Trésor. Cette décision fut complétée, le 31
janvier 1668, par un ordre du Conseil en huit
articles qui est le véritable acte de fondation du
contrôle financier par le Trésor. Si ce texte ne
limitait pas la liberté des ministères de déterminer
les dépenses de leur département, il introduisait un
certain nombre de règles destinées à éviter les abus.
Ce règlement ordonnait notamment que tout ordre
de paiement, d’où qu’il provienne, soit signé par les
commissaires du Trésor pour pouvoir être payé. Il
attribuait par ailleurs aux Lords commissioners la
direction de tous les services fiscaux et financiers
du pays, avec leurs caisses, permettait au Trésor de
s’assurer que les ressources étaient disponibles
avant d’autoriser les paiements et, de cette manière,
superviser le mouvement des fonds*.
Les membres du bureau du Trésor furent amenés à
jouer un rôle de plus en plus important dans les
finances, cela en parallèle avec l’essor du Parlement
dont le contrôle politique sur les dépenses et les
recettes dépendait de la qualité des informations
fournies par la commission du Trésor. Ensemble, le
Trésor et le Parlement garantissaient que les
services du gouvernement disposaient des fonds
nécessaires pour payer les dépenses et que les fonds
n’étaient pas détournés à d’autres fins, une avancée
qui permettait de mieux dominer le crédit.
La direction du bureau du Trésor était confiée à
cinq Lords Commissioners qui étaient tous
membres du Parlement. Au XVIIIe siècle, plusieurs
ministres, tels Walpole et North, cumulèrent les
deux offices de First et Second Lord commissioners
et firent de facto principal ministre. Au siècle
suivant, le First Lord Commissioner deviendra le
premier ministre. Outre les trois autres Junior
Lords, le bureau du Trésor comprenait deux
secrétaires, équivalents du secrétaire et du premier
commis des finances du contrôleur général des
finances. Tous ces postes étant politiques, leurs
titulaires variaient au gré des remaniements
ministériels et des majorités dans le Parlement. Le
personnel purement administratif comptait une
quarantaine de personnes en 1784, non compris les
messagers et personnel domestique qui portaient
l’ensemble à 59 employés. Panni eux, quatre Chief
Clerks, équivalent des premiers commis des
bureaux du contrôle général des finances,
dirigeaient deux sections, l’une pour les recettes
(revenue) et l’autre pour les dépenses (expenditure),
Recettes. La section des recettes était confiée à un
Principal Clerk - équivalent d’un chef de bureau -
qui avait sous lui divers commis. Le Principal
Clerk était essentiellement chargé d’établir, pour le
bureau du Trésor ou par son intermédiaire, à
l’attention du roi ou du Parlement, les comptes des
recettes et autres états financiers. La section des
revenus dressait en outre, tous les trois mois, les
Treasury Account Books, lesquels étaient compilés
en fin d’année, pour former le compte annuel.
Depuis la fin du XVIIe siècle, les comptes et états
du Trésor étaient établis en partie double*. Ces
documents étaient confectionnés à partir des
certificats hebdomadaires que lui transmettaient les
officiers du Lower Exchequer. Le Principal Clerk
recevait aussi les certificats hebdomadaires des
divers receveurs préposés à la recette des impôts.
Le receveur général des revenus de la Couronne en
Ecosse, qui faisait les fonctions de Y Exchequer of
Receipt à Edimbourg, envoyait lui des relevés
mensuels.
Conséquence de la suppression des fermes d’impôts
entre 1663 et 1665, le système de l’administration
des impôts et de la comptabilité des recettes et des
dépenses obéissait à un modèle général qui était
globalement appliqué à l’ensemble du territoire et
21
des recettes fiscales. Le personnel du bureau du
Trésor coiffait sept bureaux d’impositions -
Customs, Excise, Stamps, Sait, Taxe, Hackney
Coach, Hawkers and Pedlars - qui, depuis
Londres, supervisaient la perception et le
recouvrement des impôts en Angleterre et en
Ecosse. Chaque bureau était dirigé par des
commissaires dont le nombre variait habituellement
entre 5 et 9. Ils étaient assistés par un secrétaire qui
avait à son service plusieurs premiers commis et
commis. Chaque bureau avait en outre une caisse
centrale confiée à un receveur général dont les
activités étaient contrôlées par un Supervisor ou un
contrôleur général*. Les bureaux d’impôts faisaient
le lien entre le bureau du Trésor, qui définissait la
politique fiscale en accord avec le Parlement, et la
collecte des impôts au niveau local dont les bureaux
supervisaient les activités tant administratives que
comptables. Le personnel chargé de la perception et
de la collecte des impôts ne cessa de croître. Il
doubla au cours du XVIIIe siècle, passant de 4 780
en 1708 à plus de 8 200 en 1782, pour atteindre
20 000 employés vers 1815. Pour l’essentiel, ils
travaillaient à la collecte des droits intérieurs
(Excise) et des douanes* (Customs). Joints aux
recettes de la Land Tax, ces impôts indirects
formaient l’essentiel des ressources fiscales. A
l’époque qui nous concerne, le seul impôt nouveau
fut YIncome Tax, levé spécifiquement pour financer
les guerres napoléoniennes.
L’administration des impôts indirects perçus dans
l’intérieur du royaume relevait du Board of Excise
établi en 1683. Pour la plupart, ces droits,
notamment les droits sur les alcools, n’étaient pas
prélevés sur le débitant mais sur les producteurs, au
lieu même de la fabrication. L’administration des
accises était répartie en collectes (collections) qui
comprenaient chacune plusieurs divisions et, à
l’intérieur de ces dernières, des Foot-walks (poul­
ies villes, villages) et des Out-rides (pour la
campagne). A Londres, le payement des taxes
s’effectuait directement par les contribuables aux
bureaux du receveur général. En revanche, dans la
campagne, les droits se versaient auprès d’un
collecteur ambulant qui visitait toutes les six
semaines les principales villes de sa collecte,
encaissait le produit des taxes et, en cas de non
payement, initiait les procédures judiciaires. Les
collecteurs des accises transféraient au receveur
général le produit de leur caisse en lettres de
change*.
A la différence des autres recettes fiscales, le
comptable n’était pas le receveur général mais les
commissaires du Board of Excise. Le contrôle de la
comptabilité était confié à des Accountants general,
ayant chacun la responsabilité d’une ou plusieurs
taxes. Ces comptables établissaient les comptes
annuels (Cash Accounts). Les commissaires du
Board of Excise engageaient ensuite leur
responsabilité sur ces comptes par serment devant
22
l’un des barons de la cour de l’Echiquier (le
Cursitor Baron). Les comptes annuels, avec leurs
pièces justificatives*, étaient ensuite remis non pas
à l’audit administratif de l’Echiquier mais à un
officier du Board of Excise, YAuditor of Excise ou
YAuditor of Hides. Ces auditeurs vérifiaient les
comptes annuels en les comparant avec les comptes
transmis par le Controller of Excise qui avait reçu,
au cours de l’exercice* fiscal, toutes les pièces
justificatives des recettes et dépenses ainsi que les
autorisations nécessaires pour le paiement de fonds.
Les opérations des collecteurs faisaient l’objet de
comptes généraux. A l’issue de leur audit
administratif, les auditeurs rédigeaient les Cash
Accounts, conformément aux formes en vigueur à
l’Echiquier. Ces comptes étaient ensuite déclarés
devant le chancelier de l’Echiquier, contresignés
par deux Lords of the Treasury Board, puis
passaient par les formalités de l’Echiquier
conduisant à la délivrance du quitus*. La
multiplication des nouveaux droits et droits
additionnels (subsidy) perçus au titre de l’excise,
lesquels étaient affectés à certaines dépenses en
particulier, eut tendance à augmenter le travail de
confection des comptes. En 1787, 23 Cash-
Accounts avaient été déclarés et autant de General
Accounts. La réforme des droits indirects, entreprise
par William Pitt (voir ci-dessous), permit de
simplifier la comptabilité en réduisant leur nombre
à quatre.
La comptabilité des impôts directs relevait du
Board of Taxes qui s’occupait de plusieurs taxes
dont la plus importante, en ternies financiers et
politiques, était la Land Tax, ou impôt territorial,
établie à la fin du XVIIe siecle sur le revenu
estimatif des terres. A la différence des autres taxes
administrées localement par des officiers salariés et
des comptables placés également sous l’autorité du
bureau du Trésor, la répartition et la collecte de la
Land Tax était confiée à des Acting commissioners
établis dans chaque comté et nommés par le
Parlement. Ces commissaires désignaient à leur
tour des commissaires divisionnaires qui
choisissaient des asséeurs et des collecteurs.
Plusieurs fois dans l’année, les Acting
Commissioners invitaient les collecteurs à verser le
produit de leur caisse dans celle du receveur général
à Londres. En principe, le receveur général de
l’impôt territorial avait un délai maximum de 20
jours pour transférer à l’Echiquier le produit de sa
caisse.
Dépenses. Le bureau du Trésor était seul habilité à
mettre en route la procédure de paiement, par
l’Echiquier, des dépenses votées par le Parlement.
L’administration des paiements était répartie entre
six sections ayant chacune à leur tête un premier
commis et un second commis, et des commis
subalternes dont le nombre variait en fonction des
besoins. Ces sections étaient chargées de la
correspondance, de la préparation des documents
autorisant les paiements, en nature ou en papier, et
de toutes les écritures résultant des décisions prises
par le bureau du Trésor aujourd’hui conservées
dans les Treasury Books. Chaque section était
spécialisée pour certains types de dépenses
(marchés de travaux, dépenses de l’armée, etc.)
Au début de chaque règne, le roi signait une
délégation générale autorisant le bureau du Trésor à
faire payer les diverses dépenses des services du
gouvernement sur les caisses de l’Echiquier par
mandats* du Trésor (Treasury warrants) signés des
Lords commissioners.
Les services du Trésor intervenaient encore pour
autoriser le paiement des crédits alloués par le
Parlement aux divers ministères. Pour pouvoir
dépenser leurs fonds, les ministères devaient
s’adresser aux services du Trésor qui portaient à la
signature du roi une autorisation, dont les formes
variaient en fonction des services concernés, de
faire fonds d’une portion conséquente, toujours
exprimée en chiffres ronds, de leurs crédits pour
l’année. Les services du Trésor et de l’auditeur* de
la recette procédaient ensuite aux formalités
décrites plus haut. Cette procédure avait pour effet
d’ouvrir au trésorier du ministère
à
concerné un crédit
auprès de l’Echiquier sur lequel, avec l’accord de
son Bureau, il pouvait faire acquitter les dépenses
qui étaient mise en payement après que 1’ auditeur
de la recette avait reçu les instructions du Trésor
relatives à l’assignation. Lorsque le crédit d’un
payeur à l’Echiquier était épuisé, il fallait obtenir
une nouvelle autorisation du roi, cela jusqu'à
épuisement des fonds.
Le contrôle financier exercé par le Trésor ne portait
pas sur la nature des dépenses elles-mêmes, mais
sur le mouvement des fonds de l’Echiquier et de la
banque d’Angleterre vers les services de la
monarchie, de façon à garantir la disponibilité des
fonds, de s’assurer que les fonds étaient disponibles
et de ne pas dépasser l’allocation des crédits votés
chaque année par le Parlement. Honnis ces
entraves, les départements ministériels disposaient
d’une grande marge de manœuvre. Ainsi, les
contrats de fourniture qui composaient une grande
partie des débours annuels, échappaient-ils presque
totalement à la surveillance du Trésor. Au XVille
siècle, les services du Treasury étaient seuls
compétents pour passer les contrats pour la
fourniture des années en Angleterre et à l’étranger,
les remises de fonds à l’étranger et l’émission des
billets de l’Echiquier par le canal de la Banque.
4) Les ministères dépensiers
A l’instar du Treasury, les ministères étaient dirigés
par des commissions, ou Boards, dont les membres
exerçaient collégialement les fonctions
d’ordonnateur*. Les dépenses étaient payées par
des comptables attachés à chaque ministère, en
particulier le Trésorier de la Marine, le Paymaster
General of the Forces (armée de terre) et le
Trésorier des munitions. Ces trésoriers généraux
avaient sous-eux une multitude de comptables
secondaires pour faire acquitter localement les
salaires et fournitures.
Lorsque l’argent avait été débloqué par le Trésor,
chaque trésorier devait conformer ses paiements au
montant des diverses dotations allouées par le
Parlement dans YAct of Appropriation afin de
financer les divers chapitres de dépenses présentés
dans les estimâtes. La Marine, par exemple, avait
trois chapitres de dépenses : Ordinary (arsenaux et
établissements maritimes intérieurs), Extraordinary
(dépenses imprévues) et Sea-Service (dépenses de
la marine en mer). En théorie, les trésoriers
généraux n’avaient pas le pouvoir de jouer sur les
différentes dotations pour compenser les
insuffisances de fonds pour certains chapitres de
dépenses. Dans la pratique, l’ordre des paiements
n’obéissait pas à un modèle aussi rigide. Pour des
raisons sans doute politiques, le département des
Land Forces autorisait son Paymaster General à
compenser l’insuffisance de certains fonds par des
virements, notamment pour s’assurer que le
paiement des salaires des militaires ne serait pas
trop retardé.
Les techniques concernant le paiement des
dépenses, le contrôle des comptables et la reddition
des comptes variaient suivant les ministères. Dans
le cas de la Marine, les dépenses ordonnancées par
le Navy Board se présentaient sous la forme d’un
Navy Bill qui indiquait au trésorier de payer telle
somme à tel individu. Une petite partie de ces
billets était payable à vue (Ready Money).
L’essentiel des Navy Bills était payable In Course,
c'est-à-dire que leur payement dépendait des fonds
disponibles en caisse. Comme le budget de la
Marine était voté sur la base de tarifs anciens, le
trésorier n’avait jamais assez de fonds pour
acquitter les Navy Bills. Pour résorber ces billets,
qui fonctionnaient comme des lettres de change*,
mais auxquels était attaché un intérêt, il fallait que
les Communes allouent chaque année un fonds pour
le remboursement. En temps de guerre, dont on ne
savait jamais la durée, le rattrapage était
particulièrement difficile et les impayés
s’accumulaient au retour de la paix. En décembre
1783, un an après la fin de la guerre d’Amérique, il
restait encore près de £13 millions de Navy Bills
impayés, soit 325 millions de livres tournois.
Contrairement aux autres trésoriers qui justifiaient
leurs comptes par vouchers, le Treasurer of the
Navy présentait ses Ledgers, ou grands livres*,
certifiés par ses ordonnateurs.
Résultat des conflits entre le Parlement et le
souverain pendant la guerre civile, YAct of
Appropriation détaillait plus précisément l’usage
des fonds destinés à l’armée et à la milice. Ils
étaient divisés en quatre postes principaux (Home,
Colonial, Mediterranean, Militia) subdivisés en
23

régiments, et divers autres chapitres de dépenses, en
particulier le Chelsea Hospital. Les paiements
ordonnés par le bureau étaient autorisés par le
Trésor sur présentation de mémoires de dépenses
présentés par le Paymaster general of the Forces.
En ce qui concerne les dépenses pour
l’approvisionnement de la Marine et de l’armée de
terre, les paiements étaient ordonnés par
VOrdnance Board, par la délivrance de Debentures
(obligations) au trésorier général portant le nom du
bénéficiaire. Comme dans le cas de la Marine, les
debentures étaient payables à vue (ready-money) ou
différées (in course). Leur mise en paiement
exigeait la signature du secrétaire de VOrdnance
Board. Les debentures ready money ne pouvaient
être payées que sur une Letter of Payment. Le
paiement des obligations in course dépendait de la
disponibilité des fonds. Elles étaient inscrites sur
des listes de paiements correspondant aux divers
mois de l’année et acquittées dans l’ordre des
mensualités. Les paiements étaient publiés à
l’entrée de VOrdnance Office. Les porteurs
d’obligations se faisaient alors payer par le trésorier
général qui prenait les debentures pour lui servir de
justifications pour l’audit de ses comptes.
5) Réforme économique et professionnalisation
La rénovation du système de la comptabilité
publique anglaise dans la seconde moitié du XVIIe
siècle permit d’assurer sans trop de difficultés le
financement des guerres contre Louis XIV, ainsi
que la transition vers la longue période de paix
après 1715. Ce modèle triompha sous les ministères
de Walpole et Pelham. A l’avènement de
Georges III, les effets de la croissance économique
et les inquiétudes concernant le poids de la dette
publique* et l’impact de la hausse des impôts sur le
commerce de la Grande-Bretagne, commencèrent à
faire craqueler un système comptable qui manquait
d’unité. L’agitation radicale qui œuvrait à une
meilleure représentation parlementaire, se joignit
aux pressions de l’opinion publique en faveur d’une
plus grande transparence par la réduction des coûts
politiques et financiers d’un système de
comptabilité diffus accusé de favoriser l’influence
royale par l’octroi de sinécures ou de profits abusifs
aux financiers.
Engagée dès la fin de la guerre de Sept Ans, la
réflexion concernant la réforme de l’Etat fut remise
à l’ordre du jour durant la guerre d’indépendance
américaine. S’inspirant des idées de Necker* qui
avait cherché à financer les emprunts par des
économies, Edmund Burke se fit en 1780 le porte-
parole au Parlement du mouvement en faveur de
VEconomical Reform dont le résultat le plus
tangible fut la création d’une commission
d’enquête. A la différence des commissions
antérieures, composées de députés dont les
rapports, comme celui du select committee nommé
en 1763 pour examiner les comptes du Paymaster
24
general of the forces, n’aboutissaient jamais, la
« Commission des comptes publics »* exerça ses
activités en toute indépendance. Ses membres,
choisis hors du Parlement parmi des spécialistes de
la comptabilité et renouvelés chaque année de 1781
et 1787, procédèrent à un audit complet du système
comptable alors en vigueur en Angleterre. Ils
rédigèrent 15 rapports et émirent une série de
recommandations qui fixèrent, pour près d’un
demi-siècle, le cadre général et les principes de la
réforme de l’Etat britannique.
Pour l’essentiel, les travaux de la commission
tendaient à améliorer la perception des revenus, à
faire recouvrer les fonds libres dans les diverses
caisses publiques, à réformer les méthodes
concernant la tenue des comptes et l’audit des
comptables, à abolir les sinécures et remplacer par
des salaires les droits que nombre d’officiers
percevaient lors des formalités comptables, à
supprimer certaines procédures archaïques ou la
duplication de certains contrôles. Les conclusions
de la commission étaient fondées sur l’analyse des
pratiques des officiers attachés aux divers services
financiers, pratiques dont certaines, plus efficaces
que d’autres, ne demandaient qu’à être étendues.
L’administration de la Land Tax fut surtout montrée
du doigt. La commission calcula en effet qu’à la
mi-juillet 1779, les receveurs généraux avaient dans
leur caisse près de £400 000 (équivalent à 10
millions de livres tournois), un manque à gagner
évalué à £13 362 par an puisque ces recettes avaient
été anticipées par l’émission de billets de
l’Echiquier qui portaient un intérêt à 4 pour cent.
Les activités des trésoriers généraux des ministères
donnèrent aussi lieu à un audit qui révéla que les
anciens Paymaster-General étaient collectivement
débiteurs en 1780 de £378 000, dont £256 000
livres (plus de 6 millions de livres tournois) pour le
seul Lord Holland, Paymaster-General de 1757 à
1762. Aussi fut-il ordonné en 1781 aux trésoriers
généraux de verser le produit de leur caisse à
l’Echiquier. Pour éviter que les trésoriers fassent
valoir les fonds en déposant dans des banques
privées les sommes qui leur avaient été remises par
l’Echiquier, la commission fit adopter le principe
que les payeurs des dépenses militaires devraient
avoir un compte courant auprès de la banque
d’Angleterre, une mesure qui, jointe à l’ordre de
soumettre un état mensuel* de leur caisse, devait
permettre de mieux gérer la dette à court terme. La
commission veilla aussi à réduire les bénéfices des
comptables en réglementant l’échéance des lettres
de changes pour la remise de leurs fonds.
William Pitt Le Jeune (1783-1792) s’appuya
notamment sur les travaux de la commission pour
remettre son pays sur pied après la guerre
d’Amérique. La réforme des droits de douanes prit
la forme d’une consolidation des customs duties,
ou du nombre de taxes perçues sur un même bien
de consommation. Elle permit de simplifier
considérablement les comptes des douanes, qui
tenaient désormais sur une douzaine de feuillets au
lieu d’une cinquantaine de pages auparavant. Pitt
procéda aussi à l’unification de la dette dans un
Consolidated Fund qui devait faciliter les
opérations de sa caisse d’amortissement (Sinking
Fund). Cela dit, les guerres révolutionnaires et
napoléoniennes eurent pour effet de différer,
jusqu’en 1815 au moins, la mise en place des
principales réformes suggérées par la Commission.
Il fallut ainsi attendre 1806 pour que les trésoriers
de VOrdnance et les receveurs généraux des
Customs et Excise soient contraints d’ouvrir un
compte auprès de la banque d’Angleterre. Cette
réforme fut rendue possible, il est vrai, par
l’introduction de pénalités de retard et, dans le sens
inverse, de compensations pour les délais
concernant la remise de fonds aux comptables. La
cohérence du système fut encore renforcée par la
décision de faire commencer l’année financière au 5
janvier alors que, jusqu’aux débuts du XIXe siècle,
elle variait selon les services. Dans ces conditions,
les trésoriers généraux qui payaient en traites sur la
Banque, perdirent leur statut de comptable pour
celui de contrôleurs financiers.
Une partie des limites du contrôle financier en
l’Angleterre tenait aux méthodes adoptées pour la
préparation des estimâtes, trop peu détaillés pour
assurer une prévision fiable et respecter
Vappropriation. En 1798, VAppropriation Act
introduisit pour la première fois des votes
spécifiques pour les salaires, les fournitures
militaires, la réparation des navires. Malgré cela, les
ministères dépensiers continuèrent de compenser
l’insuffisance de certains fonds par des virements
de caisse. Ce problème trouva une solution avec les
résultats d’un comité chargé d’enquêter sur l’usage
de la comptabilité marchande* dans les services
financiers de l’Etat. A compter de 1831, la Marine
fut obligée d’utiliser la partie double*, ce qui
permit de mieux dominer la prévision. De plus, le
système d’un Appopriation Audit, équivalent à un
contrôle des dépenses engagées, fut introduit en
1832-1833 pour s’assurer que les fonds alloués
n’étaient pas divertis pour d’autres emplois. Ainsi,
en 1840, VAppropriation Act ne comportait pas
moins de 24 chapitres pour la Navy, 18 pour
l’année de terre et 12 pour VOrdnance. Une
meilleure maîtrise et allocation des dépenses furent
encore assurées par la suppression, dans le budget
de la Liste civile, des dépenses personnelles du
souverain et de celles du gouvernement civil qui
furent ainsi soumises au contrôle parlementaire.
L’une des grandes critiques adressées au système
comptable était celle de son coût excessif. La
commission de 1781 révéla que nombre d’offices
de l’Echiquier étaient de pures sinécures,
auxquelles étaient associés des gages, taxations et
autres droits, et dont les fonctions étaient effectuées
par des députés. La plupart de ces employés
touchaient des droits et émoluments, dont le
principe, pour être variable d’un poste à l’autre,
était parfois scandaleux. La rémunération des
Auditors of the Imprests par exemple, qui
procédaient à l’audit des comptes des trésoriers
généraux, se calculait en fonction du montant total
de leurs dépenses. De sorte qu’en temps de guerre,
au moment où le pays avait le plus besoin d’argent,
les revenus attachés à leur office s’envolaient. La
suppression souhaitée des sinécures et des offices
héréditaires fut un processus extrêmement lent qui
suscita bien des résistances. Certains postes furent
abolis moyennant des compensations financières.
Les Auditors of the Imprests obtinrent, leur vie
durant, un dédommagement de £7 000 par an,
correspondant au revenu de leur office en temps de
paix. Faute de fonds, le gouvernement refusa de
suivre l’avis de la commission en faveur d’un
remboursement ou d’une salarisation des officiers
par la levée de nouveaux impôts. La nouvelle
charge financière était trop lourde : le First Lord
Commissionner avait le pouvoir de nommer à 196
sinécures dans le seul service des customs. On
attendit donc la mort des titulaires. En 1783, le
Parlement décida par exemple que les offices de
chamberlains, tally cutter et usher, qui s’occupaient
de la manutention des tallies dans VExchequer of
Receipt, seraient purement et simplement abolis à
leur mort. De cette manière, le statut du personnel
comptable des services financiers fut
progressivement transformé en celui d’employés.
Une évolution similaire concerna les comptables.
Le scandale des fonds demeurés entre les mains de
Lord Holland força à repenser le statut des
trésoriers généraux. Longtemps considérés comme
une partie essentielle de leur fonction, les profits
considérables que ces comptables tiraient de la
manutention des fonds publics furent de plus en
plus critiqués. La commission de 1781 nationalisa
en quelque sorte ces fonctions privées en ordonnant
le dépôt de leurs archives à l’instar des documents
publics.
Le gouvernement britannique chercha encore à
réduire les coûts en réduisant le nombre des
comptables, ce qui permettait de limiter les sommes
qui devaient être nécessairement disponibles dans
les diverses caisses des comptables pour faire face
aux demandes de paiements. En 1834, un payeur
des services civils se chargea seul des dépenses
effectuées auparavant par plusieurs payeurs. Ce
type de réformes, jointes à l’obligation des
trésoriers d’avoir un compte auprès de la banque
d’Angleterre, tendaient à réduire à néant les
activités de l’Echiquier. Le décès, en 1834, de Lord
Grenville, auditeur de la recette, fut l’occasion de
supprimer cet office ainsi que celui du Clerk of the
Pells. La caisse des deniers publics fut confiée à la
seule Banque d’Angleterre et le contrôle de sa
comptabilité à un Comptroller of the Exchequer. La
concentration se poursuivit : en 1848, les fonctions
25
des trésoriers généraux de la Navy, Ordnance,
Forces et du Chelsea Hospital fusionnèrent dans le
Paymaster-General. En 1848, ce dernier absorba
les activités du Paymaster of Civil Services et les
Paymasters of the Exchequer Bills. Ce Paymaster-
General devait soumettre, en fin de mois, une
déclaration des divers chapitres de ses comptes à
YAudit Commission. L’administration des recettes
fiscales fit aussi l’objet d’une réorganisation en
profondeur : en 1849, l’administration des recettes
fiscales ne relevait plus que de deux bureaux
d’impôts, le Board of Customs et le Board oflnland
Revenue qui avait absorbé les Taxes, Stamps et
Excise. En 1862, 11 commissaires avaient remplacé
les quelques 60 commissaires qui administraient les
recettes fiscales au début du siècle.
Tous ces efforts de rationalisation contribuèrent à
augmenter l’autorité du Trésor sur les dépenses des
ministères. Bien qu’à l’origine le pouvoir du
Treasury soit limité au mouvement des fonds, ses
commissaires étaient seuls en mesure d’informer le
Parlement sur l’adoption, par les ministères
financiers, des avis des commissions d’audit
financier. Le Trésor exerçait désormais un contrôle
effectif sur le budget des ministères dépensiers. Au
ternie de cette évolution, le First Lord of the
Treasury deviendrait le premier ministre, tandis que
le Chancellor of the Exchequer occuperait les
fonctions de ministre des finances. J.F.
Sources : Journal of the House of Commons
('consultables en ligne sur le site de la House of
Commons Parliamentary Papers). Reports from
Committees of the House of Commons, 1715-1801.
Printed but not inserted in the Journals of the
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checker-board”, dans Robert H. Parker et B.S.
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English State, 1558-1714, Manchester 1996. Brewer
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1996.Harriss G.L., « Fictitious loans », The
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Spécial Sériés, 18). Tomlinson H.C., «Financial
and administrative developments in England, 1660-
1688 », dans Jones, James Rees (éd.), The restored
monarchy, 1660-1688 (1979), p. 94-117. Ward
W.R., The English land tax in the eighteenth
centuiy, Oxford, 1953.
Application
Ternie général pour désigner la destination des
fonds. Pour garantir la régularité des paiements, les
autorités de tutelle avaient soin de prévoir cette
destination ou « application » des fonds dans les
états. Les règlements comptables du royaume de
Piémont-Savoie emploient plus volontiers le second
ternie. On lit ainsi dans les archives de l’Etat de
Turin l’ordre donné en 1786 à la Trésorerie de
Savoie de ne recevoir aucun paiement de la
direction des gabelles sans la présentation de
« l’application » prescrite par cette dernière. Du
respect de cet ordre dépendait la qualité de
l’enregistrement des quittances qui devaient
également porter sur des fonds précis. En rendant
son compte de 1785 par devant la chambre de
Turin, le Trésorier général de Savoie fit observer
dans le préambule du chapitre « Dépense » : « qu’il
ne peut se dispenser de les [les quittances]
employer en gros pour leurs sommes, sans les
appliquer séparément aux fonds sur lesquels elles
ont été tirées ». M.-L. L.
Voir Divertissement, Quittance
Sources : AST, Ufficio generale delle Finanze,
seconda Archiviazione, Corrispondenza, capo 57,
n° 99, lettre du général des finances, Cravanzana,
11 novembre 1786. AST, Caméra dei conti, Savoia,
inventario 16, registre 446, « Compte de la
trésorerie générale de Savoie pour l’année 1785 ».
Annualité budgétaire
Le budget* est un acte de prévision et
d’autorisation de recettes et de dépenses qui
s’inscrit dans la tradition des états* prévisionnels.
On ne trouve que des exceptions au caractère
annuel de cet acte juridique, ainsi d’après le
Nouveau dictionnaire d'économie politique de
1891, le budget fut décennal (voté pour 10 ans)
dans le royaume de Pays-Bas entre 1815 et 1830.
En 1796, Charles-François Lebrun pouvait donc
insister, dans une adresse au Conseil des Anciens,
sur le caractère évident de l’annualité budgétaire
par analogie à l’ordre naturel. L’annualité
budgétaire est « dans l’ordre de la nature, qui,
chaque année, ramène par ses reproductions, la
matière des dépenses publiques et particulières ».
L’assertion lui semblait même relever de
l’évidence : « Tous les peuples qui ont eu un
système raisonné d’administration ont renfermé
dans le cercle d’une année le cercle de leur recette
et de leur dépense ».
Mais en dépit de son évidence, l’ordre « naturel »
devait être inscrit dans l’ordre juridique pour
acquérir force obligatoire, tant sa signification est
différente concernant les recettes et les dépenses.
Ainsi, dans le prolongement des états* qui
donnaient un aperçu des recettes et des dépenses de
la monarchie, la Révolution établit juridiquement
l’annualité du document dans la constitution de
1791. Sur le volet recette, l’article 1er de son titre V
dispose que « les contributions publiques seront
délibérées et fixées chaque année par le coips
législatif et ne pourront subsister au-delà du dernier
jour de la session suivante, si elles n’ont pas été
expressément renouvelées ». Sur le volet dépense,
l’article 7 (section IV, chapitre 2, titre III) établit
que « les ministres sont tenus de présenter chaque
année au corps législatif l’aperçu des dépenses à
faire dans leur département et de rendre compte de
l’emploi des sommes qui y étaient destinées ». Une
fois instituée juridiquement, l’annualité budgétaire
devait être définie matériellement. Les états du roi
étaient établis selon le système de l’exercice* et les
budgets de la Révolution le furent selon le même
système qui allait se resserrer jusqu’à coïncider
avec l’année civile. A cette époque, les budgets
étaient dits spécialisés par exercice, comme en
témoigne l’ordonnance du 31 mai 1838 dont le §V
est intitulé « Spécialité* des crédits par exercice et
par chapitre ».
Des débats eurent lieu au cours de la session
parlementaire 1818-1819. Il s’agissait alors de
dépasser la stricte annualité pour aller vers
l’antériorité budgétaire, c’est-à-dire vers une vote
préalable des Chambres. L’incapacité de l’exécutif
à obtenir le vote de la loi de finances* avant
l’ouverture de l’exercice avait alors poussé à
envisager de décaler l’ouverture de l’exercice du 1er
janvier au 1er juillet, c’est-à-dire à la fin de la
session. Les sessions des Chambres ayant lieu du
mois de novembre au mois de juillet, on pouvait
espérer éviter les douzièmes provisoires (qui
correspondent à la mensualisation de l’autorisation
dans l’attente de l’autorisation) en décalant le vote
de la loi de finances* à la fin de la session. Ce
rapprochement était en outre pensé comme devant
faciliter l’évaluation des besoins et des ressources.
C’est le décret du 31 mai 1862 qui intègre au sein
du même article les recettes et les dépenses et
consacre l’annualité budgétaire dans ce qui
deviendra son sens contemporain. L’article 5
précise en effet : « le budget est l’acte par lequel
sont prévues et autorisées les recettes et les
dépenses annuelles de l’Etat ou des autres services
que les lois assujettissent aux mêmes règles ». S.K.
Voir Budget, Etat du roi, Exercice, Gestion, Loi de
finances
Sources : Lebrun C., Opinion sur la résolution du
30 fructidor, relative à la comptabilité de la
trésorerie nationale (8 vendémiaire an V-29
septembre 1796), dans Lebrun fils (1829).
Bibliographie: Antonetti G., « Mollien »,. in Les
ministres des Finances (2007), p. 309-349. Bottin
M. (2002). Magnet J. (1989).
Annualité comptable
La notion d’annualité comptable renvoie à deux
questions. La première touche à la périodicité des
comptes. Ces derniers sont annuels sans que cette
question ne pose de réel problème au-delà de la
détermination des dates extrêmes. Il ne s’agit que
d’une convention dont l’enjeu relève de
l’adéquation à l’annualité budgétaire*. Plus délicate
est la question du rattachement des mouvements
financiers. On peut décider de considérer
l’autorisation (de recette ou de dépense),
l’inscription est alors opérée selon la technique dite
de l’exercice de rattachement ou plus simplement
de l’exercice*. Dans ce cas, une écriture est passée
au titre de l’exercice d’où émane l’acte jurico-
financier. On peut tout aussi bien décider de
considérer la réalité du mouvement financier (de
recette ou de dépense), l’inscription est alors opérée
selon la technique dite de la gestion comptable ou
plus simplement de la gestion*. Dans ce cas,
l’écriture est passée au titre de l’année où a été
réalisé le mouvement financier. A. Bizaguet résume
les avantages respectifs de ces deux techniques :
« En deux mots, le système de l’exercice apparaît
plus logique, celui de la gestion plus commode ».
S.K.
Voir Annualité budgétaire, Exercice, Gestion
Bibliographie : Bizaguet A. (1959). Bottin M.
(2002). Devaux G. (1957).
Anticipation
Les anticipations sont une disposition des revenus
de l’Etat faite à l’avance par la négociation de
billets* ou effets* à un terme plus ou moins long.
Peuvent être considérées comme anticipations les
billets de trésorerie*, mais surtout les assignations*
sur les recettes des exercices à venir converties en
lettres de change*. Dans ce cas, l’anticipation est un
prêt à court ternie qu’un particulier accorde sur la
base de garanties de remboursement désignant
spécialement des recettes fiscales, directes ou
indirectes. L’anticipation est un mécanisme fondé
sur la difficulté du trésor* à recouvrer l’argent des
impôts. Dans la monarchie autrichienne par
exemple, l’essentiel des ressources provenait des
contributions votées et levées par les différents pays
constituant la monarchie. Les demandes du
gouvernement central étaient débattues en
27

assemblées. Cette longue procédure aboutissait au
vote de l’impôt et une fois ce dernier consenti, on
pouvait demander à un financier* une avance* à
court ternie sur un fonds particulier. Le taux de
l’intérêt, qui variait entre 5 et 6 % au XVIIIe siècle,
était généralement fixé dans le contrat
d’anticipation. Les Etats européens ont tous engagé
leurs revenus par anticipation, se rendant ainsi
dépendants des financiers capables de faire de telles
avances*. Parfois, les hommes d’affaires aguerris
proposaient d’eux-mêmes ce type d’opérations,
comme ce Joseph Boscey de Genève qui fit en 1759
la proposition suivante au Général des finances de
Turin : « si vous ne prenez pas le parti de
rembourser par anticipation, je vous réitère l’offre
qui seroit de recevoir icy toute la recepte de
Monsieur Delamare et vous en faire la remise par
lettre de change payable 15 jours après dans Turin,
du jour que j’auray reçu icy ces espèces, sans aucun
fraix pour les finances, de la même quantité de
Louis de Piémont que je recevray icy ». Son
bénéfice provenait de la variation des changes.
Comme le pense l’auteur français d’une « notte
explicative sur les anticipations » : « c’est peut-être
par l’esclavage dans lequel ils [les financiers] ont
tenu les ministres des finances que ces derniers
n’ont jamais osé entreprendre les réformes dont les
fermes, les régies et les recettes générales sont
susceptibles ». Ces avances constituaient une dette
à court terme et pouvait atteindre des sommes
considérables en période de guerre. En 1695 par
exemple, Samuel Oppenheimer avança 3,2 millions
de florins en anticipation des recettes de Basse-
Autriche, de Bohême, de Moravie, de Silésie et de
Styrie. Les recettes pouvaient ainsi être engagées
sur plusieurs années. En France, durant la guerre de
Sept-Ans (1756-1763), «les anticipations ont été
portées jusqu’au-delà de trois années, et
quelquefois même sans conserver ce qui était
nécessaire pour l’acquit des charges annuelles ».
Lors des années de conflits, les taux d’intérêt des
anticipations se négociaient autour de 10 %.
D’après la convention du 3 juillet 1704, les
trésoriers de la Marine percevaient 10 % d’intérêts
pour les fonds avancés au roi. Le chapitre de
dépenses intitulé « frais d’anticipations » dans le
compte du Trésor royal* de 1786 fait clairement
apparaître des taux d’intérêts parfois supérieurs à
10 % concédés à divers officiers de finances. Cette
année-là, la totalité des frais pour anticipations
atteignit 13 941 441 livres. Par son décret du 17
avril 1790, l’Assemblée nationale ordonna qu’il ne
soit plus fait aucun renouvellement d’anticipations.
La doctrine budgétaire de la première moitié du
XIXe siècle les condamne formellement. M.L. L.
Voir Assignation, Billet, Lettre de change,
Rescription, Traitant
Sources : AN, H 3229 (anticipations au temps de
Calonne) ; K 899, pièce 70, « Notte explicatives sur
28
les anticipations » ; K 885, « Rapport de la situation
des finances, janvier 1768, par M. de Laverdy,
controlleur général des finances », F4 1084 (compte
de 1786). HKA, Gedenkbuch 223/Bôhmen et
Gedenkbuch 436/Ôsterreich. AD de Savoie, C
1608, lettre du 12 juillet 1759.
Bibliographie : Bérenger J. (1975). Félix J. (1999).
Legay M.L. (2011).
Aperçu
Il s’agit d’un état qui présente la balance* des
recettes et des dépenses d’un territoire pour une
année. L’aperçu est quasi synonyme du ternie
« compte-rendu *». Comme le compte-rendu,
l’aperçu veut montrer les recettes et les dépenses se
rapportant à un seul exercice* d’une part, et couvrir
la totalité des revenus d’un territoire d’autre part.
Comme le compte-rendu, il a un caractère de
prévision. C’est du moins ce qui ressort du rapport
sur les finances présenté le 4 février 1755 par
Patrice-François de Neny, trésorier général, qui
tenta une telle évaluation pour la première fois. Cet
« apperçu de la recette et de la dépense qui ont pu
être évaluées d’avance et qui se trouvent expliquées
dans la colonne d’observations », est une sorte de
compilation de considérations générales sur les
dépenses à venir. Le plus souvent, l’aperçu est
dressé à partir des données connues pour les années
antérieures, que les Etats faiblement centralisés ont
du mal à rassembler. Car il ne s’agit pas de
présenter les seules recettes et dépenses du Trésor,
mais bien l’ensemble des opérations sur un
territoire domié, d’établir donc le « budget » de
l’Etat. D’où l’effort d’enquête et de recension
nécessaire pour parvenir à dresser un tel document.
Le président de la Chambre des comptes de Vienne,
Karl von Zinzendorf, signale à Joseph II en 1786
que ses services ont réussi « à tirer l’aperçu de la
recette et de la dépense des Pays-Bas autrichiens
pour l’année 1782 », les recettes et dépenses étant
rangées par rubriques* correspondant à celles du
grand livre* du centre d’une part, et le revenu brut
étant distingué du revenu net. Toutefois, pour
balancer correctement recettes et dépenses,
l’aperçu doit normalement partir du résultat des
comptes clos de l’exercice précédent. Rappelons
qu’à Vienne, à la suite de la formation du
Staatsinventar (1763), la Maison d’Autriche avait
réussi à établir une « balance générale des revenus
et dépenses par année » qui résultait du
rapprochement entre l’aperçu pour l’année
courante, qui tenait compte des arrérages de l’année
passée, et le résultat des recettes et dépenses
effectives. En France, l’aperçu le plus célèbre est
celui présenté par Loménie de Brienne en mars
1788. C’est un état de prévision des recettes (27
articles) et dépenses (37 articles) pour l’année
courante. Elaboré avec minutie par un bureau
composé d’un premier secrétaire et de 8 commis,
vérifié par quatre experts, il constitue une véritable
avancée par la qualité des informations recueillies.
S’il ne revêt pas tous les attributs d’un budget*,
l’aperçu, comme acte de prévision, est un jalon
dans le développement de la démarche budgétaire.
M.-L. L.
Voir Bilan, Budget, Compte-rendu
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf 185, f° 199
lettre de Starhemberg, 1782. AEE, Correspondance
politique, Autriche, 351, f3 480. Loménie de
Brienne E.C. de (1788).
Bibliographie: Braesch F. (1934). Bottin M. (1991).
Guéry A. (1978). Morineau M. (1980). Moureaux
P. (1970), p.292. Stourm R. (1885).
Apostille
Notes, remarques que l’auditeur* d’un compte
appose en marge de chaque article. Quand
l’auditeur* examine un compte et qu’il trouve les
parties* conformes aux états*, acquits*, quittances*
et pièces justificatives* que le comptable rapporte,
il met en regard des apostilles selon des termes
usités comme « recette admise », « passé »,
«alloué».... Voici des exemples d’apostilles
rédigées en marge des comptes d’octrois du
trésorier de la ville de Dijon au XVIIIe siècle :
« rayé faute d’emploi de pareille dépense dans les
comptes précédents » ; « tenu en souffrance faute
d’état détaillé des ouvrages faits » ; « partie rayée
vu l’état au vray arrêté à l’intendance et celui rendu
au bureau des finances où cette partie n’a pas été
comprise »; « défense de dépenses extraordinaires
sans procès-verbal ou devis ».
En droit administratif, l’apostille constitue plus
généralement une adjonction à un acte, portée en
marge, en bas ou à la fin d’un écrit. En ce sens, le
terme peut désigner le moyen par lequel un
administrateur passait ordre, comme le faisait un
intendant* lorsqu’il inscrivait une injonction à
payer, ce qu’on nommait un ordre de paiement, en
bas d’un état de dépenses. M.-L. L.
Voir Audition, Correction, Débat des comptes,
Jugement
Bibliographie : Durand A., « Les finances de Dijon
au XVIIIe siècle », Etudes et Documents V, Paris,
CHEFF, 1993, p. 109.
Appropriation
Procédure d’affectation ou d’assignation de
dépenses sur des recettes. En Angleterre, cette
procédure faisait l’objet d’un acte du Parlement de
Londres qui affectait tout ou portion des revenus de
certaines taxes ou emprunts au financement des
administrations dont les dépenses étaient votées
annuellement par le Parlement. L ’appropriation
avait pour but d’empêcher le souverain ou les
ministres d’utiliser le produit des diverses recettes
allouées par le Committee of Ways and Means à des
dépenses autres que celles qui avaient été autorisées
par le Committee of Supply. En 1798,
Y Appropriation Act introduisit pour la première fois
des votes spécifiques pour les salaires, les
fournitures militaires, la réparation des navires. J.F.
Voir Angleterre, Assignation
Apurement
Cette expression est usitée dans le cadre d’un
contrôle a posteriori des comptables publics*. Elle
est synonyme de vérification d’un compte à l’issue
de laquelle le comptable obtient une décharge
définitive de sa gestion*. En France, sous l’Ancien
régime, les comptes étaient soumis au régime
d’apurement juridictionnel. Le comptable mis en
débet* après le jugement de son compte devait
procéder à son apurement, c’est-à-dire faire lever
toutes les charges, souffrances* et indécisions* des
différentes parties* de ce compte, et en payer le
reliquat*. Pour y parvenir, il devait présenter à la
Chambre des comptes* une requête, qu’on
appelait requête d’apurement, en rapportant des
pièces servant à opérer les décharges. C’étaient
encore les auditeurs des comptes* qui examinaient
et faisaient le rapport sur ces requêtes au grand
bureau. L’arrêt rendu, la requête et les pièces
justificatives rapportées étaient mises dans la liasse
des acquits* du compte sur lequel l’apurement avait
été fait. Le contrôleur général des restes* de chaque
juridiction était tenu de poursuivre les comptables
jusqu’à l’entier apurement de leurs comptes et le
paiement des débets*. À noter cependant que
l’apurement des comptes ne déchargeait pas
entièrement le comptable. À cette fin, il devait
encore envoyer ses comptes à la correction*. N.P.
Source : Dictionnaire portatif (1763), t. 1, p. 108-
109. Dictionnaire de Trévoux (1771), t. 1, p. 444.
Encyclopédie méthodique, Jurisprudence, t. 3, p.
116-117.
Arithmétique politique
Voir Comptabilité nationale
Armée
Voir Trésorier général de la Guerre
Arnold, Karl Ivanovic (1775-1845)
Karl Arnold est né à Landeck le 7 février 1775.
Après avoir étudié les sciences camérales et
comptables à l’Université de Berlin, il décida de
quitter la Prusse* pour la Russie, où il poursuivit
toute sa carrière. Il séjourna d’abord à Riga, recruté
comme comptable chez le négociant Klein, puis
déménagea à Moscou en 1804. Là, il ouvrit de sa
propre initiative et avec le soutien de quelques
marchands locaux un pensionnat pour les jeunes
gens désireux de s’initier au métier de commerçant,
aux techniques comptables et aux langues
étrangères. L’établissement jouit de la bienveillance
29
du pouvoir, et en 1806 il fut transformé sur ordre du
tsar en Académie pratique de commerce. A l’instar
des Écoles impériales de commerce de Moscou et
de Saint-Pétersbourg, l’académie fut placée sous le
patronage du ministère des finances*. Enseignant et
directeur de l’académie, Arnold fut promu au rang
de conseiller titulaire. En 1809, il s’occupa de la
révision* des comptes de la Banque des assignats à
Moscou et pour cela il fut gratifié de la somme de
mille roubles-assignats. L’année suivante, il partit à
Saint-Pétersbourg, invité à entrer au service du
ministère des finances, où il devint successivement
comptable en chef et directeur du Département du
commerce extérieur. Il exerça également la fonction
de comptable à la chancellerie du palais impérial et
donna des cours de comptabilité au Corps des
cadets ingénieurs des Mines jusqu’à sa mise en
retraite en 1840. Il passa les trois dernières années
de sa vie en Finlande, à Friedrichsham, où il mourut
dans la pauvreté le 23 novembre 1845.
Arnold fut auteur de neuf ouvrages portant sur le
commerce, les finances et la comptabilité, parmi
lesquels « Kaufmannische Arithmetik » est le seul
qui est resté sous forme manuscrite, alors que la
plupart furent édités de 1804 à 1829, notamment
deux manuels de comptabilité commerciale, celui
écris en allemand Tcischenbuch fur Banquier und
Kaufleute (1804) et celui qu’il intitula Auto-manuel
de comptabilité édité en deux parties à Moscou en
1809. Deux ouvrages datés de 1814 et 1823
abordent le thème de la comptabilité publique. Il
faut en outre citer ses publications consacrées à la
question de la monnaie et du développement du
commerce en Russie* : Comparaison des cours et
du poids des monnaies étrangères et russe en
circulation (1811), Avis concernant le tarif
douanier russe (1816), Diverses informations sur le
développement du commerce extérieur russe
(1829).
Arnold a beaucoup contribué par ses ouvrages et
ses activités d’enseignement à la diffusion des
savoirs et des techniques comptables en Russie. Il
est une figure singulière parmi les premiers
théoriciens qui allaient marquer l’émergence de la
science comptable russe. En effet, dans ses
ouvrages qui montrent que l’auteur s’est inspiré de
la pensée comptable occidentale, il s’attache à
exposer les aspects théoriques et pratiques du
fonctionnement de la comptabilité en partie
double*. En considérant la comptabilité comme
« une science importante et utile mais jusqu’ici trop
souvent négligée », Arnold propose la définition
des principaux termes qui lui sont propres, comme
le compte*, la partie double*, la balance*, le bilan*,
établit une classification des comptes en distinguant
les comptes personnels (des correspondants) et les
comptes impersonnels (de capitaux, de
marchandises, de caisse, de pertes et bénéfices). Sa
démonstration du rapport entre les comptes
30
s’appuie en même temps sur le principe de
personnification et des formules algébriques.
Arnold fut partisan de l’idée d’adapter la méthode
de la partie double* au maniement des deniers de
l’État. Cette question est principalement développée
dans deux de ses écrits: Essai sur la comptabilité
publique (1814) et Système de la comptabilité
publique (1823). D’ailleurs, il les rédigea au
moment même où le ministre des finances, le comte
D. A. Gur’ev, tentait une série de mesures pour
assainir la situation critique des finances de la
monarchie. Dans le second ouvrage (1823) qui est
plus détaillé sur le sujet, l’auteur exprime les
avantages de la partie double* pour la comptabilité
des finances en ces termes : « Puisque les sources
de revenus de l’État sont nombreuses, la méthode
de la partie double devient encore plus utile pour les
finances publiques que dans le commerce. Alors
que le commerçant doit tenir les comptes pour
pouvoir se rendre compte à soi-même et bien
connaître ses affaires, tout fonctionnaire, qu’il
s’agisse du ministre ou d’un simple commis, doit en
revanche rendre compte du maniement des deniers
publics devant une autorité supérieure [...] Ce qui
s’est passé avec les commissions chargées
d’examiner les comptes de l’administration,
lesquelles pouvaient durer longtemps, montre que
le système comptable est en état imparfait. Si la
partie double est introduite dans la gestion des
finances, le pouvoir serait en mesure de suivre
étroitement l’état de la trésorerie [...] On y trouve
un moyen plus commode de vérifier l’exactitude
des comptes et de découvrir des erreurs et des
fraudes qui ont été commises».
Suite à ces considérations, Arnold préconise une
réforme générale de la comptabilité de l’État visant
à imposer la partie double* dans toutes les branches
de l’administration. À cet effet, il énumère les
principaux documents comptables qu’il aurait été
nécessaire de tenir dans la trésorerie impériale en
précisant leur utilisation. Ainsi, sont mentionnés le
registre-journal* en ce sens où il est destiné à
enregistrer au jour le jour les opérations
d’encaissement et de paiement en indiquant les
dates, les montants et les pièces justificatives; le
journal général sur lequel sont inscrites les recettes
prévues au budget et les recettes effectives perçues,
d’une part, les dépenses ordonnancées et les
dépenses effectuées, d’autre part; le grand-livre*,
tenu en débit et en crédit, qui contient l'ensemble
des comptes ouverts aux divers receveurs et aux
catégories de dépenses et de recettes; le livre de
comptes qui recense les mouvements des fonds
entre les trésoreries; le livre de caisse*. La
vérification* de l’ensemble de ces écritures
comptables en fin d’exercice devrait permettre
d’établir des états de comptes généraux afin
d’apprécier la situation des finances de l’État de
l’année écoulée. N.P.
Sources: Arnold K. (1804, 1809, 1814 et 1823).
Bibliographie : Galagan A.M. (1927). Glebov I.,
Ivan D., Istorija Moskovskoj prakticeskoj akademii
kommerceskih nauk, Moscou, 1860. Histoire de
l’Académie pratique de science commerciale à
Moscou (1860). Medvedev M.Y., Nazarov D. V.
(2007). Sokolov J. V. (1996). Vengerov S.A., t. 1,
p. 750-751.
Arrangement de finances
Opération de rapprochement, de mise en regard des
dépenses et des recettes de l’Etat en vue de répartir
les fonds entre les départements. Pour préparer les
opérations de l’année à venir, une liste des recettes,
par branches de revenus, et une liste des dépenses
étaient dressées. La liste des dépenses résultait d’un
travail préparatoire de compilation de projets qui
commençait dès le mois d’octobre. Les secrétaires
d’Etat faisaient des propositions en rendant compte
au Conseil des motifs des demandes qu’ils
justifiaient. On présentait donc les projets de
constructions, d’armements, d’aménagements... un
ou deux mois avant le début de l’exercice. Toute
une chaîne administrative depuis la province
jusqu’à Versailles pouvait être mobilisée pour
confectionner les projets de fonds. Ces projets de
fonds par trésoriers étaiênt mis en regard avec les
recettes attendues des différentes branches de
revenus de la monarchie. Le Conseil du roi
arrangeait les finances en établissant les états du
roi* et les états de fonds* pour l’année à venir. M.-
L. L.
Voir Budget, Etat de fonds, Etat du roi
Arrêté de compte
Dans la procédure de reddition* des comptes,
l’arrêté vient après l’audition*. Le juriste Guyot le
définit comme « l’acte qui règle ce qu’une partie
doit à une autre après la liquidation des prétentions
respectives de l’une contre l’autre ». L’arrêté est à
la fois le constat du résultat comptable et l’écrit que
l’auditeur* rédige au bas d’un compte après en
avoir assis l’état final*. D’après l’ordonnance civile
d’avril 1667, le compte est clos et arrêté «jusqu’à
ce qu’ils [les comptables] ayent payé le reliquat* et
remis toutes les pièces justificatives ». M.-L. L.
Voir Clôture, Reliquat
Sources : Guyot J.P. et Merlin P.A., vol. 1, (1775),
«Arrêté». Jousse D. (1757), titre XXIX «De la
reddition des comptes », p. 463.
Article
« Se dit d'une partie d'un chapitre* de compte ; la
recette d'un compte se divise en plusieurs chapitres,
et chaque chapitre en plusieurs articles ».
L’acception n’a guère changé depuis cet énoncé de
1727.
Sources : Dictionnaire des finances (1727).
Assemblée
Voir Etats provinciaux
Assignation
Ce terme désigne à la fois l’opération qui assigne,
distribue, les charges sur différents postes de
recettes et différentes caisses*, et le billet à
échéance qui résulte de cette opération. La pratique
de l’assignation caractérise la gestion ancienne dans
tous les Etats européens, même si les ternies pour la
désigner varient. La lettre de décharge* recouvre
sensiblement la même réalité. Cette lettre permet à
celui qui la possède de se faire payer chez le
receveur particulier qui en a reçu l'ordre. Ce
receveur en tient compte dans sa comptabilité par
un chapitre de la dépense intitulé « dépense par
lettre de décharge ». Dans les territoires espagnols,
le terme usité est libranza, le mot asignacion étant
beaucoup plus rarement employé. Il est vrai que la
pratique de l’assignation autoritaire de charges sur
des caisses locales suppose une administration
centralisée.
Avant la généralisation du système bancaire et du
papier-monnaie, la rareté des espèces n’incitait
guère les administrations centrales à concentrer le
numéraire dans la capitale. Outre que l’Etat y
perdait le coût du transport, il lui importait de
laisser le métal là où il se trouvait pour vivifier le
commerce local et pourvoir aux dépenses dans les
provinces. On dressait donc un état* pour chaque
comptable*, état qui faisait apparaître les recettes
attendues d’une part et en dépenses, les charges
assignées. En France par exemple, le compte du
taillon ou ordinaire des guerres mentionnait les
recettes de tous les pays d’Etats et pays d’élections
et en dépenses, les gages des différents corps
rattachés à l’ordinaire comme la gendarmerie ou les
commissaires des guerres d’une part, mais aussi des
assignations au profit d’autres trésoriers, dont le
trésorier de la maréchaussée et le Trésor royal. On
établissait bien sûr le compte général pour le
trésorier général* du taillon, mais aussi des états
secondaires pour chaque receveur dans les
provinces.
On procédait de même avec les impôts qui n’étaient
pas administrés directement par l’administration
royale, soit qu’ils étaient donnés à ferme, soit qu’ils
relevaient d’une administration provinciale. Pour
les assignations sur les impositions des Etats
provinciaux de l’Artois par exemple, les opérations
se déroulaient dans cet ordre : 1) on fixait le
montant des impôts dus au roi pour la province ; 2)
l’intendant* dressait l’état des assignations qu’il
proposait de donner sur ces impôts, pour dettes
privilégiées à acquitter dans la province ; 3) il
dressait par ailleurs un état supplémentaire pour les
dépenses engagées sur ordonnance, pour les
fourrages, les travaux... ; 4) l’intendant adressait
ces listes au contrôleur général* et à l’intendant de
31
finances* qui devait procurer les arrêts s’y
rapportant ; 5) il adressait également cette liste des
assignations à l’assemblée des États. Ceux-ci
déléguaient à la cour un député chargé de traiter
directement avec les bureaux de l’intendant de
finances à Paris. Précisons néanmoins que dans les
Etats faiblement centralisés, la procédure de
l’assignation sur des recettes gérées de façon
autonome par des assemblées était beaucoup moins
aboutie. Dans les Pays-Bas* septentrionaux par
exemple, les recettes des Etats provinciaux étaient
grevées de charges, nommées validations*,
ordonnées par l’assemblée, et non par le pouvoir
central.
Sur le plan comptable, la pratique de l’assignation
eut de lourdes incidences : elle grevait les recettes
des monarchies à la source et limitait la
disponibilité des fonds. Dans le royaume de Naples
par exemple, la caisse militaire*, créée en 1612, a
du supporter de plus en plus de charges qui
n’étaient pas forcément liées à la défense, et
notamment les dépenses fastueuses du vice-roi. De
plus, en période de guerre, les gouvernements
délivraient des assignations sur plusieurs exercices,
anticipant de quelques années les recettes fiscales.
La pratique de l’assignation entretenait donc un
cercle vicieux de gestion : l’indisponibilité des
fonds engageait les monarques à recourir à
l’emprunt ; le service de ces emprunts était assigné
à son tour sur les recettes diverses et aliénait encore
davantage les impôts. En Autriche*, les recettes des
administrations particulières des Etats héréditaires
étaient si chargées de dettes que le chancelier
Haugwitz, lorsqu’il centralisa l’entretien des
troupes (1748), décida, pour être sûr de recevoir le
produit des impositions levées par ces
administrations et éviter qu’elles défalquent les
intérêts de leurs avances, de prendre en charge le
service de ces emprunts. Cependant, aucun Etat
européen ne réussit à soustraire sa trésorerie du
système vicieux de l’assignation anticipée des
charges sur les recettes. Si Colbert*, en France,
prenait la précaution « d’assigner à chaque partie de
dépense un fonds assuré », il semble bien que ses
successeurs n’aient plus suivi cette précaution,
particulièrement au XVIIIe siècle.
En outre, le fractionnement du budget en autant
d’états de recettes et dépenses rendait difficile
l’appréciation de la situation de trésorerie. Dans la
principauté de Nassau-Saarbrücken, Guillaume-
Henri ordonna par décret du 16 février 1762 que
les appointements, grâces annuelles et pensions ne
soient plus assignés sur les recettes sans son
contreseing ou celui du président du gouvernement.
Il révélait par là l’état de confusion dans lequel se
trouvaient les caisses publiques. A Venise*, le
gouvernement assignait de même ses dépenses sur
de multiples casse qui tenaient des comptes séparés.
Les charges assignées sur les différentes recettes ne
figuraient pas en dépenses dans les comptes des
32
caisses centrales, celles-ci ne recevant que le
surplus ou revenant-bon*. Cette méconnaissance de
la disponibilité des fonds engageait les souverains
à solliciter davantage encore banquiers et
financiers.
Les assignations constituaient des titres
négociables. En anticipant sur les recettes des
exercices à venir, les gouvernements diffusaient une
masse de billets* que les porteurs négociaient
contre du numéraire. Pour faire face à la crise de
trésorerie, le ministre Loménie de Brienne sollicita
par exemple de l’homme d’affaires Joseph-
François-Xavier Depestre de Seneffe un service de
30 millions par le traité signé le 30 octobre 1787.
Seneffe reçut pour ce service des assignations sur
les domaines* à un an d’échéance qu’il déposa dans
plusieurs maisons de Hollande (Osy, Cohen,
Molière) et des Pays-Bas* (Cogels à Anvers et
Annéet à Bruxelles). Une masse d’anticipations
trop importante provoquait naturellement le
discrédit, mais ce type de billets*, adossés aux
recettes fiscales, restait très prisé du public, d’autant
qu’en cas de diminution de leur valeur marchande,
le roi les renouvelait : il réassignait le paiement des
engagements pris sur telle ou telle caisse, après le
terme échu de la première assignation. M.-L.L.
Sources : AN, P 5859 (compte de taillon) ; AD du
Pas-de-Calais, Arras, 2C 244, lettre du député
ordinaire, 10 juillet 1715 ; AAE, Correspondance
politique, Autriche, 243, f3 156; AN, H1 1454,
pièce 212, lettre de Seneffe, 24 novembre 1789.
Serpaud (1787), p. 9.
Bibliographie : Witteveen-Robert D. (1970).
Audiffret, Charles Louis Gaston (1787-
1878)
Le marquis d’Audiffret est le concepteur, sous la
Restauration, de la comptabilité publique moderne.
Sur les traces des grands financiers de l’Ancien
régime et de la Révolution, il tente de modérer les
excès des ordonnateurs* en introduisant dans les
comptes de l’État « l’ordre et la lumière ».
Établissement de l’exercice* qui pennet de réaliser
l’annualité des crédits*, généralisation de la
comptabilité en partie double* au sein de
l’administration des finances, établissement de
comptes des ministres afin de concourir au
caractère limitatif des crédits, mise en place de
l’universalité* budgétaire, établissement de la loi de
règlement, affirmation de la place de la Cour des
comptes* dans l’organisation administrative en sont
autant de témoignages.
Alors que la famille paternelle d’Audiffret sert
l’armée du roi —son père était capitaine de
régiment du Roi-cavalerie— sa famille maternelle
disposait d’offices de finances. C’est au réseau de
son grand-père maternel qu’il doit la protection du
comte Mollien*. Ce dernier pennet au jeune
Audiffret, dont la famille est ruinée par la
Révolution, d’entrer comme commis surnuméraire
à la caisse d’amortissement en novembre 1805. Il
profite logiquement de l’appui des ministres
successifs du fait de son réseau et de la qualité de
son travail. Le 12 juin 1814, Louis, ministre des
finances, nomme Audiffret alors âgé de 26 ans
« directeur des écritures de la comptabilité
générale ». Il conserva ce poste durant quinze ans et
put donc établir le « système financier » de l’État
entouré d’un réseau d’administrateurs fidèles tels
que Victor Alexandre Masson*. Il servira différents
ministres, mais sera particulièrement efficace au
cours du ministère de Villèle*. Ce dernier
encouragea la profonde réforme de la comptabilité à
laquelle aspirait Audiffret. Trois textes marquent
l’ordre juridico-financier et façonnent le « système
financier de la France»: les ordonnances du 14
septembre 1822, 10 décembre 1823 et 29 juillet
1826. Devenu conseiller d’État en 1828, il accède à
la Cour des comptes* l’année suivante. Le 29
octobre 1829, Chabrol a succédé à Roy et maintient
la nomination d’Audiffret à la présidence de la
seconde Chambre, spécialisée dans les dépenses.
Audiffret ne parvient pas à prendre la place de
Barbé Marbois à la première présidence, mais se
trouve alors en position de vérifier l’application
effective de ses réformes comptables. Il rédige
ensuite tous les rapports annuels de la Cour jusqu’à
son départ. Le changement de régime consécutif
aux Trois Glorieuses de 1830 prive Audiffret,
légitimiste convaincu, de l’appui de Charles X. Il ne
peut donc profiter du départ à la retraite du
« Premier », la fonction étant confiée à Barthe en
avril 1834. Audiffret est fait pair de France par
ordonnance du 3 octobre 1837 (après avoir refrisé 2
fois cet honneur) en même temps que le procureur
général et les autres présidents de Chambres. Il
devient le rapporteur général du budget* pour les
exercices suivants. Michel Bruguière note à ce
propos : « Il est presque comique de voir se
multiplier la plume d’Audiffret, rédigeant comme
rapporteur ou président d’une commission
administrative un projet d’amélioration, félicitant
ensuite, dans le rapport de la Cour des comptes, le
gouvernement d’avoir introduit ce nouveau progrès,
se réjouissant enfin, dans son rapport sur le budget*
soumis à la Chambre des pairs, de la cohérence
générale et imposante du système financier
français ». Devenu incontournable, Audiffret
participe à la commission qui rédige le véritable
« code financier » que représentent l’ordonnance du
31 mai 1838 et ses 695 articles. Il assume aussi la
présidence de la commission qui poursuit dans cette
direction avec le décret du 31 mai 1862 et ses 883
articles. Le système financier de la France se
trouvait alors durablement marqué par l’empreinte
de l’homme qui l’avait pensé. A 73 ans, retraité de
l’administration, Audiffret se voit confier la
présidence du conseil de la Société générale du
crédit industriel, qui deviendra le Crédit industriel
et commercial. S.K.
Sources : Audiffret G. (1839) et (1863).
Bibliographie : Bruguière M. et Goutal-Amal V.,
(2002). Bruguière M. (1991), p. 253-262.
Auditeur des comptes
C’est un examinateur et rapporteur des comptes
dans le cadre d’un contrôle juridictionnel de la
gestion des comptables publics. En France, sous
l’Ancien régime, les auditeurs des comptes étaient
des officiers* appartenant au corps des Chambres
des comptes* du royaume. Il ne s’agissait pourtant
à l’origine que de simples clercs du roi ou de clercs
d’en bas, qu’on appelait ainsi parce qu’ils se
réunissaient pour l’examen des comptes dans les
bureaux placés au-dessous de celui des maîtres des
comptes*. Louis XII les qualifia du nom d’auditeur
dans son édit du mois de décembre 1511. Henri II
leur donna le titre de conseillers du roi en février
1551. Il y eut des créations d’offices d’auditeur en
1551, 1572, 1587, 1597, 1636, 1690 et 1704 pour
répondre aux besoins d’argent du roi ainsi
qu’organiser plus efficacement le travail de contrôle
des comptes de la juridiction. C’est ainsi que le
nombre d’auditeurs employés à la Chambre des
comptes de Paris passa de trente-deux en 1551 à
quatre-vingt deux à la veille de la Révolution ; on
décida de les répartir en deux équipes travaillant
chacune un semestre de l’année. Le prix des
charges d’auditeur connut une hausse constante dès
la fin du XVIe siècle, avant d’être fixé à 45 000
livres par l’édit de décembre 1665. Les postulants
ne pouvaient être reçus à la Chambre qu’à condition
de payer la « finance » de l’office et qu’après avoir
été soumis à une information menée par le corps
pour s’assurer sur leurs bonnes vies et mœurs et à
un examen visant à vérifier leurs compétences en
matière de droit et des finances. On n’admettait ni
les anciens comptables, ni les gens qui avaient des
alliances avec les traitants* (ordonnance 15 octobre
1584, édit 16 septembre 1627, ordonnance
d’octobre 1684). La limite d’âge fut d’abord fixée à
27 ans puis abaissée à 25 ans en 1669 ; mais, en
réalité, des dispenses étaient fréquemment
accordées par les lettres du roi.
La distribution des comptes à examiner par les
auditeurs était effectuée par les présidents et les
maîtres* de la Chambre au commencement de
chaque semestre. L’auditeur allait récupérer le
compte et le sac contenant les acquits* au Parquet,
où il signait le registre des présentations ; après
quoi, il se retirait dans son bureau pour faire la
vérification. Son premier souci était alors de
s’assurer que le comptable avait établi son compte
en bonne forme et en temps voulu ; dans la
négative, une amende était infligée aux
retardataires. Il confrontait ensuite le compte
d’abord avec l’état au vrai* pour retrouver les
33
articles correspondants et les doubles emplois*,
puis avec le compte antérieur pour voir si aucune
partie de recette n’avait été omise et si aucune
nouvelle dépense ne fut introduite sans autorisation.
Enfin, il contrôlait les écritures du compte sur la
base des pièces justificatives* produites à son
appui. Au fur et à mesure, il inscrivait en marge des
apostilles* signalant tous les points litigieux ou
irrégularités constatés dans le compte, sur lesquels
les maîtres des comptes auraient ensuite à se
pencher. S’il trouvait la recette assignée sur
d’autres comptables, une note invitait le correcteur*
à se reporter au compte de ce dernier pour voir s’il
en faisait bien recette.
Grâce à cet examen approfondi préalable, la
Chambre des comptes possédait ainsi des éléments
d’informations nécessaires pour procéder au
jugement* du compte et déterminer avec certitude
la situation d’un comptable envers le roi. En fin
d’examen, l’auditeur indiquait les dates de
l’audition et venait faire le rapport au bureau. Ils
participaient au jugement des comptes avec voix
délibérative et dressaient en conséquence un état
final*. Si l’examen du compte n’était pas achevé à
l’expiration du semestre, l’instruction de l’auditeur
était prolongée pour le semestre suivant ; l’édit de
1598 stipula qu’il ne recevrait pas de nouveaux
comptes à auditionner avant d’avoir rendu ceux
dont il était déjà en charge. En même temps, il ne
pouvait pas vérifier deux comptes consécutifs d’un
même comptable. Il fut prescrit que les auditeurs du
semestre de janvier ne pouvaient pas rapporter que
les comptes des années paires, ceux du semestre de
juillet que les comptes des années impaires. Mais,
pour éviter les retards dans la vérification et le
jugement des comptes, cette disposition fut
abandonnée en 1716. Les auditeurs étaient aussi les
rapporteurs sur les requêtes d’apurement*, lorsqu’il
fallait examiner les pièces rapportées par les
comptables pour le rétablissement des parties
rayées et tenues en souffrance* et la décharge
définitive de leur maniement. Outre leurs missions
de contrôle des comptes, ils avaient la garde du
dépôt des fiefs, où étaient admis en vertu des arrêts
de la Chambre les déclarations sur les foi et
hommages rendus au roi, aveux et dénombrements,
serments de fidélité et les déclarations du temporel
des archevêchés, évêchés et abbayes. Une partie des
archives de ce dépôt fut détruite par l’incendie
survenu le 27 octobre 1737.
En Angleterre à l’époque moderne, la procédure
d’audition s’effectuait par l’examen des pièces
justificatives (vouchers) au sein de l’Echiquier*.
Cet audit administratif était confié à plusieurs
auditeurs. Trois Auditors of the Land Revenue se
chargeaient des comptes des recettes fiscales,
justifiées par les tallies, pour les remises de fonds
au Trésor, par les mandats* pour les paiements
ordonnés sur leurs recettes, et enfin par les
quittances* justifiant du paiement. Deux Auditors
34
of the Imprests, c'est-à-dire des sommes d’argent
remises à des comptables pour effectuer des
payements pour le compte du gouvernement,
s’occupaient surtout des comptes des trésoriers des
ministères. L’Auditor of the Receipt préparait des
Imprest Certifiâtes, correspondant aux fonds remis
par la caisse de l’Echiquier. Le comptable justifiait
de l’usage de l’argent qui lui avait été confié en
représentant mandats et quittances. Pour des raisons
historiques, les Auditors of the Imprests avaient
aussi l’audit des comptes du receveur général des
douanes*. Enfin, jusqu’en 1783, un Auditor of
America s’occupait de la comptabilité coloniale. A
l’issue de l’audit, les comptes faisaient l’objet de
diverses procédures, en conformité avec Y ancient
course of the Exchecjuer. Il définissait l’ensemble
des formalités archaïques, souvent très lourdes, telle
que copies et enregistrements d’extraits* de
comptes, qui variaient selon la nature les comptes,
qui demeuraient indispensables pour aboutir à la
délivrance du quitus*. Ainsi, la procédure de
déclaration des comptes de la Land Tax, qui faisait
immédiatement suite à l’audit, exigeait que
l’auditeur lise à haute voix le compte et que le
Cursitor Baron transcrive ces informations sur
parchemin, dans une graphie latine très particulière
et en chiffres romains. Evoquée régulièrement
depuis le XVIe siècle, la réforme de Yancient
course fut différée jusqu’en 1780 car les officiers
de l’Echiquier tiraient de larges profits du maintien
de ces procédures médiévales qui avaient en outre
force de loi. N.P.
Voir Chambres des comptes
Sources : Ordonnances, édits, déclarations...
(1728). BN, collection Clément de Boissy, Ms. Fr.
7698-7701: Recueil formé par de Loffroy sur les
matières qui se traitent en la Chambre des comptes;
11000-11002: fonctions, droits et privilèges des
auditeurs des comptes, leurs contestations avec les
maîtres des comptes ; 14068 : « Livre instructif
pour les finances et les comptes rendus à la
Chambre des comptes, nécessaire à un officier de
cette cour», Ms, 154 p., XVIIe s.; 14069:
« Fonnulaire de la fonction qui doivent observer les
maîtres, correcteurs et auditeurs de la Chambre des
comptes », Ms, 75., XVIIe s.
Bibliographie: Jassemin H. (1933). La Cour des
Comptes (1984). Platonova N. in Contrôler les
finances sous l'Ancien régime, à paraître.
Audition
Dans une acceptation plus large, ce terme s’emploie
comme synonyme d’examen, de vérification, de
révision* des comptes. De façon plus étroite, il
désigne une phase de la procédure de contrôle qui
consiste en une vérification préalable d’un compte,
avant le jugement*, en vue de s’assurer que les
recettes et les dépenses étaient correctement
effectuées et enregistrées. Elle consiste à apprécier
la conformité et la régularité du compte présenté
par le rapprochement avec les pièces justificatives
venant à son appui.
En procédant à cet examen, l’auditeur* va en
premier lieu vérifier que toutes les pièces ont été
produites et que le compte est de bonne forme. En
second lieu, il s’attache à apprécier la conformité
des pièces à la nature des opérations enregistrées.
En ce qui concerne la recette, il s’agit de s’assurer
si le comptable n’a omis aucune partie de recettes et
qu’il a passé dans ses écritures la totalité des
recettes perçues. À cet effet, le comptable doit
apporter, pour se justifier des versements qu’il a
fait, les titres de créances ou de recouvrement. En
examinant la dépense, l’auditeur a le soin de
vérifier si les opérations de paiement sont dûment
justifiées et que les montants indiqués sont exacts.
Pour cela, il se reporte aux états, ordonnances et
mandats qui ont été transmis au comptable au cours
de l’exercice et vérifie notamment que ces dépenses
ont été réalisées selon la destination prévue. Au
final, si les opérations de recettes et de dépenses ont
été convenablement effectuées et comptabilisées,
l’audition est amenée à constater la concordance
entre les écritures du compte et les pièces jointes.
Les enregistrements comptables qui ne sont pas
appuyés par une pièce appropriée sont rejetés ; le
comptable est tenu de produire des justifications ou
explications complémentaires.
À la fin de son contrôle, l’auditeur rédige un
rapport dans lequel il formule ses observations et
signale les irrégularités relevées dans le compte.
Sur la base de ces observations, l’institution
supérieure de contrôle pourra statuer sur la situation
du comptable à l’égard du Trésor. Elle le déclarera
quitte, en avance ou en débet, et dans ce dernier cas,
le condamnera à s’acquitter des sommes mises à sa
charge. Le comptable public* est reconnu
personnellement et pécuniairement responsable des
faits de sa gestion. L’auditeur assiste aux séances
de l’instance pendant le jugement du compte dont il
a réalisé le contrôle. N. P.
Audition des comptes (Jointe pour I’)
Dans les territoires sous la domination des
Habsbourg de Vienne, la jointe est une commission
ad hoc chargée de superviser une politique à
caractère technique. Elle se superpose aux instances
locales pour moderniser l’administration du
territoire sur lequel elle s’établit. La Jointe pour
l’audition* des comptes fut créée dans les Pays-Bas
en 1749. Avant cette date, le gouvernement de
Bruxelles inspectait les administrations locales
(villes et Etats provinciaux*) en envoyant en
mission des commissaires* itinérants, anciennes
institutions déjà utilisées au temps des ducs de
Bourgogne. Ces tournées (ou visites*) se
multiplièrent, mais restèrent toutefois très
irrégulières. Au lendemain de la guerre., de
Succession d’Autriche (1740-1748), le contrôle des
comptes des administrations particulières, dont les
dettes atteignaient un montant inégalé jusque là,
devint une préoccupation essentielle. Le
gouvernement de Bruxelles tenta donc de
régulariser les missions d’audition* par les décrets
du 27 septembre 1749 organisant la jointe pour
l’audition des comptes. Son activité, très
dépendante de l’engagement personnel de ses
administrateurs, se développa. Rebaptisée «jointe
des administrations et des affaires des subsides » au
lendemain de la guerre de Sept Ans (1756-1763),
cette instance de contrôle poursuivit son œuvre. La
mission des commissaires à l’audition des comptes
de cette « Jointe des administrations » fut
clairement définie : « on entend par auditeurs des
comptes, les commissaires de Sa Majesté délégués
spécialement par le gouvernement dans les
administrations principales et dans les autres, les
oficiers qui ont cette attribution par leur charge ».
Ils devaient veiller « aux opérations des
administrateurs, s’ils les trouvent conformes à la
législation ou s’ils les trouvent contraires au bien de
la chose publicque ». Les instructions confiées à ces
commissaires* étaient précises. Pour la partie
« recettes » du compte, ils devaient d’abord vérifier
le renseignement de la clôture* du compte
précédent, la répartition et la levée des impositions,
« si la justice distributive est observée dans la sous-
répartition », vérifier les octrois, leur date
d’expiration, « si leur perception n’est pas nuisible
à l’agriculture ou au commerce », les conditions
d’adjudication... Pour la partie «dépenses» du
compte, les commissaires* devaient vérifier les
quittances*, et particulièrement « si la masse de ces
quittances avec ce qui s’est passé pour les
validations en prestations militaires forme la quote
de l’année telle qu’elle est fixée par l’envoi tant
pour le subside ordinaire que pour l’entretien de la
Cour ». L’auditeur* devait donc contrôler la valeur
des quittances* et leur conformité aux décisions
prises par le gouvernement. Enfin, le contrôle des
rentes* permettait à l’auditeur* de se rendre
compte du niveau d’endettement de
l’administration. Il devait amener celle-ci à réduire
ses dépenses et amortir ses dettes : l’objectif
demeurait de dégager les recettes des prélèvements
à la source, de ces arriérés qui dataient parfois de la
souveraineté espagnole, et d’établir pour ce faire un
bilan* de toutes les créances et engagements. M.-L.
L.
Voir Pays-Bas
Sources: AGR, JAAS, 126, Instructions données
aux commissaires, vers 1773.
Biliographie : Lenders P., (1983).
Autriche
La constitution financière
Les Etats de la Maison d’Autriche forment un
ensemble complexe de territoires sous la
35
souveraineté des Habsbourg. Outre les Etats
héréditaires (Haute et Basse Autriche, duchés de
Styrie, de Carinthie, de Camiole, le comté de
Tyrol...), cette Maison comprenait la Moravie, la
Silésie, les royaumes de Hongrie, de Bohême, une
partie de la Transylvanie et, au XVIIIe siècle, les
Pays-Bas et le duché de Milan. De plus, à partir de
Ferdinand Ier, le roi de Bohême revêt la dignité
d’empereur du Saint-Empire romain germanique.
L’empereur n’est pas empereur en Autriche, mais
dans le Saint-Empire; en même temps, il est chef de
la Maison d’Autriche et souverain des différents
royaumes selon le droit propre à chacun d’eux. On
parlait au XVIIe siècle des « Etats personnels de
l’empereur». Ces Etats formaient un système
politique de gouvernement, mais pas encore
exactement ce qu’on nomme un Etat avec pleine
souveraineté sur les territoires concernés. Dans les
territoires héréditaires hérités de Charles Quint,
l’administration était mixte : on trouvait d’un côté
les antennes régionales du gouvernement, le
gouverneur notamment, et de l’autre,
l’administration des Etats chargée de l’assiette et du
recouvrement des impôts et disposant de leurs
propres caisses* et trésoriers*. Ce dualisme
institutionnel entre le « souverain » et les Etats se
traduit dans l’administration financière par la
distinction entre les recettes régaliennes et les
recettes « contributives ». Dans les premières
entraient les revenus du domaine*, des mines, de
l’exploitation et de la vente du sel qui étaient
monopole de l’Etat, les revenus de l’impôt du tabac
et d’autres impôts sur la consommation, les revenus
des douanes*. Ces recettes « ordinaires »
permettaient de couvrir les dépenses civiles. Les
recettes dites « de contribution » consistaient en un
impôt direct foncier et immobilier pour l’essentiel,
consenti, réparti et levé par les assemblées
provinciales. Elles couvraient les dépenses
militaires. Dans leurs ressorts respectifs, les Etats
provinciaux activaient donc toute une
administration financière autonome vis-à-vis du
pouvoir central. Seules les recettes camérales
dépendaient de l’administration viennoise. Celle-ci
était chapotée par la chambre aulique (Hofkammer)
dont l’autorité s’étendait sur la trésorerie générale
de la cour (General-Hof-Zahlamt), tandis que la
trésorerie* générale de la guerre {Général-Kriegs-
Zahlamt) dépendait de la chancellerie. La
nature duale de cette administration explique la
formation de deux bureaux* distincts d’examens
des comptes : la comptabilité aulique et la
comptabilité de guerre.
Les livres de comptes au XVIe siècle
Par l’instruction de 1514, Maximilien Ier nomma
un teneur de livres chargé de former un registre à
partir des bordereaux* de recettes et dépenses
transmis par les receveurs et trésoriers des Etats de
l’Empire {Zahlmeistern, Pfennigmeistern,
36
Zah/schreibern...). En outre, ce comptable devait
former des registres particuliers, comme par
exemple le livre des dettes {Schuldbuch) dans
lequel les transactions avec chaque personne
devaient être retranscrites. Il devait présenter à la
demande de la chambre aulique l’état des recettes et
dépenses des receveurs et trésoriers. Enfin, notons
que même le garde du Trésor*
(iGeneralschatzmeister) devait renseigner le
comptable central sur ses transactions, ce qui faisait
de ce dernier une instance majeure dans le système
d’information de la Maison des Habsbourg. Reste
que ce teneur de livre ne formait son registre qu’à
partir des informations des receveurs et trésoriers.
C’est pourquoi Maximilen Ier compléta la
législation par l’instruction du 1er janvier 1515 qui
créa un greffe (Hofregistratur) chargé d’enregistrer
toutes les transactions sur les deniers. Cette
instruction est à l’origine d’une organisation
formelle nouvelle de la comptabilité puisque les
receveurs et trésoriers durent présenter leurs
comptes selon des catégories de dépenses (gages,
frais de mission, vacances...) inédites. En outre,
elle structura toute une administration à l’intérieur
des « pays » {Lânder). Selon les termes de
l’instruction de 1515, le comptable central devait
conduire deux livres-mémoriaux. Dans l’un étaient
enregistrées journellement toutes les transactions
(engagements, obligations, résignations...), tandis
que le second suivait la liquidation de celles-ci.
Dans le livre nommé consilial enfin, l’on notifiait
toutes les clôtures* des comptes des différentes
transactions. Cette législation fut progressivement
améliorée au fil du temps. En 1537, Ferdinand Ier
précisa les conditions d’examens des recettes et
dépenses des Lânder en organisant une coopération
entre les chambres « provinciales », la chambre
aulique {Hoficammer) en droit d’exiger chaque
année ces mêmes comptes, et le teneur de livres
central qui contresignait également les extraits*. Au
temps de Maximilen II cependant, l’état des
finances ne s’améliorant pas, de nouvelles
instructions furent rédigées, dans l’esprit de celles
adoptées au début du siècle. En 1568, le rôle des
bureaux de la comptabilité centrale fut renforcé.
Devaient leur être transmis tous les ordres
enregistrés au greffe, les modifications apportées, le
consentement des assemblées, l’état des biens
engagés... Parallèlement en aval, chaque receveur
ou trésorier devait transmettre ces extraits réguliers
(annuels, trimestriels ou mensuels) selon des
rubriques définies par le teneur des livres centraux.
Il fut rappelé que les livres centraux devaient
reporter chaque extrait, chaque résultat de chaque
compte. Du rapprochement entre l’enregistrement
des engagements et les extraits devait résulter une
meilleure connaissance des capacités de paiement
des receveurs et trésoriers et donc une meilleure
direction de la trésorerie. L’instruction de 1583
adoptée par Rudolph II plaça le teneur de livres
sous les ordres directs du président de la chambre
aulique. La mission complète du comptable
principal fut de nouveau déclinée : il devait
renseigner les livres et les registres, connaître les
recettes et dépenses ordinaires, extraordinaires et
les charges pour chaque fonds et de là, donner son
avis sur les ordres de paiement. Le paragraphe 5 de
cette instruction indique qu’un employé parlant le
hongrois devait s’occuper des affaires de ce
territoire, un autre de langue allemande et tchèque
des affaires de la Bohême, encore un autre des
affaires de l’Empire à proprement parler, un
quatrième des affaires autrichiennes et un
cinquième des mines. Le bureau était compétent
pour tous les comptes et extraits de comptes tant
des employés centraux que des chambres
provinciales.
Les réflexions critiques sur la tenue des livres
Toute cette législation fut loin d’être mise en
œuvre. On constatait au XVIIe siècle le défaut
d’enregistrement des engagements qui cessa en
1605, ainsi que les manquements des receveurs et
trésoriers impériaux qui ne transmettaient pas
régulièrement leurs extraits. A l’abri d’un contrôle
exigeant, ces derniers disposaient de fonds de caisse
importants. En outre, les moyens en personnel
manquaient. Au temps de Maximilien II, le teneur
de livres impérial, Sebastien Fuchs, se trouvait seul
à superviser la masse de comptes émanée des
administrateurs des Etats de l’empereur. En 1595,
on comptait, outre le teneur de livres, six
comptables (Raitdiener) et deux copistes
{Ingrossisten). En 1616, dix comptables étaient en
exercice. Cependant, ce nombre restait insuffisant
au regard du travail à fournir.
En 1679, le conseiller d’Etat, Johann Gabriel Selb,
formula les plus vives critiques à l’encontre du
personnel de la comptabilité qui omettait certains
postes dans la rédaction du compte final ou bien ne
les corriger pas, accordait des délais trop longs aux
receveurs et trésoriers... autant d’approximations
qui ne permettaient pas de clore exactement et
promptement les exercices*. L’instruction de 1681
tenta de réformer l’administration comptable. Il fut
interdit aux employés d’avoir un contact personnel
avec un tiers. Pour résoudre le problème du retard
de la liquidation et de la révision des extraits et des
comptes des receveurs et trésoriers, un régime de
sanctions fut mis en œuvre : les bureaux de la
comptabilité devaient établir un tableau (Tabelle)
de tous les engagements pris avec ces derniers,
tableau remis chaque année au président de la
chambre d’une part; d’autre part, sur les conseil de
Selb, chaque receveur ou trésorier devait rendre son
compte et liquider son fonds de caisse dans le délai
de trois mois après la fin de sa gestion*.
Comme dans le reste de l’Europe, une nouvelle
conception de l’administration des finances s’est
formée à l’articulation des XVIIe et XVIIIe siècle.
En 1700, un projet intitulé Extract Projectirten Hoff
buechhalterey Ein richtung, fait apparaître les
progrès de la science comptable. L’auteur, inconnu,
développe sa pensée sur les fondements de la
comptabilité en insistant sur trois éléments : les
extraits, les actes et les livres. Quant aux extraits*,
il estime que ces derniers doivent être régulièrement
et abondamment fournis en deux exemplaires, dont
l’un servirait à la notification des objections par le
bureau de comptabilité, exemplaire que ce dernier
renverrait au trésorier. De ces extraits devaient être
formés des tableaux trimestriels et annuels pour le
président de la chambre*. Les actes : l’auteur
souligne la nécessité d’enregistrer les actes de façon
ordonnée et unifiée en partant du registre
{Protokoll) de la chancellerie et de faire dépendre
les expéditions de cet enregistrement. En dernier
lieu, il traite des livres*. Il juge que pas moins de
douze livres sont nécessaires, dont trois pour suivre
chaque receveur ou trésorier : un pour la
notification des extraits trimestriels, un comme
aide-mémoire portant sur les engagements,
rapports, mandats et un pour les Vorakten (quasi
Journal). Viennent ensuite le livre des expéditions,
le livre des échéances, le livre des garanties,
cautions, fondations, un livre pour les gages et les
obligations, un pour les contrats dettes et salaires,
un pour les instructions et les patentes, un pour le
change des monnaies, un livre pour les cessions et
un livre de caisse. Un autre projet, plus connu, fut
rédigé en 1703 par le président de la chambre
aulique, Gundaker Thomas von Starhemberg* :
Methodus, der dargelegte, Wie zu Ihrer
Kaÿ[serlichen]Maÿ[estât] ohnfehlbahr besseren
dienst die Négocia Cameralia zu Tractiren.... Le
comte Starhemberg part, comme son prédécesseur,
de la nécessité d’un registre d’actes principal, le
Hauptprotokoll, à partir duquel serait composé le
Grand-Livre {Hauptbuch) des recettes et des
dépenses, et d’un journal {Diarium) dans lequel les
recettes et paiements seraient inscrits selon un ordre
chronologique. Grâce à ces deux outils inspirés de
la comptabilité en partie double*, il deviendrait
possible de connaître l’état effectif des caisses
publiques et d’améliorer l’assignation des dépenses.
Les préoccupations de Starhemberg débouchèrent
sur la rédaction d’un vaste questionnaire adressé par
décret du 1er décembre 1707 aux trois principaux
teneurs de livres (le Hofbuchhalter, le
Niederôsterreichischen Buchhalter et le
Kriegsbuchhalter). Cependant, les principales
réalisations eurent lieu en 1713 et en 1717, à
l’occasion de la formation de la Bancalitât.
Les réformes de l'administration des finances
Après la victoire de Kahlenberg (1683) qui desserra
l’étau ottoman sur Vienne, le règne de Léopold Ier
(1658-1705) se distingue par une série de réformes
portant sur les impôts d’une part, avec la tentative
d’imposer un octroi universel dans tous les
37
territoires, et la formation, le 10 septembre 1698,
d’une commission in cameralibus chargée d’unifier
les caisses* et les comptes des revenus camérales,
de contrôler plus étroitement les administrateurs de
ces revenus, d’établir le monopole du tabac (1701)
et de faire prendre en charge une partie des dettes
par les administrations locales. La résistance des
Etats provinciaux limita la réalisation de ce
programme. De même, les plans de réfonne du
comte Gundaker Thomas de Starhemberg, nommé
président de la chambre aulique en 1703, furent
contrariés par la tradition d’autonomie des
territoires et par la guerre. Pour l’essentiel, ils ont
abouti à la formation de la banque* de Vienne
(1703) chargée de convertir et d’amortir la dette
publique*, et à la réorganisation de la chambre
aulique. Au sein de celle-ci, huit commissions
furent créées, dont une chargée plus spécifiquement
de la comptabilité des recettes et des dépenses et du
contrôle des caisses* (1713). Plus décisives furent
les réformes entreprises sous le règne de Marie-
Thérèse (1740-1780). Après la perte de la Silésie
cédée à la Prusse (1742), l’impératrice confia au
comte Haugwitz la responsabilité de réformer
l’Etat. Par analogie avec le Directoire* général
établi à Berlin en 1723, Haugwitz mit en œuvre le
directorium in publicis et cameralibus (1748) conçu
comme un grand ministère des finances centralisé.
Les instances politiques de chaque pays entraient en
contact avec ce dernier par le seul biais du
représentant local de l’administration. Dans le
même temps, Haugwitz mit fin à l’autonomie de
gestion des Etats provinciaux chargés du
recouvrement des contributions. Il leur ordonna de
verser les recettes entières de ces contributions à la
caisse centrale de la guerre, celle-ci se chargeant
dorénavant des dépenses militaires. En 1761,
Marie-Thérèse remplaça le directorium in publicis
et cameralibus institué en 1748 par une chancellerie
de Bohême et d’Autriche confiée à Kaunitz. Les
institutions financières furent développées. On
renforça les attributions de la Hofkammer (chambre
aulique) qui eut à connaître de tous les revenus des
biens de la Couronne et des impôts. Le comte
d’Hatzfeld fut placé à la tête d’une direction
centrale des caisses, à laquelle on adjoint le
département de la Banque* (banque de la Ville de
Vienne chargée du remboursement des créances de
l’Etat) et la « députation du crédit provincial »
(Stàndische Kreditdeputation), caisse
d’amortissement chargée des dettes des Etats
provinciaux. Cette direction forma une sorte de
ministère général du crédit. Enfin, Kaunitz sollicita
la création d’une nouvelle Chambre des comptes*
établie en 1762 et confiée à son protégé, Ludwig
von Zinzendorf. C’est dans la création de cette
institution qu’il faut chercher l’origine de la
réforme comptable à Vienne car, en lui confiant la
présidence de la Chambre des comptes
(Hofrechenkammer), Kaunitz entendait aussi faire
38
de Zinzendorf le contrôleur général* des finances.
A la Chambre des comptes revenaient d’une part la
formation de l’état général annuel des recettes et
dépenses pour l’année suivante et l’assignation des
dépenses extraordinaires non comprises dans cet
état, et d’autre part la vérification et la révision* des
comptes de la monarchie. Sous la direction de
Zinzendorf fut établi le premier « inventaire » de
toutes les caisses* de recettes de l’Etat viennois, le
Staatsinventar de 1763. Y apparaissent les recettes
camérales, tant des pays allemands que de la
Hongrie, les contributions, les revenus des mines,
de la monnaie*, le résultat de la gestion* de la
banque de Vienne, les revenus commerciaux, les
dettes de l’Etat. Le règne de Joseph II (1780-1790)
bouleversa derechef la direction des finances. En
despote éclairé, le fils de Marie-Thérèse unifia la
chancellerie, la chambre aulique et le ministère du
crédit en une seule autorité (une Hofstelle) qui sera
de nouveau divisée à partir de 1802. Au sein de
cette autorité nouvelle, le contrôle des comptes
revint à un General-Rechnungsdirektorium. Ce
fonctionnement perdura jusqu’à l’introduction d’un
système ministériel complet issu de la Révolution
de 1848.
Les réformes comptables du XVIIIe siècle
Après la guerre de Succession d’Espagne (1703-
1714), le comte de Starhemberg tenta d’introduire
la tenue de livres en partie double* dans
l’organisation du Trésor*. A l’origine de cette
préoccupation, on trouve les conseillers de la
Bancalitât, comme le comte Bernard von Mikosch.
Créée en 1715, cette institution était chargée de
l’émission des obligations d’Etat, mais aussi de la
tenue des comptes généraux et, avec la Chambre
aulique (Hofkammer), du suivi de l’exécution du
budget*. Cette expérience d’introduction de la
partie double* est présentée comme inspirée de la
France* dans la correspondance de Schlôzer : « En
1717, on suivit l’exemple de la France à Vienne.
On dut cependant constituer une nouvelle section
parce qu’on avait fait l’erreur de n’utiliser que des
teneurs de livres* de banques qui ne comprenaient
pas la comptabilité camérale aussi bien que la
mercantile ». La Bancalitât fit faillite en 1720 et ses
obligations furent assumées à partir de cette date
par la Banque de la ville de Vienne. Elle conserva
certes son rôle de teneur des comptes*, mais par
l’instruction du 15 août 1723, il fut explicitement
ordonné de les tenir selon la forme accoutumée.
Après cette période, les conditions de mise en
œuvre d’une nouvelle science comptable n’ont plus
été réunies. Au milieu du XVIIIe siècle en
revanche, les guerres de Succession d’Autriche
(1740-1748) et de Sept Ans (1756-1763) placèrent
les Etats européens dans une situation nouvelle, les
liant plus étroitement au substrat socio-économique
par le crédit. De là, la nécessité de monter une
comptabilité capable d’apprécier le poids de la dette
nationale, les engagements du Trésor*. Malgré les
efforts de la Bancalitât, il était impossible
d’apprécier l’état courant des dépenses. Le bureau
de comptabilité de la guerre (KriegsBuchhalterei)
tenta bien de dresser en 1748 un Grand Livre*
susceptible de faire voir toutes les dettes militaires,
mais comme le montra la commission de 1764, cet
ouvrage ne méritait pas vraiment le nom de bilan*.
La création de la Chambre des comptes* de Vienne
placée sous la direction de Ludwig von Zinzendorf
(1761) facilita le développement de la science
comptable et l’invention, par le chef comptable de
cette cour, Mathias Puechberg*, de la nouvelle
comptabilité camérale* qui est une adaptation des
méthodes de la partie double* à la comptabilité
publique*.
La nouvelle comptabilité fut introduite au niveau
central à partir de 1770. Marie-Thérèse l’imposa
également aux assemblées des Etats héréditaires,
sans forcément les consulter. En 1773, 131
départements civils et institutions l’avaient adoptée.
Les comptables des différentes branches de revenus
tirés des provinces (douanes, mines,
consommation...) envoyaient leurs comptes à la
fin de chaque année à la Chambre des comptes de
Vienne par l’intermédiaire des administrations
provinciales. La chambre répartissait les comptes
entre bureaux d’enregistrement qui avaient chacun
la charge d’une branche générale de revenus. Au
sein de chaque bureau, dirigée par un registrateur,
les calculateurs* procédaient au calcul du compte,
les réviseurs à leur révision, c'est-à-dire à l’examen
de leur conformité avec les ordres donnés aux
comptables, et le registrateur à la « superrévision ».
En outre, ces comptables remettaient chaque mois
un extrait* de leur journal, ce qui faisait connaître
l’état provisoire des revenus. Concernant les caisses
établies directement sous l’autorité du souverain,
elles transmettaient leurs comptes chaque mois à la
Chambre des comptes qui examinait leurs journaux
clos et faisait enregistrer leurs résultats. « Par
conséquent, de mois à l’autre, la caisse s’est mise
en règle et n’a plus besoin d’une reddition de
comptes annuelle ». Par exemple, le grand Livre*
pour le Militaire renfermait les journaux de 28
caisses* militaires établies dans les différents pays
héréditaires, en Pays-Bas et dans le Milanais, faisait
état de mois en mois des recettes et débours pour
cette branche de finances. Pour les caisses de la
« députation du crédit des Etats » (Landstandische
Kassa\ ou pour l’amortissement des dettes, les
journaux étaient vus chaque jour. La Chambre des
comptes parvint ainsi à suivre les recettes et
dépenses à temps au moyen de tous les registres
intermédiaires (Hülfsbücher) établis en partie
double* ou en partie simple*. Chaque branche de
finances avait son registre, révisé tous les mois.
Sept branches principales de finances avaient ainsi
leur grand Livre*: la chambre des finances (la
camérale) à laquelle était notamment rattachée la
caisse de crédit des États, la branche des revenus
civils (Faulique), la branche militaire (ou des
contributions, parce que ses revenus étaient destinés
à l’administration militaire), la branche des mines et
monnaies, à laquelle se rattachait notamment la
Kupferamt, la branche des revenus engagés à la
banque de la ville de Vienne (administration
bancale), la caisse des dettes (administration
centrale et bureaux locaux chargés des impôts créés
pour l’extinction des dettes), et enfin la branche du
commerce. Ces sept grands comptes étaient réunis
en un compte unique dit « grand livre universel au
centre de la Chambre des comptes ». Si les
réformes comptables menées dans les années 1770
dans les administrations centrales de Vienne ont
contribué à l’assainissement général des finances au
lendemain de la guerre de Sept Ans, leur rôle a
surtout consisté à faire voir l’état de la dette. En
1774, le nouveau président de la Chambre des
comptes réformée, le comte Franz Anton
Khevenhüller, introduisit une série additionnelle
d’états finaux* (Haupt-Abschliisse) compilés après
la clôture de l’exercice* pour faire voir la vraie
position des finances. L’appréciation du revenu de
toutes les branches d’administration permit
d’évaluer l’engagement des recettes ordinaires,
c'est-à-dire les charges qui pesaient exactement sur
chacune d’entre elles. Dans le compte final dressé à
partir de 1774, on reconnut la nécessité de séparer
les revenus « réels » des revenus engagés en plaçant
les articles de « crédit » en dessous de la ligne
« total des recettes ». Il ne fait pas de doute que
cette connaissance eut un impact sur la gestion des
finances publiques, tant de la dette, pour la
liquidation de laquelle on a mobilisé des fonds
nouveaux, que des dépenses qui ont été plus
raisonnées.
Marie-Thérèse et Joseph II ont étendu cette
exigence de connaissance à l’ensemble des
territoires compris dans leur souveraineté. La
nouvelle méthode comptable fut donc introduite en
Hongrie, en Lombardie et dans les Pays-Bas* grâce
à la réfonne des Chambres des comptes*
« nationales ». Celles-ci durent se concentrer sur le
contrôle des finances publiques étendu à toutes les
administrations subalternes et délaisser leurs tâches
traditionnelles de gestion du domaine*.
A Milan, une nouvelle Chambre des comptes* fut
instituée par les décrets des 12 octobre 1769 et 6
juillet 1770 pour examiner les opérations de toutes
les administrations régionales et centrales de
Lombardie autrichienne. Les modèles élaborés par
Mathias Puechberg* y furent employés. Mais
l’influence de l’école autrichienne en Italie se
mesure aussi à travers les œuvres de Giuseppe
Maria Rossi de Vérone et Francesco Villa* de
Pavie qui enseigneront une science comptable
dérivée à la fois du courant administratif viennois et
de l’expertise cadastrale.
39
De même à Bruxelles, les administrations locales
durent se plier à la nécessité de fournir des bilans*
(1782) répondant aux exigences de Vienne. Les
formulaires de Puechberg* furent également
adoptés pour confonner les informations au grand
Livre* du centre. Ces mesures furent suivies par la
réfonne de l’ancestrale Chambre des comptes* de
Bruxelles en 1787. Grâce à ces réfonnes, le
gouvernement central de Vienne disposa pour la
première fois d’un aperçu* chiffré du revenu net*
de tous les territoires. M.-L. L.
Voir Banque, Chambre des comptes, Comptabilité
camérale, Pays-Bas
Sources : AAE, Mémoires et documents, Autriche,
1, pièce 8, f° 39 v°, 1772 ; Autriche, 40, pièce 69, f°
470 v°, « Mémoire sur l’état des finances de la cour
de Vienne au mois de décembre 1761 ». HKA
Kredit AA Akten, rote n° 1, Fsz 1. August Ludwig
Schlôzers Briefwechsel meist historischen und
politischen Inhalts, Theil X, Gôttingen, 1782 p.
305-323.
Bibliographie : Bérenger J. (1975). Dickon P.G.M.
(1987). Hengerer M. (2008). Lebeau C. (1996).
Mensi F. von (1980). Otruba G. (1986). Pausch A.
(1969). Winkelbauer T. (2006).
Avance
Voir Anticipation
Balance
Propre à l’utilisation de comptes en débit et crédit*,
le mot possède plusieurs acceptions utilisées
concurremment. Faire la balance d’un compte en
débit et crédit* ou le balancer— on dit encore
solder ou souder un compte —, consiste à en
calculer la balance ou solde, différence entre les
totaux respectifs du débit et du crédit. La plupart du
temps, ce montant est inscrit du côté le plus faible,
de façon à égaliser débit et crédit, allant ainsi
jusqu’au bout de la métaphore. Dans le cadre de la
tenue des livres en partie double*, le mot balance,
pris isolément, désigne généralement le récapitulatif
des soldes débiteurs et créditeurs des comptes du
grand livre*, ce qui suppose que ceux-ci aient été
auparavant balancés ou soldés. On parle aussi
parfois de balance du grand livre. La confection de
ce document, lorsque l’on changeait de grand livre,
avait pour but premier d'assurer le transfert des
comptes, d'un volume à un autre, sans erreurs,
omissions ou confusions. Elle était également
considérée comme un moyen de vérification de
l'égalité des soldes et, partant, de la cohérence des
reports du journal* au grand livre et de celle des
écritures elles-mêmes. Elle pouvait être dressée sur
une feuille volante ou fonctionner comme un
compte. Dans cette dernière hypothèse, on avait
deux balances fonctionnant comme des comptes
symétriques : balance de sortie et balance d’entrée.
40
Décrite par tous les auteurs de manuels de tenue des
livres, la procédure mise en œuvre se déroulait en
deux temps. Les deux dernières écritures passées au
journal consistaient, l’une, à débiter le compte
balance de sortie par le crédit des comptes à soldes
débiteurs, l’autre à créditer ce même compte par le
débit des comptes à soldes créditeurs. Le total des
débits étant censé égaler le total des crédits, le
compte balance de sortie devait présenter un solde
nul. Si tel n’était pas le cas, il fallait entreprendre
une série de vérifications. Une fois la cohérence
établie, on ouvrait le nouveau grand livre par un
compte balance d'entrée et la première écriture
passée au nouveau journal était symétrique de la
précédente : ce compte était crédité par le débit des
comptes à soldes débiteurs et débité par le crédit
des comptes à soldes créditeurs.
Souvent, tant pour simplifier ce transfert que pour
apprécier l’éventuel bénéfice, les comptes
d’opérations ayant donné un résultat étaient soldés
par le compte profits et pertes, dont le solde
représentait alors le résultat global de la période
écoulée depuis l’ouverture des livres. Cette façon
de faire se généralisera lorsque la clôture périodique
des comptes deviendra la règle avec le
développement des sociétés de capitaux.
Au XVIIe siècle, le mot bilan* était encore
synonyme de balance, dont il était d’ailleurs issu, et
certains parlaient indifféremment de balance ou de
bilan de sortie et de balance ou de bilan d’entrée.
Le document bilan se différenciera lorsqu’il
commencera à revêtir une allure synthétique. La
balance subsistera, en conservant son rôle
d’instrument de vérification.
On la retrouve dans la comptabilité publique avec
une double fonction de contrôle — contrôle des
comptables et contrôle de cohérence — dès que
celle-ci adopte la tenue des livres en partie double.
Dans l’esprit du texte de 1716, auquel elle fait
d’ailleurs référence, l’article 35 de Y Instruction sur
la tenue des livres en partie double des écritures
d’une recette générale, d’avril 1807, fait obligation
à chaque receveur général d’expédier tous les dix
jours la copie de son journal au Trésor mais les
directives ne s’arrêtent pas là. C’est ainsi que, selon
l’article 36, « chaque mois le receveur général fait
faire une copie de la balance des comptes du grand
livre et l’envoie au Trésor public certifiée et signée
par lui. Si cette balance est d’accord sur tous les
points avec celle des comptes ouverts au Trésor
public d’après les copies du journal, il sera évident
que les écritures tenues au Trésor public sont
exactement conformes à celles tenues chez le
receveur général. » Enfin l’article 37 ajoute : « Le
receveur général doit avoir le plus grand soin que,
tous les mois au moins, les soldes des comptes
ouverts sur le grand livre, à la caisse et au
portefeuille, soient vérifiés et reconnus d’accord
avec les soldes effectifs et matériels qui se trouvent
dans la caisse et dans le portefeuille. La balance de
ces soldes démontre la conformité des écritures du
receveur général avec ses opérations. Cette
vérification est indépendante de celle que le
receveur général doit faire faire tous les jours pour
s’assurer de la confonnité des soldes des livres de
caisse et de portefeuille, avec les soldes effectifs en
numéraire ou en effets. On ne saurait recommander
trop d’attention dans ces différentes vérifications,
attendu que, tant qu’il n’y a pas d’accord parfait
entre les soldes des livres, les soldes des comptes
ouverts et les soldes matériels, il y a certitude qu’il
y a erreur dans les écritures, et qu’une telle position,
lors d’une vérification ordonnée par le ministre,
constitue le receveur général en état de prévention
grave, aucune erreur ne pouvant être légère pour un
comptable qui est muni des moyens de les prévenir
toutes. »
On notera également qu’en dehors du contexte de la
partie double, puisqu’elle n’était pas encore mise en
place à cette date dans les recettes générales,
l’instruction du ministre du Trésor public du 20
thennidor an 10 (8 août 1802) prévoyait la
confection d’un autre type de balance à des fins de
contrôle au sein de la recette générale, la balance
du livre de caisse : « Article 54. Chaque mois à
l’époque de la rédaction/les bordereaux mensuels,
le receveur arrêtera ses journaux et fera la balance
de son livre de caisse, c’est-à-dire qu’après avoir
posé les totaux des colonnes des recettes dans
l’espace destiné au libellé des enregistremens, il
rapportera au dessous les totaux des colonnes de la
dépense, et opérera la soustraction, d’où résultera le
restant en caisse sur chaque nature de recette et sur
la totalité de sa gestion. Article 55. Le receveur fera
alors la vérification des espèces et valeurs existant
en caisse ; il en dressera un bordereau sommaire
dont les totaux devront être conformes à ceux
annoncés par la balance de son livre de caisse ».
Y.L.
Voir Bilan, Partie double
Sources : Instruction sur la tenue des livres en
partie double des écritures d’une recette générale,
Paris, Imprimerie impériale, 1807. Code des
contributions directes, tome 1, Paris, Valade, 1811.
André J., La science des comptes, Paris, Bertier,
1640.
Banque d’Etat, banque nationale
L’essor des compagnies bancaires et la construction
des Etats modernes sont parallèles. Ces deux
acteurs se révélèrent complémentaires, la banque
offrant sa structure propre de crédit et de transfert
de fonds* à l’Etat qui, tout en augmentant ses
activités militaires internationales, conservait un
appareil financier et administratif succinct. Les
relations entre le prince et la banque ont varié en
fonction de la nature du territoire concerné, les
grands Etats multinationaux des Habsbourg de
Vienne et de Madrid recourant massivement au prêt
bancaire pour pallier le défaut d’unité territoriale.
Le service de trésorerie
Les banquiers ont d’abord assuré la remise des
fonds à l’étranger pour le service des affaires
étrangères moyennant une commission ordinaire de
banque. Ils ont également alimenté le trésor* des
princes en numéraire, fourni l’année et la cour. La
banque juive tint en partie ce rôle dans la péninsule
ibérique, à l’exemple du trésorier* Isaac Abravanel,
puis dans les Etats où la communauté trouva refuge
comme en Pologne. En 1510, Sigismond Ier
nomma le banquier Abraham Ezofowicz ministre
du trésor* de Lituanie. Les Fugger, célèbres
banquiers catholiques, devinrent les trésoriers
privilégiés du Saint-Empire grâce à l’exploitation
des champs aurifères de l’Allemagne du Sud. En
1535, Anton Fugger obtint de Charles Quint le droit
de battre monnaie. Outre les métaux précieux, les
banquiers ont fourni un service de prêt de plus en
plus sophistiqué. Au cours de son règne, François
Ier fit appel à 124 prêteurs, panni lesquels 87
Italiens. La grande majorité était installée à Lyon,
foire de paiements qui soldait à échéance fixe,
quatre fois par an, les opérations de change. A
Madrid, le service de trésorerie* des Habsbourg
était assuré par les fameux emprunts* à court terme
(asientos) contractés auprès des gens d’affaires*. A
la fin de chaque année, le Conseil des finances
préparait un état* des dépenses à venir pour le
« dedans » et pour le « dehors », puis négociait avec
les banquiers des asientos ou contrats de provision
en lieu et place nécessaires, le plus souvent là où se
trouvaient les troupes en campagne. Ces derniers
accordaient d’importants sommes à des dates
spécifiques de l’année et leurs avances* étaient
garanties sur les prochains arrivages de métaux
d’Amérique et sur les taxes. Durant le règne de
Philippe II, les Fugger cédèrent ce rôle aux
banquiers génois, tels les Strata ou la famille
Centurione, avant que ceux-ci se désengagent
progressivement de ce type de contrats. Les
banquiers portugais, issus des familles juives
converties, prirent le relais auprès de Philippe IV à
la faveur de la banqueroute* de 1627. Des hombres
de negocios comme Duarte Fernandez ou Manuel
de Paz se retrouvent fréquemment dans les partis
montés pour ce type de prêt au XVIIe siècle.
Précisons que panni les traités* qu’un banquier ou
un consortium de banquiers pouvait prendre en
charge, on trouvait des délégations concernant
divers droits à lever dans un royaume, mais on ne
confondra pas ce type de prélèvement provisoire et
l’administration pérenne d’une recette* publique. A
Rome, le pape confiait ainsi aux marchands-
banquiers la gestion temporaire de divers droits,
comme les douanes* de l’Etat, affennées entre
1543 et 1549 à la compagnie* de banquiers
florentins Benvenuto Olivieri e Bastiano da
41
Montauto. A Vienne, le souverain déléguait
l’exploitation des mines de cuivre et de vif-argent
aux maisons de banque suisses et italiennes, celles
des Pestallozzi ou des Zollikofer au XVIIe siècle,
en gage des avances* faites pour le financement de
la guerre.
Globalement, les relations entre un Etat princier et
un réseau bancaire n’étaient guère suivies d’un
quelconque transfert de savoir comptable. Si les
marchands-banquiers maîtrisaient les techniques
financières italiennes, contrôlaient soigneusement
journaux*, livres de caisse* et livres de créances,
les administrations publiques ne bénéficiaient guère
de cette expertise. Même quand un banquier
dirigeait les finances d’un Etat, il faisait davantage
valoir sa capacité de mobilisation d’un réseau de
financement que ses compétences de teneur de
livres*. Michel Particelli d’Emery (1596-1650)
devint surintendant des finances* de Louis XIII à
cause de ses relations avec la banque parisienne et
notamment la famille Camus. En effet, l’embauche
d’un banquier comme gestionnaire public se
justifiait par la nécessité de coordonner les
négociations de numéraire. L’objectif restait de
limiter les frais souvent très élevés du recours direct
aux prêteurs. En Espagne, plusieurs banquiers ont
joué ce rôle de facteur auprès de la Couronne, le
burgalais Fernand Lopez del Campo en 1556 ou le
génois Bartolomé Spinola en 1627. La principale
différence entre le service d’un tel intermédiaire et
celui d’un parti* est que le facteur recevait des
émoluments. Tout au plus peut-on considérer que la
nomination d’un banquier à la tête des finances fut
souvent l’occasion d’un encadrement des activités
des officiers* de finances. Particelli d’Emery
proposa le retranchement de leurs gages. Le cas le
plus célèbre en cette matière est celui du juif Joseph
Süsskind Oppenheimer (1698-1738). Appelé par le
duc Charles-Alexandre de Wurtemberg comme
directeur de la monnaie, puis directeur des finances,
il mit en œuvre des commissions chargées
d’examiner la conduite des officiers* du duché, ce
qui lui valut son exécution sur la place de Stuttgart.
L’association de la haute-finance et de la banque
internationale
Les relations entre les Etats et les banquiers
évoluèrent de manière significative à l’articulation
des XVIIe et XVIIIe siècle, lorsque les guerres
louis-quatorziennes embrasèrent l’Europe. La
mobilisation de capitaux changea d’échelle et dans
les pays qui ne disposaient pas encore
d’établissement de crédit* public, l’Etat se lia plus
étroitement encore aux maisons de banque
internationales. L’empereur habsbourgeois Léopold
Ier fit appel à Samuel Oppenheimer qui fournit plus
de 30 millions de Gulden entre 1696 et 1703, à des
taux d’intérêt oscillant entre 12 et 20 %. Les
capacités financières de ce personnage s’étendaient
bien au-delà de celles des banquiers italiens
42
traditionnellement associés à la monarchie et à
l’exploitation des mines car il mobilisait un réseau
international de fournisseurs et de financement seul
en mesure de répondre à la demande. La monarchie
française mobilisa également des fonds
considérables. Pour trouver des liquidités, les
officiers* de finances se tournèrent vers la banque
génoise et les négociants lyonnais, puis le
contrôleur général* favorisa leur entente avec
Samuel Bernard, chargé de coordonner leurs
opérations. La banque genevoise accepta de mettre
en circulation des centaines de millions de livres en
lettre de change* (200 000 000 de 1700 à 1714)
correspondant aux avances* consenties sous la
garantie d’engagements du Trésor, billets* et
assignations*. Le roi s’associa donc au commerce
international pour assurer la circulation des papiers
royaux. Se produisit alors « le scandale journalier
de voir les contrôleurs généraux aux pieds de M. de
Monmartel, Labordes, Beaujon et autres, afin qu’ils
voulussent bien soutenir une circulation mineuse,
mais dont la suspension ne pouvoit se faire sans
éclat et sans danger pour le ministre ». Plutôt que
de laisser les banquiers de la cour escomptaient
seuls les billets royaux sur les places financières, le
gouvernement favorisa des compagnies associant
banquiers et financiers pour le même service. Le
banquier hollandais Goossens, le banquier Nicolas
Beaujon, le garde du Trésor royal* et le Trésorier*
de l’Artillerie, s’entendirent ainsi pour fournir à
partir de 1757 trois millions par mois au service de
la Marine en échange de rescriptions* sur les
recettes générales. Ce système de financement fut
généralisé en 1767 par la création de la caisse
d’escompte* associant Jean-Joseph Laborde,
banquier du roi, les gardes du Trésor royal*, les
trésoriers de l’Extraordinaire* des guerres, cinq
receveurs généraux de finances* et quatre fermiers
généraux. Cette « banque des financiers du roi » eut
pour fonction de faire « l’avance de toutes les
sommes que Sa Majesté ordonnera, en paiements
desquels il sera remis à ladite Caisse la totalité, sans
aucune exception, tant des rescriptions qui seront
tirées sur le revenant net au Trésor Royal, des
recettes générales des finances et Pays d’Etats, que
des assignations qui seront données sur le prix du
Bail des Fermes générales ». Les nouvelles
associations entre les financiers et les banquiers
remportaient un franc succès, tant en France qu’à
l’étranger et, de ce fait, exposaient le budget*
ordinaire aux aléas des marchés internationaux de
l’argent. Au temps de Samuel Bernard, la haute-
finance négociait à partir de papiers royaux gagés
sur des affaires extraordinaires. Au temps de la
banque de Law, les billets mis en circulation furent
gagés d’abord sur le capital fictif de la compagnie*
d’Occident, puis sur les revenus de la ferme du
tabac et enfin sur les recettes de la compagnie des
Fenniers généraux. Dans la deuxième moitié du
XVIIIe siècle, l’association trop étroite de la haute-
finance et du commerce international révéla ses
limites avec les pratiques d’agiotage*.
Institutionnalisation du crédit public et
développement des banques
Pour accroître la masse monétaire en circulation, les
Etats pouvaient se tourner vers le commerce
international, mais aussi vers le crédit public. Les
premières banques publiques apparurent au XVIe
siècle, celle de Naples en 1584, de Venise en 1587
(banco délia piazza di Rialto) et 1619 (banco del
giro), d’Amsterdam en 1609, de Barcelone la même
année, de Hambourg en 1619... dans les régions les
plus commerçantes de l’Europe. Il s’agissait de
banques de dépôt, de change et de virement qui ont
d’abord accordé des facilités aux trésoreries
publiques et aux compagnies de commerce. Ces
établissements ont ensuite créé une véritable
monnaie publique.
A Venise par exemple, la Banco délia piazza di
Rialto fonctionna à la manière des banques privées,
recevant les dépôts des particuliers et opérant des
transferts d’un compte à l’autre par un jeu
d’écriture (scritta) comptable, mais sa gestion était
publique confiée à un magistrat noble élu, banquier
de profession et formé à la comptabilité à partie
double*. Le candidat éfu, issu des plus grandes
familles, devait fournir un dépôt de garantie de
25 000 ducats. La Banque opérait ses paiements en
assignant à ses créanciers* (ou créditeurs) ses
propres débiteurs et ceux-ci en assignaient un autre
et ainsi de suite, si bien que celui qui avait besoin
d’argent (le créancier) passait par les mains de 15 à
20 débiteurs, le dernier imposant sa monnaie et le
cours de celle-ci. Ce giro suppléait à la rareté de la
monnaie métallique remplacée par la monnaie de
banque (partita di banco) avec laquelle beaucoup se
couvraient pour financer des opérations sur les
foires de change, comme cela se pratiquait alors à
Lyon et Anvers. Cette banque publique était donc
chargée d’offrir aux marchands de la place la
commodité du giro de compte à compte, non du
crédit. En 1593, le paiement des lettres de change
fut domicilié à la Banque, le protêt limité à 3 jours
pour éviter la multiplication des virements, et en
1605, le Sénat ordonna que tous les paiements
commerciaux d’un montant supérieur à 100 ducats
fussent effectués en Banque. En deux mois et demi
(24 mai-8 août 1603), le «journal » de la Banque
enregistra des changes pour un montant de 3
millions de ducats. « Dans toute l’Italie et peut-être
dans toute l’Europe, il n’y a pas de place plus
commode [que Venise] pour les marchands où
trouver de l’argent de change ou payer les débits de
change opéré en toute autre partie du monde et où
affluent les débits et crédits de tous les marchands
de cette ville» notait un marchand. Si l’État avait
besoin d’argent pour ses opérations de trésorerie, il
faisait ouvrir des giri qui donnaient à ses
fournisseurs (créanciers) la possibilité d’utiliser
immédiatement leur crédit en le transférant à
d’autres avec pouvoir libératoire. Le livre de la
Banque enregistrait les crédits initiaux et les
virements successifs. La Banque ne pouvait servir
de régulateur monétaire, c’est-à-dire effectuer ses
opérations seulement avec la bonne monnaie, car le
mouvement des caisses publiques reposait sur la
valeur « au marc », sur le poids effectif contrôlé des
nombreuses espèces en circulation et acceptées
dans une métropole marchande. La Banque liquidait
ses paiements avec des monnaies conditionnées en
sacs auxquelles, pour compenser leurs défauts
(monnaies rognées et diminuées) et égaler leur
valeur nominale, elle ajoutait un agio, mais elle ne
pouvait contrôler leur circulation ultérieure. En
1608 le Sénat réagit et, pour assainir la circulation
monétaire, interdit la mise en circulation de
monnaies détériorées dont il ordonna le transfert à
la Zecca qui aurait à les refondre pour frapper de
nouvelles pièces. En 1619, pour payer de l’argent-
métal (pasta d’argento) vendu à la Zecca par un
riche marchand, fut institué le Banco giro au
caractère très différent du Banco délia piazza dont
les opérations reposaient sur les dépôts des clients.
Le vendeur vit son crédit inscrit sur les livres de la
banque. La nouvelle Banque prenait le nom de
l’opération typique, le giro qui accélérait
l’utilisation rapide d’un crédit envers l’État par son
transfert à des tiers (qui avaient confiance dans le
crédit de la République) avec plein pouvoir
libératoire et générait une circulation à découvert
contrôlée et garantie par l’État. Il n’est pas faux
d’écrire que la nouvelle Banque gérait la dette de
l’État. Le volume des crédits était indépendant du
volume des dépôts réels et de la réserve métallique.
En 1625 les provéditeurs à la Zecca constataient le
bon fonctionnement de la nouvelle Banque qui
réduisait l’emploi des espèces métalliques en
autorisant les paiements importants au moyen de
virements (girate), donc en partita di banco,
« monnaie idéale » stable et incorruptible exprimée
en ducati di buona valuta in Banco. L’actif de la
Banque durant cette phase était constitué par son
crédit envers l’État et par le fond de caisse (des
sommes assignées périodiquement pour l’extinction
de la partita) ; le passif par les soldes créditeurs des
comptes des différents porteurs (bénéficiaires des
girate appelés giratari). La gestion présentait donc
le caractère d’une dette publique*. La concurrence
entre les deux banques entraina la fermeture de la
première en 1637 et par conséquent le renforcement
du Banco giro qui assuma les fonctions d’une
banque publique quand en 1630, année de la peste,
on projeta d’éteindre le passif grâce à un impôt
payable en partita et à un emprunt obligatoire. En
1666, les particuliers furent autorisés à ouvrir des
dépôts par versement de monnaie métallique, et la
Banque perdit son caractère initial de giro et devint
une banque publique de dépôt, tout en gardant son
nom inchangé. Elle offrait aux marchands un
43
moyen de paiement uniforme et non corrompu. Le
nombre de porteurs (titulaires de comptes) oscilla
entre 1 000 et 1 500 au cours des années 1724-
1732. La partita connaissait une cotation très
stable, les porteurs ne demandaient pas à l’échanger
contre des espèces métalliques et le système
fonctionnait donc avec une faible encaisse.
Jusqu’en 1647 le fond de caisse fut alimenté par des
transferts de comptant de la Zecca qui
garantissaient la convertibilité de la partita. La
longue guerre (25 ans) de Candie suspendit ces
versements et le giro continua à cours forcé, le
passif de la Banque dépassa 1 250 000 ducats. Vers
le milieu du XVIIe siècle, pour les besoins de la
place et du négoce, le giro pouvait s’élever à
800 000 ducats et il était important que la dette de
l’État ne dépassât pas ce chiffre. Jusqu’en 1715
(retour de la guerre) la Banque opéra de manière
satisfaisante, les porteurs ne demandaient pas la
conversion de leur partita en monnaie de Zecca ou
« bonne monnaie » (monnaie métallique), les deux
valeurs étaient alignées (parité). Quand la guerre
introduisait le désordre monétaire et multipliait la
circulation des monnaies rognées rappelées in
Zecca avec une forte décote pour les porteurs, celle-
ci déterminait un agio entre bonne monnaie et
monnaie courante utilisée dans les paiements
privés, estimé à 20 % : le ducat de banque
bénéficiait de l’agio de 20 % sur le ducat courant
(120 ducats circulant = 100 ducats de banque) mais
la suspension de la convertibilité entrainait la baisse
de l’agio et en 1650 la partita di banco tombée déjà
à 107 en 1648 passa sous la barre de 100, à 96, soit
une dévalorisation de 24 points. Le Banco giro avec
ses nouveaux développements fut largement imité à
travers l’Europe, à Amsterdam, Hambourg et
Nuremberg au cours du XVIIe siècle.
La banque d’Amsterdam ne servait pas de caisse*
publique aux Etats-Généraux des Provinces-Unies.
Fondée par l’ordonnance du 31 janvier 1609 pour
assainir le change monétaire avec l’extérieur, sa
réputation grandit grâce à son rôle international de
police des pièces métalliques et de régulation du
change. S’il y avait des prélèvements d’autorité sur
le trésor bancaire, ceux-ci étaient remboursés,
comme ce fut le cas en 1650. Les innovations
comptables de la banque d’Amsterdam sont bien
connues. Outre son service de liquidité, elle
proposait des facilités de virement de compte par
simples jeux d’écriture sur des livres qui valaient
quittance* et sans avoir l’embarras du comptage et
du voiturage* des espèces métalliques. Elle adopta
le mandat*, un billet par lequel ses clients lui
assignaient de virer de compte à compte sur ses
livres sans que les deux intéressés aient besoin de
se présenter aux guichets comme c’était encore la
coutume. Ce mandatement prit la forme de
formulaires pré-imprimés (giro-billeten) qu’on se
procurait par carnet à la banque. L’émetteur
assignait la banque en paiement par transfert
44
comptable, et non par caisse*, en portant
personnellement ce billet à ses guichets après
l’avoir complété par l’inscription de son numéro de
compte en banque (le folio) et par sa signature. En
faisant ainsi circuler le crédit des autres sur ses
livres, la banque d’Amsterdam se distingua comme
banque de dépôt dont la sûreté facilita la création
d’une monnaie de compte*, le florin banco,
officiellement déclaré monnaie légale (1659). Vis-
à-vis des autorités publiques, il faut attendre la
première moitié du XVIIIe siècle, quand le pouvoir
fédéral bascula au profit de Guillaume II, pour voir
la banque accorder des facilités à la trésorerie
municipale. D’une autre nature est la banque de
Stockholm créée le 30 novembre 1656 par Johan
Palmstruch. En principe, c’était une banque privée,
mais la moitié de ses bénéfices revenait à l’Etat,
tandis que les droits de douane* et les accises
devaient être payées via la banque. Celle-ci se
trouva donc étroitement liée à l’administration des
finances publiques. La banque de Stockholm est
célèbre pour avoir émis les premiers billets de
banque de type moderne : ces documents imprimés
mentionnant un montant fixe et sans référence à un
dépôt, un déposant ou un quelconque intérêt,
payables à vue, en faisaient une banque de
circulation. Le roi d’Angleterre s’attacha également
les services d’une banque centrale. En avril 1694,
Guillaume III reçut 1 200 000 livres des
souscripteurs d’une nouvelle société, The Governor
and Company of the Bank of England. Tout en
pratiquant les mêmes opérations que les orfèvres et
les banquiers privés, elle remplit deux fonctions
particulières attribuées par l’Act de 1694. D'abord
l'escompte, puisqu'elle paie par anticipation le
montant des effets de commerce et des effets*
publics à court tenue. Ensuite l'émission,
puisqu'elle reçut le privilège d'émettre des
promesses de payer à vue et au porteur, qui
circulent de main en main. Manuscrits, ces billets
sont ensuite imprimés, portant toujours
l'engagement de payer 5, 10, 20, 50 ou 100 shillings
the bearer on the demand. Ce sont ces billets
convertibles en espèces métalliques qui vont mettre
d'immenses ressources à la disposition de la Banque
d'Angleterre, mais l'obliger également à se
constituer une encaisse métallique (1722) et à
intervenir sur le marché des métaux précieux. En
1797, elle suspendit la convertibilité en or de ses
billets. Elle la rétablit en 1821. Banque d’escompte
et d’émission, l’établissement se chargea aussi de
l’administration de la dette publique*, c'est-à-dire
du placement de la rente dans le public et du
paiement du service de la dette. Elle devient donc le
principal bailleur de fonds et le caissier du Trésor*.
Elle peut être considérée comme la banque du
gouvernement, mais elle est aussi une institution
privée, totalement indépendante du pouvoir, dirigée
par des administrateurs élus par ses actionnaires,
ainsi que le précise sa charte concédée le 24 juillet
1694. Cette double nature était propre à inspirer la
confiance nécessaire au développement du crédit
public*.
Dans les pays absolutistes comme l’Autriche ou la
France, celle-ci fit cruellement défaut. A Vienne, la
banque dite « de la ville de Vienne », créée en
1703, présentait en partie les attributs d’une banque
publique. Il s’agissait d’une caisse
d’amortissement. Son objet initial était d’acquitter
les dettes de la guerre au moyen d’inscriptions dans
un grand livre*. Elle reçut des revenus propres, le
produit des péages et des douanes*. Elle acceptait
les dépôts des particuliers, remboursables à vue
pour les sommes inférieures à 1 000 florins et
rétribués par un intérêt annuel à 6%. Son essor au
début du XVIIIe siècle permit au gouvernement de
s’affranchir de la tutelle de la banque juive. A partir
de 1756, elle devint une simple caisse de crédit sous
l’administration et la garantie de la ville de Vienne.
La Wiener Stadt-Banco émettait des obligations de
paiement et des obligations de prêt en nantissement
des emprunts. Mais ces billets ne peuvent être
assimilés à une véritable monnaie « nationale ». La
création, par la patente du 14 décembre 1714, d’une
banque d’Etat nommée Universal-Bancalitàt est
également intéressante à suivre. Bien que dissoute
en 1745, cette institution "initia de nouveaux modes
de comptabilité au sein de l’administration
viennoise. Elle fut conçue comme une banque de
dépôt chargée de garantir les emprunts de l’Etat et
de lui tenir lieu de caisse* générale. Par les
instructions du 30 septembre 1715, les caisses sous
administration de la Bancalitàt (caisse centrale et
caisses provinciales) devaient tenir un journal de
leurs opérations, tandis qu’un bureau de liquidation
tenait de son côté un journal d’ordres
(Anweisungen), ce qui permettait de contrôler à tout
instant plusieurs éléments : on savait si le bureau de
liquidation avait mandaté selon les ordres de la cour
contenus dans le bilan* prévisionnel ; de même que
l’on pouvait vérifier si l’état de la caisse était
conforme aux mandats*. Puechberg* proposera
d’améliorer et d’étendre le système adopté en son
temps par la Bancalitàt, finalement dissoute, à
l’ensemble des revenus de la monarchie. La banque
créée par l’écossais Law à Paris en 1716 s’inspira
directement de la banque d’Angleterre. Banque
d’escompte, de dépôt et de virement, elle connut un
succès immédiat à l’instar de sa consoeur de
Londres. Le roi lui attribua le privilège de banque
royale le 4 décembre 1718 et garantit donc la
convertibilité en or des billets de banque.
Convaincu que les colonies assuraient des
ressources inépuisables aux compagnies de
commerce qui les exploitaient, Law unifia ces
établissements en une compagnie* perpétuelle des
Indes, lui adjoignit les fermes* du royaume et la
fusionna finalement à la banque en 1720. Dès lors,
la banque Law, devenue un « système »
d’exploitation exclusive des ressources coloniales
et des recettes fiscales de l’Etat, était vouée à la
spéculation excessive sur ces actions. La
multiplication des décisions unilatérales la
concernant provoqua la crise de confiance et
finalement la banqueroute* à la fin de l’année 1720.
L’échec de Law priva la France d’une banque de
crédit public* qui aurait pu soutenir le roi. Avant la
création de la Banque de France (1800), la nouvelle
caisse d’escompte* établie en 1776 à l’instigation
du vaudois Isaac Panchaud joua en partie ce rôle,
dès lors qu’elle fut chargée d’escompter les effets
des emprunts lancés pour le compte du roi.
Cependant, elle ne couvrit jamais les besoins de
l’Etat en trésorerie. Le ministériat du banquier
Necker* mobilisa la banque protestante pour pallier
ce défaut institutionnel. Le succès fut au rendez-
vous grâce aux nouvelles techniques de constitution
des rentes viagères élaborées par les compatriotes
de Necker* sur la base de calculs de probabilités
d’espérance de vie. Les banquiers se chargeaient de
la diffusion des contrats sur les « trente
Immortelles », les fractionnaient en autant de
reliquats vendus aux particuliers. Des sociétés
solidaires de rentiers se formèrent, à Genève, à
Lyon, à Paris, pour acquérir ces contrats auprès
d’un banquier intéressé par la vente de masse
importante de capitaux et les ententes ainsi créées
accélérèrent encore la diffusion dans le public. On
estime que les Genevois investirent en France près
de 100 millions de livres dans les années 1770 et
1780. Ces techniques d’investissement
s’exportèrent à Amsterdam. A Madrid, le français
François Cabarrus réussit également à financer la
guerre d’indépendance d’Amérique grâce à la
constitution en 1782 d’une banque d’escompte, la
banque Saint-Charles, chargée d’acquitter toutes les
obligations du Trésor* et de gérer les fonds de
l’année de terre et de mer.
Dans les pays où le capitalisme commercial était
moins développé, l’initiative bancaire releva
davantage encore du despotisme royal. A défaut de
gage mobilier, quelques tentatives de banques
foncières virent le jour, notamment en Silésie, puis
dans les autres territoires de l’Etat prussien. Mais
l’idée de « monétariser » le sol se heurta au régime
des hypothèques et à l’absence de cadastre. La
caisse d’emprunt* créée par Frédéric II connut
quelque succès. Ce despote éclairé établit
également la banque d’escompte le 17 janvier 1765.
Cependant, cette banque appartient à cette catégorie
d’établissements à vocation plus politique
qu’économique. Ses opérations furent limitées à
l’escompte des lettres de change* au dessus de 100
écus et aux prêts sur gages. De même, le succès de
la banque d’assignations* créée pour Saint-
Petersbourg et Moscou en 1768 par Catherine II de
Russie, dans ce pays qui ne disposait en propre que
de la monnaie de cuivre, s’explique par la pratique
généralisée du prêt sur gages : à partir de 1786, la
noblesse et les villes pouvaient y emprunter sur
45
assignations ou hypothèques de terres ou de serfs
(40 roubles par tête) dans le cas de la première, de
terres ou de maisons de pierre dans le cas des
secondes. Sur ces assignations* étaient émis des
billets de monnaie, le papier-rouble bleu (pour les
billets de 5 roubles), rouge (pour les billets de 10
roubles) et blanc (25, 50 et 100 roubles). On estime
qu’en 1802, la masse de papiers en circulation dans
l’Empire équivalait à 230 millions de roubles. La
réforme monétaire du ministre des finances, le
comte Egor F. Cancrin, de 1839 remplaça les
assignations par les billets d’Etat de crédit appelés
gosudarstvennyj kreditnyj bilet. La Banque d’Etat
fut instituée en 1862. M.-L. L.
Voir Caisse d’escompte, Caisse des emprunts,
Crédit
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448 et « Monete e Banche », in Storia di Venezia,
VII, (1997), p. 569-591.
Banqueroute
Une banqueroute est la suspension du paiement,
pour un temps plus ou moins long, d’une partie ou
de la totalité des créances de l’Etat qui ne peut plus
faire face à ses engagements. Sous les régimes
monarchiques absolus, la banqueroute était
fréquente, mais le défaut structurel de gestion a
particulièrement caractérisé certains Etats comme
l’Espagne aux XVIe et XVIIe siècles. Les
compagnies de partisans (asentistas) qui prêtaient à
court terme au souverain se voyaient alors dans
l’obligation de recevoir, en remplacement de leurs
consignations (des assignations sur les recettes
fiscales payables à quelques mois d’échéance), des
juros al quitar, c’est-à-dire des titres de rentes
rachetables assis sur certaines caisses de recettes
fiscales de Castille, dont l’intérêt était nettement
inférieur à celui de leurs prêts à court terme.
L’opération avait pour effet de consolider une partie
de la dette royale. Ce fut le cas pour la première
fois en 1557. Les banquiers Génois, les premiers à
accepter cette solution, s’imposèrent alors comme
les intermédiaires incontournables, prenant le pas
sur les Castillans. Leur maîtrise du « marché »
opaque et fermé des juros leur assura un quasi-
monopole du crédit au roi pendant un demi-siècle.
46
De même en France, les engagements de l’Etat
provoquaient parfois la faillite des banques qui
s’étaient impliquées à ces côtés. « La faillite du
grand Parti » (1557 également) amena les Valois à
faire entrer les financiers directement dans
l’administration royale et à constituer une
oligarchie à la fois banquière et administrative. Cela
ne les protégea que partiellement de la banqueroute.
En octobre 1648 par exemple, la chambre de
justice* suspendit toutes les assignations attribuées
aux traitants*. En Angleterre*, la banqueroute
désignée « Great Stop of the Exchequer » marqua
les esprits du temps. Le décret du 2 janvier 1672
(calendrier julien) adopté par Charles II suspendit
pendant une année le paiement « de tous les
warrants, titres et ordres, enregistrés ou non, et
payables dans le cours de cette année, à l’exception
des titres créés sur les subsides accordés par acte du
Parlement et les honoraires, pour lesquels il sera
procédé au paiement comme à l’ordinaire ». Dans
l’intervalle de l’année, le roi fit compter à ses
créanciers 6 % d’intérêt. Les Républiques n’étaient
pas en reste. Au XVllle siècle, l’État vénitien plaça
directement ses obligations dans les corpi pubblici
et enti morali [associations {enti) entre laïcs, à
caractère professionnel (les corporations de métiers
ou artï) ou religieux (les confréries ou scuole)] pour
en obtenir des prêts à 4 % remboursables sur 5 à 20
ans. Quand il contraignait les Scuole grandi ou les
Arti mercantiles les plus riches à lui prêter de
l'argent, celles-ci se tournaient vers les particuliers
qui leur avançaient des capitaux selon un acte
« instrumenté » devant notaire. Ces capitaux, dits
instrumentati, étaient transférables à volonté par
cession de l'acte notarié. Et l'État leur accordait la
préférence, car il versait un intérêt de 4% sans avoir
jamais à envisager la restitution du prêt à Vente dans
un système de dette perpétuelle consolidée. En
1767, il entreprit la conversion des titres des
« vieux dépôts » dont la valeur nominale fut réduite
à la valeur effective du marché. Cette banqueroute
fut sévère pour les porteurs à qui fut proposé, pour
un dépôt de 100 ducats à 2 %, un remboursement
de 57 ducats qui éteignait et la dette en capital et les
46 échéances d’intérêts en retard. La banqueroute
s’élevait à 69 % sur le capital et à 45 % sur les
intérêts arriérés. L'émotion fut grande, les porteurs
paniqués se précipitèrent pour demander leur
remboursement immédiat. Un décret de 1768
imposa aux établissements ecclésiastiques (les
couvents) et aux « oeuvres pies » (hôpitaux et case
di pietà, orphelinats) de vendre une partie de leurs
biens immobiliers pour en investir le montant dans
un deposito nuovissimo à 3 %, dont le capital
dépassait 30 millions en 1785, ce qui permit de
liquider toutes les vieilles dettes pour un montant
effectif de 19 millions et d'affranchir les capitaux
« instrumentés ».
Le tenne de «banqueroute», utilisé à l’époque
contemporaine, ne doit pas induire en erreur. Il
serait ainsi hâtif d’assimiler toutes les suspensions
de paiements à l’aveu de faiblesse d’une monarchie
dont les caisses sont vides. Dans le cas de
l’Espagne, l’étude du processus de décision qui a
conduit à quelques-unes des suspensions de
paiements les plus retentissantes, notamment durant
le règne de Philippe II, montre au contraire que
c’est lorsque le roi sait qu’il aura de quoi financer
ses dépenses les plus urgentes pendant plusieurs
mois sans recourir aux partisans qu’il prend la
décision de suspendre ses paiements. Il les oblige
ainsi à renoncer à une partie de leurs bénéfices, en
révisant les taux d’intérêt des crédits en cours à la
baisse, en acceptant la consolidation d’une partie de
leur dette et en lui offrant de nouveaux crédits à
moindre coût. Cette stratégie fonctionne tant que la
monarchie espagnole en fait un usage parcimonieux
de cette stratégie et que, par ailleurs, ses recettes
fiscales continuent d’augmenter. Lorsque, pendant
la dernière décennie du XVIIe siècle, les ministres
de Charles II suspendent les paiements environ tous
les deux ans, les grandes compagnies de banques
étrangères ont déjà laissé la place à des financiers
castillans de plus en plus fragilisés.
Ces banqueroutes à répétition provoquèrent une
prise de conscience. Les ^souverains commencèrent
à soutenir les efforts d’organisation du crédit public
(caisse des emprunts* en France, banque en
Angleterre*, ...). L’échec de cette organisation en
France explique pour partie le recours à la
banqueroute en 1759, en 1770 et finalement en
1788. Par arrêt du 18 février 1770, Louis XV
ordonna « la suspension du payement des
Rescriptions sur les recettes générales des finances
& des assignations sur les fermes générales unies,
ferme des postes & d’autres revenus du roi à
compte du 1er mars 1770». Il fit porter les fonds
destinés initialement au paiement des titres au
Trésor royal* pour régler le service courant,
notamment les soldes, et attribua un intérêt de 5 %
aux porteurs des créances suspendues. Ce que l’on
sait moins, c’est que dans le même temps
(déclaration du 25 février 1770), Terray détourna
les sommes destinées au remboursement des
capitaux d’emprunts contractés sur les corps
intermédiaires (États provinciaux, villes et bourgs
du royaume) au profit du remboursement des
rescriptions et assignations suspendues. La
déclaration du 21 novembre 1763 avait indiqué que
la suspension du remboursement des capitaux des
emprunts ouverts par ces corps serait rendue
possible en cas de guerre seulement. La déclaration
de février 1770 spécifiait que « les circonstances ne
paraissoient pas moins urgentes que le cas de
guerre » et qu’il importait d’autant plus de
rembourser promptement les rescriptions et
assignations que « ces objets de créances sur nos
revenus étoient un titre exigible ». En d’autres
ternies, le zèle avec lequel les porteurs de billets
avaient secouru le service était prioritairement
reconnu sur celui des rentiers. De fait, les 21,5
millions de rescriptions en circulation en 1770 leur
furent remboursés en six ans. La signification de
cette disposition, claire, semble avoir échappée à
nombre d’historiens. Or, il ne fait pas de doute que
par cette loi, Terray mécontentait les souscripteurs
des emprunts provinciaux, ce que le Parlement de
Paris dénonça. Les mesures de 1770 renforcèrent
l’opinion publique avertie contre les effets pervers
de la banqueroute. Panni les pamphlets, on
retiendra les plus célèbres, comme celui de Jacques-
Pierre Brissot de Warville, Point de banqueroute ou
lettre d’un créancier de l’Etat, publié à Londres en
1787, dans lequel l’auteur défend la nation des
rentiers, premiers créanciers de l’Etat, ou celui de
Simon-Nicolas-Henri Linguet, Point de
banqueroute, publié en 1789, c'est-à-dire après la
banqueroute effective du 16 août 1788 par laquelle
Loménie de Brienne différa d’un an les
remboursements des dettes et ordonna que les
obligations du gouvernement seraient payées pour
partie en espèces et pour partie en billets de 5 %.
Cette banqueroute cristallisa définitivement le
mécontentement des Français. La première
Révolution a été engagée par la grande peur des
nombreux rentiers de l’Etat, victimes de la
dévaluation des effets publics. La suspension des
versements des arrérages de rentes faisait craindre
une perte définitive du capital. « Les portefeuilles
regorgeoient d’effets royaux, — se souvient Joseph
Cambon*, chef du Conseil des finances de la
Convention —. Les propriétaires de ces effets
craignant de perdre leurs capitaux prirent le masque
révolutionnaire et se réunirent aux amis de la
République ». A.D., J.-C.H. et M.-L. L.
Voir Banque, Dette publique
Sources : AN, H1 892, pièces 27 et 28 (arrêt du 18
février 1770 et déclaration du 25 février 1770). AN,
K 892, n° 191, fi* 3 : Mémoire des Receveurs
généraux, vers 1781-1782. Coquereau J.B. (1773).
BM, Additional Manuscripts, 29553, f° 358, lettre
de Richard Langhome à Lord Hatton, 6 janvier
1672. AN, F4 1001, Cambon J., Rapport de la
commission des finances et lois sur la dette
publique, sur sa consolidation, sur l ’emprunt
volontaire et sur l’emprunt forcé, suivis de
l’instruction sur l’empruntforcé, Paris, 1793, p. 3
Bibliographie : Browning A., English Historical
Documents, 1660-1714, 1966, Routledge, p. 352-
354. Dubet A. (2006). Hocquet J.C. (2006).
Horsefield J.K. (1982). Legay M.L. (2011). White
E. (1992).
Barrême
Deux Barrême, Bertrand-François et son petit-fils
Nicolas, ont leur place dans ce dictionnaire.
Bertrand-François Barrême ou Barresme (1638-
1693 et non 1703 comme très souvent indiqué),
célèbre arithméticien du XVIIe siècle, est l’auteur
47
de plusieurs ouvrages destinés aux marchands, dont
les fameux « comptes-faits ». Ces tables de
multiplication (prix - quantité) permettaient de
réaliser un gain de temps important en ramenant
l’essentiel du calcul* commercial ou financier à de
simples additions. Elles ont valu à leur auteur de
passer à la postérité et à son patronyme de se
transfonner, à une consonne et un accent près, en
un nom commun : barème.
On lui doit également un traité d’arithmétique et
divers ouvrages consacrés aux changes et
arbitrages, à l’escompte et aux calculs d’intérêts,
ainsi qu’à la géométrie et à l’arpentage, dans
lesquels il continua d’exploiter la veine des
comptes-faits en appliquant le procédé à de
nouveaux objets. Il en va ainsi du Livre nécessaire
pour les comptables, avocats, notaires, procureurs,
trésoriers ou caissiers, et généralement à toute
sorte de conditions,... adressé on le voit à un large
éventail d’utilisateurs. On y trouve notamment « la
nouvelle méthode inventée par Barrême pour faire
par l'addition de toute sorte d'impositions, de
contributions et despartemens au sol la livre sans
avoir appris la multiplication, la division la règle de
trois et la règle de compagnie, de partage et de
distribution. » Explicitement destiné aux financiers,
le Livre des aydes, domaine, et finances, très utile à
toute sorte de personnes particulièrement aux
traitons, et aux commis et mesme à ceux qui
aspirent à y estre employez, n’est jamais qu’une
adaptation de la méthode aux différents droits et
taxes, suivant les quantités, tarifs et pourcentages.
Ces ouvrages feront tous l’objet de diverses
réimpressions et rééditions, durant plus d’un siècle
et demi. Après avoir été adaptés au système décimal
à la fin du XVIIIe siècle, les comptes faits
continueront d’être régulièrement réédités, jusqu’à
la fin du siècle suivant. Sous le nom de leur auteur
puis ensuite sous d’autres signatures, le nom de
l’auteur original passant parfois dans le titre.
Rapidement celui-ci se transforme en nom commun
et l’on voit surgir de multiples barrêmes, barêmes
ou barèmes portant sur les matières les plus
diverses.
Le fils, Gabriel (1663-1711), qui possédait le titre
de « seul expert pour tous les comptes et calculs de
la Chambre des comptes de Paris » continua l'œuvre
paternelle. Mais c’est surtout le petit-fils, Nicolas
(1687-1753), qui contribua à sa diffusion, par
l’entremise du libraire Jean Geofroy Nyon dont il
avait épousé la fille le 13 février 1719, année durant
laquelle il obtint le privilège de faire réimprimer
neuf ouvrages de son grand-père. Nicolas Barrême
nous intéresse tout particulièrement ici car, proche
des frères Paris*, il est fort probable qu’il collabora
à leur expérience d’introduction de la partie double
dans les finances royales. On sait que Paris du
Vemey lui confia la responsabilité technique des
opérations du visa* qui suivit la déconfiture de
Law. Le Système liquidé, les Paris travaillèrent à la
48
réorganisation de la Compagnie des Indes et en
1724 Barrême en devint l'un des directeurs, en
charge de l’organisation des loteries*. Enfin d’août
à octobre 1726, lorsque les quatre frères furent
écartés du pouvoir, il séjourna à la Bastille sous
l’accusation d’escroquerie. Il se retira ensuite des
affaires et le reste de son existence n’est guère
connu. Il mourut à Langeais en Touraine en 1753,
au château de Belair, propriété de son épouse.
Publié par Jean Geofroy Nyon en 1721, puis réédité
en 1728, le Traité des parties doubles ou méthode
aisée pour apprendre à tenir en parties doubles les
livres du commerce et des finances avec un traité de
finance par M. Barreme... ne contient d’autre
indication sur son auteur que le seul patronyme. A
qui doit-on, dès lors, en attribuer la paternité ? Peut-
il être considéré, ainsi qu’il est généralement fait,
comme l'œuvre posthume de Bertrand-François,
auteur du XVIIe siècle ? N’est-il pas davantage
celle de son fils Gabriel, voire de son petit-fils
Nicolas ? On sait par deux facturas que Gabriel
Barrême, sans révéler sa véritable identité, avait
pris des leçons de tenue des livres auprès de Claude
Irson*. Leçons que son père se refusa de régler, une
fois l'identité de Gabriel découverte, au prétexte
qu'elles étaient mauvaises, mais qu’il fut néanmoins
condamné à payer par décision de justice en 1675.
Il peut sembler curieux que l’auteur supposé d’un
manuel de tenue des livres envoie son fils
apprendre cette matière chez un concurrent. Pierre
Jeannin signale cependant qu’il était déjà question
du Traité des parties doubles dans un privilège
d’imprimer d’octobre 1677 octroyé pour plusieurs
ouvrages. Quoi qu’il en soit, il est certain que seul
Nicolas peut avoir rédigé la préface. Celle-ci fait en
effet allusion aux tentatives visant à introduire la
partie double dans les finances publiques, dont celle
des frères Paris, à laquelle il a vraisemblablement
participé. Le Plan d'une recette générale des
finances tenue en parties doubles, par lequel se
termine le Traité des parties doubles, témoigne
d’une connaissance intime des finances royales et
de leur fonctionnement. Il constitue d’ailleurs
l’élément le plus original et le plus intéressant de
cet ouvrage et le seul sur lequel nous nous
attarderons ici car la partie consacrée à la
comptabilité marchande n’apporte rien de
véritablement novateur. Publiée plus de quarante
ans après l’ouvrage de Claude Irson* (1678) et 17
ans après celui de Mathieu de La Porte (1704), elle
ne possède ni la hauteur de vue du premier ni les
vertus didactiques du second, lequel connaîtra 23
rééditions ! Cela n’empêchera cependant pas
qu’elle soit honteusement plagiée plus d’un siècle
plus tard par J. Buzenet, dont le Guide du
Commerce ou cours complet de la tenue des livres
en parties doubles, publié en 1826 et réédité en
1833, n’est qu’une copie à peine déguisée du
Traité.
Après quelques brèves considérations générales, la
préface aborde la question du suivi et du contrôle
comptables des finances royales et met en scène
quelques acteurs connus : « Monsieur Colbert* a
toujours souhaité de faire tenir en parties doubles
toutes les affaires du Roy ; il n'a point exécuté ce
grand projet, parce qu'il n'a point trouvé de sujets
qui pussent soumettre l'ordre des parties doubles à
l'ancien ordre des finances, et à la manière de
compter à la Chambre. L'ancien ordre des Finances
suivoit uniquement l'ordre des matières, et
négligeoit absolument l'ordre des tems, ce qui a
causé des abus contraires aux intérêts de l'Etat.
L'expérience fait connoître l'utilité d'un plan qui,
réunissant l'ordre des parties doubles à l'ancien
ordre des finances, représente toujours la datte et la
vérité des faits, sans s'écarter de la forme et des
usages de la Chambre des comptes. L'ordre des
parties doubles est le seul convenable aux comptes.
Quelle gloire pour le gouvernement qui aura mis ce
bel ordre dans les affaires du Roy. Jamais les
siècles suivans ne pourront s'imaginer quel étoit
avant nous, le monstrueux chaos des affaires de
finance. Messieurs Paris ont introduit ce
magnifique arrangement dans les fermes et dans les
recettes générales : rien n'est si beau que le plan
qu'ils en ont tracé, rien n'est si convenable aux
véritables intérêts de Sa Majesté, que son
exécution. [...] Les parties doubles conviennent aux
comptables de bonne foi, mais elles conviennent
bien peu à ceux qui veulent faire valoir les fonds
dont ils font dépositaires. »
Il semble qu’il n’y ait guère d’autre source que cette
préface, souvent citée en cette occasion, qui
permette d’affirmer que Colbert ait véritablement
formé le dessein d’introduire cette méthode dans les
finances de l’Etat. Quoi qu’il en soit de la réalité du
fait, le mentionner constituait à la fois un argument
de vente de l'ouvrage et une justification de l'action
entreprise par les frères Paris. L’ouvrage est en effet
publié en 1721, l’année même où, rappelés de leur
exil en Dauphiné par le cardinal Dubois, les quatre
frères prennent en main l’ensemble de
l’organisation des finances royales et confient à
Barrême la responsabilité technique du visa.
Le Plan d'une recette générale des finances tenue
en parties doubles commence par la liste des
comptes qu’un receveur général doit faire ouvrir
dans ses livres, s’il souhaite utiliser cette méthode.
- Comptes d’ordre servant à la reddition des
comptes à la Chambre :
Compte de l'exercice 1721, pour la taille
Compte de l'exercice 1721, pour la capitation
Compte de l'exercice 1721, pour les impositions
extraordinaires
- Compte de la partie des impositions revenantes à
la recette générale
- Compte des charges des élections
- Compte général des impositions
- Compte de la taille
- Compte de la capitation
- Compte des impositions extraordinaires
- Compte des élections
- Compte particulier du receveur général pour la
capitation
- Compte particulier du receveur général pour les
impositions extraordinaires
- Compte des quittances comptables du receveur
général pour la taille
- Compte des quittances comptables du receveur
général pour la capitation
- Compte des quittances comptables du receveur
général pour les impositions extraordinaires
- Compte des receveurs des tailles
- Compte du commis à la recette générale
- Compte de la caisse particulière du receveur
général
- Compte des frais pour la confection des rôles de
capitation
- Compte des charges de la généralité
- Compte de la caisse commune des receveurs
généraux,
- Compte des traitons, fermiers et autres pour
impositions extraordinaires
- Compte des récépissés du trésor royal
- Compte des quittances comptables du trésor
royal, pour la première partie
- Compte des quittances comptables du trésor
royal, pout la seconde partie
- Compte des quittances comptables du trésor
royal, pour la capitation
- Compte des décharges et modérations sur la
capitation
- Compte des remises sur la capitation
- Compte des remises sur les impositions
extraordinaires
Certains intitulés peuvent correspondre en fait à
plusieurs comptes, selon les circonstances propres à
chaque recette générale. Il y aura ainsi autant de
comptes d’élections et de comptes de receveurs des
tailles qu’il sera nécessaire d’en créer. D’un autre
côté, un compte comme celui des charges de la
généralité peut être subdivisé « en autant de
comptes qu'il y a d'espèces différences de payemens
qui composent les divers chapitres de la dépense du
compte du receveur général rendu à la chambre ».
Il en livre ensuite les règles de fonctionnement en
précisant, pour chaque compte, le ou les comptes
par le crédit (ou le débit) duquel ou desquels il est
débité (ou crédité). Le jeu des comptes retrace le
cheminement des espèces ou des effets et, en
contrepartie, la remise des pièces justificatives :
récépissés puis quittances. A la différence de la
partie de l’ouvrage consacrée à la comptabilité
marchande, il n’y a ici aucun exemple pratique et il
appartient au lecteur de tenter de reconstituer ces
enchaînements.
Prenons le compte du receveur des tailles d’une
élection. Dès lors que le receveur général reçoit le
produit de sa collecte, son compte est crédité par le
49
 la recette générale et reçoit, il accepte une Haudrère P., La Compagnie Française des Indes au compte à leur tour devant la chambre des finances*.
débit du compte de la caisse particulière du
telles sont les lettre de change, il en tire XVIIIe siècle 1719-1795. Paris, Librairie de L'Inde, Il n’existait pas de Chambre des comptes*
receveur général. Lorsque le receveur général lui
gradations de ses une autre ; le hazard 1989. Jeannin P., «Marchands d'Europe, pratiques comparable à celle érigée en 1723 à Berlin. La
remettra sa quittance, le compte du receveur des
décide sur la préscéance et savoirs à l'époque moderne », in Marchands chambre aulique des finances se contrôlait donc
tailles sera débité par le crédit du compte des comptes.
et sur la variété de ses d'Europe, pratiques et savoirs à l'époque moderne elle-même. Maximilien Ier (1597-1651) avait
quittances comptables du receveur général sur la
(textes de Pierre Jeannin rassemblés par Jacques institué par le décret du 27 mars 1601 au sein de la
taille. Autre exemple, lors du versement effectué négociations.
Bottin et Marie-Louise Pelus-Kaplan). Paris, ENS, chambre une sorte d’organe permanent de contrôle
par le receveur général à la caisse commune des Le compte de la caisse Aucun compte du
2002, p. 341-351. Lemarchand Y. (1997 et 2001). composé de deux conseillers de comptes
receveurs généraux, le compte de la caisse particulière du négociant n'a de créditeur
Menon P.-L., « Bertrand-François Barrême, (Rechenrate) et de deux adjoints. Cet organe avait
particulière du receveur général est crédité par le receveur général est affecté, à lui
arithméticien et poète ». Le bulletin de l'économie qualité pour vérifier et arrêter les comptes de tous
débit du compte de la caisse commune des débité par les particulièrement.
et des finances, n° 56, 1971, p. 133-147. Vivarez les officiers subalternes (trésoriers* et receveurs*).
receveurs généraux. Cette même caisse est ensuite receveurs des tailles
H., « Barrême, arithméticien et poète », Bulletin de Avant cette disposition, des commissions
créditée par le débit du compte des récépissés du et par le commis à la
la Société archéologique, historique et artistique le provisoires étaient régulièrement formées. Les
trésor royal, lors de la réception du récépissé de recette générale, de
Vieux Papier, n° 53, 1909, p. 108-119. instructions de Maximilien s’avèrent plus précises,
versement par le receveur. Lorsque ce dernier toutes les sommes
tant sur le rythme des tournées des conseillers que
obtiendra la quittance correspondante, le compte qu'ils payent au
Bavière sur le calendrier de reddition* annuelle des
des récépissés du trésor royal sera crédité par le receveur général. La
Comme en Autriche* ou en Prusse*, comptes. Un autre organe de contrôle était chargé
compte des quittances comptables du trésor royal, caisse du receveur
l’administration du duché de Bavière était duale. Il de la révision* des comptes du pays : un collège de
première partie. général est créditée
faut distinguer l’administration financière du quatre contrôleurs (un prélat, un issu de la
L’examen du grand livre* est donc censé permettre par la caisse
souverain et celle des Etats provinciaux*. Bien que bourgeoisie et deux issus de la noblesse) se tenait à
au receveur général de connaître en permanence la commune, par les
le duc ne convoquât plus ses Etats après 1669 pour Munich et examinait les comptes des officiers
position des différents receveurs particuliers de sa charges et par les
qu’ils consentent l’impôt, ceux-ci continuèrent à intermédiaires chaque année.
généralité, vis-à-vis de lui, ainsi que sa propre remises.
administrer localement les recettes et les dépenses Comme pour la plupart des pays européens, il faut
position par rapport à la caisse commune, et de Jamais la caisse du La caisse d'un négociant
pour le compte de leur prince. Concernant attendre la fin des guerres napoléoniennes pour voir
suivre les rentrées relatives à chaque type d’impôt. receveur général n 'est peut être créditée et
l’administration de ce dernier, les finances étaient évoluer sensiblement le contrôle comptable. Après
L’ouvrage se termine par un tableau comparatif des créditée par les débitée indifféremment
gouvernées par une chambre aulique (Hofkammer) l’érection du ministère des finances (1799),
modalités d’application de la partie double aux receveurs des tailles par tous les comptes
érigée en 1550. Cette chambre s’affirma comme Maximilien Ier Joseph, devenu roi de Bavière en
affaires de finance et au commerce, retranscrit ci- et jamais elle n 'est généraux et particuliers,
l’instance d’administration principale face au 1806, érigea le 20 octobre 1812 une Cour des
après. De cette comparaison éclairante, Barrême débitée par la caisse ouverts sur le grand livre.
Conseil (Hofrat) jusqu’à la nouvelle constitution comptes* chargée de vérifier l’ensemble des
conclut, non sans raisons, qu’il est plus simple de commune.
ministérielle de 1799 et la transformation du duché opérations en remontant à 1803. Cet organe
tenir sous cette forme les livres d'un receveur Ilfaut plus de capacité pour tenir les livres d'un
en royaume en 1806. Sous la direction de la s’apparentait davantage à une commission et
général que ceux d’un négociant. Un argument de négociant, que pour tenir les livres d'un receveur
chambre, on trouvait les trésoreries de Munich, n’avait pas d’indépendance. Cependant, le premier
poids en faveur de l’utilisation de cette méthode et général. Dans le commerce toutes les opérations
Lanshut, Straubing et Burghausen, gouvernées par état* budgétaire complet fut établi en 1819 et
d’une application élargie des réformes entreprises sont diversifiées et plusieurs ne sont ni relatives ni
des trésoriers tous de lignée noble. Ils avaient présenté au Parlement (constitution de l’an 1818). Il
alors par les frères Paris. ressemblantes entre elles. Dans une recette
autorité sur les administrateurs des revenus du faisait apparaître un déficit de 16 millions de
générale, toutes les opérations sont dictées par le
duché, c'est-à-dire les recettes camérales (dont la florins. Le règne suivant de Louis Ier de Bavière
Parallèle des comptes établis dans les livres d'un plan général, les gradations successives sont
gabelle), celles tirées des fondations et celles tirées (1825-1848) fut décisif. Le ministre des finances,
receveur général des finances et des comptes indiquées par le répertoire ; toutes partent du
des péages. Ces recettes, après avoir acquitté les Joseph Amiansperg, fit adopter le règlement de 11
établis dans les livres d'un négociant. même point et toutes se terminent au même point.
charges qui leur étaient assignées, versaient le janvier 1826 qui déléguait le premier niveau de
Finance Commerce révision* des comptes aux gouvernement locaux,
revenant-bon* à trois caisses centrales : la caisse
Les comptes ouverts Les comptes ouverts par Y.L. tandis que la Cour des comptes, composée d’un
aulique (Hofzahlamt) pour les dépenses de cour, la
par le receveur le négociant, sont président, de huit conseillers et de six greffiers,
caisse de guerre (Kriegszahlamt) et, à partir de
général des finances susceptibles de toutes Sources. AN, G 7 1708, Compagnie des Indes, devenait une instance supérieure de contrôle en
1728, la caisse d’amortissement
ont une destination sortes de viremens ; 1725, pièce 124. « Factum pour Claude Irson contre examinant les comptes en deuxième instance de
(iSchuldentilgungskasse). A côté de cette
déterminée et connue. chacun de ces comptes François Barrême». BNF, 4° Fm 15869. «Factum manière indépendante. M.-L. L.
administration centrale, l’administration du pays
Avant l'exercice peut être débité et crédité pour Claude Irson, seul juré teneur de livres et
(Landschaft) était chargée du recouvrement de
commencé, on sçait par tous les autres vérificateur de comptes et calculs, nommé par lettres Bibliographie : Dollinger H. (1968). Hartmann P.C.
l’impôt direct et des impôts de consommation. Elle
qu 'un tel compte ne comptes. patentes de Sa Majesté et professeur en (1967). Klotz H. (1952). Schmelzle H. (1900).
se décomposait en trois degrés : les officiers
sera jamais débité que arithmétique, et Pierre Desenne aussi professeur en Stokar von Neuform K. (1858).
seigneuriaux chargés du prélèvement sur les sujets ;
par tel compte, on arithmétique, demandeurs contre François Barrême
les officiers fiscaux intermédiaires qui s’occupaient
sçait que ce même soy disant arithméticien, deffendeur », BNF, Beecken, Georg Adalbert Edler von
des impôts levés sur les paysans, la noblesse et les
compte sera toujours Collection Morel de Thoisy, n° 69. Barrême F.
prélats. L’organe supérieur de cette administration (1741-1801)
crédité par tels autres (1669, 1672, 1674, 1685, 1694 et 1721). Buzenet
consistait en un comité représentant les trois ordres Conseiller à la chambre aulique des comptes de
comptes. J., Guide du Commerce ou cours complet de la
et responsable de la caisse centrale du pays Vienne, puis directeur du nouveau bureau de
Plusieurs ruisseaux Les opérations du tenue des livres en parties doubles pour apprendre
(landschaftliche Zentralkasse). comptabilité* aulique, avant d’être promu en 1790
forment une petite commerce n 'obéissent facilement à tenir : en parties doubles, les livres de
Le contrôle comptable s’organisait également de président du gouvernement (Gubernial) de Triest.
rivière, plusieurs point à un plan dicté, elles commerce et de finances, Paris, Bachelier, 1826 ;
manière duale. Dans l’administration de « l’Etat », On lui doit plusieurs écrits dont Begriff der
petites rivières ne suivent point une trace Renard, 1833.
les comptables des recettes camérales, des Staatsbuchführung (Notion de comptabilité
forment un fleuve ordonnée, l'occasion les Bibliographie. Bérard V. et Lemarchand Y., Le
fondations et des péages rendaient compte chaque publique) et Erklàrung der Staatsbuchführung
considérable, telles produit. Le négociant miroir du marchand. Art et Science des comptes à
année au trésorier*. Les quatre trésoriers rendaient
sont les opérations de vend et achète, il donne et travers les âges, Lyon, 1994. Claeys T. (2008).

50 51
(Explication sur la comptabilité publique), 1772.
M.-L. L.
Bielfeld, Jakob-Friedrich baron de
(1717- 1770 ?)
Un des grands divulgateurs de l’enseignement des
caméralistes allemands. Fils de négociants
hambourgeois, il parcourt l’Europe occidentale
avant d’entrer au service du prince royal puis du roi
de Prusse, en 1739. D’abord diplomate (secrétaire
de légation en 1740), il est précepteur du prince
Ferdinand à partir de 1745 et baron et conseiller
privé du roi à partir de 1748. Membre de
l’Académie royale des Sciences et Belles Lettres de
Berlin, qu’il a contribué à fonder, ainsi que de
sociétés équivalentes dans d’autres villes, Bielfeld
est un écrivain polygraphe, à l’instar d’autres
hommes des Lumières. Certains de ses ouvrages
rencontrent un certain succès. Si ses Amusements
dramatiques n’ont pas retenu l’attention de
l’histoire de la littérature, ses Traits d'érudition
universelle et ses Lettres familières sont traduits,
parfois de son vivant, dans différentes langues.
Son ouvrage le plus célèbre, les Institutions
politiques (La Haye, 1760), est souvent réédité et
augmenté d’un supplément qui répond à ses
contradicteurs dès 1762. Le livre plaît aussi bien à
la cour de Russie* qu’à celle de Prusse*, si l’on en
croit l’auteur. Il est traduit précocement en anglais,
en allemand et en espagnol. Ses lecteurs y voient
une excellente compilation proposée par un homme
qui a visité personnellement les pays qu’il décrit,
plutôt qu’une œuvre originale d’économie politique
— même si on reconnaît à Bielfeld quelques
apports originaux, comme dans la méthode de
calcul de la balance commerciale. Aussi, sert-il
parfois de réservoir d’érudition. Certains articles de
Y Encyclopédie Méthodique, comme l’article
« Espagne », lui empruntent (sans le dire) des pages
entières. En Espagne, le livre est traduit par
Domingo de la Torre y Mollinedo à partir de 1767
et dédié au comte d’Aranda, un des ministres
éclairés de Charles III soucieux de contribuer à la
diffusion dans la monarchie espagnole d’ouvrages
d’économie politique européens. Il bénéficie d’une
large diffusion dans l’Amérique espagnole.
Dans les deux chapitres qu’il consacre aux finances
(tome I, chap. 11 et 12), Bielfeld reprend l’idée,
chère aux caméralistes, que les finances d’un
royaume ne sauraient être administrées comme
l’« économie d’un particulier». En effet, l’argent
dépensé n’est pas perdu, puisqu’il circule dans
l’État et peut alimenter sa prospérité — Bielfeld
reprend ici les arguments de Jean-François Melon.
En outre, la dépense de l’État a d’autres finalités
que celle du particulier. Tandis que les dépenses du
particulier visent à satisfaire ses commodités ou ses
plaisirs, celles de l’État tendent « ou à la
conservation immédiate de l’État ou à augmenter sa
prospérité, ses forces, son opulence ».
52
Bielfeld n’est pas un théoricien du contrôle
financier. Les pages relatives aux finances
s’attachent, pour l’essentiel, à développer ces deux
arguments en les appliquant au choix d’une fiscalité
susceptible de promouvoir le bonheur des peuples
et à celui des modalités d’administration du
domaine. Toutefois, il conclut son second chapitre
par une condamnation expéditive de l’utilisation la
méthode de tenue des livres en parties doubles*
dans les finances publiques. En effet, pour ce qui
est des comptes, il recommande « la méthode la
plus simple & la plus courte pour les former. Cette
considération m’empêche d’approuver l’usage qui
s’est introduit dans quelques pays de tenir ces
comptes publics en parties doubles à la manière des
négociants. Car quoique cette invention, qui est due
aux Italiens, soit excellente pour le commerce des
particuliers, je ne la crois pas applicable à la
Finance, parce qu’elle double le travail de celui qui
tient les Comptes, que très peu de gens y sont
stylés, que les transports continuels qu’on y fait
peuvent donner lieu à trop de méprises & à trop
d’erreurs de calcul. Il vaut mieux s’en tenir, je
pense, à de simples Registres de recette & de
dépense, que tout homme qui a appris à chiffrer sait
faire, & qui dépendent des opérations les plus
simples de l’arithmétique».
Le texte, qui tient en une page, combine ainsi deux
arguments : d’une part, l’idée que les comptes de
l’État ne sauraient être tenus comme ceux des
particuliers, d’autre part, les inconvénients
pratiques liés à la formation insuffisante des
personnels des bureaux de finances. Ces lignes
rencontrent un certain succès, tout au moins dans le
monde hispanique. En effet, lorsque le ministre des
Indes (l’Amérique espagnole) José Gâlvez tente
d’imposer la tenue des livres en partie double* aux
bureaux américains des finances, en 1784, tant les
partisans du maintien de la comptabilité en recette,
dépense et reprise* que les défenseurs de la partie
double citent Bielfeld, qu’ils en fassent une autorité
ou qu’ils stigmatisent son incompréhension. La
dissertation historique consacrée par Sébastian
Jôcano y Madaria* à la tenue des livres en partie
double, en 1793, est ainsi présentée comme une
réponse au baron. A.D.
Sources : Bielfeld J.F., Institutions politiques...
1760 et 1762. Instituciones pollticas.... t. 1 à 6,
1767 à 1801.
Bibliographie: Donoso Anes A. (1997, 1999 et
2003). Lluch E. (1990). Sanchez Blanco F. (2002),
p. 75 et sq. Lebeau C. (2008).
Bilan
Le mot bilan possède aujourd’hui de multiples
acceptions et son emploi dépasse largement le
champ de la comptabilité, qu’elle soit publique ou
privée. Issu de cette dernière, le mot bilan y possède
depuis le XVIIIe siècle une signification et une
vocation bien précise — livrer une représentation
chiffrée du patrimoine d’une entreprise —, alors
même qu’il a pu être utilisé dans la comptabilité
publique avec des sens variés.
Bilan et balance
« Le mot de bilan vient de celuy de balance, ce qui
marque fort bien la nature des contes doubles, car
comme dans une balance il y a deux bassins d'une
égale pesanteur, aussi dans les contes doubles on y
voit toujours deux parties égales, l'une en débet et
l'autre en crédit. » Pierre Pourrat ne se trompe pas,
bilan est bien venu de l’italien bilan cio, lui-même
issu du latin bilanx, signifiant balance ; son
équivalent en anglais est d’ailleurs balance sheet.
Le ternie vient du monde marchand et son origine
est directement liée à la tenue des livres en partie
double* qui lui a donné sa première signification,
celle de récapitulatif des soldes débiteurs et
créditeurs des comptes du grand livre*. Longtemps
en effet, il n’est rien d’autre qu’une balance* et les
deux termes sont utilisés l’un pour l’autre. Les
comptes bilan de sortie ou balance de sortie, d’un
côté, et bilan d’entrée ou balance d’entrée de
l’autre, n’avaient alors d’autre fonction que celle
d’assurer le transfert des comptes, d'un volume à un
autre, lorsque le grand livre était terminé et que l’on
en ouvrait un nouveau. Le mécanisme est décrit à
l’article « balance ».
Dans La science des comptes, Jean André précise
qu’il y a deux circonstances dans lesquelles on doit
établir un bilan : « quand on ignore l'estât général
des affaires » et « lors que l'on veut clorre les
livres ». En effet, ce récapitulatif est l’occasion
d’avoir une vue d’ensemble des créances et des
dettes, ainsi que des différentes opérations en cours
et notamment des marchandises que l’on détient en
stocks. En outre, dès lors que les comptes des
opérations achevées ont été soldées, par virement
au compte de « profits et pertes », le solde de ce
dernier donne le résultat* de la période écoulée.
Cependant, si l’on veut que ce chiffre soit fiable, il
faut que les données comptables soient confrontées
à la réalité des divers éléments qu’elles
représentent. S’il s’avère, par exemple, qu’un doute
existe sur la possibilité de recouvrer telle ou telle
créance, ou que telle ou telle marchandise s’est
dépréciée en raison d’un marché saturé, il faut en
tenir compte et imputer ces pertes sur les bénéfices
déjà enregistrés. Il faut donc qu’un inventaire soit
réalisé en parallèle à la clôture des comptes.
En France, Y Ordonnance du commerce de 1763
(titre III, article 8) obligea les marchands et les
banquiers à réaliser tous les deux ans un inventaire
« de tous leurs effets mobiliers et immobiliers et de
leurs debtes actives et passives ». Tous les manuels
de tenue des livres publiés par la suite insistèrent
sur cet aspect et le mot bilan fut très souvent utilisé
pour désigner le récapitulatif de cet inventaire.
Dans une telle hypothèse, à la condition que les
écritures de clôture reflètent les données de
l’inventaire, il n’y avait pas de différence entre les
totaux du bilan et ceux de la balance ; la
présentation seule faisait différence : liste de
comptes avec leurs soldes respectifs pour la
balance, postes synthétiques pour le bilan. A une
longue liste de comptes débiteurs on substituait un
seul poste intitulé « dettes actives ». Avec le
développement des sociétés de capitaux, c’est-à-
dire celles dont les parts sont librement cessibles,
comme les grandes compagnies de commerce et de
colonisation et, plus tard, au XIXe siècle, les
sociétés anonymes et les sociétés en commandite
par actions, la tendance allait s’affirmer. Le bilan
s’achemine alors vers une forme de plus en plus
synthétique, dès lors qu’il devient un instrument
d’information des apporteurs de capitaux non
impliqués dans la gestion et, plus largement, des
tiers extérieurs à l’entreprise.
Longtemps, les deux parties du bilan seront
désignées par doit et avoir, comme les deux côtés
d'un compte, les comptes à soldes débiteurs se
retrouvant du côté gauche et les comptes à soldes
créditeurs du côté droit. Mais on leur substituera
progressivement les mots actif et passif, qui
viennent de la distinction entre dettes actives
(créances) et dettes passives, ainsi que le rappellent
les définitions données par Matthieu de La Porte :
« Actif ou active, dettes actives, sont les dettes qui
nous sont dues [...] Passif ou dettes passives, ce
sont les dettes que nous devons ».
Logique de fonctionnement
Le bilan devient donc la représentation comptable
synthétique du patrimoine de l’entrepreneur
individuel ou de la société. Une présentation
schématique simplifiée permet d’appréhender
rapidement certaines de ses propriétés.
Avoir ou Passif
Doit ou Actif
Immeubles Capital
Meubles
Marchandises Dettes passives
Dettes actives
Caisse
On y trouve, à l'instant t, l'ensemble des ressources
mises en œuvre dans l'entreprise, quelle que soit
leur origine (capital et bénéfices ou dettes), et la
façon dont elles sont employées : sous forme de
moyens de production, de stocks, de créances et de
liquidités (les actifs). Il peut être traduit par une
équation simple :
Actif - dettes = situation nette
La situation nette représente la valeur comptable du
patrimoine de l'entreprise, patrimoine dont la
composition et la valeur évoluent du fait de
l'activité de l'entreprise. Certaines des opérations
53
qu’elle réalise ne font que modifier cette
composition. En voici deux exemples parmi
d'autres. Lorsqu'une entreprise investit, son actif
augmente du coût d'acquisition des
immobilisations, du fait de leur entrée dans le
patrimoine, mais il diminue du même montant du
fait du paiement, la situation nette n'est donc pas
modifiée. Dans l'hypothèse d'un remboursement
d'emprunt, l'actif (la trésorerie) et les dettes
diminuent simultanément du même montant.
Mais les opérations qui relèvent de l’activité
courante de l’entreprise — acheter pour revendre ou
acheter, puis transformer et vendre, selon qu’il
s’agit d’une entreprise strictement commerciale ou
d’une entreprise industrielle — vont modifier en
permanence la situation nette. Ainsi, ce que la
comptabilité nomme aujourd’hui un « produit »
(par exemple la vente de produits fabriqués par
l'entreprise) se traduit par une augmentation de
l'actif (entrée de trésorerie ou nouvelles créances
clients) et donc par une augmentation de la situation
nette. À l'inverse, une « charge » c'est-à-dire une
consommation de biens (utilisations de matières
premières, consommations d'énergie,...) ou de
services (dépenses de main-d'œuvre) entraine une
diminution de l'actif (sortie de trésorerie) ou une
augmentation des dettes vis-à-vis des fournisseurs,
donc une diminution de la situation nette.
On en déduit une double définition du résultat :
Résultat = produits - charges = variation de la
situation nette
Différence entre les produits et les charges d'un
exercice, le résultat correspond à la variation de
valeur du patrimoine au cours de cet exercice ; il
mesure l'enrichissement (ou l'appauvrissement) de
l'entreprise provenant de l'activité d'un exercice. Le
ou les propriétaires de l’entreprise ont la possibilité
de prélever une partie de ce résultat, le reste servira
à financer une partie de l’activité à venir et des
investissements à réaliser. La situation nette après
ce prélèvement constituera le point de comparaison
initial pour la détennination du résultat de la
période suivante.
Bilan et comptabilité publique
En matière de comptabilité publique, le terme a été
utilisé de diverses façons, concurremment ou en
parallèle avec inventaire, état de situation, compte
général et, bien sûr, balance. Jusqu’au XVIIIe
siècle, en dehors de quelques exemples particuliers
en Italie, il semble bien que le mot ait surtout
désigné des récapitulatifs de recettes et de dépenses,
alors qu’un bilan est censé additionner et comparer
des stocks. En France, l’introduction de la partie
double dans divers secteurs de l’administration des
finances, après la Révolution, va conduire à
l’élaboration de bilans aux aspects patrimoniaux
néanmoins limités. L’article 1er de l’ordonnance du
54
10 décembre 1823, sur la publication annuelle du
« compte général de l’administration des finances »,
prévoit ainsi que le compte du service de la
trésorerie, censé en retracer tous les mouvements,
sera appuyé de « la situation de l’actif et du passif
de l’administration des finances à la fin de chaque
année », ce qui peut effectivement faire penser à un
bilan. D’autant qu’à partir de 1824, Y Almanach
royal mentionne, la « rédaction du bilan de
l’administration des finances » parmi les
attributions du chef du bureau de la comptabilité
centrale des revenus, des dépenses et de la
trésorerie (plus tard bureau de la comptabilité
centrale des finances), subdivision de la direction
de la comptabilité générale, placée sous les ordres
d’Audiffret*.
Le Compte général de l’administration des finances
pour 1837 en fournit un exemple. Sans en porter le
nom, la situation générale de l’administration des
finances se présente, tel un bilan classique, sous la
forme d’un tableau juxtaposant actif et passif. Les
principales rubriques en sont les suivantes :
- à l’actif :
o valeurs de caisse et de portefeuille ;
o créances actives ;
- au passif :
o effets à payer ;
o créances passives ;
o avances des comptables ;
o budgets et fonds spéciaux (excédent de recettes
sur le service des).
La différence — un excédent du passif —
représente le découvert du Trésor au 1er janvier
1838. Cette situation est cependant accompagnée
d’un document intitulé bilan de l’administration
des finances qui reprend, pour chacun des comptes
ouverts sur le grand livre de la comptabilité
générale des finances, la situation au 1er janvier
1837, les recettes et les dépenses de l’exercice,
enfin la situation en résultant au 1er janvier 1838.
Cet exemple témoigne certes de l’incertitude du
vocabulaire, mais si on laisse de côté cette question
d’intitulé pour s’intéresser au contenu de l’actif et
au passif, on voit que l’appréhension de la situation
se limite à une mise en regard des seules créances et
liquidités avec les dettes, sans qu’aucun autre
élément du patrimoine de l’Etat ne soit pris en
compte.
En effet, la conception patrimoniale du bilan est
alors totalement étrangère à la comptabilité
publique et elle le restera jusqu’à la fin des années
1990. Certes, le domaine* public est en principe
inaliénable et attribuer une valeur à certaines de ses
composantes n’aurait peut-être pas grand sens.
Mais une telle attitude aboutit à ignorer la
dépréciation des immobilisations renouvelables, du
fait de leur usure et de leur éventuelle obsolescence,
et à s’interdire d’en anticiper le remplacement, ce
qui ne fait qu’en reporter le coût sur le futur.
Rappelons cependant que la grande liberté dont
disposèrent les entreprises privées, en matière de
comptabilité, jusqu’aux milieu du XXe siècle,
conjuguée à la forte inflation qui a sévi en diverses
périodes a très souvent abouti à des bilans
totalement déconnectés de la réalité des patrimoines
qu’ils étaient censés représenter.
On notera pour terminer un détail amusant. Tandis
qu’en harmonie avec les termes de Y Ordonnance
du commerce de 1673 et du Code de commerce de
1807, on trouve dans les bilans des entreprises
privées les expressions « dettes actives » et « dettes
passives », c’est de « créances actives » et de
« créances passives » dont on parle dans les bilans
de l’administration des finances ! Y.L.
Voir Aperçu, Balance
Sources : Code de commerce, 1807. Compte
général de l’administration des finances rendu par
le ministre secrétaire d’Etat des finances pour
1837, Paris, Imprimerie royale, 1838. Ordonnance
du 10 décembre 1823. Ordonnance du commerce,
1763. Almanach Royal, 1824. André J., La science
des comptes, Paris, Bertier, 1640. La Porte M. de
(1704). Pourrat P., Le bilan ou science des contes
doubles nécessaire non seulement aux marchands,
mais à toutes les gens d'affaires, œconomes publics
et particuliers, et aux personnes qui désirent de se
pousser dans les affaires, Lyon, Langlois, 1676.
Say L. (1889), article « budget ».
Bilancin
Terme usité en Savoie pour désigner un état
prévisionnel de recettes et dépenses. Le mot est
évidemment tiré de l’italien bilancio. En 1633, le
prince Thomas donne ordre de payer à l’agent du
Trésorier général du Piémont, Verdina, la somme
de 552 écus « conformement au bilancin fait par
SAR ». M.-L. L.
Sources : AST, Caméra dei conti, Savoia,
inventario 168.
Bilans des communautés
Voir Pays-Bas autrichiens
Billet de trésorerie
C’est un titre de créance négociable à court terme
(en général moins d’un an) émis par les trésors
publics pour fluidifier et accroître le fonds de
trésorerie. Tous les Etas européens ont émis des
billets à court terme gagés sur les recettes à venir.
Tant que celles-ci restaient dans les mains des
financiers, les billets émis plaçaient les souverains
dans la dépendance des gens d’affaires, banquiers
des monarchies jusqu’à l’avènement d’un véritable
crédit public. En période de guerre, la masse de ces
billets augmentait. En France, les billets de
l’Epargne, les billets du Trésor, des receveurs
généraux de finances* (dits rescriptions*) et les
billets de la Ferme générale* étaient très recherchés
par le public. Le roi de Piémont-Sardaigne fit
émettre des «billets d’Etat» en 1750 et 1756 qui
«servoient de ressource qu’autant que la Trésorerie
ne pouvoit pas lâcher de quittances ». En
Angleterre, les billets de l’Echiquier* ont également
fait jouer au Trésor le rôle de banque. Plusieurs
types de billets coexistaient. Le tally of assignation
était, comme son nom l’indique, une assignation*
ordonnée par le Trésor et délivrée par l’Echiquier*
à un créancier qui permettait de faire acquitter la
créance par une caisse particulière. En ce cas, le
tally était la quittance* d’un payement fictif ou, du
moins, différé : Il portait l’abréviation latine pro,
c'est-à-dire, pour le compte de. Le créancier porteur
du tally le remettait au comptable sur la caisse de
qui la dépense était assignée. Ce dernier, en
échangeant le tally du créancier contre l’argent
comptant qu’il lui payait, s’appropriait la quittance*
d’un payement cette fois effectif et ordonné par
l’Echiquier. Le receveur était des lors en mesure de
justifier son payement, en rapportant le tally à
l’Echiquier* dont les officiers avaient conservé le
foil pour l’audition* de ses comptes. De même, les
comptables de PEchiquier qui enregistraient chaque
assignation ordonnée par le Trésor* avant de faire
tailler le tally of assignation, se trouvaient
déchargé. L’usage du tally of assignation semble
avoir disparu à la fin du XVIIe siècle.
Vers la fin du XVIIe siècle, les emprunts à court
tenue émis par anticipations sur les recettes
donnèrent lieu à l’émission par l’Echiquier* de
tallies dit of fictitious loan. Comme les
anticipations*, le tally offictitious loan, qui prenait
la forme d’une quittance d’une somme payable à
une certaine date sur une recette particulière, était
remis en payement aux trésoriers* des départements
ministériels. Ces derniers pouvaient les utiliser pour
s’acquitter auprès des fournisseurs ou les vendre à
des particuliers, notamment des banquiers et des
goldsmiths (orfèvres) qui étaient alors les plus gros
bailleurs de fonds, pour obtenir de l’argent
comptant, moyennant la déduction de l’escompte.
Ce type de tally joua un rôle crucial dans le
financement des guerres de la Ligue d’Augsbourg
et de Succession d’Espagne, au point de générer des
effets financiers pervers. En 1703, le volume des
tallies émis par l’Echiquier était de £1.2 millions,
soit 40% du total des ressources provenant de
l’anticipation* des recettes fiscales. En 1697, la
Banque* d’Angleterre intervint pour éviter une
crise du crédit à court tenue et lutter contre la
dépréciation des tallies dont elle possédait une
quantité importante. Jointe à des prorogations des
taxes anticipées, une nouvelle émission de capital
de la Banque de l’Angleterre payable 4/5e en tallies
penuit de réduire le volume des tallies qui
s’échangeaient à perte sur le marché et de contenir
le coût de l’argent, la Banque* acceptant de prendre
les tallies à un intérêt de 8 %. Durant la guerre de
Succession d’Espagne diverses mesures furent
55

mises en œuvre pour éviter de multiplier le volume
des tallies of fictitious loans. Les Bills of the
Exchequer les remplacèrent progressivement : En
1726, l’Exchequer cessa d’en créer et bien qu’il en
fût encore émis durant quelques années par la
banque d’Angleterre pour conserver cette forme de
crédit affectionnée par certains particuliers, ils
disparurent totalement à la fin de la guerre de Sept
Ans.
Uorder of payement est une innovation de
l’Echiquier* introduite en 1665 sur une idée de Sir
Georges Downing, secrétaire du Trésor, à
l’occasion d’un emprunt destiné à combler le déficit
des recettes. Lié à une volonté de centralisation
comptable des dépenses, ce nouvel effet entendait
limiter le système des anticipations* qui maintenait
le Trésor dans la dépendance des financiers puisque
les recettes fiscales n’étaient plus versées qu’en
déduction des sommes payées par les receveurs
pour les avances de fonds. Aussi Downing suggéra-
t-il de remettre aux personnes qui viendraient
librement déposer à Y Exchequer des prêts d’argent,
des orders ofpayement, en plus de traditionnel tally
of sol qui constatait le versement d’argent. Ces
orders of payement étaient numérotés et
remboursables en deux années dans leur ordre
d’émission. A la différence des assignations par
tallies qui étaient payables sur certaines caisses des
recettes, les orders of payement étaient
exclusivement payables à l’Echiquier. Ils offraient
l’avantage d’être endossables par l’inscription du
nom du nouveau propriétaire dans la marge et par
une déclaration auprès de l’Echiquier, une formalité
qui reste lettre morte. Malgré la banqueroute* de
1672 - connue sour le nom de Stop of the
Exchequer* de 1672 - qui suspendit le
remboursement d’une quantité importante de ces
billets, l’émission des orders ofpayements, ancêtres
des bills of the Exchequer, reprit avec des émissions
de plus en plus importantes. Aussi, à compter de
1688, les orders of payement furent-ils
systématiquement imprimés avec le nom du porteur
en blanc. J.F. et M.-L.L.
Voir Assignation, Quittance, Rescription
Sources : AD de Savoie, C 1608, lettre du 28
septembre 1757.
Bibliographie: Dickson P.G.M. (1967). Harriss
G.L. (1955). Robert R., in Littleton A.C. et Yamey
B.S. (1956).
Biscapit
Terme latin usité autrefois dans les Chambres des
comptes* pour désigner le double emploi* d’une
somme en dépenses. Le « double emploi »
proprement dit serait le fait du comptable, tandis
que le biscapit est plutôt le fait d’une partie
prenante* qui se fait payer deux fois sur deux
caisses* différentes. En France* par exemple, un
Secrétaire du roi avait l’option de se faire payer où
56
il le souhaitait et il s’en trouvait qui se faisaient
payer deux fois. Convaincu de biscapit par
l’auditeur* et le correcteur* d’une Chambre des
comptes*, il était condamné au double. Le juriste
Claude-Joseph Ferrière précise la pratique usitée
lors de la reddition des comptes : « Quand il y a
double emploi d’une pièce ou que les officiers se
font payer leurs gages en différents bureaux pour
les doubler, les Auditeurs qui examinent les
comptes mettent un advertatur aux marges de ces
parties doubles ou de ces doubles emplois afin que
les Correcteurs y prennent garde lorsqu’ils en feront
la vérification. Le biscapit est puni de la peine du
double, par un usage qui a passé en force de loi,
quoique nous n’ayons aucune ordonnance qui l’ait
ainsi statué. » Hennequin indiquait déjà à la fin du
XVIe siècle que ce double devait s’entendre « le
simple non compris ».
Les décrets de la République aggravèrent les
sanctions. Celui du 16-19 décembre 1793 portant
« des peines contre les fonctionnaires publics,
fournisseurs ou entrepreneurs qui auront touché
deux fois leur traitement ou perçu des sommes plus
fortes que celles qui leur revenaient », prévoit le
paiement du quadruple pour les fonctionnaires et
une peine de fer de six ans pour les fournisseurs,
entrepreneurs et régisseurs. A.D. et M.-L. L.
Voir Double emploi
Sources : Hennequin J. (1595), p. 243. Dictionnaire
des finances (1727), p. 46. Ferrière C.J. de (1758),
p. 199.
Bon, bonifier
L’expression « faire bon » est commune à la
comptabilité privée et à celle qui est en usage dans
les finances royales. « Bon, Faire bon, c’est créditer
quelqu’un sur son compte de quelque somme que
l’on reçoit, soit de lui-même, ou de quelqu’un
d’autre qui le paye, ou qui le fait bon pour lui.
Bonifier, c’est la même chose que faire bon »
indique Jean Larrue en 1747. Dans une comptabilité
en recette, dépense et reprise*, « faire bon » un
montant revient à accepter de l’enregistrer dans la
dépense du comptable. Le trésorier d’année de
F Aragon se plaint ainsi en 1716 de ce qu’on ne lui
« bonifie pas dans la Trésorerie Générale de la
Guerre » les dépenses de transport des vêtements
déjà effectuées.
En espagnol, le substantif « harébueno »
(littéralement: «je ferai bon») doit ainsi être
distingué de l’assignation*. Valero Verbedel en
donne une définition claire, qui interdit de le
confondre avec une promesse de paiement. Uabono
ou Yharébueno, dit-il, s’adresse au contrôleur des
comptes (contador), tandis que l’assignation*
(libranza), s’adresse au comptable (payeur,
trésorier, etc.). Le premier document concerne la
comptabilité interne, il est émis après qu’un
paiement a été effectué pour garantir à celui qui
tient la caisse du roi que la somme sera portée à sa
décharge (justifiant le paiement après coup). Le
second est l’ordre de paiement, émis avant celui-ci.
« En règle générale le contrôleur doit remarquer
que si le montant du paiement a été effectivement
remis avant que lui (ou tout autre personne habilitée
à le faire) ait émis l’ordre, ce dernier doit être
précisément un abono ou un harèbuenos ; si le
montant de la somme n’a pas encore été remis,
l’ordre émis doit être un libramiento. Entendons-
nous bien : Y abono est un ordre qui sert à faire bon
ou passer en compte ce qui a déjà été payé ; le
libramiento sert d’ordre pour que l’on paye ce que
l’on a l’intention de faire bon ; l’effet du second
correspond au futur parfait, celui du premier au
prétérit parfait. C’est pourquoi dans le premier cas
le propriétaire ou le gouverneur des fonds s’adresse
au teneur des livres, tandis que dans le second il
s’adresse au payeur, trésorier ou administrateur ».
A.D.
Voir Passer en compte
Sources : Lame J., La bibliothèque des jeunes
négociants ou l’arithmétique à leur usage, Paris,
1747. AHN, Fondos Contemporâneos-Ministerio de
Hacienda, lib. 6611, fol. 200-201 : lettre du ministre
Miguel Femândez Durân au comte de Moriana,
Trésorier Général de la Guerre, 28 juin 1716.
Nuevo diccionario (1848). Verbedel V. (1734),
chap. XIV, p. 133.
Bon de niasse
Voir Fonds libres
Bordereau de compte
Le bordereau est l’abrégé de compte qui comprend
tous les articles tirés hors de ligne*, tant de la
recette que de la dépense. Pour rendre compte de
leur gestion*, la plupart des comptables publics*
dressaient des bordereaux ou relevés mensuels,
trimestriels, annuels, selon la législation en cours
dans le pays. La fréquence mensuelle tendit à
s’imposer. De tels états mensuels permettaient de
vérifier les retards de versement dans les caisses
centrales. Au XVIIIe siècle, les gouvernements ont
engagé leurs comptables à dresser ces bordereaux
avec plus de rigueur et plus de détails, jugeant
qu’ils ne renseignaient qu’imparfaitement
l’administration centrale. Il importait que le
bordereau rende plus fidèlement compte du
journal* et décrive les espèces (voir bordereau
d’espèces). Dans ce cas, on le désignait comme le
fait d’Hénouville en 1709 de «bordereau de
recettes et paiements ». A Bruxelles, la réforme
comptable de 1750 de Benoît-Marie Dupuy* mit en
œuvre des bordereaux mensuels élaborés à partir
des journaux des receveurs. En France, les
bordereaux mensuels des receveurs des greniers à
sel par exemple, devaient mentionner le débet* ou
l’avance de la caisse. Ces rubriques* furent exigées
par le règlement de mai 1760 de la compagnie des
Fermiers généraux. A la régie* des droits réunis, de
nouvelles instructions données par le contrôleur
général des finances* le 18 mai 1765 réclamaient
des bordereaux mensuels mentionnant « le produit
de chaque nature de droits, les dépenses faites tant
en remise à la caisse générale de Paris qu’en
appointements et frais, les reprises sur chaque partie
et les sommes qui doivent rester en caisse ».
L’objectif du ministre était d’imposer un principe
d’économie dans les dépenses, d’où l’exigence
d’une justification plus précise de ces dernières.
Globalement, les bordereaux trop simples furent
dénoncés par les tenants de l’administration par
journaux* : « Toutes espèces d’états distribuez par
colonnes ou autrement sont embarrassantes, sujettes
à erreur et le plus souvent inutiles, en ce qu’ils
n’établissent avec certitude aucune partie de recette
ni de dépenses et qu’ils ne fournissent pas de titre
suffisant pour une vérification en forme, au lieu que
les copies de journaux ont toutes ces qualités », lit-
on dans un « Mémoire personnel aux sieurs Paris »,
promoteurs des registres-journaux* au temps de la
Régence. « Un bordereau qui ne contient que des
chiffres est presque toujours sujet à erreur, et
d’ailleurs, l’on n’y énonce que ce qu’on veut
absolument faire connaître, au lieu qu’il est presque
impossible d’en imposer, lorsqu’on est astreint à
tenir un journal dont chaque article est libellé, et à
en envoier copie tous les mois », souligne-t-on
encore dans un mémoire de 1774. Malgré ces
recommandations, certains corps de comptables,
comme les receveurs des domaines* et forêts en
France, sont restés attachés à la présentation de
leurs comptes par simple et irrégulier bordereau. A
la Révolution, les receveurs de district* furent
astreints à présenter le dernier jour de chaque mois
leur bordereau de recette et dépense à deux
membres du Directoire de district d’abord (décret
du 12-14 novembre 1790), puis directement aux
commissaires de la Trésorerie nationale* (décret du
16 août 1791). A la Restauration, les payeurs du
Trésor furent astreints par l’ordonnance de 1822 à
présenter chaque mois un bordereau de leurs
dépenses pour chaque exercice, ministère et service,
avec un double de ces bordereaux transmis aux
ordonnateurs secondaires concernés. Ces derniers
les visaient et les transmettaient au ministère pour
report dans les comptes. M.-L. L.
Voir Bilan, Bordereau d’espèces, Extrait de compte
Sources : Hénouville P.B. d’ (1709), p. 113-115.
Dictionnaire de Trévoux (1771), p. 758. AD de la
Drôme, Valence, C 1070, lettre circulaire de mai
1760. AN, K 885, pièce 1, «Mémoire personnel
aux sieurs Paris sur les affaires générales où ils
furent employés », f° 80. AN, F4 1082. « Réponse
aux observations qui ont été faites sur les états de
situation des receveurs généraux des domaines et
bois», 1774. AN, G2 109, dossier 1, lettre du
57
contrôleur général des finances (Laverdy) à
messieurs les régisseurs, 18 mai 1765. AGR,
Conseil des finances, 7044.
Bordereau d’espèces
Il s’agit d’un état de situation* qui indique le
nombre et la valeur des différentes espèces reçues
ou données en paiement par le comptable. Cet état
permettait à l’autorité publique de suivre les valeurs
détenues. Sous l’appelation « bordereau de recettes
et de paiements », Hénouville le définit comme un
livre qui reprend les recettes et paiements à partir
du journal* et qui doit, pour rester le plus fidèle à
ce dernier, décrire toutes les espèces maniées :
« S’il y a un Livre après le Journal qui soit
nécessaire, & d’une grande utilité à un Comptable,
c’est assurément celui de Recettes & de Paiements,
car si habile qu’il soit à compter les différentes
espèces d’or ou d’argent qui lui passent par les
mains & à faire les Calculs particuliers, au respect
de chacune leur valeur, il ne peut avec toute son
exactitude & toute sa vigilance éviter qu’il ne lui
arrive quelquefois de faire des erreurs. Pour
empêcher qu’il ne tombe dans de pareils accidents,
il lui est donc très important de tenir un Bordereau
& d’en observer l’ordre ». L’auteur poursuit en
précisant les deux raisons pour lesquelles tout
comptable doit dresser un bordereau d’espèces :
« La première concerne la description de chaque
espèce, reçue ou payée, pour faire connoître
l’existence d’icelles, en cas d’augmentation ou de
rabais, & pour éviter aussi la suspicion d’aucuns
changements dans leur nature. Henri II, par son
ordonnance du mois de décembre 1557, article 38,
entend que tous Comptables rapportent un
Bordereau par détail & qu’ils soient tenus de
représenter les mêmes espèces qu’ils auront reçues.
Cela est d’autant plus juste que s’il arrive de
l’augmentation sur les deniers d’un maniement, la
propriété n’appartient point au Comptable, & par la
même raison s’il arrive du rabais sur les espèces, il
n’est point tenu non plus de la perte, pourvu qu’il
représente un Bordereau, comme il vient d’être dit,
de Recettes et de Paiements en bon ordre. Et
lorsque cette Ordonnance dit qu’ils seront tenus de
représenter les mêmes espèces, c’est qu’il n’est pas
permis à un Comptable de changer des espèces
contre d’autres à son profit. Non seulement, c’est
prendre des deniers qui ne lui appartiennent point,
mais c’est encore commettre le crime de
Billonnage. La seconde regarde directement les
intérêts, puisqu’elle l’empêche de tomber dans les
erreurs, qui ne sont que trop fréquentes dans les
maniements. On ose même avancer & mettre en fait
que la plupart des désordres qui arrivent très
souvent parmi d’aucuns Comptables vient de ce
qu’ils n’ont pas tenu régulièrement un Bordereau
qui leur auroit indubitablement facilité les moyens
pour trouver l’endroit d’où procède la cause de leur
perte. Pour tenir un livre de Bordereau de Recette &
58
de Paiements, il faut observer toutes les mêmes différents, correspondant aux espèces reçues :
circonstances qu’au Journal. Ensuite, faire suivre danoises, mais aussi portugaises, espagnoles,
par détail la description particulière des espèces, anglaises, hongroises... avec parfois la mention
avec le prix de chacune, leur valeur, comme ci « monnaie étrangère inconnue ». Le trésorier
après. convertissait le tout en dater. Les mêmes
dispositions s’observent dans les comptes des
—A Paris, ce 12 février 1708— trésoriers provinciaux de Savoie, tant pour les
espèces reçues que pour les espèces décaissées. A
Reçu des sieurs Sauvage & de la Rue, Marchands Turin, le Général des finances devait lutter en effet
Banquiers, la somme de vingt-cinq mille quatre contre la tentation des trésoriers* de faire les
vingt dix liv. pour lettre de change du sieur le paiements ou de négocier les quittances* avec les
Grand de Rouen du 5 janvier dernier à Uz (à espèces reçues de leur choix. La législation du roi
usance), à l’ordre du sieur Grain, qui l’a passée au de Piémont-Sardaigne se renforça donc. L’édit du
sieur Chauvin, lui au sieur Piécourt l’un des 15 février 1755 ordonna (article 13) aux trésoriers
intéressés à l’Annement, & lui à moi : savoir, de compter même les monnaies de billons dans
leurs bordereaux. Le souhait du souverain était bien
700 Louis d’or L sûr que les billons fussent employés prioritairement
à 14 1. 9800 à l’acquittement des charges locales, et que les
pièce espèces nobles fussent portées à la trésorerie
3000 Ecus à 3 11400 générale*. « Il faut former un état exact de toutes
liv. 16 s. les monnoyes qui, suivant l’édit du 15 février 1755
pièce ayant court, sont entrées depuis trois années jusques
25 Sacs de 2500 à présent dans la caisse de la Thrésorerie de votre
pièces de province, avec la division par colonnes de chaque
20 sols espèce d’or et d’argent qui y auront été payées et
10 Sacs de 1000 laissant une colonne seule pour la monnoye de
pièces de billon sans en faire une division particulière. Il
5 sols faudra aussi qu’il soit inséré à la tête de chaque
3 Sacs de 300 colonne la dénomination de chaque espèce d’or et
quinzains d’argent du Pays de même que des étrangères, et au
de 100 1. bas desdittes colonnes, il faudra annoter la quantifié
dit de chacune desdittes espèces exigée, chaque mois,
Momioie 90 sommariant ensuite le total d’icelles à la fin de
de l’état et conséquemment pour chacune desdittes
différentes trois années ». Dans les années 1760, les trésoriers
espèces de province se plaignaient de l’inspection
25090 permanente de leurs recettes : « nous sommes
accablés par les estats de change et de recettes
En France, les règnes de François Ier, Henri II et qu’on nous oblige de donner en détails et les
Henri III ont donné lieu à une série d’ordonnances bordereaux d’espèces tous les vendredy ». Dans les
enjoignant à tous les receveurs* et commis aux années 1780, ils devaient soumettre leurs
recettes de déclarer dans leurs quittances* le bordereaux d’espèces reçues tous les jours à
nombre, la qualité et le prix des espèces d’or et l’intendant*. A.D. et M.-L. L.
d’argent qu’ils reçoivent. Lorsqu’ils remettent leurs Voir Bordereau de comptes, Monnaie de compte,
fonds au Trésor royal*, ils sont également tenus de Voiture
fournir un bordereau d’espèces. De même, les
trésoriers* chargés de voiturer* des fonds pour le Sources: Hénouville P.B. d’ (1709), p. 113-115.
paiement de tel ou tel service font mention au AN, H1 72, registre-journal pour 1737-1743 ; AD de
ministre dont ils dépendent des effets convoyés Savoie, Chambéry, C 1487; C 1600; C 1609,
dans un bordereau d’espèces. Le règlement de juin lettres de Capris de Castellamont, intendant général,
1716 réitéra cette obligation. 22 janvier 1759, 23 juillet 1759 ; C 1610, lettre de
On notera qu’en l’absence d’unité monétaire, les Billiod, trésorier du Genevois, à Mansoz, trésorier
receveurs et trésoriers des régimes anciens devaient général, 4 janvier 1760.
convertir les espèces régnicoles ou étrangères et les Bibliographie : Krüger K. (1970).
ramener au système de monnaie de compte* de leur
souverain, d’où la nécessité de connaître le cours Bravo Murillo, Juan (1803-1873)
des monnaies. Dans les comptes du trésorier de la Homme politique espagnol, appartenant au parti
chambre des finances* du Danemark au XVIIe modéré, soit au secteur le plus autoritaire des partis
siècle, les sommes inscrites pour chaque recette favorables à la monarchie constitutionnelle au
étaient calculées à partir de dizaines de montants milieu du XIXe siècle. Juriste de fonnation
(licencié en droit en 1825 à Séville), il est procureur
de l’Audience de Cadix pendant deux ans, avant de
prendre le chemin de Madrid. Il y sera l’un des
fondateurs du Boletin de jurispradencia.
Bravo Murillo joue un rôle actif en politique à
partir de la fin des années 1830, se faisant élire à
deux reprises député du parti modéré (1837, 1840).
Le gouvernement libéral d’Espartero le contraint à
un bref exil, avant son retour en 1843. Il connaîtra à
nouveau l’exil pendant les deux ans de
gouvernement libéral, entre 1854 et 1856. De retour
de son second exil, Bravo Murillo, éloigné des
modérés qui ont fondé l’Union Libérale avec une
partie des libéraux progressistes, reste quelque peu
en retrait de la vie politique, même s’il préside la
Chambre des Députés en 1858. Ses principales
publications datent de cette période : De las deudas
amortizables y de Ios certificados de cupones
( 1864) ; El pasado, el présente y el porvenir de la
Hacienda Pûblica (1865); Opûsculos (1863-1874).
Autorité de l’État et ordre social
Le ministère de Bravo Murillo matérialise le virage
politique opéré en Espagne comme dans d’autres
États européens après l’échec des révolutions de
1848, celui de la consolidation d’une monarchie
constitutionnelle dont les modèles sont les régimes
autoritaires et réformistes d’Autriche*, de Prusse*
ou de la France* de Napoléon III. En Espagne, il
s’agit d’intégrer le carlisme sans souscrire à son
projet réactionnaire de retour aux privilèges
personnels et territoriaux de l’Ancien régime.
Porteur d’un projet politique nettement
conservateur, Bravo Murillo est convaincu, comme
le rappellent Salvador Calatayud, Jesûs Millân et
Maria Cruz Romeo, que la souveraineté populaire
est « une sorte de présupposé théorique, une sorte
de nécessité logique qui s’avérait en réalité
impraticable et dangereuse dans la politique
pratique, au point qu’il était préférable de ne pas la
proclamer dans les textes constitutionnels », il
propose notamment en 1852 de réformer la
constitution en restreignant le corps électoral défini
par le régime censitaire de la constitution de 1845 -
proposition rejetée par la Chambre des Députés.
C’est aussi sous son ministère qu’est négocié le
Concordat, aux termes duquel le gouvernement
s’engage à rendre l’instruction religieuse obligatoire
à l’école ; le même accord permet de consolider le
processus de vente des biens de mainmorte du
clergé (desamortizaciôn), que l’Église accepte pour
les biens déjà vendus.
Les centres d’intérêt de Bravo Murillo sont
multiples, comme en témoigne la liste des
ministères qu’il a occupés sous des gouvernements
modérés : Grâce et Justice ; Commerce ; Industrie
et Instruction Publique. Il est aux Finances à
plusieurs reprises, entre août 1849 et février 1852,
occupant aussi le poste de premier ministre pendant
quelques mois. En tant que juriste, il met en avant
59
le respect des procédures et la suppression de
l’arbitraire. C’est ce qui explique, écrivent
Calatayud, Millân et Romeo, son intérêt pour
l’administration et la gestion. C’est aussi ce souci
d’affirmation de l’autorité de l’État et de l’ordre
social qui guide sa politique à la tête du ministère
des Finances. Juan Pro Ruiz en dresse le bilan :
« Le passage par le Ministère des Finances de Juan
Bravo Murillo en 1849-1852 vient clore le cycle
des réformes des Finances, consolidant et
complétant le système financier libéral-
conservateur de l’État espagnol qui a remplacé les
Finances Royales de la monarchie de l’Ancien
Régime. Bravo, dirigeant du secteur le plus
autoritaire du parti modéré, ne prétend pas réfonner
le système pour le rendre moins régressif ou plus
fidèle aux principes du libéralisme. Sa vision est
celle des administratifs du parti, obsédés par la
centralisation du pouvoir et l’augmentation de la
capacité d’action de l’État. Ses réformes sont donc
avant tout techniques. Elles contribuent à
consolider le système financier créé en 1845, lui
permettant de survivre sans changement notable
jusqu’à la fin du siècle.
Parmi les réformes réalisées par Bravo en 1849-
1852, on retiendra : la création des Administrations
provinciales des Rentes, chargées de diriger la
gestion des finances dans les provinces, supervisées
par les Gouverneurs civils ; l’introduction de la
figure des visiteurs et inspecteurs des douanes,
embryon d’un service d’inspection fiscale attaché
aux gouvernements provinciaux ; la réorganisation
des services centraux du ministère, refondus en huit
directions générales, parmi lesquelles une Direction
générale du contentieux spécialisée dans la défense
des intérêts des finances publiques devant les
tribunaux de justice ; l’unification des archives du
ministère ; la fondation du Bulletin Officiel du
Ministère des Finances en 1850 ; l’introduction du
système des amillaramientos et cartillas
evaluatorias, pour rendre possible la répartition du
forfait de la contribution des immeubles, cultures et
élevages ; l’approbation du premier tarif douanier
moderne, qui tourne le dos à une pratique d’Ancien
régime, l’interdiction de l’entrée ou de la sortie de
certaines marchandises aux frontières - des tarifs
spécifiques sont adoptés au lieu de grever les
produits ad valorem - ; la création du corps
d’experts des douanes ; la régulation des procédés
de poursuite des contrebandiers et fraudeurs,
confiés à des Tribunaux spéciaux des finances ; le
règlement de la dette publique*, qui évite qu’elle
continue d’absorber une part élevée des recettes
fiscales de l’État ; enfin, la signature d’un
Concordat avec le Saint-Siège, qui rend la
desamortizaciôn irréversible, lui donnant l’aval de
l’Église.
Mais le plus grand apport de Bravo Murillo est sans
aucun doute sa réforme de l’administration et de la
comptabilité des finances publiques. Cette réforme
60
crée les mécanismes formels nécessaires pour
soumettre toute l’administration à une discipline
comptable et financière, imposant un budget* et
l’élaboration régulière de comptes publics que le
Tribunal des comptes puisse contrôler. Elle fait du
vieux rêve libéral d’une unité de caisse* dans les
administrations publiques une réalité, donnant
naissance au Trésor Public* et soumettant tout
mouvement financier à YIntervenciôn General del
Estado (l’organisme chargé du contrôle des
comptes). Enfin, alors que Bravo Murillo est déjà
président du Conseil des ministres, en 1852, il
parachève cette œuvre en édictant un règlement
général pour les employés de l’État qui régulera la
fonction publique jusqu’en 1918. En fait, —
conclut Pro Ruiz— ce décret étend à l’ensemble
de l’Administration les principes déjà en vigueur au
Ministère des Finances ».
On ne saurait attribuer toute l’initiative
intellectuelle du projet de réforme de la
comptabilité à Bravo Murillo. La biographie que lui
a consacrée Pro Ruiz montre en effet que le plan,
dans ses modalités techniques, a été conçu et
présenté aux Cortès par Ramôn de Santillân, son
collaborateur, lorsque Santillân était ministre des
Finances, en février 1847. Cela dit, c’est à Bravo
Murillo que revient sa mise en œuvre, puisqu’il
convainc la reine et les Cortès d’en faire des lois
qui en prévoient les modalités concrètes, rendant
applicables des principes constitutionnels qui
étaient demeurés lettre morte.
La réforme de 1850-1851 : centralisation et
comptabilité nationale
En quoi consistait la réforme de l’administration et
de la comptabilité ? Elle se décline en plusieurs
mesures, adoptées entre 1849 et 1851, qui selon
Bravo Murillon constituent « un système complet
d’administration des finances ».
D’une part, la Loi d’administration et de
comptabilité du 20 février 1850, prolongeant un
décret du 24 octobre 1849, établit ce qu’un de ses
défenseurs, Francisco Augusto Conte, appellera en
1855 la «centralisation la plus stricte». Elle
centralise les recettes et les dépenses dans un Trésor
Public (Tesoro Pûblico). Toutes les recettes
entreront donc dans les trésoreries et caisses de
dépôt des recettes, quelle que soit leur nature.
Celles qui n’y entreront pas matériellement, comme
les recettes de la Croisade, y seront enregistrées
formellement par le biais des comptes à présenter à
la Chambre des comptes générale du Royaume. De
même, des dispositions sont prises pour que les
administrateurs de recettes qui devraient dépenser
les fonds avant d’avoir pu les remettre au Trésor
soient obligés de les faire enregistrer dans la recette
du Trésor et dans le chapitre de dépenses du
ministère correspondant. Tous les employés au
recouvrement sont placés sous la Direction du
Trésor. En 1851, la suppression par décret des
pagadories générales et particulières des ministères
complète cette centralisation en faisant du ministère
le payeur des services publics. A partir du 1er juillet
185, « ce sont les dépendances du Trésor Public qui
exécuteront le paiement de toutes les obligations
des différents ministères, les pagadories générales
et particulières desdits ministères étant alors
supprimées, sans préjudice de pouvoir établir sous
la dépendance du Trésor celles que pourront exiger
à l’avenir les besoins nécessaires ou spéciaux de
quelque branche du service public ».
D’autre part, la même loi du 20 février 1850
organise la comptabilité en centralisant
l’information et en imposant des budgets. Elle
établit tout d’abord le principe d’une comptabilité
par exercices* d’un an correspondant à l’année
civile, au tenue desquels six mois supplémentaires
(de janvier à décembre) pennettront de finir les
opérations de recouvrement et de dépenses par
services ministériels. Les avoirs non recouvrés et
les obligations non payées au tenue de ces six mois
viendront alimenter un compte des restes* dans
l’exercice de l’année suivante (art. 22 de la loi du
20 février 1850). L’innovation est de taille. F.-A.
Conte y voit la disposition fondamentale de toute la
loi. Après avoir expliqué aux lecteurs encore
ignorants de la chose ce ^ue sont un exercice et une
année économique, il conclut : « Cette disposition
de la loi du 20 février est de la plus grande
importance, et l’on pourrait presque dire que par
elle seule elle constitue tout un système de
comptabilité publique, et que cette loi est d’autre
part la nouveauté la plus essentielle qui ait été
introduite dans le système économique de
l’Espagne ».
L’attribution de six mois de délai supplémentaire
pour recouvrer les recettes de l’année et faire les
dépenses prévues dans le budget évite de confondre
les budgets de deux années, permettant « que les
opérations soient effectuées et closes sans être
mélangées à celles de l’année suivante, apparaissant
en toute clarté et de façon distincte, et l’on obtient
que la distribution et le règlement des services par
Budgets annuels soient une vérité (sic), car c’est la
base capitale de tout bon système des finances ».
Traduction politique, explicitée par la biographie de
Pro Ruiz : cette clôture des comptes donne aux
Cortès de réelles possibilités de contrôler a
posteriori la gestion des ministres.
Les comptes publics sont divisés en six branches
(recettes publiques, dépenses publiques, trésor
public, budgets, dette publique, propriétés de
l’État). Chaque ministère doit établir un budget*
annuel des dépenses de son service assorti de
propositions concernant leur financement. Il est
transmis au Ministère des finances, qui regroupera
l’ensemble de ces budgets dans un « budget général
de l’État» soumis aux Cortès. Le compte des
budgets se fait ainsi par service ministériel et doit
être subdivisé en chapitres et articles cohérents. F.-
A. Conte explique qu’il s’agit d’adopter une
« nomenclature » claire. En outre, tous les
ministères habilités à recouvrer et administrer des
fonds doivent rendre un compte mensuel à la
Chambre des comptes générale du Royaume, remis
postérieurement au Tribunal des comptes. Ces
budgets sont impératifs et ont force de loi. Aussi, si
les ministres sont habilités à utiliser les reliquats*
d’un article pour subvenir aux frais d’un autre
article, dans un même chapitre, ne peuvent-ils en
aucun cas distraire les crédits d’un chapitre vers un
autre. Il est rappelé en mai 1851 que les dépenses
qui n’y sont pas prévues ne pourront être
effectuées : « Aucun paiement ne sera ordonné s’il
n’est compris dans le budget général d’État ou dans
les crédits supplémentaires ou extraordinaires
mentionnés dans l’article 27 de la loi du 20 février
1850. Et les mandats partiels de paiements ne
devront pas dépasser la somme totale consignée
pour chaque chapitre dans les distributions
mensuelles de fonds dont parle l’article 24 de la loi
mentionnée ci-dessus » (10 mai 1851).
Corollaire de ces dispositions, la publicité*, qui
oblige les services des finances à respecter les
budgets accordés aux Cortès. F.-A. Conte la juge
satisfaisante en 1855: «Notre système actuel de
publicité n’est pas seulement très complet, mais
c’est le plus parfait de tous les pays. Tous les mois
on publie la distribution des fonds du mois suivant,
faite en conseil des ministres suivant les Budgets en
vigueur, ainsi que des états détaillés des
prélèvements du mois précédent, comparés à ceux
du même mois de l’année antérieure. Chaque
trimestre, sont publiés des états des crédits ouverts
dans le trimestre antérieur par le Trésor à chaque
ministre, par chapitres, et d’autres des applications
que chaque ministre à faites, soit de
l’investissement donné aux fonds suivant les
mêmes chapitres du Budget. Tous les six mois enfin
on publie des états en résumé de toutes ces
opérations. Celles de dépenses et recettes
municipales et provinciales sont sujettes à des
publications mensuelles de même nature. Enfin, les
Budgets sont imprimés, sinon avec tous les détails
qui figurent dans ceux d’autres pays, au moins avec
les détails suffisants pour que tous les Espagnols
puissent se faire une idée complète des services
publics et de la distribution donnée aux sacrifices
qu’on leur impose pour les entretenir. Les Comptes
Généraux font l’objet d’une semblable
publication ».
Complément des dispositions de janvier 1850, la
Chambre des comptes générale du Royaume est
réorganisée et renommée en juin 1850 Direction
générale de comptabilité des finances publiques
(décret du 20 juin et instruction du 25 juin 1850),
comptant un directeur général, trois contrôleurs, un
teneur de livres, un secrétaire et un nombre
suffisant d’officiers et de subalternes. Responsable
de centraliser les opérations relatives aux recettes et
61

dépenses et au Trésor Public, elle doit présenter au
ministre et au Tribunal des comptes les comptes de
toutes les branches des finances, réunissant les
résultats de tout acte lié au recouvrement ou à la
distribution des fonds. D’après F.-A. Conte, elle
tient un livre permettant d’établir à tout moment la
situation des finances : « Le livre maître (libro
maestro) de ce bureau doit démontrer à tout
moment la situation réelle du trésor public (erario).
On doit y connaître les droits qu’on paye aux
Finances, ceux d’entre eux qui sont prélevés, ceux
qui sont à percevoir, ainsi que ceux qui pour tout
motif sont payés aux créanciers, ce qu’on leur paye
et ce qu’on leur doit. Cette comptabilité numérique
accompagnée de la documentation des parties passe
au Tribunal des Comptes qui l’examine et émet un
jugement sur elle ».
Le Tribunal des comptes, réorganisé peu après (loi
du 25 août 1851), s’appuie sur ces documents pour
juger de la reddition de comptes de tous les
comptables. Idéalement, son activité permet de
garantir que les ordonnateurs n’ont pas ordonné
d’autres dépenses que celles fixées par les crédits
législatifs, que ces crédits ont reçu la destination
fixée par la loi de budget, que les payeurs ont payé
strictement les sommes ordonnées, que ceux qui ont
été payés n’ont reçu que les sommes que leur devait
légitimement le Trésor.
En somme, d’après Conte, Bravo Murillo a su
adopter et systématiser de façon cohérente le
meilleur des pratiques des autres pays (il pense
notamment à la France*, l’Angleterre* et la
Belgique). L’éloge est hyperbolique, sans doute à la
mesure des oppositions qu’a rencontrées la
réforme : « La comptabilité publique, réglée sur les
principes de la science et sur la pratique des autres
pays, est, nous l’avons dit, chose très neuve dans
notre pays. On en doit l’introduction au sieur Bravo
Murillo, qui depuis son entrée au Ministère des
Finances a commencé à travailler avec une
admirable constance pour réunir les matériaux et
préparer le chemin permettant d’atteindre la
perfection que d’autres pays n’ont atteinte qu’après
de longs et pénibles efforts. (...) Toutes ces lois,
ainsi que des dispositions postérieures qui étendent
les principes de notre administration et de notre
comptabilité, font un ensemble qui constitue un
système parfait, qui nous faisait défaut. Système qui
outre son mérite a l’avantage, sur ceux en vigueur
dans les autres nations, de former un corps complet
de doctrine, une sorte de code bref dans lequel sont
réunies et recueillies toutes les dispositions
concernant cette matière».
Une réforme controversée
On aura remarqué que Conte publie sa défense de
Bravo Murillo pendant l’exil de ce dernier, dans
une entreprise délibérée de défense de son héritage,
puisqu’il invite les futurs ministres des finances à
consolider son entreprise. Parmi les réticences
62
recherche de la finalité que doit avoir cette société civile libérale dans les campagnes
suscitées par les réformes de Bravo Murillo, on
comptabilité matérielle». Valenciennes » dans P. Fournier, J.-P. Luis, L. P.
retiendra celles que rencontre la centralisation et
Si les « méthodes » mentionnées sont bien celles de Martin et N. Planas dir., Institutions et
celles que suscite la modification des méthodes
la tenue des livres, il faut donc comprendre que représentations du politique. Espagne - France -
comptables.
Bravo Murillo a souhaité éviter d’imposer la partie Italie, XVIIe-XXe siècles, Clermont-Ferrand, P.U.
La centralisation n’est pas du goût des autres
double à tous les bureaux, confirmant ici son Biaise Pascal, p. 121-155.
ministres. Ainsi, la suppression des pagadories des
pragmatisme politique — pour éviter de susciter
différents services, en mai 1851, ne reçoit pas
une opposition frontale. Ce choix implique aussi, si Bref état
d’application immédiate, en raison de la réticence
l’on en croit Conte, que Bravo Murillo estimait Un compte par « bref état » est celui qui se rend par
de certains ministères. F.-A. Conte regrette en 1855
encore, en 1850, que la tenue des livres et recette, simple mémoire, sans être divisé en chapitre* de
qu’elle n’ait été prise que par décret, et non par loi,
dépense et reprise* n’était pas incompatible avec recette, dépenses et reprise*. Un tel compte n’était
des ministres « moins entendus ou moins zélés »
les nouveaux objectifs qu’il assignait à la pas destiné à être examiné par une Chambre des
ayant profité de la faille.
comptabilité nationale. La supériorité de la partie comptes*, mais plutôt par le conseil ou la chambre
Au sein des bureaux des différents ministères, y
double* n’allait donc pas de soi. De la même façon, des finances*. M.-L. L.
compris celui des finances, ce sont les méthodes
la comptabilité matières*, que la loi du 20 février
comptables qui sont sur la sellette. Tout d’abord, le
1850 prescrivait aux branches de la fiscalité des Brevet
mode de tenue des livres est à peine évoqué dans
Monopoles, se heurte à des réticences, d’après le Ce tenue technique a d’assez nombreux emplois en
les textes de 1850 et 1851. En effet, seul le décret
même Conte. Celui-ci indique en effet que l’adopter français ancien ou moderne ; nous retiendrons les
instituant la Direction générale de la comptabilité
conduirait à une « centralisation totale » qui
donne cette précision, indiquant qu’elle sera suivants.
pourrait « détruire ou transformer radicalement les D’après Furetière (1690) et Y Encyclopédie, le
chargée de « Tenir le compte de toutes les branches
conditions actuelles de l’organisation administrative brevet est un acte expédié en parchemin par un
de l’administration publique en suivant le système
dans toute ses divisions ». Or, la « guérison secrétaire d’État et portant concession d’une grâce
de la partie double ». Même prudence dans
complète » s’avérant « difficile pour l’instant », il ou d’un don que le roi fait à quelqu’un, comme un
l’instruction qui accompagne le règlement de
convient de lui préférer un « remède ». L’auteur se bénéfice à sa nomination, une pension, un grade
comptabilité de la marine du 13 novembre 1850,
sent tenu d’excuser ce qu’il paraît percevoir comme militaire ou autre grâce semblable. L’octroi d’une
pourtant volumineuse et accompagnée de 150
un retard : les conflits suscités en France par le pension peut être soumis à une condition, par
formulaires. Tl est signalé rapidement que les
même projet de -réforme rendent plus exemple le bénéficiaire quitte un emploi ou, au
comptes de chaque département et arsenal seront
compréhensible ce retard dans un pays « qui contraire, elle est supprimée par l’obtention d’une
tenus en partie double de façon uniforme, et la
commence sa carrière administrative ». A.D. autre place aux appointements supérieurs : on parle
référence à un grand livre*, un journal* et des livres
Voir Comptabilité-matières, Comptabilité publique, alors de brevet d’assurance de pension. Les brevets
auxiliaires ne laisse pas de place au doute. Cette
Exercice, Publicité, Partie double sont normalement des actes administratifs signés
discrétion n’a guère été relevée par les historiens.
Toutefois, Isidoro Guzman Raja, spécialiste de la par le roi et contresignés. De nombreuses
Sources : Ley, jijando las bases de la contabilidad nominations se font par brevet. Il en est parfois
comptabilité de la Marine, la signale et l’attribue au
general, provincial y municipal, 20 février 1850. expédié sur requête. Exceptionnellement, un brevet
fait que les responsables des comptes publics
Real orden, aprobando la instrucciôn para llevar a peut contenir des dispositions générales faisant loi
s’accordent pour reconnaître l’efficacité de la
efecto la centralizaciôn de los productos întegros en plus d’une ou de plusieurs décisions
méthode pour refléter l’activité économique de
de todas las contribuciones, rentas, impuestos y individuelles.
l’administration. Néanmoins, le témoignage de F.-
derechos del EStado en las cajas del Tesoro Le brevet annuel de la taille est « la commission du
A. Conte autorise une autre interprétation. Conte
Pûblico ; la distribuciôn de los fondos que ingresen Conseil scellée du grand sceau de cire jaune qui
signale en effet que les préceptes de la loi
en el mismo, y la ordenaciôn de las cuentas en la contient la somme qu’il plaît au Roi d’imposer pour
concernant la forme matérielle de la comptabilité
forma que prévienne el Real decreto de 24 de la taille dans l’étendue de chaque généralité et de
ont suscité des critiques : « Cette observation n’est
octubre de 1849, 25 janvier 1850. Real orden, chaque élection [des pays d’élections et des pays
pas inutile aujourd’hui, d’autant plus que nombre
aprobando la instrucciôn en que se consignaii las conquis ; l’avis des trésoriers de France, auxquels le
de gens critiquent la loi de comptabilité de 1850
facultades y obligaciones de la Direcciôn General brevet est adressé par extraits, est requis pour la
parce qu’ils ne comprennent pas les préceptes ou
de Contabilidad de la Hacienda püblica, 25 juin répartition par élections] ». À la fin de l’Ancien
règles relatifs à la méthode ou forme que devrait
1850. Real decreto suprimiendo las pagadurias régime, le brevet porte que, « le Roi traitant de la
avoir la façon, disons-le ainsi, matérielle de rédiger
generales y particulares de los ministerios, sin conduite et administration de ses finances pour
les notes descriptives des opérations qui sont
perjuicio de establecer bajo la dependencia del l’année suivante et s’étant fait représenter les
pratiquées dans le maniement de l’avoir du Trésor
tesoro pûblico las que en lo sucesivo exijan las projets des dépenses à faire pendant ladite année
[erario]». Il précise aussitôt : « Cette loi n’aurait dû
atenciones del servicio pûblico, 10 mai 1851. Conte pour l’entretènement des maisons royales, des gens
que marquer, prescrire les règles administratives
F.A. (1855). de guerre, tant par mer que par terre, les charges
que doivent suivre les bureaux généraux, locaux et
Bibliographie : Guzman Raja I. (2006). Pro Ruiz J., [assignées sur les caisses] des recettes générales et
particuliers pour offrir des garanties de rectitude et
Bravo Murillo. Polîtica de orden en la Espaha particulières et autres, et les états des recettes
de fidélité dans le maniement de cet avoir, mais en
liberal, Madrid, Sintesis, 2006. Pro Ruiz J., « Des générales et particulières des finances des
aucune façon elle n’aurait dû marquer les procédés
finances royales aux finances publiques : le
purement mécaniques d’ajustement à ces règles des généralités des pays d’élection du royaume,
contribuable et l’administration dans le nouvel
opérations descriptives qui peuvent être nécessaires ensemble ceux du taillon, ponts, chaussées, turcies
ordre fiscal (1833-1852)» dans A. Dubet éd. et levées ; et, S.M. voulant pourvoir aux choses
pour atteindre la finalité d’une exacte comptabilité
(2008), p. 291-305. Rull Sabater A. (1991). nécessaires pour satisfaire aux dépenses et charges,
descriptive. Dans cette loi, toutes les méthodes
Calatayud S., Millân J. et Cruz Romeo M., « Une Elle a résolu et ordonné qu’il soit imposé sur les
possibles ont leur place, et elle laisse toute latitude
administration apolitique ? Bravo Murillo face à la sujets contribuables des généralités de son
pour rechercher celle qui sera le plus adaptée à la
63
royaume, pendant l’année 1784, [...]». Depuis
1768, le brevet contient la taille, le taillon, le fonds
des maréchaussées et des étapes, ainsi que les sols
par livre d’augmentation. La taille a été fixée
définitivement en 1768 pour chaque généralité, et
ses accessoires ou additions en 1780: toute
modification de montant doit désonnais se faire par
voie d’édit.
Le brevet de retenue est une concession faite par le
roi aux détenteurs de certains emplois ou de
certaines charges non héréditaires qui leur permet,
ainsi qu’à leurs héritiers ou créanciers le cas
échéant, de toucher du successeur au moins la
somme stipulée dans le brevet en cas de décès ou de
démission (par suite d’une promotion ou d’une
véritable démission, la finance étant à vendre dans
les deux cas). Dans certains emplois importants
dont le roi tenait à désigner les titulaires, à
commencer par les secrétaires d’État, le brevet de
retenue fixait le prix de la commission et l’assurait
en entier. Une forme particulière de brevet de
retenue a permis à des officiers militaires d’éviter
de perdre la valeur vénale de leur charge en cas de
mort, vu que les charges militaires n’étaient pas
garanties par la paulette. Le roi avait égard aux
mérites ou à l’impécuniosité de l’officier : il
attribuait souvent la grâce après coup à la famille, et
le montant pouvait même être ensuite augmenté,
sans toujours atteindre le prix payé ou réglé (la
« taxe ») de la charge du décédé. Le brevet est
encore la minute d’un acte passé par devant notaire
délivrée en original à l’une des parties. Un financier
qui prête son argent veut en avoir le brevet par
devers lui. B.L.
Sources : Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Encyclopédie méthodique, Finances (1784).
Bibliographie : Bély L. dir. (2003). Gorau F., La
vénalité des charges militaires en France aux XVIIe
et XVIIf siècles, Lille, ANRT, 1996. Mousnier R.,
Les institutions de la France sous la monarchie
absolue, Paris, 1990-1992. Olivier-Martin F., Les
lois du Roi, rééd., Paris, Loysel, 1988. Sueur P.,
Histoire du droit public, XVe-XVIIf siècle, Paris,
2001.
Brouillard, brouillon
Le brouillard ou mémorial, dénommé aussi main-
courante à partir de la fin du XVIIIe siècle, est l’un
des trois principaux livres utilisés dans le cadre de
la tenue des livres en partie double*, les deux autres
étant le journal* et le grand livre*. Memoriale ou
squartafoglio en Italie, memorial ou borrador en
Espagne, on y enregistre dans l’ordre
chronologique et de façon narrative l’ensemble des
opérations réalisées, sans se préoccuper
nécessairement des comptes qui devront être
mouvementés et de quelle façon ils le seront. C’est
à partir des informations qui y sont consignées que
le teneur de livres préparera ses écritures au journal,
64
lesquelles préciseront les intitulés des comptes à
débiter et à créditer.
Samuel Ricard en ayant disserté d’abondance, nous
lui empruntons deux de ses remarques. La première
porte sur la forme et le contenu des articles qui y
sont portés : « Dans ce mémorial, brouillard ou
brouillon, les articles doivent être écrits aussi
proprement et intelligiblement qu'il est possible,
[...] il ne suffit pas d'écrire lors que l'on reçoit de
l'argent, ou que l'on en débourse, ou que l'on reçoit
ou envoyé des marchandises ou effets, de dire tant
seulement, tant reçu, tant payé, ou tant envoyé,
mais il faut expliquer de quelle manière l'on a reçu,
ou payé, si ce sont des marchandises ou des effets,
dire en quel volume, numéro, marque, et par quelle
voye ou voiture, on les a reçues ou envoyées, et
pour compte de qui, et si c’est par mer ou par
terre. » La seconde explique l’intérêt qu’il peut y
avoir à tenir un mémorial : « Quelques-uns donnent
à ce livre le nom de brouillard ou brouillon, parce
que ceux qui font des affaires un peu considérables,
ne pouvant pas eux-mêmes ou leurs teneurs de
livres y écrire journellement, et au même tems que
les affaires se font et se négocient, ils permettent à
tous ceux ausquels ils donnent pouvoir d'acheter, de
vendre ou de négocier, comme à femme, enfans et
facteurs, d'écrire généralement toutes les affaires,
l'une à la suite de l'autre, par ordre de datte du jour,
du mois et de l'année, sans laisser écouler des jours,
mois et années à les écrire. » Il reviendra au teneur
de livres de réaliser ultérieurement les
enregistrements au journal.
L’utilisation d’un mémorial n’est pas indispensable,
surtout lorsque, dans le cadre d’une division du
travail plus poussée, on dispose déjà de divers
livres auxiliaires tels que livre des ventes, livre des
achats, livre de caisse, etc., susceptibles de fournir
toutes les informations nécessaires aux
enregistrements au journal. L'usage du mot
brouillard en comptabilité a cependant persisté,
mais il désigne aujourd'hui une première saisie
informatique des écritures du journal avant
validation — souvent en fin de mois —- et donc
susceptibles d'être modifiées dans l'intervalle ! Y.L.
Sources : Ricard S., L'art de bien tenir les livres de
compte en parties doubles à l'Italienne,
Amsterdam, Paul Marret, 1709.
Budget
Le budget est un acte par lequel sont prévues et
autorisées tant des recettes que des dépenses.
Le terme budget
En ancien français, la bouge ou la bougette
désignait un petit sac de cuir utilisé comme bourse.
Le terme acquit une signification plus conceptuelle
en Angleterre* au début du XVIIIe siècle. Il
désignait alors la proposition de recettes et de
dépenses faite au Parlement par le chancelier de
l’Echiquier pour l’année à venir. Michel Bottin
signale que to open a budget « signifie de façon
familière et imagée ouvrir le sac des solutions
financières. Le terme, fort peu juridique à l’origine,
a été particulièrement utilisé à des fins de critique
politique : un pamphlet de 1733, The Budget
opened, présente ainsi le premier ministre Robert
Walpole comme une sorte de charlatan vantant au
Parlement ses remèdes miracles ». Alors qu’il est
couramment employé en Angleterre* à partir du
milieu du XVIIIe siècle, le terme apparaît en France
sous le Consulat à l’article 3 de la loi du 21 floréal
an X, puis sous l’Empire dans la loi du 21 avril
1806 qui pointe la « loi relative au budget de
l’État ». Suivant les conquêtes napoléoniennes, on
le retrouve à l’article 227 de la constitution de
Cadix de 1812. L’acte additionnel aux constitutions
de l’Empire du 22 avril 1815 définit enfin «le
budget général de l'État » comme l’acte « contenant
l’aperçu* des recettes et la proposition des fonds
assignés pour l’année à chaque département du
ministère ». La double vocation du budget,
prévision et autorisation, figurait déjà dans le texte
de 1815 et fut reprise et précisée dans les textes
ultérieurs à l’image de l’ordonnance du 31 mai
1838 : «Les recettes et les dépenses publiques à
effectuer pour le service de chaque exercice sont
autorisées par les lois annuelles de finances et
forment le budget général de l’État ».
L'état financier
Si formellement, le terme budget apparut en
Angleterre au milieu du XVIIIe siècle et en France
au tournant du XIXe siècle, le concept de budget est
bien antérieur. Les grands pays européens
disposaient d’états* (Hauptetats en allemand
estimâtes en anglais) dès le XVIe siècle. Ces états
constituaient de véritables budgets, bien que Marcel
Marion, dont l’opinion a été très reprise dans la
doctrine, affirmât que la monarchie française
d’avant 1789 ne connut ni budget, ni bilan* de ses
recettes et de ses dépenses. Les auteurs de la Ille
République poursuivaient des objectifs politiques
autant que scientifiques dans leurs écrits et le
budget ne se concevait pas sans l’intervention d’un
Parlement! Or les états étaient des documents
contenant une prévision des recettes et dépenses à
faire, établis pour une année, arrêtés au conseil des
finances et signés de la main du roi. Il s’agissait
d’une prévision financière dressée à partir des
arrangements des finances* ordinaires qui
contenaient des dispositions propres aux dépenses
comme aux recettes. L’acte dépassait la simple
prévision pour accorder une forme d’autorisation.
En ce qui concerne les dépenses, la signature du roi
au bas des états valait autorisation de dépenser pour
les ordonnateurs*. En ce qui concerne les recettes,
jusqu’au XVIIe siècle, le roi obtenait des États
généraux ou des États provinciaux le droit de
percevoir de nouveaux impôts. Puis le parlement de
Paris fut substitué aux premiers en l’absence de
réunion entre 1614 et 1789, selon la théorie dite de
l’interstice. Les états peuvent être lus comme une
validation des montants d’impôts à percevoir. Dès
lors, ils représentent bien un acte d’autorisation et
de prévision et préfigurent ce que seront les
budgets.
Dans les Pays-Bas espagnols et dès le XVe siècle,
les officiers comptables rédigeaient aussi des états
de prévision qui vont tomber en désuétude au XVIe
siècle faute d’incitation. Inversement, dans les
Pays-Bas méridionaux et en dépit des exigences de
Vienne, il n'y a pas eu de projet de budget ou d’un
quelconque état de prévoyance avant les années
1750. Le « rapport sur les finances des Pays-Bas »
présenté en 1754 par le trésorier général Patrice de
Neny et qui prévoit un « tableau des recettes et
dépenses pour l'année 1755 » serait le premier essai
de prévision validé à Vienne et dès lors répété à la
fin de chaque exercice financier.
Au-delà des états, qui ne concernaient que la partie
prévision des finances, l’Ancien régime connut par
moment des « aperçus », « comptes-rendus au roi »,
ou « inventaires » qui traduisaient un effort de
connaissance de l’ensemble des finances et
constituaient d’autres formes de présentations
financières de l’activité de l’État. Lors des Etats
généraux de 1789, Necker* employa encore le
terme de « prospectus des revenus et des
dépenses ». C’est lors de la Révolution qu’au ternie
d’état du roi, on substitua progressivement celui
d’état de prévoyance, puis celui de budget. La
circulaire du 9 thermidor an X (28 juillet 1802)
assimile encore, à propos des finances communales,
les deux termes « état ou budget ». Sous l’Empire,
les budgets conservèrent leurs caractère
d’autorisation: qui désobéirait à l’empereur?
Mollien évoqua dans ses Mémoires « les ministres
(qui) s’accoutumaient à respecter les limites de
leurs budgets, à regarder cette espèce de traité fait
entre eux et le trésor comme la base des traités
qu’ils pouvaient régulièrement faire avec les
entrepreneurs de leurs services ». La Restauration
s’inscrit dans cette perspective quand elle prescrit
par l’article 151 de la loi du 25 mars 1817 que les
ministres ne pourront, sous leur responsabilité,
dépenser au-delà des crédits qui leurs sont ouverts
au sein du budget général : le budget est une mise à
disposition de crédits.
L’introduction du Parlement dans le processus
budgétaire
L’apparition de Parlements enrichit le débat relatif à
la notion de budget d’un aspect politique. Le
pouvoir budgétaire est partagé avec le
gouvernement et le budget prend forme légale.
Proposé par l’exécutif, le budget doit être intégré
dans une ou plusieurs lois pour revêtir sa force
contraignante. Le point d’équilibre est globalement
atteint en Europe au premier tiers du XIXe siècle.
65
En Angleterre*, le premier ministre et le chancelier
de l’Echiquier présentent le budget aux Chambres
qui votent successivement « des subsides » puis les
« voies et moyens », priorité étant accordée aux
Communes. L’« appropriation » arrête
définitivement les montants des crédits ouverts, fixe
les emplois et indique les possibles
réaménagements en cours d’exercice.
En Espagne, l’article 227 de la Constitution de
Cadix de 1812 établit l’initiative gouvernementale
en matière budgétaire : « les secrétaires des
dépêches prépareront les budgets annuels des
dépenses de l’administration publique que l’on
jugera nécessaire de faire dans leurs départements
respectifs ». Corollairement, c’est le Parlement qui
vote le texte et lui donne force obligatoire. L’article
131 dispose en ce sens qu’il appartient aux Cortès
de « fixer les dépenses de l’administration publique
(...) Établir les contributions et impôts chaque
année ».
En France, dès leur constitution en Assemblée
nationale, les États généraux validèrent la
perception des impôts antérieurs par le décret 17
juin 1789. Ils affirmaient par là le principe du
consentement de l’impôt qui fut repris et figé par
l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen des 20 et 26 août 1789. Les cahiers de
doléances, la déclaration des intentions du roi du 23
juin 1789 et les travaux préparatoires de la
Déclaration établissent le lien entre le
consentement de l’impôt et les dépenses ainsi
couvertes. Le lien resta théorique pendant une
décennie, les constitutions révolutionnaires
distinguaient le vote des contributions et celui des
dépenses jusqu’en 1799. C’est l’article 45 de la
Constitution du 22 frimaire an VIII qui réunit les
deux textes. « Le gouvernement dirige les recettes
et les dépenses de l'État, conformément à la loi
annuelle qui détermine le montant des unes et des
autres ». Le pouvoir budgétaire était durablement
partagé entre l’exécutif et le législatif, le premier
préparant l’état financier, le second sanctionnant
son caractère obligatoire en la forme légale. S.K.
Voir Arrangement de finances, Etat du roi,
Principes budgétaires
Sources : Loménie de Brienne (1788). Necker
(1781).
Bibliographie : Bottin M. (1986 et 1991). Dubois de
l’Estang, (1889). Morineau M. (1980). Moureaux P.
(1970). Pro Ruiz (2008). Roch E., Annuaire du
budget, Paris, Sédillot, 1830. Stourm R. (1885).
Tallineau L., « Des droits et des devoirs », Droit et
société, n°14, 2007, p. 201-209. Vandenbulcke A.
(1996).
Bureau de la comptabilité nationale
(1791-1799)
Institution établie par l’Assemblée législative
française le 17 septembre 1791 pour remplacer les
66
Chambres des comptes abolies le 2 septembre 1790.
Au sein du comité de liquidation, les débats sur
l’organisation de cet établissement aboutirent à un
compromis très peu satisfaisant. Composé de
quinze commissaires vérificateurs et divisé en cinq
sections, ce bureau fut chargé non seulement de
vérifier la comptabilité de tout individu ou
compagnie responsable des deniers publics, mais
aussi la comptabilité arriérée jusque là dévolue aux
Chambres des comptes. La tâche était infinie : le
caissier central, les payeurs principaux de la
Trésorerie nationale*, le trésorier de
l’Extraordinaire, les administrateurs des domaines,
ceux des douanes, ceux de la régie* des droits
d’enregistrement, « ainsi que tous les préposés
généraux à la recette des droits perçus dans toutes
les parties du royaume » devaient rendre compte au
bureau de comptabilité. Ils ne furent pas tenus
néanmoins à la formalité de rapporter des états au
vrai* signés des ministres ou des ordonnateurs.
Naturellement, les députés voulurent garantir
l’indépendance de cette administration vis-à-vis des
ministres dont la responsabilité pouvait être mise en
cause. Dans le nouveau dispositif constitutionnel,
l’Assemblée examinait et approuvait les comptes
formés par la Trésorerie* et vérifiés par le Bureau
de comptabilité à partir des pièces justificatives. Le
décret du 17 septembre régla que les quinze
commissaires, chargés de faire le rapport des
comptes devant les législateurs, étaient à la
nomination du roi, « comme le surveillant le plus
immédiat de l’administration générale », mais
pouvaient être destitués à la demande de
l’Assemblée. En outre, en cas de mise en cause de
la responsabilité d’un ministre, la Législative
pouvait nommer des commissaires pour vérifier
« sur les lieux » les dépenses incriminées et intenter
une « action en responsabilité » devant les
tribunaux. Toutes ces dispositions respectaient donc
les principes consacrés par la Constitution de 1791.
Les premiers commissaires de la comptabilité
furent tous pris parmi les manieurs d’argent de
l’Ancien régime ou sur recommandations
ministérielles. D’où la réaction des élus issus de la
campagne électorale d’août-septembre 1791 : ils
discutèrent de l’établissement physique du bureau
que certains désiraient « le plus près possible de
l’Assemblée » et exigèrent un compte-rendu des
activités du bureau tous les quinze jours. Mieux,
dans la séance du 3 février 1792, Condorcet
proposa de modifier les règlements de 1791 pour
faire choisir les commissaires de la comptabilité,
comme les commissaires de la trésorerie d’ailleurs,
directement par des électeurs, « médiatement ou
immédiatement choisis par le peuple ». Il proposa
que chaque département nommât un électeur et que
les 83 électeurs ainsi désignés se rendissent à Paris
pour nommer les commissaires. Le 9 février, la
Législative adopta l’organisation définitive du
bureau de comptabilité. On est frappé par les
précautions infinies qu’elle prit pour défendre ses
prérogatives financières. Elle autorisa
provisoirement les commissaires à donner leurs
ordres aux comptables en attendant un plan général
de comptabilité, mais interdit catégoriquement tout
déplacement de comptes sans son autorisation.
Le Bureau de comptabilité n’eut jamais les moyens
de fonctionner. Entre 1791 et l’an VIII, aucun
compte ne lui fut présenté. D’une part, les anciens
comptes furent transmis avec difficulté aux
autorités nouvelles ; d’autre part, la Trésorerie
nationale*, chargée de la comptabilité de caisse,
retarda le plus possible la transmission des pièces
au Bureau. Cambon* eut beau suggérer le 24
novembre 1791 que le Bureau présentât ses vues
sur les moyens d’accélérer la reddition et
l’apurement des comptes arriérés, les autorités
locales manquèrent à leurs devoirs. Le Directoire ne
modifia que légèrement la situation. La constitution
de l’an III délimita l’attribution des nouveaux
commissaires, réduits au nombre de cinq, par
l’article 322 : « le compte général des recettes et
des dépenses de la République, appuyé des comptes
particuliers et des pièces justificatives, est présenté
par les commissaires de la trésorerie aux
commissaires de la comptabilité, qui le vérifient et
l’arrêtent ». Aux dires de Goussard, les nouveaux
commissaires de la comptabilité ont été utiles :
« cet établissement est du très petit nombre de ceux
qui, malgré les secousses révolutionnaires, se sont
élevés insensiblement à une consistance et à un
degré de vigueur qu’on rencontre rarement dans les
autres établissements publics ». Il est vrai qu’ils
commencèrent à apurer quelques comptes
antérieurs à 1791, mais l’essentiel du travail, la
vérification et la liquidation définitives des comptes
arriérés, fut l’oeuvre des fonctionnaires du Consulat
et de l’Empire. M.-L. L.
Voir Chambre des comptes, Trésorerie nationale
Sources : AN, F4 1001, Loi relative à la suppression
des Chambres des comptes et à la nouvelle forme
de comptabilité, le 29 septembre 1791, Paris, 1791,
12 p. Gazette nationale ou le Moniteur universel
n°35 de la troisième année, 4 février 1792, bulletin
de l’Assemblée nationale, séance du vendredi 3
février ; n°40 de la troisième année, 9 février 1792,
bulletin de l’Assemblée nationale, séance du 8
février. Cambon, Opinion de M. Cambon sur le
rapport du comité de la caisse de l’extraordinaire
& sur la dette publique, 24 novembre 1791. Burté
A. (1791). Cochard C.A. (1791). Goussard A.
(1799).
Bibliographie : Bruguière M. (1986).
Bureau des comptes, bureau de
comptabilité
C’est le lieu où se vérifie la réalité et la validité des
recettes et dépenses et où se forment les comptes
proprement dits. Ce genre de bureau pouvait être
établi au sein d’une administration privée, semi-
publique comme la Ferme générale*, ou publique
comme une régie*, une recette générale, voire un
ministère.
A Vienne, deux bureaux centraux de comptabilité
ont d’abord existé, pour chacune des caisses
centrales de revenus : un bureau de comptabilité
aulique (Hojbuchhalterei), pour former les comptes
généraux des revenus issus du domaine* et un
bureau de comptabilité de guerre
(Kriegsbuchhalterei) pour les comptes issus des
contributions que chaque pays devait à la
monarchie. Au XVIIIe siècle, le bureau de
comptabilité aulique fut subdivisé par branche de
revenus. On distinguait ainsi le bureau de
comptabilité de la Banque, des mines, des
fondations... On y tenait un Grand Livre* dans
lequel étaient reportés les résultats* des comptes
subalternes de chacune des branches. Dans ces
bureaux, chaque compte était soumis au
calculateur*, puis au reviseur* ou contrôleur*
chargé d’examiner si le compte est exact, puis au
greffier. Ces bureaux secondaires étaient
coordonnés par un bureau central
(Kameralhauptbuchhalterei). En outre, il existait
des bureaux provinciaux de comptabilité
(Landesbuchhalterei) dans les territoires
dépendants comme la Hongrie. Lors de la réforme
de la Chambre des comptes* de Bruxelles (1786-
1787), il fut question de créer dans la capitale des
Habsbourg un bureau aulique de comptabilité pour
les finances belgiques, chargé du coulement* des
comptes à partir de l’examen des extraits* de
registres fournis par Bruxelles. Ce bureau devait, à
l’instar de celui des provinces hongroises, être
établi à l’hôtel du département des affaires
étrangères « pour être à portée du référendaire des
provinces belgiques » et être dirigé par Schwarzer*.
Les protestations de la Chambre des comptes* de
Bruxelles eurent néanmoins raison de ce projet et la
prestigieuse institution bruxelloise continua de
couler les comptes des Pays-Bas, tout en faisant
parvenir ses registres-journaux* à la Chambre des
comptes* de Vienne (Hofrechenkammer). Cette
passe d’armes entre Bruxelles et Vienne révèle
deux conceptions diamétralement différentes du
contrôle* comptable, l’une privilégiant le contrôle
administratif dans le cadre d’une comptabilité
camérale*, l’autre accordant la prééminence aux
juges. Vienne dénonça cette dernière conception en
tenues clairs : « « L’emploi des deniers doit être
contrôlé de plus près par la chambre aulique des
comptes. Voilà pourquoi les journaux de toutes les
recettes générales doivent être envoyés ici pour être
coulés et leurs parties rangées sous les rubriques*
convenables dans les grands Livres* de
concentration par un bureau siégeant ici sous les
yeux de ce département aulique qui ne saurait
autrement que par ce moyen attester l’observation
fidèle de ordonnances du trésor royal ».
67
En France, Colbert* créa en 1661 un « bureau de
vérification des états au vrai* » auprès du Contrôle
général des finances*, mais les ministères de la
Guerre et de la Marine conservèrent également des
bureaux d’examen des comptes. A La Marine par
exemple, l’adjoint de Colbert*, François d’Usson
de Bonrepaus, examinait les comptes des trésoriers
et intendants du département. En 1687, cet examen
est confié à un nouveau bureau, dit « de l’examen
des comptes », qui s’ajoute au bureau des fonds* et
rejoint le Contrôle général des finances* en 1781.
Le bureau est chargé de contrôler les états au vrai*
des trésoriers avant leur présentation au Conseil.
M.-L. L.
Voir Autriche, Comptabilité camérale, Etat au vrai,
Pays-Bas
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 185, f° 784,
1786. AAE, Mémoires et Documents, Autriche 39,
f3 312.
Bureau des finances
Administration créée en France en juillet 1577 par
la réunion des charges de trésorier de France et de
général des finances sous le titre de trésoriers
généraux de France*. Chaque généralité disposait
d’un bureau en possession de connaître les affaires
relatives au domaine* et aux impôts. On comptait
26 bureaux de finances en 1789, celui de Paris
réunissant le plus d’officiers*, trois présidents et 32
trésoriers de France*. Les attributions de ces
bureaux étaient le département de la taille, la
réception des fois, hommage, aveux et
dénombrements des tenanciers de la mouvance
royale, l’enregistrement des droits et brevets*,
lettres de naturalité, de noblesse et la voirie. Le
développement des compétences des intendants*
leur ôta toutefois une grande partie de leur utilité et
cette administration en déclin fut raillée pendant
tout le cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Jusqu’à la
fin de l’Ancien régime, ces bureaux ont néanmoins
exercé un contrôle sur les fonds royaux. Depuis
François Ier, les Trésoriers de France étaient en
effet «juges de la ligne de compte », sans en avoir
le contentieux, comme le précise le Dictionnaire de
Trévoux. Les Bureaux de finances recevaient les
états du roi* dressés par les services ministériels
pour tous les comptables et étaient chargés de
veiller à leur exécution dans leur circonscription.
Cette fonction de contrôle administratif* des
comptes se renforça au temps de Colbert* qui
ordonna que les principaux officiers comptables
rendent leurs comptes au Conseil royal des
finances* par états au vrai*. Le ministre chargea
donc les Bureaux des finances de réclamer ces états
au vrai*, mission qui s’avéra très délicate, si l’on
s’en tient aux difficultés que rencontra le Bureau
des finances de Tours : en septembre 1663, dix-
neuf officiers comptables et commis et les héritiers
de sept autres n’avaient toujours pas obtempéré.
68
Les Bureaux de finances procédaient chaque année
à la vérification de ces états en les rapprochant avec
les acquits* et inventaires*. Ils rayaient
régulièrement des dépenses et adressaient alors au
comptable concerné des « lettres d’état » lui
demandant de corriger l’état au vrai*, puis ils
envoyaient ces états corrigés à Versailles, au
« bureau de la vérification des états au vrai »
attaché au Conseil royal des finances*, bureau créé
en 1661. Cette vérification fit l’objet d’âpres
querelles de compétence entre les officiers des
Bureaux de finances et ceux des Chambres des
comptes*. Le pouvoir central dut arbitrer des
conflits locaux comme dans le Languedoc où, par
l’arrêt du conseil du 15 septembre 1685, Louis XIV
maintint « les Trésoriers de France de Toulouse et
Montpellier dans la connaissance de tout ce qui
concerne l’exécution des états du roy et distribution
des fonds y mentionnés avec pouvoir de décerner
toutes contraintes contre les payeurs qui comptent
par état devant les trésoriers jusques à la
présentation des comptes à la chambre ». Celle-ci
ne pouvait donc prendre aucune connaissance de
l’exécution des états, ni recevoir aucun compte qui
ne soit apparu dans l’état vérifié par les Trésoriers,
à l’exception toutefois de ceux du receveur des
restes* de la Chambre des comptes* et du payeur
des gages* de la cour des aides. Il s’agit de préciser
en outre par cet arrêt que les Trésoriers ne
pouvaient user de souffrance* ni de supercession*,
ni tenir en surséance les parties employées dans les
états au vrai* des comptables. Ils ne pouvaient que
rayer ou passer les parties*. Au XVIIIe siècle, par
libelles anonymes interposés, les Trésoriers firent
voir toute l’utilité de leur vérification, tandis que les
Magistrats tournaient leurs fonctions en ridicule :
« Les Trésoriers de France voient fort inutilement si
les comptables ont fait tout ce qui etoit à faire pour
une comptabilité aujourd’hui très inutile puisque les
états du roi étant rapportés nécessairement en la
Chambre, indépendamment des états au vrai des
Trésoriers de France, la Chambre des comptes est à
porter de juger (par les états du roi qui sont joints
aux comptes) si les comptables s’y sont
conformés ». Cette querelle révèle la dégradation de
la juridiction des Trésoriers de France et les graves
manquements dans la vérification* administrative
des comptes sous l’Ancien régime. Il faut dire
qu’au XVIIIe siècle, les états du roi* ne servaient
plus qu’à affecter formellement des recettes aux
charges (paiement de rentes, gages, pensions...). Ils
étaient d’ailleurs envoyés avec retard aux Bureaux
des finances, comme en témoigne cette plainte du
Bureau de Lille : « Nous apprenons que le
Parlement vient d’être payé de ses gages, quoique
cependant l’état du Roy ne nous soit pas encore
parvenu. Cette distinction, Monseigneur, qui
suspend le payement de nos gages et de ceux des
autres parties prenantes, est affligeante pour tous
puisque les droits et les besoins sont partout les
mêmes ». Quant aux états au vrai*, leur
présentation aux Bureaux de finances souffrait
également d’importants retards. Précisions enfin
que les Bureaux de finances vérifiaient non
seulement les états des comptables, mais aussi leurs
registres journaux* qu’ils signaient, cotaient,
paraphaient « sur tous les feuillets ». Ils dressaient
procès-verbal en tête desdits journaux et
transcrivaient les noms des comptables et le numéro
de volumes. M.-L. L.
Voir Chambre des comptes, Etat du roi, Etat au vrai
Sources : Dictionnaire de Trévoux (1771), p. 758.
AN, arrêt du conseil du 15 septembre 1685 contenu
dans G8110 ; K 890, « Mémoire sur les Trésoriers
de France», 117 f° ; K 890, pièce 3, Le Trésorier
de France ramené à son état véritable, Amsterdam,
1780 ; AD du Nord, Lille, C finance 82, lettre de
Simon-Pierre Du Chambge, président du bureau des
finances, au contrôleur général des finances, du 27
janvier 1785.
Bibliographie: Basques V. (1991). Caillou F.
(2005). Deharbe K. (2000). Delaume G. (1966).
Legay M.L. (2011).
Sureau du Trésor (Treasury Board)
Voir Angleterre
Cabiliau (ou Cabiljau), Abraham (1571-
1645)
Marchand d’Amsterdam, contemporain de Simon
Stevin*, connu pour avoir introduit la comptabilité
en partie double* dans le royaume de Suède. Né en
1571, il devient commis général en 1598 et
participa aux premières expéditions hollandaises à
la fin du XVIe siècle. Il rejoint Gôteborg au
moment où cette ville est reconstruite par Gustave
II Adolphe de Suède (1619) et en devient échevin.
A cette époque, la chambre des finances* du
royaume comprenait deux départements, l’un pour
le Trésor, l’autre chargé des comptes. Le nouveau
roi de Suède nomma Cabiliau teneur de livre
principal ou comptable général (genera/bokhâllare)
de la chambre du royaume, fonction qu’il exerça de
1623 à 1629. Cabiliau dressa un registre de toutes
les recettes et dépenses de la Couronne et rédigea
des prescriptions comptables pour les
administrations provinciales, exigeant notamment
la tenue d’un journal* et de registres récapitulant
les transactions sur la base des articles du journal.
Le grand livre* général du royaume de 1623 a été
conservé. Il se présente sous forme d’un registre de
900 pages comprenant 2 000 comptes : des comptes
de la Maison du roi, des comptes de recettes, de
dépenses, des comptes de créances recouvrables
reprenant les noms des créanciers*, de dettes, des
comptes ouverts et non bilancés et des comptes clos
bilancés. Sa réforme comptable semble avoir eu des
effets conséquents sur l’organisation des finances
suédoises d’une part (on observe dès les années
1630 la formation de « budgets » ou « états ») et,
par capillarité géographique, sur la comptabilité de
l’Etat moscovite. Abraham Cabiliau fut également
directeur de la compagnie* de commerce des mers
du Sud. M.-L.L.
Bibliographie : Âmark, K., Sveriges statsfinanser,
1719-1809, Stockholm, 1961. Hanner P. V.A.,
Rihshuvudboken dv dr 1623. The general Ledger of
the Kingdom of Sweden, 1623, Stockholm, 1954.
Jôrberg, L., A history of prices in Sweden, 1734-
1914, Lund, 1972. Nordisk familjebok, vol. 4.,
1905, p. 928. Peterson C., Peter the Great’s
Administrative and Jjudicial Reforms : Swedisch
Antécédents and The Process of Réception,
Stockholm, 1979.
Caisse
Ce mot désigne d’abord le lieu qui renfermait les
deniers. Le coffre ou l’arcque (de area, coffre)
constituait la caisse publique, généralement fermée
à trois clefs*. Cependant, ce mot a été utilisé dans
l’histoire pour désigner les établissements annexes
du Trésor*. La particularité de la gestion ancienne
des Etats européens tenait précisément dans la
multiplicité de ces caisses « publiques » à
l’existence propre. Certaines étaient municipales,
d’autres attachées à des corps provinciaux, d’autres
à des tribunaux ou des compagnies de fermes... La
pratique de l’assignation* destinée initialement à
limiter le transport des fonds, explique qu’une
grande partie des recettes et dépenses échappaient à
la gestion du Trésor*. Les caisses centrales sous le
contrôle direct du souverain n’étaient, dans la
plupart des pays, que le réceptacle de reliquats plus
ou moins importants des caisses locales qui
recevaient les impôts et divers droits des territoires.
Le terme italien de depositeria révèle cette
fonction. L’autonomie des caisses « primaires »,
tenues par des officiers*, des fermiers*, des
employés des corps constitués, plus rarement en
régie directe*, présentait des avantages, puisqu’elle
permettait de retarder le paiement des charges
assignées sur les recettes de l’Etat. En ce sens, le
financier génois, Juan Centurion, souligna auprès
de Philippe II d’Espagne le danger d’une
unification des caisses en 1593 : « cela reviendrait à
réduire le paiement des recettes royales à une
situation telle que le créancier pourrait toujours se
faire payer intégralement et à la date convenue,
tandis que ce serait toujours Votre Majesté qui
aurait à souffrir du retard et du manque de fonds, ce
qui est d'une grande importance, parce même si à
présent Votre Majesté est débiteur des réductions
qui sont causées, ce qui ne nuit pas à beaucoup de
monde, ces gens attendent que Votre Majesté leur
en assigne le paiement là où il y aura des fonds
disponibles». Cependant, la dissémination des
caisses avait un coût qui finit par nuire à la bonne
gestion des deniers. A l’abri de la rigueur des
69
contrôles, les comptables de ces caisses procédaient
à des jeux de caisse* en abusant des retard de
paiement pour tirer intérêt des sommes restées en
caisse. Dans le Grand-Duché de Toscane, chaque
magistrature disposait quasi souverainement de sa
caisse encore au début du XVIIIe siècle. Dans les
pays où circulaient toutes sortes d’espèces, comme
en Piémont-Savoie, les responsables de caisse
spéculaient sur le change et avaient tendance à
retenir les espèces nobles d’or et d’argent. Même
dans les petits territoires comme les Républiques,
les fraudes étaient courantes. A Venise, le
gouvernement procédait fréquemment à des
passagio ou transferts de fonds d’une caisse à
l’autre, ce qui donnait lieu à de multiples exactions
(intacchi).
Pour corriger les défauts de cette gestion, les Etats
ont multiplié les instructions. Il s’agissait
d’améliorer le contrôle des caisses, qu’elles fussent
directement ou indirectement reliées au Trésor
central. Pour cela, les autorités procédèrent d’abord
par tournées d’inspection. En Bavière, l’usage est
établi dès les dernières années du règne d’Albert V
(1550-1579). Ces visites* de commissaires avaient
cependant une efficacité très limitée dans le temps.
11 fallut institutionnaliser les contrôles pour vérifier
la légitimité des opérations d’une part et solder
plus régulièrement les comptes d’autre part. Dévolu
le plus souvent à des magistrats, ce travail de
vérification des ordres et de révision* des calculs
engendrait lui-même la nécessité d’instruire en
amont les teneurs de livres sur la manière de
procéder aux écritures*. L’amélioration de la
comptabilité de caisse prit plusieurs formes.
L’inscription exacte de tous les faits comptables
dans un registre tenu journellement constituait une
gageure lorsque les espèces et les effets publics
étaient multiples. Très tôt, des bordereaux* de
caisse ont été exigés en attache des comptes de la
caisse. Il fallut également prendre des dispositions
pour faire inscrire les lettres de change tirées entre
receveurs. En général, plusieurs commis tenaient
les livres de caisse : outre le caissier lui-même, des
comptables chargés d’enregistrer les paiements
selon des techniques plus ou moins complexes.
Dans les Etats italiens, les livres de caisse
pouvaient être tenus en partie double* dès le XVIe
siècle. De ces comptes de caisse, des états de
situation* réguliers, mensuels puis hebdomadaires,
nécessaires pour lever les fonds de caisse, ont été
extraits. En France par exemple, les recettes de
taille* faisaient voiturer leurs espèces aux recettes
générales dans les 8 jours après la fin de chaque
mois. Les recettes générales formaient à leur tour
un bordereau* mensuel qui indiquait les fonds
détenus en caisse et les dépenses restant à payer, et
faisaient voiturer le solde à la caisse commune*.
Ces mêmes extraits étaient utilisés au renforcement
de la comptabilité de contrôle. En Prusse*, les
caisses inférieures de recettes versaient leurs fonds
70
dans les caisses provinciales tous les cinq jours au
temps de Frédéric II.
Au-delà de ces efforts propres à la technique
comptable, les souverains ont fait des choix de
gestion en privilégiant les affectations prioritaires
des recettes à des caisses centrales de dépenses.
Davantage que la caisse secrète* ou particulière du
prince destinée à pourvoir à des dépenses hors des
procédures d’ordonnancement* habituelles, la mise
en œuvre de caisses de guerre révèle le souci qu’ont
eu les monarques d’éviter que le défaut de
centralisation des fonds ne nuise au financement
des années. En effet, la multiplicité des caisses et le
poids des charges qui pesaient sur elles sclérosaient
la levée des fonds. A Venise, à la suite de
l’assainissement des finances et de l’extinction de
la dette des Monti, le Sénat créa une caisse de
réserve en 1584. Cette caisse, appelée deposito
grande, était utilisée uniquement en cas de guerre.
La création de la caisse de guerre du royaume de
Naples par le comte de Lemos, vice-roi, en 1612,
fut associée à une réfonne comptable et l’institution
de la partie double*. Elle fut néanmoins
abandonnée progressivement quand le protecteur de
Lemos, le duc de Lerme, commença à perdre le
monopole de la faveur royale. La caisse de guerre
(General-Feld-Kriegskasse) du duché de Prusse*
fut créée en 1674 en lui subordonnant la caisse des
timbres et la caisse de secours. La création de la
« Trésorerie générale de guerre » du royaume
d’Espagne en 1703 visait à mettre fin à la
« confusion dans la dépense » causée par la
« diversité des caisses par où passent ces fonds ».
Une seule caisse fut donc chargée des dépenses de
la guen'e. L’empereur Charles VI créa de même une
caisse de guerre en 1718 à Bruxelles. A partir de
cette date, le receveur général des finances fournit
aux caissiers des différentes caisses des régiments
une assignation* sur les receveurs des états
provinciaux. A partir de 1742, l’intégralité des
sommes tirées des aides et subsides, des recettes
extraordinaires et des emprunts fut affectée à la
caisse de guerre et finalement, en 1770, Marie-
Thérèse d’Autriche fit alimenter la caisse par une
dotation fixe de 4,2 millions de florins. De même
nature sont les décisions prises en 1748, lorsque le
ministre Haugwitz réclama le versement des
contributions des états héréditaires par avance* à la
caisse de guerre centrale de Vienne. La création de
caisses d’amortissement (1703 à Vienne, 1728 à
Munich, 1749, puis 1764 et 1784 à Paris...) révèle
l’émergence de nouvelles préoccupations dans la
gestion des deniers publics.
La centralisation des caisses de dépenses a constitué
l’objectif de plusieurs souverains. Les Etats
décentralisés d’abord ont poursuivi cet effort tout
au long de l’époque moderne. En 1691, Charles II
d’Espagne réduisit à 84 le nombre de caisses de
districts chargées, sous le contrôle du surintendant,
d’effectuer les paiements assignés sur les recettes
des rentes royales et des millions. Quant aux caisses
centrales, tous les Etats ont cherché à les fusionner
par étapes pour en faire un Trésor royal*, c'est-à-
dire un référendaire de caisses auquel tous les
revenus et tous les acquittements devaient aboutir.
Ce fut le cas à Berlin, lorsque le roi Frédéric-
Guillaume Ier unifia sa cassette, qui constituait une
des trois caisses civiles centrales, à la caisse du
domaine* en 1713. Ce fut également le cas en
Espagne: en juillet 1718, le cardinal Alberoni
institua une Trésorerie générale qui regroupait
l’ancienne trésorerie générale fondée* au XVIe
siècle et la Trésorerie générale de guerre créée en
1703. Son titulaire, le Trésorier général, devait
former une seule caisse avec les payeurs placés
dans chaque province sous son contrôle et sous ses
ordres, et flanqués de contrôleurs et d’intendants de
justice, police et finances créés en même temps
qu’eux. Ce modèle, qui subit quelques avatars entre
1718 et 1749, s’imposa pour le reste du siècle. A
Vienne, un seul référendaire de caisse (prélude à
une unité* de trésorerie?) fut nommé en 1761, mais
aussi en Bavière* où le duc créa la Generalkasse en
1762. En France, le ministériat de Necker* fut
décisif sur ce point. Le Genevois procéda à la
suppression de nombreux trésoriers passifs. La
suppression la plus onéreuse fut celle du trésorier
général de la marine et des colonies, puis vinrent
celle du trésorier des troupes de la Maison du roi,
du trésorier général des guerres, du trésorier général
de l’artillerie, des maréchaussées... La déclaration
du 17 octobre 1779 confirma la maxime selon
laquelle toutes les caisses du royaume ne formaient
qu’une émanation du Trésor royal*. Le point
d’orgue de cette rationalisation comptable consista
à supprimer les 48 receveurs généraux (avril 1780)
pour leur substituer une régie* de douze personnes,
choisies parmi les anciens officiers. Necker* dota
cette régie d’un caissier officiel, dit « caissier de la
caisse commune des impositions », dont la
signature devait suffire à engager la responsabilité
collective de la régie. Au premier janvier 1781, les
caisses royales étaient au nombre de 23 : Trésor
royal, caisse commune des receveurs généraux de
finances, régie générale, caisse des domaines, des
postes, des messageries, des revenus casuels, des
loteries, de la régie des poudres, du marc d’or, des
trésoriers généraux des guerres, des trésoriers
généraux de la Marine, du trésorier de l’ordre de
Saint-Louis, caisse des étapes, caisse des arrérages,
caisse des ponts et chaussées, des trésoriers des
Maisons du roi et de la reine, du trésorier des
dépenses diverses, de la compagnie des Indes, du
trésorier des bâtiments, du trésorier des menus
plaisirs, des vivres de la Marine, caisse d’escompte.
En 1788, il fut établi quatre caisses de dépenses :
celle de la guerre, celle de la Marine, celle des
dépenses diverses et celle de la Maison du roi. Il
faut néanmoins attendre la création de la caisse de
service* par Mollien* en 1806 pour que la
compensation générale des mouvements de fonds
entre toutes les caisses soit assurée, tandis que le
principe de «l’unité de caisse», posé en 1802 et
repris par l’ordonnance du 31 mai 1838, spécifie
que « chaque comptable ne doit avoir qu’une seule
caisse dans laquelle sont réunis tous les fonds
appartenant à ses divers services ». La
centralisation des opérations financières devint
alors possible. M.-L. L.
Voir Caisse de réserve, Visite, Trésor royal,
Trésorier
Sources : AN, F4 1012 (sur les caisses royales en
1781). Juan Centurion, Oposiciones, fol. 89-89 v.
AGS, Estado, leg. 1107, n° 92, 15 octobre 1612,
« Reformaciôn y nuevas ordenanzas para la câmara
de la sumaria, escribania de raciôn, caja militar y
caja ordinaria, nueva situaciôn de rentas y tierras
asignadas para ella y la forma que se ha de guardar
en los pagamentos, cobranzas, cuentas y escrituras
del Reino de Nâpoles ».
Bibliographie : Castro C. de (2004), chap. IV-2.
Dedieu J.P. et Ruiz Rodriguez J.I. (1994). Dubet
A., « Towards a New Public Crédit... » (2008).
Dubet A. (2009). Klein E. (1974). Legay M.L.
(2011). MutoG. (1980), p. 93-100.
Caisse commune (des receveurs
généraux)
Caisse centrale créée à Paris par le contrôleur
général Desmaretz en 1709, en activité jusqu’en
1789. Cette caisse fut d’abord nommée «caisse
Legendre », du nom de François Legendre, son
caissier. Elle avait pour mission de faire face au
remboursement des billets émis dans le courant de
la guerre de Succession d’Espagne et de soutenir le
crédit de l’Etat. On organisa la caisse en régie*,
évitant ainsi tout affairisme coûteux. Elle reçut les
fonds d’un certain nombre d’affaires extraordinaires
comme le rachat de l’annuel, l’aliénation du
contrôle des actes, les augmentations de gages...
Louis Geoffroi fut commis responsable de ces
recouvrements, sous l’inspection de douze
receveurs généraux. Sur sa gestion, Desmaretz
n’admit aucune remise* ni aucune jouissance
d’arrérage car il souhaitait faire prendre en charge
l’intégralité des frais de régie* par le Trésor*,
« lesquels frais seront arrêtés par le contrôleur
général qui nommera tous les commis, auquel le
sieur Geoffroi sera tenu de donner ses procurations
sans en donner caution ». De fait, les frais de
gestion furent évalués à 2,1 %. La régie remporta
un réel succès au point que « l’on peut dire qu’elle a
soutenu l’Etat jusqu’au mois d’avril 1715»,
moment où, faute de fonds, elle fut obligée de
suspendre ses payements. Par l’édit du mois de juin
1716, cette institution devint la « caisse commune »
des receveurs généraux de finances. Trois missions
lui furent confiées : le paiement régulier des
troupes, le paiement des charges assignées sur les
71
recettes générales* (appointements des intendants*,
des gouverneurs et lieutenants généraux, ponts et
chaussées, turcies et levées....) et celui «de
pourvoir à un fonds nécessaire pour payer par mois
à chaque échéance les billets des receveurs
généraux qui auront des avances réelles à la caisse
commune ». La caisse recevait chaque mois les
fonds de caisse des recettes générales, qui elles-
mêmes recevaient tous les 8 de chaque mois les
fonds des recettes particulières. En outre, cette
institution se dota d’un service de contrôle
comptable et vérifia les fonds de caisse des
receveurs subalternes à partir des extraits* de
journaux de ces derniers. Les bureaux de la caisse
commune furent créés en conséquence : bureau
pour le dépouillement des copies de journaux des
receveurs de tailles, bureau pour le dépouillement
des copies de journaux des receveurs généraux,
bureau pour les livres de comptes des affaires
courantes, pour les livres* de comptes des affaires
antérieures à 1716, bureau des bilans... Une
véritable administration comptable interne vit le
jour, assimilable aux Buchhaltereien de la
monarchie autrichienne. Les frères Paris*, à
l’origine de cette réforme, voulurent étendre cette
expérience aux revenus des domaines* et bois : la
déclaration du 24 janvier 1724 créa en effet une
caisse commune des fonds provenant de ces
recettes. Etablie Vieille me du temple, elle comprit
un directeur et 11 commis chargés de suivre la
tenue des journaux et la suite des fonds. Cependant,
leur administration prit fin en 1725 et le rôle de la
caisse commune des receveurs généraux fut de
nouveau réduit au règlement des rescriptions* et
aux avances. Necker * réforma encore cette caisse
lorsqu’il supprima les 48 receveurs généraux (avril
1780). Il leur substitua une régie* de douze
personnes choisies parmi les anciens officiers. Le
Genevois dota cette régie d’un caissier officiel, dit
« caissier de la caisse commune des impositions ».
Les receveurs généraux* de l’Empire
reconstituèrent en 1803 un service de banque à
travers la création d’une agence chargée de
négocier les effets* publics auprès des financiers.
Cette agence fut dissoute le 12 août 1804. Plus tard,
la formation de la caisse de service* qui établit un
compte courant à intérêt réciproque entre le Trésor*
et les receveurs généraux, prolongea le principe de
la caisse commune. M.-L. L.
Voir Caisse de service, Receveur général des
finances, Soumission
Sources: AN, G7 1118, «Mémoire sur
l’administration de la caisse commune », 6 juillet
1716 et dossier 3, pièce 1 ; G7 1138-1139, Arrest
qui ordonne que les receveurs generaux des
finances et autres porteront directement au Trésor
royal le montant de leurs payems et leur fait
deffences d’acquitter aucunes assignations &C, 7
octobre 1710 ; K 911, pièce 22, affaire Legendre
72
contre Geoffroi ; F4 10042, Caisse commune des
receveurs généraux de finances 1786-1788.
Desmaretz, Mémoire de M. Desmarests sur
l’administration des finances, depuis le 20 février
de l’année 1708 jusqu’au 1er septembre 1715, ré-
impr., 1789.
Bibliographie : Bonney M. et Bonney R. (1993).
Lüthy H. (1959-1961).
Caisse de guerre
Voir Caisse, Trésorier de la guerre
Caisse de l’armée
Voir Caisse du domaine extraordinaire
Caisse de religion
Caisse publique de revenus issus des biens
d’institutions ecclésiastiques supprimées. La
séquestration des biens d’Eglise s’est accélérée à
l’époque moderne à partir de la Réforme. Elle a
donné lieu dans toute l’Europe à la formation de
caisses de séquestres, nommées aussi caisses de
religion au XVIIIe siècle, lorsque la sécularisation
de la vie politique devint une priorité affichée.
La Réforme protestante fit passer les biens et
revenus de l’Eglise sous le contrôle du souverain
dans de nombreux pays. En 1527, le roi de Suède,
Gustave Ier, obtint un décret de la diète l’autorisant
à confisquer autant de biens fonciers ecclésiastiques
qu’il le jugerait nécessaire à l’augmentation des
revenus du Trésor*. En 1528, Frédéric Ier de
Danemark séquestra les biens de quinze des
maisons religieuses. En 1536, sur la base des
accusations d’irrégularités reçues par Thomas
Cromwell, le parlement de Londres permit au roi de
saisir tous les monastères, c’est-à-dire toutes les
abbayes, prieurés et couvents, aux revenus annuels
inférieurs à 200 livres sterling. Les couvents les
plus modestes et les moins influents furent mis à
sac, leurs résidents reçurent une pension, tandis que
leurs biens étaient confisqués. Ces spoliations
alimentèrent des caisses* publiques dont les
revenus servaient le plus souvent à l’entretien des
églises, des pauvres ou des écoles. Le prince n’avait
pas la liberté d’utiliser ses fonds à sa guise. Dans le
Wurtemberg par exemple, les recettes tirées des
biens supprimés entraient dans une caisse
ecclésiastique (Kirchenkasten) administrée par le
consistoire supérieur.
Les Etats catholiques ont également procédé à la
sécularisation des biens de l’Eglise. Au siècle des
Lumières, cette politique se radicalisa et fut d’une
grande conséquence pour les finances royales* et la
trésorerie*. La dissolution des Jésuites notamment
donna lieu à la formation de diverses caisses*, soit
pour administrer les biens de la compagnie mis sous
séquestre, soit pour administrer le secours qui leur
fut accordé. C’est ainsi que dans les Pays-Bas*,
Marie-Thérèse d’Autriche ordonna l’inventaire*
(15 septembre 1773) et la mise sous séquestre (12
octobre 1773) de tous les biens et revenus des
établissements de la compagnie. Cette
sécularisation eut des effets très appréciables sur la
gestion des deniers publics de la Belgique : la vente
des biens-fonds rapporta 5,7 millions de florins
(argent courant), celle du mobilier, 912 997 florins.
L’argent fut placé, partie à 4 Z2 pour cent, partie à 4,
3 Z2 et 3 pour cent et le bénéfice de ces placements
servit au désengagement du domaine* du Brabant,
du bureau de Saint-Philippe et de la ferme* des
postes en particulier. En France, la séquestration
des biens des jésuites servit surtout à rembourser les
créances de la compagnie, tant celles fonnées dans
les colonies que celles contractées en métropole. Le
roi accorda, sous certaines conditions, une pension
annuelle de 400 livres aux pères et une pension de
200 livres aux frères jésuites par les lettres patentes
du 2 février 1763 et du 16 février 1765. Ce secours
devait être pris sur les « bénéfices unis » des
collèges administrés par de nouveaux bureaux, et
non sur leurs revenus propres destinés à
l’enseignement. Ces bénéfices devaient être versés
par les receveurs particuliers du collège dans la
caisse* du receveur «des bénéfices unis aux
Maisons et Etablissements de la Société et
Compagnie de Jésus » nommé par la cour. Dans le
Nord de la France (anciennes provinces des Pays-
Bas) où les jésuites avaient été nombreux, le
financement devint difficile et fut confié à une
régie*, la caisse Claro, chargée des biens français
des collèges autrichiens mis sous séquestre.
La suppression des Jésuites* constitua, en
Autriche* comme en France*, un précédent utile
dans la gestion des biens sécularisés et mis sous
séquestre. Joseph II d’Autriche voulut intégrer cette
gestion des aliénations des biens du clergé à la
comptabilité publique générale*. Inspiré par les
théories de Fébronius, il supprima les couvents
inutiles d’abord en Lombardie (1769), puis en
Autriche (1782) et aux Pays-Bas (1783). Ces édits
de suppression prévoyaient dans le même temps la
formation d’une « caisse de religion » sur laquelle
les pensions des membres des couvents supprimés
devaient être payées. A Bruxelles, Joseph II attacha
à la caisse des membres de la Chambre des
comptes* « pour approcher autant que possible les
nouvelles formes de la comptabilité et habituer les
administrateurs à l’exactitude ». Un comité de la
Caisse de religion fut créé (1783), chargé de
contrôler les revenus et les paiements issus de la
vente des biens des couvents, essentiellement les
communautés consacrées à la vie contemplative, et
de se prononcer sur le choix des receveurs
particuliers. En 1784, 56 receveurs particuliers
administraient les biens de 157 couvents
supprimés : ils géraient les biens des maisons
supprimées, percevaient leurs revenus, liquidaient
les dettes, mettaient les immeubles en location,
vendaient les objets d’art et payaient les pensions.
Le receveur général* de cette caisse était maître*
des comptes. Il était assisté au comité d’une dizaine
d’officiaux, répartis en quatre bureaux et occupés à
dresser les « parties des registre de caisse », les
« bilans* des receveurs », les « doublements des
comptes », les « vérifications* des états de biens »,
les « dépouillements », les « formulations de
tableaux »... Le « bureau de comptabilité des fonds
de religion » créé dans la nouvelle Chambre des
comptes* de Bruxelles (1784) eut pour mission : 1)
de faire l’état des individus et des facultés du
clergé ; 2) de calculer la dotation future des curés et
vicaires conservés ; 3) de supprimer plusieurs
abbayes et maisons religieuses et d’en tenir les
inventaires* et la comptabilité ; 4) de redresser la
comptabilité des fonds de religion depuis l’origine
de la suppression des couvents ; 5) d’enregistrer
toutes les dispositions effectuées en matière de
fonds de religion ; 6) de rassembler les actes
originaux ; 7) de couler les comptes arriérés des
caisses de religion* ; 8) de cueillir les masses des
fondations temporelles par les déclarations à
rassembler sur un seul tableau ; 9) de s’occuper de
l’entretien des pauvres ; 10) de liquider les
propriétés des confréries ; 11) de créer l’institut des
pauvres et de la branche de comptabilité y
relative»; 12) de couler les comptes arriérés des
tables des pauvres. L’étape suivante consista à
réunir la caisse de religion au trésor* comme ce fut
le cas à Vienne. Par le décret du 7 avril 1786,
Joseph II incorpora la caisse de religion à la Recette
générale des finances* de Bruxelles. Cette réunion
n’allait pas de soi pour certains administrateurs
bruxellois. Jacques-Antoine Le Clerc par exemple,
ancien auditeur* des comptes et membre du Conseil
privé, jugeait qu’il était indispensable que la Caisse
de religion n’eût rien de commun avec le Trésor
royal, la destination des fonds des deux instances ne
pouvant être confondue. Pour le pouvoir central,
l’unification comptable traduisait la volonté de
transférer une partie des biens et des missions,
notamment de l’assistance aux pauvres, de l’Eglise
vers l’Etat. En outre, elle permettait d’assigner sur
les fonds de religion des dépenses de toute nature :
le gouvernement chargé de préparer la guerre contre
la Hollande en 1785 n’hésita pas à intégrer dans les
moyens de financement un « secours » de 400 000
florins tiré de la Caisse de religion. En 1787, le
comité de la caisse fut intégré dans les rouages du
gouvernement et ses activités furent reprises par la
commission pour les affaires ecclésiastiques. M.-L.
L.
Voir Pays-Bas autrichiens, Régie des biens des
religionnaires
Sources : AGR, Comité de la caisse de religion, n°
1 à 313; voir A. Cosemans et J. Lavalleye,
Inventaire des archives du comité de la caisse de
religion, Bruxelles, 1926 ; Chambre des comptes
(de Flandre et de Brabant), supplément 2353,
73
dossier IX. Affaire du comité de religion ; Chambre
des comptes (de Flandre et de Brabant),
supplément, 2351.
Bibliographie : Aerts E., Baelde M., Coppend H. et
al. (1995). Legay M.-L. L., « La réforme comptable
de Joseph II » (2008). Mortier R. et Hasquin H.
(1999).
Caisse de réserve
De nombreux souverains ont constitué une caisse
particulière de réserve à côté de l’administration
financière ordinaire de leurs Etats. On ne confondra
pas ce type de caisse avec la cassette privée des
princes, car pour être « secrète », la caisse de
réserve n’en était pas moins dirigée par un agent
public et soumise à un contrôle administratif
minimal. Dans les Pays-Bas bourguignons, le
premier receveur du « Trésor secret » portait
d’ailleurs le titre de « garde de nos joyaux et de
nostre espargne » et fut par la suite assimilé au
trésorier de l’Epargne. Si le qualificatif « secret »
renvoie donc au caractère privatif de la destination
des fonds, ce terme revêt à partir du XVIe siècle
une signification plus large pour désigner toute
caisse dont la fonction principale est de libérer des
liquidités dans un délai rapide sans l’aval des
conseillers d’une Chambre ou d’un Conseil des
finances*. Dans les Pays-Bas, les receveurs du
« Trésor secret » en activité de 1445 à 1593, étaient
comptables devant les seules Chambres des
comptes*. Le garde de ce Trésor administrait les
recettes en concertation directe avec le souverain. Il
avait pouvoir pour exiger des divers receveurs des
provinces, des domaines* notamment,
l’acheminement rapide des revenus dans les caisses
qu’il administrait. A partir du XVIe siècle
cependant, il eut obligation de verser le solde* de
ses propres recettes dans la caisse centrale des
finances et le Trésor secret évolua ainsi en une
caisse secondaire.
Quant à la destination des fonds passant par ces
caisses, l’usage privé céda également le pas aux
motifs associés à la raison d’Etat, et notamment au
règlement des affaires étrangères. En effet, si les
besoins personnels des souverains ont pu
initialement être couverts par ces fonds,
globalement, le « budget » des maisons royales
n’avait pas lieu d’être secret à l’époque moderne.
Dans le royaume de Brandebourg-Prusse, les
souverains disposaient d’une Dispositionkasse dont
la connaissance échappait au grand Directoire*.
Cette caisse de réserve était distincte de la cassette
du roi (Schatulle). Au Danemark, le roi disposait
d’une caisse personnelle gérée par un
Kammerdiener (un « caméralier* ») également
distinct du trésorier général*. Cette distinction se
comprend par rapport à celle faite entre l’empire
{Reich) et la royauté du Danemark proprement dite.
C’était donc la caisse propre au roi en tant que
souverain général de « l’empire ». Il n’en demeure
74
pas moins que les monarques ont ponctuellement
utilisé des procédures dérogatoires pour régler des
dépenses somptuaires ou des dettes familiales.
L’empereur Maximilien reconnut avoir un besoin
urgent de revenus pour éteindre les dettes de son
fils prématurément décédé. Louis XVI fit un usage
abusif des acquits de comptant* pour régler les
dettes de jeu de ces frères : 12 millions pour
Monsieur et 4 millions pour le comte d’Artois en
1783. La France n’avait pas de caisse de réserve,
mais deux types de dépenses échappaient au
contrôle comptable ordinaire. Les dépenses secrètes
du roi d’une part : le roi signait des ordonnances au
porteur ou des ordonnances au comptant*.
Enregistrées dans les états au vrai* du Trésor
royal*, ces dépenses pouvaient être justifiées à la
Chambre des comptes* par simple acquit de
comptant*. D’autre part, le gouvernement pouvait
également fournir de tels acquits pour « couvrir »
les dépenses des affaires étrangères. Le fameux
livre rouge* examiné par la Convention nationale le
28 février 1793 est un registre de comptes en trois
volumes contenant les dépenses secrètes pour
service des affaires étrangères entre 1750 et 1789.
La diplomatie mit les caisses secrètes en
mouvement à travers toute l’Europe. Les
Habsbourg de Madrid utilisèrent des gastos
secretos pour gagner des membres influents à leur
cause dans les territoires éloignés du centre de leur
«empire », soutenir leurs diplomates, financer
l’espionnage ou les cardinaux appartenant au parti
espagnol à l’occasion des conclaves. Dans le
royaume de Naples par exemple, une somme était
allouée au vice-roi qui, par simple ordre écrit
présenté à la caisse militaire, dépensait sans
justification. Au XVIIe siècle, Madrid limita cette
somme à 24 000 ducats, mais les vice-rois ont
souvent dépassé ce seuil.
Les caisses secrètes devaient progressivement
disparaître du paysage institutionnel européen sous
l’effet de la rationalisation financière. Dans les
Pays-Bas, les Habsbourg de Vienne reprirent pour
leur compte la pratique des gastos secretos qu’ils
utilisèrent pour la gestion de la dette publique*
autrichienne. La caisse des gastos secretos fut
confiée en 1741 au banquier Matthias Nettine, puis
à sa veuve, moyennant un compte rendu* annuel
par devant un conseiller-maître de la Chambre des
comptes*, en général le président. C’était donc « en
qualité de commis à la recette des gastos secretos »
que la veuve Nettine recevait les lettres de décharge
pour les emprunts effectués. Cette caisse constituait
une réserve pour des dépenses secrètes, mais
surtout une unité comptable pour voiler, par le jeu
des écritures, la provenance des fonds utilisés à la
liquidation des dettes de Vienne. « En effet, la
divulgation de ce secret pouroit être très nuisible au
crédit des finances allemandes de même qu’à celui
des finances belgiques ; un pareil secret avoit été
rigoureusement imposé et recommandé à l’égard du
sistème de liquidation et on a eû le bonheur de
l’accomplir». La caisse des gastos secretos
changea de nature avec la réforme comptable de
Joseph II. «Pour remplir les intentions de Sa
Majesté à cet égard, il semble qu’on doit simplifier
autant que possible ce qui regarde les dépenses
secrètes et que par conséquent l’espèce de virement
de parties qui se faisait par l’ancienne caisse des
gastos secretos pour masquer certains paiements
doit venir à cesser». Pour l’empereur, cette caisse
devait devenir une simple caisse de réserve sous le
contrôle des ministres concernés (et non du
département des finances tout entier). Il jugea que
la participation des finances belges aux finances
« allemandes » relevait d’une gestion normale des
deniers dans un Etat centralisé. La seule différence
qui subsista donc entre la caisse générale et la
caisse de réserve fut que pour la première, les
comptes étaient rendus à la Chambre des comptes,
et que pour la seconde, le caissier ne devait rendre
compte qu’au secrétaire d’Etat et de Guerre et ne
recevoir des ordres que du ministre. On voit par là
que la rationalisation financière seule préoccupa
l’empereur. En France, il faut attendre la
Restauration pour voir disparaître peu à peu les
caisses secrètes. Sous l’Empire, les préfets, les
généraux et les grands gestionnaires de l’Etat
fonnaient encore de caisses particulières utilisées
pour les dépenses urgentes certes, mais aussi pour
des rémunérations occultes et des spéculations
privées. M.-L. L.
Voir Acquit de comptant, Livre rouge, Ordonnance
de comptant
Sources : AGR, Chancellerie autrichienne des Pays-
Bas à Vienne, 926 : « Comptes des gastos
secretos » ; AGR, Bruxelles, Conseil des finances,
7189. « Compte que rendent la veuve Nettine et fils
par devant M. de Wavrans, ... président de la
Chambre des comptes tant pour les finances
allemandes que belgiques pendant l’année 1777 en
acquit des dettes de l’Etat ».
Bibliographie : Aerts E., Baelde M., Coppend H.
(1995). Bianchini L. (1971).
Caisse des emprunts
Par ce nom, on entend diverses expériences de
caisses de crédit tentées en Europe. En France,
Colbert*, soucieux de se défaire des conditions des
traitants, créa en octobre 1673 une caisse des
emprunts pour recevoir directement les dépôts
d’argent des capitalistes. En échange du dépôt, la
caisse, établie au bureau des fennes unies, délivrait
un titre de créance, une « promesse de gabelles »,
qui portait le total de la somme à rembourser,
capital et intérêts, à l’expiration de l’année. Ces
billets au porteur eurent un franc succès. Rémunéré
à 5 %, ils furent tous remboursés au tenne de la
guerre, soit 39 millions. La caisse fut supprimée en
1698. La même opération fut conduite pour
contribuer au financement de la guerre de
Succession d’Espagne. Cette deuxième caisse des
emprunts vit le jour le 11 mars 1702, mais ne
fonctionna pas aussi bien que la première. La
rémunération excessive, portée à 8 % puis à 10 %,
et les difficultés du trésor* rendirent les
remboursements incertains et la confiance des
capitalistes se déroba. Après une liquidation
désastreuse des billets, la caisse fut supprimée en
1715. Dans les années 1770, Frédéric II de Prusse
institua une caisse d’emprunt pour recevoir les
dépôts d’argent tout en accordant des prêts aux
propriétaires de terre désireux de faire valoir leurs
biens. Cette caisse, d’abord implantée en Silésie,
émettait des titres de créance rémunérés à 6% sous
forme d’obligations portant le nom de la terre
hypothéquée et son estimation. Ce papier, assis sur
la valeur des terres, rencontra un vif succès et cette
expérience de banque foncière fut étendue à la
Poméranie, à la Prusse orientale à la Prusse
occidentale et à la Marche. M.-L. L.
Bibliographie : Véron de Forbonnais F. (1758).
Nouvelle vie de Frédéric II, roi de Prusse ou essai
sur son règne, par M. Denina, Postdam, 1805. Say
L. (1889).
Caisse de service
Par décret impérial du 16 juillet 1806, Napoléon,
sur le conseil de Mollien*, fit établir une nouvelle
caisse au sein du ministère du Trésor* : la caisse de
service. Les six articles de ce décret marquèrent une
profonde modernisation du financement de l’Etat.
L’almanach impérial pour l’année 1810 décrit les
missions de la caisse : « cette caisse est
spécialement chargée de toutes les conversions de
valeurs qui intéressent le service du Trésor; elle
opère, par ses rescriptions* sur les comptables,
l'application immédiate du produit des impôts, aux
dépenses locales que le service exige; elle expédie,
des mandats* sur tous les chef-lieux de
départements et d'arrondissements, en échange des
versements qui lui sont faits à Paris. Elle a des
comptes courants ouverts avec tous les receveurs
généraux; elle acquitte pour eux les mandats qu'ils
tirent sur les sommes dont ils sont crédités sur ses
livres. Par suite de ses négociations, et pour en tenir
lieu, elle admet les placements à intérêt qui lui sont
offerts. En ce cas, elle garde dans ses portefeuilles
la quotité proportionnelle de ses valeurs
négociables, lesquelles y restent comme un gage
réalisme à volonté ». Nicolas-François Mollien
réalisa ici une réforme magistrale puisqu’il parvint,
par la création d’une caisse et par l’utilisation de la
comptabilité en partie double*, à résoudre
définitivement le sempiternel problème du
financement de la trésorerie de l’État. L’institution
de la caisse de service poursuivait deux objectifs
convergents : affranchir l’État du recours aux
« faiseurs de service » et éviter la stagnation des
75
fonds* du Trésor. Les receveurs généraux des
finances* de l’Ancien régime constituaient un point
de cristallisation des difficultés de trésorerie pour la
monarchie. Il existait un décalage constant entre le
rythme des recettes, qui s’étalait sur dix-sept à dix-
huit mois, et celui de l’exercice* invariablement de
douze mois. Il s’ensuivait un système de
financement complexe qui permettait à tous les
« faiseurs de service » de profiter des besoins de
trésorerie de l’État, puisqu’ils avançaient au Trésor
« ses » propres recettes, moyennant rétribution bien
entendu. Dans son ultime mouture, le schéma de
financement faisait intervenir à la fois des
« négociants » spéculateurs (comme les
Négociants-réunis) et une « agence » administrative
(le comité des receveurs généraux). Le trait de
génie de la caisse de service réside en la découverte
du point de convergence des intérêts des receveurs
généraux des départements (qui deviendront les
Trésoriers-Payeurs-Généraux en 1865) et ceux du
Trésor* : inciter les receveurs généraux à anticiper
et à diversifier leurs dépôts en leur promettant une
rémunération. L’article 4 du décret du 16 juillet
1806 dispose que la caisse « ouvrira des comptes
courants à tous les receveurs généraux (qui)
jouiront, sur ces avances, d’une bonification
d’intérêt, dont le taux sera réglé chaque trimestre ».
Inversement, les receveurs étaient redevables du
même intérêt sur les contributions encaissées mais
non versées au compte du Trésor. Le taux fut
rapidement fixé à 5%, chaque receveur trouvant
ainsi un plus grand intérêt à remettre ses fonds au
Trésor qu’à tenter de les faire fructifier pour son
propre bénéfice : l’État pouvait désormais compter
sur ses revenus ordinaires au moment de leur
recouvrement.
Le deuxième objectif de la caisse de service était
d’éviter la stagnation des fonds publics dans les
caisses des receveurs, comme en témoigne l’article
2 du décret du 16 juillet 1806. «Elle sera
principalement chargée d’opérer avec célérité, dans
les départements, l’application locale des recettes
aux dépenses ; elle dirigera les excédans de recettes
vers les lieux où les recettes seraient insuffisantes
pour les dépenses ». L’utilisation de la comptabilité
en partie double* devait permettre d’établir
rapidement le solde* de chaque comptable public
quel que soit le lieu des mouvements de fonds*. Les
receveurs forent même érigés en collecteurs de
dépôts privés. Mollien ne manqua pas de signaler
dans ses Mémoires le succès de cette création : «Là
où les besoins excédaient les moyens, les
commerçants des départements qui se trouvaient
débiteurs envers le commerce de Paris, les fermiers
des terres dont les propriétaires habitaient la
capitale, venaient au moindre signe apporter aux
receveurs-généraux les fonds qu’ils voulaient
transmettre à leurs créanciers ou propriétaires, et
prenaient en échange, au profit de ces derniers, des
mandats à court ternie sur la caisse de service. Là
76
où les dépenses publiques étaient inférieures aux
recettes, la caisse des receveurs généraux était
ouverte à l’escompte des lettres de change* que
ceux qui avaient approvisionné Paris par les
productions des départements tiraient sur leurs
correspondants pour se rembourser de leurs
fournitures, et les excédants de recette parvenaient
sous cette forme au trésor ». Les receveurs
généraux devenus collecteurs suscitèrent
évidemment des jalousies. On critiqua la « dérive
mercantile » du Trésor public* qui voulait se faire
« banque du Trésor » en réalisant des transferts de
fonds pour le compte des personnes privées et en
émettant des « bons de service » qui préfiguraient
les bons du Trésor*.
Confiée dès sa création à Jourdan (et contrôlée par
Louis qui deviendra ministre des finances de la
Restauration), la caisse de service ne fut pas placée
sous la haute juridiction de la Cour des comptes*.
Elle compta parmi ses effectifs Florimond Audiffret
(le frère de Charles-Louis Audiffret*). Plus tard,
l’arrêté du 26 mai 1814 créa la direction du
mouvement général des fonds* et en confia la
direction au même Jourdan. La caisse se concentra
alors sur la circulation des deniers publics. Elle fut
formellement supprimée à compter du 1er janvier
1818 par l’article 1er de l’ordonnance du 18
novembre 1817, comme les caisses générales,
caisse des recettes et caisses des dépenses. Ses
missions et moyens forent transférés à la direction
du mouvement général des fonds. S.K.
Voir Caisse commune, Mouvement général des
fonds, Receveur général des finances, Soumission
Sources : Ordonnances du 16 juillet 1806 et du 18
novembre 1817. Mollien N.-F. (1845). Almanach
impérial, 1810, chapitre VI, section VI,
département du Trésor public.
Bibliographie : Antonetti G., « Mollien », in Les
ministres des Finances (2007), p. 309-349.
Caisse du domaine extraordinaire
Appellation donnée par le sénatus-consulte du 30
janvier 1810 à la Caisse de l’année. Cette caisse fut
érigée par Napoléon en 1805 pour recevoir les
fonds (confiscations, réquisitions, indemnités de
guerre) issus des pays conquis. Gérée par
l’intendant général Derfennon et le trésorier général
La Bouillerie, elle était laissée à la discrétion du
souverain, ne subissait aucun contrôle et couvrait
les dépenses des armées, de service et de travaux
publics. La caisse du domaine extraordinaire se
composait « des domaines et biens mobiliers et
immobiliers que l’empereur, exerçant le droit de
paix et de guerre, acquiert par des conquêtes ou des
traités ». Le produit des grands domaines fonciers
de Pologne, de Westphalie, d’Italie, de Galicie, de
l’octroi du Rhin et des laines d’Espagne l’alimentait
également. Les fonds récoltés étaient placés. Les
recettes et dépenses de cette caisse étaient suivies
par le cabinet de Napoléon, dont le secrétaire tenait
deux livres : celui des fonds et celui des personnes.
M.-L. L.
Bibliographie : Branda P. (2007), p. 308. Bruguière
M., « Domaine extraordinaire », Dictionnaire
Napoléon, 1999,1.1, p. 367-368.
Caisse secrète
Voir caisse de réserve
Calcul
Les financiers de l’Ancien régime ne font guère de
calculs complexes et la connaissance des quatre
opérations de base est sans doute suffisante à la
plupart d’entre eux. Divers traités d’arithmétique
leur offrent la possibilité de se perfectionner et ils
disposent également de tables de calculs tout faits
qui leur permettent de gagner du temps. Mais alors
que dans la plupart des milieux qui utilisent le
chiffre, la numération latine a été remplacée, à
partir de la Renaissance, par la numération
indienne, elle continue d’être utilisée au XVille
siècle par les financiers, sous le nom de « chiffres
de finance* », en liaison avec la pratique du calcul
aux jetons.
Les traités d’arithmétique
Au même titre que les commerçants ou les
arpenteurs, les gens de finances font partie des
utilisateurs potentiels « naturels » des traités
d’arithmétique. Anne Dubet a pu constater qu’en
Espagne, on rencontre dès le XVIe siècle, dans
certains de ces manuels, des exemples de calculs
censés servir aux financiers. Néanmoins, ce n’est
qu’à partir du XVIIIe siècle que ces derniers sont
explicitement désignés comme destinataires de cette
littérature. Ce dernier phénomène s’observe de
façon un peu plus précoce en France. Dès 1576 en
effet, Anthoine Fauvre destine son Arithmétique
familière et succincte aux « financiers, bourgeois,
marchands et orfèvres». En 1614, Y Arithmétique
d’Honorât Meynier est censée concerner
notamment les « thrésoriers, financiers, et autres
receveurs de deniers». En 1674, dans son
Arithmétique universelle démontrée, Claude Irson*
présente des « applications convenables aux
finances et au négoce de banque et de marchandise,
à l'art militaire et à la géométrie pratique ». Parfois
aussi, l’expérience des professionnels est
convoquée aux fins de légitimer le propos, comme
dans le titre de l’ouvrage de François Le Gendre,
publié en 1648 : l'Arithmétique en sa perfection,
méthodiquement expliquée à la plume et par les
jetions, selon l’usage et la pratique tant des
financiers que des marchands. Pour autant, malgré
cette précocité relative, il semble que ce soit le plus
souvent dans le cadre de manuels généralistes, que
l’on rencontre des applications à l’usage des
financiers, et qu’il n’y ait pas d’ouvrages aussi
spécialisés que ceux que l’on trouve en Espagne à
la fin du XVIIIe siècle mais seule une étude
approfondie permettrait de le vérifier.
Dans la plupart des ouvrages d’arithmétique, il est
fait mention des compagnies* de finance et de
quelques calculs qui les concernent. A propos des
apports par exemple, comme dans l’ouvrage précité
d’Irson : « Les financiers et autres qui recherchent
avec soin la breveté joint à la facilité, lors des
sociétez qu’ils contractent entre’eux pour raison des
traitez qu’ils font, supposent que tout le fonds
destiné pour les affaires de leur compagnie* ne soit
que de 20 sols et par la partie que chacun d’eux a
dans ce fonds supposé, ils sçavent ce qu’ils doivent
financer par rapport au fonds réel, qui n’est
ordinairement connu que des intéressez. Exemple
on suppose que le fonds d’un certain traitté de
quelques nature qu’il puisse estre, soit de L.
1 200 000, celuy qui y sera de 10 sols doit fournir la
moitié de ladite somme, celuy qui y participera
pour 5 sols, en doit financer le quart, et ainsi des
autres». Une simple règle de trois permet d’obtenir
la somme due par chaque intéressé. Cette règle est
d’ailleurs généralement baptisée « règle de
compagnie » ou « règle de société ». Jean
Trenchant la définit de la façon suivante : « La
règle de compagnie montre à départir un certain
nombre à certains autres proportionnellement. Les
marchands l’ont ainsi appelée, pour ce que eux
ayant mis argent ensemble pour trafiquer, par le
moyen d’elle, ils départent tout leur gain ou perte,
tellement que qui plus a mis plus participe du gain
ou perte, et qui moins, moins». Y’’Arithmétique du
Sieur Barrême en donne une série d’exemples liés
au maniement des deniers publics :
-pour les financiers, lorsqu’ils veulent partager
le profit qu’ils ont fait par l'avance des
sommes qu'ils ont financées ;
-pour les trésoriers de France, lorsqu’ils
veulent faire le département des tailles et
distribution en leurs généralités et
élections ;
-pour les fermiers généraux et sous-fermiers,
pour partager le profit qu’ils ont fait poul­
ies sommes qu’ils ont avancées ;
-pour les trésoriers de l’ordinaire et
extraordinaire des guerres lorsque le fonds
de leur recette est moindre que celui de la
dépense ;
-pour les comptables quand le fonds n’est pas
suffisant pour payer les gages des officiers,
à cause des non-valeurs.
La variété des situations ne saurait faire illusion et
c’est toujours le même mécanisme élémentaire qui
est mis en œuvre.
Les tables de calculs
S’il est un genre dans lequel Bertrand-François
Barrême* s’est tout particulièrement illustré, c’est
celui des « comptes faits » mais il eut quelques
77
prédécesseurs. Des tables manuscrites, notamment
de calculs d’intérêts, étaient utilisées depuis
longtemps par certains marchands et banquiers,
mais conservées comme des secrets et ne furent
diffusées que tardivement par le livre. En dehors
des tables partielles données par Jean Trenchant
dans YArithmétique départie en trois livres (1561),
les premières tables d’intérêts imprimées sont très
certainement les Tafelen van interest de Simon
Stevin*, publiées à Anvers en 1582, et dont la
traduction française est incluse dans Y Arithmétique
du même auteur publiée en 1585. D’une élaboration
moins savante, les ouvrages de « comptes faits »,
n’en sont pas moins utiles à tous ceux qui, pour une
raison ou une autre, pratiquent quotidiennement le
calcul. Parmi les plus anciens figurent ceux de
Gilles Huguetan (1538) «par lesquelles on pourra
trouver les comptes tous faictz, tant des achats que
ventes de toutes marchandises » et Y Arithmétique
au miroir de Jean Alexandre (1629).
L’extrême abondance des ouvrages de Barrême,
aujourd’hui, sur le marché du livre ancien témoigne
de l’importance de leur diffusion et sans doute, a
fortiori, de leur utilité. Ces tables de multiplication
(prix - quantité) offraient un gain de temps certain
en ramenant l’essentiel du calcul financier ou
commercial à de simples additions. Appliquée à
divers objets, la méthode permit à l’auteur de viser
des publics plus spécialisés. Il en va ainsi du Livre
des aydes, domaine, et finances, très utile à toute
sorte de personnes particulièrement aux traitons, et
aux commis et mesme à ceux qui aspirent à y estre
employez, publié en 1674, qui n’est jamais qu’une
adaptation de la méthode aux différents droits et
taxes, suivant les quantités, tarifs et pourcentages.
Le calcul aux jetons
Il s’effectue à l’aide d’un support, table ou tapis,
sur lequel sont tracées des lignes parallèles —
Y abaque —-, à moins que ces lignes ne demeurent
virtuelles comme dans Y arbre du jet de Jean
Trenchant ou de François Le Gendre. Il existe une
grande variété d’abaques, dont Y échiquier
britannique, mais tous peuvent peu ou prou se
ramener au modèle simplifié de la figure 1. Les
jetons — appelés aussi jets, gets ou gects— sont
disposés sur les lignes de l’abaque, lesquelles
correspondent, de bas en haut, aux unités, dizaines,
centaines, milliers, etc. A l’instar de ce que l’on
observe dans la notation en chiffres romains, le
nombre de jetons figurant les unités, les dizaines,
les centaines, etc., ne dépasse jamais quatre ; si
besoin est, un jeton mis entre deux lignes —
position quinaire— vient représenter cinq fois le
jeton de la ligne immédiatement inférieure.
On lit, dans YArithmétique de Le Gendre, qu’avec
cette méthode « on se servira des caractères usitez
au jet et desquels on se sert ordinairement dans les
finances [...] ou bien du chiffre ordinaire duquel on
se sert en la pratique de l’arithmétique à la plume,
78
cela dépendra de la volonté de ceux qui voudront
s’en servir. » L’outil est cependant directement
adapté aux chiffres de finances* et le lien entre
mode de calcul et mode de notation est immédiat.
On voit par la figure 1, sur laquelle est représenté le
nombre 1899, que la « jetée » correspond
exactement à la notation de ce nombreen chiffres de
finances : mdccclxxxxviiij. Il peut bien sûr s’écrire
mdcccxcviiij ou mdcccxcix, en utilisant le
mécanisme de la préposition soustractive qui évite
de répéter quatre fois le même symbole, mais une
telle notation, quoique plus élégante, est finalement
moins adaptée à l’utilisation de l’abaque.
Si l’on souhaite additionner deux nombres, on les
dispose l’un à côté de l’autre sur l’abaque, comme
mdccclxxxvij (1887) et dcclxxxiiij (784) dans la
figure 2.
Les jetons sont ensuite regroupés horizontalement
puis on opère les réductions nécessaires. Dès que
l’on a cinq jetons sur une même ligne, ils sont
enlevés (on dit déjetés) et un jeton est ajouté dans
l’interligne immédiatement supérieur. De même,
dès que l’on a deux jetons dans un même interligne,
ils sont retirés et un jeton est ajouté sur la ligne
immédiatement supérieure. La figure 3 donne le
résultat de l’addition : mmdclxxi (2671). On
remarquera que les réductions peuvent être opérées
à tout moment et en tout sens, de bas en haut ou de
haut en bas, ce qui confère à ce mode de calcul une
souplesse que ne possède pas l’addition « à la
plume », c’est-à-dire effectuée en superposant les
nombres exprimés en chiffres indiens et dans
laquelle les retenues sont opérées au fur et à mesure
des additions des chiffres de chaque position
successive.
M #■ +
D •
C +
L •
X - ....
V Plantin, 1585. Trenchant J., L'Arithmétique de Jean
I -#--------
Fig. 3
Enfin l’abaque peut être divisé en trois espaces
verticaux parallèles, pour les opérations portant sur
des sommes exprimées en livres sols et deniers. Des
additions partielles sont réalisées dans chacun de
ces espaces, puis on procède aux réductions des
deniers en sols et des sols en livres. Soustraction,
multiplication et division s’effectuent selon des
principes voisins et sans difficultés
supplémentaires, sinon de devoir décomposer
certains des calculs. Mais dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, la commodité d’usage des chiffres
indiens, ainsi que la rapidité du calcul à la plume et
sa fiabilité — la preuve par neuf permet une
vérification elle aussi très rapide — finiront par
avoir raison du calcul aux jetons et du poids des
traditions. Y.L.
Voir Abaque, Barrême, Chiffres de finances, Irson
Sources : Abraham J., L Arithmétique, arpentage
universel, toise des bastimens, géométrie
inaccessible, géométrie par la règle et le compas,
avec la fabrique et usage des quadrans sollaires,
Rouen, P. L'Oyselet, 1617. Barrême F. (1674).
Barrême N. (1788). Fauvre A., Arithmétique
familière et succincte,... en laquelle sont règles
nouvelles... des nombres entiers et rompuz, des pers
et nompers, utiles à tous financiers, bourgeois,
marchans et orfèvres, tant pour le faict des comptes
que pour la réduction des aulnages, palmes, canes,
brasses, poix et mesures, alliages d'or et d'argent, à
laquelle est adjousté un traicté dudict auteur
servant à la géométrie pour trouver racines
quarèes et cubes, faire bataillons quarrez, arpenter,
mesurer murailles, trouver les haulteurs et
longitudes d'icelles et aultres choses fort utiles et
nécessaires, Paris, N. du Chemin, 1576. Huguetan
G., Les tables de divers comptes, avec leurs canons,
calculées par Gilles Huguetan, natif de Lyon, par
lesquelles on pourra trouver les comptes tous faictz,
tant des achats que ventes de toutes
marchandises,... Lyon, Huguetan frères, 1538.
Irson C. (1674). Le Gendre F., L'Arithmétique en sa
perfection, méthodiquement expliquée à la plume et
par les jettons, selon l ’usage et la pratique tant des
financiers que des marchands, enrichie pour
faciliter les opérations des règles de plusieurs
différentes méthodes curieusement recherchées et
mises d’ordre par l’autheur, Contenant en outre
plusieurs tables nécessaires au commerce... Paris,
l’Auteur, 1648. Meynier H. (1614). Stevin S.,
Tafelen van interest, Midtsgaders De Constructie
der selver, Anvers, Plantin, 1582. Stevin S.,
L Arithmétique de Simon Stevin de Bruges, Leyde,
Trenchant, départie en trois livres. Ensemble un
petit discours des changes, avec l'art de calculer
aux getons, Lyon, M. Jove, 1561.
Bibliographie : Bérard V., Lemarchand Y. (1994).
Dubet A. (2007). Schàrlig A. (2003).
Calculateur
Nom donné dans les bureaux (bureau
d’enregistrement d’une Chambre des comptes,
bureau des comptes d’une régie, d’une ferme, d’un
département ministériel....) à l’employé en charge
du calcul d’un compte. Dans les bureaux
d’enregistrement viennois, la direction revenait au
registrateur qui avait sous ses ordres des réviseurs*,
qui avaient sous eux des calculateurs. « Le compte
à faire se donne premièrement au calculateur qui le
finit quant au calcul ». M.-L. L.
Voir Calcul, Réviseur, Réviseur
Sources : AN, K 879, pièce 74.
Cambon, Joseph (1756-1820)
Membre du comité des finances du 10 octobre 1792
au 5 avril 1795, Joseph Cambon a été le « ministre
des finances » de la Convention. Le député du
Hérault avait apprécié très vite les enjeux politiques
des questions financières et avait fait preuve dès le
début de la Législative d’une hauteur de vue peu
commune. Son discours du 24 novembre 1791
témoigne de son obsession d’agir à partir de
données comptables dûment établies qu’il ne cessa
de réclamer aux administrations locales et centrales.
« Il me semble que vous devez adopter un plan
général sur les finances », tel était son leitmotiv à
l’assemblée, face à des députés rebutés par le sujet
79
 et pressés d’en finir avec cette sempiternelle
question des moyens. Brissot en convint au cours
de la même séance : « toute la France doit s’étonner
qu’on ait pas encore entamé la discussion sur les
finances ». Cambon fit voter la création du bureau
de comptabilité* auprès du ministère. Une fois aux
affaires, il défendit la planche à billets car elle
soutenait une politique qu’il approuvait, républicain
convaincu, hostile à toute forme d’agiotage*. Pour
obtenir le numéraire vital à la République, il força
la négociation des effets français sur les places
européennes et de là, altéra la valeur d’échange
objective de la monnaie. Notons toutefois qu’il
s’efforça d’insérer l’utilisation de cette manne dans
une logique gestionnaire, naturelle chez cet
industriel patenté. L’une de ses premières décisions
consista à unifier les caisses* en faisant décréter le
versement de tous les dépôts à la Trésorerie
nationale* (28 septembre 1793). « Il faut en revenir
au principe que la multiplication des caisses est un
obstacle réel à l’établissement de l’uniformité qui
est la principale base d’une bonne administration ».
La trésorerie faisait des avances aux départements,
avances qui, jusqu’en 1793, lui étaient rendues par
la caisse de l’Extraordinaire « qui ne les
connoissant qu’en masse n’en peut suivre ni presser
le remboursement, quoique ce soit à elle & non à la
trésorerie que les départemens soient tenus de les
rendre ». Cette situation rendait complètement
opaque la comptabilité des assignats. Normalement,
les assignats utilisés par les particuliers pour l’achat
de biens nationaux devaient être détruits pour
garantir la réalité de la monnaie. Cependant, la
caisse de l’Extraordinaire recevait ces assignats soit
des receveurs de districts, pour lesquels un contrôle
existait, encore que ces derniers ne tenaient pas
exactement l’état des biens nationaux, soit
directement des acquéreurs de province. Dans ce
dernier cas, aucun contrôle des valeurs n’était
assuré, de sorte qu’il arrivait que la trésorerie reçût
des assignats annulés pour des assignats qui
gardaient leur cours. Cambon fusionna donc la
trésorerie et la caisse de l’Extraordinaire, ce qui
clarifia la distinction essentielle entre les assignats
en valeur, issus du produit des contributions
patriotiques, des dons offerts pour la guerre ou des
valeurs provenant des biens des émigrés... et les
assignats annulés par les ventes de biens nationaux
ou par les échanges contre des petites coupures.
Cependant, le succès dépendait entièrement de
l’attention que les receveurs locaux mettaient eux-
mêmes à faire cet effort. Or Cambon convient lui-
même en germinal an II que la progression de
l’ordre comptable butait sur l’inertie locale. Il fit
adopter par la Convention une loi pour vérifier les
caisses de tous les receveurs de districts et compter
les assignats en valeur et les assignats annulés (9
germinal an II). De même, les Assemblées ne
réussirent pas à obtenir des villes et communes un
état certain de leurs dettes. En vain avait-on décrété
80
!
la déchéance des maires et officiers municipaux qui
ne les auraient pas fournis. En 1793 encore,
Cambon avoua : « à peine connaissons-nous
quelques états de situation... il est d’ailleurs connu
que plusieurs villes et communes ont aliéné leurs
propriétés et en ont affecté le montant à des
dépenses imprévues et extraordinaires ». Il faut dire
que la légitimité nouvelle des administrateurs
locaux constitua un obstacle majeur pour
l’administration financière centrale. En effet,
départements et districts frirent tout à la fois pensés
comme des instances de pure exécution de la
volonté générale et dotés d’une liberté d’action
puisée à la source de la légitimité électorale, ce qui
laissa le pouvoir central comme désanné.
Le chef du comité de finances de la Convention
stigmatisa non seulement les comptes des
administrations locales, mais aussi le paiement des
rentes constituées assignées sur tant de payeurs à la
fois que toute espèce d’inspection était impossible.
Cambon, on le sait, concentra son effort sur la
formation du Grand Livre de la dette*, présenté à la
Convention en 1793. Grâce à cet outil comptable,
institué par la loi du 24 août 1793, il unifia tous les
titres de créances. Cette même loi attribuait
l’examen de la liquidation au Bureau de la
comptabilité*, assurant ainsi un minimum de
contrôle sur les opérations à venir. L’intérêt du
Grand Livre* fut reconnu par les administrateurs
suivants : « c’est un des travaux les plus
recommandables de la Convention et trois années
d’expérience suffisent pour constater combien cet
établissement étoit conforme aux principes d’une
bonne comptabilité », jugea Barbé-Marbois. M.-L.
L.
Voir Bureau de comptabilité nationale, Grand livre
de la dette, Trésorerie nationale
Sources : Gazette nationale ou le Moniteur
universel n° 329 de la troisième année, vendredi 25
novembre 1791, séance du jeudi 24 novembre, n°
183, tridi 3 Germinal an II (23 mars 1794), bulletin
de la Convention, séance du 2 Germinal. Cambon,
Rapport et projet de décret concernant la
suppression de la caisse de l’extraordinaire et sa
réunion à la trésorerie nationale, Paris, 1792.
Opinion de M. Cambon sur le rapport du comité de
la caisse de l ’extraordinaire & sur la dette
publique, 24 novembre 1791. AN, F4 1001, Rapport
de la commission des finances et lois sur la dette
publique, sur sa consolidation, sur l’emprunt
volontaire et sur l’emprunt forcé, suivis de
l’instruction sur l'emprunt forcé, Paris, 1793 ; AN,
AF III 130, dossier 611, rapport de Barbé-Marbois,
8 thermidor an IV.
Bibliographie : Arnaud Raoul, Cambon (1756-
1820) d’après des documents inédits, Paris, Perrin,
1926 ; Séné C. (1987).
Caméralisme
Voir comptabilité camérale trouver ces précieuses cautions, le cautionnement a
été limité aux caissiers et à certains autres préposés
Camerlingue des fermiers et régisseurs, ainsi logiquement qu’aux
Camérier (du latin camerarius, dérivé de caméra, comptables publics exerçant par commission, tels
la chambre au sens de « chambre » (des comptes, les nouveaux administrateurs du Trésor royal après
des emprunts) désigne un magistrat affecté à la la réforme de 1788. Notons encore que la caution
gestion du Trésor public et habilité à recevoir les demande en général la rémunération de ses services
espèces provenant des recettes publiques. à l’officier qui en bénéficie.
Responsable de leur caisse sur leurs biens propres, Jusqu’en 1758, les employés supérieurs de la Ferme
les camerlingues devaient pouvoir fournir de générale*, qu’ils aient eu ou non un maniement de
bonnes cautions. En Toscane, une loi de 1684 deniers, ont dû fourni des cautionnements en
ordonna aux caissiers du grand-duché de renouveler immeubles. L’arrêt du 30 avril 1758 ordonne le
annuellement leur cautionnement*. Cette obligation dépôt en espèces au Trésor, à 5 % sans retenue, en
explique les raisons pour lesquelles les lieu et place des immeubles : c’est encore un moyen
camerlingues étaient pour la plupart issus du de finance, même si les cautionnements en
négoce et inscrits dans les livres de noblesse immeubles sont plus difficiles à réaliser. L’on
patricienne des Etats italiens. J.-C. H. vérifie que les caissiers ne se servent pas des fonds
de leur recette à cette fin. En 1761, les immeubles
sont admis à nouveau, les dépôts en espèces ne
Caution, cautionnement
suffisant pas pour répondre de la recette et du
Une caution (pleige en ancien français) est une
maniement de quelques caissiers. Le cautionnement
personne qui garantit la gestion, la conduite ou la
est limité au quart d’une année commune de recette,
solvabilité d’une autre personne. Le cautionnement
s’il est réalisé en immeubles, un huitième s’il l’est
est l’acte par lequel la caution s’engage à remplir
en argent et à 150 000 1 en argent ou en immeubles.
l’engagement de celui qu’elle cautionne ou de
L’arrêt du Conseil du 17 février 1780 étend le
répondre de sa gestion jusqu’à concurrence d’une
cautionnement en espèces à d’autres commis de la
somme fixée, qu’elle soit représentée par un dépôt
Ferme générale et à tous les employés des domaines
en espèces ou par des immeubles hypothéqués. Le
et des aides dont la recette atteint ou dépasse 600 1.
cautionnement est la somme que la caution garantit
Les agents non chargés d’un maniement sont
et aussi celle que le comptable public* verse
astreints au cautionnement en immeubles.
éventuellement lui-même en garantie. Les
La procuration des directeurs de la Ferme générale
cautionnements constitués au profit du Trésor*
(bail Salzard de 1780) n’évoque que les cautions,
garantissaient l’exercice de certaines fonctions
mais ces personnes s’engagent sur un montant qui
publiques, surtout celles des comptables, qu’il
est le cautionnement : « le sieur constitué
soient en charge ou commissionnés, ou l’exécution
[directeur] sera tenu de donner bonnes et suffisantes
régulière de marchés publics* ou de concessions de
cautions jusqu’à concurrence de la somme de
service public*. En droit civil, le cautionnement est
30 000 1, lesquelles s’engageront solidairement
la garantie d’une créance déterminée, alors qu’ici la
avec lui d’être garants et responsables de la régie et
créance n’est qu’éventuelle ; l’analogie réside dans
administration et de tout ce que le sieur constituant
le contrat de gage.
et ses cautions [Salzard et les fermiers] auraient à
En France, le cautionnement apparaît en 1335
répéter contre lui, soit pour cause d’inexécution
comme un moyen de lutter contre les malversations
d’ordres à lui donnés, soit pour n’avoir pas tenu la
des comptables royaux. Les lois se succèdent afin
main à ce que la régie des différents droits fût faite
d’y soumettre un plus grand nombre de ces agents.
exactement, soit pour argent reçu des différents
La décision du Conseil du 11 juin 1510 exige pour
receveurs ou toutes autres personnes contre les
l’avenir des cautions d’un certain nombre
défenses qui lui en sont faites par la présente
d’officiers de finances, et comporte une sorte de
procuration, soit pour affaires entreprises ou suivies
tarif des cautionnements. Un règlement est rendu
sans l’avis des sieurs cautions, soit enfin pour toute
dès 1531, attendu, dit le roi, que nous n’avons
négligence dans la manutention de la régie qui lui
d’eux pleiges ni cautions et que tous leurs biens ne
est confiée, ou par ordres de paiement par lui
valent la dixième partie de la recette qu’ils font ».
donnés mal à propos».
Sous Henri II, écrit Philippe Harnon, les cautions
Les cautionnements minimaux et maximaux en
sont tenues de payer ou au moins de prêter au roi le
argent exigés des agents de la Ferme générale sont
montant du débet du comptable cautionné. Cet
élevés. Voici la situation à la fin de l’Ancien régime
auteur note d’ailleurs que des certificateurs doivent
(après 1780): directeurs des fermes, 30 000 1;
garantir la solvabilité des cautions. Lorsque les
receveurs généraux des fermes*, 6000/150 000 1 ;
comptables sont devenus officiers titulaires*, la
contrôleurs généraux des fermes, 10 000 1 ;
finance de leurs charges a dû finalement tenir lieu
receveurs généraux du tabac, 6000/100 000 1;
de cautionnement. L’édit d’août 1669 les oblige
entreposeurs du tabac, 2 000/12 000 1 ; receveurs
néanmoins à fournir une ou des cautions
des gabelles (Greniers à sel*), 2 000/ 90 000 1 ;
personnelles. Dans les faits et peut-être faute de
81
receveurs des traites, 1 000/50 000 1 ; receveurs des
entrées de Paris, 1 000/ 120 000 1; commis à la
descente des sels, 4 000/10 000 1. Celui qui veut
entrer au service de la Ferme générale ou d’une
régie financière doit disposer d’une fortune
personnelle (qu’il peut utiliser autrement) ou
d’appuis financiers, ainsi que de protecteurs : ces
emplois s’apparentent donc à ceux des officiers de
finances*.
Les fermes et régies* d’impôts sont supprimées en
1791 ; l’Assemblée nationale décrète en même
temps le remboursement des cautionnements (en
monnaie de singe). La nouvelle organisation des
services fiscaux comporte l’obligation du
cautionnement pour tous les titulaires d’emplois
comptables et de fonctions publiques dont
l’exercice peut donner lieu à condamnations
pécuniaires. Cette obligation disparaît sous la
Terreur, même pour les comptables (lois des 2
février et 26 avril 1794) puis réapparaît (loi du 4
avril 1796). Le cautionnement avait été vu comme
contraire à l’égalité et comme de nature à exclure
les jacobins des places. Du reste, le cautionnement
en immeubles, rappelle Gaudin*, est source de
litiges. En 1799, le cautionnement en numéraire
portant intérêt refait surface grâce à lui, il est
d’abord imposé aux receveurs généraux ; puis aux
caissiers-payeurs généraux et préposés du Trésor (à
Paris) ; aux préposés de l’enregistrement, des
douanes, des postes, de la loterie et aux notaires ;
aux avoués, greffiers et huissiers ; aux receveurs
particuliers ; aux caissiers et payeurs du Trésor (en
province). En 1804, les percepteurs* des
contributions directes y sont soumis à leur tour.
Enfin, la loi du 28 avril 1816 dispose que tous les
magistrats de l’ordre judiciaire, les employés des
administrations civiles, receveurs des communes et
comptables publics seront tenus de fournir en
numéraire la totalité de leurs cautionnements. En
1814, le capital de ces dépôts représente cent
millions. Les trois formes, numéraire, immeubles et
rentes sur l’État sont ensuite admises
concurremment, selon certaines proportions.
Les cautionnements sont toujours affectés par
premier privilège à la garantie de la gestion ou de la
fonction. Ce privilège ne peut être exercé que dans
le cas où le fonctionnaire a causé un préjudice dans
l’exercice légal et obligé de ses fonctions (car lui
seul peut les faire). Par second privilège, les
cautionnements sont affectés au remboursement des
bailleurs de fonds et, subsidiairement, au paiement
des créances particulières exigibles des titulaires,
les créanciers étant admis à faire des oppositions
motivées.
Nul ne peut prêter serment et être installé s’il ne
justifie pas du versement intégral de son
cautionnement. Les comptables justiciables de la
Cour des comptes peuvent obtenir, avant
l’apurement définitif de leurs comptes, le
remboursement des deux tiers de leur
82
cautionnement. Le troisième tiers est restitué sur la
production d’un certificat de libération définitive
délivré, au vu de l’arrêt de quitus* de la Cour des
comptes, par le directeur général de la comptabilité
publique pour les comptables des Finances, ou par
le ministre compétent, pour les préposés
comptables des autres ministères. Les comptables
subordonnés (receveurs particuliers, percepteurs,
receveurs d’octroi, receveurs des douanes,
receveurs des postes, chanceliers et vice-consuls)
doivent obtenir le certificat de quitus* du
comptable supérieur visé par le ou les
fonctionnaires chargés de surveiller leur gestion.
B.L.
Sources : L ’Encyclopédie méthodique, Finances
(1784).
Bibliographie : Hamon P. (1999).
Certification des comptes
La production de comptes réguliers est une
préoccupation constante des surintendants,
contrôleurs généraux et ministres des finances. Afin
d’attester cette régularité, il est procédé à des
contrôles, mais aussi à l’affirmation* de compte par
le biais d’états de certification. Au-delà de la
régularité d’un compte particulier, l’administration
des finances souhaita mettre en place au XIXe
siècle une certification des comptes des ministres. Il
s’agit de donner aux Chambres l’assurance que les
paiements opérés par les comptables
correspondaient bien aux ordonnances annoncées
par les comptes définitifs présentés.
En France, la formalisation de la généralisation de
l’obligation comptable est inscrite au sein de la loi
du 25 mars 1817 qui distingue deux comptabilités
complémentaires. Son titre XII enjoint aux
ministres ordonnateurs de tenir une comptabilité qui
sera présentée aux Chambres et au ministre des
finances, de tenir un compte général de leurs
opérations. Les deux piliers du système financier
décrit par Audiffret* sont en place : des comptes
sur lesquels les ministres inscrivent leurs dépenses
(engagement* et ordonnancement*) d’un côté, et
des comptes sur lesquels les comptables* inscrivent
leurs mouvements (encaissement* et
décaissement*) de l’autre. Ces deux comptabilités
administrative et judiciaire doivent cependant être
confrontées afin de vérifier la bonne exécution de la
première.
Cette confrontation est confiée à la Cour des
compte* pour deux raisons. Tout d’abord, un
système d’ordre implique de valider la
centralisation des comptes de gestion des
comptables au sein du compte général des finances.
La Cour doit résumer les travaux en ce sens selon
les prescriptions de l’article 20 de la loi du 27 juin
1819. Ensuite, il faut opérer une vérification de la
concordance des comptes des ordonnateurs et des
comptes des comptables. L’article 22 de
l’ordonnance du 14 septembre 1822 précise: «la
Cour des comptes constatera et certifiera (...)
l’exactitude des comptes généraux publiés par le
ministre des finances et par chaque ministre
ordonnateur ». La loi érige la Cour en « clé de
voûte » du système financier. La certification des
comptes des ministres par une Cour des comptes
qui n’en demandait pas tant pose une difficulté
d’ordre institutionnel car la juridiction n’a pas la
capacité de contrôler les ordonnateurs. Comment,
dès lors, pourrait-elle certifier leurs comptes ?
L’article 7 de l’ordonnance du 10 décembre 1823
complète la procédure en la confiant à une
commission administrative (comprenant des
membres de la Cour et du Conseil d’État) qui arrête
le compte général de l’administration des finances.
Cette idée d’une commission administrative pour
« contrôler les comptes des ministres » fut testée
par Alexandre Masson*, adjoint et ami
d’Audiffret*, dans son ouvrage De la comptabilité
des dépenses publiques (1822) avant d’être
formalisée dans l’ordonnance de décembre 1823.
Afin de pouvoir certifier la conformité des comptes
définitifs des ministres au compte général de
l’administration des finances, la Cour obtiendra par
l’ordonnance du 9 juillet 1826 la communication
par les ministres des pièces justificatives de leurs
dépenses. Audiffret écrira dans ses Mémoires qu’il
s’agit là de « l’acte le plus important de mon
heureuse initiative ».
Enfin, le rapport au roi sur l’ordonnance, dont
Audiffret est aussi l’auteur, précise la vocation de la
certification. Il s’agit bien d’assurer la qualité des
comptes présentés afin que « les Chambres
[puissent] procéder avec une entière confiance à la
discussion des comptes généraux dont l’exactitude
leur sera si authentiquement démontrée, et faire
reposer les bases définitives de chaque loi de
finances, sur des résultats irrécusables et à l’abri de
toute critique ». S.K.
Voir Affirmation, Audiffret, Masson, Cour des
comptes.
Bibliographie : Kott S. (2009).
Cessation de paiement
Voir Banqueroute
Charge, charger
Voir Recette, dépense et reprise
(comptabilité en)
Chambre des comptes
Les Chambres des comptes étaient des cours
souveraines chargées du contrôle a posteriori des
comptes des agents financiers du roi et de la
conservation de son domaine*. La plus importante
et la plus prestigieuse de toutes les autres, la
Chambre des comptes de Paris était issue de
l’ancienne Curia Regis. Elle était en fait sa section
financière, tout comme le Parlement qui en était la
section judiciaire, qui prit son autonomie au début
du XIVe siècle. Philippe V le Long lui donnera le
statut de cour souveraine par une ordonnance de
Vivier-en-Brie en 1320. S’étant installée depuis à
Paris au sein du Palais de la Cité, la Chambre des
comptes traitait de l’ensemble des questions
financières de la monarchie. Mais cette compétence
si étendue ne dura pas longtemps. Elle perdit une
bonne partie de ses attributions avec la création de
la Cour des aides (qui était spécialement chargée du
contentieux fiscal), de la Chambre du Trésor (qui
réglait les différends concernant les revenus du
domaine) et de la Cour des monnaies (qui
enregistrait tous les actes royaux concernant les
monnaies et jugeait les affaires monétaires), sans
omettre la rivalité constante, en matière domaniale
et criminelle, avec le parlement de Paris et la place
prépondérante qu’allait prendre le contrôleur
général des finances* dans les affaires financières et
économiques à partir du règne de Louis XIV. Cela
étant, la souveraineté de la Chambre des comptes
n’était reconnue qu’en matière comptable : c’est à
elle seule que revint toujours la prérogative
d’assurer le contrôle juridictionnel des comptes
publics. Elle se chargeait en premier lieu
d’examiner et d’arrêter les comptabilités de
l’Epargne, des trésoriers des Maisons du roi, de la
Reine et des princes, des trésoriers de l’Ordinaire et
de F Extraordinaire des guerres, des receveurs
généraux et particuliers des finances de son ressort.
La procédure à suivre en cette matière fut réglée par
les édits des mois d’août 1598 et août 1669.
La Chambre des comptes conserva en outre d’autres
fonctions qui attestaient son rôle important dans la
préservation et la gestion du domaine royal. Elle
vérifiait et enregistrait les édits et déclarations
concernant le domaine et les finances du roi; les
lettres d’anoblissement, d’affranchissement, de
naturalisation, de légitimation ; les lettres de
pensions, récompenses, gratifications accordées par
le roi ; les fois et hommages, aveux et
dénombrements des fiefs relevant de la Couronne ;
les contrats de mariage de la famille royale ; les
traités de paix ; les baux des fermes d’impôts, etc.
Elle enregistrait les provisions d’offices qui
concernaient aussi bien les plus hauts personnages
de l’Etat, par exemple le contrôleur général* et les
intendants des finances*, que les comptables et les
officiers subalternes de toutes catégories.
Corrélativement, elle recevait le serment* de
fidélité que devait prononcer tout nouvel agent du
roi entrant en charge. La procédure de
l’enregistrement avait pour but d’assurer la
publicité de la loi et de vérifier si elle ne lésait pas
des intérêts de la Couronne et si elle n’était pas en
contradiction avec les règlements en vigueur. La
cour, en effet, étudiait précisément les textes qui lui
étaient portés et avait la possibilité de refuser de les
83
enregistrer, en donnant les raisons de son refus dans
des remontrances adressées au roi. Si le souverain
n’admettait pas ces remontrances, il confirmait ses
ordres par l’envoi de lettres de jussion et, dans le
cas où les magistrats s’obstinaient, il se déplaçait en
personne pour imposer son autorité par la tenue de
lit de justice. Mais, à la différence des Parlements,
cette mesure extrême ne semble pas avoir été
employée à l’égard de la Chambre des comptes, qui
s’est gardée, excepté au temps des troubles de la
Ligue et de la Fronde parlementaire, d’utiliser le
droit de remontrance comme anne politique face au
pouvoir monarchique.
Autrefois, la Chambre des comptes de Paris fut
unique, et sa juridiction s’étendait sur tout le
territoire. Mais d’autres Chambres des comptes, qui
avaient été créées au Moyen Age dans les
principautés, furent maintenues et transformées en
Chambres des comptes royales depuis le
rattachement de celles-ci à la Couronne. C’était le
cas des chambres des comptes du Dauphiné
siégeant à Grenoble, de Bretagne à Nantes, de
Provence à Aix, de Dijon pour la Bourgogne, de
Pau pour la Navarre. De même, la Chambre des
comptes de Dole fut maintenue après la conquête de
la Franche-Comté en 1674. La Chambre des
comptes de Nonnandie, issue de l’Echiquier*, fut
installée à Caen par les Anglais et supprimée en
1453, puis rétablie en 1580 par Henri III à Rouen.
Louis XIV ordonna d’abord la suppression de la
Chambre des comptes de Bar et de celle de Lorraine
à Nancy en 1671 puis les rétablit en 1698. D’autres
Chambres des comptes existantes dans des
apanages (Angers, Angoulême, Moulins,
Montbrison, Villefranche, Alençon, Châteaudun)
furent en revanche supprimées au profit de la
juridiction parisienne lors de la réunion de ces
territoires au domaine royal. C’est l’annexion de la
Flandre qui amena à la suppression de celle de Lille
en 1667. Néanmoins, la Chambre des comptes de
Blois, qui conservait les chartes et contrôlait les
comptes de la maison d’Orléans, survécut jusqu’en
1775. De même, la Chambre des comptes établie
auprès du parlement provincial à Trévoux fut
maintenue lors de l’intégration de la région de
Dombes au royaume en 1762. Enfin, deux
Chambres des comptes résultèrent de créations
volontaires du roi de France. C’est l’origine de celle
qui fut constituée à Montpellier en mars 1523 pour
le Languedoc et de celle de Metz qui se trouva
incorporée au Parlement de cette ville enl633. Il
faut notamment noter que certaines Chambres des
comptes et cours des aides étaient réunies en un
seul corps qui prenait le nom de « Cour des
comptes, aides et finances » : ainsi celle de
Montpellier à partir de 1629, de Provence, de
Bourgogne à partir de 1692, de Nonnandie à partir
de 1705. En tout, il y eut, sous l’Ancien régime,
quatorze Chambres des comptes. Bien que la
Chambre des comptes de Paris prétendait à la
84
supériorité sur ses homologues de province et
entendait réduire leur autonomie en soumettant à
son appel leurs décisions, ceux-ci conservèrent leur
statut de cours souveraines, jugeant en dernier
ressort, jusqu’à leur suppression. L’obligation
posée pour les Chambres provinciales d’envoyer
chaque année à celle de Paris les doubles des
comptes jugés fut mal respectée. Il y eut des
tentatives d’unification administrative avec
l’ordonnance de Moulins de 1566 et lors de la
réforme entreprise par le Chancelier Maupeou en
1771, mais cette unification ne se réalisa vraiment
qu’après la Révolution ; la Cour des comptes*
unique fut créée en septembre 1807.
Quant à leur organisation interne, les juridictions
étaient chacune pareillement composées d’un
premier président, de présidents, de maîtres des
comptes*, de correcteurs*, d’auditeurs*, de
greffiers, de gardes des livres, de receveurs des
épices, de contrôleurs des restes, d’huissiers,
auxquels s’ajoutaient des représentants du Parquet
(procureur général et avocat général). Ils y
formaient à l’intérieur des ordres différents entre
lesquels les conflits ne manquaient pas. Le nombre
des effectifs s’accrut avec le temps, les fonctions se
spécialisèrent et la hiérarchie s’affennit. Après la
Chambre des comptes de Paris passée de trente-cinq
à deux cent quatre-vingt et un officiers entre 1511
et 1778, la plus importante était la Cour des
comptes, aides et finances de Montpellier
comprenant onze officiers en 1522, quarante cinq
en 1629 et cent vingt-huit à la veille de la
Révolution. Les prix des offices des Chambres des
comptes augmentèrent sensiblement au XVIIe siècle
et continuèrent à constituer des placements
intéressants et sûrs jusqu’à la fin de l’Ancien
régime. En plus des revenus procurés par leurs
offices, les gens des comptes recevaient des épices*
prélevées sur un nombre de comptes examinés
chaque année et bénéficiaient de divers privilèges et
avantages. Ainsi ils étaient dispensés de
l’obligation du guet, du ban et d’arrière-ban, du
logement des gens de guerre et jouissaient de la
plupart des exemptions fiscales. Le roi leur accorda
la noblesse personnelle héréditaire à condition
d’avoir servi vingt ans ou de mourir en exercice.
Dans toutes les Chambres des comptes s’affirma la
tendance à la continuité familiale et à la constitution
des dynasties, les officiers étant essentiellement
issus du monde judiciaire local et de la bourgeoisie
enrichie. Les magistrats parisiens constituèrent des
lignées prestigieuses, dont la plus fameuse est celle
des Nicolay à laquelle appartenaient les neuf
premiers présidents qui se succédèrent à la
Chambre des comptes de Paris de 1506 à 1791.
En tant que corps constitué, les Chambres des
comptes organisaient elles-mêmes le recrutement de
leurs membres. Les impétrants n’étaient reçus qu’à
condition de verser la finance de leurs offices et de
prouver leurs capacités professionnelles. Ils
devaient être de mœurs irréprochables et avoir
connaissance du droit et des finances royales. Les
textes de mai 1565, d’août 1669 et de novembre
1683 posèrent des limites d’âge pour l’exercice des
offices de présidents qui ne devaient pas avoir
moins de 40 ans, de conseillers moins de 27 ans, de
gens du roi moins de 30 ans. Les ordonnances de
1563, 1564 et la lettre de 1629 portèrent
l’interdiction aux traitants, fermiers et comptables
de remplir les offices de la Chambre des comptes.
Mais cette interdiction fut atténuée par les édits de
1641 et de 1669, décidant que les fils d’un
comptable pouvaient pour autant être reçus lorsque
leur parent aurait résigné son office et ses comptes
auraient été entièrement apurés et corrigés. Les
marchands étaient acceptés s’ils avaient abandonné
leur négoce depuis cinq ans.
Les officiers des comptes servaient par semestre
(l’un commençait le 1er janvier, l’autre le 1er juillet)
introduit d’abord à Paris en 1552 puis dans les
autres Chambres des comptes. Seuls le premier
président, les gens du roi, les greffiers et les gardes
des livres étaient des deux semestres à la fois.
Lorsqu’il fallait prendre une décision engageant le
corps tout entier, la juridiction délibérait les deux
semestres réunis. La procédure de vérification
comptable suivie était complexe et minutieuse,
comportant les opérations successives de
présentation*, d’audition*, de jugement*,
d’apurement* et de correction* des comptes. Aux
termes de l’édit de 1669, tous les comptes devaient
être rendus dans l’année suivant la fin de l’exercice,
mais ce principe comporta de multiples
dérogations ; certaines catégories de comptables
obtinrent un plus long délai. Le comptable
présentait son compte en personne ou se faisait
représenter par un procureur des comptes.
L’original du compte devait être accompagné d’un
bordereau*, des états du roi* et au vrai* et des
pièces justificatives*. Le dossier était apporté au
procureur général de la Chambre qui, après l’avoir
inscrit sur un registre des présentations, prévenait le
bureau. Celui qui y présidait faisait appeler le
comptable ou son représentant pour attester par
serment de la sincérité des écritures comptables
qu’il rendait. Après quoi, le compte était transmis à
l’un des auditeurs, qui se chargeait de constater sa
régularité par la confrontation avec les acquits* et
autres pièces fournies. A l’issu de ce travail, il
faisait son rapport au bureau sur tous les points
litigieux constatés. A la séance du jugement*, les
présidents et les maîtres rendaient la décision sur
ces articles. Les parties du compte étaient admises
et passées, si les recettes et les dépenses qui y
figuraient étaient correctement justifiées. Lorsque
les recettes n’étaient pas autorisées et les dépenses
indiquées ne devaient pas être produites, ces articles
étaient refusés, rayés et rejetés. Entre les deux, se
posait le problème des articles dont les opérations
mentionnées manquaient de pièces nécessaires ou
qui étaient justifiées par un acquit suspect ou non
contrôlé. Ces articles étaient acceptés sous réserve,
et les comptables avaient à fournir les justifications
manquantes dans un délai fixe. L’état final* était la
conclusion globale de toutes les décisions partielles
prises sur le compte, faisant ressortir si le
comptable était quitte, débiteur ou créancier du roi.
Après le jugement, le bordereau signé par le
président et l’un des maîtres fut déposé au greffier ;
l’auditeur rapportait, afin de s’en décharger, le
compte et l’état final au procureur général. Aussitôt
celui-ci confiait le recouvrement des débets* mis à
la charge du comptable au contrôleur des restes*.
Mais la procédure ne s’arrêtait pas là, car le compte
était ensuite envoyé à la correction. Elle consistait
en un contrôle plus détaillé du compte destiné à
découvrir des erreurs commises au détriment du roi
soit par le comptable, soit par le rapporteur ou les
juges lors des délibérations. En outre, s’agissant de
mouvements de fonds entre les comptables, il fallait
alors s’assurer de la concordance générale des
comptes et de l’exactitude de chacun d’eux. Cette
investigation donnait lieu à la découverte
d’omissions de recette*, de « biscapit »*, de faux et
double emploi*, de la rétention des deniers*, pour
lesquels le comptable était sanctionné. La
compétence des Chambres des comptes ne se
limitait pas cependant à la clôture des comptes,
mais s’étendait aussi à toutes les conséquences de
leurs décisions. Elles avaient aussi à juger les
contestations soulevées au sujet des comptes entre
le roi et les comptables, entre divers comptables ou
entre les comptables et des particuliers ayant intérêt
à intervenir. Quoi qu’il en fût, il était de règle que le
comptable, lorsqu’il demandait la révision de l’arrêt
pris à son encontre, s’acquittât, avant le jugement à
intervenir, des sommes précédemment mises à sa
charge. Mais le souverain pouvait toujours
accorder, s’il le jugeait bon, des lettres de validation
ou de rétablissement qui dispensaient le bénéficiaire
de toutes charges et contraintes exercées contre lui
par les gens des comptes. Il en ressort une limite
importante à l’exercice des Chambres des comptes.
Leur autorité en matière des comptes venait de la
place qu’elles tenaient dans le système de la
«justice déléguée », dans lequel le premier juge des
comptes restait bien le roi lui-même.
Le 7 septembre 1790, l’Assemblée Constituante
prononça formellement l’abolition de toutes les
Chambres des comptes. Dans les faits, la plupart
d’entre elles ne cessèrent définitivement leurs
fonctions que plus tard, lorsque par un décret du 17
septembre 1791 elles furent remplacées par le
Bureau de la Comptabilité nationale. N. P.
Sources: Ordonnances, édits, déclarations...
(1728). Beaune C. de (1647). Guyot et Merlin, t. 3,
(1784), p. 39-57. BNF, coll. Clément de Boissy, Ms.
Fr. 4432, 7707, 11083, 16599 : édits, déclarations et
règlements portant sur la Chambre des comptes et
85
les finances royales; 7698-7701: Recueil formé par
de Loffroy sur les matières qui se traitent en la
Chambre des comptes de Paris; 7699, 11073:
correcteurs des comptes, leur office et procédures
de la correction des comptes; 11000-11002:
fonctions, droits et privilèges des auditeurs des
comptes, leurs contestations avec les maîtres des
comptes; 10995-10996 : épices des officiers de la
Chambre des comptes de Paris; coll. NAF 1565-
1570, pièces concernant la juridiction de la
Chambre des comptes de Paris, les exemptions,
privilèges, gages et épices accordés à ses officiers ;
1629-1630, 1652 : Ordre à observer pour la
présentation et le jugement des comptes à la
Chambre des comptes de Paris (XVIIe siècle) ; AN,
série P, pièces concernant la Chambre des comptes
de Paris; sous-série G7, 1759-1762, 1763-1764 :
divers papiers au sujet des Chambres des comptes
de Paris, Aix, Blois, Dijon, Dole, Montpellier,
Nantes, Grenoble, Rouen, XVIIe-XVIIIc siècle.
Bibliographie : Boislisle A.M. de (1873). Bouchard
L. (1891). Contamine P. et Mattéoni O. (1996).
Coustant d’Yanville H. (1866-1875). Cubells M.
(1977). Jassemin H. (1933). Jean M. (1992).
Humbert R. (1986). La Cour des Comptes (1984).
Le Page D. (1997) et Contrôler les finances (à
paraître). R. de Lurion, Notice sur la Chambre des
comptes de Dole, suivie d’un armorial de ses
officiers, Besançon, 1892 ; Mattéoni O. (2007).
Michaud J. (1970). Pernot J.P. (1979). P.
Schimberg, Recherches sur la Chambre des
comptes du duché de Bar, Bar-le-Duc, 1908. P.
Vialles, Etudes historiques sur la Cour des
comptes, aides et finances de Montpellier,
Montpellier, 1921. Villain J. (1987).
Chambre ou conseil des finances
Cette appellation couvre des réalités diverses pour
désigner le collège des conseillers du roi chargés
particulièrement des décisions financières. Certains
de ces collèges évoluèrent en une administration
ministérielle, tandis que d’autres conservèrent leur
caractère synodal, les bureaux de l’exécution
financière se déployant en dehors d’eux.
L’époque moderne se caractérise par la fonnation, à
peu près simultanée dans les Etats européens, de
Conseil ou Chambre des finances. En Castille, ce
processus d’institutionnalisation du gouvernement
des finances prit la forme d’un Conseil en 1523-
1525. Initialement créé pour administrer les affaires
extraordinaires, et notamment la négociation des
partis, il agissait par commission*, tandis que la
grand Chambre des finances continuait à gérer les
recettes ordinaires en tenant audience et en
rédigeant des consultes. Le Conseil des finances se
développa et prit progressivement en charge
l’ensemble des affaires financières, organisant la
distribution des dépenses sur toutes les recettes,
émettant les ordres de paiement. En 1593, des
ordonnances définirent les compétences et le statut
86
du conseil, composé d’un président, de deux
conseillers, deux comptables en chef et un
personnel subalterne. En 1602, Philippe III procéda
à la fusion du Conseil des finances et de la grand
Chambre des finances, en s’inspirant de la Chambre
de la Sommaria de Naples. Comme celle-ci, le
Conseil des finances fut chargé d’établir les états
prévisionnels et les bilans* des recettes et dépenses.
Il faut néanmoins attendre 1687 et la mise en place
de la Surintendance* générale des revenus royaux
pour que les finances royales acquièrent une réelle
direction exécutive. Sur le modèle castillan, Charles
Quint forma en 1531 le Conseil des finances de
Bruxelles pour assister Marie de Hongrie, la
nouvelle gouvernante des Pays-Bas. Initialement,
ses compétences se limitaient à la gestion* des
recettes et dépenses du souverain. Composé d’un
trésorier général*, d’un nombre de conseillers
variables dans le temps (plutôt quatre, un par
“département”: domains*, aides et subsides, droits
d’entrée et de sortie, commerce) et de deux
greffiers, le Conseil prenait ses décisions à la
majorité. En France, le règlement du 3 avril 1547
divisa le Conseil d’Etat en deux et réserva aux
matinées le traitement des affaires de finances. En
définissant plus précisément en 1551 les missions
de quatre conseillers futurs intendants de finances*,
Henri II forma l’embryon du ministère, même si le
Conseil des finances continua d’exister de façon
chaotique. En 1582, il eut pour mission de vérifier
les états* trimestriels envoyés par les receveurs
généraux*, les états* des trésoriers*, décider des
levées de deniers, examiner les propositions des
fermiers et traitants*, suivre le mouvement des
fonds* et préparer le budget* de l’année à venir. Le
contrôle comptable était dévolu aux intendants de
finances* qui avaient entrée au Conseil et faisaient
fonction de contrôleurs*. La puissance
décisionnelle du Conseil diminua avec
l’institutionnalisation du contrôle général des
finances* et sa prise en main par Colbert*. Ce
dernier prit la direction d’un nouveau Conseil royal
des finances (1661) soustrait à l’influence des
grands du royaume.
Dans les Etats territoriaux de l’Empire, les princes
renforcèrent leur autonomie financière vis-à-vis de
l’empereur à l’aide de leur Conseil (Hofrat). La
spécialisation ministérielle se fit au sein de ces
Conseils par la formation de chambre (Kammer)
dont la dénomination était variable d’un Etat à
l’autre: Hofkammer, Rentkammer, Hofrenteien...
En Bavière*, la chambre aulique (Hofkammer) fut
érigée en 1550. Cette chambre s’affirma comme
l’instance d’administration principale face au
Conseil {Hofrat) jusqu’à la nouvelle constitution
ministérielle de 1799. De même en Autriche, la
direction des finances appartenait à la chambre
aulique (Hofcammer). Au Danemark, la chambre du
Trésor (Rentkammer) naquit également au milieu
du XVIe siècle. Cependant, il ne faut jamais perdre
de vue que dans tous les pays, cette organisation
« ministérielle » demeurait placée sous l’autorité
d’un chancelier ou d’un « premier ministre », chef
des conseils et à ce titre, maître de la politique
financière.
Au XVIIe et XVIIIe siècles, les Etats ont cherché à
concentrer la décision financière autour du prince
grâce à la refonte des organes ministériels centraux.
A l’instar du Conseil royal des finances créé en
novembre 1661 et confié à la direction de Colbert*,
fut institué en juin 1702 à Bruxelles un Conseil du
roi en remplacement des anciens Conseils
collatéraux, Conseil restreint dont Jean van
Brouchoven, comte de Bergeyck, devint
provisoirement le ministre principal. Mais les
Conseils collatéraux furent rétablis en 1725 et
perpétuèrent une tradition ancienne où les grands
notables, par leurs consultes, participaient à
l’élaboration de la décision. Notons que Benoît-
Marie Dupuy*, lorsqu’il entra au service de
Bruxelles en 1749, suggéra la même révolution
institutionnelle comme préalable à toute réforme
sérieuse de la comptabilité. Pour lui, comme pour
les réformateurs de la période angevine, il fallait
réduire le rôle du Conseil des finances corrompu,
au profit de la fonction centrale de la trésorerie. La
même idée anima Jean Orry à l’origine des décrets
de réforme des Conseils centraux de la monarchie
espagnole et du secrétariat des Dépêches de 1713-
1714. En Prusse*, Frédéric-Guillaume inaugura une
nouvelle forme d’administration ministérielle des
finances en créant en 1723 le grand Directoire*,
issu de la fusion de la chambre aulique et du
commissariat général de la guerre. Toutes les
branches de revenus et toutes les dépenses
ressortissaient à ce grand Directoire qui avait
autorité sur l’ensemble des provinces. A la même
époque, Victor Amédée de Savoie* réforma le
conseil des finances de son royaume de Piémont-
Sardaigne en le divisant en quatre départements (5
à partir de 1733) chargés respectivement des
affaires militaires, de la Maison royale, de
l’artillerie et des fortifications, et des impositions.
M.-L. L.
Voir Contrôle général des finances, Directoire
(grand)
Bibliographie : Antoine M. (1973 et 2003). Baelde
M. (1965). Dubet A. (2009). Carlos Javier de
Carlos Morales, « Entre les visites et les
ordonnances. Le Conseil des finances de Castille et
le gouvernement des finances royales (1523-
1621)», in Dubet A. (2008), p. 41-53. Hernandez
Esteve E. (1983). Grundtvig J. (1872). Narducci C.,
« Il Consiglio di Finanze del Regno di Sardegna :
profili Istituzionali con particolare Riguardo alla
prima Meta del XVIII secolo », BSBS, 94, 1996, p.
167-193. Schneider F. (1952). Schryver R. de
(1965).
Chambre de justice
Du XVIe au début du XVIIIe siècle, la monarchie
française institua périodiquement des juridictions
extraordinaires, dites Chambres de justice, chargées
de rechercher et de juger les financiers
prévaricateurs. Il y en eut en 1597, 1601, 1605,
1607, 1624, 1635, 1648, 1661 et 1716. En 1601, ce
tribunal d’exception exerça pendant treize mois;
celui constitué en 1648 siégea pendant quatre ans.
La Chambre de justice organisée entre 1661 et 1664
secrète un caractère politique : elle permet à Louis
XIV d’éliminer le surintendant des finances*
Nicolas Fouquet pour détenir seul le pouvoir
financier. La disgrâce de Fouquet entraîna la
réorganisation du monde des financiers ouvrant la
voie au « lobby » de Colbert*. La dernière Chambre
de justice fut instaurée par l’édit de mars 1716 en
engageant de vastes poursuites à l’encontre des
financiers comme des agioteurs, ces gens
d’affaires* « auparavant inconnus qui ont exercé
des usures énormes en faisant un commerce
continuel d’assignations*, de billets* et de
rescriptions* des trésoriers et des receveurs ». Le
Régent le justifiait par la nécessité de restaurer
l’ordre dans les finances royales et de soulager le
peuple.
L’ouverture des Chambres de justice fut entourée
d’une grande publicité à travers tout le royaume.
Dès lors, les gens des finances* n’étaient plus
autorisés à quitter leur domicile pendant un délai de
six mois. Des précautions furent prises pour les
empêcher de « protéger leurs biens et de se
soustraire eux-mêmes aux éventuelles poursuites »,
de transférer des pièces hors du royaume ou de les
déposer chez des communautés ecclésiastiques. La
pratique de prête-noms fut sanctionnée. La première
séance de la Chambre de justice était solennelle, en
présence du chancelier et du premier président de la
Chambre des comptes*. Ce tribunal d’exception
comprenait des juges nommés par commission*
parmi les présidents et les conseillers des cours
souveraines et les maîtres de requête. Ils étaient
munis d’une compétence étendue qui leur
permettait de poursuivre et de juger en dernier
ressort le maniement abusif des deniers royaux de
toute personne sans aucune distinction de
privilèges. L’instruction préalable nécessitait des
audiences, des interrogatoires et des confrontations.
On utilisait des sycophantes qui, lorsque leurs
dénonciations s’avéraient fondées, recevaient une
récompense égale au sixième, en 1661, et au
cinquième, en 1716, des amendes imposées aux
coupables. En même temps, l’amnistie était
possible pour ceux qui avoueraient d’eux-mêmes
leurs abus et restitueraient ce qu’ils avaient
détourné. En réalité, cette disposition n’eut que peu
d’effets. Les gens des finances* préféraient plutôt
garder le silence sur leurs affaires, en ne se
réservant cette possibilité qu’en dernier
recours pour éviter les châtiments. Tel est le cas du
87
 trésorier ordinaire des guerres Claude-François
Paparel qui, arrêté en mars 1716, s’avoua
« spontanément » coupable du détournement de
1 600 000 livres de recettes. La Chambre n’apprécia
pas cet aveu tardif et le condamna à mort.
L’instruction judiciaire s’accompagnait des
opérations de vérifications* comptables. En 1661,
la Chambre de justice procéda à l’examen* des
comptes de tous les financiers qui manièrent les
deniers du roi depuis 1635. Pour qu’elle pût
apprécier la régularité de leurs opérations
financières et découvrir des malversations*, les
arrêts prescrivirent de lui transmettre les registres et
les pièces correspondantes des payeurs de rentes sur
l’Hôtel de ville de Paris (26 septembre 1661) ; les
traités* et les états* pour la fourniture des
munitions aux armées (février 1662) ; les traités* et
les rôles de perception du produit des fermes
(1661); les contraintes ordonnées par les
receveurs*aux collecteurs des impôts (1er mars
1662), etc. Pour approfondir les recherches sur les
activités de certains gros financiers, comme, par
exemple, François Catelan et Claude Boyelesve, on
ordonna aux notaires de déclarer les minutes des
contrats et autres actes les concernant et ceci,
malgré les contestations de la communauté des
notaires du Châtelet. En 1716, la Chambre de
justice soumit au contrôle la comptabilité des
trésoriers* et des receveurs* des finances depuis
1689. De plus, les justiciables étaient tenus de
rédiger des déclarations devant un notaire en
présence de deux témoins pour déclarer l’état de
leurs biens et les traités dans lesquels ils étaient
intéressés.
Pour accélérer le travail d’apurement* des comptes,
on décida d’y associer les auditeurs* de la Chambre
des comptes de Paris. Leur mission se limitait
toutefois à seulement examiner les comptes et à
remettre un rapport au procureur général. Ils
n’étaient pas présents avec voix délibérative parmi
les magistrats de la Chambre de justice. En même
temps, les commissaires subdélégués furent
envoyés en province avec le pouvoir de juger
définitivement les procès n’excédant pas 1 500
livres et de transmettre à la capitale les procès-
verbaux pour les cas supérieurs à 1 500 livres.
Le dépouillement des comptes, l’analyse des
déclarations, les perquisitions, les dénonciations se
révélèrent des moyens pour mettre en lumière les
pratiques frauduleuses dans la gestion des finances
royales. Lors du procès Fouquet, les enquêtes furent
conduites à l’encontre de Paul Péllisson Fontanier,
premier commis du surintendant des finances
depuis 1657, de Jacques Amproux de Lorme et de
Claude Housset, intendants des finances, de
François Catelan, secrétaire au Conseil des
finances, de Nicolas Jeannin de Castille, Claude
Guénégaud et Macé Bertrand de La Bazinière (fils),
trésoriers de l’Epargne, de Claude Girardin et
Mathieu Garnier, trésoriers généraux des parties
88
casuelles, qui devaient alors répondre des
ordonnancements* illégaux, de versements faits
sous des prête-noms et de falsifications sur des
registres. Des gros financiers Claude Boylesve,
François Jacquier et Roland Gruyn du Bouchet,
associés depuis longtemps dans l’exploitation des
gabelles et des affaires extraordinaires, les
receveurs généraux Bonneau, La Fond et Ranchin,
les fermiers généraux La Croix et Jacquier furent
accusés de rétention de fonds et de trafics illégaux.
La Chambre mit en évidence des gains excessifs
réalisés dans l’approvisionnement des armées
royales durant les années 1648-1660.
Il n’y avait pas que les grands financiers qui étaient
poursuivis, mais également les petits officiers
receveurs. En 1716, les receveurs Chartier, Marçon
et Belony furent sanctionnés pour concussions à la
recette générale de Vichy. Le commissaire
subdélégué de la Chambre de justice à Bourge
intenta un procès au collecteur des tailles*
Desclomiers pour avoir compris dans les rôles
d’imposition des personnes exemptées ; il fut
condamné à quatre mille livres d’amende. Le
président de l’élection de Gien, Guirignon, fut jugé
« pour avoir forcé les collecteurs à diminuer les
cotes des tailles de ceux qu’il jugeait à ce propos ».
La Salaine, receveur à Lyon, fut envoyé aux galères
à perpétuité avec confiscation des biens pour avoir
payé la taille en billets de monnaie quoiqu’il n’en
eut jamais reçu, « pour avoir fait des contraintes si
dures envers les habitants de l’élection qu’ils en
avaient été ruiné, avoir retenu plusieurs collecteurs
quatre mois en prison et les avoir maltraités, avoir
reçu des présents des paroisses pour leur accorder
des protections ». Le trésorier de France* à
Moulins, Haguélon, fut inculpé pour fabrication de
faux certificats de route en 1697.
La Chambre de justice de 1716 s’intéressait plus
particulièrement aux agiotages* et divers abus dans
l’usage des monnaies*. C’est alors que des
marchands lyonnais, les frères Crevet, furent jugés
pour contrebande de vieilles monnaies pour les
refondre en de nouvelles hors du royaume de 1694
à 1707, qu’ils renvoyaient ensuite en France. On
condamna le trésorier de l’extraordinaire des
guerres de Nancy qui profitait sur les changes de
l’écu de France, en imposant aux troupes de la
garnison en Lorraine un cours plus fort qu’il ne
valait officiellement dans le royaume. Les notaires
Antoine Navarre et Simon Cosson furent jugés poul­
ie commerce illégal de rentes, propriétés de leurs
clients, et de fausses déclarations de biens, tout
comme leur confrère Jean-Nicolas Liévain qui,
après sa faillite*, avait emporté l’argent des
loteries*. Nommé receveur* des deniers
comptants* des loteries* par le lieutenant général
de police d’Argenson, Liévain détourna aussitôt les
fonds confiés en les employant à l’acquisition des
billets dans le but de spéculer.
Les sanctions prononcées par les juridictions
d’exception étaient sévères et de nature variée, ce
qui montre la détermination du pouvoir à rendre
justice pour l’exemple. La Chambre de justice
établie en 1661 prononça 164 condamnations
rigoureuses et répressives, dont 12 condamnations à
mort, 59 restitutions et amendes, 18 confiscations
de biens, 3 condamnations aux galères, 8
suppressions d’office, 5 bannissements du royaume.
Le 20 décembre 1664, le surintendant des finances
Fouquet fut condamné au bannissement perpétuel,
peine commuée dès le lendemain par le roi en
détention à perpétuité. Il arrivait cependant que le
recouvrement des amendes infligées, attribué à des
traitants*, entraînait des frais et prenait du temps;
c’est pourquoi, finalement, le roi décida d’accorder
aux justifiables une amnistie criminelle et civile
générale, en échange d’une compensation
financière. Cet arrangement s’avéra profitable au
roi dans la mesure où les taxes imposées aux
financiers étaient souvent d’un montant plus élevé
que les restitutions demandées. Le Trésor royal*
pouvait y bénéficier d’un supplément d’argent.
D’autre part, la vérification* des finances des
receveurs, des fermiers et des traitants entraînait
une réduction des intérêts de leurs avances et des
remises accordées.
En 1665, la tâche de définir et de répartir le montant
des taxes versées par chaque officier fut confiée au
contrôleur général des finances. Colbert en profita
pour favoriser ses alliés et mener à la ruine ses
adversaires. Les financiers proches de Fouquet
subirent de lourdes taxes : Jeannin de Castille et
François Jacquier furent imposés chacun à 8
millions de livres, Claude Boylesve à 6 millions, les
frères Girardin à 4 millions. Ils figuraient parmi les
44 taxés les plus importants (à un million et plus),
suivis de 29 autres financiers avec une taxe de 0,5 à
1 millions de livres, suivis de 16 taxés à 0,4
millions et de 31 taxés à 0,3 millions.
Lors de l’établissement des taxes en 1717, on tint
compte de la qualité sociale des assujettis et du
montant des fortunes qu’ils déclaraient posséder.
Vingt rôles furent ainsi dressés entre novembre
1716 et mars 1717 pour la somme totale de 220
millions de livres. Sur les 4 410 personnes inscrites
dans ces documents, les officiers des finances firent
face à des taxes plutôt modérées par rapport à ce
qui était demandé aux « nouveaux gens», comme
Jacques Charpentier (3 032 260 livres), Thomas
Rivié (3 millions de livres), Charles Châtelain (2,3
millions de livres), Vincent Le Blanc (1,5 millions
de livres) et Laurent Froment de Villemur
(1 020 000 livres), qui amassèrent dans un temps
réduit des fortunes considérables sur les recettes
royales, la fourniture des vivres aux troupes du roi
en campagne et le commerce du papier-monnaie.
Le riche financier Antoine Crozat fut sanctionné à
6,6 millions de livres ; Paul Poisson de Bourvallais,
Jean Romanet et Paul-Etienne Brunet durent
acquitter chacun quatre millions de livres. N.P.
Voir Agiotage, Chambre des comptes, Traitant
Sources : BNF, Ms Fr. 7584-7586 (Chambre de
justice de 1716 : déclarations des justiciables, rôles
des taxes, arrêts) ; Ms Fr. 10959 (Procès-verbaux de
la Chambre de justice de 1716), f° 35, 51, 56-57,
62, 67, 72, 84, 100, 106; 10964-10965 (Table
alphabétique des personnes taxées par la Chambre
de justice de 1716) ; 18423 (Pièces concernant les
procès de Nicolas Jeannin de Castille et de Claude
Guénégaud) ; coll. Clairambault, n° 766-770
(Diverses pièces relatives aux Chambres de justice
de 1661 et 1716), notamment n° 766, f° 1 (Édit du
roi du 3 décembre 1661 portant établissement de la
Chambre de justice), f3 55 (Arrêt de la Chambre de
justice portant défense à tous les trésoriers,
receveurs, traitants, associés ou intéressés dans les
affaires du Roy, qui sont domiciliés dans la ville et
banlieue de Paris, et ceux qui sont à la suite de la
Cour, d’en désemparer sans ordre de Sa Majesté ou
sans permission de la Chambre de justice), f3 73
(Déclaration royale du 29 décembre 1661), f3 85
(Déclaration royale du 11 janvier 1661) ; n° 767, f3
84 (Édit de mars 1716 portant l’établissement de la
Chambre de justice), P 93 (Ordonnance portant
défense aux comptables et traitants de s’éloigner
sans congé), P 94, 99 (Commissions et listes
contenant les noms des juges et officiers qui
composent les Chambres de justice de 1661 et
1716); P 138 (Déclaration du 25 avril 1716
concernant les commissaires subdélégués de la
Chambre de justice), P 154 (Mémoire pour les
commissaires subdélégués de la Chambre de
justice), AN, G7 1847 (Chambres de justice:
documents relatifs au fonctionnement et à la
composition, 1645-1718).
Bibliographie : Barbiche B. (2007). Bayard F.
(1988). Bosher J.F. (1975). Dessert D. (1974 et
1984). Mounier R. (1974-1980). Ravel P. (1928
VillainJ. (1988).
Chapitre
En termes de finances et sous l’Ancien régime, le
mot chapitre désignait, dans le compte rendu par un
comptable, l'unité de regroupement d'un ensemble
d’articles de recettes ou de dépenses, en fonction de
leur nature. Il désignera plus tard une subdivision
du budget.
Chapitre de compte
« Se dit d'une partie de la recette ou de la dépense
d'un compte : un comptable divise ordinairement
son compte en plusieurs parties et chaque partie en
plusieurs chapitres» (Dictionnaire des finances,
1727). On parle de «chapitre de recette», de
« chapitre de dépense » ou encore de « chapitre de
reprise ». Enfin, chaque chapitre se divise lui-même
en en plusieurs articles. A titre d’exemple, voici la
89
 liste des chapitres de recette et de dépense d’une
recette générale telle que la donne Jean Hennequin :
- Recepte
- Deniers receuz des receveurs du domaine et
fermiers d'iceluy
- Deniers receuz des receveurs des tailles
- Deniers receuz des receveurs des aides et
impositions de douze deniers et six deniers...
- Deniers receuz des receveurs des équivalens,
- Deniers receuz des grenetiers à cause de la
Gabelle
- Restes deuz en la recepte générale par les
receveurs particuliers qui n’ont encore compté
- Despense
- Deniers portez à l’espargne
- Deniers payez par les mandemens du thrésorier
de l’espargne
- Deniers payez par rescriptions
- Deniers payez par mandemens patens du Roy
- Gages d’officiers
- Rentes constituées
- Autres rentes constituées par acquits patens
- Taxations des thrésoriers généraux de France
- Port et voiture de deniers
- Dons, modérations et affranchissement
- Deniers rendus et non receus (dont le receveur
général auroit faict recepte à la charge de reprinse)
Le Dictionnaire des finances rappelle que chaque
chapitre se termine par la récapitulation, c’est-à-
dire le total des montants des articles qui le
composent. Il précise également que lorsqu’un
chapitre ne comprend qu’un seul article, on le fait
suivre de la mention somme par soi, et en donne
l’exemple suivant :
Chapitre premier
Recette en deniers
Fait recette le comptable de la somme de 34500 1.
reçue comptant de la Compagnie pour employer à
... suivant son reçu du 15 avril dernier, ci 34500 1.
Somme par soi
Transfuge inopiné du monde de la finance, on
retrouve le mot chapitre à l’article 5 du titre III de
l'Ordonnance du commerce de 1673 : « Les livres
journaux seront écrits d'une mesme suite par ordre
de date sans aucun blanc, arrestez en chaque
chapitre et à la fin et ne sera rien écrit aux marges. »
Ainsi que le fait très justement remarquer la
Chambre de commerce de Marseille, consultée à la
fin du XVIIIe siècle, dans le cadre d’un projet de
refonte de l’Ordonnance: «Les journaux des
négociants ne sont pas disposés par chapitre,
l'expression de l'article qui parle de l'arrêter en
chaque chapitre paroit oiseuse et inutile. » Outre le
fait que cette notion est largement étrangère à la
comptabilité marchande, elle est en opposition
totale avec la notion même de journal. Les
opérations y sont enregistrées dans l’ordre
chronologique — « l’ordre des temps » —, alors
que le classement par chapitres relève de « l’ordre
des matières ». Ce détail conduit à s’interroger sur
90
les compétences comptables des membres de la
commission qui fut chargée charge de la
préparation de l’ordonnance, en particulier de celui
auquel est attribuée l’essentiel de la substance du
texte : Jacques Savary, l’auteur du Parfait
négociant.
Chapitre budgétaire
Au fil du temps, les « états de prévoyance » et
budgets, du royaume ou de la République, ont été
subdivisés en parties, sections, chapitres, articles,
paragraphes, voire alinéas... avec des périmètres
plus ou moins variables pour chacune de ces
subdivisions. Sans définition précise jusque-là, le
chapitre devient à partir de 1831 l’unité de décision
politique. Le vote du budget s’effectuait auparavant
par ministère, ce qui laissait aux ministres une
grande marge de liberté dans son exécution. Aux
termes de l’article 11 de la loi du 29 janvier 1831, il
s’effectuera désonnais chapitre par chapitre : « le
budget des dépenses de chaque ministère sera à
l’avenir divisé en chapitres spéciaux, chaque
chapitre ne contiendra que des services corrélatifs
ou de même nature. La même division sera suivie
dans la loi des comptes. » L’article suivant précise :
« les sommes affectées par la loi à chacun de ces
chapitres ne pourront être appliquées à des chapitres
différens. » Cette dernière disposition sera annulée
par le sénatus consulte du 25 décembre 1852, qui
autorisera les virements de chapitre à chapitre, elle
sera réintroduite par la Troisième république dans la
loi du 16 septembre 1871. Y.L.
Sources : Observations sur divers articles de
l'Ordonnance du commerce de 1673, 1779-1790.
Archives de la Chambre de commerce de Marseille,
F 19. Ordonnance du commerce, 1763.
Dictionnaire des finances (1727). Hennequin J.
(1595).
Chiffre de finances
Présente dans Y Arithmétique d’Irson, où elle est
opposée aux chiffres « arabiques », l’expression
« chiffres de finance » se retrouve dans le
Dictionnaire des finances, le Dictionnaire universel
du commerce de Savary des Bruslons,
Y Encyclopédie méthodique ou encore
YArithmétique en sa perfection de Legendre.
Savary des Bruslons parle également de « chiffres
de compte » ou encore « chiffres français » —
expression qui sera reprise telle quelle par d’autres
auteurs— car selon lui ils ont été inventés en
France et sont utilisés uniquement dans ce pays. Il
s’agit en réalité d’une variante de la numération
latine, utilisée dans toute l’Europe, qui fut
progressivement remplacée à partir de la
Renaissance par la numération indienne utilisant les
chiffres improprement qualifiés d’arabes. En
France, à partir du XVIIe siècle, ce système ne
demeura en usage que dans le seul domaine des
finances royales, ce qui lui valut son appellation.
Présenté dans la plupart des manuels d’arithmétique
qui comprennent une partie consacrée au calcul aux
jetons — car il lui est intimement lié —, ce système
de numération, se distingue de la numération latine
classique de diverses manières.
Par l’écriture d’abord puisqu’il utilise les caractères
minuscules, c’est-à-dire l’écriture Caroline (IXe
siècle), elle-même issue de la cursive romaine dite
« récente » (IVe siècle) et qui a donné les
minuscules que nous utilisons aujourd’hui. Par les
lettres utilisées ensuite et la façon de les assembler.
Ainsi la lettre j représente l’unité mais lorsqu’il y a
plusieurs unités de suite, seule la dernière est
exprimé par un j, tandis que les premières sont
exprimées par des i. Si donc 1 s’écrit j, 2, 3 et 4
s’écriront respectivement ij, iij, iiij. La lettre v ou,
parfois, la lettre b représente le 5 ; x, 1 et c
représentent respectivement les nombres 10, 50 et
100, tandis que m ou, parfois, g désigne le millier.
Les symboles sont ordonnés par ordre croissant, de
droite à gauche, en partant des unités, tout en
pratiquant, au-delà du v, la préposition soustractive
qui permet d’éviter quatre occurrences consécutives
d’un même symbole. Enfin, la numération romaine
fait ici l’objet d’une adaptation que l’on rencontre,
selon Ifrah, dès les premiers siècles de l’ère
chrétienne. Il s’agit de l’introduction d’un principe
multiplicatif, dans un système ne reposant jusque-là
que sur un principe additif, dans le but de faciliter
l’écriture des grands nombres. Au lieu de répéter les
lettres c et m pour exprimer les multiples de 100 et
de 1000, on écrit d’abord le nombre de centaines ou
de milliers en plaçant ensuite en exposant ou après
un point le symbole c ou m. Ce qui donne par
exemple vc pour 500 et iij"1 ou iij.m pour 3000, ou
encore, par combinaison de ces deux modalités,
vc.m pour 500 000. Si le gain en nombre de
caractères est faible, voire inexistant, pour les
multiples de 100, il l’est très rapidement pour les
multiples de 1000 et 1 000 000 s’écrira simplement
mm. Survivance de la numération à base vingt, le
dispositif est souvent mis en œuvre dès le nombre
80, lequel s’écrit alors iiijxx, ce qui donne par
exemple iiijxxiij pour 83 et iiijxxx pour 90. On
retrouve en fait de multiples variantes, ainsi qu’en
rend compte la table de correspondance figurant en
fin de notice, proche de celles que l’on trouve dans
les ouvrages d’époque. On notera aussi que l’on
utilise parfois les capitales des lettres 1, c et m ou
plutôt ce que nous appellerions aujourd’hui des
« petites majuscules » : L, C, M. Il arrive enfin que
chiffres « arabiques » et « chiffres de finance »
cohabitent dans le même document, voire dans
l’expression d’un même nombre.
On retrouve ce système dans tous les documents
administratifs français du Moyen Âge ainsi que
dans les comptes privés et il perdure dans certains
documents financiers jusqu’à la fin du XVIIIe
siècle, alors qu’il disparaît des comptabilités
privées aux alentours du XVIe siècle. Trois raisons
au moins peuvent expliquer ce maintien. Les deux
premières sont d’ordre technique, la troisième est
plutôt d’ordre culturel.
Une raison de sécurité est souvent invoquée.
L’argument se trouve par exemple chez Trenchant :
«L’on use toujours d’icelles lettres [numérales] aux
escrits d’importance, à cause qu’elles ne se peuvent
imperceptiblement transformer l’une en l’autre,
comme les chiffres...» Abraham précise même:
« d’un 0 l’on en peut faire un 6, de un 8 un 9, de 1
un 4, de 2 un 3 et de un 7 un 8 ». Dans le même
ordre d’idée, l’usage du j dans j, ij et iij aurait eu
pour but d’interdire l’adjonction d’une unité
supplémentaire à la droite de tout nombre se
terminant ainsi. Cependant, dans sa méthode de
tenue des livres, Irson fait remarquer que
« l’expression des nombres par lettres romaines est
encore plus susceptible d’altération [...] en ce que
par exemple, pour augmenter, ayant mis un nombre
comme ix dans le corps de la ligne ou à la marge,
on le peut augmenter de cent ou de mille fois sa
valeur par l’addition des figures romaines c ou m,
qui marquent cent ou mil, la coustume étant que
pour exprimer les centaines ou les mille, on en
place les figures significatives dans les
interlignes. »
La seconde raison nous est donnée par Savary des
Bruslons : « En usage dans les Chambres des
comptes, dans les comptes en forme que doivent y
rendre les trésoriers, fermiers, receveurs et autres
gens d’affaires, qui manient les deniers et finances
du roi. C’est aussi de ce chiffre que se servent la
plupart des gens de pratique, greffiers, procureurs,
huissiers, pour dresser leurs mémoires, déclarations
et arrêtés et arrêtés de frais et dépens ; en un mot,
tous ceux qui ne font leurs calculs qu’en jettons. »
En effet, contrairement à une idée assez répandue,
les chiffres romains ne sont nullement impropres au
calcul* mais relèvent d’un mode particulier : le
« calcul aux jetons ». A l’inverse, le « calcul à la
plume », qui suppose la numération de position, est
lié à l’utilisation des chiffres indiens. Les deux
modes ont coexisté durant plusieurs siècles et le
calcul aux moyens des jetons et de l’abaque*, qui
permettait des calculs relativement rapides, même
sur des sommes importantes, a perduré alors même
que l’usage des chiffres indiens était quasiment
généralisé.
On ne peut enfin exclure un certain mélange de
conservatisme et de préjugés. Dupont estime que
les magistrats de la Chambre des comptes de Paris,
qui eurent durant deux cent quatre-vingt-cinq ans,
comme premiers présidents, neuf représentants de
la même famille se succédant de père en fils — les
Nicolay—, ne pouvaient qu’être profondément
attachés à leurs traditions. D’autant que si l’on en
croit l’arithméticien Abraham, il n’y avait pas loin
de l’ignorance au mépris : « Ceux qui n’ont point la
91
 cognoissance ou l’intelligence de l’arithmétique,
ignorent l’asseurance du calcul d’iceluy [le calcul à
la plume], et la plupart d’iceux le mesprisent et
disent que l’on n’en use aucunement en finance
pour les fautes que l’on peut y commettre. »
Des signes d’un changement d’attitude se
manifestent au début de la seconde moitié du
XVIIIe siècle, lors du bref passage d'Étienne de
Silhouette au contrôle des finances, ainsi qu’en
témoigne cette lettre de Silhouette au conseiller
d'État d'Ormesson, intendant des Finances, datée du
22 juillet 1759 : « J'ay souvent remarqué, Monsieur,
que le chiffre romain, employé communément dans
les États du Roy et autres expéditions de finance,
présentoit difficilement les nombres et se prêtoit
encore moins au calcul. Le chiffre arabe, d'un usage
plus familier, n'a point ces inconvénients ;
cependant, comme la Chambre des comptes semble
ne connaître que le premier, j'ai voulu consulter M.
de Nicolay sur le changement que l'on pourrait faire
à cet égard. Il n'a trouvé aucune difficulté à
substituer l'un à l'autre dans les marges des états, ou
ce qu'on appelle hors ligne, en observant de mettre
chaque somme en toutes lettres dans le corps des
articles. Je vous prie de recommander aux commis
de vos bureaux d'observer désonnais cette fonne et
de ne plus se servir de chiffre romain dans les
expéditions. » Mais en fait, la condition posée par
Nicolay était déjà remplie. Ainsi que le précise
d’Hénouville en 1709: «Les sommes déclarées
dans chaque chapitres, titres et articles de recette,
doivent être accusées par écrit et non en chiffre [...]
Ensuite on tire hors lignes, la somme ou la quantité,
laquelle doit être mise en chiffre romain. » Il en va
de même pour la dépense et la reprise.
Il faudra attendre les lettres patentes du 4 octobre
1772, ordonnant que les comptes qui se rendent
dans toutes les Chambres des comptes soient écrits
sur du papier et fixant un certain nombre de règles
de fonnes, pour que l’usage des chiffres indiens soit
officialisé. L’article 6 stipule notamment :
« Voulons qu'à l'avenir les sommes tirées hors
ligne, dans tous lesdits comptes [qui se rendent en
nos Chambres des comptes], soient pour plus de
facilité du travail, écrites en chiffres arabes, au lieu
du chiffre romain qui a été en usage jusqu'à
présent. »
Extrait d’un mandement adressé en 1779 à la
Chambre des comptes de Bretagne, le texte suivant
montre que l’application de la mesure n’a pas dû
être aussi rapide et générale que prévu : « Tous les
comptes qui se rendent en notre Chambre des
comptes de Bretagne, ensemble les rôles qui
s'arrêtent en notre Conseil, seront écrits à l'avenir et
à compter du 1er juillet prochain, sur papier de la
grandeur usitée en ladite Chambre ; abrégeons à cet
effet l'usage du parchemin pour lesdits comptes et
rôles. Les sommes écrites hors de lignes dans
lesdits comptes, seront pour plus de facilité du
92
travail écrits en chiffres arabes, au lieu de chiffre à recevoir ou à payer quotidiennement, la première d’août 1764 en France, il fut précisé que, tant les
romain, qui a été en usage jusqu'à présent. » est une caisse centrale ou caisse de réserve dont deniers communs des villes et bourgs, que le
L’usage typographique des minuscules romaines l’ouverture était rigoureusement contrôlée, afin produit des octrois, devaient se conserver dans un
pour la numérotation des pages des préfaces est d’éviter les divertissements* de fonds, péculats* ou coffre à trois clefs, dont l’une serait gardée par un
aujourd’hui l’une des dernières, sinon la dernière occultation de recettes. D’origine très ancienne, la des officiers municipaux, l’autre par un notable du
survivance de ce système de numération, dont nous caisse à clefs se confond initialement avec le coffre lieu, et la troisième par le receveur. Les
donnons ci-après une table résumée de ou trésor d’une administration, par exemple un développements sur cette création sont instructifs :
correspondance avec les chiffres indiens, inspirée corps de ville, placée dans l’obligation d’archiver « il sera réglé par l’assemblée [des notables de la
de celles que l’on trouve dans les ouvrages du ses titres. Elle se distingua progressivement de ce ville] telle somme qu’il appartiendra pour rester es
temps. Y.L. dernier pour ne recevoir que les espèces ou effets* mains dudit receveur et fournir aux dépenses
qui n’avaient pas besoin d’être immédiatement manuelles et quotidiennes de la commune, sans
1 j mobilisés pour le service ordinaire. La caisse du qu’il puisse garder une somme plus considérable
2 U receveur général des finances* des Pays-Bas* entre ses mains à peine d’en répondre en son propre
et privé nom et de destitution ». La loi indiquait que
3 iij espagnols, par exemple, était une caisse à trois clefs
4 iiij ou iv qui ne recevait que le reliquat des caisses pour recevoir de nouveaux deniers de la caisse à
5 v secondaires du pays. La pratique du coffre à trois trois clefs, le receveur devait avoir préalablement
6 vj clefs est également attestée dans les banques de justifié de l’emploi des précédents. Pour les deniers
7 vij dépôt de la Couronne d’Aragon depuis le bas reçus, il devait donner une quittance* elle-même
8 viij Moyen-Age. Dans les administrations publiques, déposée dans le coffre et on en faisait mention dans
9 viiij ou ix les clefs étaient confiées à trois acteurs supposés, en un registre qui restait dans les mains de l’officier
10 x principe, se surveiller mutuellement, l’ordonnateur, municipal chargé d’une des trois clefs.
11 xj le payeur et le contrôleur. De ce point de vue, c’est Le troisième intérêt consistait dans la possibilité de
20 xx la définition même du rôle du contrôleur* qui est en faire contrôler par un tiers les fonds qu’un payeur
30 xxx jeu. Mark Hengerer le montre à propos du débat qui pouvait retirer d’une caisse. Lorsque le payeur de
40 xxxx ou xl a eu lieu en 1637-1638 à la chambre aulique de Navarre voulut se régler à lui-même ses gages, il
50 1 Vienne sur la nécessité de confier une clef de la dut se soumettre à Y intervenciôn (contrôle
60 lx caisse centrale au contrôleur (Gegenschreiben), immédiat et visuel) du contrôleur de la caisse à trois
80 lxxx ou iiijxx ou ivxx dans quelle mesure la possession de cette clef clefs en lui présentant une quittance (carta de pago)
90 Ixxxx ou iiijxxx ou ivxxx engageait sa responsabilité, et si cette responsabilité à enregistrer par ledit contrôleur.
100 c portait sur les recettes seulement ou sur les recettes L’intérêt de ce mode de contrôle de la gestion des
200 ijc et les dépenses. A Londres, les officiers du petit fonds publics explique sa pérennité. Il fut souvent
500 vc Echiquier* renfermaient de même les deniers prônée dans les projets de réforme des finances
1 000 m royaux dans une caisse à trois serrures et à trois royales en Espagne et quelquefois mise en œuvre,
10 000 xm ou x.m clefs. La caisse militaire instituée par Charles VI en par exemple lorsque Philippe IV généralisa la figure
1 000 000 mm ou m.m Sardaigne en 1714 était également un coffre à trois des arqueros, responsables des caisses des recettes
clefs (une pour le superintendente ou intendente royales perçues dans les districts et seuls habilités à
Sources : BNF, Ms. NAF 20032, fol. 108. Lettre de general créé à cette époque, une pour le caissier et faire des paiements, ou encore quand Philippe V
Silhouette à d'Ormesson, retranscrite in une pour le contador). créa une Trésorerie Générale relayée par des
Simplification de la comptabilité publique sous L’utilité des clefs était triple. D’une part, elles payeurs provinciaux en 1718. L’argent et les effets*
Louis XV, Bibliothèque de l'école des chartes, étaient requises dans les cas où l'on ne pouvait ne pouvaient en entrer ou en sortir qu’en présence
1906, n° 1, pp. 589-590. Lettres patentes du 4 exiger de caution des responsables de caisse*. C’est des trois détenteurs des clefs, et les recettes ne
octobre 1772 in Guyot J.N., t 13 (1777), p. 570- ce qui ressort clairement de la correspondance du pouvaient ainsi être inscrites à la charge ou à la
576. Dictionnaire des finances (1727), p. 84-86. duc de Riperdâ, favori du roi d’Espagne, au décharge du responsable de la caisse* qu’à cette
Encyclopédie méthodique. Finances, t.l (1784), trésorier général* en place, Nicolâs Ginés Gômez occasion.
p. 294-296. Abraham J., L'Arithmétique, arpentage de Hinojosa, à l’occasion de la mise en œuvre de la Dans la pratique, il était parfois difficile de réunir
universel, toise des bastimens, géométrie réforme de janvier 1726 de la Trésorerie, de les trois personnages chaque fois que de l’argent
inaccessible, géométrie par la règle et le compas, nouveau appelée Tesorerla General, qui devint arrivait ou sortait de la caisse. Ainsi, il pouvait
avec la fabrique et usage des quadrans sollaires, responsable d’un nombre sensiblement accru de s’écouler un délai entre le moment où le comptable
Rouen, P. L'Oyselet, 1617, p. 93. Hénouville P.B. recettes. Dans une lettre du 10 avril, le duc fit recevait effectivement de l’argent et celui où il le
d’ (1709), p. 42-43. Irson C. (1674), p. 6 et ss. et savoir au trésorier général* que le roi avait décidé, faisait entrer dans la caisse*. Juan de la Ripia,
(1678), préface, chapitre III. Savary des Bruslons J. en raison de l'impossibilité pour les trésoriers des contrôleur (contador) de district pour les recettes
1748), t. 2, p. 313-315. Tranchant J. (1617), p. 363. années de donner des cautions pour assurer la royales, a décrit les dérives qu’il avait pu observer :
Bibliographie: Dupont A. (1928). Hyacinthe sécurité des fonds en leur pouvoir, que fussent mis d’une part, les responsables des arcques (arqueros)
Fourmont (de), Histoire de la Chambre des comptes en place des coffres dont les trais clefs seraient se contentaient de donner de petites cédules à ceux
de Bretagne, Paris, De Signy et Dubey, 1854, réparties entre l'intendant d'année, le contrôleur des qui leur remettaient des fonds, et utilisaient l’argent
p. 259. Ifrah G. (1981). Schàrlig A. (2003). comptes (contador) et le trésorier. tant qu’il n’était pas versé à la caisse en présence du
La seconde vertu des clefs était de limiter les fonds contrôleur et de l’administrateur ; d’autre part, il
Clef laissés entre les mains du receveur ou du trésorier et n’était pas rare qu’ils aient en leur possession les
La caisse « sous clefs » s’oppose, par sa nature, à la d’éviter ainsi qu’il tirât abusivement profit de ces trois clefs. « Il [l’administrateur] doit agir tout
caisse « ouverte ». Tandis que celle-ci est employée deniers. A l’occasion de la réforme municipale autrement quand les arqueros ne donnent pas de
93
reçu, si l’on n’émet pas de témoignage écrit de leurs
rentrées de caisses (entradas de areas), car dans ce
cas toute l’activité de l’administrateur est nécessaire
pour que Yarquero n’occulte pas de parties. En
effet, ils ont l’habitude de le faire, donnant de
petites cédules indiquant que l’argent est en leur
pouvoir, jusqu’à ce que l’on fasse une rentrée de
caisses, et si la partie ne vient pas [réclamer son
dû], ils utilisent l’argent. Beaucoup se sont
demandé à ce propos s’il fallait que les
administrateurs aient les coffres {areas) dans leur
maison, chose qui présente des inconvénients
importants, car on ne peut y faire chaque jour de
rentrées d’argent {entradas de dinero), et car il n’est
pas facile que puissent se réunir tous les ministres
qui interviennent alors, puisqu’ils sont occupés à
d’autres choses de l’administration, et que c’est
gênant pour ceux qui payent. Et aussi parce que
Yarquero, si un vol est commis, dira que c’est à
l’administrateur d’en rendre compte, et il aura bien
raison. Et après avoir gardé par devers lui la plus
grande partie de l’argent, car c’est facile et parce
qu’on ne doit pas lui en tenir compte, comptant ce
qui est à sa charge, quand celui qui a des comptes à
rendre se tient pour satisfait, il peut suggérer que
tout l’argent était dans le coffre, et ainsi c’est le
crédit de l’administrateur qui est exposé, car chacun
ici pensera ce qu’il voudra. Et ainsi, il est mieux
que les coffres restent dans la maison de Yarquero,
car il est nommé pour le compte de la communauté,
qui assume le risque. Mais il y a des administrateurs
qui aiment tant rester près de l’argent qu’ils se
réjouissent de l’entendre tinter. Et le plus ordinaire,
c’est qu’ils laissent la clef à leur femme, comme je
l’ai vu, tandis que le contrôleur {contador), quand il
est occupé, donne la sienne à Yarquero, et même,
celui-ci les a toutes les trois. Il est alors forcé que
l’on manque à toutes les formalités».
Le décret relatif à l’organisation de la Trésorerie
nationale* en France (16 août -13 novembre 1791)
prévit aussi une caisse générale fermée de trois
serrures, « ayant chacune une clef particulière et
indépendante » et renfermant tout ce qui n’était pas
regardé comme nécessaire au service journalier.
Cette caisse recevait les versements de la caisse des
recettes journalières et distribuait les fonds aux
caisses de dépenses. Elle ne devait être ouverte
qu’en présence du comité de Trésorerie. La caisse
des recettes journalières n’avait que deux clefs
confiées au caissier général de la Trésorerie et au
caissier de ladite caisse, tandis que la caisse
générale en possédait donc trois, l’une laissée au
président du mois (il s’agit du président du
comité), une deuxième au président du mois
précédent et la troisième au caissier. Lors de la
suppression de la caisse de l’Extraordinaire chargée
du produit de la vente des assignats (décret de
suppression du 4-7 janvier 1793), la caisse générale
de la Trésorerie fut réformée en une caisse à trois
clefs pour resserrer les assignats de nouvelle
94
fabrication. L’une des trois clefs était déposée aux
archives de la Convention nationale, une autre au
comité de la Trésorerie nationale*, et la troisième
dans les mains du caissier général de ladite
Trésorerie. Il ne pouvait être retirée aucune somme
de cette caisse qu’en vertu des décrets de la
Convention. Le caissier général de la Trésorerie
devait tenir un journal* particulier uniquement
destiné à constater le mouvement de ladite caisse.
La caisse à trois clefs se généralisa dans les Etats
européens au XIXe siècle, au point qu’on peut se
demander si l’expression ne finit pas par désigner,
dans le langage règlementaire, la caisse générale
d’une administration quelconque. A.D. et M.-L. L.
Voir Caisse, Caution, Trésorier, Trésorerie
Sources: AHN, FC-MH, lib. 6625, fol. 27-28.
AGS, Guerra Modema, leg. 2355, lettres de Miguel
Fernândez Durân à Nicolas Ginés Gômez de
Hinojosa, 18 et 23 août 1718; leg. 2357, lettre de
Miguel Fernandez Durân, Secrétaire des Dépêches
chargé de la Guerre, à l'intendant de Navarre don
Joseph Jerônimo de Somoza, 14 décembre 1718. La
Ripia J. de (1676), p. 219-220. Edit contenant
règlement pour l’administration des villes et
principaux bourgs du royaume, août 1764, in
Recueil général des anciennes lois..., t. XXII
(1830), p. 412. Décret du 16 août-13 novembre
1791 relatif à l’organisation de la Trésorerie
nationale, in Duvergier J.B., t. III, 2e éd. (1834), p.
212. Décret du 4-7 janvier 1793 concernant la
suppression de la caisse de l’extraordinaire et sa
transmission à la Trésorerie, in Duvergier J.B., t. V,
2e éd. (1834), p. 101-106. De la situation du Trésor
public (1997).
Bibliographie : Alonso A.M. et Blasco Cirera A.,
(1926). Dôberl M., «La visita generale di Marcos
Maranôn y Lara nel regno di Sardegna 1714-1715.
Un breve periodo di riforme sotto il governo degli
Asburgo Austriaci », Estudis, 33, 2007, p. 225-253;
Dubet A. (2000). Esteban Estringana A. (2002).
Hengerer M. (2008). Marqués y Carbo L. (1952).
Carreres Zacarés S. (1957).
Clôture, clore
Clore un compte, c'est le solder*. Dans l’ancienne
gestion européenne, la clôture d’un compte n’est
que la constatation du solde de la recette et de la
dépense d’un comptable une fois sa gestion
achevée. Cette constatation est faite au moment du
jugement* ou de la révision* qui doit garantir
l’intangibilité des enregistrements. Dans certains
Etats européens, on clorait le compte d’un
comptable au ternie d’un trimestre ou quartier*, ce
qui donnait une connaissance intermédiaire de l’état
des recettes et dépenses. En France, la durée de
l’administration du comptable a été fixée à une
année par François Ier et Henri II afin de procéder à
la fermeture du compte et éviter que le comptable
public ne retienne les fonds*. L’ordonnance de
janvier 1629 précise que les comptables devaient
avoir « vérifié et arrêté leurs états de recette et
dépense suivant l’importance de leur charge dans
les quatre, six ou huit mois après l’année de leur
exercice expirée ». Les exercices n’étaient réputés
clos que lorsque l’ensemble des créances ouvertes
avait été apurées, ce qui entraînait de perpétuels
reports. En réalité, les comptes se présentaient en
plusieurs volumes et étaient arrêtés au bout de
plusieurs années. En 1806 encore, le compte des
dépenses ordonnancées pour le service des
ministères de l’Empire français comportait des
renvois aux exercices* antérieurs jusqu’à 1797.
Après le jugement, les parties prenantes* pouvaient
faire appel de la clôture du compte. M.-L. L.
Voir Apurement, Arrêté de compte, Bilan, Etat au
vrai, Exercice comptable, Reliquat
Codification
La codification est une entreprise de rassemblement
et d’organisation de textes à valeur juridique.
L’objectif constant des différentes codifications est
double : il s’agit d’un côté de synthétiser l’ordre
juridique existant et d’un autre côté de concourir à
l’organisation de la société. Sur le premier point, la
codification fait œuvre de clarification, sur le
second elle délivre un message de type politique.
En France, c’est une demande récurrente du
pouvoir que de disposer d’un recueil des coutumes
à partir du XVe siècle, puis d’un recueil des édits et
ordonnances à partir du XVIe siècle. Les Etats
généraux d’Orléans (1560) et de Blois (1576)
conduiront par exemple Barnabé Brisson à rédiger
puis à présenter en 1587 un «code du roi Henri
III » mis à jour après sa mort en 1601 et 1622.
Le mouvement de codification
Le mouvement de codification se poursuit sous la
Révolution. La Convention établit une commission
de classification des lois qui propose de distinguer
les domaines à codifier selon les attributions des
anciens comités instituées par l’Assemblée
(commerce, finances, domaine etc.). L’Empire est
marqué par le passage d’une codification
synthétique vers une codification réformatrice avec
les célèbres « codes napoléoniens » : Code civil
(1804), Code de procédure civile (1806), Code de
commerce (1807), Code pénal (1810) et Code
d’instruction criminelle (1811). La Restauration de
la monarchie sera l’occasion d’une mise à jour de
l’ordre juridique. Elle ne laissera pas de « code » en
dépit de l’installation d’une commission, instituée
par ordonnance du 20 août 1824, chargée de
« corriger et de vérifier les décrets, arrêtés et autres
textes réglementaires intervenus avant notre retour
en notre royaume ». Il s’agissait d’abroger les textes
devenus caducs du fait du retour d’un monarque sur
le trône de France. Le lent travail mis en œuvre pâti
de la Révolution de 1830 qui relégua le travail
accompli au rang d’œuvre réactionnaire.
Code ou règlement général ?
Avec la Ille République s’installe une approche de
la codification qui distingue le code au sens strict
(presque actuel) qui est étroitement associé à la
« loi » et relève en conséquence du législateur et le
code au sens large (presque historique) qui intègre
tous les éléments qui font œuvre de codification
(public ou privé). C’est sur cette base et en dépit de
leur vocation typiquement codificatrice que les
règlements comptables* des monarchies censitaires
française et de la Russie tsariste ne sont pas
présentés comme des codes. Audiffret* entendait
pourtant « former un recueil méthodique de toutes
les dispositions éparses de la législation financière,
afin d’éclairer et de fixer, par ce nouveau code, les
points demeurés encore incertains pour chacune des
autorités chargées de l’interprétation et de
l’application des principes et des règles de l’ordre
général auquel devait être soumises désonnais
l’exécution de tous les services publics ». Ce travail
accompli devint le règlement général de la
comptabilité publique du 31 mai 1838. Les juristes
de la Ille République, qui cherchaient à établir
définitivement la place du Parlement sur l’échiquier
politique, ont réussi à ancrer profondément dans la
culture juridique ce raisonnement qui refuse
d’accorder la valeur de « code » à ce règlement
général, pas plus qu’à son successeur du 31 mai
1862. S.K.
Voir Règlement sur la comptabilité (France),
Règlement sur la comptabilité (Russie).
Sources : Audiffret C.-G. (1863). Portalis F., Essai
sur l’utilité de la codification, dans Discours,
rapports et travaux inédits sur le Code civil, Paris,
1844. Bibliographie: Bureau D., article
« codification » dans Alland D. et Riais S. (2003).
Vanderlinden J., Le concept de code en Europe
occidentale du XlIIe au XIXe siècle. Essai de
définition, Bruxelles, 1967.
Colbert, Jean-Baptiste (1619-1683)
L’œuvre de Colbert concerne tous les aspects de la
comptabilité publique et innove en bien des
domaines. Fils de drapier, il connaissait les
pratiques de la comptabilité marchande*. Devenu
commissaire des guerres, il découvrait celles de la
comptabilité militaire. Une fois nommé aux affaires
comme intendant de finances* à partir de 1661,
puis comme contrôleur général* à partir de 1665, il
monta une législation comptable complète visant à
établir un ordre d’autant plus recherché qu’il était
sensé mettre fin aux malversations en usage au
temps de son prédécesseur, Nicolas Fouquet.
« Le premier et le grand principe de Colbert a été
d’assigner à chaque partie de dépense un fonds
assuré ; il commençait par déduire les charges,
avant de former ses états de recette et il faisait état à
part des fonds extraordinaires, même de ceux qui
95
 entraient en droiture au Trésor royal », indique
Serpaud. Les principes budgétaires du ministre
étaient donc bâtis sur la séparation fondamentale
entre les recettes ordinaires et les recettes
extraordinaires. Colbert établit trois comptes
centraux. Un « registre des fonds » pour la
prévision des recettes, un « registre des dépenses »
pour la prévision des débours et un «journal»
apporté chaque mois au conseil pour présenter à la
signature du roi devenu seul ordonnateur*, les
ordonnances de paiement*. En 1667, il ramena à
deux ces grands comptes en réunissant dans un
« grand livre »* recettes et dépenses, tout en
maintenant le journal* mensuel.
Le règlement du 15 septembre 1661 ordonna en
outre que les principaux officiers royaux rendent
leurs comptes au Conseil royal des Finances. Des
comptables publics, il exigea la formation et la
présentation d’un état au vrai*. L’état au vrai*, qui
donne la situation des recettes et dépenses une fois
l’exercice fait, existait dès le XVIe siècle, mais
Colbert voulut qu’il soit vérifié dans l’année qui
suit l’exercice, non seulement par les autorités
compétentes, les bureaux de finances*, mais aussi
par des bureaux centraux auxquels revenait donc la
constation de la réalité des paiements.
L’ordonnance d’août 1669 précise en effet par
l’article XV : « faisons défenses aux comptables de
présenter leurs comptes que les états n’en aient été
arrêtés en notre Conseil ou aux bureaux des
finances pour les natures de deniers ». L’article
XVI indique qu’aucune partie ne peut être
employée dans les comptes que celles qui seront
passées dans les états. Ainsi, cette ordonnance
défendait aux Chambres des comptes de passer
dans les comptes l’emploi des parties qui n’auraient
pas été allouées par les bureaux centraux. En elle-
même, cette loi marque le passage de l’Etat de
justice à l’Etat de finance car elle subordonne le
jugement des comptes à la formation de bilans de
recettes et dépenses. En transformant les états au
vrai* en véritables faits comptables, elle manifeste
la volonté du roi de prendre le contrôle de la
gestion* des deniers. Pour examiner les états au
vrai* formés par les comptables, un bureau spécial
attaché au Conseil royal des finances fut établi en
1661 et prit le titre de «bureau de la vérification
des états au vrai ». Colbert cependant, tout en
subordonnant le contrôle juridictionnel* des
comptes à une vérification administrative préalable,
développa la procédure de l’audition*.
L’ordonnance d’août 1669 détaille en effet les
étapes du jugement des comptes et dresse la liste
des différentes pièces justificatives* que le
comptable doit présenter. La mise en œuvre de cette
comptabilité de contrôle fut difficile. Dans les faits,
les états au vrai* furent dressés avec retard et les
trésoriers de la Guerre et de la Marine échappèrent
jusqu’à la fin du XVIIIe siècle à l’obligation de les
présenter au « bureau de la vérification ». A défaut
96
d’un tel bilan*, Colbert revint donc sur les
obligations plus anciennes de ces trésoriers. Par un
mémoire du 9 avril 1674, il ordonna aux
comptables de la Marine d’envoyer tous les trois ou
six mois au secrétaire d’Etat une table des fonds
reçus ou dépensés dans les ports. Le premier
contrôleur général voulait « savoir toujours les
fonds qui sont faits entre les mains du Trésorier ».
Par la déclaration d’avril 1682, il exigea des
commis des trésoriers de la Guerre de faire leurs
comptes chaque jour sans laisser de feuilles vierges
dans les registres, sous peine d’amende, de
présenter chaque mois leurs comptes à l’intendant
et de remettre chaque semaine au secrétaire d’Etat
de la Guerre un résumé de l’état de leurs comptes
avec copie des pièces justificatives.
Concernant la comptabilité de caisse, Colbert
imposa la partie double* aux compagnies* des
Indes créées en 1664. Il voulut également y
soumettre les services économiques de l’Etat,
notamment l’arsenal, et plus généralement semble-
t-il, toutes les affaires du roi. Il renonça cependant à
ce projet. Claude Paris La Montagne nous en livre
la raison : « Pourquoi (dira-t-on) M. Colbert n’a-t-il
pas exécuté ce projet, puisqu’il en connoissoit
l’utilité ?... Si M. Colbert n’a pas achevé son
entreprise, c’est qu’il manquoit de sujets qui
pussent marier selon ses vues l’ordre des comptes
de temps avec celui des comptes ordinaires,
conciliation fort difficile à cause de la diversité dont
se rendent les comptes de chaque matière ». Nicolas
Barrême, petit-fils du célèbre mathématicien, le dit
d’une autre façon : « Monsieur Colbert a toujours
souhaité de faire tenir en parties doubles toutes les
affaires du Roy ; il n’a point exécuté ce grand projet
parce qu’il n’a point trouvé de sujets qui pussent
soumettre l’ordre des parties doubles à l’ancien
ordre des finances et à la manière de compter à la
Chambre ». Malgré cet échec, le contrôleur général
demeura déterminé à imposer à tous les comptables
publics le registre-journal*. M.-L. L.
Voir Comptabilité-matières, Etat au vrai
Sources : Règlement pour l’établissement du
conseil royal des finances dont les décisions seront
rédigées en forme d’ordonnance et signées par le
roi, Fontainebleau, 15 septembre 1661. Édit portant
Règlement pour les Chambres des comptes et les
officiers comptables, du mois d’août 1669, dans
Ordonnances, édits, déclarations (1728), t. 3, f3 10.
Ordonnance du 15 avril 1689, in Code des armées
navales, t. III, p. 315, «Mémoire en forme
d’instruction aux Intendants et commissaires
généraux sur les éclaircissements qu’ils doivent
donner tous les trois ou tous les six mois des
dépenses qui se font dans les ports et arsenaux sous
leurs ordres», 9 avril 1674. Boislisle A. M. de
(1874), t. 1, p. 578 : Mémoire sur l’établissement
des registres du Roi pour ses finances. AN, KK
1005 C. Traitté des administrations des recettes et
dépenses du royaume, chap. 3. Barrême B.F.
(1721). Clément P. t. 111(1865), p. 64, Instruction à
Seignelay. Serpaud (1787), p. 9-10.
Bibliographie : Antoine M. (1958 et 2003). Bayard
F., Félix J. et Hamon P. (2000). Bonney R. (1981).
Dessert D. (2000). Legohérel H. (1965). Mosser F.
(1978). Murat I. (1980). Rowlands G., in Legay
M.L. (2007). VillainJ. (1994).
Collationner (un compte)
Procédure de vérification* consistant à comparer,
confronter une copie de compte avec la minute ou
son original, ou une copie avec une autre copie,
pour voir si elle y est conforme. A titre d’exemple,
le receveur* des aides de la Ferme générale*, pour
composer son sommier*, collationnait les états des
droits dûs par les cabaretiers, états formés par des
commis ambulants de son département et remis au
bureau, avec le registre portatif desdits commis,
c'est-à-dire la pièce originale qui établit ce qui est
dû. Le contrôleur des aides collationnait le registre-
sommier du receveur* avec ces mêmes états afin de
vérifier si les droits que le receveur tire de ces états
étaient justes. M.-L. L.
Collège (de révision des comptes)
Voir Révision des comptes
Colonne
Dans les écritures comptables*, une somme écrite
ou tirée hors ligne est une somme inscrite, en
chiffres de finance* ou en chiffres indiens, dans la
marge d‘un compte, tandis que la somme en toutes
lettres est inscrite dans le corps de l’article, c’est-à-
dire en ligne de compte. Cette marge, dès lors que
l’on passe des chiffres romains aux chiffres indiens
et que l’on maîtrise le calcul* à la plume, devient
une colonne de chiffres que l’on peut directement
additionner, ce qui peut venir modifier de façon
importante la nature et la fonction d’un document
comptable qui utilise cette forme de présentation.
La matérialisation de cette colonne par un trait
vertical se rencontre dans la plupart des manuels
destinés aux marchands dès le XVIe siècle. Deux
autres traits viennent généralement la subdiviser de
manière à séparer livres, sols et deniers. Ces
ouvrages présentent tous des modèles de journaux
dans lesquels une colonne située à droite reçoit
toutes les sommes tirées hors lignes. Néanmoins
cette colonne ne sert à aucune addition car chacune
des sommes devant ensuite être reportée
simultanément au débit d’un compte et au crédit
d’un autre, une telle opération ne présente aucun
intérêt. Dans les comptabilités marchandes, seuls
les chiffres des deux colonnes des comptes en débit
et crédit* sont l’objet de totalisations.
C’est précisément la logique de fonctionnement de
ce type de compte que les frères Paris*
transposèrent dans le journal*, en y insérant une
seconde colonne. Première étape de la tentative de
réorganisation des finances à laquelle le duc de
Noailles les a associés, l'édit du mois de juin 1716
oblige tous les comptables à tenir un registre
journal de leurs recettes et dépenses. Bientôt, une
instruction complémentaire destinée aux receveurs
des traites, devant être mise en œuvre au 1er octobre
1718, préconise de prévoir deux colonnes: «la
première servira pour tirer hors ligne tous les
articles de la recette et l'autre pour tirer ceux de la
dépense, en sorte que par une simple addition faite
au bas de chaque page, le comptable puisse
connoistre son estât ». Le journal fonctionne alors
exactement comme un compte en débit et crédit
ouvert à la caisse du comptable.
La confrontation des totaux des recettes et dépenses
(ou débit et crédit, c’est-à-dire entrées et sorties)
permet d’obtenir l’état de la caisse ou, plutôt, la
situation du comptable en ternies de responsabilité.
En effet, l’un des nombreux modèles d’écritures qui
accompagnent cette instruction montre, par
exemple, qu’un versement au receveur général est
d’abord enregistré sans que la moindre somme soit
inscrite en marge et qu’il n’est porté en dépense
qu’à la réception du récépissé du receveur. L’article
21 de la déclaration du 4 octobre 1723, dont il va
être question incessamment, rendit la chose
explicite : « L’envoi de deniers ou éfets exigibles,
qui sera fait de comptable à comptable, sera
enregistré sur le journal le jour de l’envoi, sans être
tiré hors ligne, et seulement pour mémoire ; et
lorsque le récépissé lui sera envoyé il en fera un
article sur son journal daté du jour de la réception,
en portant hors ligne le montant du récépissé ».
Momentanément interrompue durant l’expérience
de Law, la mise en place de la réforme des frères
Paris reprend en 1721, à la suite de la chute de
l'Ecossais. Le 4 octobre 1723, un nouveau texte sur
les registres journaux vient perfectionner le
dispositif. Les journaux à deux colonnes ne pouvant
convenir qu’aux « comptables qui ne font de recette
et dépense qu’en espèces » il est décidé de prévoir
deux colonnes supplémentaires pour ceux qui
manipulent également des effets. Si les deux
premières permettent d’avoir l’état de la caisse du
comptable, les deux autres donnent celle de son
portefeuille d’effets. Afin de disposer d’un espace
suffisant, l’ensemble formé par les articles et les
quatre colonnes est réparti sur deux pages se faisant
face : « Ces quatre colomnes seront ouvertes dans le
folio recto, qui ne contiendra que les sommes
portées auxdites colomnes, et le folio verso sera
ocupé tout entier par la marge et l’énonciation des
articles » (article 8). La marge à laquelle il est fait
allusion est située à gauche de l’écriture et « laissée
libre pour écrire quand le cas y écherra les notes qui
devront être mises à côté de l’article » (article 7).
Enfin l’article 14 organise les totalisations partielles
en en précisant les finalités : « A mesure que
chaque page sera remplie, il [le comptable]
97
calculera et arrêtera au bas de chaque colomne, le
montant desdites recette et dépense, et les reportera
ensuite en tête des colomnes de la page suivante ; il
continuera les mêmes calculs de page en page,
jusqu’à la fin du journal, en sorte que par le calcul
des colomnes de la dernière page, on puisse
connoître en tout tems, le montant de toutes les
parties de recette et de dépense portées sur le
journal et le restant en caisse, tant en deniers qu’en
éfets séparément. »
Mais l’utilisation de ces deux colonnes
supplémentaires ne fait pas que pennettre le suivi
du portefeuille d’effets à côté de la caisse, elle
introduit un nouveau type d’écriture dans les
registres journaux des comptables. Toute écriture
faisant entrer en jeu la caisse métallique et le
portefeuille se traduit désonnais par une double
inscription hors ligne, l’une en dépense et l’autre en
recette : « toutes les fois qu’un comptable aura reçu
deniers en comptans la valeur d’un éfet exigible il
en sera fait recette en espèces et dépense en éfets,
sur son journal » (article 16), ou encore « lorsque le
comptable chargé de faire des envois à ses frais et
risques, sera autorisé pour la commodité de ses
remises, à convertir les deniers de sa caisse en éfets
exigibles, il fera dépense des deniers sur son
registre et recette en éfets pour les éfets en
provenans » (article 17).
Le procédé fait évidemment penser à la double
imputation symétrisée de la partie double*, mais
l’analogie s’arrête là car toute dépense ou recette
qui ne concerne que la seule caisse ou le seul
portefeuille ne donne lieu qu’à une unique
inscription hors ligne. La double imputation n’a pas
le caractère systématique qu’elle a dans la partie
double, il aurait fallu pour cela d’autres colonnes
correspondant à des comptes ouverts aux
différentes natures de recettes et de dépenses. Le
dispositif mis en place par les Paris n’en prévoyait
la mise en œuvre qu’à l’échelon central.
L’usage des colonnes juxtaposées représente
cependant un perfectionnement technique important
et il est vraisemblable qu’avant d’avoir fait l'objet
d'une codification, le procédé était utilisé depuis
longtemps par les commis les plus qualifiés.
Federigo Melis rappelle que dans un traité publié à
Florence en 1655, Délia scrittura conteggiante di
possessioni, l'Italien Bastiano Venturi, teneur de
livres de la Princesse Vittoria d’Urbino, duchesse
de Toscane, proposait d’éliminer le compte caisse
du grand livre* et de le tenir directement dans le
journal au moyen de deux colonnes additionnelles :
Entrata et Uscita. Si le système a alors été utilisé
par d’autres, ce que nous ignorons, il ne fut semble-
t-il repris par aucun des auteurs qui succédèrent à
Venturi avant la fin du XVIIIe siècle. C’est au
tournant du siècle que l'on voit apparaître des
systèmes à colonnes dans la littérature technique
destinée aux marchands. Les plus célèbres sont la
méthode d’Edward Jones, qui dans un cadre de
98
partie simple* utilise notamment un journal avec
une colonne débit et une colonne crédit, et le
journal - grand livre d’Edmond Degrange. Ce
dernier juxtapose, en un seul registre, un journal à
deux colonnes et six doubles colonnes
correspondant aux principaux comptes, lesquels
peuvent être parallèlement subdivisés sur un grand
livre* de type classique. Publié pour la première
fois en 1804, l’opuscule exposant la méthode sera
systématiquement réédité avec la Tenue des livres
renduefacile.
Si le journal à quatre colonnes de l’instruction de
1723 ne peut être totalement assimilé à un journal -
grand livre, puisque le jeu de comptes se limite à la
caisse et au portefeuille d’effets, il en anticipe le
principe de fonctionnement : une écriture
immédiatement saisie dans les comptes concernés.
Le procédé ne généralisera à tous les comptes
qu’avec les systèmes de décalque, au début du XXe
siècle, et plus tard avec l’informatisation des
comptabilités. Il est intéressant de voir qu’une
innovation technique se manifeste dans le contexte
de la comptabilité publique, trois quarts de siècles
avant de la voir ressurgir dans le milieu marchand.
Il faut d’ailleurs rappeler que malgré Jones et
Degrange, le journal de la comptabilité en partie
double continuera d’être présenté avec une seule
colonne, par les manuels, jusqu'à la fin du XIXe
siècle. Alors même que l'utilisation de deux
colonnes, débit et crédit, permettait d’effectuer un
premier contrôle de cohérence des écritures, en
laissant à la balance le soin de ne détecter que les
éventuelles erreurs de report au grand livre. Y.L.
Voir Calcul, Compte en débit et crédit, Ecritures
comptables, Formules, Grand livre, Journal -
registre journal, Partie double
Sources : Déclaration du Roy concernant la tenue
des registres journaux, 4 octobre 1723. Edit du
Roy, concernant les registres journaux qui doivent
estre tenus par tous les officiers comptables et
autres chargez de la perception, maniement et
distribution des finances du Roy, et des deniers
publics, Paris, Imprimerie royale, 1718. Edit,
déclarations, règlement et modelles pour la tenue
des registres journaux des receveurs généraux des
finances.... Paris, Imprimerie Royale, 1724.
Instruction et modelle pour les registres journaux
qui doivent être tenus par les receveurs particuliers
des traittes, en exécution du règlement du mois de
juin 1716, AD Loire Atlantique, C 718. Degrange
E., Supplément à la tenue des livres rendue facile,
ou nouvelle méthode pour tenir en double partie,
par le moyen d’un seul registre dont tous les
comptes balancent journellement entre eux et
composent un tableau de l’état général de la
situation des affaires d’un négociant. Paris,
Hocquart, 1804. Jones E. T. (1796).
Bibliographie : Melis F. (1950). Mériot C. (1973).
Commis
La définition du commis donnée par Furetière
(1690) est assez bonne et elle montre qu’ils
n’étaient pas concentrés dans l’administration de la
Fenne générale*. La voici : « Celui à qui le
supérieur a donné quelque charge, quelque emploi,
quelque maniement ou recouvrement à faire. Les
secrétaires d’État, les financiers ont des commis
dans leurs bureaux ; des commis aux portes, aux
douanes ; des commis ambulants ; des commis aux
recettes. Les greffiers ont des commis dans les
greffes. Les commis au greffe du Conseil et dans
les Parlements sont des officiers titulaires. Les
marchands appellent quelquefois commis leurs
facteurs, pour leur donner un nom honorable».
L’abbé présente donc les commis au greffe comme
une exception, en ce qu’ils sont officiers titulaires.
Le sens juridique du tenue doit être précisé. La
définition du petit Robert, trois siècles plus tard, est
proche de la précédente : un commis est un agent
subalterne d’une administration publique, d’une
banque, d’une maison de commerce. Le commis-
greffier est l’adjoint d’un greffier qu’il supplée. Le
commettant est celui qui confie à un tiers le soin de
tels ou tels de ses intérêts ; le synonyme est
mandant, et le mandat est un tenue général du code
civil français de 1804. Celui qui agit sous la
direction du commettant y est de même appelé
préposé et non commis. L’emploi du tenue de
commis doit donc être limité aux grandes
administrations publiques et privées, à commencer
par celles que suggère Furetière, et en retenant
l’exception qu’il a faite, parce qu’un commis n’est
pas, du point de vue juridique, un officier.
L’auteur du Dictionnaire des finances de 1727
entend le tenue ainsi : « celui qui est dans un
emploi, dans une commission, dans un bureau ou
qui travaille sous les ordres d’un supérieur ». La
commission*, dans ce dictionnaire, est synonyme
d’emploi ou de fonction, mais il n’est fait aucune
référence à un acte qui autorise ou commet le
titulaire de l’emploi à ses fonctions. L’auteur laisse
donc entendre qu’aucun acte n’existe ni pour les
officiers à commission ni pour les commis. Or, si
les commis des financiers peuvent ou doivent
exhiber ce document pour exercer leurs fonctions,
les commis des bureaux des départements
ministériels n’en ont pas. En revanche, un commis
peut être révoqué comme un officier car révoquer,
c’est « ôter le pouvoir, les fonctions qu’on avait
données à une personne, destituer un commis, lui
ôter son emploi, sa commission ».
Les commis des services financiers affermés ou en
régie*
L’ordonnance de juillet 1681 définit ainsi ceux qui
bénéficient d’importants privilèges en raison de
leurs fonctions dans ces services : « commis ayant
la direction de leurs fermes ou départements,
commis à la recette et au contrôle, capitaines et
lieutenants de brigade à pied et à cheval, capitaines
et lieutenants des pataches, ensemble [...] commis
aux exercices et autres ayant serment en justice ».
L’auteur de l’intéressant article «Commis» de
Y Encyclopédie méthodique, partie Finances, justifie
ces privilèges, dont l’exemption de la taille, par le
fait qu’ils font partie du salaire des commis et qu’ils
pennettent d’assurer le service et de le faire avec
économie. Les délits qu’ils commettent dans
l’exercice de leurs fonctions ne sont pas jugés par
les juges ordinaires, en général, et ils comportent
des peines spéciales, comme les sanctions
statutaires des officiers. Les privilèges ont été
étendus aux commis des postes, des poudres et
salpêtres et de la loterie royale de France.
L’ordonnance de 1687 sur les cinq grosses fermes
comporte des éléments de statut particulier. Les
gardes, recrutés à l’âge de 20 ans au moins, prêtent
serment à justice, et leur commission* leur donne le
droit de faire des visites*, de suivre, vérifier et
saisir les marchandises passant en fraude des cinq
grosses fermes, dans les provinces réputées
étrangères, de verbaliser et donner assignation dans
leurs procès-verbaux. Le fermier est civilement
responsable d’eux dans l’exercice de leurs
commissions, sauf recours contre eux et leurs
cautions. L’exercice d’une fonction quelconque
dans les fermes et sous-fermes n’entraîne pas
dérogeance (arrêt du Conseil du 22 décembre
1676). L’auteur précise que le ternie de commis
convient mieux aux agents de bureau, « quoiqu’il]
convienne généralement à quiconque a une
commission* pour agir en faveur des intérêts d’un
autre ». Les employés des brigades sont distingués
par le nom de gardes à cause de la nature de leurs
fonctions, lesquelles exigent d’ailleurs moins de
talents et de qualité, ajoute-t-il.
La fin de cet article datant de 1783 est une esquisse
du système de la carrière des commis dans ces
services : il suffira ici de la reproduire, les travaux
de V. Azimi donnant les développements
souhaitables, y compris pour les pensions de
retraite. L’auteur explique que, dans toutes les
parties, « il existe un ordre graduel de commis qui a
pour objet d’exciter parmi eux le zèle et l’émulation
en présentant à tous une perspective d’avancement
et de fortune ». Dans les aides, « les premières
fonctions sont celles des commis aux exercices
dans une ville ; ils deviennent ensuite commis à
cheval dans un département de campagne, puis
receveurs d’un semblable département ; contrôleurs
des commis aux exercices dans une ville,
contrôleurs ambulants dont les opérations
s’étendent sur plusieurs élections, pour y surveiller
tout ce qui concerne les aides ; enfin, directeur ou
receveur général dans le lieu où est le siège de
l’élection. » Dans les domaines*, « il se trouve
moins de gradations. Un commis surnuméraire
passe contrôleur des actes dans un bureau et devient
ensuite inspecteur*, vérificateur, contrôleur*
99
ambulant et directeur. Mais, comme il existe une
grande différence de traitement et d’émoluments
entre la recette d’un bureau et d’un autre, on fait
passer les sujets successivement d’un bureau valant
trois ou quatre cents livres à celui qui en vaut le
double, le triple et ensuite aux fonctions
d’inspecteur ou de vérificateur, etc. » La ferme
générale offre les emplois de commis supérieur
suivant : contrôleurs généraux des fermes,
receveurs généraux des fermes* et directeurs. Les
gabelles ont leurs commis à la descente des sels, les
receveurs et contrôleurs des greniers à sel, les
minotiers et les regrattiers. Les douanes ont des
receveurs, des contrôleurs, des visiteurs, des
emballeurs. Les manufactures des tabacs emploient
des inspecteurs, des contrôleurs et des ouvriers ; il y
a aussi des receveurs qui fournissent du tabac aux
entreposeurs particuliers et ceux-ci aux débitants.
Les commis des administrations centrales des
ministères
On trouve des commis dans les ministères, dans les
différentes formations du Conseil d’État et dans les
services extérieurs de l’État ; ils n’ont pas le statut
d’officier. Du temps de Colbert*, les ministres à
département rémunéraient leurs commis en prenant
sur leurs appointements et ils les faisaient travailler
chez eux : l’hôtel particulier du ministre était le
siège du ministère. Avec le temps, les commis sont
couchés sur des états du roi* dits petits états et
deviennent ses employés, plutôt que les secrétaires
particuliers d’un ministre. Tout tend à prouver que
leur situation est stable, et leur état comporte des
degrés, sinon des grades. Il subsiste des commis
attachés à divers officiers du Conseil et rémunérés
par eux avec l’allocation en argent donnée par le
roi. Les intendants des finances en emploient
beaucoup jusqu’à leur suppression, et leur situation
est ici celle des anciens ministres. Les commis se
rapprochent progressivement des officiers à
commission mais, tant que la recommandation, le
népotisme et l’absence d’examen d’entrée,
remplacé par un apprentissage sans salaire,
dominent, ils restent inorganisés. Il n’empêche que
les emplois de premier commis sont enviés. L’un
d’eux refuse deux fois une intendance dans un port
en 1701, et le marquis de Sourches (1645-1716)
l’approuve, parce que « les places de premier
commis [sont] moins éclatantes, mais plus
profitables, outre que ces sortes d’intendants
dépendent presque entièrement des premiers
commis ».
Le roi ne s’occupe pas encore du choix des
premiers commis. Nombre d’entre eux ont fait
carrière dans les bureaux et y ont acquis une
autorité et un pouvoir qui ont pu manquer aux
ministres, lorsque leur instabilité a commencé à
sévir, c’est-à-dire à partir de 1757. C’est à ce
moment que le mot de bureaucratie est forgé afin
de caractériser et de flétrir la puissance que ces
100
commis ont acquise aux dépens des ministres. Le
danger est réel, un exemple le fera voir. Voltaire a
écrit dans le Précis du siècle de Louis XV paru en
1768 qu’il était possible de se mettre d’accord avec
les Anglais sur les territoires litigieux de l’Acadie et
que « quelques ambitieux, pour se faire valoir et se
rendre nécessaires, précipitèrent la France dans
cette guerre fatale [celle de 1756] ». Il ne donne pas
de nom ; Lenormant de Mézy (1702-1791), ancien
intendant de la Marine à Rochefort et ancien adjoint
du ministre en 1758, en fournit trois dans un
mémoire manuscrit de 1761 : Arnaud de La Porte
père, premier commis des Colonies, La
Galissonnière (1693-1756), chef d’escadre et ancien
gouverneur du Canada et le maître des requêtes
Etienne Silhouette. La Porte profite de la
suppression du corps des Galères en 1748 pour
obtenir que leurs trésoriers soient chargés
exclusivement des Colonies. Il attire à lui les
armements et les achats pour les colonies, les
avancements des personnels servant aux colonies, la
nomination des officiers de marine au
commandement des vaisseaux destinés aux
colonies. Les autres premiers commis, poursuit
Lenormant, ont cessé de faire rapport par écrit au
ministre qui est alors Machault (1701-1794). La
Porte introduit La Galissonnière dans les bureaux
en le faisant nommer au dépôt des cartes et plans,
puis Silhouette, et il obtient leur nomination en
qualité de commissaires français aux limites. Ces
deux obligés ont fait prévaloir l’esprit de chicane là
où, dit encore Lenormant, un accommodement était
souhaitable, si la France voulait garder le Canada,
et facile à trouver.
Le tableau des bureaux de la Marine au 30 juin
1761 fait état de 84 commis en 9 bureaux. Il montre
que les appointements des neuf premiers commis
sont très élevés (de 10 600 1 à 24 400 1), même s’ils
comprennent quelquefois la paie d’un ou de deux
secrétaires non compris dans les états du roi.
D’autre part, 36 des 76 commis de l’ordre
administratif (le dépôt des cartes et plans est ici mis
à part) ont obtenu un grade dans le corps de la
Plume pendant leur séjour dans les bureaux.
L’attribution d’un de ces titres permet d’augmenter
les appointements de ceux qui travaillent bien, mais
elle leur permet aussi de servir dans les ports
lorsqu’ils ont cessé de plaire ou de se plaire à
Versailles ou à Paris. Cette collusion entre la plume
des ports et celle de la Cour étant toujours supposée
de la part des officiers de marine, qui se sont peut-
être plus occupés de combattre la Plume que les
ennemis de l’État à cette époque, Choiseul décide
de ne plus donner de grades de la Plume à ses
commis. Le ministre Castries voyait lui-même la
nécessité de « rompre l’alliance qui se forme
naturellement entre les gens du même ordre,
lorsqu’ils peuvent se réunir ». Il y a eu ensuite des
commissaires, des officiers de Marine ou des
ingénieurs dans les bureaux, mais ces employés
avaient déjà l’expérience des ports ou de la mer,
alors que les anciens commis issus de familles de
Versailles ou d’obligés des courtisans, ne faisaient
le plus souvent qu’un court stage d’initiation dans
les ports avant de prendre leur service dans les
bureaux.
La réorganisation des bureaux de la Marine par ce
ministre a pour objet de former autour du chef du
département un conseil des directeurs des nouvelles
divisions de l’administration centrale. Le ministre
se décharge ainsi sur eux du travail de détail avec
les premiers commis et réserve son temps aux
grandes affaires à traiter avec ses directeurs. Parmi
ces hommes dont les vues doivent être plus élevées
que celles d’un premier commis, il s’en trouvera
qui, avec le temps, pourront devenir ministres et,
dans le cas contraire, ils en tiendront lieu
collectivement pendant les vacances. Les premiers
commis font les frais de l’opération, puisqu’ils
n’ont plus accès directement au ministre et que leur
nombre est fortement diminué. Au départ de
Castries, il y a cinq directions composées de dix
bureaux ou détails, un secrétariat et deux dépôts qui
emploient 166 personnes, dont 11 au dépôt des
cartes et plans et 17 garçons de bureau. Aux
bureaux proprement dits s’ajoutent les inspections,
réelles ou fictives (17 personnes) et les personnes
rattachées fonctionnellement aux bureaux, au
nombre de 42 ; en tout 225 agents. Dans ce nombre,
des agents inoccupés continuent d’émarger
abusivement au budget de la Marine : en 1788 la
plupart d’entre eux sont admis à la retraite, les
autres devant recevoir une affectation.
La division opérée tardivement à la Marine fait
penser à celle qui existait depuis longtemps aux
Finances, puisque les départements étaient confiés,
sauf le Trésor, à des intendants des finances* ou du
commerce, officiers titulaires difficiles à écarter et
de ce fait puissants à l’intérieur du ministère. Il
convient toutefois de ne pas exagérer leur
importance : ils pouvaient gêner le ministre, mais
non la masse des commis qui n’auraient jamais
atteint l’emploi de premier commis sous un
intendant des finances ou sous le contrôleur général
lui-même. Qu’ils aient eu une influence sur leur
avancement, et surtout sur leur paie, qu’ils
déterminaient, est la chose à retenir. Du reste, si
Necker a préféré travailler avec des premiers
commis, il a su en recruter de bons. Les intendants
des finances en charge n’ont pas été rétablis après
1781, et l’on a donné des commissions à des
maîtres des requêtes pour exercer leurs fonctions.
Dès ce moment, le recrutement direct d’un premier
commis et l’affectation d’un officier ou la
promotion d’un commis à cet emploi sont soumis à
l’approbation du roi.
Le conseil de direction de Castries, élargi à douze
membres, est formé en un Conseil de la Marine par
le règlement du 19 mars 1788. C’est un conseil
d’administration, alors que le Conseil de la Guerre,
créé l’année précédente (règlement du 9 octobre
1787) et mieux conçu, doit être l’organe législatif
de ce ministère. Les directeurs ou chefs de division
subsistent au XIXe siècle et ils sont choisis,
concurremment et comme dans les autres
ministères, parmi les commis rebaptisés employés
qui ont grimpé la hiérarchie des emplois et les hauts
fonctionnaires des corps constitués qui y sont
affectés, parce que ce sont des emplois de leur
corps. Le lecteur se fera une bonne idée du milieu
des employés en lisant Balzac. Le recrutement par
de véritables examens des connaissances ou par des
concours, à la fin du XIXe siècle, prépare la
formation de coips de fonctionnaires, tel celui des
attachés (c’est de leurs prédécesseurs que
Courteline se moque) : l’administration centrale de
l’État est la dernière partie de l’administration
française à avoir été fonctionnarisée. B.L.
Sources: Audouin X. (1811). Balzac H. de,
Physiologie de l'employé, éd. Baron, Paris, le
Castor astral, 1994 (lre éd. en 1841). Balzac H. de,
Les employés, éd. Meininger, Paris, Gallimard,
1985 (lre éd. en 1838 sous le titre La femme
supérieure ; remanié en 1844). De la situation du
Trésor public au 1er juin 1791 (1997). Dictionnaire
des finances (1727). Encyclopédie méthodique,
Finances, article Commis. Encyclopédie
méthodique, Jurisprudence, article Burocratie.
Furetière, abbé Antoine, Dictionnaire universel, 3
vol., La Haye, A. et R. Leers, 1690. Hauterive A.M.
Blanc de la Nautte, comte d’, Conseils à des
surnuméraires, Paris, I.R., 1825. SHD (Marine), ms
SH 16 : [Lenormant de Mézy], Mémoire sur la
Marine, 1761.
Bibliographie : Azimi, V. (1987). Bosher J.F.
(1964). Bruguière M. (1986). Buot de l’Epine A.,
« Les bureaux de la Guerre à la fin de l’Ancien
Régime », Revue de droit français et étranger,
1976, p. 533- 558. Church, Clive H., Révolution
and Red Tape : the French Ministerial
Bureaucracy, 1770-1850, Oxford, Clarendon Press,
1981. Crozier M. (1963). Félix J. (1997). Legendre
P. (1968). Legendre C., comte de Luçay, Les
origines du pouvoir ministériel en France : les
secrétaires d'État depuis leur institution jusqu 'à la
mort de Louis XV, Paris, M. Tardieu, 188. Lutun B.
(2005). Pinet M. dir., Histoire de la fonction
publique en France, 3 vol., Paris, 1993.
Rampelberg R.M., Le ministre de la maison du
Roi: 1783-1788, baron de Breteuil, Paris,
Economica, 1975. Samoyault J.P., Les bureaux du
secrétaire d’Etat des affaires étrangères sous Louis
XV, administration et personnel, Paris, Pédone,
1971. Thuillier G., Témoins de l’administration, de
Saint-Just à Marx, Paris, Berger-Levrault, 1967.
Commissaire des guerres
Voir Contrôle administratif
101
Commission
h'Encyclopédie admet parmi les acceptions de ce
ternie P« emploi ou constant ou passager auquel on
a attaché des devoirs et des émoluments ». L’auteur
de l’article ajoute que cet emploi est exercé par un
commis*, là où le lecteur s’attendrait à lire un
commissaire*. La commission « se dit aussi des
lettres, provisions ou pouvoir que les supérieurs
donnent à leurs commis pour qu’ils soient reçus à
leur emploi et qu’ils aient le droit de l’exercer ». Le
commis peut donc avoir besoin d’une lettre ou
commission pour exercer des fonctions publiques
ou privées, l’auteur ne leur donnant pas de limites.
Dans le Dictionnaire des finances de 1727, la
commission est définie par « l’emploi de ceux qui
travaillent dans les bureaux » ; « commettre, c’est
nommer quelqu’un pour remplir les fonctions d’une
charge, d’un emploi, d’une commission ». D’autres
lectures confirment que l’emploi est le sens
principal, le document ou acte donnant l’autorité
dans l’emploi, le sens secondaire. Dans un sens plus
particulier, celui de la jurisprudence, la commission
« est un mandement [écrit] par lequel le Roi ou
quelqu’un de ses officiers de justice commet un
juge ou autre officier de justice pour faire quelque
fonction qui a rapport à l’administration de la
justice ». Parmi les formes examinées dans
Y Encyclopédie se trouve la commission rogatoire,
qui existe toujours. Le titulaire d’une commission
doit la montrer avant de procéder et en faire
mention dans les actes par lesquels il exécute la
mission qui lui a été confiée ; il doit agir de même,
en général par la voie de l’enregistrement dans une
juridiction, lorsqu’il prend ses fonctions habituelles.
C’est aussi une manière de parler de la justice de
l’intendant de généralité sans le dire.
La lettre de commission est un acte administratif du
type mandement, lequel diffère de la petite lettre
patente par l’adresse, qui ne vise qu’une personne
ou un groupe et non « tous ceux qui ces présentes
lettres verront ». Une telle lettre, toujours scellée à
la Chancellerie, existe depuis le XIIIe siècle et
contient des instructions assez générales et
permanentes. Ces renseignements-ci sont tirés de
François Olivier-Martin. Les commissions et
brevets sur parchemin mais sans adresse ni sceau
ressemblent à ceux dont il parle et subsistent en
quantité dans les archives publiques et plus encore
chez les particuliers. Chaque changement de grade,
voire de fonction, tant chez les civils que chez les
militaires, s’accompagne d’un changement ou d’un
surplus de parchemin. Nous avons trouvé quelques
brevets ou commissions à temps que des
circonstances particulières suffisent à expliquer.
Retirer le brevet ou la commission d’un officier
revient à le relever temporairement de ses fonctions
ou à le révoquer : ces sanctions sont rares, hier
comme aujourd’hui. La vérité, c’est que jusqu’au
XIXe siècle, l’État a utilisé les moyens gothiques
que sont les greffes et le parchemin; il les a
102
remplacés par le journal, le papier vélin à titre
exclusif et la plume sergent-major.
Nous reproduisons ci-après un spécimen de ces
commissions et brevets afin de montrer ce qu’ils
sont, tant sur le fond que sur la forme. Les officiers
militaires exercent les fonctions de leur grade en
vertu d’un brevet (quelquefois un simple ordre du
roi, pour les derniers grades), d’une commission ou,
pour les généraux, de lettres de provision. La
vénalité des emplois militaires, officielle ou
occulte, embrouille la situation dans l’Armée et
pose de redoutables problèmes de gestion à
l’autorité centrale, parce que le métier militaire est
le lieu d’élection de la carrière et que les influences
combinées de la noblesse, de la fortune et de la
vénalité sont le meilleur moyen d’empêcher la mise
en évidence des talents, la promotion des officiers
qui le méritent par leurs services et l’émulation
générale, si nécessaires dans un métier où l’on se
bat rarement, mais où les batailles sont meurtrières
et moins favorables à la France à mesure que le
temps a passé.
Commission d’intendant général de la marine de
Levant pour le s. Matharel, du 10 avril 1670.
« Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de
Navarre, à notre amé et féal conseiller en nos
conseils le s. Matharel, salut. Étant nécessaire de
commettre aux fonctions de la charge d’intendant
de la justice, police et finances de la marine de
Levant au département du port de Toulon en la
place du s. d’infreville, nous avons estimé ne
pouvoir faire pour cet effet un meilleur ni plus
digne choix que de vous pour les preuves que vous
nous avez données de votre zèle et fidélité à notre
service en divers emplois que nous vous avons
confiés, tant dedans que dehors notre royaume, et
de votre expérience au fait de la Marine. A ces
causes et autres à ce nous mouvant, nous vous
avons commis, ordonné et établi, commettons,
ordonnons et établissons par ces présentes signées
de notre main, intendant de la justice, police et
finances de nos années navales de Levant, pour, en
ladite qualité, vous employer tant en mer sur nos
années navales, escadres et vaisseaux de guerre que
dans ledit port de Toulon, aux mêmes fonctions et
pouvoirs dont jouissent les intendants de la justice,
police et finances en nos années de terre, et aux
appointements qui vous seront ordonnés par nos
états, avoir entrée et séance aux conseils qui se
tiendront pour les entreprises de guerre et pour tout
ce qui concerne l’action de nos forces maritimes ;
prendre connaissance de tout ce qui regarde la
subsistance et la solde, tant sur les vaisseaux qu’à
terre, faire payer à la banque ladite solde sur les
rôles de revue que vous aurez faits ou fait faire par
des commissaires de marine, ordonner des dépenses
pour les constructions et radoubs de nos vaisseaux,
et de la distribution des fonds que nous ferons à cet
effet, ainsi que vous l’estimerez à propos pour notre
service ; commettre et préposer les officiers des
ports employés sous votre charge aux dites
constructions, radoubs, conservation et garde des
vaisseaux et de leurs agrès, les destituer de leurs
fonctions en cas de malversation ; prendre
soigneusement garde que les vivres qui seront
embarqués sur nos vaisseaux soient de bonne
qualité et qu’ils en aient pour le temps qu’ils
devront tenir la mer ; donner des instructions aux
commissaires qui s’embarqueront sur nos années
navales, escadres et vaisseaux sur les fonctions de
leur emploi, retirer d’eux les extraits de revues
qu’ils feront sur le point de leur départ, dans
lesquels ils signaleront les hommes de chaque
équipage pour nous les envoyer ; établir des
écrivains sur lesdits vaisseaux et leur faire tenir un
registre coté et paraphé de la quantité des
victuailles, agrès, apparaux, munitions, armes et
ustensiles qui seront sur chaque vaisseau, en retirer
un inventaire signé d’eux, afin qu’au désarmement
ils rendent un compte exact de leur consommation,
ou les fassent remettre dans les magasins de marine
des ports où ils désarmeront ; régler et distribuer les
équipages de nos vaisseaux, tant officiers-
mariniers, matelots que soldats, ainsi que les
occasions et le bien de notre service le requerra ;
tenir la main à ce qu’ils vivent tous en bonne
discipline ; recevoir les plaintes qui pourront être
faites contre eux et les ouvriers du parc [de
l’arsenal] ; ordonner au prévôt de la Marine ou
autres officiers que besoin sera, d’informer contre
ceux qui auront commis quelque crime et de s’en
saisir pour être jugés, soit par le conseil de guerre
ou autrement, suivant l’exigence des cas ; avoir
l’entière direction de tous les achats à faire de bois,
mâts, cuivre, fer, canons, boulets, grenades, ancres,
goudron, brai, chanvres, amies et autres
marchandises et munitions pour la fourniture de nos
magasins et ateliers de marine au dit port, en faire et
conclure les marchés, et en faire payer les prix des
fonds que nous ordonnerons pour cet effet ; viser
les rôles et ordonnances des commissaires généraux
et particuliers de marine qui seront dans le
département dudit port avant que d’être acquittées,
ordonner pareillement de tous les ouvrages à faire
dans les ports pour y établir toutes les commodités
nécessaires pour les radoubs, constructions et
armements, et généralement ordonner de toutes les
dépenses de marine à faire au dit port de Toulon, ou
sur les vaisseaux qui y seront armés ; observer et
faire observer tous les règlements que nous avons
faits et que nous pourrons faire ci-après sur le fait
de la Marine, et faire et accomplir en cela tout ce
que vous jugerez à propos pour le bien et l’avantage
de notre service.
De ce faire vous donnons pouvoir et mandement
spécial par ces dits présentes, validant dès à présent
toutes les ordonnances que vous ferez et expédierez
en vertu desdites présentes, qui serviront de
valables décharges au trésorier général de la arine,
voulant que tout ce qui aura été ainsi par lui payé à
l’effet que dessus en vertu de vos dites ordonnances
soit passé et alloué en la dépense de ses comptes
par nos amés et féaux les gens de nos comptes à
Paris, auxquels mandons ainsi le faire sans
difficulté.
Mandons à tous les officiers de marine, généraux et
particuliers, de vous reconnaître, obéir et entendre
en ladite qualité d’intendant de la justice, police et
finances de nos années navales de Levant au
département de Toulon. Car tel est notre plaisir. En
témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à
ces dites présentes. Donné à Saint-Germain-en-
Laye, le dixième jour d’avril, l’an de grâce mil six
cent soixante-dix et de notre règne le vingt-
septième ». B.L.
Sources : La commission de Matharel a été recopiée
comme modèle avec d’autres de la même époque
(organisation de 1669-1670) dans A.N. Marine B2-
444. La commission reproduite ci-dessus doit être
référencée. Dictionnaire des finances (1727).
Diderot D., D’Alembert J., Encyclopédie.
Bibliographie : Lutun B. (2005). Mousnier R., Les
institutions de la France sous la monarchie
absolue, 2e éd., 2 vol., Paris, 1990-1992 ; La
vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, 2e
éd., Paris, 1971. Olivier-Martin F., Les lois du Roi,
rééd., Paris, 1988. Sueur P., Histoire du droit
public, XVe-XVIIf siècle, 3e éd., 2 vol., Paris, 2001.
Commission des comptes publics (1781-
1787)
Commission d’enquête créée à Londres pour former
l’audit complet du système comptable alors en
vigueur en Angleterre*. A la différence des
commissions antérieures, composées de députés du
Parlement dont les rapports n’aboutissaient jamais,
la Commission des comptes publics exerça ses
activités en toute indépendance. Ses membres,
choisis hors du Parlement parmi des spécialistes de
la comptabilité et renouvelés chaque année de 1781
et 1787, rédigèrent 15 rapports et émirent une série
de recommandations qui fixèrent, pour près d’un
demi-siècle, le cadre général et les principes de la
réforme de l’Etat britannique.
Pour l’essentiel, les travaux de la commission
tendaient à améliorer la perception des revenus, à
faire recouvrer les fonds libres dans les diverses
caisses publiques, à réformer les méthodes
concernant la tenue des comptes et l’audit des
comptables, à abolir les sinécures et remplacer par
des salaires les droits que nombre d’officiers
percevaient lors des formalités comptables, à
supprimer certaines procédures archaïques ou la
duplication de certains contrôles. Les conclusions
de la Commission étaient fondées sur l’analyse des
pratiques des officiers attachés aux divers services
financiers, pratiques dont certaines, plus efficaces
que d’autres, ne demandaient qu’à être étendues.
103
Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes
eurent pour effet de différer jusqu’en 1815 au
moins, la mise en place des principales réformes
suggérées par la Commission. Il fallut ainsi attendre
1806 pour que les trésoriers de YOrdnance et les
receveurs généraux des Customs et Excise soient
contraints d’ouvrir un compte auprès de la Banque
d’Angleterre. J.F.
Voir Angleterre
Compagnies
Au-delà du sens général du mot — nom collectif
qui se dit de plusieurs personnes assemblées en un
même lieu et avec même dessein — Ferrière précise
dans son Dictionnaire de droit et de pratique : « En
terme de négoce et d’affaires, compagnie signifie
une société de marchands, qui se fait pour établir un
grand négoce ou une grande manufacture, ou de
gens d’affaires, pour se faire adjuger les fermes du
Roi ou faire autres parties ou traités. » La
distinction entre marchands et gens d’affaires est
d’importance car les formes de sociétés utilisées par
les uns et les autres ne sauraient être confondues.
Mais les grandes compagnies de commerce et de
colonisation relèvent d’un troisième type, qui
emprunte aux autres mais possède aussi des
caractéristiques propres qui en font le précurseur de
la société anonyme définie par le Code de
commerce de 1807.
Même s’il n'y a pas forcément de lien systématique
entre la forme juridique d’une entreprise et le degré
de sophistication de ses méthodes comptables, le
passage de l'entreprise individuelle à la société est
de nature à susciter l’utilisation d’un outillage plus
perfectionné. La société implique un contrôle
mutuel des associés et la comptabilité peut être l'un
des instruments privilégiés de ce contrôle. Celui-ci
est rendu d'autant plus indispensable lorsque s'opère
une dissociation entre la propriété du capital et la
gestion ; le gérant, associé ou non, ou le conseil
d'administration, doit rendre compte
périodiquement de sa gestion. En dépassant le stade
où la comptabilité ne concerne qu'un seul utilisateur
ou un groupe restreint d'associés, il devient
nécessaire d'élaborer périodiquement des états
synthétiques et de mettre en place des modalités de
contrôle des comptes. Les sociétés entre marchands
sont souvent de courte durée, deux ou trois ans par
exemple, mais lorsque la durée de vie d’une société
est plus longue, il est indispensable de calculer des
résultats périodiques pour en effectuer la répartition
sans attendre l'expiration du contrat : « Nous ferons
inventaire tous les ans de tous les effets de notre
compagnie pour cognoistre les profficts qu'il aura
pieu à dieu nous donner, lequel inventaire sera
arresté et signé de nous » lit-on ainsi dans l’acte de
société établi le 31 octobre 1654 entre de Bemy et
Collin, tous deux marchands drapiers. La
description de chacun des trois types de
compagnies sera accompagnée d’indications sur les
104
méthodes comptables prescrites, prévues ou
utilisées.
Les sociétés « entre marchands et négociants »
Dans le Parfait négociant, Savary mentionne trois
types de sociétés « qui se font entre marchands et
négocians » : sous les noms collectifs de plusieurs
personnes, en commandite, anonymes ; des formes
que l’on trouve déjà à Rome et dans l’Italie du
Moyen Âge et qui se sont répandues dans toute
l’Europe. Dans la société en nom collectif ou
société générale, pour reprendre la terminologie de
l’Ordonnance du commerce, tous les associés sont
solidairement responsables des dettes de la société
sur leurs biens personnels. Le nom de la société ou
raison sociale est composé des noms des associés,
suivis de la mention et compagnie. Dans la société
en commandite, une catégorie particulière
d'associés — les commanditaires — se contente
d’apporter ses capitaux sans intervenir dans la
gestion, celle-ci étant assurée par les commandités
qui ont le même statut que des associés en nom
collectif. Ce sont les noms de ces derniers qui
composent la raison sociale. Cette forme de société
permet de diversifier les sources de financement en
intéressant au commerce des personnes qui ne le
pratiquent pas directement. Enfin la société
anonyme ou participation est une société éphémère
créée entre marchands pour la réalisation d'une
opération unique ou pour l'exercice d'une activité
bien délimitée durant un bref laps de temps. Sa
dénomination vient du fait que les protagonistes
sont inconnus des tiers car il s'agit d'un arrangement
qui ne concerne que les marchands entre eux et
n’est pas opposable aux tiers. Et ce à la différence
des sociétés en nom collectif ou en commandite,
dont la constitution doit être déclarée au greffe de la
juridiction consulaire et portée ainsi à la
connaissance du public. Utilisée tant dans le
commerce maritime que dans le commerce
terrestre, la participation assure une répartition des
risques en permettant aux partenaires d'associer
leurs compétences tout en conservant leur
indépendance. Ces diverses sociétés sont fondées
sur Yintuitu personae, les associés se rassemblent
en considération de leurs personnalités respectives,
selon une double logique de compétences et de
confiance. De ce fait, les parts sociales ne sont ni
librement cessibles ni transmissibles par héritage.
Le décès de l’associé entraine la dissolution de la
société, ce qui ne préjuge nullement de son
éventuelle reconstitution entre associés survivants
et héritiers du défunt.
Savary laisse cependant de côté une autre forme de
société, utilisée par les marchands et relativement
proche des sociétés de capitaux : la copropriété des
navires. Quirataires à Marseille, parczonniers,
bourgeois de la nef ou intéressés en Bretagne et
dans les ports de la Mer du Nord, tous ont en
commun de détenir une portion d'un navire : quirat
(carat) en Méditerranée ou plus simplement intérêt
dans les régions du Ponant. La société peut-être
constituée pour un seul voyage, c'est souvent le cas
en matière d'armement pour la guerre de course, ou
pour la durée de vie du navire. Dans les deux
hypothèses, les parts d'intérêts sont souvent
cessibles, mais des clauses d'agrément et autres
droits de préemption, explicites ou non, peuvent
venir réduire les possibilités de cession. De fait,
Yintuitu personae est rarement absent en raison de
l’étroitesse du milieu mais il disparaît cependant
dans les armements pour la course de la fin du
XVIIIe siècle, pour lesquels se constituent de
véritables sociétés par actions.
Dans le cas des sociétés anonymes et des sociétés
de parts de navire, la comptabilisation des
opérations s’effectue dans la comptabilité du
marchand qui a la responsabilité de leur exécution.
Celui-ci rend compte à ses associés aux principaux
stades de l’opération, depuis les appels de fonds
initiaux jusqu’au partage des bénéfices. Il est
d’ailleurs à noter qu’en la matière, les formes de
reddition de compte sont relativement standardisées
et se retrouvent à peu de choses près d’un pays à un
autre.
Une société générale ou en commandite suppose la
tenue d’une comptabilité qui lui soit propre. Dans
les diverses formules d’actes de sociétés qu’il
propose dans le Parfait négociant, Savary reprend
systématiquement les mêmes articles :
- « pour bien régir et gouverner notre dit négoce,
sera par nous tenu de bons et fidèles livres, tant
journaux, d’achat, de vente, extrait, qu’autres qui
nous seront nécessaires, suivant l’usage des
marchands, et qui seront paraphés par messieurs les
juges et consuls de Paris, au désir de l’Ordonnance
de 1673. »
- « il sera fait par nous tous les ans un inventaire
général de tous les effets de la compagnie, tant
actifs que passifs, dont chacun de nous aura une
copie signée de l’autre... »
- « les profits et pertes qu’il plaira à Dieu donner à
notre compagnie seront partagés et répartis... »
Enfin il recommande aux associés qui pratiquent le
commerce de gros de tenir des livres en partie
double*, notamment pour suivre les mouvements
des lettres de change et « tenir des comptes en
participation, c’est-à-dire des sociétés anonymes »,
afin qu’il n’y ait pas de confusion dans leurs
affaires et qu’ils puissent connaître les
marchandises qui leur donnent le plus de profit.
Les sociétés de gens d 'affaires
Le type de société utilisé par les gens d’affaires
semble venir en ligne directe de la societas
publicanorum ou encore societas publicorum —
société de publicains — utilisée par les Romains
pour obtenir en fermage la perception des impôts,
les fournitures aux armées, l’exploitation des
richesses minières ou des terres domaniales.
L’adjudication du marché était prononcée au profit
de la société représentée par une seule personne, le
manceps, lequel engageait vis-à-vis de l’Etat sa
personne et celles de ses associés, dont les noms
étaient communiqués à l’administration. En raison
de la nature particulière de leur objet social et afin
de leur assurer stabilité et continuité, le retrait ou le
décès d’un associé n’entrainait pas leur dissolution
de plein droit.
L’examen des statuts de cinq compagnies, mises en
place pour l’exécution de contrats concernant tant
des affermages* que des régies*, à divers moments
de la période qui nous intéresse, permet de mettre
en évidence les principales caractéristiques de cette
catégorie de sociétés. Les contrats concernés sont
les suivants :
- le traité d’aliénation du parisis des droits distraits
des fermes, rentes et droits, concédé à Pierre
Cornillon, 1er septembre 1655 ;
- le bail de la ferme des domaines de Navarre,
Béarn, Languedoc, Provence, Bretagne et autres,
adjugé à François Euldes, 10 juin 1666 ;
- la régie des Fermes unies de France attribuée à
Charles Ysambert, 13 octobre 1709 ;
- le bail de la Ferme générale attribué à David, 29
janvier 1774 ;
- le bail de la Fenne des messageries, diligences,
coches d’eau et courtage du roulage, sous le nom de
Claude Laure, 15 janvier 1778.
Le résultat* du Conseil attribue systématiquement
le bail ou le traité à un prête-nom qui représente la
compagnie. C’est ainsi que Charles Ysambert
déclare que l’acceptation qu’il a faite du bail de la
régie des Fermes unies est « pour et au profit » des
quarante intéressés, ses « cautions » signataires de
l’acte de société, auxquels « le dit Ysambert n’a fait
et ne fera que prester son nom pour la régie et
exploitation des fennes et droits ». Si sa signature
est requise pour certains actes, il faut d’abord qu’au
moins douze des associés aient signé le document.
Ce n'est pas l'anonymat qui est recherché, puisque
depuis Colbert les cautions sont obligatoirement
connues du Conseil des finances. L'institution a
selon Daniel Dessert un intérêt pratique particulier,
le prête-nom « offre la possibilité d'assigner sous
son nom tout un groupe de financiers, ce qui évite
de recourir à une kyrielle de procès individuels,
onéreux et à coup sûr porteurs de complications ».
Le « fonds » de chaque société est divisé en sols —
vingt le plus souvent mais d’autres chiffres sont
possibles — eux-mêmes subdivisés en deniers. Les
parts de chaque associé sont donc exprimées en sols
et deniers. Elles peuvent être identiques ou différer
d’un associé à un autre. Dans les deux sociétés
relatives à la Fenne générale, chaque associé reçoit
six deniers, ce qui donne quarante partenaires pour
la régie d’Ysambert mais soixante pour le bail de
David car cette fois-ci, le fonds est composé de
trente sols. En effet, en 1756, à l’occasion du bail
Henriet, une compagnie de 60 associés a succédé à
105
une compagnie de 40 associés. Autre exception, le
fonds de la société fermière des messageries est
divisé en vingt-quatre sols — un chiffre qui
rappelle les sociétés de navires divisées en vingt-
quatre quirats (carats) — inégalement répartis entre
les associés.
Le contrat de société prévoit le montant global du
fonds, les « avances » : 18 000 000 pour le bail
Ysambert, 93 600 000 livres pour le bail David ou
encore 16 200 000 pour la ferme des messageries.
Ces sommes portent intérêt, souvent au denier 10,
c’est-à-dire à 10%, au profit de chacun des
associés. S'il est nécessaire de renflouer la trésorerie
de la compagnie durant l'exécution du contrat, on
procède à un appel de fonds, au prorata des intérêts
initiaux. De ce fait, on peut considérer qu’il n’y a
pas de limitation de responsabilité, puisque le
montant de l’engagement individuel n’est pas
définitivement fixé dans l’acte. Il s’agit cependant
d’activités dans lesquelles le risque de non
récupération des avances semble mineur.
L'intuitu personae est au principe de ces sociétés et
généralement les parts ne sont pas librement
cessibles : « aucun ne pourra se départir de la
présente société pour quelque cause et occasion que
ce soit ny transporter son droit qu’au profit de toute
la compagnie » peut-on lire, par exemple, dans les
statuts de la société pour l’exploitation du bail
adjugé à François Euldes. Ces mêmes statuts
précisent cependant : « si aucun de nous associe
quelqu’un en sa part, le dit sous associé ne pourra
prétendre ny demander aucun compte à la
compagnie ny prétendre connoissance d’yceux en
quelque sorte et manière que ce soit. » En effet,
comme chaque part est d'un montant très élevé, son
détenteur a souvent recours à un croupier*. C'est
littéralement un personnage pris en croupe par l'un
des associés qui lui cède une partie de son intérêt.
Mais ce croupier demeure inconnu des tiers, voire
des autres associés, et ne peut avoir voix
délibérative. Le montant de la croupe peut
d’ailleurs être limité : « aucun ne pourra céder plus
de la moitié de son intérest » est-il précisé dans les
statuts de la société pour le bail d’Ysambert. Les
parts ne sont pas non plus librement transmissibles,
il est généralement prévu qu’en cas de décès de l’un
des associés, ses héritiers seront remboursés de ses
avances et ses parts reprises par l’un des associés ou
un nouvel associé désigné par le reste de la
compagnie.
L’acte de société comporte également des
dispositions sur l’organisation du travail des
associés, leurs droits de présence aux réunions, les
indemnités pour les frais de commis et de
déplacements. Enfin les intéressés sont censés
participer selon leurs « parts et portions au gain ou
perte qu’il plaira à dieu y envoyer. » Les articles
relatifs à la comptabilité sont généralement assez
succincts et n’évoquent qu’une comptabilisation
des recettes et dépenses. Des dispositifs de contrôle
106
peuvent être prévus, comme pour le traité
Comillon: « il sera tenu double registre des receptes
et dépenses, l’un par le dit sieur Pavillon, l’autre
par le dit sieur de Lafond, qui seront représentés à
chacun des intéressés lorsqu’il le désirera pour
cognoistre l’estât de ladite société » ou pour la
ferme des Messageries : « Le caissier général
tiendra un registre journal* dans la forme prescrite
par l’édit du mois de juin 1716 et il sera tenu par un
des dits associés un registre de contrôle de la ditte
caisse qui sera paraphé par deux des dits associés. »
Systématiquement, un article prévoit une reddition
de compte annuelle aux fins de détermination et de
partage des bénéfices, comme pour le bail de
François Euldes : « il sera fait par chacun an un
compte général entre les dits associés pour raison
de la dite ferme, pour le profit ou perte partagé ou
payé par chacun de nous à raison de nos intérests. »
Certaines manufactures adoptent cette forme
sociale, l’exemple le plus célèbre est celui de la
Manufacture des glaces de Saint-Gobain. Créée en
1667, on y retrouve notamment la pratique du
prête-nom. Durant plus d'un siècle, le privilège fut
attribué, non à la société, mais à un individu ; si le
premier titulaire, Dunoyer, était le créateur de
l'entreprise, ceux qui suivirent n'étaient que des
employés subalternes. De même, on n’y parle pas
de capital mais d'avances et le fonds est divisé en
sols. Le mot action est utilisé mais il désigne un
regroupement d'un sol et demi, soit les dix-huit
deniers nécessaires pour avoir voix délibérative au
conseil d'administration. La Manufacture obtiendra
l’autorisation de se transformer en société anonyme
en 1830.
Les compagnies de commerce et de colonisation
Henri IV, Richelieu et surtout Colbert sont à
l'origine de nombreuses compagnies de commerce.
L'objectif est multiple, assurer l'indépendance de la
France pour son approvisionnement en denrées
exotiques, administrer et valoriser les conquêtes
coloniales, favoriser l'exportation des productions
nationales. La plus importante et la plus
emblématique, malgré des débuts difficiles et deux
périodes d’éclipse, est la Compagnie des Indes
orientales, créée en mai 1664. Elle est suivie de la
Compagnie des Indes occidentales, constituée en
août de la même année, de la Compagnie du Nord,
en 1669, puis de la Compagnie du Levant en 1670,
couvrant ainsi tous les axes de navigation et donc
d’approvisionnement : Océan Indien, Atlantique,
Mer du Nord et Baltique, Méditerranée. D’autres
suivront et toutes ne réussiront pas, loin s’en faut,
mais ce sont seulement leurs caractéristiques
formelles qui nous intéressent ici. Si toutes
bénéficient de privilèges, les deux compagnies des
Indes présentent de notables différences avec leurs
consœurs. Par leurs dimensions d'abord, neuf
millions de livres de capital pour la Compagnie des
Indes orientales et un peu moins de six millions
pour la Compagnie des Indes occidentales, alors
que le capital des autres ne dépasse pas le million
de livres. Ensuite par le montant de la participation
du Roi, autrement dit des deniers publics :
4 000 000 L pour la première et 1 600 000 pour la
seconde, car elles ont pour mission de représenter
l'Etat et d'être ses agents coloniaux. Elles possèdent
le droit d'exercer leur souveraineté sur les territoires
qui leurs sont confiés ; elles peuvent y légiférer et y
rendre la justice : Madagascar, l'Ile de France, l'Ile
Bourbon puis les comptoirs de l'Inde, d'un côté, la
Louisiane, le Canada, Terre-Neuve, Cayenne et les
Antilles françaises, de l'autre.
Leur financement pose des problèmes spécifiques
car les besoins changent de nature. Il faut réunir des
capitaux substantiels, dont le délai de récupération
sera long, pour une activité aux résultats incertains.
Importance et permanence du capital sont deux
caractéristiques déterminantes : la première suppose
un fractionnement du fonds social qui minimise les
apports individuels, la seconde implique la mise en
place de modalités de cessibilité des parts afin de
maintenir une certaine souplesse dans le
mouvement des capitaux. Le capital de ces sociétés
est divisé en actions, le tenue est emprunté au
vocabulaire de la compagnie hollandaise des Indes
orientales — aktie—, il est utilisé dès 1664 dans les
statuts de son homologue française. Ces actions
sont librement cessibles, ainsi que le confirme
Charpentier dans sa Relation de l'établissement de
la Compagnie : « tous ceux qui seront intéressez
dans la Compagnie, pourront disposer de la part
qu’ils y auront, soit en la domiant ou vendant toute
entière, soit en divisant leur intérest par la moitié ou
en moindre partie, pourveu que ce qu’on vend ou ce
qu’on réserve, ne soit point au-dessous de mille
livres, qui est la moindre somme que l’on puisse
avoir dans le fonds capital. » C’est donc une rupture
avec Y intuitu personae, que l’on retrouve dans
toutes les sociétés du même type, comme le montre,
par exemple, l’édit portant établissement d’une
compagnie de commerce pour le Nord, de juin
1669: «Les intéressés de ladite compagnie
pourront vendre céder et transporter toutes les
actions qu’ils auront en icelle à qui et ainsy que bon
leur semblera. »
Les augmentations de capital sont rarement prévues
par les statuts, elles prennent le plus souvent la
forme d'appels de fonds auprès des associés et ne
donnent pas lieu à l’émission d'actions nouvelles
destinées à n'importe quel souscripteur éventuel.
Ceci provient du fait que ces appels sont presque
toujours réalisés dans une période de crise et non
pour financer une extension de l'entreprise. En
1684, par exemple, un arrêt du Conseil enjoint aux
actionnaires de la Compagnie des Indes Orientales
d'apporter un quart en sus de la valeur nominale des
actions qu'ils détiennent. Ce qui signifie que la
responsabilité des porteurs de parts n’est pas
véritablement limitée, puisque lorsque les appels
sont destinés à compenser des pertes et rendus
obligatoires par les statuts, l'actionnaire se trouve
impliqué au-delà de son apport.
Dans ces compagnies l'utilisation de la partie
double est de règle, les archives permettent de le
vérifier. Bien que l'actionnariat de ces sociétés soit
très souvent à dominante financière, c'est donc le
modèle de la comptabilité marchande qui domine,
vraisemblablement considéré comme indispensable
à cette activité. Les formulations utilisées dans les
actes de sociétés sont particulièrement éloquentes,
ainsi celui de la Compagnie des Indes Occidentales
stipule que « les comptes seront rendus à la manière
des marchands, et les livres de raison [...] tenus en
parties doubles », celui de la Compagnie du
Levant : « Les livres de la Compagnie seront tenus
à parties doubles [...] comme il est usité entre
négociants ». Cependant, cette domination du
modèle marchand n'est pas totale.
Ainsi entre 1664 et 1717, les directions successives
de la première Compagnie des Indes semblent avoir
utilisé le modèle italien, mais la cohabitation de
commis et d'administrateurs de cultures différentes
se traduit par des phénomènes d'hybridation entre
les méthodes. A titre d'exemple, le bilan présenté à
l'assemblée générale du 29 mai 1684 est divisé en
dépenses et recettes en lieu et place de débit et
crédit ou doit et avoir. Or il s'agit bien d'un
véritable bilan issu des comptes du grand livre,
avec indication des folios des comptes, et nullement
d'un récapitulatif des recettes et dépenses de la
période écoulée. Le contrôle exercé par l'Etat est
certainement pour beaucoup dans ce mélange des
concepts. Constatant qu'il n'a pas été fait de bilan
depuis plusieurs années, une directive ministérielle
du 20 juin 1703 nomme quatre commissaires et
ordonne aux directeurs de faire établir « un bilan et
compte certain de ladite compagnie par recette et
dépense année par année ». Autre signe, le Projet
d'ordonnance concernant la Compagnie des Indes,
daté de 1725, précisait: «Encore que le caissier
soit obligé de tenir son grand livre en parties
doubles, néanmoins il dressera son compte général
de chaque année dans la forme usitée en finance »
(chapitre 8, article 10).
A bien des égards, ces compagnies sont celles qui
se rapprochent le plus de la société anonyme
introduite par le Code de commerce de 1807, afin
de faire face aux besoins de financement de projets
importants, tels que des infrastructures de transports
ou le développement des institutions bancaires. Le
capital est divisé en actions librement cessibles et
« les associés ne sont passibles que de la perte du
montant de leur intérêt dans la société » (art 33). Ce
type de société ne se développera réellement
qu’après 1867, lorsque sera supprimée la procédure
d’autorisation administrative à laquelle le Code
avait soumis sa constitution, en raison du souvenir
des effets désastreux de certaines spéculations
hasardeuses de la fin du XVIIIe siècle. Dans
107
l’intervalle, c’est sur la société en commandite par celle qui passe en valeur ou en écritures au Trésor. ordonnances de paiement* des ordonnateurs
actions telle que définie par le Code de 1807, D’après le règlement du 15 septembre 1661 et ceux secondaires dans les ports et colonies et celles du
Compensation qui ont été rendus ensuite sous l’influence de roi pour les autres dépenses, payables dans les ports
héritière de la société en commandite de Ce mot a plusieurs acceptions. Historiquement, il
l’Ordonnance de 1673, mais dans laquelle Yintuitu Colbert, le contrôleur général des finances en tient ou à Paris (la plus grande partie de ces dernières se
s’agit d’abord d’une modalité de paiement qui rapporte à des dépenses au profit des ports et
personae ne concerne plus que le seul groupe des le registre-journal et le registre des fonds, ou plutôt
consistait à compenser les dettes de l’Etat en un lieu colonies). Nous en avons conclu qu’il n’y avait
commandités, que s’appuiera principalement le il les fait tenir par son premier commis. Dans le
donné par le paiement des dettes passives du aucune comptabilité à l’administration centrale. Le
développement de l’industrie. Y.L. premier de ces registres sont enregistrées au fur et à
créancier*. Pour éviter le transport de numéraire, ministre demande de temps en temps ou
Voir Contingent, Croupier, Fonds, Ferme générale, mesure les ordonnances de dépense et toute la
les gouvernements utilisaient les relations régulièrement des états des dépenses ordonnancées
Régie recette faite au Trésor. Dans le registre des fonds,
commerciales entre les négociants régnicoles et les (d’après la lettre du 31 juillet 1723 et le modèle qui
l’on inscrit au verso des feuillets les deniers qui
négociants étrangers. Ces deniers payaient les y est reproduit), au moins à la fin de l’expérience
Sources : AN, Colonies, C2 270 Compagnie des doivent être portés au Trésor d’après les extraits des
troupes et fournitures là où elles se trouvaient et le des frères Paris*. Pour y voir plus clair, il faudrait
Indes, Projet d'ordonnance pour la régie de la états des fermes, des recettes générales des finances
Trésor*, par compensation, réglait les dettes qu’ils au moins dépouiller une partie de la série E de la
Compagnie, 1725. AN, Colonies, C2 3, Compagnie et des bois, des arrêts et résultats transmis au
avaient auprès de leurs fournisseurs. Tous les Marine aux Archives nationales.
des Indes, législation et arrêts, 1664-1689. AN, premier commis, qui sont les équivalents des
gouvernements ont usés de cette pratique. Passons aux ports. L’ordonnance du 15 avril 1689
Colonies, C2 5, Compagnie des Indes, ordonnances de recette ; au recto du feuillet suivant
Au temps de William Pitt*, les négociants portugais ne prescrit aucune comptabilité, ni pour les engage­
administration en France, 1680-1686. AN, figurent les recouvrements réels du mois, suivant
et espagnols payaient les fournisseurs de l’armée de ments* ni pour les ordonnancements*. L’intendant
Colonies, C2 9 Compagnie des Indes, l’ordre adopté pour les chapitres des fonds. De
Wellington, tandis que la Treasury s’occupait de (XII, 1, article 5) doit seulement s’assurer que les
administration en France, 1701-1705. AN, Marine, même les ordonnances de paiement* ou ordres de
son côté de régler les dettes de ces négociants chez registres du magasin sont bien tenus, et c’est là une
B7 489. Textes relatifs au commerce, 1666-1670. fonds payables comptant dans le mois ou par
leurs homologues anglais. Les effets* de comptabilité-matières* avec journaux, livres et
AN, Minutier central CXIII 231, 3 mai 1710, assignations sont-ils portés sur les chapitres
compensation devaient faire l’objet d’un inventaires décrite dans la suite du livre XII. Il
Société pour la régie des Fermes unies de France auxquels ils se rapportent. Ces deux registres sont
enregistrement rigoureux dans les livres des envoie (XII, 1,20) : 1° tous les mois, un bordereau*
par Charles Ysambert, 13 octobre 1709. AN, vérifiés, comparés et arrêtés chaque mois par le roi
trésoriers publics. des paiements faits dans le mois et les précédents
Minutier central LU 105, 11 mars 1683, Société des en son conseil, puis également en fin d’année. Le
On distinguera cette modalité de paiement, qui est pour chaque nature de dépense (achat,
domaines de Navarre, Béarn, Languedoc, Provence, garde du Trésor en exercice fournit de son côté son
une compensation de créances et de dettes, du appointements, etc.) et de travail ; 2° tous les six
Bretagne et autres, bail François Euldes du 10 juin état au vrai*. En 1684, la recette de son compte est
principe comptable de compensation qui consiste, mois, « un état abrégé des fonds reçus et dépenses
1666. AN, Minutier central LU 138, 7 juillet 1694, un peu plus élevée que la prévision du registre des
dans un compte de gestion*, à établir le solde* en faites » ; 3° au début de chaque année « l’état
Société pour l’exploitation du traité d’aliénation du fonds (160,7 millions au lieu de 159,7): le
compensant les mouvements de valeur de sens général des fonds remis et des dépenses faites
parisis des droits distraits des fermes, rentes et comptable peut avoir compris des recettes
opposé (négatif et positif) au cours de la période. pendant l’année précédente, avec la balance des
droits, concédé à Pierre Cornillon, 1er septembre extraordinaires ou appartenant à des exercices
M.-L. L.
1655. AN, Minutier central XCIV 429, 15 janvier précédents qui n’ont pas été enregistrées. Sa fonds restants et excédents » et le produit des
Voir Effet, Lettre de change, Scontro recettes extraordinaires. Si Colbert* considère les
1778, Société pour la Ferme des messageries, dépense est un peu moins forte que la prévision
diligences, coches d’eau et courtage du roulage, (160,9 millions au registre) : des ordonnances dépenses payées, alors la lettre du 31 juillet 1723
Bibliographie: Hocquet J.C. (1997). précitée et le bordereau des chapitres, titres et sous-
sous le nom de Claude Laure. BNF, Ms. Collection expédiées et signées n’ont pas été payées, et
Morel de Thoisy, n° 87, t. XIX, f° 157-60. Acte de l’anomalie est corrigée au registre l’année suivante. titres du 7 avril 1726 rappellent cet article de 1689.
Comptabilité administrative Cette méthode rudimentaire ne permet pas au roi, Comme, par cette même lettre, le ministre demande
société du 31 octobre 1654, entre de Bemy et
C’est le nom donné en France à la comptabilité des lorsqu’il signe, de savoir si chaque dépense faite aux ordonnateurs des « extraits exacts des dépenses
Collin, marchands drapiers. Société des intéressés
comptables et à celle des ordonnateurs, ministres correspond à une créance régulière, si tous les que vous faites payer » selon le modèle, ils doivent
au bail de David pour la Ferme générale du 29
compris, au XIXe siècle. Elle occupe un titre et deniers perçus sont entrés dans les caisses simplement tenir un registre des ordonnances.
janvier 1774, in Œuvres de Lavoisier, t. 6,
demi de l’ordonnance du 31 mai 1838 sur la publiques, si les créanciers de l’État ont été L’ancien intendant de Rochefort Lenormant de
Imprimerie Impériale, Paris, 1893, p. 629-631.
comptabilité publique, entre la comptabilité dite désintéressés et si les paiements à faire portés dans Mézy (1702-1791) décrit ainsi en 1761 l’activité du
Charpentier F., Relation de l'établissement de la
législative (comprenant à tort celle des ministres) et les états du roi* ont bien été effectués. Cette détail des fonds dans les ports, celui qui, selon lui, a
Compagnie française pour le commerce des Indes
la comptabilité judiciaire. Elle retrace l’exécution démonstration ne pouvait résulter que de l’examen été le plus et le plus longtemps négligé des bureaux
orientales, Amstredan [sic], Moinet, 1666. Ferrière
du budget dans chaque ministère et a pour but des comptes individuels de tous les comptables et de l’administration : s’y rapportent toutes les
C.-J. de (1758). Savary Jacques, Le parfait
d’assurer la responsa-bilité des ministres et de leurs de la constitution de comptes généraux à partir de ordonnances de recette et de paiement ; les états de
négociant, Paris, Louis Billaine, 1675.
ordonnateurs secondaires, et non plus seulement le ces comptes individuels, de façon à déterminer les distribution* arrêtés par la Cour ; les états des
contrôle de la comptabilité des comptables publics recettes et les dépenses totales de l’État pour demandes de fonds ; les états de remise de fonds de
Bibliographie :Dessert D. (1984). Hilaire J.,
ni la simple information des ministres, comme du chaque exercice. La comptabilité d’ordonnateur s’y la part du trésorier général, ou d’un port à l’autre ou
Introduction historique au droit commercial, Paris,
temps de Colbert. Elle s’enrichit à la fin du siècle serait ajoutée comme elle s’était ajoutée à celle des autrement ; les états ou ordonnances de recette
P.U.F., 1986. Lemarchand Y. (1993). Lemarchand
d’une comptabilisation des engagements. gardes du Trésor royal. extraordinaire ; l’expédition de toutes les décharges
Y. , « Style mercantile ou mode des finances, le
choix d'un modèle comptable dans la France La comptabilité de la Marine, à la Cour et dans les en forme et des comptes des trésoriers ou autres
Inconsistance de la comptabilité d'ordonnateur ports. Il convient de distinguer la comptabilisation avec le roi. Aussi, dans les ports également, la seule
d'Ancien Régime », Annales Histoire Sciences
sous l’Ancien régime des dépenses en général dans les ports de celle qui véritable comptabilité en deniers est-elle tenue par
Sociales, 1995, n° 1, janvier-février, p. 159-182.
La comptabilité du Trésor royal. La comptabilité se fait ou pourrait se faire dans les bureaux du les commis du trésorier général. Voici la situation
Lévy-Bruhl H., Histoire juridique des sociétés de
d’ordonnateur aurait pu voir le jour, si la ministre. Le fait que le maréchal de Castries (1727- de la comptabilité à Brest, telle que la dépeint en
commerce en France aux XVIle et XVIIIe siècles,
comptabilité des comptables avait été mieux tenue, 1800) ait accepté de transférer l’activité entière et le 1790 Joseph-Maurice Puissant de Molimont (1740-
Paris, Domat-Montchrestien, 1938. Matthews G.T.
mieux contrôlée et réunie en un tout. La division de personnel du bureau des Comptes* au contrôle 1830), contrôleur du départe-ment depuis 1777.
(1958). Pris C., La Manufacture royale des glaces
la France en pays d’Etats et pays d’élection, général en 1781 donne à penser que ce bureau ne Il définit une bonne comptabilité par sa simplicité,
de Saint-Gobain 1665-1830, Paris, Thèse, 1973.
invoquée par certains auteurs, est un argument sans s’occupait que de la comptabilité des dépenses sa célérité, son uniformité et par la responsabilité
Szlechter E., Le contrat de société, en Babylonie, en
valeur. Il existe à vrai dire une comptabilité payées et des justificatifs qui doivent les qu’elle impose aux agents. Elle doit constater d’une
Grèce et à Rome. Etude de droit comparé de
d’ordonnateur au Trésor royal, mais elle ne retrace accompagner, et, parmi ces derniers, les manière claire et précise le nombre et les
l’Antiquité, Sirey, Paris, 1947.
qu’une partie des dépenses et des recettes de l’État,

108 109
mouvements des individus, la durée des services, le
temps de travail des ouvriers, etc. ; constater
l’exactitude des recettes, des dépenses et des
mouvements de matières et de fonds ; éclairer
toutes les opérations du service ; préparer et
faciliter leur contrôle ; établir la responsabilité. La
rigueur et la défiance ont présidé à la création des
formes: de la comptabilité en 1689 et dans les
règlements interprétatifs. La complication
volontaire des formes est contraire à toute vue
d’exactitude des comptes, insiste l’auteur. Le temps
passé par les officiers-mariniers et les maîtres
d’ouvrages aux écritures est perdu pour la
surveillance du travail, et il compterait pour plus de
la moitié du temps de présence ! Les formes sont
sources de tant de lenteurs que le maréchal de
Castries n’a vu d’autre moyen que de les supprimer
lors des armements de la guerre d’Amérique,
notamment ceux de Brest auxquels il a assisté en
1781. Pourtant, depuis la guerre, de nouvelles
formes sont venues s’ajouter aux anciennes et
augmenter le désordre. Le classement des dépenses
ne répond à aucune règle uniforme, les
dénominations sont trompeuses, les regroupements
arbitraires. La comptabilité des bords est
particulièrement fautive, il y a des incertitudes
même sur l’existence des individus. Brest n’a pu
encore présenter les comptes des 1 250 armements
et désarme-ments de ses vaisseaux pendant la
dernière guerre. On distingue avec une peine infinie
les paiements au compte du roi de ceux du
munitionnaire et des avances à rembourser par les
équipages. Une année de deux cents commis et un
commissaire du roi envoyé en 1789 pour abréger
les écritures n’ont pas permis à Brest de présenter
en 1790 le compte général de ses dépenses de
l’année 1779.
Le contrôleur de ce département voit
l’irresponsabilité des ordonnateurs, non dans
l’ordonnance de 1776, mais dans l’attitude
constamment adoptée par les bureaux de la Cour
depuis la Régence, qui n’a permis de « consommer
aucun acte essentiel sans [leur] ordre ou [leur]
approbation ». Or, les actes de l’administration
centrale n’ont jamais été soumis aux règles
prescrites par des ordonnances royales faites pour
les ports. On n’a jamais non plus déterminé
convenablement les modes du service administratif,
les fonctions des agents, les formes de la
comptabilité, les époques de l’arrêté des comptes.
Les marchés des ports sont soumis depuis 1723 à
l’approbation du ministre, et les bureaux ont pris
l’habitude de passer les marchés principaux —
Puissant devrait dire que cette habitude date de
Colbert et que ce ministre y avait vu une nécessité
— : il en résulte une source d’augmentation de la
dépense, par des achats faits à contretemps ou à des
margoulins et une cause supplémentaire de
méfiance, par la faculté que les bureaux se réservent
110
de modifier les ternies des contrats (avant leur
notification).
La nomenclature des dépenses n’existant pas — elle
n’existe plus, devrait dire Puissant — on suit un
ordre particulier pour la prévision annuelle (« projet
général des dépenses », article 381 de l’ordonnance
générale du 25 mars 1765), un autre pour demander
les fonds, un troisième pour rendre compte des
paiements, un quatrième pour faire connaître les
dépenses d’approvisionnements, un cinquième pour
la Cour, un sixième pour l’expédition des décharges
des trésoriers, sans compter ceux qu’on adopte poul­
ies demandes particulières. Beaucoup de dépenses
qui se rapportent au département de Brest sont
payables à Paris, d’autres dans les quartiers des
Classes, les consulats et les colonies. Puissant
estime que les dépenses ordonnancées dans les
départements doivent comprendre neuf parties
correspondant à autant de détails dont les chefs
expédieraient seuls toute la dépense et établiraient
au vrai le montant à la fin de chaque mois, l’état
correspondant étant remis au trésorier (commis du
trésorier général* en charge avant 1788) pour sa
décharge et à la Cour, à l’appui de la demande de
fonds du mois suivant. L’établissement en 1788
d’un Trésor royal unique permet de payer les achats
en lettres de change et donc d’éviter les paiements à
Paris, écrit-il avec plaisir.
Le désordre de la comptabilité des fonds dans le
port se retrouve naturellement chez le trésorier, qui
ne paie qu’une partie de ses dépenses et dont les
comptes n’offrent jamais le montant vrai sur aucun
chapitre. Puissant assure que, depuis 1697, ses
comptes ont été constamment en retard de deux à
cinq ans en temps de paix et de huit à douze
pendant la guerre. Le trésorier de Brest et ses
caissiers sont gens honnêtes, à la bonne heure,
parce qu’on n’a aucun moyen de comparer les
paiements mensuels avec les pièces en forme
justificatives des dépenses (fournies par
l’ordonnateur) et il est donc impossible d’établir au
vrai une situation entre la caisse et les bureaux du
port. Depuis 1750, les états au vrai du ministère
sont commencés au moins huit ans après la fin de
l’exercice considéré.
Puissant considère que la comptabilité du matériel,
qu’il évalue à deux cents millions, vaisseaux et
bâtiments à terre compris, est inexistante. Pourtant
les deux comptabilités, celle des fonds et celle du
matériel, doivent s’éclairer mutuellement. Les
ordonnances de 1689, 1691, 1765 et 1776 exigent
seulement du garde-magasin la tenue d’un registre
de dépense, d’une balance et d’un inventaire
« surchargés d’un nombre infini de signatures » :
14 000 par an sur la balance très incomplète de
Brest, pour le garde-magasin, autant pour le
commissaire du magasin général et pour le
contrôleur. La formation des pièces comptables et
la répartition des détails suivent à Brest les mauvais
usages antérieurs à 1689 qu’aucune loi n’a
réformés. Cette comptabilité, assure Puissant, sera
nulle tant que les agents préposés au dépôt des
matières, effets et ouvrages ne seront pas
subordonnés au garde-magasin et que l’arrangement
et la destination des matières pourront être modifiés
à son insu.
La comptabilité des vivres, une entreprise séparée
devenue régie* indirecte en 1776, présente le
caractère d’abandon consécutif à la suppression des
commissaires des vivres et à la dévolution de la
comptabilité des vaisseaux aux officiers de marine,
si bien que les comptes de la régie ont été admis par
un arrêt du Conseil qui a dispensé de les présenter
dans les formes. La comptabilité des vaisseaux
(levée des équipages, armements, désarmements,
réparations et remplacements faits lors des relâches)
met les autres comptabilités encore plus en retard.
Puissant a obtenu en 1787 que l’on suive dans tous
les ports son projet d’instruction et il est parvenu à
terminer en janvier 1789 les comptes particuliers de
73 armements ou désarmements ayant eu lieu à
Brest en 1788.
Si l’on fait la part de l’exagération dans le discours
d’un officier à commission* publié en 1790, il faut
se demander si l’insuffisance de la comptabilité en
général n’a pas d’autre cause que l’intérêt des
officiers titulaires malhonnêtes. Nous assimilons les
fonds aux crédits (les « fonds faits par la finance »
étant les sommes effectivement disponibles dans les
ports ou au moins les fonds en espèces ou en
assignations venant du Trésor), mais il convient de
se méfier du tenue de dépense employé seul (et
souvent). C’est une suite du mode de comptabilité
dit en recette et dépense, et nous ne pensons pas que
la dépense d’un ordonnateur soit la sienne : si
c’était le cas, il devrait tenir une comptabilité. Voici
le point dur, le mystère à élucider car la différence
entre la dépense ordonnancée et la dépense payée
augmente ou diminue la dette de la Marine, et cette
dette est suivie au moins sur des états récapitulatifs
à la Marine et au contrôle général. Pendant la
guerre de Sept ans ces états sont fréquents, à
mesure que la dépense augmente, et elle augmente
si dangereusement que Louis XV en vient pour
cette raison à arrêter la guerre d’escadre et l’activité
de construction en 1760 (ce que son successeur n’a
pas fait, entraînant ainsi la banqueroute de l’État et
la Révolution). La solution est peut-être simplement
la suivante : la dépense payée est suivie par une
véritable comptabilité, parce que l’autorité veut
surveiller le trésorier et le niveau des dépenses
payées ; la dépense ordonnancée est suivie en
masse dans des registres et l’on n’imagine pas de la
limiter effectivement aux prévisions des états
généraux des fonds*, parce qu’on ne le croit pas
possible. S’il ne reste plus aucune bribe de
comptabilité locale, la série E ou des manuscrits de
même nature pourraient donner la réponse
définitive par la façon de « centraliser » les
dépenses des ordonnateurs que trahiront les états
généraux eux-mêmes et les instructions données
aux bureaux pour les dresser, et nous serions surpris
s’il n’y en avait pas dans les cartons.
D’après le témoignage de l’intendant Malouet
(1740-1814) en 1789, et abstraction faite de la
guerre des boutons qui l’oppose, lui et les siens, aux
officiers de marine, l’ordonnance d’organisation
des ports rendue en 1776 «ne charge personne de
rendre ni de recevoir ou de contrôler le compte
comparé de la dépense et de son objet », autrement
dit elle organise l’irresponsabilité des chefs des
ports. Ici la dépense est évidemment celle qui est
ordonnancée, et les comptes devraient être rendus
par l’ordonnateur officiel, seul chargé de la
dépense, alors qu’il y en a deux désormais, le réel
(un militaire) et l’apparent (l’intendant). L’année
suivante, Malouet regrette que la chambre des
comptes de Paris, au lieu d’avoir l’inspection
effective des dépenses et juridiction sur les
ordonnateurs, ne déploie son activité que « sur la
forme nominale arithmétique des pièces [que les
comptables] produisent ». Ces propositions
paraissent exclure toute comptabilité des dépenses
ordonnancées dans les ports. Le discours de
Malouet devenu député est repris sous la
Restauration par Daru (1767-1829) et d’autres
membres du Parlement qui veulent obtenir la
responsabilité des ministres dans ce domaine, et elle
ne peut exister sans celle de leurs ordonnateurs
secondaires. Mais, lorsque d’Audiffret* fait
soumettre la comptabilité des matières au contrôle
de la Cour des comptes* en 1843 (notice
comptabilité-matières*), il ne parle que de réparer
un oubli et cherche seulement à aligner le contrôle
sur celui de la comptabilité en deniers. Il ne se
soucie donc que de la régularité et paraît ignorer le
but supérieur de toute comptabilité : soumettre les
ordonnateurs à un contrôle d'efficience, les rendre
responsables de leur gestion en d’autres termes. La
Cour des comptes n’a pas compris ce but avant
1945, et elle serait alors restée pendant tout ce
temps l’organe inutile et coûteux que dénonçait
Malouet.
La comptabilité des ordonnateurs existe à partir de
la Restauration, sinon la responsabilité véritable
Les opérations de liquidation*, d’ordonnancement*
et de paiement* sont enregistrées dans les livres que
doivent tenir les comptables et les ordonnateurs,
ministres compris. De longs développements sont
consacrés, dans les règlements de comptabilité
publique de 1838 (articles 129 à 167 et 250 à 330)
et de 1862 (articles 152 à 195 et 296 à 374), à la
comptabilité des ordonnateurs et des comptables de
la recette, de la dépense et du service de la
trésorerie. Ils indiquent les livres et écritures qu’ils
doivent tenir, les comptes qu’ils doivent rendre, la
responsabilité et le contrôle auxquels ils sont
assujettis. Ils déterminent en outre les livres qui
doivent être tenus à la direction générale de la
 Comptabilité publique pour la centralisation des
écritures des comptables et pour la reddition des
comptes à présenter au Parlement. Les ordonnateurs
tiennent leur comptabilité par exercices, les
comptables par gestions annuelles. Chaque compte
de comptable comprend deux parties, la première
année et la partie complémentaire de l’exercice, si
bien qu’en additionnant les montants qui sont
portés dans chacune d’elles, l’on reconstitue
l’exercice.
Les ordonnateurs secondaires adressent à leur
ministre, tirés de leur journal, les relevés mensuels
par chapitres des crédits de délégation, des droits
constatés, du montant des mandats émis et des
paiements ; ce sont par conséquent des relevés
sommaires. Chaque article du journal est rapporté
sur un sommier* ou grand livre de comptes ouverts
par ordre de matières et suivant les divisions du
budget. Les registres de l’ordonnateur reçoivent
successivement l’inscription par créancier, par
chapitre et article des crédits ouverts, des droits
constatés sur les services faits, des mandats délivrés
et des paiements effectués. Il envoie également au
ministre les bordereaux mensuels transmis par les
payeurs où sont mentionnés par exercices et par
services tous les paiements faits pour le compte de
chaque ministère. Les comptables envoient des
documents analogues à la direction générale de la
comptabilité publique. Au moyen des éléments
fournis par leurs ordonnateurs et par les
comptables, les ministres peuvent contrôler
l’emploi des crédits délégués et former le compte
des dépenses de leur département. Le ministre des
Finances peut dresser de son côté les écritures
générales du Trésor, surveiller les comptables et, en
s’aidant des documents dont il dispose, constituer le
compte des recettes de l’État et le compte général
de l’administration des finances.
La comptabilité administrative a pour organes
principaux d’exécution les directions ou divisions
de comptabilité de chaque ministère. Tous les mois,
les faits concernant la liquidation,
l’ordonnancement et le paiement des dépenses sont
relevés sur une balance des comptes du grand livre
ouvert au ministère avec un développement par
chapitres, et copie de cette balance est faite pour la
direction générale de la Comptabilité publique qui
en reproduit les résultats dans ses écritures. Toute
cette comptabilité centrale est tenue en partie
double dès 1822 (article 18 de l’ordonnance). À la
fin de chaque année, les résultats de chaque compte
ouvert sont réunis dans le compte général de
l’administration des finances qui est divisé par
gestions annuelles. Comme les opérations sur le
budget se prolongent jusqu’au 31 août pour les
paiements (c’est la date de clôture de l’exercice) et
le 31 juillet pour les ordonnancements (d’après le
décret du 11 août 1850; les délais étaient fixés
respectivement au 31 décembre et au 30 septembre
dans l’ordonnance du 14 septembre 1822), il faut
112
consulter deux de ces comptes successifs pour
obtenir les chiffres correspondant à un exercice
budgétaire.
Ce compte général a été imaginé par la loi du 9
janvier 1800 (12 nivôse an IX) et établi par les
ordonnances des 10 décembre 1823 et 1er septembre
1827. Comme la direction générale de la
Comptabilité publique exploite concurremment les
bordereaux comptables transmis chaque mois par
les comptables, le compte général résume à la fois
les comptes généraux des ministres et les comptes
individuels des comptables et forme la base de la
loi des comptes ou loi de règlement instituée par la
loi du 15 mai 1818 et qui sanctionne l’exécution de
chaque budget annuel. Il comprend plusieurs
comptes de développement, dont le compte des
dépenses publiques par ministères et chapitres de
dépenses du budget. Le détail par articles se trouve
dans les comptes généraux des ministres dits
souvent comptes définitifs des dépenses, le compte
définitif des recettes de l’État appartenant au
ministre des Finances en sa qualité de ministre du
Trésor. Ce sont ces comptes ministériels qui sont
présentés par le gouvernement dans chaque projet
de loi de règlement, depuis que les ministres ont
l’obligation de rendre compte au Parlement de leurs
opérations financières (lois du 28 avril 1816 et du
25 mars 1817, article 148). Ils se composent des
imprimés suivants (ordonnance du 10 décembre
1823) : 1° un tableau général présentant par
chapitres (et non par articles) les résultats de la
situation définitive de l’exercice expiré qui servent
de base au projet de loi ; 2° des développements
expliquant les dépenses constatées, les paiements
effectués et les créances restant à solder à l’époque
de la clôture de l’exercice ; 3° un état comparatif,
par chapitres, des dépenses de l’exercice et de celles
inscrites au budget, expliquant les causes des
différences ; 4° le compte d’apurement des
exercices clos prescrit par la loi du 23 mai 1834 et
l’article 127 du décret du 31 mai 1862; 5° les
documents spéciaux prévus par les articles 161 à
188 du décret du 31 mai 1862 et différents selon les
ministères.
Une commission annuelle formée de magistrats et
de parlementaires a été instituée en 1823 afin
d’arrêter au 31 décembre le journal et le grand livre
de la Comptabilité publique et de constater sur
place la concordance des comptes annuels (non
publiés) des ministres avec les résultats des
écritures centrales des Finances. Elle établit un
procès-verbal de cette opération à destination du
Parlement. La même commission vérifie le tableau
présentant, pour l’exercice clos qui doit être déféré
au Parlement, la comparaison des comptes de
l’exercice publiés par les ministres avec les résultats
des jugements rendus par la Cour des comptes.
Tableau et rapport sont également présentés aux
chambres législatives. Lorsque la comptabilité-
matières* est soumise au contrôle de la Cour, la
commission y mène les mêmes investigations. De
son côté, la Cour des comptes* reçoit des Finances
une forme du compte général (annuel) des finances
dans laquelle les « résumés généraux »des comptes
individuels des comptables sont faits par groupes de
comptables. Elle vérifie la conformité de chaque
résumé général avec ses arrêts sur les comptes
individuels, ce qui donne lieu à des déclarations de
conformité ; elle confirme aussi l’accord de ses
arrêts avec les opérations correspondantes du
compte général. Le 1er juillet, elle reçoit un tableau
comparatif des recettes et des dépenses comprises
dans le compte général de l’année précédente avec
les comptes individuels et les résumés. Le tableau
est rapproché des déclarations de conformité et,
lorsque la Cour a reconnu l’accord de tous ces
documents, elle prononce en audience solennelle
une déclaration générale. C’est la déclaration qui
correspond à une gestion. A l’aide de ces mêmes
tableaux organisés pour un exercice, elle peut
émettre une autre déclaration de conformité, portant
cette fois sur l’exercice expiré, qui a déjà été
provisoirement vérifié par la commission mixte.
Nous donnons à titre d’exemple le résumé du
« compte définitif des dépenses à l’époque de la
clôture de l’exercice » du ministère de la Marine et
des Colonies présenté en vue du vote de la loi des
comptes de 1835 ; les dépenses correspondent aux
liquidations, c’est-à-dire aux dettes reconnues, alors
que sous l’Ancien régime, les dépenses étaient
généralement des paiements, et ce fait atteste à lui
seul les progrès de la comptabilité de l’État :
10 crédits accordés par le budget primitif et par les
lois spéciales 64 888 435,19
2° dépenses résultant des services faits — droits
constatés au profit des créanciers de l’État —
62 840 295,92
3° paiements effectués sur les ordonnances du
ministre 62 671 429,07
4° reste à payer sur les dépenses à la clôture de
l’exercice 168 866,85
5° crédits excédant les dépenses 2 048 152,70
6° dépenses excédant les crédits 13,43
Résultat pour le règlement définitif du budget de la
Marine et des Colonies :
7° crédits complémentaires à accorder 13,43
8° crédits non consommés par les dépenses, à
annuler définitivement 2 048 152,70
9° crédits à annuler pour les dépenses restant à
payer [elles seront payées sur les crédits de
l’exercice en cours 168 866,85
10° crédits définitifs de l’exercice 1835
62 671 429,07.
Les progrès de la comptabilité des comptables
Les trois ordonnances du 18 novembre 1817, qui
réorganisent la comptabilité du Trésor, prescrivent
la reddition des comptes des comptables par
gestion, avec la distinction des exercices (il n’y en a
plus que deux simultanément), la comptabilité des
ordonnateurs étant tenue par exercices budgétaires.
Les lois et règlements rendus sous la Restauration
ont fait l’objet d’une première instruction générale
« sur le service et la comptabilité des receveurs des
finances, des percepteurs* et des receveurs des
communes ou établissements de bienfaisance » déjà
épaisse et datée du 15 décembre 1826. La
publication de l’ordonnance du 31 mai 1838 sur la
comptabilité publique a conduit à une première
mise à jour de l’instruction, le 17 juin 1840, puis à
une deuxième le 20 juin 1859. Nous extrayons de
l’ordonnance de 1838 (et quelquefois du décret de
1862) des clauses intéressantes, surtout si l’on veut
comparer ces règles avec celles du siècle précédent.
On y verra l’extension que le contrôle a prise, tant
vis-à-vis du comptable que de l’ordonnateur :
l’expérience de l’Ancien régime a porté ses fruits.
L’ordonnance divise les comptables du Trésor en
cinq groupes : l’essentiel des comptables
subordonnés dits préposés à la perception des
revenus publics ; les receveurs et receveurs
généraux des finances* ; les payeurs du Trésor* ;
deux comptables spéciaux qui forment à eux deux
les deux derniers groupes, le caissier central du
Trésor et le comptable des virements de comptes
(comptable d’ordre).
Dispositions générales. Parmi les dispositions
applicables à tous les comptables, il en est une que
nous voyons apparaître pour la première fois en
1862. Il est dit en effet que l’emploi de comptable
est incompatible avec l’exercice d’une profession,
d’un commerce ou d’une industrie quelconque. A
cette époque, l’état de fonctionnaire n’empêche pas
toujours l’exercice d’une profession (ou d’une autre
profession, si l’on aime mieux). Le décret
mentionne l’existence d’incompatibilités spéciales
dans certains services publics. En revanche,
l’interdiction de prendre intérêt dans les
adjudications, marchés, fournitures et travaux
concernant les services de recette ou de dépense
que les comptables effectuent, est un rappel. La loi
confère une hypothèque légale sur les biens des
comptables pour la conservation des droits et
créances à exercer contre eux (cf. Code civil, article
2121 et loi du 5 septembre 1807). La Cour des
comptes ordonne mainlevée et radiation des
oppositions et inscriptions hypothécaires mises sur
les biens des comptables qu’elle juge quittes ou en
avance. Elle condamne les comptables en retard à
solder leur débet dans le délai de la loi. La Cour
peut réviser ses jugements sur la demande du
comptable qui produit des pièces nouvelles,
d’office ou à la réquisition du procureur général,
après la vérification d’autres comptes. Si la Cour
découvre des faux ou des concussions, elle en
informe le ministre des Finances et le ministre de la
Justice, en vue de poursuites pénales. Avant son
installation, un comptable doit justifier de la
113
 prestation de son serment et du versement du
cautionnement.
Tous les comptables sont responsables des droits
liquidés sur les redevables et dont la perception leur
est confiée ; ils demeurent chargés de la totalité des
rôles ou des états de produits fiscaux et ils doivent
justifier de leur entière réalisation avant la fin de
l’année qui suit celle à laquelle les droits se
rapportent, ou verser de leurs deniers les sommes
qui manqueraient, s’ils sont receveurs généraux ou
particuliers des finances. Pour ce qui est des autres
receveurs, l’autorité administrative distingue les
créances qui doivent rester à leur charge de celles
qui sont à reprendre à l’exercice suivant et de celles
dont les receveurs peuvent obtenir la décharge. Le
ministre statue sur les questions de responsabilité,
sauf l’appel au Conseil d’État. Lorsque les
comptables ont soldé de leurs deniers personnels les
droits des débiteurs, ils demeurent subrogés dans
les droits du Trésor, conformément aux dispositions
du Code civil.
Les résultats des comptabilités des comptables,
après avoir été contrôlés d’après les pièces
justificatives, sont récapitulés par classes de
comptables et chaque mois dans la comptabilité
centrale des Finances. Les écritures et les livres sont
arrêtés le 31 décembre ou à l’époque de la cessation
des fonctions, par des agents administratifs
désignés à cet effet. La situation de la caisse et du
portefeuille est vérifiée aux mêmes époques et
constatée par un procès-verbal. Le comptable dresse
le compte qui va servir de base aux jugements de la
Cour des comptes et l’envoie au ministère des
Finances dans les trois mois qui suivent sa gestion.
Il comprend deux parties, l’une relative aux
opérations complémentaires de l’exercice expiré,
l’autre aux opérations de la première année de
l’exercice courant. La direction générale de la
Comptabilité publique examine le document, afin
de constater la sincérité des résultats, de certifier sa
conformité avec les écritures tenues au ministère,
de faire compléter les pièces justificatives, en un
mot de mettre le dossier en état (c’est l’équivalent
de la procédure de l’état au vrai*) avant de le
transmettre à la Cour avec des résumés généraux
établis par classes de comptables et natures de
services. Le caissier-payeur central du Trésor fait
exception, ayant un contrôleur à demeure. Les
comptes individuels doivent être transmis à la Cour
dans les six mois qui suivent la fin de l’exercice ou
période pour lequel ils sont rendus. La Cour des
comptes vérifie et arrête les opérations des
comptables ressortissants et certifie au Parlement
d’après l’ensemble des comptes la sincérité des
comptes que rend le pouvoir exécutif. C’est un
pouvoir de contrôle ; si le fait constaté engage la
responsabilité d’un comptable, elle prend
directement les dispositions tendant à la restitution
des recettes omises et des sommes payées
indûment.
114
Dispositions applicables à certaines catégories de
comptables. Les comptables subordonnés sont tenus
de se libérer de leurs recettes aux époques et dans
les formes prescrites par les lois et règlements. Ils
acquittent les frais de régie, de perception et
d’exploitation qui sont ordonnancés sur leurs
caisses et ils les portent en dépense définitive dans
leurs comptes (et non plus en diminution de
recettes). Tout comptable chargé de la perception
de droits et revenus est tenu d’enregistrer les faits
de sa gestion dans les livres suivants : 1° un livre-
journal de caisse et de portefeuille où sont
consignés les entrées, les sorties et le solde de
chaque journée ; 2° des registres auxiliaires destinés
à présenter les développements propres à chaque
service ; 3° un sommier* ou livre récapitulatif
résumant ses opérations selon leur nature et
présentant sa situation complète et à jour. Les
sommes sont inscrites en chiffres, mais
l’ordonnance ne précise pas que la comptabilité doit
être tenue en partie double. Le versement d’un
percepteur à la caisse d’un receveur ou d’un payeur
donne lieu à la délivrance d’un récépissé à talon. Le
récépissé est libératoire s’il a été visé et séparé de
son talon dans les vingt-quatre heures par les agents
compétents. 11 est enregistré à la préfecture ou la
sous-préfecture en vue du contrôle mensuel par les
bordereaux détaillés des récépissés que les
receveurs doivent dresser. La libération du
comptable inférieur s’opère par la représentation
des récépissés du comptable supérieur qui justifient
le versement intégral des sommes qu’il était tenu de
recouvrer.
Le comptable principal chargé de la perception des
revenus indirects adresse chaque mois à la
Comptabilité publique un bordereau de ses recettes
et dépenses accompagné des pièces et revêtu de la
certification du directeur ou contrôleur local de son
service. Il présente à la Cour le compte* de sa
gestion en son nom et sous sa responsabilité.
Lorsqu’il n’existe pas de comptable principal dans
le département, les opérations des préposés sont
résumées par le directeur départemental du service
des contributions ou droits indirects ou par la
Comptabilité publique. Le comptable principal est
responsable des recettes et dépenses de ses
comptables subordonnés qu’il a rattachés à sa
gestion, mais sa responsabilité est limitée à la
fraction dont il a pu faire faire le versement ou
l’emploi. Lorsque des irrégularités sont constatées,
il peut suspendre le subordonné de ses fonctions et
le remplacer par un gérant provisoire, après en avoir
averti l’autorité administrative. L’application de ces
mesures appartient aux agents du service, si elles
frappent un préposé des douanes, des contributions
indirectes ou des postes.
Les receveurs particuliers et les receveurs généraux
des finances portent successivement le montant
intégral de leur recette au crédit d’un compte
courant du Trésor qui porte intérêt s’ils sont en
avance. Ce compte est débité des paiements et
versements faits pour le compte du Trésor et pour
lesquels ils doivent produire des acquits et
récépissés réguliers. Les receveurs particuliers
agissent sous la surveillance et la direction du
receveur général de leur département auquel ils
comptent de leurs opérations. Ils sont valablement
et définitivement déchargés de leurs recettes par les
avis de crédit de ce supérieur. Ils lui transmettent
tous les dix jours, ainsi qu’aux Finances, une copie
de leur journal et, à la fin du mois, la balance de
leur grand livre en partie double et les autres
documents exigés. Le receveur général produit de
plus un compte mensuel de ses recettes et de ses
dépenses, appuyé des pièces justificatives et d’états
de développement. Son compte annuel comprend
son compte propre, ceux des receveurs et préposés
des Finances et ceux des correspondants du Trésor
dans le département (sommes versées par le
département, les communes, hospices et autres
établissements et administrations). En cas de débet
d’un receveur particulier, le receveur général est
tenu d’en couvrir immédiatement le Trésor ; il est
alors subrogé à tous les droits du Trésor sur le
cautionnement, la personne et les biens du
comptable. Il peut se pourvoir auprès du ministre
afin d’obtenir une décharge de responsabilité, sauf
l’appel au Conseil d’État. Les deux classes de
receveurs répondent de la gestion des percepteurs
des contributions directes et sont de même tenus de
couvrir le Trésor des débets constatés à la charge de
ces préposés.
Les payeurs du Trésor reçoivent des recettes
générales et de la caisse centrale du Trésor les fonds
dont ils ont successivement besoin. Les receveurs et
percepteurs concourent au besoin aux paiements
des lettres d’avis et mandats revêtus du « bon à
payer» du payeur, et des autres pièces en tenant
lieu. La quittance régulière et datée de chaque partie
prenante suffit à dégager la responsabilité du
comptable qui a payé. Les acquits de ces paiements
sont envoyés à la recette puis à la recette générale
pour remise au payeur, qui en délivre des récépissés
à talon. Les écritures des payeurs sont tenues en
partie double. Ils tiennent registre, sur des « carnets
d’ordonnances », des montants des ordonnances*
de délégation, de l’émission des mandats de
paiement* et des paiements faits. Avant de procéder
aux paiements, les payeurs s’assurent, sous leur
responsabilité, 1° que la dépense porte sur des
ordonnances de délégation transmises par le Trésor,
en original ou en extrait, et que le montant cumulé
de ces ordonnances n’est pas dépassé ; 2° que l’avis
d’émission des mandats leur a été fourni par
l’ordonnateur secondaire ; 3° que toutes les pièces
justificatives ont été produites à l’appui de la
dépense ; 4° que les ordonnances et mandats sont
quittancés par les parties prenantes. Deux textes du
Consulat disposent que les comptables sont
responsables de la réalisation des recettes aux
termes fixés par les obligations souscrites (loi du 27
novembre 1799, 6 frimaire an VIII) et exercent un
contrôle fonnel sur les dépenses, portant sur
l’exactitude matérielle des paiements et de
l’encaisse (arrêté des consuls du 28 avril 1802, 8
floréal an X). Les clauses de l’ordonnance de 1838
que nous avons rappelées donnent la mesure du
contrôle exercé sur les ordonnateurs en dépense. Si
le comptable refuse de payer, il remet au porteur
une lettre avec les motifs qu’il invoque et en
adresse copie au ministre. L’ordonnateur peut
suppléer à l’insuffisance des pièces ou, pour la
solde des troupes, à l’insuffisance des crédits, par
une réquisition écrite, à laquelle le comptable doit
déférer et qu’il annexe à l’ordonnance ou au
mandat, en rendant compte au ministre des
Finances, afin de décharger sa responsabilité. En
cas de rejet d’un paiement par la Cour des comptes,
l’administration statue sur le recours à exercer
contre la partie prenante et sur les mesures à
prendre à l’égard du comptable. Cependant, la Cour
n’a pas le droit de refuser aux payeurs l’allocation
de leurs paiements faits sur ordonnance ou mandat
régulier accompagné de ses pièces car cela
reviendrait à juger un ordonnateur. B.L.
Bibliographie : Bouchard L. (1891). Isaïa H. et
Spindler J. (1986). Say L. (1889-1894). Lutun
(2007). Stourm R., Cours de finances. Le budget
[son histoire et son mécanisme], Paris, Guillaumin,
1889.
Comptabilité camérale
Les racines de la comptabilité camérale remontent
au Moyen Âge et sont liées à l’administration du
patrimoine domanial du prince confiée à la chambre
{caméra). La comptabilité camérale est une
comptabilité en recette, dépense et reprise*.
Appliquée au domaine* du prince, la tenue des
livres a d’abord cherché à rendre compte des
recettes et des dépenses tirées des biens-fonds selon
leur origine en établissant des rubriques* ou
chapitres. Elle s’est diversifiée avec le
développement de l’Etat princier, de sa fiscalité et
de ses dettes. Avant le XXe siècle, la comptabilité
camérale a connu trois grandes phases de
développement. Entre 1500 et 1760, on parle de
comptabilité camérale ancienne. Celle-ci ne se
distingue pas foncièrement des comptabilités en
finances observées dans les autres Etats européens.
Entre 1760 et 1810, la comptabilité camérale est
entrée dans une phase nouvelle, grâce aux
améliorations de Johannes Mathias Puechberg*,
relayé à Gôttingen par le docteur Müller et à
Heidelberg par Johann Heinrich Jung*. La
troisième phase démarre vers 1810 avec notamment
les travaux de C.H. Eschenmayer, plus tard de J.
Schrott.
Dans la première période, la comptabilité se fondait
pour chaque recette, sur un livre* de caisse, dans
115
 lequel le caissier inscrivait chronologiquement les
faits tant en recettes qu’en dépenses, un registre*
dans lequel les mêmes faits étaient résumés et
rapportés par rubriques, et un compte annuel, qui
résumait le livre* des rubriques. Le compte général
était obtenu à la chambre des comptes par la somme
des comptes annuels des différentes branches de
revenus de l’administration. Ainsi était organisée la
comptabilité en Prusse* notamment. L’Autrichien
Puechberg* fit remarquer cependant que la même
personne tenait le livre* de caisse et le livre* de
rubriques, ce qui fait qu’ «on devait croire le
comptable sur parole ». En outre, la formation des
extraits* (Monatsextracten) du journal ne
permettait pas de se procurer des connaissances
utiles sur l’exécution du budget*, parce que ces
relevés, contrairement aux bilans mensuels
(cameralischen Monatsabschlusse) que Puechberg*
se proposait de mettre en place, ne répondaient pas
à la question : « combien, pour chaque rubrique,
est-il entré ou sorti de la caisse pendant ce mois
particulier ?». Dès lors, la compilation des extraits
ne permettait pas davantage de composer un compte
annuel véritable.
Les améliorations de Puechberg donnèrent
naissance à la comptabilité camérale nouveau style
qui est, dans ses fondements théoriques, une
adaptation de l’esprit de la comptabilité en partie
double* à la comptabilité publique : « Un des buts
les plus importants de la nouvelle comptabilité
d’Etat (Staatsbuchführung) est de donner aux
autorités administratives une vision claire des
finances. Voilà pourquoi la Chambre des comptes*
s’est occupée de rendre cette matière plus commode
et plus compréhensible. Dans cette intention, elle a
rédigé le « bilan annuel caméral », lequel est
présenté avec précision. Chacun, même celui qui est
peu renseigné sur les méthodes comptables, peut y
porter attention, comme si les moyens de la
comptabilité en partie double* étaient acquis. Au
moyen de ce bilan* annuel caméral, la connaissance
de la tenue en partie double* devient entièrement
superflu pour les administrateurs. Un tel instrument
reste dans les mains de la Chambre des comptes*».
Pour ce faire, Puechberg* reprend donc les outils
existants en Autriche à son époque : le journal de
caisse et le journal des mandats (de liquidation),
mais en perfectionne l’utilisation. Il souligne la
nécessité de séparer la comptabilité de caisse* et la
comptabilité de contrôle* en soumettant ces
journaux à l’inspection d’un comptable* qui
prendrait soin de connaître quels sont les
engagements (Schuldigkeiten) de l’Etat. Ce
comptable* doit donc tenir le livre* principal
(.Hauptbuch) divisé en « dettes », « paiements » et
« compensations », ainsi qu’en « obligations de
paiement », « mises en paiement » et « retards de
paiement ». Chaque mois, il doit se rendre au greffe
pour prendre connaissance des expéditions
concernant la comptabilité des revenus qu’il est
116
chargé de suivre. Quand le comptable* enregistre
un ordre de recette, il l’inscrit sur le livre* des
rubriques puis passe le document au caissier pour
qu’il en perçoive le montant. Si le comptable*
reçoit un mandat* de dépense, il le remet à l’ayant-
droit qui pourra prélever le montant à la caisse. Le
caissier inscrit les opérations dans son livre* de
caisse au fur et à mesure qu’elles se produisent.
Tous les mois, il remet son livre* de caisse au
comptable* qui reporte les opérations dans son
livre* de rubriques ; se faisant, il fait apparaître de
suite les sommes ordonnancées vis-à-vis desquelles
il n’est porté aucune somme dans la colonne des
recettes et des dépenses effectuées ; ces sommes
forment alors les restes* actifs (recettes à encaisser)
et les restes passifs (dépenses à payer). Ainsi le
comptable* est en mesure de dissocier les recettes
et dépenses ordonnancées des recettes et dépenses
réellement effectuées. Chaque mois, il renseigne la
direction générale des caisses qui établit son rapport
pour le ministre des finances. Au niveau central,
Puechberg* préconise la tenue de trois espèces de
livres : les livres auxiliaires (Hülfsbücher), les
Scontri et le Summario ou Hauptbuch (le grand
livre* du centre). Les livres auxiliaires sont les
livres qui enregistrent dans les provinces le montant
du service et le paiement des dépenses mandatées
sur chaque caisse*, comme on vient de l’indiquer.
Les livres des soldes et des pensions qui reprennent
l’identification de tous les bénéficiaires de
mandats* sur une caisse, les livres de régiments,
mais aussi les livres permettant d’évaluer le capital
actif et passif de l’Etat, comme les livres des
anticipations*, les livres de crédit pour les
obligations ordinaires... Mais l’auteur estime que
cette transcription des articles de journaux de base
dans les livres auxiliaires ne suffit pas pour donner
une connaissance claire de la situation de la
trésorerie, il faut encore rassembler les données
dans des Scontri dénommés exactement
«Sammlungs-Rubricken-und-Kasse Scontri »,
comptes généraux dont la formation permet de
vérifier l’exactitude des livres auxiliaires. La
méthode de Puechberg formait donc un mode de
contrôle interne propre à supprimer les erreurs*. Il
permettait de voir en tout temps comment le
budget* s’exécutait. Il établissait une représentation
de la réalité comptable. Enfin, dans un tel système
où la balance* entre les recettes et dépenses est
systématiquement établie, même pour les avances*
traitées comme des obligations de paiement
0Schuldigkeiten), l’Etat donne des gages de
confiance, de rigueur financière susceptibles de
satisfaire les créanciers dont il est l’obligé. « La
connaissance de ce qui se passe se fonde sur la
prescription exacte des engagements. Le fait
comptable ne peut être présenté qu’à travers une
observation permanente de temps à temps (von zeit
zu zeit) de l’exécution des engagements. Le rapport
final qui résulte de la comparaison entre
l’engagement et l’exécution montre le résultat*
(Résultat)».
La comptabilité camérale n’était pas appelée à être
employée dans les exploitations en régie* sans
donner des renseignements fiables sur la situation
économique et financière de ces dernières. Il fallut
donc l’adapter aux services industriels et
commerciaux publics dont les résultats se traduisent
par un bénéfice ou une perte. Les premiers essais
d’adaptation de la comptabilité publique camérale
pour atteindre ce but ont été faits en Autriche* à
partir de 1812, mais il faut préciser, à l’aide des
travaux de Marie-Lucie Rossi sur les registres des
grands patrimoines fonciers en Italie entre 1748 et
1922, que l’on repère l’émergence d’une
comptabilité de la valeur et des coûts d’exploitation
à partir non pas de la pratique de la comptabilité
mercantile, mais bien de l’administration
économique du patrimoine foncier dès le milieu du
XVIIIe siècle. Le développement de la science de
l’estimation du revenu agricole dans tout le
territoire habsbourgeois, et notamment chez les
caméralistes italiens (voir F. Villa*), a contribué à
la définition du compte économique annuel portant
un bénéfice (conti di speculazione). La méthode
sera finalisée plus tard pour les régies économiques
de l’Etat par Josef Schrott dont l’essai, Lehrbuch
der allgemeinen Verrechnungswissenschaft, publié
à Vienne en 1871, proposera de diviser les recettes
et dépenses en deux groupes, les recettes et
dépenses d’exploitation qui augmentent ou
diminuent le bénéfice net final, et celles qui n’ont
pas d’influence sur ce bénéfice. On notera enfin que
C.A. Malchus* oppose formellement, dans son
traité de 1830, la comptabilité camérale à la
comptabilité en partie double. M.-L. L.
Voir Autriche, Jung-Stilling, Prusse, Puechberg,
Recette, Dépense et reprise, Villa
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 70.
Puechberg J.M. (1772). Jung-Stilling J. (1786).
Malchus C.A., vol. 2 (1830), § 25, p. 137.
Bibliographie : Filios V.P. (2006). Forrester D.
A.R., (1990). Meyer P. (1923). Monsen N. (2002).
Iiaigh de Poor L. (1936). Rossi M.-L. (2010). Walb
E. (1926).
Comptabilité d’exercice
Voir Exercice
Comptabilité en partie double
Voir Partie double
Comptabilité en partie simple ou en
débit et crédit
Voir Partie simple
Comptabilité en Recette, dépense,
reprise
Voir Recette, dépense, et reprise
Comptabilité industrielle, comptabilité
manufacturière
En 1819, dans l’un des tous premiers traités de
gestion, intitulé Vue sur le système général des
opérations industrielles ou plan de technonomie,
Gérard Christian, directeur du Conservatoire royal
des arts et métiers, précise le contenu de la notion :
« Les règles de cette comptabilité [manufacturière]
portent principalement sur l’exactitude rigoureuse
et persévérante du calcul des Irais généraux
d'établissement, des frais d'entretien, de réparation,
de l’usure graduelle des instrumens, machines,
appareils, de tous les élémens des frais d’achat, de
vente, d’emmagasinage, de pertes diverses,
annuelles, etc. La somme de tous ces frais doit être
ajoutée aux dépenses directes de fabrication, pour
établir avec justesse le prix auquel reviennent les
produits fabriqués». En effet, en sus de ce que
pouvait déjà fournir la comptabilité marchande* en
partie double*, en termes de suivi de la trésorerie,
des créances, des dettes et de l’exécution des
opérations commerciales, l’industrie avait besoin
d’un outil d’observation et de mesure lui permettant
de calculer ses prix de revient. Une information
essentielle, tant à la prise de décision stratégique
qu’au contrôle du fonctionnement quotidien.
Il faudra cependant attendre pas mal de temps pour
que le programme tracé par Gérard Christian soit
effectivement réalisé, on peut d’ailleurs considérer
que la délicate question de l’appréciation de la part
des charges indirectes dans le coût final des
produits n’a toujours pas reçu de réponse
pleinement satisfaisante. Sa définition montre
cependant que les principaux concepts de l’analyse
des coûts sont alors connus, mais sont-ils pour
autant manipulés par les entrepreneurs, et ce dans
un cadre comptable approprié ? Car c’est une chose
que de calculer un coût prévisionnel, en prenant en
compte ces divers éléments, mais c’en est une autre
que de disposer d’un système de comptabilité qui
fournisse directement des prix de revient effectifs.
De fait, c’est vers la fin du XVIIIe siècle et le début
du XIXe, que quelques entreprises réalisent la
transposition à l’activité industrielle du mode de
suivi comptable des différentes phases d’une
opération commerciale. Le suivi des flux internes à
l’entreprise, par le jeu d'une série de comptes
appropriés, livre une représentation comptable du
processus de production et permet l’analyse de la
formation du coût des produits fabriqués, comme
addition de coûts engagés aux différents stades de
ce processus, ainsi que le contrôle des responsables
successifs. C’est sous la Restauration que sont
publiés les premiers ouvrages consacrés à ces
méthodes : VEssai sur la tenue des livres d'un
manufacturier, d'Anselme Payen, en 1817, la Tenue
des livres des maîtres de forges, d’Edmond
Degrange fils, en 1824, et le Traité général et
117
 sommaire de la comptabilité commerciale de
Pierre-Antoine Godard, en 1827, dans lequel une
vingtaine de pages, fondamentales exposent les
principes de la comptabilité industrielle. Deux de
ces auteurs sont des entrepreneurs et parlent
d’expérience, Payen possède une usine de produits
chimiques à Paris, tandis que Godard, également
auteur d’un ouvrage intitulé Mémoire et
propositions sur la comptabilité générale des
finances du royaume suivis d'un modèle de compte
général, édité en 1821, dirige les Cristalleries de
Baccarat.
Si à partir des années 1830, la plupart des grandes
entreprises industrielles adoptent la partie double et
commencent à mettre en place des systèmes de
calculs de coûts analogues à ceux que propose cette
littérature, voire parfois plus élaborés, la situation
est bien différente au XVIIIe siècle. Ainsi que
l’écrivait Pierre Léon : « les méthodes comptables
sont, le plus souvent, très flottantes, et la comp­
tabilité à parties doubles est ou ignorée, ou
appliquée sans discernement, ni continuité... Les
bilans sont, en effet, médiocrement présentés. Ils
sont généralement conçus comme des comptes de
recettes et de dépenses, négligeant les problèmes
d’amortissement ou d’intérêt du capital, dispersant
les investissements ». L'examen d'archives
d’entreprises confirme le diagnostic mais on peut
cependant repérer des différences de pratiques selon
les secteurs d’activité. L’usage de la partie double*
semble général dans l’industrie textile, alors que les
compagnies minières, les entreprises métallurgiques
ou les verreries utilisent plus souvent la tenue des
comptes par recette, dépense et reprise* ou en
charge et décharge. Cette dualité n'est pas
spécifique à la France, on la retrouve par exemple
en Grande-Bretagne.
Le choix du modèle comptable s’explique à la fois
par l’appartenance sociale et culturelle des
apporteurs de capitaux et par les traditions et
conditions d'exploitation propres à chaque branche
d'activité. La tenue des comptes par recette et
dépense est déjà le modèle comptable des
entreprises minières ou métallurgiques qui
prolongent le domaine seigneurial, il devient celui
des premières sociétés de capitaux formées dans ces
secteurs car le financement vient essentiellement de
la noblesse et des financiers. En revanche, le
secteur textile se développe grâce au capital
marchand et la partie double y règne de façon
incontestée. Doit-on cependant considérer qu’il y a
simplement un retard technologique de la part de
certains secteurs, retard qui s’expliquerait par des
caractéristiques structurelles et des phénomènes de
mimétisme ? N’est-ce pas au contraire le résultat
d’une démarche parfaitement rationnelle ?
Les compagnies minières
Si le sous-sol appartient au roi, la noblesse l’a
presque toujours exploité, sans contraintes particu­
118
lières, en vertu des anciens droits seigneuriaux. Un
arrêt du Conseil d'État du 14 janvier 1744 réaffirme
le droit du roi et soumet l’exploitation à une autori­
sation expresse du Contrôle général des finances.
L’un des objectifs de ce texte est de mettre fin au
gaspillage auquel conduisait l’exploitation par une
multitude de petits propriétaires et il provoque en
effet un important mouvement de concentration et
de rationalisation ; grâce à leurs relations à la Cour,
les grands propriétaires nobles obtiennent les
principales concessions mais ils répugnent à se
lancer dans l’aventure en solitaire. L’importance
des investissements, la longueur des recherches et
l’absence de profits immédiats rendent nécessaire la
constitution de sociétés de longue durée, destinées à
drainer des capitaux importants. On crée des
compagnies dont les parts sont le plus souvent
placées auprès de la noblesse et c’est dans ce
secteur que l’on voit apparaître les premières
véritables sociétés de capitaux industrielles, dans
lesquelles la responsabilité des associés est limitée
et dont les titres sont librement cessibles, comme la
Compagnie des Mines du Bourbonnais, constitué en
1786.
L’aristocratie, on l’oublie parfois, est donc à
l’origine de la plupart des grandes entreprises
minières de l'époque et aux commandes d'un des
secteurs les plus dynamiques, tant par les
techniques — utilisation précoce de la machine à
vapeur — que par les formes de mobilisation du
capital. Mais ce secteur, éminemment capitaliste,
ignore manifestement la comptabilité en partie
double. Si l’on s’en remet aux dispositions
contenues dans leurs statuts, pas une seule des
quinze sociétés énumérées ci-après, créées entre
1721 et 1799, ne prévoit d’utiliser la partie double.
En revanche, treize prévoient explicitement de tenir
une comptabilité en recette et dépense ; la noblesse
demande simplement aux directeurs de ses
établissements miniers qu’ils rendent leurs comptes
de la même façon que les régisseurs de ses
domaines. Les compagnies considérées sont les
suivantes : Société Taffin et Desandrouin à Anzin
(1721), Mines de Poullaouen et du Huelgoat
(1732), Compagnie des mines de Bourgogne et
d'Alsace (1733), Compagnie des mines de
Chatellux (1741), Société des mines de Pontpéan
(1754), Compagnie d'Anzin (1757), Compagnie des
mines de Roche la Molière (1766), Société des
mines de Chatelaudren (1768), Compagnie
d'Aniche (1773), Compagnie des mines de Baïgorry
(1777), Compagnie des mines de Decize (1782),
Compagnie des mines des environs de Paris (1785),
Société des mines du Bourbonnais (1786),
Compagnie des mines de Roche la Molière (1791),
Société des mines de Meulers (1799).
Industrie métallurgique
Noblesse et finance jouent un rôle considérable
dans ce secteur. Les financiers sont souvent
présents dans les établissements qui fournissent la
Marine Royale et l'Année, certains aristocrates sont
propriétaires de forges qu'ils exploitent pour leur
propre compte ou qu'ils afferment, tandis que
d'autres sont actionnaires des grandes sociétés
métallurgiques de la fin du siècle. Cette
prédominance de la noblesse est largement établie,
mais elle est loin d'être homogène. On a
simultanément un secteur archaïque, simple
survivance du domaine seigneurial, et un secteur
techniquement très avancé. Dans celui-ci, des
techniciens, parfois anoblis de fraîche date, comme
le chevalier François-Ignace de Wendel, sont
commandités par la haute finance, la noblesse de
cour et le Roi lui-même. Relativement aux modèles
comptables utilisés, le schéma est moins simple que
précédemment. Lorsqu'une forge est exploitée en
faire-valoir direct par son propriétaire noble, les
comptes sont tenus en recette et dépense. Il en est
ainsi des Forges d'Allevard appartenant à la famille
Barrai, ou de celles de Moisdon, propriété du Prince
de Condé. C'est également un « compte en charge et
décharge que M. Robert Dubourg, Directeur, rend à
Messieurs les seigneurs propriétaires des Forges et
forêt de Brécilien », un établissement partagé entre
treize seigneurs copropriétaires et plus connu sous
le nom de Forges de Paimpont. Lorsque l'usine est
affermée, le fermier tient ses comptes comme il
l'entend et la formation qu'il a reçue joue un rôle
essentiel. En 1661, Philippe-Michel Anthès, qui a
effectué son apprentissage dans des maisons de
commerce d'Heidelberg et de Bâle, devient
directeur des Forges et fonderies de Belfort,
propriété du duc de Mazarin affermée à des
marchands de la région. Les archives qu’il a
laissées comprennent un journal couvrant la période
1682-1684, issu de cette entreprise, qui constitue, à
notre connaissance, l'exemple français le plus
ancien de comptabilité industrielle tenue en partie
double.
Par ces gens de culture marchande devenus maîtres
de forges, la technique italienne pénètre l'industrie
métallurgique. Si l'on se réfère à leurs statuts, les
deux sociétés qui se succèdent à Indret, près de
Nantes, et au Creusot — Fonderie royale d'Indret et
de Montcenis (1782) puis Manufactures royales
d'Indret, de Montcenis et des Cristaux de la Reine
(1786) — tiennent leurs comptes en partie double.
En fait, dans cette entreprise considérée comme la
plus moderne de la fin du siècle, il semble bien que
les deux méthodes cohabitent. Parmi les quelques
documents conservés nous trouvons un bilan en
doit et avoir, au 1er septembre 1785, effectivement
issu d'une comptabilité en partie double, mais aussi
un compte de la recette et dépense pour la fonderie
royale du Creusot, du 1er octobre 1781 au 1er no­
vembre 1785, divisé en chapitres par nature de
recette et de dépense. Cette dualité a certainement
son utilité et ne fait que traduire les insuffisances
respectives des deux modèles au stade auquel ils
sont parvenus.
L'industrie textile
Industrie de transformation, cette branche s'insère
dans un circuit approvisionnement - distribution qui
la rend directement dépendante du négoce. Le
marchand finance l'achat de la matière première, la
remet aux artisans qui la travaillent, puis revend le
produit fini, d'où l'appellation de marchand-
fabricant. En passant du travail à domicile à la
manufacture, il n'y a guère de changement : le
capital marchand continue à financer l'essentiel de
cette activité. De façon quasi naturelle, le mode de
comptabilité adopté ou, pour le moins, proclamé et
souhaité, est celui du commerce, y compris dans les
premières manufactures créées sous l'impulsion de
Colbert et dans lesquelles dominent les financiers.
Au Château de Madrid, où des marchands comme
Hindret et les frères Pocquelin voisinent avec des
fermiers généraux, la rédaction des clauses reflète
la double influence : « Pour tenir ordre et avoir
connaissance à toute heure de l'état des affaires de
la présente société, il sera établi des commis à ses
frais, lesquels commis tiendront la caisse et les
livres de compte à partie double qu'ils seront tenus
de représenter pour rendre compte de leur recette et
dépense toutes les fois que les associés le
demanderont ».
Retard ou rationalité
Les mines et le textile représentent donc des cas
typiques, certaines caractéristiques techniques et
économiques de l'activité confèrent une origine
particulière à son financement, lequel détermine le
choix du modèle comptable initial. Celui-ci est
ensuite considéré comme nonnal et adopté d'emblée
par toute nouvelle entreprise du secteur. Mais le cas
de la métallurgie nous a montré que la partie double
exerçait un attrait de plus en plus fort sur les
entreprises industrielles. On aurait tort cependant de
considérer la comptabilité en recette et dépense
comme un archaïsme et l'utilisation de la partie
double comme le gage de la modernité, de même
que l'on ne saurait réduire le choix de la première
au simple effet de la routine, de l'ignorance, ou
encore du mépris pour tout ce qui touche de près ou
de loin à la marchandise. Il est certain que toutes
ces explications contiennent une part de vérité,
d'autant que le cloisonnement entre les différents
univers culturels de la noblesse, de la finance et de
la marchandise était bien réel. Dans l'esprit de
beaucoup d'industriels du moment, la comptabilité
en partie double reste attachée à l'exercice de la
seule activité commerciale. Lorsqu'il s'agit de
l'adopter à la manufacture de Saint-Gobain, on parle
à son propos de livres tenus en commerce. Mais il
semble néanmoins que le modèle financier n'aurait
pas été retenu par autant de sociétés importantes s'il
n'avait fourni un système relativement adapté à la
119
grande industrie naissante, s'il ne lui avait offert un
cadre approprié à sa gestion. Un cadre dont n'avait
nul besoin le commerce traditionnel, même dans le
cas de grandes maisons de négoce.
Car beaucoup plus qu'un mode de tenue des livres,
la comptabilité en recette et dépense un mode de
reddition des comptes*. L'ensemble de
l'organisation comptable et des procédures de
contrôle a pour but de s'assurer de l'intégrité du
comptable ou, pour le moins, de se prémunir contre
les risques de détournement de fonds, par la
production du compte final, pièces justificatives à
l'appui, et son audition. Ce qui vaut dans le cadre
des finances publiques s'applique à la gestion des
biens privés. Centré sur la notion de responsabilité,
le modèle financier répondait, dans son esprit, à
certains besoins des premières sociétés de capitaux,
du fait de la séparation entre la propriété du capital
et la gestion, à laquelle s’ajoutait souvent une
délégation de pouvoir rendue inévitable par
l'éloignement des lieux de production. Le système
de la régie correspondait à ce type de situation, au
besoin on séparait les fonctions en nommant un
directeur et un caissier, reproduisant ainsi la
distinction ordonnateur - comptable. Généralement
tenu de verser une caution, ce caissier était
responsable, sur ses propres deniers, des fonds que
lui confiait la société et devait rendre compte de sa
gestion.
Mais le compte annuel destiné à la décharge du
caissier doit aussi permettre de porter un jugement
sur la gestion. Instrument de contrôle interne de la
comptabilité et non du comptable, le bilan de la
partie double* n'est encore souvent qu'une simple
balance de soldes, un état des effets actifs et passifs
qui ne fournit aucune explication dynamique. La
comparaison de deux bilans successifs ne permet
pas de savoir comment on est passé de l’un à l’autre
et donc de juger de la pertinence des décisions
prises dans l’intervalle. Il faut pour cela connaître
les flux, le montant des charges engagées pour
réaliser telle ou telle opération, le montant des
produits qui en est résulté. La partie double peut
fournir de tels renseignements mais au stade où elle
est rendue au XVIIIe siècle, elle ne le fait pas. Le
compte de profits et pertes n'est que le réceptacle de
résultats partiels et il faut remonter vers les comptes
dont ils proviennent pour retrouver les données de
l'exploitation.
En revanche, s'il est correctement préparé, le
compte en charge* et décharge peut livrer ces
informations. Il présente généralement une
répartition des recettes et des dépenses par nature
mais rien n’interdit d’effectuer une première
ventilation de ces recettes et dépenses selon leur
objet et de pouvoir ainsi les comparer, activité par
activité. On a souvent souligné que cette méthode
ne pouvait aboutir à un calcul de résultat* correct,
mais l'excédent de trésorerie est un indicateur
parfois plus pertinent qu'un résultat comptable
120
obtenu au prix d'évaluations discutables. Certes,
elle laisse de côté les questions d'amortissement
puisqu'elle n'offre pas la possibilité d'effectuer un
suivi comptable des équipements utilisés mais la
partie double du moment ne s'en soucie guère
davantage. Le mode traditionnel des finances se
révèle donc assez bien adapté aux besoins de ces
sociétés des débuts de l’industrialisation.
Il est certain cependant qu’il ne possède pas
l’efficacité instrumentale de la partie double, dès
lors que la gestion commerciale se complexifie —
dans les débuts de son activité, l’entreprise
industrielle n'a que peu de clients et, si elle est
placée en amont de sa filière, pas ou peu de
fournisseurs, mais les choses changent rapidement
lorsqu’elle se développe — et que l’on souhaite
également disposer d’un outil de calcul des coûts
efficient. Ses derniers utilisateurs, franchiront le pas
sous la Restauration, comme la Manufacture de
Saint-Gobain, qui opère la transition en 1820, ou
encore les Forges de Doulevant le Château et les
Mines du Poullaouen et du Huelgoat en 1830, les
Forges d'Allevard en 1831 et les Forges et hauts
fourneaux de Saint-Vincent de Mercuze en 1838.
Y.L.
Sources : AD, Ille et Vilaine, C 1478, Forges de
Brécilien, 1776-1784. AN, Minutier central. XC
476, Acte de société en commandite Baron neveu,
Sallé et Cie, 29 janvier 1778. AN, F14 7593.
Compagnie des Mines du Bourbonnais, acte de
société, 18 mai 1786. AN, F14 4504 et 4505.
Manufacture des Cristaux de la Reine, d'Indret et du
Mont-Cenis, 1785-1786. Musée du fer (Ccstifm),
Nancy, Archives d'Anthés, n° 26. Comptes de la
forge de Belfort, journal, 1682-1684. Degrange E.,
Tenue des livres des maîtres de forges, Paris,
Aimmé André, 1824. Gérard C., Vue sur le système
général des opérations industrielles ou plan de
technonomie, Paris, Mme Huzard, 1819. Godard P.-
A., Traité général et sommaire de la comptabilité
commerciale, Paris, Librairie du commerce, 1827.
Payen J.-.C., Essai sur la tenue des livres d'un
manufacturier, Paris, 1817.
Bibliographie : Lemarchand Y., « Style mercantile
ou mode des finances, le choix d'un modèle
comptable dans la France d'Ancien régime »,
Annales Histoire Sciences Sociales, 1995, n° 1,
janvier-février, p. 159-182. Lemarchand Y.,
« Operating costs in Merchant Bookkeeping
Systems around 1800 » in Hoock J., Reininghaus
W. (dir.), Kaufleute in Europa, Dortmund,
Westfâlischen Wirtschaftsarchiv, 1997, p. 121-136.
Lemarchand Y. (1993). Léon P., «La réponse de
l'industrie », in Histoire économique et sociale de la
France, t. II, Des derniers temps de l'âge
seigneurial aux préludes de l'âge industriel (1660-
1789), Paris, PUF, 1970. p. 217-266. Nikitin Marc,
La naissance de la comptabilité industrielle en
France, Thèse, Paris IX, 1992. Nikitin Marc, « The
birth of industrial accounting in France : the rôle of mesures et les qualitez de la marchandise, autant
P.A. Godard-Desmarest (1767 - 1850) as strategist, qu'il conviendra pour le commerce dont il entend se
industrialist, and accountant at the Baccarat mesler. » L’acquisition de ces connaissances passe
Crystalworks», Accounting, Business and Financial certes par l’apprentissage mais la formation des
History, 1996, vol.6/1, p. 93-110. Pauly-Charreyre négociants et de leurs commis ne peut se limiter à la
E., « Recherches et documents nouveaux sur la seule transmission orale des savoirs au sein du
Manufacture privilégiée de Colbert », Histoire des comptoir. Certaines techniques, dont la
entreprises, vol., n° 7, 1961, p. 41-73. Taylor comptabilité, nécessitent le recours à d'autres
G.V., « Types of capitalism in eigteenth-century vecteurs ; les leçons d'un maître spécialisé et l’étude
France". The English Historical Review, des manuels viennent apporter les indispensables
vol. LXXIX, n° 312, 1964, p. 478-497. compléments.
Même si les petites écoles leur font une
concurrence de plus en plus forte dans le domaine
Comptabilité marchande
de l’apprentissage de l’écriture, à partir de la fin du
Les mécanismes de base des systèmes comptables
XVIIe siècle, il est vraisemblable que les maîtres
utilisés aujourd'hui viennent du monde du négoce.
écrivains et les arithméticiens, organisés ou non en
Entre les XIVe et XVIIIe siècles, l'Europe
coips de métiers, continuent d’assurer l’essentiel de
marchande a su forger un outil perfectionné et se
l’enseignement de la tenue des livres et des autres
donner un langage commun ; la tenue des livres à
matières du commerce. C’est ainsi qu’à Marseille,
l'italienne est devenue l'un des éléments clés du
par exemple, où selon Charles Carrière « dès le
bagage professionnel du négociant européen. C’est
début du [XVIIIe] siècle, des commerçants
en ce sens que l’on peut parler de comptabilité
d'importance secondaire, plus marchands que
marchande, avant que les Etats et les industriels ne
négociants, pratiquaient la partie double comme une
s’emparent de la technique et l’adaptent à leurs
technique très familière », cet enseignement semble
besoins, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles.
relativement développé. Selon un mémoire des
S’il est vrai que l’on trouve dans les fonds
échevins marseillais, rédigé en 1726, dont Carrière
d'archives commerciales européens diverses formes
rapporte les termes, il y a alors « plus de cent
de comptabilités allant des plus rudimentaires aux
[écoles particulières] qui sont des grandes écoles
plus sophistiquées, sauf exception c’est la méthode
d'arts libéraux dépendant du commerce, dont ceux
de tenue des livres en partie double* que l’on
qui les tiennent se qualifient maîtres écrivains jurés,
pratique chez les négociants dont l’activité dépasse
en l'art de l'arithmétique, d'écrire, tenir les livres de
le cadre régional ou national. C’est un instrument
commerce à double et à simple partie et montrer les
qui semble indispensable au grand négoce, non
changes étrangers..., et où les jeunes hommes
seulement pour le suivi des créances, des dettes et
destinés au commerce, à la banque, au change...
de la trésorerie, ce que permettrait une comptabilité
vont apprendre. »
en partie simple, mais aussi pour celui des multiples
Quant à la littérature technique à destination des
opérations menées simultanément, isolément ou à
marchands, le recensement réalisé à l’échelle
plusieurs : transactions commerciales, armements
européenne par Pierre Jeannin, Jochen Hoock et
de navires et voyages, assurances, prêts à la grosse
Wolfgang Kaiser montre toute son ampleur. Un
ou encore opérations de change et arbitrages.
dénombrement encore partiel, effectué par Pierre
Essentiellement au service du pilotage de l’activité,
Jeannin en 1991, donnait pour la période 1501-1800
si cette comptabilité produit des informations à
et pour l’ensemble du continent 760 éditions de
destination des tiers, c’est de manière ponctuelle et
manuels comptables (un manuel pouvant être
limitée, dans le cadre d’activités impliquant
l’objet de plusieurs éditions), dont 67 réalisées en
plusieurs partenaires et donnant lieu à reddition* de
France. Nous nous contenterons de citer ici, parmi
comptes. Utilisée par l’ensemble des grandes
les auteurs français de ce type d’ouvrages,
maisons du négoce international, ses formes se
quelques-uns des plus représentatifs : Pierre de
retrouvent à l'identique ou presque dans la plupart
Savonne, Claude Irson*, Mathieu de La Porte, dont
des pays européens. On constate ainsi que dans le
Le guide des négocians et teneurs de livres connut
cadre de chaque type particulier d'opérations, les
cinq rééditions et des traductions en italien et en
modes de reddition des comptes entre partenaires ne
portugais, et La science des négocians et teneurs de
varient guère d'un pays à l'autre.
livres 22 rééditions et une traduction en allemand,
En France, Y Ordonnance du Commerce de 1673
sans oublier Barrême*. Avec des auteurs comme
l’inscrit parmi les disciplines que le marchand est
Irson et surtout La Porte, des modifications
supposé connaître. L’article 4 du titre I — Des
importantes interviennent dans la façon de
apprentis, négocians, et marchands tant en gros
transmettre les connaissances. On passe de
qu'en détail—précise: «L'aspirant à la maistrise
catalogues plus ou moins raisonnés, qui entendaient
sera interrogé sur les livres et registres à partie
couvrir toute la gamme des opérations susceptibles
double et à partie simple, sur les lettres et billets de
d'être réalisées par un marchand, à des ouvrages
change, sur les règles d'arithmétique, sur la partie
plus dépouillés dans lesquels on tente de dégager
de l'aune, sur la livre et poids de marc, sur les
121
 des règles de portée générale. Plus distancié, moins
empirique, l'exposé de la technique se veut
rationnel et didactique, ce qui explique
certainement que les deux manuels de Mathieu de
La Porte étaient encore réédités à la fin du XVIIIe
siècle, bien longtemps après son décès. Il faudra
attendre l’un des derniers grands manuels issus de
la tradition marchande, La tenue des livres rendue
facile d’Edmond Degrange, dont la première édition
est datée de 1795, pour retrouver une longévité au
moins égale et même supérieure, puisqu’il sera
réédité pour la dernière fois en 1920.
Auteur de manuels, Mathieu de la Porte appartient
au coips des maîtres-écrivains parisiens et, s’il
enseigne les matières du commerce, il exerce
également d’autres activités, conformément aux
statuts de sa profession : « il traduit, réduit et vérifie
toutes sortes de comptes et factures étrangers, tient
les livres de comptes chez les négocians, expert
pour la vérification de ceux qui sont embrouillez,
ou contestez en justice, et règle les affaires et
comptes entre les négocians et associez. »
Enseignant et teneur de livres, il est donc aussi ce
que l’on nomme aujourd’hui un expert auprès des
tribunaux, pour les questions de comptabilité, car
celle-ci peut constituer un élément de preuve dans
les litiges et doit obéir pour cela à un certain
nombre de règles.
Très tôt, certaines réglementations locales
contiennent des dispositions à cet égard. Cités par
André Tessier, les Statuts de la Ville d'Avignon,
rédigés en 1612 indiquent que les livres des
commerçants peuvent faire foi, à condition « qu'ils
soient escripts de la main propre du marchand, ou
d'un agent fidelle, et légitime, et que le débit et le
crédit y soyent escris, et qu'ils soyent tels qu'il luy
doivent estre adjouté foy, selon le jugement des
marchands. » Le règlement de la Place des Changes
de Lyon du 7 juillet 1671, reproduit dans
VInstruction des négocians, tient un discours
analogue. Mais c’est l’Ordonnance de 1673 qui
introduira les premières règles comptables
applicables dans l’ensemble du royaume. Sans
précisions sur la méthode à utiliser, l’article 1 du
titre III — Des livres et registres des négocians,
marchands et banquiers — rend obligatoire la
tenue d’une comptabilité : « Les négocians et
marchands tant en gros qu'en détail auront un livre
qui contiendra tout leur négoce, leurs lettres de
change, leurs debtes actives et passives, et les
deniers employez à la dépense de leur maison. »
Deux autres articles du même titre précisent les
conditions de la représentation ou communication
des livres de comptes en justice : succession,
dissolution de communauté, partage de société en
cas de faillite ou, en dehors de ces hypothèses,
présentation volontaire par le marchand. Enfin
l’article 11 du titre XI — Des faillites et
banqueroutes — complète le dispositif en précisant
que « Les négocians et les marchands, tant en gros
122
qu'en détail, et les banquiers, qui lors de leur
faillite, ne représenteront pas leurs registres et
journaux signez et paraphez comme nous avons
ordonné ci-dessus, pourront estre réputez
banqueroutiers frauduleux », tandis que l’article 12
énonce la sanction : « Les banqueroutiers
frauduleux seront poursuivis extraordinairement, et
punis de mort ». Y.L.
Sources : Edit du Roy servant de règlement pour le
commerce des négocians et marchands, tant en
gros qu'en détail, donné le 23 mars 1673. Barrême
(1721). Degrange E., La tenue des livres rendue
facile ou nouvelle méthode d'enseignement, Paris,
1795. Irson C. (1678). La Porte M. (1685 et 1704).
Masson P.-J., Instruction des négocians, tirée des
ordonnances, édits, déclarations, arrêts, et des
usages reçus. Nouvelle Edition augmentée. Blois,
Masson, 1744. Savonne P., Instruction et manière
de tenir livres de raison ou de comptes par parties
doubles. Anvers, Plantin, 1567.
Bibliographie : Angiolini F., Roche D. (dir).
Cultures et formations négociantes dans l'Europe
moderne. Paris, EHESS, 1995. Carrière C.
Négociants Marseillais au XVIIIe siècle. Marseille,
A. Robert, 1973. Jeannin P., « Marchands d'Europe,
pratiques et savoirs à l'époque moderne » in (éd.),
Marchands d'Europe, pratiques et savoirs à
l'époque moderne (textes de P. Jeannin rassemblés
par J. Bottin et M.-L. Pelus-Kaplan),Paris, ENS,
2002, p. 341-351. Hoock J., Jeannin P., Kaiser W.
(2001). Lemarchand Y. (2001 et 2005). Métayer C.,
«De l'école au palais de justice : l'itinéraire singulier
des maîtres écrivains de Paris (XVIe-XVIIIe
siècles) », Annales. Economies, Sociétés,
Civilisations, vol. 45, n° 5, 1990, p. 1217-1237.
Tessier A., « Notes sur les livres de commerce
d'après l'Ordonnance de Colbert-Savary », Bulletin
de l'Institut National des Historiens Comptables,
n° 7, 1982, p. 28-33.
Comptabilité -matières
La comptabilité-matières ou des matières complète
la comptabilité en deniers des ordonnateurs en ce
qu’elle permet de surveiller les matières de
consommation et de transformation et leurs
mouvements, ainsi que les valeurs mobilières et
immobilières de l’État (décret du 31 mai 1862,
articles 862 à 879). Dans bien des cas, l’on s’est
cependant contenté d’inventaires*, la comptabilité
étant surtout nécessaire dans les administrations qui
transforment des matières en quantités. Les services
ou organismes à caractère industriel ou commercial
comme les arsenaux consommaient des crédits en
deniers et des crédits-matières résultant d’achats
antérieurs. En l’absence de comptabilité générale,
on a tenté d’utiliser la comptabilité-matières pour
calculer le coût de revient de fabrications voire de
services : cet usage n’était pas prévu par le
législateur, le marquis d’Audifffet* n’ayant eu en
vue que la généralisation du contrôle de régularité à
cette partie de la fortune publique.
Le décret du 29 décembre 1962 pose en principe
que la comptabilité publique de l’État doit
permettre de connaître la situation du patrimoine,
de calculer des coûts de revient, le coût et le
rendement des services publics et de déterminer les
résultats annuels de gestion (article 49). Elle
comprend une comptabilité générale en partie
double*, une ou plusieurs comptabilités spéciales
des matières, valeurs et titres (il n’est pas dit
qu’elles doivent être tenues en partie double) et,
selon le caractère et les besoins de l’organisme, une
comptabilité analytique (articles 51, 52 et 132). La
nomenclature des comptes ouverts en comptabilité
générale s’inspire du plan comptable général en
vigueur et le suit même exactement, si l’activité de
l’organisme est de nature principalement
industrielle ou commerciale (articles 52 et 133). Les
comptabilités spéciales sont tenues par les
comptables (en deniers) de l’État ou par des
régisseurs, préposés ou détenteurs qui joignent leurs
comptes à celui du comptable désigné. Les
comptes-matières ont été soumis au contrôle de la
Cour des comptes* en 1843. L’institution de ces
comptes et des comptables-matières est bien plus
ancienne, et nous en donnerons une idée jusqu’en
1870 grâce à l’administration de la marine de
guerre française, qui tenait la principale
comptabilité-matières jusqu’en 1914.
L'organisation des travaux de la Marine. Ebauchée
dans le règlement d’administration des ports du 29
mars 1631, elle est mise au point par Colbert*,
l’ordonnance du 15 avril 1689 récapitulant toutes
les dispositions prises de son vivant pour le service
militaire et le service sédentaire dans les ports. Ce
dernier, bien séparé, est confié à des officiers civils
de l’ordre administratif et de l’ordre technique (il y
a des officiers militaires parmi ces derniers) dont le
chef, l’intendant, est ordonnateur* en deniers et en
matières et directeur de tous les travaux, y compris
les mouvements du port. Colbert considère les
travaux comme service économique et voudrait y
introduire la comptabilité en partie double* comme
dans les deniers publics. Il n’y parvient pas plus
dans la Marine qu’aux finances et, de plus, les
arsenaux tendent à devenir au XVIIIe siècle des
établissements militaires par l’esprit et par le
mélange d’attributions, aucune distribution de
l’entretien et des réparations du matériel naval
n’ayant été faite entre les deux services. Les deux
tentatives ou projets de 1772 et 1786 n’ayant pas eu
de suite, l’on en est resté à ces arsenaux chargés de
tout l’entretien et des réparations et à une marine
militaire organisée comme celle d’un armateur,
c’est-à-dire pour le temps des armements
seulement. Cette situation aberrante n’a vraiment
commencé de changer, du côté militaire, qu’à la fin
du XIXe siècle.
Le garde-magasin du port est chargé de tous les
effets qui entrent dans les magasins. Il tient un
registre des entrées et un autre des sorties ; ces
registres ont été cotés et paraphés par l’ordonnateur.
Le contrôleur de la Marine dans le port fait tenir les
mêmes registres en double par l’un de ses commis.
Les deux officiers assistent aux délivrances
ordonnées par l’intendant ou le commissaire du
magasin général voire celui qui est chargé de
l’équipement des navires, ainsi qu’aux réceptions.
La comptabilité-matières est tenue en quantités
seulement. Les recettes sont enregistrées dans un
journal puis dans le grand livre. Dans ce dernier,
chacun des 600 à 800 articles en nomenclature a un
compte. Les dépenses se font sous le nom des
vaisseaux pour lesquels les effets sont délivrés ou
sous le nom du maître auquel on donne les matières
pour les transformer.
Le commissaire du magasin général arrête chaque
jour les deux livres du garde-magasin, tire un
sommaire hebdomadaire des recettes et des
dépenses et établit la balance tous les trimestres, de
façon à connaître le stock de chaque article.
L’inventaire annuel prévu par Colbert n’est pas
repris dans le règlement d’administration d’octobre
1674, mais seulement dans celui de 1689. Les
balances trimestrielles sont reportées sur un autre
registre coté et paraphé par l’intendant et sont
arrêtées par lui ; l’arrêté de fin d’année sert à la
comparaison avec les existants transcrits dans
l’inventaire, lequel est envoyé en double à la Cour.
Notons ici que les vivres étant payés au
munitionnaire selon les consommations constatées,
c’est lui qui tient la comptabilité des vivres et non
la Marine.
En 1674, la responsabilité du garde-magasin n’est
pas envisagée autrement que celle des autres
officiers du port. Le pouvoir de police de
l’intendant comprend l’interdiction (sous-entendu
d’exercer les fonctions) des officiers placés sous ses
ordres qui manquent à ceux qu’ils ont reçus pour le
service. En 1689, la responsabilité pécuniaire du
garde-magasin est engagée lorsqu’il reçoit ou
délivre des effets sans un ordre écrit de
l’ordonnateur ou qu’il en prête et reçoit ensuite la
contrepartie sans un ordre du même : il doit alors en
restituer la valeur en argent. Nous n’avons pas
trouvé trace de cautionnement. Lorsqu’il quitte son
emploi, le garde-magasin remet ses registres à
l’intendant et lui « rend un compte de tout ce dont il
aura été chargé ». S’il y a un reliquat, l’intendant
prend les sûretés nécessaires et informe le ministre,
afin de recevoir les ordres du roi. Telle est la
situation des gardes-magasins jusqu’en 1843.
Colbert a prescrit aux intendants de joindre à l’état
en forme des dépenses du commis du trésorier dans
le port une table en douze classes des dépenses en
deniers et en matières représentant l’activité ou les
travaux de l’année écoulée exprimés en valeur,
« afin que le roi puisse connaître clairement à
123
combien aura monté la dépense de la construction
de chacun vaisseau et l’état du ménage de
l’économie et de l’industrie de l’intendant ». C’est
un moyen rudimentaire de déterminer un coût de
revient direct avec des matières comptées au coût
« standard », le tout sans aucune considération de
frais généraux. Les résultats sont comparés à un état
de coût de revient pour chaque type de bâtiments
qui doit servir de référence et de plafond de dépense
à l’ordonnateur. Tels sont l’embryon de la
comptabilité des travaux de la Marine et le but alors
poursuivi : l’économie est mise sur le même plan
que la régularité de la dépense. La troisième
compagnie* des Indes, celle de 1785, est parvenue
à établir des bilans* annuels et des coûts de revient
complets pour chaque voyage. Quant à la
comptabilité du matériel en service, elle n’existe
pas dans la Marine à proprement parler, puisqu’elle
est tenue sur inventaires.
L’unité du magasin général. Elle a été maintenue
jusqu’en 1828. Sa division provient de
l’impossibilité pour le commissariat de la Marine
de rendre compte de l’ensemble des opérations en
matières et aussi de la pression des ingénieurs.
L’ordonnance du 17 décembre 1828 confie aux
directeurs des travaux des ports les comptes des
matières brutes et ouvrées, outils et ustensiles reçus
du magasin général pour les ateliers et aussi pour
les besoins de la flotte. Ils ont la garde, la
conservation et la délivrance de tous les objets
confectionnés ou réparés dans leurs ateliers et de
tous ceux que leur remettent les bâtiments. Au
compte par bâtiment de tout le matériel d’armement
des bâtiments désarmés se substitue un compte de
magasin par espèces d’objets : c’est la nouvelle
conception des magasins particuliers. En
conséquence les directions de travaux reçoivent des
attributions administratives et du personnel pour les
exercer (ordonnance du 23 décembre 1847). Les
nouvelles dispositions ont permis à la Marine de
publier son premier compte général du matériel en
1833 (exercice 1830), avant la promulgation de la
loi du 24 avril 1833 qui fait obligation aux
ministres de rendre un tel compte chaque année à
l’appui de leur compte en deniers. L’ordonnance du
14 juin 1844 sur le service administratif dans les
ports, qui remplace celle de 1776 sans remettre en
question le dualisme administratif entre le
commissariat et les directions, consacre l’existence
des magasins particuliers. L’unité comptable du
service des approvisionnements généraux de la
flotte, le principal « service » de la Marine,
correspondant à son unité budgétaire, est assurée
par le règlement du 13 décembre 1845.
La loi du 6 juin 1843 dispose en son article 14
(toujours en vigueur) que les comptes-matières de
l’État sont désormais soumis au contrôle de la Cour
des comptes, mais non à son jugement, les ministres
restant juges en la matière. L’ordonnance du
124
26 août 1844 rendue en application de la loi pour la
Marine, est le premier des règlements promulgués
jusqu’en 1859 qui ont remanié la comptabilité-
matières et établi une comptabilité des travaux dans
cette administration. Les matières visées par la loi
se limitent aux objets emmagasinés, et même à
ceux de ces objets qui n’étaient pas déjà soumis au
contrôle de la Cour. Les agents chargés des
magasins sont comptables de la quantité des
matières qu’ils renferment, suivant l'unité
applicable à chacune d’elles. Les objets en magasin
sont répartis par services, jusqu’à ce qu’on en
revienne à la division par chapitres. Toute opération
à charge ou à décharge doit être appuyée des pièces
justificatives indiquées dans les règlements
ministériels. Un comptable-matières peut opposer
un refus motivé à une demande qui lui semble
engager sa responsabilité ; si le chef de service
passe outre, le comptable s’exécute et il annexe à la
pièce justificative, avec une copie de ses
observations, l’acte de réquisition qu’il aura reçu.
Dans la Marine, la réunion des très nombreuses
unités simples en unités collectives facilite la
comptabilité, mais l’on a tendance à abuser de cette
tolérance, et même les unités simples sont loin de
représenter toujours des objets réels, les seuls qui
puissent être demandés au magasin. En 1845, il y a
environ 32 000 unités simples pour l’ensemble des
services, rassemblés en 2 200 unités collectives.
Les documents élémentaires de la comptabilité sont
tenus par unités simples, les documents de
centralisation le sont par unités collectives. Une
autre ordonnance du 23 décembre 1847, modifiée
en 1850, institue un corps de comptables des
matières séparé du Commissariat et soumis au
cautionnement*. Les directeurs ou chefs de service
font sortir de leur magasin particulier les objets
dont ils ont besoin sous leur responsabilité ; ils en
rendent compte administrativement. Le
Commissariat « surveille », en la personne du
commissaire des approvisionnements, la
comptabilité des matières et sert de point d’appui
des comptables contre les services consommateurs
— c’est le rédacteur du rapport au roi du règlement
du 13 décembre 1845 qui le dit —. Il vérifie et le
compte des matières et les comptes de leur emploi
par les directions ; il en vérifie aussi la coïncidence.
Il n’est pas dit dans ces premiers textes que la
comptabilité-matières doit être tenue en partie
double. Le décret de 1962 ne le dit pas davantage,
rappelons-le, et il n’est pas question de l’élément
valeur dans la Marine avant 1854.
Le contrôle de la gestion des comptables comprend
un contrôle local, par les officiers du corps du
contrôle de la Marine, sous la fonne d’une
vérification administrative et trimestrielle des
écritures. Nous sommes loin du temps où le
contrôle de la Marine tenait les livres en double. Le
contrôle central à Paris a pour bases les relevés
trimestriels, leurs pièces justificatives* et les
comptes annuels appuyés par l’inventaire au 31
décembre. Le ministre transmet les comptes
individuels de ses comptables après les avoir fait
vérifier. La Cour prononce chaque année, en
audience solennelle, une déclaration générale sur la
conformité des comptes individuels des
comptables-matières de l’année ou gestion
précédente avec les résultats des comptes généraux
du matériel publiés par les ministres. Elle consigne
dans son rapport annuel les observations que ses
contrôles lui auront suggérées et ses vues
d’amélioration et de réforme de la comptabilité des
matières.
L’impossibilité de compter en unités simples
affaiblit le contrôle de la Cour des comptes. Le
ministre Ducos (1801-1855), un ancien armateur,
introduit l’élément valeur dans les comptes afin d’y
remédier ; il voit aussi que la comptabilité en valeur
pennet seule de corréler les deux comptes généraux
du ministère (décret du 22 septembre 1854). Le
compte financier fait connaître les sommes utilisées
pour l’achat de matières et d’objets à tenir en
stock ; le compte du matériel peut seul garantir que
les matières achetées sont réellement entrées en
magasin. Seul également, poursuit le ministre, le
compte du matériel constate l’emploi des
approvisionnements en stock et pennet de comparer
ainsi le service fait avec les crédits alloués au
budget. Ces deux comptes se complètent, mais leur
exactitude respective doit se démontrer par la
corrélation de leurs tennes, c’est-à-dire par la
traduction en valeur des mouvements de matières.
La Marine le fait déjà, observe Ducos, mais les
évaluations sont incomplètes et ne reposent sur
aucune pièce justificative.
L’amiral Hamelin (1796-1864), successeur de
Ducos, considérant l’augmentation du personnel à
consentir pour exécuter ces mesures, simplifie les
écritures dans le décret du 30 novembre 1857 et
dans l’instruction générale du 1er octobre 1854 sur
la comptabilité des matières qu’il fait modifier dans
ce sens. La reddition des comptes est limitée aux
valeurs, alors que la comptabilité réelle, journalière,
reste tenue en quantités seulement et par unités
simples, les objets réels étant suivis sur des livres
auxiliaires. Les billets de demande des chantiers et
ateliers doivent comporter l’indication des matières
réelles avec les quantités, il y a une première
addition par unités simples pour la quantité et le
prix et une deuxième addition pour modifier la
valeur des unités collectives... A l’appui du compte
du comptable en valeur par unités collectives, il est
produit chaque année à la Cour des comptes* (qui
ne se déplace pas) un inventaire par unités simples
résultant du recensement. Le comptable* ne sait
qu’à la fin du trimestre la valeur des sorties qui
doivent le décharger. On attend la fin du trimestre
pour recomposer en valeur toutes les opérations par
application des prix officiels (ceux de la
nomenclature des matières) aux quantités. Selon les
vues de Ducos, le bon ordre voudrait que la
comptabilité soit tenue partout en quantités et en
valeur et que les mouvements soient indiqués de
même par jour ; les simplifications décidées en
1857 conduisent à l’apparence de comptabilité que
nous venons de décrire : une véritable comptabilité,
mais en quantités, dans les magasins, et une
statistique trimestrielle en valeur pour la
justification du comptable, cependant soumis à un
assez fort cautionnement, si l’on rapporte celui-ci à
sa paie et à sa condition sociale.
L’instruction générale du le> octobre 1854 et ses
altérations. Le règlement « prescrit la formation
d’un compte de prix de revient [...] qui permettra
d’apprécier désormais les fabrications au point de
vue économique ». Les simplifications voulues par
l’amiral Hamelin ont permis à la Marine d’éluder
les calculs plus qu’elles ne les ont simplifiés. Une
nomenclature des travaux, nécessaire à la
centralisation des comptes de la Marine, indique
aux ports d’après quelle classification les ouvrages
exécutés seront présentés dans les comptes des
directions et quels développements seront donnés à
chaque compte ouvert.
Dans la version originale de l’instruction générale,
le compte de coût de revient s’identifie avec la
feuille d’ouvrage (articles 540 à 550). Sur cette
feuille, ouverte pour chaque ouvrage et renouvelée
à la fin du trimestre s’il y a lieu, le maître de
l’atelier porte au fur et à mesure les matières
consommées au prix de la nomenclature des
matières et le prix de la main-d’œuvre d’après le
nombre des journées employées, au prix moyen de
la journée ou, dans les ateliers où les ouvriers sont
payés à la tâche, d’après les prix des tarifs.
Lorsqu’un ouvrage est terminé et que la (dernière)
feuille est close, le maître établit au dos de celle-ci
le compte de fabrication de l’ouvrage. Ce compte
présente : 1° le montant de la main-d’œuvre
directement appliquée ; 2° le montant de la part
proportionnelle dans les frais accessoires de
fabrication en main-d’œuvre ; 3° le total de la
valeur des matières directement appliquées ; 4° le
total de la part proportionnelle dans les dépenses
accessoires de fabrication en matières ; 5° le
montant de la valeur des résidus à déduire du total
de la valeur des matières ; 6° le nombre, le poids ou
les dimensions des produits, s’il y a lieu ; 7° le coût
de revient unitaire.
Au début de chaque mois il est ouvert, dans chaque
chantier ou atelier, une feuille spéciale destinée à
suivre les dépenses en matières et en main-d’œuvre
qui ne peuvent s’appliquer à un ouvrage en
particulier. Ces dépenses comprennent notamment
la solde des contremaîtres et aides (qui font partie
du personnel ouvrier) affectés à la surveillance de
plusieurs travaux à la fois, et la solde des apprentis
et des journaliers employés à la propreté des ateliers
et aux transports de matières. Les matières
125
mentionnées à l’article 537, § 1 et les résidus
provenant de plusieurs ouvrages sont portés sur la
feuille spéciale. En fin de mois les dépenses
accusées par la feuille sont réparties entre les divers
ouvrages du mois par l’officier chargé de l’atelier.
Nous remarquerons ici que ces frais accessoires
sont ceux de l’atelier, plus éventuellement une
fraction de ceux d’un autre atelier, mais qu’ils ne
représentent toujours qu’une petite partie des frais
généraux au sens actuel du tenue et qu’une partie
de la main-d'œuvre des directions et de leurs
consommations de matières n 'est même pas
comprise dans ces frais accessoires, sans parler du
personnel entretenu.
L’instruction générale de 1854 prescrivait d’arrêter
les feuilles d’ouvrage tous les mois. Dans sa
version révisée de 1859, le travail mensuel imposé
aux comptables et aux agents administratifs des
directions est supprimé. De plus le maître ne calcule
plus les feuilles, mais les remet à l’agent
administratif de sa direction qui transcrit
directement les résultats du trimestre dans les états
de comptabilité de la direction. Cette trans-cription
est permise par la suppression des relevés
trimestriels des dépenses en main-d’œuvre et
matières et des comptes trimestriels de coût de
revient, et par la modification de la nomenclature
des travaux. Les coûts de revient et la situation de
l’en-cours de fabrication continuent néanmoins
d’être établis, au 31 décembre et d’après un formu­
laire simplifié (n° 122). On ne doit plus ouvrir
qu’une feuille d’ouvrage pour une même espèce
d’objets, lorsqu’il s’agit de confections pour le
magasin ou le service des apparaux, et non plus
pour chaque ouvrage, quels que soient le nombre et
l’importance des commandes. Et les dépenses de
réparation des bâtiments et du matériel en service à
bord ne sont plus comptabilisées par bâtiments,
mais imputées à deux comptes indivis de la flotte.
On a encore supprimé la comptabilité des
délivrances et remises de la flotte par suite du
remplacement de la comptabilité des coques,
accessoires de coque et matériel en service par un
inventaire au 1er janvier et au 31 décembre.
L’article 540 modifié est suivi d’un article 540bis
qui se rapporte aux confections pour le magasin et
pour le service des apparaux. L’article 540 modifié
prévoit des feuilles d’ouvrage (modèle 112A
modifié) dans chacun des ateliers qui participent au
travail considéré. Chaque feuille présente les
dépenses selon les titre, section, chapitre et article
de la nomenclature des travaux et indique : 1° le
numéro de l’ordre d’exécution ; 2° la date et le
nombre des journées de travail ; 3° les numéros des
bons de délivrance ; 4° les quantités et valeurs des
matières reçues, restituées et employées, par unités
simples ou subdivisions d’unités simples ; 5° la
main-d’œuvre spécialement appliquée à chaque
objet ; 6° lorsqu’il y a lieu, le nombre, le poids et
les dimensions des objets finis ; 7° lorsqu’il y a
126
lieu, les espèces, quantités et valeur des résidus
provenant des matières employées et des produits
provenant des objets réparés, après constatation par
l’autorité compétente ; 8° d’autres indications
nécessaires au point de vue industriel et technique.
La feuille d’ouvrage est arrêtée et renouvelée à la
fin de chaque trimestre. Elle est signée par le maître
et certifiée par l’officier chargé de la surveillance
de l’atelier, un ingénieur du Génie maritime le plus
souvent. Les quantités et valeur des matières sont
totalisées ; les dépenses en matières, la valeur de la
main-d’œuvre directement appliquée et la part des
frais accessoires de fabrication que l’ouvrage doit
supporter — ces frais étant entendus comme en
1854 et portés d’abord sur une feuille d’ouvrage
trimestrielle et non plus mensuelle — sont
récapitulées, et, s’il y a lieu, la valeur des résidus
est mentionnée en vue de sa déduction. Lorsqu’une
commande n’est pas terminée dans le trimestre, le
maître calcule approximativement et reporte dans le
résumé, à la fin de la feuille, les dépenses des
ouvrages terminés et de ceux qui ne le sont pas
(article 541 modifié). Il indique les bases de son
calcul. La valeur des matières et de la main-
d’œuvre du trimestre est reportée sur la nouvelle
feuille.
Les feuilles d’ouvrage sont vérifiées par le
commissaire des travaux. Au moyen de ces feuilles,
les maîtres dressent des bordereaux (modèle 15bis)
indiquant les quantités et valeur des matières et des
objets reçus du magasin particulier et employés aux
travaux exécutés pendant le trimestre. Ces
bordereaux sont vérifiés par les officiers de la
direction, qui les certifient après s’être assurés de la
concordance des quantités et des valeurs énoncées
avec les feuilles d’ouvrage de l’atelier. Les
bordereaux sont récapitulés par l’agent administratif
de la direction dans un état appréciatif (modèle
113A modifié) arrêté et certifié par le directeur,
vérifié et visé par le commissaire des travaux.
L’état et les bordereaux sont remis au garde-
magasin particulier. Celui-ci vérifie la concordance
avec les bons de délivrance, en passe écriture sur
son journal et sur son grand livre, et joint l’état à
son compte. Il garde les bons et renvoie les
bordereaux.
Nous voyons donc bien un cas d’application de la
comptabilité trimestrielle dans la Marine. Il en va
de même de la recette des productions des
directions. Ces objets sont versés à mesure qu’ils
sont réceptionnés par la commission de recette, le
maître tenant un registre des versements que le
magasinier émarge. À la fin du trimestre, le registre
sert à former un bordereau (même modèle 15bis)
des objets confectionnés par l’atelier : il est signé
par le maître puis certifié par l’officier chargé de
l’atelier. Les bordereaux de la direction sont
reportés dans l’état modèle 15, certifié par le
directeur, vérifié et visé par le commissaire des
travaux, revêtu de l’ordre de réception en magasin
donné par le commissaire des approvisionnements
et de la déclaration de prise en charge par le
comptable, l’état lui servant de pièce justificative de
recette.
Les directeurs rendent compte de l’emploi des
matières reçues et de la main-d’œuvre au moyen
des trois documents décrits ci-après.
L’état modèle 122 est destiné aux travaux exécutés
pendant l’année pour l’approvisionnement des
magasins ou pour le service des apparaux
(outillages). Il indique ces travaux, le compte de
coût de revient et la situation de l’en-cours au
1erjanvier et au 31 décembre. 11 est formé au moyen
des feuilles d’ouvrage de la direction qui y sont
transcrites à la fin de chaque trimestre et il est
subdivisé selon les indications de la nomenclature
des travaux. À la fin de l’année, les totalisations
font apparaître le coût de revient des objets et la
différence avec le prix de nomenclature. Lorsque
cette différence est importante, le directeur joint à
l’état un rapport qui en explique la raison.
Le compte d’emploi modèle 121 et 121 bis
comprend l’état précédent condensé en une ligne et
les autres travaux de la direction, ceux qui ont leurs
feuilles individuelles, les constructions neuves et
les sous-ensembles qui leur sont destinés d’avance.
Au moyen de ce compte et de documents
auxiliaires, le commissaire des travaux dresse le
compte général des travaux du port (modèle 123),
qui doit concorder avec le compte de gestion du
garde-magasin et le compte financier. Les
constructions neuves sont suivies sur des comptes
d’emploi d’un modèle différent (n° 125), mais le
calcul du coût de revient provient aussi de la
transcription trimestrielle des feuilles d’ouvrage.
Le maintien d’une comptabilité incompatible avec
toute gestion industrielle. En 1870 et alors que ses
principaux fournisseurs ont adopté la partie double,
la Marine conserve la partie simple et la
comptabilité budgétaire complétée de sa
comptabilité des travaux. Cette comptabilité
partielle et divisée par directions de travaux ne vaut
pas, loin s’en faut, une comptabilité générale tenue
dans chaque port et centralisée ensuite à Paris. D’un
autre côté, la représentation nationale commence à
s’inquiéter de l’état de la marine matérielle. Elle n’a
en général qu’une médiocre connaissance du travail
des ports, quoiqu’un avocat comme Étienne Lamy
(1845-1919) soit capable d’entendre la comptabilité
et de lui en faire entendre les principes. Elle a
remarqué dès 1849 que la Marine ne calculait pas
ses frais généraux, mais seulement les dépenses
directes de ses travaux. Trente ans plus tard,
certains de ses membres jugent inadmissible
l’absence de ce calcul, comprenant les
rémunérations du personnel entretenu (non ouvrier)
et l’amortissement du matériel et de l’outillage
servant aux travaux, qui viendrait donner un sens au
prix des nomenclatures et inventaires et rendrait
possible la comparaison avec les prix de l’industrie,
puisque la France en a une. Elle a senti la résistance
des chefs de service, dès qu’il était question de
transférer des fabrications à l’industrie et a fortiori
de fermer un établissement. Elle sent plus fortement
les pressions de la ligue des députés et sénateurs
des ports, qui se charge de faire respecter le statu
quo.
En 1914, rien n’est fait si ce n’est un
perfectionnement de l’outil que nous avons décrit,
les calculs économiques devant être exécutés de
façon extra-comptable comme du temps de Colbert.
La Marine résiste pour deux raisons au moins.
Certains, surtout parmi les officiers de marine,
mésestiment la comptabilité et ne sont pas prêts à
accorder les moyens nécessaires au service des
travaux, parce qu’ils s’obstinent à le considérer
comme partie du service militaire, à une époque où
celui-ci prend enfin et contre leur gré la forme qu’il
doit revêtir. D’autres ont intérêt au maintien des
choses en l’état, parce qu’ils tendent à considérer
les arsenaux comme leur propriété et ne veulent
rien faire qui pourrait mettre en péril les positions
qu’ils y ont acquises.
Après la guerre, la question du rendement
économique des ports ne peut plus être éludée, et
certaines fractions de l’opinion demandent la
suppression des arsenaux. Les ingénieurs ne
peuvent ignorer la méthode Taylor ni les progrès de
la comptabilité industrielle à l’abri de leurs
forteresses. Mais ils ne peuvent guère s’éloigner
non plus de la ligne des amiraux dans une affaire
qui les intéresse de trop près. L’ingénieur du G.M.
Lamouche (1888-1969), futur directeur central,
déclare que l’arsenal est un service militaire avant
que d’être économique, que la comparaison des
coûts de revient avec l’industrie est injustifiée, et
que tous les frais généraux sont à classer dans les
charges d’État. Il admet cependant qu’une
comptabilité devenue sincère (elle ne l’est donc
pas) « doit avoir, ici encore, pour effet de substituer
au système stérile et déprimant du contrôle à
répétition [traduisant le principe de méfiance] celui
des responsabilités définies ». Il demande la
rationalisation de l’organisation, une véritable
coopération avec les officiers de marine et un
assouplissement des règles budgétaires.
Devant la résistance de la Marine, le Parlement a
usé de moyens qui ne pouvaient réussir, alors que
plusieurs de ses membres avaient proposé, dès
avant 1914, de donner l’autonomie budgétaire et
administrative aux arsenaux et aux établissements
de la Marine hors des ports, ou au moins aux
seconds. Après 1945, la question du coût et du
rendement des services publics en général prend de
l’importance, et c’est un organisme qui jusque-là
n’avait montré aucun intérêt ni, semble-t-il, aucune
capacité en la matière, la Cour des comptes, qui y
attache son nom. Pour montrer que l’institution du
compte de commerce (en 1952 pour les fabrications
127
 d’armement, en 1968 pour les constructions navales
de la marine militaire) ne saurait donner Vesprit
commerçant à des ingénieurs militaires, il nous
reste pour conclure à citer un référé du 17 octobre
1990. La Cour reconnaît que les arsenaux ne
peuvent pas rester des services de l’État, parce
qu’ils doivent avoir accès au marché financier,
gérer leurs personnels de manière plus souple et
nouer des alliances avec d’autres industriels. Mais
elle doit faire remarquer une nouvelle fois au
ministre de la Défense que les résultats du compte
de commerce des constructions navales de la
marine militaire n’ont pas de valeur économique,
parce que les commandes de la Marine sont
facturées au coût de revient constaté et non d’après
un prix négocié avant la passation de la commande,
comme le faisait le G.I.A.T. (arsenaux de
l'armement terrestre) depuis longtemps sous la
forme de coûts standard annuels. Le résultat
d’exploitation est donc nul par construction et,
quand il ne l’est pas dans les faits, l’écart est
résorbé en quelques exercices. Ainsi, conclut la
Cour, «même les fluctuations de ce résultat ne
constituent pas des indicateurs de gestion ». Les
arsenaux de la Marine sont devenus une société
nationale en 2003. B.L.
Sources : Code des armées navales (1758).
Gougeard A., Les arsenaux de la Marine, 2 vol.,
Paris, 1882. Guilbault A., Traité de comptabilité et
d’administration industrielles, 2e éd., 2 vol., Paris,
1880. Lamy E., Discours prononcé lors de la séance
du 11 février 1878, Annales de la Chambre des
députés. Laporte G., Les usines de la Marine et la
féodalité industrielle, Nevers, 1886. Tupinier J.,
Rapport sur le matériel de la Marine, Imprimerie
royale, 1838.
Bibliographie : Lemarchand Y. (1993). Lutun B.
(2003 et 2007).
Comptabilité nationale
L’histoire de la comptabilité nationale, prise dans
son acception contemporaine, est parallèle à celle
de la comptabilité publique*. Les deux sciences ont
pour objet l’appréciation et la représentation d’un
revenu, celui de la nation dans le premier cas, celui
de l’Etat dans le second. Avant les années 1920 et
l’élaboration d’un véritable système de comptes
nationaux, plusieurs estimations du revenu national
ont été tentées en Europe à partir de 1665, date des
premiers travaux de William Petty (1623-1687). Ce
médecin publia en 1676 Political Arithmetick,
ouvrage qui fonde cette nouvelle discipline
d’observations numériques des faits sociaux. La
révolution intellectuelle et l’avènement de la
science expérimentale dans la deuxième moitié du
XVIIe siècle ont favorisé ces tentatives. La plus
remarquable est attribuée à Gregory King (1648-
1712) qui fut secrétaire de la Commission des
comptes publics et secrétaire du Contrôle des
128
comptes de l’Armée sous le règne de Guillaume III.
King a calculé les revenus des ménages par
catégorie sociale et a dressé une série annuelle
courant de 1688 à 1695 tout en la projetant jusqu’en
1698. En France*, Sébastien Le Prestre de Vauban
(1633-1707) a également cherché dans son projet de
Dîme royale à apprécier les « facultés » du peuple.
Il défendait l’idée d’une nécessaire proportionnalité
entre celles-ci et le prélèvement du roi. Marqué
comme nombre de ses contemporains par l’état
misérable des paysans qui souffraient des affres de
la guerre et de la fiscalité, Vauban a participé à ce
mouvement de pensée pré-libéral articulant la
richesse de l’Etat à celle de la nation. D’autres
estimations ont suivies comme celle publiée par
Boisguilbert dans le Détail de la France (1697). A
cette époque, le gouvernement entreprit une vaste
enquête pour l’instruction du duc de Bourgogne sur
l’état des généralités (1697-1698). Au XVille
siècle, les estimations du revenu national se sont
enrichies des progrès de la pensée économique. En
Angleterre*, le pasteur Henry Beeke (1751- ?) et le
chirurgien Benjamin Bell (1749-1806) tentèrent
d’estimer le rendement de l’impôt sur le revenu au
côté du premier ministre William Pitt. En Russie,
Alexandre-Nicolas Radishchev (1749-1802) acheva
son estimation du revenu national en 1794 à partir
d’enquêtes statistiques provinciales. En France*,
François Quesnay théorisa les flux de valeur et de
biens dans son Tableau économique (1758) et
Lavoisier*, commissaire de la Trésorerie nationale*
à partir de 1791 suggéra à l’Assemblée législative
l’élaboration d’une véritable comptabilité nationale.
Dans son ouvrage sur La Richesse territoriale du
royaume de France (1791), ce dernier proposa un
système de représentation statistique de l’économie
du pays dans un cadre comptable cohérent,
composés de différents comptes généraux en nature
et en argent pour l’agriculture, le commerce et
l’industrie et de bilans. Dans les pays germaniques,
la science camérale, en conservant une vision
intégrée de l’économie dans un ordre politique,
contribua à faire évoluer la science comptable, tant
publique que nationale. Néanmoins, la méfiance des
pouvoirs autoritaires vis-à-vis de la statistique
d’une part, et les limites de la pensée économique
encore hésitante pour définir les agrégats pertinents
(production, revenu, dépense...) d’autre part, n’ont
pas véritablement fait progresser cette science au
XIXe siècle. L’approche comptable de ces
estimations du revenu national n’apparaît qu’au
lendemain de la crise de 1929. M.L. L.
Bibliographie : Brian E., La Mesure de l’Etat.
Recherches sur la division sociale du travail
statistique aux XVIIIe et XIXe siècles, thèse de
doctorat (Perrot J.C. dir.), Paris, EHESS, 1990.
Klotz G. (1994). Morineau M. (1985). Perrot J.C.,
« Les comptabilités économiques de Lavoisier » in
Martin T. (2003), p. 325-342. Piquet-Marchal
M.O. (1965). Stone R. (1996). Studenski P. (1958).
Vanoli A. (2002).
Comptabilité publique
L’apparition tardive, dans la langue française, du
mot « comptabilité » (milieu du XVIIIe siècle) et de
l’expression « comptabilité publique » (Premier
Empire) se comprend aisément si l’on mesure ce
qui sépare les techniques comptables des Etats
modernes de la constitution financière des Etats
contemporains.
Le tenue « comptabilité » s’est construit à partir des
opérations de contrôle* des comptables, mais son
sens s’est élargi avec le développement de la
science administrative. Comptabilité de caisse et
comptabilité de contrôle sont pensées ensemble dès
le XVIIIe siècle, chez les auteurs caméralistes
notamment. En France, les commissaires de la
Trésorerie nationale*, soucieux d’éviter une
confusion courante entre la constatation de la réalité
des paiements, qui s’établit selon eux par des livres
en parties doubles*, et celle de leur validité, qui
appartient à la Chambre des comptes*, adoptent en
1790-1791 un nouveau «dictionnaire» et décident
de réserver le mot « vérification » à l’opération qui
a pour objet de constater la réalité des paiements et
le mot « comptabilité » aux opérations « qui tendent
à constater à la fois et la réalité et la validité des
paiements ».
Quant à l’expression « comptabilité publique », elle
naît avec la constitution des régimes parlementaires.
La reconnaissance des attributions budgétaires du
Parlement se fit très tôt en Angleterre*. En France,
les nouveaux principes de gestion publique sont
affirmés en 1790 : « Les représentants de la Nation
fixent le montant des revenus publics d’après ce
qu’exigent le maintien de la sûreté générale et des
droits individuels ; ils connaissent donc l’étendue et
les limites de tous les besoins, et c’est à eux
qu’appartient l’autorité de régler la distribution
générale des produits qui doivent y être consacrés,
d’établir chaque objet de dépense et d’y attribuer
une somme déterminée. L’application de cette règle
générale est confiée aux ministres ; l’exécution en
est remise aux commissaires de la trésorerie », lit-
on dans le rapport des commissaires du Trésor.
L’expression « comptabilité nationale » est alors
préférée à celle de « comptabilité publique », peut-
être sous l’influence de l’économiste Lavoisier*,
plus sûrement par souci de promotion systématique
de la Nation. Sous le Premier Empire en revanche,
on parle bien de « comptabilité publique » dont les
règles « sont la garantie des contribuables et des
créanciers de l’Etat» (exposé des motifs du décret
du 27 avril 1815). Reste que, comme le souligne
Michel Bottin, la reconnaissance des attributions
budgétaires du Parlement devait immanquablement
déboucher sur l’idée d’une extension de son autorité
sur le contrôle des comptes. On lit dans le
Moniteur du 23 juillet 1822 : « D’après ce qui vient
d’être dit sur l’importance de la comptabilité
publique, surtout dans un gouvernement
représentatif, on voit qu’elle est au nombre des
institutions qui doivent être mises en rapport avec
les progrès de la société. Il serait honteux, en effet,
que des milliers d’individus sussent mettre plus
d’ordre dans leurs affaires que l’administration n’en
saurait mettre dans les affaires de l’Etat ». Le bras
de fer entre l’exécutif et le législatif sur ce point se
résorba, non sans peine, dans l’équilibre de
l’ordonnance du 14 septembre 1822 sur la
comptabilité des dépenses publiques. A cette
époque, on comprend la comptabilité publique
comme se divisant en comptabilité législative, qui
place toutes les opérations sur les deniers publics
sous le regard de la nation qui dicte la loi, la
comptabilité administrative*, qui calcule les
résultats des opérations pratiquées par les agents de
l’administration, et la comptabilité judiciaire qui
vérifie la régularité des opérations et leur
confonnité aux instructions des autorités de tutelle.
Le développement des organisations étatiques
tendit à réduire l’acception à la seule comptabilité
administrative. C’est ainsi que Francisco Augusto
Conte énonce, lorsqu’il commente la loi du 20
février 1850 mise en œuvre par Bravo Murillo* en
Espagne : « Ce qu’on connaît et appelle ici [en
Espagne] et en France Comptabilité publique n’est
rien d’autre qu’une série de règles et de préceptes
administratifs visant à donner de la régularité, de
l’ordre, de la méthode et de l’exactitude au
maniement des fonds publics. La véritable
comptabilité, celle qui marque la vérité et la
certitude de toutes les opérations, les résultats
arithmétiques des transactions qui sont pratiquées
avec les fonds du Trésor (erario), c’est la
comptabilité descriptive ou numérique, tant des
fonds qui entrent dans le Trésor que de leur
distribution, et aussi des matières que les
administrations spéciales acquièrent, modifient,
vendent ou consomment dans les services publics.
La première comptabilité est, si l’on veut, la
garantie de l’ordre, mais à elle seule, elle ne
pourrait donner les fruits ni présenter les faits, les
conséquences que seule donne à voir la
comptabilité descriptive ou numérique ». M.-L. L.
Voir Comptabilité administrative, Contrôle
Sources : Bottin M. (1986). Conte F.A. (1855). De
la situation du Trésor public (1791). Gaudin M.
(1826), vol. 1, p. 167. Malchus C.A., vol. 2 (1830),
p. 147 et p. 173. Le Monieur, n° 204, 23 juillet
1822, p. 1061.
Comptable public
Un comptable, en droit civil français, est celui qui
manie des deniers dont il doit rendre compte. Ainsi
un tuteur est-il comptable envers son mineur, un
séquestre ou gardien est comptable des effets qui lui
sont confiés et des fruits qu’il perçoit envers la
129
partie saisie et les créanciers. Tout comptable, dit
l’ordonnance civile d’avril 1667, est réputé débiteur
jusqu’à ce qu’il ait rendu compte, payé le reliquat,
s’il en est dû un, et remis toutes les pièces
justificatives. Un compte public n’est pas une
affaire qui s’arrange à l’amiable : aussi a-t-il été
décidé au XIIIe siècle (et rappelé notamment dans
l’ordonnance du 18 juillet 1318) qu’ils seraient
soumis à une juridiction spécialisée, les Chambres
des comptes. Le comptable public est un officier du
roi et plus précisément un officier de finances dont
l’emploi est soumis à la vénalité des offices pendant
presque tout l’Ancien régime, sauf exception
(remplacement temporaire ou, quelquefois, exercice
normal par commission). Le terme de comptable
public est employé ici afin d’éviter la confusion
courante entre l’agent qui tient seulement des livres
et celui qui rend ses comptes à leur juge ; à
l’époque l’on désigne ce dernier par le tenue de
comptable ou d’officier comptable.
Les comptables de l'ordre ancien
Définition du comptable public. L’édit d’août 1669,
en faisant « défenses à toutes sortes de personnes de
s’immiscer en la recette et maniement de nos
deniers sans nos lettres de provision ou commission
registrées en nos Chambres des comptes et sans
avoir fourni les cautions nécessaires, à peine de
3 000 1 d’amende », définit ce qu’on appelle de nos
jours le comptable ou la gestion de fait mais non le
comptable public lui-même. D’autre part, cette loi
sous-entend que tout comptable public est
justiciable d’une Chambre des comptes, ce qui est
inexact lorsque l’on considère les receveurs et
caissiers des fermes : ceux-ci rendent leurs comptes
aux fermiers, qui sont un comptable collectif. De
plus, la distinction moderne entre comptables
directs et comptables subordonnés, dont les
premiers sont responsables devant les Chambres,
s’entend en 1772 des receveurs généraux et
receveurs particuliers des finances*.
L’édit de juin 1716 distingue dans son titre et dans
son dispositif les officiers comptables des autres
officiers de finances chargés de la perception, du
maniement et de la distribution des deniers publics.
Sont compris parmi les comptables : les gardes du
Trésor royal, le trésorier général des parties
casuelles, les receveurs généraux des finances, les
receveurs généraux des domaines et bois, les
trésoriers des pays d’états, les receveurs des tailles,
les receveurs des octrois et deniers publics, les
trésoriers des départements ministériels (Guerre,
Artillerie, Fortifications, Marine, Galères, Maison
du roi), les autres trésoriers (notamment ceux des
ordres du roi, les payeurs des gages et les payeurs
des rentes, qui ne sont pas cités nommément), les
fermiers et sous-fermiers, les entrepreneurs des
vivres de terre et de mer, fourrages, étapes,
hôpitaux ou fortifications. Les autres officiers de
finances ou commis désignés sont les caissiers,
130
receveurs et commis des comptables, des fermiers
et sous-fermiers et des entrepreneurs, qu’ils
exercent leurs fonctions en titre d’office ou par
commission, et tous autres, sans exception, chargés
de la recette, du recouvrement et du maniement des
deniers de l’État. Ils doivent tenir eux aussi un
journal, mais ne rendent pas de comptes à un juge.
La notion d’exercice. L’exercice comptable se
rapporte à l’exercice alterné, une année sur deux, de
la plupart des comptables. Ceux-ci auraient dû
rendre compte à leur juge dans l’année suivant
l’année d’exercice (ordonnance de janvier 1629 et
édit d’août 1669). En réalité, ils laissent ouverts
leurs livres pendant des années, les dépenses étant
ainsi étalées, avec les erreurs d’imputation et les
divertissements que l’on imagine. Il faut dire aussi
que les retards de paiement par suite de
l’insuffisance des fonds sont tels que la clôture des
exercices aurait entraîné le réordonnancement d’une
foule de dépenses. Le maître des comptes qui tient
le bordereau du compte* mentionne la date de
clôture sur le compte lorsqu’il a été jugé. Une
déclaration tardive, du 17 octobre 1779, indique
que le roi veut connaître « l’universalité » des
revenus et des dépenses de l’État pour l’année
1780. C’est qu’il ne connaît pas la situation de 1779
ni celle des années antérieures. On précise donc que
les comptables doivent remettre les deniers de tel
exercice au garde qui était lui-même en exercice
cette année-là au lieu de les mélanger avec ceux
d’autres exercices. La loi du 13 novembre 1791
relative à l’organisation de la Trésorerie nationale*
ordonne l’établissement des comptes par années et
par exercices, mais les comptes d’exercice restent
ouverts indéfiniment et perpétuent les arriérés.
Enfin l’ordonnance du 14 septembre 1822 énonce
la règle de la spécialité de l’exercice, qui interdit
l’emploi des crédits d’un exercice au paiement
d’une dépense faite au titre d’un autre exercice et le
permet seulement pendant l’année qui donne son
nom à l’exercice et la période complémentaire de
l’année suivante. L’ordonnancement se termine
alors le 30 septembre, les paiements le 31
décembre, date invariable de clôture de l’exercice,
indépendamment du mode de comptabilité. Les
demandes de paiement qui parviennent aux caisses
après la première date-limite peuvent faire l’objet
d’un réordonnancement avec imputation de la dette
sur l’exercice suivant. Cette règle, qui est respectée,
est un progrès considérable par rapport à la
situation d’avant 1789. Elle est étendue aux recettes
dans l’ordonnance du 31 mai 1838. Les progrès
sont encore marqués au XIXe siècle : la durée de
l’exercice passe de 24 mois en 1822 à 20 mois en
1850 et 16 mois en 1889, le délai de
l’ordonnancement des services de matériel étant
encore plus faible.
La tenue des journaux. Le Régent constate en 1716
que l’une des causes du désordre dans les finances
qui a produit autant de fraudes et d’abus est
l’abandon de la tenue des journaux par les
comptables. L’édit du mois de juin 1716 rappelle et
généralise ceux de 1600, 1634 et 1669 qui ont fait
de cette tenue une obligation pour une partie de ces
officiers — mais qu’est-ce qu’un comptable sans
comptabilité ? —. Il a été facile aux comptables de
se présenter en créanciers alors qu’ils étaient
débiteurs vis-à-vis de l’État ; certains ont payé en
papier ce qu’ils avaient reçu en espèces et lésé un
grand nombre d’officiers couchés sur les états du
roi. Le but du nouvel édit est de connaître en tout
temps l’état des caisses publiques, suivre l’emploi
que les comptables en font, punir les prévaricateurs
et dissiper le soupçon général d’enrichissement
dans les fonctions qui pèse sur eux. Il se double
d’une mission d’inspection ponctuelle confiée aux
subdélégués qui doit permettre de parapher et de
viser en l’état tous les registres des receveurs des
tailles et des commis à la recette générale, soit les
registres-journaux et livres de dépouillement pour
chaque imposition de 1716 et des années
précédentes. Les quittances* comptables, les
récépissés à compte, les rescriptions ou traites sont
visés et répertoriés, de même que les quittances et
récépissés à compte des parties prenantes. De cette
façon, le Conseil a pu faire compter tous les
receveurs jusqu’au 1er juillet 1716, sans
déguisement de la réalité ni détournement de fonds
possible, et donc repartir du bon pied. Des
inspecteurs en mission de nouvelle création doivent
ensuite surveiller la gestion des receveurs de chaque
généralité. Sept ans plus tard, par la déclaration du
4 octobre 1723, le roi fait savoir que les résultats
sont encourageants, mais que « l’intérêt particulier
[personnel] de ceux à qui la confusion peut être
avantageuse [a] fait éluder l’exécution de cette loi
dans plusieurs autres parties de nos finances », si
bien qu’il faut mettre les points sur les i.
L’édit de 1716 prescrivait de distinguer l’exercice
pour tout article de recette ou de dépense ; le
journal unique pouvait ainsi se terminer au dernier
folio. C’est un indice de l’évolution future vers la
gestion annuelle. La déclaration de 1723 oblige au
contraire les comptables et commis à tenir un
journal par exercice, qui comporte donc des parties
sur plusieurs années, et dans les faits de
nombreuses années. Si le comptable est
constamment en exercice, il change de livre chaque
année ; si l’exercice est alterné, chaque comptable
tient un journal pour chaque exercice dont il est
chargé. Si un volume ne suffit pas, un autre peut
être ouvert après avoir été revêtu des mêmes
formes. Les officiers et commis peuvent tenir à
nouveau des livres de dépouillement du journal, à
condition de n’y transcrire ou employer que des
articles du journal et de les faire parapher comme
celui-ci. La déclaration de 1716 prescrivait aux
receveurs seulement l’envoi d’une copie tous les
quinze jours. Chaque comptable, et c’est un point
essentiel, envoie au Conseil une copie des
inscriptions mensuelles de chacun de ses journaux,
signée et certifiée par lui, au début du mois suivant.
Le contrôleur général doit donc être informé chaque
mois de la situation des caisses et des mouvements.
Les nouveaux journaux, selon les formes prescrites
par la déclaration de 1723 (des modèles sont
annexés), doivent servir à partir de l’exercice 1724,
les comptables et commis pouvant garder leurs
journaux pour terminer les exercices précédents, en
se conformant à la déclaration dans la mesure du
possible. Ceux qui ne respectent pas la loi risquent
la dépossession ou la restitution du quadruple* en
cas de recette omise dans le registre ou de fausse
dépense (ce sont deux sanctions disciplinaires),
sans préjudice de poursuites pénales en cas de
concussion ou divertissement (sanctions pénales
disjointes des précédentes, comme de nos jours).
Le mode de comptabilité. Une expérience a été
tentée dans la comptabilité en deniers de 1716 à
1726 sous la conduite des quatre frères Paris*, afin
de compléter les mesures analysées ci-dessus.
Antoine Paris l’aîné a été receveur général des
finances du Dauphiné et a appliqué avec succès la
méthode de la partie double* à ses écritures*. Ils
sont appelés au ministère afin de généraliser son
emploi à toutes les recettes, autrement dit aux
impôts directs : il s’agit de contrôler plus
rapidement et plus efficacement les comptables
dans cette partie et de connaître à chaque instant
leur situation vis-à-vis de l’État. C’est dire les
limites de la partie simple*. La partie double est
appliquée aux écritures* centrales : les receveurs
envoient des copies de leurs journaux, qui servent à
confectionner au contrôle général un journal
général en partie double et des grands livres dans
lesquels figurent des comptes propres à chaque
comptable et des comptes d’ordre correspondant à
chaque chapitre de recette ou de dépense des
élections et généralités. Les Paris ont voulu étendre
la méthode aux dépenses des trésoriers, suscitant
des résistances intéressées qui ont entraîné leur
chute en même temps que celle du duc de Bourbon.
La partie double a été abandonnée en 1726, en
même temps que l’obligation pour les comptables
d’envoyer les copies mensuelles de leurs journaux ;
les receveurs généraux des fermes ont continué
d’envoyer ces extraits au bureau de comptabilité de
la Ferme générale, alors que ceux des finances
n’avaient plus qu’à fournir des bordereaux*
mensuels. C’est une victoire du désordre dans la
partie la plus faible du service, celle qui est soumise
à la régie.
La partie double est un instrument de centralisation
dans la mesure où elle permet de multiplier les
comptes sans multiplier les comptables. Dans le
système existant, il n’y a pas de centralisation
131
comptable des caisses et de leurs opérations. Certes,
le travail administratif est plus lourd, mais la
comptabilité en partie double présente l’avantage
inappréciable de contrôler simultanément les fonds
et les comptables. Turgot et Necker* ont eu en vue
la réduction du nombre des caisses. Un observateur
juge en 1780 que les financiers s’opposeront
toujours à la partie double « par la crainte que l’on
ne voie trop à découvert les objets de leur
administration ». Une condition nécessaire est donc
leur suppression définitive et, dit l’auteur, ils s’y
attendent. Par suite la partie double a été appliquée
à une partie des écritures centrales du Trésor en
1788, étendue aux écritures des receveurs et
receveurs généraux des finances en 1808 et aux
payeurs du Trésor en 1838 ; le décret du 29
décembre 1962 impose enfin la partie double à
toutes les écritures de la comptabilité publique en
deniers de l’État.
Le contrôle administratif. Il est exercé par les
officiers placés près des comptables pour exercer le
contrôle proprement dit (contrôleurs généraux ou
contrôleurs), quand ils existent, par celui des
ministres dont ils dépendent plus particulièrement
et des ordonnateurs secondaires qui ont aussi des
comptes à rendre à leur ministre à leur sujet. Il
s’agit surtout de surveiller la régularité de leur
gestion, autrement dit leur honnêteté, et de
connaître la situation de leur caisse. Les contrôleurs
avaient tendance à s’entendre avec les comptables
pour partager le produit d’exactions et de
dilapidations auxquelles ils avaient le devoir de
s’opposer, lorsque leurs gages et émoluments
n’étaient pas payés. Il a été permis, dans certains
cas, d’être comptable et contrôleur à la fois, ce qui
annulait le contrôle ; cependant l’édit d’août 1669
défend aux contrôleurs de servir avec un parent
receveur ou receveur général des domaines ou des
finances. D’autre part, ce contrôle est sujet à
caution lorsque le comptable est obligé de verser
par anticipation une partie de la recette ou des fonds
au Trésor, ce qui est le cas des principaux
comptables au XVIIIe siècle. Cette fonction de
banquier, officieuse même si le public qui leur prête
sait à quoi servent les avances, tend à prendre le
dessus sur la fonction de comptable et peut mettre
en danger le service public.
Le comptable ne produit pas son journal à ses juges.
Il confectionne, généralement à ses frais, un compte
administratif annuel selon modèle dit état au vrai*
pour l’autorité administrative (le Conseil royal des
finances ou le bureau des finances*), puis un
compte, beaucoup plus volumineux et différent par
le contenu, pour la Chambre des comptes dont il est
justiciable, lorsque son exercice est en état d’être
présenté. L’état au vrai est comparé à l’état du roi*,
afin de justifier sa recette et l’exécution des
dépenses contenues dans l’état ou la reprise de ce
qu’il n’a pas acquitté. L’édit d’août 1669 interdit au
132
comptable de porter dans le compte aucune partie
rejetée lors de l’examen de l’état au vrai et l’oblige
à présenter après cet examen son compte d’exercice
au juge et dans l’année qui suit celle de l’exercice,
sauf délai plus long prévu par la loi, sous peine
d’astreinte. La dernière prescription est un vœu
pieux, étant donné les conditions du temps.
Le contrôle juridictionnel des chambres des
comptes*. La forme dans laquelle les comptes sont
dressés et jugés est principalement régie par les
édits d’août 1598 et août 1669. Ce contrôle est
complètement dépassé à la fin du XVIIIe siècle, et il
n’en reste plus guère qu’un délire de formes. Cette
situation résulte de la mentalité des Chambres, aussi
rétrograde que celle des Parlements, et de l’attitude
du gouvernement qui leur a petit à petit retiré la
connaissance d’une partie de leurs affaires. Les
successeurs de Necker cherchent à renforcer le
système des comptables et des caisses en défaisant
une partie de son œuvre. De son côté, la Chambre
des comptes de Paris croit toujours que, dès qu’une
caisse grossit, il faut songer à la diviser et à créer un
nouveau comptable, et que la combinaison ou la
consolidation des comptes est une source de
confusion et de retard. C’est elle qui a perpétué la
séparation des comptes de la taille, de la capitation
et du vingtième. D’autre part, sur fond de
jansénisme, elle ne cherche que la faute du
comptable : pour elle il n’existe pas de comptable
malheureux. Le gouvernement a pu en protéger
quelques-uns de la faillite, sous l’influence d’un
ministre qui cherchait à réformer un système qui les
produisait. Francis Bosher ajoute que la réduction
du nombre des comptes diminue les revenus des
magistrats. Des procédures judiciaires permettent
bien aux créanciers de poursuivre un comptable
failli : le système réprime les faillis, il ne prévient
pas la faillite. D’un autre côté, des comptes en règle
ne disent pas de combien le comptable s’est enrichi
par un usage intelligent des fonds à sa disposition,
ni ne révèlent l’évolution de sa situation. Les
contrôleurs suivent rarement d’assez près les
recettes et les dépenses pour prévenir les abus : seul
le comptable sait ou doit savoir à tout moment
combien il y a d’argent dans sa caisse et combien il
devrait y en avoir.
Sans aller jusqu’à dire avec Pascal « chat fourré
d’hermine, vain appareil », l’on peut faire confiance
à l’ancien intendant de la Marine Malouet (1740-
1814) qui, tout en étant favorable au jugement des
comptes publics, condamne en ces termes les
anciens tribunaux. La comptabilité, dit-il en 1790,
n’est autre chose que les pièces justificatives d’une
dépense. « Il faut que ces pièces soient
authentiques, voilà ce que prescrit la raison ; mais
leur nombre, leurs formes, la multiplicité des états
et des signatures au-delà du nécessaire, voilà ce qui
n’importe point au maintien de l’ordre et ce qui y
nuit le plus sûrement [...]. Il faut, pour tel genre de
dépense, rapporter une décision du ministre, pour
tel autre un ordre du roi : trois, quatre, cinq officiers
différents doivent signer un état et cependant on
paie provisoirement sur l’ordre de l’ordonnateur, de
sorte que ce n’est qu’après la dépense faite qu’on y
applique les formes et qu’on y supplée par d’autres
formes, par des ordres du roi, par des lettres
ministérielles, quand il y a impossibilité de remplir
les premières. Ainsi toute cette science se réduit à
mettre une grande importance aux formes, mais à
les violer quand on le juge à propos et à multiplier
les simulacres de preuves, lorsqu’il serait si
raisonnable et si utile de s’en tenir à celles qui
suffisent». Malouet déplore que la Chambre des
comptes de Paris ait adopté et consacré toutes ces
formules: «cette cour [...] déploie toute son
autorité, non pas sur la conduite des comptables,
mais sur la forme nominale arithmétique des pièces
qu ’ils produisent ; et tel compte de la Marine qui
coûte cent mille francs d’épices pour la chambre et
qui l’occupe pendant un an, ne produit pas
quelquefois pour cent écus de remarque et de
radiation car la chambre ne peut ni vérifier ni
connaître un marché* onéreux, une dépense
exagérée, lorsque les pièces qui les justifient
matériellement sont revêtues des formes exigées.
Ainsi l’institution de la Chambre des comptes,
sagement motivée dans son origine pour surveiller
les négligences et les déprédations, a été tellement
altérée et se réduit aujourd’hui à des fonctions si
dérisoires qu’on aurait lieu de s’étonner qu’elles
puissent convenir à des magistrats, si l’on n’avait
compensé leur nullité par des distinctions, des
prérogatives et des émoluments correspondant à la
finance de ces charges. »
La responsabilité personnelle et pécuniaire du
comptable public. La responsabilité du comptable
est envisagée de manière différente de celle de tous
les autres officiers du roi*. D’abord, ainsi que nous
l’avons vu, cet officier titulaire est tenu de fournir
les cautions* jugées nécessaires à ses fonctions :
c’est donc que sa finance n’est pas un gage
suffisant. Certes le roi peut en dispenser le nouveau
venu. Le comptable doit faire élection de domicile
chez un procureur des comptes (avoué), afin de
faciliter les procédures qui le concernent. Il ne peut
posséder deux offices comptables à la fois et, pour
passer de l’un à l’autre, il doit avoir rendu et apuré
ses comptes, sauf dérogation accordée par le roi.
S’il veut être reçu dans un office de Chambre des
comptes (office de justice), il doit de même apurer
ses comptes. La Chambre des comptes est seule
compétente en matière de prévarication. Le roi a
privilège sur ses meubles et sur l’office. Il a le droit
d’hypothèque sur les immeubles que le comptable a
acquis avant sa réception, du jour de l’entrée en
exercice. Sur ceux qui ont été acquis depuis la
réception, le droit du roi passe après celui du
vendeur et des prêteurs. La séparation de biens
d’avec l’épouse ne lui est opposable, et encore sous
certaines conditions, qu’en présence et avec le
consentement du procureur général du roi de la
chambre dont le comptable est ressortissant. Selon
une déclaration du député Camus (1740-1804)
datant de septembre 1791, il y a alors quelque 1 800
comptables anciens et nouveaux. Le retard pris dans
l’apurement de leurs comptes a été tel que, bien
souvent, l’hypothèque légale sur leurs biens a été
prolongée jusqu’au rétablissement d’un tribunal des
comptes en 1807 et même au-delà.
La fin de l'autonomie des caisses. L’un des grands
défauts de l’ancienne comptabilité publique est
qu’elle n’est pas générale. La Ferme générale* est
le mieux organisé des services de recettes : les
fermiers sont un comptable collectif dont la caisse
est unique, les caisses annexes de province, au
nombre de 181 en 1763, en sont des parties
constitutives comme la caisse centrale et elles sont
suivies depuis Paris, ce qui est un avantage capital
sur le Trésor royal*. Le caissier général et les
receveurs-caissiers sont responsables devant les
fermiers, qui transmettent leurs ordres aux
directeurs et se déplacent régulièrement pour des
tournées d’inspection. Ils envoient facilement et
sûrement des espèces d’une caisse à l’autre, et
chaque caisse est prête à effectuer des paiements
pour le roi ou pour la compagnie, comme le ferait
une banque. Les fonds morts sont vite repérés et
envoyés à Paris. Il n’y a pas de contrôle permanent
de la part de l’État, parce que l’application des
termes du bail doit suffire. Les receveurs généraux
des finances*, au contraire, ne forment pas une
compagnie. Tout au plus une caisse commune* leur
a-t-elle été imposée en 1716 afin de recevoir les
recettes nettes (celles qui ne sont pas destinées au
paiement des dépenses locales) en espèces ou en
rescriptions à tenne. Sinon chacun a sa
soumission*, son état du roi*, ses comptes à rendre
et administre les recouvrements dans sa généralité
sans lien avec les autres receveurs généraux, pas
même avec son compagnon d’exercice. D’autre part
les deux gardes du Trésor n’ont pas d’autorité sur
eux ni sur les autres comptables et les deux caisses
ne forment pas une recette homogène ni complète.
L’éparpillement des fonds et l’absence de
centralisation comptable multiplient les fonds morts
et créent des dettes artificielles, d’où des besoins de
fonds supérieurs à ce qu’ils devraient être.
Comme nous l’avons dit, Turgot, Necker et aussi
Terray ont cherché à diminuer le nombre de caisses.
Si Necker était resté ministre quelques années de
plus, l’unité de caisse aurait été établie
définitivement ; Brienne (1727-1794) l’a réalisée, et
il a reconnu qu’il avait suivi le plan de son
prédécesseur. En 1777, Necker a d’abord supprimé
les 481 offices de receveur et de receveur général
des domaines et bois, de contrôleur et divers offices
et a formé une Administration générale des
133
 domaines en régie pour le compte du roi, qu’il a
agrandie en 1780 aux dépens de la Ferme générale.
L’unité de caisse passe par l’unification d’une
comptabilité, devenue générale, qui décrirait
l’activité de l’ensemble des caisses conservées. Le
contrôleur général des finances est censé présenter
au roi la situation hebdomadaire, mensuelle,
trimestrielle et annuelle du Trésor. Il doit vérifier
que recettes et paiements autorisés ont été effectués
et comparer les états au vrai* avec les ordres
d’origine (états du roi et documents équivalents).
Notons en passant que, de 1715 à 1723 et de 1777 à
1783, cette tâche a été confiée aux gardes des
registres du contrôle général, qui sont les
contrôleurs des gardes du Trésor. Les bureaux des
premiers commis des finances étaient supposés
établir tous les états de recette et de dépense du
Trésor et suivre journellement, dans la mesure du
possible, la situation de toutes les caisses, les
paiements en argent ou en effets et vérifier le bien-
fondé des réclamations sur le Trésor. Or, Louis XVI
avoue, dans le préambule de la déclaration du 17
octobre 1779, que pour obtenir un tableau des
recettes et des dépenses de l’État, il faut se livrer à
des recherches que seul le ministre des finances
peut faire et qui lui apportent cependant « la
connaissance la plus intéressante pour [ses] plans et
[ses] déterminations ». Les registres et comptes du
Trésor doivent fournir « l’universalité » des recettes
et des dépenses effectuées, or, ils sont incomplets,
une partie des impositions comme des dépenses n’y
étant ni versée ni connue. Le roi veut donc que
toute dépense et toute recette passent au Trésor en
espèces ou en écritures sous fonne de quittances*
ou d’assignations*. A compter de l’exercice 1780,
tous les comptables qui auront reçu des deniers n’en
seront valablement déchargés qu’en apportant des
quittances comptables des gardes du Trésor pour
l’ensemble de leur recette. De même les gardes
devront-ils distinguer les recettes ordinaires des
recettes extraordinaires, et de même des dépenses.
Necker présente dans son Compte rendu au Roi de
1781 cette «première loi» sur la comptabilité
comme une nouveauté, « à cause des divisions
établies dans la comptabilité et faute d’avoir fait du
Trésor royal un centre commun où tous les rayons
se rapportent». Il a préparé ainsi l’unification du
Trésor. Pourtant, il ne veut donner à voir au public
que les budgets restreints aux recettes et dépenses
nettes, ou budget du Trésor, et les raisons qu’il en
donne dans le même Compte rendu au Roi sont
oiseuses.
La tenue des journaux selon l’édit de 1716 paraît
toujours effective, encore que l’abbé Terray (1715-
1778) se soit attiré des protestations de la part des
receveurs généraux des domaines et bois, lorsqu’il
leur a rappelé cette obligation. Necker rappelle de
son côté aux comptables payeurs qu’ils doivent
soumettre leur état au vrai au Conseil royal des
finances avant de rendre leurs comptes, parce qu’ils
134
l’ont oubliée depuis longtemps (déclarations du 1er
mars 1781, et du 12 juin pour la Guerre) ; tous les
comptables indistinctement doivent désormais
compter au Conseil. L’un des auteurs de
Y Encyclopédie méthodique désire, vers 1785, que
« tous les comptables, d’accord avec leurs
contrôleurs, fussent obligés à fournir, à la fin de
chaque trimestre, à l’administration générale des
finances un bordereau de la situation de leur caisse
qui présenterait l’état de leur recette et dépense et
des fonds non employés ». L’envoi de copies
mensuelles des journaux des receveurs des finances
prescrit en 1723 n’ayant pas été maintenu, la
comptabilité publique est restée tronçonnée.
L’ornière, c’est toujours le compte annuel dit état
au vrai fabriqué après coup et qui ne représente pas
une comptabilité.
Pourtant, en 1778, Necker a fait prendre une autre
mesure pour en sortir (arrêt du Conseil du 18
octobre 1778 que complète l’arrêt de 1779 ci-
dessus). Il y est dit que les comptables et officiers
chargés de payer des dépenses pour le compte du
roi sont tenus de faire connaître à l’administration
des finances, chaque fois qu’elle le demandera,
l’état de leur caisse et de tenir les registres et livres
de comptes qu’elle croira nécessaires pour l’ordre et
la clarté. Necker rappelle qu’ils doivent tenir un
journal ; un compte des recettes et dépenses sera
remis à la fin de l’année au greffe de la Chambre
des comptes pour servir de contrôle à l’état au vrai.
Le même compte doit être remis tous les mois et
par cahiers à l’administration des finances. Les
trésoriers et commis en province feront de même.
Et l’unité du Trésor justifie que les trésoriers
généraux soient désonnais nommés par le roi sur la
proposition de son ministre des finances, et non
plus des ministres dépensiers. La mesure la plus
remarquée de l’arrêt se rapporte aux avances et
billets à tenue, que les trésoriers ne peuvent plus
faire sans un ordre du roi, parce qu’elle a provoqué
la chute d’un trésorier général et du ministre de la
Marine en 1780. La mesure est renforcée après cet
incident : les billets à tenue doivent être garantis
par le roi au moyen d’un sceau spécial, et non plus
seulement par le comptable qui les émet (arrêt du
Conseil du 24 décembre 1780). Le plan
d’unification du Trésor est repris en 1788 et, dès ce
moment, l’unité est en bonne voie (notices Trésor
royal*, receveurs et receveurs généraux des
finances*).
La nocivité du mélange des fonctions des
comptables. On a souvent confondu ce second
problème avec celui du statut des comptables. De
nombreux écrivains prétendent que des comptables
par commission auraient beaucoup moins
prévariqué, principalement parce qu’ils auraient été
davantage subordonnés : méconnaissant la situation
voire l’existence des officiers à commission, ils
supposent que les officiers titulaires étaient des
travailleurs indépendants, ce qui est une contre­
vérité. Michel Bruguière dit plus justement de
l’ancien système de finances que les sujets du roi
étaient sollicités comme contribuables et comme
prêteurs, mais non les banquiers ni les
commerçants. Il y voit une vieille habitude et un
vieux préjugé. Les prêteurs n’étant pas sûrs d’être
remboursés, ils demandent un taux plus élevé : la
méfiance coûte donc cher à l’État français, et John
Francis Bosher a avancé le taux moyen de 3 % en
Angleterre*, contre 6 % en France à la fin de
l’Ancien régime. Le gouvernement royal a toujours
exigé une garantie personnelle ou privée pour les
billets de toute sorte, rescriptions*, assignations*,
etc. Il s’agit donc toujours de personnes (la Caisse
d’escompte est une commandite) et le vrai
problème est ici : les Français se méfient des
affaires en général, et des sociétés anonymes en
particulier, comme le prouve la gestation difficile
de la loi de 1867 sur les sociétés.
L’on dit aussi, et à juste titre, que les comptables
n’avaient pas intérêt, dans l’ensemble, à la clarté de
leurs comptes, parce qu’ils n’auraient plus joui des
bénéfices qu’ils s’octroyaient en faisant valoir à
leur profit les fonds dont ils étaient comptables
envers le Trésor ou qu’ils devaient remettre aux
créanciers de l’État, ne fût-ce que pendant quelques
mois. En effet, les états au vrai, comme les
journaux, ne se rapportent qu’aux affaires du roi ;
ils ne donnent aucun renseignement sur les affaires
privées du comptable ni sur l’utilisation qu’il fait
des fonds entre l’encaissement et la dépense ou
l’envoi à une autre caisse. Les affaires privées ne
deviennent publiques que lors des poursuites
judiciaires qui suivent une faillite. Les comptables
prêtent à court tenne, ils avancent de l’argent en
attendant d’encaisser les impôts et paient ainsi les
dépenses assignées sur leur caisse, lorsqu’ils
manquent de fonds. Leur crédit n’est pas le crédit
public, vu qu’ils s’endettent de la part du roi au
moyen de billets, de rescriptions négociables qui
circulent comme une sorte de monnaie.
Les partisans des comptables titulaires et des
financiers représentent que l’on ne prête pas à des
fonctionnaires, mais à de riches hommes d’affaires.
Certains d’entre eux sont intéressés dans de grandes
affaires industrielles ou financières, tel Baudard de
Sainte-James (1738-1787). La plupart des
comptables doivent pourtant déjà emprunter pour
acheter leur charge. Joly de Fleury (1718-1802),
successeur de Necker et son conseiller Marquet de
Bourgade (1718-1784) sont persuadés qu’un
comptable titulaire est plus actif, efficace et
économique d’un fonctionnaire : c’est un argument
du passé qui va avoir un bel avenir, si l’on remplace
l’officier titulaire par « le privé ». Le ministre
Calonne (1734-1802) croit que le crédit de l’État et
celui des financiers se soutiennent mutuellement,
qu’il n’y a pas de différence essentielle entre les
fonds publics et les fonds privés. Bertrand Dufresne
*, premier commis des finances sous Necker puis
directeur du Trésor et d’autres autorités reprochent
au contraire à la vénalité d’être un mode d’emprunt
vicieux, de même que la dette flottante (les
anticipations*) qui s’appuie sur le crédit individuel
des comptables, intermédiaires inutiles qui font
pression sur le ministre des finances, leur obligé. Il
vaudrait mieux, pensent-ils, créer une banque
nationale... qui serait privée comme la Banque de
France l’a été de sa création à 1936, en regroupant,
ainsi qu’il a été si souvent dit, les ceux cents
familles les plus riches du pays. D’autres insistent
sur la nécessité de séparer l’emploi public des
comptables de l’autre, en ne permettant pas que
l’argent public serve des intérêts privés.
Pour faire face aux anticipations* ou crédit à court
terme, la France dépend de ses comptables et des
fermiers de l’impôt, alors que l’Angleterre peut
entièrement compter sur sa banque. Les rentrées
fiscales n’étant pas régulièrement réparties dans
l’année, le système des avances doit pennettre de
dépenser l’argent dès le début de la mise en
recouvrement des impôts. L’affermage le permet :
la Ferme générale verse la moitié du montant prévu
au bail au début de chaque année et avance de plus,
dans les années 1780, de l’argent à 4 %. Chaque
receveur général des finances* doit envoyer au
début de l’année des rescriptions* aux trésoriers
mentionnés dans son état du roi* et qui pourront les
négocier par suite du crédit du receveur. Cette
obligation s’ajoute à la soumission* annuelle ou
montant d’impôt qu’il s’engage à encaisser en
plusieurs tenues. Rescriptions* et effets de la
Ferme générale tiennent lieu de banque d’État*.
Trésoriers et payeurs doivent de même faire
l’avance des sommes qui leur manquent en fonds
libres et en obtiennent ensuite le remboursement
avec intérêt. En 1783, les avances au Trésor, ce
qu’on appelle « le service », se montent à la somme
énorme pour des particuliers de 150 millions, dont
36 en billets de la Fenne, 45 en rescriptions et 69 en
assignations sur les fennes et régies et sont le fait
d’une douzaine de comptables et de financiers. Le
montant du «service» a varié de 151 à 255
millions pendant les années 1769-1788.
L’année 1787 est marquée par une série de faillites
retentissantes de comptables, sans compter les
situations proches de la faillite. L’archevêque
d’Aix, Boisgelin de Cucé (1732-1804), note que le
service ne se fait qu’avec de l’argent venant du
Trésor. Le public retire ses fonds : les faillites lui
sont dues car il ne veut pas prêter d’argent à l’État à
cause d’un ministre discrédité, et ces prêts sont une
des spéculations qui s’offrent à lui, non la seule.
Calonne s’est compromis auprès des Notables par
ses spéculations sur le cours des actions de la
Compagnie des Indes que Mirabeau a révélées.
C’est une crise qui ébranle la confiance dans la
solidité des finances publiques. Calonne ne dit rien
du système financier aux Notables, mais eux s’y
135
intéressent et émettent des recommandations
tendant à en changer. Ils se détournent ainsi du
problème fiscal qu’il leur a posé et qui les gêne. Les
archevêques résolvent le problème du Trésor
l’année suivante. Mais l’État a besoin de 240
millions d’anticipations en 1788, et le marché ne
peut les fournir : c’est ainsi que Brienne veut
imposer le paiement en billets d’État (arrêt du
Conseil du 16 août 1788), qui est la cause de sa
chute. Comme le dit le maréchal de Castries, la
réforme du Trésor de mars 1788 serait une bonne
mesure, s’il y avait de l’argent. L’Assemblée
nationale et une grande partie de l’opinion publique
détestent autant les banquiers que les financiers
pour les profits qu’ils ont réalisés avec l’État.
L’Assemblée s’attaque aux anticipations en
décidant en principe d’abolir la vénalité des
offices ; elle condamne la théorie du crédit par
intermédiaires afin de lui substituer les assignats
garantis par la nation et qui, dans les faits, l’ont
engloutie.
Les comptables publics après 1814
L’anarchie voile encore l’activité des comptables et
des ordonnateurs* pendant la dictature révolu­
tionnaire puis impériale. Les premiers en ont bien
profité. Le changement le plus considérable de
notre point de vue a eu lieu en 1808, lorsque la
comptabilité en partie double a été enfin imposée
aux receveurs et aux receveurs généraux des
finances*. Nous donnons quelques indications sur
les payeurs du Trésor* et sur les receveurs généraux
des finances* dans les notices qui leur sont
consacrées et développons ci-après la situation
générale à partir de 1814, le complément étant
consigné dans la notice comptabilité
administrative*. Elle épouse sans surprise l’ancien
ordre comptable amélioré et complété par le
nouveau droit budgétaire, et c’est à croire que
l’ancien gouvernement n’a pas su se servir d’une
machine au rendement médiocre, mais qui était en
ordre de marche.
Les comptables justiciables de la Cour des comptes
et les autres. Le décret du 31 mai 1862 portant
règlement général sur la comptabilité publique
définit ainsi les fonctions respectives des
comptables et des ordonnateurs (articles 14 et 17).
« Les administrateurs et les ordonnateurs sont
chargés de l’établissement et de la mise en
recouvrement des droits et produits, ainsi que de la
liquidation et de l’ordonnancement des dépenses.
Des comptables responsables sont préposés à la
réalisation des recouvrements et des paiements.
[...]. Les fonctions d’administrateur et
d’ordonnateur* sont incompatibles avec celles de
comptable». La loi du 16 septembre 1807, qui
ressuscite les Chambres des comptes, exclut les
ordonnateurs de la juridiction de la nouvelle cour,
parce que, selon l’expression de Defermon (1752-
136
1831), « la Cour ne saurait juger le
gouvernement ». L’ordonnance du 14 septembre
1822 dispose qu’aucune manutention de deniers de
État ne peut être exercée, aucune caisse publique ne
peut être gérée que par un agent placé sous les
ordres du ministre des finances, nommé par lui,
responsable envers lui de sa gestion et justiciable de
la Cour des comptes.
Des précautions sont toujours prises vis-à-vis des
comptables : l’État possède une hypothèque légale
sur leurs biens (Code civil, article 2121) et un
privilège réglementé par la loi du 5 septembre 1807
(article 2098) ; les comptables doivent déposer un
cautionnement comme certains agents supérieurs
des Finances qui ne sont pas considérés comme des
comptables publics. Le comptable est titulaire et
responsable sur ses deniers de ceux de sa caisse. La
responsabilité du comptable reste personnelle et
pécuniaire. Il ne peut espérer obtenir qu’une
décharge de responsabilité ou une remise gracieuse
par le ministre des finances, lorsque le juge le met
en débet. La prescription ne s’éteint pas avec la
mort, étant de trente ans à compter de la fin des
fonctions : les héritiers peuvent avoir à répondre
d’un débet. L’ordonnateur, qui disparaît en quelque
sorte dans ses comptes, selon l’expression de René
Stourm, n’est assujetti à aucune de ces obligations :
nul lien matériel ne l’assujettit à ses fonctions. Sa
responsabilité passe par d’autres voies, si l’on veut
la faire jouer.
Au début de sa nouvelle existence, la Cour des
comptes* n’a eu comme justiciables qu’une partie
des comptables publics, les autres n’étant
comptables que devant les ministres, qui statuaient
seuls sur leur responsabilité, sauf recours au
Conseil d’État. Il existe encore des comptables de
cette espèce, par exemple les chefs de corps et les
trésoriers militaires qui ressortissent au ministre de
la défense. En 1838, la circonscription des
comptables dépendant du ministre des finances, en
d’autres termes les comptables du Trésor, est à peu
près complète. On distingue les comptables
principaux, supérieurs ou directs qui rendent leurs
comptes à la Cour des comptables subordonnés, qui
ont au préalable compté de clerc à maître* avec
eux ; cette deuxième catégorie, qui comprenait au
moins les receveurs particuliers depuis 1772, s’est
agrandie. Sont justiciables de la Cour (liste de 1838,
article 331 complétée par celle de 1862,
article 375), sans compter les comptables de fait ou
occultes ni les comptables des matières institués en
1843 :
- receveurs généraux des finances,
- payeurs du Trésor,
- receveurs de l’enregistrement, du timbre et des
domaines,
- receveurs des douanes et sels,
- receveurs des contributions indirectes,
- directeurs comptables des postes,
- directeurs des monnaies,
- caissier central du Trésor,
- comptable des virements de comptes (c’est un
comptable d’ordre).
La deuxième partie de la liste comprend les :
- trésoriers et comptables des colonies,
- trésorier général des invalides de la Marine,
- économes des collèges royaux,
- commissaires des Poudres et Salpêtres,
- agent comptable du transfert des rentes inscrites,
- agent comptable du grand livre,
- agent comptable des pensions,
- caissier de la Caisse d’amortissement et de la
Caisse des dépôts et consignations,
- agent comptable des chancelleries consulaires,
- caissier de l’Imprimerie royale,
- caissier de la régie des salines de l’est,
receveurs des communes, hospices et
établissements de bienfaisance au-dessus d’un
certain montant
- et divers comptes attribués par les lois et
ordonnances royales.
La Cour statue sur les appels formés contre les
arrêtés des conseils de préfecture des receveurs des
communes, hospices et établissements de
bienfaisance (au-dessous d’un certain montant) ou
contre les conseils privés des colonies, à l’égard des
comptes des comptables soumis à la juridiction de
ces conseils.
La comptabilité des comptables. Elle est décrite
dans la notice comptabilité administrative*. Il est
question des avances des receveurs généraux des
finances dans la notice qui leur est consacrée, mais
il est utile de reparler ici des anticipations, afin de
faire sentir qu’elles n’ont pas disparu au XIXe
siècle, quoiqu’elles n’aient plus du tout les
proportions qu’elles avaient avant la Révolution.
Une partie de ce qu’on appelle avances sert alors à
alimenter la dette flottante, comme celles qui sont
imposées aux payeurs généraux et aux receveurs
généraux des finances (aux trésoriers-payeurs
généraux des finances après la fusion de 1867). Une
autre partie est versée par les comptables publics
pour divers services publics, et en particulier pour
frais de poursuites, instances, saisies, etc. Enfin
l’État fait lui-même des avances contre
remboursement. D’autres avances sont inscrites au
contraire au budget des recettes : ce sont des prêts
appelés fonds de concours.
Les trésoriers-payeurs généraux doivent constituer,
pour toute la durée de leur gestion, une avance
égale au montant de leur cautionnement, à laquelle
s’ajoutent les fonds qui leur sont confiés, à titre
personnel, par des particuliers. Ces fonds, déposés
au Trésor, ne peuvent recevoir d’autre affectation
que le service du Trésor. Les autres comptables sont
conduits à faire des dépôts d’avances momentanés,
par exemple lorsqu’il y a insuffisance de fonds pour
payer les dépenses assignées sur leur caisse. Ces
comptables ont le devoir de se couvrir de leurs
avances au moyen des sommes provenant des
premiers recouvrements qu’ils effectuent pour le
compte de l’État. Les percepteurs ne sont pas tenus
d’avancer de l’argent sur leurs fonds personnels, et
leur avance ne peut dépasser le l/24c du montant
des rôles ni le montant des douzièmes échus. De
plus l’utilisation des fonds des communes à titre
d’avance pour le service des contributions est
formellement interdite. B.L.
Sources : Encyclopédie de Diderot et d’Alembert,
Encyclopédie méthodique, partie Finances, articles
Comptable, Trésor public et Trimestre. Malouet
P.V., « Rapport fait à l’Assemblée nationale sur les
dépenses et le régime économique de la Marine, le
20 avril 1790 », reproduit dans le Recueil des lois
relatives à la Marine et aux Colonies, t. 1, p. 211 et
suivantes.
Bibliographie : Bosher J.F. (1970). Bouchard L.
(1891). Bruguière M. (1986). Crepey A. (dir.), La
Cour des comptes, Paris, CNRS, 1984. Dessert D.
(1984). Dessert D., Les Daliès de Montauban. Une
dynastie protestante de financiers sous Louis XIV,
Paris, Perrin, 2005. Hamon P. (1999). Legohérel H.
(1965). Lemarchand Y. (1997). Say L. (1889-
1894). Stourm R. Cours de finances. Le budget
[son histoire et son mécanisme], Paris, Guillaumin,
1889.
Comptant
Qui se paye « sur le champ ». En France, le terme
désigne ainsi le bureau chargé des paiements. Il
était d’usage de regarder comme comptant tous les
effets* payables dans le cours du mois. Au Trésor
royal*, le bureau du « petit comptant » payait les
sommes au-dessous de 1 000 livres, tandis que le
bureau du « grand comptant » réglait les sommes
supérieures. Par la réforme de mars 1788, le bureau
du grand Comptant fut confié au premier commis
Martin Garat (1748-1830), futur directeur de la
Banque* de France. Il avait la signature de tous les
bordereaux* et reconnaissances du Trésor royal*
qui se négociaient sur la place pour les sommes
portées dans les emprunts publics. Il était chargé
des dépenses et les payait en mandats* sur les
caisses. C’est d’abord à lui que s’adressaient donc
tous ceux qui avaient un paiement quelconque à
faire au Trésor*. On lui remettait le bordereau* de
paiement dont il faisait l’enregistrement sur une
main courante ou mémorial* avec distinction du
comptant et du non comptant. Il ne tirait hors ligne*
et n’émargeait que le comptant. Il gardait les effets*
ou le non comptant pour le déposer au portefeuille
en renvoyait le comptant à la caisse* générale. On
faisait une copie de la main courante sur une feuille
remise à celui qui faisait le paiement. Le caissier
donnait son récépissé* au bas de la feuille après
avoir reçu le comptant. La même feuille était
ensuite portée au bureau de comptabilité* pour être
échangée contre un récépissé* comptable rapporté
137
au premier commis du grand comptant, ce qui
formait un triple contrôle. M.-L. L.
Voir Effet, Partie double
Sources : De la situation du Trésor (1997).
Bibliographie : Henri de Clairval, « Martin Garat,
directeur de la Banque de France », Revue du
souvenir napoléonien, n° 415, octobre-novembre
1997, p. 48-58.
Compte de gestion
Voir Gestion
Compte d’ordre
Il s’agit du livre qui tire les parties du journal et les
range en chapitres* ou rubriques. Pierre Bernard
d’Hénouville indique que ce livre porte différents
noms : « livre de raison » pour Suétone et Stracha
{Livre de commerce) ; « Les Italiens l’appellent
Libro Mestro ou grand livre ». « Dans la finance, on
lui donne le nom d’ordre de compte ou compte
d’ordre, comme voulant marquer par cet épithète
que tout ce qui est mentionné dans le journal est
rapporté et rangé dans celui-ci par ordre et
ordinairement divisé en trois chapitres appelés
recette, dépense et reprise, à l’exception des
comptes qui ne se rendent au Conseil des Finances
que par état de recette et dépense, et sans reprises».
Ferrière précise que c’est « un arrangement qui se
tient dans un compte par le moyen des chapitres
dont il est composé, savoir : premièrement, de celui
de recette, ensuite de celui de dépense, & enfin de
celui de reprise. Un comptable est obligé de se
charger dans le chapitre de recette, du total
d'une somme qu'il avoit à recouvrer, quoi qu'il n'en
ait reçu qu'une partie, à la charge de mettre dans le
chapitre de reprise ce qui lui reste dû, & cela pour
tenir ordre de compte». A.D.
Voir Chapitre, Grand-Livre, Sommier
Sources : Ferrière C.J. (1779), t. II, p. 272.
Hénouville P.D. d’ (1709), p. 24-27.
Compte en débit et en crédit
En matière de finance, le mot compte « se dit d’un
état libellé, d’un acte rendu à la Chambre des
comptes, par lequel un comptable rend raison de la
recette et de la dépense qu’il a faite pendant le
temps de sa gestion » énonce le Dictionnaire des
finances. C’est aussi le sens que l’on retrouve dans
l'Ordonnance civile de 1667, à l’article 1er du titre
XXIX, intitulé de la reddition * des comptes : « Les
tuteurs, protuteurs, curateurs, fenniers judiciaires,
séquestres, et autres qui auront administré le bien
d'autrui, seront tenus de rendre compte aussitôt que
leur gestion sera finie ; et seront toujours réputés
comptables, encore que le compte soit clos et arrêté,
jusqu'à ce qu'ils ayent payé le reliquat s'il en est dû,
et remis toutes les pièces justificatives. »
138
Le compte rendu relève également des pratiques du
monde marchand, dès lors qu’un commerçant agit
pour le compte d’autrui. Il en va ainsi par exemple
du compte rendu par celui qui vend ou achète pour
le compte d’un autre, ou encore des comptes
d’armement ou de désarmement que l’armateur
d’un navire rend à ses partenaires copropriétaires.
Mais pour se rendre compte à lui même — une
expression que l’on rencontre très fréquemment
dans les traités de tenue des livres —, le marchand
utilise le compte en débit et crédit ou compte
courant. Dans la comptabilité d’une entité donnée,
ce compte donne la position — débitrice ou
créditrice — d’un tiers en relation avec cette entité,
au far et à mesure de l’enregistrement des flux réels
ou monétaires intervenant entre elle-même et ce
tiers.
A la différence du compte rendu, qui est dressé à la
fin d’une période et ne sera plus modifié par la
suite, sauf décision administrative ou judiciaire
venant le corriger, le compte en débit et crédit est
ouvert en permanence. Son solde — la différence
entre le total des débits et le total des crédits —
évolue au fur et à mesure des mouvements qui y
sont enregistrés. C’est ainsi que le compte d’un
client sera débité du montant des livraisons qui lui
seront faites, tandis qu’il sera crédité des
règlements reçus de ce même client. Ce type de
compte est l’élément de base des modes de tenue
des livres en partie simple*, en partie double* ou
encore mixte, c’est-à-dire combinant comptabilité
en recettes et dépenses et comptes en débit et crédit.
Ce compte n’est pas simplement un cadre
d’enregistrement comptable mais un véritable
instrument de paiement et de crédit. Issu de la
pratique bancaire, il permet les virements de
compte à compte et donc le paiement sans
mouvements de fonds. Par son fonctionnement
même, il opère novation, au sens juridique du
tenue, en transformant un ensemble de dettes et/ou
de créances en une nouvelle dette ou une nouvelle
créance, dont le montant correspond au solde du
compte à l’instant t.
Fonctionnement
Même s’il est possible que les opérations soient
directement enregistrées dans les comptes,
l’enregistrement se fait généralement en deux
temps. Les opérations font d’abord l'objet d'une
saisie chronologique au journal*, au fur et à mesure
de leur réalisation, pour être ensuite reportées dans
les comptes, lesquels sont regroupés dans un
registre appelé grand livre*. Dans celui-ci, chaque
compte occupe deux pages opposées : le doit ou
débit est sur la page de gauche, tandis que Y avoir
ou crédit est sur celle de droite ; ces deux pages
reçoivent le même numéro, improprement appelé
numéro de folio, alors qu'il s'agit du verso et du
recto de deux feuilles successives. Dans la tenue
des livres en partie simple*, les comptes en débit et
crédit sont uniquement ouverts à des personnes,
physiques ou morales. Une vente à crédit se traduit
par le débit du compte du client, il sera crédité lors
du règlement. Lors d’un achat à crédit, le compte du
fournisseur est crédité, il sera débité lors du
règlement. Dans les comptabilités de deux
commerçants en relation d’affaires, on doit
retrouver des comptes courants réciproques,
symétriques et de soldes opposés. Dès lors que
toutes les opérations qui les relient ont été
correctement comptabilisées chez l’un et chez
l’autre, si le solde du compte de Y dans la
comptabilité de X est débiteur, le compte de X dans
la comptabilité de Y doit présenter un solde
créditeur de même montant. Dans la tenue des
livres en partie double*, des comptes en débit et
crédit sont ouverts non seulement à des personnes,
mais aussi à des opérations, à des lots de
marchandises, aux immobilisations, à la caisse, au
capital, aux profits et pertes, etc. Ce jeu complet de
comptes permet de retranscrire toutes les opérations
de l’entité comptable. Mathieu de La Porte (1704)
fut l'un des tout premiers auteurs à tenter d’en
donner une classification.
Ouvrir un compte, c’est créer un compte dans le
grand livre, en précisant à qui ou à quoi il est
ouvert, pour ensuite le débiter ou le créditer selon
les besoins.
Solder ou souder un compte*, balancer un compte
ou en faire la balance*, consiste à en calculer le
solde ou la balance — la différence entre le total du
débit et le total du crédit — et à en porter le
montant du côté le plus faible de façon à égaliser
débit et crédit. Diverses circonstances peuvent
conduire à réaliser cette opération.
- Lorsque la page du débit ou du crédit d’un
compte quelconque est remplie, il faut continuer le
compte sur un autre folio, on y porte alors le
montant de ce solde, du côté du débit ou du crédit,
selon sa nature. Sur le compte soldé, on écrit alors
« à (ou par) lui-même au folio tant, pour solde », en
face du solde. Il n’est pas nécessaire d’en passer
écriture au journal.
- Il est possible que le journal ou le grand livre soit
entièrement rempli, il est alors nécessaire d’ouvrir
de nouveaux livres. On peut procéder de la même
manière que ci-dessus, l’expression utilisée
devenant « à (ou par) lui-même, compte
nouveau, au folio tant, pour solde ». De façon
symétrique, dans le nouveau grand livre, on porte
cette même somme en précisant « par (ou à) lui-
même, compte ancien, au folio tant, pour solde ».
Là encore, il n’y a pas d’écritures au journal mais
cette méthode se retrouve surtout dans les
comptabilités tenues en partie simple.
- Dans le cadre de la tenue des livres en partie
double, en conformité avec ce qui est préconisé par
les manuels mais ne se fait guère, au XVIIIe siècle,
que dans quelques sociétés de capitaux, les comptes
sont clôturés en fin d’année afin de déterminer le
résultat et de dresser la balance des comptes et/ou le
bilan* de l’entité. Le mécanisme en est décrit à
l’article « balance ».
Enfin on peut également calculer le solde d’un
compte ouvert à un tiers afin de l’informer de sa
situation, débitrice ou créditrice, en lui délivrant
une copie de ce compte ou un extrait ne comprenant
que les opérations réalisées avec lui depuis le
précédent extrait. Si on doit cesser d’avoir toute
relation avec lui, le compte sera soldé une fois le
dernier versement effectué. Le cas échéant, après
avoir épuisé toutes les voies de procédure pour
obtenir le remboursement d’une créance. Par
extension, solder prendra également le sens de
régler le solde d’un compte.
Le compte courant ouvert par un négociant à un
tiers pour le compte duquel il réalise diverses
opérations peut être porteur d’intérêts ou agios, que
ce soit sur les sommes qu’il avance ou sur celles
dont il a provisoirement la disposition. Autrement
dit, ces intérêts sont calculés, au prorata du temps,
sur les soldes successifs du compte, que ceux-ci
soient débiteurs ou créditeurs. La Porte (1704) et
Degrange (1818) donnent dans leurs exemples un
taux mensuel de 0,5%, soit 6% l’an. Y.L.
Voir Balance, Bilan, Grand Livre, Partie double
Sources : Degrange E., La tenue des livres rendue
facile ou nouvelle méthode d'enseignement. 10e éd.,
Paris, Saintin, 1818. La Porte M. de (1704).
Compte général
Voir Comptabilité administrative
Compter de clerc à maître
Compter de clerc à maître est un mode de reddition
par lequel l’agent comptable est déchargé de toute
responsabilité vis-à-vis des pertes et bénéfices du
service géré. Les commis ou employés d’une
recette* comptent de clerc-à-maître à leur supérieur
et d’une manière générale tous les comptables
subordonnés, receveurs ou trésoriers. « On se sert
de ce tenue dans les traités ou recouvremens qu’on
ne peut faire à forfait et dont on ne compte qu’à
proportion de la recette qu’on fait », indique le
Dictionnaire des finances de 1727. Plus explicite,
Y Encyclopédie de Diderot et d’Alembert précise à
l’article « compte » : « Compte de clerc à maître,
est celui où le comptable porte en recette tout le
bénéfice qu’il a pu faire dans sa commission et en
dépense tous les frais qu’il a été obligé de faire et
les pertes qu’il a essuyées ». « On dit
proverbialement & figurément compter de clerc à
maître, pour dire, ne rendre compte que de la recette
& de la dépense, sans être chargé de rien de plus »,
énonce Le grand vocabulaire François en 1768,
tandis que le Dictionnaire de l’Académie française
mentionne dans son édition de 1835: «Rendre
139

compte des recettes et des dépenses qu’on a faites,
sans autre responsabilité que celle de l’exactitude ».
Ce mode de reddition n’est pas propre à tel ou tel
mode de gestion : il est utilisé dans le cadre de
régies, intéressées ou non, mais aussi, en certaines
circonstances, dans le cadre d’un service géré par
affermage ou par entreprise. Un traitant* qui
subissait des pertes dans le recouvrement d’une
recette extraordinaire pouvait demander à se
démettre volontairement de son traité* et à compter
de clerc à maître du produit de son bail, c'est-à-dire
qu’il ne gérait plus cette recette à son propre
compte et n’était plus tenu d’en payer le prix au-
delà du bénéfice qu'il en retirait. Lorsque les
Fermiers généraux associés dans le bail Pierre
Pointeau signé en 1691 éprouvèrent des pertes
importantes, ils rendirent leurs comptes de clerc à
maître devant les intendants de finances*. Leur
déficit fut reconnu et il leur fut expédié une
ordonnance de comptant* du Trésor royal*. Ce fut
également le cas des fermiers des messageries du
roi de France qui, ayant demandé en octobre 1780 à
compter de clerc à maître, y furent reçus et en
même temps destitués de leur bail. De même en
1791, Pierre Bellocq, détenteur du bail de la ferme
de l’équivalent en Languedoc, accordé pour 6 ans
(1788-1794) par les Etats provinciaux, fut reçu à
compter de clerc à maître du produit de son bail au
directoire du département de Haute Garonne. Les
sous-baux de cette ferme furent résiliés à la même
date, « à la charge par les sous-fermiers qui se sont
plaints légalement de leur non-jouissance de rendre
audit Bellocq leur compte de clerc à maître pour la
troisième année de leur bail, échue le 31 mars 1791,
dans le délai de trois mois, lesquels comptes de
clerc à maître ne seront reçus qu’après avoir été
vérifiés et visés par les municipalités et directoires
de district, pour faire partie du compte général de
clerc à maître à rendre par ledit Bellocq devant le
directoire du département de la Haute-Garonne ; et
les sommes à recouvrer aujourd’hui pour le compte
de la nation seront imputées sur les indemnités qui
pourraient lui être dues après la reddition et
apurement de son compte ».
Il semble donc que fermiers et entrepreneurs
avaient tout intérêt à utiliser ce mode de reddition
lorsque qu’ils faisaient des pertes, pour ne pas avoir
à les assumer. L’administration royale acceptait
d’autant plus volontiers qu’elle devait ménager le
crédit de ses financiers. Cela se comprend si l’on
veut bien se rappeler le caractère aléatoire de
certaines recettes affermées, comme par exemple la
vente d’offices qui ne trouvaient pas toujours
preneurs ou la levée de taxes extraordinaires en
territoire trop récemment conquis. Lorsque des
circonstances exceptionnelles modifiaient les
conditions du contrat initialement passé avec le
fermier, le roi le recevait à compter de clerc à
maître et prenait la responsabilité de la perte. La
question se pose de savoir si une telle clause devait
140
avoir été inscrite dans le bail pour couvrir
l’éventualité ou bien si l’homme d’affaires pouvait
en faire spontanément la demande. En outre, on
peut se demander si les financiers n’abusaient pas
de ce recours. « Les Fermiers Généraux prétendent
qu’ils ont une diminution de recette de 1 800 000
liv. depuis l’exil du Parlement, ce qui fait une
différence d’environ un million ou 1200 000 livres
par mois. Ils se plaignent très haut & annoncent
qu’ils seront obligés de présenter un mémoire pour
demander à compter de clerc à maître avec le roi, si
cela dure », lit-on dans un libelle de 1774. Il ne fait
pas de doute que s’ils étaient assurés d’être reçus à
compter ainsi, les hommes d’affaires minimisaient
les risques en s’engageant dans les affaires de
finances, tandis que la réciproque n’était pas vraie :
en cas de bénéfices, le roi ne pouvait rien prétendre.
Même un spéculateur aussi avisé que Gabriel-Julien
Ouvrard, qui méprisa Villèle* pour son esprit
« d’intendant habitué à compter de clerc à maître»,
se mit à l’abri des pertes pour certains contrats de
fournitures. Le duc de Bellune rapporte que le
négociant, par le traité du 5 avril 1823, fut chargé
d’acheter des fourrages « pour le compte de
l’administration, avec condition de remboursement
de toutes les dépenses justifiées par facture, plus
l’allocation de 2 % de commission et 7 cent. Vi par
ration complète pour frais de distribution ». Et
l’auteur de commenter : « Mode étrange à la guerre,
qui plaçait le fournisseur hors de toutes les chances
de perte, et lui donnait qualité dans
l’administration, comme gérant au compte du
Trésor ! ». Néanmoins, les gens d’affaires
répugnaient globalement à compter de clerc à
maître de la recette et de la dépense d’une affaire,
car c’était accepter alors l’inspection de
l’administration sur leurs comptes, agir au fond en
simple agent du Trésor, ce qui n’était pas leur
vocation.
De plus, les comptes rendus de clerc à maître
étaient réputés difficiles et requéraient une certaine
maîtrise pour justifier les bénéfices et les pertes.
C’est ainsi que Jean Orry* se vanta dans une
relation de mérites d’avoir été admis à compter de
clerc à maître pour les vivres de l’armée du
Dauphiné, ajoutant que son compte servit de
modèle : « Qu’en 1698 et 1699, il fut chargé de la
vérification des comptes et des vivres et de
l’artillerie des années d’Italie et de Catalogne
pendant la précédente guerre, et qu’en 1700 il en
dressa le compte qui fut rendu de clerc à maître, qui
se trouva à monter à plus de cinq millions en sus
sur lequel intervint l’arrêt du Conseil du 5 août
1700, qui a servi de modèle aux arrêts rendus
depuis sur les autres traités de vivres». Certains
comptes rendus de clerc à maître étaient tenus en
recette, dépense et la reprise*. C’était le cas des
comptes que les employés subalternes rendaient à
un comptable supérieur. Dans ces cas, la reprise se
distingue bien des frais de fonctionnement, comme
le précise Hénouville. La reprise a également pu
être admise dans des comptes de clerc à maître
rendus pour le service d’une affaire extraordinaire.
Là encore, cet usage semble avoir été établi pour
faire porter la responsabilité de la perte sur le
titulaire de l’administration quand il apparaissait
que la nature du service financier demandé relevait
davantage des aléas de la politique que des aléas
des affaires.
Progressivement au cours du XIXe siècle,
l’expression de « compte de clerc-à-maître »
disparut avec la reconnaissance de la responsabilité
personnelle et pécuniaire du comptable public
chargé de présenter un compte de gestion*. A.D. et
M.-L. L.
Voir Gestion, Reprise, Recette, Dépense et reprise
Sources: AN, G1 125, dossier 9, pièce 42, 1783.
BNF, Nouveau d’Hoziers, n° 256, « Extrait des
titres produits par Jean Orry, conseiller secrétaire
du Roi, Président à Mortier au parlement de Metz,
Seigneur de la Chapelle Godefroi, la Croulière des
Barrères, Fulvy, Mareuil et la Mayenne, nommé par
Sa Majesté chevalier de l’ordre de Saint-Michel,
pour les preuves de sa noblesse», janvier 1707.
Dictionnaire des finances (1727). Bellune C. V.
Perrin de, Mémoires pour Monsieur le Maréchal
Duc de Bellune sur les marchés Ouvrard, Paris, C-
J. Trouvé, 1826, p. 57-58. Duverger J.B., t. 3, 2e
éd., (1834), p. 140 (affaire Pierre Bellocq). Guyot
J.N., Chamfort S., et alii, Le grand vocabulaire
François, t. 6, Paris, Panckoucke et Amsterdam,
veuve Châtelain et Fils et Marc-Michel Rey, 1768,
p. 75. Hénouville P.B. de (1709). Dictionnaire de
l’Académie française, Institut de France, 1835.
Lavoisier A.L. (1774), p. 130. Ouvrard G.J.,
Mémoires de Gabriel-Julien Ouvrard, sur sa vie et
ses diverses opérations financières, 3e partie, Paris,
Moutardier, Libraire, 1827, p. 382. Pidansat de
Mairobert M.F., Mouffle D'Angerville B.F.J.,
Maupeou R.N.C. de, Journal historique de la
révolution opérée dans la constitution de la
monarchie françoise, par M. de Maupéou,
chancelier de France, t.I, Londres, 1774, p. 177-
178 (6 mars 1771).
Compter de net
Un comptable s’engage à « compter de net »
lorsqu’il compte de tous les produits sans reprise*
ni non-valeur* et que les débets établis par les
comptes sont versés « à l’instant de l’envoi desdits
comptes et sans attendre le résultat de leur
vérification ». Un tel engagement était rétribué par
une gratification. Ce fut le cas à la Régie générale*
des aides et droits réunis créée par Necker* en
1780. M.-L. L.
Sources : AN, G2 20, dossier 4, « ordre de travail du
bureau des comptes » de la Régie générale des
aides, 1782; G2 109, dossier 2, «Instructions pour
la comptabilité de frais de régie », 1777-1780.
Compte-rendu
C’est un état qui fait voir la balance* des recettes et
des dépenses pour une année. Comme l’aperçu*,
terme quasiment synonyme, le compte-rendu veut
couvrir l’ensemble des revenus d’un territoire. Le
plus célèbre des comptes-rendus est sans nul doute
celui rédigé par Necker* pour 1781. Ce document a
soulevé maintes interrogations, tant de la part des
contemporains du Genevois que de celle des
historiens. Les questions ont porté sur l’exactitude
de la balance établie entre les recettes et les
dépenses ordinaires, calculées à partir des
encaissements et décaissements du trésor royal
(respectivement 264 et 254 millions), le bien-fondé
du calcul sur la base des valeurs nettes, qui ne
laissent pas voir les charges assignées sur les
caisses annexes du trésor, la classification des
recettes et dépenses tant ordinaires
qu’extraordinaires, mais aussi la prise en compte
des résultats des comptes clos de l’exercice
antérieur. Necker s’est expliqué à maintes reprises
sur ses intentions. Il s’agissait de rassurer les
créanciers de la monarchie en publiant un
« budget » ordinaire exédentaire. Le caractère
politique de la démarche a réduit l’intérêt du
Compte-rendu qui ne donne évidemment pas le
projet de toutes les dépenses à faire pour l’année :
« si, au commencement de 1781 et au milieu de la
guerre et de ses secrets, j’avais proposé de rendre
public le projet des dépenses de l’année et de
donner une indication de chaque article, j’aurais à
cette époque passé pour un imprudent, je ne dis pas
seulement auprès du Roi et de son conseil, mais
auprès de la nation elle-même, et j’aurais ainsi jeté
de la défaveur sur une idée plus importante, celle de
rendre manifeste l’état des revenus et des dépenses
ordinaires, idée sage, raisonnable et qui n’entraîne
après elle aucune sorte d’inconvénient ».
Le Compte-rendu de 1781 consitue néanmoins une
première tentative pour « fixer » le budget ordinaire
de la monarchie et de là, établir un tableau
spéculatif pour l’ensemble des recettes et dépenses
tant ordinaires qu’extraordinaires. Les comptes-
rendus suivants, celui de Joly de Fleury (1782)
celui de Calonne (1783) et surtout celui de Loménie
de Brienne (1788), nommé aussi Aperçu,
perfectionneront la démarche initiée par le
Genevois. La réforme du Trésor royal* (1788) ne
contribua pas peu à éclaircir la situation des
finances du royaume, ce que le Compte général des
recettes et dépenses de l’État depuis le 1er mai 1789
jusques et compris le 30 avril 1790 établi sous le
deuxième ministèriat de Necker fait voir. ML.L.
Voir Aperçu, Budget
141

Sources: Calonne C.A. de (1787, 1788 et 1790).
Loménie de Brienne E. C. de (1788). Necker J.
(1781, 1787, 1788 et 1790). Serpaud (1787).
Bibliographie : Stourm R. (1885).
Compter en forme
Se dit lorsqu’un comptable présente son compte à la
chambre dressé et libellé selon les formes exigées
par cette dernière, pour être examiné, clos et arrêté.
L’expression se comprend par opposition à l’usage
de compter par « bref état »*.
Computiste
Le terme vient du latin computus (compte) et a
donné naissance au mot computiste, employé
surtout dans les Etats italiens pour désigner celui
qui tenait les registres de caisse, et plus
particulièrement le grand-livre*. A la Depositeria
generale de Florence au temps des Médicis par
exemple, trois agents étaient chargés des écritures :
le caissier ou camerligue* enregistrait les recettes et
les dépenses de la caisse centrale; le premier
computiste tenait le journal des recettes, dépenses et
virements des caisses subalternes; le second
computiste tenait le livre maître et suivait en débit
et crédit les écritures tant du camerlingue que du
premier computiste. Ces comptables tiraient de
leurs écritures la rédaction des titres de paiement
dont l’ordonnancement* dépendait de leur autorité
de tutelle. M.-L. L.
Bibliographie : Rigodon F. (1950). Waquet J.C.
(1990).
Concession de service public
Georges Vedel et Pierre Delvolvé définissent ainsi
la concession de service public en général :
« Procédé par lequel une personne publique, dite
autorité concédante, confie à une personne physique
ou morale, dite concessionnaire, le soin d’installer
et de gérer un service public sous le contrôle de
l’autorité concédante, moyennant une rémunération
qui consiste, le plus souvent, dans les redevances
que le concessionnaire percevra sur les usagers du
service », d’après G. Vedel et Pierre Delvolvé. Les
clauses réglementaires du contrat de concession
peuvent changer par la volonté du concédant ; si les
modifications entraînent une charge
supplémentaire, le concessionnaire est en droit de
réclamer une indemnité. Les clauses contractuelles
définissent l’équilibre financier de la concession.
Il est de règle que le concédant choisisse librement
le concessionnaire (c’est ce qu’on appelle Yintuitus
personae) ; il a un droit de contrôle étendu sur le
fonctionnement du service ; il protège le
concessionnaire contre la concurrence par
l’exclusivité et peut mettre des biens lui appartenant
à sa disposition. Le concessionnaire a accepté, en
signant le contrat, un certain aléa : le concédant ne
lui a pas garanti de bénéfice, et lui-même peut avoir
142
état de s’opposer à des changements dans son Ceci peut concerner les prévarications des juges qui
escompté un bénéfice supérieur à celui que le
contrat, qu’un dédommagement les accompagne ou exigent une rétribution pour faire ou ne pas faire les
concédant a envisagé. Le contrat d’affermage est
non. devoirs de leur charge, précise le Code Pénal au
une variante de la concession : le cocontractant
D’un autre côté, le concessionnaire est investi des XIXe siècle (Chauveau et Faustin). De fait, cette
exploite des installations de l’autorité concédante ;
pouvoirs qu’exerçait le concédant, de ceux du pratique est un des chapitres incontournables des
il est normal que sa durée soit inférieure, puisque
moins qui sont stipulés dans le contrat de visites* et autres inspections dont font l’objet
c’est elle et non lui qui les a payées. L’intuitus
concession. Par exemple, les fermiers d’un péage tribunaux et magistraux à l’époque moderne
personae oppose actuellement la concession
peuvent contraindre les redevables à payer le droit (Peytavin).
(rebaptisée délégation de service public) au marché
et ils perçoivent les amendes en cas de fraude*. Les Toutefois, les cas de concussion en matière
public, parce que l’on recourt à la procédure
contrats obligent les concessionnaires à respecter financière sont un classique. Définissant le
d’appel d’offres dans ces derniers. Mais l’on s’est
certains droits reconnus aux sujets. Ainsi le fermier « concussionnaire », Ferrière évoque au premier
longtemps servi de l’adjudication pour choisir les
d’un bac du consulat d’Agde doit-il indemniser en chef « un officier ou receveur public qui par
concessionnaires. D’autre part, le prix versé par
argent les marchands qui ont trop attendu, dès lors menace ou autorité exige et reçoit des droits qui ne
l’administration, qui caractérise le marché public*,
qu’il n’a pas employé assez de bateaux ou de lui sont pas dus ou qui en exige de plus grands que
l’oppose à la concession en ce que la rémunération
bateliers. Les contrats revêtent donc à la fois le ceux qui lui sont attribués », avant d’énumérer les
du concessionnaire doit provenir, pour une part
caractère d’un contrat et le caractère d’un règlement pratiques d’autres officiers et magistrats. C’est
substantielle, des résultats d’exploitation du service
administratif. Ce double caractère se trouve notamment le cas des percepteurs* d’impôts qui
concédé.
également dans les concessions des autorités réclament une somme supérieure au montant
Ces notions étant rappelées dans leur formulation
municipales du temps et jusque dans les autorisé. Ils sont alors en faute, qu’ils conservent
actuelle, nous pouvons rechercher les formes
concessions actuelles. l’argent par devers eux (associant le péculat* à la
anciennes, qui ne diffèrent guère que par les termes
À partir de Sully, la concession des services publics concussion) ou pas - au XIXe siècle, Chauveau et
employés. Vers la fin du Moyen Âge, les rois de
financiers (la perception des impôts indirects) ou Faustin, commentant le droit pénal, expriment le
France et les seigneurs confient leurs services
non financiers (les poudres, les vivres, les lits souhait qu’une gradation des peines soit toutefois
publics respectifs à des agents qu’ils nomment (le
d’hôpitaux militaires, etc.) prend le nom générique établie, comme c’est le cas en Prusse, au Brésil ou à
service est alors dit « en garde », c’est-à-dire en
de ferme, et les notices ferme générale* et régie* de Naples. D’autres se font payer des actes indûment.
régie*) ou à des particuliers qui contractent avec
ce dictionnaire développent cette notion grâce à des Philippe Hamon écrit, à propos des finances en
eux sous la forme de la concession. Ainsi peuvent-
exemples. Le terme de concession paraît alors France au XVIe siècle : « Une pratique largement
ils inféoder ou céder en fief des tâches
réservé aux mines (dont l’exploitation n’est pas répandue consiste à se faire payer abusivement pour
administratives contre des terres de rapport ou des
considérée comme un service public) et il supplante les actes accomplis. Chaque fois que le personnel
revenus, par exemple une part des taxes à recouvrer
la ferme au XIXe siècle à la faveur de la des finances a affaire avec les populations, il entend
sur les sujets. Ils pratiquent aussi le bail à cens et
construction du chemin de fer. B.L. que ce contact soit pour lui fructueux». L’historien
l’affennage*, pour ces mêmes tâches ou pour
cite le cas de trésoriers, receveurs et grenetiers à sel
l’exploitation d’installations publiques assortie d’un
Bibliographie : Bénoit F.P., Les actes des qui se font payer pour délivrer des quittances* aux
monopole. L’affermage est d’usage courant, parce
collectivités locales, Paris, Dalloz, 1989. Bezançon contribuables, mais aussi des mêmes comptables
qu’il permet de limiter la durée de l’engagement du
X. (1999). Castaldo A., Seigneurs, villes et pouvoir qui se font payer pour effectuer des versements.
concédant et réserve tous ses droits pour l’avenir.
Ainsi les rois ont-ils souvent affermé les prévôtés, royal en Languedoc : le consulat médiéval d’Agde, Les contrôleurs* qui exigent des droits supérieurs à
XlIf-XIVe siècles, Paris, 1974. Hesse P.J., La mine ceux fixés légalement pour faire leur travail sont
organes à la fois judiciaires et administratifs, en
et les mineurs en France de 1300 à 1550, thèse de aussi coupables de concussion. A la suite de
dépit des risques d’exactions que l’appât du lucre
droit, Paris, 1968. Leguay J.P. (1969). Mestre J.L. visites* du Conseil des Finances* et de la Grand
devait entraîner dans le traitement des affaires. Si, à
(1985). Perrin C.E., Recherches sur la seigneurie Chambre des comptes de Castille, au XVIe siècle, il
la fin du XVe siècle, la régie* se généralise dans les
rurale en Lorraine d’après les plus anciens est ainsi rappelé aux chefs de la Grand Chambre
tâches de ce genre, la perception des impôts
censiers, IXe-XIf siècles, Genève, 1970. Vedel G. qu’ils ne sauraient demander plus que les droits qui
indirects de l’État est affermée jusqu’à la
et Delvolvé P., Droit administratif, 11e édition, 2 sont indiqués dans un tarif remis à jour à cette
Révolution à de riches particuliers groupés en
vol., Paris, 1990 (vol. 2, p. 747 à 758 et 769). occasion et qu’il leur est interdit de se faire payer
compagnies de financiers.
Veyrat M., La haute justice des archevêques de ces droits « à bon compte »* et autrement qu’en
Le droit féodal introduit un déséquilibre entre les
Rouen, comtes de Louviers (1197-1790), thèse de argent. De la même façon, ils ne peuvent abuser de
deux parties en ce que le concédant, de par sa
droit, Caen, 1947. Villers R., De quelques services leur fonction de contrôle pour commettre des
qualité de seigneur, connaît des litiges qui naissent
publics à la fin de l'Ancien régime, Paris, Les « extorsions » sur leurs ennemis, en particulier en
de l’exécution de la concession. Il peut en
Cours de droit, 1967-1968. avançant la date de leur reddition* de comptes pour
particulier procéder à la saisie du « fief » et de ses
faire pression sur eux (Ordonnances de 1554 et
profits jusqu’à ce que son « vassal » ait réparé ses
Concussion Déclaration de 1569). On se doute que ces
torts, voire définitivement par le jeu de la commise.
Ce délit n’est pas propre aux officiers de finances. préventions ont peu d’effet sur les pratiques,
De façon disons plus naturelle, il peut infliger une
Il consiste en 1’ « abus que fait de son pouvoir un comme en témoigne leur répétition. En 1716,1’ édit
amende au censitaire ou au fermier qui tarde à lui
homme constitué en charge, en dignité ou en concernant les registres journaux imposés à tous
verser son dû. Il surveille le concessionnaire, lui
commission pour extorquer de l’argent ou officiers comptables en France donne pour acquis
donne des ordres et peut résilier la concession sans
quelqu’autre chose sur ceux sur qui sa charge ou que, parmi 1’ « infinité de fraudes et d’abus » qui
qu’il y ait faute. Le roi de France et ses
son emploi lui donne quelque pouvoir », indique le leur est reprochée, figure la concussion (article 8).
représentants usent avec une autorité croissante
juriste Ferrière. Il faut que l’auteur du délit ait Il convient de ne pas voir dans toute rétribution ou
sous l’Ancien régime de ces mêmes pouvoirs qu’on
réclamé activement une rétribution pour qu’il y ait cadeau fait à un officier l’indice d’une concussion
dit exorbitants, c’est-à-dire dérogeant au droit
concussion. ou de ce que l’on appelle, depuis le XIXe siècle, de
commun, parce que le concessionnaire n’est pas en
143
la corruption*. La clause qui précise que la
rétribution doit être exigée par celui qui a l’autorité
est fondamentale. Au XIXe siècle, elle permet de
distinguer nettement concussion et corruption : « la
concussion exige la somme qu’elle perçoit, la
corruption se borne au contraire à l’agréer quand
elle lui est offerte », expliquent Chauveau et
Faustin. A l’époque moderne, elle permet de
distinguer ce qui est délictueux et immoral de ce
qui ne l’est peut-être pas toujours. Ainsi, les
théologiens et juristes étudiés par Waquet
s’accordent pour affirmer que celui qui exige des
paiements plutôt que d’attendre qu’on lui « donne
gratuitement sans contrainte ni obligation » est
coupable, alors que leurs opinions divergent quand
il n’y a pas d’abus de pouvoir. A.D.
Sources : Chauveau A. et Faustin H., t. 2, (1852),
p. 544-564 ; Ferrière C.J. de, t. 1, (éd. de 1758), p.
350-351. Ordonnances de 1554 et Déclaration de
1569, Côdigos espafioles concordados y anotados.
Tomo XI: Leyes de la Nueva Recopilaciôn que no
han sido comprendidas en la Novlsima, Madrid,
Imprenta de la Publicidad, 1850, liv. 9, tit. V, p.
282 et sq. ; Edit concernant les registres-journaux
qui doivent être tenus par tous les officiers
comptables & autres chargés de la perception,
maniement & distribution des finances du Roy, &
des deniers publics, du mois de juin 1716.
Bibliographie: Hamon P. (1999), p. 153-154;
Peytavin M. (2003). Waquet J.C. (1984), p. 149-
179.
Conseil des finances
Voir Chambre des finances
Contingent
Dans une compagnie financière, la portion du fonds
(iquota) fournie par chaque intéressé, ou le profit
qui revient à chaque intéressé par le compte de
répartition. A.D.
Contreposer, contreposition
L’opération faite dans un compte tenu en partie
simple* est équivalente à la reprise* dans le compte
en recette, dépense et reprise*. Claude Irson parle
ainsi de « faire la reprise ou contreposition, suivant
la diverse manière de tenir le grand livre »
{Méthode, chap. II, 5e règle). Il s’agit, lorsque le
teneur de livres a rendu un correspondant créditeur
de la valeur d’une lettre de change qu’il lui avait
remise « pour en procurer l’acceptation & le
payement dans le temps de l’échéance », dans le cas
où ladite lettre doit être protestée faute de paiement,
de rendre débiteur le même correspondant, « ce qui
s’appelle contreposer & fait le même effet que la
reprise » (chap. V, 3e règle). La condition légale est
la même que pour la reprise*, à savoir que « la
partie que l’on prétend contreposer pour avoir été
144
mise en recette & non reçue ne puisse pas être
attribuée à la faute de celui qui la devoit recevoir,
parce que s’il a négligé d’en faire le recouvrement
faute de poursuite, il a commis un dol & doit être
responsable du dépérissement qui en est arrivé »
{Méthode, chap. IV, 2e règle). La somme est inscrite
à deux moments différents dans le compte, une
première fois lorsque le comptable en devient
créancier, puis une seconde quand il constate, au
moment de la reddition de son compte, qu’il n’a pu
l’encaisser malgré ses diligences : « ce que l’on
prétend mettre en reprise ou contreposition doit
avoir été nécessairement compris dans la recette ou
dans le compte dans lequel on veut faire une
contreposition » {Méthode, chap. VIII). La Porte
indique les équivalents suivants : « Restomer :
contreposer. Restorno : contreposition ». A.D.
Sources : Irson C. (1678). La Porte M. de (1685).
Contrôle
L’acception française du mot est vérification ou
surveillance : le registre de contrôle* ou contre-rôle
initia la fonction; le sens du mot anglo-américain
control est direction ou maîtrise. Dans les Etats
allemands, le terme Kontralor {Gegenschreiber) a
le même sens que dans la langue française.
L’instruction de l’empereur Habsbourg Ferdinand
Ier du 1er septembre 1537 précise qu’à côté du
trésorier de la chambre, « le contrôleur tient son
propre livre de recettes ». Le tenne de contrôle
revêtit un caractère universel au début du XIXe
siècle avec la diffusion en Europe d’une science
administrative construite autour du budget*. C.A.
Malchus en donne une définition claire: « Le but du
contrôle dans l’administration des finances consiste
pour partie dans la direction (Führung) du budget et
dans les fondements de la sûreté {Sicherheit), de
sorte qu’aucun chef de département et d’une façon
générale, aucune autorité à laquelle revient la
disposition d’une partie des deniers publics, ne
puisse enfreindre les prescriptions du budget ou
s’éloigner des nonnes établies et des instructions de
façon arbitraire ; et pour partie dans le fondement
de la sûreté concernant l’administration des caisses
qui doit être également exacte et conforme aux
instructions ». M.-L. L.
Voir Registre de contrôle
Sources : Malchus C.A. (1830), vol. 2, §31, p. 173.
Contrôle administratif
La notion de contrôle est très ancienne et très
importante en France ; l’on n’en trouve pas
l’équivalent à ce degré à l’étranger. On a pu
expliquer cette différence par une centralisation
lente et méthodique menée pendant des siècles : cet
effort devait être accompagné d’un autre effort,
aussi constant, de surveillance, qui a influé sur la
mentalité de l’administration et l’a conduite à
multiplier les précautions. La multiplication des
corps, organes et agents de contrôle a pu répondre à
la crainte des ministres de voir des services
centraux ou extérieurs échapper à leur autorité. Plus
tard des corps ou organes de contrôle en sont venus
à jouir d’un prestige supérieur aux corps ou services
contrôlés. L’extension du pouvoir de contrôle, dont
le contrôle de la Marine et l’inspection des Finances
sont les meilleurs exemples, l’a fait parfois appeler
inspection*.
Voici comment Pierre Milloz aborde la question
générale dans sa thèse de 1982. Un roi, même
absolu, ne peut décider de tout par lui-même : il
délègue la justice à des corps, l’administration à des
ministres, le commandement à des généraux. Il doit
les surveiller, afin d’éviter que ces pouvoirs
subordonnés ne deviennent des forces centrifuges.
Les ministres sont dans le même cas. Les directeurs
doivent d’une part s’assurer que les instructions de
leur ministre sont appliquées et mettre en
application celles qui ne le sont pas, et, de l’autre,
évaluer l’effet de ces instructions. Ils lui rendent
compte de leurs observations. La déformation de la
vérité par ces collaborateurs et l’impossibilité de
tout voir justifient l’existence d’une inspection
périodique placée près du ministre et consistant « à
vérifier la valeur de ces informations et à procéder à
des études directes sur la gestion des organismes,
sur leurs conditions de fonctionnement et la qualité
de leurs prestations ». Cette fonction, qui n’est pas
l’administration et qui est entre les mains du
ministre comme elle, s’appelle le contrôle. Il s’est
d’abord agi de contrôler la régularité du service et
l’honnêteté ou intégrité des agents. On a ensuite
cherché à apprécier la manière dont ces agents ont
exercé leurs fonctions.
Le contrôle en général revêt les trois fonnes,
législative, administrative et juridictionnelle qui
correspondent aux pouvoirs constitutionnels. Le
contrôle administratif est le contrôle de
l’administration par elle-même. Les trois pouvoirs
sont distingués au XVIIIe siècle, mais le roi a
l’exercice personnel de deux d’entre eux. En
attirant à elles le pouvoir exécutif concédé au roi,
d’ailleurs dépourvu du droit de prendre des
règlements, même en application de leurs lois, les
assemblées révolutionnaires ne font pas mieux la
différence, et c’est un régime de dictature militaire
qui consacre le pouvoir réglementaire dans les
termes suivants : « Le gouvernement propose les
lois et fait les règlements nécessaires pour assurer
leur exécution » (article 44 de la constitution du 13
décembre 1799). Les contestations que ceux-ci
peuvent soulever sont attribuées au Conseil d’État,
considéré comme organe de contrôle juridictionnel,
à l’image des Chambres puis de la Cour des
comptes* dans leur sphère.
Le contrôle de l’administration de l’État se définit
par rapport à l’action administrative, qu’il
complète. La définition suivante, qui date de 1831,
vaut pour toutes les époques. « L’administration se
compose de deux parties très distinctes : l’action et
la surveillance. Celle-ci éclaire la marche de la
première et a pour but d’en assurer la régularité.
L’action est confiée par le ministre à des directeurs
ou chefs de division. Quant à la surveillance [ici
celle des Finances], elle est principalement et
nécessairement exercée par le corps de
l’Inspection ». On peut dire aussi qu’en matière de
finances, ainsi que le mot l’indique lui-même, le
contrôle au sens restreint est la constatation
contradictoire par deux agents d’une opération qui
touche plus ou moins aux intérêts du Trésor*. Les
contrôleurs des services financiers sont évoqués
dans les notices des comptables auprès desquels ils
sont souvent préposés, la notice inspecteurs des
finances* et plus bas dans la présente notice. Le
contrôle administratif s’étend bien au-delà de celui
qui s’exerce sur les comptables publics dont nous
essayons de donner l’idée dans les notices trésoriers
et receveurs généraux des finances*. Sa forme la
plus élaborée se trouve pendant longtemps dans
l’administration de la Marine, et elle sera prise en
exemple. Au contrôle mis en place à l’intérieur
d’une administration ou d’un département
ministériel et qui vise d’abord les ordonnateurs*,
s’ajoute celui qu’exerce ou prétend exercer le
ministre chargé des finances sur les autres
départements, qu’on appelle depuis longtemps
ministères dépensiers, étant sous-entendu que leurs
ministres et ordonnateurs secondaires dépensent
trop, voire dépensent à tort et à travers. Cette forme
de contrôle est devenue peu à peu la plus
importante au XXe siècle, et l’œuvre de Villèle*
porte notamment sur le contrôle du respect des
crédits alloués aux ministres auquel même les plus
vigilants de ses prédécesseurs de l’Ancien régime
n’étaient pas parvenus.
Le contrôle à caractère financier sous l’Ancien
régime
Le contrôle de l’administration royale ou l’idée de
ce contrôle remonte à la fin du Moyen Âge.
François Ier crée, afin d’assurer la centralisation des
revenus de l’État, une charge de trésorier de
l’Épargne* auprès duquel il place un intendant des
finances*, dont les fonctions consistent à tenir
registre des recettes et registre de contrôle des
dépenses. De cette époque datent également la
plupart des contrôleurs placés près des comptables,
et ces agents auraient pu être efficaces si l’exemple
donné par les rois (notamment par l’émission des
ordonnances de comptant*) et la vénalité des
offices n’avaient été aussi contraires à toute vue
d’ordre. Voici la liste des contrôleurs dont les
fonctions se rapportent au moins en partie au
contrôle des finances royales que fournit
l’Encyclopédie méthodique, Finances, avec
quelques ajouts de notre part qui la complètent sans
la rendre complète : contrôleurs généraux des
145
 finances* (avant 1665); contrôleurs généraux des
restes*; contrôleurs des bons d’état du Conseil;
contrôleurs généraux des monnaies ; contrôleurs
des rentes de F hôtel de ville de Paris ; contrôleurs
généraux des domaines* et bois; contrôleurs
sédentaires des domaines ou buralistes ; contrôleurs
ambulants des domaines* ; contrôleurs des eaux et
forêts ; contrôleurs des actes; contrôleurs
sédentaires des aides ; contrôleurs ambulants des
aides ; contrôleurs généraux des fermes (receveurs
et receveurs généraux des fermes*) ; contrôleurs de
telle ou telle partie des fermes, dont contrôleurs des
gabelles, contrôleurs de bureau (parties des traites
et du tabac), contrôleurs aux masses (gabelle);
contrôleurs généraux des postes, contrôleurs
généraux des finances (créés par l’édit de février
1554; supprimés par l’édit de juin 1779);
contrôleurs des recettes (receveurs généraux des
finances*) ; contrôleurs des vingtièmes ;
inspecteurs des finances* (1689, 1712 et 1716-
1726) ; contrôleurs de la Marine (des Galères, des
Colonies) ; commissaires des guerres ; contrôleurs
des guerres ; contrôleurs généraux des trésoriers
généraux des départements ministériels.
Sous l’Ancien régime, il n’y a que les comptes et la
comptabilité des comptables qui vaillent. Les
comptes que tiennent les ordonnateurs secondaires
sont un moyen de surveillance des comptables et
d’information du ministre ; ils ne sont pas
contrôlés. Les trésoriers de France exercent
l’inspection du service domanial, celle de la
comptabilité et du personnel fiscal ressortissant.
D’une façon générale les comptables sont
faiblement contrôlés par les ministres chargés des
finances, et les trésoriers généraux des
départements ministériels* sont subordonnés au
ministre dont ils assurent le service financier. Ils
contrôlent faiblement certains ordonnateurs
secondaires et pas du tout l’ordonnateur principal
qui est le roi. Pendant la Révolution, le contrôle des
comptes par le pouvoir législatif tourne à la mise en
accusation de ministres devenus ordonnateurs
principaux, et ceux-ci se sont dispensés de justifier
leurs dépenses sous l’Empire français.
Le contrôle de l’administration de la Marine
L’ordonnance du 15 avril 1689 permet de
distinguer les trois formes de ce contrôle : le
contrôle administratif proprement dit, le contrôle
technique et le contrôle financier. Le contrôle
financier consiste surtout en un ensemble
d’écritures et de signatures, qui ont pour but
d’assurer la régularité des paiements faits dans le
port. Quelques indications sont données dans la
notice trésorier général de la Marine. Le contrôle
technique se rapporte à la réception des
marchandises et des ouvrages achetés par voie de
marchés publics* ou produits en régie dans les
arsenaux. Ce contrôle est exercé par des maîtres,
des officiers de port et aussi par des officiers de
146
plume. Le contrôle technique est même la
principale fonction du commissaire des vivres, dont
le service est affermé jusqu’en 1777. Il faut
souligner que, dans l’idée de Colbert, les officiers
de plume, y compris l’intendant, doivent être au fait
de la partie technique pour exercer leurs fonctions
« économiques ». Les connaissances techniques de
ces administrateurs leur permettent de limiter les
prétentions des officiers de marine lors des
armements et aussi celles des maîtres des ports, afin
de diminuer les dépenses dans toute la mesure du
possible.
Le contrôle administratif s’appelle contrôle tout
court dans la Marine. Le contrôleur de la Marine
dans un port (il n’y en a pas au ministère) surveille
les actes pris par l’ordonnateur*, dès qu’ils donnent
lieu à engagement ou ordonnancement de dépenses
en deniers, cela est sûr. Encore faut-il qu’il agisse
avec doigté et sache déterminer l’importance des
affaires afin d’intervenir seulement lorsque cela en
vaut la peine car il correspond dès l’époque de
Colbert avec le ministre sur les objets de son
service. Dans une lettre de 1670 destinée à
convaincre le contrôleur de Toulon, Colbert écrit
qu’« il n’y a guère d’apparence, ni même
d’exemple, qu’un intendant puisse être si
exactement contrôlé ni qu’il puisse être borné dans
ses fonctions, surtout quand il a prononcé et qu’il a
pris ses résolutions dans la seule vue de l’avantage
du service de S.M. Et quoique vous n’en ayez point
d’autre, j’estime toutefois que vous devez agir à son
égard en sorte que vous viviez ensemble. »
L’administrateur actif doit rendre compte au
ministre de sa gestion, non le contrôleur. Celui-ci
rend compte de ce qu’il a observé dans cette
gestion, il est le principal informateur du ministre
dans le port.
L’instruction rédigée en 1678 (ordre du 19 juin) à
l’intention du nouveau contrôleur de Toulon, et qui
s’applique partout, bien qu’elle n’ait pas été
transcrite dans l’ordonnance de 1689, lui donne
explicitement le pouvoir de représentation dans les
tenues suivants : « Il prendra soin aussi de donner
avis au dit intendant de tout ce qu’il croira
avantageux, ou porter préjudice au service de S.M.,
et au surplus tiendra toujours la main à ce que les
règlements et ordonnances de marine, non
seulement en ce qui regarde ses fonctions, mais
même en tout ce qui regarde les fonctions de tous
les autres officiers soient ponctuellement exécutés,
S.M. voulant au surplus qu’après avoir dit ses
sentiments à l’intendant sur tout ce qu’il croira être
contraire au présent ordre, en cas que l’intendant lui
ordonne de passer outre, S.M. veut qu’il le fasse en
lui disant qu’il ne peut s’empêcher, pour le devoir
de sa charge, d’en donner avis au secrétaire d’État
ayant le département de la Marine. » La place de
contrôleur de la Marine n’est pas facile à tenir car la
loi ne garantit pas son indépendance vis-à-vis de
l’ordonnateur* avant 1786 et en fait avant 1800 :
certains ont préféré acheter leur tranquillité par leur
silence.
Les fonctions du contrôleur sont résumées ainsi en
1689 : Il « aura inspection sur toutes les recettes et
dépenses, achat et emploi des marchandises et
travail des ouvriers, et il assistera à tous les marchés
et comptes qui seront faits par l’intendant ». Il n’y a
pas lieu d’insister sur son activité au magasin, la
comptabilité en partie simple devant être tenue en
double (voir la notice comptabilité-matières*).
L’ordonnance de 1689 donne au contrôleur trois
fonctions distinctes et importantes dans la
procédure d’achat, en plus du rôle d’assistant de
l’ordonnateur : il reçoit les enchères et les
cautions* ; il poursuit l’exécution des marchés et
avertit l’ordonnateur* des défauts et manquements
éventuels, afin qu’il prenne les mesures
correctives ; il poursuit le recouvrement des
créances sur les artisans à qui le magasin a fourni
des matières à compte d’ouvrages, et les particuliers
à qui la Marine a prêté ou vendu des effets.
L’ordonnance de 1689 prescrit au contrôleur
d’assister aux toisés et à la réception des ouvrages,
ainsi qu’aux paiements à faire aux entrepreneurs,
dont il essaie de connaître la capacité. Pour autant il
ne doit pas se mêler de l’exécution du travail, ainsi
que l’indique un mémoire de 1718. « Les fonctions
des contrôleurs des ports, dans les affaires qui
regardent les fortifications maritimes, même les
bâtiments civils des arsenaux, sont d’être présents
aux adjudications qui se font par les intendants sur
les devis des ingénieurs, d’examiner les cautions*
pour en rendre compte et les faire recevoir par
lesdits ingénieurs et de contrôler, sur leurs
ordonnances [celles des intendants], que l’on
enregistre toutes quittances nécessaires, ayant soin
seulement de voir si toutes les pièces et toisés que
l’ordonnance oblige de rapporter y sont joints en
bon état et bien calculés, et même le contrôleur en
garde des copies pour y avoir recours en cas de
difficulté. Mais il n’est pas d’usage qu’il se mêle de
l’exécution des projets et devis, ni d’examiner le
travail qui se fait, ni la qualité des matériaux qui
s’emploient, c’est le métier des ingénieurs, et on ne
les fatigue pas en ce fait. Il semble même qu’on ne
le doive pas faire, à moins que le contrôleur ne
découvre quelque prévarication prouvée, dont il
doit en ce cas donner avis à l’intendant, et même au
[ministre]. » Là comme ailleurs, le contrôleur est un
témoin dont la présence doit assurer la régularité de
l’acte administratif ou de ce qui le précède, plutôt
qu’un examinateur, contrairement à ce que la
lecture de l’ordonnance donne à penser parfois.
Le contrôleur de la Marine dans le port exerce des
fonctions de contrôle non seulement auprès de
l’ordonnateur*, mais aussi auprès du trésorier
général. Il contrôle ses commis dans le ressort du
port pour le compte des contrôleurs généraux
résidant à Paris.
Le contrôleur est enfin le greffier du port. Il
enregistre les commissions et brevets des officiers
civils et militaires affectés dans le port. Il tient le
registre des délibérations du conseil de construction
et le registre des délibérations relatives aux
radoubs. Il conserve les marchés, ordonnances et
règlements. Il se fait remettre par le commis du
trésorier général dans le port les copies
collationnées des états et ordres de fonds qui lui ont
été envoyés et, à la fin de l’année, il envoie à la
Cour le registre des recettes et dépenses en deniers
qu’il doit tenir. Il contrôle tous les acquis, rôles,
états et reçus du garde-magasin servant à la
décharge du trésorier général. Il contrôle les
quittances* de paiement, certifie le paiement des
soldes et salaires et les reçus ; dans certains cas, ces
opérations donnent lieu à la perception d’un droit.
L’ordonnance de 1689, qui sépare l’administration
du commandement à terre comme à la mer et qui
individualise la fonction de contrôleur de
l’administration, placé en dehors de celle-ci,
n’admet pas que le contrôleur ne dépende pas de
l’ordonnateur comme les autres commissaires du
port. Le système de l’ordonnance de 1776 mêle les
militaires à l’administration et sépare les
commissaires du contrôleur afin de détruire l’ancien
corps de l’administration en le démembrant ; la
position du contrôleur vis-à-vis de l’ordonnateur
reste la même. C’est en 1786 qu’elle change ou doit
changer. Une dépêche ministérielle du 25 août
annonce que «l’intention du Roi est que son
contrôleur soit absolument indépendant, que son
inspection universelle soit exercée dans toute son
étendue », mais dispose aussi que le contrôleur ne
peut remplir les fonctions d’ordonnateur (Colbert
l’admettait dans certains cas), « attendu que ses
fonctions sont essentiellement différentes de celles
des ordonnateurs ».
L’arrêté du 27 avril 1800 (7 floréal an VIII) portant
règlement sur l’administration de la Marine
maintient sous le nom d’inspection le contrôle de
Colbert et soumet les contrôleurs à la seule autorité
du ministre. L’ordonnance du 17 décembre 1828 les
place sous l’autorité des préfets maritimes. Celle du
3 janvier 1835 confond le contrôle et
l’administration dans un même corps, celui du
commissariat. Le commissaire général du port
assure les fonctions du contrôle en même temps que
celles d’ordonnateur ; pour les premières, il peut
correspondre directement avec le ministre. Le
contrôle est rétabli par l’ordonnance du 14 juin
1844 sur le service administratif ; un contrôle
central est appelé « à suivre et à diriger l’action »
des contrôleurs résidents. L’ordonnance du 21
décembre 1844 recrée un corps de contrôleurs dont
le cadre comprend 31 officiers. Enfin le décret du
12 janvier 1853 rebaptise le contrôle inspection des
services administratifs de la Marine, titre qu’il porte
jusqu’en 1902, et prévoit une inspection mobile en
plus du contrôle résident. Cette nouvelle forme
147
disparaît dès 1858, alors qu’elle est introduite aux
colonies en lieu et place du contrôle résident (décret
du 15 avril 1873).
Le contrôle de l’administration de la Guerre ou de
l'Armée
Il n’est pas aussi avancé que dans la Marine, même
s’il est aussi ancien. Depuis le XVIIe siècle,
l’administration de la Guerre, qui n’a jamais connu
la même extension que dans l’autre département
militaire, même dans l’Artillerie, est confiée à des
commissaires des guerres organisés en un corps
d’officiers titulaires et subordonnés aux intendants
de généralité ou à un intendant d’armée selon les
objets du service. Ces commissaires, indépendants
de l’autorité militaire, exercent eux-mêmes le
contrôle de l’administration à la place des
contrôleurs en titre et rendent compte au ministre.
Dans ces fonctions, ils sont les équivalents des
inspecteurs généraux militaires, qui n’ont, pendant
la durée de leurs fonctions, que l’inspection des
troupes et de leurs officiers.
L’ordonnance du 17 août 1788, partie du plan
général d’organisation de l’Armée, qui est le
dernier de l’Ancien régime et marque un retour aux
conceptions du comte de Saint-Germain (1707-
1778), prévoit qu’en cas d’opérations militaires, les
commissaires des guerres sont placés
momentanément sous les ordres des gouverneurs,
lieutenants généraux et commandants des divisions
militaires territoriales. La séparation est rétablie par
la loi du 17 janvier 1795. L’arrêté du 28 janvier
1800 (9 pluviôse an VIII) porte création d’un corps
d’inspecteurs aux revues distinct du corps des
commissaires des guerres réorganisé par le même
texte. Les inspecteurs se recrutent parmi les
commis-saires ordonnateurs des guerres ou les
officiers supérieurs des amies. Le corps réside à
Paris et il est mobile. Les inspecteurs généraux du
corps font une revue générale annuelle de chaque
corps de l’Année, s’occupant des effectifs, de
l’équipement, de l’annement, des fournitures et de
la comptabilité. Les inspecteurs en font de même
tous les trois mois. Ils ont également des
attributions administratives, tels le recrutement et la
solde.
Le gouvernement de la Restauration fusionne les
deux corps en un seul, celui des intendants
militaires, qui ont à nouveau des fonctions des deux
ordres (ordonnance du 29 juillet 1817). Ils doivent
notamment « veiller à tout ce qui intéresse le bon
ordre des finances du département, c’est-à-dire
l’économie dans les dépenses, la régularité dans les
paiements, l’exactitude et la célérité dans la
reddition des comptes » (ordonnance du 18
septembre 1822). L’administration active et le
contrôle administratif sont séparés, quoique de
manière encore incomplète, par la loi du 16 mars
1882 sur l’administration de l’Année et les décrets
du 28 octobre 1882 et 6 mai 1886 qui règlent le
148
statut des contrôleurs de l’Année. Nous ajouterons
quelques mots sur cette loi, afin de montrer que la
conception de Colbert (1678), Castries (1786) et
Louis (1831) s’est enfin imposée dans l’Année.
Léon Bouchard (1830-1904), conseiller-maître à la
Cour des comptes, pose en principe que le contrôle
« n’intervient pas dans la marche des services : il ne
déplace aucune responsabilité, il ne substitue son
autorité à celle des administrateurs et des
comptables dans aucun des actes de la direction et
de la gestion ». Le contrôle, dit la loi, ne prend part
ni à la direction ni à la gestion ou exécution et ne
relève que du ministre, selon la division tripartite
des fonctions ; « le contrôle de l’administration de
l’Année est exercé par un personnel spécial ne
relevant que du ministre. Il a pour objet de
sauvegarder les intérêts du Trésor et les droits des
personnes, et de constater dans tous les services
l’observation des lois, ordonnances, décrets,
règlements et décisions ministérielles qui en
régissent le fonctionnement administratif. » Les
contrôleurs de l’Année, puis ceux de la Marine (loi
du 1er mars 1902) reçoivent désormais mission de
contrôler l’opportunité des dépenses des
ordonnateurs, qui complète le contrôle de régularité
effectué par les comptables, en attendant le contrôle
financier exercé par des agents de l’administration
des Finances sur les dépenses à engager. Les
contrôleurs prévus au budget de 1884 sont au
nombre de 80.
Le contrôle administratif après 1814
Il reste distinct de l’action et trop souvent réuni ou
subordonné à la direction. Son objet s’est élargi par
suite de la mise en place du régime représentatif et
de la nécessité d’établir une véritable comptabilité
des ordonnateurs, et surtout des ministres. La Cour
des comptes, rétablie en 1807, exerce ses fonctions
vis-à-vis des comptables à partir de 1821. L’organe
chargé du contrôle administratif dans un ministère
peut être composé d’agents isolés ou de corps de
fonctionnaires ayant statut particulier. Dans certains
cas, et sans parler de la Guerre, les attributions
administratives sont mêlées au contrôle : dans le
corps des Ponts et Chaussées, les inspecteurs
généraux forment le premier grade du coips des
ingénieurs, ce qui est un cas encore assez fréquent
de confusion du grade et de la fonction. Si les
fonctions sont exercées par des agents différents, il
arrive que les uns empiètent sur les fonctions des
autres. Le meilleur moyen de mettre la distance
convenable, dans le système français de fonction
publique, reste de créer des corps séparés pour les
fonctions du contrôle.
Contrôle central du Trésor public. Le service du
caissier-payeur central du Trésor et celui du payeur
central de la Dette publique sont contrôlés par un
service spécial dont le chef a le titre de contrôleur
central du Trésor public. L’origine de ce contrôle se
trouve dans le décret du 8 janvier 1808 qui a
déterminé pour la première fois la forme des
récépissés délivrés en échange des fonds versés
dans les caisses du Trésor (il y avait alors la caisse
des recettes, la caisse des dépenses et la caisse de
service), et institué des contrôleurs afin de viser les
récépissés, conserver les talons et tenir
contradictoirement les faits de recette. Remarquons
ici que les comptables du Trésor (les
administrateurs de 1788), à la différence de tous les
autres comptables publics*, ne soumettent pas à
l’examen préalable de la direction générale de la
Comptabilité publique les justifications à l’appui de
leurs écritures mensuelles et de leur compte de
gestion. Le contrôle a été étendu aux dépenses par
l’ordonnance du 18 novembre 1817 et l’arrêté du 21
du même mois. La loi du 24 avril 1833 vient donner
force et autorité à des décisions d’ordre
réglementaire et étend le contrôle aux opérations de
deux comptables de la Dette inscrite, celui des
transferts et mutations et celui du grand livre. Une
autre loi, du 17 février 1843, étend encore le
contrôle du service aux opérations des agents
comptables des pensions et des cautionnements* en
numéraire, ainsi qu’aux privilèges de second ordre
des bailleurs de fonds. En ce qui concerne le Trésor,
le contrôle garde pour mission de prévenir toute
dissimulation de recette, toute fausse déclaration de
dépense, et de veiller à la conservation des
encaisses du Trésor. Les règles spéciales au
contrôle des deux services ont été transcrites dans le
décret du 31 mai 1862 et développées dans le décret
du 16 décembre 1869.
Le contrôle exercé par la direction du Mouvement
général des fonds. Cette direction est chargée de
fournir les fonds nécessaires à l’acquittement des
dépenses ordonnancées régulièrement. Elle
s’assure, au moyen d’écritures obtenues à cet effet,
que les deman-des de crédits et les émissions
d’ordonnances de paiement ou de délégation ne
dépassent pas les limites posées par les lois de
finances. Son directeur concourt, avec celui de la
Comptabilité publique, à la surveillance de la
gestion des comptables et signale au ministre les
irrégularités qu’il reconnaît.
Le contrôle de la direction générale de la
Comptabilité publique. Elle exerce sur les faits
comptables un contrôle administratif qui prépare
celui de la Cour des comptes et ensuite celui du
Parlement. Les comptables du Trésor qui relèvent
directement de la Cour, sauf les comptables
mentionnés ci-dessus, doivent adresser à la
direction géné-rale : 10 chaque mois, les bordereaux
de leurs opérations appuyés des pièces justifica­
tives des faits qu’ils relatent ; 2° en fin d’année,
d’exercice et de gestion, les comptes qu’ils devront
produire à la Cour (arrêté du 9 novembre 1820 ;
décret du 31 mai 1862, articles 315 et 318). La
direction reçoit d’autre part communication des
ordonnances émises dans les ministères. À ces
éléments de contrôle s’ajoutent les situations de
dizaine, copies de journaux, etc. produites par
divers comptables.
L’inspection générale des finances. Ce corps, sur
lequel des renseignements sont fournis dans la
notice inspecteurs des finances*, exerce une
surveillance intermittente et par épreuves sur les
comptables, grâce aux tournées d’inspection. Les
inspecteurs vérifient tous les services financiers du
ministère des finances, la gestion de tous les
comptables ressortissants, plus celle des trésoriers
des invalides de la Marine, des receveurs des villes
et communes, hospices, caisses d’épargne, bureaux
de bienfaisance, monts-de-piété, dépôts de
mendicité, prisons, haras, etc. Ils surveillent
l’exécution des lois et règlements concernant
l’administration des finances.
Les contrôleurs dans les services des Finances.
Chaque service de ce ministère dispose d’agents
chargés de tâches de contrôle, à Paris et en
province. Les comptables qui ne sont pas
justiciables de la Cour des comptes ne sont soumis
d’ailleurs qu’au contrôle administratif. Les
receveurs particuliers des finances doivent suivre le
service des percepteurs de leur arrondissement et
les receveurs spéciaux des communes, hospices et
bureaux de bienfaisance ainsi que les trésoriers des
caisses d’épargne. Les receveurs généraux, puis les
trésoriers-payeurs généraux surveillent à leur tour la
gestion de ces comptables dont ils centralisent les
opérations. Le contrôle exercé par les comptables
supérieurs comprend le visa des registres, la
vérification de la caisse, l’appel des valeurs, des
pièces justificatives et des divers éléments de leur
comptabilité, ainsi que les autres moyens prévus par
les règlements de chaque service. La libération des
comptables inférieurs s’opère par la représentation
des récépissés du comptable supé-rieur, qui
justifient le versement intégral des sommes qu’ils
étaient tenus de recouvrer (ordonnance du 31 mai
1838, article 321).
Les contrôleurs et corps de contrôle dans les
ministères dépensiers. La fonction de contrôle
existe partout, quoique longtemps mêlée à
l’administration active et quelque-fois assurée par
l’inspection des Finances.
L’agent comptable des chancelleries diplomatiques
et consulaires, justiciable de la Cour des comptes,
centralise les opérations des chanceliers et agents
consulaires et en forme le compte général à
soumettre à ce tribunal. Comme tous les comptables
directs du Trésor, il répond de la gestion financière
de ces agents du gouvernement. Il dépend
administrativement de la direction des finances du
ministère des Affaires étrangères qui surveille ses
149
subordonnés ; il est lui-même soumis au contrôle de
la direction générale de la Comptabilité publique et
aux vérifications de l’inspection des Finances.
Le corps du contrôle de la Marine continue sa
carrière comme nous l’avons dit plus haut,
s’occupant des ordonnateurs et des administrateurs,
parfois de manière contra-dictoire, mais sans plus
tenir de registres en double, alors que la
comptabilité en deniers et en matières reste tenue en
totalité en partie simple dans les ports et
établissements. Un contrôle central vérifie les
décomptes et ordonnances de paiement, ainsi que la
compta-bilité du matériel. C’est la réforme de
l’administration de l’Armée (loi du 16 mars 1882)
qui conduit à la généralisation à tous les ministères
de la conception du contrôle devenue classique dans
la Marine et aux Finances. B.L.
Sources: Béranger (1790). Bouchard L. (1874).
Encyclopédie méthodique, Finances (1784-1787).
Freycinet C. de, Rapport fait au nom de la
commission [sénatoriale] chargée d’examiner le
projet de loi sur l’administration de l’Armée,
Versailles, imp. A. Bourdilliat (impressions du
Sénat, session de 1876, n° 140), 1876 ; Rapport fait
au nom de la commission chargée d’examiner le
projet de loi, adopté par le Sénat, adopté avec
modifications par la Chambre des députés, sur
l’administration de l’Armée (15 juillet 1881), Paris,
imp. P. Mouillot (impressions du Sénat, session de
1881, n° 447), [1881]. Puissant de Molimont,
Joseph-Maurice, État actuel de l’administration
économique de la Marine, Brest et Paris, Baudouin,
1790.
Bibliographie: André L. (1906). Audouin X.
(1811). Barthélemy, A., Du contrôle préventif des
finances publiques, thèse de droit, Paris, Pedone,
1899. Crozier, M. (1963). Say L. (1889-1894).
Fournier P. et Neveu C.A., Traité d’administration
de la Marine, 4 vol., Paris, Berger-Levrault, 1880-
1897. Gougeard A., Les arsenaux de la Marine.
Organisation administrative. Organisation
économique, industrielle, militaire, 2 vol., Paris,
Berger-Levrault, 1882. La Mardière F. (1912).
Lambert de Sainte-Croix A. (1892). Leriche A.
(1944). Lutun B. (2005 et 2010). Milloz P. (1983).
Rogé H, Contrôle administratif des finances, Paris,
Laroze, 1900. Say L. (1889-1894).
Contrôle général des finances
Cette institution française a provoqué l’admiration
de nombreux princes européens et a servi de
modèle pour l’organisation des finances publiques
tant à Madrid qu’à Vienne, Turin ou Postdam. Elle
constitue un mode de gestion basé en principe sur
l’unité de la décision financière avec l’idée que les
services du contrôleur général, placés directement
dans la main du souverain, devaient former les
états*, arbitrer la répartition des fonds entre les
différents départements ministériels et contrôler
150
l’exécution du « budget » en visant tous les ordres,
mandats, billets, patentes y ayant trait.
Anciennement, dans de nombreux Etats européens,
le « contrôleur général » des finances était le titre
donné au président de la Chambre des comptes*.
C’est lui qui vérifiait les mandats de paiement*
signés des ordonnateurs*, princes et gouverneurs
du ressort de la chambre. Il pouvait refuser un ordre
et obligeait le souverain à imposer son ordre par
lettres de jussion. Centraliser le contrôle général
devint donc un impératif pour les Etats modernes.
Soit l’on concentra le contrôle sur la tête du
président de la chambre supérieure des comptes,
soit l’on dissocia le contrôle général des Chambres.
Dans le royaume de Piémont par exemple, Victor-
Amédée II établit en 1717 que « les édits, patentes,
ordres et billets qui auront été visés par notre
conseiller des finances contrôleur général Palma ne
le doivent plus être par le controlleur général en
Savoie ». En d’autres termes, le premier président
de la Chambre des comptes de Turin, réformée en
1720, devint l’unique contrôleur général. Il
présentait ses rapports au général des finances établi
depuis 1687. En Prusse*, la fonction de contrôleur
général des finances fut considérablement renforcée
par l’instruction du 19 février 1798. Le contrôleur
(et président de la Chambre des comptes) devint
ministre d’Etat et son administration obtint la
révision* de tous les comptes publics sans
exception. Une expérience de formation d’un
contrôle général des finances (General-Kontrolle
der Finanzen) parallèle à la Chambre des comptes
fut tentée entre 1817 et 1826, mais l’on abandonna
cette innovation étrangère à la culture
administrative de ce pays. En Espagne, Jean Orry*,
président du Conseil et président de la Chambre des
comptes, fut chargé des fonctions de contrôleur
général ( Veedor General), sans en porter le titre.
En France, le contrôle général des finances tire ses
origines des deux offices de « controlleurs généraux
de nostre Epargne, deniers extraordinaires et
casuels » créés le 9 mai 1527 par François Ier. Ces
deux officiers avaient la charge explicite de
contrôler les mouvements de fonds* des trésoriers
de l’Epargne et des parties casuelles, l’un pour la
recette l’autre pour la dépense, «sans lequel
contrôle et registre aucunes parties ne seront
passées et allouées par les gens de nos comptes en
la dépense des comptes ». Henri II reprit cette
organisation et la perfectionna en créant le 12 avril
1547 « deux bons personnages expérimentez pour
contreroller la recette et dépense des deniers ». Le
contrôle stricto sensu consistait dans la signature au
dos de toutes les quittances* que le trésorier de
l’Epargne donnait aux receveurs (contrôle de la
recette qui se faisait à Paris, au château du Louvre)
et dans la signature au dos des mandements portant
quittance* que donnait le trésorier* pour les
assignations* des parties que le roi ordonnait être
payées par les receveurs (contrôle de la dépense qui
se faisait auprès de la cour, c'est-à-dire au plus près
de l’ordonnancement*). Les mêmes règles
s’appliquaient au trésorier des parties casuelles*.
Ces fonctions de contrôle ont été ensuite attribuées
collégialement aux intendants de finances* à partir
de 1573. Comme l’indique Jean Hennequin dans
son Guidon général des finances, les intendants de
finances étaient tenus de tenir le registre dûment
signé du contrerolle par eux fait des quittances*,
mandements portant quittance*, acquits*... servant
tant en recette qu’en dépense à la reddition* des
comptes des trésoriers* et de le faire parvenir à la
Chambre des comptes* six mois après chaque
année expirée. On revint au contrôleur général
unique en 1596, mais la personne investie le fut par
simple commission* révocable et non à titre
d’office*. C’est également au temps de Sully que
l’on interdit aux Chambres des comptes* d’allouer
des parties à l’appui des comptes des comptables
publics qu’elles n’aient été préalablement inscrites
dans les états du roi* et vérifiées au Conseil des
finances*. Le contrôle administratif* des comptes
se renforçait donc, au détriment de la vieille gestion
judiciaire des finances. Avec Colbert*, le contrôle
général des finances se chargea de la direction des
affaires de finances au sein du nouveau Conseil
royal des finances* et prit la dimension d’un
véritable ministère de l’économie et des finances.
Pour tenir les registres prévus par le règlement du
15 septembre 1661, états du roi* et états au vrai*, et
suivre les mouvements de fonds*, le ministre fut
secondé du premier commis des finances, en
relation directe avec le trésor*. La tenue de ces
registres a été perfectionnée en 1685 en ce que la
feuille mensuelle tirée du registre-journal* du
Trésor royal* ne tint plus compte que des fonds
effectivement consommés dans le mois. Erigés en
titre d’offices en 1689, deux «gardes des registres
du contrôle général » subalternes vérifiaient la
régularité des recettes et dépenses en recevant
toutes les quittances, lettres, baux... établis. Au
cours de la Régence, le contrôle général des
finances tenta de dresser une comptabilité en partie
double* pour l’ensemble des branches de revenus
de l’Etat. On revint cependant aux usages habituels
de contrôle à partir de 1725, usages qui ne furent
guère modifiés avant la réforme du Trésor royal* de
1788. Entre temps, le développement des affaires
complexifia l’organisation des départements au sein
du ministère. En 1690, le contrôleur général fut
flanqué d’un corps de six intendants de finances*,
déséquilibrant le pouvoir décisionnel au profit
d’officiers inamovibles et très influents. En
supprimant ce corps, Necker* voulut mettre fin au
caractère collégial de la direction des finances,
concentrer la décision dans les mains du seul
ministre et garantir la nation contre l’arbitraire
(création du comité contentieux).
Il faut néanmoins admettre que si le Contrôle
général forma un ministère puissant, il n’eut jamais
véritablement le « contrôle » sur les dépenses des
autres ministères. Il faut attendre la loi du 14
septembre 1822 pour voir le ministère des finances
disposer du pouvoir de contrôler les fonds
employés par tous les ministères dépensiers. M.-L.
L.
Voir Colbert, Contrôle administratif, Intendant de
finances, France
Sources : AST, caméra dei conti, Savoia, inventario
3, n° 58, f° 113, le 30 juin 1717. Hennequin J.
(1585), f° 229-230.
Bibliographie : Antoine M. (2003). Bosher J.F.
(1964). Hamon P. (1994 et 1999). Marion M.
(1891).
Contrôle juridictionnel
Voir Chambre des comptes, Cour des
comptes
Contrôle parlementaire (du budget)
« Gouverner et dépenser sont deux choses sinon
identiques, du moins inséparables». En 1822,
Masson* formalise le caractère éminemment
politique de la dépense. Synthétisé au sein du
budget*, les mouvements financiers sont
évidemment décidés par le titulaire du pouvoir : le
monarque. Pour autant ce pouvoir est-il
complètement discrétionnaire ? L'analyse doit
porter sur l’ensemble des acteurs politiques et
prendre en compte le jeu des assemblées
parlementaires qui, en Europe, ont conforté leur
rôle face aux monarques Ces derniers revendiquent
une forme particulière de contrôle de la dépense. Il
ne s’agit pas d’opérer un contrôle comptable strict,
au sens étymologique, confiné à la vérification
matérielle des actes de dépenses (engagements*,
ordonnancement* ou paiement*). Il s’agit bien de
participer à la décision en obtenant une répartition
des prérogatives financières, de dépasser le contre
rôle (en deux mots) pour aller vers une maîtrise
partielle du processus. Cette acception du tenue
contrôle implique que le Parlement devienne
incontournable dans le processus financier via le
consentement de l’impôt avant d’obtenir son
corollaire nécessaire, le vote et surtout la
délibération de la dépense.
Consentement de l ’impôt
Le consentement de l’impôt désigne la nécessité
pour le pouvoir de recourir aux représentants des
contribuables pour obtenir le droit de lever l’impôt.
En Angleterre*, la Magna Carta de 1215 permet
l’émergence progressive du principe repris par
différents bills et en particulier au XVIIe siècle, par
le Pétition of rights de 1628 et surtout le bill of
Rights de 1689 qui établissent définitivement le
consentement de l’impôt.
151
 En France à la fin du XVe siècle, la tentative des
États généraux d’obtenir le droit de consentir
l’impôt au roi se heurte à l’affermissement de la
monarchie. Les légistes royaux opposent à l’idée
selon laquelle le peuple payant l’impôt doit le
consentir, la thèse d’un droit à prélever les biens
des sujets pour les nécessités de l’État. A la fin du
XVIe siècle, Loyseau ne doute plus que « nostre
roy (...) puisse faire des levées de deniers sans les
consentements des États ». La revendication reste
dans les esprits malgré l’absolutisme monarchique,
on la retrouve ainsi dans les cahiers de doléance
rédigés pour les États généraux du printemps 1789.
Elle aboutit avec le décret du 17 juin 1789, premier
acte juridique adopté par l’Assemblée
autoproclamée nationale qui prend note de
l’existence d’« un principe constitutionnel et à
jamais sacré, authentiquement reconnu par le Roi,
et solennellement proclamé par toutes les
assemblées de la nation, (...) qui s’oppose à toute
levée de deniers de contributions dans le royaume,
sans le consentement formel des représentants de la
nation ». Le fait d’écarter la notion d’impôt au
profit de celle de contribution renforce la
dissociation qui s’opère entre la recette et le
pouvoir royal. Il ne s’agit plus pour les sujets d’être
imposés par la volonté royale, mais pour des
citoyens de contribuer à la prise en charge des
dépenses nécessaires à la mise en œuvre du pacte
social. Pour Michel Bruguière, le pouvoir voit dans
le consentement de l’impôt la possibilité d’un
renouveau de la monarchie. « Louis XVI n’a jamais
varié dans la définition de la nouvelle légitimité
financière à laquelle il aspirait : consentement des
représentants de la Nation pour établir de nouveaux
impôts, proroger les anciens et conclure d’éventuels
emprunts », comme en témoigne la déclaration du
23 juin 1789.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
des 17 et 26 août 1789 inscrit le principe à son
article 14 : « tous les Citoyens ont le droit de
constater, par eux-mêmes ou par leurs
Représentants, la nécessité de la contribution
publique, de la consentir librement, d’en suivre
l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le
recouvrement et la durée ». Dès lors, ce principe ne
cesse d’être repris dans les constitutions françaises
et ne sera pas remis en cause quel que soit le
régime. La Constitution révolutionnaire de 1791
dispose à l’article premier de son titre V : « les
contributions publiques seront délibérées et fixées
chaque année par le corps législatif et ne pourront
subsister au-delà du dernier jour de la session
suivante, si elles n’ont pas été expressément
renouvelées ». Elle reprend le principe du
consentement et précise aussi son annualité*. La
Charte du 4 juin 1814 qui établit une monarchie
parlementaire, confirme la place des Chambres à
son article 48 : « aucun impôt ne peut être établi ni
perçu, s’il n’a été consenti par les deux Chambres et
152
sanctionné par le roi ». Enfin, l’article 35 de l’acte
additionnel aux constitutions de l’Empire du 22
avril 1815 énonce qu’« aucun impôt direct ou
indirect en argent ou en nature ne peut être perçu
(...) qu'en vertu d'une loi ».
La délibération de la dépense
Le consentement de l’impôt est une avancée
démocratique déterminante. Sa formalisation
juridique marque l’aboutissement de nombreuses
tentatives d’évolution des rapports politiques
relatifs au prélèvement. Elle marque aussi un
tournant quant à l’approche de la relation à la
dépense publique tant le consentement de l’impôt
constitue aussi le préalable nécessaire au contrôle
de la dépense.
Dès le commencement de la Révolution française,
les principes essentiels du droit budgétaire sont
inscrits au sein des articles 12, 13, 14 et 15 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Ces quatre articles participent d’une même
perspective dès leur conception par le sixième
bureau du comité de constitution. L’analyse des
travaux préparatoires de la Déclaration permet à
Lucile Tallineau d’établir que : « constater la
nécessité de l’impôt, c’est s’engager dans la voie de
l’appréciation de l’utilisation qui sera faite de son
produit ». C’est en ce sens qu’il faut entendre le
concept de nécessité inscrit à l’article 14 et promu
par Roy lors de la discussion du budget de 1817.
« Les impôts et les subsides ne sont établis que pour
les besoins de l’État et pour les nécessités
indispensables. La conséquence immédiate de ce
principe, c’est que celui qui a le droit de voter
l’impôt a nécessairement le droit de vérifier si cet
impôt est demandé pour les nécessités de l’État, de
vérifier ces nécessités ». Le consentement de
l’impôt implique le contrôle de la dépense.
Le regard porté par les représentants de la Nation se
matérialise au moment de la discussion de la loi de
finances*. Quel que soit le rapport entre le pouvoir
exécutif et le législatif, la « délibération » de la loi
de finances constitue le moment de la confrontation
entre les recettes et les dépenses, de l’appréciation
de la finalité des crédits et de la nécessité de l’impôt
en vue de son consentement. Royer-Collard affirme
ainsi qu’« aucun impôt ne peut être établi ni perçu ;
s’il n’a été consenti par les Chambres et sanctionné
par le roi ; c’est la Charte. La raison de l’impôt,
c’est les dépenses, la raison de la dépense, ce sont
les services : ainsi les services sont la dernière et
véritable raison de l’impôt. Ce qui se passe entre le
gouvernement et la Chambre dans la proposition de
la loi de finances annuelle en est la preuve».
Les Chambres ne cessent alors de revendiquer une
meilleure information sur le budget. Ne s’agit-il que
d’être informé ? Ne s’agit-il que de contrôler
l’exécution d’un budget préalablement voté, selon
une approche un peu trop littérale des quatre temps
alternés proposés par Louis lors de la séance du 22
juillet 1814? Non, il s’agit pour le Parlement de
délibérer le budget, de mettre en œuvre sa fonction
budgétaire essentielle. Audiffret* évoque à ce
propos l’ère du « service public » pour désigner ce
désir d’information des représentants au service
d’une meilleure connaissance de l’administration
publique. Cette délibération doit être envisagée
comme participant au processus de décision. La
séparation formelle de la loi de règlement* par la
loi du 15 mai 1818 constitue la dernière étape du
processus. Présentée au Parlement avant la
discussion de la prochaine loi de finances, la loi de
règlement permet d’établir un cycle budgétaire
favorisant l’infonnation relative à ce qui a été
réalisé au regard des engagements pris, avant
d’aborder les nouvelles promesses. Il s’agit bien de
favoriser la délibération du Parlement, c’est-à-dire
son contrôle.
En Espagne*, l’émancipation des Cortès au début
du XIXe siècle génère le même type de réflexions.
Au fait de l’évolution de la comptabilité publique
française et du droit budgétaire, les administrateurs
ibériques, à l’image de Bravo Murillo*, organisent
progressivement un droit public financier reposant
sur le diptyque consentement de l’impôt/
présentation des comptes, comme en témoigne la
Constitution de 1837, la loi du 20 février 1850 et
l’analyse qu’en fait Conte en 1858: «Si
l’exécution du principe constitutionnel qui oblige le
Gouvernement à ne faire aucune dépense sans vote
préalable du Parlement est une des garanties les
plus précieuses, et même la garantie fondamentale
des peuples régis par des institutions
représentatives, celui qui exige la présentation des
comptes non seulement complète le premier mais le
rend plus utile et efficace ; car il serait peu utile que
le Budget soit voté si ceux qui l’accordent n’avaient
pas d’information et de contrôle sur le maniement
que le Gouvernement fait des fonds que la loi met à
sa disposition » (traduction A.D.). S.K.
Bibliographie : Bruguière M. (1991). Conte D. F.
A. (1855). Loyseau C., Traité des seigneuries,
Paris, 1566. Quint A. (2005). Tallineau Lucile
(2010). Vuitry A., L’origine et l’établissement de
l'impôt sous les trois premiers Valois (1328-1380),
Paris, 1883.
Contrôleur de la raison
L’objet de la création d’un Livre de la raison {Libro
de la razôn, 1543) en Castille est de centraliser
F information tirée des différents livres de comptes
affectés à chaque recette ou dépense, et tenus par
des comptables distincts : « que tout soit dans les
mains d’un seul, pour que soit tenu un compte
particulier et général avec tous et que, chaque fois
que Nous le désirerons, il puisse nous en être rendu
compte par écrit ou de vive voix ». Il s’agit donc de
remédier à l’éparpillement de l’infonnation qui
résulte de la diversité des caisses* et des comptes.
Cette création n’est pas immédiate. Certains
officiers semblent remplir cette fonction dans les
années 1520, avant que Francisco de Almaguer soit
chargé en 1543 du Livre de la Raison. En 1554, le
même Almaguer se plaint de ne pas être rémunéré
pour son travail et celui de ses officiers, et la
fonction est alors érigée en office. Autour de celui-
ci, se crée quelques années après un des principaux
bureaux de la Grand Chambre des Finances
(Contaduria Mayor de Hacienda), chargé de tenir
« le compte et raison générale » des finances
royales.
Le chef de la Grand Chambre des comptes Tomâs
de Aguilar précise en 1640 qu’outre leur travail de
synthèse, les contrôleurs de la Raison sont chargés
de contrôler les opérations faites par le Trésorier
Général, dont ils ont deux des trois clefs du coffre.
Enfin, depuis 1569, le contrôleur de la raison est
tenu d’indiquer à la chambre quelles personnes
doivent lui rendre des comptes, afin de faciliter son
travail. A partir des années 1560, il y a deux
Contrôleurs de la Raison. Ils font partie de la Grand
Chambre des comptes des Finances depuis 1580 et,
depuis l’intégration de celle-ci au Conseil des
Finances en 1602, ils dépendent du Conseil des
Finances.
Lors de sa création, l’office est perçu par les
contemporains comme un des lieux du pouvoir en
matière de finances. Aussi les factions rivales à la
cour de Madrid s’efforcent-elles de le contrôler,
comme le montre C.-J. de Carlos Morales. Les
spécialistes des finances du XVIIe siècle
n’accordent pas d’importance particulière aux
Contrôleurs de la Raison. Toutefois, l’ampleur de
leurs fonctions et de leurs responsabilités est
soulignée par Tomâs de Aguilar, qui a exercé la
charge avant de prendre la tête de la Grand
Chambre des comptes (Contaduria Mayor de
Cuentas) : « Les offices des Contrôleurs de la
Raison sont ceux qui ont les contacts les plus
fréquents avec le Conseil des finances, tant par écrit
que de vive voix. Et leurs titres sont si longs qu’on
leur demande de tenir le compte et la raison de tout
ce que valent les recettes royales et les services
ordinaires et extraordinaires de nos royaumes, les
recettes et droits des Maîtres des Ordres Militaires,
de ce que l’on tire de la Croisade, du Subside et de
YExcusado et des ventes que l’on fait de toute ville,
village, forteresse, de juros et de rentes, d’offices et
autres expédients de toute sorte et de tous les traités
et opérations de change que l’on fait avec les
hommes d’affaires sur les fournitures d’argent et de
ce qu’il en reste, ainsi que de l’or, de l’argent, des
perles et autres que le roi reçoit des Indes
[d’Amérique] et de tous services, ventes et
expédients mis en place aux Indes et des quantités
issues de tous ces effets qui entrent au pouvoir des
trésoriers généraux. Outre qu’ils en tiennent le
compte et la raison, leur principale occupation
153
consiste à faire des évaluations et à déterminer les
intérêts de ce que les hommes d’affaires doivent
avoir pour les traités faits avec eux pour la
provision d’argent et [à dresser] les comptes de ce
que doivent payer les acheteurs d’alcabalas et de
tercias, de juridictions et de sujets, en distinguant
dans les comptes les bourgeois à part entière de
ceux qui le sont à moitié, et en participant au
contrôle [visuel] de tout ce qui entre dans les
coffres de la Trésorerie Générale et en sort,
puisqu’ils ont les clefs des coffres. Et ils donnent à
la Grand Chambre des comptes des attestations de
tout ce qui en vertu de leurs livres doit être inscrit
dans la recette d’ambassadeurs, trésoriers généraux,
payeurs, responsables de fournitures, majordomes
d’artillerie et autres particuliers au pouvoir de qui
entrent des maravédis et avoirs des finances royales
dont ils doivent rendre compte ».
Le bureau des contrôleurs du livre de la raison ne
semble pas avoir satisfait pleinement les attentes de
Philippe II pour ce qui concerne l’établissement
d’un compte général des finances royales. Aussi le
monarque encourage-t-il en 1592 l’initiative de
Pedro Luis de Torregrosa*, désireux de créer un
bureau du Livre de Caisse des finances royales dans
lequel ce compte serait tenu en partie double*. Les
officiers du livre de la raison se comptent alors
panni les adversaires les plus virulents de cette
tentative, qui échoue.
Les réformes mises en œuvre pendant le règne de
Philippe V conduisent à la suppression des
Contrôleurs de la Raison. Dans un premier temps,
leur rôle est considérablement réduit, du fait de la
concentration de toutes les recettes destinées à la
guerre dans les mains d’un seul Trésorier dit
Tesorero Mayor de Guerra, en place entre octobre
1703 et octobre 1704, de juin 1705 à 1711 puis à
partir de juillet 1713. En effet, cette Trésorerie a ses
propres contrôleurs des comptes en interne et n’est
pas soumise au contrôle visuel des Contrôleurs de
la Raison, comme c’est le cas la Trésorerie
Générale ; cette dernière, restée en place durant la
guerre, a vu se réduire les fonds qui lui étaient
confiés. La réforme du premier mai 1717 donne le
coup de grâce aux Contrôleurs de la Raison. En
effet, l’ensemble des bureaux chargés du contrôle
de différentes recettes et dépenses qui intégraient le
Conseil des Finances est réduit à deux bureaux, la
Chambre Générale des Comptes de la Recette ou
des Valeurs (Contaduria General del Cargo ou de
Valores) et la Chambre Générale des Comptes de la
Dépense ou de la Distribution (Contaduria General
de la Data ou de Distribueion). Il s’agit de
renforcer encore la concentration de l’information
sur les recettes et les dépenses et de réduire le coût
de cette administration, puisque chaque contrôleur
prélève des droits sur ses actes. Dans le même
temps, le mode de contrôle de la Trésorerie
Générale de la Guerre ( Tesoreria Mayor de Guerra)
change, puisque les tout nouveaux Contrôleurs se
154
chargent du contrôle immédiat (intervenciôn) de la
recette et de la dépense du Trésorier. La
réorganisation de cette Trésorerie en Trésorerie
générale* en septembre 1718 ne modifie pas cet
état de choses : le contrôleur général des valeurs et
celui de la distribution contrôlent au quotidien les
recettes et les dépenses du trésorier, archivent les
documents qui justifient les dépenses ou qui
donnent la preuve de la légitimité de celles que font
les payeurs du Trésorier dans les provinces,
reçoivent leurs relations de recettes et dépenses
régulières, et, enfin, sont tenus de signaler à la
Grand Chambre des comptes le cas de tous ceux qui
reçoivent de l’argent du Trésorier Général et
pourraient avoir des comptes à rendre devant ladite
Grand Chambre. Il s’agit donc de renforcer le
contrôle existant pendant l’exercice du Trésorier,
afin de pouvoir dresser des bilans de sa situation en
cours de mandat et d’alléger les opérations de
reddition de ses comptes postérieures à son
exercice. Or, il est intéressant de signaler que la
documentation désigne parfois les deux nouveaux
contrôleurs sous le nom de « contrôleur général de
la raison des valeurs » et de « contrôleur général de
la raison de la distribution », comme s’il allait de
soi que leurs fonctions prolongent celles assignées
autrefois aux contrôleurs de la Raison.
Ces deux contrôleurs restent en place au XVIIIe
siècle, mais leurs attributions sont changeantes,
principalement en fonction de leur relation avec la
Trésorerie. En effet, la Trésorerie Générale de la
Guerre rétablie entre janvier 1721 et mars 1726,
puis à partir d’octobre 1726, est dotée de ses
propres Contrôleurs de la Dépense et de la Recette,
comme avant mai 1717. C’est donc dans ses
bureaux qu’est concentré l’essentiel
l’information relative aux dépenses et recettes
principales de la monarchie. Ce sont bien ces
comptables de la Trésorerie qui élaborent, avec le
Trésorier général de la Guerre (Tesorero Mayor),
des états prévisionnels des recettes et dépenses en
début d’année, comme l’expliquent les deux
titulaires de ces offices à l’occasion du procès fait
au Trésorier puis ministre, Fernando Verdes
Monténégro.
Toutefois, il semble que les contrôleurs généraux de
la raison des valeurs et de la distribution continuent
d’établir et d’archiver une partie des documents qui
justifieront la recette et la dépense de ce trésorier et,
à ce titre, contribuent au contrôle comptable exercé
sur le trésorier. Il conviendrait cependant d’étudier
de plus près leur rôle et la relation qui s’établit entre
eux et les contrôleurs de la Trésorerie pendant la
seconde partie du siècle pour parvenir à des
conclusions fermes. A.D.
Sources : Tomâs de Aguilar, « Relaciôn del estilo
de los contadores del Consejo de Hacienda,
Contaduria Mayor», 1640, BNE, Ms 18731-5, fol.
322r-323r. Dispositions du 02 août 1569, Nueva
recopilaciôn, Livre 9, titre 5, loi XXXVI, § 18,
reproduit dans Côdigos espaiioles concordados y
anotados. Tomo XI: Leyes de la Nueva
Recopilaciôn que no han sido comprendidas en la
Novlsima, Madrid, Imprenta de la Publicidad, 1850,
p. 288. AHN, Fondos Contemporâneas, Colecciôn
de Ordenes Generales de Rentas, lib. 8011, n° 304,
fol. 106r-111 v. Instructions au Trésorier Général,
aux payeurs et aux contrôleurs principaux des
provinces, 4 juillet 1718, AGS, Direcciôn General
del Tesoro, inv. 39, leg. 2. Mémoire de Juan Fermin
de Barberia, Alejandro de Vega, Joseph Antonio de
Rivera, Pedro Felipe de Leon, 13 août 1726, AGS,
Secretaria y Superintendencia de Hacienda, leg.
213-2.
Bibliographie: Carlos Morales C.J. de (1996), p.
205-208. Dubet A., in Dubet A. et Luis J.-P., sous
presse et Dubet A., in Astigarraga J. et Pérez
Sarriôn G. (éd.), sous presse. Hernandez Esteve E.
(1986). p. 16-17. Sânchez Belén J.A., La politica
fiscal en Castilla durante el reinado de Carlos II,
Madrid, Siglo XXI, 1996, p. 1-18.
Contrôleur des restes
Dans la France d’Ancien régime, le contrôleur
général des restes était un officier chargé du
recouvrement des débets de comptes* prononcés
contre les receveurs, les trésoriers et autres
manieurs des deniers du roi au jugement de leurs
comptes à la Chambre des comptes*. Etabli en
1556, cet office portait initialement le titre de
solliciteur général des restes. Il sera supprimé par
l’édit du mois de novembre 1573, qui créa celui de
contrôleur général des restes de la Chambre des
comptes et des bons d’État du Conseil. Louis XIV
de
ordonna la suppression de cette charge en 1684 puis
son rétablissement par l’édit de mai 1690. Enfin,
par l’édit de novembre 1717, elle fut remplacée par
deux offices distincts: celui de contrôleur des bons
d’Etat du Conseil et celui du contrôleur général des
restes de la Chambre des comptes.
En 1654, la Chambre des comptes* de Paris
consacra un règlement fixant les attributions, les
droits et privilèges du contrôleur général des restes.
Son office donnait droit à l’anoblissement et
permettait d’obtenir des exemptions fiscales. Le
droit d’un sol pour livre des sommes qu’ils faisaient
revenir au Trésor fut attribué à chacun de ces
officiers par la déclaration royale du 4 mai 1766.
La tâche du contrôleur des restes était d’assurer le
recouvrement des débets* dus au roi par les
comptables. À cette fin, le procureur général de la
Chambre des comptes* était tenu de lui délivrer,
dans le mois après la remise des comptes jugés au
Parquet, des extraits des états des comptes finaux*.
D’après les résultats* de ces états finaux, le
contrôleur des restes dressait les commandements et
les contraintes, que l’un des huissiers de la chambre
allait ensuite signifier aux comptables ou à leurs
héritiers. Les comptables qui s’étaient acquittés de
leurs débets recevaient du contrôleur des restes un
certificat d’apurement* des comptes. Pour obtenir
le paiement entier des sommes réclamées, il était
autorisé à saisir les cautions* et les biens meubles
et immeubles des comptables. Il procédait à la
recherche et à la collecte des débets* qui s’étaient
trouvés sur un dernier compte ou sur les comptes
des années antérieures. Chaque année, le contrôleur
général des restes était tenu de rendre compte à la
Chambre des comptes des résultats des poursuites
engagées. Il présentait alors un état* sur lequel il
indiquait les montants des restitutions fournies et
restant à recouvrer selon la nature des
comptabilités, les généralités du royaume et les
années d’exercice comptable.
L’assemblée nationale du 21 juillet 1790 remplaça
l’officier d’Ancien régime par un agent chargé, au
sein du bureau d’Agence, du recouvrement des
créances actives du Trésor public et de la poursuite
des comptables qui seraient constitués en débet.
N.P.
Voir Chambre des comptes, Débet de comptes
Sources : AN, G7 1580-1583 (Débets des
comptables : états de recouvrements et requêtes de
1680-1715) ; BNF, 20940, P 174 : Règlement de la
Chambre des comptes concernant le contrôleur
général des restes, 1654; 21045 : Déclaration du roi
du 29 décembre 1663 portant règlement pour la
recherche des débets de comptes et débets de
quittance); 20975, f° 149: Édit du roi de 1717
portant suppression de l'office de contrôleur général
des restes de la Chambre des comptes de Paris et
bons d'Etat du Conseil, et création d'un nouvel
office de contrôleur des restes de ladite Chambre
des comptes ; Encyclopédie méthodique. Finances,
t. 1 (1784), p. 392-393.
Contrôleur, inspecteur des tailles
Depuis 1574, les contrôleurs des tailles* étaient en
France des officiers chargés de surveiller le
recouvrement des tailles. À cet effet, ils devaient
tenir un registre sur lequel étaient mentionnées au
jour le jour les sommes perçues par les receveurs et
les quittances qui leur étaient délivrées au moment
de l’encaissement. La fonction de ces officiers
renvoie donc au sens étymologique du ternie
« contrôle », c’est-à-dire d’effectuer un contrôle des
comptes au moyen d’un second registre, dit contre-
rôle (du latin, « rotulus », rôle, registre ; « contra-
rotulus », à côté de), tenu en parallèle à celui du
comptable. Les lettres patentes de mai 1587
réunirent les contrôleurs des tailles au corps des
officiers des élections. L’édit du 18 juin 1643
prescrivit aux receveurs de tenir les registres cotés
et paraphés et de faire contrôler des quittances dans
le délai de quinze jours, sous peine de nullité. Aux
tenues de l’édit de 1669, les contrôleurs des tailles
devaient transmettre chaque année leurs registres de
contrôle au Contrôle général des finances*. Par
155
l’édit de décembre 1701, ils furent confirmés dans
leurs offices, et le roi leur accorda des gages
annuels de deux cent mille livres formés de la
taxation d’un denier pour livre du principal de la
taille. Les inspecteurs des finances établis par l’édit
de 1716 avaient pour l’attribution principale de
vérifier la comptabilité des tailles à partir de l’année
1713. Les rapports qu’ils dressaient à cet effet
étaient accompagnés d’un tableau qui résume la
gestion de chaque receveur :
Nombre de paroisse : 126
Election : Dieppe
Nom du receveur des tailles : Buton
Année d’exercice : 1716
Montant du total des comptes pour chaque année :
Recettes : 262 272 l.
Dépenses : 189 391 1.
Avances dues aux receveurs pour chaque année :
Débets des receveurs pour chaque année : 72 861 l.
Avances dues net suivant l'arrestê du total des
comptes :
Débets de net des receveurs suivant l’arrestê du
total des comptes : 72 861 l.
Les rapports des inspecteurs signalèrent beaucoup
de difficultés survenues dans leur travail. En 1716,
le receveur des tailles à Rouen semblait ignorer la
lettre que l’inspecteur Brideron lui avait
préalablement envoyée de Paris pour qu’il préparât
pour son arrivée les comptes suivant la forme fixée
par le Conseil du roi. Son collègue se plaignit que
le receveur des tailles à Pont Levesque refusa de lui
présenter ses registres à la vérification, et qu’il dut
se déplacer à son domicile pour le contraindre à
rendre des comptes. Plus tard, il déclara au
Conseil à ce propos: « Il est d’une nécessité
indispensable que les inspecteurs des finances
commencent par arrêter les comptes des commis à
la recette générale, dont les recettes pour les
différentes impositions doivent être par chapitre
détaillé et daté, conformément aux remises qui leur
ont été faites soit par les receveurs des tailles ou
autres particuliers chargés au recouvrement, qui
doivent pareillement détailler en dépense les
récépissés qui leur ont été fournis par les commis à
la recette générale, afin de pouvoir faire un travail
certain et n’être pas obligé de faire des
dépouillements et des calculs inutiles, et supposer
qu’il y a erreur par les raisons que tous les comptes
doivent être relatifs les uns aux autres en recette et
en dépense [...] Il n’est d’aucun usage que
l’auditeur des comptes se soit jamais transporté
chez un comptable, à moins que ce ne soit pour le
prendre à l’improviste lorsqu’il est soupçonné
d’avoir diverti les fonds de sa caisse. Les receveurs
des tailles venant rendre leurs comptes dans les
chefs-lieux de la généralité qui est la résidence de
l’intendant, et cela conforme à la déclaration du
Roy et à la disposition même où ils sont tous de
faire cette démarche. L’inspecteur étant à la
156
demeure chez luy, arrêtera plus de comptes en un
mois qu’il ne feroit en un an se transportant, et que
500 livres par mois ne suffiroit pas qu’à la dépense
des hôtelleries ».
Mis à part la vérification des livres de comptes, les
inspecteurs pouvaient recourir à toute
documentation et à tout autre témoignage de
personnes susceptibles de leur fournir des
renseignements dont ils avaient besoin sur les
activités des receveurs. Lorsque des irrégularités
étaient constatées, ils informaient le contrôleur
général des finances* et proposaient des mesures
pour y remédier. De leur coté, les receveurs avaient
à donner des éclaircissements. Lorsque les
inspecteurs s’occupaient de la vérification des
comptes, les comptables étaient tenus en obligation
de rester en charge pendant toute la durée du
contrôle. N.P.
Voir Contrôle administratif
Sources : AN, G7 1522 ; G7 503 ; G71541; Boislisle
A.-M. de (1874-1897), t. 3, p. 547-548.
Convoi
Voir Voiture
Correcteur, Correction des comptes
En France, la correction des comptes était un pan
important, parfaitement distinct de l’audition*, de la
procédure du contrôle des comptes par les
Chambres des comptes*. Elle intervenait après la
clôture* des comptes et consistait à vérifier si les
transferts des fonds entre les comptables avaient été
dûment effectués, puis à découvrir les irrégularités
de leur gestion, telles que l’erreur de fait,
l’omission* de recette, le faux ou double emploi*,
le « biscapit »*, la rétention* de deniers royaux. Les
magistrats des comptes pouvaient rectifier à la
même occasion les erreurs* commises dans leur
travail. Auprès de chaque juridiction, la tâche fut
confiée à des officiers spécialisés : les correcteurs
des comptes*. Ces offices furent introduits par
l’ordonnance de Charles VI du 14 juillet 1410. Leur
nombre se multiplia par la suite, en raison du
développement du système de la vénalité des
charges. On en arriva ainsi à 38 correcteurs en poste
à la Chambre des comptes* de Paris à la veille de la
Révolution. Ces officiers avaient le titre de
conseiller du roi et occupaient un rang intermédiaire
entre les maîtres* et les auditeurs* des comptes.
La manière dont s’opérait la correction des comptes
fut décrite par une série d’édits et règlements
royaux, ainsi que par des mémoires composés par
les gens des comptes à leur propre usage, par
exemple le traité sur la pratique de la correction des
comptes de Cyrille-Joseph Patu. On y distinguait
trois sortes de corrections. Il s’agissait le plus
souvent de la « correction de renvoi » qui se faisait
sur l’ordre de la Chambre des comptes. A la fin du
semestre, elle s’appliquait à tous les comptes jugés
dans les six mois précédents où l’auditeur* avait
spécifié par le mot «corrigendum » les parties*
sujettes à la correction. La correction pouvait en
outre intervenir sur requête soit d’un particulier,
soit d’un comptable ou ses héritiers, réclamant
contre une erreur à leur préjudice qu’ils trouvaient
dans les comptes. Il arrivait, enfin, plus rarement,
que les correcteurs entamassent de leur propre
mouvement la correction de certains comptes qu’ils
jugeaient à ce propos.
De toute façon, il était de règle d’associer deux
correcteurs à chaque correction. Ils se chargeaient
du compte en allant signer au Parquet le registre des
corrections, puis recevaient du garde des livres des
différents comptes, états* et acquits*. Pour qu’ils
fussent en mesure d’effectuer les confrontations
nécessaires, il fut prescrit aux receveurs généraux
des finances* de fournir à la Chambre des comptes*
de Paris une copie de leurs comptes sous peine de
2 000 livres d’amende. En même temps, l’article 35
de l’édit du mois d’août 1669 enjoignit aux
Chambres des comptes* provinciales d’adresser à
celle de Paris, dans les six mois suivant chaque
année, des extraits des comptes rendus auprès
d’elles contenant les parties payées au Trésor, au
trésorier de l’ordinaire des guerres et au trésorier
des ponts et chaussées. En contrepartie, le procureur
de la Chambre des comptes* de Paris leur envoyait
des extraits du compte de l’Epargne* pour servir à
la correction des comptes.
La tâche des correcteurs était de contrôler
l’exactitude et la concordance des écritures
comptables indiquant les mouvements de fonds. En
fait, il fallait s’assurer si le comptable avait inscrit
sur son compte les sommes telles qu’elles lui
avaient été effectivement versées. Le correcteur
retrouvait alors le compte de celui qui avait fait le
paiement et en examinait l’article de la dépense
correspondant. Si les sommes portées par l’un en
recette et par l’autre en dépense étaient égales,
l’opération était correctement effectuée. Le
correcteur l’inscrivait sur le compte même au-
dessous de la mention «corrigendum » de
l’auditeur* (en indiquant dans quel compte figurait
le versement). Lorsque, au contraire, il apparaissait
que la somme que le receveur avait versée était plus
forte que celle dont le comptable avait fait recette, il
mettait une mention pour signaler Terreur relevée.
Quand le comptable n’avait pas pu recouvrer l’une
des sommes qui lui était assignée sur un receveur, il
la marquait cependant à la recette de son compte,
mais il se la faisait ensuite défalquer, en l’inscrivant
dans sa dépense au chapitre des deniers rendus et
non reçus. Le rôle du correcteur était alors de
vérifier si le receveur sur qui elle n’avait pu être
recouvrée ne l’avait réellement versée. En ce cas, le
comptable était coupable de « fausse reprise* ».
Certains comptes montraient que les fonds n’étaient
pas employés conformément à la destination qui
leur avait été donnée. On pouvait encore y relever
des dépenses acquittées par le comptable sur de
faux mandats* de paiement ; un « double
emploi* », lorsque la même dépense se trouvait
payée deux fois dans le même compte ; un
« biscapit* », lorsqu’une somme était payée deux
fois à la partie prenante* par le même comptable ou
par deux comptables différents.
L’examen d’un compte étant terminé, les
correcteurs communiquaient leurs observations à la
Chambre de la correction, afin de recueillir
l’opinion de tous leurs confrères. Ils dressaient
ensuite un « avis de correction », qu’ils portaient au
grand bureau. La requête était instruite par le
procureur général; le comptable ou son représentant
était assigné pour s’expliquer des irrégularités
commises. Après quoi, les défenses et les
conclusions étaient remises à l’un des maîtres des
comptes qui faisait un rapport à l’instance en
présence des deux correcteurs qui avaient fait la
correction ayant voix délibérative. Les comptables
convaincus d’omissions* de recette furent punis
d’abord d’une peine pécuniaire égale au double puis
au quadruple de la somme indûment employée. Les
plus graves détournements entrainaient la
confiscation des biens au profit du roi, le
bannissement et la peine de mort. N.P.
Voir Biscapit, Chambre des comptes, Correcteur,
Double emploi, Omission, Reprise
Sources: Recueil d’édits, ordonnances et
règlements concernant la juridiction de la Chambre
des comptes de Paris (1728) ; AN, P 1898, copies
des avis de correction sur les comptes (1668-1736) ;
G7 1759-1761, requêtes concernant le règlement des
comptes (1688-1704) ; G7 1762 : avis de correction,
papiers et minutes des requêtes du procureur
général de la Chambre des comptes de Paris (1686-
1709) ; BNF, coll. Clément de Boissy : ms. fr. 7699,
11073, correcteurs des comptes, leur office et
procédure de la correction des comptes ; coll. NAF
1565-1570: 1574-1576: créations d’office et
attributions des auditeurs et des correcteurs des
comptes ; BSG, ms. 1771, « L'ordre et pratique de
la correction des comptes», rédigé par Cyrille-
Joseph Patu, correcteur à la Chambre des comptes
de Paris (XVIIe siècle); ms. 1772, «Recherches
historiques et critiques sur la Chambre des comptes,
ou histoire de l'ordre des conseillers correcteurs
depuis son origine» (XVIIe-XVIIIe siècles).
Bibliographie : Coustant d’Yanville H. (1866-
1875). Jassemin H. (1933). La Cour des Comptes
1984). Marcé V. de (1890). Mattéoni O. (2007).
Platonova N., in Contrôler les finances sous
l’Ancien régime (à paraître).
Corruption
« La loi pénale entend par corruption le crime du
fonctionnaire qui trafique de son autorité pour faire
ou pour ne pas faire un acte de ses fonctions. Cet
abus des fonctions est Tune des plus graves
157
 prévarications que puisse commettre un officier
public ». C’est en quelque sorte le revers passif de
la concussion* : « la concussion exige la somme
qu’elle perçoit, la corruption se borne au contraire à
l’agréer quand elle lui est offerte », indiquent
Chauveau et Faustin dans leur commentaire du
Code. Dans la première, le fonctionnaire abuse de
son pouvoir ou il altère la vérité ; dans la seconde il
« se lie par une sorte de convention avec le
corrupteur et vend à prix d’argent un acte de ses
fonctions » (Chauveau et Faustin, p. 578 et 546).
Ces distinctions, précisent les deux commentateurs
du Code Pénal cités, n’ont pas cours avant le XIXe
siècle, le droit d’Ancien régime punissant
essentiellement la concussion (Chauveau et Faustin,
p. 578). Certes, une des acceptions du verbe
«corrompre» est bien de «suborner» à l’époque
moderne. Le Trésor de la langue française de Nicot
(1606) mentionne cet emploi : « Vouloir
corrompre, ou s ’efforcer de corrompre les juges ».
Le Dictionnaire de l’Académie française précise
que le moyen de la corruption est l’argent ou la
faveur : « Corrompre des témoins, pour dire, Les
obliger par argent ou autrement à porter un faux
témoignage. Corrompre un Juge. Corrompre un
témoin par argent. Se laisser corrompre par la
faveur» (1762, 4e éd.). Le dictionnaire de
l’Académie royale d’Espagne, dès ses premières
versions (1729), signale des acceptions
équivalentes. En revanche, si l’on précise que le
substantif « corruption » désigne l’action de
corrompre ou son effet, les acceptions particulières
qui sont données au terme dans son sens moral ne
renvoient pas à la subornation, mais à la
dépravation des mœurs, en particulier d’ordre
sexuel. Il est ainsi significatif que Claude-Joseph de
Ferrière n’ait pas prévu de notice « corruption »
dans son dictionnaire de droit au XVIIIe siècle.
Dans les nombreuses « visites » de territoires de la
monarchie espagnole qu’elle a étudiées, Mireille
Peytavin n’a pas non plus rencontré le ternie de
« corruption », même quand les visiteurs
s’interrogent sur la nature des cadeaux reçus par
officiers et magistrats (Peytavin, p. 375).
Pourquoi est-il difficile de faire de la corruption
morale un délit ? La réponse doit être cherchée dans
une culture qui accorde une large part aux relations
non marchandes et aux obligations non légales mais
morales, et de ce fait, valorise les cadeaux. Le
discours des théologiens et des juristes modernes
est limpide, sur le plan théorique. Jean-Claude
Waquet a recensé leurs opinions sur l’offre de
cadeaux aux juges. Le père A. Escobar y Mendoza
{Liber theologiae moralis, Lyon, 1659), rapporte-t-
il, évoque plusieurs cas de péché sous forme de
fiction. Or, l’un des coupables a exigé des
paiements plutôt que d’attendre qu’on lui « donne
gratuitement sans contrainte ni obligation »
(Waquet, p. 150). Cette restriction, que l’historien
ne relève pas, est fondamentale, puisqu’elle
158
suppose qu’il est licite qu’un juge accepte un tel
don. De fait, d’autres auteurs cités par J.-C. Waquet
autorisent les juges à recevoir des cadeaux, pour
peu qu’ils soient les effets d’une pure gratitude ou
de l’affection, ce qui veut dire qu’ils doivent être
faits librement (sans subir de contrainte) et ne pas
être donnés dans le but d’obtenir que le juge
infléchisse sa sentence en faveur des donateurs
et/ou accélère la procédure. Plusieurs auteurs
expliquent que si les cadeaux sont de peu de valeur
marchande, il n’y aura aucun doute sur leur licéité
(Waquet, p. 159-168). Cet argument doit s’entendre
de la façon suivante : la valeur médiocre des
cadeaux prouve qu’ils ne sauraient être le prix de la
bienveillance du juge, ils sont donc bien des
cadeaux et non des paiements. Certes, il y a des
divergences d’opinion. Certains auteurs de traités
sont particulièrement favorables aux présents, tels
Molina, qui juge le cadeau admissible même
lorsqu’il est offert pour accélérer une procédure,
pour peu que les autres procès ne soient pas
ralentis, ou Diana, qui autorise les juges à expédier
en premier lieu les causes de ceux qui leur ont
offert des cadeaux lorsqu’ils ont à traiter plusieurs
dossiers d’égale antériorité. D’autres s’y opposent
(Waquet, p. 165-168). Mais tous s’accordent sur la
distinction de base entre le cadeau libre, spontané,
effet de la gratitude ou de tout autre sentiment non
monnayable, et le paiement (en argent ou sous une
autre forme) effectué sous la contrainte
(concussion*) ou dans l’intention d’acheter un
service. Les premiers répondent bien à une
obligation morale, celle que se donnent des sujets
libres désireux de respecter les règles de l’amitié et
de la civilité, mais ils échappent à la sphère
marchande.
Ces distingos ne sauraient être inteiprétés comme
une pure stratégie de dissimulation, face aux autres
et face à soi-même, des péchés et délits des
puissants. En effet, l’opposition qui vient d’être
évoquée n’est pas seulement le fait des théoriciens
du droit et de la théologie. J.-C. Waquet cite le cas
du provéditeur Gondi, qui relate par écrit tous les
cadeaux qu’il a reçus pour ses intercessions auprès
du Grand Duc, insistant sur le fait que ces cadeaux
sont les effets de la reconnaissance de ceux qu’il a
aidés (Waquet, p. 134-136), une façon de signaler
qu’ils sont bien des cadeaux libres. L’historien y
voit un « mensonge » du provéditeur, ce qui paraît
peu probable, puisque le document cité est à usage
privé, Gondi ne l’ayant pas rédigé pour se défendre
d’une accusation. S’il avait voulu se mentir, le plus
simple eût été de se taire. La conviction de Gondi
est largement partagée. Les magistrats et officiers
interrogés au cours des visites générales
qu’organise régulièrement la monarchie espagnole
dans ses territoires italiens ou américains ne disent
pas autre chose, quand ils justifient les cadeaux
reçus. Quant à leurs visiteurs (leurs juges), ils
développent les mêmes arguments que les
théologiens, en particulier celui qui veut que les
cadeaux, parce qu’ils sont de petite valeur, ne
puissent être assimilés au paiement de faveurs
(Peytavin, p. 371-375). Or, cette opposition entre
cadeau libre et paiement ne concerne pas que les
cadeaux faits aux magistrats ou aux
administrateurs. Bartolomé Clavero a montré
qu’elle est structurante pour toute la société
d’Ancien régime, et peut s’appliquer à de nombreux
autres cas, notamment l’usure* ou la prostitution.
Cet accent mis sur les intentions des individus,
notamment de celui qui donne, explique que s’il est
théoriquement possible que l’on corrompe des juges
ou des administrateurs et que ceux-ci soient
corrompus, il soit difficile pour un juge de le
prouver. En effet, le même acte — le don d’une
somme d’argent ou de tout autre chose ayant une
valeur matérielle ou symbolique à un juge ou un
administrateur —peut avoir une signification
différente, selon les intentions de l’auteur du don et
de celui qui le reçoit. De fait, il intéresse davantage
les confesseurs que les juges. En comparaison, la
concussion est plus facile à déceler, puisque l’on
peut compter sur ses victimes pour en dénoncer
l’usage et, peut-être, en trouver des preuves.
Ceci pourrait expliquer le peu de place accordé à la
corruption (non désignée sous ce nom) dans les
descriptions foisonnantes qui sont faites des fraudes
et autres abus du monde des financiers. Certes, les
comptables et les contrôleurs sont parfois invités à
ne pas accepter de cadeaux. C’est le cas dans les
ordonnances des Rois Catholiques qui règlent le
fonctionnement de la Grand Chambre des comptes,
en 1476 : les contrôleurs ne sont pas supposés en
recevoir de ceux qui rendent des comptes devant
eux. Cette invitation est reprise dans la législation
postérieure. Il en va de même pour les Conseillers
du Conseil des Finances. Toutefois, lorsqu’il est
avéré qu’il y a eu des cadeaux, les juges font preuve
de prudence. Il est rare que des peines soient
infligées ou qu’il soit demandé à ceux qui ont reçu
de tels cadeaux de les restituer, indique M.
Peytavin, parce que ni les enquêteurs ni ceux qui
sont examinés ne voient de lien causal entre un
cadeau reçu et une faveur accordée à un justiciable
ou à un contribuable (Peytavin, p. 371-375).
Lorsque le Conseil des Finances de Castille fait
l’objet d’une visite à la fin du XVIe siècle, le
visiteur constate bien que plusieurs conseillers ont
reçu des cadeaux ou bénéficié de prêts faits par les
banquiers génois du roi. Or, il revient à ces mêmes
Conseillers d’accepter les offres de traités des
Génois au roi et d’en négocier les conditions et de
leur confier certaines fermes d’impôts : les
« cadeaux » pourraient contribuer à les rendre
bienveillants. Toutefois, les peines, décrites par M.
Cuartas Rivero, sont, au mieux, légères,
probablement pour les mêmes raisons que celles
mentionnées par M. Peytavin. En somme, les
cadeaux doivent être examinés au cas par cas, la
corruption ne va jamais de soi. Même dans le
monde des finances, les hommes de l’Ancien
régime estiment qu’il peut y avoir des échanges de
biens et de services qui ne soient pas marchands. Si
l’on revient au texte de Chauveau et Faustin, l’on
pourra mesurer le chemin parcouru au XIXe siècle :
ces deux commentateurs du Code Pénal
s’interrogent en effet sur l’opportunité d’établir une
gradation des sanctions, selon que l’acte de
corruption a eu des conséquences ou non, et en
fonction de la gravité de ces conséquences, mais
dans tous les cas, ils estiment que si un cadeau a été
donné et reçu, il y a bien eu corruption. A.D.
Sources: Chauveau A. et Faustin H. (1852).
Ferrière C.J. de (1758 et 1779). Nicot J., Thrésor
de la langue françoyse tant ancienne que moderne,
Paris, David Douceur, 1606. Dictionnaire de
l’Académie française, 4e édition, 1762.
Bibliographie : Cuartas Rivero M. (1984). Peytavin
M. (2003). Waquet J.C. (1984).
Costantini, Gerolamo
Voir Rizzi et Costantini
Coucher (un article, une partie)
Expression utilisée fréquemment dans les bureaux
de comptables pour désigner l’opération
élémentaire d’enregistrement, d’écriture d’une
partie dans un registre.
Voir Ecritures comptables
Couler un compte, coulement
Expression utilisée dans les Pays-Bas* pour
désigner l’audition* des comptes. Dans un
« Rapport sur l’administration de la province du
Hainaut présenté le 16 mars 1786», les
commissaires de la Jointe des administrations
évoquent l’objet de leur tournée d’inspection : « la
forme de comptabilité et les honoraires pour leur
formation et audition; il y a encore un troisième
objet à considérer, savoir le coulement des comptes,
ou plutôt les personnes proposées pour les
entendre ». M.-L. L.
Sources : AGR, Jointe des administrations et des
subsides, 1010, pièce 410.
Cour des comptes
La Cour des comptes est une juridiction financière
chargée du contrôle des comptes des comptables
publics. Créée par la loi du 16 septembre 1807 (et
son décret d’application du 28 septembre), elle
s’inscrit dans la ligne des Chambres des comptes*
de l’Ancien régime tout en intégrant les acquits
révolutionnaires du bureau de comptabilité* créé
par le décret des 17 et 29 septembre 1791 et de la
commission de comptabilité instituée le 18 frimaire
an IV.
159
 La composition de la Cour des comptes évolue peu
au début du XIXe siècle. Elle compte un premier
président, trois présidents de chambre, dix-huit
conseillers maîtres, dix-huit conseillers
référendaires de première classe et soixante-deux
conseillers référendaires de deuxième classe, un
procureur général et un greffier en chef. Nommés
dans un premier temps pour une durée de cinq ans,
les membres de la Cour obtiennent l’inamovibilité
par les décrets du 29 mars et 14 mai 1813. Ils
prêtent serment* devant l’empereur pour les
premiers, c'est-à-dire les présidents et procureur
général, devant le prince architrésorier puis la Cour
pour les autres membres. Le premier président
exerce la haute direction de la Cour, il en organise
le fonctionnement et adresse l’état de situation des
travaux au pouvoir exécutif. Chaque chambre est
dirigée par un président de chambre qui organise le
jugement* des comptes. Les conseillers maîtres
siègent comme juges. Les conseillers référendaires
sont chargés de faire la vérification des comptes et
des pièces justificatives* puis de rédiger un rapport
remis à la chambre. Il existe un procureur général
qui remplit les fonctions du ministère public.
Éventuellement, les trois Chambres peuvent se
réunir en Chambre du Conseil.
L’exposé des motifs du décret du 15 janvier 1852
synthétise les fonctions de la Cour : « Chargée de
juger par ses arrêts les comptables publics, elle leur
assure, par l’inamovibilité de ses membres, la
garantie d’une juridiction indépendante ; appelée à
connaître de toutes les recettes et de toutes le
dépenses de l’État, elle déclare solennellement la
conformité de son contrôle judiciaire avec les
comptes administratifs* des ministres, et fournit au
pouvoir législatif des éléments certains pour le
règlement définitif du budget*, par la loi des
comptes ; dans son rapport public au Chef de l’état,
elle fait ressortir ce qui, dans ses vérifications, lui
paraît digne de fixer l’attention du gouvernement, et
exprime les vues d’amélioration que l’étude des
faits et des lois lui suggère ; qu’elle est ainsi
l’auxiliaire utile et nécessaire d’un pouvoir jaloux
de soumettre à un examen sérieux tous les actes de
sa gestion financière, et de porter la lumière sur tout
l’ensemble de la comptabilité publique ».
Le contrôle juridictionnel des comptes
L’Empire n’a pas créé le contrôle juridictionnel des
comptes qui s’inscrit très nettement dans une
tradition pluriséculaire héritée des Chambres des
comptes*. En revanche, en organisant de manière
stable le système financier et donc les comptes
publics autour de la partie double*, l’administration
impériale a progressivement étendu la réalité du
contrôle des comptes à l’ensemble des recettes et
des dépenses nationales. Le dictionnaire
d’administration de Maurice Block (1862) note que
« le jugement des comptes des agents comptables
du trésor a été attribué en principe à la Cour par la
160
loi du 16 septembre 1807 ; mais, pendant plus de
dix ans, on ne soumit à son jugement, pour les
principales comptabilités, que des comptes
collectifs présentés par les directeurs généraux des
régies* financières, qui n’étaient en réalité que des
comptables d’ordre n’ayant qu’une responsabilité
morale. Plus tard, la réorganisation de chaque
branche de service et la création successive de
plusieurs comptabilités permirent à la Cour de se
faire produire des comptes individuels
régulièrement établis suivant les prescriptions de
lois, ordonnances et règlements divers ».
La Restauration poursuit cette grande œuvre
d’organisation et d’extension du réseau comptable
tout en réaffirmant, à chaque modification, la haute
juridiction de la Cour. La Cour des compte dépasse
le cadre strict de la comptabilité du Trésor public*.
Elle étend son contrôle sur les colonies, les
organismes consulaires, la caisse d’amortissement
(ordonnance du 22 mai 1816), les communes
disposant d’un budget* supérieur à 10.000 francs
(ordonnance du 23 avril 1823), la caisse des dépôts
et consignation (ordonnance du 12 mai 1825), les
hospices (ordonnance du 22 janvier 1833). Son
contrôle porte sur les comptabilités en deniers, mais
aussi sur les comptabilités des matières*
(ordonnance du 16 août 1844) et les comptabilités
occultes (loi du 18 juillet 1837).
Les contrôles extra-juridictionnels
Dans le prolongement de sa mission de contrôle
comptable, la Cour des comptes doit rendre deux
types de travaux reposant sur sa connaissance des
mouvements financiers : les déclarations générales
de conformité et le rapport annuel. Ces obligations
figurent dans le décret de 1807 et forment deux
chapitres distincts (XVIII et XIX) de l’ordonnance
du 31 mai 1838. Les conseillers référendaires sont
au cœur des mouvements financiers lorsqu’ils
vérifient les différents comptes. Ils sont incités à
aller au-delà de l’observation de la stricte régularité
comptable et à émettre, par des cahiers
d’observations, des remarques qualitatives sur
l’administration du pays. Ces remarques sont
agrégées et transmises aux plus hautes instances de
la Cour qui vont les regrouper et éventuellement les
transmettre à l’empereur, puis au roi, sous forme
d’un rapport. Il s’agit de porter un «jugement
moral » sur les comptes qui dépasse la stricte
approche juridique. Les cahiers d’observations
deviennent un enjeu politique avec l’émergence du
Parlement. Les libéraux et les ultraroyalistes
réclament leur transmission aux Chambres et
l’obtiennent de manière informelle sous la
Restauration, avant d’inscrire cette obligation dans
la loi sous la monarchie de juillet (loi du 21 avril
1832). La Cour doit enfin établir, chaque année, une
déclaration générale de conformité. Cette dernière
certifie, d’après le relevé des comptes individuels
des comptables et leurs pièces justificatives,
l’exactitude des comptes généraux publiés par les
ministres. Il s’agit de préparer le règlement
définitif1' du budget. La déclaration sera au cœur
d’un affrontement entre les ministres et la Cour
entre 1837 et 1842. La «querelle des
nomenclatures » opposa violemment les ministres,
qui souhaitaient conserver les pièces justificatives
de leurs dépenses, et la Cour qui souhaitait pouvoir
contrôler ces dernières. Il y avait là assurément une
limite qui marquait l’immixtion de la Cour dans la
gestion des administrations et qui était d’autant plus
intolérable que les rapports étaient devenus publics.
S.K.
Sources : Collection des lois, sénatus-consultes,
décrets, ordonnances et autres documents
concernant la Cour des comptes, formée sous la
direction de M. Dufresne, greffier en chef de la
Cour des comptes. Observation de la Cour sur les
comptes des ministères, dans les dossiers de loi de
règlement. AN, C 762, Notes de la première
présidence pour MM. Les conseillers référendaires
1816-1858 ; AN, AD XIX Q, Notice relative au
régime et à quelques événements intérieurs à la
Cour depuis l’année 1807-1827 ; BNF, NAF 22279,
P 94-152.
Bibliographie : Audiffret C.L., «Cour des
comptes», in Sébire F.A. et Carteret (1846).
Goussard E. (1840). Mafioli M. (1836). Todisco U.
(1969). La Cour des comptes (1984). Kott S.
(2009).
Coût de revient
Voir Comptabilité-matières
Créancier
Un particulier ou une personne morale, par exemple
une société capitaliste d’annateurs, qui avait vendu
des marchandises à l’État, ou transporté des biens
pour son compte, ou souscrit à un emprunt public,
ou accompli un service quelconque en apportant des
objets précieux à la Monnaie en cas d’urgence et
pour aider à financer d’autres fournisseurs de
services, par exemple les troupes mercenaires et
leurs chefs ou l’envoi d’une ambassade ou le
paiement des salaires aux magistrats et
fonctionnaires, etc., de nombreuses catégories
sociales pouvaient se trouver en situation de
« créditeurs » si l’État ne payait pas au comptant le
bien ou le service. Dans ce cas la somme due était
portée au crédit du fournisseur dans les livres et
celui-ci recevait une reconnaissance de dette. Ce
crédit portait quelquefois intérêt (ainsi les titres de
la dette publique) sous forme de coupon annuel, ou
bien l’intérêt était intégré dans le prix promis et
dans ce cas serait versé le jour où État
rembourserait sa dette. Il arrivait que le créancier ait
besoin d’argent, alors il négociait son titre dans le
public. L’acheteur ne payait pas le pair (la somme
inscrite sur le titre) mais l’État le rembourserait au
pair à l’échéance. La différence de valeur
constituait l’escompte. Le créancier originaire avait
cédé sa créance à un tiers qui l’avait subrogé et à
qui il avait consenti une réduction de prix. Il
s’établissait ainsi un marché des titres dont le cours
variait au jour le jour et en fonction de
l’éloignement de l’échéance où l’État réglerait sa
dette. Plus l’échéance paraissait lointaine, moins le
titre offrait d’opportunité de gain, plus il était
déprécié, et moins son porteur en obtenait un bon
prix. Par conséquent, plus le débiteur, en
l’occurrence l’État, semblait dans une situation
financière difficile, plus s’allongeaient les délais de
remboursement et plus se dépréciaient les titres
émis. Les créanciers avaient alors intérêt à vendre
rapidement pour se défaire d’un papier qui
immobilisait du capital pendant des années, voire
des décennies.
A Venise, le 12 avril 1383, le grand conseil
s'inquiétait : « à la chambre du sel, on avait trouvé
des citoyens vénitiens qui devaient recevoir de
l'argent avant la dernière guerre », avant le
déclanchement de la guerre avec Gênes, dite guerre
de Chioggia au printemps 1378. Les délais de
paiement étaient supérieurs, dès ce moment-là, à
cinq ans. C'était préoccupant. Mais le 18 août 1418,
les sénateurs relevaient avec stupeur que « la
chambre du sel était débitrice envers de nombreux
particuliers pour du sel reçu avant 1407, pour
environ 80 000 ducats». Le 3 septembre 1416, on
put honorer les crédits de marchands arrivés avec
du sel entre 1398 et 1401, soit de 15 à 18 ans
auparavant. L'office du sel*, en dépit des
règlements qui imposaient le respect de l'ordre
d’arrivée dans l’établissement du calendrier des
paiements, avait consenti à honorer des créances
___délivrées après l'année 1401. Les bénéficiaires de ce
passe-droit devaient restituer l’argent qui irait à
ceux qui avaient consigné du sel avant 1401 et
disposaient de la priorité. La spéculation avait sa
part dans cette situation, elle n'aurait pu jouer sans
la complicité d’employés de l'office intéressés à
rembourser les crédits des plus influents. Les
accusations des sénateurs ne laissent aucun doute
sur le mécanisme des remboursements indus : des
« agioteurs » rachetaient les créances à vil prix pour
les présenter à l'office qui s'empressait de régler la
dette « intégralement » au prix d'émission. Le
scandale naissait du rachat immédiat de ces
créances par l'office. Le sénat ordonna aux officiers
de « noter les noms des vendeurs qui à de tels
acheteurs avaient vendu leur sel, en qualité de
créanciers de la Commune, ce qu'ils étaient
d'abord » et aux avocats de la commune de pro­
céder à une vaste enquête qui n'épargnerait pas les
officiers du sel. A l'automne 1420 des marchands
attendaient encore le paiement de crédits délivrés
avant 1407.
Le rentier qui accumulait des titres par achat se
procurait un revenu régulier mais à échéances
161
incertaines et l’escompte qui était réduction de
valeur de la créance acquise au porteur initial
représentait son gain car l’État consentirait le pair à
l’échéance en remboursant intégralement la somme
inscrite dans les livres. Ceci vaut pour le paiement
de marchandises ou de services, pas pour les titres
de la dette publique qui obéissaient à leur logique
propre (voir dette publique).
L’État procédait à des réductions de créances, par
exemple en invitant les porteurs à souscrire à un
emprunt obligatoire (prestito) en portant leurs
crédits, il encourageait ses créanciers en acceptant
de vendre 100 ducats d’emprunt contre un crédit
ancien de 60 ducats. Il convertissait une dette à
court terme (dette flottante) en dette à très long
ternie (dette consolidée ou dette perpétuelle) pour
laquelle il payait seulement l’intérêt (5 %), qui en
réalité était porté à 8,33 % puisque le prêteur avait
payé 60 un titre d’une valeur nominale de 100. Les
créances sur l’État pouvaient aussi s’avérer de très
mauvais placements, si l’État les assujettissait au
paiement des emprunts forcés en les intégrant à
l’assiette de l’impôt (estimo). Les créanciers
payaient des impôts (sous forme d’emprunts) sur du
papier dont ils savaient qu’il ne viendrait pas à
échéance avant une quinzaine d’années. Ce papier
(leur crédit ou créance) leur coûtait très cher. S’il
rémunérait un service, celui-ci risquait d’être
immédiatement interrompu, ce qui provoquait une
crise grave dans les approvisionnements publics, ou
des désertions dans l’armée, etc. Inversement, si
l’État entreprenait d’alléger le poids de sa dette et
d’honorer les crédits de ses créanciers, il injectait
dans la société des capitaux fort utiles pour une
relance économique. Les petits-fils des créanciers
percevaient alors des sommes ensevelies depuis
trois générations dans les livres et pouvaient
investir ces sommes dans les affaires, dans la
construction navale ou dans la bonification
agricole, par exemple. A partir de 1519, l’office du
sel a honoré des crédits à hauteur de 650 000 ducats
pour des importations opérées de 1492 à 1516. J.-C.
H.
Sources : ASV, Maggior Consiglio, Novella,
c.l89v-190r et ASV, Senato, Misti, reg. 52, c. 117
r. (1418) et reg. 51, c. 166(1416).
Bibliographie : Hocquet J-C., Venise et le monopole
du sel. Production, commerce et finance d’une
république marchande (sous presse).
Croupe
Faveur accordée par le roi sur les bénéfices d’une
compagnie ou d’une charge financière. Les prises
de participation, directes ou indirectes, dans la
gestion des revenus du roi, revêtaient diverses
formes : achat d’offices, intéressement en sous-
parts, prêts sous contrat privé... et étaient très
rémunératrices. La croupe consiste en une charge
imposée aux souscripteurs des parts d’intérêt. Cette
taxe rémunérait divers services, ministres, amis ou
162
maîtresses du roi. La publication en 1776 de la liste
des croupes et pensions du bail de la Ferme
générale David (1774) scandalisa l’opinion
publique découvrant les noms des femmes de la
cour (les filles de France notamment) et même le
roi qui disposait de quatre quarts de place de
fermier général. D’après Madame de Campan,
Louis XVI avait « des intérêts dans les différentes
compagnies de finances [qui] lui formaient un
revenu et avaient fini par produire un capital assez
considérable dont le roi disposait pour ses dépenses
secrètes ». Cette même liste dévoilait les noms de
receveurs généraux*, des commis de ministères,
d’intendants* de province, de médecins de la cour,
de Gabriel, architecte du roi et beau-fils du fermier
général Pignon... Ces prélèvements étaient
arbitraires, mais pas forcément indus : le
gouvernement royal, laissé dans l’ignorance du
profit exact tiré de la gestion* des deniers publics,
recourait à ce type de taxe sur les bénéfices par
défaut. Par les lettres patentes du 17 avril 1759, le
contrôleur général* Silhouette tenta d’astreindre les
Fermiers généraux à verser, en sus du prix de leurs
baux, « la moitié des bénéfices et émoluments de
leurs fermes ». Néanmoins, il faut attendre 1774
pour que les Fermiers généraux consentent à ce
partage. Le décret du 12 juin 1790 supprima toutes
les croupes existantes sur les charges de finances,
mais la pratique de tels prélèvements sur les
emplois publics rémunérateurs perdura. M.-L. L.
Voir Ferme générale
Sources: AN, O1 107, f° 240, «Déclaration
concernant les actions intéressées dans les fermes
générales » (projet de Silhouette). Coquereau J.B.
(1776), p. 241. Campan J.L.H., Mémoires de
Madame de Campan, première femme de chambre
de Marie-Antoinette, Paris, Le Mercure de France,
1988, p. 82.
Bibliographie: Matthews G.T. (1958). White E.
(1997).
Débat (des comptes)
Ce terme est relatif aux procédures suivies dans les
juridictions financières. Il désigne les écritures où
les magistrats donnaient leurs observations sur les
différentes parties du compte rendu par un
comptable, qu’ils voulaient contester ou débattre.
Le comptable adressait, pour contredire et soutenir,
les articles de son compte dans des documents
appelés « soutenemens ». Les formalités à observer
lors de la composition et du jugement des débats et
des soutenemens d’un compte furent précisées par
les articles de l’ordonnance d’avril 1667 (article
XXIX) et du règlement du 17 juillet 1693. N.P.
Sources : Dictionnaire portatif (1763), t. 1, p. 412.
Dictionnaire de Trévoux, t. 3 (1771), p. 120;
Encyclopédie méthodique, Jurisprudence, t. 3, p.
I
477. Recueil général des anciennes lois françaises
(1829), t. 18, n° 503.
Débet
À l’issue de la vérification*, la Chambre des
comptes* établissait par des arrêts si les comptables
étaient quittes, en avance* ou en débet. Dans les
deux premiers cas, elle prononçait leur décharge* ;
dans le troisième cas, elle les condamnait à solder
leur débet au Trésor*. Dans la France d’Ancien
régime, le procureur général de la Chambre des
comptes* avait pour tâche de dresser les états de
débets dont le recouvrement était confié aux
traitants*. Les officiers comptables étaient tenus de
rembourser ce qu’ils devaient dans la limite de six
mois. Dans la réalité, l’apurement* des débets
pouvait prendre de quelques mois à quelques
années de retard. Le mémoire arrêté au Conseil du
roi le 16 juin 1705 montre que les débets prononcés
entre 1670 et 1683 à l’encontre des receveurs de la
généralité de Paris s’élevèrent à la somme
considérable de 529 395 livres ; ils étaient de
556 038 livres pour la généralité de Chalons, de
287 299 livres pour celle de Tours, de 175 196
livres pour celle d’Orléans. En 1706, on ne parvint
à recouvrer que 265 349 livres sur un total de
5 778 859 livres de débets. Par l’arrêt du 4 octobre
1705, les comptables résidant en province devaient
payer leurs débets sur place. Les débets arrêtés par
les Chambres des comptes* de Dijon, Montpellier,
Nantes, Metz, Grenoble, Aix, Dole et Pau
s’élevaient à 2 224 202 livres ; seulement 62 929
livres furent réellement versées au Trésor*.
Par la déclaration de 1711, on prescrivit aux
auditeurs* de la Chambre des comptes* d’indiquer
séparément dans les états finaux, les souffrances* et
les débets. Le procureur général Fourqueux fit
remarquer à ce propos : « Les souffrances ont des
causes différentes. Quelques fois, elles sont fondées
sur ce que le comptable n’a point acquitté les
parties et ne rapporte point les quittances de ceux
auxquels elles sont destinées. On les appelle débets
de quittance. Souvent, elles ont pour motif le défaut
de titre des particuliers auxquels les sommes ont été
payées, des provisions qui ne sont point rapportées,
la qualité d’héritier ou de légataire qui n’est point
justifiée. Ces souffrances sont regardées comme des
souffrances de formalité parce que le fonds est
payé. A l’égard des débets, ils proviennent
pareillement de différentes causes. Quand ils
procèdent d’excédents de fonds, de gages
intermédiaires ou autres, deniers revenants bons* à
Sa Majesté, on les appelle débets clairs* et le fonds
en doit toujours être destiné au Trésor*. Quelques
fois, les débets proviennent de quelques parties*
dont la Chambre ordonne la radiation*, mais qui,
néanmoins, sont susceptibles de rétablissement
lorsqu’on rapporte les pièces nécessaires. Jusqu’à
présent, l’usage n’a point été de faire dans les états
finaux aucune distinction sur les souffrances* ni sur
les débets. On se contente de marquer le nombre
des parties* en souffrance* et la somme, mais sans
dire pourquoi chaque partie est en souffrance.
Cependant, il y a une grande différence entre une
souffrance qui n’est que de formalité et celle qui est
causée faute de quittance*. Il faut dire la même
chose des débets quoique l’on doive regarder
différemment un débet clair provenant d’excédent
de fonds* ou de revenant bon* d’avec un débet qui
provient d’une partie rayée* pour formalité. Les
comptables sont bien aisés de cette confusion, parce
qu’elle leur sert pour éloigner le payement de ces
débets et souffrances, sous prétexte que les uns et
les autres ne proviennent que de formalité. Pour
leur ôter ce prétexte, on propose de rendre une
déclaration qui oblige les auditeurs* à marquer dans
les états finaux la cause de la souffrance et d’où
procèdent les débets. Par là, on connaîtra en un
moment les débets et les parties que les comptables
doivent payer, sans être obligés de faire des
vérifications qui demandent beaucoup de temps et
de frais et qui ne servent qu’à retarder le
recouvrement des débets ».
On opérait souvent la collecte des restitutions sur
les gages* et les cautions* des officiers receveurs.
Certains d’entre -ewr'furent amenés à renoncer à
leurs charges pour régler leurs débets. En vertu de
l’édit d’août 1669, le roi avait le droit d’hypothèque
sur les biens des comptables. En 1688, Prosper
Bauyn eut 1 607 914 livres de débets pour le
recouvrement des arrérages de la taille dans la
généralité de Montauban. Pour cela, il dut céder ses
deux maisons à Paris et son office de maître de la
Chambre aux deniers. Quand François Gallois,
receveur général des finances de la généralité de
Champagne, fut poursuivi pour les débets de
l’exercice de 1704, on confisqua ses meubles et ses
argenteries qui furent envoyées à la Monnaie. On
ordonna la saisie des biens de Gaudet, payeur des
gages au parlement de Metz, pour la restitution de
26 266 livres de débets.
Le pouvoir montra beaucoup de fermeté à l’égard
des comptables afin d’obtenir le payement des
débets. Cependant, cette opération était
techniquement délicate à mettre en application. Il
fallait d’abord faire l’inventaire de l’ensemble des
propriétés des receveurs et, pour cela, déjouer les
dissimulations de leurs biens les plus précieux
qu’ils étaient tentés de cacher, en s’appuyant sur les
solidarités locales et les alliances familiales.
Lorsque les biens des débiteurs étaient dispersés
dans les provinces, les poursuites engendraient des
frais supplémentaires aux traitants* qui étaient alors
obligés d’aller négocier les montants à recouvrer
dans différentes juridictions. Dans son mémoire de
1702, Nicolas Peteau chargé depuis 1698 du
recouvrement des débets de comptes des trésoriers
généraux de la Marine et des Galères, insistait pour
que les saisies et les ventes des biens auxquels il
pouvait prétendre fussent portées à la décision de la
163
Cour des aides de Paris. Il fallait aussi discuter avec
les créanciers des officiers — lorsque ceux-ci
réclamaient aussi leur remboursement. En cas de
décès du comptable, la mise en vente de ses biens
pour l’apurement* des débets se heurtait à la
résistance des héritiers pour la même raison
financière. Les rentrées d’argent qu’on espérait
obtenir de ces ventes s’en trouvaient ainsi réduites.
Les problèmes rencontrés lors de la perception des
restitutions conduisirent la monarchie à changer de
tactique. Ainsi, le roi accepta de composer avec les
gens des finances. La conclusion de traités
permettait de transformer de simples restitutions en
emprunts forcés à court terme. Ces traités étaient
conclus avec les receveurs généraux des finances*
qui s’engageaient à collecter les débets dans leur
province moyennant un prêt au roi des sommes
qu’il fixait. Par exemple, en octobre 1678 et avril
1679, le receveur général* de Paris se chargea de
récupérer les débets de 1630-1675 pour sa
généralité contre 700 000 livres payables en dix-
huit versements mensuels au Trésor*, avec une
remise de 2 sols par livre. On en arrivait donc à une
situation où les officiers des finances se chargeaient
eux-mêmes de faire les poursuites à l’encontre de
leurs collègues débiteurs. Ce faisant, le pouvoir
pensait jouer sur les contraintes du monde
financier : un officier pouvait faire payer mieux que
quiconque ses collègues et anéantir leurs
manœuvres pour échapper aux restitutions.
En 1691, le roi rendit un édit portant l’amnistie et
la dispense générale à l’ensemble des comptables
de leurs débets. Pour justifier cette décision
surprenante au premier abord, le préambule du texte
signalait l’inquiétude et l’incertitude dans laquelle
vivaient alors beaucoup de familles d’officiers des
finances, craignant la ruine totale parce que leurs
effets et biens, sujets à l’hypothèque du roi,
pouvaient être à tout moment saisis et vendus pour
les acquitter de leurs dettes. Les héritiers des
comptables n’osaient pas appréhender leurs
successions ; parfois, ils allaient jusqu’à les
abandonner pour éviter de les consommer en frais
de justice. Pour y remédier, « rétablir la sécurité des
familles et la crédibilité de leurs biens », l’État
déclara cesser les poursuites. À cet argument
s’ajoutaient deux autres facteurs qui nous
permettent de mieux appréhender le sens de la
décision royale : le premier évoquait la situation
difficile des finances publiques durant la guerre de
la ligue d’Augsbourg ; le second, assez spécifique
et important, fit part des résultats décevants de la
reddition des comptes*, le roi ayant reconnu qu’il
restait encore beaucoup de comptes à apurer* et
que, malgré les recherches entamées en exécution
des déclarations de décembre 1663 et du 8 et du 15
novembre 1678, les débets étaient mal recouvrés.
Cela étant, chaque partie avait intérêt à composer.
Le roi abandonnait toutes ses prétentions sur les
débets, les omissions* de recettes, les fausses
164
reprises*, les faux emplois* ainsi que sur les
souffrances sur les comptes non apurés jusqu’à
l’année 1670 et levait les saisies décrétées.
L’amnistie royale donnait aux poursuivis la
tranquillité et l’assurance de ne plus être à l’avenir
soumis à ces poursuites. Mais, en contrepartie,
ceux-ci s’engageaient à verser une taxe au roi. Le
Conseil arrêta la somme à verser par chacun d’entre
eux proportionnellement à leurs charges et au
montant de leurs débets.
Du côté de l’État, cette mesure avait un double
intérêt. D’une part, de cette façon la collecte des
restitutions serait plus rapide et satisfaisante, sans
avoir à engager de nombreuses enquêtes et procès à
l’encontre des financiers et de leurs héritiers, en
contournant la procédure complexe, finalement
coûteuse et de faible rentabilité. D’autre part, cette
solution financière qui intervint dans le contexte de
la guerre, pouvait fournir aux caisses royales un
supplément d’argent que le roi avait toute légitimité
à leur demander. Néanmoins, la monarchie ne
réussit pas à tirer vraiment tout le bénéfice de ce
procédé. Outre que l’amnistie permettait de laisser
dans l’impunité des malversations commises dans
la gestion des finances, impunité qui s’en trouvait
alors officiellement garantie par le roi, les officiers
des finances parvinrent à échapper aux poursuites
en contrepartie d’une contribution souvent moins
forte que le montant de leurs débets, laquelle
d’ailleurs ne serait jamais entièrement perçue.
Comme pour les débets, le Trésor* se heurta ici à la
mauvaise volonté de la part des receveurs qui
retardaient le versement sous divers prétextes.
D’ailleurs, au bout de quelques mois, nombre de
financiers obtinrent une exonération partielle de
leur taxe. N.P.
Voir Jeu de caisse, Péculat, Souffrance
Sources: AN, G7 1580-1583 (Débets des
comptables : états de recouvrements et requêtes de
1680-1715); G7 1761 (Mémoire du procureur
général de la Chambre des comptes de Paris de
1702); P 3569-3570 (Registres des débets de
comptes de 1690-1713). BNF, 16166 (Édit royal
d’août 1669 portant Règlement pour les
hypothèques du roi sur les biens des officiers
comptables).
Bibliographie: Bayard F. (1988). Dessert D.
(1984). Hamon P. (1999).
Débet de clair, dû de clair
C’est la somme, estimée au terme de l’examen d’un
compte, de ce que doit le comptable au titre des
parties rayées faute de quittances* comptables et au
titre des revenants bons*. On dit que l’argent est
«dû de clair». U Encyclopédie Méthodique précise :
« Le débet de clair est un débet en espèces, celui
d’une somme liquide ». Il s’oppose ainsi au débet
de quittances*. A.D.
Voir Contrôleur des restes, Débet de comptes,
Partie rayée
Sources : Encyclopédie méthodique. Finances, t.
1(1784). Hennequin J. (1601), fol. 283-286.
Débet de quittances
Voir Débet
Décaissement
Le décaissement désigne le mouvement d’un flux
financier qui sort d’une caisse* autant que l’acte du
payeur. Uniquement réalisé sous forme d’espèces à
l’origine, il est complété au fur et à mesure de
l’évolution des techniques comptables par les
mouvements d’effets* et les virements de comptes.
Il relève à l’origine du payeur* avant d’être confié
au comptable public* qui cumule les fonctions de
receveur* et parfois de trésorier*. Il s’oppose à
l’encaissement. S.K.
Voir Caisse, Comptable, Encaissement,
Ordonnance de paiement, Payeur, Receveur
Décharge, décharger
Voir Comptabilité en recette, dépense et
reprise
Décompte
Le terme a plusieurs acceptions. Il désigne en
premier lieu la manière la plus simple de dénombrer
dans la comptabilité archaïque. Les comptes les
plus anciens n’avaient pas toujours recours à la
numération de position et pour effectuer les
opérations, on recourait aux cases d’un échiquier,
aux encoches, ou aux colonnes de l’abaque* où l’on
faisait usage de jetons*. Dans les comptabilités de
l’époque moderne, le terme désigne l’opération qui
permet de solder un compte. Le mot était plus
particulièrement employé dans les bureaux de la
Guerre où le décompte était l’arrêté* de ce qui
revient à un régiment, à une compagnie, à un
officier pour leur solde et appointements, sur lequel
on déduit et rabat les paiements qui ont été faits à
compte. Lorsqu’un trésorier des troupes fait une
avance* à un régiment, il le retient en faisant son
décompte. Faire le décompte aux soldats, c’est
-imputer l’argent retenu ou avancé sur leur solde.
M.-L. L.
Découvert
Parce que la comptabilité en recette, dépense et
reprise* en usage dans les finances des États n’est
pas faite pour permettre « d’apprendre à toute heure
l’état véritable de chaque comptable », puisqu’elle
abandonne « l’ordre des temps », selon les mots de
Paris La Montagne (1733), il est difficile de voir
qu’un comptable est à découvert tant qu’il ne rend
pas ses comptes en fin d’exercice*. C’est pourquoi
une des solutions envisagées est de réduire la durée
desdits exercices. C’est celle qu’évoque en Espagne
le gouverneur du Conseil des Finances fait cette
réflexion, quand il propose en 1726 de réduire la
durée des mandats des les Trésoriers Généraux de
la Guerre à quelques années : ainsi, ils
« s’appliqueront efficacement à la mise en ordre [de
leurs comptes], pour qu’ils soient rendus et clos et,
par ce moyen d’arrêter entièrement le compte de
chaque trésorier, on saura à coup sûr s’il a ou non
un découvert, car il sera impossible de dissimuler
en incluant dans la recette des fonds perçus après
[la fin de l’exercice] ». Une autre solution est
l’adoption de la comptabilité en partie double*, qui
permet de connaître à tout moment l’état d’une
caisse. A.D.
Sources : AN, Paris, KK 1005, Paris La Montagne,
Traitté des administrations des recettes et dépenses
du royaume; AHN, Estado, leg. 768, n° 53, lettre de
C. Francisco de Arriaza à Juan Bautista de
Orendain, surintendant des finances royales,
Madrid, 26 juillet 1726.
Déduction
Voir Remise
Délégation
Voir Ordonnance, Ordonnancement,
Ordonnateur, Traites de la Marine
Deniers comptables
Ce tenue désigne les deniers remis par un
comptable (en général un receveur) à un autre
comptable (en général un trésorier) et pour lesquels
le premier reçoit une « quittance comptable »*. Ces
sommes faisaient l’objet d’un chapitre* séparé dans
les comptes des receveurs généraux* et du Trésor
royal*. Les recettes comptées aux trésoriers sur le
Trésor apparaissaient aussi séparément dans le
journal de la dépense établi au Contrôle général*. A
titre d’exemple, le receveur général d’Amiens
enregistre dans son état au vrai des tailles de 1772,
chapitre « dépense », « deniers comptables » : le
trésorier général de l’ordinaire des guerres, le
trésorier général des maréchaussées, le trésorier
général des Ponts et Chaussées et le trésorier
général des haras. M.-L. L.
Sources : AN, P 5103.
Dépense
C’est la seconde partie d’un compte d’ordre* qui
doit comprendre toutes les parties* payées par un
comptable* pendant le temps de sa gestion*.
Comme la recette*, cette partie du compte se divise
en plusieurs chapitres* selon la nature des
dépenses. On distinguait le plus souvent les
dépenses ordinaires (appointements, loyers, frais
fixes...) et les dépenses extraordinaires (comme les
165
gratifications). L’état au vrai* pour les tailles du
receveur général de La Rochelle fait par exemple
apparaître au chapitre dépense : 1) les sommes
comptées au Trésor royal, 2) les deniers
comptables* (c'est-à-dire les sommes comptées aux
autres trésoriers), 3) les « charges ordinaires » (dons
et aumônes, gages des officiers* de la généralité,
remises* et taxations) et 4) les « charges
extraordinaires » (« au maire et échevins de La
Rochelle pour dépense des lanternes », « aux
pépinières royales », « à la chambre du
commerce », « au trésorier des Ponts et chaussées
pour le port de La Rochelle »...). Les charges
inscrites dans ces états n’étaient pas reprises dans
les comptes centraux qui n’enregistraient, avant la
loi du 14 septembre 1822 en France, que les
produits nets*.
La gestion de la dépense publique évolua
lentement. Il est facile d’en comprendre les raisons :
les ordres d’un souverain suffisaient à justifier la
dépense; ce dernier n’était pas limiter par des
contre-pouvoirs. Le contrôle*, somme toute relatif,
attribué au Trésor anglais sur les dépenses par les
lois de 1667-1668 n’eut guère d’équivalent ailleurs
en Europe. Il faut donc attendre le début du XIXe
siècle, la reconnaissance du rôle des assemblées
nationales et la « budgétisation » des dépenses tant
ordinaires et extraordinaires pour parler de véritable
gestion de la dépense. Toutefois, on recense dès la
fin du XVIIIe siècle des efforts de formation d’états
ordonnancés généraux centralisant l’ensemble des
charges fixes de même nature comme les salaires et
les pensions (en France* au temps de Necker*, en
Prusse* au temps de Frédéric-Guillaume III).
L’objectif était d’établir avec exactitude le rapport
entre les revenus et les « dépenses fixes » de l’Etat.
M.-L. L.
Voir Loi de finances, Ordonnance de paiement,
Produit brut, Universalité
Sources : AN, P 5743.
Dépense fictive
Opération qui n’est réalisée que par un revirement
de partie*. Les remboursements par voie de
reconstitution de rentes par exemple, donnaient lieu
à des dépenses et recettes fictives. Le particulier qui
vend une partie de rente donnait quittance* à
l’administration du Trésor public* du capital de
cette rente et déclarait dans cette quittance* que son
remboursement lui était fait des deniers remis à cet
effet au Trésor* par un particulier qu’il nommait.
L’administration du Trésor expédiait au nom de cet
acquéreur une quittance de finance qui devait servir
de base au contrat de reconstitution. Comme
l’acquéreur n’avait pas réellement versé ses fonds
au Trésor public la quittance de finance était remise
au vendeur qui en recevait le prix de l’acquéreur.
M.-L. L.
166
Dépense inopinée
Voir Partie inopinée
Dépenses (collège des)
Dans l’Etat moscovite, ce collège est chargé
d'établir des états prévisionnels pour l'armée, la
flotte, l'administration et la cour qui devaient être
réunis dans un état général des dépenses de la
monarchie russe au XVIIIe siècle. Le règlement de
1719 règle précisément la procédure
d'ordonnancement des dépenses et de leur
paiement. N.P.
Voir Recettes (collège des)
Dépenses secrètes
Voir Acquit de comptant, Caisse de
réserve, Livre rouge
Dépositaire général
Titre donné au responsable de la Depositeria
generale, la caisse publique la plus importante du
grand-duché de Toscane. Sise à Florence, cette
caisse faisait office de Trésor : elle contrôlait une
partie seulement des mouvements des fonds*, mais
était placée directement sous l’autorité du grand-
duc. Le dépositaire général procédait aux opérations
de sa caisse sur ordre du prince et sous l’inspection
de la Secrétairerie générale. Responsable sur ses
propres deniers, il devait fournir de bonnes
cautions*, renouvelées tous les ans à partir de 1684.
Issu du négoce, il était inscrit dans le livre d’or de
la noblesse comme la plupart des camerlingues* de
Florence. Tenue en partie double*, sa comptabilité
était contrôlée par les Soprassindaci, magistrats
créés par Côme Ier en 1549 qui rédigeaient chaque
année les bilans* présentés au grand-duc. Sa
fonction de receveur général le mettait en relation
avec les comptables d’institutions importantes
comme la Douane* de Livourne, le bureau des
farines ou la banque militaire. Cette vision
d’ensemble faisait de lui un conseiller important du
prince. M.L.L.
Bibliographie : Benigni P., « Francesco Feroni,
Empolese, negoziante in Amsterdam », Incontri.
Rivista di studi italo-nederlandesi, /, 1985-1986, p.
3 et sq. Lichtfield R.B., « Les investissements
commerciaux des patriciens florentins au XVIIIe
siècle», Annales E.S.C., XXIV, 1969, p. 697-698.
Rigobon P. (1892). Waquet J.-C. (1990).
Dépouillement
Parmi les divers emplois du verbe dépouiller, la
première édition du Dictionnaire de l'Académie
française (1694) mentionne « dépouiller un compte,
pour dire en examiner la recepte et la dépense et en
faire un extrait». L’usage en semble donc déjà bien
établi, on retrouve d’ailleurs le mot
« dépouillement » dans les mémoires de Sully
(volume VII, livre 24, p. 390). La définition qu’en
donne le Dictionnaire des finances (1727) confirme
celle de l’Académie : «relevé, extrait de quelques
parties, de quelques sommes qu’on tire d’un
compte, d’un registre, etc. pour en former une
espèce d’état ou bordereau qu’on nomme
dépouillement », tout en montrant le terme pouvait
aussi bien désigner l’action que son aboutissement.
Mais celui-ci est plus souvent désigné par le mot
extrait*, qu’il s’agisse d’un extrait de compte ou
d’un extrait de journal*. La confection de ce dernier
type d’extrait est attestée dès le XIVe siècle, dans
le cadre du Trésor. Moranvillé, qui en a transcrit,
indique que des extractus thesauri, dans lesquels
les dépenses et les recettes étaient classées en
chapitres, d’après leur nature, étaient dressés à
partir des jornalia thesauri. Il y avait deux types
A'extractus : 1 ’extractus avec les partes, c’est-à-
dire avec le détail des dépenses et des recettes
rangées par chapitres, conservé à la Chambre du
trésor, et Y extractus sans les partes, c'est-à-dire ne
contenant que les titres des chapitres, avec la
somme totalisée pour chacun d'eux, dont deux
exemplaires étaient gardés dans les archives de la
Chambre des comptes.
Ce genre d’extrait est souvent appelé grand livre*,
certainement du fait de la similitude de la relation
qu’entretiennent journal et extrait avec celle qui
relie journal et grand livre dans la tenue des livres
en partie double* ou en partie simple*, même si les
deux ensembles de registres ne sauraient être
assimilés. Dans l’organisation comptable mise en
place, sous la Régence, par les frères Paris*, telle
qu’elle est décrite par Paris la Montagne dans le
Traité des administrations des recettes et dépenses
du royaume, on voit qu’ils étaient
complémentaires : « Les copies des journaux [reçus
des comptables] étoient, aussitôt après, remises
dans un autre bureau où on les distribuoit aux
commis qui en faisoient le dépouillement ou
l'extrait. Ce dépouillement étoit chargé en tête du
même numéro que la copie du journal ; il consistoit
à distribuer par ordre de matières les différentes
parties, et à distinguer les recettes et dépenses en
espèces de celles qui avoient été faites en effets ou
compensation. [...]. Le dépouillement étoit
exactement vérifié par un commis supérieur, et la
copie du journal remise au bureau des renvois et
gardée avec soin comme la pièce fondamentale de
toute opération, de sorte qu'en tous temps on put la
retrouver. A l'égard du dépouillement il étoit remis
au bureau des livres, et le chef ou le premier
commis de ce bureau apostilloit sur le
dépouillement à quel compte chaque partie de
recette ou de dépense devoit être portée sur les
grands livres. Après cela chaque article étoit
enregistré sommairement sur un journal dans le
stile des livres à parties doubles, et du journal
ensuite, raporté sur le grand livre à chaque compte
ouvert tant pour chaque année, que pour chaque
nature de recette et de dépense ». Y.L.
Voir Extrait de compte
Sources : Dictionnaire des finances (1727).
Mémoires de Maximilien de Béthune, duc de Sully,
principal ministre de Hemy le Grand. Mis en ordre,
avec des remarques par M.L.D.L.D.L. Tome
sixième, Londres, 1745. Paris* la Montagne,
Claude, Traitté des administrations des recettes et
dépenses du royaume, 1733 (AN, KK 1005 C).
Bibliographie : Moranvillé H., « Extraits de
journaux du trésor (1345-1419)», Bibliothèque de
l'école des chartes. 1888, t. 49, p. 149-214.
Dette publique
La dette publique est l’ensemble des engagements
de l’Etat envers ses créanciers*. En termes
comptables, il convient de distinguer la dette à long
ou moyen terme et la dette flottante. Avant la
formation du crédit public, la conversion des effets
exigibles en titres à long terme formait alors le
moyen principal pour liquider les dettes de guerre,
mais accroissait inéluctablement le service de la
dette qui pesait sur le budget* ordinaire. Pour en
réduire la masse, les Etats européens ont parfois
lever des impôts spécialement affectés à son
amortissement comme le vingtième en France
(1749 et 1756) ou le « subside pour l’amortissement
des dettes » en Autriche à la même époque; on
recourait aussi bien souvent à la banqueroute*. Le
recours au crédit public, par le moyen d’une
banque* ou d’une institution à caractère
« national » sortit les Etats de cette ornière.
La dette constituée
La dette constituée était la plus facile à enregistrer,
encore que l’on procédait le plus souvent par état*,
ce qui signifie que son amortissement était réparti
sur de multiples caisses dont il fallait suivre la
situation. Formée de rentes (héritières, perpétuelles,
viagères) émises soit directement par l’Etat, soit par
des intermédiaires pour le compte de l’Etat, la dette
constituée était gérée par une multitude
d’institutions (monts de piété, corps, compagnies,
fermes, régies...) qui recevaient une dotation fiscale
(engagement d’une recette publique, remise sur la
contribution...) pour rembourser les rentiers,
parfois aussi des garanties hypothéquaires sous
forme d’obligations. A titre d’exemple, l’Etat
vénitien plaça directement au XVIIIe siècle ses
obligations dans des corpi pubblici et enti morali, il
en obtenait des prêts à 4 % pour des délais de
remboursement courant entre 5 et 20 ans. Quand il
contraignait les Scuole grandi ou les Arti
mercantiles les plus riches à lui prêter de l'argent,
celles-ci se tournaient vers les particuliers qui leur
avançaient des capitaux selon un acte
« instrumenté » devant notaire. Ces capitaux dits
instrumentati étaient transférables à volonté par
167
cession de l'acte notarié. Et l'État leur accordait la
préférence, car il versait un intérêt de 4% sans avoir
jamais à envisager la restitution du prêt à Vente dans
un système de dette perpétuelle consolidée. En
1767, il entreprit la conversion des titres des
« vieux dépôts » dont la valeur nominale fut réduite
à la valeur effective du marché. Cette banqueroute*
fut sévère pour les porteurs à qui fut proposé, pour
un dépôt de 100 ducats à 2 %, un remboursement
de 57 ducats qui éteignait et la dette en capital et les
46 échéances d’intérêts en retard. La banqueroute
s’élevait à 69 % sur le capital et à 45 % sur les
intérêts arriérés. L'émotion fut grande, les porteurs
paniqués se précipitèrent pour demander leur
remboursement immédiat. Un décret de 1768
imposa aux établissements ecclésiastiques (les
couvents) et aux « oeuvres pies » (hôpitaux et case
di pietà, orphelinats) de vendre une partie de leurs
biens immobiliers pour en investir le montant dans
un deposito nuovissimo à 3 %, dont le capital
dépassait 30 millions en 1785, ce qui permit de
liquider toutes les vieilles dettes pour un montant
effectif de 19 millions et d'affranchir les capitaux
«instrumentés». Ces établissements qui, en 1765,
possédaient 27 % des fonds publics, soit 20,7
millions de ducats sur un total de 76 millions, en
détinrent 49 % en 1787, 21 millions sur 43 millions.
Ce fut le prix à payer pour assainir les finances
publiques.
Les comptes des institutions qui ont émis des
emprunts pour le service de l’Etat étaient tenus
selon des formes diverses. Les monti des Etats
italiens tenaient leurs comptes en partie double*. Ils
recevaient les dépôts des particuliers, délivraient
des titres en échange et disposaient d’une dotation
fiscale pour acquitter les intérêts. En Toscane par
exemple, chaque Monte était présidé par des
magistrats, juges qui veillaient à la régularité des
opérations. Un camerlingue* tenait la caisse, des
comptables établissaient les mandats de paiement*
et tenaient à jour les grands livres* sur lesquels les
comptes des rentiers étaient ouverts. Un contrôleur
(le ragioniere) inspectait la caisse du camerlingue
pour en tirer le saldo. Les comptes étaient rendus
par devant les magistrats du monte. En France, le
roi leva des emprunts directement sur le Trésor
royal, mais sollicita aussi le crédit de l’Eglise, des
villes, des Etats provinciaux... Le système reposait
sur un double contrat : un contrat d’aliénation entre
le roi et le corps constitué, engageant une partie des
revenus de l’Etat pour le paiement des arrérages de
rentes, et un contrat notarié de constitution
établissant la preuve de cette aliénation pour chaque
souscripteur. Les payeurs de rentes sur l’Hôtel de
ville par exemple tenaient un registre de contrôle*
sur lequel ils inscrivaient les noms des rentiers qui
se présentaient, munis de la grosse de leur contrat
de rente, pour recevoir leurs arrérages et la somme
qui leur était payée. Un contrôleur de rentes tenait
le contre-role de ce registre et le remettait au
168
lendemain de chaque paiement au greffe de la ville,
tandis qu’un état de ce qui avait été payé et reçu par
le payeur était transmis au prévôt des marchands.
Necker* jugea que la comptabilité des payeurs de
rentes était « très en ordre ». Les Etats provinciaux*
levaient aussi des emprunts pour le compte du roi.
Dans ce cas, ils tenaient un compte à part de ces
emprunts et en faisaient la liquidation tous les ans,
dans le cas du Languedoc, avec les commissaires du
roi.
Le principe de l’aliénation de recettes pour le
paiement des arrérages de rentes a caractérisé la
gestion de la dette de nombreux Etats européens. Il
importait donc de tenir à jour les engagements de
recettes. En Espagne, les « comptables des
relations » du Conseil des finances tenaient depuis
1689 un livre des retranchements sur les juros et du
capital resté libre sur chaque recette. En France,
Necker* sollicita le crédit des provinces dès qu’une
recette provinciale libre de toute destination
apparaissait, en obtenant des assemblées leur accord
de principe sur l’ouverture d’un nouvel emprunt,
avant même que le précédent fût clos. Le succès de
ces emprunts publics, garantis par des recettes
ficales sûres, ne se démentait pas. Le trésorier des
Etats de Bourgogne en fait foi : « Pendant la guerre,
on a souvent emprunté au-delà des impositions et
alors, le trésor royal faisait au trésorier des fonds
pour le montant des aliénations. Aujourd’hui
[1778], nous sommes bien loin d’en être là
puisqu’on a emprunté que 8 millions, tandis qu’il y
avait environ un million cent d’imposition, ce qui
donnait d’abord jeu à 11 millions d’emprunt. M.
Necker ne demande pas mieux que de voir le Trésor
royal se remplir ».
Pour connaître le montant de la dette constituée et
l’état de son remboursement, il fallait recourir en
France aux états au vrai*, qui ne donnaient que la
situation de la dette constituée sur les caisses
dépendantes du trésor. Dans les Etats allemands, un
livre* auxililaire de la dette était tenu à la Chambre
des comptes pour enregistrer les parties qui le
concernait à partir des comptes des caisses
subalternes. Dans la nouvelle comptabilité
camérale* mise en œuvre en Autriche, le « livre
auxiliaire des capitaux et de la dette » enregistrait
les parties des journaux clos chaque mois, en
distinguant bien les arrérages de l’année précédente
par des colonnes expresses. Tous les trois mois, on
additionnait les sommes du livre et on les reportait
dans le grand livre du centre. Reste que
l’appréciation de la dette « nationale » demeurait
difficile. Il fallait tirer les informations des comptes
de tous les intermédiaires. En Autriche, il faut
attendre l’application de la réforme comptable à
tous les territoires de la monarchie au temps de
Joseph II pour avoir l’idée précise du montant de la
dette nationale. En France, pour avoir une idée
exacte de la participation des pays d’Etats à
l’endettement national, l’on doit se reporter aux
données fournies par le rapport Lebrun, lu devant
l’Assemblée nationale le 22 septembre 1790 ou par
le rapport Gareshé pour l’année 1791. Ce dernier
évalua à 160 millions la totalité des dettes des pays
d’Etats intégrées comme dette nationale.
Finalement, si l’on suit Antoine-Laurent
Lavoisier*, L'intérêt de la dette constituée a été fixé
comme il suit, dans l'état imprimé de la Trésorerie
nationale pour 1792 : rentes perpétuelles:
62 449 486 livres; rentes viagères: 100 075 680
livres. Total : 162 525 166 livres. L’année suivante,
en 1793, Cambon format le grand-livre de la dette
publique*, ce qui permit de distinguer les titres
inscrits (rentes) et les titres non inscrits (comme les
bons du Trésor). A la Restauration, le compte de la
dette perpétuelle, telle que devait le présenter le
ministre des finances, devait comprendre les
produits provenant des revenus qui lui étaient
affectés, les paiements effectués, soit à la caisse
d’amortissement, soit aux des créanciers, et la
différence entre les produits et les dépenses.
La dette exigible
Quant à la dette exigible, c'est-à-dire la partie de la
dette qui se compose d’emprunts momentanément
remboursable dans un laps de temps court, elle était
le plus souvent constatée par des annuités,
quittances* de finances ou effets* au porteur. Il
importait d’amener les comptables à bien distinguer
les effets d’une part (effets exigibles et effets de
compensation*) et les dates d’enregistrement en
recette et en dépense d’autre part. Cette
préoccupation apparaît en France au lendemain de
la banqueroute de Law (1720). La déclaration du 4
octobre 1723 sur la tenue des registres-journaux*
insiste en effet sur ces créances en ordonnant aux
comptables de tenir un journal à quatre colonnes*
permettant de dissocier les espèces des effets tant
en recette qu’en dépense (article VIII). Cette loi
fournit des modèles d’enregistrement d’articles de
recette en effets exigibles et en effets de
compensation* reproduits dans la notice « effet ».
Rappelons que tout effet de compensation* devait
opérer recette et dépense dans l’instant qu’il était
reçu par le comptable et porté en dépense pour
mémoire seulement au moment où il est donné en
paiement, tandis que l’effet exigible devait être
porté en recette seulement en entrant dans la caisse,
et porté en dépense le jour où il sortait des mains du
comptable.
La réforme du Trésor royal de 1788 créa au sein du
département des dépenses diverses un bureau dit
« des amortissements » chargé du paiement des
intérêts de la dette non constituée en contrat.
Composé de 6 commis, ce bureau rédigeait les
mandats de paiement sur la caisse des
amortissements, tenait registre de tous les effets
acquittés dans la matinée, triait les acquits avant
qu’ils ne soient transférés dans le bureau de la
comptabiltié et et remettait chaque semaine l’état
des paiements faits. Il tenait en outre des registres
particuliers pour enregistrer les effets par chaque
nature nature d’emprunts et par chaque exercice.
Quant au bureau « pour les reconstitutions », il
examinait les cas litigieux et procédait en outre à la
conversion d’effets au porteur en contrat. M.-L. L.
Voir Créancier, Effet, Grand livre de la dette
publique, Lettre de change
Sources : AD du Nord, C, Flandre wallone, 339,
« Recettes des comptes des Etats rendus par le
trésorier Farez en 1752 et par le trésorier Tesson en
1753 ». AAE, CP, Autriche, 351, P 489 : mémoire
du marquis de Noailles envoyé depuis Vienne le 20
décembre 1786. Necker J. (1781), p. 39. Lavoisier
A.L., De l'état des finances en France au 1er
janvier 1792, 1893 (1792). Loi des finances du 25
mars 1817, titre XII, article 149, in Duvergier J.B.
(1837), t. XXI, p. 125.
Bibliographie : Andreau J., Béaur G. et Grenier J.Y.
dir. (2006). Dickson P.G.M. (1967). Goetzmann
William N. et Rouwenhors K. Geert (dir.), The
Origins of Value: The Financial Innovations that
Created Modem Capitalism, Oxford University
Press, 2005. Moulin M., « Les rentes sur l'Hôtel de
Ville de Paris sous Louis XIV », Histoire, économie
et société, 1998, vol. 17, n° 17-4, p. 623-648. Legay
M.L. (2002 et 2003). Waquet J.C. (1990).
Directoire (grand)
Administration collégiale centrale des finances
instituée par Frédéric-Guillaume I de Prusse*. Par
l’instruction du 20 décembre 1722 (confirmée par la
patente du 24 janvier 1723), rédigée en 35 articles
et 275 paragraphes, le roi réforma entièrement le
ministère des finances en se plaçant lui-même
président à la tête du Directoire. Sous ses ordres,
cinq ministres, tous vice-présidents responsables de
cinq départements, dirigeaient 17 conseillers des
finances « de la guerre et des domaines ». Le
Directoire rassemblait les attributions jusque là
dévolues séparément au Directoire des domaines
(créé en 1698 et réuni à la Hofkammer le 27 mars
1713) et au Commissariat de la guerre qui avait été
établi en avril 1655. Les chambres provinciales de
guerre et des domaines (directions des finances
dans chaque province), le Fiskalat général (chargé
du contieux pour les affaires fiscales) et la nouvelle
Chambre des comptes* « de la guerre et des
domaines » lui furent subordonnéees. Cette dernière
n’avait pas de présidence propre et était dirigée par
un ministre du Directoire (instruction du 2 mars
1723). Les articles 20 et 32 de la constitution de
1722 pour le grand Directoire concernent les états*.
Deux états généraux par estimation devaient être
établis : le GeneralKriegs-etat pour les revenus
gérés par la caisse de guerre et le Generaldomânen-
etat pour les revenus gérés par la caisse des
domaines. Chaque département supervisait en outre
la formation des états pour les provinces. Les
169
chambres provinciales envoyaient leurs projets en
mars et le Directoire les collationnait avec les états
généraux pour constater en particulier si les postes
correspondaient bien à ceux de l’état général
(article 32, § 3), si les diminutions de recettes et les
augmentations de dépenses y étaient appliquées (§
4 et 5). Le Directoire suivait également l’exécution
des états par deux moyens : les relevés ou extraits*
de compte des domaines et des impôts et la
vérification hebdomadaire des caisses centrales.
Frédéric II développa l’institution en créant un
département du commerce, des fabriques et
manuafactures (juin 1740), un département des
affaires militaires (1746), d’autres encore plus tard.
On peut admettre que, par certains aspects, le grand
Directoire annonce l’ère nouvelle de la bureaucratie
dans le gouvernement des finances. Le travail des
ministres était rigoureusement établi... D’un autre
côté, le Directoire ne se présentait pas exactement
comme un ministère moderne dont les affaires
auraient été organisées par sphères d’activités :
comme bien des gouvernements exécutifs de
l’époque en Europe, il conservait une répartition
des tâches par aires géographiques. Le département
II, par exemple, avait en charge le Kurmark,
Magdebourg, et l’approvisionnement et les
quartiers des troupes; le département III s’occupait
de Clèves, la Marck, et de la gestion du monopole
du sel et des services postaux. Le grand Directoire
fut remplacé le 16 décembre 1808 par le
Stacitsministerium organisé selon le principe du
ressort. M.-L. L.
Voir Prusse
Bibliographie : Kohnke M., « Zur Geschichte des
Generaldirektoriums 1712/1722 - 1808 », dans
Kloosterhuis J., Aus der Arbeit des geheimes
Staatsarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin,
1998, p. 47-73. Ruppel-Kuhfliss E., Das
Generaldirektoriutn unter der regienmg Friedrich
Wilhems II, Würzbourg, 1937. Hintze O., « Das
von Friedrich dem Grossen begründete V.
Departement des Generaldirektoriums, FBPG, n° 4,
1981, p. 625-626. Schneider F. (1952), p. 78.
Distribution
Voir Etat de distribution
Divertissement
Voir Fraude
Domaine
Le domaine est ce qui appartient en propre à
l’autorité publique, ce qui n’est pas susceptible de
propriété privée. Dans les monarchies anciennes, il
n’y avait pas de distinction entre le domaine de la
Couronne (ce qui s’apparente aujourd’hui au
domaine public) et le domaine du roi (ce qui
s’apparente au domaine de l’Etat). Ce dernier devait
170
vivre de son domaine et pour cette raison, était
réticent à l’aliéner. Les revenus du domaine
ressortissaient donc à l’administration publique.
Cependant la nécessité de la guerre occasionnait de
nombreuses aliénations à deniers comptants*.
Quant ils n’étaient pas vendus ou hypothéqués, la
gestion* pouvait être directe, mais le plus souvent
elle était indirecte et se faisait par affermage*. En
effet, contrairement aux recettes des impôts de
répartition, les revenus de la plupart des droits
domaniaux ne pouvaient être établis à l’avance et
être distribués dans des états* prévisionnels.
L’histoire comptable des domaines s’articule donc
autour de trois préoccupations centrales. Il s’agit
d’une part, comme pour les autres revenus, d’en
faire vérifier les comptes tout en gardant cette
caractéristique en tête ; en second lieu, lorsque les
Etats européens durent resserrer leur gestion,
d’apprécier mieux les véritables charges qui
pesaient sur les recettes domaniales en passant au
besoin par des régies* provisoires, et enfin de
procéder au désengagement des revenus du
domaine en les rachetant. Au milieu du XVIIIe
siècle, sous l’influence de la pensée libérale,
apparut l’idée que les souverains, plutôt que de
procéder à la conservation de leur domaine, avaient
intérêt au contraire à s’en défaire. «Le domaine
royal n'est aucunement marqué du sceau de
l'inaliénabilité. Il est au contraire d'utilité publique
d'aliéner les biens qui coûtent plus à administrer
qu'ils ne produisent», lit-on par exemple chez
Pierre-François Boncerf. Avant la généralisation de
la vente des biens domaniaux, on peut néanmoins
suivre dans le détail cette histoire comptable.
La gestion du domaine fut le plus souvent affermée,
encore qu’il faille distinguer le domaine immuable
ou fieffé, dont le produit était fixe comme le cens et
les rentes, et le domaine muable dont le produit
variait comme les droits de greffe, tabellionnage,
sceaux, écritures, droits de péage, droits sur les
mines sur les poids, la pêche, les amendes... En
France, selon les ordonnances de 1542 et 1554, les
trésoriers de France* expédiaient à chaque receveur
du domaine un état du roi* de tous les revenus
ordinaires et charges à acquitter. Il leur revenait
également d’affermer les droits et de tenir le rôle
contenant tous les baux à ferme, noms et surnoms
des fermiers, cautions, enchères... selon les
dispositions de l’ordonnance de 1557. Le directeur
des domaines, qui représentait la ferme dans chaque
généralité, s’entourait de contrôleurs* et
d’inspecteurs*. Le contrôleur ambulant avait pour
fonction d’arrêter les comptes des commis aux
recettes, de collecter les fonds encaissés et de les
transporter à la direction. Il effectuait une tournée
« de recouvrement » au cours du premier mois de
chaque trimestre, puis après avoir rendu ses
comptes, il partait faire une contre-tournée au cours
de laquelle il procédait à un examen approfondi des
gestions de deux ou trois commis. Les inspecteurs
vérifiaient le travail des ambulants. Les receveurs
généraux des domaines rendaient compte par état au
vrai* aux bureaux des finances, puis à la Chambre
des comptes*. Par la déclaration du 24 janvier
1724, receveurs généraux et receveurs particuliers
furent astreints à tenir un registre-journal*
conforme aux dispositions de l’édit de juin 1716, et
de remettre copie de ce journal chaque mois à une
nouvelle administration établie à Paris : la caisse
commune*. Calquée sur le modèle de la caisse
commune des receveur généraux de finances*, cette
administration suivait la tenue des journaux*,
l’actualité des recouvrements et des acquits* de
charges, « au moyen de quoi le Conseil est en état
de connoistre tous les mois la situation de chaque
comptable ». Inspirée par les frères Paris*, elle
travaillait selon la méthode de la comptabilité en
partie double*. Logée Vieille rue du temple, elle
comprenait un directeur et 11 commis chargés de
suivre les journaux et les fonds, auxquels il faut
ajouter pour la caisse : un caissier, un contrôleur et
un commis, et pour la vérification des états de
ventes et des amendes : trois commis. A partir de
1726 cependant, les receveurs des domaines,
comme les receveurs des finances, furent exemptés
de l’obligation de fournir les copies de leurs
journaux, ce qui réduisit l’utilité de l'administration
centrale. Contrairement aux receveurs généraux des
finances qui faisaient des versements réguliers au
trésor royal* en vertu de leurs soumissions*, les
receveurs généraux des domaines, qui
administraient des revenus plus irréguliers,
retenaient les fonds dans leurs caisses jusqu’à ce
que injonction leur soit faite de les verser. A la fin
de l’Ancien régime encore, le pouvoir central les
accusa de conserver abusivement les parties non
réclamées au-delà des termes fixés par la loi (trois
ans d’après la déclaration du 4 novembre 1770), de
confondre volontairement les exercices, et de
« tournoient en ridicule l’établissement des registres
journaux » en préférant rendre compte de leur
situation non par extrait*, mais par bordereau*,
pour préserver les profits qu’ils tiraient du jeu de
caisse*. « Il y a un receveur général (c’est celui de
Flandres) qui a un débet de plus de 200 000 livres
qui vaut bien la peine que l’on fasse attention. Il est
constant que sans les copies de journaux, on
n’auroit pas remarqué ce débet. Ces journaux ne
sont donc pas superflus ». Dans les Pays-Bas en
revanche, grâce à la réforme comptable de Benoît-
Marie Dupuy* placé à la tête de la régie des
domaines entre 1750 et 1756, les revenus étaient
mieux contrôlés. L’adoption systématique du
journal et la formation, chaque mois, d’extraits de
bilan envoyés à Bruxelles, garantissait une
connaissance à peu près correcte des revenus.
L’affermage des droits des domaines était
régulièrement dénoncé par les autorités qui, pour
avoir une idée plus exacte des produits et
augmenter les baux de ferme, procédaient
provisoirement par régie*. Ce fut le cas en Prusse*
où le Grand Electeur Frédéric-Guillaume fit vérifier
les états des administrateurs des domaines dont la
gestion était encore éclatée entre les chambres
locales des finances. Par l’instruction du 14
novembre 1659, il exigea que ces chambres
transmettent tous les trimestres un relevé exact de
toutes les recettes et dépenses concernant les
revenus domaniaux au président de celle du
Brandebourg. Plus tard, à l’instigation du président
de la chambre aulique (Hofkammer) nommé en
1678, von Gladebeck, les revenus du domaine
furent mis en régie*, avant de faire de nouveau
l’objet d’un contrat d’affermage à la mort de ce
dernier. En 1689, Frédéric III plaça le domaine sous
l’autorité d’un collège particulier dirigé par le
président von Knyphausen* et composé à sa
demande d’un personnel compétent versé dans les
affaires économiques et financières. Knyphausen
voulait parvenir à son tour à établir une
connaissance exacte des revenus et charges des
domaines sur l’ensemble des territoires placés sous
la souveraineté de Frédéric. Il faut attendre 1696
pour voir apparaître une caisse centrale des
domaines, Generaldomanenkasse. Cette caisse*
payait les dépenses du roi, les apanages, les
pensions, les frais de colonisation que les provinces
ne pouvaient assurer. Elle servait aussi à combler le
déficit de la caisse de guerre et à constituer les
réserves du Trésor*. De même en Espagne, les
efforts de rationalisation de la gestion des domaines
s’intensifièrent à l’articulation des XVIIe et XVIIIe
siècles. Jean Orry* procéda à une réévaluation des
droits des domaines. Pour ceux gérés en affermage,
comme les rentes des Ordres Militaires, celles des
alcazars de Séville, de YAbuelci de Grenade, des
bois et parcs, il proposa une régie provisoire pour
mettre à jour les bénéfices excessifs des fermiers
sur ces recettes et rehausser ensuite les baux de
ferme. Pour ceux qui étaient en régie* directe,
comme les droits sur la frappe monétaire en
Amérique, il fit voir au roi les vices de forme des
comptes des officiers du roi. Par exemple, les
comptes des casas reales, qui abritaient les
fonderies, confondaient la recette et la dépense en
un seul article pour chaque vice-royauté, laissant le
roi dans l’ignorance des recettes propres à chaque
fonderie. En France, la ferme des domaines qui
gérait la plupart des droits domaniaux au XVIIIe
siècle, présentait sensiblement les mêmes défauts.
Certes, l’armée d’employés chargeait de lever les
fonds procédait avec rigueur, mais divisée en de
multiples sous-baux, elle ne laissait pas voir la
véritable valeur des domaines du roi. Le contrôleur
général des finances Turgot résilia le bail des
domaines réels et établit une régie* spéciale le 25
septembre 1774. Les régisseurs firent un fonds
d’avance* de six millions. L’édit d’août 1777
supprimant tous les offices de receveurs et
contrôleurs des domaines et bois (506 au total) et
171
l’arrêt du conseil du 9 janvier 1780 réformant le
régime des fermages donnèrent naissance à
« l’Administration générale des domaines et droits
domaniaux », une régie* intéressée chargée de
remettre au Trésor* le montant total des recettes
après déduction des frais de régie*.
Les souverains ont toujours eu le souci de conserver
leurs domaines et de jouir de leurs revenus. S’ils
avaient été dans l’obligation de les vendre, ils
cherchaient à les racheter dès que l’occasion s’en
présentait. On connaît par exemple la volonté de
Bruxelles pour recouvrer la maîtrise des domaines
engagés. Après le traité d’Aix-la-Chapelle (1748),
le gouvernement entra successivement en
possession des parties domaniales de Bossières et
Vieuville dans le Namurois (1752), du comté de La
Roche dans le duché de Luxembourg (1753), de
l’ancien domaine de Mons, dont l’administration
avait été remise au Magistrat en 1624 (1764), des
parties domaniales du Hainaut (1769), des moyens
courants du pays rétrocédé (1771) et des domaines
du Brabant (1777). Cet effort s’inscrit dans une
politique générale de contrôle des revenus et de
mise en régie* adoptée à Vienne pour l’ensemble
des territoires. Reste que le désengagement des
revenus des domaines n’aurait guère été possible
sans la sécularisation des biens des Jésuites*
(1773). La vente des biens-fonds de la compagnie
dans les Pays-Bas rapporta 5,7 millions de florins
(argent courant), celle du mobilier, 912 997 florins.
L’argent fut placé et le bénéfice de ces placements
servit au désengagement du domaine du Brabant,
du bureau de Saint-Philippe et de la fenne des
postes en particulier. L’ironie du sort voulut qu’à
cette époque, c'est-à-dire à la fin du XVIIIe siècle,
on comprit l’utilité de vendre les domaines aux
particuliers pour que, par leur mise en valeur, la
« richesse des nations » s’en trouvât augmentée.
Les maximes libérales s’imposant, les Etats
procédèrent à des aliénations massives comme ce
fut le cas en France. L’Assemblée constituante mit
en vente des domaines de la Couronne jusqu’à
concurrence de 400 millions et autorisa, par les lois
du 9 juillet et 21 septembre 1790 « l’aliénation de
tous les domaines nationaux autres que ceux dont la
jouissance aura été réservée au roi et les forêts sur
lesquelles il sera statué par une loi particulière ». La
loi domaniale du 1er décembre 1790 remplaça
l’ancienne dénomination du « domaine du roi et de
la Couronne » par celle de « domaine national ».
Par la suite, la législation consacra F inaliénabilité et
l’imprescriptibilité du domaine public, qu’elle
distingua du domaine de l’Etat dont les propriétés
furent définies avec toujours plus de précision. La
formation de la régie* de l’enregistrement et des
domaines (1791) ne rompait pas totalement,
néanmoins, avec les usages administratifs en
vigueur sous l’Ancien régime, comme le démontre
Jean-Paul Massaloux. M.-L. L.
172
Sources : HHSA, DD-B, 128b, Rapport de la
Chambre des comptes sur les domaines des Pays-
Bas, 1781. AN, G7 1321, dossier sur la déclaration
du 24 janvier 1724 ; F4 1082, Note sur les
« Recettes générales des domaines et bois », vers
1774. Pierre-François Boncerf, De l'Aliénabilité et
de l'Aliénation du Domaine, s.l.n.d., p.127. Pierre-
Samuel Dupont de Nemours, Mémoires sur la vie et
les ouvrages de M. Turgot, ministre d’Etat,
Philadelphie 1782, seconde partie, p. 23. Hennequin
J. (1595), f° 1-20.
Bibliographie : Dubet A. (2009). Massaloux J.P.
(1989). Say L., t. 1 (1889), p. 1481-1489.
Domaine extraordinaire (caisse du)
Voir Caisse du même nom
Douane
La principale caractéristique de l’ancienne
comptabilité douanière tenait dans la nécessité
d’enregistrer et de vérifier une variété infinie de
recettes. Chaque Etat avait mis en œuvre toutes
sortes de droits vis-à-vis de l’étranger et de péages
internes. Le « plus important droit de péage au
monde », d’après Adam Smith, fut celui prélevé par
le Danemark sur le commerce de la Baltique via le
Sund. Qu’ils fussent engagés, affermés comme en
France ou mis en régie* comme en Angleterre*
(ordonnance du 21 janvier 1643), ces droits
produisaient une imposante masse de comptes et de
papiers, notamment les acquits* que les commis*
délivraient aux voituriers des marchandises à la
sortie, avant que les emballeurs cordent, ficèlent et
plombent les balles, et à l’entrée (certificats de
descente délivrés par le bureau de contrôle).
La bureaucratie comptable
Dans les Pays-Bas*, dont les frontières avec
l’étranger étaient nombreuses, il existait 23
départements de douanes dont dépendaient 229
bureaux à la fin du XVIIIe siècle. En tout, cette
administration comprenait 1 300 employés qui
produisaient 1 617 registres-journaux*
accompagnés de 225 680 acquits*, le tout pour un
revenu de 2 300 000 florins d’Allemagne. En
Bohême à la même époque, on comptait 653
employés des douanes, aides et péages qui
envoyaient chaque année 2 512 extraits* de
trimestre divisés en 8 772 cahiers pour rendre
compte d’un revenu brut* de 4,8 millions de florins.
En Angleterre, le commerce maritime et côtier
donna lieu à la formation de dizaines de milliers de
livres de port* {Port Books), d’acquits et reçus, tant
des receveurs des douanes que de leurs contrôleurs,
de mandats des visiteurs {Searchers) chargés de
traquer la fraude*, autant de papiers que les
officiers de l’Echiquier*, plus tard ceux du bureau
des douanes, vérifiaient. Etabli en 1671, le Board
of Customs avait pour mission de superviser, sous
l’autorité du Treasury Board, toutes les questions
douanières, ainsi que les droits fiscaux y relatifs, le
contentieux et bien entendu, le personnel chargé des
recettes et de la comptabilité des droits de douane.
Au XVIIIe siècle, l’office central à Londres
comprenait, outre les commissaires, un secrétaire
qui avait sous lui trois Chief clerks, l’un pour les
droits de douanes des ports de l’Ouest, l’autre pour
ceux des ports du Nord, enfin un Chief clerk of the
Bond Office. En outre, plusieurs commis en chef
étaient préposés aux écritures*. Le bureau central à
Londres avait aussi à son service des conseillers
juridiques, des inspecteurs du personnel des
douanes, des commis chargés de dresser les
statistiques du commerce international, enfin
plusieurs officiers pour la comptabilité des douanes.
Le bureau de Londres centralisait les recettes
douanières provenant du port de Londres ainsi que
des ports de l’Angleterre et du Pays de Galles, de
l’Ecosse - ou l’administration des droits était
cependant confiée à un bureau spécial établi à
Edimbourg - et, jusqu’en 1783, des droits
provenant de l’Amérique. Les droits de douane se
percevaient dans 21 ports principaux. Les officiers
établis dans ces ports avaient sous eux la direction
du personnel des ports de moindre importance. En
ce qui concerne la comptabilité, chaque port
principal était servi par deux types d’officiers :
d’une part, le customer ou le collector, des agents
comptables qui percevaient les droits de douane et
payaient les dépenses affectées sur leur recette ;
d’autre part, le controller qui tenait un registre des
activités des collectons et customers. Dans le port
de Londres, il y avait six collectors spécialisés dans
la recette d’un droit en particulier. Les droits de
douane étaient généralement payables en espèces
ou en effets de commerce dans la caisse des
collecteurs locaux qui envoyaient leur solde au
Receiver General of the Customs à Londres. Ces
versements étaient effectués nets des frais de
perception et autres dépenses affectées sur les
caisses locales, en particulier les remboursements
de droits d’importation (drawbacks) et les
subventions à l’exportation (bounties). Tous les
trimestres, les percepteurs devaient adresser un
compte de leur caisse au Board of Customs, avec
les pièces justificatives (vouchers). Le controller
établi dans chaque port envoyait aussi tous les trois
mois le compte des comptables. Il devait aussi
envoyer tous les trimestres à YXJpper Exchequer,
qui faisait les fonctions d’une Chambre des
comptes*, le livre de port, bien que ces documents
comptables ne fussent plus, depuis longtemps,
assujettis à l’audit de l’Echiquier*.
Les recettes des douanes n’étaient pas centralisées
dans une seule et unique caisse. Il existait en fait
deux caisses. La plus importante recevait le produit
des droits de douanes, l’autre était réservée aux
recettes des amendes et confiscations. Chaque
caisse avait à sa tête un receveur général qui
recevait le produit des recettes du port de Londres
et des autres ports. Le Receiver General of the
Customs encaissait chaque jour les payements, en
argent ou certificats de douanes perçus sur les
entrées par les Collectors-Inwards and Coastwise
dans le port de Londres. En fin de semaine, il
recevait le solde des recettes, ainsi que celles du
Collector-Outwards (sorties). Les Outport
collectors, ou collecteurs établis dans les ports, lui
envoyaient le produit de leur recette en lettres de
change ou autres effets, au fur et à mesure de la
rentrée des fonds dans leur caisse. En fin de
semaine, le receiver general établissait ses livres de
recettes et de dépenses en quatre exemplaires
destinés aux Lords Commissioners du Treasury
Board, aux commissaires du Board of Customs, à
Y Exchequer, et au Supervisor of the Receiver
General’s Receipts and Payments, qui était son
contrôleur. Ensuite de quoi, le receiver general
versait la balance de sa caisse dans celle de
Y Exchequer. A la fin de l’année financière, qui se
terminait le 5 janvier pour les Customs, le receiver
general dressait le compte annuel des douanes
{Annual Account of the Customs) qu’il remettait à
YAuditor of the Imprests, le service de l’audit
administratif attaché à la cour de l’Echiquier. Pour
sa part, le Supervisor contrôlait journellement tous
les documents relatifs aux encaissements et
décaissement de fonds par le receveur général. Un
contrôle était effectué en outre tous les trimestres.
Le Supervisor comparait notamment les tallies
délivrés par Y Exchequer of Receipt avec les
versements déclarés dans les comptes du receiver
general.
La seconde caisse des douanes était dirigée par
deux chief offcers, l’un recevant les revenus
provenant des amendes et confiscations dans le port
de Londres et l’autre, les mêmes ressources dans les
outports. Leurs activités étaient contrôlées par
l’Accountant of the Petty Receipts.
En France, l’ordonnance de février 1687 réglait tout
ce qui concernait les droits d’entrée et de sortie. Le
titre XIV énonce notamment l’obligation du fermier
de tenir dans chaque bureau un registre des
déclarations, un registre de paiement des droits, de
soumissions des marchands ou de leurs cautions*,
descente de marchandises et décharge des acquits à
caution*, « et les sommes seront écrites sans chiffre
ni abréviation, sauf après qu’elles auront été écrites,
à les tirer en chiffres hors-ligne » (article 3). Les
bureaux des traites répartis dans les provinces
soumises à la Fenne générale* remettaient leurs
registres à la direction dont ils dépendaient. Celle-ci
tenait la comptabilité principale selon les ordres de
la « direction des comptes concernant les traites »
installée rue de Buloi à Paris, dans l’un des hôtels
de la Fenne générale*.
173
En Autriche, les bureaux particuliers des douanes
remettaient chaque année leur compte à un bureau
général qui les faisait parvenir à l’administrateur de
la province avec les siens propres. L’administrateur
examinait les comptes, en faisait un compte général
qu’il envoyait avec les pièces jointes et les comptes
des bureaux à la Chambre des comptes de Vienne
où ils étaient étudiés par la registrature en charge de
cette branche de revenus. Pendant l’année, de
quartier* en quartier, les bureaux particuliers
envoyaient des extraits* aux bureaux généraux,
ceux-ci à l’administrateur et ce dernier à Vienne qui
suivait donc l’état provisoire des revenus.
La lutte contre la fraude *
Une autre caractéristique avait trait à l’importance
de la fraude*, celle des employés prévaricateurs
comme celle des contribuables, contre laquelle il
fallait mobiliser une année de contrôleurs et
inspecteurs*. Pour la douane de Florence à la fin du
XVIIe siècle, Jean-Claude Waquet recense pas
moins de deux déclarations, six inspections et de
nombreux contrôles, le tout mobilisant une
vingtaine de personnes (gardes, inspecteurs,
douaniers, visiteurs, porteurs, contrôleurs...)
réparties en huit endroits distincts pour remplir une
trentaine de tâches différentes. Outre les procédures
pour lutter contre la fraude des marchandises, il
fallait mettre en œuvre les moyens de combattre la
prévarication des employés. La vérification des
livres de caisses était une première étape. Plusieurs
employés des douanes belges furent ainsi
condamnés, comme ce Jean-Georges Hahubaun,
receveur au bureau de Schleyden, fait prisonnier en
1776 pour avoir soustrait 18 florins de la caisse,
Jean-Louis Renson, receveur à Quiévrain,
condamné à la pendaison par arrêt du Conseil de
Mons du 30 juillet 1761 pour avoir volé 226 florins,
ou le baron de Lestwitz, receveur des douanes au
bureau de Templeuve, « pendu » en effigie à
Tournai pour avoir soustrait 100 florins en 1787.
Ces affaires demeureraient anecdotiques pour notre
propos si elles ne s’inscrivaient pas dans un cadre
plus large de corruption qui passait notamment par
le Conseil des finances*. On prend connaissance de
ce système grâce au dossier constitué en 1792 sur le
dénommé Bavay, official sur le point d’être promu
auditeur* à la Chambre des comptes. D’abord
commerçant en fils, Bavay devint official au bureau
de la régie des droits en 1765. Ce bureau avait été
établi sous la direction du Conseil des finances.
Chargé en 1783 d’une commission d’inspection des
départements de Mons, Chimay, Charleroi, Namur
et Bruxelles, Bavay pointa les fraudes commises
par le receveur principal de Charleroi, Olislager,
« qui s’étoit obstiné à ne pas vouloir répondre à mes
interrogations, parce qu’il étoit protégé par le
conseiller Delplancq ». De fait, celui-ci apprécia
peu la manière dont Bavay prit sa mission à cœur et
lui reprocha d’avoir fait son inspection « en
174
intendant de province ». Cependant, soutenu par
Vienne, Bavay resta inflexible. Lors de son
inspection du département de Ruremonde, il
découvrit « de grandes malversations » et fut en
mesure de prouver que les officiers principaux de
ce département avaient détourné plus de 100 000
florins des caisses des deux bureaux établis sur la
Meuse, Ruremonde et Navagne. En outre, il
s’aperçut qu’entre 1773 et 1783, 6 221 florins
avaient été volés par le receveur de Ruremonde sur
les billets de délivrement du dixième des licentes
(droits de douane) que la ville percevait. Plus tard,
l’inspection du département de Marche, Saint-Nills
et Luxembourg convainquit encore Bavay de
conduites irrégulières, notamment du contrôleur*
principal de Luxembourg, le dénommé Dubreuil,
qui fraudait depuis plusieurs années sur
l’appréciation des cordes de bois destinées à être
réduites en charbon. Il dénonça aussi le contrôleur
de Saint-Nills, de Praet, membre de la haute
noblesse et beau-père du conseiller Delplancq, pour
vexations, extorsions, prévarications, vols et
concussions ! Et Bavay d’appuyer sa démonstration
en faisant valoir une lettre de Praet à son beau-fils
Delplancq pour faire obtenir à des étrangers les
mêmes faveurs qu’aux natifs pour l’exploitation
d’une ardoisière : « Mon cher fils. Vous n’avez
qu’à tirer au clair les lettres ci-dessus que vous nous
écrirez conjointement que nous enverrons au
Conseil. Je donnerai un bon avis pour qu’ils aient
leur demande et nous leurs louis. Après que vous
aurez fait votre lettre, jettez la présente au feu,
crainte qu’on ne la lise ; mais faites vous payer
d’avance, crainte que nous n’aurons rien. De
Praet ». Enfin, Bavay fut envoyé à Fontaine-
Levêque et Givry « pour recueillir des notions au
sujet des vols commis par le receveur du bureau
d’Aix-la-Chapelle, Delplancq, frère du conseiller
des finances ». Ce receveur tenait un faux registre*
et était en réalité débiteur du souverain pour 2 à
3 000 florins. Il omettait par ailleurs d’enregistrer
des recettes, en tout 43 acquits* « oubliés » entre
avril 1781 et mai 1785 ! Il apparaît donc clairement
que certains membres du Conseil des finances
profitaient du défaut d’inspection comptable pour
satisfaire leurs vils intérêts. Le conseiller
Delplancq, dont les pratiques étaient connues, ne
fut jamais vraiment inquiété par l’administration.
Tout au plus subit-il un interrogatoire en 1776-1777
pour avoir touché des pots-de-vin, sans néanmoins
que la rigueur de la loi, qui prévoyait en ce cas la
démission de toute fonction publique, ne lui fût
appliquée. On lui demanda simplement de restituer
les présents reçus. Au-delà du cas Delplancq, la
propension du Conseil des finances à fermer les
yeux sur les pratiques douteuses au sein des régies
doit être soulignée. Le Conseil réduisit la peine du
receveur des douanes de Rhennes qui avait détourné
552 florins (consulte du 15 juin 1780). Il flanqua
Bavay d’un dénommé Botte, substitut du directeur
de la régie, pour minimiser les rapports d’inspection
et « répandre des doutes sur l’impartialité de
l’inspecteur». En réalité, le Conseil, comme la
Chambre des comptes, étaient traversés de courants
politiques qui dissociaient ceux qu’on commençait
d’appeler les « aristocrates » des « démocrates ».
On ne sera pas étonné de voir Bavay s’engager au
côté des seconds, ses deux fils luttant par ailleurs
dans l’amiée des rebelles. Quacnd il s’est agi de
recomposer la hambre des comptes en juillet 1791,
Bavay fut écarté de la place d’auditeur par ses
ennemis revenus d’exil.
L’exemple belge montre à l’envi que la mise en
régie, pour admirée qu’elle fût, ne garantissait guère
l’enregistrement exemplaire des multiples bureaux
de recettes des douanes dont le contrôle demeurait
délicat. En Angleten-e, William Pitt Le Jeune
(1783-1792) s’appuya notamment sur les travaux de
la commission des comptes publics* pour réformer
des droits de douanes. Cette réforme permit de
simplifier considérablement les comptes des
douanes, qui tenaient désormais sur une douzaine
de feuillets au lieu d’une cinquantaine de pages
auparavant. L’administration des douanes eut beau
rationaliser ces méthodes, rémunérer davantage
d’inspecteurs, le personnel des douanes de l’empire
britannique ne manquait pas néanmoins de se payer
sur les droits et la vérification des comptes des
receveurs des bureaux, qui devaient verser leurs
profits nets tous les trois mois au receveur général,
demeurait trop lâche pour cerner de près le manque
à gagner. En France, le directeur de la toute
nouvelle Direction générale des douanes française
qui remplaça la régie des douanes créée en 1791
(arrêté du 16 septembre 1801), Jean-Baptiste
Collin, lui-même ancien receveur des douanes, eut
également pour préoccupation centrale la lutte
contre la prévarication des employés, dont le
nombre atteignit 35 000 en 1812. J.F. et M.-L. L.
Voir Corruption, Ferme générale, Fraude,
Inspecteur des fermes, Régie
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 185, f3 740,
note du 6 novembre 1786 sur la Bohême et les
Pays-Bas. HHSA, DD-B 86, rote numer, pièce 38,
1793 (sur la corruption à la régie des Pays-Bas et
sur l’affaire Bavay). Recueil des anciennes lois
françaises, t. XX, Paris, 1830, p. 24-47,
Ordonnance de février 1687. AN, K 879, pièce 74.
Bibliographie: Andrews J.H. (1956). Ashworth
William J., Customs and Excise: Trade,
Production, and Consumption in England, 1640-
1845. New York, Oxford University Press, 2003.
Boy J.C., L’administration des douanes sous
l’Ancien régime, 1776. Branda P. (2007), p. 387-
388. Brewer J. (1989). Clinquart J., Les services
extérieurs de la Ferme générale à la fin de l'Ancien
Régime. L'exemple de la direction des fermes du
Hainaut, Paris, 1996. Conchon A., Le péage en
France au XVIIIe siècle, Paris, 2002. Hinton R.
(1956). Hoon E. (1938). Krôner M. (1992). Mollat
M., Comptabilité du port de Dieppe au Xve siècle,
thèse compémentaire, Paris, 1951. Waquet J.C.
(1990), p. 276-277.
Double emploi
Partie qu’un comptable emploie deux fois dans ses
comptes, soit en recette, dépense ou reprise*.
L’erreur* qui résulte du double emploi ne se couvre
pas. Le double emploi est souvent assimilé au crime
de faux emploi*. Jean Hennequin* précise que les
« comptables de mauvaise conscience » qui s’en
rendent coupables inscrivent deux fois des dépenses
comme « des remboursements de frais, voyages,
taxations & autres parties où n’est rapporté aucuns
acquits ». Afin de dissimuler la manipulation
comptable, « pour les mieux faire passer & en faire
perdre la cognoissance à Messieurs des comptes,
employent telles parties en deux comptes rendus,
l’une en une année & l’autre quelques deux années
après ». L’ordonnance de 1667 (titre 29, article 21)
ne parle que de faux-emploi* et dans l’article 541
du code de procédure civile de 1806, le mot
« erreurs » est suivi des mots « omissions et faux ou
double emploi ». D’après l’Encyclopédie de Diderot
et D’Alembert, il semble que le double emploi
concerne un article qui est correctement enregistré
«la première fois qu’on l’emploie, mais qui est
vicieux dans l’endroit où on l’emploie dans la
seconde fois », tandis que le faux-emploi est un
article mal employé, « par exemple si un article de
dépense est porté dans la recette ». Le flottement
dans la définition tient peut-être au fait que l’erreur
de double emploi pouvait relever tout autant de
l’incompétence comptable que de la malversation.
Quand les physiocrates dénoncent les calculs que
certains écrivains font de la richesse de l’Etat, ils
soulignent le faux raisonnement qui aboutit trop
souvent aux doubles emplois et empêchent de
dégager le concept de valeur ajoutée (J.-C. Perrot).
A titre d’exemple, on peut se reporter au « Mémoire
concernant les faux et doubles emplois pratiqués au
préjudice de Sa Majesté dans les comptes de clerc à
maître des vivres de la Marine » : 10 775 972 livres
de faux et doubles emplois furent calculés lors de la
reddition des comptes de ces traités passés pour la
période 1700-1709 (pour intérêts et intérêts des
intérêts, emplois d’escomptes...).
En tout état de cause, le comptable convaincu de
double emploi était condamné à payer une amende,
le double de la somme comptée deux fois. Dans ses
annotations au Guidon général des finances de Jean
Hennequin, Vincent Gelée jugea que « pour le
double emploi, d’autant qu’il y a de la malice du
comptable, & que c’est une espèce de fausseté, il
devrait être condamné en plus grande peine que
celle du double ». L’édit de juin 1716 condamne de
fait ce type d’erreurs au quadruple. A.D. et M.-L. L.
Voir Biscapit, Concussion, Erreurs, Faux-emploi
175
Sources : AN, G7 727, Mémoire concernant les faux
et doubles emplois dans les comptes des vivres de
la Marine (traités de Guichard et Duhamel).
Dictionnaire des finances (1727). Diderot et
d’Alembert (dir.), Encyclopédie ou dictionnaire
raisonné..., t. XII, (1782), p. 269. Vincent Gelée,
annotations jointes à la deuxième édition du Guidon
général des finances... par Jean Hennequin (1594).
Hennequin J. (1595), p. 242b-243. Merlin P.A.
(1829) p. 68. Lavoisier A.-L., De la richesse
territoriale du royaume de France, éd. critique de
Jean-Claude Perrot, Paris, CTHS, 1988.
Downing, George (1623-1684)
Voir Angleterre
Dufresne, Bertrand (1736-1801)
Premier directeur du Trésor public en France.Né en
Béarn à Navarrenx, il fut d’abord employé d’une
maison de commerce à Bordeaux. Repéré par le
banquier Laborde au temps de Choiseul, puis par
Necker* qui lui confia la réorganisation de la
Recette générale, il devint premier commis chargé
du Trésor en 1777, intendant des fonds de la Marine
et des Colonies (1784), conseiller d’Etat (1785),
puis directeur du Trésor royal* réformé en 1788.
Les mêmes fonctions lui furent dévolues à la
Trésorerie nationale créée en 1791. 11 fut alors
chargé de surveiller la rentrée des deniers des
impositions, de prendre les ordres du roi pour les
dépenses, de déterminer la répartition des fonds, de
diriger le travail de tous les bureaux du Trésor, de
tenir la correspondance avec les ministres,
l’Assemblée nationale et les 83 départements, de
former les états par aperçu des recettes et des
dépenses tous les mois, d’arrêter les comptes de
clerc-à-maître des receveurs généraux et les états du
roi. Incarcéré sous la Terreur, il fut élu député au
Conseil des Cinq-cents le 21 germinal an V. Il lut
par devant cette assemblée un rapport remarqué sur
la situation du Trésor et les abus d’autorité commis
par les militaires sur la caisse des dépôts. Ecarté, il
revint aux affaires après le 18 Brumaire et fut
nommé une seconde fois directeur du Trésor
public*, fonction qu’il exerça jusqu’à sa mort en
1801. Il publia en 1784 des Etudes sur le crédit
public. M.-L. L.
Sources : Martin J., Etrennes financières, ou
Recueil des matières les plus importantes en
finance, banque, Commerce..., Paris, chez l’auteur,
1789, p. 24. De la situation du Trésor public
(1997), p. 81.
Bibliographie : Bruguière M. (1986), p. 250.
Dupuy, Benoît-Marie
Réformateur comptable français du XVIIIe siècle. Il
a dirigé la régie* financière mise en œuvre pendant
la guerre de Succession d’Autriche (1744-1748) par
la France dans une partie des Pays-Bas, puis est
176
entré en 1749 au service de l’administration des
Habsbourg à Bruxelles pour réformer la
comptabilité des domaines.
Dans tous les territoires conquis en 1744 et 1745
(Menin, Ypres, Fumes, Poperinge, Wameton,
Wervick, Commines, Loos, Tournai et le Tournaisis
et le comté de Flandre : Oudenarde, Gand, Alost,
Dendennonde, Bruges et sa dépendance nommée le
Franc, Ostende, Nieuport), le gouvernement
français mit en oeuvre une régie* responsable de
tous les revenus, tant ceux tirés des domaines et des
droits d’entrée et de sortie que ceux versés par les
Etats et administrations locales, c'est-à-dire les
aides et subsides. L’intérêt de cette régie, établie
sous le contrôle de l’intendant, Hérault de
Séchelles, réside dans la double mission qui lui fut
confiée : gérer les deniers pour le compte de
Louis XV, mais aussi en « améliorer le produit », ce
qui supposait une modification des usages locaux.
D’emblée, l’administration française afficha
l’ambition d’augmenter les revenus tirés des Pays-
Bas, sans ménagement pour les franchises des Etats
provinciaux et les villes. La régie fut créée par arrêt
du 4 juin 1746. Elle forma deux bureaux à
Bruxelles : un secrétariat composé d’un « premier
commis », Benoît-Marie Dupuy, et de deux commis
aux écritures, et un bureau des comptes, composé
d’un directeur et d’un commis-vérificateur. Sa
gestion fut un succès puisque les revenus
augmentèrent de plus d’un million de livres en trois
ans. Ce résultat s’explique par le fait qu’on ne
permit plus aux Etats de jouer sur la justification de
leurs dépenses comme d’un prétexte pour retenir
abusivement les fonds dans leurs caisses. Par
ailleurs, Dupuy procéda à un long travail de
contrôle des comptabilités locales pour éviter les
retards de recouvrement. Sur ce point, il fut
particulièrement efficace : « Le sieur Dupuy est le
seul sur lequel je puisse compter pour la tenue du
sommier général qui est d’un très grand détail. Je le
fais tenir dans un sy grand ordre qu’il présentera
tous les recouvremens dont nous sommes chargés.
Pour que ce registre soit dans la plus grande
exactitude, il y en a deux, l’un sur lequel on ne
porte rien que toutes les vérifications les plus
exactes ne soyent faites. En perdant le sieur Dupuy,
nous perdons la cheville ouvrière de notre bureau
de correspondance ».
Après avoir contrôler les comptabilités locales pour
le compte de Louis XV, Benoît-Marie Dupuy
intégra l’administration centrale de Bruxelles entre
1749 et 1756 sur les instances du ministre Botta-
Adorno, soucieux de restaurer les cadres financiers
des Pays-Bas au lendemain du traité d’Aix-La-
Chapelle (1748). Nommé « secrétaire à la suite du
gouvernement », c'est-à-dire indépendant de tout
corps ou compagnie traditionnels, Dupuy devint le
conseiller le plus écouté du ministre en matière de
finances. La compétence de Dupuy devait permettre
de faire de la Recette générale de Bruxelles la
trésorerie centrale des fonds, de porter les charges
fixes dans le compte général, de faire clore* les
comptes des receveurs particuliers par les receveurs
généraux, d’exiger une reddition* rapide des
comptes de la part des receveurs, de leur faire tenir
un registre-journal*, de n’admettre pour quittances
dans la reddition* que celles datées du jour du
paiement fait, bref, d’adopter les règles d’une
administration centralisée des finances basée sur le
contrôle* de la réalité des faits. Opposés à ce plan
général, les maîtres et auditeurs de la Chambre des
comptes* ne manquèrent pas de le faire capoter,
jugeant « qu’il n’est pas praticable ». Il est certain
qu’un tel plan ôtait à la Chambre des attributions
jusque là bien établies. Le suivi de la situation des
caisses supposait la remise d’états réguliers par les
receveurs. C’est sur ce suivi que Dupuy fit
progresser sensiblement l’administration
bruxelloise. Son objectif était double : faire adopter
par tous les comptables des Pays-Bas des
techniques et des formulaires identiques,
notamment des journaux modélisés des recettes et
des dépenses, des états mensuels pour tenir informé
le receveur* général de la situation du comptable, et
des états trimestriels pour clore le journal* et
envoyer tous les trois mois le fonds de caisse* à la
recette générale. Dupuy exportait le savoir-faire
français : journaux et états mensuels étaient
communément employés dans l’administration des
Bourbon. D’autre part, Dupuy proposa au
gouvernement de connaître l’état des finances des
Pays-Bas au moyen d’un sommier* que le
receveur* général des finances aurait mis en
oeuvre. « On ne voit pas que par l’usage actuel
S.A.R. puisse jamais être informée de la situation
des finances en général et en particulier sans un
travail de plusieurs mois et encore serait il difficile
de réunir les différens objets que forme la
comptabilité générale de ces provinces dont la
cascade doit absolument se terminer sur un point
fixe ». La recette générale des finances, qui jusque
là ne fonctionnait que comme une caisse* centrale
sous le commandement du Conseil* des finances,
deviendrait alors une administration compétente sur
l’ensemble des branches de revenus, capable d’en
connaître l’état et de là, d’en contrôler la bonne
tenue. En d’autres ternies, Dupuy proposait d’ériger
un embryon de Contrôle général* tel qu’il existait
en France puisque le receveur* aurait eu en charge,
comme les intendants de finances à Paris, la
formation d’états de recettes et dépenses. La
première mission de Dupuy consista dans
l’inspection* des receveurs des domaines. Au terme
de sa tournée, il rendit compte du désordre qui
régnait dans les bureaux de ces derniers où il ne
trouva ni livre-journal, ni état* mensuel. Il releva
les irrégularités dans les journaux de plusieurs
receveurs (feuilles volantes, non numérotées, non
paraphées, ratures...) et rédigea des instructions
pour les tenir en bonne et due forme. Ces
instructions furent adoptées par les receveurs des
domaines, par ceux des douanes, puis par le
receveur* général Van Overstraeten dès l’année
1750. En outre, Dupuy proposa des modèles pour la
formation mensuelle d’« extraits de bilan » adoptés
à leur tour par les receveurs des domaines et des
douanes (instructions du 26 novembre 1752), plus
tard par les receveurs des aides et subsides, quoi
qu’avec grande difficulté. Ces bilans cherchaient à
apprécier chaque mois les recettes et les dépenses
effectuées de celles ordonnancées pour connaître la
situation exacte de la recette. Toutefois, les
comptables ne parvinrent pas toujours à satisfaire
aux exigences du modèle. Dupuy releva bien des
erreurs, comme celles commises par le receveur*
des douanes de Namur : « ces bilans ne portent
point les parties en nature qui sont considérables à
Namur, ni la valeur des grains qui font une partie
essentielle de la recette ». Profitant de ces
difficultés, la Chambre des comptes* dénonça
l’œuvre et le zèle de Dupuy : « l’expérience fait
voir que les opérations mensuelles ne sont presque
jamais justes. Les receveurs n’envoient même plus
depuis quelques temps leurs extraits de bilan en
forme et c’est depuis lors que les journaux ont été
négligés », lit-on dans un mémoire de 1756. Il faut
pourtant convenir que les extraits de bilan se sont
finalement imposés à l’administration des domaines
et des douanes, les archives des finances en font foi.
Conscients de l’intérêt de cette méthode, les
membres du Conseil des finances finirent par en
faciliter l’application. En revanche, l’expert français
ne parvint pas à imposer au gouvernement
bruxellois ses projets plus ambitieux de fonte
générale de tous les comptes publics dans un grand
sommier*. Il faut dire qu’une telle révolution
comptable supposait la substitution d’un
gouvernement dirigiste des finances au mode
traditionnel de décision collégiale. D’où sa
proposition de fusion de la Chambre des comptes*
avec le Conseil* des finances et de promotion de la
régie* des douanes en une vaste administration
chargée notamment des opérations de contrôle*
comptable. Malgré la protection du ministre
Cobenzl, l’hostilité des membres des conseils
collatéraux et la pusillanimité du gouverneur
Charles de Lorraine ne lui laissèrent pas le loisir de
mener ses projets à bien. Par décret du 5 avril 1753,
le gouverneur condescendit « à ce que les ordres
adressés au Conseil* par décret du 24 juillet 1750
par rapport aux bilans et états mensuels tant de la
recette générale des finances que de la caisse* de
guerre furent réduits quant à présent à un seul bilan
annuel ». En d’autres ternies, il renonça à suivre la
trésorerie de l’ensemble des branches de revenus
des Pays-Bas selon la méthode de Dupuy, de même
qu’à dresser les comptes de la seule Recette
générale des finances à partir d’états de situation
régulièrement évalués. Au demeurant, la tâche de
former les comptes généraux de la Recette générale
177
revint au nouveau trésorier général, le comte de
Neny, qui avait pris faits et causes contre Dupuy.
Ce dernier fut finalement relevé de ses fonctions le
12 juillet 1756 et quitta les Pays-Bas en 1757,
laissant les comptes centraux dans une grande
imperfection. M.-L. L.
Sources : AN, G2 209, 210, 230 (lettre de Gauthier
sur Dupuy, Bruxelles, 18 mars 1747), 324-325.
AGR, Conseil des finances, 7044, « instructions
pour la tenue d’un sommier général», 1749;
rapport du 24 juillet 1756 ; mémoire de la Chambre
des comptes sur la Consulte du Conseil des finances
du 26 mai 1756. Idem, Conseil des finances, 7262.
Idem, Secrétairie d’Etat et de Guerre (SEG), 1669,
f° 97, décret du 5 avril 1753.
Bibliographie : Moureaux P. (1970). Legay M.L.
(2009).
Echiquier
VExchequer, dont le nom dérivait du tissu à
carreaux qui recevait, depuis le Moyen Âge, les
jetons* lors de la procédure judiciaire d’audition
des comptes des comptables royaux, était l’une des
plus anciennes et vénérables institutions de
l’Angleterre*. Etabli dans le palais de Westminster,
l’Echiquier était devenu, au fil des siècles, une
organisation fort complexe. Il développa en effet,
dans son sein, plusieurs nouvelles branches de
juridictions, comme Y Exchequer of Equity, qui
n’avaient plus guère de rapports avec les finances
publiques. Pour ce qui concerne la comptabilité,
l’Echiquier était composé de deux organes dont les
fonctions, de même que le personnel, étaient
essentiellement distincts : Y Exchequer of Account,
qui était l’équivalent d’une Chambre des comptes,
et le Lower Exchequer, qui était la caisse centrale
de la monarchie.
UUpper Exchequer était une cour de justice qui, au
fil du temps, développa plusieurs juridictions dont
certaines, comme Y Exchequer of Pleas, n’avaient
plus aucun rapport avec le contentieux fiscal. Au
sein de YUpper Exchequer se trouvait l’Exchequer
of Account. Aussi désigné par le ternie de Court of
Barons, YExchequer of Account était l’organe
chargé de l’audition et du jugement des comptes
des comptables, ainsi que du contentieux y relatif.
Faisant les fonctions d’une Chambre des comptes,
YExchequer était seul habilité à délivrer aux
comptables le quitus* de leur manutention ou à
mettre en branle les procédures judiciaires de
recouvrement des fonds indûment payés. Au
XVIIIe siècle, cette cour, qui relevait
hiérarchiquement du bureau du Trésor (Treasury
Board), était composée d’une quinzaine d’officiers
placés sous l’autorité conjointe du Lord Chief et des
Barons. Tous les comptables principaux des deniers
royaux, pour l’essentiel les sheriffs des comtés, les
receveurs généraux des impôts et les trésoriers
généraux des ministères, étaient tenus, en fin
178
d’exercice, de présenter leurs comptes à
YExchequer. Au sein de l’Echiquier, le King’s
Remembrancer était l’officier spécialement chargé
d’appeler les comptables à y présenter leurs
comptes. A cet effet, il tenait registre des titres
ayant établi les comptables dans leurs fonctions ; il
recevait, en outre, tous les six mois, par
l’intermédiaire de YAuditor of the Receipt, l’un des
principaux officiers attachés à la caisse de
Y Exchequer, un relevé des comptables qui y avaient
remis des fonds.
Depuis ses origines, qui remontent à la conquête de
1066, le Lower Exchequer, appelé aussi Court of
Receipt ou Exchequer of Receipt, était la caisse
centrale des recettes et dépenses du souverain. Le
principe de la centralisation des recettes, qui avait
connu divers aléas, fut réaffirmé en 1554 et
demeura dès lors la règle. Les recettes versées au
Trésor étaient toujours nettes des dépenses des
receveurs pour les frais de collecte et autres. Elles
provenaient des ressources du domaine, des
impositions directes {Land Tax) et indirectes
{excises, customs, etc.) et enfin des ressources
extraordinaires, notamment des emprunts
(annuities, tontines, life annuities, etc.).
Le principe de la centralisation des dépenses et du
contrôle des dépenses dans le Lower Exchequer fut
acquis plus tardivement. Il fallut attendre la
Restauration de Charles II et la détermination de Sir
George Downing, secrétaire de la commission du
Trésor* pour que le roi, siégeant en son conseil,
ordonne le 1er novembre 1667 que désonnais nulle
personne, pas même les secrétaires d’Etat, ne
pourrait préparer ou porter à sa signature aucun
ordre de paiement* sans avoir auparavant infonné
et obtenu l’approbation des commissaires du Trésor
ou du Lord Treasurer. Si ce contrôle préalable
n’empêchait pas forcément les dépenses d’être
rejetées - la décision dépendant en dernier ressort
du roi - le principe du contrôle par le Trésor était
acquis, ce qui pennettait d’ajuster les recettes et la
trésorerie. Cette décision, fondatrice du contrôle des
dépenses par le Trésor en Angleterre, fut entérinée
par un arrêt du Conseil du 31 janvier 1668 et rédigé
sur un panneau en bois accroché dans les bureaux
du Trésor*. Réaffirmée à diverses reprises, cette
décision, jointe aux besoins financiers de la
monarchie pour le financement des guerres anglo-
hollandaises, eut de très importantes conséquences
sur l’organisation des services financiers de la
monarchie britannique. Le Trésor se hissa bientôt
au rang de département ministériel en charge des
finances, ayant pour chef le chancelier de
l’Echiquier (depuis 1554 cet office était joint a celui
de under-secretary of the Treasury*), équivalent du
contrôleur général des finances*. Par ailleurs le
Lower Exchequer, avec ses méthodes ancestrales,
fut réduit au rang d’une simple caisse des recettes et
dépenses, c'est-à-dire, pour des fins comptables, à
l’enregistrement des décisions du Trésor concernant
les recettes et dépenses, à la manutention des
versements et payements en argent comptant, à la
production des tallies et ordres de paiement, enfin a
la production d’états financiers réguliers destinés à
informer le Trésor sur les fonds. La séparation entre
les deux services fut renforcée par l’établissement
du Trésor dans le palais de White Hall, tandis que
l’Echiquier demeura au palais de Westminster.
Il est important de noter que la centralisation des
recettes et dépenses dans la caisse* de l’Echiquier
fut essentiellement comptable. Bien que certaines
recettes et dépenses fussent effectivement reçues et
payées à la caisse de l’Echiquier, l’essentiel des
recettes fiscales, surtout des nouveaux impôts,
demeurait dans les caisses des comptables locaux.
Jusqu’à l’introduction des billets de l’Echiquier, les
tallies permettaient au Trésor d’assigner les
dépenses sur les recettes des caisses locales ou
d’anticiper les revenus. J.F.
Voir Angleterre
Sources: Madox T. (1711).
Bibliographie : Binney J.E.D. (1958), p. 189-220.
Baxter Stephen B. (1957), p. 109-121. Roseveare
H. (1969 et 1973). Chandanam C.D. (1975),
Appendix 1, p. 281-302. Pour une liste complète
des officiers de l’Echiquier, voir Sainty J.C. (1983).
Economat
On donne le nom d’économat au séquestre établi
des biens et revenus des bénéfices consistoriaux qui
se trouvent vacants.
En France, on nomme économe général du clergé*,
ou receveur général des économats, la personne que
le roi charge par une commission* particulière
d’exercer ce séquestre. En France, les droits de
l’économe ont été sujets à de nombreuses
contestations, mais se sont affirmés dans le temps, y
compris vis-à-vis du receveur général du clergé*.
En 1737 par exemple, un arrêt du 2 avril ordonne
que tous les trésoriers, receveurs et payeurs « même
les payeurs de rentes de l’hôtel de ville de Paris »,
payeront ès mains et sur quittance* de l’économe
séquestre toutes les rentes dues aux bénéfices
vacants à la nomination du roi. Inversement,
l’économe général était chargé d’acquitter toutes les
charges ordinaires de la dignité vacante, l’entretien
du service divin, les aumônes, les pensions des
religieux, les réparations, les décimes... Il a existé
provisoirement des offices d’économes, un par
diocèse, mais ils ont été définitivement supprimés
en 1714. L’édit de mai 1578 porte que l’économe
compte par chapitres* à part et séparés des recettes
et dépenses du revenu de chaque bénéfice. En 1691,
on précise qu’il devait rendre compte chaque année
« à l’amiable » de tous les revenus perçus et payer
le reliquat* à ceux que le roi commettrait pour ouïr
les comptes. Ces précautions s’expliquent par la
propension qu’eut le roi de prolonger abusivement
la vacance des bénéfices. Par arrêt du 12 janvier
1734, un bureau fut établi au département des
finances pour recevoir les comptes de l’économe.
La Chambre des comptes* n’était compétente que
pour les bénéfices en régale qui n’étaient pas à la
nomination du roi. Les revenus des économats ont
alimenté plusieurs caisses*. La caisse « des
économats », dite aussi caisse « des conversions »,
fut instituée en 1676 sur l’idée de l’ancien réformé
Paul Pellisson avec pour objectif d’inciter les
protestants à la conversion grâce à l’allocation de
primes. Après la révocation de l’édit de Nantes
(1685), elle fut chargée du financement de la
subsistance des ministres et nouveaux convertis, de
la fondation d’églises, de la création de nouvelles
écoles catholiques. Les recettes de cette caisse
provenaient des revenus des bénéfices consistoriaux
vacants et notamment ceux des abbayes de Cluny et
de Saint-Gennain-des-Prés d’une part, et des
revenus de la régie* des biens des religionnaires
fugitifs*. Un arrêt du 13 mai 1787 porte que le
receveur général des économats établira quatre
caisses différentes, une pour recevoir les revenus
des bénéfices en économats ou vacants, une pour
les revenus des bénéfices affectés au paiement des
pensions des jésuites*, une pour les dépôts des
deniers provenant des successions des bénéfices et
une quatrième pour les taxations accordées par le
receveur général des économats.
Dans le duché de Savoie, les sommes gérées par les
économes étaient versées dans la caisse des
bénéfices vacants tenue par le trésorier général du
duché, sous le contrôle du contrôleur de la caisse et
de l’intendant général qui avait la direction de cette
administration. Les biens mis en régie* étaient ceux
de l’archevêché de Tarentaise, ceux de l’abbaye
d’Entremont et ceux de l’abbaye de Talloires. La
régie des biens de cette dernière abbaye fut confiée
en 1725 à Jean Delachinal aux conditions
suivantes : ses gages s’élevaient à 550 livres par an;
ses déplacements hors de la province pour le
service de l’abbaye étaient rémunérés 3 livres par
jour vaqué; on lui passait dans sa régie « la 4e partie
des revenus usurpés qu’il pourra découvrir et faire
revenir à la mense abbatiale »; « quant au déchet,
on y aura égard quand il rendra son compte année
après année ». Les dits comptes se rendaient par
devant la chambre de Turin. Dans les années 1720,
le conseil des finances multiplia les ordres auprès
de l’intendant pour avoir une vision plus claire de la
situation de ces régies. En septembre 1727, Victor
Amédée II réclama les comptes de tous les
comptables des bénéfices en Savoie dans les 10
jours « à peine de 100 écus d’or ». L’objectif était,
comme pour les autres caisses, d’apurer au plus vite
les comptes pour faire entrer les restes*. M.-L. L.
Voir Biens des religionnaires fugitifs
Sources : AST, Caméra dei conti, Savoia,
inventario 188, lettre de la Chambre des comptes de
Turin, registre 1, f° 128 (lettre du 12 mai 1725), f°
179
224 (lettre du 15 septembre 1727), f3 284-296
(lettre du 29 janvier 1729).
Bibliographie : Laplatte C., « Les évêchés vacants
et la régie des économats», Revue d’histoire de
l’Église de France, 1937, p. 161-225.
Ecritures comptables
Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que l’on
commence à parler d’écritures comptables, et ce
dans les finances publiques car comptabilité et
comptable n’appartiennent pas encore au
vocabulaire commercial. Même si Irson* utilise les
expressions « écriture double » et « écritures à
parties doubles » ou si La Porte parle de « tenir les
écritures », les expressions les plus couramment
utilisées sont formées avec les mots article* ou
partie*. Deux termes qui relèvent à la fois de
l’univers de la finance et de celui de la
marchandise. La signification du premier est
d’autant plus immédiate au lecteur qu’elle n’a guère
changé : « article se dit d'une partie d'un chapitre*
de compte ; la recette d'un compte se divise en
plusieurs chapitres, et chaque chapitre en plusieurs
articles », énonce le Dictionnaire des finances. A
l’inverse, le second ternie n’est plus employé avec
certains des signifiés mentionnés dans le même
ouvrage. On y lit notamment que le mot partie
« appliqué à l'usage des bureaux, se dit d'un article
de compte, d’une somme portée dans un compte »
et qu’il est également utilisé « en parlant d’une
somme d’argent qui est due ou d’un payement que
l’on fait ou qu'on reçoit ». Ainsi trouve-t-on les
expressions « coucher un article » et « passer les
parties » (Hénouville), « parties couchées »
(Barrême) « coucher les parties », coucher cette
partie » et « rapporter cette partie » (Larue) ou
encore simplement « écrire les articles » (La Porte).
Quelle que soit l’expression utilisée pour désigner
l’enregistrement comptable élémentaire — partie,
article ou écriture —, celui-ci doit respecter un
certain nombre de règles, portant aussi bien sur la
forme que sur le contenu. Règles que précisent tant
les textes relatifs à la comptabilité publique que
ceux qui concernent les comptabilités marchandes.
Mais évoquer l’écriture c’est aussi parler de la
manière de former les lettres et donc de la
calligraphie or, de la même façon qu’il existe des
chiffres de finance*, il y a en France au XVIIe
siècle des lettres de finance, une écriture de finance
ou écriture financière et même des lettres de
compte.
Forme et contenu des enregistrements comptables
Dans l’écriture elle-même, on distingue la « ligne
de compte » et le « hors ligne », c’est-à-dire le
coips de l’article et la marge située à sa droite.
L’édition de 1674 du Dictionnaire de l’Académie
française — la toute première — précise : « on dit,
mettre en ligne de compte, tirer en ligne de compte,
pour dire, employer sur la dépense d'un compte ; on
180
dit escrire hors ligne, mettre hors ligne, tirer une
somme hors ligne, pour dire l'escrire à la marge. »
Les chiffres, qu’ils soient romains ou indiens, sont
effectivement « tirés hors ligne », tandis que les
sommes en toutes lettres sont inscrites dans le corps
de l’article. Ensuite, les enregistrements dans un
journal* doivent, par définition, suivre l’ordre
chronologique et il faut éliminer toute possibilité
d’intercaler ultérieurement d’autres articles. L’édit
de juin 1716, oblige tous les officiers comptables à
tenir un registre journal « dans lequel ils écriront
jour par jour, de suite et sans aucun blanc ni
transposition toutes les parties, tant de recette que
de dépense, qu’ils feront dans l’exercice de leurs
charges, employs et commissions. » L’article 9 de
la déclaration du 4 octobre 1723, qui vient
compléter le texte de 1716, introduit une séparation
matérielle entre les articles qui se succèdent : « Au
commencement de chaque page il sera tiré une
ligne depuis la marge jusqu’à la première colonne*
et cette ligne demeurera ouverte par le milieu,
suivant le modèle ci attaché sous le contre-scel de
notre chancellerie, pour mettre dans ce vuide la date
de l’article. Pareille ligne sera tirée après
l’enregistrement de chaque article de recette ou
dépense Le dernier article de chaque page fera
fermé par une ligne qui sera tirée en plein dans
toute la largeur de la page et il ne pourra être laissé
aucun vuide d’un article au suivant. » Cette façon
de faire semble directement inspirée de la pratique
marchande, laquelle procédait ainsi depuis plusieurs
siècles.
Les prescriptions de forme peuvent également
porter sur les dimensions des feuilles et la façon
d’en utiliser l’espace. Aux termes de l’article 17 du
titre XXIX de l’Ordonnance civile de 1667, relatif à
la reddition* des comptes en justice, « les comptes
seront écrits en grand papier, à raison de vingt-deux
lignes pour pages, et quinze syllabes pour lignes ».
Ce type de dispositions s’appliquait déjà à divers
documents produits dans le cadre de procédures
judiciaires, le calcul des émoluments des greffiers
en charge des expéditions étant fonction du nombre
de pages. On le retrouve par exemple dans l’article
80 de l’Ordonnance de janvier 1560: «Toutes
écritures, enquestes, procès verbaux, déclaration de
dépens et autres expéditions de justice [...] seront
faites et délivrées en papier raisonnablement écrites,
à raison de vingt cinq lignes en chacune page et
quinze syllabes en chacune ligne. » On le retrouvera
à propos des comptes rendus à la Chambre dans les
lettres patentes du 4 octobre 1772. Celles-ci fixent
les dimensions du papier — quatorze pouces à
quatorze pouces et demi de haut sur neuf pouces au
moins de large, avec deux marges représentant
chacune un quart de la largeur —, et précisent que
chaque page doit contenir vingt-huit lignes et
chaque ligne neuf à dix syllabes. Ce même texte
abrogeait l’usage des chiffres de finance* et leur
substituait les chiffres indiens.
Diverses règles fixaient également le contenu des
articles de compte. L’article 5 de l’édit de juin 1716
en prévoyait le détail : « chacun desdits comptables
[...] sera tenu d'énoncer dans chaque article qu’il
écrira dans ledit registre journal, le jour du mois et
l'année, le nom du particulier de qui il recevra, ou à
qui il payera, le montant de la somme en toutes
lettres et sans chiffres dans le texte, et la cause du
payement qu'il fera ou qui luy sera fait, si le
payement fait ou reçeû en argent comptant, lettres,
billets ou autres effets ». Généralement, qu’il
s’agisse d’un article au journal ou d’un article de
compte à rendre, la somme en chiffres est « tirée
hors ligne », c’est-à-dire inscrite en marge.
Les divers textes que l’on vient d’évoquer
concernaient les finances royales or, si l’article 5 de
l’Ordonnance du commerce précise que les livres
journaux doivent être « écrits d'une mesme suite par
ordre de date sans aucun blanc », elle ne contient
aucune disposition relative au contenu des articles.
Cependant, la plupart des manuels de tenue des
livres destinés aux marchands formulent à cet égard
des prescriptions, plus ou moins identiques d’un
auteur à l’autre. Pour Mathieu de La Porte, par
exemple, les articles du journal en partie double
doivent être composés de sept parties : la date, le
débiteur, le créancier, la somme, la quantité et la
qualité, l’action et le mode paiement, enfin le prix
unitaire.
Ecriture financière - lettre de finance
La lettre de finance « est ainsi appelée, à cause
qu’elle est en usage chez les financiers » indique
Irson (1662). En effet, comme pour les chiffres de
finance*, le conservatisme du milieu a fait que les
commis des financiers ont continué d’utiliser un
style calligraphique de plus en plus éloigné de celui
de leurs contemporains. Mais la communauté des
maîtres écrivains contribua fortement au maintien
de cette dichotomie entre écriture administrative et
écriture courante.
Dans certaines villes comme Paris, Rouen, Amiens,
Lyon ou Bordeaux, l’enseignement de l’écriture
relevait du monopole de la corporation des maîtres
écrivains, lesquels enseignaient également
l'arithmétique, les changes étrangers et la tenue des
livres. Ceux de Paris furent organisés en métier juré
par lettres patentes de Charles IX, en novembre
1570, et les lettres patentes du 30 janvier 1727 leurs
donnèrent le titre de juré écrivain expéditionnaire et
arithméticien, teneur de livres de comptes, établi
pour les vérifications, comptes et calculs contestés
en justice. En réalité, à partir du début du XVIIIe
siècle, leur monopole de l’enseignement de
l’écriture fut progressivement battu en brèche, par
les petites écoles, payantes, et par les écoles de
charité des paroisses, gratuites, au fur et à mesure
que l’enseignement primaire se démocratisait. Quoi
qu’il en soit, c’est au titre de leur rôle de
normalisateurs de la calligraphie que nous nous
intéressons à eux.
Hébrard (1995) rappelle que Guillaume Le
Gangneur, syndic de la corporation vers 1599,
distinguait deux grandes familles d’écritures, selon
leurs usages : les françaises, traditionnellement
utilisées dans les chancelleries, et les italiennes,
issues des nouvelles écritures cursives de l'Italie et
relevant de l’écriture courante. En 1632, la
corporation fut chargée d’élaborer des modèles
d’écriture, pour ces deux familles, dans le but de
remédier au désordre qui régnait alors en la matière.
C’est le modèle établi par Louis Barbedor (1640),
syndic de la corporation, qui fut retenu pour la lettre
française dite encore ronde ou écriture financière,
tandis que c’est celui de Le Bé, futur maître
d'écriture de Louis XIV, qui fut retenu pour la lettre
italienne ou bâtarde.
Irson, qui précise qu’il existe une variante de la
première, la lettre de compte qui « est plus grosse
que la financière et dont on se sert ordinairement
dans la Chambre des comptes », décrit dans le
détail la façon dont la financière doit être
formée. Voici l’exemple du I, l’une des trois lettres
qui, avec O et F, « sont l’origine et le fondement
des autres » : « L’I en lettre financière se
commence par un petit trait délié appelé ligne
diagonale, qui se fait en montant ; en suite on
décend droit à plomb sur le plein de la plume, qui
fera cette lettre (laquelle contient en hauteur quatre
fois la grosseur du bec de la plume) égale par le
milieu et par le bas, que l’on achève par un petit
trait courbé finy en pointe perdue. »
De fait, cette écriture ne s’utilise pas uniquement
chez les financiers, elle est plus généralement celle
de l’activité administrative, de la justice ou encore
des notaires ; elle est utilisée pour l'expédition,
c’est-à-dire la copie, de tous les actes juridiques et
administratifs. Mais l'écriture française « est aussi
l'une des manifestations d'un style esthétique, le
style classique » écrit Hébrard. Seulement cette
écriture est déjà en train de perdre de son influence
et en proposant ses modèles d’italienne, Le Bé n’a
fait que se ranger à la mode de la Cour. Hébrard
précise : « Le succès de l'italienne est directement
lié à la diffusion des usages de l'écriture au delà des
sphères de l'écriture professionnelle, en particulier
lorsque le message doit être lu et compris
directement par celui à qui il est adressé, sans
l'intermédiaire d'un secrétaire. Elle est aussi,
comme le fut le latin et comme le français est en
train de le devenir, une lingua franca, une écriture
universelle. » Ce que confirment les choix du
monde de la marchandise, tels qu’énoncés par
Mathieu de La Porte : « comme les négocians font
beaucoup d’écritures et que leurs affaires s’étendent
dans tous les endroits du monde, il faut que leur
écriture soit expéditive, facile à fonner et aisée à
lire. De toutes celles qui sont aujourd’hui en usage,
il n’y en a point de plus convenable que Yitalienne
181
(que l’on nomme aussi bâtarde) parce qu’outre
qu’elle a toutes les qualités que je demande ci-
dessus, elle est encore uniquement en usage chez
toutes les nations et par conséquent à préférer ».
Y.L.
Sources : Édit concernant les registres-journaux
qui doivent être tenus par tous les officiers
comptables et autres chargés de la perception,
maniement et distribution des finances du Roy, et
des deniers publics, du mois de juin 1716.
Déclaration du Roi donnée à Versailles le 4
Octobre 1723, concernant les registres journaux.
Lettres patentes qui ordonnent que tous les comptes
qui se rendent dans toutes les Chambres des
comptes seront écrits sur papier... Versailles, 4
octobre 1772. Barbedor L. (1640). Hénouville P.-B.
d’ (1709). Irson C. (1662). La Porte M. de (1704).
Larue J., La bibliothèque des jeunes négocions, ou
l'arithmétique à leur usage... où se trouvent
compris le commerce des matières d'argent... les
changes... et les principes des arbitrages pour
faciliter les opérations de la banque, le tout opéré
et démontré en entier par des lettres missives, du sr.
J. L***, Paris, Briasson, 1747.
Bibliographie : Hébrard J., « Des écritures
exemplaires : l’art du maître écrivain en France
entre XVIe et XVIIIe siècle », Mélanges de l’École
française de Rome, Italie et Méditerranée, vol.
107, n° 2, 1995, p. 473-523. Métayer C., « Nonnes
graphiques et pratiques de l'écriture. Maîtres
écrivains et écrivains publics à Paris aux XVlIe et
XVIIIe siècles », Annales ESC, vol. 56, n° 4,
2001, p. 881-901.
Effet de paiement
Terme général qui désigne un instrument de
paiement et de crédit qui consiste en une promesse
écrite et inconditionnelle de payer une somme
d'argent à une date déterminée en faveur d’une
personne désignée ou au porteur. Jean Orry*
précisait : « Ce que j’appelle argent, c’est ce qu’il y
a actuellement de comptant dans chaque caisse et ce
qui est à recevoir. Ce que j’appelle effets, c’est
toutes les pièces justificatives des dépenses faites
jusques à ce jour, et ce qui fait que je dis qu’il faut
qu’ils soient remis tout en un jour, c’est afin de
fermer la main entièrement à toutes les différentes
personnes qui ont manié et qui manient cet argent »
A défaut d’instruments bancaires, les
administrations anciennes utilisaient de tels effets
(lettres de change ou billets à ordre) dont le suivi
comptable se perfectionna au fil du temps. Les
effets faisaient l’objet d’un enregistrement précis.
Lorsqu’en receveur* ou un trésorier* recevait des
lettres d’envois d’effets, il les rangeait par date
d’échéance, les faisait enregistrer sur les comptes
ouverts de chaque créancier, prenait les lettres de
change, en retirait les quittances*, et les transmettait
au commis charger d’en aller toucher le montant.
182
Si dans le nombre des lettres de change, il s’en
trouvait des refusées, le caissier les faisait protester
par huissier et le remettait avec le protêt au bureau
central pour que le renvoi en soit fait au créancier
qui les avait fournies. Selon l’ordonnance du 16
août 1676, les lettres de change utilisées par les
trésoriers des guerres devaient être payables dans
les trois jours sur les lieux indiqués.
Comme pour toutes créances, l’enregistrement
comptable des effets doit tenir compte du fait qu’ils
ne sont exigibles qu’à ternie et qu’entre temps, ils
doivent logiquement rapporter un intérêt au
cessionnaire. C’est pourquoi il importait d’amener
les comptables à bien distinguer les effets d’une
part (effets exigibles et effets de compensation*) et
les dates d’enregistrement en recette et en dépense
d’autre part. Cette préoccupation apparaît en France
au lendemain de la banqueroute de Law (1720). La
déclaration du 4 octobre 1723 sur la tenue des
registres-journaux* insiste en effet sur ces créances
en ordonnant aux comptables de tenir un journal à
quatre colonnes* permettant de dissocier les
espèces des effets tant en recette qu’en dépense
(article VIII). Cette loi fournit des modèles
d’enregistrement d’articles de recette en effets
exigibles et en effets de compensation* qui font
apparaître, outre la qualité desdits effets, le terme
de leur échéance :
Effet exigible :
Reçu de M.... la somme de neuf mille livres à
compte de....
cy....
Lettre du Sieur ....du 25 juillet dernier sur le
Sieur....à vue de 9 000 livres
Pour valeur j’ayfourni mon récépissé sur....
Effet de compensation :
Reçu du Sieur ....la somme de deux mille livres à
compte de ....
Quittance du Sieur .... Du 25 juillet dernier de 2
000 livres suivant l ’ordonnance de M. L'intendant
du 20 dudit mois à compte des ordres
extraordinaires qui se font à.................
cy en recette et en dépense .........................2 000
livres
Pour valeur j’ay fourni au sieur.... Mon récépissé
de la somme sur...
Tout effet de compensation* devait opérer recette et
dépense dans l’instant qu’il était reçu par le
comptable et porté en dépense pour mémoire
seulement au moment où il est donné en paiement,
tandis que l’effet exigible devait être porté en
recette seulement en entrant dans la caisse, et porté
en dépense le jour où il sortait des mains du
comptable. Le règlement du 8 janvier 1724 pour la
tenue des registres journaux des trésoriers de
F Extraordinaire des guerres précise la nature des
effets de compensation* (les reçus des officiers, des
entrepreneurs ou d’autres particuliers à compte des
sommes à eux dues pour le service) et des effets
exigibles (lettres de change, rescriptions*, billets de
particulier à particulier ou de comptable à
comptable autre que les trésoriers généraux, mais
aussi les ordres de retenues pour doubles emplois
ou erreurs faites dans les comptes, les ordres de
retenues pour fournitures faites aux troupes des
magasins du roi ou pour le compte du roi). Il
indique que les récépissés ou assignations* du
Trésor royal* sont réputés effets exigibles lorsqu’ils
ne sont pas tirés sur le Trésorier général* (article
XXI).
Au bureau de la recette générale de la Régie des
aides*, le premier commis classait les effets par
date d’échéance, les faisait enregistrer sur les
comptes des receveurs particuliers, dressait les
mandats, puis les rangeait par date et par mois dans
un carton. Tous les lundis, il plaçait les lettres
d’envois dans le carton des expéditions. Il tirait tous
les jours des cartons où étaient déposés les effets
vénaux ceux échéant le lendemain. Pour cela, il
faisait l’appel des effets, tandis qu’un commis les
enregistrait une seconde fois sur un carnet, et une
troisième fois sur une feuille volante destinée à
accompagner l’expédition. Les effets partaient dans
l’après-midi chez le caissier, qui les faisait payer le
lendemain. Sur la feuille volante, il indiquait les
lettres de change refusées. M.-L. L.
Voir Billet, Dette publique, Lettre de change
Sources : AEE, CP Espagne 122, fol. 241 v; AN, E
2042, f° 202-271, Arrest du Conseil d’Etat du Roy
portant règlement pour la tenue des registres
journaux des trésoriers de l'Extraordinaire des
guerres, Versailles, 8 janvier 1724; f° 327,
Déclaration du Roy concernant la tenue des
registres journaux, donnée à Versailles le 4 octobre
1723, 8 p.; G2 20, dossier 7, registre « Composition
de la recette générale », 1787.
Emprunt
Voir Dette publique
Encaissement
L’encaissement désigne le mouvement d’un flux
financier vers une caisse* autant que l’acte du
receveur. Initialement réalisé sous forme d’espèces,
il est complété au fur et à mesure de l’évolution des
techniques comptables par les mouvements
d’effets* et les virements de comptes. Il relève à
l’origine du receveur* avant d’être confié au
comptable public* qui cumule les fonctions de
payeur* et parfois de trésorier*. La multiplication
des monnaies en circulation n’affecte pas
l’encaissement à proprement parler mais sa
transcription sur un registre journal* qui doit
convertir les différentes monnaies en monnaie de
compte*, ce qui ouvre des possibilités immenses
d’enrichissement sur le change. A fin de contrôle,
les différents mouvements sont repris
périodiquement sur des bordereaux* de caisse. La
multiplication des caisses sur un territoire facilite
les encaissements en permettant aux débiteurs de se
rendre plus facilement chez le créancier*, mais
parallèlement cette multiplication des caisses
accroît proportionnellement le coût du maniement
des fonds et nuit par là à l’efficacité financière de
l’État. L’encaissement s’oppose au décaissement*.
S.K.
Voir Caisse, Comptable, Monnaie de compte,
Payeur, Receveur, Registre journal
Engagement de dépenses
La loi du 25 mars 1817 est importante à bien des
égards. Au-delà du fait qu’elle fixe un certain
nombre de bases du droit budgétaire français, elle
ouvre aussi toute une série de perspectives au
développement et à la rénovation du système
financier. Son article 150 dispose ainsi que « les
ministres ordonnateurs de tous les départements
présenteront le compte des dépenses qu’ils auront
arrêtées pendant le cours de leur administration, et
ils en établiront la comparaison avec les
ordonnances qu’ils auront délivrées dans le même
espace de temps, et avec les crédits particuliers
ouverts à chacun des chapitres de leurs budgets ».
Cette comptabilité des dépenses arrêtées réapparaît
à l’article 59 de la loi du 26 décembre 1890 sous
l’appellation de comptabilité des dépenses
engagées. Entre les deux textes, il est bien difficile
d’établir une continuité juridique, ce qui explique
l’analyse commune selon laquelle la notion
d’engagement de dépense n’apparaît dans l’ordre
juridico-comptable qu’à la fin du XIXe siècle.
Pourtant, comme en témoigne les promoteurs des
textes financiers de la Restauration, la distinction
était alors clairement faite entre les différentes
phases de la dépense et la comptabilisation de la
première d’entre elle, l’engagement, était
ardemment souhaitée.
L ’émergence du concept d’engagement financier
Dans un ouvrage publié en 1822, non signé et
intitulé De la comptabilité des dépenses publiques,
Masson* propose une nouvelle distinction des
différentes étapes de la dépense publique. Si les
phases de la liquidation, de l’ordonnancement* et
du paiement* sont alors assez clairement
identifiées, il convient selon lui d’établir une phase
préalable qui correspond à la naissance d’un point
de vue financier de la créance ou de la dette* :
l’engagement financier. Il commence par définir le
plus largement possible la dépense : « soit pour un
particulier, soit pour un gouvernement, qu’est-ce
que dépenser ? C’est, à ce qu’il nous semble,
consommer des objets matériels ou des services
personnels, qu’on obtient en le payant, ou en
promettant de les payer ». En intégrant la
« promesse » de payer, Masson distingue très
183
 clairement le mouvement financier (le paiement) de
sa cause. Il illustre son propos par l’exemple d’un
ministre qui fait effectuer un approvisionnement ou
préside à l’accomplissement d’un service et grève
de facto l’État d’une dette pécuniaire avant
d’ajouter que, du point de vue financier, cette dette
est un fait irrévocable. Il n’y a pas de confusion
possible entre l’ordonnancement et l’engagement
chez Masson qui propose bien de « faire remonter
encore plus haut la mention des faits, en prenant
acte de la dépense au moment où elle est
commandée ». La confusion avec la liquidation
n’existe pas davantage chez Masson qui poursuit :
«vainement l’ordonnateur différerait-il ensuite de
liquider une partie des dettes ainsi mises à la charge
de son département, ou d’en ordonnancer le
montant sur le Trésor public*. Cela n’empêcherait
pas que la dépense n 'eût été réalisée ». Il parvient
ensuite à établir le terme en opposant le paiement
qui dégage le gouvernement de l’acte initial qui
/ ’engage.
Cette distinction, profondément novatrice, vaudra à
Masson une réponse cinglante de la part du
directeur de la Dépense du ministère des finances.
De Lafontaine raillera quelques semaines plus tard
dans ses «Lettres à l’auteur de l’écrit anonyme
intitulé : De la comptabilité des dépenses
publiques », la confusion opérée entre dépenser et
contracter une dette. Il illustre lui aussi son propos :
« un particulier mande à son marchand de lui
envoyer, de suite, cinq pièces de vin, en lui
promettant de lui payer, dans six mois, le prix
convenu de 1250 fr. Les cinq pièces arrivent en
effet de suite. Le particulier est bien engagé par ce
fait conforme à l’ordre qu’il a donné et à la
promesse qu’il a faite, et, suivant vous, il faudra
encore que nous disions qu’à l’instant même il a
dépensé 1250 fr. ! Ce n’est qu’à l’expiration des six
mois, lorsqu’il aura payé le prix de ses vins, qu’il
aura en effet dépensé 1250 fr. ». Loin d’apporter un
démenti à Masson, Lafontaine démontre juste son
incapacité à dépasser une acception stricte de la
dépense liée à la notion de décaissement*. Il nie
l’engagement plus qu’il ne l’infirme.
La comptabilité des engagements financiers
A partir du moment où la distinction est clairement
opérée entre l’ordonnancement et l’engagement,
Masson établit l’obligation juridique de tenir sa
comptabilisation derrière l’obligation faite par
l’article 150 de la loi du 25 mars 1817 de tenir une
comptabilité des dépenses arrêtées par les
ministres. Pour lui, bien avant la dépense effectuée
ou ordonnancée, « la dette pécuniaire constitue le
financier de la France, Audiffret établira
fait le plus essentiel à rapporter et à prouver dans le
compte rendu des dépenses de l’année ».
Cette comptabilité des dépenses arrêtées n’est pas
pensée comme un outil du ministère des finances
mais comme un outil de bonne administration à la
disposition des ordonnateurs. C’est pourquoi il est
184
si difficile de l’identifier car elle n’apparaît plus
sous la forme d’un compte au sens strict mais sous
la forme de livres* auxiliaires dans les ordonnances
de 1822 et de 1838.
L’article 18 de l’ordonnance de 1822 ne distingue
pas expressément l’engagement de la liquidation, de
l’ordonnancement et du paiement comme phases de
la dépense publique. Il crée une obligation pour les
ministres de mettre en œuvre au sein de leurs
ministères une comptabilité « complète » de leurs
opérations. Cette comptabilité repose sur la partie
double* et implique la tenue d’un journal* général
et d’un grand livre*. C’est bien au sein de ces
comptes que seront inscrits les ordonnancements et
les paiements, permettant le lien avec les comptes
des comptables publics*. L’article 18 précise
ensuite que ces « mêmes opérations seront décrites
en outre et avec détail sur des livres auxiliaires »
qui devaient, dans l’esprit de Masson, intégrer la
dépense dès son engagement.
Dans sa description de la comptabilité des dépenses
publiques, il précise que cette dernière « peut
s’opérer par une simple annotation sur des livres
auxiliaires, parce que ces commencements
d’opérations ne sont que les préludes des faits
ultérieurs et plus décisifs qu’il importera de
constater ». Ce que réclame Masson dans son
ouvrage, et ce qu’il revendique comme mise en
œuvre tant de la loi de 1817 que de l’ordonnance de
1822, c’est que les administrations substituent une
« comptabilité » à leurs dossiers ou registres
d’ordres qui contiennent de fait les actes constitutifs
des engagements de dépenses. « Qu’on ne dise
point que de telles pièces n’existent pas ou qu’elles
se confondent avec celles qui justifient la
liquidation et l’ordonnancement. Nous
conviendrons qu’elles ne doivent pas être fort
nombreuses. Mais nous pouvons en citer quelques-
unes, et montrer par-là qu’elles peuvent être
distinguées d’avec les autres. Soit par exemple, la
dépense arrêtée pour le voyage scientifique de la
corvette L’Uranie, dont il est fait mention au
budget pour 1822, page 74. Certainement on doit
trouver dans les dossiers relatifs à cette dépense,
une correspondance du capitaine Freycinet qui
l’aura proposée, des rapports des bureaux où l’on en
discute l’utilité, peut-être même des lettres du
ministre qui en fixent les limites et en stipulent les
conditions ».
Les aspirations de Masson* sont celles d’Audiffret*
sur ce point et, si ce dernier est indubitablement
l’auteur de l’ordonnance de 1822, alors le premier
en est un interprète autorisé. Dans son Système
définitivement, quarante ans plus tard, la notion
d’engagement sur la base de la distinction
comptable opérée en 1822. «Un mode uniforme
d’écritures, en partie double, était imposé à tous les
ministères qui étaient tenus (à) la description fidèle
des engagements contractés, des charges consenties,
des liquidations définitives et des ordonnances puissent prendre d’autres épices, salaires ou
délivrées ». Pour autant, ce système comptable vacations pour les visites, rapports et jugements des
reposait sur la capacité et sur la volonté, qui restent procès civils et criminels que celles qui seront
à établir, des ministres à tenir ces livres auxiliaires. taxées par celui qui aura présidé ». Celui-ci devait
S.K. écrire de sa main au bas de la minute du jugement
Voir Comptabilité administrative, Paiement, le montant des épices, et il n’était pas permis aux
Ordonnancement juges de prendre plus d’épices sans aucun prétexte.
Le même édit enjoignit aux avocats de mettre le
Sources : Audiffret C. (1863). Masson V.A. (1822). reçu de leurs salaires au pied de leurs écritures et
Bibliographie : Bonnier F. (1902). Kott S. (2004 et interdit aux greffiers, sous peine d’amendes, de
2007). refuser la communication des arrêts rendus sous
prétexte de non paiement des épices. En 1771, la
réforme judiciaire du chancelier Maupeou serait
Epargne
peut-être parvenue à supprimer la pratique des
Nom donné en France au Trésor royal* jusqu’en
épices, si elle ne fut avortée.
1664. Le Trésor de l’Epargne est une caisse*
La Chambre des comptes fut autorisée à prendre
centrale instituée par les lettres patentes du 18 mars
des épices sur un nombre de comptes arrêtés chaque
1523 et l’ordonnance du 28 décembre de la même
année. Par ces actes, François Ier voulut unifier la année en vertu des lettres patentes du 11 décembre
1581. Il est difficile d’évaluer exactement le
trésorerie et mettre fin à la direction collégiale des
finances que détenaient les Trésoriers de France et montant général de ces frais, mais il est certain
qu’ils augmentèrent sous l’effet du développement
Généraux de finances. Ces « messieurs des
des finances royales et de la multiplication des
finances » étaient en effet maîtres de la recette et de
comptabilités soumises à la vérification. Ainsi, les
la dépense du royaume, chacun pour ce qui les
concernait, à la fois ordonnateurs* et comptables*. épices de la correction*, à la Chambre des comptes
de Paris, passèrent de 1 725 à 3 300 livres entre le
Le Trésorier de l’Epargne désigné en 1523 ne
règne de Louis XII et le temps du ministère de
relevait que du roi seul, recevait les principaux
Colbert*. Il fut d’usage de ne partager les épices
revenus de la monarchie par revenants bons* et
alimentait les caisses de dépenses. En outre, il qu’entre les officiers qui participaient régulièrement
acquittait directement un certain nombre de au contrôle des comptes, à l’exception de ceux qui
subissaient la « piqûre » et les absents. Il n’était pas
charges, à l’instar des autres comptables. Comme
rare, cependant, que les auditeurs* et les
ces derniers enfin, il émettait des billets de
correcteurs* des comptes émissent des
trésorerie*, dits billets de l’Epargne. Le Trésorier
contestations, en se plaignant que les épices
tenait deux regristres, un de recettes et l’autre de
n’étaient pas réparties équitablement et
dépenses, présentés à la Chambre des comptes pour
privilégiaient les officiers supérieurs. Suivant l’édit
vérification. M.-L. L.
du mois d’août 1669, la Chambre des comptes* ne
Voir Trésor royal
pouvait demander aux comptables les épices de
leurs comptes qu’une fois les états finaux* assis et
Bibliographie : Hamon P. (1999). Neurisse A. « Le
transmis au procureur général (article 28). Aucun
trésorier de l’Épargne de François Ier», Revue du
magistrat n’était autorisé à recevoir des épices de la
Trésor, novembre 1998.
main des comptables ; un receveur des épices était
alors chargé d’encaisser les droits et de les
Epices distribuer aux officiers mentionnés sur les états de
Il s’agissait à l’origine des petits présents (dragées,
distribution*. Il n’avait pas le droit de distribuer les
fruits secs, confitures, etc.) offerts par
débets de comptes* des comptables en épices. N.P.
reconnaissance aux juges ou aux rapporteurs par les
plaideurs qui avaient gagné leur procès. Il fallut
Sources : Ordonnances, édits, déclarations...
pourtant peu de temps pour que, malgré des
(1728). BNF, Ms fr., 7705, Remontrances des
ordonnances royales prescrivant de rendre justice
correcteurs et des auditeurs pour les épices (1671).
gratuitement, les épices se convertissent en argent
BNF, coll. NAF, 1565-1570, 1576 (P 119) : Pièces
et que ce don volontaire se transformât en une taxe
concernant la juridiction de la Chambre des
due. Dans la pratique, cette coutume fit naître des
comptes de Paris, les exemptions, privilèges, gages
abus que le pouvoir ne parvint pas à éradiquer.
et épices accordés à ses officiers. Dictionnaire
L’édit de mars 1673 l’officialisa, tout en s’efforçant
portatif, t.2, (1763), p. 58-59.
de restreindre l’usage onéreux des épices:
«Voulons, disait l’article 1er, que par provision et
Equilibre budgétaire
en attendant que l’état de nos affaires nous puisse
Le terme d’équilibre n’apparaîtra formellement en
permettre d’augmenter les gages* de nos officiers
France que dans la deuxième partie du XIXe siècle.
de la judicature pour leur donner le moyen de
Directement hérité de la notion de balance*,
rendre gratuitement la justice à nos sujets, aucuns
l’équilibre implique une relation d’équivalence
de nos juges ou autres, même de nos cours, ne
185
 entre les recettes et les dépenses. Il traduit l’héritage
d’une conception mécaniste de la société et
l’intégration par la pensée libérale de la notion de
neutralité de l’État puis de son prolongement au
sein des comptes de l’État. Audiffret*, dans son
système financier de la France de 1863, fait
référence à l’équilibre du budget en de nombreuses
occasions attestant de la concomitance des tenues
balance et équilibre à partir des années 1850. C’est
au même moment que la notion va évoluer d’une
acception statique vers une acception dynamique.
Les caractéristiques de la balance du budget
comme manifestation du concept d’équilibre
budgétaire
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, comme en témoigne
le dictionnaire de Léon Say, on continue à employer
le tenne balance* pour désigner l’équilibre entre
dépenses et recettes du budget de l’État. Dubois de
l’Estang, sous l’article « budget » indique
qu’« après avoir détenniné les voies et moyens, il
faut en évaluer le produit, afin d’établir la balance
du budget ». Necker*, un siècle plus tôt, avait
affirmé clairement le caractère politique de
l’équilibre budgétaire : « le Souverain d’un
royaume tel que la France, peut toujours, quand il le
veut, maintenir la balance entre ses dépenses et ses
revenus ordinaires ». Le financier insistait par là sur
le fait qu’il était toujours loisible d’augmenter les
prélèvements ou de contenir les dépenses pour
parvenir à la balance. Mais il distinguait aussi
clairement l’équilibre du budget ordinaire, qui lui
paraissait impératif, de l’incidence d’un budget
extraordinaire qui pouvait être reporté dans le
temps. « L’état actuel des finances est tel que
malgré le déficit en 1776 malgré les dépenses
immenses de la guerre, et malgré les intérêts des
Emprunts faits pour y subvenir, les revenus
ordinaires de Votre Majesté excèdent dans ce
moment ses dépenses ordinaires, de dix millions
deux cents mille livres ». Les débats budgétaires de
la Restauration montrent que le concept est intégré
par le Parlement à l’image d’un Royer Collard
défendant la taxe universitaire comme recette
permettant de balancer les dépenses des
Universités.
Audiffret témoigne de l’évolution de la pensée
financière. On trouve dans son Système financier de
la France deux acceptions de l’équilibre. Il peut
désigner l’équilibre du budget* en s’ingéniant à
observer une forme très primaire d’égalité entre les
recettes et les dépenses, voire une forme plus
évoluée qui intègre dans les dépenses les sommes
nécessaires à l’amortissement des emprunts. Mais
Audiffret dépasse cette approche « statique » de
l’équilibre et évoque plus largement l’équilibre des
finances qui dépend non plus d’une politique
strictement financière focalisée sur les recettes et
les dépenses, mais bien de la gestion de l’État. Il
exprime par là la nécessité de politiques
186
ambitieuses en matière de colonies ou de marine
afin de maintenir la prospérité de l’État donnant par
là une ampleur tout à fait remarquable au tenue.
Equilibre apparent ou équilibre réel ?
L’annonce de l’équilibre d’un budget est une chose,
sa vérification en est une autre. Les budgets des
monarchies censitaires illustrent cet écart :
présentés en équilibre, ils s’exécutent en
déséquilibre. Fonnellement, entre 1816 et 1841 (à
l’exception de 1835), les lois de finances de l’année
revendiquent un équilibre strict. Seuls quelques
exercices sont présentés en excédent durant ce quart
de siècle (1832 et dans une moindre mesure 1816,
1819, 1822, 1829, 1833 et 1838 à 1840). On note
ici la concordance entre les écrits d’Audiffret et sa
pratique : le léger excédent servant à s’efforce d’agrandir au fil des années 1520, puis le
l’amortissement des emprunt. En exécution, les
exercices 1819 à 1825 puis 1835 à 1839
respectèrent l’équilibre prévu se soldèrent en déficit
dans les autres cas.
Les multiples moyens susceptibles de modifier en
cours d’exécution un solde présenté en équilibre
sont connus. Le 6 avril 1837, la rapport du député
Gouin, qui avait été rapporteur du budget, signalait
qu’à peine la loi de finances adoptée en équilibre, il
apparaissait des crédits extraordinaires et
supplémentaires qui venaient le compromettre et
notait qu’« il y a quelque chose de contradictoire
entre ce rigorisme que nous apportons dans le vote
de chaque budget pour l’établir en équilibre et la
facilité avec laquelle nous détruisons ensuite cet
équilibre par l’adoption de tous les crédits
supplémentaires qui plus tard nous sont demandés
sans une affectation égale de voies et moyens ». A
la pratique des crédits supplémentaires abondant
des chapitres insuffisamment dotés, se superpose la
pratique d’ouverture de crédits hors budget
correspondant à des « mesures nouvelles ». Par la
loi du 20 juin 1827, le ministère de l’Intérieur se
voyait ainsi doté d’un crédit extraordinaire de plus
de 5,2 millions de francs pour l’achat d’une partie
du Palais bourbons, transformant de fait un
excédent de 1,7 millions en un déficit de 3,5
millions. Il est encore loisible de grever le budget
prévisionnel de budgets extraordinaires. Ces
derniers réapparurent avec la monarchie de Juillet
comme en 1833, 1837 et 1840, pour se généraliser
avec le développement de la colonisation. On peut
encore noter la pratique consistant à recourir à la
dette flottante ou à imputer certaines sommes au
découvert du Trésor qui dissimulent mal un déficit
de trésorerie en cours d’année dont les causes
peuvent être multiples comme par exemple une
mauvaise évaluation initiale. Sur ce dernier point, il
reste enfin au ministre des finances la possibilité de
majorer des recettes ou de minorer des dépenses.
L’ensemble de ces pratiques montre à quel point
c’était l’annonce de l’équilibre qui importait. On
peut parler à ce titre de mythe de l’équilibre. S.K.
personne du monarque depuis l’avènement de
Voir Balance
Charles Quint (1516). Sa composition évolue. Les
Bibliographie: Audiffret C. (1863). Bouvier M., Rois Catholiques ont transmis à Charles Quint la
« Les représentations théoriques de l’équilibre couronne de Castille et les territoires qui lui sont
budgétaire : essai sur la vanité d’un principe », rattachés (la Castille, les trois provinces basques, la
L’équilibre budgétaire, Paris, 1994, p. 23-41. Navarre, les places de la côte africaine, les Canaries
Dubois de l’Estang E., «Budget», Nouveau et les terres des Indes occidentales, « découvertes et
dictionnaire d’économie politique (1891), p. 230- à découvrir », en Amérique et dans le Pacifique) et
270. Tallineau Lucile (dir.), L'équilibre budgétaire, la couronne d’Aragon (royaumes d’Aragon, de
Paris, 1994. Valence, de Majorque et de ses îles adjacentes, de
Sardaigne, de Sicile, de Naples, principauté de
Catalogne). Au milieu du XVIe siècle, les
Erreur
En matière de comptabilité, ce mot s’emploie possessions américaines sont constituées en deux
vice-royautés, la Nouvelle Espagne et le Pérou. S’y
comme synonyme de faute ou d'irrégularité
ajoutent l’héritage bourguignon (provinces des
intervenue dans un compte. D’une manière
Pays-Bas et Franche-Comté), que Charles Quint
générale, on conçoit qu’elle manifeste le non
respect des prescriptions établies pour
duché de Milan, définitivement rattaché à la
l’enregistrement comptable des opérations. Il
monarchie espagnole en 1535. Philippe II (1556-
convient d’apprécier le comportement du comptable
1598) conquiert le Portugal et ses possessions
afin de bien déterminer la nature et les impacts
d’outre-mer, en 1580.
d’une erreur commise. On distingue généralement
Chacun de ces territoires est doté de ses propres
deux types d’erreurs. Le premier concerne celles
institutions — y compris financières et fiscales —
qui sont sensées se glisser dans les comptes par
et il n’existe pas d’organe ayant compétence sur
inattention du comptable ou par son ignorance des
tout l’ensemble. En effet, si le Conseil d’État qui
faits. Ainsi, lors d’une écriture, il pouvait se
siège à Madrid émet parfois des avis ou des projets
tromper de ligne, faire un mauvais calcul, inscrire
pour les finances d’autres territoires que la Castille,
deux fois les mêmes parties* dans le compte, etc.
sollicitant des informations sur ces territoires, il n’a
On considère que c’est une erreur involontaire, qui
aucune compétence juridictionnelle. Les hauts
doit être rectifiée. Le second type d’erreurs
tribunaux chargés de superviser le recouvrement
suppose, en revanche, l’acte qui a été commis
des impôts, de négocier les crédits et de mettre en
intentionnellement ou de mauvaise foi. Elles
œuvre le contrôle financier n’ont de compétence
révèlent alors l’enregistrement d'opérations de
qu’au sein de l’un ou l’autre des territoires de la
dépenses non justifiées, l’omission de recette*, la
monarchie. La doctrine fiscale qui veut que les
falsification ou l'altération des registres comptables,
sujets ne contribuent que pour la défense directe de
etc. De telles irrégularités cachent des
leur propre territoire est le plus souvent interprétée
détournements et un maniement frauduleux des
par les élites locales comme une obligation de
deniers publics. Si, à la suite de la vérification des
dépenser le produit des contributions sur le
comptes effectuée, les services de contrôle
territoire qui les a versées. Le projet d’Union des
découvraient de telles erreurs, ils prononçaient les
Armes que le comte-duc d’Olivares, favori de
jugements permettant d’engager la responsabilité
Philippe IV (1621-1665), s’efforce de mettre en
pécuniaire personnelle du comptable. Pour autant,
œuvre au milieu des années 1620 vise à constituer
on voit bien que, sous l’Ancien régime, le contrôle
un fonds pour financer une armée commune à la
financier a posteriori n’était pas le moyen le plus
monarchie de façon permanente, chaque territoire
efficace pour détecter ces fraudes*. En France, les
contribuant proportionnellement à ses capacités. Il
Chambres des comptes* ne connaissaient en effet
se heurte à de fortes résistances, même si certains
qu’après plusieurs années de retard la gestion des
territoires acceptent d’y participer quelques temps.
comptables. D’autant plus qu’elles ne pouvaient pas
Mais il ne s’agit en aucun cas d’unifier l’ensemble
aller trop loin dans la sévérité des sanctions
des finances de la monarchie. Les transferts
prononcées à l’égard de ces officiers des finances,
d’argent les plus fréquents entre les territoires sont
qui de fait constituaient la principale source de
les remises en Andalousie du droit de quint (5 %)
crédit et jouaient un rôle économique vital pour la
que perçoit le roi sur l’extraction de métaux
monarchie. N.P.
Voir Double emploi, Faux-emploi, Fraude, précieux du sol et du sous-sol américain et les
envois de fonds de Castille aux Pays-Bas ou, à
Omission
moindre échelle, à Milan, pour financer les guerres
européennes. Les trésors américains sont gérés par
Espagne la Casa de Contrataciôn à Séville puis, au XVIIIe
siècle, à Cadix ; les remises aux Pays-Bas, par le
La monarchie espagnole Payeur Général des Pays-Bas et les contrôleurs
La « monarchie espagnole » réunit des territoires de
chargés de surveiller son maniement. En somme, il
statut différent, dont le seul lien est constitué par la
187
 n’existe pas de caisse commune ni d’organe
ordinaire pour la gérer et pas davantage de chambre
des comptes commune à la monarchie. Lorsque le
roi d’Espagne veut connaître l’ensemble de ses
disponibilités, il demande donc aux Conseils de la
polysynodie chargés des grandes régions de la
monarchie qui siègent à sa cour (Conseil des Indes,
Conseil d’Aragon, Conseil d’Italie, Conseil du
Portugal) ainsi qu’au gouverneur général des Pays-
Bas de réclamer des informations aux organismes
locaux, le Conseil des Finances de Madrid se
chargeant de la Castille. L’on dresse alors des
estimations des fonds dont on sait qu’ils pourront
être mobilisés pour rembourser les crédits des gens
d’affaires, sachant que les estimations sont
partielles, sujettes à révision, et qu’elles ne
sauraient être confondues avec un état de la
situation de toutes les caisses de la monarchie à un
instant donné.
Cette organisation évolue considérablement au
XVIIIe siècle, en raison des pertes territoriales de la
monarchie, mais aussi de la politique des Bourbons,
soucieux de promouvoir une administration plus
« exécutive » et plus centralisée. Entre 1648 et
1715, les Provinces-Unies, le Portugal et son
Empire, la Franche-Comté, les Pays-Bas, les
territoires italiens échappent successivement à la
domination du roi d’Espagne. La monarchie se
réduit à la Péninsule Ibérique, les Baléares, les
Canaries et les territoires américains, réorganisés en
quatre vice-royautés à la fin du siècle. Les
dispositions prises au fil de la Guerre de Succession
d’Espagne par Philippe V vont dans le sens d’une
unification du gouvernement des finances sur le
territoire péninsulaire. D’une part, les réformes
fiscales dites de la « Nueva Planta » établissent
dans les territoires de la couronne d’Aragon, à
mesure de leur reconquête, une fiscalité que l’on
veut « équivalente » à l’ensemble des contributions
prélevées dans la couronne de Castille au titre des
« recettes provinciales » (alcabalas, tercias,
services des millions, service ordinaire, service
extraordinaire, cientos). D’autre part, Philippe V
institue un Secrétaire d’Etat et des Dépêches chargé
de la Guerre et des Finances (1705), puis des seules
Finances (1714), dont l’administration concerne
aussi bien F Aragon que la Castille. La
concentration croissante des compétences
financières entre ses mains (surintendant général
des finances, parfois en même temps Gouverneur
du Conseil des Finances) lui pennet d’accéder à une
information globale sur les recettes et les dépenses
du roi dans la Péninsule, les Baléares et les
Canaries (voir les notices Ministre* et Orry, Jean*).
Le Secrétaire d’État et des Dépêches des Indes et
celui de la Guerre, responsable de l’essentiel de la
dépense, créés en 1714 sont supposés collaborer
avec lui pour les questions de finances. Il s’agit de
centraliser l’information donnée à un roi dont on
souhaite qu’il gouverne ses finances « par lui-
188
même » à l’échelle de l’ensemble des territoires
qu’il a conservés. Cette centralisation n’est pas
complète — il faudra attendre les réformes de
Bravo Murillo*, en 1849-1851, pour voir s’établir
durablement un seul « budget général de l’État » et
un seul Trésor Public. Cependant, désonnais, les
recettes fiscales de la couronne d’Aragon et leur
dépense entrent dans les comptes du Trésorier
Général* qui servent de base au Secrétaire aux
Finances pour établir ses états annuels.
Diversité des caisses et multiplicité des donneurs
d'ordres en Castille, XVIe-XVIIe siècle
En Castille comme ailleurs, la pluralité des caisses
et la pluralité des ordonnateurs sont de règle. Les
contemporains distinguent trois grandes catégories
d’impôts royaux, suivant un critère politique plus
qu’économique ou social : les contributions
intégrées au patrimoine du roi, les services et les
Trois Grâces pontificales. Les premières n’ont pas à
être négociées, appartenant à jamais à la couronne.
On y compte aussi bien les droits de douanes
intérieures à la Castille que ceux perçus sur ses
frontières, les droits tirés des produits du sol et du
sous-sol (quint d’Amérique, mines, sel, ...) que les
alcabalas, cette taxe sur les ventes qui s’élève, en
principe, à 10% du prix du produit vendu. Les
services sont conçus comme des concessions
extraordinaires que le royaume ou une partie de
celui-ci (une ville, un corps) fait au roi dans des
circonstances exceptionnelles, pour répondre à des
besoins que les revenus du patrimoine royal ne
couvrent pas. Aussi, leur durée et/ou leur montant
sont-ils limités afin de les proportionner au besoin
ponctuel du monarque. Donnés librement, ils
ouvrent un droit à des récompenses du roi :
certaines d’entre elles feront l’objet de conditions,
d’autres seront demandées sous forme de
suppliques. Ceux que le royaume accorde sont
négociés en Cortès, puis, depuis le règne de
Charles II (1665-1700), de façon bilatérale avec
chaque ville représentée aux Cortès. Enfin, les
Papes ont accordé aux Rois Catholiques Ferdinand
et Isabelle puis à Philippe II des contributions
ecclésiastiques, tirées du produit de la vente des
bulles de la Croisade, de celui des dîmes ou des
rentes ordinaires des évêchés. Là encore, ces
concessions, appelées les « Trois Grâces », sont à
durée limitée et, de fait, ne sont pas renouvelées
lorsque Madrid et Rome sont en conflit ouvert. La
signification économique et sociale de ces
contributions varie de l’une à l’autre ou, pour une
même contribution, selon les districts ou les
époques. C’est vrai pour les droits de douanes, dont
la valeur et la répartition varient selon qu’elles sont
perçues au prorata de la valeur des denrées, de leur
quantité estimée ou réelle, ou par forfait. C’est plus
vrai encore pour les services ordinaires et
extraordinaires, dont Charles Quint a obtenu la
concession régulière, tous les trois ans : supposés
être des impôts directs grevant les seuls roturiers, il
arrive qu’ils soient perçus par le biais de taxes à la
consommation ; les remboursements faits aux
groupes privilégiés qui n’auraient pas dû les payer
sont davantage fonction de leur capacité de
négocier que des montants qu’ils ont réellement
versés. Les services des millions, accordés pour la
première fois à la fin du XVIe siècle (1590), sont de
nature d’autant plus variable que ce sont les villes
représentées aux Cortès qui mettent en œuvre leur
recouvrement. Certains d’entre eux sont universels,
d’autres réservés aux seuls roturiers, pour d’autres
encore, le choix est laissé aux autorités locales. La
plupart d’entre eux sont perçus par le biais de taxes
sur les produits de grande consommation
alimentaire mais, là aussi, avec de grandes
variations locales. L’effort d’uniformisation
entrepris à partir du second service des millions,
voté en 1600 (les mêmes produits sont grevés
partout), ne réduit guère les inégalités régionales de
la pression fiscale. Les alcabalas sont de même
souvent perçues par les villes, qui ont dû accepter, à
leur corps défendant, un abonnement général (1536)
dans lequel la plupart d’entre elles sont entrées pour
éviter les administrateurs ou les fermiers du roi. En
vertu de cet abonnement, si l’impôt n’est pas
négociable, son montant, lui, est négocié et
plafonné. Il devient donc possible de prélever bien
moins que les 10 % de tous les échanges prévus par
la loi. Ici aussi, chaque ville choisit ses produits
taxés et ses montants, et donc les groupes qui
paieront l’impôt. Quant à deux des Trois Grâces
papales, le Subsidio et YExcusado, elles sont elles
aussi perçues par abonnement, ce qui supprime tout
lien entre leur montant et le volume des divers
revenus du clergé.
L’augmentation de la pression fiscale passe au
XVIe siècle par la régularisation des services
ordinaires et extraordinaires, obtenue par Charles
Quint, puis par la hausse de certains droits de
douane et la multiplication des postes de douane, au
début du règne de Philippe II. Au XVIIe siècle, les
services des millions ont pris le relais, plusieurs
services différents se chevauchant dès les années
1620. Leur concession devient parfaitement
régulière — tous les six ans — sous Charles II.
Philippe IV a aussi innové en ajoutant, à des dates
différentes, des pourcentages aux alcabalas, soit
quatre cientos en tout, qui seront prélevés avec les
millions. Il ponctionne aussi les groupes privilégiés
à travers les services des lances payés par la grande
noblesse, les retranchements sur les annuités des
juros détenus par les élites, les droits du papier
timbré, les donatifs réclamés aux riches, la media
annata (demi-annuité) payée par quiconque entre
en possession d’un titre ou d’un office, à
l’exception de ceux qui en sont gracieusement
exemptés.
Ces impôts alimentent autant de caisses distinctes
dont les comptes sont rendus séparément. Les
contemporains ont souligné à F envi les avantages
multiples de cette diversité des caisses*. Elle
pennet aux créanciers du monarque de se faire
payer, en principe, près de chez eux en évitant les
coûts et les risques du transport de numéraire. Elle
donne en même temps au roi la possibilité de
retarder le paiement des dépenses engagées, qu’il
s’agisse des assignations* (libranzas) ou des
annuités des titres de rentes rachetables ou non
(juros al quitar, juros perpetuos) qui grèvent au
XVIe siècle toutes ses recettes « patrimoniales » et,
à partir des années 1620, des quantités croissantes
de produit des services des millions, avec l’accord
exprès des Cortès — si les millions ne sont pas
reconduits, le royaume trouvera une nouvelle
assiette aux juros. En effet, une assignation portant
sur une recette donnée dans un district donné ne
saurait être payable par le trésorier du même impôt
dans le district voisin, ni sur les fonds d’une recette
différente encaissée par le même trésorier, sans
négociation préalable avec le roi à la cour. A partir
du milieu du XVIIe siècle, la tendance est au
regroupement des produits des différentes recettes
perçues dans les provinces dans les mains de
responsables des « arcques » (arqueros) ou coffres,
tandis que le monarque tente, avec un succès limité,
d’en confier le recouvrement à un seul
administrateur par province. Les services
extraordinaire et ordinaire, services des millions,
alcabalas, tercias (des taxes prélevées sur le clergé
et affermées avec les alcabalas) et cientos seront
bientôt appelés « rentes royales et millions » puis,
au début du XVIIIe siècle, « rentes provinciales ».
Cela dit, les juros et les assignations continuent de
grever ces recettes séparément, de même que celles
tirées du retranchement des juros ou des taxes
douanières. Il est ainsi formellement interdit aux
arqueros qui recueillent toutes les « rentes royales
et millions » de payer les annuités de juros ou les
assignations grevant l’une avec la recette de l’autre,
sauf ordre exprès en sens contraire — une solution
exceptionnelle, accordée à des créanciers
privilégiés. Le compte et le contrôle de toutes ces
recettes fiscales se font donc séparément.
Les donneurs d’ordres ne sont pas non plus les
mêmes. Si le roi dispose des alcabalas et des
millions à travers le Conseil des Finances, certaines
recettes sont consignées d’avance à des services
spécifiques, tel l’entretien des galères de la
Méditerranée, celui des places fortes du nord de
l’Afrique ou des maisons des membres de la famille
royale. Dans ces cas-là, ce n’est pas le Conseil des
Finances qui consulte le roi sur leur emploi, mais le
Conseil de Guerre, le Conseil d’État ou les grands
majordomes des maisons royales du roi, de la reine
ou des infants. Plus ponctuellement, le monarque
peut confier la dépense d’une recette spécifique à
un ministre ayant sa faveur, afin d’en contrôler
l’usage de plus près. Lorsque Jean Orry* arrive en
Espagne en 1701, il dénombre ainsi cinq caisses
189
 destinées aux seules dépenses de guerre. Parmi
elles, l’une est confiée au cardinal Portocarrero, qui
a assuré le gouvernement de l’Espagne entre la
mort de Charles II et l’arrivée de Philippe V, et
l’autre au Secrétaire des Dépêches Universelles du
roi, Antonio de Ubilla, marquis de Rivas.
La diversité des caisses n’est donc pas
nécessairement synonyme de confusion ou
d’absence totale de contrôle. Elle est logique, en
cohérence avec l’organisation politique de la
Castille. Outre les bonnes raisons que les
contemporains ont de la maintenir, déjà évoquées, il
convient de rappeler que certaines formes de
perception des contributions limitent l’incertitude
sur leur montant et leur délai de recouvrement.
C’est le cas de l’abonnement qui prévaut pour les
alcabalas pendant une bonne partie du XVIIe
siècle, avant que les villes reviennent, à des dates
différentes, à l’affermage. Pour une partie des
services des millions, le royaume s’engage aussi de
façon solidaire à payer, garantissant au roi sa recette
à l’avance. Pour d’autres, l’expérience acquise
permet d’estimer les recettes à venir. Il est donc
possible au roi d’engager ces recettes à l’avance
auprès des banquiers ou d’en faire l’assiette de
nouveaux juros. Chacun des Conseils ou des juntes
ayant la tutelle sur une recette donnée peut en effet
réclamer au trésorier ou au receveur qui a le
maniement des fonds des estimations (« tanteos »)
des recettes et des dépenses, souvent suffisantes
pour engager une politique à moyen terme ou pour
rassurer les créanciers. Par ailleurs, pour peu que le
roi ait des contacts fréquents avec l’ordonnateur
d’une caisse, il peut en maîtriser la dépense. Les
choses se compliquent lorsque plusieurs Conseils,
juntes ou officiers adressent à un même comptable
des ordres de paiement sur une même recette, sans
que l’ordre de priorité des dépenses soit fixé, ce qui
accorde de fait une large part d’initiative audit
comptable, en principe simple exécutant. En outre,
il est difficile de maîtriser les dépenses du fait
qu’une partie des décisions non financières que le
roi laisse prendre à certains Conseils, entérinant
presque systématiquement leurs propositions, ont
des conséquences financières. C’est le cas de la
nomination d’officiers civils examinée, pour la
Castille, par le Conseil et la Chambre de Castille, et
pour l’Amérique par celui des Indes. Dans l’année,
une partie des promotions et distributions de
faveurs sont assurées, de fait, par les hauts officiers
et supervisées par le Conseil de Guerre.
Comptes et contrôle des comptes en Castille, XVIe-
XVIIe siècle
Le Conseil des Finances n’a jamais eu vocation à
monopoliser tout le gouvernement des finances.
Créé au début des années 1520, alors que les Grand
Chambres des Finances et des Comptes sont bien
institutionnalisées, il a une trajectoire chaotique
jusqu’à la rédaction de ses ordonnances en 1593,
190
disparaissant ou se voyant privé de Président
pendant certaines périodes, au point que la véritable
date de sa création a longtemps suscité les
controverses chez les historiens. Carlos de Carlos
Morales a bien montré que durant ces décennies, il
« n’a pas de définition institutionnelle précise et
doit préciser ses relations avec les autres
organismes dotés de compétences financières ». Ce
sont les « affaires extravagantes » dont il est chargé
par commission qui lui donnent sa légitimité et, en
s’accroissant, lui permettent de se dessiner une
juridiction. Au fil des années 1570 et 1580, il prend
le contrôle de l’organisation du recouvrement et de
la dépense de plusieurs recettes importantes, au
détriment de la Grand Chambre des Finances, ainsi
que de la Trésorerie Générale*. Les ordonnances de
1593 consacrent cette évolution en définissant sa
composition, ses horaires, son lieu de réunion et les
rétributions des membres. Il traitera de
« l’administration en gros de mes finances royales
et de toutes les affaires et choses de finance en
général et de tout ce qui touchera leur amélioration
et leur bon gouvernement ». Il s’agit notamment de
négocier les grands emprunts, mettre en œuvre les
expédients financiers, émettre les assignations,
élaborer des estimations des recettes à venir et des
dépenses annuelles à assurer. La Grand Chambre
des Finances (Contadurla Mayor de Hacienda) doit
dorénavant gérer les mêmes affaires au détail,
affenner les recettes fiscales affermables, organiser
l’abonnement des alcabalas, enregistrer les
cautions de tout comptable chargé du recouvrement
d’impôts, signer les privilèges des juros. Le
Tribunal des Auditeurs (Tribunal de Oidores) est
chargé du contentieux, qu’il s’agisse de procès pour
exemptions fiscales ou de ceux que lui remettent le
Conseil des Finances et la Grand Chambre des
Comptes contre les fermiers, trésoriers, receveurs,
traitants et autres. Enfin, la Grand Chambre des
Comptes (Contadurla Mayor de Cuentas) exerce un
contrôle judiciaire a posteriori sur tout comptable,
chacun étant amené à lui rendre ses comptes à
l’issue de son exercice. Cette répartition des rôles
est respectée au fil des réformes du Conseil des
Finances et des deux Grand Chambres qui émaillent
le XVIIe siècle, comme l’a montré Juan Antonio
Sanchez Belén. La coordination entre ces organes
est certes renforcée, puisque la Grand Chambre des
Finances devient une des salles du Conseil des
Finances en 1602, à côté de la salle dite de
Gouvernement du Conseil. La Grand Chambre des
Comptes connaît la même évolution en 1658. Le
Conseil s’agrandit lorsque Philippe IV, au terme
d’une longue épreuve de force avec le Royaume,
parvient à transformer la Commission des Millions
émanée des villes représentées aux Cortès en
nouvelle salle du Conseil chargée d’administrer les
services des millions. Enfin, le Tribunal des
Auditeurs, chargé du contentieux né des affaires de
finance et de fiscalité, ne dépend plus de la Grand
Chambre des Finances depuis 1602, constituant une
salle du Conseil à part.
Les Grand Chambres sont en charge de la
supervision des comptes à des niveaux différents.
Le détail de leur activité est minutieusement décrit
en 1640 par Tomâs de Aguilar, qui s’est formé dans
la Grand Chambre des Finances depuis 1608, avant
de devenir chef de la Grand Chambre des Comptes
(Contador Mayor de la Contadurla Mayor de
Cuentas). Aguilar désire mettre en évidence la
coordination qui existe entre les deux Grand
Chambres, la salle de Gouvernement du Conseil et
le Tribunal des Auditeurs ainsi que la solide
formation des contrôleurs des deux Grand
Chambres, afin de justifier l’idée d’un avancement
régulier des Contrôleurs des Livres de la Grand
Chambre des Finances aux emplois de Contrôleurs
des Comptes de la Grand Chambre des Comptes et
d’en réclamer la rétribution.
Dans la Grand Chambre des Finances, plusieurs
« Contrôleurs des Livres » (contadores de libros)
remplissent trois fonctions liés au contrôle : ils sont
chargés d’émettre les justificatifs autorisant le
prélèvement des recettes, d’organiser leur
répartition au niveau local, de distribuer les
instruments de paiements ordinaires (annuités des
juros et assignations) qui les grèvent ; ils
transmettent à la Grand Chambre des Comptes des
attestations des paiements reçus par tous ceux qui
devront lui rendre leurs comptes ; enfin, plusieurs
d’entre eux tiennent des livres de recettes et de
dépenses.
Les Contrôleurs de la Raison* {>contadores de la
razôn) sont sans conteste les plus prestigieux —
Aguilar a exercé l’emploi. Ils tiennent « le compte
et la raison » de toutes les recettes que le roi tire des
impôts, y compris les Trois Grâces (qui dépendent
du Conseil de la Croisade), des expédients
financiers divers (ventes de villes, villages,
forteresses, juros ou recettes fiscales, offices, etc.),
des traités passés avec les partisans, des recettes
amenées d’Amérique et de ce qui entre dans la
caisse du Trésorier Général ou en sort. Ils ont aussi
un rôle d’experts, chargés d’évaluer les intérêts
qu’il convient de verser aux partisans ou le prix des
ventes d'alcabalas ou de juridictions à des
particuliers. Enfin, ils donnent à la Grand Chambre
des Comptes des attestations des paiements faits à
tout ambassadeur, Trésorier Général, payeur, etc.
Les Contrôleurs des Recettes et « quitaciones »
{contadores de rentas y quitaciones) correspondent
avec les villes pour l’abonnement des alcabalas et
des tercias et le prélèvement des services ordinaire
et extraordinaire, afin de déterminer le montant des
sommes à payer dans chacune et les délais de
paiement, ce qui leur permet de porter ces sommes
à la charge des receveurs et trésoriers ; ce sont aussi
eux qui enregistrent les garanties et cautions
données par les trésoriers ; enfin, ils tiennent le
compte des salaires et « quitaciones » que le payeur
des Conseils verse aux personnels des Conseils. Les
Contrôleurs des Relations donnent foi des « états
certifiés* » (relaciones juradas) des trésoriers et
receveurs des alcabalas et des tercias ainsi que des
fermiers des recettes affermées ; ils leur dictent la
distribution des juros et des assignations à payer sur
leurs caisses respectives, tenant des livres des
recettes et dépenses de chaque recette fiscale, ainsi
que des comptes des fermiers ou trésoriers faillis.
Les Contrôleurs des Grâces (<contadores de
mercedes) émettent les privilèges des juros vendus
ou donnés par le roi ou revendus entre particuliers
et de leur « mutation » d’une caisse de recette
fiscale à une autre, ils examinent les documents qui
justifient ces opérations et tiennent un compte des
juros qui grèvent les alcabalas, apportant toute
information nécessaire quand un trésorier ou un
fermier veut utiliser ses propres juros comme
garantie de ses affaires. Les états qu’ils sont en
mesure de dresser en peu de temps de l’engagement
de chacune des recettes fiscales et du montant du
principal des juros, à la demande du Conseil des
Finances ou des Cortès, ont constitué des sources
précieuses pour les historiens du crédit royal. Si
toute la dette n’est pas reflétée ici (il y manque les
consignations à moyen ternie et l’énorme masse des
dépenses engagées et non effectuées), ils offrent
aux contemporains dès le XVIe siècle une vue
précise de la dette consolidée. Les Contrôleurs de la
Solde {contadores del sueldo), subordonnés au
Conseil de Guerre mais tenus pour « Contrôleurs
des Livres du Conseil des Finances », tiennent le
compte de ce qui doit être remis au capitaine
général des gardes de Castille et aux autres hauts
responsables militaires au titre du paiement des
soldes. Les Contrôleurs des Peines de la Chambre
{contadores de penas de Câmara), dont le statut est
similaire (ils sont subordonnés au Conseil de
Castille), tiennent le compte de toutes les recettes
tirées des amendes remises au Receveur Général
des Peines et celui des aides de coût {ayudas de
costa) qui en sont tirées pour payer les corrégidors ;
ils informent la Grand Chambre des Comptes des
recettes du Receveur Général des Peines, pour la
reddition de comptes de ce dernier. Enfin,
YEscribano Mayor de Rentas, « Grand Notaire des
Recettes fiscales », émet les documents qui
permettront de prélever les impôts abonnés ou
affermés, enregistrant la répartition des
abonnements ; il envoie des commissions et des
instructions aux administrateurs des impôts mis en
régie directe ; il reçoit les offres des candidats à
l’affennage de recettes, assistant aux enchères. Il
convient de compléter cette liste élaborée par
Aguilar en 1640 par la mention des Contrôleurs des
Millions, qui appartiennent à une salle séparée
depuis 1658. Ils assurent des tâches équivalentes à
celles des contrôleurs des recettes pour les services
des millions.
191
 Rogelio Pérez Bustamante a souligné, à juste titre,
que cette organisation a pour effet de séparer
l’information relative aux dépenses de celle qui
concerne les recettes : il est alors d’autant plus
difficile de se faire une idée de l’ensemble des
recettes royales du roi à un même instant que les
délais de perception et de reddition des comptes des
recettes sont différents. Des efforts sont faits au
XVIe siècle pour y remédier. C’est tout d’abord la
création des Contrôleurs de la Raison*, chargés, à
la fin du règne de Charles Quint, de collecter des
informations auprès des différents contrôleurs des
livres pour tenir un « un compte particulier et
général avec tous». La création, en 1592, d’un
bureau « du livre général des finances royales » ou
« du livre de caisse des finances royales », tenu en
partie double*, à l’initiative de Pedro Luis de
Torregrosa*, confirme, selon Esteban Hernandez
Esteve, que le contrôleur de la raison n’a pu
parvenir à donner de vision de l’état instantané des
finances royales. Il donne satisfaction dans d’autres
domaines, notamment la négociation des traités
avec les banquiers et les ventes du patrimoine royal
et le contrôle de la caisse du Trésorier Général,
comme l’indique le récit de Tomâs de Aguilar. Le
bureau de Torregrosa, au contraire, disparaît au
bout de trois décennies, victime de l’opposition des
autres contrôleurs des livres et des gens d’affaires.
Ce sort opposé des deux réformes invite à
s’interroger sur ce qu’entendaient les promoteurs du
« compte particulier et général avec tous » confié au
Contrôleur de la Raison et sur l’usage qu’ils
comptaient en faire. Il semble que plus qu’un bilan
de l’état de toutes les caisses en simultané et des
relations du roi avec chacun de ses créanciers ou
débiteurs, on attendait de lui une prévision fiable,
tenant en un seul document, de chacune des recettes
à attendre, destinée à servir de base à la prise de
décision du roi et peut-être à offrir aux banquiers la
perspective de garanties suffisantes, sans
bouleverser l’organisation de la Grand Chambre des
Finances.
La Grand Chambre des Comptes, pour sa part, est
le tribunal devant lequel tout comptable rend ses
comptes. Ses procédures sont comparables à celles
de ses équivalents européens, telle la Chambre des
Comptes* décrite dans ce dictionnaire dans le cas
français. C’est la Grand Chambre des Finances qui
lui indique qui doit rendre ses comptes et dans
quels délais, après quoi la Grand Chambre des
Comptes appelle les intéressés à le faire, souvent en
exerçant des pressions sur eux, comme la
confiscation d’une partie de leurs biens, au titre du
solde (alcance) qu’ils devront au roi à l’issue de
leur reddition de comptes. La masse de documents
qu’elle manie est volumineuse. Chargée d’examiner
les comptes rendus par tout trésorier, receveur,
payeur, fermier ou traitant, ainsi que par d’autres
agents qui ont eu des fonds du roi à manier, comme
les ambassadeurs ou les vice-rois, elle collecte toute
192
information utile que lui transmettent les autres
Conseils et les juntes (notamment les estimations
des recettes et dépenses de certaines recettes) ainsi
que les justificatifs que lui adresse la Grand
Chambre des Finances, afin de les comparer aux
comptes qui lui sont rendus. Le travail s’organise
ainsi. Les comptables de recettes extraordinaires et,
depuis 1569, ordinaires, doivent remettre des états
dûment certifiés*, se soumettant d’avance au
paiement de trois fois la somme pour toute
omission de recette* et toute dépense abusivement
grossie. Un Contrôleur des Restes* fixe la somme à
déposer pour le travail de mise en ordre des
comptes, soumettant l’état certifié au procureur
(fiscal) de la Chambre, puis l’état certifié est rendu
au tribunal et confié au contrôleur chargé de mettre
le compte en ordre. La première opération, la mise
en ordre des comptes (ordenaciôn), consiste à
vérifier qu’ils sont rendus en temps voulu, assortis
des pièces justificatives nécessaires, etc. Le
contrôleur qui en est chargé doit placer au début du
compte un folio dans lequel il consigne ses
additions, ses doutes liés au manque d’acquits* ou à
toute autre cause, afin de servir de guide aux
contrôleurs qui jugeront de la reddition des comptes
du comptable. Vient ensuite l’examen qui doit
conduire au jugement des comptes, confié à des
contrôleurs différents. Le choix des officiers
chargés de l’opération est fonction de la charge de
travail de chacun et de l’expérience acquise par les
contrôleurs, dans le meilleur des cas, dans les
offices de Contrôleurs des Livres de la Grand
Chambre des Finances : « les matières sont si
différentes — écrit Aguilar — que ceux qui ont la
meilleure connaissance de chacune d’entre elles
seront les plus aptes à entendre la reddition des
comptes de leur catégorie, car les sujets assez
universels pour qu’on puisse leur confier des
comptes de toute catégorie sont très rares, puisque
cela demande de l’expérience et de nombreuses
années ». Chaque compte est contrôlé deux fois,
chaque contrôleur glosant son exemplaire. Des
délais sont accordés aux comptables pour justifier
les parties qui ne le sont pas, le but de tout
contrôleur, indique encore Aguilar, devant être de
tout mettre en œuvre pour savoir ce que sont
devenus les restes*. Comme en France, on
distingue différents types de parties en souffrance*
selon leur degré de justification. Une fois le
jugement rendu, les restes dus par ceux qui ont
rendu leurs comptes sont consignés dans des livres
spécifiques et des procédures sont engagées pour
les faire payer. Le receveur des restes est chargé
d’encaisser l’argent et de conserver les fonds qui
devront être versés à certains créanciers du roi, tels
les titulaires de juros, qui ont omis de venir se faire
payer ou que les trésoriers ont obligés à attendre. Si
c’est au contraire le roi qui est débiteur, une
certification est remise au comptable, renvoyé alors
devant le Conseil ou la junte qui devra lui donner
satisfaction.
En Espagne comme ailleurs, c’est la lenteur des
procédures de contrôle que les contemporains
mettent en cause. L’augmentation du personnel des
deux Grands Chambres au fil du XVIIe siècle, liée
à l’accroissement des affaires extraordinaires, ne
fait rien à l’affaire. Il n’est en effet pas rare de voir
la Grand Chambre des Comptes entreprendre
F examen d’un compte plusieurs années après la fin
de l’exercice d’un comptable, voire après sa mort.
Si fiable que soit la vérification, ce retard réduit
quelque peu son efficacité en termes de répression
de la fraude*. A cet égard, Jean Orry remarque en
1702 que la possibilité qu’a ce tribunal de
poursuivre les héritiers d’un financier indélicat est à
double tranchant : si elle intimide les gens
malhonnêtes, elle tend aussi à décourager les
meilleurs de s’engager dans le service du roi,
personne n’étant à l’abri d’une erreur. Par ailleurs,
l’absence de visibilité globale sur les recettes et les
dépenses de Castille que Rogelio Pérez Bustamante
a soulignée pour le XVIe siècle reste de mise au
siècle suivant. Cela dit, il serait imprudent
d’attribuer aux contemporains les objectifs
comptables des tenants des sciences camérales*. La
possibilité qu’a le roi de disposer rapidement de
relations de l’état de ses principales recettes (les
revenus des Indes, les services des millions,
alcabalas et cientos, les Trois Grâces ou les
almojarifazgos qui grèvent le commerce avec
l’Amérique) est suffisante pour engager des
dépenses et obtenir des crédits. Cette infonnation
destinée au roi et à son entourage est communiquée
aux gens d’affaires intéressés aux finances royales
de façon partielle, en fonction des opérations dans
lesquelles ils s’engagent ou sont prêts à s’engager.
Or, pendant le règne de Charles II, nombre de
financiers, ou de leurs parents, entrent dans le
Conseil des Finances et les deux Grands Chambres
ainsi que dans plusieurs gouvernements des villes
représentées aux Cortès, comme l’ont montré Juan
Antonio Sanchez Belén et Carmen Sanz Ayân.
Jean-Pierre Dedieu remarque que le même
processus est à l’œuvre dans le Conseil des Indes.
Ces financiers ne sont plus seulement comptables,
mais Conseillers, Contrôleurs des Grands
Chambres, Secrétaires. Juan Antonio Sanchez
Belén et Carmen Sanz Ayân voient là une stratégie
visant à leur permettre d’accéder de façon régulière
à F infonnation nécessaire au bon déroulement de
leurs affaires, voir d’influer sur les choix du roi et
des villes en matière de fiscalité ou de gestion de la
dette. De son côté, le roi compte sur leur expertise
et leur fidélité. A cet égard, la politique
d’intégration des gens d’affaires à l’administration
des Finances menée par les Bourbons au XVIIIe
siècle (ils sont directeurs des rentes qu’ils ont
autrefois affennées, Trésoriers Généraux, voire
Secrétaires des Dépêches chargés des Finances)
revient à rendre régulières, soit ordinaires, des
pratiques jusque-là informelles mais fréquentes.
Réformes du contrôle comptable, en Castille et
ailleurs, XVIIe siècle
Les formes du contrôle comptable en Castille au
XVIIe siècle n’ont guère été étudiées, au contraire
de ce qui se passe dans certains des territoires de la
monarchie. Ce manque d’intérêt tient peut-être, du
côté des historiens de la comptabilité, au fait
qu’après la tentative de Torregrosa*, l’on ne tente
plus d’utiliser la tenue des livres en partie double*
dans les bureaux de la Grand Chambre des
Finances. Peut-être aussi faut-il l’attribuer au fait
que les projets de réforme, s’il y en a, restent à
l’état de projet, sans se traduire par des documents
réglementaires, plus visibles pour le chercheur ?
Aussi peut-on se demander si l’absence apparente
de réforme observée en Castille avant 1691, qui
contraste avec les initiatives mises à exécution à
Naples et aux Pays-Bas, est réelle ou si elle est le
fruit de l’état actuel de la recherche dans ce
domaine. Dans le premier cas, il serait tentant d’en
déduire que, soit le mode de contrôle comptable en
usage donne satisfaction aux Castillans, soit il
s’avère impossible de le réformer, face à
l’opposition d’institutions intéressées au maintien
de leurs prérogatives. Les travaux qu’Alicia
Esteban Estringana a consacrés à l’évolution du
contrôle comptable exercé sur le Payeur Général
des Pays-Bas montrent ainsi que chaque fois qu’une
réforme dans ce domaine affecte directement la
Grand Chambre des Comptes de Madrid, celle-ci
parvient à la neutraliser. En outre, pour des raisons
politiques et financières (le coût de la « réfonne »
des officiers), il s’avère difficile de modifier la
composition de ce tribunal, comme l’a montré J.-A.
Sanchez Belén. Il ne faut pas en conclure à
F immobilisme des organes de gouvernement des
finances castillanes. Des nouveautés ont été
introduites, telles celles qui affectent la Trésorerie
Générale* à partir du milieu des années 1580 : la
mise en place d’un coffre à trois clefs*, qui impose
un contrôle croisé à tout mouvement de caisse, et
l’alternance annuelle entre deux titulaires de
l’office, qui a pour effet de relever la fréquence des
redditions de comptes devant la Grand Chambre
des Comptes. Si la seconde est abandonnée en
1621, le coffre à trois clefs demeure. Mais c’est
dans les territoires de « frontière », confrontés à la
guerre ou à sa menace directe, qu’il est plus facile
de justifier des réformes plus ambitieuses et de les
imposer, en matière de finances comme ailleurs,
même si, dans tous les cas étudiés, la réfonne passe
par le compromis avec les officiers de finance les
plus influents, les gens d’affaires et les élites
locales. Aussi est-ce à Naples, à Milan, à Bruxelles
que des initiatives sont prises et parfois mises en
œuvre. Sans briser le cadre défini par la multiplicité
des caisses, des comptes et des ordonnateurs, elles
193
modifient l’équilibre des compétences entre les
différentes institutions financières et elles vont
parfois de pair avec une gestion plus exécutive de
certains fonds.
Dans le duché de Milan, l’importance stratégique
de la place de Milan, située sur le « chemin
espagnol », conduit la monarchie à s’efforcer de
renforcer le contrôle exercé sur les fonds destinés
aux années. Les recettes fiscales perçues dans le
duché dépendent alors de deux tribunaux, le
Magistrat ordinaire et le Magistrat extraordinaire.
Au début du XVlIe siècle, le comte de Fuentes,
gouverneur du duché, tente de soustraire au
contrôle du second une partie de ses recettes, pour
les placer sous la tutelle du premier, dont il maîtrise
mieux les opérations. Il n’y parvient pas, mais
exerce une pression suffisante sur le Magistrat
extraordinaire pour imposer en 1611 à l’officier
chargé de la comptabilité la tenue de livres des
entrées en partie double*, ainsi que l’envoi mensuel
de « bilanzeti » au Magistrat ordinaire, qui intègre
l’infonnation au bilan général de l’État destiné à la
Cour. A la même époque, le Trésorier général,
responsable d’une caisse de l’État et d’une caisse
des paiements aux années, reçoit des instructions
minutieuses (1603) relatives aux procédures
d’enregistrement des dépenses et des recettes et au
contrôle que doivent exercer conjointement sur
elles deux contrôleurs, celui chargé de
l’établissement des ordres de paiement officiels et
de l’enregistrement des opérations (le contador) et
celui chargé du contrôle visuel des opérations (le
veedor). Ici encore, il est question de « grands
livres » et de « journaux » et, plus explicitement, de
« doubles écritures », soit de tenue d’une partie des
registres en partie double*. Dans le même temps,
l’autorité directe du Gouverneur sur le Trésorier
général est renforcée, puisque le paiement de la
solde se fait « en vertu de simples ordres du
gouverneur : celui-ci fixe par avance, sur la base
d’une estimation haute, la quantité d’argent
nécessaire et en dispose le virement de la caisse de
l’État à celle de l’armée qui le répartit alors », écrit
Marco Ostoni. Toute la difficulté consiste alors à
exercer un contrôle a posteriori de ces dépenses. Il
convient de remarquer qu’ici, la demande d’un
contrôle plus efficace, mais aussi plus simple, vient
à la fois du Magistrat Ordinaire, mais aussi du
Trésorier, soucieux de savoir ce que font ses
caissiers dans le duché. Dans un premier temps, un
officier du Magistrat ordinaire est spécialement
affecté à la révision des acquits produits par ces
paiements (1628), malgré la mauvaise humeur du
Magistrat, surchargé de travail, et du Trésorier, qui
doit rémunérer l’intéressé. Dans un second temps
(1641), le Trésorier se voit rappeler les règles de
tenue des livres énoncées en 1603. La couronne n’a
pu imposer toutes les réformes envisagées au cours
des années 1630, notamment la mise en place d’un
second Trésorier alternatif. Cela dit, d’après M.
194
Ostoni, en s’attachant à des dispositions techniques
— les modes de tenue des livres des officiers —,
elle parvient à s’approcher des résultats qu’elle
n’avait pu obtenir par la voie ouvertement politique
— en s’attaquant frontalement aux compétences des
deux Magistrats —, à savoir une connaissance plus
fine de l’emploi des fonds destinés aux troupes.
Dans le royaume de Naples, c’est le vice-roi, le
comte de Lemos (1610-1616), qui prend l’initiative.
Soucieux d’obtenir des « bilanzi » rigoureux, il
insiste sur la nécessité d’allouer des fonds
spécifiques au désengagement des rentes qui
grèvent les recettes fiscales et aux dépenses
militaires. Pour cela, il institue une nouvelle Caisse
Militaire dotée de fonds propres et inaliénables,
confiée à un tout nouveau Trésorier qui dépend
directement de lui (1612). Elle doit être alimentée, à
l’avenir, par toutes les recettes fiscales qui seront
désengagées par le rachat des rentes qui les grèvent.
Outre les dépenses purement militaires, elle
financera celles, plus politiques, attachées à la
personne du vice-roi et à ses bureaux et celles de la
maison du roi. Au même moment, la structure
verticale de l’administration est renforcée, des
salariés venant remplacer des titulaires d’offices
vénaux, comme l’a souligné Giovanni Muto. Là
encore, cette gestion plus exécutive, qui repose sur
la confiance établie entre le vice-roi et le Trésorier,
s’accompagne du recours à la partie double*. Si
l’opposition du haut tribunal des comptes, la
Sommaria, relayée par le Conseil d’Italie à Madrid,
oblige Lemos à mettre de l’eau dans son vin — le
Trésorier sera soumis au contrôle dudit tribunal —,
la nouvelle caisse reste en place au XVIIe siècle. A
court terme, les dispositions prises ont les effets
escomptés. Giuseppe Galasso indique ainsi qu’en
1616, la situation des finances du royaume de
Naples est meilleure que celle de la Castille : une
partie de la dette a été consolidée, 1’ « abus dans les
comptes » a été réduit. Plus tard, cependant, la
caisse militaire est victime de la guerre et des
difficultés monétaires du royaume ; tandis qu’une
partie de ses dotations fiscales s’avèrent de
médiocre valeur, ses fonds sont souvent déviés de
leur destination militaire. Pour ce qui concerne la
visibilité des fonds, le bilan est plus mitigé. Lemos
exige que soient établis des bilans annuels
(«bilanzi»), l’un prospectif, l’autre, une relation
détaillée de ce qui a été perçu par la Trésorerie
(pour les recettes ordinaires) et la Caisse Militaire,
tenant compte de ce qui aurait dû l’être et n’a pas
été encaissé, ainsi que des dépenses faites alors
qu’elles n’étaient pas prévues. En principe, ce
second état doit être adressé à Madrid dans les
quatre mois suivant l’année dont on dresse le bilan.
Cela dit, les retards sont répétés au long du siècle.
G. Galasso l’attribue à plusieurs facteurs : les délais
de perception varient d’un impôt à l’autre ; les
fermiers tardent à délivrer l’information requise ;
l’impôt direct est perçu suivant des modalités si
variables d’un terroir à l’autre qu’il est difficile
d’en tirer une information homogène. Toutefois, le
même historien souligne l’effort continu des rois
d’Espagne, jusqu’au règne de Charles II, qui
multiplient les dispositions visant à accélérer
l’élaboration du bilan, par exemple en demandant
qu’il ne soit plus examiné par le Conseil Collatéral
de Naples avant son envoi à Madrid. Aussi, à la
veille de la Guerre de Succession d’Espagne,
dispose-t-on encore d’un bilan annuel précis, le
« Bilan du patrimoine royal et de la Caisse
militaire (Bilancio del Real patrimonio e délia
Cassa militare), formé par les bilans annuels
prévisionnels, les États généraux des recettes et des
charges (Stati generali delle rendite e dei pesi),
obtenus en calculant la moyenne sur les trois
dernières années de chaque ligne de dépenses, et
par les bilans comptables effectifs, les États au vrai
des encaisses et des paiements (Bilanci dell'esatto e
del pagato), compilés tous les six mois en reportant
les sommes effectivement reçues et déboursées ».
De leur étude, Gaetano Sabatini a tiré une analyse
fine de la réorientation des dépenses liées à la
guerre de Succession.
Les Pays-Bas sont le territoire le plus durablement
confronté à des affrontements militaires et celui qui
reçoit le plus de fonds de Madrid. Les finances
militaires, alimentées par ces remises, y sont
distinctes des caisses alimentées par les
contributions locales. Les fonds destinés à Tannée
sont dans la main d’un Payeur Général, sous
l’autorité du Gouverneur Général. Les seconds sont
administrés par le Conseil des Finances sis à
Bruxelles (Consejo de Finanzas). Même si les
Gouverneurs Généraux des Pays-Bas obtiennent
qu’une partie des contributions contrôlées par les
États soient employées à des fins militaires, cette
séparation entre les caisses demeure. Alicia Esteban
Estringana a étudié les formes du contrôle
comptable auquel sont soumis le comptable (le
Payeur Général) et l’ordonnateur (le Gouverneur
Général des Pays-Bas, ou, parfois, le Surintendant
des Finances) et surtout, les multiples réformes ou
tentatives de réforme dont il fait l’objet entre les
années 1590 et le début du règne de Charles II.
Plusieurs solutions sont tentées, parfois combinées.
C’est le cas de la partie double*, instituée en 1592
et abandonnée pour des raisons semblables à celles
qui ont prévalu en Castille. Le Payeur est tenu
d’utiliser un coffre à trois clefs*, détenues par lui et
les deux officiers de la solde, depuis la même
époque. Enfin, des efforts sont faits pour rendre
effectif le contrôle simultané des opérations de
paiement ou de rentrées de fonds, tout en
simplifiant la procédure alors en usage : faits sur
simple mandat* du Surintendant des Finances ou du
Gouverneur des Pays-Bas selon les périodes, ils
seront justifiés par la présentation des quittances ou
des reçus des bénéficiaires, sans passer par
l’examen préalable des officiers de la solde, le
contrôleur (contador) et le veedor, contrôleur
chargé en principe de vérifier visuellement toutes
ses opérations au moment où elles sont réalisées.
Cette solution fonctionne notamment durant le
règne des Archiducs Albert et Isabelle (1598-1621),
tant qu’Ambrogio Spinola, chef des armées et
Surintendant des Finances, bénéficie de la faveur de
l’Archiduc et de Madrid. On compte sur le talent de
ce Génois pour mobiliser des fonds propres ou ceux
des banquiers et se créer, en usant généreusement
des billets, un réseau de fidèles parmi les officiers
militaires et les élites locales. Quand son patronage
en vient à éclipser celui du roi et que, par ailleurs,
les revers militaires se multiplient, la cour
d’Espagne s’efforce de réduire l’autonomie des
ordonnateurs à Bruxelles, alors que les Pays-Bas
sont à nouveau placés sous la souveraineté du roi
d’Espagne (depuis 1621). Pendant le règne de
Philippe IV, la co-titularité de l’office de Payeur
Général, dont l’exercice doit être annuel pour
chacun des Payeurs alternatifs, est instaurée (1626)
suivant le modèle explicite de la Trésorerie
Générale de Castille. En même temps, l’accent est
mis sur la nécessité d’un contrôle rapproché. Celui-
ci serait confié à la Salle des Comptes de Bruxelles
(qui dépend de la Grand Chambre des Comptes),
une attente formulée par certains Payeurs Généraux
qui expliquent que la justification de leurs comptes
est compliquée par la lenteur des communications
avec Madrid. Une alternative est l’institution d’une
nouvelle Salle des Payeurs Généraux, formée par
des officiers mandatés depuis Madrid par la Grand
Chambre des Comptes, solution adoptée en 1642-
1647. Par la suite, l’activité de cette nouvelle Salle
sera intermittente, reflet des rapports de force
établis avec le tribunal de Madrid. Cette dernière
réforme ne satisfait qu’en partie aux attentes de ses
promoteurs. Ainsi, les comptes du Payeurs
Généraux en exercice en 1626-1632 sont révisés et
clos, mais ceux de son successeur, dont le bref
mandat se termine en 1634, ne sont toujours pas
clos en 1647.
L’étude de la politique de contrôle du Payeur
Général des Pays-Bas sur le long terme appelle
plusieurs remarques, que Ton pourrait sans doute
étendre à celles d’autres territoires de la monarchie
espagnole. D’une part, la couronne se caractérise
par le pragmatisme. Ainsi, lorsque l’urgence le
justifie, elle n’hésite pas à réunir dans les mains
d’un seul individu des fonctions qu’elle s’efforce de
séparer en temps ordinaire, comme celles
d’ordonnateur et de contrôleur. La confiance
accordée à l’individu prime alors sur les règles
techniques. D’autre part, Madrid doit concilier des
objectifs contradictoires, qui ne tiennent pas tous à
la clarté des comptes, la maîtrise des dépenses et la
répression de la fraude. Ainsi, le Payeur fait des
avances à sa caisse et gagne la patience de ses
créanciers par son crédit personnel. Au cours des
années 1620 et 1630, des contrôleurs et des payeurs
195
soulignent que si l’office de Payeur général est
annuel, il ne se hasardera plus à faire des avances,
tandis que les éventuels créanciers ne lui feront plus
crédit. Ce discours est entendu avec bienveillance
tant à Bruxelles qu’à Madrid, ce qui explique que
l’annualité ne soit pas appliquée à la lettre.
En Castille, les changements les plus remarquables
dans le domaine du contrôle comptable sont mis en
place à la fin du règne de Charles IL L’objectif
prioritaire n’en est pas le contrôle comptable
proprement dit. Il s’agit avant tout d’élever le
rendement des impôts existants, puisque le roi a
renoncé à les accroître (au contraire, Charles II a
renoncé à certains arriérés et les « pour cents » ont
été ramenés à la moitié de leur valeur en 1686). En
même temps, les réformes entreprises à partir des
années 1680 visent à limiter le contrôle que les
oligarchies des capitales de provinces et de districts
(partidos) exercent sur certaines de ces
contributions à partir du moment où les fonds sont
remis dans les caisses des arqueros. En revanche,
comme l’a bien montré Jean-Pierre Dedieu et José
Ignacio Ruiz Rodriguez, la mainmise qu’elles
exercent sur la perception locale n’est pas menacée
et ne le sera guère au siècle suivant. Dans le
prolongement des dispositions adoptées au milieu
du XVIIe siècle dans quelques provinces
seulement, il s’agit de désigner un seul
administrateur des « rentes royales et millions » par
province, chargé de coordonner la mise en œuvre de
la perception locale en négociant avec les autorités
municipales. L’idéal, pas toujours réalisé, est celui
d’un abonnement global des impôts par province.
On observe ici plusieurs va-et-vient liés aux conflits
d’intérêt que suscite cette politique tant dans les
territoires qu’à la cour, où le Conseil des Finances
et celui de Castille se disputent la tutelle à exercer
sur ces administrateurs. Finalement, en juillet 1691,
le Conseil des Finances obtient l’envoi de
« surintendants des rentes royales et millions »
chargés d’organiser la perception de ces recettes et
de négocier éventuellement des rabais avec les
villes. Si le Conseil de Castille parvient à infléchir
le sens de la réforme quelques mois plus tard,
obtenant que les fonctions de ces surintendants
soient confiées aux corrégidors des capitales de
provinces (désignés par lui), la centralisation
perdure : en tant que surintendants des rentes
royales et millions, les corrégidors rendent des
comptes au Conseil des Finances. Dans le même
temps, la réduction du nombre de caisses amorcée
par la création des arqueros se poursuit. Au début
des années 1680, Jean-Pierre Dedieu et José Ignacio
Ruiz Rodriguez dénombrent encore plus d’une
centaine de caisses de recettes fiscales. Les districts
des différentes recettes ne sont pas uniformes : il
arrive ainsi qu’un village ait à payer ses alcabalas
dans une caisse et ses services ordinaires dans un
autre district. La réforme de 1682 introduit une
unification pour les millions : leur produit sera
196
concentré dans les caisses des capitales de province.
Enfin, en 1691, les districts sont uniformisés, sur la
base de ceux des services des millions et des « pour
cents » (cientos). Le nombre de caisses est réduit à
quatre-vingt-quatre et receveurs et trésoriers
doivent être confinnés dans leur charge par le
Conseil des Finances. Désonnais, en principe, tous
les paiements ordonnés par le Conseil des Finances
sont effectués par les quatre-vingt-quatre caisses
des districts (partidos), sous le contrôle du
surintendant et de ses délégués.
Outre la réduction du coût de perception, il s’agit
bien ici de renforcer le contrôle que Madrid exerce
sur l’argent une fois rentré dans les caisses, au
détriment des élites locales. Aussi, les mesures
décrites sont-elles complétées par de nouvelles
nonnes de tenue des livres. Le 6 février 1688, une
instruction du roi aux surintendants et
administrateurs des rentes royales et millions et aux
contrôleurs des districts leur donne un modèle
d’organisation des comptes des recettes. Les
seconds, de même que les « officiers de la solde »
de l’année (contador, veedor) qui sont affectés au
contrôle des payeurs, apposent leur visa sur les
reçus, quittances et assignations que le comptable
joint à sa reddition de comptes pour la justifier, et
tiennent leurs propres registres, qui pennettront
éventuellement à la Grand Chambre des Comptes
de vérifier l’exactitude des infonnations délivrées
par le comptable. En vertu de l’instruction de 1688,
comptables et contrôleurs des caisses des provinces
distingueront soigneusement chaque recette
(chacune servant d’assiette à des juros distincts) et
chaque ville et dresseront une relation globale par
district. Celle-ci distinguera deux catégories de
recettes, celles administrées par le Conseil des
Finances plénier et celles qu’administre la Salle des
Millions dudit Conseil. Quant aux dépenses, elles
suivront un ordre précis de priorités : après le
prélèvement de la « cause publique » sur une partie
des recettes des arqueros, seront payés les juros qui
ont une assiette, par strict ordre d’ancienneté, puis
les parts correspondant aux 500 000 écus alloués
aux hommes d’affaires et aux 200 000 réservés aux
grâces royales. En 1691, ces dispositions techniques
sont complétées par une mesure politique qui va de
pair avec la création des surintendants des rentes
royales et millions : dans chaque district, le Conseil
des Finances nomme désormais un contrôleur des
comptes chargés de tenir des livres des recettes
pour les adresser au contrôleur des comptes du
surintendant de la province. Certes, les autres
contrôleurs de chaque recette, dont les offices
appartiennent à des familles ou à des villes, ne
disparaissent pas, mais ils sont tenus de collaborer
avec eux. Ces nouvelles règles s’imposent
durablement. Au début du XVIIIe siècle, lorsque
Jean Orry* dresse un état des recettes et dépenses
du roi d’Espagne dans les provinces de Castille, il
n’a qu’à faire la somme des comptes des
contrôleurs provinciaux. J.-A. Sanchez Belén
souligne que cette meilleure visibilité sur une part
importante des recettes fiscales du roi a contribué,
des le début des années 1690, à entretenir la
confiance des hommes d’affaires, « ce qui explique
(...) la facilité avec laquelle [la couronne] obtient
des prêts, malgré le chaos politique que l’on connaît
à la fin du XVIIe siècle ». De fait, il est tentant de
supposer que ce sont ces créanciers du roi, de
surcroît influents dans ses Conseils, qui réclament
une plus grande clarté dans les comptes. Le premier
objectif des réfonnes du contrôle comptable est
bien le souci d’entretenir la confiance des financiers
du roi.
Le succès des mesures décrites dans le cas de la
Castille doit être nuancé. Si la concentration des
caisses des contributions provinciales,
l’uniformisation de leurs districts de perception et
l’institution de figures d’administrateurs et de
contrôleurs mieux contrôlées par les Conseils de
Madrid ont permis d’améliorer la qualité des
infonnations dont disposent le roi et son entourage
sur ces ressources, l’organisation des finances
demeure caractérisée par la multiplicité des caisses
(seulement réduite) et des instances de décision,
aggravée par les conflits qui opposent ces dernières.
Panni ses conséquences, les difficultés rencontrées
par ceux qui veulent dresser un état exhaustif de
l’argent disponible dans les caisses espagnoles et
américaines à un moment donné ou de l’ensemble
des recettes et des dépenses d’une année. Les
plaintes se succèdent. Citons le duc de Montalto,
Conseiller d’État et membre d’une éphémère junte
de gouvernement en 1692 : « Tant de ministres, tant
de livres, une si mauvaise économie dans la
politique mise en œuvre, une si grande confusion
dans ses effets, ont pour seul effet de nous
persuader que le gouvernement du trésor est une
faculté incompréhensible, alors que d’autres
royaumes, à moindre coût et sans rencontrer de
difficulté ni d’obstacle, ont à toute heure un compte
juste et une raison claire de la perception et de la
distribution de leurs trésors ». En 1701, Jean Orry*
a beau jeu de dénoncer la confusion qui règne,
insistant en particulier sur la multiplicité
préjudiciable des caisses de recettes employées à la
guerre et l’absence de coordination entre ceux qui
décident de leurs dépenses. Il n’a guère de
difficulté, non plus, à trouver dans le sein des
Conseils et des Secrétariats de Madrid des
Espagnols désireux d’y porter remède.
Les réfonnes des Bourbons : le Trésorier Général et
le contrôle comptable
Le détail des efforts entrepris pendant les règnes du
premier Bourbon d’Espagne, Philippe V (1700-
1746) et de ses successeurs pour réfonner la
comptabilité est décrit dans les notices Jean Orry*,
Intendants*, Ministre*, Trésorier Général*,
Contrôleur de la Raison * de ce dictionnaire. On en
rappellera ici les grandes orientations.
Dès le début des affrontements annés de la Guerre
de Succession, Jean Orry a exposé un projet de
réforme des finances d’Espagne qui peut se résumer
à la poursuite du mouvement de concentration des
caisses, tant pour la dépense que pour la recette,
associée à la centralisation, dans les mains de
quelques fidèles du roi, de toute décision de
dépense concernant la guerre et le fonctionnement
des Conseils et autres hauts tribunaux. A son sens,
moins que du manque de ressources, l’Espagne
souffre en effet de leur mauvaise administration. Il
est donc prioritaire d’offrir à Philippe V une
meilleure connaissance des recettes disponibles et
de lui garantir l’exécution de ses ordres de dépenses
pour le mettre en état de « gouverner par lui-
même » ses finances, à l’instar de son grand-père.
La concentration des caisses se traduit tout d’abord
par la création d’une Trésorerie Générale (1703
puis 1705) regroupant les recettes les plus
volumineuses et les plus régulières, destinée à
assurer le financement de la guerre et de
l’administration royale. L’objectif n’est pas de tout
réunir en une seule caisse, projet formulé au XIXe
siècle, mais seulement de mieux répondre aux
nécessités d’un « roi de guerre ». Au XVIIIe siècle,
en effet, demeureront en place des caisses séparées.
En 1701-1702, Orry envisage, de la même façon, de
concentrer la perception des impôts et les
entreprises de fourniture aux années dans les mains
d’un petit nombre de gens d’affaires, idéalement,
un gros fennier par recette, un gros traitant par
année ou par type de fourniture, afin de ne mettre
l’argent du roi que dans les mains des financiers les
plus solides et d’éviter les effets pervers de la
concurrence entre plusieurs petits contrats. Si des
tentatives sont faites dès 1703, il faut attendre
1713-1714 pour les voir mises en œuvre à l’échelle
de tout le territoire péninsulaire. Par la suite, cette
logique prévaut dans la perception des impôts
comme dans les entreprises. Au fil du siècle, les
gouvernants recourent à des stratégies connues
ailleurs, jouant de l’alternance entre régie directe et
ferme ou traité pour contrôler les prix et s’efforçant
d’intégrer les gens d’affaires à la haute
administration — il n’est pas rare que
l’entrepreneur ou le fennier devienne directeur
d’une recette ou administrateur d’une fourniture.
Même si ce n’est pas l’objectif premier, les grands
contrats de fermes ou d’entreprises se traduisent par
une simplification des documents remis au ministre
des finances et intégrés aux états de recettes et de
dépenses.
La réfonne essentielle reste l’institution d’une
Trésorerie Générale de la Guerre ou Trésorerie
Générale. Au-delà des avatars de celle-ci, décrits
dans la notice ad hoc, on retiendra ses incidences
immédiates sur la comptabilité. La Trésorerie
Générale de la Guerre instituée en 1703 présente en
effet la particularité de réunir dans un seul compte
les dépenses et les recettes du Trésorier Général qui
197
tient sa caisse à Madrid et de ses agents, les payeurs
d’armées qui se déplacent sur le territoire. La
transformation, en 1705, de ces payeurs (agents
salariés du Trésorier), en trésoriers d’années
personnellement responsables de leur caisse,
n’altère pas cette règle : leurs dépenses sont les
dépenses du Trésorier, leurs recettes sont ses
recettes. Des dispositions sont prises pour rendre
imparable le contrôle interne que le Trésorier
exerce sur eux. En contrepartie, les procédures de
justification des dépenses du Trésorier Général
devant la Grand Chambre des Comptes sont
simplifiées, non sans susciter des protestations du
Gouverneur du Conseil des Finances : un ordre de
dépense du Ministre des Finances ou de tout autre
ministre habilité à le faire et un reçu du bénéficiaire
du paiement suffiront pour son acquit.
De ce Trésorier Général dont les bureaux
quadrillent la Castille et la couronne d’Aragon, l’on
attend qu’il s’adapte avec flexibilité aux
mouvements géographiques des années imposés
par la guerre, affectant aux dépenses qui lui sont
ordonnées les fonds disponibles dans l’une ou
l’autre de ses caisses locales, et exerçant un suivi
sur les paiements faits aux régiments ou officiers en
déplacements, afin d’éviter tout double emploi*. Le
Trésorier idéal est donc un homme d’affaires
capable de rassurer les créanciers du roi et les gens
d’affaires, intermédiaires indispensables pour les
nombreuses opérations de change d’une place à
l’autre. C’est aussi un homme de confiance, à qui
l’initiative d’affecter les recettes les plus idoines
aux dépenses inopinées est souvent laissée. Or,
cette autonomie et cette participation, de fait, à
l’élaboration de la politique de dépenses, n’est pas
sans susciter de conflits de compétences entre le
Trésorier et les ministres en charge des finances du
roi. Si pendant la Guerre de Succession, la bonne
entente a régné entre le Trésorier, le Secrétaire aux
Finances et, le cas échéant, Orry, au début des
années 1720, les tensions entre ministre et Trésorier
se font jour. Par ailleurs, l’efficacité, reconnue par
les contemporains, du contrôle interne que le
Trésorier Général exerce sur les Trésoriers
d’années et, entre 1718 et 1721, les Payeurs des
provinces, ne le dispense pas d’un contrôle externe.
Celui qu’exerce la Grand Chambre des Comptes est
aussi minutieux qu’au XVIIe siècle et aussi tardif,
si l’on en juge par le nombre d’années (parfois
plusieurs lustres) qui s’écoulent entre la fin de
l’exercice d’un Trésorier Général et la conclusion
de sa reddition de comptes. Tout l’effort porte donc,
depuis le lendemain de la Guerre de Succession, sur
la mise en place de procédures qui permettront
d’exercer un contrôle ordinaire sur ce Trésorier, au
plus près de la réalisation effective des opérations.
L’objectif est toujours double : la prévention de la
fraude, le souci de parvenir à une connaissance
détaillée de l’état des ressources destinées à assurer
les dépenses prioritaires.
198
Les dispositions prises au milieu des années 1720
par le ministre José Patino dans ces deux domaines,
celui des relations entre le Trésorier et le ou les
ministres du roi, et le contrôle extérieur dont il fait
l’objet, viennent conclure une décennie d’instabilité
et d’hésitations sur le schéma institutionnel à
adopter et fixent les orientations de la politique qui
sera mise en œuvre pendant le reste du siècle. En ce
qui concerne la décision de dépense, plusieurs
solutions ont tour à tour été essayées, au gré des
rapports de force existants à la cour d’Espagne. Le
schéma originel d’Orry fait du Secrétaire d’Etat et
des Dépêches chargé de la Guerre (1703) puis de la
Guerre et des Finances (1705) le seul donneur
d’ordres du Trésorier Général de la Guerre. Tant
que le premier, le marquis de Canales, puis le
second, José Grimaldo (devenu marquis de
Grimaldo) entretiennent de bonnes relations de
travail avec le Trésorier d’alors, le comte de
Moriana, et accessoirement, se trouvent être amis
d’Orry, aucune faille ne semble menacer cet
équilibre. A la fin de la Guerre de Succession, le
même Orry modifie les règles, puisque chacun des
Secrétaires d’Etat et des Dépêches responsable de
département (État, Marine, etc.) créés à son
initiative est habilité à donner des ordres de
dépenses au Trésorier, une règle maintenue dans les
instructions au Trésorier Général de juillet 1718.
Idéalement, la politique commune est définie en
concertation entre les différents ministres et
appliquée par le Trésorier, simple exécutant. Il
serait souhaitable d’étudier comment ces ministres
se sont accordés (ou non) entre eux et avec le
Trésorier au cours de ces années. On connaît mieux
ce qui se passe au début des années 1720. Pendant
quelques mois, un conflit oppose alors le ministre
des Finances, Fernando Verdes Monténégro, et le
Trésorier Général de la Guerre Nicolas Ginés
Gômez de Hinojosa. L’un des motifs de ce conflit
est leur désaccord sur les compétences respectives
du ministre et du Trésorier. Le premier souhaite être
le seul donneur d’ordres du Trésorier, au nom du
roi et à l’exclusion des autres ministres, et il conçoit
le Trésorier comme un exécutant. Gômez de
Hinojosa se voudrait plutôt un collaborateur éclairé
du ministre, souhaitant notamment pouvoir imposer
ses points de vue sur les dépenses à privilégier et
les emprunts à contracter. Or, lorsque José Patino,
déjà ministre des Indes et de la Marine, est nommé
Secrétaire des Dépêches aux Finances et, en même
temps, Gouverneur du Conseil des Finances, il se
fait donner immédiatement (1er octobre 1726) la
surintendance des recettes « générales » (tirées,
surtout, des produits des droits de douanes) et la
« distribution » des fonds du Trésorier, à
l’exclusion de tout autre ministre. Corollaire, il
s’efforce de réduire l’initiative du Trésorier en
matière de crédit. Désormais, les dépenses engagées
par un Trésorier Général mais non faites
effectivement au terme de son mandat ne pourront
plus être transmises automatiquement au Trésorier
qui lui succédera : elles devront en effet être
examinées au cas par cas par le Ministre des
Finances, qui se réserve la possibilité de ne pas les
confirmer. La mesure avait été imaginée par Verdes
Monténégro, qui n’avait pas pu l’imposer. Elle vise
à limiter les possibilités données au Trésorier de
créer une dette flottante supplémentaire, de sa
propre initiative, en faisant attendre les créanciers
du roi.
Cette clarification des compétences respectives du
ministre et du Trésorier va de pair avec des
dispositions qui visent à renforcer le contrôle
comptable exercé sur le second. Cet aspect de
l’action ministérielle de Patino a laissé indifférents
les nombreux biographes du personnage. Pourtant,
Carlos Pérez Femândez-Turégano mentionne
plusieurs textes destinés à réglementer le contrôle
comptable dans différents domaines (chantiers et
magasins de la marine, comptabilité des navires,
intendances de la marine, pagadorie des juros,
rentes générales, rente du tabac), toujours
promulgués peu après que Patino prend la direction
d’un nouveau service. Aussi, peut-on créditer ce
ministre — d’ailleurs descendant de contrôleurs du
Milanais— d’un véritable intérêt pour la chose,
quoique ses conceptions en la matière attendent
toujours une étude. En ce qui concerne la Trésorerie
Générale, le principe de la réunion dans un seul
compte des recettes et des dépenses du Trésorier de
Madrid et des trésoriers d’années répartis dans les
provinces n’est pas remis en cause par Patino. Au
contraire, la tentative éphémère de Nicolas Ginés
Gômez de Hinojosa de les rendre indépendants les
uns des autres, entre mars et septembre 1726, fait
long feu. Au cours de l’été 1726, Hinojosa se heurte
au feu nourri des critiques des amis de Patino, qui
regrettent l’efficacité du compte unique instauré en
1703, lequel est comparé à un véritable «contrôle
général » par le gouverneur des Finances d’alors,
Francisco de Arriaza. L’organisation supprimée en
mars 1726 avait en effet deux vertus, selon lui : elle
permettait de connaître à tout moment les dépenses
et les recettes effectuées dans tout le « continent »
d’Espagne ; en outre, le Trésorier Général était
responsable de l’ensemble. Il faut donc rétablir ce
qui a fonctionné entre 1703 et 1726, en améliorant
la précision des états de recettes et de dépenses
présentées par le Trésorier.
Les dispositions prises par Patino à partir d’octobre
1726 répondent à deux objectifs du contrôle des
comptes. D’une part, le souci d’éviter la fraude.
Outre le retour à un seul réseau de trésoriers
couvrant toutes les années du territoire et dressant
un compte unique, Patino confinne en particulier
une mesure que Verdes Monténégro avait eu du mal
à imposer à Gômez de Hinojosa en 1724 : les
contrôleurs des recettes et des dépenses des bureaux
du Trésorier ainsi que tous leurs officiers ne
sauraient être des créatures du Trésorier choisies
par lui, et seront donc nommés par le roi, via le
ministre des Finances. Il s’agit ici des contrôleurs
chargés du contrôle quotidien des opérations et de
leur enregistrement. Ce faisant, Patino tranche pour
un siècle entre deux solutions de contrôle mises en
œuvre depuis 1703 : le recours à des contrôleurs de
la dépense et de la recette (contador del cargo,
contador de la data) intégrés au personnel de la
Trésorerie Générale (octobre 1703-juin 1717,
janvier 1721-février 1726) et le recours à des
contrôleurs extérieurs, héritiers des Contrôleurs de
la Raison*, les Contrôleurs Généraux des Valeurs et
de la Distribution (juin 1717-décembre 1720,
février 1726-septembre 1726), dont les bureaux
dépendent du Conseil des Finances. La mission de
ces derniers, supposés viser l’ensemble des acquits
de tout comptable de l’argent du roi, afin de
comparer les déclarations du Trésorier Général à
celles de tout receveur, entrepreneur, fermier ou
administrateur, a paru trop vaste pour être bien
menée — c’est du moins la raison donnée par
Patino. Ce contrôle quotidien ne dispense pas le
Trésorier d’une reddition finale de ses comptes
devant la Grand Chambre des Comptes, après son
exercice, mais, de l’avis des contemporains, il
permet d’en alléger la procédure, les relations de
dépenses et de recettes visées par les contrôleurs de
la recette et de la dépense du Trésorier Général
faisant foi.
Outre la poursuite de la fraude, le contrôle de la
Trésorerie doit permettre de suivre au plus près
l’évolution des recettes et des dépenses du roi et de
connaître l’état de ses caisses. Depuis une date qui
reste à déterminer (au moins pendant la Guerre de
Succession), le Trésorier Général prépare à
l’intention du Secrétaire d’État et des Dépêches
chargé des Finances des états de recettes et de
dépenses prévisionnels en début d’année et d’autres
états dressant le bilan de l’année civile écoulée. Le
principe de l’annualité de ces états semble admis au
début des années 1720, même si le conflit qui
oppose Gômez de Hinojosa et Verdes Monténégro
montre que ladite annualité se prête à des
interprétations contradictoires. En effet, Verdes
Monténégro se refuse à faire figurer dans l’état des
recettes à prévoir pour 1724 des reliquats de
recettes de 1723, non seulement, parce qu’il
considère qu’il n’y en a pas, mais aussi parce qu’il
est convaincu que ces reliquats doivent figurer dans
l’état de 1723, puisque c’est dans le même
document que l’on indiquera les dépenses à faire
avec ces recettes. Gômez de Hinojosa soutient le
contraire. A partir d’octobre 1726, il semble que le
point de vue de Verdes s’impose. Etant donné que
les recettes et les dépenses les plus importantes sont
enregistrées dans les comptes du Trésorier Général,
ces états reflètent fidèlement la situation des
finances royales. Il en va de même pour les états
mensuels, déjà désirés par Orry, et en usage depuis
les années 1710. Cela dit, Patino prétend en
199
 améliorer la teneur. Ainsi, les bilans rendus par le
Trésorier Gômez de Hinojosa au printemps 1726
ont été ici vigoureusement critiqués. Un texte de
juillet 1726 indique, par défaut, ce que Patino et ses
proches attendent d’un bon Trésorier : « Quant à ce
qu’on peut tirer de ces relations, on ne peut
individualiser davantage le résumé, c’est-à-dire
distinguer ce qui a été payé à chaque classe et à
chaque individu, comme je l’aurais souhaité, car
elles comportent des parties dans lesquelles on ne
distingue pas les destinations des paiements en
expliquant ce qui a été appliqué à chaque chose ;
d’autres sont assignées à différents intéressés, sans
autre précision ; d’autres, remises dans la caisse du
Trésorier Général, sans dire l’usage qui en a été
fait; (...) et d’autres quantités très considérables
assignées aussi à Rubini (un homme d’affaires
privé, un des plus gros prêteurs du roi) ainsi que des
paiements de lettres [de change], sans que l’on
puisse comprendre ce qui dans ces parties revient à
la Guerre, la Marine, ou à d’autres classes [de
dépenses]. (...) Que Votre Majesté m’autorise donc
à faire savoir à sa souveraine compréhension que,
tant que les contrôleurs de la Trésorerie n’auront
pas reçu l’ordre le plus exact de Votre Majesté de
faire connaître à Votre Majesté chaque semaine ou
chaque mois, comme il lui conviendra, une relation
ponctuelle de la recette et de la dépense de ce qu’ils
contrôleront, Votre Majesté ne parviendra pas à
savoir avec évidence quel fond Elle a ni comment il
est distribué ». Il s’agit donc de pouvoir vérifier non
seulement que les dépenses sont légales, mais
qu’elles correspondent aux emplois qui ont été
décidés par les ministres, confirmant que le
Trésorier n’est qu’un exécutant, et de rendre visible
la distribution des fonds entre différents emplois
regroupés en « classes » correspondant aux
différents ministères. La mise en œuvre de ce projet
reste à étudier. Toutefois, les dispositions que prend
Patino en tant que Secrétaire d’Etat et des Dépêches
chargé des Finances vont bien dans le sens d’un
contrôle plus étroit des Trésoriers Généraux. Ainsi,
sa correspondance avec le premier Trésorier en
activité pendant son ministère, Tomâs de Iriberri,
confirme son souci constant de savoir ce que fait ce
dernier et de le voir adopter les formulaires que
prévoient ses instructions. En outre, afin d’obliger
les Trésoriers à rendre des comptes définitifs
fréquents, Patino envisage peu la fin du mandat
d’Iriberri de rendre l’office annuel. Il conviendrait
de pouvoir élucider les raisons d’ordre financier et
politique qui conduisent le ministre et ses
successeurs à suspendre l’application de la mesure,
qui n’est définitivement adoptée qu’en 1753 par le
ministre Ensenada et, peu ou prou, exécutée
pendant la seconde partie du siècle.
Par ailleurs, à partir d’une date qu’il reste à
déterminer, mais au moins depuis le milieu du
siècle, les Trésoriers Généraux prennent l’habitude
de préparer des synthèses mensuelles et annuelles
200
des flux d’argent de leur caisse. Ces documents,
appelés « libretes », consignent en effet l’ensemble
des entrées et sorties de chacune des caisses qui
constituent la Trésorerie Générale, en distinguant
les mouvements internes à la Trésorerie (transferts
ou virements d’une caisse à l’autre) et les
mouvements externes (recettes et paiements).
Rafael Torres Sanchez les a analysés pour la
deuxième moitié du siècle, montrant qu’ils
permettent d’évaluer, entre autres, l’importance
relative des caisses (en distinguant les trésoreries
dépensières de celles qui sont bénéficiaires) et le
coût de leur fonctionnement et leur évolution. Il
serait souhaitable de savoir si ces synthèses,
conservées dans les archives de la Trésorerie, ont
été soumises au ministre ou étaient seulement des
documents d’usage interne à la Trésorerie. Mais en
tout état de cause, elles confirment que les acteurs
font un usage des comptes qui va bien au-delà du
contrôle judiciaire en se donnant, dans ce cas
précis, le moyen de connaître la répartition
géographique des fonds du roi disponibles pour
pouvoir procéder à d’éventuels transferts.
Les réformes initiées pendant la Guerre de
Succession sont considérées comme un modèle par
des libéraux de la première génération, tels Vicente
Alcalâ Galiano ou José Canga Argüelles. Le second
fait ainsi l’éloge de la centralisation des décisions et
du contrôle des comptes, dans son dictionnaire des
finances (1826) — lui prêtant des objectifs
politiques anachroniques : « Par un ordre si simple
et si digne d’éloge, le mouvement des fonds du
trésor est réduit à une seule caisse et à un seul chef,
qui par le biais de ses subalternes les recueille et
leur donne une application conforme aux ordres du
gouvernement. Deux contrôleurs assurent le
contrôle général, et leurs subalternes, un contrôle
partiel. Une Grand Chambre examine, liquide et
analyse ses opérations. Enfin un tribunal examine
les points litigieux et s’assure de l’emploi légitime
des sacrifices pécuniaires du peuple ». Les
recherches en cours ne permettent toutefois pas de
dresser de bilan définitif des innovations dans la
présentation des comptes que l’on doit au binôme
Trésorier Général-Secrétaire d’État et des Dépêches
aux Finances ni d’évaluer leur efficacité en termes
de maîtrise des dépenses ou de réduction de la
dette. On signalera seulement que l’effort entrepris
dès le début du siècle pour imposer des normes
fixes aux Trésoriers successifs dans leur reddition
de comptes, notamment par le biais de formulaires
et d’un classement de leurs dépenses et de leurs
recettes devenu très minutieux dans l’instmction
aux Trésoriers de 1753, donne des fruits, puisque la
série des comptes rendus de la seconde moitié du
siècle est homogène. Cet effort technique va de pair
avec une transformation en profondeur du
gouvernement des finances. En effet, le pouvoir
d’un Secrétaire d’État et des Dépêches aux
Finances dont les fonctions ne sont plus
qu’administratives et politiques s’affirme
nettement, face à l’organe avant tout judiciaire
qu’est le Conseil des Finances. Le profil de celui
que la documentation appelle déjà « ministre »
évolue en conséquence : interlocuteur quotidien des
gens d’affaires et du Trésorier Général, il tire sa
légitimité de la confiance royale et de sa capacité à
imposer l’application des décisions du souverain à
son administration, mais aussi de sa connaissance
précise des comptes et de leurs procédures de
contrôle et du talent avec lequel il sait interpréter
les états de recettes et de dépenses qui lui sont
remis.
Absolutistes et modérés : administration unifiée et
comptabilité nationale
Le succès de raccourcis historiographiques tels que
la « décadence espagnole », devenue « retard » au
XIXe siècle, tend à faire oublier que les révolutions
espagnoles sont souvent considérées comme un
modèle par les libéraux européens de l’époque.
Dans le domaine financier comme ailleurs, leur
projet de profonde rupture avec l’Ancien Régime
est formalisé précocement, puisque les grandes
lignes en sont reprises dans la Constitution de
Cadix du 19 mars 1812. On ne saurait en déduire
que l’histoire postérieure se réduit au conflit entre
deux Espagnes, l’une libérale, l’autre réactionnaire
— un autre cliché historiographique —, opposant le
projet de finances « publiques » à des finances
demeurées « royales ». En effet, des travaux récents
de Jean-Philippe Luis ont montré que,
paradoxalement, les conservateurs artisans des deux
Restaurations de Ferdinand VII (1814-1820, 1823-
1833), sont les premiers à mettre en œuvre un
budget impératif ventilé par ministères et à
transformer l’administration en fonction publique.
La Constitution de 1837, promue par les
progressistes, reprend à son compte les principes
budgétaires et l’idéal fiscal énoncés dès 1812, mais
c’est un conservateur, Bravo Murillo*, qui est à
l’origine d’un ensemble de lois et règlements
organisant la présentation du budget et sa
présentation au Parlement, le contrôle des comptes
et l’unification du Trésor Public (1850-1852).
La Constitution de Cadix, qui institue une
monarchie constitutionnelle dont le titulaire est le
roi « captif » en France, Ferdinand VII, est conçue
comme celle d’une nation formée d’un ensemble de
citoyens. Le rapport à l’impôt s’en ressent. Les
libéraux le veulent uniquement étatique (on abolira
les contributions seigneuriales), universel,
proportionnel aux richesses individuelles (article
339), ce qui devrait se traduire, idéalement, par une
contribution directe uniformément répartie sur le
territoire. Il sera sanctionné par la loi votée par le
Parlement, c’est-à-dire des Cortès définies par les
libéraux de Cadix comme une assemblée de
représentants de la nation, et non plus comme la
réunion de délégués de villes dotées du privilège
d’y parler pour leur province. Le texte
constitutionnel prévoit le vote d’un budget
(presupuesto), établissant que « les Secrétaires des
Dépêches formeront des budgets annuels des
dépenses de l’administration publique qu’ils
estiment devoir être faites dans leurs départements
respectifs » (art. 227). Les Cortès l’autoriseront,
puisqu’il leur revient de consentir annuellement à
l’impôt et d’autoriser le plan de dépenses qui leur
est soumis. «Les facultés des Cortès sont (...).
Douzième : De fixer les dépenses de
l’administration publique. Treizième : D’établir
annuellement les contributions et impôts. (...)
Seizième : Examiner et approuver les comptes de
l'investissement des fonds publics. » (art. 131). Ce
sont bien là les trois principes de base du
consentement parlementaire*, définis à la même
époque en France. D’autres compétences ont aussi
des conséquences financières, telles la décision du
nombre de places des tribunaux, la fixation du
nombre des forces militaires actives, la répartition
des impôts entre provinces, l’approbation des
emprunts du roi et des aliénations du patrimoine
national. Au cours des travaux préparatoires du
texte constitutionnel, dont Fernando Lôpez
Castellano a étudié le volet financier, des libéraux
comme Agustin Argüelles ou José Canga Argüelles
insistent sur le fait que l’impôt est un sacrifice que
les citoyens font à la nation, qui doit le reconnaître
et leur rendre compte de leur emploi et le leur
garantir, par le contrôle que le pouvoir législatif
exerce sur l’exécutif.
C’est ce souci de la publicité, traduction concrète de
la reddition de comptes aux citoyens, qui les
distingue des réformateurs des finances de la
monarchie bourbonienne du siècle précédent.
Canga Argüelles écrit plus tard dans son
Dictionnaire des finances, mis au point dans l’exil
pendant la seconde Restauration de la monarchie
absolue : « Les comptes du trésor étaient jusqu’ici
un secret d’État qui n’était révélé qu’aux ministres
et autres agents de l’autorité suprême. La
perception [des impôts] était publique, publics les
ordres de paiement, publiques et violentes les
exactions fiscales, mais secrets, les livres dans
lesquels on notait les valeurs [des recettes] et leur
investissement. Et une fois que les comptes avaient
reçu quitus, on les condamnait à la poussière et à
l’oubli des archives ». En revanche, les promoteurs
de la Constitution de Cadix s’accordent pour
reprendre à leur compte la centralisation
administrative et politique amorcée au siècle
précédent, en la systématisant, et en faisant d’elle le
moyen d’établir l’égalité juridique et le contrôle de
la nation sur ses finances. En effet, dans le domaine
fiscal, la centralisation va de pair pour eux avec la
suppression des privilèges individuels et
territoriaux. En ce qui concerne l’organisation des
caisses et leur contrôle, la centralisation est tout
201

aussi compatible avec les objectifs des libéraux.
Pour Vicente Alcalâ Galiano, Trésorier Général de
l’Espagne entrée en révolution année contre Joseph
Premier (frère de Bonaparte), le droit public veut
qu’il y ait une seule trésorerie dans les Etats pour
qu’ils puissent distribuer leurs fonds avec « ordre,
économie et à bon escient» (1809). Canga
Argüelles, dans un « Mémoire sur le compte et la
raison » de 1811, crédite les ministres de
Philippe V, et surtout Joseph Patino, de
l’établissement de l’« unité de caisse », « en
définitive, un système presque parfait et plus exact
que celui de toute autre nation ». Il convient donc
de maintenir la Trésorerie Générale, en revenant au
contrôle quotidien externe exercé en 1717-1720 et
au printemps 1726 par les Contrôleurs Généraux
des Valeurs et de la Distribution. On évitera ainsi
toute collusion avec le Trésorier, source de
« malversations » qui seraient autant de vols faits à
la nation. Quant à la reddition de comptes des
Trésoriers Généraux, elle devra se faire comme
autrefois devant un Tribunal des Comptes, mais
celui-ci sera désonnais sous le contrôle des Cortès.
Ces principes triomphent à Cadix. Dès le 5 février
1811, un décret a réuni en une seule caisse tous les
fonds de la Nation. Cinquante-et-un des articles de
la Constitution de 1812 (qui en compte trois cent
quarante-cinq) sont consacrés à une Trésorerie
Générale réunissant tous les fonds de la nation et
reprennent le projet de Canga Argüelles. Ils
précisent que les comptes de la Trésorerie seront
imprimés et publiés et que, par ailleurs, une Grand
Chambre des Comptes indépendante du pouvoir
exécutif devra former un « compte général de la
nation », lui aussi publié. Le règlement de la
Trésorerie « Nationale », adopté par décret en août
1813, décrit l’organisation qui doit en découler. La
Trésorerie Générale et les Trésoreries de province
et d’année placées sous sa tutelle y sont bien
conçues comme les organes de finances
« nationales », tandis que la Grand Chambre des
Comptes est invitée à examiner tous les comptes de
fonds « publics » pour présenter des comptes
annuels aux Cortès. En 1814, un premier budget est
présenté aux Cortès. L’élan est aussitôt interrompu
par la première Restauration de Ferdinand VII, qui
annule l’œuvre législative de Cadix.
Juan Pro Ruiz a bien montré comment, sous la
monarchie constitutionnelle (1820-1823 puis à
partir de 1834), le décalage entre le projet fiscal des
libéraux et la réalité est patent et durable. L’urgence
de trouver des fonds oblige les gouvernements de
libéraux « progressistes » à faire des compromis en
matière d’égalité de traitement entre les territoires
et entre les individus. D’après J.-P. Luis, ces
compromis sont d’autant plus aisés à supporter que
l’énonne dette —gérée de façon quasi autonome
par le Ministre des Finances— constitue une sorte
de soupape de sécurité qui rend supportable la
résistance à l’impôt des élites locales et de
202
Garay, il confectionne de « véritables budgets ministres devaient tenir pour impératif avaient été
communautés locales comme les territoires
prévisionnels pour contenir les dépenses » et mises à mal par les engagements militaires de la
privilégiés. A l’inverse, les hommes de
s’efforce, pendant les mois qui suivent, de les faire monarchie. En même temps, J.-P. Luis a souligné le
Ferdinand VII n’ont pas sacrifié tout l’héritage
respecter — la montée des affrontements militaires paradoxe d’une administration qui adopte quelques-
libéral au cours des deux Restaurations. J.-P. Luis a
dans la péninsule au début des années 1830 l’oblige unes des caractéristiques de la fonction publique,
mis en lumière cette « utopie réactionnaire » qui
à y renoncer, en 1831. Plus durables, les réformes mais dans laquelle prévaut toujours la « grâce »
conduit quelques-uns d’entre eux à s’efforcer
de 1823-1824 ont réorganisé les flux d’infonnation d’un souverain absolu, par exemple pour l’accès à
d’asseoir la puissance de l’Etat face à deux
comptable, en confiant au Contrôleur Général des des emplois ou à la retraite, et dont tous les agents
oppositions, celle des libéraux et celle des ultras,
Valeurs tous les comptes des recettes, ce qui inclut sont soumis à une forte pression politique, par le
partisans d’un retour à l’Espagne des privilèges
désormais des opérations faites autrefois par les biais de la politique d’épuration et des procès en
territoriaux et de la croisade religieuse. Ils ne sont
directeurs des douanes, des monopoles, des rentes « purification » menés depuis 1824.
certes pas des libéraux, mais avant tout des
provinciales et décimales. Quant au Contrôleur La mise en place durable d’une monarchie
pragmatiques, désireux de remplir les caisses du roi
Général de la Distribution, il tient les comptes de la constitutionnelle ne fait pas disparaître ces
pour financer ses années et de contrôler les agents
Trésorerie Générale. Tous deux sont placés sous la contraintes d’un coup. La gestion dans l’urgence
d’une administration qui, pendant la « décennie
tutelle directe du Secrétaire aux Finances, et non reste de mise, notamment durant les guerres
abominable» (1823-1833), fait l’objet d’une
plus sous celle du Conseil des Finances (janvier carlistes (1833-1839 et 1846-1849). De fait, ce
épuration politique rigoureusement orchestrée.
1824). Dans les provinces, un contrôleur provincial, n’est qu’au lendemain de la seconde que Bravo
Aussi, s’ils renoncent à l’idée du contrôle
placé aux côtés de l’intendant, tient le registre des Murillo met en œuvre son train de réformes.
parlementaire des budgets chère aux libéraux, ne
recettes et de la dépense, dans un schéma qui L’administration demeure politisée, comme en
sont-ils pas toujours hostiles à des figures fiscales
rappelle celui des intendances de provinces de témoignent les vagues de mises à pied qui suivent
moins inégalitaires, si elles sont plus efficaces que
juillet 1718. Enfin, le contrôle juridictionnel sur les alternances gouvernementales. Toutefois, il
les impôts d’Ancien Régime. Ils sont aussi
tous les comptables de l’argent du roi est confié à n’est plus question d’entreprises d’épuration
sensibles à l’impératif de la maîtrise des dépenses et
un nouvel organisme, le Grand Tribunal des affectant l’ensemble de sa hiérarchie, et l’évolution
au contrôle de l’exécution de la politique financière
Comptes (Tribunal Mayor de Cuentas) qui vers une fonction publique va se poursuivre. En
décidée par le roi. En somme, ils partagent avec les
remplace en novembre 1828 la Grand Chambre des dépit des conflits, un certain consensus se fait
libéraux le projet d’une centralisation
Comptes et le Tribunal des Auditeurs, qui faisaient autour du régime constitutionnel, qui se traduit
administrative et comptable et l’idée d’un budget
partie du Conseil des Finances. Il doit vérifier et notamment dans le domaine des finances par
impératif.
clore tous les comptes, y compris ceux qui l’inscription, dans la Constitution de 1837 et dans
Les spécialistes de la période ont retenu deux cas
échappaient encore au Conseil des Finances, celle de 1845 (pourtant plus conservatrice), des
significatifs. Martin de Garay, qui a fait partie des
comme ceux des Postes et chemins. trois principes de contrôle parlementaire déjà
promoteurs de la Constitution de 1812, n’hésite pas,
Cette centralisation de la comptabilité va de pair énoncés en 1812. Les Cortès, représentantes de la
une fois devenu Secrétaire d’État aux Finances de
avec celle de la perception des recettes, puisque le souveraineté nationale, approuveront chaque année
Ferdinand VII, à mettre en place une contribution
Trésorier Général et la Direction Générale des « le budget général des dépenses de l’État pour
uniforme sur le territoire, proportionnelle et étendue
Recettes sont placés sous la tutelle du Secrétaire l’année suivante ainsi que le plan des contributions
à tous les corps de la société (1817-1818). Il est
aux Finances. Enfin, d’après J.-P. Luis, Lôpez qui permettront d’y satisfaire », de même qu’elles
aussi à l’origine d’un projet de réforme des finances
Ballesteros est à l’origine de modifications dans la contrôleront les comptes de l’exercice de l’année
qui passe par la maîtrise budgétaire. D’après Nuria
perception du statut social, le rapport à l’emploi et à antérieure (respectivement, articles 72 et 75). Le
Alonso Garcés, « c’était la première fois, après les
l’État et la carrière des agents des services des principe du consentement de l’impôt est aussi
projets des Cortès, que l’on s’efforçait de mettre en
finances, qui amorcent une transformation de cette rappelé, aucune contribution ne pouvant être exigée
œuvre dans les faits un plan de budget en Espagne.
administration en fonction publique, les Finances si elle n’est prévue dans la loi de budget ou dans
Il assignait une somme à chaque ministère, réduisait
constituant ici un modèle pour le reste de une autre loi (respectivement, articles 73 et 76). Par
les emplois à la charge de l’Etat, plafonnait le
l’administration étatique. L’ensemble des mesures ailleurs, la doctrine fiscale de 1812 se reflète dans
salaire des fonctionnaires, à quoi s’ajoutaient
décrites conforte la séparation, initiée au XVIIIe les articles relatifs aux contributions. Selon Juan
d’autres mesures destinées à éponger le déficit
siècle, entre les tâches de gouvernement et Pro Ruiz, c’est bien le modèle de finances étatiques,
budgétaire. Chaque ministère devait réduire ses
d’administration des Finances et les fonctions uniformes sur le territoire, et égales pour tous les
dépenses, en particulier ceux de Guerre et de
juridictionnelles. Le Conseil des Finances, comme citoyens qui est à nouveau mis en avant. Or, si le
Finances — mais point celui de la Marine, dont la
l’a rappelé J. Pro Ruiz, fait les frais de cette compromis et l’aménagement local restent de règle
dotation était augmentée (...). » La chute de Garay,
évolution, ce qui restait de ses compétences étant pour la fiscalité, dans le domaine du budget, du
provoquée par l’opposition des ordres privilégiés à
dorénavant réparti entre le ministère et les services contrôle des comptes et de la trésorerie, Bravo
ses projets fiscaux, met fin à ce plan.
qui en dépendent et le Grand Tribunal des Murillo s’efforce de mettre en œuvre ces principes.
Au contraire de Garay, Luis Lôpez Ballesteros,
Comptes : sa suppression, en 1834, peut être Les dispositions prises entre 1849 et 1852
demeuré neuf ans à la tête du ministère des
regardée comme l’aboutissement logique des s’inscrivent dans le prolongement de celles des
Finances (1823-1832), a tout loisir de mettre en
réformes de Lôpez Ballesteros. années 1820 lorsqu’elles confirment la
pratique son souci de contrôle budgétaire et son
La notice consacrée à Bravo Murillo décrit ce que centralisation des caisses en créant le Trésor Public,
projet centralisateur. J.-P. Luis le définit comme un
l’on peut considérer comme une seconde vague de qu’elles organisent la préparation des budgets des
pragmatique, voire un opportuniste, qui n’hésite
mesures qui complètent en grande partie la mise en ministères, en systématisant l’exercice budgétaire,
pas, pour servir ses projets, à renouer avec
œuvre du projet des libéraux, consacrant la rupture et qu’elles unifient deux bureaux de contrôle
d’anciens libéraux susceptibles d’y contribuer, et
avec les cadres de l’Ancien Régime. Les général des valeurs et de la distribution dans la
même des « afrancesados » (partisans du projet
dispositions prises par Lôpez Ballesteros pour Direction Générale de Comptabilité des Finances
porté par Joseph Premier en 1808-1814), quoiqu’il
maîtriser les dépenses par un budget que les Publiques. La grande nouveauté réside dans l’effort
soit loin de partager leurs valeurs. A l’instar de
203
 fait pour réglementer le travail des différents
bureaux, notamment en décrivant par le menu la
structure des budgets de l’État, et par ailleurs, dans
la description détaillée des procédures du contrôle
parlementaire. En outre, Bravo Murillo* est le
premier à obtenir l’approbation par les Cortès de la
loi de budget de 1850, une expérience qui ne se
renouvelle pas au cours des années suivantes, au
cours desquels le budget est promulgué par décret.
Les textes de loi mettent en évidence les finalités
que le ministre attribue à la comptabilité. Outre la
prévention de la fraude, il s’agit de connaître à tout
instant de façon précise la situation détaillée des
finances et l’état d’avancement de la mise en œuvre
du budget, afin de contrôler les ministères et de
pouvoir rendre des comptes aux citoyens. En même
temps, les imprécisions calculées de ces textes
manifestent un certain pragmatisme : ainsi, la tenue
des livres en partie double* apparaît d’autant moins
comme l’instrument indispensable à la clarté des
comptes que, si l’on en croit Francisco Augusto
Conte, elle se heurte à des réticences. Le même
signale que ce ne sont pas les seules, les ministres
collègues de Bravo Murillo ayant mal accepté le
contrôle budgétaire. Enfin, la mise en œuvre du
contrôle parlementaire du budget ne va pas de soi,
même si le nouveau cadre législatif a créé les
instruments nécessaires. D’après Pro Ruiz, en effet,
il n’existe pas de consensus des députés des Cortès
sur la nécessité de l’exercer sérieusement. Perçu
comme moins prioritaire que d’autres enjeux, le
budget est aussi souvent instrumentalisé dans des
conflits entre des « députés qui se consacrent
davantage à faire de l’obstruction pour servir les
conflits de factions et obtenir prébendes et faveurs
pour leur clientèle qu’à discuter sérieusement de la
cohérence de la loi de budget ». L’instabilité
parlementaire qui caractérise le règne d’Isabelle II,
avant et après les réformes de Bravo Murillo,
alimente cette dynamique. Ainsi, la culture
comptable du ministre et de ses proches
collaborateurs est loin d’être partagée par
l’ensemble des élites politiques. Il est probable
qu’une connaissance fine du travail administratif au
quotidien des services de comptabilité conduirait à
des observations comparables et nous donnerait une
vision moins progressive des réformes du XIXe
siècle. En même temps, elle offrirait une base solide
à la comparaison entre le cas espagnol et celui des
monarchies constitutionnelles ou des républiques
contemporaines. A.D.
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de 1812 (19 mars 1812). Constitution de la
Monarquia espanola de 1837 (18 juin 1837).
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disponibles en version numérique
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204
administradores de las rentas Reales y Servicios de
Millones de las Provincias y Partidos del Reino en
la ejecuciôn de lo resuelto y mandado por SM en su
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période espagnole (1699-1703) : quelle logique
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fiscal en Castilla durante el reinado de Carlos II,
Madrid, Siglo XXI, 1996. Sanz Ayân C. (1989).
Espèces
Voir Bordereau d’espèces
Etat
L’état est à l’origine un rôle qui établit les recettes
et les dépenses d’un comptable, puis d’une
administration. Dès le Moyen Âge, un receveur
rendait compte de sa gestion à la chambre des
comptes dont il dépendait en formant un état
provisoire de ces recettes et dépenses. L’idée de
compiler les états de recettes d’un territoire pour
avoir une connaissance générale des ressources se
constuisit progressivement avec la stabilisation des
Etats modernes. On trouve presque partout des
« états » généraux de recettes établis sommairement
et par estimation, mais il faut encore attendre les
XVIIe ou XVIIIe siècle, selon le degré de
centralisation des Etats, pour que ces états généraux
deviennent des outils de prévision. Plus délicate est
l’apparition des « états » de dépenses car le principe
de l’assignation des dépenses sur les recettes
amenait le plus souvent les teneurs de livres à
consigner les premières dans les états des secondes.
L’historien à la recherche des premiers « budgets »
prévisionnels aura donc le plus souvent affaire à un
seul et même document : l’« état des recettes et
dépenses ». Dans certains territoires allemands,
comme celui du prince-électeur de Brandebourg,
cet état estimatif semble avoir existé dès l’époque
d’Albrecht Achilles (1470-1486), mais le plus
souvent, il demeure encore difficile de distinguer
les états ou résumés provisoires des recettes et
dépenses d’un territoire donné d’avec les états
estimatifs. Pour les Pays-Bas espagnols par
exemple, la frontière entre le « résumé général » de
l’état des finances de 1691 rédigé à partir du cahier
de clôture des comptes des chambres des comptes
de Lille et du Brabant d’une part, et le rapport de la
situation financière rédigé par Michel Servati pour
1696 et qui semble être, d’après R. Schryver, le seul
document prévisionnel connu au XVIIe siècle
d’autre part, est très étroite.
Au XVIIIe siècle cependant, la majorité des Etats
modernes disposait d’un document général
prévisionnel. Cet état général servait à distribuer les
dépenses entre les différentes caisses pour une
année et à ce titre, peut être considéré comme un
outil budgétaire. Usité dans plusieurs monarchies, il
atteint un degré de perfection inégalé en France*.
La Prusse* l’adopte à son tour en 1723 : un
General-Kriegs-Etat pour les revenus de guerre, et
un Generaldomànen-Etat pour les revenus des
domaines sont alors créés. Ce « système » des états,
déclinés en états secondaires (états de répartition,
états de distribution, états des fonds...) pour chaque
administration subalterne, permettait d’ordonner les
dépenses ordinaires, et une partie des dépenses
extraordinaires selon la souplesse de l’outil. Dans le
royaume de Piémont-Sardaigne par exemple, la
formation d’états par quartier* permettait d’intégrer
dans le courant de l’année des sommes qui n’étaient
pas inscrites initialement dans l’état annuel. On y
trouvait les dépenses à faire (assignations
ordinaires, gages, pensions...), les recettes (ou
« provisions ») et un chapitre dénommé
« répartement que l’on observera aux paiements ».
Néanmoins, ce système n’avait pas les vertus du
budget. Malchus* insiste sur cette opposition entre
le Generaletat et le Finanzplan, jugeant l’état
général trop rigide. Le plan de finances permet des
adaptations opportunes selon l’appréciation des
besoins du moment sans déroger aux règles de
bonne conduite des finances. En revanche, le mot
« état » désigne toujours chez lui le document de
base issu du fractionnement du budget. Il distingue
en effet : l’état spécialisé par matière (pour chaque
impôt, pour chaque revenu du domaine, pour
chaque mine...), l’état principal (Hauptetat) dressé
pour une administration générale (des domaines,
des postes, des mines...), et le Hauptfinanzetat ou
budget, « dans lequel les résultats des états
principaux sont centralisés, ces derniers résumant
les résultat des états particuliers, et où les recettes
et dépenses de l’Etat sont totalisées pour chaque
rubrique ».
Notons qu’en certains pays, le terme « bilan » est
synonyme du mot état. M.-L. L.
Sources : AST, Caméra dei conti, Savoia,
inventario 168, ordres de paiement adressés aux
Trésoriers, XVIIe. Malchus C.A., vol. 2 (1830), §
15 et 16, p. 93 à 99.
Bibliographie : Schryver R. (1965), p. 96-97.
Etat au vrai
Etat des recettes et dépenses fait par un comptable
public une fois l’exercice achevé. Il s’agit d’un
véritable compte, divisé par chapitre, où les
sommes sont émargées en chiffres et où les pièces
de dépenses sont visées en marge. Ce document
avait pour vocation d’être comparé à l’état du roi,
qui est l’état de recettes et dépenses établi pour
chaque comptable pour l’exercice à venir. Dans la
législation française, l’état au vrai devint le
principal outil de contrôle administratif de la
gestion des deniers sans toutefois pouvoir être
qualifié de bilan*. Par l’édit de septembre 1522, il
fut ordonné à tout receveur général de « bailler état
en entier et au vrai » au Trésorier de France, de
«toute la recette et de la dépense de chaque année
expirée » et de lui « exhiber » les pièces
justificatives de ses opérations. L’édit ajoutait que
«icelui état vu et examiné sommairement, le
«Trésorier et le receveur général seront tenus d’en
envoyer un, signé d’eux, aux gens du conseil
privé». De nombreux édits ultérieurs renouvellent
cette obligation : l’ordonnance du 4 mai 1564,
article 5 ; la déclaration du 5 mai 1587 ; le
règlement du 8 avril 1600, articles 9 et 11... .
Colbert*, tout en reprenant la législation antérieure,
renforça le dispositif de contrôle en le centralisant.
Le règlement du 15 septembre 1661 ordonne que
les principaux officiers comptables rendent leurs
comptes au Conseil des finances*. Pour examiner
205
 leurs états au vrai, un bureau spécial attaché au
Conseil est établi et prend le nom de « bureau de la
vérification des états au vrai ». La commission dont
il faisait l’objet fut successivement donnée à
Nicolas Desmaretz en 1684, Bignon de Blanzy en
1690, Chamillart de Villatte en 1699, Bercy,
intendant des finances en 1708, Félix Le Pelletier
de la Houssaye en 1716, puis aux d’Ormesson
jusqu’à la fin de l’Ancien régime. Dans la pratique,
les états au vrai des receveurs étaient vérifiés par les
trésoriers de France. Chaque comptable présentait
son état devant ces officiers du bureau des
finances*, qui l’envoyaient ensuite au bureau de
vérification à Versailles. Cette disposition fut
renouvelée par les lettres patentes du 1er mars 1781.
Quant aux comptes des trésoriers généraux, ils
étaient vérifiés administrativement par les
intendants du département ministériel dont ils
dépendaient ou par leurs premiers commis, avant
d’être transmis au Conseil des finances*. Au début,
le bureau de vérification ne contrôla pas tous les
états. Ceux des trésoriers de la Guerre et de la
Marine notamment échappèrent à ses compétences.
En 1772, l’examen des états au vrai de l’ordinaire et
de l’Extraordinaire des guerres passa au « bureau de
vérification », tandis que les états au vrai de la
Marine, d’abord examinés par le bureau de
l’examen des comptes établi au sein du ministère de
la Marine, passèrent au « bureau de vérification »
du Contrôle général en 1781. L’ordonnance d’août
1669 subordonne l’examen juridictionnel des
comptes à la fonnation des états au vrai. Elle exige
que les comptables se présentent devant les
Chambres une année après l’exercice expiré, mais
soumet cette présentation à la fonnation préalable
des états au vrai. Les articles XV et XVI sont très
clairs sur ce point. Le premier indiquait : « faisons
défenses aux comptables de présenter leurs comptes
que les états n’en aient été arrêtés en notre Conseil
ou aux bureaux des finances pour les natures de
deniers ». L’article XVI précisait qu’aucune partie
ne pouvait être employée dans les comptes que
celles qui seront passées dans les états. Ainsi, cette
ordonnance défendait aux Chambres de passer dans
les comptes l’emploi des parties qui n’étaient pas
passées dans les états. En elle-même, cette loi
marque le passage de l’Etat de justice à l’Etat de
finance. En transformant les états au vrai en
véritables faits comptables, imposant la balance des
recettes et dépenses comme acte préalable à toute
vérification juridictionnelle, elle manifestait la
volonté du roi de prendre le contrôle de sa gestion.
Malgré les efforts de Colbert, les états au vrai n’ont
jamais constitué de véritables bilans de recettes et
dépenses. Si le suivi des recettes était à peu près
assuré par les bureaux de l’intendant*, responsable
de l’état de recouvrement*, le suivi des dépenses
laissait à désirer. Le comptable présentait toujours
son état avec retard, la réunion des pièces
justificatives prenant un temps infini. Voici les
206
dates de présentation des états au vrai des receveurs sommaires des livres en parties doubles dans états couvraient une durée variable, mensuelle,
généraux des finances du Dauphiné aux Trésoriers lesquels seulement les articles seront assujettis à un trimestrielle ou annuelle. En France, les états de
de France de Grenoble : ordre méthodique et déterminé qui facilitera les distribution, dressés par ministère, s’arrêtaient au
rapprochements et les vérifications ». M.-L. L. Conseil et devaient êtres signés du contrôleur
Date Date de Date d’arrêté au Voir Budget, Bureau de finances, Etat du roi général des finances*. Ils formaient des feuilles de
d’exercice présentation au Conseil route accordées aux ministres pour qu’ils puissent
bureau des finances Sources : AN, série P, chapitre VI : comptabilité ; K procéder aux ordonnances de paiements*. Les
1770 890, « Mémoire sur les Trésoriers de France », 117 modalités de cette distribution variaient selon les
1771 17 déc. 1774 29 août 1775 f°. Idem, pièce 3, Le Trésorier de France ramené à administrations. Les trésoriers de la Maison du roi
1772 son état véritable, Amsterdam, 1780, p. 14. Edit bénéficiaient du privilège d’une distribution
1773 25 juin 1777 30 sept. 1777 portant Règlement pour les Chambres des comptes annualisée. Pour la Guerre et la Marine, les états de
1774 et les officiers comptables, du mois d’août 1669, distributions étaient mensuels et étaient détaillés à
1775 1er déc. 1778 dans Ordonnances, édits, déclarations... la suite du projet de fonds. Ils servaient de base à
6 juillet 1779
1776 concernant l’autorité et la juridiction de la l’expédition d’ordonnances mensuelles de fonds,
3 juillet 1779 28 déc. 1779
Chambre des comptes de Paris (1728), t. 3, f° 10. appelées « gros fonds », ordonnances qui se
1777 11 juillet 1780
AD de l’Isère, Grenoble, 7C 339 à 648 (Les cases distinguaient des ordonnances de supplément.
1778
vides correspondent à des données manquantes). Ainsi, l’intendant de la guerre, de Boullongne,
1779 7 août 1782 24 déc. 1782
AD du Nord, Lille, C finance 82, L’état véritable demanda que « l’ordonnance de fonds de mars 1734
1780 9 juillet 1783 23 déc. 1783
des Trésoriers de France, Amsterdam, 1779, p. pour gros fonds ou subsistance des troupes
1781 18 juillet 1785 17 janv. 1786
290. De la situation du Trésor public (1997). comprenne toutes les dépenses à compter du 1er
1782 28 nov. 1785 24 déc. 1785
Bibliographie : Besson E. (1889). Hamon P. (1994). janvier 1734 pour les trois premiers mois de l’année
1783 16 mars 1787 28 août 1787 sur le pied complet ». Les bureaux de la guerre
Legay M.L. (2011). Mosser F. (1978).
1784 16 juillet 1787 25 déc. 1787 préparaient chaque mois l’ordonnance de fonds à
1785 3 avril 1789 22 nov. 1789 expédier à partir du projet de fonds annuel. De
1786
Etat certifié
24 nov. 1789 20 déc. 1789 même pour les Ponts et Chaussées, les versements
Etat dont le comptable qui le présente a affirmé
sous serment qu’il est véritable. Réclamé en cours étaient programmés selon un échéancier de douze
Les bureaux des finances ne furent pas dotés de la mois. La réforme du Trésor royal* de 1788 attribua
d’exercice* avec une fréquence variable d’un
force coercitive nécessaire à l’exercice de leurs à l’intendant du Trésor, Bertrand Dufresne*,
comptable à l’autre, et exigé par la Chambre des
fonctions. « Car si les états au vrai ont pour objet l’arrêté de distribution de chaque semaine. Un
comptes* avant la présentation* du compte, il ne
d’être utiles au Conseil pour connaître, par une contrôleur général des opérations de la caisse
constitue pas le document définitif de la reddition*
comptabilité accélérée, le vrai état des comptables, centrale vérifiait le journal de caisse et reportait
des comptes. Cependant, il peut servir de base à
comment un état au vrai rendu devant les Trésoriers dans les registres de distribution les sommes
l’élaboration de documents qui auront valeur de
de France longtemps après l’exercice du comptable versées dans les caisses de dépenses. Le décret
titres légitimes pour décharger le comptable lors de
put-il servir à avertir le Conseil des recettes à organisant la Trésorerie nationale* revient sur l’état
celle-ci, afin d’en accélérer la procédure. Ainsi, en
faire ?». Les receveurs et trésoriers, à l’abri de toute de distribution que le ministre de chaque
1718, afin de simplifier la reddition* des comptes
contrainte, ne pressaient donc pas la fonnation de département devait envoyer au début de chaque
du Trésorier général* institué en Espagne à partir
leurs états. L’ordonnance de 1669 était bafouée. On mois au comité de trésorerie. Cet état devait être
de septembre, le Trésorier est invité à remettre
lit fréquemment dans les déclarations qui fixent les divisé par semaines et indiquer: 1) le décret qui
chaque mois à la grand Chambre des comptes* un
délais dans lesquels les receveurs généraux des légitimait la dépense; 2) l’année et les divisions
état certifié des assignations* que lui auront remises
finances devaient rendre compte, cette mention auxquelles les dépenses avaient rapport; 3) la
les payeurs* qui dépendent de lui et des acquits des
particulière de dérogation à la loi de 1669. Ainsi la destination de chacune d’elles; 4) le lieu où le
paiements qu’il aura effectués à la cour. Le
déclaration de du 20 août 1754 fixa-t-elle les délais paiement devait être fait; 5) le nom des parties
document sera vérifié et glosé par des comptables
pour les comptes des années 1750 à 1754, celle du prenantes* lorsqu’elles avaient à recevoir
de la dite Chambre, qui en remettront une copie au
8 mai 1757 établit de même des délais «non individuellement ou la dénomination des corps
Trésorier général accompagnée d’une déclaration
seulement pour la reddition des comptes desdits lorsque le paiement devait être fait en masse. Cet
en vertu de laquelle le montant déclaré dans l’état
premier et second vingtièmes et deux sols pour livre état était envoyé au bureau central de comptabilité
certifié constituera une dépense légitime du compte
du dixième pour les années 1754, 1755, 1756 et de la trésorerie afin d’être rapproché du livre de
final du Trésorier. A.D.
1757, mais encore pour la reddition des comptes prospectus* des dépenses, « pour s’assurer que les
Voir Affirmer un compte, Présentation d’un compte
des années 1754 et 1755, pour les impositions sommes qui y seront portées n’excèdent pas celles
ordinaires, extraordinaires, dixième de retenue sur pour lesquelles le département a été employé ».
Sources : AAE, CP Espagne, caisse 120, fol. 106-
les charges de nos états et capitation, qu’ils n’ont Sous l’Empire, Napoléon rendait une ordonnance
108, Projet de décret sur le trésorier général des
pas été en état de présenter dans les délais portés de distribution entre les divers ministères au
dépenses pour la guerre et traduction, § 3 et § 6, en
par nos ordonnances ». On mesure donc l’échec du premier de chaque mois; ce n’est qu’en vertu de
espagnol; en français: caisse 119, fol. 112-114.
contrôle administratif des comptes adopté par cette ordonnance, et jusqu’à concurrence des
« Instrucciôn al Tesorero General y pagadores de
Versailles. Formaliste, rébarbatif, l’état au vrai, sommes qui y étaient portées, que le trésor
provincias », 4 juillet 1718; AGS, Direcciôn
contrairement à l’extrait ou à la copie de journal*, acquittait les mandats* des ministres. L’empereur
General del Tesoro, Inventario Inv. 39, leg. 2.
ne rendait pas compte du caractère effectif des s’en expliqua lui-même : « Les ordonnances de
paiements et retardait toute la chaîne comptable, distribution ont pour objet de toujours tenir les clés
tant administrative que judiciaire. Les commissaires Etat de distribution
des deux trésors dans ma poche. Quand je signe une
de la Trésorerie nommés en 1791 les simplifièrent: Ce terme désigne le rôle qui répartit les fonds* à
ordonnance de distribution, je prête cette clé et on
« Les états au vrai ne seront plus que des relevés faire pour le paiement des services de l’Etat. Ces
207
peut s’en servir légalement». La loi du 14
septembre 1822 stipule : « toute Ordonnance, pour
être admise par notre ministre des finances, doit
porter sur un crédit régulièrement ouvert, et se
renfermer dans la limite des distributions
mensuelles de fonds ».
On notera que dans le domaine fiscal, l’état de
distribution pouvait désigner l’état de répartition ou
« département » : il s’agit de l’assiette d’une somme
forfaitaire à payer. M.-L. L.
Voir Budget
Sources: SHD, Ya 57, «projets de fonds» pour
l’année 1734, note du 6 janvier 1734. Décret du 16
août-13 novembre 1791 relatif à l’organisation de la
Trésorerie nationale, in Duvergier J.B., t. III, 2e
édition (1834), p. 207-218. Comte Albert Beugnot,
Mémoires du comte Beugnot, Paris, Dentu, 1866, t.
I,p. 381-384.
Etat de fonds
L’état général de fonds est le rôle qui liste les fonds
attribués pour une année à chaque département
ministériel. Au cours de l’arrangement de
finances*, on procédait à une répartition d’abord
général des fonds. Au temps du surintendant Sully,
on comptait cinq états généraux : « l’idée de dresser
pour chaque partie de finances des états généraux
qui en prescrivent nettement et uniformément la
forme m’a toujours paru si heureuse et si propre à
conduire à la plus grande exactitude que j’étendis
cette méthode sur tout ce qui en était capable. Dès
le premier jour de cette année (1601), je présentais
au roi cinq de ces états généraux ». De cet état
général, on tirait des états de distribution* qui
réglaient la marche à suivre des ordonnateurs pour
une durée plus courte, un trimestre ou un mois. Les
états de fonds régulaient donc la consommation des
recettes en fonction de la situation du Trésor. M.-L.
L.
Bibliographie : Buisseret D. (1968).
Etat de situation
Etat de recettes et dépenses formé à une date
donnée par le receveur pour renseigner les autorités
de contrôle. Cet état présentait le recouvrement fait,
le recouvrement à faire, les mandats acquittés, les
paiements à faire et le reste que contenait la caisse.
Logiquement, l’état de situation du dernier mois de
l’année devait permettre d’établir le balance* du
comptable. M.-L. L.
Voir Bordereau de compte, Extrait de compte
Etat du roi
L’état du roi est le rôle qui dresse la liste des
dépenses assignées sur les caisses de recettes et non
directement sur le Trésor*. En France, la prévision
« budgétaire » consistait en un registre des recettes
à faire et un registre des dépenses sur le Trésor
208
royal. Ces dépenses étaient listées par trésorier et
faisaient l’objet d’état de fonds*. Cependant, pour
éviter une circulation inutile de numéraire, on
procédait par assignation* de certaines dépenses
directement sur les receveurs et les fermiers. Avant
leur réforme (1767-1772), on comptait 144 états du
roi, soit autant de petits budgets à exécuter. Ils
formaient donc « des rôles énonciatifs des recettes à
faire par les comptables qui contiennent aussi les
noms des propriétaires de gages, augmentations de
gages, et de pensions assignées sur les finances et
domaines* avec la quotité des sommes qui leur sont
dues ou attribuées et de celles à verser soit au trésor
Roïal soit dans d’autres caisses ». Une fois arrêtés
par le roi, ces états fixes s’expédiaient par les
intendants de finances ou les secrétaires d’Etat,
chacun pour ce qui les concernait. Les ministres ne
pouvaient agir dessus. Le règlement du 15
septembre 1661 était clair sur ce point : « toutes les
demandes d’emplois de nouvelles charges dans les
états de Sa majesté seront rapportées et résolues
dans le Conseil royal ». Les bureaux des finances*
se chargeaient de l’exécution des états du roi dans
les provinces. Le ministre ou l’intendant des
finances* leur en donnaient l’ordre: « Je joins
l’expédition de l’Etat du Roy des charges assignées
sur les gabelles du Dauphiné de l’année 1775. Je
vous prie de tenir la main à son exécution et de
m’adresser vos observations pour la confection de
celuy de 1776 en y joignant les copies collationnées
des titres concernans les nouveaux employs ou
mutations qui doivent y être faits ». Les trésoriers
de France en délivraient à leur tour une expédition
entière pour le receveur général et des extraits pour
chaque receveur des tailles. Ce document servait à
établir la quittance* du comptable et représentait un
ordre de paiement*. Pour les trésoriers-payeurs (à
distinguer des trésoriers de France), on dressait
également des états prévisionnels de recettes et
dépenses.
La multiplication des états du roi fut préjudiciable à
la bonne gestion des deniers publics, d’autant qu’ils
étaient souvent recopiés tels quels d’une année sur
l’autre. Par arrêt du 30 octobre 1767, le ministre
Laverdy souhaita réduire le nombre d’états de 144 à
sept, « en y ajoutant un 8e état qui comprendra le
résumé des sept premiers et tout ce qui n’était pas
dans la partie connue sous le nom d’états du Roy ».
Pour limiter la confusion, il voulut également
confier la formation de ces états à un seul intendant
de finances*, espérant ainsi unifier un tant soit peu
les opérations budgétaires. Si l’on suit les ternies de
l’arrêt, on voit que l’intention du législateur était de
revenir à l’esprit des lois colbertistes et notamment
à l’idée d’un « contrôle » général sur l’ensemble
des dépenses. Comme au temps de Colbert*, la
législation renoua avec les injonctions formelles
comme celle mentionnée à l’article 11 : « fait
défense Sa majesté d’employer dans les dits états
aucunes parties nouvelles, qu’elles n’aient été
auparavant couchées sur le dit rôle ». On voit par là
à quel point l’arrêt constitue un décalque de la loi
de 1661. L’idée générale était de fusionner les états
pour mieux apprécier et contrôler les « charges »
des comptables, notamment le paiement des
pensions, gages, augmentations de gages, rentes...
qui pesaient sur leurs recettes. Le ministre Terray
prolongea l’effort de Laverdy sur ce point et l’on
continua de réformer les états du roi en examinant
les charges des comptables, et notamment des
justificatifs de propriété. « La vérification de ces
titres a procuré le retranchement de près de 800 000
livres de charges employées mal à propos », lit-on
dans les Résultats des opérations des états du roy
de 1771. Précisons néanmoins que la dépense pour
réaliser ce toilettage des états du roi monta à plus de
624 000 livres. En outre, Terray ordonna par arrêt
du 20 juillet 1771 que les rentes, intérêts et autres
charges ne fussent plus employés dans les états du
roi que pour le net* de ce qui revient à chacune des
parties prenantes*, les comptables ayant pris
l’habitude de conserver dans leurs mains la
différence entre le brut et le net, au lieu de la
reverser au Trésor royal*. Terray veilla
personnellement à l’application de la réforme,
comme en témoigne cette lettre adressée au bureau
des finances* de Grenoble : « Je vous ay fait
parvenir le 8 décembre dernier l’expédition de l’état
du Roy des charges assignées sur les gabelles du
Dauphiné de l’année 1770 à l’effet de tenir la main
à son exécution, mais étant informé qu’on y avoit
laissé subsister sur l’ancien pied les parties d’épices
pour la reddition des comptes de l’adjudicataire des
fermes generalles, tandis qu’aux termes de l’article
19 de l’édit de may 1772, elles ne doivent plus être
comprises dans cet état et dans les subséquents que
pour motié desquelles etoient cy devant employées,
il a été expédié en conséquence un nouvel état pour
cette année... ». Cependant, malgré cette
surveillance, le nombre des états du roi ne fut pas
réduit de manière significative. En 1774, les états
du roi réunis dans le département de d’Onnesson
étaient au nombre de 33, tandis que les intendants
des finances Cochin (pour les états des domaines de
chaque généralité), de Beaumont (ceux des bois),
Trudaine (ceux des gabelles, turcies et levées, ponts
et chaussées), les bureaux du contrôleur général
(pour les états du roi des fermes et des rentes de
l’hôtel de ville), et même des différents
départements des ministres se répartissaient les
autres. A défaut d’unité gouvernementale, l’unité
budgétaire resta un vain mot. M.-L. L.
Voir aussi Budget, Bureau des finances, Etat au vrai
Sources : AN, E 2440, f3 647-651 (arrêt du 30
octobre 1767) ; K 890, « Mémoire sur les Trésoriers
de France », f3 47. AD de l’Isère, Grenoble, 7C
676, lettre de Turgot au bureau des finances de
Grenoble, 16 décembre 1775. Idem, 7C 670, lettre
de Terray, 8 juin 1773. Moreau de Beaumont,
Mémoire concernant les impositions, t. II, Paris,
Imprimerie royale, 1769, p. 188.
Bibliographie : Guéry A. (1978). Hamon P. (1994).
Khamvongsa E. et Touzery M. (2006). Legay M.L.
(2011). Morineau M. (1997). Mosser F. (1978).
Etat final
On ne confondra pas l’état au vrai* et l’état final,
comme on peut le lire parfois dans certains
ouvrages. L’état au vrai était destiné à
l’administration des finances, plus exactement au
« bureau de vérification des états au vrai ». Il relève
du contrôle administratif*. Il résumait la gestion
une fois l’exercice fait. L’état final est le compte
qui, après avoir été présenté à la Chambre des
comptes, a été vu et corrigé. Après le jugement, les
auditeurs* des comptes rédigent un article, nommé
Y état final, à la fin des comptes qu’ils examinent à
la chambre. L’état final d’un compte doit
comprendre le total de la recette, de la dépense et de
la reprise* d’un compte, lesquels totaux, rangés
suivant l’ordre des comptes, font connaître si le
comptable est reliquataire* ou s’il est en avance.
Selon la déclaration du 19 mars 1712, les
auditeurs* sont tenus de distinguer dans les états
finaux qu’ils rédigent les différentes natures de
débets*, soit qu’ils proviennent de débets de
quittance*, d’excédents de fonds*, de parties
rayées* ou d’autres formalités. M.-L. L.
Sources : Dictionnaire des finances (1727).
Etat mensuel
Voir Bordereau de compte
Etats provinciaux
Partout en Europe, il existait des pouvoirs
provinciaux et locaux dotés d’attributions plus ou
moins étendues, importantes en Europe centrale et
orientale, moindres en Europe occidentale. Ces
pouvoirs intermédiaires, assemblées provinciales
(états, diètes, cortès), étaient dirigés par les élites
locales, souvent nobles, investies d’une autorité
politique naturelle, juridiquement et
économiquement fondée. Les assemblées locales
consentaient l’impôt au roi, répartissaient et
levaient les subsides et dépensaient une partie de
ces revenus avant d’en verser le solde dans les
caisses centrales de l’Etat. Le caractère contractuel
des monarchies anciennes limitait donc la
possibilité d’accroître les recettes. En vertu de leurs
privilèges, les corps constitués obtenaient souvent
un abonnement, voire une exemption, lorsque le
souverain décidait de la création ou de
l’augmentation d‘un impôt. Les assemblées
pouvaient également retarder le versement des
recettes provinciales et procéder à des jeux de
caisse*. Régulièrement, le receveur général* de
Lille se plaignit à l’intendant* de payer par
209
rescriptions*, faute de règlements par les états de
Flandre wallonne.
En outre, l’autonomie de gestion ne permettait pas
toujours de rationaliser les dépenses et tarissait le
mince filet de numéraire qui alimentait le trésor*.
Cela se vérifie dans les monarchies composées
comme F Autriche-Hongrie. Les assemblées,
exploitants naturels des impositions, retenaient sur
ces recettes des non-valeurs* et des validations*
pour charges militaires sans que le pouvoir central
puisse en contrôler exactement le montant avant le
XVIIIe siècle. Jusqu’en 1754 par exemple, les
villes de Bruges et Gand ne versaient rien à la
Recette générale de Bruxelles à cause de leurs
validations*. Le trésorier général n’eut pas de mots
trop durs pour dénoncer cette réalité : « leurs
administrations particulières sont les plus déréglées
de toute la Flandre». Les Etats provinciaux de la
Couronne de France procédaient de la même façon.
Depuis 1662 dans le Béarn, on levait 20 000 livres
au titre de donation extraordinaire pour la
subsistance des gens de guerre. Cependant, le roi ne
recevait que le quart de cette somme, la plus grosse
partie restant à la discrétion des états « pour les
intérêts, disent-ils, de plusieurs capitaux dus à la
province provenant des fournitures d’étapes ». En
réalité, comme le fit comprendre l’intendant*,
« personne ne [savait] l’emploi que l’on donnait
chaque année aux 14 832 livres restant». Dans le
Cambrésis, l’impéritie comptable fut portée à son
comble. Le déficit de cette province se creusa pour
atteindre 216 872 livres en 1784, année où les états
suspendirent leurs paiements. Cette banqueroute*
s’explique non par la corruption*, mais par
l’incompétence du receveur en exercice entre 1764
et 1784. En Languedoc, le roi eut beau fixer les
frais des Etats par l’édit de Béziers (1632) à 50 000
livres, les députés de la province en doublèrent eux-
mêmes le montant.
Les efforts de centralisation ont donc cherché à
limiter cette autonomie de gestion ou du moins à
l’encadrer. Au demeurant, le pouvoir central était
en mesure d’assigner des dépenses sur les caisses
des états, voire d’orienter leur gestion. En Espagne,
les Cortès de Castille, composées depuis 1538-1539
de délégués (procuradores) des villes, s’occupaient
du recouvrement des impôts (notamment les
alcabalas payés par abonnement au roi, et les
impôts destinés à payer le service des millions),
mais le Conseil des finances avait le contrôle des
dépenses sur ces abonnements. Lorsque les
arqueros furent créés à partir de 1647, un dans
chacun des districts (partido) qui composent les
provinces, ces arqueros recevaient leurs
assignations du Conseil des finances. De même en
France, les monarques orientèrent progressivement
la destination des recettes administrées par les états
et sollicitaient d’eux des emprunts. En Hongrie, une
partie des contributions levées pour le compte du
souverain de Vienne par les 59 comitats, sortes de
210
diétines locales dominées par la noblesse, était
comptée en nature pour la fourniture des troupes.
Les magistrats des comitats formaient tous les mois
des décomptes de la contribution due au souverain
en défalquant au préalable ce que les provinciaux
devaient payer pour la subsistance des militaires et
le service de leurs chevaux. Ces comptes faisaient
chaque semestre, en mai et en novembre, l’objet
d’un débat* contradictoire entre le commissaire des
guerres* et les députés du comitat.
Sur le plan comptable, cette particularité des Etats
modernes, conçus comme des ensembles
pyramidaux de corps constitués, présentait plusieurs
inconvénients. En premier lieu, elle fondait en droit
la diversité des régimes de contrôle comptable
d’une province à l’autre. En Bretagne, trois députés
provinciaux étaient admis avec voix délibérative au
jugement des comptes du trésorier des états, en
vertu du traité de 1585 conclu entre ces derniers et
la Chambre des comptes de Nantes. En Languedoc
la chambre de Montpellier n’avait aucun droit de
révision* sur les comptes des Etats. L’opacité de
leur gestion fi.it dénoncée en 1750 en tenues
éclairants : « Les comptes des Etats ont été tenus si
secrets depuis cent ans qu’ils ont fait ce qu’ils ont
voulu sans craindre aucune critique. Anciennement,
ils comptoient à la Chambre des comptes de
Montpellier, ils étoient pour lors sur leurs gardes
mais depuis plus d’un siècle qu’ils ont surpris le
ministère dans des temps orageux où l’on croyoit
avoir besoin d’eux, ils ont obtenu qu’on comptât
devant eux-mêmes, de sorte qu’on voit une chose
monstrueuse que l’ordonnateur, le répartiteur des
deniers publics est aussi l’oyant compte de celui qui
l’a commis à la recette sans que les officiers du roi
qui a un si grand intérêt que le bien de son peuple
ne soit pas employé à des mauvais usages puissent
y avoir aucune inspection ». Cette diversité des
modalités d’inspection des comptes se combinait à
la mauvaise volonté des assemblées peu enclines à
ouvrir leurs livres*. Dans le Maçonnais, il faut
attendre 1778 pour que l’administration du petit
comté accepte de livrer les comptes du vingtième
pour les années 1757 à 1773, comptes réclamés
depuis plus d’une décennie par la Chambre des
comptes de Dijon. Dans les Pyrénées, certains
comptes demeuraient parfaitement inconnus de
l’administration centrale, comme ceux du pays des
Quatre vallées, à propos desquels le receveur
général des finances* de Pau et Bayonne révèle en
1787 : «On s’est donné bien des peines pour se
procurer à plusieurs reprises des renseignements sur
ce pays sans avoir pu y parvenir. Tout y est dans le
plus grand désordre. Les assemblées s’y tiennent
confusément. Il n’y a ni chef ni règle. Il est douteux
qu’on y tienne registre. On n’a pu en arracher
encore aucun procès-verbal, ni aucun compte ».
Dans ces conditions, les pouvoirs centraux
n’avaient pas d’unité de vue sur les recettes et
dépenses de l’Etat tout entier. En Hongrie, le
receveur général ou trésorier de chaque comitat
devait rendre compte de la perception des deux
caisses de la province (la caisse des contributions
au souverain et la caisse domestique) par devant les
Etats du comitat, trois mois après que l’année
militaire fût achevée. L’assemblée procédait à leur
révision, puis les envoyait à la chambre royale.
L’autonomie comptable était quasi complète avant
les réformes de Joseph II. M.-L. L.
Sources : AN, H1 86, pièce 9, note de 1776 (Béarn).
H1 748190, 1762 ; H1 849, pièce 6, 1750 ou 1751 et
H1 959, pièce 4 (Languedoc). H1 1132, pièce 161,
1778 (Méconnais). H1 1165, 1787 (Pau). A. M. de
Cambrai, Fonds Delloye, liasse 24, pièce 64. AGR,
Chancellerie aulique des Pays-Bas à Vienne, 665, f°
10.
Bibliographie : Beik W. (1985). Legay M.L. (2001
et 2011).
Examen (d’un compte)
Voir Audition, Correction
Exercice
L’exercice désigne à l’origine l’action d’assumer un
office : on exerce une charge d’officier confiée par
le roi. Par métonymie, le terme désignera le laps de
temps durant lequel l’officier* « exerce » la —puis
sa— charge et le mode de rattachement des
opérations financières à ce laps de temps.
L’exercice, à l’image de la gestion*, est autant une
référence à un mode de mise en œuvre de l’action
publique, qu’une référence temporelle ou une
technique comptable.
Exercer une charge ... durant un laps de temps
Le Dictionnaire des finances de 1727 définit
l’exercice comme une « occupation, fonction d’un
Officier de Finance qui exerce la Charge, ministère
d’un Comptable qui remplit les fonctions et les
devoirs d’une Charge, principalement lorsqu’elle
est alternative ou triennale ». Là où la gestion
concerne la régie, l’exercice relève de la charge
d’officier : on exerce une charge d’officier !
Si le tenue exercice se rattache au verbe exercer,
son intérêt découle de ce qu’il désigne une période
durant laquelle l’officier assume cette charge. Le
même dictionnaire de 1727 précise sous une autre
rubrique que « les gardes du Trésor royal ont
chacun dans leur année d’exercice une somme pour
les frais de bureau* ». Les exercices pouvaient être
consécutifs mais le terme était surtout employé
lorsqu’ils étaient alternés. La pratique daterait d’un
édit d’octobre 1554 qui permettait de céder une
même charge à deux officiers, ce qui présente un
intérêt financier certain, l’un était en exercice pair,
l’autre en exercice impair. Chaque officier alternatif
n’était alors responsable que de « son » exercice.
Par extension un mode de comptabilité : le
rattachement à l'exercice
Le dédoublement des charges pose des questions
pratiques évidentes : comment opérer le
rattachement d’une somme à un exercice ? L’article
2 de la déclaration royale du 17 octobre 1779
précise : « afin que les recettes et les dépenses
appartenant à chaque année soient, à l’avenir,
distinctes et séparées, voulons que toutes les
remises de deniers à faire par les comptables aux
gardes de notre Trésor royal soient faites, à compter
de l’exercice 1780, à celui desdits gardes qui était
en exercice dans l’année d’où proviendront les
fonds qu’ils auront à remettre ». L’exercice
recouvre ici une signification comptable, les
sommes maniées par les comptables sont bien
rattachées à leurs exercices d’origine. Ce
rattachement à l’exercice d’origine sera repris sous
la notion de « service fait » à l’article 1er de
l’ordonnance de 1822 : « seront seules considérées
comme appartenant à un exercice les dépenses
résultant d’un service fait dans l’année qui donne
son nom audit exercice. » Peu importe la date du
mouvement de fond ! Qu’il s’agisse d’en
encaissement ou d’un décaissement, c’est
l’initiative de l’opération qui compte : le service
fait. Il ne faut pas ici confondre la liquidation et
l’engagement : c’est bien à l’engagement* qu’il est
fait référence.
Ce rattachement offre un avantage considérable
puisqu’il permet de maîtriser le degré d’exécution
des décisions financières. Qu’il s’agisse de recettes
ou de dépenses, les sommes doivent être imputées
sur l’exercice au titre duquel elles ont été établies,
engagées en conséquence de quoi l’exercice reste
ouvert jusqu’à apurement* définitif.
Rétrospectivement, ce mode de rattachement fut
baptisé : exercice intégral illimité. A l’origine, les
dépenses et les recettes inscrites lors de leur
engagement n’étaient soldées que lors du paiement
ou de l’encaissement*. L’exercice restait « ouvert »
tant que tous les mouvements de caisse n’avaient
pas été effectués. La clôture définitive ne pouvait
être prononcée qu’au terme des délais de
prescription qui rendaient dette et créances
caduques. Dès lors, il était nécessaire de maintenir
ouvert en parallèle un grand nombre de comptes qui
correspondaient à autant d’exercices.
Dans ses Mémoires, Mollien* signale les difficultés
générées par ce système. Les comptes du ministère
du Trésor « se composaient, suivant l’usage, de plus
de quarante tableaux de chiffres ; ils présentaient
l’ensemble et le détail des recettes, et des dépenses
faites en 1805, sur chacun des six derniers budgets
ou exercices ; car depuis l’an VIII (1800), aucun
budget n’avait encore été complètement soldé ».
Un autre inconvénient de l’exercice intégral illimité
était l’incertitude qui pesait sur la trésorerie. Il était
impossible d’évaluer le montant des paiements qui
211
devaient intervenir dans l’année. Mollien introduisit
un bilan* général du Trésor, établi à l’issue de
chaque trimestre pour être remis à l’empereur, qui
devait permettre de dépasser les difficultés liées au
chevauchement des exercices budgétaires.
La clôture de l ’exercice
Alors que la date de clôture de la gestion comptable
ne posait pas de difficulté, celle de l’exercice
comptable se devait d’être déterminée. Sous la
Restauration deux tendances s’affrontèrent jusqu’à
la tête du ministère des finances. Si Corvetto
souhaitait adopter le système de la gestion* à
l’image de l’Angleterre, Louis soutenait le principe
de l’exercice limité à vingt-quatre mois vanté par
Mollien dans ses mémoires ; « Ce que la trésorerie
aurait voulu sans doute, dès ce temps, et ce qu’elle
n’a pu obtenir, c’eût été que les comptes du trésor
n’eussent jamais présenté que deux budgets
ouverts, et, pour employer une expression
consacrée, deux exercices seulement en
concurrence ; conséquemment qu’un budget eût été
irrévocablement clos et fermé après vingt-quatre
mois de durée, et que ce qui serait resté alors à
recouvrer ou à payer sur ce budget, fût entré avec
une mention distincte dans le texte du nouveau
budget, qui se serait ouvert avec une nouvelle
année ».
L’article 22 de la loi du 23 septembre 1814 pour
l’Empire et l’article 2 de la loi du 28 avril 1816
pour la Restauration dorent par deux fois des
exercices avant leurs termes.
Les partisans de l’exercice limité l’emportèrent
définitivement avec l’adoption de l’ordonnance du
14 septembre 1822 dont l’article 12 établit la date
ultime des paiements au 31 décembre suivant
l’exercice. Les dépenses engagées en 1823 ne
pourront être payées au-delà du 31 décembre 1824.
Pour permettre de réaliser techniquement la
dépense, il faut anticiper la date de clôture des
ordonnancements. L’article 20 de l’ordonnance de
1822 fixe donc la date ultime des ordonnancements
au 30 septembre et l’article 21 prévoit la
réimputation des dettes exigibles sur l’exercice
suivant.
Progressivement, les dates de clôture* de l’exercice
vont se rapprocher et concourir à amoindrir la
distinction avec la gestion. En matière de paiement,
l’exercice sera clos le 30 novembre (Ordonnance 31
août 1825) puis le 31 octobre (Ordonnance 11
juillet 1833) puis le 31 août (Décret 11 août 1850) :
l’exercice dure alors 20 mois. En ce qui concerne
les ordonnancements, le même décret de 1850 fixe
leur date limite au 31 juillet pour les dépenses et au
30 novembre pour les recettes. Le décret du 31 mai
1862 restreindra encore les délais à treize mois pour
les engagements, dix-neuf mois pour les
ordonnancements et vingt mois pour les paiements.
Dès lors, la confusion s’opère entre le budget et
l’exercice puisque l’année budgétaire correspond
212
presque à la période de son exécution en terme
d’engagement. L’article 4 du décret de 1862 peut
établir ce qui deviendra une tautologie : « l’exercice
est la période d’exécution des services du budget :
il prend la dénomination de l’année à laquelle il se
rapporte ». S.K.
Voir Gestion.
Sources: Audiffret C. (1863). Mollien N. (1898).
Dictionnaire encyclopédique des finances (1889),
notice «budget». Dictionnaire de l’administration
française (1862), notice «Exercice». Dictionnaire
Napoléon (1989), notice « Finances publiques ».
Extrait de compte
L’extrait est ce qu’on tire d’un compte. Il constitue
un relevé. Initialement, les extraits de compte
étaient de simples bordereaux* envoyés aux
bureaux centraux sans que ces derniers aient les
moyens d’en faire la balance* à cause de la
confusion des exercices notamment. Dans l’Empire
romain germanique par exemple, on renforça en
1568 le rôle des bureaux centraux chargés de
recevoir les « extraits » ou relevés (Ausziige)
annuels, trimestriels ou mensuels de chaque
receveur ou trésorier impérial (pour les branches de
revenus administrés directement par
l’administration impériale), chaque chambre
« provinciale » (pour les revenus administrés dans
les Lânder). L’instruction de 1568 rappelait que
chaque extrait devait être reporté dans des registres
centraux. Ces relevés servaient à dresser le compte
général de l’Empire. Au Danemark, l’instruction du
9 mai 1625 mit le trésorier du royaume dans
l’obligation de tenir des « registres mensuels »,
contresignés par le roi, dans lesquels l’état de
l’argent courant, des dépenses et du bénéfice pour
le mois courant sont inscrits à partir des extraits ou
bordereaux* des comptables. Le 14 novembre
1659, Frédéric Guillaume Ier de Brandebourg
exigea la formation, tous les trimestres, d’extraits
(Quartaliter richtige Extrackte) tirés des registres
de recettes et dépenses et des registres des
assignations, par lesquels il espérait connaître la
situation de ses finances. Les relevés mensuels des
comptes et leur centralisation* est une pratique
établie dans toutes les comptabilités européennes à
l’époque moderne. Il faut attendre le XVille siècle
pour que les exrtaits, tirés de la clôture du journal,
permettent de faire la balance des recettes et
dépenses d’un comptable. L’extrait devient alors le
relevé du journal dans le grand-livre*. L’édit de
juin 1716 organisa en France ce contrôle grâce à la
formation de bureaux chargés du suivi des journaux
et des fonds. Au sein de la Ferme Générale*, les
bordereaux mensuels des receveurs particuliers
étaient rapprochés du registre-journal* des
receveurs généraux pour établir l’état précis de la
trésorerie. En Autriche, Puechberg* dénonça les
extraits (Monatsextracten) que les comptables
publics tiraient de leurs livres de rubriques*, d’une
part parce qu’ils étaient envoyés à Vienne avec la
plus grande irrégularité sans les pièces
justificatives, et surtout parce que la comptes de
caisse et comptes par rubriques* étaient tenus par la
même personne, ce qui empêchait la vérification
des fonds. Par exemple, « les extraits donnés par la
caisse des opérations de campagne (militaire) de la
dernière guerre faisaient voir 4 à 5 millions de plus
que le reste effectif de la caisse ». Les extraits
mensuels, contrairement aux bilans mensuels
{cameralischen Monatsabschlusse) que Puechberg*
se proposait de mettre en place, ne permettaient pas
de répondre à la question : « combien, pour chaque
rubrique, est-il entré ou sorti de la caisse pendant ce
mois particulier?». Dans les Pays-Bas*, Benoît-
Marie Dupuy* proposa des modèles pour la
fonnation d’« extraits de bilan » mensuels adoptés
par les receveurs des domaines et des douanes
(instructions du 26 novembre 1752), plus tard par
les receveurs des aides et subsides. La monarchie
autrichienne finit par imposer ces modèles à
l’ensemble de ses territoires, Pays-Bas, Milanais et
Hongrie compris, et parvint à dresser le « grand
Livre au centre du souverain » grâce aux registres
généraux de chaque territoire et aux « extraits qui se
forment hors de ce livre tous les trois mois ». M.-L.
L.
Voir Balance, Bordereau de compte,
Dépouillement, Etat, Journal, Résultat
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 70.
Puechberg J.M. (1772).
Bibliographie : Hengerer M. (2008). Krüger K.
(1770).
Extrait de journal
Voir Dépouillement
Extrait de revue
Il s’agit du document dressé par le commissaire*
des guerres au terme de la revue. Ce document
indiquait l’état et la composition des troupes, était
signé par l’autorité militaire ou civile du lieu et
adressé à l’intendant d’armée ou de province, au
Secrétariat de la guerre et au trésorier général pour
pennettre la ventilation des dépenses du mois et
leur justification. Il revêtait une grande importance
pour la comptabilité publique car il permettait, d’un
mois à l’autre, de vérifier la consommation
effective des masses*. Il importait donc que les
administrations disposent d’extraits de revues bien
formés. La revue de subsistances ou revue
d’effectifs s’effectuait en général une fois par mois
en vue de faire payer la solde aux hommes
effectivement présents par le trésorier* en charge
du corps. Les lois précisaient les formes à respecter
pour dresser les extraits, notamment la numération
en toutes lettres, l’utilisation de feuilles numérotées
et signées par les officiers majors et commandants,
l’inscription des dates de départ et d’arrivée des
troupes en déplacement et la certification des
officiers, l’expédition à faire de copies des extraits
au ministère et à l’intendant d’années, aux officiers,
aux trésoriers et entrepreneurs de fournitures (pour
servir de décharge*). En Espagne, la réfonne des
années 1705-1706 menée par Jean Orry* introduisit
définitivement l’usage et l’envoi régulier, une fois
par mois, des extraits de revues. Pour l’année de
Castille et d’Estrémadure, ces extraits étaient
unifonnes puisque tous les tableaux faits pour les
régiments obéissaient, dans chaque arme, à un
même modèle. Les inspecteurs, dans la cavalerie et
dans l’infanterie, y ajoutaient des tableaux
synthétiques qui réunissaient les chiffres de
l’ensemble des corps passés en revue. D’autres
tableaux récapitulaient le matériel distribué aux
troupes. En outre, le directeur de l’infanterie, le
comte d’Aguilar, adressait à la reine des
certifications des colonels des régiments. Le même
type d’informations était tiré de places dotées de
garnisons, comme Jaca. Le Secrétaire d’Etat
contrôlait ainsi le travail des commissaires,
obtenant par exemple des « certifications »
prouvant qu’ils avaient remis des extraits de revues
au facteur du munitionnaire des vivres. Enfin, les
plaintes répétées des officiers qui n’avaient pu être
payés parce qu’ils n’avaient pas de lettres de
services et ne figuraient donc pas dans les extraits
de revues montrent que le trésorier respectait les
directives reçues du commissaire.
En France, la revue des troupes devait également se
faire une fois par mois en vertu du règlement du 1er
février 1679, repris le 28 juin 1702. A cette époque,
les commissaires des guerres s’aidaient d’un simple
rôle de signal ou livret de signalement lors de
l’appel des hommes par compagnie. En cas
d’entente entre les commissaires et les officiers
d’épée pour inscrire des hommes absents, de
lourdes sanctions étaient prononcées jusqu’à la
radiation. Sous la Régence (ordonnance du 2 juillet
1716), des registres de contrôle des troupes, tenus
par compagnie et reliés par régiment furent institués
pour remplacer le simple rôle de signalement. Ces
registres devaient être remis par le major au
commissaire au début de chaque revue afin qu’il en
effectue la mise à jour. Le règlement du 20 février
1722 spécifia que l’extrait de revue devait être
envoyé au plus tard le 10 de chaque mois au
Secrétaire d’Etat de la Guerre. L’ordonnance du 30
juin 1759 renforça encore le contrôle en exigeant
une vérification générale annuelle de toutes les
troupes de l’armée royale par compagnie à raison
d’une revue par mois. A la fin de chaque année, les
registres devaient être adressés aux bureaux de la
guerre à Versailles où les commis devaient les
collationner* avec les extraits de revues envoyés
chaque mois par les commissaires. En outre les
extraits de revue devaient être contresignés par le
commandant et le major de la place, ainsi que par
213
 les officiers supérieurs et majors des corps
concernés. Ses dispositions furent reprises par
l’ordonnance du 20 mars 1764 et le règlement du
25 mars 1776. Ce dernier texte ramena toutefois à
deux mois la fréquence des revues à faire par les
commissaires des guerres.
Dans les faits, il semblerait que les extraits de
revues n'étaient pas toujours rapportés à un état
général. C’est ce qui ressort des échanges
épistolaires entre ministres de la guerre et des
finances à propos du non-complet*, c'est-à-dire du
bénéfice que laissait dans les caisses la non
consommation des masses. Les sommes
concernées, pourtant comptées aux trésoriers,
n’étaient pas négligeables. En 1774. le non-complet
fut apprécié à hauteur de I 570 587 livres, à quoi il
faut ajouter le bénéfice produit par les marchés, soit
un total de 2 360 628 livres. Au temps de Necker*.
on convint que le trésorier de la guerre ne devait
payer que sur les revues. « ainsi, au lieu de recevoir
par estimation le produit des non-complets, il faut
faire le relevé desdites revues pour connaître au
juste à quoi il monte, tant en solde qu'en fourrage et
dans la plus-value du pain ». Le suivi de la
comptabilité des troupes subit les aléas de la
Révolution et prit une forme plus sûre avec la
création des inspecteurs aux revues le 29 janvier
1800. L'article 7 précisait : « Tout officier qui sera
convaincu d'avoir porté sur les états mentionnés aux
articles 5 et 6 un plus grand nombre d'hommes ou
de chevaux qui existaient réellement, ou qui les
aurait employés pour plus de temps qu'il ne
devraient y être, sera dénoncé au général de
l'Armée ou de la Division, qui le fera traduire
devant un Conseil de guerre pour y être jugé
comme dilapidateur des deniers de la République »
Dans les faits. Napoléon se montra peu satisfait des
activités de ces inspecteurs, particulièrement du
point de vue du contrôle de la comptabilité. Les
chiffres annoncés chaque mois par le comité des
inspecteurs aux revues ne correspondait jamais avec
le nombre de rations déclarées fournies par le
munitionnaire. Leurs fonctions furent organisées le
26 ventôse an VIII et modifiées les 24 septembre
1808 et II octobre 1809. Ce corps comptait 202
membres en 1812. L’intendance militaire fut
finalement réformée par l'ordonnance du 29 juillet
1817 qui supprima ce corps et créa des intendants
d'années auprès de chaque général en chef. M.-L
L.
Sources : AHN, E, leg. 270, 271, 280-1, 298. SHD,
1 M 1881 (44 bis), Ordonnance du Roy pour régler
les revues des commissaires des guerres, 1er février
1679 ; X1, « Ordonnance du Roy portant
rétablissement d’une revue aux troupes pour chaque
mois », 20 février 1722 ; AN, AD VI 4, dossier C,
actes royaux relatifs aux commissaires des guerres
(1523-1771), dont pièce 62, « Ordonnance du Roy
portant règlement sur les revues des commissaires
214
des guerres», 30 juin 1759. SHD, A 3689, pièce
200 ter, note des bureaux de la guerre insérée dans
le mémoire adressé au comte de Saint-Gennain,
1775; A 3712, pièce 131, 1779. «Règlement
général sur l’administration des corps, habillement,
recrue...donné à Versailles le 25 mars 1776 », titre
XIII : « Des revues des commissaires des guerres »,
in Recueil des anciennes lois françaises, t. XXII,
(1830), p. 496. Briquet P. de (1728). François de
Chennevières, Détails militaires dont la
connaissance est nécessaire à tous les officiers et
principalement aux commissaires des guerres, 2
vol., Paris, 1742. Napoléon Bonaparte, Lettre du 4
germinal an IX (25 mars 1801) à Berthier et à
Carnot publiée par la Fondation Napoléon.
Bibliographie: Brown H.G. (1990). Corvisier A.,
Une source de l’histoire sociale de l’Ancien
Régime, les contrôles des troupes, thèse
complémentaire, Paris, 1964, 3 vol. Drévillon H.,
L ’impôt du sang. Le métier des armes sous Louis
XIV, Paris, 2005. Dubet A. (2009). Gibiat S.,
Hiérarchies sociales et ennoblissement, Les
commissaires des guerres de la Maison du roi au
XVIIIe siècle, 1691-1790, Paris, Ecole des Chartes,
2006. Pigeard A., « Le service des vivres dans les
années du premier Empire (1804-1815)», AHRF,
vol. 303, 1996, p. 144-147.
Eyb, Ludwig von (1417-1502)
Voir Prusse
Faire bon
Voir Bon
Faux emploi
Il y a faux emploi dans un compte lorsqu’une
fausse pièce y est employée comme vraie, ou
lorsqu’une pièce de comptabilité vraie en elle-
même est employée dans un compte auquel elle est
étrangère. L’ordonnance de 1667 (titre 29, article
29) dit que si dans un compte il y a des erreurs*,
omissions* de recette, ou faux-emploi, les parties
pourront en former leur demande ou interjetter
appel de la clôture* du compte et plaider leurs
prétendus griefs en l’audience. Le faux emploi se
distingue du double emploi* et du biscapit*, même
si les tenues sont parfois désignés l’un pour l’autre
dans les textes réglementaires. A.D. et M.-L. L.
Voir Biscapit, Concussion, Double emploi, Erreurs
Ferme
Voir Régie
Ferme générale
La Ferme générale ou compagnie des fenniers
généraux fut l’entreprise financière la plus
importante en France à la fin du XVIIe siècle et au
XVIIIe siècle. Elle gérait à bail les gabelles, les
aides, les domaines*, traites et entrées, avec
quelques autres baux particuliers. Ses employés
développèrent un savoir-faire comptable et
financier qui s’exporta en Europe, en Piémont
comme en Toscane (1741) ou en Prusse (1766).
Unifiée par Colbert* qui négocia le bail Fauconnet
en 1680, la Ferme se divisa de nouveau au début du
XVIIIe siècle avec les vicissitudes de la guerre de
Succession d’Espagne et des options financières de
la Régence, avant d’être de nouveau réunie à partir
de 1726 et jusqu’en 1789. A partir de 1730, la
ferme des tabacs lui fut adjointe. Jusqu’en 1756, les
fenniers généraux n’administrèrent directement que
les gabelles, traites, tabacs et entrées ; les aides et
les domaines* étaient sous-affennés. En 1756 (bail
Henriet), on supprima les sous-baux pour former un
seul corps de fenne. Dès lors, le nombre de
fenniers généraux, qui étaient les cautions de
l’adjudicataire de la fenne, passa à soixante au lieu
de quarante auparavant. En 1780, Necker*
démembra la Fenne en créant la régie générale des
aides* et l’administration du domaine*.
La Fenne générale dépendait étroitement de la
puissance publique. Sous la tutelle du contrôle
général des finances*, elle procédait à des avances*
sous fonne d’assignation* à hauteur de sommes et
aux conditions définies dans le bail, renouvelé tous
les six ans. Elle retirait de ses avances trois sources
de profit : une rémunération fixe pour chaque
fennier général, les intérêts de leur caution et les
bénéfices de l’exploitation. Quant à la première
fonne de profit, celle-ci ne cessa d’augmenter. En
1774, les Fermiers généraux disposaient chacun
d’un « appointement » de 24 000 livres (30 000
livres en 1780). Cependant, sur la base d’états de
frais impossibles à contrôler, ils arrondissaient leur
rémunération fixe de quelques milliers de livres (4
200 livres par fennier en sus en 1774). Les intérêts
des cautions des fenniers, transfonnées en prêts
remboursables à la caisse d’amortissement,
s’élevaient de 5 % à 7 % et se trouvaient exempts
de taxe, sauf entre 1770 et 1774. Quant aux
bénéfices, Darigrand, qui avait été lui-même dans
sa jeunesse employé des Fennes, porta à la
connaissance du public toutes les exactions par
lesquelles agissaient les employés des fennes. Pour
les années 1770, nos sources font état de profits
confortables : « Les gains des fenniers généraux
varient mais on l’a toujours évalué dans les années
les moins fertiles à quinze pour cent de leur mise de
fonds ». Le gouvernement tenta à plusieurs reprises
de mettre la main sur ces bénéfices. Par les lettres
patentes du 17 avril 1759, le contrôleur général*
Silhouette voulut astreindre les fenniers généraux à
verser, en sus du prix de leurs baux, « la moitié des
bénéfices et émoluments de leurs fennes ».
Néanmoins, il fallut attendre 1774 pour que ce
partage des recettes s’appliquât effectivement. A la
fin de l’Ancien régime, la rationalisation financière
du gouvernement diminua sensiblement le taux de
profit de la Fenne, mais ce dernier demeura très
élevé, évalué autour de 300 000 livres par fennier
par le comte de Mollien*, et cristallisa les plus
vives critiques de l’opinion publique.
La comptabilité des droits affennés fut grandement
améliorée par la délibération du 15 juin 1720
adoptée par la Compagnie des Indes. A partir de
cette date, les bureaux de l’hôtel des fermes, sis
entre la rue de Grenelle et la rue Bouloi,
examinèrent les comptes des receveurs, au lieu que,
jusqu’alors, ces comptes étaient rendus dans les
provinces par devant les directeurs qui procédaient
à l’apurement*. Pour chaque droit, les bureaux
arrêtaient l’état final* du compte. Ces états étaient
utilisés pour former la carte générale des recettes et
des dépenses de la Fenne. L’aile de la rue de
Grenelle regroupait les directions générales des
traites, des grandes et petites gabelles, des salines.
C’était aussi le siège du secrétariat général, de la
recette générale et du bureau de liquidation des
fennes. On trouvait rue Bouloi la direction générale
des aides du « plat pays de Paris », la direction des
comptes concernant les traites, le transit des
marchandises et la vérification des passeports.
D’après le fennier général Antoine-Laurent
Lavoisier*, l’hôtel des fennes abritait en 1774 600
employés, répartis en 55 bureaux. On comptait 400
vérificateurs et petits personnels, dont 225
« commis aux écritures », sous la surveillance de
139 « directeurs » et « sous-chefs ». A la recette
générale travaillaient 40 personnes : le receveur
général, les contrôleurs, caissiers et commis, ainsi
que «8 compteurs et 10porteurs d’argent». Le
« bureau de la comptabilité » dressait les comptes
généraux de la compagnie. La Fenne générale
n’était donc pas soumise au contrôle administratif
ministériel de ses comptes. En revanche, elle
rendait compte par devant la chambre de Paris. Les
frais de reddition*, pour le compte de l’année 1784
par exemple, s’élevaient à 21 290 livres. Pour
établir ces comptes généraux, le bureau de la
comptabilité s’aidait des travaux du « bureau de la
suite des caisses». Ce bureau réclamait les états
mensuels de recettes et dépenses de tous les
receveurs particuliers de la compagnie et les
vérifiait en les rapprochant des extraits* ou relevés
de comptes des receveurs généraux. En ce sens, il
opérait un double contrôle des livres, ce qui
distinguait la compagnie de l’administration
publique proprement dite car les receveurs
généraux de finances* avaient cessé de transmettre
leurs extraits de compte aux intendants de finances
depuis 1726.
Les receveurs particuliers étaient astreints à tenir
plusieurs registres. Pour le receveur de grenier à
sel : un registre de vente journalière de sel, un ou
deux registres sextés* pour la distribution
volontaire, un registre de la recette d’impôt du sel,
un registre de procès-verbaux de captures, un
registre d’ordres... Pour le receveur des traites : un
registre des sorties et des entrées, un registre des
215
 déclarations, un registre des acquits-à-caution, le
registre des saisies, le registre d’ordres... Pour le
receveur des tabacs : un registre des recettes
journalières pour la vente des tabacs fournis aux
entrepreneurs, un registre des dépenses ordinaires et
extraordinaires, un registre des saisies, un registre
pour les réceptions de tabacs, un pour les envois, un
registre des numéros, un registre d’ordres, un pour
la déclaration et dépôts des tabacs étrangers. On
distinguait les registres tenus avec le contrôleur* et
le registre-journal* « que ledit sieur receveur
tiendra seul et séparément dans la forme prescrite
par l’édit du mis de juin 1716 et sous les peine s y
portées ». Ces registres étaient cotés et paraphés
soit par l’un des cautions, soit par le directeur du
département (des tabacs des aides, des traites...). Le
receveur particulier ne payait aucune dépense
ordinaire que sur les états de frais réglés et arrêtés
par la compagnie. Pour les dépenses
extraordinaires, le receveur devait présenter au
directeur de son département, pour visa, les états,
mémoires et pièces nécessaires. Pour son
bordereau* mensuel à envoyer à Paris, il prenait
soin de rappeler le débet* du mois précédent, les
recettes et leurs espèces, et de distinguer dans la
dépense les paiements faits à la « caisse générale de
Paris » et les frais. S’il lui restait quelques fonds de
caisse*, il devait les remettre à la « caisse générale
de Paris» dans les 10 premiers jours du mois
suivant. Au plus tard deux mois après l’expiration
de l’exercice, le receveur particulier*, comme le
receveur général*, devait transmettre au « bureau
de la comptabilité » tous ses registres afin d’en
arrêter le compte. Malgré la précision des
directives, les directeurs de département ou les
bureaux centraux étaient amenés à rappeler les
receveurs à l’ordre. Sur la base des rapports
d’inspection, la hiérarchie réitérait les devoirs de
chacun. Au cours de sa tournée dans la direction
des fermes de Saint-Quentin par exemple (1708),
l’inspecteur des fermes, Lauguérat, observa les
défauts de tenue de registres tant du greffier, que du
contrôleur ou du receveur du Grenier à sel de cette
ville. Dans le registre sexté* pour la distribution du
sel de vente volontaire, le receveur ne distinguait
pas les sels de salaison d’avec ceux destinés au pot
et à la salière, contrairement au modèle de registre
contenu dans l’ordonnance de gabelle de 1680. Pire,
il omit de tenir un registre sexté* pour les habitants
du plat pays. De même, le receveur du Grenier à sel
de Die se fit reprendre en 1764 sur son
administration. On lui rappela la nécessité
d’envoyer ces registres à Paris pour en arrêter le
compte, de faire parvenir à temps ces bordereaux
mensuels : « la compagnie se plaint avec raison que
vous n’avés pris aucune précaution pour lui faire
passer les états de mois dans le terme ordinaire
puisqu’elle n’a point reçu ceux des mois de
septembre, octobre et novembre, ce qui suspend
nécessairement les opérations générales ».
216
La Ferme générale eut pour principale
préoccupation d’améliorer la gestion des receveurs
particuliers et de les amener à verser exactement
leurs fonds à la recette générale des fermes. Or en
1760 encore, la direction reconnaissait: «Nous
voyons par les extraits de journaux des receveurs
généraux où il est fait recette des sommes remises
par les receveurs particuliers, qu’il en est plusieurs
qui ne remettent pas aussi promptement qu’ils
pourroient le faire ou qu’ils ne remettent qu’une
partie de leur restant en caisse ». Ces retards étaient
préjudiciables à la comptabilité générale car en
restant reliquataires*, les receveurs particuliers
empêchaient à leur tour les receveurs généraux de
clore leurs comptes rapidement. Ceux-ci attendaient
en effet que leurs subordonnés aient arrêtés leurs
comptes pour le faire eux-mêmes afin d’employer
les récépissés* de solde dans leurs états. C’est
pourquoi la direction rappela à tous qu’elle désirait
« que la totalité du débet de chaque mois soit
remise à la recette générale dans les 10 jours ». Le
27 juillet 1761, elle adopta un règlement ordonnant
aux receveurs généraux des fermes de clore leurs
registres-journaux* le 1er juin de l’année suivant
l’exercice révolu, de s’abstenir de faire aucune
recette des receveurs particuliers après cette date,
de former leur compte et de l’envoyer avec les
pièces justificatives au « bureau de la
comptabilité» avant le 1er juillet et quant aux
receveurs particuliers reliquataires, qu’ils versent
leur débet* directement à la caisse centrale à Paris
sans que desdits receveurs puissent prétendre aucun
frais de voiture ! C’était là le moyen d’accélérer la
remise des fonds. La question reste de savoir si le
retard des receveurs particuliers était lui-même
imputable au retard des contribuables. L’on sait que
l’impopularité de la compagnie alla croissant, à
cause de ses fenniers jugés inutiles et de son
administration jugée dure. A la fin de l’Ancien
régime, l’idée de son remplacement par une régie*
devint commune. M.-L. L.
Voir Inspecteur des fermes, Receveur des fermes,
Régie française
Sources : AD de la Drôme, Valence, C 1070
(correspondance des receveurs des greniers à sel,
années 1760, où apparaît le rôle du « bureau de la
suite des caisses »). AN, G1 60-61, G1 115, dossier
4 (commission de receveur de tabac, vers 1760), G7
1170 (Procès-verbaux des visites des inspecteurs
des fermes, 1708), K 883, pièce 6, « Mémoire sur la
comptabilité active et et passive », vers 1776,
K 885, pièce 1, «Mémoire personnel aux sieurs
Paris sur les affaires générales où ils furent
employés», 1740, f° 76, O1 107, f° 240,
« Déclaration concernant les actions intéressées
dans les fermes générales», 1759. Brunet de
Granmaison P. (1750), p. 148. E.F. Darigrand,
L ’anti-financier, ou relevé de quelques unes des
malversations dont se rendent journellement
coupables les Fermiers-Généraux et des vexations
qu’ils commettent dans les Provinces..., Paris,
Amsterdam, 1763, La Haye, 1764. Hurtaut, Pierre
Thomas Nicolas et Magny R. ("«ancien premier
commis des fermes du roi »), Dictionnaire
historique de la ville de Paris et de ses environs,
Paris, Moutard, 1779. Victor Riquetti, marquis de
Mirabeau, Théorie sur l’impôt, 1760. Mollien
( 1845), 1845, t. 1, p. 67. Lavoisier A.L. ( 1774).
Bibliographie: Bayard F. (1988). Durand Y.
(1971). Matthews G.T. (1958). Waquet J.C. (1777).
White E.N. (1997).
Fictif
Voir Dépenses fictives
Finito de compte
L’expression est synonyme d’arrêté*. Il s’agit de
l’état final* d’un compte. C’était ordinairement les
auditeurs de la Chambre des comptes* qui
mettaient les apostilles* et les finito de compte. Le
général des finances de Turin ordonna en 1716 à
l’intendant de Savoie de « faire poser compte à
tous les comptables indistinctement et payer en
notre trésorerie générale tout ce que chacun se
trouvera devoir par le finito de son compte, de sorte
que dans trois mois, le tout soit apuré ». Cependant,
l’administration de Turin n’était pas dupe et doutait
de la sûreté des finito des receveurs locaux, de
connivence parfois avec les officiers chargés d’ouir
leurs comptes, d’où son idée de faire vérifier tous
les comptes dans la capitale. M.-L. L.
Voir Apurement, Etat final
Sources : AST, Caméra dei conti, Savoia,
inventario 3, n° 58, f° 95, lettre du 15 septembre
1716. AST, Ufficio generale delle Finanze, seconda
Archiviazione, Correspondenza, capo 54, registre
32, f3 68 v°, lettre du 24 décembre 1717.
Financier
Voir Traitant
Fonds
Ce mot désignait d’une part les sommes destinées
par le roi aux dépenses des différents départements
ministériels et d’autre part les sommes déposées
pour servir de participation ou de cautionnement
dans une affaire de finances, un traité*, une ferme*.
En France, les dépenses d’un département
ministériel pour l’année à venir étaient définies
dans un état des fonds, révisés chaque mois par les
états mensuels de distribution*. On parlait ainsi des
fonds de F Extraordinaire des guerres, des fonds de
l’Ordinaire, des Ponts et Chaussée.... Dans les
finances d’Angleterre*, on distinguait quatre sortes
de fonds : le fonds agrégé, le fonds général, le fonds
de la compagnie* du Sud et le fonds des droits
consolidés. Chaque fonds servait de sûreté aux
autres de sorte que les intérêts des emprunts du
royaume, au lieu d’être assignés sur une branche
particulière de revenus, étaient garantis sur
l’ensemble des taxes qui composait ces fonds sous
la garantie de la nation. M.-L. L.
Voir Etat de distribution, Mouvement général des
fonds
Fonds libres
On appelait « fonds libres » ou « hors fonds », les
excédents des impositions laissés à la discrétion de
l’intendant* de province, ordonnateur secondaire
des dépenses. Les intendants en proposaient chaque
année l’emploi au ministre, chacun pour ce qui
concerne sa généralité, et l’on ne connaissait
l’objet de chaque nature de dépense que par la
remise que les receveurs généraux faisaient au
Conseil avant l’arrêté des états au vrai*, de pièces
qui constataient le montant des ordonnances. Ces
dépenses concernaient essentiellement des secours,
des aumônes, des encouragements aux entreprises,
des gratifications aux subdélégués, des pensions...
« Sur l’imposition de la capitation, sur le produit
des vingtièmes des offices et droits de la ville de
Paris, sur l’imposition des fourrages dans les
provinces qui y étaient assujetties, il restait ce
qu’on appelait ailleurs un bon de masse, ce qu’on
appelle ici fonds libres ou hors fonds; et sur ces
fonds, on assignait des pensions... A l’égard des
pensions sur les fonds de la capitation, il n’y a rien
de si commun que cette assignation ». En 1775, ces
fonds représentaient une somme globale assez
faible de 1,2 millions de livres. L’acception est
restée en usage pour désigner les sommes
demeurant à la disposition d’un comptable public
local. L’article 4 du décrét impérial du 25 février
1811 impose la règle du dépôt au Trésor des fonds
libres des communes. M.-L. L.
Sources : AN, F4 1082. « Premier rapport du comité
de pensions », AP, lere série, t. XVI, séance du 2
juillet 1790, p. 629-630.
Frais de bureau
Les frais de bureau sont des indemnités versées aux
agents correspondant aux menues dépenses prises
en charge pour le compte de leurs administrations.
Il s’agit de rembourser des frais engagés pour le
compte de l’administration par ses hauts commis ou
fonctionnaires. Il peut s’agir de la fourniture des
registres, papiers, encre, plumes ou frais de portage
des lettres. Ces frais doivent bien sûr être inscrits en
comptabilité au moment de leur remboursement et
un article spécifique sera progressivement isolé à ce
titre (il s’agit d’une obligation en 1727). Ils doivent
en outre être justifiés : une circulaire du 24 mars
1808 précise que le service doit tenir un état des
lettres écrites pendant le trimestre qui doit être joint
à l’état des ports de lettres pour que celui-ci soit
admis en dépense. Il s’agit de vérifier que les frais
217
 se rapportent bien au service de l’Administration. aux distances à parcourir, l’on voit que la conduite 41,5 changement dans le système de la gabelle* et des
4
Les frais de bureaux sont compris dans une d’une mer à l’autre est nettement inférieure (de 1 1 -ernie générale 170 147 23 13,5 compris les 2 traites ; 5° la conversion des droits d’aides ; 6° la
5 s.p.l ajoutés en
enveloppe qui compte un maximum de dépense et 11 s à 1 1 17 s la lieue commune de 4444 m pour un suppression de la loterie* royale et son
1781
peut comporter un minimum. Un directeur capitaine) à la conduite d’un port de Ponant à remplacement par un impôt moins onéreux ; 7° la
Régie générale 52 43,2 8,8 17
d’administration centrale de la Restauration peut l’autre (de 2 1 à 2 1 17 s). Les règlements imprimés 6 modification du traité des devoirs de Bretagne.
ainsi compter sur un montant compris entre 3 000 et du 20 août 1782 et du 10 mars 1787, les derniers de 46,6 5,4 10,5 A titre de comparaison, les tableaux dressés d’après
1 Administration 52
9 000 francs par an réglé trimestriellement alors que l’Ancien régime, prévoient des conduites à verser les résultats de l’exécution des budgets de 1828 et
son traitement s’établit aux alentours de 120 000 1,1 0,8 0,3 27 de 1876 montrent que le taux moyen de 1828 est
uniformément par lieue commune et des vacations s Ferme de
francs par an à la même époque. L’archevêque de Sceaux et de comparable à celui prévu en 1786 (10,72 % avec les
journalières pour chaque corps d’officiers et chaque
Paris perçoit 100 000 francs par an et 35 000 francs grade, ainsi que pour les entretenus non encore Ferme des 10,3 9,1 1,2 " postes, 9,27 % sans les postes pour l’année 1828),
de frais de bureaux. Les frais de bureaux sont formés en corps et quelques agents non entretenus. Dostes alors que celui de 1876 est diminué de moitié (5,92
HZ-------------
progressivement pris en charge par l’administration Le tarif de 1782 porte des sommes variant de 1 à 3 1 10 Ferme des 1,1 1,1 - - % avec les postes et télégraphes, 4,37 % sans ces
elle même (loi du 30 avril 1836 pour les communes, messageries deux services). B.L.
par lieue et de 5 à 15 1 par jour. Les officiers 0,5 0,5 8 à 9 millions
du 10 mai 1838 pour les départements) au ministère généraux, intendants et commissaires généraux ÏÏ Bénéfice sur
les monnaies en 1786
des finances, ils constituent toujours une partie continuent d’être remboursés sur mémoire. 'programme de Désignation des 'roduits réels 'rais de régie, Yo
forfaitaire du traitement dans les années 1850. S.K. À une époque indéterminée, mais en 1692 au plus refonte) revenus de 1828 Je l’ex. l’exploitation
0,8 0,8 - - et de 1876 1828/1876 et de
tard, la conduite des gens de mer levés pour le 12 Régie des
poudres perception
Sources : Dictionnaire des finances (1727). Tetiot service du roi (une campagne de mer en général) a
13 Loterie royale 11,5 9,1 2,4 21 Contributions 321 355 841 16 115 271 5,01
des Martinais P. (1820). Block M. (1862). été fixée à 2 s par lieue pour les matelots et et petites directes
mousses et 3 s pour les officiers-mariniers. Les loteries Enregistrement,
14 Parties 3,5 3,32 0,18 5 ? 903 000
Frais de déplacement, de mission marins se déplacent à pied, et l’allocation doit servir timbre et domaines 183 575 865 5,39
casuelles
L’existence de ces frais est attestée dès le règne de au logement d’étape et à la nourriture. Elle ne suffit 1,65 0,05 3 Produits de coupes
15 Marc d’or 1,7
29 229 037 490967 5,10
Louis XIV. Exprimés dans des règlements ou tarifs, plus, à beaucoup près, en 1746, et elle est portée à 3 20
de bois
16 Aides de 1 0,8 0,2
et 4 s par lieue dans le Ponant. En 1779, le tarif, Douanes et sels 150 932 819 24 380 998 16,15
ils constituent un droit ; accordés sous forme de Versailles
quel que soit le trajet, est de 6 s par lieue pour les 17 Impositions de 0,6 0,5 0,1 17 Boissons et droits
gratification, ils sont une grâce. Les frais de divers 139 300 590 20 934 250 15,03
officiers-mariniers (certains se rendent au port à la Corse
déplacement s’appellent conduites et ont d’abord 16 à 17 Tabacs et poudres à
cheval) et 5 s pour les matelots. C’est le tarif 18 Don gratuit du 3,4 3,4
été prévus pour les mutations. Les agents envoyés clergé millions tous feu 54 860 659 8 201 520 14,95
en mission, parfois pour plusieurs mois, touchent d’hiver, du 15 octobre au 14 avril, l’allocation étant les cinq ans Postes 30 378 281 16 470 000 54,22
une conduite puis des vacations journalières, diminuée d’un sol pour les trajets effectués pendant 19 Total des 518,5 464,27 54,23 10,5 ♦Villes, Loterie 14 869 551 3 000 000 20,18
droits et communautés,
lorsqu’ils sont arrivés à destination et jusqu’à leur l’été de six mois. Ces allocations sont très Salines de l’État 1 800 000
impositions hôpitaux et
départ. La situation de la Marine éclairera la règle inférieures à celles des entretenus, puisqu’un Recettes diverses 5 839 192 58 355 1,00
Nota : droits 27 24 3 11 chambres de
générale. officier-marinier entretenu a droit à 1 1 par lieue commerce Produits des jeux 5 500 000 -
locaux*
Totaux ex. 1828 937 641 835 100 554 361 10,72
Jusqu’à l’ordonnance du 15 juin 1692, on a donné d’après le tarif de 1782, lequel utilise la table des
distances du tarif de 1779 des gens de mer. L’on Contributions
un mois d’appointements aux officiers se rendant L’auteur fait remarquer : 1° que le revenu brut* de 683 929 110 23 968 800 3,50
devine par là que le service de ces derniers, malgré directes
par la voie terrestre d’un port de Ponant à un port de l’administration des domaines* comprend, pour 11 Taxes assimilées 21 214 800 1 076 170 5,07
Levant et vice-versa. Lorsque c’est possible, la les progrès obtenus sous le ministère du maréchal millions, le revenu des domaines réels et les droits 3 770 000 1 075 000 28,51
Poids et mesures
Marine fait passer ses officiers d’un port à l’autre de Castries, reste une corvée. B.L. seigneuriaux du roi, qui ne sont pas des impôts ; 2° Amendes et
sur ses bâtiments. Le nouveau tarif est de deux que les postes 9 à 12 n’en sont pas davantage, ce condamnations
mois. En revanche, l’officier doit supporter la Frais de recouvrement sont des services publics ou des fabrications judiciaires 10 302 880 347 200 3,37
dépense lorsqu’il passe d’un port de Ponant à un En finance, ce sont les dépenses de l’Etat pour la nécessaires. L’impôt du dixième des gages des Enregistrement,
autre, sauf exception. En 1727, le ministre reconnaît domaine et timbre 671 124 210 16 775 912 2,50
perception de ses impositions et droits. Elles receveurs et le droit du marc d’or à chaque mutation
que la mesure n’est pas juste, du moins dans les Produit des coupes
comprennent les frais de régie* (appointements, d’office sont retranchés des frais de recouvrement. 35 787 600 4 329 522 12,10
de bois
grades inférieurs, les officiers civils et militaires des émoluments et gratifications du personnel employé Le résultat donne un taux moyen de 10,5 %, avec 286 916 000 29 382 365 10,24
Douanes et sels
grades les plus élevés étant dédommagés par une à l’assiette et à la perception, loyers, port de lettres, ou sans les postes. Necker* espère que les aides, Tabacs 261 435 000 4 533 350 1,73
gratification. Puis il admet en 1746 que la conduite frais de mission et de tournées, etc.) et, bien après, dont la perception est la plus coûteuse de toutes, Poudres 9 740 132 500 000 5,13
doit être versée d’avance*, « parce qu’il est à le bénéfice des régisseurs ou des fermiers. seront converties en une addition à la taille ou aux Contributions
supposer que l’officier qui la reçoit a besoin de ce Dans sa recherche du budget* idéal, Necker* a vingtièmes, dont les frais sont faibles. Dans la indirectes 742 333 900 32 049 790 4,32
secours pour se mettre en chemin ». Le tarif des évalué les frais de recouvrement de chaque impôt même vue, il considère l’intérêt de réunir deux Postes 114 159 000 38 143 413 33,41
conduites du 1er avril 1747 porte des augmentations ou ensemble de droits. administrations telles que la régie des aides* et les Télégraphie privée 13 046 310 11 887 550 91,11
considérables qui sont motivées par la cherté des octrois. Seulement les villes ne voudront pas Revenus de
l’Algérie 27 813 600 6 465 819 23,25
denrées. Il est incomplet quant aux personnes — on Branches de Produit Produit Frais % Observations confondre leurs deniers avec ceux de l’État pour
revenu en 1786 brut Totaux ex. 1876 2 881 572 170 534 891 5,92
a dû pratiquer des interpolations et tenir compte de net
obtenir le même revenu ; comme aucune loi n’a pu 542
prévu prévu
l’espèce d’équivalence des grades entre les officiers (en (en leur donner cette garantie, on ne peut leur reprocher
civils et les militaires dans la Marine — et millions) millions) leur opposition. L’ancien ministre évalue à 16
ressemble encore à des gratifications et plus qu’à 1 Deux 55 millions l’économie réalisable par ailleurs sur les Frais de régie
des indemnités kilométriques. Les capitaines de vingtièmes et 4 196,4 12,6 6 54 ou 58 millions de frais de recouvrement des « On donne ce nom à toutes les dépenses qui
s.p.l. (20 %) entrent dans l'exploitation d'une affaire, comme
vaisseau doivent ainsi toucher un forfait de 200, impôts et droits de l’État : 1° par la réduction du
2 Troisième 21,5
300, 400 ou 500 livres selon le cas, les lieutenants vingtième nombre des receveurs des tailles ; 2° la réduction du appointements, émoluments, gratifications des
et enseignes les trois quarts de ces sommes, les (1782-1786) nombre et des profits des fermiers généraux ; 3° la commis, loyers de maisons et de bureaux, ports de
gardes de la Marine la moitié. Si on les rapporte 3 Taille 91 réunion progressive des caisses des fermes ; 4° le

218 219
 lettres, voyages, etc. », indique / ’Encyclopédie
méthodique.
Dans les débats animés partout en Europe par les
économistes et les administrateurs sur les avantages
comparés de la régie* et de la ferme*, la question
des frais de gestion* constituait un point sensible :
les intérêts versés aux fermiers ne surpassaient-ils
pas les frais d’administration d’une recette ? En
l’absence de moyens efficaces pour calculer ces
derniers, les gouvernements ont eu recours à l’un et
l’autre des modes de gestion*, parfois même
alternativement comme dans le cas des droits tirés
du domaine*. Les frais de régie ne pouvaient être
calculés en effet qu’en reportant dans les comptes
centraux d’une administration les rubriques ou
chapitres* détaillés de chaque dépense, ce qui
supposait l’adoption par l’ensemble des comptables
subalternes d’états* unifiés. Cet objectif ne fut
véritablement atteint qu’au XVIIIe siècle. Quand
une régie* était établie, les bureaux centraux
dressaient un « état de frais de régie » qui seul
autorisait les dépenses. Transmis aux comptables
subalternes, cet état indiquait pour chaque frais les
conditions à suivre pour que la dépense soit allouée
dans les comptes. Les instructions pour la
comptabilité des frais de la régie des droits réunis,
créée par l’arrêt du 3 avril 1777 en France,
concernaient par exemple : les frais fixes
(émoluments), les rémunérations au prorata des
produits de la recette* et leur répartition entre les
différents comptables (intéressement), les
honoraires aux avocats et procureurs, les
gratifications pour compter de net*, les frais de port
d’argent, de procédures, de registres, d’impressions,
les remises* sur les produits, amendes et
confiscations, les étrennes aux juridictions, les frais
de loyers de bureaux, les frais de meubles, effets et
ustensiles de bureaux et les dépenses générales.
Pour réduire les frais, les régisseurs
recommandaient aux bureaux centraux une stricte
vérification* des pièces comptables données à
l’appui des comptes par les receveurs subalternes.
Ils précisaient sur quelles sommes portaient les
remises* (sur le produit effectif et non sur les non-
valeurs* et reprises*), les frais de port (accordés sur
le montant des récépissés employés au chapitre des
deniers comptants), les frais de procédures... La
rigueur avec laquelle la nouvelle Régie générale*
des aides et droits réunies, créée en 1780 par
Necker*, contrôla les frais, est tout à fait
exemplaire sur ce point. Lorsque les comptables
s’écartaient de l’état de frais de régie, ils devaient
en justifier la raison et rapporter des copies
certifiées des autorisations qu’ils avaient obtenues.
En outre, la compagnie se réservait « la faculté de
diminuer, changer et même supprimer toutes les
dépenses autorisées par l’état de frais comme aussi
de les modifier à son gré par de nouvelles règles et
conditions ». Pour la vérification* des reprises*
dans les comptes des directeurs de la régie*, la
220
compagnie ne pouvant disposer des pièces
originales qui restaient dans les mains des avocats
et procureurs chargés des affaires contentieuses,
elle exigea que les directeurs fournissent des détails
article par article des frais relatifs à chaque affaire.
On constatera enfin un esprit nouveau dans la
gestion* de la Régie générale* : confrontés à
« l’infidélité des préposés de la dernière classe » (il
s’agit des commis, buralistes, receveurs dans les
provinces), les régisseurs se rendirent compte que la
vigilance dans le choix des sujets n’était pas seule
en cause et que la modicité des traitements
expliquait aussi les vols. Elle augmenta donc
sensiblement les traitements. M.-L. L.
Voir Frais de bureau, Ferme, Régie
Sources : Encyclopédie méthodique, Finances, t. II,
p. 279. AN, G2 20, dossier 4, « ordre de travail du
bureau des comptes » de la Régie générale des
aides, 1782; G2 109, dossier 2, « Instructions pour
la comptabilité de frais de régie», 1777-1780,
dossier 5, « Délibération relative aux frais de
régie », décembre 1781.
France
Pour qualifier le système comptable français à
l’époque moderne, il faut en mesurer à la fois les
atouts et les faiblesses. Les premiers sont bien
analysés dans ce dictionnaire. Les secondes en
revanche sont plus délicates à expliciter et seule la
comparaison avec les systèmes comptables d’autres
Etats de la même époque pennet d’en saisir les
contours.
Les atouts du système comptable français pris à
l’époque de Colbert* peuvent être résumés ainsi :
on prévoyait les recettes et les dépenses. Le registre
des recettes appréciait les recettes attendues,
d’autant plus faciles à prévoir que ces dernières
étaient centralisées. Les recettes générales des
finances, des domaines et la compagnie des
fermiers généraux enregistraient en effet les
principales recettes du royaume. Le registre des
dépenses était formé à partir des projets des
différents trésoriers de la monarchie, projets
centralisés par les ministres pour chaque
département. De l’état général des recettes et
dépenses, on formait, pour la recette, des états du
roi* expédiés dans les bureaux de finances pour être
exécutés par les comptables provinciaux sous
« l’inspection » des Trésoriers de France, et pour la
dépense, des états de fonds*. Avant d’établir l’état
général des fonds qui prévoyait les fonds à faire
entre départements, Colbert déduisait les dépenses
imputées directement sur les recettes par
assignation*. Ces fonds étaient distribués selon des
états de distribution* mensuels et les intendants de
finances* du Contrôle général suivaient la situation
des fonds disponibles grâce à un registre de
contrôle enregistrant les acquits tant en recette
qu’en dépense, registre présenté tous les mois à la
signature du roi. Quant à l’exécution du « budget »,
les comptables, receveurs et trésoriers, étaient
plaçés sous une double inspection, celle ordinaire
de leurs contrôleurs et celle, extraordinaire, des
intendants (de province, de la Marine, de la
Guerre...). La législation accordait une attention
toute particulière aux responsabilités des
ordonnateurs secondaires qui devaient agir dans les
limites des fonds distribués. La vérification de la
gestion des comptables de la monarchie était double
également. Les comptables, receveurs et trésoriers,
comptaient par états au vrai* au Conseil des
finances d’une part et par devant les Chambres des
comptes d’autre part.
Il ne fait pas de doute que les atouts de la
monarchie française tenaient dans son organisation
institutionnelle que l’on pourrait qualifier de
« colbertiste », fondée sur un encadrement étroit de
la gestion des comptables. Le Contrôle général lui-
même s’illustrait par l’unité de vue dont il faisait
preuve. En d’autres lieux, l’état général des recettes
et dépenses fut établi tardivement (pas avant 1689
en Prusse, 1736 dans la République de Venise,
1763 en Autriche, mais il est vrai que ce dernier
Etat était multinational...). L’unité du Trésor
(1523) et celle de l’ordonnancement (1661) doivent
également être soulignées.
Cette organisation n’était pas dénuée de faiblesses
néanmoins et il est intéressant d’observer le
décalage chronologique qui s’est creusé, au fil des
décennies, entre l’opinion positive que les
administrateurs étrangers avaient et gardaient de
cette organisation, et l’aggravation de ses défauts de
fonctionnement. Il faut bien voir que cette
organisation comptable était d’une grande rigidité
qui, si elle convint encore au temps de la gestion de
Colbert, devint inadaptée au siècle suivant.
La dilution de la décision budgétaire
En premier lieu, le Contrôle général ne parvint pas
à imposer son autorité sur les autres ministères.
Tous les témoignages concordent : les
gouvernements de Louis XV et Louis XVI ont
terriblement souffert de l’absence d’unité
gouvernementale et de l’augmentation des dépenses
qui en découla. Aux ordres de Desmaretz, Jean-
Roland Malet dénonça « l’administration
partagée ». « Toutes les dépenses ordonnées par le
Roi ont été réglées sans être concertées avec le
contrôleur général ; celles de la guerre, de la marine
et des pensions, entre le Roi et MM. Les secrétaires
d’Etat, chacun pour leur département. Le contrôleur
général étoit chargé de trouver des fonds, par tous
les moyens, pour fournir aux dépenses ». Le
constat, en 1787, de deux conseillers à la cour des
Aides de Paris, De Blaire et Montcloux de la
Villeneuve, va dans le même sens : « Chaque
département est devenu une administration
particulière ; chaque administrateur s’est isolé dans
sa partie, s’est permis d’adopter un ordre et un plan
dont lui seul jugeoit l’utilité et dont le but, le plus
souvent, a été d’étendre son département. Il n’a pu
le faire sans en multiplier les ressorts, sans en
augmenter les frais et le ministre des finances n’a
presque toujours été à leur égard qu’un trésorier
sans cesse en activité pour payer des dépenses
souvent inutiles ».
Le défaut d’unité de décision gouvernementale se
reportait sur la question de l’ordonnancement. On
dénonce dans un « Mémoire sur la comptabilité
active et passive» rédigé en 1775 : «Il ne se fait
aucun paiement pour le Roi s’il n’est ordonné :
mais comment l’est-il ? C’est toujours en masse. Il
faut 50 millions pour la guerre, et 50 millions sont
fournis au Trésorier de ce département, ainsi des
autres et l’on n’en voit aucune suittes ».
Les ordonnateurs secondaires des départements,
comme les intendants, achevaient de diluer la
décision. «Ce qui est bizarre, c’est qu’il n’est pas
plus possible au ministre de la guerre qu’à celui des
finances de connoitre l’emploi des fonds qu’il a
ordonnés : il ne le scait jamais que par un apperçu
dont l’événement est assujetti à tous les retards ».
Le Contrôle général fit des remarques sur les
projets de fonds de la guerre, questionnant plus
particulièrement les bureaux sur les chapitres de
dépenses présentés en masse : « il y a différents
chapitres de demandes qui sont tellement en masse
et dont les titres rentrent tellement les uns dans les
autres qu’il est impossible de pouvoir connaître
l’emploi qui en est fait » (1778). On voit donc que
l’établissement du Contrôle général ne garantissait
pas une unité de gestion et que le dérapage des
dépenses au temps de Louis XV et Louis XVI était
encore digne des plus archaïques gouvernements
polysynodaux. Au sein même du Contrôle général,
le corps des intendants de finances formait une
direction collégiale face au ministre qui nuisait à la
bonne marche des affaires. L’échec de la réforme
des états du roi (1772-1774) dont on ne parvint que
partiellement à réduire le nombre, révèle la rigidité
de l’organisation comptable qui collait en quelque
sorte à l’organisation officière.
Un suivi insuffisant des caisses
Les officiers justement. Ils étaient bien obligés de
tenir leurs journaux, surtout depuis 1716 et la
réforme des frères Paris*, mais encore eut-il fallu
que le contrôle fut en mesure de rapprocher les
termes des obligations des officiers comptables de
leurs paiements effectifs, que les journaux fussent
régulièrement clos pour opérer les versements de
temps à temps des caisses subalternes vers les
caisses centrales et des caisses centrales vers le
Trésor, comme cela se pratiquait dans la
comptabilité camérale*. Au niveau des recettes des
impôts directs (tailles, capitation, vingtièmes), les
versements des recettes particulières vers les
recettes générales se faisaient chaque mois, mais les
recettes générales procédaient par soumissions, de
221
 sorte que leurs titulaires conservaient la maîtrise de
la trésorerie tirée de ces impôts. De même, la ferme
générale* disposait en interne d’un bureau de suivi
des caisses subalternes et concentrait les versements
assez efficacement, mais elle ne rendait pas compte
au roi du volant de trésorerie tiré des recettes
indirectes. Quant aux receveurs des domaines, ils
rechignaient à transmettre des bordereaux capables
de faire voir leur situation. En d’autres ternies,
l’organisation centralisée des recettes présentait
certes des atouts, mais dans la mesure où celles-ci
demeuraient dans les mains de financiers-banquiers
dont dépendait le monarque, celui-ci n’était pas en
mesure de connaître à temps l’état de leurs recettes
et de leurs dépenses. La tentative d’introduction de
la comptabilité en partie double (1716-1723)
échoua et il ne fut plus demander aux principaux
officiers-comptables, après 1726, de présenter
régulièrement leurs journaux. On préféra procéder
par avances. Cette organisation comptable
entretenait d’ailleurs un cercle vicieux : la
méconnaissance de la disponibilité effective des
fonds tirés des recettes engageait le Contrôle
général à recourir toujours plus aux avances pour
répondre aux exigences des départements
ministriels dépensiers. Le défaut de banque royale,
de ce point de vue, a été fatal. La trésorerie laissée
à la discrétion des officiers, faisait naturellement
l’objet de jeux de caisse et rétentions.
Une vérification trop lente des comptes
On doit également s’interroger sur la pertinence
d’une séparation fonctionnelle du Contrôle général
et de la Chambre des comptes. On sait que dans les
Etats allemands, le contrôle général revenait au
président de la Chambre des comptes, ce qui avait
l’avantage d’unifier un tant soit peu contrôle
administratif et contrôle juridictionnel des comptes.
En France, les deux modes de contrôle étaient
parallèles. Receveurs et trésoriers devaient compter
par états au vrai au Conseil du roi. Le Contrôle
général suivait ces états, tant ceux des receveurs
(après vérification des trésoriers de France) que
ceux des trésoriers des départements ministériels,
du moins à la fin du règne de Louis XVI (à partir de
1772 pour les états au vrai de la Guerre et à partir
de 1781 pour les états au vrai de la Marine).
Cependant, cette procédure de contrôle défaillit à
plus d’un titre. Colbert exigea tout à la fois que les
étas au vrai soient transmis dans l’année suivant
l’exercice fait et que les comptables ne puissent
présenter leurs comptes à la Chambre des comptes
avant que les états au vrai n’aient été arrêtés au
Conseil. Du coup, le retard avec lequel les officiers-
comptables transmettaient leurs états au vrai au
Conseil (deux à trois ans) compromettait non
seulement le contrôle administratif, mais aussi le
contrôle juridictionnel. Il demeurait donc
impossible à la monarchie d’établir rapidement la
balance exacte des recettes et des dépenses pour
222
une année, non seulement pour le Trésor royal,
mais encore pour les caisses du territoire tout entier.
M.-L. L.
Sources : AN, K 883, pièce 6, « Mémoire sur la
comptabilité active et passive», 1775. AN, K 899,
n° 61, «Mémoire sur les vingtièmes », par MM. De
Blaire et Montcloux, 1787. SHD, A 3712, pièce
131, «Observations» sur les projets de fonds de
1777 et 1778. Pour Mallet, voir citation dans
Bonney M. et R. (1993) p. 23.
Bibliographie : Legay M.-L., La banqueroute de
l’Etat royal : la gestion des finances publiques de
Colbert à la Révolution, EHESS, 2011.
Fraude
Chacun sait que les finances sont un terrain
privilégié pour la fraude, attribuée aux
administrateurs, au plus haut niveau, aux
comptables et aux officiers chargés de les contrôler.
Les premiers se voient soupçonner de
divertissement des deniers*, de péculat*, de
concussion*. S’y ajoutent tous les avantages
illicites qu’ils peuvent tirer du fait de placer leurs
parents, amis et affidés dans des fonctions qu’ils
contrôlent par ailleurs, leur confiant la régie d’un
impôt, un traité ou une ferme, quand ils ne
participent pas eux-mêmes aux affaires par le biais
de prête-noms ou « têtes de fer ». Les Conseillers
du Conseil des Finances en Espagne ou, au XVIIIe
siècle, un ministre des finances comme Verdes
Monténégro, certains Surintendants Généraux des
Finances en France, n’échappent pas à ces
accusations. Au niveau des provinces, les mêmes
accusations ont cours.
Le questionnaire que Juan de la Ripia propose aux
visiteurs chargés d’inspecter les administrateurs des
recettes royales des provinces de Castille peut être
lu comme une description en creux des mauvais
usages en vigueur dans les provinces. Les témoins à
interroger sont invités à dire si les administrateurs
ont accepté de donner des contrats de ferme à ceux
qui n’étaient pas les plus offrants et ont reçu des
cadeaux pour cela, s’ils ont laissé des villes et
villages s’abonner pour moins qu’auparavant, ou
imposé la régie directe pour confier le
recouvrement d’un impôt à leurs domestiques,
parents et alliés, avec, dans chaque cas, dommage
causé aux recettes royales. Ont-ils laissé percevoir
les recettes fiscales à un taux inférieur au taux légal,
et quels sont alors les dommages ? Ont-ils toléré de
l’évasion fiscale individuelle ? Ont-ils révélé le
secret des enchères pendant celles-ci, de sorte que
personne n’ose faire face à des enchérisseurs
puissants ? Ont-ils toléré des monopoles faits par
les contribuables pour éviter que les enchères pour
une ferme montent ? Ont-ils toléré que des recettes
soient affermées en dessous de leur valeur ? Ont-ils
nommé des administrateurs en faillite et sans assise
et sans exiger des comptes mensuels ni leur imposer
de verser leur recette au dépositaire nommé par la
communauté ? Ont-ils respecté l’ordre des
paiements, commençant par les juros les plus
anciens et de plus haut degré ? Ont-ils obligé
titulaires de juros (des titres de rentes assignés sur
des recettes ordinaires du roi) et d’assignations à
vendre leurs juros et libranzas en dessous de leur
valeur ? Ont-il pris intérêt dans la conduite de fonds
à la cour (par exemple en refusant des transporteurs
moins chers) ? Ont-ils confié la régie directe d’une
recette à des proches, leur ont-ils fait verser des
salaires plus élevés que la nonne, ont-ils toléré
leurs fraudes, ont-ils tiré d’eux des intérêts ? Ont-ils
sous-estimé ce que devaient certains villages et reçu
des cadeaux pour cela ? Les administrateurs ou les
contrôleurs (contadores) ont-ils emprunté aux
responsables des arcques (arqueros, responsables
des coffres dans lesquels sont conservés l’ensemble
des recettes royales de chaque district de la
province) et aux dépositaires ? Ont-ils reçu des
cadeaux des fermiers ou perçu des salaires excessifs
en tant que juges conservateurs des recettes
fiscales ? Ont-ils toléré que les fermiers empruntent
de l’argent à leur recette ? Ont-ils formé des
compagnies avec des gens dont ils étaient
conservateurs ou surintendants ? (Ripia, p. 380-
386).
Les comptables, qui manient l’argent, sont crédités
de tous les maux : de la rétention* ou du
divertissement de recettes au péculat*, en passant
par la concussion, par la spéculation sur la valeur
du papier financier et des prêts, vrais ou faux,
usuraires* faits au roi. Ceux qui font des fournitures
en nature au roi, particulièrement pour les années,
n’hésitent pas à surévaluer le prix ou la quantité des
produits ou à en réduire la qualité pour faire des
bénéfices. Pour maquiller leurs crimes, les
comptables manipulent les comptes, pratiquant
l’omission* de recette, le faux emploi*, le biscapit*
ou le double emploi*, souvent assortis de l’usage de
faux en écritures.
Les contrôleurs fennent les yeux, par négligence,
incompétence ou complicité, sur les fautes des
comptables. D’autres donnent dans les mêmes
agissements coupables, au détriment du comptable
dont ils négligent d’enregistrer les recettes, des
contribuables dont ils n’enregistrent pas les
paiements, ou de tous les particuliers dont ils
exigent des droits indus (concussion). C’est le cas
des contrôleurs des provinces de Castille décrits par
Ripia. Quand ils sont associés au choix des fermiers
— c’est le cas des chefs de la Grand Chambre des
comptes en Espagne au XVIe siècle —, ils se
livrent aux mêmes pratiques clientélistes que les
administrateurs, comme l’a montré David Alonso.
Mais la liste des complices peut être allongée.
Ainsi, l’année est un terrain de prédilection pour les
fraudeurs de tout poil. Les accusés sont ici les
officiers militaires, qui surévaluent le nombre et la
qualité des soldats pour conserver leurs unités et
obtenir plus de fournitures et d’argent pour la solde
(dont ils conservent une partie par devers eux) et les
munitionnaires, charger de couvrir ces manœuvres,
moyennant rétribution (Rowlands).
Une partie de ces fraudes supposent le
détournement de la règle qui veut que les
ordonnateurs, les comptables et les contrôleurs
exercent une vigilance réciproque les uns sur les
autres. En règle générale, un paiement effectué par
un comptable ne saurait être passé en compte que
s’il est justifié par une assignation préparée par les
bureaux du contrôleur et un ordre émanant de
l’autorité légitime (le ministre, l’intendant,
l’administrateur de la recette, etc.), ainsi qu’une
quittance du bénéficiaire du paiement visée par le
contrôleur. Un comptable qui effectue des dépenses
de son propre chef, sans obtenir pour cela d’ordre,
au moins a posteriori, de l’ordonnateur, devra
restituer la somme. Pour les recettes, on prend
souvent la précaution d’exiger que les quittances
émises par le comptable soient visées par le
contrôleur pour être valables, afin d’éviter
divertissement ou rétention. On compte ici sur
l’intérêt de celui qui a remis les fonds de se voir
reconnaître son versement à la bonne date. S’y
ajoute souvent un contrôle immédiat et visuel par le
contrôleur des rentrées et des sorties d’argent ou
d’effets, notamment à l’année (Dedieu et Ruiz
Rodriguez ; Esteban Estringana). Précaution
supplémentaire, l’existence de plusieurs clefs* pour
un même coffre (voir la notice « Clefs »), réparties
entre comptable, contrôleur et administrateur de la
recette. Il suffit alors de rendre chacun responsable
des dévoiements de l’un des deux autres pour éviter
les abus. Mais ils peuvent aussi s’accorder pour
transgresser la règle. C’est le cas notamment du
comptable et du contrôleur, soupçonnés de
manipuler les documents comptables. Pour Ripia, il
est ainsi difficile que les responsables des coffres
des recettes royales ordinaires dans les districts de
Castille puissent dissimuler longtemps la rétention
d’argent sans la complicité des contrôleurs (Ripia,
p. 219 et 395). La pratique des coffres à trois clefs
peut être détournée, ne serait-ce que pour des
raisons pratiques. Le même Ripia décrit les usages
des administrateurs des recettes royales dans les
provinces castillanes : « Et le plus ordinaire, c’est
qu’ils laissent la clef à leur femme, comme je l’ai
vu, tandis que le contrôleur (contador), quand il est
occupé, donne la sienne à Yarquero, et même,
celui-ci les a toutes les trois. Il est alors forcé que
l’on manque à toutes les formalités » (Ripia, p.
220). A un plus haut niveau, la logique est la même.
Le ministre des finances espagnol, Fernando
Verdes Monténégro, accusé d’avoir omis
d’enregistrer des recettes quand il était Trésorier
Général, se défend en s’appuyant précisément sur
cette règle, puisque personne ne veut plus croire à
sa moralité (1724). Il n’aurait pu dissimuler sans
compter sur de multiples complicités
223
 « les contrôleurs, ceux qui auraient remis les fonds,
ceux qui les auraient reçus, et finalement, tant de
gens, que l’on ne pourrait le cacher, et ainsi la
chose était impraticable, même si j’avais été un
homme sans religion et sans foi, et même ainsi,
j’aurais toujours eu l’obligation de rendre compte,
de sorte que cela n’aurait servi à rien. »
Accusé de malversations en tant que ministre, le
même a beau jeu de rappeler qu’un ministre ne
manie pas les fonds, qui sont dans les mains du
Trésorier. L’hostilité que lui voue le Trésorier alors
en place devrait le préserver de tout soupçon de
complicité. Mais la règle est réversible : ses
accusateurs, lorsqu’ils prétendent retenir contre la
spéculation sur les billets quand il était Trésorier,
prennent soin d’impliquer des contrôleurs de la
Trésorerie dans la manœuvre (Dubet). Loin de
revenir sur cette séparation des trois fonctions —
sauf exception —, la plupart des réformes du
contrôle financier passent par une précision accrue
des limites des compétences des acteurs, s’efforçant
d’accroître la responsabilité de chacun s’il tolère les
abus des autres ou y contribue. Ce volume en offre
quelques exemples. Lorsque la caisse à contrôler
n’est pas une caisse centrale, mais locale, l’on
oblige chacun d’eux à rendre compte de son activité
à son organisme de tutelle par des voies différentes,
afin de faire apparaître d’éventuelles contradictions
qui révéleraient des fraudes. Le contrôle financier
des années repose sur ce mode d’organisation
(Rowlands, Esteban Estringana). La mise en place
d’intendants de provinces obéit au même modèle,
ce qui invite à ne pas négliger le rôle clef des
intendants dans le contrôle financier (voir la notice
Intendants).
S’il est intéressant d’étudier les solutions
techniques mises en place pour contrecarrer la
fraude en matière financière, parce qu’elles nous
permettent de mieux comprendre comment
fonctionnent les administrations des finances de
l’Ancien régime et dans quelles mesures elles
changent ou ne changent pas au XIXe siècle, il
convient de ne pas perdre de vue la finalité du
contrôle financier. En effet, il est utile de donner un
contenu à ce qui est licite et à ce qui ne l’est pas, ou
encore, à ce qu’il est permis de faire avec l’argent
du monarque, de l’Etat ou du public, car c’est ce
que l’on veut contrôler qui détermine les modalités
du contrôle. On peut ainsi s’interroger sur les
raisons qui font que la comptabilité en recette et
dépense est longtemps préférée à la partie double
dans les finances de l’Ancien régime, alors que tous
les promoteurs de la seconde méthode proclament
qu’elle est plus efficace contre la fraude (voir la
notice Partie double), notamment contre l’omission
de recette*. Si l’on admet que les gens de finance
ne font pas ce choix par incapacité et par ignorance
des méthodes de tenue des livres des marchands
(voir la notice Comptabilité en recette, dépense et
reprise), il faut chercher d’autres explications.
224
Celles-ci semblent étroitement liées au fait que les
finances demeurent celles d’un Prince, et non du
public, et que ces finances s’inscrivent dans une
société fondamentalement inégale qui s’articule
autour du privilège et de l’échange de faveurs. Les
historiens qui revendiquent une approche
anthropologique de l’époque moderne ont beaucoup
apporté ici (Clavero). Un Prince qui considère le
fisc comme son patrimoine accorde logiquement
faveurs et récompenses tirées de ce patrimoine à
ceux qui le servent bien, en soutenant son crédit et
ses dépenses par les leurs propres. La notice
Rétention en expose une traduction particulière.
Dans le domaine des relations entre les gens de
finances et les particuliers, c’est aussi la logique de
l’échange de faveurs entre gens inégaux qui
prévaut, ce qui conduit à douter de l’opportunité
d’employer le mot « corruption » avant le XIXe
siècle dans le sens que nous lui accordons depuis
lors. Les gens de finance s’autorisent (épaulés par
leurs confesseurs) à recevoir des cadeaux des
contribuables et des justiciables parce que ces
cadeaux sont supposés libres et mérités. En outre, le
roi y consent jusqu’à un certain point parce que
c’est la contrepartie raisonnable de l’autorité et du
prestige de leur charge (voir la notice Corruption).
Jusqu’à un certain point : on aura remarqué que
Ripia, dans le texte cité plus haut, demande aux
visiteurs de s’efforcer de savoir si les
administrateurs des recettes royales ont placé leurs
protégés dans l’administration et ont exercé leur
patronage sur les contribuables, réduisant leur
charge fiscale, ajoutant que dans les deux cas il
faudra évaluer les dommages causés au roi. Cela
suppose que, s’il n’y a pas de dommage pour le
monarque, la faute sera, pour le moins, plus légère.
Il ne s’agit pas seulement de respecter les intérêts
du monarque, mais aussi son autorité. L’on peut
prendre deux exemples. Au XVIIIe siècle, plusieurs
vice-rois des Indes Occidentales sont poursuivis
pour avoir exigé des officiers nommés par le
Conseil des Indes à Madrid le paiement de
commissions avant de les autoriser à occuper leur
emploi. Il ne s’agit pas de mettre fin à la vénalité,
mais d’en rendre le contrôle au roi (Moreno
Cebriân et Sala i Vila). Philippe V et ses deux
épouses s’efforcent en effet de reprendre l’initiative
dans ce domaine, reprochant aux rois Habsbourg
d’avoir laissé les Conseillers en usurper la mise en
œuvre et les fruits (Andujar Castillo). En soi, il est
moralement tolérable que le roi obtienne ce que
l’on appelle alors des « bénéfices », c’est-à-dire des
cadeaux offerts en signe de bonne volonté (on ne
parle jamais de prix), comme le disent les
moralistes (Clavero), de la part de ceux à qui il fait
la grâce de confier ses offices. Il a autorisé depuis le
XVIe siècle les vice-rois à disposer de certains de
ces offices, s’occupant seuls de leur vente, mais ils
ont outrepassé les bornes. L’autre exemple
concerne aussi les cadeaux. En 1724, le ministre
Verdes Monténégro est accusé, entre autres, de
s’être laissé corrompre par un créancier moins
important que les autres, acceptant de faire passer
sa créance avant celle des autres. Le confesseur qui
le met en cause précise alors qu’il « convient
beaucoup au service du roi d’interdire aux ministres
de payer des arriérés sans ordre exprès de SM, afin
d’éviter des transactions que seul le roi est en droit
de faire ». La faute du ministre est moins d’avoir
accordé la faveur indiquée et d’en avoir accepté la
récompense, que d’avoir usé sans autorisation
d’une compétence royale, l’exercice de la grâce
(Dubet). Le roi n’est pas l’Etat, il n’a pas le
monopole du pouvoir, même s’il faut lui
reconnaître ce que les auteurs de traités politiques
appellent sa qualité de « supérieur », qui se traduira
notamment par sa capacité à énoncer des lois et à y
déroger. Il est donc logique que les gens de finances
appliquent à leur échelle les mêmes recettes qui
reposent sur la récompense et la faveur pour
services rendus, à condition qu’ils ne prétendent pas
usurper son autorité. Tout le problème se trouve
dans la définition des limites, puisqu’il appartient
au roi de les modifier quand il le désire, ce qui
explique que la fraude dans l’Ancien régime
apparaisse relative et flexible vue du XXIe siècle.
Dans ce contexte, l’arsenal répressif élaboré dans le
domaine des finances n’a pas de valeur plus absolue
que dans d’autres domaines judiciaires. Les
historiens de la justice et de 1’ « infrajustice »
(Mantecôn, Garnot) ont montré que, dans l’Ancien
régime, la loi pénale n’est pas faite pour être
appliquée systématiquement, mais pour être
interprétée par des juges qui seront sollicités
lorsque l’ordre social n’aura pu être maintenu sans
eux ; les mêmes pourront tout aussi bien cesser
d’intervenir si les parties en conflit parviennent à
s’accorder et se « pardonnent ». Cette pratique
repose sur la tradition et l’interprétation que les
potentats locaux en font, et non sur l’égalité
juridique. Mais elle explique aussi que la loi pénale,
souvent d’une extrême violence, soit peu appliquée,
la porte étant ouverte à la composition et à
l’accommodement. La peine judiciaire apparaît en
effet comme un dernier recours que l’on applique
lorsque les voies habituelles de la négociation et du
bon sens des parties n’ont pas permis de maintenir
une harmonie qui veut que chacun reste dans sa
condition et respecte les privilèges des autres. En
même temps, la loi peut servir d’instrument dans
les conflits entre clientèles et partis. Cette
interprétation permet de comprendre que, dans le
monde financier comme ailleurs, il y ait moins de
pendus et de galériens que ce que laisserait présager
une application à la lettre du droit. Pas seulement
parce que l’Etat est moins puissant qu’un Etat
contemporain, mais parce que les définitions
légales de la fraude, comme celles d’autres délits,
doivent être interprétées avec bon sens. Les
sanctions légales ne sauraient être appliquées de
façon uniforme et automatique. Il importe donc de
ne pas séparer l’étude des pratiques et des discours
de la fraude financière de celles d’une culture
politique qui n’est plus la nôtre. A.D.
Sources : Ordonnances de 1554. Déclaration de
1569. La Ripia J. de (1676). AGS, SSH, leg. 214-2 :
lettre de Verdes Monténégro à José Grimaldo,
Madrid, 23 septembre 1724.
Bibliographie : Alonso Garcia D. (2007). Alonso
Garcia D., « Le gouvernement des finances royales
au début de l’époque moderne (1504-1523) » dans
Dubet A. (2008). Cuartas Rivero M. (1984). Dedieu
J.P. et Ruiz Rodriguez J.I. (1994). Dessert D.
(2000). Esteban Estringana A. (2002). Rowlands G.
(2002). Sanchez Belén J.A., La politica fiscal en
Castilla durante el reinado de Carlos II, Madrid,
Siglo XXI, 1996. Moreno Cebriân A. et Sala i Vila
N., El « premio » de ser virrey. Los intereses
püblicos y privados del gobierno virreinal en el
Perü de Felipe V, Madrid, CSIC, 2004.
Gabelle
Le mot « gabelle », d’origine arabe, désignait une
taxe douanière (qabâla)\ passé en italien (gabela), il
a gardé son sens premier de taxe pesant sur toutes
les marchandises et sur les transactions
commerciales (contrats). Une marchandise était
gabellée quand son propriétaire avait acquitté
l’octroi à la barrière ou au port. La France hérita du
mot et en restreignit rapidement le sens pour le
réserver à la taxe pesant spécifiquement sur le
commerce et la consommation du sel. De nombreux
pays ont connu un impôt sur le sel sous des formes
diverses, dans les États allemands Salzsteuer, en
Angleterre* sait taxation, en Andalousie alcabala
de la sal où se retrouve le mot arabe, tandis que la
Castille préférait regalia de la sal, la « régale du
sel », et ailleurs le mot neutre excise, accise (Pays-
Bas) nommant les taxes indirectes. En Espagne la
taxe pesait non sur le commerce mais dès le stade
de la production (renia de las salinas) avec « rayon
de vente ». L’Italie a connu en Lombardie la
gabella del sale et dans la Vénétie le dazio del sale,
taxe du sel ce qui paraît moins contraignant que le
terme gabelle dont l’impopularité s’est nourrie des
caractères mêmes de cet impôt : prix très élevé,
obligation d’achat, quantité fixée en fonction des
besoins du fisc, répression féroce de la contrebande,
visites domiciliaires, etc. Nous n’allons pas refaire
l’histoire de cet impôt. En revanche, l’histoire du
contrôle des comptes des gabelles mérite d’amples
développements. La complexité des opérations
d’achat et de vente du sel a engendré des
procédures de contrôle originales et assez
complètes. L’exemple vénitien est analysé dans la
notice « Sel (office du) ». J.-C. H.
Voir Ferme générale, Registre sexté, Sel (office du)
Gages
225
Voir Officier de finances
Garde (du Trésor)
Officier qui a la garde des fonds* du roi et le soin
de les distribuer selon ses ordres. Il reçoit toutes les
sommes et deniers qui reviennent net au roi une fois
les charges acquittées. Il délivre aux trésoriers
généraux des différents départements ministériels
les fonds* et effets* dont ils ont besoin pour leur
administration et payent généralement toutes les
dépenses assignées sur le Trésor royal*. La
première création de charge de garde du Trésor date
de 1523 (déclaration du 18 mars). Philibert Babou
en fut pourvu sous le titre de Trésorier de
l’Epargne. Sous le règne de Louis XIV, les charges
de trésoriers de l’Epargne furent supprimées par
l’édit du mois d’avril 1664 et les fonctions en frirent
remplies par commission* sous le titre de gardes du
Trésor royal. Rétablies en charges en 1689, elles
furent supprimées en 1716, rétablies et supprimées
de nouveau, définitivement en 1788. M.-L. L.
Voir Trésor royal
Gaudin, Martin (1756-1841)
Homme de l’Ancien régime, Martin Gaudin gravit
les échelons administratifs sous la Révolution avant
d’accéder aux plus hautes responsabilités sous
l’Empire. Il est en ce sens caractéristique de ce que
seront les Finances napoléoniennes, à la fois
héritières de l’esprit révolutionnaire et du
conservatisme monarchique. Orphelin élevé par ses
grands-parents, Gaudin entre en 1775 dans
l’administration des vingtièmes grâce à la
protection de Marc-François Dailly alors premier
commis de François Lefèvre d’Ormesson,
responsable de la fiscalité directe. Gaudin devient
chef de division en 1777 avant de devenir premier
commis* au département des impositions, puis
premier commis au bureau central de
Correspondance générale à la Trésorerie nationale*
en 1791. Il fut chargé de suivre la perception et le
recouvrement des impositions directes. C’est lui qui
projetait lacorrespondance de l’ordonnateur*
général avec les corps administratifs et qui formait
les résultats généraux à partir des informations
obtenus des receveurs. En juin 1795, Gaudin
démissionne et se retire près de Soissons. Il refuse
le ministère des finances sous le Directoire et
accepte en Floréal an VI la place de commissaire
général des postes aux lettres et aux chevaux. Il
refuse une seconde fois le portefeuille de ministre
en juin 1799 avant de l’accepter sur proposition de
Sièyes au lendemain du 18 Brumaire. Nommé
ministre des finances* le 10 novembre 1799, il le
restera jusqu’au 1er avril 1814 et retrouvera ce poste
lors des Cent jours, du 20 mars au 22 juin 1815.
Parmi ses réalisations, on compte la création des
inspecteurs généraux* du Trésor public* par arrêté
du 19 fructidor an IX (6 septembre 1801), la veille
de la séparation entre le ministère des finances et la
226
ministère du Trésor*; deux propositions qui sont à
la base de la réforme monétaire et de la refonte des
monnaies concourrant à la définition du franc dit
« germinal » (loi du 7 germinal an XI 28 mars
1803); la création de la caisse de service* en 1806.
Enfin, Gaudin est l’auteur d’une réforme de fond de
l’administration fiscale. Il s’agissait autant de
procéder à une redéfinition de l’assiette des impôts
directs (établissement d’un cadastre par masses de
culture puis d’un cadastre parcellaire), de
réorganiser l’administration (création dans chaque
département d’une direction du recouvrement des
impositions directes et tentative infructueuse de
réunion en une administration des impôts directs) et
de reprendre en main le personnel (rétablissement
des receveurs généraux des finances* nommés par
le ministre). Ces succès lui valurent d’être fait duc
de Gaëte en 1809. Élu député en 1815, il siégeait
dans la minorité libérale de la Chambre introuvable.
Battu en 1819, Roy lui propose alors de devenir
gouverneur de la Banque de France (dont il avait
contribué à la création le 28 nivôse an VIII, 17
février 1800), fonction qu’il occupa de mars 1820 à
avril 1834. S.K.
Bibliographie : Portalis A., Essai sur la vie et
l’administration du duc de Gaëte, Duverger, 1842.
Latour F., Le grand argentier de Napoléon, Pris,
Éditions du Scorpion, 1962. Antonetti G., « Martin
Gaudin », in Les ministres des Finances, t.l, p. 251
-276.
Gens d’affaires
Voir Traitant
Gestion comptable
Strictement parlant, la gestion comptable désigne
l’activité d’un comptable* qui prend en charge les
affaires d’autrui (le prince, le roi, le trésor ...) avant
de rendre compte de son administration.
Progressivement, le terme désignera le laps de
temps durant lequel le comptable accomplit sa
tâche.
L ’administration des comptes
Le Dictionnaire des finances de 1727 définit la
gestion comme « l’administration, la régie d'un
comptable qui est chargé de quelque affaire, de
quelque maniement». Le comptable est regardé
comme le gérant de sa caisse* et il ne peut y
inscrire que ce qui relève strictement des affaires
qu’il gère et non des siennes propres. Claude Irson
insiste sur cette différence en 1678 : « Si le
comptable mettoit dans les livres de la gestion dont
il doit rendre compte ses affaires particulières ou
d’autres, il s’ensuivrait (des) inconvénients
considérables». Les opérations qu’il effectue
relèvent de sa « gestion » et lient l’homme à sa
responsabilité*. Dès lors le comptable suivant
entame une nouvelle gestion quand il prend le poste comptable peine à identifier la réalité du
dans sa « gestion comptable ». rattachement des opérations réalisées puisqu’elle
focalise son attention sur le mouvement de caisse et
Extension de la notion de gestion comptable à la laisse une marge de manœuvre à l’ordonnateur* qui
période comptable peut décider d’anticiper ou de décaler dans le temps
Le terme « gestion comptable » désigne, par certains actes pour des raisons d’opportunité
métonymie, la période pendant laquelle un financière. Le compte ne traduit alors plus la même
comptable prend en charge une caisse et en assume réalité. S.K.
la responsabilité. L’article 3 du décret du 31 mai Voir Exercice
1862 illustre cette extension du ternie gestion à la
période de l’activité du comptable : la gestion Sources : Irson C. (1678), Dictionnaire des finances
embrasse l’ensemble des actes d’un comptable, soit (1727), Audiffret C. (1863), Mollien N. (1898),
pendant l’année, soit pendant la durée de ses Règlement général sur la comptabilité publique du
fonctions. La question devient donc de déterminer 31 mai 1862.
la date à laquelle un comptable doit rendre compte
de sa gestion : cela doit-il se produire à la fin de la Grande-Bretagne
dite gestion, ou périodiquement en cours de Voir Angleterre
gestion ? Le contrôle des comptables va ici se
dédoubler. D’un côté, on opérera un contrôle en fin
Grand livre
de gestion qui permettra d’établir la responsabilité
« Le grand livre se nomme ainsi, parce qu'il est le
définitive du comptable sur sa gestion. Soit la
plus grand volume de tous ceux dont un négociant
gestion est irrégulière et le comptable devra sur ses
se sert. On le prend ordinairement grand et large,
fonds rembourser le manquant, soit la gestion est
afin d’y pouvoir mettre chaque article en une seule
régulière, le ou les comptes sont apurés et on
accorde au comptable un quitus* définitif qui lève
ligne. On le nomme encore extrait parce qu'on y
met par extrait tous les articles du journal. On
le cautionnement*.
l’appelle aussi livre de raison parce qu'il rend
D’un autre côté, on opère un contrôle annuel des
raison de toutes les affaires. » Des trois variantes
comptes des comptables devant les juridictions de
terminologiques énoncées et expliquées par
contrôle. Ce contrôle est opéré par les Chambres
Mathieu de la Porte en 1704, seule la première s’est
des comptes*, les bureaux de comptabilité*, ou les
véritablement imposée. « Extrait »* était
Cour des comptes*. S’il s’agit bien ici de contrôler
certainement trop imprécis et si l’expression « livre
une partie de la gestion du comptable (une année
de raison », issue de liber rationis ou liber
civile généralement), on désigne communément de
rationum, signifiait effectivement livre de comptes,
manière abusive sous le tenue de gestion comptable
elle ne fut bientôt plus utilisée que pour désigner le
cette période qui sépare un contrôle juridictionnel
registre dans lequel le père de famille consignait
d’un autre contrôle juridictionnel.
aussi bien les événements de la vie familiale que les
détails de la gestion de son patrimoine. Quant à la
Avantages de la « gestion comptable » et nouvelle
taille, on choisissait généralement des in-folios et
extension de l'expression
qui a manipulé d’anciens grands livres sait que le
Par extension, le système de la gestion décrit aussi
qualificatif n’est guère usurpé ; pour autant, le
l’annualité comptable conjuguée à la méthode
journal était souvent de dimensions identiques à
d’inscription par les comptables publics. La gestion
celles du grand livre !
désigne ici la constatation des flux réalisés en caisse
Tous deux, journal et grand livre, forment un
entre le 1er janvier et le 31 décembre. On y inscrit
couple indissociable, au fondement de la
des mouvements de recette ou de dépense en ne
comptabilité en partie double* ou en partie simple*
tenant pas compte de l’origine du mouvement
(encore dite en débit et crédit). Libro grande, libro
(c'est-à-dire de l’engagement*). Dès lors, la gestion
maggiore, maestro, libro debitori e creditori,
possède un avantage déterminant, il s’agit d’une
quaderno en Italie, libro mayor en Espagne,
méthode simple et rapide d’enregistrement qui
hautpbuch en Allemagne, ledger en Grande-
permet d’arrêter les comptes très rapidement après
Bretagne, le grand livre est un registre regroupant
la date de leur clôture*. Mollien*, dans ses
l’ensemble des comptes en débit et crédit* ouverts
Mémoires, tire les conséquences de ce mode de
au sein d’une comptabilité. Chaque compte occupe
tenue des comptes en créant un bureau de
deux pages se faisant face : le doit ou débit est sur
comptabilité centrale au ministère du Trésor
la page de gauche tandis que Y avoir ou crédit est
public*. La centralisation de ces comptes par
sur celle de droite ; les deux reçoivent le même
l’administration permet une « avance de plusieurs
numéro. Lorsque l’une des deux pages est remplie,
années (de) l’époque du jugement de chaque
le teneur de livres reporte le solde du compte à la
gestion ».
première page vide qui se présente, après y avoir
Parallèlement, l’inconvénient majeur du système de
inscrit le nom du compte et les mots « doit » et
la gestion relève de sa myopie. La gestion
« avoir». Il arrive aussi, lorsque l’entreprise est de
227
 petite dimension, qu'une même double page soit entièrement arrêtés. Il ne devait pas y avoir de de la dette consolidée. Entrèrent enfin dans le
Grand livre de la dette
partagée entre plusieurs comptes. A l’inverse, les compte partiellement débité et toute portion de Grand- Livre les créances issues de la liquidation
Registre qui présente l’ensemble des engagements
grandes entreprises peuvent avoir plusieurs grands rente non aliénée par le créancier ne pouvait s’y des compagnies financières, caisse d’escompte* et
de l’Etat formant la dette inscrite ou dette
livres, regroupant chacun des familles de comptes trouver maintenue que par la création d’un nouveau compagnies d’assurance. La République se rendit
consolidée. Dès le bas Moyen Âge, les organismes
différentes. Au XVIIIe siècle, il est encore fréquent compte. Le bureau établissait chaque jour la propriétaire des effets non réclamés et inscrivit les
de crédit comme les Monti italiens tenaient en
que des négociants ne clôturent pas leurs comptes balance du grand-Livre et présentait un compte créances sur la nation. Elle se chargea en outre du
partie double* les comptes ouverts aux porteurs de
de manière régulière mais attendent simplement annuel. L’état de la dette non viagère fut présenté à remboursement des autres créances des
titres dans un Grand-livre*. Chaque rentier s’y
d’avoir complètement rempli leur grand livre (ou la Convention en août 1793. Elle fut décomposée compagnies, espérant par cette connaissance
trouvait crédité du montant des capitaux prêtés au
leur journal) pour procéder à cette clôture et ouvrir comme suit : la dette constituée : 89 888 335 confondre les créanciers cumulards, c'est-à-dire les
Monte et de celui des intérêts venus à échéance. Il y
un nouvel ensemble de registres. Seules quelques livres ; la dette exigible à tenue fixe payable en spéculateurs. Le Grand-Livre formé par Cambon* a
était débité d’une somme égale au total des intérêts
sociétés de capitaux commencent à clôturer leurs France : 415 945 312 livres ; celle payable en pays été détruit en 1871 dans l’incendie de l’hôtel des
versés et des capitaux éventuellement remboursés.
comptes et à changer de grand livre et de journal et monnaie étrangère : 11 956 003 livres ; la dette finances.
Beaucoup plus tardifs furent les Grands livres* ou
chaque année, une pratique qui se généralisera exigible provenant de la liquidation : 625 706 309 Les avantages que procura le Grand-Livre sont
registres récapitulant une dette nationale. Le
progressivement au siècle suivant. Les couples de livres ; la dette en assignats démonétisés : 558 624 nombreux : d’une part, la nation entrait en
premier Grand-Livre de la dette publique a été
registres successifs sont désignés par les lettres de livres ; et la dette en assignats ayant cours : possession de tous les titres de créances non
formé en France au temps de la République (1793)
l’alphabet : journal A, grand livre A, journal B, 3 217 222 053 livres. L’état de la dette publique réclamés. En d’autres tenues, le Grand-Livre était
et prolongé par des Grand-Livres annexes dans les
grand livre B,... On utilisera plus tard des viagère, plus difficile à établir, fut présenté en l’un des instruments majeurs de spoliation des biens
territoires conquis par Napoléon Bonaparte, dans le
millésimes. genuinal an II (mars 1794). La reconnaissance des des ennemis de la République. En outre, toute
royaume de Naples ou en Hollande notamment.
Le grand livre doit être accompagné d’un alphabet rentes viagères posa problème. Idéalement, les mutation de propriété entre particuliers y était
Dans sa première mouture (1793-1815), le Grand-
ou répertoire, autrement dit d’un index Républicains auraient souhaité convertir ces rentes reportée et taxée à hauteur de 2% du capital. Enfin,
Livre de la dette symbolise le caractère inédit de la
alphabétique des comptes avec indication des en perpétuel pour mettre fin à l’oisiveté tirée du le Grand-Livre facilita l’établissement des
relation de confiance entre les propriétaires de
numéros des folios où ils se trouvent. En général, il viager. Cependant, la Convention ne pouvait contributions publiques. Cambon soumit les
rentes et leur débiteur : l’Etat. A Paris, l’assemblée
y a une page pour chaque lettre et les intitulés des réduire ces rentes en une simple reconnaissance créances au principal de la contribution foncière,
constituante avait formé en son sein un comité de
comptes y sont portés au fur et à mesure de leur d’annuité dans le Grand-Livre sans détruire les considérant le Grand-livre comme « un cadastre
liquidation afin de procéder à «l’examen et la
ouverture, de même que les numéros de folios, fondements mêmes de la propriété. Il fallut tenir d’après lequel on pourra répartir l’impôt avec plus
liquidation de toute créance et demande sur le
lesquels sont mis à jour à chaque fois qu’un compte compte de la spécificité de ces créances. Une fois d’égalité que sur les fonds territoriaux ». A l’aide
Trésor public, qui sera susceptible de contestation
occupe une double page supplémentaire. Ces remises à la trésorerie*, elles furent donc converties de cet ouvrage, Ramel-Nogaret procéda à la
ou difficulté » (décret du 17 juillet 1790).
numéros figurent également en regard des écritures en un capital représentant la valeur du moment, « banqueroute des deux tiers ». La loi du 9
L’apurement* de la dette fut confié à un liquidateur
portées au journal, ce qui permet, si besoin est, de d’après un intérêt perpétuel à 5%, mais en les vendémiaire an VI (30 septembre 1797) divisa en
général de la dette publique, Louis Dufresne Saint-
retrouver les comptes mouvementés par une calculant d’après un ordre de mortalité moyen. Pour effet les créances inscrites au Grand-Livre en trois
Léon (décret du 6 juillet 1791), dont le service
écriture donnée. De façon symétrique, tout débit ou calculer les intérêts viagers, Cambon* sollicita les tiers. Le premier fut consolidé et continua d’être
succédait aux anciens bureaux de liquidation. La
crédit d’un compte fait mention de la date à laquelle services de l’actuaire Emmanuel-Etienne Duvillard, honoré en « bons du tiers consolidé » qui n’étaient
création du Grand-Livre de la dette publique par le
l’opération correspondante a été enregistrée au établit des tables complexes. Ces calculs tentèrent reçus que pour le règlement des impôts ou pour le
décret du 24 août 1793 fut plus spécifiquement
journal. de réduire les bénéfices usuraires des spéculateurs, paiement de la partie exigible en numéraire des
l’oeuvre de Joseph Cambon*, rapporteur du comité
Le transport ou rapport (on dit aujourd’hui report) tout en protégeant les petits rentiers. Pour y biens nationaux. Les deux autres tiers furent
des finances. Il s’agissait d’une tentative pour
des articles du journal au grand livre se fait de la parvenir, on espérait obtenir les déclarations de « convertis » en bons au porteur admis pour le
mettre un terme à l’extrême diversité des titres de
façon suivante : dans la tenue des livres en partie créances de tous les propriétaires, riches et pauvres, paiement du surplus des biens nationaux. Cette
créances contractées sur le Trésor royal* et pour
simple, on indique simplement, après avoir précisé reconstituaient les rentes sur une seule tête, celle du double banqueroute explique que la rente ne valait
réaliser l’unification des dettes de l’Etat. « Que
la date de l’opération, la raison pour laquelle le propriétaire, et payer les intérêts viagers en fonction que sept francs (pour un nominal de 100 francs) à la
l’inscription sur le grand livre soit le tombeau des
compte est débité ou crédité ; dans l’hypothèse de la de l’âge de ce propriétaire. Ainsi, on faisait cesser veille du 18 Brumaire.
anciens contrats et le titre unique et fondamental de
partie double, outre ces deux mêmes éléments, on le paiement des intérêts de tous ceux qui, ayant Le 1er janvier 1807, le gran libro del debito
tous les créanciers », écrivit-il. Il importait aussi,
indiquera, selon que le compte est débité ou crédité, acquis des rentes en masse, les avaient ensuite pubblico fut ouvert à Naples sur le modèle parisien.
grâce à la liquidation, de priver définitivement les
quel est ou quels sont le ou les comptes crédités ou revendus à des citoyens moins fortunés. Les décrets Sa comptabilité fut soumise à une direction
émigrés du profit de leurs biens et de rayer leurs
débités en contrepartie, en précisant le ou les du 23 floréal et du 3 prairial an II appliquèrent les générale. De même, Napoléon décréta le 18 octobre
créances. Enfin, il fallait combattre plus
numéros de folios correspondants ; dans le cas d’un projets de Cambon* sur la dette viagère. Ils 1810 la formation d’un Grand-Livre de la dette de
généralement les banquiers, ceux qui continuaient
débit, la formule sera « (doit) à tel compte pour provoquèrent aussitôt de vives réclamations, portant Hollande à Amsterdam et garantit le paiement de
sous la République à placer sur les têtes genevoises
telle raison » et dans le cas d’un crédit, ce sera en particulier sur les certificats de vie à présenter toutes les créances, consolidant ainsi les nouvelles
des sommes considérables en viager.
« (avoir) par tel compte pour telle raison ». pour le calcul des intérêts viagers. Une fois connue, règles de confiance unissant le pouvoir et la société
L’intérêt du Grand-Livre fut reconnu par les
L’expression « grand livre » fait toujours partie du la dette publique pouvait être ramenée à une forme civile. Dans un cadre organique profondément
administrateurs suivants : « c’est un des travaux les
vocabulaire de la comptabilité et a conservé son simple. Chaque créancier non viager fit inscrire le réformé, le régime parlementaire mis en place à
plus recommandables de la Convention et trois
sens, même si l’informatisation a depuis longtemps montant du produit net de sa rente ou des intérêts à partir de 1814 entreprit une liquidation drastique du
années d’expérience suffisent pour constater
éliminé tout lien avec une quelconque dimension lui dus pour liquidation, possession d’effet passé et parvint à l’extinction de l’arriéré de dette
combien cet établissement étoit conforme aux
physique. Historiquement, elle a eu d’autres public..., sans mention du capital. Seules les antérieure au 1er avril 1816. A cette date, le tenue
principes d’une bonne comptabilité », déclara
emplois en dehors du strict domaine de la créances supérieures à 50 livres furent inscrites et de Grand-Livre ne désignait plus que le livre ouvert
Barbé-Marbois. Le bureau du Grand-livre
comptabilité en partie double ou en partie simple, reconnues comme portant un intérêt à 5%. Celles en à l’inscription des rentes. Il existait un Grand-Livre
centralisait l’inscription des créances, l’émission
notamment dans le secteur de la finance avec le dessous de 1 000 livres de capital furent pour chaque nature de rente. La notion perdait son
des titres, la comptabilité et préparait la mise en
grand livre de la dette publique*. Y.L. remboursées en assignats. Aucune fraction en sols caractère inédit. M.-L. L.
paiement des rentes en fournissant aux comptables
ou deniers ne fut reportée. On laissa cependant le Voir Dette publique
chargés de les acquitter des états d’arrérages. Pour
Sources : La Porte M. de (1704). choix aux propriétaires de conserver leurs rentes
parvenir à un état exact des créances, il fallait que le
viagères ou bien de les convertir sur le Grand-Livre
Livre ne présente qu’un ensemble de comptes

228 229
 Sources: AN, F41001, Rapport de la commission
des finances et lois sur la dette publique, sur sa
consolidation, sur l’emprunt volontaire et sur
l’emprunt forcé, suivis de l’instruction sur
l’emprunt forcé, Paris, 1793, 50 p. Idem, AF III
130, dossier 611, rapport de Barbé-Marbois, 8
thermidor an IV. Gazette nationale ou le Moniteur
universel n° 265, quintidi 25 prairial an II (13 juin
1794), bulletin de la Convention, séance du 24
prairial. Joseph Cambon, Rapport sur la dette
publique, sur les moyens à employer pour
l'enregistrer sur un grand livre & la consolider,
pour admettre la dette consolidée en paiement des
domaines nationaux qui sont en vente..., fait à la
séance du 15 août 1793, 230 p. Joseph Cambon,
Rapport et projet de décret sur la liquidation des
compagnies financières connues sous le nom de
caisse d’escompte, Assurances sur la Vie et
Assurances contre les Incendies, 25 fructidor an II,
p.ll. Pierre-Louis Roederer, Rapport fait au Roi
par le Ministre des finances, 15 mai 1808, Naples,
1808. Camille Saint-Aubin, Sur la mobilisation des
deux tiers de la dette publique..., Paris, Imprimerie
de Lepage, an V.
Bibliographie : Ermice M.C. (2005). Gola G.
(1961). Maurice Lévy-Leboyer, « La dette publique
en France au XIXe siècle », in La dette publique au
XVIIIe et XIXe siècles ( 1980), p. 147.
Gratter
Moyen de corriger des lettres ou des chiffres sur le
papier d’un compte en utilisant un grattoir, une
pointe de canif, un morceau de verre ou du sable.
Guerre
Voir Trésorier de la guerre
Hennequin, Jean
Issu d’une famille troyenne enrichie dans le négoce,
Jean Hennequin, sieur de Cury et de Genicourt et
baron de Villepinte, appartient à la branche de cette
famille qui fait carrière dans les finances. Ainsi son
père Oudart Hennequin (mort en 1557) est maître
des comptes à Paris et contrôleur général des
finances* d’Outre-Seine-et-Yonne. Deux de ses
oncles sont présidents des comptes et son beau-père
est maître des comptes. Jean, qui s’est formé en
droit au contact des humanistes — il est disciple de
Giordano Bruno, indique Mathieu Soula —, entre à
la Chambre des comptes* en qualité de maître en
1558, avant de devenir audiencier de France à la
Grande Chancellerie (1570-1576) puis intendant et
contrôleur des finances* en 1580. Il se démet de sa
charge en 1581, «peut-être pour se consacrer à la
rédaction d’un traité relatif aux finances royales
intitulé Le guidon général des financiers », écrit
Olivier Poncet.
L’ouvrage s’intitule à l’origine Le guidon général
des financiers. Contenant la conservation et
interprétation des droits sacrés et inaliénables du
230
domaine du roi et couronne de France. Avec
l’instruction du maniement de toutes les finances
tant ordinaires qu 'extraordinaires. Nécessaire non
seulement aux comptables d’icelles finances, mais
aussi aux gens tant ecclésiastiques, nobles,
praticiens, qu’autres, pour éviter aux saisies de
leurs fiefs & temporels, ensemble connoître les torts
et exactions que leur pourroient faire les receveurs
ayant l’administration & recouvrement à faire
d’iceux droits. C’est un succès éditorial. Edité pour
la première fois en 1585, il a fait l’objet de
plusieurs rééditions, en 1586 et 1595 à l’identique,
puis en 1601 et 1610, assorti de commentaires de
Vincent Gelée visant à le compléter. Le texte sera à
nouveau commenté et enrichi par Sébastien Hardy,
qui y joint une « instruction pour les récipiendaires
qui subissent l’examen en ladite chambre [des
comptes]» (1631, 1633, 1644). A partir des
commentaires de Vincent Gelée, en 1601, son titre
change : ce n’est plus le « guidon général des
financiers » mais des « finances ». La variation
n’est pas anodine. Il s’agit bien de mettre l’accent
sur le fait que le texte prétend être un guide non
seulement pour les financiers mais pour tous ceux
qui doivent s’orienter dans le labyrinthe des
finances royales, en particulier les officiers chargés
du contrôle des comptes.
Outre la description du domaine* royal et de
l’ensemble des droits qui composent les recettes
fiscales du roi de France, l’ouvrage prétend être le
premier à rendre compte des « manières de rendre
les comptes par les officiers comptables de cedit
royaume, mêmement la pratique qui pour lejour
d’hui s’exerce ès Chambres des comptes, laquelle
est grandement nécessaire à toutes personnes
suivant les finances, par ce que l’on peut voir
quelles ordonnances royaux sont observées ».
L’auteur y décrit donc « les acquits que doivent
rapporter les receveurs & trésoriers pour la
vérification de la recette & dépense de leurs
comptes, la forme que tiennent à la reddition de
leurs comptes les receveurs des aides, tailles,
greniers à sel, imposition foraine, taillon,
équivalent, recettes générales des finances, des
décimes, des bois, des boettes, des monnoyes,
parties casuelles, amendes, épargne ordinaire &
extraordinaire des guerres, & plusieurs autres qui
sont déclarés en ce traité, le tout accompagné &
enrichi des ordonnances royaux, arrêts des
Chambres des comptes & autres, la forme &
manière d’iceux arrêts, la charge de messieurs du
Conseil Privé & intendants des finances en ce qui
concerne lesdites finances, le devoir & charge des
officiers desdites Chambres, avec la forme de
l’administration de leurs charges tant pour la
conservation desdits droits domaniaux que
reddition des comptes desdits officiers comptables,
l’institution des trésoriers généraux de France, avec
ample instruction concernant leurs offices, création
& règlement des contreroleurs généraux des
finances, une briève instruction pour les élus en ce
qui concerne les départements & assiettes des
deniers royaux» (adresse « Au lecteur »).
Le texte s’adresse ainsi à la fois aux comptables
tenus de rendre des comptes de leur maniement et
aux contrôleurs chargés d’examiner leurs comptes.
Outre les règles de droit et les usages à observer et
les documents à exiger pour une reddition* de
comptes, il y définit par le menu les différents types
d’arrêts rendus par la Chambre des comptes lors de
l’examen desdits comptes, indiquant quelles sont
les procédures observées dans chacun des cas
mentionnés (parties en souffrance*, parties
supersedées*, parties indécises* parties rayées*,
restes*), et donnant souvent des précisions sur le
mode de rédaction adopté dans chaque cas. C’est
l’occasion de lever les doutes de ses lecteurs, ce qui
confirme que la procédure de reddition et de
contrôle des comptes est complexe tant pour les
comptables que pour les officiers chargés de leur
examen. Ainsi, il y distingue acquit patent*,
mandement patent et mandement portant
quittance*, indiquant qu’il est fréquent de
confondre ces documents.
Ce texte est le seul ouvrage publié qui soit aussi
précis sur la question, puisque l’on ne trouve un tel
luxe de détails au XVIIe et au XVIIIe siècle que
dans des règlements à usage interne rédités à
l’intention des officiers chargés du contrôle. C’est
sans doute la raison de son succès. A.D.
Voir Présentation des comptes, Reddition
Sources : Pour les œuvres de Hennequin, voir la
bibliographie générale.
Bibliographie : Poncet O., Pomponne de Bellièvre
(1529-1607). Un homme d’Etat au temps des
guerres de religion, Mémoires et documents de
l’école des Chartes, n° 50, 1998, p. 115-116. Soula
M. (2007). Catalogue ABES, consultation le 12 juin
2009.
Hors ligne
Ecrire hors ligne, mettre hors ligne, tirer une
somme hors ligne, c’est écrire dans la marge d’un
compte.
Voir Colonne, Ecritures comptables
Indécis, indécise, indécision
Voir partie indécise
Indicateurs
Voir Livres
Industrie
Voir Comptabilité industrielle,
comptabilité manufacturière
Inopinée
Voir Partie inopinée
Inspecteur des fermes
Par l’édit du mois de décembre 1707, on créa
cinquante inspecteurs des fermes avec la mission de
contrôler lors des tournées le fonctionnement des
fermes royales. Placés sous la tutelle du contrôleur
général des finances*, ces officiers étaient
spécialement chargés d’examiner l’état de la
perception des droits levés dans les bureaux des
aides, des gabelles et des traites, d’y veiller à
l’application des règlements et tarifs en vigueur, de
faire la liste des employés des fermes et de
s'informer sur « leur manière de gérer les affaires,
de rendre justice et de leur manière de vivre en
général : s’ils sont sages, appliqués, expéditifs ou si
au contraire ils sont fiers, arrogants, vains, aimant
la dépense et le jeu [...], s’ils ne sont point accusés
de tirer des gratifications des redevables [...], s’ils
ne se mêlent d’aucun commerce ou autres fonctions
que leurs commissions ». Sur cela, les rapports et
les procès-verbaux d’inspection sont éloquents. On
apprend que le receveur au grenier à sel de Saint-
Quentin, Gallois, était absent de son poste depuis
dix-huit mois et que c’était sa femme qui régissait à
sa place. Dachery, receveur* au bureau des traites,
« est un bourgeois de Saint-Quentin qui est parent
et allié de plusieurs marchands de la ville [...] et
agit avec beaucoup de complaisance pour eux ». Le
brigadier « est en même temps cabaretier et loge
chez lui les mulquiniers de plusieurs villages de
Picardie et du Cambrésis qui apportent à vendre des
toiles à Saint-Quentin et qui sont soupçonnés d’en
faire passer celles-ci en fraude ». L’inspecteur
Faury fit un mémoire sur de nombreux
manquements qu’il put constater dans la direction
des gabelles et des traites d’Abbeville et proposa
des mesures nécessaires pour y remédier. Il se
plaignit de la réticence et de peu de considération
avec lesquelles il fut accueilli par les directeurs des
fermes qui, « malgré les ordres qui leur étaient
donnés, sont bien loin d’y satisfaire et font tout ce
qu’ils peuvent pour nous [les inspecteurs] empêcher
que les employés nous fassent aucune confidence
[...] sur les affaires de la fenne et ne souhaitent rien
tant que notre suppression ». Sur 625 brigadiers en
poste, 126 étaient âgés et plus en mesure de servir ;
un brigadier ne savait ni lire ni écrire, un autre était
sourd ; les contrôleurs mis par commission* étaient
inutiles et n’y étaient que pour recevoir des
appointements. En 1709, l’inspecteur Melon fit
savoir que le receveur du bureau des fermes de Dax
n’avait rien remis à la caisse* générale depuis
plusieurs mois et devait 27 000 livres. Après avoir
visité les fennes de Sedan, l’inspecteur Chambéry
jugea nécessaire de relever des fonctions les
brigadiers qui, pour la plupart employés sur
recommandation, « n’empêchaient pas la
contrebande qui se fait publiquement dans cette
ville ». Le magasin où il fallait entreposer, contrôler
231
 et emballer les marchandises entrantes et sortantes
n’existait pas dans les faits, alors que dans les
comptes on allouait chaque année 500 livres au
receveur à cette fin.
Lors de leurs visites dans les bureaux des gabelles,
les inspecteurs se faisaient présenter les registres
des receveurs et des contrôleurs, accompagnés des
procès-verbaux des descentes, de la mesure et de
l’emplacement du sel dans les greniers. L’examen*
des registres de distribution, des prêts et des
obligations permettait de savoir la quantité de sel en
disposition et à combien de personnes il avait été
fourni, notamment si ceux qui empruntaient étaient
déchargés de leurs obligations aux termes donnés
au paiement. Dans le même temps, les inspecteurs
dressaient l’état des obligations et s’informaient
auprès des particuliers de ce qu’ils avaient
acquittés, de façon à vérifier si les sommes qui leur
étaient mises en reprise dans les comptes étaient
réellement dues. À l’occasion de toutes ces
vérifications, plusieurs négligences furent
constatées dans la gestion des gabelles.
L’inspecteur Languérat releva beaucoup de
confusions sur les registres du receveur de Saint-
Quentin qui y faisait mention seulement de la
quantité de sel que chaque chef de famille prenait
au grenier et n’observait pas suivant l’ordonnance
des gabelles de 1680 une distinction entre les
différents types de sel destinés aux salaisons et pour
les pot et salière, de sorte « qu’il n’était plus
possible de savoir exactement si une famille a fait
le devoir en gabelle ou non ». Dans le grenier à sel
de Valence, les commis distribuaient un sel de
mauvaise qualité. À La Rochelle, la consommation
du sel diminuait, parce que les receveurs ne
voulaient plus prêter qu’à des personnes capables
de les rembourser.
Nombre de procès criminels furent intentés aux
faux-sauniers avec la contribution des inspecteurs
des fennes. En séjournant à Charleville en 1711,
l’inspecteur Langlois utilisa des espions qui
l’informaient sur la présence des faux-sauniers et
envoya des soldats et des gardes des fermes poul­
ies arrêter. En Auvergne, le faux saunage se
développa à cause de l’augmentation du prix du sel
et de la misère des peuples, de même que de la
mauvaise la régie* des gabelles. Pour y remédier
efficacement, l’inspecteur Salua préconisait de
renforcer les brigades des fermes : « Les bandes de
faux-sauniers y sont en si grand nombre, qu’il n’est
possible de s’opposer à leur passage qu’en faisant
des détachements tout au moins de cinquante ou
soixante hommes ».
Dans les bureaux des traites, les inspecteurs des
fermes veillaient au recouvrement des droits sur les
marchandises qui y sortaient et entraient ou en
transit. Ils vérifiaient les déclarations des
marchands, afin de s’assurer si les droits étaient
acquittés conformément à la nature et la qualité des
marchandises, veillaient aux poids et mesures,
232
examinaient la conformité des tarifs appliqués aux
arrêts rendus sur leur diminution, augmentation ou
suppression. Les inspecteurs dénoncèrent
fréquemment la fraude* et le commerce des
marchandises prohibées. « La ville de Cambrésis,
étant exempte des droits des traites, est devenue un
véritable entrepôt à marchandises de contrebande »,
écrivit Languérat en 1709. Les manufacturiers de
Lyon souffraient particulièrement de la
contrebande. À Verdun, au lieu d’arrêter les
fraudeurs, les fermiers et les gardes des portes les
laissaient librement circuler dans la ville. Les
directeurs des fennes gardaient entre leurs mains les
marchandises confisquées pendant plusieurs
années. Les commis* du bureau des fermes de Bray
fraudèrent eux-mêmes les droits sur la vente des
cuirs. L’inspecteur fit remarquer que les receveurs
mentionnaient sur leurs registres les entrées et les
sorties des marchandises mais n’assistaient pas à la
vérification du poids et de la qualité de ces
marchandises, en se contentant de se rapporter aux
certificats que les visiteurs des aides mettaient au
dos des acquits à caution. Cette négligence était
préjudiciable : « en ce que n’ayant point des poids
dans la plupart des bureaux où s’expédient les
acquits à caution, les commis qui les délivrent sont
obligés de se rapporter à la déclaration des
marchands, après quoi, alors qu’arrive au bureau un
visiteur infidèle, on pourrait faciliter l’entrée de
certaines marchandises ne payant point de
droits [...]». N.P.
Voir Ferme générale
Sources: AN, G7 1170, Rapports et procès-verbaux
des inspecteurs des fermes sur leurs visites des
départements des fermes des aides, des gabelles et
des traites de Saint-Quentin, d’Abbeville,
d’Auvergne et du Rouergue, de Dax et de Chalons
en 1708-1709.
Bibliographie : Beaulieu E.P., Les gabelles sous
Louis XIV, Genève, 1974. Pasquier J., L’impôt des
gabelles en France aux XVIF-XVIIf siècles, Paris,
1905.
Inspecteurs des finances
Le corps des inspecteurs des finances succède aux
contrôleurs placés en permanence près certains
comptables de l’État sous l’Ancien régime et aux
commissaires du Conseil envoyés à diverses
époques en mission d’inspection, notamment dans
les recettes des finances. Mais, alors que les anciens
administrateurs surclassaient en tous points leurs
surveillants, les nouveaux contrôleurs ont fini par
jouir d’une situation supérieure à celle des
contrôlés, sauf pour les revenus, quoiqu’ils n’aient
pas eu à exposer leur fortune ou celle de leurs
relations pour satisfaire les besoins du Trésor
public.
Sous l’Ancien régime, les trésoriers de France ont
une mission de contrôle en matière domaniale et les
bureaux des finances* contrôlent la comptabilité,
l’administration et le contentieux des finances
publiques, font des tournées et examinent les livres
des comptables avant leur envoi aux Chambres des
comptes. Il existe d’autre part une multitude
d’inspections et d’inspecteurs ou contrôleurs
spécialisés dans les différentes branches du contrôle
général des finances. Deux essais datant de 1689 et
1712 visent à remplacer, dans une partie des
services financiers au moins, des inspecteurs
itinérants et rattachés au ministre aux contrôleurs
attachés à divers comptables. L’arrêt du Conseil du
12 mai 1689 crée des «inspecteurs des tailles et
fermes » placés sous les ordres du ministre et
chargés de contrôler les comptes et de s’informer de
la conduite des comptables. Les emplois sont érigés
en titre d’office en 1707 pour la partie des fennes. Il
semble qu’ils ont été ensuite assimilés aux
contrôleurs généraux des fennes, agents supérieurs
de la Ferme générale soumis au cautionnement*.
Un édit de janvier 1712 porte création d’offices
d’inspecteur des Finances, avec gages et frais
d’exercice, au moyen d’une augmentation de la
taille. Ces officiers devaient procéder chaque
trimestre à la vérification des caisses de leur ressort.
Le but recherché était le bon ordre et l’exactitude
du recouvrement des impôts. Le moment est
vraiment mal choisi : aucun office n’est vendu.
Les inspecteurs créés par la déclaration du 10 juin
1716 doivent retenir l’attention car ils ressemblent
assez aux inspecteurs des finances du XIXe siècle.
Il leur manque cependant la durée : Forbonnais
parle d’eux au passé, mais sans dire quand ils ont
disparu. Sous la Régence, le Conseil des finances
s’efforce d’apurer tous les comptes des comptables
et de reconnaître les dettes de l’État, notamment
celles qui n’avaient pas été payées sur les caisses
des recettes des finances et des fermes afin de régler
des dépenses jugées plus urgentes. Il s’agit de
repartir sur de bonnes bases. La déclaration soumet
les receveurs généraux des finances* des vingt
généralités des pays d’élections au régime de la
caisse commune*. Des commissaires du Conseil
pointent et vérifient tous les quinze jours les états
de distribution sur le registre de la caisse et sur les
pièces présentées article par article, et ils en font
l’arrêté. Les receveurs généraux ont compté devant
eux de leurs recettes et dépenses au 1er juillet 1716,
par bref état* et représentation des pièces
justificatives* depuis le dernier compte rendu à une
Chambre des comptes.
Un inspecteur ayant commission du roi et recevant
ses ordres de l’intendant* et du Conseil est envoyé
dans chacune des vingt généralités, afin de vérifier
la recette et la dépense faites par les commis à la
recette générale et par les receveurs des tailles*. Il
commence par faire compter les receveurs des
tailles par bref état. Il a reçu une instruction et des
modèles des états qu’il doit dresser et envoyer pour
constater ce qu’il y a de restes à recouvrer dans
chaque élection et de charges à payer. Il doit tenir
un registre-journal semblable à ceux des commis et
en envoyer comme eux une copie au Conseil. Il
rend compte à ce dernier des omissions, faux
emplois et contraventions à la déclaration. Les
inspecteurs ont aidé les receveurs des tailles et les
commis aux recettes générales à tenir leurs
registres-journaux ; ils ont dû recevoir d’eux des
comptes de temps tous les six mois. Ils ont contrôlé
la concordance entre les journaux* et les livres, ils
ont vérifié si le produit de chaque recette était
régulièrement remis à la recette générale et si les
receveurs des tailles avaient employé sur leurs
journaux toutes les sommes versées par les
collecteurs, grâce aux quittances données par les
premiers aux seconds. Disons pour finir que les
commis du dixième et de la capitation des villes et
de la noblesse sont soumis à la même inspection :
les inspecteurs ont donc eu compétence sur les
impôts directs.
Par un arrêté du Directoire du 16 juin 1797 sont
créés douze inspecteurs généraux de la Trésorerie
près le ministre des finances. Par un autre arrêté (13
mars 1800), le gouvernement consulaire les
remplace par des vérificateurs généraux de la
Trésorerie établis dans les divisions militaires afin
de vérifier les caisses des receveurs, d’accélérer les
recouvrements et le versement des fonds et de
diriger l’envoi de ceux-ci. L’année suivante (arrêté
du 6 septembre 1801), le gouvernement crée à leur
place des inspecteurs généraux du Trésor public
chargés de vérifier les caisses des receveurs
généraux et particuliers, celles des payeurs
généraux et de leurs préposés et celles des payeurs
des départements militaires. Ces nouveaux
fonctionnaires, au nombre de quinze au maximum,
sont placés près le ministre du Trésor public, dont
le département a été séparé des Finances et qui les
envoie en mission d’inspection, pour contrôler la
régularité des gestions seulement. Un arrêté
ministériel du 19 décembre 1808 (Mollien) confie
ce travail à six inspecteurs généraux disposant
chacun de deux collaborateurs, sous-inspecteurs ou
élèves qui vérifient les opérations de détail des
comptables soumis à leur inspection.
Par l’ordonnance du 9 juillet 1815, les deux
ministères sont de nouveau réunis, et cette
opération conduit à augmenter les attributions des
inspecteurs du Trésor ou des Finances au détriment
des autres inspections (enregistrement, douanes,
contributions indirectes, cadastre), qui sont
finalement supprimées en 1825 et 1831. Les
attributions des inspecteurs des Finances sont bien
définies dans une note de 1831 demandée par le
baron Louis et souvent citée. Elles « font un devoir
à ce corps de vérifier la gestion de l’universalité des
manutentions de deniers publics et de tenir la main
à ce que tous les agents extérieurs, soit d’exécution,
soit de surveillance locale ou spéciale remplissent
les obligations qui leur sont imposées par les lois et
233
règlements. L’inspection générale des Finances est
en outre chargée d’examiner, sous le rapport
administratif, la marche des divers services
financiers ; celle du recouvrement des produits
directs et indirects ; de surveiller l’application des
ressources du Trésor à ses besoins ; de lever les
difficultés qu’éprouve, sur certains points,
l’exécution des mesures prescrites ; de ramener,
autant que possible, cette exécution à des principes
généraux et à des procédés uniformes ; de signaler
les vices que peut présenter notre législation fiscale,
et enfin de soumettre au ministre toutes les vues qui
paraissent propres à améliorer les diverses branches
dont se compose le département des Finances».
Ainsi l’Inspection surveille la régularité du travail
des agents soumis à son contrôle au-delà de
l’inspection des caisses des comptables, elle
s’efforce d’améliorer l’exécution du service sans
donner d’ordres et rend compte de ce qu’elle a vu et
entendu au ministre qui, de cette façon, sera mis en
état de prendre des décisions tendant à rectifier ou à
améliorer la marche du service qui lui est confié.
Sous le régime de l’ordonnance du 9 mai 1831, la
France est divisée en huit circonscriptions placées
théoriquement sous l’autorité d’un inspecteur
général. Les inspecteurs résident à Paris pendant six
mois de l’année et font leurs tournées d’avril à
octobre. Le contrôle permanent est assuré par la
hiérarchie administrative. Le service de l’Inspection
travaille d’après des renseignements ou au vu des
résultats des gestions financières centralisées à
Paris. Au moyen d’une commission signée du
ministre, l’inspecteur peut requérir l’aide et
l’assistance du préfet et des autres autorités civiles
et militaires. Soit une baisse du produit de l’impôt :
elle peut provenir des agents chargés de l’assiette
ou du recouvrement ; alors l’inspecteur conseille
ces fonctionnaires et rend compte au ministre de ce
qu’il a vu. Des missions spéciales ont pour objet de
rétablir l’ordre dans le service ou de faire accepter
la centralisation par les services extérieurs.
Le contrôle central s’étend peu à peu aux dépens
des tournées d’inspection, et les inspecteurs
prennent des places importantes à l’administration
centrale où ils sont mêlés de près à la préparation et
à l’exécution du budget. C’est le début de leur
fortune. Jusqu’en 1847, les membres du corps sont
choisis par le ministre parmi les agents du
ministère. Le concours est institué en 1847.
L’ordonnance du 28 mars 1842 comporte un
effectif statutaire de 66 membres en 6 grades. En
1848, le corps est fort de 46 membres, dont 38 sont
affectés au service de l’Inspection, 8 autres
occupant des emplois supérieurs dans
l’administration active ou à la Cour des comptes.
En 1911, il compte 172 membres ou anciens
membres, dont 89 à l’Inspection, 38 dans les
administrations, 40 dans l’industrie et 5 divers : les
emplois se sont donc considérablement diversifiés.
B.L.
234
Sources: AN, G7 503 ; G7 1541 (Affaires
extraordinaires: inspecteurs des finances. 1711-
1717) ; Boislisle A.-M. de (1874-1897), t. 3, p. 547-
548. Forbonnais, t. II, p. 428 à 442. Mémoires d’un
inspecteur des Finances, Justinien Paul César
Lavirotte (1773-1859), officier de la République et
de l’Empire, Pinaud P.F. éd., Paris, La Vouivre,
2003. Trollard E., Mémoires d’un inspecteur des
finances au XIXe siècle, éd. Chadeau E., Paris,
1998.
Bibliographie : Barbier J.J. et I.G.F., L ’inspection
générale des Finances, 1831-1931, Paris, 1931.
Chadeau E. (1984 et 1986). Lasteyrie du Saillant
C.F. de, L’inspection générale du Trésor.
L’inspection générale des Finances, Paris, 1908.
Lalumière P. (1959). Legendre P. (1968). Milloz P.
(1983). Pinaud P.F. (1990).
Inspection
L’inspection est une fonction de l’administration
publique confiée à divers officiers ou fonctionnaires
qui l’exercent temporairement ou à des corps
constitués dont l’inspection est la fonction
principale ou exclusive. Elle doit être distinguée du
contrôle administratif', mais cette distinction est
difficile à bien faire et, dans les faits, les deux
ternies ont souvent été plus ou moins confondus.
Dans les services militaires, l’inspection des
troupes (depuis 1668) ou du matériel par des
officiers militaires était bien distinguée du contrôle
administratif proprement dit et elle l’est encore.
Mais les contrôleurs des officiers comptables de
l’Ancien régime qui avaient rapport avec le Trésor
sont devenus, après les troubles de la Révolution,
les inspecteurs des Finances.
Le contrôle, là où il existait, était permanent et donc
généralement sédentaire, alors que l’inspection était
ponctuelle et donc mobile. La nature des fonctions,
suivant qu’elles portent sur des actes et des agents
de l’ordre technique ou de l’ordre administratif,
permet aussi de les distinguer, selon ce que Pierre
Milloz indique dans sa thèse (1982). Cet auteur,
ancien élève de l’ENA, entend l’administration de
manière extensive (comme Colbert avant lui) : sont
« actes administratifs tous les actes qui ont pour
objet de prévoir, d’organiser et de faire exécuter un
programme, en un mot tous les actes qui sont
constitutifs de la conduite d’ensemble d’une unité
administrative et dont dépendent au premier chef la
réussite et la prospérité de cette dernière ». Ainsi les
ingénieurs chargés de la direction d’un service
technique relèveraient d’une inspection
administrative, ce qui n’est pas le cas, même si une
telle inspection peut contrôler leur gestion. Nous
retiendrons donc que le contrôle est le travail qui
consiste à vérifier la régularité et à apprécier la
qualité de la gestion d’un service, par l’exercice du
droit d’investigation et que l’inspection est ou
devrait être le contrôle du personnel et parfois du
matériel d’un service. L’inspection, comme le
contrôle, exclut toute participation à en effet à cette date que le bureau de vérification
l’administration active, en dépit d’exceptions assez
fréquentes à la règle.
Les auteurs du dictionnaire des finances de
Y Encyclopédie méthodique, opposés à la vénalité
des offices en général, considèrent que les très
nombreux inspecteurs subsistants sont souvent des
officiers inutiles et que le besoin d’argent a été la
seule cause de leur création. Ils réservent des
notices aux seuls inspecteurs qui ont rapport aux
finances : inspecteurs généraux du domaine*,
inspecteurs des fermes ou des régies*, inspecteurs
aux boissons et aux boucheries et inspecteurs des
Finances*. Ils excluent les inspecteurs des
Bâtiments, les inspecteurs des Manufactures et du
commerce, les inspecteurs de police. Nous pouvons
ajouter à leur liste, sans la rendre complète, les
inspecteurs des troupes, les contrôleurs puis
inspecteurs des Postes, les inspecteurs de
l’Agriculture, des Haras, les inspecteurs généraux
des Ponts et Chaussées, des Mines, de l’Instruction
publique, les inspecteurs des tailles et fermes, les
inspecteurs des services administratifs du ministère
de l’Intérieur, les contrôleurs des officiers
comptables (sous l’Ancien régime), les contrôleurs
de la Marine et ceux de l’administration de la
Guerre, les maîtrises des Eaux et Forêts et les
trésoriers de France dans leurs fonctions de
contrôle. B.L.
Bibliographie : Bouchard L., Rapport à M. le
ministre de la Guerre fait au nom de la commission
mixte chargée de préparer un projet de loi sur
l’administration de l’Armée, Paris, 1874. Freycinet
C. de, Rapport fait au nom de la commission
[sénatoriale] chargée d’examiner le projet de loi
sur l’administration de l’Armée, Versailles,
(impressions du Sénat, session de 1876, n° 140),
1876. Rapport fait au nom de la commission
chargée d’examiner le projet de loi, adopté par le
Sénat, adopté avec modifications par la Chambre
des députés, sur l’administration de l’Armée (15
juillet 1881), Paris, (impressions du Sénat, session
de 1881, n° 447). Crozier M. (1963). Leriche A.,
L’inspection de l’administration, Joigny, 1944.
Milloz P. (1983).
Intendant de finances
Officier* de finances dont la charge, créée la
première fois en 1573, consiste initialement, si l’on
suit Jean Hennequin, à tenir le registre dûment
signé du contrerolle par eux fait des quittances*,
mandements portant quittance, acquits*... servant
tant en recette qu’en dépense à la reddition* des
comptes des trésoriers et de les faire parvenir à la
Chambre des comptes* six mois après chaque
année expirée. Les intendants de finances furent
donc chargés du contrôle comptable au cœur de
l’Etat royal. Ils formaient les états du roi* et, à
partir de 1720, vérifiaient les états au vrai*. C’est
des états au vrai créé par Colbert en 1661 et placé
sous la direction d’une commission rattachée
directement au contrôleur général, passa au
département de l’intendant de finances en charge
des impositions, c’est à dire au bureau des Lefèvre
d’Ormesson. Par arrêt du Conseil du 30 octobre
1767, Louis XV réactualisa l’édit de 1661, voulut
réduire le nombre des états du roi (144 en 1766) à
huit : un pour les rentes sur l’hôtel-de-ville, un pour
les recettes générales des finances* des généralités,
pays conquis et d’Etats confié à l’intendant de
finances en charge des impositions (François Maris
Lefèvre d’Ormesson), un pour les gages des maîtres
des postes, un pour les domaines et les bois du roi
confié aux intendants des finances Cochin et
Moreau de Beaumont, un pour les ponts et
chaussées, turcies et levées, un pour les fermes
générales*, ces deux états confiés à l’intendant de
finances Trudaine, un pour les monnaies* et le
dernier pour le revenu du roi, le Trésor royal*. Ces
documents devaient ête visés et présentés au
Conseil du roi par un seul intendant de finances, le
but étant de concentrer la prévision budgétaire. La
réfonne ne fut que partielle. L’éclatement de la
fonnation des états du roi reprit dès les années
1770.
En outre, les intendants de finances dirigeaient
collégialement les différents départements au sein
du ministère des finances, tout le détail des affaires
passait donc par leurs bureaux. Leur nombre varia
dans le temps (deux sous François Ier, six de 1686 à
1777), mais leur corps demeura puissant jusqu’à
leur suppression par Necker* en 1777. M.-L. L.
Voir Contrôle général des finances, Etat au vrai
Sources : Hennequin J. (1585), f° 229-230.
Bibliographie : Antoine M. (2003). Khamvongsa E.
et Touzery M. (2006). Mosser F. (1978).
Intendant de province
Commissaire du roi en charge, pour une province
donnée, des affaires intérieures d’un Etat et
particulièrement du suivi des affaires financières.
Cette figure d’administrateur bien connue a été
façonnée en France, mais a servi de modèle pour
d’autres Etats, comme en Savoie ou en Espagne.
Nous nous intéressons ici aux seules fonctions
comptables de cet administrateur.
En France
Au terme d’une longue période d’attributions
temporaires à des agents toujours révocables, la
figure de l’intendant permanent de «justice, police
et finances » se stabilisa au XVIIe siècle. Entre
1589 et 1600, on trouvait encore plusieurs types de
commissions comme celles données à des
commissaires « chargés de l’administration et
intendance de nos deniers qui sont ordonnés pour
235

Pentretènement de notre armée », différentes de
celles confiées à des commissaires de province qui
tendaient à rassembler dans leurs mains tous les
pouvoirs civils et avaient pour rôle d’inspecter
faction des pouvoirs locaux. Ces commissaires de
province devaient composer avec les officiers des
bureaux de finances*, mais finirent par imposer leur
tutelle sur ces derniers. Par le règlement du 22 août
1642 en effet, l’essentiel de la répartition et de la
levée des tailles, taillon et subsistances des troupes
leur fut confié. Par là, ils recevaient la présidence
du bureau de finances, faisaient expédier par les
Trésoriers de France les attaches et ordonnances
nécessaires à l’exécution des commissions. Par la
suite, ils devaient s’occuper directement de la
confection des rôles des nouveaux impôts,
capitation, dixième, vingtième. Le pouvoir royal
confia même à ses commissaires le contrôle des
comptes des vingtièmes royaux, attribution
normalement dévolue aux Chambres des comptes*.
Placé à la tête des bureaux de finances, l’intendant
de province supervisa l’exécution des états du roi*
confiée aux Trésoriers de France. Quant aux
recettes, il décidait notamment de la répartition des
remises* et validait les non-valeurs*. C’est par
devant lui que les receveurs particuliers justifiaient
des sommes collectées. Il clorait définitivement les
comptes de ces derniers, mais aussi ceux de divers
trésoriers pour lesquels il intervenait par
ordonnance particulière. Ce principe est
parfaitement justifié car, comme l’explique Cédric
Glineur, « à partir du moment où l’intendant
prescrivait une dépense, il était logique qu’il ait pu
en contrôler l’emploi a posteriori ». De fait,
l’intendant était ordonnateur* secondaire et
procédait par ordre de paiement*. Précisons qu’il
était aussi ordonnateur principal sur une toute petite
partie des fonds levés dans une généralité, ceux que
l’on nommait les fonds libres*. En revanche, il ne
disposait pas de pouvoir de contrainte sur les
receveurs généraux des finances* pour l’exécution
des états : c’est là l’une des principales failles du
système de contrôle français. L’extrait qui suit des
lettres de commission en faveur de Caumartin,
commis intendant de Flandres et d’Artois le 21
mars 1754, évoque l’ensemble des responsabilités
comptables de cet administrateur. Il fait voir que
dans les provinces frontières, l’inspection de
l’intendant « de justice, police et finances »
s’étendait aux affaires militaires : « Prendre soin et
connaissance de la levée et administrations de nos
deniers auxdits pays, vous faire représenter les
estats de la recette et de la dépense de nos deniers,
observer et faire observer exactement les
règlements et ordonnances sur le fait des finances,
tenir la main à ce qu’il ne se fasse aucune
contravention ny levée de deniers qu’en vertu de
nos lettres patentes..., informer soigneusement des
exactions, concussions, violations et malversations
qui pourraient être faites en nos finances, procéder
236
casuelles, une feuille de change et l’inventaire de fraudes* — « concussion, malversation, faux, vols
par jugement souverain en dernier ressort selon la
caisse. La Trésorerie générale de Savoie située à ou autres délits comparables au préjudice du public
rigueur de nos ordonnances contre ceux qui s’en
Chambéry produisait de même un état des recette et ou de personnes privées » — étaient commises, ils
trouveront coupables... voulons aussi et entendons
dépense chaque mois. Le tout, mensuels et états, informaient le Général des Finances afin d’en
que vous aiez l’intendance et la direction des
était visé par l’intendance générale avant d’être recevoir les ordres du monarque. Le contrôle était
payemens des deniers destinez tant pour la solde,
envoyé à Turin où les bureaux du Général des quotidien : les intendants veillaient à ce que les
entretènemens et subsistance de nos troupes
finances vérifiaient l’exactitude des comptes. Le percepteurs apportent les fonds aux trésoriers
françaises et étrangères estans ou qui seront cy
Général des finances Gregory s’adresse ainsi en provinciaux aux dates prévues ; ils inspectaient
après auxdits pays, que pour les fortifications et
1742 à l’intendant général de Savoie, G.M. chaque mois et chaque fois que nécessaire les
vivres, pour en conséquence ordonnés lesdits
Bonaud : «j’ay reçu les copies de mensuels de livres* des trésoriers provinciaux et leur caisse* ;
payements suivant nos estats, reglements et
Tarentaise qui contient les réparations des erreurs ils exigeaient d’eux qu’ils donnent leurs quittances*
ordonnances et empescher qu’il ne s’y commette
sur l’exaction de la taille de 1740 désignées dans le aux percepteurs sans minorer la recette en obligeant
des abus... voir une fois et assister les estats servant
mémoire que mon bureau vous avoit envoyé ». On ces derniers à faire viser les dites quittances dans
à la décharge des trésoriez généraux et trésoriezs de
déduit de là que la vérification des états se faisait à leurs bureaux, précaution qui vise à empêcher toute
l’extraordinaire des guerres et cavalerie légère,
l’échelle centrale, dans les bureaux du Général des omission* de recette. Le contrôle porte aussi sur les
leurs commis et autres comptables, munitionnaires
finances qui en faisaient le calcul*. Les instructions communes, avec des dispositions comparables à
et gardes magasins pour les dépenses et fournitures
étaient précises. Grégory écrit encore (1749) : «il celles prévues en France et en Espagne. Au moment
qu’ils auront faits en deniers, pain et fourrages,
sera bon de ne pas permettre que, tant à la trésorerie dde la réforme du cadastre notamment, l’intendant
faire représenter les estats que nous leur avons faits
générale qu’à celle de Morienne (sic), on porte dans général régla que les « exacteurs » (chargés de la
expediez, comme aussi par les commissaires et les
le mensuel des sommes qui ont été payées pour perception) des communes savoyardes sont tenus de
controlleurs ordinaires, les extraits de montre et
compte de la place ». Une relation en date de 1742 rendre leurs comptes entre le 1er et le 15 avril par
revues qui sont par eux faits ».
pour faire le récit de ce qui a été entrepris au devant l’assemblée (règlement du 8 janvier 1739).
L’intendant avait la tutelle sur les communautés (du
moins dans les pays d’élections) et à ce titre, obtint moment de l’invasion espagnole, mentionne que le
trésorier de la Maurienne a emballé, outre les En Espagne :
la vérification* de leurs comptes. Cette compétence
deniers de sa caisse, ces registres « et En Espagne, il existe depuis le milieu du XVIIe
s’établit par étapes: l’ordonnance d’octobre 1662
particulièrement son livre journalier de la recette et siècle des figures de commissaires chargés de
chargea dans un premier temps les commissaires de
dépense courante et le livre maître ». superviser le recouvrement des recettes royales
la vérification des dettes; un arrêt du 19 février
Les intendants procédaient à la seule reddition des ordinaires et des services dits des « millions » en
1665 en ordonna la liquidation. Ce dispositif fut
comptes des trésoriers. La correspondance du Castille. En butte à l’hostilité des oligarchies
complété par l’édit d’avril 1683 (portant règlement
Général des finances avec ces intendants d’une part, locales et du Conseil de Castille, ces
général des dettes des communautés), tandis que
comme celle des trésoriers entre eux, ne laisse administrateurs ne sont envoyés que dans quelques
l’édit de 1691 confia donc aux intendants la
aucun doute quant aux compétences des provinces et en sont retirés quand le rapport de
reddition* des comptes des villes et communautés.
commissaires :« J’apprendrai avec plaisir tout ce force devient trop défavorable au Conseil des
qui sera proposé concernant la reddition des Finances. Toutefois, à partir des années 1680,
En Savoie
comptes d’administration en Savoye pendant la l’administration des finances fait l’objet de
Institués par les lettres patentes du 12 mai 1696, les
dernière guerre. En attendant, je vous prie de réformes majeures : en deux temps, les districts
intendants (l’intendant général du duché et les cinq
m’instruire de ce que Mrs les intendans des fiscaux sont uniformisés, et depuis 1691 seules 84
intendants provinciaux de la Maurienne, de la
provinces ont déjà fait à ce même sujet et en quel caisses sont autorisées à faire les paiements
Tarentaise, du Chablais, du Genevois et de
état se trouvent leurs opérations à cet égard, avec ordonnés par le Conseil des Finances ; dans
Faucigny), étaient, comme en France, chargés de
les fonds qu’ils auront sans doute déjà liquidé, chacune des 22 provinces, des surintendants des
l’exécution des états et de la reddition des comptes
envers ceux qui ont eu des maniemens de recettes rentes royales se chargent de négocier les contrats
des comptables locaux. Cependant, la structure
soit en argent soit en nature ». de recouvrement des recettes royales et des
financière générale n’était pas exactement la
La réforme de l’administration des finances « millions » et exercent leur juridiction sur cette
même : à Turin, le ministre des finances, c'est-à-
entreprise par Victor-Amédée après la Guerre de perception ; enfin, le Conseil des Finances nomme
dire le « Général des finances » institué en 1687,
Succession d’Espagne — regroupement des en 1691 des contrôleurs des comptes (contadores)
dirigeait la politique financière du royaume de
différents départements des finances, révision de la qui remplacent ceux qui se trouvaient dans les
Piémont-Sardaigne. Il correspondait avec
carte des intendances (1717, 1723), réorganisation chefs-lieux de provinces — ils sont en principe
l’intendant général de Savoie, qui lui-même
de la Chambre des comptes (1720) — avait moins dépendants des notables locaux. Si pour ce
s’adressait aux intendants provinciaux. Chaque
confirmer les intendants dans ce rôle, les associant qui concerne le recouvrement des impôts, la
année, le Général des finances formait l’état des
étroitement à la Trésorerie Générale, regroupée multiplicité des contrats de ferme* ou
dépenses à la charge de la Savoie, tiré du « bilan
alors en une seule caisse. Les Constitutions de 1717 d’abonnement reste la règle, la mise en place des
général de l’année courante » dressé à Turin. Le
relatives au Général des Finances, les instructions surintendants des rentes royales et des nouveaux
ministre des finances priait l’intendant général d’en
de la Chambre des comptes (1720) et les contrôleurs vise à renforcer le contrôle de l’argent
assurer l’exécution « tems par tems ». Les trésoriers
Constitutions Royales de 1723 prévoyaient ainsi du roi une fois qu’il est rentré dans les caisses des
du duché (trésoriers provinciaux et trésorier
que les intendants obligent les comptables à rendre chefs-lieux de districts. Les précurseurs des
général) tenaient un journal* au moins depuis 1717
leurs comptes et à payer leurs reliquats*. De ce intendants en Espagne sont donc avant tout institués
et transmettaient chaque mois aux intendants dont
point de vue, l’apurement des reliquats était une des pour mieux maîtriser la dépense et les agents du roi.
ils dépendaient le mensuel* des paiements faits
péoccupations de Turin dont les bureaux voulaient Les historiens des finances espagnoles se sont
pendant le mois sur les recettes de la taille, un état
éviter le report dans le bilan prévisionnel pour interrogés sur une éventuelle filiation entre ces
des recettes et dépenses qui comprenait, outre les
l’année suivante s’ils s’avéraient inexigibles. Si des surintendants des rentes et les intendants de justice,
comptes de taille, ceux des domaines et parties
237
police et finance français. La plupart s’accordent
pour dire que les mesures de 1691 répondent à des
nécessités techniques internes et s’inscrivent dans la
continuité des dispositions prises depuis le règne de
Philippe IV. Certains vont jusqu’à affirmer que la
création des intendants français aurait été inspirée
par les pratiques espagnoles. De fait, il ne semble
pas que les acteurs du XVIIe siècle aient raisonné
dans les termes nationalistes construits deux siècles
plus tard et il est probable que dans le domaine des
finances comme ailleurs, les influences se sont
croisées. Pour ce qui est des intendants, Juan
Francisco Sanchez Belén a montré qu’au début des
années 1680, l’ambassadeur espagnol auprès de
Louis XIV observe d’un œil attentif la pratique
française et fait circuler un texte invitant à s’en
inspirer. Exprime-t-il le sentiment des promoteurs
de la réforme de 1691 ? Si tel est le cas, il convient
de remarquer cette dernière constitue une
adaptation de ce qui se pratique en France — on ne
retient que la finance — et que cette éventuelle
inspiration n’est pas déterminante pour les acteurs :
au cours de la décennie suivante, ni les défenseurs
des surintendants des rentes royales ni leurs
adversaires n’évoquent de modèle français.
Quoique conflictuelles, les nouveautés de 1691 sont
appelées à durer, moyennant concessions aux
groupes de pouvoirs locaux : les fonctions de
surintendants des rentes sont confiées aux
corrégidors dans les capitales de provinces, une
partie au moins des offices de contrôleurs des
comptes de la surintendance sont vénaux et ces
contrôleurs cohabitent et collaborent avec les autres
contrôleurs des diverses recettes fiscales en place. Il
reste que les premiers rendent compte au Conseil
des Finances et que les seconds appliquent les
instructions édictées en 1691. Lorsqu’au début de
son règne Philippe V prie Jean Orry* d’examiner
l’état de ses finances, le financier français n’a qu’à
reprendre sur les comptes-rendus des contrôleurs
provinciaux pour évaluer les recettes tirées des
recettes royales et des « millions » et la dette.
La création d’intendants au début du XVIIIe siècle
sera présentée comme une rupture avec ces
arrangements. La réforme n’est ni linéaire ni
progressive, mais les objectifs se répètent d’une
tentative à l’autre. Il s’agit avant tout pour le roi de
disposer localement d’agents soumis à son contrôle
direct, ou à celui de son ou de ses ministres créés au
fil de la guerre : le Secrétaire d’Etat et des
Dépêches chargé de la Guerre (1703), le Secrétaire
d’Etat et des Dépêches chargé de la Guerre et des
Finances (1705), les différents Secrétaires chargés
de la Guerre, des Finances, de la Marine, de la
Grâce et de la Justice, à partir de 1714. Ces agents
doivent donc être moins liés aux oligarchies locales
que ne le sont les corrégidors-surintendants. Ils
doivent aussi échapper à la tutelle des Conseils sis à
Madrid, qui se mêlaient jusque-là de finances
(notamment ceux de Castille, des Finances, de la
238
Guerre). Les Conseils sont en effet accusés
d’usuiper les fonctions royales, en décidant dans la
pratique de nombreuses dépenses, et de contribuer
au manque de visibilité sur les recettes disponibles
et l’usage qui en est fait, puisque les centres de
décision et les caisses demeurent multiples. Un
contrôle accru de la dépense par un roi qui, comme
son aïeul Louis XIV, « agit en maître » et
« gouverne par lui-même », reste donc le premier
motif de la création d’intendants. C’est pourquoi
cette création n’est pas isolée mais va de pair avec
une concentration des caisses et avec la
modification des pratiques de contrôle comptable.
Rien de systématique au début. A partir de 1705-
1706, des hommes de confiance du tout nouveau
Secrétaire d’Etat et des Dépêches chargé de la
Guerre et des Finances, José Grimaldo, ou de Jean
Orry, à qui Philippe V a confié (sans titre) la
politique financière, exercent ainsi les fonctions
d’intendants d’armée, parfois épaulés par des
commissaires des guerres pour les revues, et en
relation étroite avec le nouveau Trésorier général
des dépenses de Guerre institué en 1703 et ses
commis. Ils sont à Saragosse, à Cadix, en
Estrémadure. S’ils ne portent pas toujours le titre
d’intendant et ne sont pas créés dans chaque année,
l’idée que l’on pourrait généraliser cette figure est
bien présente : les « Ordonnances royales pour la
forme des revues que les commissaires des guerres
doivent faire passer aux troupes (...), ainsi que pour
ce qui doit être observé par les Trésoriers et les
munitionnaires du pain et du fourrage » du 28
juillet 1705 évoquent des « intendants ou
ordonnateurs ». Fronts de guerre, les territoires
reconquis de la Couronne d’Aragon, le royaume de
Valence et celui d’Aragon, voient apparaître ces
figures nouvelles. Ainsi, un surintendant des rentes
royales comparable à ceux de Castille est envoyé à
Valence dès 1707, mais se voit bientôt marginalisé
par un intendant d’année (1711) qui exerce un
contrôle croissant sur le recouvrement des recettes.
Il faut sans doute attribuer la généralisation des
intendants et leur institution dans les provinces
intérieures à la volonté de mieux maîtriser le
recouvrement de la fiscalité extraordinaire créée
pendant la guerre et son transfert vers les années.
Le comte de Bergeyck, à qui le roi a confié ses
finances, défend le projet dès l’automne 1711, face
à l’hostilité, dit-il, du gouverneur du Conseil des
Finances et de la plupart des Conseillers. Son
premier objectif est d’assurer le paiement ponctuel
des troupes. C’est sans doute pourquoi les
premières instructions rédigées pour les
« surintendants » ne concernent que les finances des
troupes, la suite devant venir, dit le texte, que plus
tard. Outre la fiscalité de guerre, ils se voient
confier la fiscalité ordinaire, se substituant ainsi aux
surintendants des rentes, qui ne manqueront pas de
protester. Une fois de plus, ils ne sont pas seuls, le
contrôle des mouvements de fonds passant par leur
association avec un trésorier et un contrôleur (dit
« comptable » en espagnol, contador). Ainsi,
d’après ses instructions, le «surintendant (...) se
fait aider d’un trésorier, d’un comptable et de
subdélégués chargés de le représenter en dehors des
capitales de province. Il choisit personnellement ses
adjoints. Il jouit dans son domaine d’une
indépendance totale et relève directement du roi »,
commente Jean-Pierre Dedieu. Mais Bergeyck
souhaite aussi que les troupes passent leurs
quartiers d’hiver dans les provinces. Il compte donc
sur les nouveaux agents pour maintenir l’ordre en
veillant à ce que les logements chez l’habitant se
passent au mieux. Leurs compétences sont donc
plus étendues que celles des surintendants des
rentes royales, et si les textes espagnols emploient
le tenue de « superintendentes », le Flamand, pour
sa part, dit vouloir établir « des intendants dans
toute la Castille sur le pied qu’ils ont en France » et
leur confier « la justice, police, finance et des
troupes en chaque département ». La réforme est
ambitieuse, concernant tant la Castille que les
territoires de la Couronne d’Aragon revenus sous la
domination de Philippe V. En dehors du cas
d’intendants de la Couronne d’Aragon, la mise en
application de cette réforme entre 1711 et 1715 n’a
guère suscité de monographies qui nous
permettraient de mieux comprendre comment les
nouveaux intendants parviennent — ou pas — à
modifier en leur faveur les équilibres locaux et en
quoi les pratiques de contrôle administratif et la
circulation de l’information sont modifiées. Cela
dit, il semble qu’ils se trouvent en butte à l’hostilité
des corrégidors anciennement surintendants des
rentes royales et que leurs attributions soient
rognées au fil des mois. Les surintendants des
provinces chargés de troupes, en revanche,
continuent de travailler normalement, et Philippe V
trouvera en eux des hommes expérimentés quand il
généralisera l’intendance en 1718.
De retour aux affaires en 1713, Orry s’efforce de
relancer la réforme en remettant sur pied le
Trésorier général des dépenses de la Guerre (juin
1713) et en élaborant des instructions pour les
«surintendants de provinces» (18 mars 1714).
Celles-ci explicitent les relations que les intendants
devront entretenir avec les trésoriers « de district ou
de la guerre, selon ce qui vous paraîtra le plus
honorable », placés sous la tutelle du Trésorier
général des dépenses de la Guerre (le comte de
Moriana), et les commissaires des guerres sur les
revues desquels on préparera le détail des
paiements. Elles donnent aussi des éclaircissements
sur les relations des intendants avec la haute
administration : ils doivent des comptes au ministre
de la Guerre pour les troupes et l’année, au tout
nouveau Surintendant Général des Finances pour
les finances, et au Conseil de Castille pour la police
et la justice, une façon, peut-être, de concilier le
gouvernement des Conseils et la voie exécutive des
ministres. L’envoi des instructions concernant la
police, les finances et la justice est une fois de plus
différé. L’expulsion d’Orry et de sa protectrice, la
Princesse des Ursins, suite à l’arrivée de la nouvelle
reine Elisabeth Farnèse, met fin à l’expérience au
printemps 1715. Seuls subsistent les intendants des
provinces chargés de troupes (en Aragon, en
Catalogne, à Valence, en Galice, en Estrémadure,
en Andalousie, et à Salamanque pour la Castille et
les frontières du Portugal). Le Trésorier de la
Guerre est invité à supprimer les trésoriers qu’il
avait placés ailleurs.
Il est tentant de croire que c’est l’expérience de
nouvelles formes d’administration des dépenses de
la guerre, sur les fronts de la frontière portugaise et
de la Couronne d’Aragon, qui a servi de canevas à
la création de ceux que l’on appelle pour la
première fois les « intendentes » en juillet 1718. On
sait que, si Philippe V donne des gages de bonne
volonté aux Conseils en 1715, après avoir expulsé
les Français de sa cour, il n’est pas disposé à
renoncer à l’essentiel : l’existence de nouveaux
ministères, jugés plus propres que les Conseils à
faire exécuter ses décisions, et sur le terrain,
d’acteurs militaires et civils chargés de les relayer.
De fait, nombre des collaborateurs espagnols
d’Orry ou de Bergeyck sont restés en place, dans
des ministères clefs, comme celui de la Guerre,
dans la Trésorerie de la Guerre ou les intendances
d’années. On ne connaît guère, pour l’instant, les
avant-projets qui permettraient de savoir à qui
attribuer la genèse des textes de juillet 1718, de
connaître leurs raisons et leurs éventuels modèles
en dehors de l’Espagne. Toutefois, la réfonne est
minutieusement préparée, puisqu’en mars 1718, les
tout nouveaux contrôleur et trésorier nommés aux
Canaries se voient intimer l’ordre d’attendre les
instructions qui seront bientôt élaborées pour
intendants, contrôleurs et trésoriers. L’initiative
paraît venue d’hommes associés aux réformes
adoptées pendant la guerre. Des commentateurs
attribuent en 1720 la rédaction des instructions des
intendants à José Patino, qui a exercé des fonctions
d’intendant en 1706 et en a eu le titre à partir de
1711, dans des provinces clefs (Estrémadure,
Catalogne). Le Secrétaire d’Etat chargé de la
Guerre, Miguel Fernandez Durân, formé dans les
bureaux du Trésorier de la Guerre et du Secrétaire
de la Guerre et des Finances, surveille
attentivement le déroulement de la réfonne. Enfin,
Nicolas Ginés Gômez de Hinojosa, qui a succédé à
Moriana comme Trésorier général de la Guerre, est
un des bénéficiaires immédiats de la réforme,
puisqu’il se voit confier la nouvelle Trésorerie
générale. Ayant été tour à tour trésorier de province
sous les ordres de Moriana et intendant, il connaît
bien les rouages du financement de la guerre. On
peut le croire associé à la rédaction des instructions
aux payeurs et contrôleurs provinciaux.
239
 Le projet est décrit dans un ensemble cohérent
d’instructions, publiées le 3 juillet 1718. Elles
s’adressent à trois groupes d’acteurs appelés à
travailler ensemble à partir de leur prise de
fonctions le 1er septembre : les comptables (le
Trésorier général et les payeurs de provinces et
d’années), les contrôleurs (« contadores de
provincias y (...) contadores de ejército ») et les
intendants (appelés « intendentes »), chargés de la
justice, des finances, de la police et des troupes de
leur ressort. Les textes sont cette fois complets,
décrivant longuement les attributions des intendants
en matière de justice et de police, et pas seulement
de finances et de troupes. L’objectif semble bien
d’étendre aux finances ordinaires ce qui a
fonctionné pour les dépenses de la guerre : ainsi, la
Trésorerie générale des dépenses de Guerre
(Tesorerîa Mayor de Guerra) devient Trésorerie
générale (Tesorerîa General), absorbant la plupart
des caisses de recettes ordinaires et, à Madrid,
l’ancienne Trésorerie générale fondée au XVIe
siècle. L’on conserve ici le schéma d’une trésorerie
qui constitue un seul compte, les recettes des
payeurs de provinces devant être inscrites à la
charge du Trésorier général, et leurs dépenses à sa
décharge.
Ce sont les relations entre les ordonnateurs* (les
différents ministres habilités à donner des ordres
aux intendants et les intendants), les comptables (le
Trésorier et les payeurs) et les contrôleurs (des
Contrôleurs des Valeurs —recettes— et de la
Distribution, à Madrid, et les contrôleurs locaux)
qui structurent le système. Les dépenses du payeur
sont faites sous l’œil du contrôleur de province ou
d’année, qui prépare les ordres de paiement sur
ordre de l’intendant, vise toute quittance ou reçu
émis par le payeur, tient un journal de ses recettes et
dépenses et lui en demande régulièrement relation.
Enfin, l’intendant a une compétence que n’avaient
pas ses prédécesseurs : il est en effet chargé de faire
émettre des assignations sur ordre des différents
ministres dont il dépend (Guerre, Marine,
Finances). L’examen des comptes du Trésorier
général confirme que dans les provinces où
séjournent des troupes, l’essentiel des dépenses se
fait par ce biais. Or, si tous les ordres de paiement
que donne l’intendant doivent être justifiés par les
règlements ou les ordres particuliers des ministres,
il va de soi qu’il gagne ici en autonomie, puisque la
vérification se fait a posteriori. Par ailleurs, il
contribue largement à la mise en œuvre du contrôle
comptable. Ses instructions accordent ainsi une
large place à la description des acquits réclamés aux
payeurs, de la procédure à employer lors des revues
de troupes et aux contraintes imposées aux
munitionnaires, l’intendant devant faire en sorte
que les règles soient respectées. Pour la perception
des impôts, il exigera que receveurs et fermiers
remplissent leurs obligations. Signe de la solidarité
entre les acteurs locaux, le coffre à trois clefs* du
240
payeur ne peut être ouvert que s’ils sont tous
présents. Signe de la solidarité entre les acteurs
locaux, le coffre à trois clefs* du payeur ne peut
être ouvert que s’ils sont tous présents. Les
commentaires de l’époque, hostiles ou favorables à
la réforme, s’accordent pour signaler leur
interdépendance, ce trio formant un petit
« tribunal » que les « praticiens » (prâcticos) jugent
efficace dans sa mission de contrôle comptable.
Ainsi, l’intendant est un des rouages d’une nouvelle
forme de contrôle comptable, et il ne saurait être
compris en dehors de ses relations avec le payeur et
le contrôleur. Cette équipe est conçue pour
renforcer l’autorité du roi face à des sujets
puissants : des défenseurs de la réforme soulignent
ainsi que les intendants ont plus d’autorité que les
corrégidors sur les officiers d’armée et sur les
seigneurs. Aussi, des équilibres de pouvoir sont-ils
bousculés. On sait d’avance que tous les
propriétaires d’offices de contrôleurs des différentes
recettes se sentiront lésés et, en effet, les plaintes
affluent sur le bureau de Femândez Durân. De la
même façon, d’aucuns demandent innocemment si
l’on peut maintenir les trésoriers des districts (les
arqueros) là où sont créés des payeurs. On craint
aussi de se heurter à la résistance des corrégidors,
d’où le choix, au moment de nommer les
intendants, de les faire aussi corrégidors dans les
villes où ils siégeront. Malgré cette précaution,
plusieurs incidents opposent les intendants à des
corrégidors ou à des juges de première instance,
chacun prétendant que l’autre usurpe sa juridiction.
Mais ce sont aussi les capacités financières
nouvelles des intendants qui choquent : le ministre
des Finances se plaint en 1720 de les voir émettre
des assignations.
Au cours de l’année 1720, c’est un feu nourri de
critiques des intendants réformes de 1718 en
général et des intendants en particulier qui est
adressé au roi, la Chambre et le Conseil de Castille
semblant s’être concertées pour relayer les plaintes
venues des autorités locales. Malgré l’avis
favorable au maintien des intendants émis par la
junte réunie par le roi, des concessions sont faites.
Nous n’avons probablement pas encore toutes les
pièces en main pour comprendre les raisons que se
donne alors Philippe V pour céder du terrain, bien
que l’épisode ait intéressé plusieurs historiens. Mais
on remarquera que comme en 1715, l’essentiel est
préservé, à savoir les nouvelles institutions
destinées à contrôler les dépenses de guerre. En
effet, le 1er janvier 1721, la Trésorerie générale
reprend sa forme antérieure à 1718, celle d’une
Trésorerie générale des dépenses de la Guerre, dont
les relais locaux sont des trésoriers et non des
payeurs — on peut donc leur demander de rendre
des comptes. Elle subira au fil des années suivantes
des aménagements visant à la soumettre plus
étroitement au contrôle du roi et d’un seul ministre,
celui des finances, et à réduire l’autonomie
qu’étaient parvenus à se ménager les trésoriers
locaux, le projet demeurant celui d’une
administration exécutive. Quant aux intendants,
ceux des provinces chargés de troupes sont
préservés. En revanche, les intendants de provinces
sans troupes voient leurs attributions réduites : en
mars 1721, tout en conservant leur titre d’intendant
et leur traitement, ils sont réduits à des fonctions de
corrégidors et de surintendants des rentes royales ;
en juillet 1724, ceux qui sont restés en place
retrouvent un traitement et un titre de simple
corrégidor et surintendant. Les travaux de
prosopographie menés au cours des deux dernières
décennies ont montré que, ce faisant, Philippe V et
ses ministres veillent à assurer aux intendants
déchus des places honorables dans leur
administration. Ce nouveau personnel, caractérisé
par une moindre dépendance à l’égard de la
noblesse locale et par une formation technique
souvent plus poussée (dans les bureaux de finances
ou dans les années) est encore actif en 1749 au
moment de la mise en place définitive des
intendants.
L’initiative du rétablissement des intendants de
provinces à cette date revient au marquis
d’Ensenada, qui a su concentrer sur sa tête les
ministères stratégiques. Le préambule de la loi qui
rétablit les intendants l’annonce sans ambages : il
s’agit de mettre fin aux abus de pouvoir et autres
manipulations des potentats locaux (los poderosos)
en remettant en vigueur les ordonnances de juillet
1718. D’après Jean-Pierre Dedieu, c’est le travail en
profondeur mené depuis le début du siècle pour
modifier l’organisation interne de l’administration,
en développant la voie exécutive et en renforçant
les liens de fidélité entre ses membres et entre eux,
le monarque et ses principaux ministres, qui donne
à Ferdinand VI les moyens d’imposer aux pouvoirs
locaux ce à quoi Philippe V a dû renoncer. La
mesure n’est pas isolée. Elle va de pair avec la mise
en place d’un « cadastre » permettant de définir
l’assiette d’une contribution unique pesant sur les
revenus et les patrimoines, destinée à remplacer les
recettes ordinaires existantes car jugée plus
équitable et moins coûteuse dans son recouvrement.
Cette coïncidence ne doit rien au hasard. Si les
intendants sont de police, de justice et de finances,
c’est bien leur rôle financier qui demeure le plus
important aux yeux d’Ensenada et de ses
successeurs. C’est pourquoi les intendants de
province sont choisis par la voie réservée du
ministère des finances (le Conseil de Castille
entérine en leur délivrant a posteriori un titre de
corrégidor), tandis que les noms de ceux d’armée et
de province sont accordés entre les deux
départements de la Guerre et des Finances.
Confirmation de cette priorité, lorsqu’en 1766, sous
la pression du Conseil de Castille, le roi divise les
compétences des intendants de provinces en deux
pour restituer un espace de pouvoir aux corrégidors,
il donne à ces derniers la police et la justice,
conservant les finances aux intendants. Malgré les
tensions constantes, jusqu’à la guerre
d’indépendance, avec les tribunaux traditionnels,
les intendants sont parvenus à s’imposer
durablement. Didier Ozanam et Fabrice Abbad ont
montré qu’ils occupent une place de choix dans
l’administration, dont un des signes est leur salaire
élevé. Souvent d’âge mûr à leur entrée en fonctions,
ce sont des hommes expérimentés, formés dans les
bureaux de finances ou comme commissaires dans
les années — cela dit, leur âge moyen baisse à la
toute fin du siècle, ce que les deux historiens
mettent en rapport avec la perte de prestige de
l’intendance. Bon an, mal an, ils semblent avoir
rempli les missions qui leur étaient imparties. Le
cadastre est mis au point : certes, les lacunes et les
disparités sont nombreuses, l’occultation
d’infonnation est largement répandue et l’on ne
parvient jamais à lever la contribution unique, mais
ce cadastre reste une référence pour les historiens.
Les intendants contribuent aussi au renforcement du
contrôle royal sur les recettes des villes, à partir des
années 1760. Reste à savoir comment les intendants
parviennent à établir avec leurs interlocuteurs
locaux des relations qui leur permettent de remplir
leurs missions. Les monographies consacrées à des
intendances ou des intendants particuliers, qui
pourraient nous éclairer sur la question, sont peu
nombreuses. L’intendance de Valence fait toutefois
exception. Les travaux qui lui ont été consacrés
invitent à mettre en lumière, plus que l’expertise
technique des intendants et de leurs collaborateurs
ou leur détermination à imposer unilatéralement des
décisions venues du pouvoir central, leurs talents de
négociateurs et l’habileté avec laquelle ils jouent
des équilibres locaux. Ainsi, la récupération de
parts du patrimoine royal n’est possible que parce
que l’intendant s’appuie sur les villages ou les
collectifs de paysans contre les seigneurs laïcs ou
ecclésiastiques. L’insertion dans le tissu local
pourrait être perçue comme un facteur de
compromissions et d’oubli, de la part de
l’intendant, de sa mission première. Or lorsque le
marquis d’Avilés, intendant depuis 1762, est accusé
de multiples fraudes — il a notamment reçu des
cadeaux des fermiers, entrepreneurs et fournisseurs
de la ville —, le procureur du Conseil des Finances
indique que la pratique est largement répandue, et
que s’il faut reprocher quelque chose à l’intéressé,
c’est plutôt son manque de civilité à l’égard des
autorités. C’est d’un bon négociateur que
l’administration royale a besoin. A.D. et M.-L. L.
Sources : SHD, Ya 32e (lettres de commission de
Caumartin, 21 mars 1754). A.D. Savoie, C 264,
lettre du général des finances, de Gregory, à
l’intendant général de Savoie, 22 avril 1750 ; C
278, lettre du général des finances, A.-F. Botton de
Castellamont, à l’intendant général de Savoie,
241
 Vacha, 5 avril 1777; C 365, f° 129, « Relation de ce
qui s’est passé dez la fin du mois d’aout 1742 que
l’Année espagnole de Don Philippe est entrée en
Savoie ». « Regio Editto di riorganizzazione délia
Caméra de Conti, delle sue attribuzioni ed
incumbenze, di quelle degli’Intendenti, e del modo
di procedere avanti di essa », 7 janvier 1720, dans
Duboin (1726), t. III, liv. III, tit. IV et
« Disposizioni delle REgie Costituzioni, lib. II, tit.
IV, cap. VIII. Titolo IV. Del Magistrato délia
Caméra. Capo VIII. Degl’ïntendenti delle
Provincie, e délia loro autorità ed incumbenza »,
20/02/1723, dans Duboin (1726), t. III, lib. III, tit.
XIX. Garzôn Pareja M. (1981), appendice p. 489-
493. Portugués J.A. (1764), t. X, p. 232-303 et 327-
341. Lettres du comte de Bergeyck à Philippe V,
AHN, Estado, leg. 2819. Instructions des
«surintendants de provinces», 18/03/1714, AHN,
Consejos, livre 1475, fol. 355-366. Instructions aux
intendants, trésorier, payeurs, comptables des
provinces et des années, 3/07/1718, AHN, Fondos
contemporâneos, Colecciôn General de Ôrdenes de
Rentas, lib. 8011, n° 351. Ordenanzci e instruction
de intendentes de provincia y ejércitos de 13 de
octubre de 1749.Novîsima Recopilaciôn, Livre
VIII, titre XI, loi 24 : Instrucciôn que deben
observar los intendentes corregidores para el
cumplimiento de las obligaciones de su oficio. 13
octobre 1749. Loi 26 : Separaciôn de los
corregimientos e intendencias, para que no se
embarace ni confunda la administraciôn de justicia.
6 octobre 1766.
Bibliographie : Abbad F. et Ozanam D., Les
intendants espagnols du XVIIIe siècle, Madrid,
Casa de Velâzquez, 1992. Capra C. (1996). Castro
C. de (2004). Costamagna H. (1985). Bonney R.
(1978). Dedieu J.P. et Ruiz Rodriguez J.I. (1994).
Donézar Diez de Ulzurrun J.M. (1999). Dubet A.
(2008 et 2009). Ibânez Molina M., « Notas sobre la
introducciôn de los intendentes en Espana »,
Anuario de Historia Contemporânea, n° 9, 1982, p.
5-27. Glineur C. (2005). Karnen H. (1964), p. 368-
395. Münoz Rodriguez J. (2004). Ozanam D., « La
restauration de l’État espagnol au début du règne de
Philippe V (1700-1724) : le problème des
hommes» dans Philippe V d’Espagne et l’Art de
son temps. Paris, Musées de Pile de France, 1995,
vol. 2, p. 79-89. Sanchez Belén J.A., La polltica
fiscal en Castilla durante el reinado de Carlos II,
Madrid, Siglo XXI, 1996.
Interpellation
Pour présenter son compte devant la Chambre des
comptes, un comptable doit avoir été préalablement
cité ou interpellé par une lettre de la chambre. Au
sein de l’Echiquier* par exemple, le King's
Remembrancer était l’officier spécialement chargé
d’appeler les comptables à y présenter leurs
comptes. A cet effet, il tenait registre des titres
ayant établi les comptables dans leurs fonctions.
242
Les officiers des Chambres des comptes faisaient
ensuite assurer par serment* du comptable la
fidélité du compte et procédaient à sa vérification*.
Cette « loi des interpellations » était indispensable
«partout où l’usage des journaux n’était pas
introduite », jugea le prince Georges-Adam de
Starhemberg dans un mémoire de 1781. En effet, en
l’absence de journaux, les auditeurs et maîtres
procédaient à la vérification des comptes formés
« après coup » par les comptables, à la fin de leur
gestion. Sans la précaution de l’interpellation, les
magistrats auraient été surchargés à la fin de
l’année par la vérification de tous les comptes en
même temps. M.-L. L.
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 185, f° 199.
Irson, Claude
Si l’œuvre a commencé d’intéresser des spécialistes
de disciplines variées — la linguistique, l’histoire
du travail intellectuel, celle des savoirs marchands
et de la comptabilité — on connaît peu de choses
sur le personnage et sur sa vie. Barbier et, à sa suite,
divers bibliographes et biographes l’avaient donné
natif de Bourgogne, tandis que selon Melleville,
Irson serait, à l’instar de Condorcet, né à Ribemont
dans l’Aisne. Cette indication est sans doute la
bonne car dans son contrat de mariage, daté du 25
septembre 1653, il est présenté comme fils de Jean
Irson, marchand bourgeois de la ville de Ribemont
et de son épouse, Barbe Gosset, et il est fait
mention d’une maison qu’il y possède. Ribemont
est par ailleurs l’un des rares toponymes dont il
donne F étymologie dans sa Nouvelle méthode pour
apprendre facilement les principes et la pureté de
la langue françoise, édition de 1662.
Ce premier ouvrage, Nouvelle méthode pour
apprendre facilement les principes et la pureté de
la langue françoise, publié en 1656 à Paris, permet
de savoir qu’il enseigne alors à l’école de la Charité
de la paroisse St-Leu - St-Gilles, école fondée par
l’avocat Guillaume Santeul, témoin au mariage
d’Irson et dédicataire de l’ouvrage. En 1667, un
autre de ses ouvrages, la Méthode abrégée et
familière pour apprendre en peu de temps à bien
lire, à prononcer agréablement, et à écrire
correctement en François est dédié à « M. le
Chantre de l'Église de Paris », lequel avait sous son
autorité les petites écoles de Paris. Il est donc
vraisemblable qu’Irson enseignait alors dans l’un de
ces établissements d’enseignement élémentaire.
Enfin en 1674, son Arithmétique universelle
démontrée, dédiée cette fois-ci au marchand italien
François Bellinzani, proche collaborateur de
Colbert, nous apprend qu’il est alors devenu « seul
juré teneur de livres, estably par lettres patentes de
sa Majesté pour l'ordre et l'examen, la vérification
et liquidation de toutes sortes de comptes ». Il
demeure alors au cloître Saint-Jacques de l’Hôpital,
dans la rue Saint-Denis, où l’on sait, par divers
factums publiés à l’occasion de différends qui
l’opposèrent à Barrême*, qu’il enseignait désonnais
pour son propre compte, ce qui est encore le cas
lorsqu’il publie en 1695 Y Abrégé de l'arithmétique
pratique et raisonnée.
Les premiers écrits d’Irson n’ont été étudiés
qu’assez récemment. Les travaux de Delesalle et
Mazière font découvrir un grammairien engagé aux
côtés des jansénistes. La deuxième version de sa
Méthode contient des notions parallèles à celles de
Port-Royal et la préface reprend même mot pour
mot une phrase de la Grammaire générale et
raisonnée de Port-Royal. On retiendra notamment
que « l’œuvre d’Irson prend place dans un temps
fort de discussion sur la préparation d’un
Dictionnaire de l’Académie», à un moment où la
langue française est en cours de stabilisation et
s’achemine vers son autonomisation à l’égard du
latin. Pour ces auteurs, l’ouvrage d’Irson constitue
un « maillon méconnu dans le processus d’analyse
qui relie les travaux de Port-Royal à l’élaboration
du Dictionnaire de l’Académie, dans la mesure où
tenant à la fois de la grammaire et du dictionnaire, il
donne au lexique une place qui ne lui est pas
habituellement reconnue. »
Cependant, ainsi que le constate Dubard, Irson
quitte bientôt la théorie de la grammaire pour aller
vers un enseignement plus technique, orienté vers le
commerce : « La Méthode abrégée de 1667 contient
ainsi un recueil de modèles de lettres de change, de
reconnaissance de dettes, de commande ou d’envoi
de marchandises, sans rapport donc avec Part
épistolaire proposé en 1662, constitué de règles
pour écrire des lettres galantes, sérieuses ou
savantes. » Sept ans plus tard, en 1674, il publie en
effet son Arithmétique, déjà évoquée ; viendront
ensuite le traité de tenue des livres de compte, en
1678, puis celui des changes étrangers en 1687. Ces
divers ouvrages seront réédités à plusieurs reprises.
La Méthode pour bien dresser toutes sortes de
comptes à parties doubles, par débit et crédit, et
par recette, dépense et reprise fut publiée en 1678,
puis rééditée en 1682 et 1687. Répondant à une
demande de Colbert, l’ouvrage lui est évidemment
dédié. Selon les termes du privilège d'impression du
3 mars 1678, l’objectif était de fournir «une
méthode générale qui pust servir de formule aux
gardes des corps des marchands, aux négocians, aux
aspirans, et à tous autres pour l'exécution de nostre
édit», c’est-à dire de l’Ordonnance du commerce
de 1673. L'ouvrage fut ensuite examiné, sur ordre
de Colbert, par quelques membres influents de son
entourage, dont Bellinzani, déjà cité, Lalive,
Pocquelin et P. Pocquelin. Leur approbation,
ajoutée à celles de trois avocats au Parlement,
conférait une autorité particulière au travail d’Irson,
d’autant que Bellinzani et Robert Pocquelin avaient
participé à la commission chargée de l’élaboration
de Y Ordonnance. Elle témoigne aussi des relations
qu’Irson a su tisser avec les milieux proches du
pouvoir, qu’il s’agisse de ceux du négoce — les
frères Pocquelin — ou de ceux de la finance —
Bellinzani et Lalive. Il était certes lui-même issu
des milieux marchands mais on ignore quelle place
y tenait son père. On notera de même, là encore
sans être en mesure d’en apprécier l’exacte
importance, que son épouse avait quelques liens
avec la finance puisqu’elle avait pour témoin de
mariage Louis Pasquier, contrôleur général au
grenier à sel de Paris.
Claude Irson se trouve être le premier auteur d’un
ouvrage de ce type, à effectuer un tour d’horizon
assez large de ceux qui l'ont précédé. Il commence
par évoquer un certain nombre de jurisconsultes,
qui ont abordé la question du caractère probatoire
des livres de comptes et des règles de formes qu’ils
doivent suivre à cet effet, puis divers auteurs de
traités de tenue des livres. Citer ses prédécesseurs et
inspirateurs est l'indice d’une attitude nouvelle, qui
témoigne d’une insertion consciente dans un
processus plus large de production et de diffusion
de connaissances, mais qui n’est guère surprenante
au regard du parcours intellectuel d’Irson. Pour
autant, si cette pratique est l'un des éléments
constitutifs d'une démarche de caractère
scientifique, s'entourer de références prestigieuses
est aussi une façon efficace de donner du poids à
son discours.
Irson considère que toutes les manières de tenir les
livres se réduisent à trois : par recette, dépense et
reprise*, en débit et crédit — ce que d'autres
désignent par l'expression partie simple* — et par
parties doubles*. Persuadé de la supériorité
technique de la dernière, après l’avoir présentée de
manière détaillée, dans le cadre d’une activité
marchande, il propose un modèle de journal et de
grand livre en partie double pour la gestion d’un
grenier à sel et l'accompagne du projet d'un compte
à rendre à la manière des financiers, à partir des
enregistrements ainsi pratiqués. Le modèle de
journal est à la fin du premier volume, qui contient
également le journal* de l’exemple marchand,
tandis que le grand livre* correspondant est à la fin
du second volume, après le grand livre marchand.
L’exemple est précédé d’un avertissement : « Bien
que les différentes intrigues couchées dans mon
précédent journal, deussent suffire pour faire de soy
mesme des applications des comptes à parties
doubles sur toutes sortes de sujet, j’ay bien voulu
donner une idée d’une recette et d’une dépense faite
par un commis préposé par des intéressez aux
fermes du Roy. J’aurois estendu ce formule sur les
principales affaires qui regardent les finances,
comme sur l’extraordinaire des guerres, sur les
fermes unies, sur les aydes, sur les domaines, etc.
par des différentes applications accommodées à
chaque sujet particulier, mais pour éviter une
prolixité ennuyeuse, j’en ay différé l’impression
pour un autre temps. Cependant, je ne dénieray pas
à ceux qui me feront l’honneur de consulter sur
243
 l’ordre qu’on peut y garder, toutes les
connoissances qui sont nécessaires en de
semblables rencontres. » On notera que l’ouvrage
promis n’est jamais paru !
Dans le journal n° A « commencé au nom de Dieu à
Loches le 1er jour de juin 1676, tenu par Simon
Chantray, commis à la recette du grenier à sel de
Loches, pour Messieurs les intéressés aux gabelles
de France », sont enregistrées diverses opérations
qui font jouer les comptes suivants :
- Caisse ;
- Sel en masse ;
- divers comptes ouverts à des tiers débiteurs du
grenier ;
- Despenses générales ;
- Messieurs les intéressez aux gabelles ;
On chercherait vainement dans cette liste un compte
intitulé capital, en effet, pour celui qui gère le bien
d’autrui ou pour le compte d’autrui, il suffit d’un
compte représentant le propriétaire ou le
commettant, il a le même rôle. Dans cet exemple, le
compte ouvert à Messieurs les intéressez aux
gabelles en tient lieu. Il est crédité du montant de
l’inventaire initial (celui dont se charge le
comptable dans la comptabilité en recette et
dépense) par le débit des comptes correspondants :
sel en masse, caisse et divers comptes de tiers pour
des créances non encore échues.
Les opérations quotidiennes que traduisent les
écritures passées au journal peuvent être regroupées
en deux catégories :
Celles qui opèrent directement le débit ou le crédit
du compte de Messieurs les intéressez :
- Messieurs les intéressez est débité :
o par le crédit du compte Caisse :
- pour le montant des rescriptions acquittés par le
caissier ;
- pour le montant des espèces versées à la recette
générale de Tours ;
o par le crédit de Sel en masse pour la valeur du sel
livré à la garnison royale du château de Loches, à
divers ordres religieux et à divers employés du
grenier en fonction de leurs droits : le grenetier, le
contrôleur et le caissier lui-même ;
- Messieurs les intéressez est crédité par le débit
de Sel en masse, lors des arrivées de sel au grenier,
pour la valeur du sel reçu ;
Celles qui modifieront indirectement le solde du
compte de Messieurs les intéressez :
- Caisse est débité
o par le crédit de Sel en masse du montant des
ventes de sel ;
o par le crédit de comptes de tiers pour les
recouvrements de créances ;
- Caisse est crédité par le débit de Despenses
générales pour le montant des frais de voiture, des
appointements du grenetier, du contrôleur et du
caissier, des gages du procureur du Roi et d’un
archer à pied, enfin du loyer du grenier.
244
Lors des écritures de clôture, Despenses générales
est soldé par le crédit du compte de Messieurs les
intéressez, puis tous les autres comptes, y compris
Messieurs les intéressez, sont soldés par Bilan de
sortie ou estât final. Ce bilan* final a la structure
suivante :
Doit Avoir
Sel en masse 97 440. MM. les intéressez
0.0 . 104 027.
Caisse 5 367.0.5. 0.5.
Créances 1 220.0.0.
Irson termine en donnant un compte rendu « à la
manière des financiers », dont le « résultat* ou estât
final » se présente de la façon suivante :
Recette totale 130 429 12 8
-dépense -26 402 12 3
- reprise - 98 660 0 0
reste aux mains du comptable 5 367 0 5
On retrouve évidemment le montant de l’encaisse,
tel qu’il figure au bilan, dont le comptable est
redevable et qu’il prendra en recette dans le compte
suivant, de même que l’on peut constater que le
montant des reprises* correspond au total formé par
le sel restant au grenier et par les créances à
recouvrer.
Irson ne se livre à aucune comparaison des
méthodes, la chose est pourtant intéressante car elle
illustre bien les différences d’approche. Reposant
sur une logique de responsabilité, le compte en
recette et dépense* donne le montant dont le
comptable reste redevable, tandis que le bilan,
fondé sur une logique patrimoniale, donne la
situation des intéressés. Un bref calcul, auquel Irson
ne se livre d’ailleurs pas, nous donne la variation de
cette situation durant la période écoulée, ou tout
simplement ce que l’on appelle aujourd’hui le
résultat comptable ; le solde du compte des
intéressés était de 97 849 1. 12 s. 8 d. en début de
période, il est de 104 027 1. 5 d. en fin de période,
ce qui correspond à une augmentation de leurs
intérêts de 6 177 1. 7 s. 9 d. Bien sûr, rien n’interdit
de calculer le chiffre de la situation des intéressés à
partir du compte en recette, dépense et reprise, il
suffit d’ajouter au montant de l’encaisse celui des
reprises, mais il n’est pas donné directement
comme dans le bilan. Y.L.
Voir Barrême, Bilan, Compte en débit et crédit,
Partie double (où cette comparaison est
approfondie).
Sources: AN, Minutier Central, XXXV 403,
contrat de mariage de C. Irson et A. Maréchal, 25
septembre 1653. « Factum pour Claude Irson contre
François Barrême», BN, 4° Fm 15869. «Factum
pour Claude Irson, seul juré teneur de livres et
vérificateur de comptes et calculs, nommé par
lettres patentes de Sa Majesté et professeur en
arithmétique, et Pierre Desenne aussi professeur en
arithmétique, demandeurs contre François Barrême
soy disant arithméticien, deffendeur», BN,
Collection Morel de Thoisy, n° 69. Pour les œuvres
de Claude Irson, voir la bibliographie générale.
Bibliographie : Barbier A. A., Examen critique et
complément des dictionnaires historiques les plus
répandus, depuis le dictionnaire de Moréri jusqu'à
la biographie universelle, tome 1er (A.J.), Paris,
Rey et Gravier, Baudouin frères, 1820. Bottin J.,
«Entreprise et place de commerce dans quelques
manuels de comptabilité français des XVIe et
XVIIe siècles » in Hoock J. et Jeannin P. éd.
(2001), p. 131-156. Delesalle S. et Mazière F.,
«Grammaire générale et grammaire particulière, les
méthodes de Claude Irson » in Guimaràes E. et
Diana Luz Pessoa De Barros (éd.), History of
linguistics 2002, selected papers from the ninth
International conférence on the history of the
language sciences, 27-30 August 2002, Sâo Paulo-
Campinas. Amsterdam-Philadelphia, Benjamins,
2007, p. 41-62. Lemarchand Y. (2001). Gennain
M., La grande industrie sous le règne de Louis XIV,
Paris, Rousseau, 1898. Melleville M., Dictionnaire
historique, généalogique et géographique du
département de l'Aisne, vol. 2, Laon, Journal de
l’Aisne, 1857. Ribard D. (2007).
Jésuites
La compagnie de Jésus, créée en 1540, a été une
congrégation enseignante et missionnaire puissante
qui a développé un savoir-faire comptable pour
gérer les biens et les activités, tant des collèges et
résidences en Europe que des « réductions »
coloniales (les villages des missions). D’une façon
générale, ses membres se sont intéressés, comme
les théologiens d’autres ordres, aux opérations de
finance, s’efforçant de justifier les changes licites et
les autres formes d’intérêt. En Espagne, le
théologien Luis de Molina en offre un excellent
exemple (voir la notice Usure*). En outre, les
jésuites ont promu l’enseignement de l’arithmétique
et publiaient des manuels qui figuraient au
programme des études des collèges qu’ils fondaient
dans les grandes villes européennes et américaines,
à l’intention des enfants des élites.
La participation de la congrégation à l’histoire de la
comptabilité a été à la fois théorique et pratique.
Parmi les auteurs de manuels, le plus célèbre reste
le procureur de la Province de Sicile, Ludovico
Flori, auteur du Trattato del modo di tenere il libro
doppio domestico col suo essemplare de 1636.
Dans cet ouvrage, Flori combine la description des
différentes activités des collèges dont les jésuites
avaient la charge, chaque activité donnant lieu à une
analyse comptable des recettes et dépenses. Le
traité classe chaque type de comptes en catégories
homogènes selon leur fonction et leur usage
(« donations », « voyages », « correspondance »,
«infirmerie», «salaires», «magasins»...).
L’agrégation des résultats de chaque rubrique* ainsi
créée permettait de faire la synthèse des recettes et
dépenses générales du collège. L’organisation
centralisée de la congrégation facilitait en outre le
contrôle régulier des comptes de chaque collège. Le
Provincial entreprenait des visites (Padre
visitatore) au cours desquelles il examinait les
comptes et distillait les principes d’ordre définis à
Rome. Précisons qu’une simple « résidence » ne
pouvait avoir de biens propres et fonctionnait donc
sur les revenus du collège voisin. En pratique
néanmoins, il semble que les établissements tenus
par les jésuites aient connu des difficultés
budgétaires grandissantes, comme le révélera la
masse des dettes léguées au moment de leur
suppression.
Quant aux enclaves coloniales du Paraguay
gouvernées entre 1609, date de la première
réduction, et 1767, date de l’expulsion de la
compagnie, elles devaient respecter la tradition
communautaire des Indiens guaranis. Une
comptabilité tant des greniers et ateliers de chaque
communauté que des échanges entre réductions
était tenue. Cette comptabilité semble n’avoir guère
intéressé les chercheurs autrement que comme
source permettant de reconstituer leur activité
commerciale. Teresa Blumer a cependant décrit la
méthode de comptabilité mise en œuvre par les
jésuites dans les missions guaranies, dans le Rio de
la Plata, s’appuyant sur des documents du XVIIIe
siècle. Cette comptabilité visait à retracer les flux
de marchandises et d’argent entre les différents
villages des missions et entre les réductions et
l’extérieur, à calculer les dettes et les avoirs de
chacun et à déceler les éventuelles erreurs. Sa mise
en place est liée à l’institution à Buenos Aires au
début du XVIIe, puis à Santa Fe en 1666 de
bureaux dits de « Provedurias [fournitures] de
misiones », dans les magasins desquels on
entreposait et vendait les produits venus des
réductions, sous la houlette d’un Père Procureur.
Les livres y étaient tenus en partie simple*,
indiquant, pour chaque village, ce que le magasin
avait reçu dudit village et ce qu’il avait acheté en
son nom. Dans chaque village, le curé tenait un
compte des débits et des crédits* du village. Le
Père Procureur du bureau des missions lui adressait
à cet effet un document indiquant la quantité et le
prix des marchandises qui étaient ramenées par
bateau au village. Comme l’objectif était le calcul
du patrimoine et de l’état des comptes de
l’ensemble des missions, mais aussi le contrôle, il
existe à côté des livres de comptes des registres
d’ordres et des livres des visites des pères
provinciaux. Plusieurs livres étaient donc tenus :
- Des livres d’enregistrement tenus dans le bureau
des missions de Buenos Aires : un brouillon*
(borrador), un livre des dépôts et comptes de
domestiques (relatifs aux relations avec banques et
245
 marchands qui faisaient des dépôts rémunérés) ; un
livre de comptes avec les villages de missions ; un
livre des envois de marchandises aux villages des
missions ; un livre des propriétés à Buenos Aires,
qui devaient des loyers ; un livres des comptes avec
les collèges jésuites et les particuliers ; un livre des
comptes avec les procuradurias ; un livre des
ordres et préceptes des visiteurs ; un livre des
visites des pères provinciaux ; un livre des dépenses
communes.
- Des livres d’enregistrements tenus dans le bureau
des missions de Santa Fe : un livre des ordres et
préceptes des visiteurs ; un livre de comptes avec
les villages de missions ; un livre des comptes avec
le bureau de Buenos Aires ; un livre des comptes
avec les particuliers ; un livre des comptes avec le
magasin de vêtements ; un livre des visites des
pères provinciaux.
- Dans chaque village, le livre de comptes du
village et celui des procuradores et des estancias,
c’est-à-dire des domaines agricoles. Le livre des
comptes des missions tenu dans chaque bureau de
fournitures comportait un compte par village, par
collège et bureau, dans lequel étaient consignées les
opérations par ordre chronologique, dans la page
des débits (debe, doit) ou des crédits (ha de haber,
doit avoir).
Tous les deux ou trois ans, le provincial de l’ordre
rendait visite au bureau pour en vérifier les
comptes. C’est alors que l’on arrêtait les comptes
de chaque village dans le livre des comptes des
missions du bureau. Leur solde serait la première
partie du livre suivant. Au cours de ces visites,
étaient passés en revue le « Livre des visites que les
pères provinciaux font de tout l’avoir et le débit des
doctrines » (soit des villages) et le « Livre des
visites que les pères provinciaux font de tout l’avoir
et tout le débit des bureaux, collèges, missions et
autres provinces ». En outre, il visitait aussi les
villages au cours de ses trois ans de mandat et
examinait, entre autres, le livre de comptes de
chacun. Le Supérieur des Missions devait visiter les
trente villages tous les six mois, restant au moins
quatre jours dans chacun. Au cours de ces visites,
était vérifié l’état du compte du village avec les
bureaux des missions et avec les autres villages. En
outre, le Supérieur dressait la liste des biens
patrimoniaux du village visité (T. Blumer donne
l’exemple d’un village possédant différentes sortes
de bétail et des canoës). Enfin, des dispositions
étaient prises pour éviter le détournement des
marchandises envoyées des bureaux aux villages.
Le contrôle reposait aussi sur la correspondance
entre les différents livres. La valeur des
marchandises envoyées par les bureaux des
missions à chaque village est indiquée dans le livre
des comptes, au débit des comptes des villages
concernés, avec la date de la remise des denrées.
Lors de sa visite, le père supérieur comparait ainsi
les soldes des comptes de chaque village dans les
246
livres des villages avec ceux de leurs comptes dans
les livres du bureau des missions. T. Blumer offre
des exemples du parti que l’on tirait de ces livres,
en dressant un bilan* de l’état du compte de chaque
village et de chaque bureau des missions pour une
année donnée, mais aussi du patrimoine de chacune
(on indiquait la valeur des « existences » dans
chaque province).
Ainsi, les jésuites de l’Amérique espagnole du sud
paraissent-ils avoir appliqué véritablement la
comptabilité marchande à leurs activités
mercantiles pour en faire le même usage que les
marchands, le contrôle proprement dit et
l’évaluation du rendement de leurs activités et de la
richesse des missions.
Toutefois, les dettes grevèrent lourdement les
revenus des missions au XVIIIe siècle. Les
créances incertaines du supérieur général des
missions aux Antilles, le père Antoine La Valette,
provoquèrent la banqueroute* de la maison de
banque Lioncy de Marseille, la faillite du père
jésuite et de là, la suppression de la compagnie de
Jésus jugée opportunément solidaire des dettes
(1762). Le positionnement de la congrégation vis-
à-vis de Rome lui valut de plus en plus de critiques.
Le roi du Portugal* (1759), de France* (1764), puis
le roi d’Espagne* (1767) expulsèrent les jésuites et,
finalement, le pape Clément XIV dissout la
compagnie par la bulle Dominus ac Redemptor (20
septembre 1773). Cette dissolution donna lieu à la
formation de diverses caisses*, soit pour
administrer les biens de la compagnie mis sous
séquestre, soit pour administrer le secours qui leur
fut accordé. C’est ainsi que dans les Pays-Bas*,
Marie-Thérèse d’Autriche ordonna l’inventaire*
(15 septembre 1773) et la mise sous séquestre (12
octobre 1773) de tous les biens et revenus des
établissements de la compagnie. Cette
sécularisation eut des effets très appréciables sur la
gestion des deniers publics des Pays-Bas* : la vente
des biens-fonds rapporta 5,7 millions de florins
(argent courant), celle du mobilier, 912 997 florins.
L’argent fut placé, partie à 4 lA pour cent, partie à 4,
3 A et 3 pour cent et le bénéfice de ces placements
servit au désengagement du domaine* du Brabant,
du bureau de Saint-Philippe et de la ferme* des
postes en particulier. En France, la séquestration
des biens des jésuites servit surtout à rembourser les
créances de la compagnie, tant celles formées dans
les colonies que celles contractées en métropole. Le
roi accorda, sous certaines conditions, une pension
annuelle de 400 livres aux pères et une pension de
200 livres aux frères jésuites par les lettres patentes
du 2 février 1763 et du 16 février 1765. Ce secours
devait être pris sur les « bénéfices unis » des
collèges administrés par de nouveaux bureaux, et
non sur leurs revenus propres destinés à
l’enseignement. Ces bénéfices devaient être versés
par les receveurs particuliers du collège dans la
caisse* du receveur « des bénéfices unis aux
Maisons et Etablissements de la Société et
Compagnie de Jésus » nommé par la cour. Dans le
Nord de la France (anciennes provinces des Pays-
Bas) où les jésuites avaient été nombreux, le
financement devint difficile et fut confié à une
régie*, la caisse Claro, chargée des biens français
des collèges autrichiens mis sous séquestre. En
1791, les administrateurs des départements reçurent
les prérogatives des anciens intendants pour assurer
la continuité du financement des pensions. A.D. et
M.-L. L.
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 185, f3 24.
AD du Nord, Lille, 8B 21201 à 21208 et C 1192 à
C 1199.
Bibliographie : Blumer T., « La contabilidad en las
reducciones guaranies », La Compahia de Jésus en
America : evangelizaciôn y jusîicia, siglos XVII-
XVIII : actas, Cordoue, 1993, p. 29-40. Duquesne
Q., « La dispersion des Jésuites des Pays-Bas
français (1761-1791) », mémoire de maîtrise sous la
direction de René Grevet, université Charles-de-
Gaulle Lille III, 1999. Lugon C., La République des
Guaranis. Les Jésuites au pouvoir (1610-1768),
Paris, 1970. Quattrone P., « Accounting,
Accountability and Management Practices in the
Society of Jésus, 17e-18e century », in Accounting,
Organizations and Society, n° 29 2004 p. 647-683.
Jeton (de compte)
Le jeton est l’élément mobile utilisé lors des
opérations sur la table de compte ou abaque*. Les
premiers jetons connus des comptables du roi de
France datent du XlIIe siècle. A l’époque moderne,
le Trésor de l’Epargne, plus tard le Trésor royal,
disposaient de leurs propres jetons répertoriés par
Félix Feuardent. Leurs inscriptions, variées, étaient
chargées de référence à l’Antiquité. Les Chambres
des comptes ont naturellement étaient de grandes
utilisatrices de jetons. Les hôtels de monnaie*
devaient fournir les administrations financières en
nombre suffisant de jetons. En 1608, une
ordonnance du roi de Bohême enjoint les hôtels du
pays de fournir 2 à 3 000 jetons de compte de
cuivre en chaque début d’année à la Chambre des
comptes de Prague. M.-L. L.
Voir Calcul, Chiffre de finances
Bibliographie : Félix J., « L’image de l’argent sous
l’Ancien régime. Les jetons des administrations
financières : Trésor royal et Parties casuelles »,
L'argent dans la France méridionale à l'époque
moderne, Montpellier, 1996, p. 147-181. Feuardent
F., Jetons et méreaux depuis Louis IXjusqu 'à la fin
du Consulat de Bonaparte, Paris et Londres, 1904.
Perrot J.-C. (1992). Schàrling A. (2003).
Jeu de caisse
Procédé par lequel le comptable retarde le paiement
des charges assignées sur sa caisse*. « Les
comptables qui prennent leurs fonds au Trésor
n’ont pas beaucoup d’articles de recette : à peine les
fonds sont-ils ordonnés qu’ils les reçoivent en
totalité, s’ils le peuvent le 2 janvier. L’article
ensuite consiste à ne païer que dans le cours de
l’année et même plus tard de manière qu’il est très
clair que l’argent du Roi alimente pendant six mois
le commerce qu’ils en font. Cela se recule même
beaucoup pour certaines parties qu’ils ne paient
point sous différents prétextes ». Le jeu de caisse
pouvait atteindre plusieurs millions pour les grands
trésoriers comme le Trésorier général de la
Marine*. Ce dernier « recevait du Trésor royal aux
époques des 5, 10, 15, 20 et 25 du même mois le
montant de l’état de distribution* qui renfermoit
toutes les sommes qui dévoient être payées dans le
mois aux parties prenantes pour fournitures,
appointements... et pouvoit s’élever à 3 millions
plus ou moins. De cette somme, il n’en sortoit pas
les % de sa caisse parce que les parties prenantes ne
se présentoient pas toutes dans le mois ou si elles se
présentoient, on faisoit en sorte de retarder leur
payement sous dives prétextes en les déterminant à
accepter des bons de caisse payable dans le courant
du mois suivant». Grâce au jeu de caisse, les
officiers-comptables s’enrichissaient au dépens du
Trésor*, ce qui ne manqua d’être dénoncé par les
ennemis des gens d’affaires. La réforme du Trésor
royal* de 1788 mit fin à ces abus puisque qu’à
partir de cette date, la nouvelle caisse générale ne
pourvut les caisses publiques qu’au fur et à mesure
des besoins de chaque jour et qu’à défaut de
consommation, la somme était précomptée pour le
lendemain. La réduction du jeu de caisse a constitué
un enjeu majeur de l’introduction de la partie
double* dans les comptabilités publiques. M.-L. L.
Voir Péculat, Rétention
Sources : AN, K 883, pièce 6, « Mémoire sur la
comptabilité active et passive », vers 1776. AN, D
VI 17, « Département de la Marine et des colonies,
administration de la caisse de ce département, 17
septembre 1791 ».
Jôcano y Madaria, Sébastian de (1738-
1821).
Auteur de la Disertaciôn Critica y Apologética del
Arte de llevar Cuenta y Razàn contra la opinion del
Baron de Bielfeld, acerca del Arte en general y del
Método llamado de Partidas Dobles en particular
(Madrid, 1793), première histoire complète des
écrits sur la comptabilité en partie double et de son
application en Espagne.
Fils d’un artiste peintre, il apprend probablement
son métier sur le tas, en tant qu’employé
surnuméraire dans des bureaux. On sait en effet
qu’il travaille sous les ordres du Procureur de la
Chambre des Indes avant d’être employé au
contrôle des comptes de la Compagnie Royale de
Navigation de Caracas. Il effectue alors une visite*
247
 (inspection) de la Chambre des comptes* subalterne
de la compagnie à Caracas entre 1772 et 1777, ce
qui lui permet de prendre connaissance de
l’organisation des recettes royales dans la région.
En outre, il sait le français, a « une belle écriture »,
est « intelligent dans les comptes et capable
d’assurer les tâches les plus délicates ». C’est pour
ces motifs qu’il est choisi par le chef de la Chambre
des comptes du Conseil des Indes pour occuper un
office dans son bureau en 1777. Il y reste vingt ans,
gravissant plusieurs échelons à la fois grâce à la
protection du nouveau chef entré en fonctions
quelques mois après lui, don Francisco Machado
Fiesco. En octobre 1796, il est nommé Trésorier*
du Conseil des Indes, tout en demeurant officier de
la Chambre des comptes des Indes. En février 1798,
il entre au Tribunal de la Grand Chambre des
comptes. En 1808, la Guerre d’indépendance le
surprend à Jaén, où il assurait l’intérim de
l’intendant. Membre de la junte constituée à Jaén, il
fait partie des délégués qui forment la Junte
Centrale formée pour défendre les droits du roi
Ferdinand VII jusqu’à sa dissolution. La
Restauration (1814) lui permet de retrouver son
emploi dans la Grand Chambre des comptes,
jusqu’à sa retraite en 1820.
Outre sa Dissertation critique, il est l’auteur d’une
traduction du français d’une apologie de Saint
François de Sales, publiée en 1786.
Aux côtés de Machado Fiesco à la Chambre des
comptes du Conseil des Indes, il est un des
promoteurs actifs de l’application de la comptabilité
en partie double* dans les bureaux des finances des
Indes espagnoles. Il est probable, en effet, qu’il
participe à l’élaboration du projet présenté par
Machado Fiesco au ministre des Indes José de
Gâlvez en 1780, et approuvé en 1784, ainsi qu’à la
rédaction de l’« Instruction pratique » signée par
Machado cette année-là. Sa Dissertation, publiée
quelques années après l’abandon de cette réforme
(1787), a une portée polémique : à travers le baron
de Bielfeld*, c’est aux partisans du retour à la
comptabilité en recette, dépense et reprise* dans les
bureaux américains de l’Espagne qu’elle s’attaque.
De fait, Machado Fiesco développe des arguments
identiques à ceux de Jôcano dans les documents
internes qu’il rédige à l’intention du personnel des
bureaux chargé d’appliquer la partie double, ce qui
confirme l’identité de vues et la collaboration
quotidienne entre les deux hommes. Tous deux
adoptent explicitement la description de la partie
double de Mathieu de la Porte (1704). Ils soulignent
que la tenue des livres en recette et dépense
témoigne davantage de Terreur que d’une vraie
méthode et insistent sur la supériorité de la partie
double, qui parce qu’elle réunit tous les comptes
dans le grand livre*, permet d’économiser la moitié
du travail, au contraire de ce que prétend Bielfeld.
Elle est plus nécessaire encore aux finances royales
qu’aux particuliers, parce que leurs comptes sont
248
plus grands. En Amérique en particulier, une cédule
royale de 1596 invitait les officiers à l’utiliser, ce
qui justifie la tentative de Machado. Aux arguments
de Machado, Jôcano y Madaria ajoute une histoire
des théories de la partie double en Europe qui
insiste sur la précocité avec laquelle les Espagnols
l’adoptèrent à la fin du XVIe siècle, avant les
Français, les Anglais et les Hollandais, Bartolomé
Salvador de Solôrzano ayant été l’un des premiers à
rédiger un manuel de tenue des livres en partie
double en 1590. A.D.
Voir Ecritures comptables, Partie double.
Sources : Jôcano de Madaria S. (1793). La Porte M.
de (1704). Salvador de Solôrzano B. (1590).
Bibliographie : Hernândez Esteve E. (1981).
Donoso Anes A. (2003). Donoso Anes A. et R.
(1998).
Journal
Si, entre autres acceptions, le mot journal peut
désigner la « relation jour par jour de ce qui se
passe ou s'est passé » (Littré), celle qu’il possède en
comptabilité est simplement plus restreinte, dès lors
que les faits relatés ne sont que des mouvements de
monnaie, de biens ou de services, entre une entité et
ses partenaires. Le Dictionnaire desfinances (1727)
ne dit rien d’autre en le définissant comme le « livre
dont les comptables se servent pour enregistrer la
recette et la dépense journalière qu'ils font dans
l'exercice de leurs charges ou commissions».
Son emploi dans les finances françaises est ancien :
quelques exemplaires des journaux du Trésor —
jornalia thesauri — datant du XIVe siècles,
conservés dans la série KK des Archives nationales
en témoignent. Moranvillé précise que le jornale
« notait les recettes ou les dépenses au jour le jour,
sans distinguer la nature de ces recettes ou de ces
dépenses, bien mieux, sans séparer les recettes des
dépenses : c'était en un mot, un véritable livre-
journal». Il rappelle également qu’un second
type de registre était dressé à partir du jornale :
« L'extractus, au contraire, inscrit les dépenses et
les recettes dans des chapitres différents ; il sépare
et classe les recettes et les dépenses d'après leur
nature.» Le Vestige des finances (1527) indique
d’ailleurs que « les parties payées pour la façon et
escriture du compte dudit Trésor, du journal de la
recepte d’icelluy,... » formaient le douzième
chapitre de la dépense du changeur du Trésor,
receveur général du domaine.
L’usage du journal — tout comme celui du vocable
qui le désigne — est commun au monde des
finances et à celui de la marchandise, même si la
version financière se rapproche davantage du
mémorial* ou brouillard*, que du journal de la
partie double*, dans lequel sont précisés, pour
chaque écriture, les comptes du grand livre* qui
doivent être débités et crédités. Journal, giornale en
Italie, diario en Espagne, journal, day-book ou
diary en Grande-Bretagne, son usage est universel.
Il peut être unique ou subdivisé en plusieurs
registres, dès lors que la dimension de
l’organisation impose une division du travail
comptable. Le journal de caisse ou livre de caisse
peut tout aussi bien se trouver chez un financier
qu’au comptoir d’un marchand, mais ce dernier
pourra aussi utiliser un journal des ventes et un
journal des achats.
Depuis VOrdonnance de 1673, tous les marchands
français ont obligation de tenir un journal. Afin que
celui-ci puisse servir valablement d'instrument de
preuve, les feuillets doivent avoir été cotés et
paraphés par les autorités consulaires ou
municipales et les enregistrements doivent être
réalisés « par ordre de date sans aucun blanc », de
façon à interdire toute falsification, dissimulation
d’actifs ou introduction de faux créanciers. Des
dispositions analogues se retrouvent dans l’édit
concernant les registres-journaux,... du mois de
juin 1716. Tout en rappelant que bien d’autres
textes en avaient déjà prescrit la tenue, le préambule
explique ce qui est attendu de ces journaux :
« Quelque désir que nous ayons de faire renaître la
confiance publique, et de soulager nos peuples,
nous aurions peine à y parvenir, si nous ne prenions
pas les précautions convenables pour empêcher à
l’avenir la dissipation, le divertissement et la
rétention des deniers qui doivent estre portés dans
nos coffres, ou distribuez suivant leur destination.
Et ce n’est qu’en rétablissant le bon ordre dans les
recettes, et en assurant le produit des
recouvrements, que nous pouvons fixer le montant
des impositions pour les proportionner aux
dépenses de T Estât, et au payement des dettes
légitimes. Depuis que les officiers comptables ont
discontinué de tenir des registres journaux, suivant
l’injonction qui en avoit esté faite à la pluspart
d’entr’eux par les édits des mois de mars 1600,
article 36, janvier 1634, article 54, avril 1643,
article 16, par les articles 13 et 14 de l’édit en forme
de règlement pour nos Chambres des comptes au
mois d’août 1669, et par plusieurs arrests de notre
Conseil et de nos cours des aydes, il n’a plus esté
possible de démêler sur le champ Testât et la nature
de leurs recettes, et il leur a esté facile de persuader
qu’ils estoient dans de grandes avances, pendant
qu’ils estoient débiteurs de sommes considérables
[...] et d’exercer des usures énormes en exigeant
l’intérêt des sommes mêmes dont ils dévoient le
capital ».
Première pierre du système d’administration des
finances mis en place par les frères Paris*, c’est
souvent à propos des seuls receveurs généraux* que
Ton mentionne cet édit de juin 1716, mais il
concerne cependant toutes les catégories de
comptables. L’article premier ordonne en effet
« Qu’à l’avenir et à commencer trois jours après la
publication du présent édit, tous nos officiers
comptables, de quelque qualité qu’ils puissent être,
les gardes de notre trésor royal, le trésorier général
de nos parties casuelles, les receveurs généraux de
nos finances, domaines et bois, les trésoriers des
pays d’états, les receveurs des octrois et deniers
publics, les trésoriers de l’extraordinaire des
guerres, et tous les autres trésoriers, même ceux qui
ont le maniement des deniers destinez pour toutes
les différentes dépenses de notre maison, ensemble
tous leurs caissiers et commis comptables, comme
aussi tous caissiers et commis comptables de nos
fermiers et sous-fermiers, soit en titre ou par
commission, les entrepreneurs des vivres de terre et
de mer, fourrages, étapes, hôpitaux et fortifications,
leurs caissiers et commis comptables en deniers ou
effets, et tous ceux, sans aucune exception, qui sont
chargez de la recette, recouvrement et maniement
de nos deniers de toute espèce, soient tenus d’avoir
un registre journal, dans lequel ils écriront jour par
jour, de suite et sans aucun blanc ni transposition,
toutes les parties, tant de recette que de dépense,
qu’ils feront dans l’exercice de leurs charges,
emplois et commissions. » Tout comme ceux des
marchands, les livres journaux des comptables
doivent être « reliez, cotez et ensuite signez sur le
premier et dernier feuillet, et tous les feuillets cotez
par premier et dernier, et paraphez » (article 2).
Enfin tous les comptables sont tenus de respecter
tant ces règles de forme, que celles qui concernent
le contenu des écritures — évoquées aux articles
écritures comptables* et chapitre* — « à peine de
dépossession de leurs charges, emplois ou
commissions » (article 7).
Pour les promoteurs de l’édit de 1716, la tenue de
ce journal s’inscrivait dans la logique du dispositif
de surveillance qu’ils tentaient de mettre en place.
L’obligation de transmettre tous les quinze jours
une copie du journal au Conseil des finances,
énoncée dans la déclaration du 10 juin 1716, ne
concernait que les receveurs généraux et les
receveurs des tailles, mais elle fut étendue à tous les
comptables par la déclaration du 4 octobre 1723,
avec une périodicité mensuelle (article 27). Il y fut
mis un tenue en 1726, avec la fin de l’expérience
des frères Paris, mais l’édit lui-même resta en
vigueur. Il y sera d’ailleurs encore fait référence
sous le Consulat, lorsque Gaudin*, nouveau
ministre des finances, entreprendra de réorganiser la
perception des impôts directs sur un mode proche
de celui de l’Ancien régime, en instaurant des
contrôles analogues à ceux des Paris. L’article 39
de l’instruction du 20 thermidor an 10 (8 août 1802)
ne manque pas de rappeler les textes initiaux : « Un
receveur doit inscrire ses recettes à l’instant du
versement et jour par jour (article 7 de l’édit de juin
1716 et déclaration du 10 du même mois,
déclaration du 4 octobre 1723 et loi du 24
novembre 1790 article 1). A cet effet, il établit un
livre de caisse ou journal général. Les versemens et
paiemens qu’il peut faire doivent également y être
249
 inscrits jour par jour ainsi que tout ce qui compose
la dépense ».
Avec la mise en œuvre progressive de la
comptabilité en partie double dans le cadre du
Trésor et de la perception des impôts, puis aux
divers niveaux de l’administration financière, la
pratique des journaux se généralise et de nouvelles
règles viennent en préciser de manière détaillée les
modalités d’utilisation, ainsi que celles des
différents registres avec lesquels ils s’articulent. On
trouve ces règles dans les instructions de 1807, sur
la tenue en partie double des écritures des payeurs
du Trésor, des recettes générales et des recettes
particulières d’arrondissement, de l’ordonnance du
14 septembre 1822, pour la comptabilité des
ordonnateurs, ou encore de l’ordonnance du 31 mai
1838, portant règlement général sur la comptabilité
publique... Y.L.
Voir Comptabilité administrative, Chapitre,
Colonnes, Ecritures comptables, Frères Paris, Partie
double, Receveurs généraux des finances
Sources : Déclaration du Roi donnée à Versailles le
4 Octobre 1723, concernant les registres journaux.
Dictionnaire des finances (1727). Édit concernant
les registres-journaux qui doivent être tenus par
tous les officiers comptables et autres chargés de la
perception, maniement et distribution des finances
du Roy, et des deniers publics, du mois de juin
1716. Instruction pour la tenue en partie double des
écritures des payeurs du Trésor public, Paris,
Imprimerie impériale, 1807. Instruction sur la tenue
en partie double des écritures d'une recette
générale, Paris, Imprimerie impériale, 1807.
Instruction sur la tenue en partie double des
écritures d'une recette particulière
d'arrondissement, Paris, Imprimerie impériale,
1807. Le grant stille... (1527).
Bibliographie : Moranvillé Henri, « Extraits de
journaux du trésor (1345-1419)», In Bibliothèque
de l'école des chartes. 1888, t. 49, p. 149-214.
Jugement des comptes
On entend généralement par jugement toute
décision émanant de l’autorité judiciaire et la
procédure qui l’accompagne. Le Dictionnaire de
droit et de pratique de Claude-Joseph Ferrière
précise que pour qu’un jugement soit valable, il faut
qu’il soit rendu par un juge compétent dans le siège
de la juridiction et non dans une maison privée (ord.
de 1523 et 1585) et qu’il soit dans les formes et
délais prescrits par les ordonnances, sous peine de
nullité. Les Chambres des comptes avaient le statut
de juridiction financière. Cependant, elles
exerçaient cette compétence seulement à l’égard
des comptables des deniers publics et non des
ordonnateurs. Les arrêts par lesquels elles statuaient
établissaient si les comptables étaient quittes, en
avance ou en débet* vis-à-vis du Trésor. Dans les
deux premiers cas, elles prononçaient leur
250
décharge. Dans le troisième cas, où les recettes et
les dépenses effectuées n’étaient pas correctement
justifiées, elles enjoignaient aux comptables de
rapporter dans un délai de deux mois des
explications. Lorsqu’ils n’avaient pas pu régulariser
leur situation, les Chambres des comptes les
constituaient en débet. Aux termes de l’ordonnance
du mois d’avril 1667 (titre XXIX), les comptables
restaient débiteurs «jusqu’à ce qu’ils aient rendus
compte, payé le reliquat* s’il en est dû et remis
toutes les pièces justificatives». Si l’examen des
comptes révélait des erreurs*, concussions,
fraudes*, les Chambres des comptes pouvaient les
condamner à des peines.
La juridiction et la jurisprudence de la Chambre des
comptes de Paris, qui demeura la plus importante
juridiction du royaume après le Parlement et le
modèle pour toutes les Chambres des comptes
provinciales, étaient fixées par de nombreux
ordonnances, édits et règlements royaux. Depuis le
XVIe siècle, les procédures de vérification et de
jugement des comptes furent organisées en deux
semestres : les comptes des années paires devaient
être examinés pendant le semestre de janvier et
ceux des années impaires pendant le semestre de
juillet, mais ce principe ne fut pas toujours suivi.
Les comptables respectaient mal les échéances qui
leur étaient fixées pour la reddition des comptes, et
la Chambre devait reporter l’examen des comptes
d’un semestre à l’autre, ce qui perturbait son
fonctionnement. Il y eut aussi des dérogations.
L’édit du mois d’août 1669 accorda aux receveurs
des deniers communs et des octrois des villes le
délai de six ans pour rendre les comptes, si le
montant total de leurs recettes n’excédait pas 3 000
livres. Par la déclaration royale du 2 septembre
1690, les receveurs généraux du Domaine* ne se
présentaient que deux ans après la fin de leurs
exercices.
La séance de jugement se tenait dans chaque
Chambre en présence des maîtres* et des auditeurs*
des comptes sous l’autorité d’un président du
bureau. Ils rendaient leur décision à la pluralité des
voix suite au rapport des auditeurs qui avaient
préalablement examiné les comptes. Les
comptables étaient tenus de présenter leurs comptes
de l’année écoulée et les pièces justificatives à
l’appui*. L’état final* récapitulait l’ensemble des
décisions partielles prises sur le compte. Les noms
de tous les juges présents à la séance étaient inscrits
par le président sur le bordereau du compte.
Chaque Chambre des comptes jugeait en dernier
ressort. Mais les comptables pouvaient demander la
révision*. La juridiction ne procédait alors à la
révision que si leur demande était appuyée de
justifications susceptibles de clarifier les faits de
leur gestion et prouver qu’une erreur avait été
commise. Les comptables avaient la possibilité de
se pourvoir contre les arrêts de la Chambre devant
le roi. N.P.
Voir Chambres des comptes, Débet des comptes,
Etat final, Maître des comptes
Sources: AN, G7 1760 (Diverses pièces relatives au
règlement des comptes à la Chambre des comptes
de Paris, 1688-1704). BNF, collection Clément de
Boissy, ms. Fr. 4432, 7707, 11083, 16599: édits,
déclarations et règlements portant sur la Chambre
des comptes et les finances royales; 7698-7701:
Recueil formé par de Loffroy sur les matières qui se
traitent en la Chambre des comptes de Paris.
Ferrière C.-J., (1758), p. 25. Ordonnances, édits,
déclarations, arrêts et lettres patentes concernant
l’autorité et la juridiction de la Chambre des
comptes (1728).
Bibliographie: Jassemin H. (1933). La Cour des
Comptes (1984). Mattéoni O. (2007).
Juridictions financières
Voir Chambre des comptes, Cour des
comptes
Jung, Johann Heinrich (1740-1817)
Médecin des yeux, économiste et écrivain allemand
né à Grand dans la principauté de Nassau-Siegen.
Jung-Stilling est l’auteur de Anleitungzur Cameral-
Rechnungs Wissenschaft publié en 1786. Après
avoir été instituteur et précepteur en diverses villes,
il quitte sa région pour devenir successivement
compagnon-tailleur et précepteur chez de riches
commerçants et propriétaires comme Peter Hartcop
ou Peter Johannes Flender. Il se consacre dans le
même temps à l’approfondissement de ses
connaissances sur l’économie, l’agriculture et le
commerce. Sous l’égide du pasteur catholique et
médecin Johann Baptist Molitor (1713-1768) et
après des études de médecine à l’université de
Strasbourg, il devient oculiste. Il ouvre un cabinet à
Elberfeld et commence ses opérations de la
cataracte à partir de 1773, date à laquelle il est reçu
docteur en médecine. Il élargit son cercle d’amis et
noue des relations avec Goethe, plus tard avec
Kant.
Tout en rédigeant ses oeuvres littéraires (dont Les
Contes), il est nommé en 1778 à Kaiserslautem
professeur d’économie. Cette chaire sera ensuite
transférée en 1784 à Heidelberg à la
Staatswirtschafts Hohen Schule. L’année suivante,
il est nommé conseiller pour le prince électeur
Charles Théodore de Bavière* (1724-1799).
Piétiste, Jung rédigea des œuvres à caractère
religieux et devint sur la fin de sa vie (1803)
conseiller pour les affaires religieuses du prince
Charles Frédéric de Bade. Son œuvre d'économiste
est très riche et se compose de traités de sciences
cainérales (1779, 1784. 1788), de manuels sur
l’agriculture, l'industrie et d'ouvrages conséquents
sur les finances publiques comme Lehrbuch der
Finanz- Wissenschaft (1789), Lehrbuch der
Cornerai- Wissenschaft oder Cameral-Praxis
(1790). System der Staatswirthschaft (1792). N.
Monsen juge que l'approche comptable de Jung est
assez similaire à celle de Puechberg* et définit la
nouvelle méthode de la comptabilité camérale basée
sur la séparation du journal et du registre des
rubriques* qui doit enregistrer les recettes et
dépenses effectuées et celles qui restent à réaliser
séparément. La similitude des deux démarches a
alimenté l'idée selon laquelle Jung n’aurait guère
fait que plagier Puechberg. Dans son ouvrage.
Anleitung zur Cameral Rechnungs-Wissenschaft,
Jung indique clairement sa démarche: il s'inspire du
style des comptes adoptés en Autriche* et de
l'ouvrage de Müller ( Verbesserter Entwurf ... über
Privât und Cameral Staatsrechnungen, 1785) pour
proposer à son tour d’utiliser les vertus de la partie
double* dans les comptes publics. Son essai se
divise en trois parties: une partie théorique sur la
tenue des comptes (elle-même divisée en trois
chapitres sur le journal*, le manuel* et le grand-
livre*); une partie intitulée ..praxis'* qui s'intéresse
successivement à la comptabilité agricole, la
comptabilité industrielle, la comptabilité marchande
et la comptabilité publique (vom
Staatswirtschaflichen Buchhallen). Il décrit dans ce
dernier chapitre les différentes natures de recettes et
de dépenses. La troisième partie porte sur les
..sanctions'* des comptes et se subdivise en quatre
chapitres sur le rôle du responsable des comptes
(der Rechnungs-Principal), du comptable (der
Rechnungsfurher), de la révision* et de la
justification. Comme Müller, Jung considère que
sa méthode s'applique à tous types de comptabilité.
A l'instar de Puechberg, Jung transpose la méthode
des marchands en remplaçant les mots ..débit** et
..crédit" par les termes Schuldigkeit et Berichtigung
(que l’on peut traduire par ..engagé" et ..réalisé").
Le journal dit ..natural Tagesbuch" qui. dans
l'ancienne comptabilité camérale* n'était qu'un
registre d’écritures privées, devient un Geld-journal
tenu en recette et en dépense, et pour chacune
d'entre elles, en engagement (Schuldigkeit) et en
correction ou réalisation (Berichtigung). Le grand-
livre, quant à lui, doit faire apparaître les rubriques
sur deux pages: le débit à gauche et le crédit à
droite, l’un et l'autre se contrôlant à l'aide du
journal. M.-L. L.
Voir Comptabilité camérale
Sources : Jung-Stilling J. (1786). Unterricht über
die Entwürfe... (1786).
Bibliographie : Monsen N. (2002). Schrott J.
(1871). Walb E. (1926). Wysocki K. (1965).
Knyphausen, Dodo von (1641-1698)
Issu d’une des familles les plus anciennes du
Ostfriesland, Knyphausen entra au service de la
maison de Brandebourg en 1682. A la fin de
l’année 1688, il devint le chef de l’administration
des domaines* qu’il dirigea pendant 16 ans de
251
 manière remarquable. Cari Hinrichs le présente
comme un « organisateur génial ». Knyphausen
fonna un collège particulier (Geheime Hofkammer)
composé d’un personnel compétent versé dans les
affaires économiques et financières. L’autorité de
ce collège s’étendit à l’ensemble des territoires de
Brandebourg-Prusse. Il fonctionna comme une
instance centrale de contrôle des revenus, procéda
à l’examen* des comptes des receveurs locaux. Sur
la base des extraits* de comptes que Knyphausen
s’efforça inlassablement d’obtenir, il dressa le
premier état* général des domaines. L’instruction
de 1689 réclame notamment : 1) que les comptes
soient tenus sur une seule période divisée en quatre
trimestres et clos à la fin de chaque trimestre; 2)
qu’au ternie de chaque période, les trésoriers
provinciaux envoient leurs comptes annuels à la
Chambre; 3) que ces comptes annuels soient
vérifiés avec les extraits* envoyés dans le courant
de l’année par l’administration de la chambre qui
tient les livres; 4) qu’un état des domaines soit
formé pour chaque province par la balance des
recettes et des dépenses; 5) que les dépenses qui
auront été faites sans apparaître dans les états soient
communiquées par la chambre. Le premier état
général des domaines faisait voir l’accroissement
des revenus de la caisse générale des domaines. Il
servit de modèle à la formation des états* suivants
qui seront perfectionnés et complétés sous le règne
de Frédéric-Guillaume I. Victime d’un parti opposé
à son œuvre administrative, il fut à son tour accusé
de malversations financières à la fin de sa vie. M.-
L. L.
Voir Prusse
Bibliographie : Breysig K., Urkunden und
Aktenstiicke zur Geschichte der Inneren Politik des
Kurjursten Friedrich Wilhem von Brandebourg,
vol. 1, Leipzig, 1895, p. 106-150. Hinrichs C.
Preussen als historisches Problem. Gesammelte
Abhandlungen, Berlin, 1964. Neue Deutsche
Biographie, t. XII (1980), p. 234-235. Schneider F.
(1952).
Latiter
Terme dérivé du latin Latitare qui signifie « se tenir
caché ». Les ordonnances prononçaient la
confiscation de corps et de biens contre les
comptables qui latitaient, c'est-à-dire qui se tenaient
cachés de peur d’être arrêtés et qui divertissaient les
deniers de leur maniement. M.-L. L.
Sources: Dictionnaire des finances (1727).
Lavoisier, Antoine-Laurent (1743-1794)
Chimiste et académicien célèbre. Antoine Laurent
de Lavoisier fut également un économiste ei un
financier notoire. Nommé receveur* à la Ferme
générale* a l’âge de 26 ans. il devint l’un des
administrateur de cette compagnie dont il étudia
252
l’organisation financière. Admirateur de Colbert*,
il reprit de ce dernier les maximes d’ordre dans les
finances, tout en analysant celles-ci dans le cadre
d’une réflexion économique plus large sur la
richesse de la nation. A son époque, le débat autour
du lien constitutionnel entre les finances du roi et
les ressources territoriales battait son plein. De ce
point de vue. les propositions de Lavoisier d’élargir
les fonctions statistiques de l’Etat forment une
étape intellectuelle importante dans la mise en
œuvre d’une comptabilité nationale*. Dans son
ouvrage sur La Richesse territoriale du royaume de
France (1791), il proposa un système de
représentation statistique de l’économie du pays
dans un cadre comptable cohérent, composés de
différents comptes généraux en nature et en argent
pour l'agriculture, le commerce et l’industrie et de
bilans*. Nommé commissaire de la Trésorerie
nationale* par le décret du 27 mars 1791 avec Jean
de Vaines, Condorcet. Rouillé de l’Etang. Antoine
Pierre Dutremblay et Barthélemy Huber. il participa
aussi a l’œuvre de régénération de la comptabilité
publique en remettant un mémoire inséré dans le
rapport général de juin 1791. En premier lieu, il
s'agit de mettre fin à toutes les pratiques erronées
utilisées jusque là en matière de comptabilité
publique. Pour ce faire, les commissaires
préconisèrent un seul moyen : le sabordage des
institutions en place, tant le Trésor royal* que les
Chambres des comptes* : « leur suppression est une
suite indispensable du nouvel ordre des
choses décrété par l’Assemblée nationale» Cet
ordre nouveau devait mettre fin au service
« illusoire » des financiers, dont la « mauvaise
gestion » fut cause de la faillite de l’Etat Lavoisier
se pencha sur les nouvelles méthodes de
comptabilité publique qui seules pouvaient donner a
l'Assemblée nationale les éclaircissements
suffisants pour décider de l'attribution des fonds. Il
distingua deux types de comptabilité : « l’une de
vérification, qui se borne à savoir ce qui a été versé
dans chaque caisse, ce qui est sorti, de manière que
non seulement les sommes mais les destinations
s’accordent entre elles ; l'autre judiciaire, qui
suppose l'examen des titres ». Lavoisier étudia
longuement la première et décrivit les principes
généraux de la comptabilité à partie double*,
l'établissement de correspondance entre registres
journaliers, hebdomadaires, semestriels, annuels,
bref les méthodes d’une comptabilité courante qui
repose sur « le résultat déduit d'éléments connus, et
non le résultat qu’on a cru d'avance être
nécessaire ». Pour les comptes du Trésor* lui-
même. il dissocia les destinataires des paiements (à
un particulier, à un trésorier ou payeur qui doit
distribuer aux individus, à un trésorier ou payeur
qui a distribué d'avance), ce qu’on appellera plus
tard les « correspondants du Trésor ». Enfin, il
jugea qu'il « serait très utile d'attacher à la
Trésorerie nationale un calculateur* ». Dans son
esprit, ce dernier devait préparer toutes sortes de
calculs « d’avance ». « Ces préparations
préliminaires doivent s'étendre à toutes les parties
de l’arithmétique politique ». En rapprochant son
De la Richesse territoriale du royaume de France
son mémoire sur l’organisation du Trésor public*,
on mesure donc que l’auteur défendait une gestion
véritablement publique des finances. Cependant,
comme ses collègues, il buta sur la question
essentielle des liquidités du Trésor Condorcet
suggéra un compte a la caisse d’Escompte, tandis
que Lavoisier admit que le recours aux assignats
était bien utile pour couvrir ou le retard de recettes
ou l'accélération des dépenses Stigmatisé comme
traître en 1794. Lavoisier fut guillotiné lors de la
Terreur à Paris le 8 mai 1794. à l'âge de 50 ans. M -
L L
Voir Comptabilité nationale. Ferme générale.
Produit brut/produit net. Trésorerie nationale
Sources: Lavoisier A L (1774). Perrot J.C. (éd ).
Lavoisier, De la Richesse territoriale du royaume
de France. Paris. Cl HS. 19X8 Œuvres complètes
d'Antoine Lavoisier en ligne, publié sous la
direction de Pielro C'orsi et Patrice Bret. Paris.
CRHST-CNRS. 2003. De la situation du Trésor
public (1997)
Bibliographie : Arkhipoff O., « A propos d’un
bicentenaire : Lavoisier, De la Richesse territoriale
du royaume de France », Journal de la Société de la
Statistique de Paris, 1, 1990, p. 37. Arkhipoff O.,
« Une révolution dans la Révolution : Condorcet,
Lavoisier et Peuchet », in Faccarello G. et Steiner
P. (1990). Klotz G. (1994). Perrot J.C., «Les
comptabilités économiques de Lavoisier » in Martin
T. (2003).
Lettre de change
Effet de paiement utilisé dès le Moyen Âge entre
négociants et adopté par les comptables publics. La
pratique de la compensation* engagea très tôt les
cités italiennes à recourir au service d’une banque
de scritta qui réglait en compte courant ses rapports
tant avec l'assignant qu’avec l'assignataire. Venise
adopta le mode de paiement par compensation en
usage aux foires de Champagne : « Par accord, un
débiteur (assignant) donne à son créancier*
(assignataire) un tiers comme nouveau débiteur
(assigné) ; l'assignant se trouve être le créancier du
tiers assigné, et l'assigné peut être créancier de
l'assignataire. On réalise alors entre les parties la
compensation (scontro)». L'opération peut se
poursuivre et entraîner d'autres personnes:
«Souvent un assigné devient à son tour assignant et
ordonne à un autre sujet (un second assigné)
d’exécuter en faveur de l’assignataire originel ; ou
encore un assignataire devient à son tour
assignant..., et ainsi de suite jusqu’à ce que,
spécialement en foire, l’assigné voyageur trouve un
partenaire avec lequel il réalise la compensation ».
Or cette pratique était facilitée à Venise, comme
dans toutes les grandes places commerciales du
Moyen Age, par la fréquente rencontre des
marchands au Rialto, le centre des affaires, à
certaines heures du jour quand changeurs et
banquiers ouvraient leurs tables. Ici intervenait le
second élément du mécanisme des scontri : la
banque de scritta qui réglait en compte courant ses
rapports tant avec l'assignant qu’avec l'assignataire.
Quand débiteur et créancier se présentaient
ensemble à la banque, que le premier ordonnait
d'écrire une somme au crédit du second, par un
transfert de compte à compte, la banque, si elle
acceptait, était assignée par le débiteur au créancier
et s'engageait à tenir la somme inscrite à disposition
du créancier assignataire, pour un transfert ultérieur
au crédit d'autres comptes.
Quand la banque intervenait dans les paiements de
marchandises sur la place, les deux parties
intéressées ne pouvaient plus être présentes pour
donner l'ordre verbalement, il fallait donc un ordre
écrit pour effectuer ailleurs le paiement ou
matérialiser sa promesse. "La differentia loci è
differentia pecuniae", elle obligeait à fixer un
rapport de change entre les deux monnaies, celle
présente à Venise et celle qui était absente. "La
differentia locis è differentia temporis" qui obligeait
à fixer un ternie à l'obligation qui venait à échéance
ailleurs. Or une opération fréquente mettait en jeu
ces deux conditions de la différence de lieu et de
l'écart dans le temps, le change, plus exactement le
contrat de change par lequel un preneur recevant de
l'argent s'engageait à rembourser, ailleurs, au
donneur, en une autre monnaie, et émettait une
lettre garantissant l'exécution du contrat. La lettre
engageait quatre partenaires par le mécanisme des
assignations : « Le preneur de la valeur, en qualité
de tireur, adresse la lettre à un tiers (tiré), pour qu’il
la paye ; le donneur de la valeur, en qualité de
bailleur, envoie la lettre à une quatrième personne
(bénéficiaire) pour qu’il en reçoive la contre-
valeur ». La lettre de change n'avait pas pour objet
principal de payer des marchandises, elle était
simplement « un ordre de payer une certaine
somme en un certain lieu, laquelle correspondait à
une autre somme reçue en un autre lieu ». Comme
telle, elle était utilisée comme instrument de crédit
pour obtenir du capital à des conditions
avantageuses, ou pour investir avec sécurité. Le
preneur trouvait en effet de l'argent présent sur la
place, le donneur se pourvoyait de monnaie absente,
c'est-à-dire présente sur l'autre place. Le
mécanisme, avec ses délais - un mois au total, 10
jours à l'aller, 20 jours au retour - et ses usages (à
l'usance) fonctionnait parfaitement entre Florence
et Venise au 14e siècle, Venise était la place
créditrice qui donnait le « certain » : « Venise
donne à Florence 1 livre (vénitienne) pour tant de
livres de Florence », tandis que Florence donne
1' « incertain » : « tant de livres de Florence pour 1
253
 livre de Venise ». Dans les changes, il faut en effet
considérer la monnaie présente (sur la place), elle
constituait la valeur (valuta) du change ; mais pour
exprimer le prix du change, il faut considérer la
monnaie choisie comme objet du contrat. La
spéculation jouait alors moins des rapports de parité
monétaire entre les deux livres de Venise et
Florence que de la dénivellation des cours de
change de la monnaie vénitienne sur chacune des
places. Ainsi, dans un accord entre un marchand de
Venise, qui avait vendu de la laine à la filiale de la
société florentine Duccio di Banchello, et Piero
Gradenigo qui lui avait été assigné comme payeur,
figure un cours au jour le jour du change : « valent
les gros ce jour [9 octobre 1338] livres 14 sous 15
et 1/2 de Florence la livre de gros de Venise ».
Comme les livres étaient tenus par la filiale
vénitienne de la maison florentine, on voit opérer
les banquiers florentins qui, pour se procurer de
l'argent à Florence, recouraient à la lettre de change.
La maison mère vendait par conséquent la livre de
gros vénitienne à un certain prix en émettant des
traites sur sa filiale à Venise, laquelle à son tour,
pour se procurer de l'argent, utilisait les contrats de
change avec Florence, en achetant la livre de gros à
un certain prix et en émettant des traites sur la
maison-mère. L'opération était en ce cas conduite
par les marchands-banquiers florentins, mais c'était
Venise qui donnait le certain et la maison-mère de
Florence qui supportait le coût de l'opération. Or
Venise par sa puissance commerciale et financière
au XlVe siècle parvenait à pratiquer le même jeu
avec bien d'autres places et constituait une foire
internationale permanente. J-C. H.
Voir Compensation, Effet de paiement
Bibliographie : De Roover R., L'évolution de la
lettre de change, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, 1953.
Lettre de décharge
Cette lettre permet à celui qui la possède de se faire
payer chez le receveur particulier qui en a reçu
l'ordre. Ce receveur en tient compte dans sa
comptabilité par un chapitre de la dépense intitulé
« dépense par lettre de décharge ». Dans les
territoires espagnols, le ternie usité est libranza, le
mot asignacion étant beaucoup plus rarement
employé. A.D.
Voir Assignation, Reçu
Lettre d’état
Lettre que les Trésoriers de France, juges de la
ligne de compte*, adressaient aux comptables situés
dans le ressort du Bureau de finances* dont ils
avaient la charge pour leur demander de corriger
leurs états au vrai*. Chaque année, les Bureaux
procédaient en effet à la vérification de ces états en
les rapprochant avec les acquits* et inventaires*. Ils
rayaient régulièrement des dépenses et
transmettaient au comptable concerné des « lettres
254
d’état», puis envoyaient ces états corrigés à
Versailles, au « bureau de la vérification des états
au vrai » attaché au Conseil royal des finances. M.-
L. L.
Voir Bureau des finances, Etat au vrai
Ligne de compte
C’est la somme qu’on tire en une marge blanche
qu’on laisse exprès au côté d’un compte. Elle
contient en chiffre romain la partie couchée au long
dans l’article qui y répond. Dans le calcul*, on ne
regarde que ce qui est tiré en ligne de compte. Les
Trésoriers de France ne sont juges que de la ligne
de compte, ils n’ont point de juridiction
contentieuse. M.-L. L.
Voir Calcul, Colonne
Sources : Dictionnaire de Trévoux, (1771), t. II,
p. 759.
Liquidation
La liquidation est l’opération administrative qui
consiste à fixer le montant d’une dette ou d’une
créance afin d’établir l’ordonnancement*. La
liquidation s’inscrit logiquement après
l’engagement* (qui peut être exprès ou tacite) dans
le circuit financier. Longtemps elle se confond avec
la justification de l’ordonnancement. Les pièces
justificatives* servent alors autant à établir le
montant du mouvement financier (à sa liquidation)
qu’à garantir le comptable* de la régularité
financière du mouvement qui lui est intimé (au
contrôle) et corollairement à le décharger de sa
responsabilité.
Le 22 décembre 1776, Necker* fait adopter un
règlement « pour la liquidation des dettes et le
paiement des dépenses courantes de la maison de
Sa Majesté ». Il s’agit de contraindre
l’administration à liquider dans l’année les
engagements* financiers futurs et à opérer la
liquidation des arriérés dans les six années à venir.
Cet accent mis sur la liquidation vise à clarifier la
situation financière du royaume en limitant l’écart
entre la dette officielle, qui correspond aux
paiements* non effectués et la dette officieuse, qui
correspond aux dépenses engagées mais non
liquidées ou non ordonnancées. Il s’agit aussi
d’encadrer les retards dans la liquidation des
engagements* qui constituent des manœuvres
dilatoires préjudiciables au crédit public*.
L’ordonnance du 14 septembre 1822 intègre la
phase de la liquidation dans son dispositif. Elle
prévoit que les opérations de liquidation seront
consignées au sein de la comptabilité
administrative* des ministres (article 18) et que les
pièces ayant servi à la liquidation des dépenses de
matériel devront être fournies à l’appui des
ordonnances de paiement (article 10). On retrouve
bien la double vocation de la comptabilisation des
dépenses, établir leur bonne économie et assurer la
régularité des opérations. L’article 40 de 1789 s’élève à 227 985 716 livres, 10 sols, et 1
l’ordonnance du 31 mai 1838 vient définitivement denier, et se répartissent de la manière suivante :
établir la notion de liquidation qui correspond bien
à la preuve des droits acquis aux créanciers de Objet Montant (livres) %
l’État et englobe alors la liquidation administrative Aux frères du roi 28 364 211 1. 13 12,4
unilatérale (la revue* pour l’établissement de la s. 6 d.
solde des troupes ou la réception d’une décision de Dons, gratifications 6 174 793 1. 19 2,7
justice) et la liquidation contradictoire (réunion s. 10 d.
d’une commission pour solder un marché public*). Pensions et traitements 2 221 541 1. 13 0,9
Sur ce dernier point, au début du XIXe siècle, des s. 4 d.
commissions de liquidation se réunissent pour Aumônes 254 000 1. 0,1
établir le montant définitif des sommes dues aux Indemnités, avances, 15 254 1061. 12 6,7
munitionnaires de l’année qui a pris part à prêts, remplacements, s. 2 d.
l’expédition d’Espagne, les marchés Ouvrard. arrangements de
comptabilité
Voir Comptabilité administrative, Engagement, Acquisitions, échanges 20 868 8211. 2 9,2
Ordonnance de paiement, Ordonnancement, s. 9 d.
Ordonnateur, Pièces justificatives 5 825 000 1. 2,6
Affaires de finance
135 804 891 1. 59,6
Affaires étrangères,
Livre affaires secrètes des
Voir Grand livre, Registre postes et autres
0,8
Dépenses diverses 1 794 600 1.
Dépenses personnelles 11 423 750 1. 8 5
Livre de port du roi et de la reine s. 6 d.
Registre de douane*, soit du receveur des droits,
soit de son contrôleur, soit des préposés à la
Le Livre Rouge correspond ainsi, à près de 60%, à
vérification des marchandises. Les nations
la part non officielle du budget du ministère des
maritimes comme l’Angleterre* ont produit des
Affaires étrangères. Il n’est donc pas seulement le
milliers de livres de port dont 20 000 sont
registre des dépenses secrètes de la Cour. En 1793,
actuellement conservés, datant de 1565 à 1799. Le
la Convention transcrit et rend public l’intégralité
receveur inscrivait dans son registre la date (du
des trois registres du Livre Rouge. Les registres
paiement du droit), le nom, le tonnage et le port de
sont ensuite déposés aux Archives nationales. Ils
rattachement du bateau, le nom du capitaine, le nom
s’y trouvent toujours, conservés dans l’armoire de
des marchands et leur participation, la nature des
fer et enregistrés sous la cote suivante : AE/I/3/la.
cargaisons et le montant des droits auxquels elles
On peut également consulter les résultats du
étaient soumises, calculé à partir des tarifs en
dépouillement du Livre Rouge, effectué par le
vigueur.
comité des pensions en 1790, et la transcription
Voir Douane
intégrale ordonnée par la Convention en 1793, dans
les Archives parlementaires. Benoît Carré
Bibliographie : Hinton R. (1956), Mollat M.,
Comptabilité du port de Dieppe au XVe siècle,
Sources : Archives parlementaires, de 1787 à 1860,
thèse complémentaire, Paris, 1951.
lère série: 1789-1800, tome XIII, p. 176 à 260,
séance du 21 avril 1790 et tome LIX, p. 351 à 482,
Livre rouge séance du 28 février 1793.
Le Livre Rouge est le registre des dépenses secrètes
de la monarchie française au XVIIIe siècle. Il s’agit
Locher, Dominique de
en réalité de trois volumes in quarto, reliés en
Conseiller viennois envoyé avec Johannes
maroquin rouge (l’un des trois volumes est muni
Schwarzer* à Bruxelles pour superviser la réforme
d’une serrure). Son titre exact est Registre des
de la comptabilité entre 1783 et 1786. D’abord
ordonnances au porteur. Il enregistre les sorties de
fonds ordonnées par le roi. À la suite de chaque secrétaire aulique au département de Flandre à
Vienne, sous la direction du baron de Lederer, il y
ordonnance, on trouve ainsi le paraphe royal : un
« L » majuscule souligné. Le comité des pensions, était chargé de l’examen des comptes des Pays-
désigné par l’Assemblée nationale Constituante en Bas*. « Connaissant la langue et les branches des
janvier 1790, est parvenu à se procurer (non sans revenus belgiques et ayant quelques notions de la
difficultés) le registre du Livre Rouge contenant les bonne comptabilité, il est fort en état de concourir
paiements ordonnés entre le 19 mai 1774 et le 16 au but qu’on se propose », estimait-on en 1782. Il
août 1789. Le tout fut dépouillé par le comité puis reçut ses lettres de commissions le 8 septembre
achevé d’imprimer le 7 avril 1790. Le total des 1783. Sur place, il défendit ardemment la méthode
sommes enregistrées au Livre Rouge entre 1774 et comptable autrichienne : « Les connaissances en
255
 matière de comptabilité que des sujets allemands
peuvent apporter dans ce pays-ci leur feront non
seulement rendre d’excellents services à la chambre
mais ils pourront en même temps étendre ces
connaissances parmi les anciens employés de ce
département, leur inspirer le goût pour la
comptabilité, le calcul et le bon ordre ». Travailleur
infatigable entièrement acquis aux idées de Joseph
II, il laissa un remarquable journal sur sa mission. Il
procéda avec son collègue à l’évaluation des
revenus nets et bruts des Pays-Bas*, à la formation
des bilans des communautés. En outre, il revint à de
Locher de mettre en œuvre la réforme de la
Chambre des comptes* de Bruxelles en s’inspirant
de celle achevée à Milan : « Les écrits touchant la
réforme du gouvernement général dans la
Lombardie autrichienne m’ont parfaitement instruit
de l’intention de Sa Majesté ».
L'opus magnum du conseiller impérial fut sans
doute ce « plan de la composition de la chambre »,
mémoire très complet de 159 pages présenté le 3
août 1786. Ce plan avait pour objectif d’ôter à la
chambre « toute influence dans l’administration en
la mettant sur le même pied et dans les mêmes
tenues que celle de Vienne ». Comme à Presbourg
et à Milan, il orienta les compétences de la
Chambre des comptes vers le strict contrôle*
comptable en lui ôtant les tâches de gestion du
domaine* et d’enregistrement des actes. Elle devait
dorénavant se contenter de fournir à Vienne « les
tableaux et les journaux nécessaires pour la
connaissance de l’ensemble des finances de la
monarchie ». Le nouveau « bureau de
comptabilité* », qui finalement gardera le nom de
« Chambre des comptes* », devait embrasser toutes
les branches de revenus, c'est-à-dire non seulement
les revenus royaux, mais aussi ceux des
administrations municipales, des fonds de religion
et du clergé séculier et régulier, ainsi que les
revenus et dépenses des fondations pieuses. En
totalité, cela représentait, outre les 59 303 articles
de comptes déjà étudiés par l’ancienne Chambre, la
masse des comptes des douanes et des tableaux de
commerce, qu’on voulut lier ensemble, des abbayes
et couvents supprimés en mars 1783, des fondations
« qui comprendront encore les revenus et dépenses
pour l’éducation et l’instruction de la jeunesse », les
revenus et charges des évêchés, abbayes, chapitres,
cures d’âmes, chapellenies, couvents... et tous les
comptes des revenus municipaux. Locher prévit
huit bureaux, reflétant cette volonté d’inspecter
ordinairement l’ensemble des revenus des Pays-
Bas. Après concertation avec le président de la
chambre de Vienne, Karl von ZinzendorP, sept
départements furent finalement créés auxquels
Locher ajouta par la suite, durant l’été 1787, le
département VIII dit « bureau des ouvrages » et le
département IX chargé de liquider la masse des
comptes arriérés. Enfin, une attention toute
particulière fut portée au recrutement. De Locher
256
insista pour faire venir des employés capables
d’instruire les Belges sur la nouvelle comptabilité
Ce faisant, il répondait aux vues de Joseph II quj
avait estimé nécessaire en 1782 de « débarrasser la
Chambre des comptes de plusieurs individus qui
n’ont plus ou n’ont peut-être jamais eu les facultés
nécessaires pour être employés comme auditeurs ».
Il obtint notamment la nomination des auditeurs
Siccard (employé à la Kameralhauptbuchhalterei
de Vienne), Bongard (de la Bancohofhalterei), de
l’officiai Eberl (également du bureau central de la
comptabilité à Vienne), du directeur de l’hôtel des
monnaies, Wouters, tandis que l’ancien secrétaire
du comte de Cobenzl, Charlier, partit à Vienne pour
se mettre au fait de la nouvelle comptabilité et être
nommé conseiller maître dans la nouvelle chambre.
Sollicité de toute part pour des places, Locher resta
intransigeant sur la capacité des employés, donnant
un avis tranché sur chacune des requêtes reçues. En
tout, avec le greffe, la nouvelle chambre comprenait
1 directeur (Locher lui-même), 8 maîtres des
comptes, 16 auditeurs, 70 officiaux (Ingrossist), 2
greffiers, 4 messagers et 2 huissiers, soit 103
personnes. M.-L. L.
Voir Pays-Bas
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 185, f°s 90,
248, 409, 754, 784. AGR, Chancellerie aulique des
Pays-Bas à Vienne, 621, plan de Locher, 3 août
1783, f°109 v° ; Chambre des comptes (de Flandre
et de Brabant), cartons, 426, lettre de Kaunitz, 22
octobre 1785 ; Chambre des comptes, carton 427/1
et 427/2 : « Itinéraire de Messieurs les
commissaires de Sa Majesté de Locher et
Schwarzer depuis le 27 septembre 1783 au 21
juillet 1786»; Conseil général de gouvernement,
266. Protocole, département du conseiller de
Locher, 1787.
Bibliographie : Aerts E. (1988). Legay M.L. (2008).
Loi de finances
La loi de finances correspond au cadre de la légalité
budgétaire. Il s’agit au sens matériel de l’acte
juridique qui comprend la prévision et l’autorisation
des mouvements financiers tant en recette qu’en
dépense ainsi que d’autres dispositions financières.
A partir de la Révolution, qui marque la
formalisation de l’acte juridique, il faut un quart de
siècle au processus pour se stabiliser et passer d’une
« loi sur les finances » protéiforme à la « loi de
finances » presque telle que nous la connaissons
aujourd’hui.
Une loi annuelle sur lesfinances
L’absence de réunion des Etats généraux depuis
l’hiver 1614-1615 est une manifestation de
l’absolutisme de la monarchie française. Alors
qu’en Angleterre*, le pouvoir de lever de nouveaux
impôts est assorti de l’acceptation du Parlement, en
France, les monarques décident de l’évolution et de
la pérennisation des recettes* sans aucune
délibération. La seule obligation relève de
l’enregistrement de la volonté royale devant le
parlement de Paris qui, pour des raisons politiques,
devient un lieu d’opposition. Les tentatives de
réforme fiscales des ministres de Louis XVI s’y
heurtent au conservatisme de la noblesse et
poussent le roi à convoquer une réunion des Etats
généraux, dont on connaît les conséquences, au
printemps 1789. Les cahiers de doléances portés par
les représentants des trois ordres témoignent d’un
intérêt pour un retour au principe du consentement
de l’impôt, c’est-à-dire pour une autorisation
formelle de lever des contributions, délivrée par des
représentants de la Nation. A ce titre, le premier
décret du 17 juin 1789 (on dirait aujourd’hui une
loi) des Etats généraux autoproclamés « Assemblée
nationale », manifeste l’attachement des
représentants au principe d’une autorisation de
lever l’impôt. L’Assemblée « déclare, à l’unanimité
des suffrages, consentir provisoirement pour la
nation, que les impôts et contributions, quoique
illégalement établis et perçus, continuent d’être
levés de la même manière qu’ils l’ont été
précédemment ». Louis XVI admet alors que le
domaine financier relève des états généraux. La
déclaration des intentions du roi prononcée lors de
la séance du 23 juin 1789 démontre la conscience
que le souverain a de la situation, le lien est opéré
entre le vote de l’impôt et son corollaire évident en
matière de dépense. Si les recettes relèvent de la loi,
l’attribution des sommes correspondantes aux
départements ministériels c’est-à-dire les dépenses
en relèvent aussi. La Constitution du 3 septembre
1791 vient logiquement établir que « les
contributions publiques seront délibérées et fixées
chaque année par le corps législatif » (article 1er du
titre V) et que « les ministres sont tenus de
présenter chaque année au Corps législatif l’aperçu
des dépenses à faire dans leur département et de
rendre compte de l’emploi des sommes qui y étaient
destinées» (article 7, section TV, chapitre 2, titre
III). Dès lors, non seulement une loi sur les
finances contient les volets dépenses et recettes du
budget de l’État, mais le domaine financier relève
pratiquement de la loi et plus précisément de cette
loi.
Les lois sur les finances se succèdent, elles
témoignent de l’évolution des préoccupations dans
la gestion de l’administration et organisent
progressivement la présentation des comptes
prévisionnels (le budget*) ou le règlement définitif
des compte*. Les lois du 28 messidor an IV et du
15 frimaire an VI distinguent les dépenses
publiques selon leur nature et répartissent leur prise
en charge au niveau central, départemental,
cantonal ou communal. La loi du 22 thermidor an V
établit une distinction entre les dépenses ordinaires
et extraordinaires qui sera effective dès la loi du 9
vendémiaire an VI.
Dès lors, le principe juridique d’une loi annuelle sur
les finances est définitivement ancré dans l’ordre
juridico-financier. L’article 45 de la Constitution du
22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) le
confirme : « Le gouvernement dirige les recettes et
les dépenses de l'Etat, conformément à la loi
annuelle qui détermine le montant des unes et des
autres ». Cette obligation juridique est cependant
interprétée très largement par la Premier consul qui
multiplie les manœuvres portant atteinte au contrôle
parlementaire* dès l’an VIII : présentation tardive
de la loi sur les finances rendant illusoire la notion
d’autorisation, disjonction des recettes et des
dépenses rendant impossible l’appréciation de
l’équilibre* du budget*, multiplication des lois au
cours de l’année portant atteinte à l’unité* du texte
et donc à son intelligibilité. Pierre-François Pinaud
souligne ainsi une forme de passage à vide dans la
formalisation d’un ordre juridico-financier sous le
Consulat et l’Empire. Si la loi du 24 avril 1806
devient le budget de 1806, « celui de 1807 prend en
compte les exercices de l’an IX à l’an XIII. Pour
1808, il comprend l’exercice de l’an XIV-1806,
1810 revient sur l’an XI, enfin celui de 1813 revient
encore sur les exercices de 1801 à 1808 que l’on
pouvait croire définitivement clos ». Enfin,
l’Empire opère une distinction stricte entre les
finances ordinaires (soumises au corps législatif) et
les finances extraordinaires (réservées à
l’Empereur). La loi sur les finances, sous le
Consulat et surtout sous l’Empire, n’a en fait de loi
que le nom tant la délibération du corps législatif,
qui est de toute façon bien loin d’une Assemblée
parlementaire, est rendue pratiquement impossible.
De la loi sur les finances à la loi definances
Si le terme de « Restauration » désigne bien le
retour à la monarchie, le repositionnement du
Parlement au sein du système institutionnel établit
cependant une monarchie parlementaire. La Charte
du 4 juin 1814 confirme par son article 48 que le
domaine fiscal relève de la loi : « Aucun impôt ne
peut être établi ni perçu, s'il n'a été consenti par les
deux Chambres et sanctionné par le roi ». L’acte
additionnel aux constitutions de l’Empire s’inscrit
dans la même direction. Son article 35 dispose que
« aucun impôt direct ou indirect en argent ou en
nature ne peut être perçu (...) qu'en vertu d'une
loi ». Cette loi spécifique est dénommée loi de
l’impôt, conformément au titre III de l’acte
additionnel. Elle ne vise pourtant pas que la matière
fiscale puisqu’elle intègre deux éléments principaux
au-delà de l’autorisation de prélever l’impôt : un
document de prévision (le budget* général de
l’État) et un document d’exécution (le règlement
des comptes*). Très rapidement, la pratique va
dépasser l’ordre juridique et le texte va retrouver
son nom usuel de « loi sur les finances », c’est le
cas pour la loi du 25 mars 1817 et pour celle du 15
mai 1818. Cette dernière va intégrer à son article
257
 102 l’obligation pour le gouvernement de présenter
« une loi particulière, qui sera présentée aux
chambres avant la loi annuelle de finances ». Dès
lors, la distinction est faite entre la loi de
règlement* et la loi annuelle de finances. Pour
autant, les deux termes de loi de l’impôt et de loi de
finances vont cohabiter longtemps, mais le premier
n’aura plus qu’une signification stricte désignant
des textes juridiques contenant des dispositions de
nature fiscale. L’article 2 de l’ordonnance du 31
mai 1838 portant règlement général* sur la
comptabilité publique établit fermement que « les
recettes et les dépenses publiques à effectuer pour
le service de chaque exercice sont autorisées par les
lois annuelles de finances et forment le budget
général de l’État ». Le budget* en tant que compte
prévisionnel est donc bien intégré au sein d’une loi
annuelle de finances. Ailleurs dans l’ordonnance, le
texte est présenté sans mention de sa périodicité
pour devenir la loi de finances. S.K.
Voir Budget, Loi de règlement.
Bibliographie : Pinaud P-F. (1992).
Loi de règlement
Le processus de règlement définitif15 des comptes
(ou des budgets) est ancien et relève, à l’image des
états au vrai*, d’une tentative d’établissement a
posteriori de la réalité financière. La loi de
règlement est l’acte juridique, distinct de la loi de
finances* de l’année, qui intègre le règlement
définitif15 d’un budget* exécuté. La formalisation
de cette pratique au sein d’un acte législatif dépend,
dans un premier temps, de l’apparition d’un pouvoir
législatif identifiable et dans un second temps de
l’autonomisation de cet acte spécifique.
Le règlement du budget par la loi
La Révolution est, en France, le moment de la mise
en œuvre de la séparation des pouvoirs. Elle permet
l’apparition d’un pouvoir législatif dont la
compétence varie, mais qui se caractérise par la
capacité à donner valeur obligatoire à des actes
juridiques que l’on appelle des lois.
Très rapidement, l’Assemblée nationale demande la
communication d’un état général des dépenses qui
établisse les comptes exécutés. La loi du 2 août
1791 précisée par les décrets du 25 août et des 17-
29 septembre 1791, témoigne de cette volonté de
l’Assemblée d’apurer définitivement et par elle-
même les comptes de l’État. Les événements font
que ces textes ne seront jamais ni déposés, ni même
débattus et encore moins votés. La Constitution de
l’an III s’inscrit dans le mouvement de
formalisation et de transparence financière : les
commissaires de la comptabilité bénéficient de
pouvoirs renforcés. L’article 324 de cette
Constitution oblige ainsi les commissaires à
imprimer et à rendre publics les comptes qu’ils
auront arrêtés. Pour autant, cette publication ne
258
s’opère pas dans un cadre juridique autonome et les
lois « sur les » finances contiennent alors toute
sorte de dispositions financières, y compris celles
qui opèrent le règlement du ou des budgets
exécutés. Ainsi la loi sur les finances du 25 mars
1817 consacre-t-elle deux titres séparés à la fixation
des budgets antérieurs et en cours. Son titre II traite
de la fixation des budgets de 1814, 1815 et 1816 et
il ne fait aucun doute qu’il s’agit de tenter de fixer,
en la forme légale, ce que sont les dépenses
exécutées et non d’autoriser de nouvelles dépenses.
Le titre III de cette même loi est consacré à la
fixation du budget pour 1817 et se pose comme une
prévision et une autorisation, aussi sommaire soit-
elle. La même loi vient rappeler dans son article
148 la nécessité d’une présentation annuelle par les
ministres, aux Chambres, de leurs comptes.
Naissance, essor et déclin de la loi de règlement
Un an plus tard, l’article 102 de la loi de finances
du 15 mai 1818 va distinguer clairement la loi
annuelle sur les finances* de la loi de règlement
définitif du budget. La première conserve le champ
de l’autorisation et de la prévision là où la seconde
met en œuvre le droit de contrôle parlementaire*
des comptes de l’État. Les ultras se sont
évidemment opposés à ce qu’ils considéraient
comme un empiètement sur les prérogatives de la
Couronne. Le domaine financier ne pouvait pas,
selon eux, relever de la loi et ce sont les
administrateurs de l’Empire comme Daru et
Mollien* qui défendirent le texte à la Chambre,
expliquant que « le droit d’examiner et de contrôler
les dépenses de l’État tient nécessairement à celui
de voter les fonds destinés à y satisfaire ». Alors,
« les réalités sont mises en présence des
promesses ; ce sont les faits qui jugent les
prévisions ». Dès lors qu’elles sont distinctes, les
lois de règlement doivent être adoptées rapidement
après la fin de l’exercice comme l’exprime
Mollien* en 1834: «un des meilleurs gages que
toute comptabilité publique puisse donner de sa
fidélité envers tous ses devoirs, c’est de pouvoir se
présenter aux vérifications et contrôles qu’elle doit
subir, en étant presque encore en présence des faits
qu’elle a décrits ou du moins lorsque leur empreinte
est assez récente pour qu’il ne puisse s’élever sur
les chiffres qui les expriment aucun doute qu’il ne
soit facile d’éclairer ».
La première loi relative au règlement définitif des
budgets de 1815, 1816 et 1817 et à la rectification
provisoire de celui de 1818 est adoptée le 28 juin
1819. L’important, pour le Parlement, consiste à
obtenir une délibération avant la loi annuelle sur les
finances de l’exercice* à venir. Ainsi, la loi relative
à la fixation du budget des dépenses de 1819 sera
adoptée le 19 juillet 1819 soit presque trois
semaines après le règlement définitif du dernier
exercice* clos. Cette nouvelle étape dans la
procédure budgétaire permet bien de renforcer le
contrôle parlementaire sur la dépense publique
comme le note Luc Saïdj : « la loi de règlement
intervenait, au moins sous la Restauration, avant la
loi de finances annuelle, de façon à servir de base à
la discussion du budget suivant, ce qui ajoutait à la
fonction de contrôle un fonction d’aide à la
décision ». C’est ainsi que lors du règlement de
l’exercice de 1830 une partie des dépenses fut
rejetée, exprimant la défiance du Parlement à
l’égard du dernier gouvernement de Charles X. Au-
delà de la carrière politique de Montbel, dernier
ministre des Finances de la Restauration condamné
à mort par contumace, les Trois Glorieuses
altérèrent durablement le chaînage budgétaire
vertueux créé en 1818. Le règlement du budget de
1828 n’intervint pas en 1830, mais le 29 janvier
1831. Par la suite, ce ne sont plus deux, mais trois
ou quatre années qui séparèrent l’ouverture de
l’exercice et l’acte juridique de sa clôture. La guerre
de 1870 porta un coup funeste à la loi de règlement
qui en fut véritablement une « victime collatérale ».
Le retard pris dans le règlement définitif des budget
passa alors à six ou sept ans, puis à plus de dix ans
jusqu’au tournant du XXe siècle. S.K.
Voir Budget, Contrôle parlementaire, Loi de
finances, Règlement définitif
Bibliographie : Bonnafons J. (1947). Conan M.,
« La loi de règlement, victime collatérale de la
guerre de 1870 », La mise en place du système
financier public, 1815-1914, élaboration et
pratique du droit budgétaire et comptable au XIXe
siècle, Paris, CHEFF, 2010. Saïdj L., «La loi de
règlement et le développement du contrôle
parlementaire de la Restauration à nos jours »,
RFFP, n°51, 1995, p. 171-186.
Loterie
Les loteries se sont considérablement développées à
partir du XVIe siècle dans toute l’Europe, à Gênes,
patrie de naissance du lotto, à Florence, à Venise*,
mais aussi dans les Pays-Bas* et dans les grandes
monarchies. Les Etats ont cherché à contrôler leurs
activités avant de les institutionnaliser et d’en tirer
directement profit. Pour financer des opérations
ponctuelles d’abord, ils ont organisé des loteries-
emprunts (le joueur consent à placer son argent à un
intérêt plus faible dans l’espoir d’un lot en sus de
cet intérêt) : les premières loteries publiques en
Angleterre* (1694) ou en Autriche* (1707) sont des
loteries à rentes* (par opposition aux loteries à
lots). Puis les loteries publiques deviennent
permanentes grâce à la maîtrise des calculs de
probabilités. Ceux-ci offrent l’opportunité de
recourir à cet expédient financier de façon continue,
à raison de plusieurs tirages par mois. Les
combinaisons popularisées par le vénitien Giacomo
Casanova (1725-1798) et les frères toscans
Calzabigi, sont adoptées par la plupart des loteries
publiques, à Vienne dès 1751, à Paris en 1757, à
Bruxelles en 1760, à Berlin en 1763. Ces loteries
étaient dénommées « loto de Gênes » ou « loterie
génoise » parce qu’elles étaient le plus souvent
proposées par des marchands-banquiers venus de
cette ville comme les frères Brentani présents à
Vienne et à Munich, ou le marquis Nicolo de Crosa
également actif à Vienne et fermier du lotto de
Pologne à partir de 1768. Les loteries étaient soit
affermées (Prusse*, Angleterre*, Autriche*,
Pologne), soit administrées en régie* (France*,
Pays-Bas*). En France*, la première loterie
publique française est organisée par François Ier en
mai 1539. Il autorise le tirage de « blancques »
(« bianca » à Venise, par référence au cri du facteur
qui annonce le jour du tirage si le billet porte un lot
ou s’il est « blanc » et sans écriture) dans toutes les
villes du royaume. Une loterie royale fut encore
tirée le 1er décembre 1660 (à l’occasion du mariage
de Louis XIV) sur ce principe élémentaire de la
blancque, mais à partir de 1700, les loteries
publiques se diversifient : loteries avec création de
rentes viagères ou de tontines, loteries de
remboursement pour tenter d’amortir la dette
publique, loteries-emprunts à partir de 1743... Leur
multiplication fait germer l’idée d’une
centralisation de leur gestion. Dès 1724, sous
l’influence de Paris*-Duvemey, la Compagnie* des
Indes reçoit le privilège exclusif des loteries,
préfigurant l’unification de 1776. Cette année-là, un
arrêt du conseil d'État du 30 juin supprima toutes
les loteries particulières et en créa une sous la
dénomination de « loterie royale de France » à
raison de deux tirages par mois. Inspirée d’une
loterie créée en 1757 (arrêt du 15 octobre) pour la
construction de l’Ecole militaire, elle fut organisée
sur le principe du lotto de Gênes. La régie* de la
loterie royale fut installée dans les anciens locaux
de la Compagnie des Indes, rue Neuve-des-Petits-
Champs. Douze régisseurs, ramenés à six l’année
suivante, y supervisaient 189 employés, dont 14
commis pour le bureau des comptes. Un receveur
général* dirigeait la caisse* centrale sur laquelle le
roi disposait d’un fond réservé pour des grâces
particulières et des secours de charité. Sur ce fond,
le receveur expédiait des bons de caisse par
anticipation*. A côté de la caisse centrale, une
caisse de garantie recevait les cautions des
administrateurs. La diffusion des billets était
assurée par un réseau de receveurs rémunérés à
hauteur de 4% de la recette brute. Le produit des
loteries rapporta 10 734 077 livres en 1788.
L’exploitation de la régie* souffrit cependant,
comme les autres institutions financières, du retard
de versement de ces receveurs. La concurrence de
la loterie génoise de Bruxelles, qui accordait des
primes plus fortes que celle de Paris pour avoir la
préférence, joua peut-être un rôle également dans le
déclin des recettes, évaluées à 8 millions en 1792.
A cette époque, la comptabilité et la vérification des
états au vrai* de l’administration de la loterie
259
 relevait d’un « bureau de surveillance » qui veillait
à la rentrée des fonds, à leur versement au Trésor
public*, à ce que les comptables fournissent leurs
cautionnements aux époques fixées et qui projetait
les états de distribution des secours assignés par le
gouvernement sur les fonds de la loterie. Une loi du
25 brumaire an II mit fin à l’activité de la loterie
royale. Une autre loi du 9 vendémiaire an VI la
rétablit « sur les bases et combinaisons qu’elle avait
à l’époque de sa suppression. Les receveurs de
chaque arrondissement furent alors soumis aux
tournées d’inspecteurs chargés de vérifier leurs
registres et leurs caisses. L’institution survivra
jusqu’en 1836.
Les comptes des loteries étaient volumineux à cause
de la multiplicité des écritures que nécessitait le
suivi des tirages. A Bruxelles, on calcula dans les
années 1780 que chaque tirage exigeait 6 000 lignes
d’écriture à chaque bureau ; 30 tirages et 12
bureaux formaient par conséquent dans le journal et
le grand-Livre* la somme énorme de 2 160 000
lignes d’écriture. La loterie publique de Bruxelles
en vint donc à délaisser la comptabilité en partie
double*, utilisée entre 1752 et 1770, au profit d’une
comptabilité simple* qui, en se passant de la tenue
du journal* général, n’en apparaissait pas moins
exacte : « la suppression du journal général n’a rien
enlevé à la précision de la comptabilité. Le grand-
Livre* doit être parfaitement d’accord avec les
livres auxiliaires, ceux-ci avec les rapports et les
journaux* des comptables à la perception.
L’omission* d’une seule partie est impossible, elle
se découvriroit par les comparaisons ». Auparavant,
il fallait près de sept ans pour clore* le grand-
Livre* et les administrateurs devaient se contenter
de bilans approximatifs, alors que le gain
d’écritures fait à partir de 1770 (72 000 lignes au
lieu de plus de 2 millions) rendit possible la
présentation d’états mensuels* authentique et la
clôture* du grand-Livre* dans l’année. Les comptes
des loteries étaient examinés par les Chambres des
comptes. A Vienne, deux officiers du bureau de
comptabilité* (Kameralhauptbuchhalterei) se
déplaçaient chaque année à l’hôtel de la loterie
génoise pour apurer toutes les parties du grand-
Livre*, les livres auxiliaires, le journal de caisse*
« qui est l’objet principal de révision » et quelques
paquets de listes de mises qui se prenaient au
hasard. A Bruxelles, la régie* resta sans véritable
contrôle jusqu’au décret du 31 décembre 1783 qui
donna mission à la Chambre des comptes
d’examiner les comptes de la régie.
Les frais de gestion des loteries étaient élevés. A
Paris, ces frais montaient à 30 % de la recette brute
pour l’exercice 1782-1783, hors appointements,
mais frais de remise* compris. A Bruxelles, ils
montaient à 38 % du revenu brut pour l’exercice
1781, frais de remise* inclus. Pour cette raison,
Joseph II voulut calquer la régie de Bruxelles sur la
ferme* de la loterie génoise de Vienne. Le contrat
260
passé avec les fermiers dans la capitale des
Habsbourg spécifiait en effet que les 4/5e du profit
des loteries devaient être versés au Trésor
autrichien, leur bénéfice se réduisant à 1/5C. Les
fermiers avaient à leur charge les frais de régie* et
de comptabilité : leurs employés, qui prêtaient
néanmoins serment devant la Chambre des
comptes*, vérifiaient dans le détail toutes les mises.
En 1785, la régie* de Bruxelles devint donc une
ferme* par l’octroi du 5 septembre. Sa comptabilité
fut placée sous la surveillance de la Chambre des
comptes* qui obtint le contrôle sur toute
l’administration et l’exploitation de la loterie, y
compris les directives des fermiers à leurs receveurs
et collecteurs. Un tiers des bénéfices nets devait être
versé à la Recette générale des finances*. Comme
en France, la loterie royale fut éteinte en juillet
1794, pour être réactivée sous le nouveau régime.
M.-L. L.
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf 185, f° 287
(mémoires concernant Bruxelles et Vienne). AGR,
Loterie dans les Pays-Bas autrichiens, 158 n°\ AN,
série G4 1 à 8. Delamare N., Traité de la police,
article «Loterie», Paris, 1699, t. 1, p. 470.
Talleyrand-Périgord C.M. de, Des Loteries, Paris,
Barrois, 1789. Réflexions sur le système de la
loterie royale de France... Signé L.-A. de
Gourbillon-Diancourt, 1821. Merlin P.A., t. X, 5e
éd. (1827), p. 256.
Bibliographie : Altabella J., La loteria nacional de
espana (1763-1963), Direccion General de Tributos
Especiales, Madrid, 1962. Belmas E., Jouer
autrefois. Essai sur le jeu dans la France moderne
(XVIe-XVIIIe siècles), Paris, 2006. Cohen J., « The
element of lottery in British govemment bonds,
1694-1919 », Economica, 20/79, 1953, p. 237-246.
Garvia R., « Las loterias espanolas desde una
perspectiva comparada : unos datos y una
hipotesis », in Hacienda Publica Espagnola, 145,
1998, p. 27-41. Handelsman J.A., La loterie d’Etat
en Pologne et dans les autres pays en Europe,
Paris, 1933. Léonnet J., Les loteries d'État en
France aux 18e et 19e siècles, Paris, 1963. Mensi
F. von (1890), p. 424-430. Munting R., An
économie and social hitory of gambling in Britain
and USA, Manchester-New York, 1996. Parker G.
(1983). Raven J., «The Abolition of the English
State Lotteries », The Historical Journal, 34 2,
1991, p. 371-389. Saurer E., « Sehnsucht nach
Reichtum. Das Zahlenlotto in Ôsterreich », in
Bericht über den 16. ôsterr. Historickertag in
rKrems an der Danau, Vienne, 1985, p. 229-240.
Warschauer O., Lotteriesstudien, Berlin, 1912.
Zollinger M., « Verkauf der Hoffnung. Das
Zahlenlotto in Ôsterreich bis zu seiner
Verstaatlichung 1787 : wirtschafts-und
finanzpolitische Aspekte », in Strejcek G. (éd.),
Lotto und andere Glücksspiele. Rechtlich,
ôkonomisch, historisch und im Lichte der
Weltliteratur betrachtet, Vienne, 2003, p. 127-150. Sources : Ordonnances, édits, déclarations...
(1728). BNF, coll. Clément de Boissy, Ms. Fr.
7698-7701: Recueil formé par de Loffroy sur les
Maître des comptes
matières qui se traitent en la Chambre des comptes.
C’est un magistrat des Chambres des comptes*. Ces
Guyot J.-N. (1775-1783), t. 8, p. 14.
officiers étaient à proprement parler les juges des
Bibliographie : Jassemin H. (1933). La Cour des
comptes qui s’y rendaient. À la séance, le président
Comptes (1984). Prévost D., « Maître des comptes
du bureau remettait la liasse avec les acquits* à l’un à Paris au XlVe siècle : un couronnement de
des maîtres, le compte de l'année précédente à un
carrière », Etudes et documents, vol. 9, CHEFF,
autre et le bordereau* à un troisième, afin de statuer
1997, p. 3-21.
définitivement sur tous les points litigieux et
irrégularités relevés lors de l'audition* du compte.
Les décisions étaient prises à la pluralité des voix et Malchus, Cari August von (1770-1840)
mentionnées en marge du bordereau qui était daté et Homme d’Etat et écrivain spécialiste des sciences
financière et administrative, originaire de
signé à la clôture du compte par l’un des maîtres et
Mannheim. Son père était l’intendant et maître des
le président. Outre ce travail principal, les maîtres
bâtiments du duc Charles de Zweibrücken. Féru de
des comptes remplissaient d’autres missions. Ainsi,
lectures, Malchus se nourrissait seul d’ouvrages
ils étaient les rapporteurs des déclarations, édits et
techniques, historiques et géographiques, lisait
lettres patentes émanant du roi qui étaient présentés
abondamment la presse dont il faisait la revue à son
à l’enregistrement et généralement de toutes les
père, occasionnellement au duc. Il fréquenta le
autres affaires qui se traitaient dans leurs
lycée de Mannheim à partir de l’automne 1785. Il y
juridictions, à l’exception des requêtes d’apurement
organisa rigoureusement son travail, confirmant son
qui incombaient aux auditeurs des comptes. Ils
goût pour l’étude au détriment de la fréquentation
étaient souvent nommés pour s’occuper des
de ses camarades de jeunesse. En 1787, il rejoint
évaluations du domaine royal*, de l’apposition et
l’Académie de Heidelberg, où enseigna J. H. Jung*
de la levée des scellés chez les comptables décédés
et, encouragé par le duc, il approfondit ses
ou en faillite, ainsi que de l’inventaire et de la vente
connaissances des sciences camérales, mais aussi de
de leurs biens. Ils étaient chargés d’enregistrer les
la diplomatique. Avant même d’avoir achevé sa
fois et hommages, aveux et dénombrements dus au
formation académique, il reçut l’offre
roi. Ils procédaient à des informations ordonnées
d’accompagner le comte de Westphalie, nommé
par la compagnie tant à l’égard des candidats qui
ministre d’Etat à Mayence, puis à Coblence et
postulaient dans ses charges que des comptables. Le
Bonn. C’est donc comme secrétaire qu’il eut un
plus ancien dirigeait les séances du bureau en
premier aperçu du traitement pratique des affaires
l’absence d’un président.
dans l’Europe en guerre. Au début de 1799,
Au début du XIVe siècle, la Chambre des comptes
Malchus fut choisi par le chapitre cathédral de
de Paris avait quatre maîtres clercs et trois maîtres
laïcs. L’effectif se multiplia avec le temps pour des Hildesheimer comme secrétaire, représentant
juridique et actuaire du Trésor (Schatzactuar). Ses
raisons liées à l’extension du royaume, à
nouvelles fonctions donnèrent lieu à des écrits sur
l’augmentation du nombre de comptables et au
la matière financière, jusqu'à ce que la
développement de la vénalité de charges. C’est
sécularisation des biens ecclésiastiques (1 août
ainsi que par suite des créations d’offices
1802) donna une nouvelle direction à son travail. Il
successives le nombre des maîtres des comptes fut
fut désigné en effet comme membre d’une
porté de douze à soixante dix huit officiers entre
commission spéciale chargée de l’exécution des lois
1511 et 1778; la moitié servait le semestre de
sur la suppression des couvents et fondations,
janvier et l’autre le semestre de
commission dans laquelle il s’illustra de nouveau
juillet. Corrélativement, on observe un
rehaussement progressif des prix de ces offices. À par ses compétences. En juillet 1803, il devint
conseiller à la chambre de la guerre et des domaines
la fin du XVIe siècle, on pouvait devenir maître des
de Halberstadt. La bataille d’Iéna remit sa carrière
comptes pour 20 000 livres. Puis une inflation
en cause et c’est comme conseiller d’Etat auprès du
générale des prix des offices se produisit après
nouveau ministre des finances von Bülow, dans le
l’introduction du droit annuel en 1604. En 1658-
royaume de Westphalie devenu français, qu’il
1661, l’office de maître des comptes se négocia
poursuivit son ascension (9 janvier 1808). Il revêtit
entre particuliers entre 160 000 et 200 000 livres.
les fonctions de directeur général des impôts,
Les mesures prises par Colbert* aboutirent à
liquidateur général de la dette publique* et directeur
contrecarrer la spéculation, en fixant les prix des
de la caisse d’amortissement. Il bénéficia de la
offices des cours souveraines par la déclaration de
confiance de Jérôme Bonaparte, remplit des
décembre 1665. Alors, la valeur de la charge de
missions spéciales à Berlin et à Paris. Il succéda à
maître des comptes fut réduite à 120 000 livres.
Bülow à la tête du ministère des finances (1811),
N.P.
mais aussi du ministère de l’Intérieur (1813). Il
Voir Chambre des comptes, Jugement
261
publia en 1814 Sur l’administration des finances du
royaume de Westphalie.
A la chute du royaume, Malchus accompagna le
souverain déchu à Paris, puis retourna en
Heidelberg et reprit ses études jusqu’à sa mort, à
l’exception d’un service actif comme chef des
finances du Wurtemberg en 1817. Deux écrits
furent unanimement salués pour leur clarté
d’exposition: Die Organisation der Behôrden fur
die Staatsverwaltung (1821) et Politik der inneren
Staatsverwaltung (1823). Ils constituent de
véritables traités d’administration, contribuent à la
fonnation d’une science administrative, tandis que
son ouvrage de 1830, Handbuch der
Finanzwissenschaft und Finanzverwaltung, sur les
organisations financières, les comptes, le contrôle
des comptes donnaient des vues nouvelles,
techniques et pratiques, plus complètes que celles
des traités classiques d’économie financière, sur
l’art de diriger les finances. Le premier volume du
manuel est consacré en effet à l’exposition de la
science financière, tandis que le second traite de
l’administration des finances en sept sous-parties :
Malchus donne d’abord des indications générales
sur l’ordre des finances et sur leur administration,
puis sur les dépenses de l’Etat, sur les budgets
(décomposés en états*), sur l’ordonnancement et le
contrôle des affectations*, sur les caisses*, sur la
comptabilité des finances publiques et enfin sur
l’organisation des autorités financières. Malchus
cite de nombreux ouvrages dans son manuel, plus
particulièrement les auteurs allemands comme
Eschenmayer, Kieschke avec lequel il débat de
l’utilité de la caisse centrale, ou Feder, mais il
connaît également la législation française la plus
récente et mentionne les Mémoires de Gaudin*,
ouvrage publié en 1826. M.-L. L.
Voir Contrôle, Etat
Bibliographie : Neue Deutsche Biographie, t. 15
(1987), p. 724-725.
Malversation
Voir Fraude
Mandat
En termes généraux, le mandat est l’instrument
juridique qui permet de confier à un tiers la gestion
de biens appartenant à autrui. Dans la comptabilité
publique, il s’agit d’un ordre de paiement* sur une
recette ou une caisse donnée. Ces ordres de
paiement portaient le nom de mandati ou polizze
dans les Etats italiens, Anweisungen dans les
territoires germaniques, mandements ou
ordonnance le plus souvent en français, warrants en
Angleterre. On peut également trouver le mot
« livrance ». Les dépôts d’archives européens sont
pleins de ces registres de mandats qui servaient de
pièces pour le contrôle du trésorier. Ces ordres sont
parfois très courts, comme ce mandat du 20
262
décembre 1631 tiré sur la Trésorerie générale de
Savoie :
« Mandat du contrôleur des guerres Castagnery au
Thrésorier général Louis Roglia de payer D. 60
[60 ducatons] au sieur Félix, ingénieur ordinaire
de SAS. Pour a bon compte ».
Ils sont parfois beaucoup plus longs quand
l’ordonnateur doit justifier plus avant le paiement et
qu’il craint que la Chambre des comptes* ne le
reçoive au moment de la vérification de cette pièce.
Ainsi apparaît-il que, bien souvent, le duc de Savoie
dut user de sa souveraine volonté par lettres de
jussion à la Chambre des comptes de Chambéry
quand celle-ci refusait de vérifier et passer l’ordre
prescrit sous divers prétextes. A titre d’exemple, le
contrôleur général de la Chambre des comptes de
Savoie fit difficulté en 1648 pour passer* le
mandement de Christine, duchesse de Savoie, au
trésorier Champroux de payer à deux banquiers de
Turin la somme de 100 ducatons pour perte sur le
change, sous prétexte que cette perte n’était pas
établie ; la chambre adopta un arrêt de refus; le duc
Charles Emmanuel dut intervenir. L’étude des
conflits entre le souverain-ordonnateur et la
chambre révèle que celle-ci répugnait aux
paiements extraordinaires ordonnés hors des
« bilancins » (état prévisionnel des recettes et
dépenses) et aux gratifications allouées pour
« service rendu » à des financiers.
L’un des progrès fondamentaux de la comptabilité
publique consista à limiter les ordres de paiement
par reçu provisionnel, en ordonnant aux trésoriers
de ne rien payer sans un mandat préalable du
comptable de son administration, et d’ordonner à ce
dernier de délivrer un tel mandat en tirant dans le
même temps la quittance* du Trésor central. Cela
supposait un degré d’avancement important de la
centralisation administrative. Dans un tel système,
le mandat est un ordre interne à l’administration, et
non plus un ordre de l’ordonnateur. Le registre de
mandats du comptable, rapproché du registre de
caisse, permettait alors de déceler les fraudes*
internes à une institution financière publique ou
semi-publique. En Angleterre, ces mandats
apparaissent dès le milieu du XVIIe siècle comme
une procédure de contrôle interne au Trésor. Au
début de chaque règne, le roi signait une délégation
générale autorisant le Treasury Board à faire payer
les diverses dépenses des services du gouvernement
sur les caisses de l’Echiquier par mandats du Trésor
(Treasury warrants) signés des Lords
commissioners. Ces mandats étaient adressés à
l’auditeur* de la recette établi auprès de
YExchequer of Receipt, et lui demandaient de
préparer une ordonnance {order) pour le montant de
la somme indiquée. Ce dernier faisait rédiger
l’ordonnance, qu’il certifiait et l’envoyait, avec le
mandat du Trésor, aux lords commissioners qui
paraphaient ces documents avant de les lui
retourner. A la suite de ces formalités, les services
du Trésor préparaient une Letter of Direction qui
indiquait à l’auditeur de la recette la manière de
procéder au paiement, cela à des fins de contrôle
comptable. En fonction des fonds disponibles, une
ordonnance de paiement* pouvait être payée sur les
fonds d’une ou de plusieurs recettes ou,
inversement, plusieurs mandats du Trésor assignés
sur le produit d’une seule et unique recette.
Dans le royaume de Piémont-Sardaigne, le conseil
des finances* tente de même d’imposer dans les
années 1780 aux caissiers de n’accepter aucun
paiement sans la préalable présentation du
justificatif de la destination des fonds par leurs
comptables subordonnés au Trésor de Turin. En
France, le terme mandat désigne aussi une
opération d’ordre intérieur au Trésor royal à cette
époque. L’adoption de ce type de mandat est
établie avec la réforme du Trésor royal de mars
1788 (article 5). « On s’est attaché en général dans
le système actuel d’organisation du Trésor public à
ce que toute opération fut faite et fut par conséquent
contrôlée; ainsi par exemple, toute dépense se fait
d’abord en mandat délivré par le premier commis
de chaque département; elle est ensuite réalisée, en
espèces ou en assignats par le caissier », signalent
les commissaires de la Trésorerie nationale* en
1791. A partir de 1788 en effet, toutes les dépenses
furent acquittées par les caisses auxiliaires sur des
mandats timbrés du nom du département; ces
mandats étaient expédiés d’après les états de
distribution* préalablement arrêtés par le contrôleur
général*. Ils étaient numérotés et motivés, avec les
sommes en toutes lettres et signés par le premier
commis du département. Au département de la
guerre par exemple, la remise des mandats se faisait
tous les soirs à la caisse générale de la guerre créée
en 1788. De la caisse générale de la guerre, les
mandats passaient ensuite au commis du Grand
comptant* qui en débitait le compte de la guerre et
qui en faisait l’enregistrement dans son journal*, et
de là, les mandats étaient transmis au bureau de la
vérification des opérations du Trésor public* qui
portait le total des mandats de la journée sur un
registre tenu en finance. Lorsqu’un particulier se
présentait pour toucher une somme concernant tel
ou tel département, il devait être muni d’un titre
quelconque qu’il présentait à l’administration
concernée. Celle-ci examinait la pièce, la
rapprochait des états de distribution*, et
l’échangeait contre un mandat tiré par elle sur le
caissier. Ce mandat était présenté au caissier qui
l’acquittait. Pour bien contrôler les opérations de
caisse*, il faut que les mandats acquittés soient
remis régulièrement, accompagnés d’un
bordereau*, au caissier de la caisse centrale qui en
donne son récépissé*. Sous l’Empire, un
« contrôleur des mandats des Payeurs généraux »
fut nommé pour constater la conformité des
mandats des trois payeurs généraux de la guerre, de
la marine et des dépenses diverses, avec les
ordonnances pour le paiement desquelles ils sont
délivrés sur la caisse des dépenses. M.-L. L.
Voir Bon, Ordonnance de paiement, Ordre de
paiement
Sources : AST, Caméra dei conti, Savoia,
inventario 168, ordres adressés aux trésoriers
généraux. AST, Ufficio generale delle Finanze,
seconda archiviazione, corrispondenza, capo 57, n°
99, réponse du Conseil des finances de Turin, 11
juillet 1783. Almanach impérial pour 1810,
chapitre VI, section VI: département du Trésor
public. Règlement général du roi pour la
manutention du trésor royal, Versailles, 30 mars
1788, in Jourdan, Decrusy et Isambert, t. XXVIII
(1827), p. 521-524. De la situation du Trésor public
(1997).
Manufactures
Voir Comptabilité industrielle,
comptabilité manufacturière
Marchés publics
Les documents les plus anciens relatifs aux achats
de l’État français se rapportent aux travaux et
ouvrages de voirie, aux bâtiments civils de la
Couronne et aux fortifications. Puis viennent le
matériel d’artillerie, les constructions navales, les
approvisionnements divers pour le matériel des
deux services militaires, les vivres pour les troupes
et les équipages. Les principes de la réglementation
française sont antérieurs à Colbert et ils n’ont guère
changé jusqu’à nos jours. Tous les contrats de l’État
peuvent contenir des clauses exorbitantes du droit
privé, celles que la loi n’admettrait pas dans des
contrats entre particuliers. C’est la raison pour
laquelle le contentieux des marchés publics échappe
en tout ou en partie à la justice réglée ou judiciaire.
D’autre part la procédure d’achat prévoit, soit
l’appel d’offres restreint ou ouvert (longtemps sous
la forme antique de l’adjudication ou auctio), soit le
marché négocié (dit de gré à gré jusque vers 1985).
Nous mettons à part les contrats d’affermage ou,
plus généralement, de concession de service public*
dans lesquels la notion d’intuitus personae domine
et qui ne sont pas considérés comme des marchés à
proprement parler, quoique l’on ait eu longtemps
recours à la procédure de l’adjudication.
Dans le Dictionnaire des finances de Léon Say,
Verly définit ainsi les marchés publics (en 1894) :
« On entend par marchés administratifs les
conventions pour lesquelles des particuliers
s’engagent envers l’État, les départements, les
communes ou les établissements publics,
moyennant un prix convenu et sous certaines
conditions, à fournir les objets nécessaires à tel ou
tel service ou à exécuter des travaux ou des
transports pour le compte de l’administration. Le
marché est un contrat synallagmatique qui lie
également les deux parties, l’entrepreneur et
263
l’administration, et dont aucune ne peut se dégager
sans indemniser l’autre du préjudice qu’elle lui
causerait par rupture du traité. » Cet auteur divise
les marchés de travaux en trois catégories selon la
forme des prix : le forfait, la série de prix et le prix
à l’unité de mesure (qui combine la série de prix
pour chaque nature d’ouvrages et la quantité
d’ouvrages à réaliser).
En France, chaque ministère a élaboré son propre
code des marchés publics, l’unification complète
datant de 1964 seulement, alors que le premier
règlement valable pour tous les ministères remonte
à 1836. Nous illustrerons la matière à traiter ici par
des exemples pris dans la Surintendance des
Bâtiments du roi, un département ministériel sous
l’Ancien régime, puis dans la Marine, dont les
marchés sont les plus importants de tous les
ministères jusqu’en 1914, si l’on ne compte pas les
fournitures de l’agriculture.
Les marchés de travaux
Depuis 1602, le roi confie la commission* ou
l’office, selon les époques, de surintendant puis
(1708) de directeur général de ses bâtiments à un
agent directement subordonné à l’un de ses
ministres, voire à l’un d’eux. Le chef de cette
administration est assisté d'un intendant et
ordonnateur général et d’un contrôleur général,
officiers titulaires ; un trésorier général y est
attaché. Chaque maison royale est dirigée par un
intendant et un contrôleur, ce dernier paraissant
jouer le rôle d’administrateur. Des commis
composent les bureaux de Versailles ; des artistes,
dont plusieurs sont restés célèbres, sont attachés
aux emplois précédents ou à ceux qui correspondent
à leur art.
F. Tiberghien voit dans les marchés de la
Surintendance (ils sont centralisés à Versailles) une
suite de ceux des chantiers des cathédrales. Dans ce
temps-là, les marchés principaux étaient passés par
adjudication au rabais, les autres après négociation,
les prix étaient forfaitaires, des acomptes étaient
versés sur constat d’avancement, le parfait paiement
intervenant après la réception de l’ouvrage. Les
commandes profitaient presque toujours aux mêmes
entrepreneurs et artisans, des hommes du pays.
Les règles de passation des marchés de la
Surintendance ont été fixées en 1608, puis en 1664
et en 1708. Avant de mettre en chantier un ouvrage
de fortification ou un bâtiment pour le roi, le
surintendant fait faire une visite et un cahier des
charges (on dit « devis ») par des experts, en
présence de l’intendant ou du contrôleur de la
maison royale qui doit bénéficier des travaux
(déclaration du 7 février 1608). Le devis est rendu
public en vue de l’adjudication des travaux au
moins disant à l’extinction de la chandelle. La
réception comporte un toisé afin de déterminer le
prix de règlement du marché, quand il est à prix
unitaire. Colbert* précise dans une instruction de
264
1664 que les marchés «un peu considérables»
doivent être passés par devant notaire et signés du
contrôleur général en exercice ; les plus petits
achats sont payés sur mémoire. Les adjudications
sont soit ouvertes avec affichage public soit
restreintes aux entrepreneurs jugés les plus
compétents ou aux maîtres des Bâtiments du roi.
D’après la déclaration du 12 mars 1708, le devis
doit être établi par le premier architecte du Roi, qui
est également chargé de dresser ou de faire dresser
les actes ou procès-verbaux de réception. En cas
d’urgence, les ouvrages sont exécutés sur des ordres
particuliers du roi, sans adjudication et payés
d’après les toisés du premier architecte. Pour ceux
de moins de 2 000 livres ou qui se traitent à la
journée, on arrête des « rôles ou mémoires certifiés
par l’intendant et contrôleur sur lesquels sera
expédiée notre ordonnance signée de nous et visée
du directeur général ». Ces règlements indiquent
donc les trois modes de l’achat public, que l’on
retrouve dans les autres administrations de l’État :
le marché sur adjudication ouverte ou restreinte
(dite souvent « adjudication »), le marché négocié
(dit de même abusivement « marché »), l’achat sur
mémoire ou facture.
Les adjudications doivent respecter la spécialité des
métiers: ainsi, jusqu’en 1782, un maçon ne peut
livrer de bâtiment « la clef à la main ». Chacun a
son marché pour le ou les lots qui lui ont été
adjugés dans son métier. Il n’y a donc pas
d’entrepreneur chargé de la coordination du
chantier ; ce sont des agents de la Surintendance qui
s’en occupent, en plus de la surveillance.
Les prix sont forfaitaires (c’est le «prix fait»),
c’est-à-dire qu’ils sont convenus avant la
notification et non provisoires, sauf cas du travail à
la journée. Les prix stipulés sont, dans un autre
sens, forfaitaires (un prix global pour tout le marché
ou par lots ou parties) ou unitaires (le prix du
marché est celui de l’unité ou des unités stipulées,
par exemple tant de livres par toise courante, qui est
appliqué d’abord aux quantités prévues dans le
devis, puis aux quantités réellement exécutées).
Dans les deux cas, la Surintendance tient compte
des produits de démolition et autres matériaux
laissés aux entrepreneurs. Les prix sont fermes. Des
fournisseurs ont demandé à la fin du règne de Louis
XIV des indemnités pour cause d’inflation, et
plusieurs ont obtenu du Conseil d’État une
expertise « pour iceux être par S.M. ordonné telle
augmentation ou dédommagement [...] qu’Elle
jugera à propos» (1714). F. Tiberghien remarque
que cette affaire annonce l’arrêt Ville de Bordeaux
de 1916 (théorie de l’imprévision).
Avec le temps, la Surintendance a pu établir des
barèmes de prix pour les différents ouvrages et
tâches diverses (les transports, par exemple). En
1690, elle publie les prix pratiqués à Paris pour les
ouvrages ordinaires de maçonnerie, charpente,
couverture, plomberie, gros fer, serrurerie,
menuiserie, vitrerie, impression et pavés de grès,
prix exprimés en livres tournois par unité de
mesure. Il lui arrive de modifier les prix stipulés
dans les marchés pour y substituer ceux d’un de ses
barèmes. C’est le cas, en 1684, de la toise courante
de pierre taillée: Louvois (1641-1691) cherche
alors à calmer des tailleurs de pierres révoltés.
Les titulaires s’obligent par leurs marchés à
disposer de moyens suffisants pour être à l’heure, et
le Roi peut, si nécessaire, leur fournir de la main-
d’œuvre militaire selon les termes des marchés ou
en supplément. La pratique des avances est
cependant générale, lorsque le titulaire doit
commander des matériaux en quantités ou recruter
des ouvriers. Ces avances peuvent être suivies
d’acomptes à mesure de l’avancement du travail.
Les clauses de pénalités pour retard sont donc rares.
L’on trouve des clauses de réfaction de prix et des
clauses d’indemnisation pour prévenir le cas
d’interruption du chantier, par suite du rappel des
troupes notamment. Enfin, les entrepreneurs qui
malversent ou fraudent risquent au moins d’être
exclus des marchés publics.
Des marchés comprennent une ou des retenues pour
garantie des ouvrages, afin par exemple de
« garantir et réparer lesdits tuyaux une année après
que l’eau y aura été mise pour la première fois », ou
de garantir le roi contre le gel des pierres. La
garantie décennale s’impose peu à peu dans les
marchés de travaux ; elle est consacrée en 1775 par
la Chambre des bâtiments et reprise dans le Code
civil. Le code de Justinien prévoyait déjà une
garantie de quinze ans in operibus publicis. Il est
possible de modifier des marchés par voie
d’avenant afin d’étendre la fourniture (du simple au
double, dans l’exemple cité par F. Tiberghien).
Le décompte final des marchés ou parfait paiement
comporte quelquefois une gratification accordée
aux entrepreneurs les plus diligents. Il arrive aussi
qu’elle tienne lieu de dédommagement pour cause
de retards de paiement. Dans les temps difficiles,
ceux-ci se multiplient et retardent les chantiers.
Aussi un arrêt du Conseil du 27 mars 1683 « donne
mainlevée aux entrepreneurs, maîtres des arts et des
métiers et à tous les ouvriers qui travaillent aux
Bâtiments du roi de toutes les saisies faites ou à
faire par leurs créanciers entre les mains des
trésoriers des Bâtiments sur les sommes que ceux-ci
doivent leur payer, à l’exception des marchands qui
auront fourni des matériaux et marchandises
employés par les entrepreneurs aux bâtiments de
S.M. » Cette solution n’étant pas suffisante, des
entrepreneurs obtiennent du Conseil d’État la
surséance pour acquitter leurs dettes. Le roi vit aux
dépens de ses fournisseurs.
Les marchés de fournitures
Les achats de la Marine apparaissent dans l’édit de
juillet 1517 relatif aux attributions de l’amiral de
Guyenne, par le truchement des officiers qui en
sont chargés : « doit notre dit amiral, et non autre,
commettre et ordonner commissaires et contrôleurs
de par lui, gens de bien et suffisants pour ordonner
lesdites munitions, victuailles et autres choses
nécessaires pour ladite entreprise et année,
lesquelles se paieront par la certification de notre
dit amiral ou desdits commissaires et contrôleurs
qu’il y aura commis. » La Marine est concédée
jusqu’en 1626 à quatre amiraux, sans compter les
Galères, qui ont leur capitaine général. Richelieu
prend leur place en sa qualité de grand maître et
surintendant de la navigation et du commerce de
France et, après les désordres de la Fronde, Colbert
reprend et étend l’organisation qu’il a laissée. Il
considère l’achat public comme un moyen du
développement économique de la France, ce que
nous évoquerons d’abord. Dans une seconde partie,
nous donnerons les principaux éléments de la
réglementation des marchés qu’il a lui-même
léguée.
Jusqu’en 1661, écrit le ministre, construire des
vaisseaux en France se ramenait presque à une liste
de courses à faire en Hollande. Louis XIV et son
ministre sont des mercantilistes convaincus, et nous
n’avons pas décelé de crainte de manquer de
fournitures étrangères en temps de guerre (sauf en
1678), ni de soumettre la politique de la France au
bon vouloir des pays fournisseurs. Il s’agit
désonnais de produire en France, « quand bien
même les marchandises seraient un peu moins
bonnes et un peu plus chères, parce que, l’argent ne
sortant point du Royaume, c’est un double avantage
à l’État en ce que, demeurant, il n’appauvrit point,
et les sujets de S.M. gagnent leur vie et excitent leur
industrie ». Pour réussir cette politique de l’achat
français, Colbert doit vaincre des résistances
intéressées et la routine des arsenaux. Il ne peut
s’en remettre entièrement aux intendants de la
Marine et il traite donc lui-même avec certains
fournisseurs. On peut lui reprocher d’avoir ainsi
donné à des parents, à des créatures et à des
financiers les fournitures principales, bon nombre
d’entre eux n’ayant prêté leur concours qu’en
échange d’affaires financières avantageuses. Ces
financiers sont chargés de créer ou de ranimer des
établissements industriels devant travailler pour la
Marine et, pour le surplus, au profit de l’économie
nationale. Pouvait-il agir autrement, étant donné
l’indigence de l’industrie et les habitudes invétérées
qu’il a cherché à combattre, en essayant notamment
de tourner la noblesse française vers le commerce ?
Le ministre imaginait aussi de diviser
progressivement les fournitures en un plus grand
nombre de fournisseurs. Samuel Daliès de La Tour
(1635-1713), qui est à la fois receveur général du
Dauphiné et fermier général, fournit la Marine en
grand (il est même devenu maître de forges). En
1671, Colbert doit le rassurer: la division des
besoins en cours à Toulon est faite pour établir
l’émulation parmi les fournisseurs, qui « doit
265
 produire l’abondance et le bon marché de toutes
choses », mais elle ne s’étend pas aux fournitures
qui lui sont réservées. À l’intendant Arnoul (1608-
1674) le ministre dit que le débit assuré par la
Marine augmente le nombre des fournisseurs et
diminue les prix. Il est un autre avantage, à savoir
« que les marchands, trouvant dans les foires une
grande facilité et abondance de marchandises
nécessaires pour la navigation, seraient par là
excités, plus que par toute autre chose, à bâtir des
vaisseaux et augmenter par ce moyen leur
commerce et leur navigation, et, comme nous
n’avons rien de plus important, dans cette nature
d’affaires, que de maintenir et conserver les
établissements faits par le sieur Dalliez en
Dauphiné, il faut toujours prendre de lui toutes les
marchandises de ses fabriques et manufactures.
Mais vous verrez par la conduite que je viens de
vous expliquer, qu’aussitôt que les marchands
verront une sûreté de débit et de consommation par
le moyen de cette foire, ils s’efforceront eux-mêmes
d’entrer en la place dudit Dalliez, et insensiblement
ces établissements se diviseront entre les
marchands, et c’est ce à quoi je veux parvenir. »
Sous cette forme, le discours du ministre ne
s’adresse pas à Daliès ! Un an plus tard, Colbert lui
fait comprendre que le roi n’est plus disposé à
subventionner ses entreprises et qu’il doit chercher
d’autres clients. Le roi est prêt a faire encore un
effort, mais Daliès doit en faire lui-même. À cette
époque, bien des marchandises doivent être encore
importées, et certains établissements français sont
fragiles, si bien que l’État continue de les
subventionner. Lorsque Daliès se retire de ses
entreprises métallurgiques, peu avant 1690, il doit
constater qu’elles sont loin de l’avoir enrichi.
Pourtant la politique de l’achat français finit par
réussir, grâce à des financiers et à des techniciens
qui ont fait leurs preuves dans leur spécialité. Elle
réussit en ce que la marine militaire peut satisfaire
ses besoins en France ; mais les entreprises qui
l’approvisionnent ne peuvent satisfaire ceux de
l’économie nationale, qui continue de recourir
massivement aux importations.
La réglementation des marchés de la Marine sous
l’Ancien régime est essentiellement contenue dans
l’ordonnance du 15 avril 1689 pour les armées
navales et arsenaux de marine (principalement dans
le livre des achats, numéroté XVIII, qui reprend des
parties du règlement d’administration des arsenaux
du 6 octobre 1674) et dans l’ordre valant instruction
du 19 juin 1678 et donné au contrôleur de la Marine
à Toulon. Voici comment elle peut se résumer.
Les achats ont pour but d’approvisionner les ports
de tout ce qui se rapporte à la construction,
l’armement, l’entretien, la réparation, le
ravitaillement des vaisseaux. Ils portent aussi sur la
transformation des marchandises achetées, les
ouvrages hydrauliques des ports et les bâtiments, y
compris les fortifications, tant que celles-ci ont
266
dépendu de la Marine. Autrement dit, ils portent sur
des marchandises, des produits ouvrés (avec ou
sans fournitures de la Marine) et des travaux.
L’ordonnateur achète des produits français, sauf
impossible ; il traite alors avec des importateurs
français. Il achète au moyen d’une adjudication
annuelle générale la majeure partie des besoins qui
ont été calculés de concert avec la Cour. Il n’achète
pas tout ce dont il a besoin, parce qu’une partie des
achats pour les ports est réservée à la Cour. Il peut
aussi, dans certains cas, traiter de gré à gré, avec ou
sans mise en concurrence. Les fabrications les plus
élaborées, telles que les aimes individuelles,
canons, ancres et toiles à voile, qui n’ont souvent
qu’un fournisseur, sont dans ce cas. Il se tient au
courant du prix du marché, de façon à obtenir le
juste prix (un prix trop bas, en matière
d’adjudication, n’est pas un bon prix). Il achète tout
par écrit, qu’il s’agisse d’un marché ou d’un simple
mémoire de travaux.
Il donne connaissance par voie d’affichage des
besoins devant être satisfaits au moyen de
l’adjudication annuelle et prépare les échantillons et
modèles qui représentent ce qu’il veut obtenir (c’est
l’équivalent d’un dossier de définition moderne ou
des clauses techniques des marchés). Ce mode de
publicité est insuffisant, quoique vers la fin l’on ait
eu recours aux journaux locaux ; d’autre part,
certains fournisseurs importants ont des
correspondants dans les ports de guerre. Le
contrôleur vérifie la solvabilité des
soumissionnaires, anciens et nouveaux, et de leurs
cautions*, avant de les admettre aux enchères. Il
recherche au besoin de nouveaux fournisseurs et
déjoue les manœuvres d’intimidation. Le jour fixé
pour le début des opérations, les soumissionnaires
présentent leur offre oralement, puis les premiers
rabais, pour chaque article de la liste, sont reçus.
« Après trois remises de trois jours chacune,
l’adjudication sera faite à l’extinction de la
chandelle, au moins disant à la troisième remise,
dont il lui sera délivré des actes en forme par le
contrôleur de marine en chaque port si, dans les
vingt-quatre heures ensuite, il ne se présente plus
personne pour rabaisser. » Un exemplaire dûment
marqué de l’échantillon ou modèle de l’objet
adjugé est remis à celui qui remporte l’adjudication,
l’autre est conservé comme témoin en vue des
opérations de réception. Les marchés passés dans
les formes s’exécutent sans changement, sauf s’il en
résulte un préjudice considérable pour le roi, auquel
cas l’intendant doit en avertir le ministre. Si, après
l’attribution d’un marché sur adjudication, un
fournisseur fait une offre nettement plus
intéressante pour un article adjugé, l’ordonnateur
peut lui passer commande d’une quantité
supplémentaire. Les marchés de bois forment une
catégorie particulière d’adjudications, l’exécution
étant plus longue et la Marine associée à
l’exploitation des forêts.
L’ordonnance de 1689 ne prévoit pas l’envoi des
marchés à la Cour pour approbation : en 1728, le
ministre Maurepas (1701-1781) rappelle qu’il veut
les recevoir en double expédition et que les lettres
d’approbation accompagnant les exemplaires visés
en retour sont à enregistrer au contrôle du port. Ce
même service tient registre des menues fournitures
et des façons d’ouvrages non comprises dans le
procès-verbal de l’adjudication générale. Le seuil
des 400 1 indiqué dans l’ordonnance de 1689 sans
précision figure dans celle du 27 septembre 1776 :
au-dessous du seuil, il n’y a pas de marché ; cette
catégorie d’achats n’a pas encore reçu de
dénomination.
Les prix des marchés sont forfaitaires (initiaux
définitifs en tenues modernes) ; ils sont forfaitaires
ou unitaires comme ceux des Bâtiments. Les
dépenses contrôlées ou régie (prix à la journée dans
les constructions navales), qui sont une fonne du
prix provisoire (il est forfaitisé après l’exécution
des prestations, par exemple selon le nombre
d’unités d’œuvre constaté), doivent être évitées,
mais c’est plus difficile que dans les travaux. Elles
ont été proscrites il y a quelques années seulement
dans les marchés publics. Les prix sont fermes.
L’effet de l’inflation, déjà sensible, est
contrebalancé par la courte durée d’exécution des
marchés, un an plus quelques mois de transport en
général. Les prix ne supportent pas les droits du roi
ni ceux des villes et des particuliers, mais une
ordonnance de 1692 rétablit les droits des Fermes
au moins temporairement, parce qu’il y a eu des
abus.
L’ordonnateur peut prévoir des avances, mais
certaines d’entre elles ressemblent à des acomptes
sur constat d’avancement. Le contrôleur surveille
l’exécution des marchés (retard, qualité...), de
façon à proposer l’élimination des mauvais
fournisseurs ou les soumettre à la procédure de
l’adjudication à la folle enchère, pour la partie de la
fourniture qu’ils n’ont pas livrée ou qui n’a pas été
acceptée. Le seul cas de pénalité financière prévu
en 1689 correspond en effet à une fraude. La
solution retenue en 1787 dans le premier cahier des
conditions générales de la Marine est toujours la
même. Elle est irréaliste, s’il s’agit de pénaliser un
retard d’un mois par une fourniture nouvelle qui
arrivera six mois plus tard, elle ne l’est pas si le
titulaire ne fournit rien de ce qui lui était
commandé. Notons encore que la résiliation de
marché est connue et pratiquée. La réception des
marchandises et ouvrages obéit à une procédure
encore imprécise, mais qui est décrite dans
l’ordonnance de 1689. En cas de rejet par la
commission de recette, l’intendant peut nommer
des experts qu’on ne puisse soupçonner de
partialité. Des conditions techniques de réception de
diverses fournitures figurent dans les règlements de
1674 et 1689. La comparaison des livraisons avec
les échantillons joue un rôle important à une époque
où l’on ne connaît guère que le contrôle visuel. La
compensation du fort au faible, qui se constate
notamment dans des marchés de bois, lorsque des
articles sont difficiles à fournir selon l’assortiment
demandé, n’est pas admise sans un ordre du
ministre. Un cas de garantie au moins, celui des
ancres, est signalé.
Les traces laissées dans les archives permettent
d’évoquer la situation d’un des principaux
fournisseurs de la Marine au XVIIIe siècle, Pierre
Babaud de La Chaussade (1706-1792). Avant 1769,
c’est-à-dire avant la chute de la Compagnie des
Indes, il occupe une position dominante sans être
exclusive dans la fourniture des ancres à la Marine,
et une position notable dans la fourniture des fers. Il
fournit aussi des bois, mais cette activité est séparée
de son petit empire métallurgique du Nivernais.
La situation du marché des ancres attire les regards
en raison de leur prix très élevé comparativement à
celui des autres fers — il est de trois à cinq fois plus
élevé à la livre pesante —. Les essais de la nouvelle
fabrication menés à Cosne (établissement créé par
Daliès et visité par madame de Sévigné) en
présence d’officiers de la Marine ont permis de
déterminer les prix du marché conclu pour douze
ans le 19 septembre 1736. Ces prix dépassent ceux
que le fournisseur a dû constater ensuite dans la
production courante, observe l’intendant de
Rochefort Ruis-Embito (v. 1705-1776), qui connaît
le travail du fer. Or, les progrès de l’art doivent
profiter au vendeur et à l’acheteur, comme « il est
naturel et de justice indispensable ». Le prix des
ancres a été réglé à 14 s la livre pesante ou 700 1 le
millier. En 1762, le ministre Choiseul (1719-1785)
veut faire baisser ce prix, qui a été reporté dans les
marchés suivants, y compris celui du 6 septembre
1755 alors en vigueur.
Babaud rappelle qu’on a fabriqué autrefois des
ancres dans les ports de guerre plutôt que de se
servir des ancres d’Espagne ou de Hollande, dont la
qualité est inférieure et inégale, mais on l’a fait à
grands frais. La supériorité de ses propres ancres est
reconnue et le service se fait « avec célérité et
précision » ; le maître de forges ajoute qu’« on a
regardé [celles-ci] jusqu’à M. Berryer comme des
arsenaux de port». C’est la première apparition
d’un motif qui a pu ensuite être invoqué afin de les
vendre au roi. La diminution de prix demandée
d’un septième représente 50 000 1 par an pour une
production supposée de 500 000 livres pesantes.
Elle est si forte, selon Babaud, qu’il préférerait que
Choiseul fasse racheter ou exploiter en régie ses
quatre forges à ancres. La lecture du mémoire ne
donne pas l’impression que son auteur a réellement
envie de les abandonner. Il accepte les 12 s par livre
pour les ports de Ponant et un supplément de
transport par terre de 2 s 3 d pour Toulon, avec la
clause du transport par mer insérée dans le marché
des fers du 17 juin 1756. Il voudrait faire ajouter
une clause de pénalité frappant les retards de
267
 paiement de l’État, puisque le paiement comptant a
été reconnu aussi indispensable que les acomptes
dans la marche de son entreprise. Babaud demande
donc 5 % d’intérêt sur ses factures jusqu’à un an,
avec un maximum de 100 000 1 d’impayés ; au-delà
de cette somme, il serait autorisé à interrompre ses
livraisons !
L’auteur anonyme d’un mémoire de 1760 qui a
réussi à se procurer les marchés d’ancres notifiés
par la Marine de 1750 à 1757 épingle Babaud dont
les prix sont de loin les plus élevés. Il n’indique
pas, hélas, l’origine des ancres qui ne lui ont pas été
commandées. Il se demande pourquoi Babaud est
payé « au point qu’il n’a formé aucune demande à
la commission pour la vérification des dettes de la
Marine [créée en 1758] ». Le roi, estime-t-il, est
lésé dans les fournitures d’ancres plus que dans
toutes les autres peut-être. L’anonyme reproche en
particulier à Babaud de facturer les ancres à la livre
pesante sans tenir compte de leur poids, alors que
cette variable influe naturellement sur le prix à la
livre, ainsi que le tableau des fournitures de
Hollande tend à le montrer (il n’est pas dit non plus
clairement que la Marine en achète).
Dans la partie du mémoire qui se rapporte aux fers,
l’auteur ne cite pas notre maître de forges, mais un
autre fournisseur de fers du nom de Le Blanc de
Mamaval. Le Berry est le principal fournisseur de
fers de la marine de Ponant et leur entrepôt est à la
Charité-sur-Loire, énonce-t-il. Le prix ordinaire y
est le même pour le roi et pour les particuliers, de
140 1 le millier de fers carrés ou plats à 190 ou 200 1
le millier de fers passés à la fenderie. Les fers
vendus au roi devraient être moins chers d’un quart,
vu les avantages qu’il fait à ses fournisseurs.
L’auteur du mémoire cite, à l’appui de cette
affirmation, l’exemption de la corvée et des milices,
qui permet aux maîtres de forges de payer moins
cher leur personnel et de le choisir, et la possibilité
d’acheter à prix forcés les fontes, bois, charbons et
voitures dans le Berry en cas de désaccord avec les
fournisseurs sur les prix. À cela s’ajoutent les
traites que les produits destinés à la Marine ne
supportent pas et une fraction des frais de transport.
L’auteur du mémoire oublie de dire clairement que,
d’une manière générale, les productions destinées
aux services de l’État sont exemptes de droits,
comme si, aujourd’hui, les fabrications pour l’État
français ne supportaient pas la T.V.A. Seul le droit
de la marque des fers était probablement payé par
les titulaires, qui le comprenaient dans leurs offres.
Au lieu de cela, le marché de Le Blanc de Mamaval
conclu pour six ans à compter du 1er janvier 1756
porte des prix qui dépassent ceux de l’entrepôt
d’environ 30 1 par millier de fers rendu à Rochefort.
L’auteur du mémoire pense que la commission de
vérification des dettes de la Marine s’est laissée
abuser en n’imposant aucune réduction sur ce
marché. Le fournisseur a livré pour 1 240 000 1 de
fers en dix mois (de guerre), de juillet 1757 à avril
268
1758. La compagnie des Indes serait encore moins la Marine, l’essentiel des contrats tous les cas, la délégation aux préfets maritimes,
bien servie. d’approvisionnements généraux de plus de 50 000 chefs du service de la Marine dans les ports
F est formé de marchés négociés. secondaires et directeurs des établissements hors
La réglementation des marchés au XIXe siècle La nature des prix n’est encore indiquée nulle part : des ports étant réglée au plus juste (C.C.G. 1870).
les prix sont fermes, les titulaires devant supporter Les délais courent depuis la date de la notification
Le premier règlement relatif aux marchés de l’État
les variations du coût des facteurs. C’est la guerre de cette approbation. Le contentieux des marchés
dans leur ensemble est l’ordonnance du 4 décembre
de 1914 et l’avilissement de la monnaie française est jugé au premier degré par le ministre et au
1836 reprise dans celle du 31 mai 1838 sur la
qui ont conduit à traiter à prix révisable (avec une second degré par le Conseil d’État (décrets du 22
comptabilité publique (articles 45 à 57), puis dans
formule paramétrique) ; ce type de prix n’apparaît juillet 1806 et du 2 novembre 1864). Les textes
le décret du 31 mai 1862 (articles 68 à 81), modifié
dans la réglementation qu’en 1938 (circulaire du 18 n’en parlent pas mais, à partir d’une certaine
sur ce point par le décret du 18 novembre 1882. Le
mai 1938). En revanche, la notion de marchés époque, les projets de marchés ont dû être
ministère de la Marine et des Colonies a publié
fractionnés à bons de commande est connue, accompagnés d’un rapport justificatif.
deux règlements d’application de la comptabilité
quoique l’absence d’indication de quantités Dans la procédure de l’adjudication, outre l’accent
publique : celui du 31 octobre 1840, puis celui du
(minimum et maximum) soit fréquente dans les mis sur la capacité des concurrents qui peut
14 janvier 1869 qui était encore en vigueur en 1909
marchés de gré à gré de la Marine car celle-ci conduire à la restreindre, il y a lieu de remarquer
moyennant des mises à jour et les modifications
considère qu’elle ne peut prévoir longtemps à que, si la réglementation décrit surtout le mode du
résultant notamment de l’orientation parlementaire
l’avance des besoins essentiellement variables. En prix de base avec rabais ou du prix maximum, c’est,
du régime républicain d’alors (par exemple, la loi
1847, l’on en est encore aux échantillons servant de au moins en 1870, pour s’en défier. Ce prix
du 16 septembre 1871 substitue au vote par sections
termes de comparaison ou de règle pour la maximum, de même que le minimum de rabais, est
du budget le vote par chapitres, plus restreints que
réception des objets commandés. Le C.C.G. de prévu dans le règlement de l’adjudication quand il y
les sections, interdit les virements d’un chapitre à
1870 prévoit aussi des dessins, plans ou devis et, a lieu, mais il n’est connu des soumissionnaires que
un autre par voie de décret et l’attribution par cette
lors des opérations de réception, les conditions du lors de la séance d’adjudication. L’adjudication
même voie de crédits supplémentaires, sauf pour
marché priment les modèles ou échantillons-types peut aussi combiner le prix et le concours sur
certaines dépenses définies nominativement). Le
en cas de non-conformité des seconds aux échantillons et donc comporter un classement
ministère possède ses propres cahiers des
premières. C’est l’indice d’un progrès dans la assorti de coefficients selon la qualité des
conditions générales (C.C.G.), auxquels les
définition des fournitures ou de leur diversification. échantillons présentés. Mais l’auteur du C.C.G. de
marchés doivent se référer et peuvent déroger au
Le dépôt de garantie des soumissions (appelé 1870 se défie aussi de ce nouveau mode, comme
besoin : il y a le cahier des marchés de travaux
cautionnement provisoire en 1882) et le étant « très délicat et très compliqué » : c’est
(1846, 1852, 1857 et 1884) et celui des marchés
cautionnement* des marchés (qualifié de même de pourtant la base du jugement des offres dans la
industriels (1817, 1847, 1870, 1895 et 1910). Ce
définitif) revêtent une grande importance. Le procédure moderne des appels d’offres. Le prix
dernier embrasse la « fourniture des munitions, des
premier vaut en général 5 % de la valeur présumée maximum est selon lui à proscrire, étant lui aussi
matières brutes et des objets nécessaires au service
de la fourniture ou de son minimum, s’il y a lieu ; le difficile à déterminer : on peut toujours réadjuger
de la Marine» (1847) et la «fourniture de toute
second, 10 %, mais il peut être augmenté ou surtout ou traiter de gré à gré, si aucune offre n’est encore
espèce et [...] toutes les entreprises autres que
réduit, si l’administration craint de restreindre trop acceptable. Enfin le C.C.G. de 1870 restreint
celles des travaux hydrauliques et des bâtiments
fortement la concurrence ou d’immobiliser des l’usage des rabais en général. Les offres de rabais
civils» (1870). Nous donnons ci-après un résumé
sommes dont les intérêts augmentent aussi le prix peuvent être présentées pendant la séance et après
des règlements cités jusqu’en 1882.
des soumissions (3 % à partir du troisième mois de celle-ci, pendant trente puis vingt jours (D. 1882).
Nous retrouvons naturellement les trois catégories
réalisation, toujours selon le C.C.G. de 1870). Elles « empêchent les soumissionnaires de dire leur
de l’achat public sous l’Ancien régime : le marché
L’article 13 du décret de 1862 rappelle qu’aucun dernier mot dans leur soumission [initiale], et c’est
sur adjudication (ouverte ou restreinte), le marché
marché ne doit stipuler d’acomptes que pour un au préjudice de l’État, s’il n’y a pas ensuite de
de gré à gré et l’achat sur (simple) facture. La limite
service fait. Et ils ne doivent pas dépasser les 5/6 rabais proposé. Elles favorisent les pressions
de ces derniers achats est fixée à 500 F, puis à
des droits constatés par pièces régulières, sauf déloyales, les manœuvres, la concurrence de
1 000 F en 1862 et 1 500 F en 1882. L’ordonnance
règlement spécial. Les avances concernent les mauvais aloi. Elles conduisent les fournisseurs à
de 1836 rappelle que, sauf exceptions mentionnées,
services à faire et caractérisent alors certaines essayer de faire admettre en recette des
les marchés passés au nom de l’État sont faits avec
dépenses de personnel. Les offres comprennent les marchandises de qualité inférieure, pour se couvrir
concurrence et publicité. Aucun marché ne peut être
droits indirects, sauf les droits d’octroi et, là des pertes que leur fait subir l’insuffisance des prix
préparé sans l’autorisation préalable du ministre.
également, les titulaires supportent les variations de résultant de la lutte passionnée qui se produit
Les deux premières catégories d’actes comprennent
tarif (C.C.G.). Les soumissions, factures de plus de presque toujours dans les réadjudications. [...]. Il
un cahier des charges (ou des conditions
10 F, marchés et actes additionnels (les avenants) est rare d’ailleurs qu’un marché où l’intérêt du
particulières, d’après la terminologie employée en
doivent être enregistrés. Les titulaires sont tenus de fournisseur est lésé ne devienne pas désavantageux
1847), une soumission ou proposition négociée
faire imprimer leurs marchés, y compris les annexes aussi pour l’autre partie contractante. » La
(c’est l’acte d’engagement) et font référence à un
et avenants éventuels. La fourniture étant faite aux réadjudication en séance, en cas d’offres
C.C.G. : ces trois documents forment les
frais, risques et périls du fournisseur, la Marine n’a équivalentes, ou après réception d’un rabais d’au
« conditions et stipulations qui lient les
entrepreneurs et l’État» (O. 1836, préambule). pas à l’indemniser des avances de fonds auxquelles moins 10 % (O. 1836), se faisait à l’extinction de la
11 peut être obligé, ni des pertes qu’il peut subir : chandelle ou, en cas d’insuccès, par tirage au sort.
L’ordonnance de 1836 prévoit douze cas
l’auteur du C.C.G. de 1847 affirme que ces En 1870, le premier mode est interdit dans la
d’exception à la règle de l’adjudication, auxquels
s’ajoutent trois nouveaux cas en 1882. La liste est dispositions ont toujours été observées dans la Marine.
impressionnante, mais le législateur précise que la Marine. Les textes ne sont guère bavards sur les marchés de
L’approbation du ministre entraîne seule exécution gré à gré, dont la domination est pourtant écrasante
procédure de gré à gré ne dispense pas de la mise en
du marché (O. 1836). Elle est requise dans presque dans cette administration. Les négociations avec les
concurrence, chaque fois qu’elle est possible. Dans
269
 fournisseurs prennent place dans des « commissions
de marchés » autorisées par le ministre ou ses
délégataires. Depuis 1870 l’appel à la concurrence
doit être mentionné dans le marché ainsi que le cas
d’exception à la règle de l’adjudication qui a été
invoqué. Le C.C.G. de 1847 prévoyait une forme
particulière de marché combinant la publicité, la
concurrence et le traité de gré à gré : c’est une
nouvelle indication de l’insuffisance de
l’adjudication dans une administration qui ne peut
pas juger les propositions d’après le prix seulement.
L’on voulait obtenir des industriels leur solution à
des problèmes posés en ternies généraux. C’est
ainsi que la Marine aurait pu faire construire des
bâtiments en ne fournissant aux titulaires que les
« spécifications techniques » et non les plans de
définition et même d’exécution, comme à de
simples façonniers. Le premier cuirassé donné à
l’industrie française, Y Amiral-Duperrê (1877), l’a
été dans ces conditions, et c’est pourtant le meilleur
chantier qui l’a construit. La solution de 1847 n’est
pas maintenue en 1870, le concours sur échantillons
se rattachant à l’adjudication. C’est une preuve
parmi d’autres de la méfiance atavique qui règne
dans cette administration vis-à-vis de l’industrie
nationale, alors qu’elle existe enfin.
Le titulaire est constitué en demeure par la seule
échéance de la date de livraison des fournitures ou
de remplacement d’objets rebutés (article 1139 du
Code civil appliqué à partir de 1870). Il a pu obtenir
au préalable un délai supplémentaire de
l’administration. Il est recommandé de donner de
longs délais aux titulaires pour éviter les retards,
obtenir de meilleurs prix et prévenir les plaintes des
fournisseurs évincés, si les délais sont modifiés par
rapport à ceux qui leur avaient servi de référence
(C.C.G. 1870). En cas de retard de moins de 30
jours (1847) ou 50 jours (1870), l’autorité signataire
du marché instruit un dossier de pénalités ou, en cas
d’urgence, procède à l’achat de fournitures en
retard aux frais et risques du titulaire. La fraction
des fournitures en retard est frappée d’une réduction
de 10 % de sa valeur après un mois de retard
(1847), ou de 2/1000 de cette même valeur par jour
de retard (C.C.G. 1870 ; cela fait 10 % au bout de
50 jours). Le fournisseur peut invoquer la force
majeure, mais elle n’est pas entendue comme
aujourd’hui : la guerre, l’impossibilité d’acheminer
la fourniture à destination sont à peine comprises,
mais de simples ruptures d’organes dans l’outillage
du fournisseur peuvent être invoquées ! (C.C.G.
1870). Si le retard est plus important, le ministre
accorde un nouveau délai de livraison ou résilie le
marché, en saisissant tout ou partie du
cautionnement, voire du dépôt de garantie et des
biens du titulaire, pour faire exécuter par un tiers les
fournitures non livrées. L’emploi de ces moyens
violents doit être évidemment limité aux cas les
plus graves (notamment si l’on constate que le
titulaire veut se soustraire à ses engagements parce
270
que son marché lui est onéreux, C.C.G. 1870). Le
refus d’exécuter un marché notifié entraîne la
résiliation ou l’exécution par un tiers aux frais et
risques du titulaire. Celui-ci encourt la même
sanction s’il fournit trop de rebuts (plus de la moitié
des livraisons dans l’année), ou s’il commet une
fraude sur la nature, la quantité ou la qualité des
fournitures ou travaux.
La date de livraison d’une fourniture est celle de
l’introduction effective, dans le lieu de dépôt de la
Marine qui lui est assigné, de la dernière fraction
commandée. Toute livraison, même partielle, doit
être accompagnée d’une facture timbrée. Objets
livrés et factures doivent être marqués. Il est toléré,
sauf mention contraire, une différence de 5 % en
plus ou en moins entre les quantités commandées et
les quantités admises en recette. La composition et
les missions des commissions de recette sont
données dans l’instruction générale du 15 janvier
1846 sur la comptabilité du matériel dans les
arsenaux de la Marine, et complétées dans le
C.C.G. de 1870, art. 42. Si la commission conclut à
l’acceptation de la livraison qui est soumise à son
jugement, sa décision est exécutoire ; dans le cas
contraire, sa décision est susceptible d’appel au
préfet maritime, qui nomme, s’il le juge utile, une
commission consultative. Un recours au ministre
puis au Conseil d’État est possible. La commission
ordinaire peut encore soumettre la fourniture à une
deuxième recette après réparation ou bonification
dans un certain délai. Les épreuves de recette sont
celles qui sont prévues au marché ; si elles ne sont
pas assez précises, latitude est laissée à la
commission, pourvu qu’elle n’exige que ce que
comporte l’emploi prévu pour la fourniture. Les
frais d’épreuve, y compris les quantités prélevées,
si elles sont reçues, restent à la charge de la Marine.
La procédure de réception se tennine par la
reconnaissance des quantités. Les objets rebutés
doivent être enlevés dans le délai prévu au marché,
sous peine d’une retenue sur le cautionnement ou
sur les sommes dues. Ils doivent être remplacés, en
principe une seule fois, dans le délai également
prévu. En cas de rejet définitif, le préfet fait
procéder à l’achat des quantités dues aux frais et
risques du fournisseur ou résilie le marché avec
saisie de tout ou partie du cautionnement. Une
fourniture d’abord rebutée peut être, dans des cas
très urgents, admise avec réfaction de prix, si le
fournisseur est d’accord.
Le C.C.G. de 1870 introduit encore les deux
nouveautés suivantes. Lorsqu’un marché a été
exécuté à la complète satisfaction de la Marine,
l’une des parties peut demander sa prorogation par
un acte additionnel, pour une durée au plus égale et
pour des prix au plus égaux à ceux qui y sont
stipulés. Pendant ce temps, la Marine, qui n’est liée
par de nouvelles quantités à commander qu’autant
qu’elle le veut bien, s’interdit de s’adresser à un
autre fournisseur pour ce qui forme l’objet du
marché. Le ministre peut au contraire exclure les
« fournisseurs dont on a lieu de se plaindre
habituellement ou qui ont été l’objet de graves
reproches. Leur nom est publié au Bulletin officiel
de la Marine. » Cette note finale peut indiquer la
sévérité réelle de la Marine vis-à-vis de ses
fournisseurs. B.L.
Voir Caution, Comptabilité-matières, Contrôle
administratif, Fraude, Liquidation, Ordonnateur
Sources : Perrault C., Mémoires de Charles
Perrault, de l'Académie française et premier
commis des bâtiments du Roi, contenant beaucoup
de particularités et anecdotes intéressantes du
ministère de M. Colbert, Paris, 1759 ; idem.,
Mémoires de ma vie et Voyage à Bordeaux (1669),
éd. Bonnefon, Paris, H. Laurens, 1909.
Bibliographie : Berthiau J., Les annales des pays
nivernais, n° 124, juin 2006. Béranger J. (éd.), Les
marchés publics et leur financement, Paris, 1962.
Bezançon X (1999). Dessert D. (1984 et 1996). Les
Daliès de Montauban. Une dynastie protestante de
financiers sous Louis XIV, Paris, 2005.
JurisClasseur administratif. Laubadère A. de,
Moderne F. et Delvolvé P., Traité des contrats
administratifs, 2e éd., 2 vol., Paris, 1983-1984.
Lonchampt H., Les marchés publics : guide
pratique, application aux marchés industriels, 2e
éd., Paris, 1989. Lutun B. (1991 et 2002). Lutun B.,
« Propriété, exploitation et surveillance de la
gestion des établissements industriels travaillant
pour l’État : les forges de La Chaussade à l’époque
de leur rachat (1769-1793)», dans Le Marteau-
pilon, publication annuelle des amis du Vieux-
Guérigny, t. XXI, 2009, p. 21-45. Mémain R., La
marine de guerre sous Louis XIV. Le matériel.
Rochefort, arsenal modèle de Colbert, Paris, 1937.
Mestre J.L. (1985). Monnier F. (1984). Petot J.
(1958). Richer L., Droit des contrats administratifs,
6e éd., Paris, 2008. Tiberghien F., Versailles, le
chantier de Louis XIV, 1662-1715, Paris, 2002.
Verly (de), article Marchés administratifs in Say L.
(1889-1894).
Masse (régimentaire)
Créée par l’ordonnance du 5 décembre 1666, la
masse régimentaire est une retenue sur la solde de
chaque soldat, prélevée par le capitaine d’une
compagnie pour alimenter un compte destiné à
l’entretien de la troupe. Cette disposition
« bureaucratique » vise à limiter l’autonomie de
gestion des officiers militaires qui restaient
responsables sur leurs propres deniers des déficits
de la compagnie. A cette époque, la solde, qui se
montait à cinq sols par jour, était payée tous les dix
jours sous la forme de versement de « prêts » du
capitaine aux soldats qui avaient signé un contrat
d’engagement. Les retenues que le capitaine
effectuait sur celle-ci pour les frais divers (pain,
chaussures...) étaient parfois abusives et
compromettaient le service. La masse fut fixée à un
sol par jour. Tous les trois mois, les commissaires
des guerres contrôlaient l’utilisation de la somme.
Lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-
1697), la masse fut divisée en deux : quatre deniers
devaient être retenus par le capitaine, et huit deniers
retenus par les commis du Trésor* de
T Extraordinaire des guerres. La centralisation des
frais militaires s’accentua au fil du temps. Au
XVIIIe siècle, on distinguait pour l’infanterie la
masse de l’habillement, la masse des réparations et
la masse des recrues. On prévoyait cinq masses
pour la cavalerie (masse des porte-étendards, masse
« des 16 deniers », masse « des 27 livres » (solde),
masse des remontes (rachat de chevaux), masse des
recrues, soit autant de comptes « budgétisés » et
vérifiés par les commis des bureaux centraux.
Cette gestion centralisée n’empêcha nullement
l’endettement du budget ordinaire des départements
militaires : lors des conflits, les avances sur les
masses à venir se multipliaient sous fonne de billets
de masse dont l’emploi ne respectait pas toujours
l’utilisation prévue par les états*. De ce point de
vue, le ministériat de Choiseul eut une incidence
majeure sur le dérapage des dépenses. « Il est
résulté de l’impunité qu’il y a eu depuis 1763
jusqu’en 1771 des sommes considérables ignorées
qui ont été distraites, qui sont restées à la
disposition des états majors », jugea le maréchal de
Castries. La masse dite « de 27 livres » prévue
chaque année pour la cavalerie par exemple
« s’étoit fort dérangée, parce qu’on l’avoit chargée
de plusieurs dépenses extraordinaires qu’elle ne
devoit pas supporter ». Au temps de Necker*, on
rappela cette maxime fondamentale : « les masses
doivent se libérer avec leurs propres fonds et le roi
ne doit en aucun cas accorder pendant la paix des
secours extraordinaires pour l’entretien et le
rétablissement des troupes ». M.-L. L.
Sources : SHD A 3689, pièce 116, lettre de Castries
au comte de Saint-Germain, 22 novembre 1775, A
3712, pièce 119, «Mémoire sur l’administration
des masses de la cavalerie », 1780.
Masson, Victor Alexandre (1778-1858)
Fonctionnaire du ministère des finances, Masson
effectua une carrière en deux temps. Son ascension
est le fruit de ses aptitudes autant que de son réseau.
Masson devient le secrétaire du Comte Beugnot,
nommé directeur de la Caisse d’amortissement en
1817. Il est alors collaborateur et ami d’Audiffret*
(qui est passé par la Caisse d’amortissement), avec
lequel il rédige un certain nombre d’ouvrages
anonymes justifiant les choix financiers de la
Restauration comme Éclaircissements sur les Lois,
les Budgets et les Comptes des Finances depuis la
Restauration. On lui attribue De la comptabilité des
dépenses publiques qui paraît en 1822, quelques
semaines avant l’Ordonnance du 14 septembre. Cet
271
 ouvrage anonyme est étonnant de modernité et
déclenchera une très violente controverse avec tout
ce que l’administration compte de forces
conservatrices. Masson y décrit ce que doit être un
système de comptabilité patrimoniale intégrant les
engagements de dépenses*, évoque très clairement
la vocation gestionnaire de l’outil comptable et
prêche la responsabilité financière des
administrateurs. Dans ses souvenirs, le duc de
Broglie (président du Conseil d’État en 1830) écrit
de Masson : « homme d’un rare savoir en économie
politique et administrative et d’un esprit plus rare
encore, l’un de ceux à qui la philosophie de notre
comptabilité, je ne crains pas d’employer ce mot,
doit le plus ».
Maître des requêtes en service extraordinaire au
Conseil d’État le 12 juillet 1820, au comité des
travaux et au comité des Finances, il sera placé en
service ordinaire le 7 mars 1821 et siège au comité
de l’Intérieur et du Commerce avant de retrouver
une place au comité des Finances le 8 janvier 1823.
Élu député de l’Aube (département de Beugnot qui
s’est retiré de la vie politique en 1820) du 25 février
1824 au 17 novembre 1827, il siège dans la
majorité royaliste et soutient le ministère Villèle*
avant de perdre son siège face à Casimir Perrier. Il
apporte alors un soutien appréciable au tandem
Audiffret-Villèle, par exemple lors de la conversion
des rentes. Ultraroyaliste, il est logiquement
révoqué de ses fonctions au Conseil d’État le 20
août 1830.
Sa carrière rebondit quelques années plus tard. Il est
rappelé au Conseil d’État le 16 juin 1837 en qualité
de maître des requêtes en service extraordinaire
participant au comité de la Guerre et de la Marine,
puis au comité des Travaux publics, de
l’Agriculture et du Commerce. Il est intégré en
service ordinaire le 11 octobre 1839 au comité des
Finances, puis au comité des Travaux publics. Il est
maintenu par la Seconde République, puis élu
maître des requêtes le 25 avril 1849, à la section
d’Administration, comité des Finances, de la
Guerre et de la Marine. C’est à cette époque qu’il
prit part à une commission chargée d’améliorer la
comptabilité des Ponts et Chaussées et des
bâtiments civils au sein du ministère des Travaux
publics. Cette commission, présidée par Audiffret*,
aboutit à la rédaction d’un Règlement spécial sur la
comptabilité du ministère des Travaux publics signé
Audiffret, Masson et Chenin. Masson est suspendu
avec tout le Conseil d’état le 2 décembre 1851
avant de faire valoir ses droits à la retraite en le 28
mai 1852. S.K.
Sources : Œuvres de Masson V.A. (voir la
bibliographie générale). Audiffret G., Chenin,
Masson V.A. (1849).
Bibliographie : Kott S. (2004 et 2007).
Matières
272
Voir Comptabilité-matières
Mémorial
Voir Brouillard, brouillon
Mensuel
Dans l’administration du royaume de Piémont-
Sardaigne, ce ternie désigne un état mensuel
imprimé, utilisé par les trésoriers à partir des années
1710-1720 pour donner le détail des paiements sur
les tailles, parties des domaines et parties casuelles,
faits mois par mois par chaque communauté. Le
trésorier annotait sur le mensuel imprimé, sous la
rubrique de chaque paroisse, les parties qu’il avait
exigées. Ces mensuels étaient transmis à l’intendant
provincial qui le transmettait à Turin. Ils faisaient
voir les dépenses faites sur quittances de la
Trésorerie générale de Turin. Plusieurs modèles de
mensuels existaient dans les territoires de ce
royaume. Ceux remplis par les trésoriers de Savoie
étaient simples - ils ne portaient que sur les recettes
de taille- mais souvent mal utilisés. Bien des
mensuels ne présentaient en effet qu’un « fatras de
papiers ». En 1777, Turin chercha à les unifier. On
prit pour unique modèle ceux utilisés dans le
Piémont et on les imposa aux trésoriers de Savoie.
Le Général des finances, Botton de Castellamont,
s’expliqua sur ce point : « ce [nouveau] modèle
n’est que celui dont se servent les trésoriers du
Piémont, lesquels certainement ont beaucoup plus
d’exaction [levée de taxes] à faire surtout en parties
casuelles, que ceux de ce Duché, cependant les
mensuels me parviennent toujours promptement.
Qu’est ce que c’est de tirer chaque mois cela des
registres si ceux-ci sont tenus en règle? » demanda-
t-il en 1777 dans une lettre à l’intendant général de
Savoie. La mise en œuvre des nouveaux mensuels
en Savoie fit réagir les trésoriers, à l’exemple de
Billiod, trésorier du Genevois. M.-L. L.
Voir Intendant de province, Savoie
Sources : AD de Savoie, C 278, « Copie de
mémoire envoié au Bureau de finances par
Monsieur l’intendant général » et lettre du Général
des finances, Botton de Castellamont, à l’intendant
général Vacha, 7 mai 1777.
Menu de comptant
Registre de minutes des ordonnances de comptant*
qui étaient détruites une fois le paiement
correspondant effectué. Ce registre était arrêté au
Conseil de trois mois en trois mois. Un règlement
du 13 septembre 1628 ordonne qu’un registre soit
tenu de tous les titres concernant les affaires du roi
et que ce registre soit conservé au Contrôle général
des finances*. Ce registre renfermerait tant les
traités, marchés, remboursements, engagements des
domaines que « les ordonnances de comptants
expédiées pour acquiter les despences de la guerre
et autres despences publiques desquelles l’on n’a
peu tirer les acquitz en forme pour la descharge de
Sa Mté [article 13], comme aussi les ordonnances
de comptans qui s’expédient pour acquiter les
debtes ou pensions deues aux étrangers dont le
payement se faict ouvertement et autres semblables
despences qui pouvaient estre demandées deux foys
s’il n’en estait gardé mémoire [article 14] ». Il
semblerait que ces registres aient été tenus jusqu’à
ce que le surintendant Claude de Bullion, aux
affaires à partir de 1632, les fasse brûler pour
cacher l’origine d’une partie de sa fortune. C’est ce
que laisse entendre Richelieu dans une lettre à
Bullion en 1639: «Je prie [M. de Bullion] de
résoudre ce qui s’ensuit... À borner tellement sa
fortune au bien qu’il a, qu’il n’en désire à l’avenir
aucun accroissement, ains se contenter, en servant
le roi en la charge en laquelle il est, des gages et
appointemens d’icelle, selon le pied auquel ils ont
esté restraints par le règlement faict par Sa Majesté
le 16 juillet 1638... À restablir l’ordre ancien,
suivant lequel on ne doit expédier aucun comptant,
de quelque nature que ce puisse estre, soit pour
raison de dons, affaires secrètes, estrangères ou
autres, ou pour les remises des traictés qui se font
au conseil, qu’au mesme temps on en retienne un
menu, arresté au conseil de trois en trois mois,
signé de messieurs le chancelier, les surintendans et
tous les intendans ; duquel menu sera faict trois
copies, l’une pour le trésorier de l’Espargne, la
seconde pour messieurs les surintendans, et la
troisiesme pour monsieur le Chancelier. Le tout
selon qu’il se pratiquoit auparavant la mauvaise
introduction de brusler le menu desd. comptants».
Après 1639, on cessa de brûler les menus comme
l’avait ordonné Richelieu. M.-L. L.
Sources : Avenel D., Lettres, instructions
diplomatiques et papiers d’État du cardinal de
Richelieu, Paris, t. VI, 1867, p. 271. Mousnier R.,
« Les règlements du Conseil du roi sous
Louis XIII », Annuaire-bulletin de la Société de
l’histoire de France, 1946-1947, p. 180.
Bibliographie : Bonney R. (1976). Le Guillou Y.,
« L’enrichissement des surintendants Bullion et
Bouthillier ou le détournement des fonds publics
sous Louis XIII », Revue Dix-septième siècle,
n° 211, 2001-2002, p. 195-213.
Milan
Voir Autriche, Espagne
Mines
Voir Comptabilité industrielle,
comptabilité manufacturière
Ministère du Trésor public (1801-1814)
Reprenant la structure révolutionnaire qui
distinguait la commission de la Trésorerie de celle
des finances durant une courte période, le ministère
des finances voit s’ériger face à lui en ministère
autonome sa direction du Trésor public. L’article 2
de l’arrêté du 5 vendémiaire an X - 27 septembre
1801 crée «sous le nom de ministre du Trésor
public, un huitième ministre chargé directement et
sous sa propre responsabilité de toutes les fonctions
que le Directeur général remplissait sous la
surveillance et la responsabilité du ministre des
Finances ». Deux ministres se succéderont à cette
fonction : Barbé-Marbois, l’ancien directeur général
du Trésor, de 1801 à 1806, et Mollien* de 1806 à
1814. Cette scission perdure durant tout l’Empire
pour prendre fin en avril 1814.
Le ministère du Trésor public ampute le ministère
des finances d’une majorité de son personnel et
devient le plus gros employeur de fonctionnaires.
Alors que le ministère des finances se concentre sur
les contributions, le ministère du Trésor public
prend en charge la trésorerie de l’État : c’est-à-dire
la gestion*, dans tous les sens du tenue, de ses
fonds*.
L’almanach impérial de l’année 1810 synthétise ces
missions. « L'exécution des lois et des décrets qui
ont pour objet d'assurer les recettes du Trésor et de
régler les dépenses publiques ; la distribution* des
fonds à mettre à la disposition des divers ministres,
et l'autorisation de paiement de leurs ordonnances*,
délivrées dans les fonues constitutionnelles ; la
formation, la tenue et les mutations du grand livre
de la dette publique* et du registre des pensions; les
instructions qui règlent la comptabilité des
Receveurs généraux* et particuliers*, des payeurs*
des départemens, divisions, ports, armées et
Colonies ; la surveillance et le contrôle du
versement des fonds et revenus publics de toute
nature dans la caisse* du Trésor public à Paris, ou
dans les caisses extérieures ; les conversions de
valeurs en effets susceptibles d'une application
locale aux besoins du service ; le mouvement des
fonds combiné avec les dépenses de l'État ; l'ordre
des poursuites dirigées par l'agence judiciaire pour
les recouvremens de débets*.
Le ministère du Trésor se divise en six sections
principales, savoir : 1° Les caisses, au nombre de
quatre, désignées sous les noms de Caisse des
recettes, Caisse centrale, Caisse des dépenses,
Caisse de service* ; 2° Les bureaux administratifs
des dépenses ; 3° Les payeurs généraux, au nombre
de quatre ayant l’un, les dépenses de la guerre,
l’autre, celles de la marine, le troisième, les
dépenses diverses, le quatrième, la dette perpétuelle
et viagère, et les pensions ; 4° La comptabilité
centrale qui suit par ses écritures les recouvremens
successifs de tous les revenus publics, et
l'application qui en est faite aux dépenses de l'État ;
5° Le grand livre de la dette publique et celle des
pensions ; 6° L'agence judiciaire ».
Dans ses Mémoires d’un ministre du Trésor public,
Mollien* décrit les comptes centraux du ministère à
273
 son arrivée : « Ils se composaient, suivant l’usage,
de plus de quarante tableaux de chiffres ; ils
présentaient l’ensemble et le détail des recettes, et
des dépenses faites en 1805, sur chacun des six
derniers budgets ou exercices*; car depuis l’an
VIII (1800), aucun budget* n’avait encore été
complètement soldé ».
Cette partition entre contribution et trésorerie relève
d’une approche synthétique des activités financières
qui distingue clairement les différentes phases de la
dépense publique. Bonaparte décide et engage les
crédits, son ministre exécute la dépense par ses
ordonnances et atteste du service fait par la
liquidation, c’est le ministre du Trésor public qui en
effectue le paiement. Il s’agit aussi de placer les
ministres à égalité, au simple rang d’exécutant, sous
la férule d’un Premier consul qui deviendra
empereur. Audiffret* témoignera de ce que « la
direction des finances n'appartenait qu'à sa volonté
personnelle, toute la surveillance était dans son
coup d'œil ; c'était de son trône même que devaient
émaner tous les ordres, et c'était à lui seul qu'il
fallait rendre compte de leur exécution ». Une lettre
de Napoléon depuis Schoenbrunn à son ministre du
Trésor, Barbé-Marbois, le 24 frimaire an XIV, en
apporte une illustration on ne peut plus explicite.
Dans un style peu administratif, l’empereur rappelle
à son ministre du Trésor le principe élémentaire
présidant à l’octroi de fonds publics ainsi que la
simplicité de la mission qui lui a été confiée :
« Vous n 'avez pas le droit de donner un sous sans
une ordonnance du Ministre et le Ministre ne peut
ordonnancer que sur le crédit que je lui ai accordé.
Je ne sais comment vous avez pu méconnaître ce
principe et changer la destination d'aucune somme;
d’ailleurs le monde périrait, vous n’avez pas le
droit de sortir de vos attributions ».
La revalorisation de la trésorerie au sein de
l’appareil administratif témoigne enfin d’une
nécessité pratique. L’efficacité administrative
repose en partie sur la capacité du ministère du
Trésor à opérer le mouvement des fonds comme en
témoigne Mollien : «Il [Napoléon] «m’annonçait
qu’il venait de créer cinq nouvelles légions formant
trente bataillons ; il voulait que je lui fisse connaître
ce dont la dépense de la solde se trouverait
augmentée par la création de ces nouveaux corps.
On s’étonnera moins de voir le ministre du Trésor
public consulté sur ces questions, en se rappelant
que l’un des devoirs du trésor était de pourvoir au
paiement de la solde, avant que ce paiement eût été
ordonnancé, et même réclamé par le ministre de la
guerre ; il fallait donc que la trésorerie connût, par
ses propres agents, l’emplacement et la force de
chaque corps, et même de chaque détachement,
pour mesurer ses envois de fonds sur le nombre
effectif des hommes à solder. (...) Napoléon
trouvait au trésor, sur la dépense effective de la
solde, des renseignements bien plus prompts et
aussi exacts que ceux qu’aurait pu lui fournir le
274
ministre de la guerre qui, surtout lorsque les corps
étaient morcelés par détachements, employait
quelquefois trois ou quatre ans à compléter ses
documents sur chaque corps pur une seule année »
S.K.
Sources : Almanach impérial, arrêté du 5
vendémiaire an X (27 septembre 1801). Mollien N
(1898).
Bibliographie : Antonetti G., « François Barbé-
Marbois » et « Nicolas Mollien », Les ministres des
Finances (2007). Pinaud P.F. (1999). Potton JF
(2007).
Modération, modérer
Voir Remise
Mollien, Nicolas (1758-1850)
Fils d’un industriel rouennais du textile, Nicolas
Mollien était promis à la carrière d’avocat lorsqu’il
obtient une place de stagiaire dans les bureaux de la
Ferme générale* en 1775. Au début des années
1780, il transmet à Joly de Fleury, contrôleur
général des finances*, un mémoire sur le
développement du port franc de Bayonne en
anticipation du commerce transatlantique. Intéressé,
ce dernier l’engage comme commis dans le
département en charge de la Ferme générale*.
Mollien organise la négociation du bail de 1786 qui
rapporte alors 14 millions supplémentaires. Ce
succès lui vaut de devenir Premier commis* du
Contrôle général des finances*.
Il quitte le Contrôle général en 1790 et obtient de
Tarbe le poste de directeur des domaines* et de
l’enregistrement du département de l’Eure en 1791.
Éloigné de la capitale, il n’est pas à l’abri de la
Révolution. Il est destitué suite à la rédaction d’une
adresse royaliste en août 1792, arrêté une première
fois en février 1794 puis une seconde fois fin mars
de la même année comme complice des fermiers
généraux. Il s’en faut de peu qu’il partage le sort
des ces derniers, guillotinés. De retour à Rouen, il
retrouve une activité industrielle au sein d’une
filature. La situation chaotique de la fin du
Directoire convainc Mollien d’émigrer en
Angleterre* où il réside un an et observe
l’économie et les finances d’Outre Manche. Après
le coup d’État de juin 1799, il rentre en France et
publie Aperçu et résultats de la doctrine française
et de la doctrine anglaise en finance. Il distingue la
« dette flottante » financée par les « bons de
service » escomptés à la Banque de France et la
« dette fondée » financée par emprunt et gérée par
amortissement à l’image de ce qui se passe en
Angleterre. Gaudin* vient d’établir la caisse de
garantie et d’amortissement; il en nomme Mollien
deuxième administrateur en 1800, puis directeur en
1801. Mollien est alors au cœur du système de
financement de l’État. Il y introduit la comptabilité
en partie double*, qu’il pourrait tenir de son
passage dans l’industrie textile. Il apporte son
concours aux réformes monétaires de 1803 portées
par Gaudin* et critique les débuts de la Banque de
France. Gaston Audiffret* comptera parmi ses
agents à la caisse d’amortissement à partir de
novembre 1805. Mollien est fait conseiller d’État en
1805 (section des finances) avant d’accéder au
ministère du Trésor* le 27 janvier 1806. Il prend la
suite de Barbé-Marbois, démis de ses fonctions
suite à l’affaire des Négociants-réunis. Ouvrard et
d’autres banquiers avaient financé un énorme
découvert par un système de cavalerie de traites
portées à l’escompte à la Banque de France. Très
rapidement, Mollien réorganise le ministère du
Trésor de manière énergique et efficace. La loi du
22 avril 1806 confie la nomination du gouverneur
de la Banque de France et de ses deux sous-
gouverneurs à l’État. La Banque est placée de fait
sous la tutelle de l’État et plus particulièrement de
celle de Mollien. Celui-ci est directement à la
source de la création des banques départementales
qui feront faillite en 1848 pour être définitivement
remplacées par des succursales. Conscient des
difficultés liées au financement de l’État, Mollien
réalise une réforme fondamentale en créant la
Caisse de service* (décret du 16 juillet 1806) qui
allait devenir l’outil central du mouvement général
des fonds*. En 1807, il promeut le rétablissement
d’une magistrature comptable, mise en veille depuis
la suppression des Chambres des comptes*, qui
aboutira à la création de la Cour des comptes*
(décret du 16 septembre 1807). Enfin, après l’avoir
introduite à la caisse d’amortissement, Mollien
impose la comptabilité en partie double* au Trésor
(décret du 4 janvier 1808). Cette œuvre majeure lui
vaut d’être créé comte d’Empire le 10 mars 1808.
Fidèle à Napoléon jusqu’au bout, Mollien retrouve
son ministère durant les Cent jours. Mis en cause
par les ultras de la Chambre introuvable pour sa
gestion, il publie des Eclaircissements sur les lois,
les budgets et les comptes de finances, depuis la
Restauration, en réponse à une brochure
récemment publiée sur le même sujet et ses
Mémoires. Il refusa ensuite le ministère des
finances par trois fois et accepta la pairie le 5 mars
1819. Longtemps président de la Commission des
finances, il resta influent dans le domaine financier
jusqu’à la Monarchie de Juillet. S.K.
Sources : Œuvres de Mollien (voir bibliographie
générale). Amna J. et Gille B., Napoléon Ier,
Lettres au comte Mollien, ministre du Trésor
public, 1959.
Bibliographie : Antonetti G., « Mollien », Les
ministres des Finances (2007). Nikitin M. (2001).
Monnaie (ateliers)
L'exemple vénitien
L’Hôtel des monnaies fut appelé dès 1290 Zecca,
de l’arabe sikka, le « coin » qui porte l’empreinte
que l’on veut donner à la monnaie (cf l’anglais
coin), le mot avait d’abord désigné à Venise les
monnaies arabes. La gestion de la Monnaie était
entre les mains des massari (ou monétaires) nobles
élus qui avaient pour adjoints des peseurs et un
scrivan, des ouvriers s’occupant de la fusion du
métal et de la frappe des monnaies.
Les monétaires achetaient le métal précieux au prix
négocié avec les vendeurs, mais après 1330 le prix
de l’argent fut fixé par les conseils. Le métal acquis
était pesé, fondu en barres pour être estimé, puis
transformé en lingots par des fondeurs. Si le
massaro de permanence {de quindena qui durait
deux mois, 50 jours ouvrés) qui avait acheté le
métal n’était pas d’accord sur l’examen (exagium,
sagio) opéré par le peseur, le second peseur et un
autre massaro étaient convoqués et la question était
débattue puis tranchée à la majorité. Pour les achats
d’or, en 1332, les Quarante établirent que le
massaro devrait enregistrer sur son livre le poids et
le titre du métal et délivrer au vendeur un reçu que
celui-ci présenterait lorsqu’il retirerait les ducats
frappés avec son métal. Sur ce reçu le titre (qualité
du métal ou aloi mesuré en carats) qui apparaissait
était celui indiqué par la « pierre de touche », non
par l’examen. En 1350, les massari demandèrent
que l’expertise fût obtenue par « coupellation » (un
procédé chimique pour identifier et éliminer les
impuretés), les Quarante décrétèrent que le massaro
de quinzaine (qui avait acheté) devait être absent
lorsque le métal était analysé. La Zecca achetait
aussi des monnaies vénitiennes usées et rognées ou
des pièces étrangères pour les refrapper en bonne
monnaie neuve de Venise (gros d’argent ou ducat
d’or).
Le massaro choisissait la main-d’œuvre spécialisée
(affineur, tailleur) mais son choix était soumis à
ratification du gouvernement. Le contrôle des
massari était d’abord garanti par la présence de
plusieurs massari de quinzaine. Le second appelé
associé {socius) portait au fondeur le métal
récemment acheté et arbitrait les désaccords surgis
entre massaro et peseur lors de l’examen du métal.
Les peseurs qui contrôlaient le travail des massari
devaient informer ceux-ci de toute irrégularité
constatée et, sans réaction de leur part, porter
l’affaire devant les avogadori di comun. Les
peseurs ne pouvaient être parents des massari, ils
étaient élus à part. Les massari étaient responsables
sur leurs deniers propres. Trois membres de la
Quarantia visitaient chaque semaine la Zecca et
inspectaient si la monnaie frappée était « belle,
propre et ronde ».
La fonction des massari leur offrait quelque
occasion de gains illicites faciles et l’Etat contrôlait
étroitement leur activité. Ce contrôle consistait en la
vérification comptable et en la présentation de
comptes-rendus sous trois formes : rapports
275
 périodiques à d’autres officiers ; exposés
semestriels des comptes de la Zecca, rédigés en
collaboration avec d’autres personnels de la Zecca ;
grand livre. Chaque massaro rédigeait un rapport à
l’échéance de sa « quinzaine » et transmettait à son
successeur ce rapport avec le métal acheté et la
monnaie fabriquée. En 1306, à la fin de la
« quinzaine » ils rendaient compte au doge et aux
chefs des Quarante de toute transaction, y
compris des recettes dégagées par la vente de sous-
produits, (charbon de)bois et cuivre (impureté du
minerai); à la fin du trimestre, ils confiaient aux
camériers de la commune les profits du monnayage.
Deux fois l’an, à mi parcours et au renouvellement
des massari, les officiers et les peseurs préparaient
des comptes-rendus d’activité où ils signalaient tout
le précieux métal transformé à la Zecca et le
seigneuriage (profit du monnayage). En 1326 le
rapport au doge appelé cetola (cedula) était lu
devant le conseil des Quarante. Le compte (raxon)
était envoyé aux Offîciali aile rason vecchie qui
pouvaient aussi se faire communiquer les grands
livres. Un rapport présenté en retard était passible
d’amende. Les massari devaient tenir sous clé leurs
livres.
Autour de 1390, tous les massari en charge durant
les dix années précédentes furent invités à
représenter leurs comptes aux offîciali et aux trois
membres des Quarante chargés de la surveillance de
la Zecca. En 1385 deux réviseurs aux comptes
(nobiles ad videndum et examinandum rationes)
spécialement élus furent chargés de revoir les livres
des massari et d’autres magistrats. Deux massari
furent accusés d’avoir gardé des recettes de l’Etat,
les réviseurs avaient examiné les livres des six
dernières années ; l’imputé qui n’avait pu montrer
les livres de onze années antérieures, fut soumis à
une amende forfaitaire (et modérée) de 2 240 livres,
ses biens saisis pour solder l’amende. La révision
ordinaire des comptes n’avait rien fait apparaître, la
consultation des livres constituait donc une preuve
tenue en réserve.
Le peseur {ponderator en latin, pexador en
vénitien) avait pour mission principale l’examen du
métal et des monnaies au cours des diverses phases
de la production. Les peseurs vérifiaient le titre et le
poids du métal et des flans, enregistraient les
quantités de métal entrant et sortant. Ils étaient
présents quand le massaro remettait le métal aux
fondeurs pour former les flans, ils tenaient les
grands livres dont les massari extrayaient les
données indispensables à la rédaction de leurs
rapports. S’ils remettaient leurs livres en retard à
leurs supérieurs (= les massari), ils étaient passibles
d’une amende. Aux peseurs était remise une copie
des comptes de chaque massaro de quinzaine et une
copie du rapport semestriel. Ils enquêtaient sur tout
problème qui se présentait à la zecca et en référaient
aux massari.
276
Le scrivan (notarins, scriba), nommé directement
par la Seigneurie (doge + minor consiglio + 3 chefs
des Quarante), était responsable devant elle. Il
exerçait un contrôle strict sur les massari, tenait lui
aussi un libro mastro parallèle à celui des massari
pour enregistrer toutes les transactions de la
quinzaine, notamment le métal transformé en
lingots et frappé en monnaie. En 1349 il tint deux
registres, l’un destiné à la Seigneurie, l’autre aux
avogadori ainsi informés d’éventuelles irrégularités
dans les comptes des massari. Le scrivan pouvait
infliger des amendes aux massari et aux peseurs qui
auraient utilisé les apprentis de la Monnaie pour
leur service personnel. En 1395 le scrivan
comparaissait tous les deux mois devant les
provveditori di comun pour signaler sous serment
les manquements éventuels des massari.
Au Moyen Âge, le contrôle d’un office essentiel de
la vie économique, l’Hôtel des Monnaies, était par
conséquent assuré de manière interne, grâce à la
collégialité des fonctions, par le mode de
recrutement de trois catégories de
« fonctionnaires » dévolu à des degrés différents du
pouvoir (Seigneurie, Quarante), par l’arbitrage en
cas de conflit, par la surveillance mutuelle, par des
visites d’inspection, et de manière externe par des
officiers aux comptes et par la Seigneurie qui
examinaient des comptes-rendus semestriels
d’activités, par les avogadori di comun saisis des
irrégularités constatées, et à la fin du 14e siècle par
les provéditeurs de la Commune infonnés par le
scrivan, un notaire qui bénéficiait d’une grande
autonomie au sein de l’office et exerçait une
véritable fonction de surveillance sur ses
supérieurs.
À la fin du XVe siècle, lors de la crise financière
provoquée par la succession de guerres sur terre et
sur mer, la Monnaie (zecca, cecca) devint un
puissant organe financier chargé de gérer la dette
publique, de verser les intérêts et de rembourser le
capital par fractions échues pour les Monti
remboursables. Pour cela elle devait disposer de
recettes accrues que lui versaient divers offices ou
les camériers de la Commune. En 1536, 18
novembre, lors de la reprise des hostilités avec
l’empire ottoman, le Conseil des X et la junte
(Zonta) de sénateurs émirent un règlement pour les
écritures du journal, une méthode pour déterminer
qui était débiteur, et qui, créditeur, en quoi
consistait le « die dar » et le « die haver » pour la
caisse de la Zecca. « Les continuelles obligations
adossées à la Zecca font qu’une grande partie de
l’argent qui parvient aux camériers de la commune
sont pour le compte et destinés à la Zecca, et parce
que à l’office des camériers les opérations (partite)
sont très confuses, les recettes entrent dans
plusieurs caisses, caisse courante, caisse à part, si
bien qu’on ne peut voir les comptes de la Zecca, il
faut qu’à l’office des camériers on tienne les
comptes et les caisses des autres offices
séparément, ainsi la caisse des dix offices, la caisse
de l’Arsenal, la caisse de l’armement (armar), ainsi
doit-on faire de l’argent revenant à la Zecca, afin
que les provéditeurs à la Zecca puissent voir les
entrées et les sorties (veder il ricever et dar fuora)
et comprendre les comptes de la Zecca (intender le
raggion délia cecca). La loi adoptée par les X et la
junte fait obligation au camérier-caissier, au scrivan
et au contrôleur (scontro), dès réception de l’argent
assigné à la Monnaie, d’inscrire les opérations dans
le journal à une caisse séparée appelée « caisse de
la Monnaie » par tel office ou administration selon
la provenance de l’argent, en doit et avoir. Les
caissiers des camériers doivent donner à la Zecca
l’argent qui lui revient, de même les caissiers de
l’office du sel et tous les caissiers des offices
recevant de l’argent pour le compte de la Zecca, dès
la réception de l’argent, doivent faire la « partita »
dans le journal pour la caisse de la Zecca avant de
porter l’argent aux camériers de la Commune..., les
provéditeurs de la Zecca ont liberté de contrôler les
livres et journaux des camériers et des offices
recevant de l’argent assigné à la Zecca. Une
délibération successive (1539, 17 nov) adressée à
trois comptables, les scrivani des caisses des
camériers, du Conseil des X et de l’office du sel,
leur interdit de faire « partida » de l’argent assigné
à la Monnaie ni « partida » de l’argent des Monti
assignés à la Zecca. J.-C. H.
L ’exemple français
Organisation et gestion
Les ateliers monétaires français étaient, du bas
Moyen Âge jusqu’à la seconde moitié du XVIIe
siècle, des entreprises privées qui travaillaient poul­
ie compte de la monarchie. Ces établissements
étaient affermés au plus offrant lors d’enchères
publiques, à l’unité ou en lots. Les entrepreneurs
qui se risquaient dans l’entreprise étaient presque
exclusivement des marchands, versés dans le
négoce du textile, de denrées ou des métaux. Après
trois siècles de « fermes particulières », les ateliers
furent régis quelques temps par le système de la
Ferme générale*. Elle fut initiée par Mazarin et le
premier bail général fut signé en 1645 avant d’être
révoqué en 1647. Les preneurs pouvaient partager
la ferme en lots de quelques ateliers monétaires que
des associés leur louaient ou que des commis
dirigeaient en leur nom. La Cour des monnaies,
cour souveraine contrôlant la fabrication des
monnaies dans le royaume, s’opposa avec virulence
à ce système car elle y voyait une menace contre
ses prérogatives et fit annuler plusieurs baux à la fin
des années 1650. La Ferme générale fut rétablie en
1662 et renouvelée à deux reprises sous Colbert
pour placer des financiers (Fortier en 1672 et Lucot
en 1674).
Dans le système de la ferme particulière, le preneur
d’un « bail particulier » devenait « maître fermier
particulier» de l’atelier monétaire pour une durée
limitée prédéfinie (en général 3 à 6 ans). Il
s’engageait au versement d’une garantie, faisait la
promesse lors des enchères d’une production
minimum, le « faifort », et devait verser au roi le
« seigneuriage » correspondant à sa production ; le
souverain, en effet, détenait le droit régalien de
battre monnaie qu’il ne faisait, dans cette opération,
que transférer. Pour un bail général, l’adjudication
se faisait au forfait, c’est-à-dire contre la promesse
de réaliser le travail mentionné dans les lettres
patentes et moyennant la somme stipulée. Le maître
pouvait dès la signature de son bail faire fabriquer
des monnaies aux coins du roi sous sa
responsabilité, ainsi que celles des officiers de
l’atelier placés là par les autorités. Les monnaies
qu’il faisait frapper sous sa marque devaient
respecter la législation du pouvoir central et, chaque
année, la Chambre des monnaies, devenue Cour en
1552, contrôlait la qualité de son travail. L’atelier
monétaire était donc, dans ce fonctionnement, une
entreprise qui fonctionnait avec des capitaux privés
et un personnel d’État, sauf son maître.
Cependant, l’affermage disparut au cours de la
seconde moitié du XVIIe siècle pour aboutir à une
« nationalisation » de la frappe des monnaies. Le
système de la régie*, inauguré en 1666 et renouvelé
à partir de 1677 après quelques années de ferme
générale, installa un « directeur général des
monnaies de France » à la tête de l’administration
monétaire qui relevait du Contrôle général des
finances* et avait à charge de commettre des
« directeurs particuliers » dans chacun des ateliers
du royaume. Le dernier directeur général, établi à la
tête de la régie des monnaies en 1683, fut le sieur
Rousseau. Celui-ci dirigea les Monnaies sous le
régime de la régie lors de la première réforme
monétaire du règne de Louis XIV (1689-1692),
mais à l’occasion de la seconde réformation des
espèces, décidée par l’édit de septembre 1693, la
monarchie termina de gérer par elle-même la
fabrication du numéraire. En érigeant en titre
d’offices des directeurs ou « trésoriers particuliers »
dans chacun des ateliers du royaume, elle installait
des hommes qui ne relèveraient plus que d’elle, et
particulièrement du contrôleur général des finances.
Pratiquement assimilables à des fonctionnaires
d’État, ils n’avaient dorénavant plus en charge que
l’administration de l’établissement qui leur avait été
confié et leur maintien ne dépendait plus des
résultats de l’atelier. Propriétaires de leur charge, ils
restaient en place jusqu’à leur mort ou la cession de
leur office, sauf quelques rares cas de révocations
pour malversations.
La carte des ateliers monétaires du royaume n’a
cessé d’évoluer. Si une quarantaine de villes au
total en accueillirent un à l’époque moderne, ils ne
furent jamais tous ouverts en même temps et leur
activité dépendit essentiellement de la politique
monétaire et fiscale de la monarchie. Trop
277
 nombreux et mal situés, le pouvoir décida au milieu
du XVIe siècle de les installer seulement là où
étaient établies les recettes générales et siégeaient
les trésoriers généraux, dans un souci d’économie et
d’efficacité. Des événements particuliers, comme
les guerres de Religion à la fin du XVIe siècle,
favorisèrent la multiplication d’ateliers, plus ou
moins légaux : comme Paris et sa Monnaie, par
exemple, étaient aux mains des ligueurs, les
politiques en installèrent un, temporaire, à
Compiègne ; de même, les premiers en créèrent un
à Saint-Lizier alors que les seconds tenaient
Bordeaux. Mazarin puis Colbert tentèrent de
diminuer leur nombre afin de mieux les contrôler
et, encore une fois, de réaliser des économies : c’est
ainsi que seules les Monnaies de Paris, Rouen,
Rennes, Bayonne, Lyon et Aix devaient fonctionner
dans les années 1660. Avec les manipulations et les
réformations monétaires inaugurées en 1689, le
pouvoir dut ouvrir plusieurs ateliers, dans un but
purement fiscal : jusqu’en 1726, date de la
stabilisation monétaire, entre 25 et 30
établissements firent fonctionner leurs presses à
chaque réforme, mais la plupart fermait aussitôt le
travail terminé. À la fin du règne de Louis XV,
beaucoup de petits ateliers peu performants,
essentiellement situés dans les terres, fermèrent
leurs portes (Caen, Tours, Poitiers, etc.) et l’on n’en
comptait plus qu’une quinzaine à la veille de la
Révolution, les plus actifs étant celui de Paris et
ceux qui transformaient l’argent espagnol (Bayonne
et Pau).
Comptabilité et contrôle
La fabrication des monnaies exigeait la tenue de
nombreux documents comptables à chacune des
étapes de la production, afin de la contrôler. La
Chambre puis Cour des monnaies y veillait depuis
sa création, au XIVe siècle, et exerça cette
prérogative jusqu’à sa suppression en 1791 ; ce fut
l’attribution essentielle qu’elle conserva alors que
son pouvoir en matière de politique monétaire
n’avait cessé de s’amenuiser devant le Contrôle
général des finances. Les premiers types de
registres, ceux consignant les achats de matières,
permettent de définir la nature, la masse et le prix
des métaux précieux achetés par les ateliers
monétaires pour les transfonner en espèces. Ceux-ci
étaient tenus par les changeurs de l’atelier quand il
en disposait ; ce n’est pas encore le cas dans tous
les ateliers du royaume au XVIe siècle où un
commis salarié par le maître pouvait s’en charger,
mais c’est la règle à partir de la fin du XVIIe siècle
(1693). Ils détenaient l’exclusivité de la rédaction
de ces comptes. Quel que soit leur statut, les
changeurs commis ou titulaires d’une charge étaient
responsables devant le maître de leurs achats. Ils
conservaient ces registres en un seul exemplaire
dans le coffre des matières précieuses non
transformées dont ils gardaient l’une des trois clés*.
278
Il n’existe aucune règle ou aucun modèle précis
pour la rédaction de ces registres avant la seconde
moitié du XVIIe siècle et ceux diffusés par le
Contrôle général des finances. Pendant longtemps,
ce type de compte apparaît plus littéraire que
mathématique, comme en témoigne la diversité des
rares exemplaires conservés. Le rédacteur y note
toujours la nature du métal acheté, sa masse et la
somme payée. Parfois, il ajoute le nom du vendeur,
le prix du métal au marc (poids de référence) et la
nature de l’objet métallique acheté (pièces,
vaisselle) et, en marge, le paiement qu’il en a
effectué ou la cédule qu’il a dressée : en effet,
responsable sur ses deniers, le changeur faisait
d’abord déterminer la préciosité du métal acheté par
l’essayeur de l’atelier avant de le payer en espèces
sonnantes et trébuchantes. Toutes ces infonnations
étaient rédigées dans un désordre limité ; jamais un
compte final*, par métal par exemple, ou mensuel
ou annuel, n’était réalisé. Dans la seconde moitié du
XVIIe siècle et notamment à partir des années 1680-
1690, au début des réformes monétaires, il est clair
que des modèles pour la bonne tenue des registres
ont été diffusés par le Contrôle général des
finances, tant les changeurs appliquent à peu près
partout la même méthode. Le rédacteur suit une
logique de nature des métaux : pages pour l’or, pour
l’argent, etc. Il dispose ses données en lignes
horizontales par vendeur et par dates et verticales
par poids et par valeur, ce qui lui permet de réaliser
de comptes totaux, mensuels et annuels. Des
tableaux récapitulatifs, typiques des nouvelles
exigences de l’administration centrale, viennent
compléter ce dispositif, en organisant les achats
métalliques selon la forme de l’objet : vaisselle
plate de Paris, de province, montée de Paris, de
province, etc. Parfois même, cette forme
d’enregistrement résumé remplace la précédente.
Les registres de « délivrances » sont les comptes de
fabrication des ateliers monétaires. Ils sont plus
communs que les registres de change bien
qu’inégalement conservés. Ils permettent
d’appréhender la qualité et le rythme de production
des Monnaies locales et, additionnés, d’offrir une
image de la production nationale. Ces registres
étaient tenus par les gardes ou «juges-gardes»,
officiers supérieurs des Monnaies, qui consignaient
le poids précis et le nombre des monnaies frappées
dans leur atelier que leur avaient remis les
monnayeurs. Ils étaient chargés de vérifier que la
masse délivrée correspondait à celle de métal fondu
et/ou de flans monnayés par les ouvriers fondeurs et
monnayeurs, qui avaient préalablement tenu un
registre de préparation des flans. Les juges-gardes
étaient responsables devant le maître de la
production à l’unité près et c’est pour cela que,
comme leur nom l’indique, ils étaient chargés de
juger sur place la qualité de la production ; ils
pouvaient en conséquence exiger qu’une délivrance
soit détruite si elle n’était pas de bon poids et de
bon aloi. L’original du « cahier des délivrances »
était envoyé à la Cour des monnaies pour contrôle,
accompagné d’une boîte contenant un échantillon
du travail : il devenait donc un document juridique
en plus d’un document comptable. L’atelier
monétaire en conservait une copie parfaitement
identique et quatre seront même exigées au cours
XVIIIe siècle (celle de la Cour des monnaies, du
directeur de l’atelier, des juges-gardes et des
archives de l’établissement).
La dernière étape de contrôle, et non des moindres,
concerne la concentration de ces données au niveau
du pouvoir central. Elles étaient d’abord compilées
dans les « registres du contrôle des boîtes » de la
Cour des monnaies. Celle-ci consignait, puis
contrôlait, le contenu des boîtes reçues de tous les
ateliers monétaires du royaume. Ces registres
permettent d’avoir une vue d’ensemble, à long
terme, de la production monétaire au niveau
national. En effet, quand les registres de délivrances
ont disparu, ce sont eux qui permettent d’estimer la
production monétaire, ceux dont Spooner, par
exemple, s’est servi pour quantifier la masse
produite dans le royaume entre la fin du XVe et la
fin du XVIIe siècle. Le bilan de la production
(quantité/qualité) y était inscrit par l’officier chargé
de sa rédaction, le « receveur général ». Il ne s’agit
cependant pas d’un registre où figurent les comptes
et calculs qui ont été nécessaires pour y parvenir :
en effet, différents officiers étaient intervenus, dont
l’essayeur général, pour le contrôle du titre, le
graveur général, le service des poids, etc. Leurs
comptes particuliers ou pièces justificatives étaient
annexés et sont aléatoirement conservés mais ils
sont les plus riches en détails et consistent en
feuilles volantes dont ne conservons souvent que
des copies de greffe. Ces comptes calculent, par
exemple, ce qui était dû au roi en cas de mauvaise
qualité des espèces délivrées. On a souvent la
chance qu’un résumé de ceux-ci figure dans les
comptes finaux ou résultats.
Après la réception des boîtes et du registre de
délivrances, la Cour des monnaies entamait une
procédure complexe visant à déterminer ce que
chacun devait précisément payer : seigneuriage sur
les monnaies, respect de l’engagement de
production minimum lors de la signature du bail
(faifort), paiement des gages des officiers, retenues
ou amendes sanctionnant une production trop faible
en titre ou trop légère en poids, remises octroyées
pour réparations et avances de frais, loyer de
l’atelier, etc. Ces comptes furent longtemps tenus
en chiffres romains afin d’éviter toute fraude ou
contestation; ils sont les plus complexes et les plus
mal conservés. Beaucoup de pièces éparses
subsistent cependant et sont d’une grande richesse
pour appréhender la réussite ou non de ces
entreprises, les résultats de l’investissement et le
coût ou les recettes sur les opérations de
monnayage pour la monarchie. Cependant, peut-on
parler de bilan comptable ? C’est très difficile car,
sur ces feuilles, il manque souvent un élément, et à
celles-ci s’en ajoutent d’autres quand les éléments
manquants sont connus : on préférera donc le terme
de résultats. J.J.
Sources : Abot de Bazinghen (M.), Traité des
monnoies et de la jurisdiction de la Cour des
monnoies, en forme de dictionnaire, Paris, éd.
Guillyn-Au Lys d’or, 2 vol., 1764. Clairand A. et
Kind J.-Y., Le Traité des monnaies de Jean
Boizard, d’après l’édition de 1692, Paris, K&C éd.,
coll. « Documents d’Histoire Monétaire », 2000.
Bibliographie: Hocquet J.C. (1999). Jambu J.
(2008), Spooner F.-C. (1956). Stahl A.M. (2000).
Hocquet J.C. (1999).
Monnaie de compte
Les monnaies réelles frappées dans les hôtels des
monnaies sont rarement prises en compte dans les
comptabilités ni les livres de comptes où leur
diversité (de métal, de teneur, de poids et d’origine)
introduirait une confusion extrême et impossible à
maîtriser. A l’acte du paiement, il fallait procéder à
des changes internes entre monnaie de compte et
monnaie effective pour solder un débit, ou plus
simplement procéder à un virement de monnaie de
compte, devenue monnaie de banque dans les livres
de la banque, d’un compte débiteur à un compte
créditeur. Même le paiement des impôts n’entraînait
pas nécessairement un décaissement* d’espèces
métalliques, il pouvait être opéré par diminution
d’un crédit antérieur.
L ’exemple vénitien
Les sources médiévales signalent plusieurs
systèmes d’unités de compte utilisés
successivement. Les deux premiers (1 et 2) étaient
fondés sur des monnaies effectives, le denier
devenu le piccolo quand fut frappé le grosso
d’argent (1204). 1) La livre de 240 deniers piccoli
vénitiens fondée sur la monnaie de billon ou « livre
vénitienne », où une livre est égale à 20 sous et un
sou à 12 deniers, conformément au système
duodécimal et vigésimal carolingien. Ce fut la plus
continûment employée ; 2) La livre de gros (libbra
grossorum) fondée sur la monnaie d’argent, dans
laquelle 20 sous font 240 deniers grossi et un sou
12 deniers gros (12 gros d’argent). Ces deux
systèmes simples engendrent, par les liens qui
unissent le gros aux piccoli, beaucoup de
complexité, puisque le rapport entre le gros
d’argent et les piccoli de billon n’a pas cessé
d’évoluer du fait la détérioration du piccolo. Pour
cette raison il a fallu créer : la livre « à gros »
(libbra ad grossos) fondée sur le « denier a
grosso », une monnaie purement fictive, à laquelle
on eut recours pour maintenir constant le rapport
initial : 1 gros d’argent = 26, 11 deniers piccoli.
219
 Le gros d’argent abandonna en effet ce rapport
initial et monta à 32 piccoli réels, ce qui provoquait
quelques désagréments. La lira a grossi était donc
une monnaie de compte - ce qui n’a rien d’original -
de 240 deniers de compte - ce qui l’est beaucoup
plus, qui constitua la troisième monnaie de compte
à Venise, aux côtés de la lira di grossi, apparue
avec le gros d’argent. Son importance, pour la tenue
des comptes, vient du fait que, purement fictive,
elle pouvait maintenir une valeur constante par
rapport au gros d’argent et qu’elle se trouva ainsi
amarrée au ducat d’or (cf 4, infra). Son invention
permit de maintenir jusqu’en 1404 la valeur de
compte antérieure à 1254 de la livre vénitienne de
piccoli, quand un gros valait 26 piccoli. 1 livre de
gros = 26 livres « à gros ».
En 1284, la frappe du ducat d’or, la célèbre pièce
d’or de Venise, introduit le tri-métallisme et au
XVIe siècle siècle apparut la dernière monnaie de
compte. A son apparition le ducat valait 18 gros ou
39 sous «à gros», mais dès 1285 il monta à 40
sous «à gros», soit 18 gros et demi. Il équivalait
donc à deux livres « à gros ». Ce change se maintint
jusqu’en 1328, quand la dépréciation de l’argent-
rnétal (par rapport à l’or) obligea à compter un
ducat pour 24 gros, soit une dépréciation de près
d’un tiers du gros d’argent. Le ducat fut compté 52
sous 2 deniers « à gros » (ou 2 livres 12 sous 2
deniers « à gros »). Mais à partir de 1328 l’argent
entama un mouvement inverse et ne cessa plus de
renchérir, Venise, faute de trouver une solution
satisfaisante à ses problèmes monétaires, se résolut
alors à abandonner la frappe du gros. Le gros qui
n’était plus frappé à la Monnaie, continua d’être
utilisé dans les comptes parce qu’il fallait un sous-
multiple du ducat. Le ducat d’or entra ainsi dans
une relation avec la livre de gros : 1 livre de gros =
240 gros et 1 ducat = 24 gros, 1 livre de gros = 10
ducats d’or = 20 sous et 1 sou de gros = un demi
ducat. Les difficultés provenaient de l’absence de
rapports fixes et stables entre la monnaie d’or (le
ducat) et la monnaie d’argent (le gros), cette
dernière étant mal arrimée à la livre de piccoli. En
unités de compte, on avait la relation suivante : 1
denier grosso = 32 deniers piccoli, mais ce petit
denier imaginaire reproduisait le cours légal de
1282. Ancré à la monnaie d’or (ducat et livre de
gros), il est appelé piccolo a oro. En effet, en
monnaie effective, 1 denier grosso = 62 piccoli,
appelés a moneta. De cette relation, il ressort que :
1 piccolo a oro = 1 piccolo a moneta et 15/16, une
relation qui met en évidence que le ducat n’a cessé
de se réévaluer par rapport à la livre vénitienne.
A partir de 1472, le ducat d’or valut 124 sous (6 lire
4 sous) de piccoli, un rapport demeuré inchangé
pendant un demi-siècle, mais les guerres, les
bouleversements financiers, le démarrage de la
production américaine bientôt, eurent d’importantes
conséquences monétaires et un effet inflationniste à
Venise aussi. Dès 1519, la valeur du ducat fut
280
portée à 5 livres 14 sous, ce qui était trop peu, puis
la même année, à 6 livres 16 sous. En 1525
nouvelle régularisation, le ducat passa à 7 livres 4
sous. En 1543, il poursuivait sa hausse et atteignait
le change de 7 livres 12 sous. En 1545, il
s’établissait à 7 livres 17 sous. La hausse des
intérêts consentis par la Monnaie à ceux qui lui
apportaient leur or, dans la fièvre des préparatifs de
la guerre de Chypre, au printemps 1570, provoqua
un nouvel enchérissement du ducat, dont le change
s’établit à 8 livres 12 sous. Au XVIe siècle, les
comptes n’utilisent pas ce ducat d’or, ils continuent
d’avoir recours aux anciennes monnaies de compte,
monnaie de piccoli pour les particuliers, les
boutiquiers, le commerce de détail, monnaie de gros
pour l’Etat et les grands marchands, les opérateurs
financiers, les banquiers. Venise s’est donc montrée
fidèle au ducat de compte de 124 sous qui était
totalement décroché des espèces en circulation et
des encaisses métalliques de la Zecca*, qui avaient
fondé la valeur de ses deux monnaies
internationales, le gros d’argent puis le sequin d’or.
La comptabilité du grand commerce demeurait
donc évaluée en livres, sous et deniers de gros, et
plus souvent encore en ducats d’or, gros à or,
piccoli à or. Autrement dit, deux ducats coexistent
au XVIe siècle, après 1519 le ducato d’oro devenu
monnaie de compte (ducato di valuta, ducato
corrente) qui maintint sa valeur de 124 sous,
monnaie idéale, et la monnaie réelle d’or appelée,
pour la distinguer de la précédente, ducato d’oro in
oro veneziano, ducato di zecca, et finalement
zecchino (sequin), dont nous avons rappelé la
hausse régulière au 16e siècle. Le premier de ces
ducats (ducat de 124 sous) était une monnaie de
compte, et le sequin était le ducat d’or en
circulation, espèce sonnante et trébuchante.
Au XVIe siècle, le système de compte combinait
les divers éléments qui subsistaient des systèmes
anciens de la manière suivante (seule la livre « à
gros » a totalement disparu) :
1 livre de gros = 10 ducats d’or de 124 sous
= 20 sous
= 62 livres de piccoli
1 sou de gros = 1/2 ducat d’or
= 12 gros
= 3 livres 2 sous de piccoli
1 gros = 1/24 du ducat
= 32 piccoli a oro
= 5 sous 2 piccoli a moneta
1 piccolo a oro — 1 piccolo et 15/16 a moneta
Les difficultés ne s’arrêtaient pas là et il faut une
continuelle attention pour démêler les valeurs et la
nature de la monnaie utilisée dans les comptabilités.
La chambre des emprunts (caméra degli imprestiti)
qui gérait la dette publique et enregistrait les prêts
forcés levés sur les assujettis, nobles ou citoyens,
imposait un pourcentage du patrimoine estimé, par
exemple tant de lire a grossi pour cent lire
d’estimo, puis à partir de juillet 1404, tant de ducats
pour cent lire d’estimo, mais cette livre d’estimo fut
équivalente à un ducat avant comme après 1404,
sans que jamais cette valeur fût explicitée dans les
actes législatifs du Sénat qui votait une nouvelle
levée d’emprunt. C’est le recours aux comptabilités
privées qui éclaire le mieux la réalité et la quotité
de la contribution. Luzzatto et Lane pensaient
logiquement que les deux livres avaient même
valeur (tant de lire a grossi pour cent lire a grossi
d’estimo) et ils évaluaient le montant des emprunts
levés durant la guerre de Chioggia (1379-1381) à
107% du capital imposable, ce qui obligeait
Luzzatto à invoquer une fraude généralisée des
contribuables qui n’auraient déclaré qu’un tiers de
leur patrimoine immobilier et de leurs revenus
commerciaux. Le marchand Giacomo Badoer écrit
le 5 décembre 1437 avoir payé à Venise quatre
emprunts pour un capital et des actifs estimés à
2 800 livres (per livre 2 800 che fazo de
imprestedi), pour un total de 2,5 % de l’estimo
servant d’assiette à l’imposition et il a versé 70
ducat. Un rapide calcul montre que la livre
d’imprestidi n’est rien d’autre que le ducat : une
imposition de 2,5 % produisant 70 ducats pèse sur
un capital estimé à 2 800 ducats. L’opération qui
consistait à estimer le patrimoine imposable et à le
convertir en valeur (allibrare) s’appelait
Yallibramento, par exemple un immeuble loué 100
ducats à l’année était allibrato pour un capital de
1 000 livres, et en réalité de 1 000 ducats. L’assiette
de l’imposition du contribuable, calculée sur le
patrimoine et non sur le revenu, était estimée 1 000
ducats avec un rendement de 10 % l’an.
L 'exemplefrançais
Initialement, deux systèmes de comptes existaient :
le système de la livre parisis et celui de la livre
tournois, tous deux divisés en sous (20 sous pour
une livre) et deniers (12 deniers pour un sou), le
denier parisis valant un quart de plus que le denier
tournois. Au fil des siècles, seul subsista en France
le système tournois. La monnaie de compte ne
changea qu’une fois dans le royaume, en 1577, puis
sous la Révolution en 1795.
Par l'ordonnance de septembre 1577, Henri III
modifia officiellement le système de compte,
abandonnant la livre au profit de l'écu divisé en
tiers, à la place de la livre à raison de trois livres par
écu. Cette nouvelle monnaie de compte était
représentée en nature par l'écu d'or stabilisé à 60
sous, soit trois livres, depuis le 31 mai 1575. Le
franc créé la même année (1575) faisait un tiers
d'écu, soit 20 sols ou 1 livre, et le quart d’écu créé à
l’occasion de la réforme (1577), 15 sols. Ce
changement n'avait, semble-t-il, rien d'évident car le
nouveau système de compte était ternaire, tandis
que l'ancien était binaire. Cependant, tous les
comptes officiels et les actes notariés se plièrent à la
réforme et l'on apprit rapidement à compter en écus
et en fractions d'écu, tout en continuant à donner
aux monnaies une valeur en sous et en deniers.
Henri IV mit un terme à ce système par l'édit de
septembre 1602 en raison de l'augmentation du
cours des monnaies. L'écu d'or atteignant alors 65
sous, le quart à 16 ne méritait plus son nom. La
réforme ne pouvait fonctionner qu'avec une stabilité
monétaire que l'époque ne pouvait s'offrir ; les
Français renouèrent donc avec la livre comme
monnaie de compte, se familiarisant avec ce
système de compte grâce notamment à l'ouvrage
de Barrême*, Les Comptes-faits de M. Barreme, qui
présentait des tables de multiplication pour chacune
des sommes en livres, sous et
deniers. La livre parisis, inusitée, fut définitivement
abolie par l'ordonnance d'avril 1667 et la livre
tournois demeura la monnaie de compte jusqu'en
1795.
Le passage de la livre au franc constitue le second
épisode marquant de l'histoire de la monnaie de
compte. Même si le mot « franc » était parfois
utilisé concurremment au mot « livre » depuis la
création de la première monnaie réelle de ce nom en
1360, cet ancien « franc » ne doit pas être confondu
avec le nouveau. La Convention décréta
l'établissement du système décimal le 18 germinal
an III (7 avril 1795) et débaptisa la livre tournois
pour la dénomination « franc » (tout en maintenant
le « système » de la livre). Déjà, la loi du 18 nivôse
an III (7 janvier 1795) avait fait émettre les
premiers assignats libellés en francs. En réalité, on
sait à quel point le « franc », dénomination
familière pour les Français, continue la livre :
« Lorsqu'on a voulu que l'unité monétaire réalisât la
Livre Tournois, qui n'était qu'une monnaie de
compte, on chercha dans les fractions décimales le
poids qui se rapprochait le plus de cette unité et on
trouva que 5 grammes d'argent à 900/1000
représentaient 20 sous ou la Livre Tournois + 3
deniers », rapporte Thibaut en Conseil des Cinq
Cents le 10 mars 1796. En d'autres termes, cette
définition du franc était empirique et ne présentait
pas de cohérence parfaite avec le système métrique.
Elle reprenait la définition de la livre depuis 1726.
Les conditions du nouveau monnayage furent
exactement fixées le 15 août 1795: le franc se
composait de cent centièmes appelés centimes. Les
premières pièces de 5 centimes, un et deux décimes
(soit 10 et 20 centimes) et de cinq francs furent
frappées cette année là. Les premières pièces de un
franc apparurent en 1803 (loi du 7 germinal an XI).
L'apparition du système décimal dans les comptes
publics fut progressive. Notons qu'avant même la
création du franc de 1795, la loi du 17 frimaire an II
(7 décembre 1793) avait ordonné que les marchés
passés avec l'État et les comptes de l'État soient
libellés en francs, décimes et centimes. Le décret du
29 vendémiaire an VII (20 octobre 1798) engagea
les comptables à adopter le système décimal.
281
 Parallèlement, les monnaies royales de bronze, de
billon et de métal de cloche devaient être retirées,
alors que les pièces d'or et d'argent pouvaient
encore circuler. Ce n'est que le 6 mai 1799 que l'on
rendit obligatoire tous les comptes en francs, à
compter du 23 septembre de la même année, tandis
que la loi du 17 floréal an VIII (7 mai 1799)
imposait définitivement le mot franc. En outre,
cette dernière loi fixait le paiement des
engagements, rentes, provisions, etc. Les
traitements des fonctionnaires, les impôts,
transactions, les actes entre les particuliers devaient
être exprimés en francs. Dans les administrations
publiques, les francs furent reçus pour leur valeur
nominale et les anciennes monnaies ne le furent que
pour leur rapport franc/livre tournois. On renversait
donc le principe de la primauté de la livre.
Désormais, il fallait évaluer les monnaies royales en
francs et centimes. La loi des 7-17 germinal an XI
(28 mars - 7 avril 1803) définit le franc germinal
par 5 grammes d'argent à 900 %o, continuant ainsi la
loi d'août 1795. L'argent seul semblait donc
constituer l'unité monétaire. On ordonna finalement
la frappe de monnaies de 20 F et 40 F en or au titre
de 22 carats. Les pièces de 20 F furent taillées à
raison de 155 pièces au kilogramme reprenant ainsi
le rapport Au/Ag de 15 !4 qui était celui de la
réforme de Calonne en 1785.
Bien que le franc soit presque la continuation de la
livre tournois, la transition entre les deux monnaies
dura plus de cinquante ans. Certes, le nouveau
système de compte fut très vite adopté. On observe
que dans les campagnes de Normandie, les comptes
sont établis en francs dès les années 1795-1796. En
revanche, le franc et ses divisions, comme espèces
frappées en quantités trop faibles, cohabitèrent
longtemps avec les monnaies royales. C’est
seulement au temps de Louis-Philippe, en 1834,
que l'on démonétisa les écus et demi-écus d'argent,
les louis et doubles louis d'or. Les petites pièces de
15 et de 30 sols frappées sous la Constituante, ainsi
que tout le billon royal, dont certaines pièces de 15
deniers de Louis XIV qui circulaient encore, ne
furent supprimés qu'en 1845. J.-C. H. et J.J.
Bibliographie: Duplessy J., Les monnaies
françaises royales de Hugues Capet à Louis XVI, 2
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délia repubblica di Venezia (sec. XIII-XV), Gino
Luzzatto éd., Padoue 1929. Jambu J. (2008). Jambu
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p. 141-152. Knapton M., «La dinamica delle
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formazione dello stato patrizio, Rome 1997, p. 475-
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Chevau-légers, Paris, 1997. Stahl Alan M. (2000).
Spooner F.C. (1956).
Mouvement général des fonds
Le Mouvement général des fonds peut-être regardé
comme l’aboutissement de toute une série de
réformes qui visaient à réaliser l’unité du Trésor*. Il
désigne à la fois une mission et une administration
financière. Créé sous forme de direction par
l’ordonnance du 26 février 1814, le Mouvement
général des fonds se substitue à un ensemble de
caisses* (de recettes, centrale, de dépenses et de
service*) et de directions du ministère du Trésor
public. Matériellement, l’ordonnance du 6 février
1828 confirme au Mouvement général des fonds
une mission historique du ministère des finances.
Selon l’article 1er de la gestion de la Trésorerie de
l’Etat, il s’agit de l’application des ressources aux
besoins, des négociations, émissions et conversions
de valeurs, de la préparation des distributions
mensuelles de fonds arrêtés par le roi, du contrôle
et mise en paiement des ordonnances*, de la
liquidation des frais de trésorerie. En ce sens, le
Mouvement général des fonds poursuit les missions
du ministère du Trésor public de Mollien* et Barbé-
Marbois. Pratiquement, la direction du mouvement
des fonds tient le compte des crédits ouverts aux
ministres par une loi de finances et prépare
l’ordonnance mensuelle de distribution* des fonds.
Chaque ordonnance délivrée par un ministre est
imputée sur les crédits ouverts avant d’être mise en
paiement par le biais de la caisse centrale qui
répercute l’ordonnancement* au niveau local
jusqu’aux trésoriers généraux ou aux payeurs* du
Trésor en échange d’une ouverture de crédit
correspondante sur la caisse centrale. Le
Mouvement des fonds participe à la surveillance de
la gestion des comptables dont il tient une
comptabilité appuyée des bordereaux* de
recouvrement et de paiement qu’il reçoit
périodiquement. S.K.
Voir Assignation, Etat de distribution
Ordonnancement
Sources: Audiffret G. (1863). Block M. (1862),
« Comptabilité publique ».
Necker, Jacques (1732-1804)
Banquier genevois protestant, nommé directeur du
Trésor royal en 1776, puis directeur des finances
ente 1778 et 1781, rappelé aux affaires entre les
mois d’août 1788 et juillet 1789. Il fut teneur des
livres* de comptes des banquiers Thellusson et
Vemet, dont il devint l’associé en 1756, avant de
créer sa propre banque en 1762. Ses avances au
Trésor royal le firent remarquer du roi qui finit par
le désigner comme directeur. Au cours de son
premier ministère, il entreprit une réforme
comptable dont on a peut-être trop amplifié la
portée, si l’on veut bien la replacer dans un temps
long de l’histoire comptable, compris entre la
réforme des frères Paris* (1716) et la réforme du
Trésor royal de mars 1788, dont il n’est pas
l’auteur. En revanche, on peut affirmer que l’œuvre
administrative de Necker accéléra un processus de
rénovation comptable laissé en friche depuis 1726
et très peu soutenu depuis. Surtout, le programme
du Genevois s’inscrit dans un contexte d’expansion
de l’espace public dont il sut saisir la portée.
Necker initia une « gestion publique », c'est-à-dire
une gestion exposée à la confiance publique, en
limitant néanmoins sa réforme aux structures
centrales de l’administration financière.
Le contrôle des dépenses
En premier lieu, Necker renforça le contrôle des
dépenses. Dès juin Mil, il établit un comité
contentieux et supprima parallèlement les six
intendants de finances*. D’abord composé de trois
magistrats, ce comité eut pour tâche de « prévenir
les inconvénients inséparables du trop grand
nombre de décisions abandonnées jusqu’à présent
au ministre des finances, (...) de procurer aux
décisions plus de confiance et d’autorité, (...) et de
garantir de la surprise et de l’erreur». Il s’agissait
de mettre fin aux relations particulières, empreintes
de favoritisme, que les intendants de finances*
entretenaient avec tel ou tel corps ou particulier et
d’arbitrer les affaires de finances de manière plus
juste. Le comité devint une véritable agence
parallèle du Conseil royal des finances. Le
règlement du 18 octobre 1778 déclina en neuf
articles la nouvelle manutention des finances exigée
des trésoriers. Selon les termes de ce règlement, ces
derniers devaient tout à la fois présenter l’état de
leur caisse quand l’administration le requérait
(article I), se soumettre aux ordonnateurs* (article
II), remettre leurs comptes à la Chambre des
comptes* chaque année (article III) et au Contrôle
général des finances* tous les mois (article IV),
faire des avances seulement s’ils y étaient autorisés
(article V). En cas de désaccord sur ces nouvelles
règles, les trésoriers étaient invités à demander le
remboursement de leurs charges (articles VII et IX).
Ce règlement restait en deçà des solutions
qu’appelaient les maux de la gestion française. Les
quatre premiers articles renouvelaient les anciens
édits et ordonnances sur le fait des comptables, sans
préciser les conditions qui en assureraient
l’exécution. C’est pourquoi les Trésoriers de
France* se crurent autorisés, en vertu de ce
règlement, à proposer leur service d’inspection sur
les comptables: « l’ordre le plus exact dans les
finances qu’on a droit d’attendre des dispositions de
ce dernier arrêt du Conseil du 18 7bre 1778
paroitroit assuré si les Trésoriers de France etoient
commis pour en suivre l’exécution ». Par ailleurs, le
texte ne recourait pas à la comptabilité en partie
double*. Le règlement n’amorçait pas de gestion*
courante des deniers. En réalité, la préoccupation de
Necker se porta surtout sur l’amélioration de la
connaissance, le but étant « qu’aucun trésorier ne
pût faire des avances & négocier des billets à l’insu
de l’administration ». Selon le directeur, tolérer les
avances des trésoriers, c’était « remettre la force
d’un empire entre les mains de particuliers enrichis
par ses négligences ». Lorsque le secrétaire d’Etat
de la Marine, Sartine, recourut aux avances de
Baudard de Saint-James pour 17 millions en 1780,
Necker suspendit ce dernier en le remplaçant par
Boutin et renforça sa législation en interdisant à la
Marine d’émettre des billets. En septembre 1780, il
obtint un bon du roi pour arrêter les emprunts de
Saint-James. L’arrêt du Conseil du 24 décembre
1780 portant sur le service de ce département
indiqua par ailleurs que seuls les billets revêtus par
un visa supplémentaire du directeur seraient
reconnus par le roi. En d’autres tenues, Necker ôta
au ministre de la Marine la faculté d’ordonner le
paiement des dépenses de son département. Il
rétablit le Contrôle général des finances* dans sa
véritable fonction, ce qu’aucun ministre des
finances ne parvint à faire avant lui. Le recours à la
puissance royale lui permit d’imposer pour
quelques mois — sa disgrâce survint six mois après
celle de Sartine, le 19 mai 1781— l’autorité du
ministère des finances sur les départements
dépensiers.
Pour limiter les dépenses, il importait également de
réduire le nombre de trésoriers passifs et leurs
caisses de dépenses. « Il est essentiel pour les
intérêts du roi qu’un ministre des finances n’ait à
fixer son attention que sur un petit nombre de
comptables », expliqua-t-il. La création du
trésorier-payeur-général* des dépenses de la Guerre
(novembre 1778), ou encore celle du bureau des
dépenses de la Maison du roi (janvier 1780), sont
tout à fait symptomatiques à cet égard de
l’orientation que Necker souhaitait adopter. La
suppression des offices de trésoriers et de leurs
contrôleurs, commencée sous l’administration
Maupeou, facilita naturellement la mise en œuvre
de cette réforme. La suppression la plus onéreuse
fut celle du Trésorier général de la Marine* et des
colonies, charge détenue par Baudard de Saint-
James, pour le remboursement de laquelle l’Etat
versa des intérêts annuels à hauteur de 60 000
livres. Puis vinrent celle du Trésorier des troupes de
la Maison du roi (38 750 livres), du Trésorier
général des Guerres (32 000 livres), du Trésorier
général de l’Artillerie, des Maréchaussées... En
tout, la suppression des trésoriers et de leurs
contrôleurs revint à environ 400 000 livres par an,
283
 420 427 livres en 1780. Quant aux trésoriers
maintenus, leur statut fut sensiblement modifié.
D’une part, ils furent soumis à la nomination du
directeur général ; d’autre part, on supprima leurs
taxations*. S’ils restaient propriétaires de leurs
offices, on voit néanmoins que Necker tenta de
réduire leur rôle de banquier. Enfin, il importe de
préciser que certains trésoriers passifs, trop grevés
de charges, furent maintenus dans leurs fonctions
car l’administration, pour déterminée qu’elle fût, ne
pouvait pas rayer d’un trait de plume des créances
assignées sur de tels comptables. Ainsi, Necker
maintint les trésoriers du marc d’or chargés des
rentes perpétuelles et viagères dues à l’Ordre du
Saint-Esprit, se contentant d’exiger des états
semestriels de leurs recettes et dépenses.
Dans le même esprit, Necker ordonna que toutes les
grâces annuelles (connues sous le nom de pensions,
gratifications, appointements conservés,
subsistances...) accordées sur un grand nombre de
caisses, soient payées directement par le Trésor
royal* en vertu de brevets expédiés au nom de
chaque pensionnaire. La loi du 7 janvier 1779
obligea les bénéficiaires à envoyer leur certificat de
baptême, leur titre original de paiement, les noms
des fermes et régies sur lesquelles les pensions et
gratifications étaient assignées. A partir de ces
déclarations, Necker fit comprendre dans un seul
brevet toutes les pensions accordées à la même
personne pour clarifier les situations personnelles et
éviter les abus. La déclaration du 17 octobre 1779
confirma la maxime selon laquelle toutes les
caisses* du royaume ne formaient qu’une
émanation du Trésor royal et imposa aux
comptables de la monarchie de justifier leurs
dépenses sur la seule base des quittances* de ce
dernier. Concrètement, cela se traduit par la
disparition des deniers comptables*, c’est à dire des
quittances* des parties prenantes* dont les dépenses
se payaient par assignation*. Le montant des fonds*
comptés dans les caisses* parisiennes augmente
(caisse d’amortissement, caisse des arrérages,
Trésor royal). On tenta donc de transformer le
compte du Trésor royal en compte général de la
Nation, « un centre commun où tous les rayons se
rapportent », reprenant tous les comptes
intermédiaires par département.
La rationalisation des recettes
Le renforcement du contrôle des dépenses
s’accompagna d’une suppression importante
d’officiers de finances, environ 600. Parmi ceux-ci,
des receveurs, c’est à dire des comptables actifs
dont la suppression laissait espérer un meilleur
rendement des recettes. La rationalisation la plus
réussie fut sans nul doute celle de l’administration
des domaines* et bois. Cette administration était
demeurée très rétive à toute forme de contrôle
financier et sa comptabilité, pratiquée sous forme
de bordereaux* succincts, rendait sa gestion
284
opaque. Necker ne manqua pas de le rappeler dans
son Compte-rendu. Elle fut donc la première à être
supprimée en deux temps, août 1777 pour les
receveurs généraux et particuliers des domaines et
bois, et 1779 pour les contrôleurs. En tout, 106
personnes pour lesquelles l’Etat dut débourser par
an environ 250 000 livres d’intérêts pour les offices
liquidés, très exactement 261 178 livres en 1780.
Une administration générale des domaines et des
droits domaniaux réunis se substitua à l’ensemble
de ces officiers à partir de 1780. Cette régie* des
domaines fut doublée d’une Régie des aides*
détachée de la Ferme générale*. Contrairement à
ces prédécesseurs, Necker osa démanteler la
compagnie la plus détestée du royaume. Là encore,
il ne fait pas de doute que cette mise en régie*,
défendue par les réformateurs libéraux, permettait
une rationalisation de la gestion grâce à une
inspection plus rigoureuse des comptes. « La régie
des aides passe, dans l’esprit même de ses
détracteurs, pour être ingénieuse, savante et
parfaitement bien ordonnée. L’esprit d’ordre, de
suite, de méthode et de bonne comptabilité en
distingue les employés », pouvait-on lire en 1789.
Le point d’orgue de cette rationalisation comptable
consista à supprimer les 48 receveurs généraux
(avril 1780) pour leur substituer une régie* de
douze personnes, choisies parmi les anciens
officiers*. Necker dota cette régie* d’un caissier
officiel, dit caissier de la caisse commune* des
impositions, dont la signature devait suffire à
engager la responsabilité collective de la régie*. On
ne peut manquer d’apprécier ici la volonté de
Necker de parvenir à une maîtrise sérieuse de la
trésorerie royale. Pour 1778, il chercha à obtenir 2
millions de recettes extraordinaires par le simple
rapprochement des termes « anciennement accordés
aux receveurs généraux des finances ». Dans ses
prévisions de recettes extraordinaires pour 1779, il
inclut de même sept millions pour le
« rapprochement obtenu dans les soumissions des
receveurs généraux et augmentation du brevet ».
Par ailleurs Necker obligea les receveurs de taille*
à compter directement aux receveurs généraux et
réduisit leurs taxations, unifiant ainsi le traitement
des officiers*.
Pour améliorer le rendement des recettes, Necker
fixa en outre le début de l’année fiscale au premier
janvier à la place du traditionnel mois d’octobre.
Dans les provinces, cette rigueur nouvelle exigée
des receveurs n’était pas faite pour rassurer. Dans le
cas de l’Artois par exemple, le receveur général* de
Flandres, Delaunay, indiqua qu’il ne pouvait
satisfaire aux exigences d’accélération des
soumissions* car les versements des impositions de
cette province dans sa recette n’avaient lieu qu’en
janvier de la deuxième année, et non en juillet de la
première année. Le premier commis des finances,
Dailly, répondit qu’il fallait que les Etats d’Artois
se soumettent à la règle commune, ce qui attisa les
craintes d’un dérangement du calendrier auquel les
habitants étaient habitués. Les usages bourguignons
devaient subir les mêmes atteintes. En 1778,
Necker fit dresser la situation des receveurs
particuliers de la province de Bourgogne vis-à-vis
du caissier principal. Le tableau mettait en évidence
des arriérés considérables sur les exercices 1775,
1776 et 1777 des vingtièmes. «On voit qu’il est
infiniment dû à M. de Montigny (trésorier de la
province). Les receveurs sont en retard au-delà de
toute expression puisqu’en cumulant ce qui reste
dû, cela monte environ 4 000 885 livres, ce qui fait
à peu près deux années et trois mois d’arriérés ». La
réforme de Necker mettait fin à l’ère de la
magnanimité légendaire des Etats provinciaux. Or,
dans le même temps, la formation des premières
assemblées provinciales réveillait les provinces
jusque là endormies. Puisqu’il était « généralement
reconnu que l’administration des provinces d’Etats
était la plus propre à procurer le bonheur », d’après
les registres du parlement du Dauphiné pour 1778,
celles-ci exigeaient le rétablissement des Etats. Et
Necker de reculer face à cette vague de
revendications du parti provincial nobiliaire, relayé
par les grandes signatures. En généralisant partout
les assemblées provinciales (1787), il ne fit
qu’ajouter à la confusion générale sur les
responsabilités financières, désormais partagées,
entre l’intendant* de province et les représentants
du peuple. Ce sont néanmoins ses travaux sur
l’administration provinciale qui furent
prioritairement traduits en espagnol. Parmi ses
lecteurs, des hommes influents dans le
gouvernement des finances, comme Francisco
Montes, alternativement Trésorier Général et
directeur du Real Giro entre 1770 et 1796, et
François Cabarrus, esprit éclairé, fondateur de la
Banque Saint-Charles.
Une gestion par le crédit public
Dans la gestion neckerienne, l’impôt constitue « un
corps de réserve », une sûreté réelle qui ne doit pas
être augmentée à mauvais escient. Dans une gestion
réellement publique, toute augmentation fiscale
apparaît comme un « signal de détresse », comme
si, faute de liquidités, le marchand puisait sur son
capital pour régler ses paiements courants. Necker,
de ce point de vue, fut le premier « ministre » à
sortir les finances de la logique patrimoniale. Il
ramena toute sa politique à une maxime
fondamentale : fortifier la confiance publique. Non
seulement il illustra cette maxime en multipliant les
emprunts publics, mais il se piqua de l’avoir fait à
des taux relativement faibles, comparés à ceux
pratiqués avant lui. Si certaines rentes viagères
furent négociées jusqu’à 13 % en 1771, celles de
l’année 1780 ne montaient qu’à 9 % et à un intérêt
proportionné sur plusieurs têtes. Necker admit en
1781 qu’il fallait prévoir une augmentation — «je
crois, Sire, que les circonstances exigent de votre
sagesse que les conditions du prochain emprunt
soient plus favorables aux prêteurs » — mais dans
l’ensemble, il jugea que le crédit n’avait pas trop
souffert de la masse des emprunts ouverts et que les
pertes à la bourse sur les effets publics demeuraient
somme toute limitées.
Reste que bien des articulations de cette gestion
demeuraient opaques. Il faut d’abord se demander
si réellement le crédit obtenu dans le royaume le fut
grâce à la confiance publique. Necker utilisa
massivement le crédit provincial. Il orienta
systématiquement les fonds libres de toute
assignation* des provinces d’Etats vers le
remboursement d’emprunts. Mieux : Necker mit en
œuvre la procédure particulière de demande
conditionnelle. Il s’agissait d’obtenir des
assemblées d’Etats leur accord de principe sur
l’ouverture d’un nouvel emprunt, avant même que
le précédent fût clos. Cette procédure, utilisée à
partir de 1776 et régulièrement renouvelée dans les
années 1780, donnait l’avantage au roi de pouvoir
agir librement sans être soumis au calendrier des
assemblées provinciales. On voit donc que le
Genevois s’appuya sur les corps provinciaux dont
le crédit libéra près de 180 millions de liquidités
entre 1776 et 1783. Quant aux emprunts contractés
sans la garantie de corps constitués, ils furent
soutenus par la caisse d’Escompte*. Chacun sait
que Necker transforma cette banque commerciale
créée en 1776 à l’instigation du Vaudois Isaac
Panchaud en une banque des banquiers, chargée de
soutenir le crédit public. Il modifia son conseil
d’administration en y faisant entrer les
représentants de la haute banque parisienne et
l’engagea à escompter les effets des emprunts
lancés pour le compte du roi par ces mêmes
banques. En d’autres termes, les banquiers
profitèrent prioritairement de la rémunération des
avances faites au Trésor, aux dépens des financiers
traditionnels. Reste que l’intennédiation bancaire
cessa d’être librement consentie dès qu’il fallut
solder le financement de la guerre.
Le succès des rentes* viagères auprès des
capitalistes genevois est également connu. La
technique de constitution de ces rentes, élaborée par
les compatriotes de Necker sur la base de calculs de
probabilités d’espérance de vie provoqua une
véritable ruée des capitaux sur le viager français.
Les banquiers notamment se chargeaient de la
diffusion des contrats sur les « trente Immortelles »,
les fractionnaient en autant de reliquats vendus aux
particuliers. Des sociétés solidaires de rentiers se
formèrent, à Genève, à Lyon, à Paris, pour acquérir
ces contrats auprès d’un banquier intéressé par la
vente de masse importante de capitaux et les
ententes ainsi créées accélérèrent encore la
diffusion dans le public. On estime que les
Genevois investirent en France près de 100 millions
de livres dans les années 1770 et 1780. Ces
techniques d’investissement s’exportèrent à
285
 Amsterdam. Néanmoins, les exigences des
Hollandais en matière de sûretés étaient fortes et en
l’absence de banque publique, le gouvernement
français n’eut guère le choix qu’entre un appui des
corps constitués (les projets d’emprunts garantis par
les Etats provinciaux se multiplièrent à cette
époque) ce qui lui liait les mains, ou un recours aux
intérêts spéculatifs. Il usa parfois des deux en même
temps comme en témoigne le projet d’un emprunt
de 100 millions en viager à 9-10 % sur une ou deux
têtes, sans retenue d’imposition, à ouvrir sur les
Etats du Languedoc, de Bretagne et de Bourgogne.
Le financement de la guerre d’Amérique révéla au
grand jour les défauts structurels de l’organisation
du crédit en France, défauts que Necker n’eut guère
le temps de combler. Necker réussit donc à capter
surtout les capitaux suisses. Le fit-il à des
conditions trop dispendieuses ? Les conclusions sur
l’analyse de l’environnement financier de l’époque
varient d’un historien à un autre. Si Eugene White
estime que les offres de Necker respectaient le
marché, au moins jusqu’en 1780, James Riley
conclut en revanche que le Genevois pratiqua des
taux d’intérêt excessifs. Par ailleurs, le caractère
spéculatif de ces emprunts fausse quelque peu
l’appréciation sur la solidité du crédit public
français et l’idée que les garanties institutionnelles
données par Necker aient été déterminantes. Les
réformes structurelles, prises ensemble, pouvaient-
elles avoir sitôt porté leurs fruits ?
Les deux piliers sur lesquels reposait le temple de la
gestion publique, la transparence et l’exactitude,
n’étaient pas encore achevés. Il ne fait pas de doute
que la publication du Compte-rendu en 1781 frappa
et rassura les esprits au-delà des frontières. En
présentant un budget* équilibré, Necker démontrait
la solidité des sûretés financières de la France, tout
en emportant l’adhésion d’une partie du public sur
les vertus du crédit. Pour ce faire, il imposa la
comptabilité par exercice* dès 1778 pour les
payeurs et trésoriers, en 1780 pour les receveurs à
qui il fut demandé « d’employer dans les comptes
la totalité des recettes et dépenses ». L’objectif
poursuivi : balancer exactement les recettes et
dépenses d’une année, en évitant le report d’un
exercice à l’autre. Cependant, la mise en œuvre de
l’annualité* demeura imparfaite. Sans connaissance
exacte des dettes de la Marine en particulier,
Necker se trouvait dans l’impossibilité d’apprécier
exactement la situation et d’offrir une vision claire
de celle-ci à l’opinion. En se justifiant par la suite,
au moment de la querelle contre Calonne, il précisa
que le Compte rendu de 1781 ne présentait que les
revenus et les dépenses ordinaires pour l’année. Pas
plus qu’au temps de Colbert*, les arrangements de
finances* ne pouvaient être présentés comme un
budget* rendant compte de la solvabilité de l’Etat.
Voilà pourquoi la signature du caissier des recettes
générales, malgré le contreseing de trois des douze
nouveaux receveurs, n’inspira pas spécialement
286
confiance et pourquoi il fallut rétablir au plus vite
les anciens officiers-financiers, cinq mois après leur
suppression. Cependant, Necker fit également
œuvre politique et accéléra la publication des
comptes avant de s’assurer de leur exactitude. On
n’a peut-être pas assez vu que le compte de 1781
n’a jamais porté sur la dette viagère que pour le
montant hypothétique des rentes*. D’où les
critiques virulentes des gestionnaires de la
Révolution chargés d’établir le montant de cette
dette, qui ne sera véritablement connue que par le
bilan dressé par Cambon en 1794. Ce dernier
reprocha à Necker d’avoir « ruiné le
gouvernement et organisé l’agiotage ». En partisan
de l’ordre, il dénonça le fait qu’aucun compte ne fit
connaître le capital fourni pour la constitution des
rentes viagères, ni les placements qui furent faits
sur une, deux, trois ou quatre têtes, ni le taux de
l’intérêt qui a été accordé, ni les âges des têtes sur
lesquelles les rentes furent assises... «et par
conséquent aucune base pour juger la véritable
charge de l’Etat provenant des rentes viagères ». Il
dénonça les calculs erronés sur la mortalité humaine
qui permirent aux marchands de gros de ces rentes
de faire payer un intérêt de 10 % indifféremment
sur une tête jeune ou une tête âgée. Les accapareurs
des emprunts viagers à qui l’on accordait 1% de
commission spéculèrent sur ces calculs : « C’est de
cette manière qu’ils ont rendu fort avantageuse aux
prêteurs et fort onéreuse à l’Etat les rentes viagères
constituées par l’ancien gouvernement depuis 1779
jusqu’en 1787... C’est avec de pareilles manœuvres
que le gouvernement se jouait du peuple, vantait
son crédit et se glorifiait d’avoir rempli dans un
jour les emprunts usuraires qu’il créait ». Au
premier janvier 1793, sur les 70,8 millions de livres
d’intérêts viagers dus sur une tête, près de 23
millions étaient constitués sur des têtes âgées de 6 à
21 ans seulement. M.-L. L.
Sources : Œuvres de Necker (voir bibliographie
générale). Sur le débat entre Necker et Calonne,
Collection de comptes rendus... (1788). Edit
portant suppression de six offices d'intendant des
finances et formation d’un comité de finances, in
Jourdan, Decrusy, Isambert, t. XXV, p. 51.
Règlement du 18 octobre 1778, reproduit dans
Encyclopédie méthodique, Finances, t.I, 1784,
article « comptable », p. 346. Gazette nationale ou
Le Moniteur universel, n° 185, Quintidi 5 Germinal
an II (25 mars 1794), bulletin de la Convention,
séance du 2 germinal (opinion de Cambon). AN,
F41082, «Etat des recettes et des dépenses
extraordinaires faites pour les finances du roi
depuis le 1er décembre 1777 jusqu’au 30 de
novembre de 1778 » et «Prévision pour 1779 des
dépenses extraordinaires et des moyens d’y
pourvoir»; F4 1083, «Intérêts des charges de
trésoriers et contrôleurs supprimés en novembre
1778 et depuis » et «Intérêts des offices liquidés
des receveurs généraux et particuliers et contrôleurs
des domaines et bois supprimés en 1777 et juin
1779 » ; F4 1936, notes sur la déclaration qui règle
la comptabilité des trésoriers du marc d’or
relativement aux rentes sur l’ordre du Saint-Esprit,
1779; H1 184, pièce 124; H1 138, pièce 78
(Bourgogne), H1 928, pièce 171 (Languedoc);
H1 928, pièce 174, lettre de Necker à l’archevêque
de Narbonne, 17 novembre 1776; K 885, «Note
pour Monsieur le comte de Vergennes », 1776 ; K
890, « Mémoire sur les trésoriers de France », 1780.
AD du Pas-de-Calais, Arras, 2C 213, f3 393, article
2 des instructions, 1779.
Bibliographie : Bosher J.F. (1970). Harris R.D.
(1970 et 1979). Legay M.L. (2002 et 2011). Lüthy
H. (1959 et 1961). Logette A. (1964), p. 248. Riley
J. (1980). White E.N.(1989).
Non-complet
On parle de « non-complet » dans le compte du
Trésorier* des guerres lorsque ce dernier fait
constater l’absence de consommation des crédits
inscrits dans son état*. Apprécier le montant exact
des non-complets était toujours très long et
supposait des investigations détaillées. En France
par exemple, le système des revues comme base de
contrôle des dépenses des régiments laissait à
désirer. Les extraits de revues* n’étaient jamais
rapportés à un état général et il demeurait difficile
d’en tirer rapidement des informations utiles à
l’arrêté* des comptes. Ainsi, la connaissance du
« non-complet », c'est-à-dire du reliquat* que
laissait dans les caisses* la non consommation des
masses*, faisait défaut. Les sommes concernées
n’étaient pas négligeables. Au temps de Necker*,
on convint que le Trésorier de la Guerre ne devait
payer que sur les revues, « ainsi, au lieu de recevoir
par estimation le produit des non-complets, il faut
faire le relevé desdites revues pour connaître au
juste à quoi il monte, tant en solde qu’en fourrage et
dans la plus-value du pain ». M.-L. L.
Sources : SHD, A 3712, pièce 131, 1779.
Non-valeur
La non-valeur est le terme qui désigne la non-
jouissance d’une recette pour laquelle le comptable
public peut se faire décharger*. Jean Hennequin* le
définit ainsi : « Non-valoirs d’états, ce sont deniers
dont avoit été fait état par iceux dits trésoriers, &
néanmoins l’on n’en a pu recevoir aucune chose,
quelque diligence que l’on ait su faire». Lorsque les
accidents climatiques (grêle, orage, incendie...)
rendaient le contribuable insolvable par exemple,
on passait en reprise* pour non-valeur les sommes
que le receveur* des impôts directs justifiait ne pas
avoir perçues. De même, le receveur* d’un corps
particulier à qui l’Etat central avait concédé divers
droits ou privilèges pouvait faire valoir des non-
valeurs au titre de ces droits. Il faut dissocier la
non-valeur de la validation* qui est la
reconnaissance par l’autorité supérieure d’une
dépense particulière du comptable venant en
déduction d’une recette attendue, par exemple une
décharge de recette pour fourniture militaire.
Les non-valeurs pouvaient représenter un manque à
gagner important. Dans la Flandre orientale des
Pays-Bas* autrichiens, elles atteignaient plus du
quart des subsides attendus en 1754. Les villes de
Bruges et Gand ne versaient rien à la Recette
générale* de Bruxelles. Les titres dont pouvaient se
prévaloir les administrations particulières en 1754
datés pour certains, comme celui de Nieuport, de
soixante ans, et pour la plupart du temps de
Charles VI. Cet état de fait présentait deux
inconvénients majeurs. D’une part, il obligeait le
gouvernement qui ne pouvait revenir sur les
engagements des souverains et perdaient ainsi la
possibilité de maîtriser les dépenses des villes et
pays. D’autre part, il introduisait une inégalité de
fait dans la répartition tarifaire du subside entre les
administrations particulières.
Les non-valeurs comptées aux receveurs
particuliers* des tailles étaient bien calculées en
France, grâce au travail des intendants* qui tenaient
le détail des cotes déchargées. Turgot par exemple
fit vérifier les cotes inexigibles des tailles dès son
arrivée comme intendant* à Limoges : «je reçois
souvent des requêtes pour cet objet et j’ay pris le
parti de les renvoyer toutes désonnais au
commissaire de la paroisse... Ces faux taux
embrassent le plus souvent toutes les impositions, la
taille, la capitation et le vingtième ». Le suivi des
non-valeurs pennettait de former les états au vrai*
des receveurs* avec exactitude, c’est pourquoi
l’administration centrale accorda une attention
particulière à ce travail. Sous la direction de
Necker*, le premier commis D’Ailly expliqua ainsi
la manière de tenir la comptabilité des décharges et
non-valeurs sur les impôts directs : « Vous
paraissés toujours douter de la possibilité de mettre
la plus grande précision dans cette comptabilité...
Lorsque Monsieur l’intendant a signé une
ordonnance [de décharge], envoïés la non pas au
contribuable mais au receveur des impositions afin
qu’il la fasse quittancer par le contribuable. Cette
ordonnance ne peut jamais s’égarer ; le receveur l’a
toujours entre les mains pour ainsi dire ; de votre
côté, Monsieur, n’arrêtés point ses comptes après
les avoir fait quittancer la totalité des ordonnances
que vous lui avés adressées sur ce même exercice ».
En 1791 (décret-loi des 29 septembre-14 octobre),
un nouveau fonds* de non-valeurs fut établi pour
couvrir le déficit résultant des décharges et
modérations accordées sur les contributions
foncières et immobilières. Il fut confondu avec le
fonds de secours jusqu’en 1818. Le tiers du produit
de ce fonds était à la disposition du préfet, comme
ordonnateur* secondaire, tandis que les deux tiers
287
 restaient à la discrétion du ministre. Un autre remarque, faite pour le XVIe siècle, est valable
fonds* de même nature fut créée pour les pour les siècles suivants. Au XIXe siècle encore,
contributions des portes et fenêtres (loi du 13 lorsque Chauveau et Faustin explicitent ce que
floréal an X). Jusqu’à la loi du 8 juillet 1852, le signifie le « faux en écriture » chez les comptables,
produit des impositions départementales et il va de soi que la dissimulation porte sur les
communales n’entrèrent pas dans ce fonds. M.-L. recettes : « et il faudra juger encore, comme l’a fait
L. la cour de cassation avant le code pénal, que le
receveur de l’enregistrement qui, au moyen de
Sources : AGR, Chancellerie aulique des Pays-Bas différentes altérations commises sur ses registres
à Vienne, 665, f° 393 (mémoire du chevalier Vilain, d’enregistrement, a dissimulé ses véritables
1754). AN, K 899, n° 35, lettre imprimée de recettes, afin de distraire une partie des deniers qu’il
Turgot, 10 juin 1762. AD de l’Isère, Grenoble, 2C devait verser au Trésor public, a commis un crime
576, lettre de D’Ailly à Cormon, 30 décembre de faux en écritures publiques dans l’exercice de
1779. Hennequin J. (1601), p. 361. ses fonctions». Au mieux, les comptables sont alors
coupables de rétention* et de divertissement*. Si
Oesfeld, Friedrich Wilhelm von (1736- l’argent n’est jamais rendu, c’est le crime le plus
1807) grave qui est commis, le péculat*. La peine prévue
Avocat et financier allemand, né à Postdam, auteur pour l’omission de recette est donc lourde. Citons
de différents ouvrages scientifiques dont Versuch l’Encyclopédie méthodique: «Les obmissions de
einer Anleitung zur Finanz-Rechnungswissenschaft recette sont encore plus dangereuses que les
und Verwaltung ôffentlicher Cassen, publié en obmissions de dépenses, car si celles-ci tournent en
1773. Son père, Johann Friedrich, était prédicateur perte pour le comptable, les premières, lorsqu’elles
à la cour et dans les garnisons, ainsi qu’inspecteur sont reconnues, entraînent sa condamnation à payer
de l’orphelinat militaire à Postdam. Frédéric- non seulement le montant de l’article obrnis, mais
Guillaume devint Hof-fiscal en 1758, puis avocat à le triple en sus, c’est-à-dire le quadruple de la
Francfort-sur-Oder. En 1765, il fut désigné somme non employée, sans qu’il soit permis à la
receveur* de cercle (Kreis) à Potsdam, où le roi Chambre des comptes de remettre ni modérer cette
Frédéric II lui accorda le titre de conseiller aulique. amende. Telles sont les dispositions de
Il devint maître des redevances territoriales en l’ordonnance de François Ier de 1532 & de l’édit du
1769. Son frère, Charles Louis, est également mois de juin 1716. » En effet, dans le texte de ce
connu comme topographe. M.-L. L. dernier édit, il va de soi que toute omission est
coupable.
Omission Juan de la Ripia, qui décrit les dispositions à
adopter pour éviter que les responsables des recettes
Un des défis majeurs du contrôle financier est
ordinaires dans les provinces de Castille
d’obliger les comptables à n’omettre aucune partie
commettent des fraudes, accorde une place non
dans leurs redditions de comptes. Il s’agit
négligeable à ces omissions, qu’il suppose lui aussi
notamment des parties de recettes. En effet,
calculées. Ainsi, il invite à se demander si les
l’omission de parties de dépense ne saurait être
contrôleurs des arqueros, les responsables des
qu’une erreur accidentelle, puisqu’elle est au
coffres où sont conservées ces recettes,
détriment du comptable. Ferrière l’évoque dans le
« dans les valeurs ont omis quelques quantités, en
titre de sa notice « omission » (« Omission de
les supposant moindres que ce qu’elles étaient, ou
recette ou de dépense dans un compte »), mais il
s’ils ont omis des quantités dans (...) les recettes
n’y revient plus ensuite. On peut compter sur le
des arqueros ou des dépositaires ou dans les
comptable pour modifier sa reddition de compte dès
feuillets des rétrocessions qu’on fait aux finances
qu’il s’apercevra de son erreur*.
royales ». Et plus loin : « Ou si à l’occasion de ces
En revanche, l’omission de recette, si elle peut être
paiements, on ne les a pas inscrits dans la recette
le fruit d’une erreur, est l’objet de tous les
desdits arqueros ou dépositaires, soit avec
soupçons. On craint en effet que les comptables la
l’intention qu’ils [les arqueros] puissent conserver
commettent par stratégie, afin de pouvoir utiliser les
ce qui avait été occulté, puisque ce n’était pas porté
fonds qui leur sont confiés ou d’en faire profiter
à leur charge, soit sous le prétexte de les laisser à
leurs cautions pendant quelques temps, avant
l’abri quelques temps, afin qu’ils retiennent
d’effectuer les paiements qui leurs sont ordonnés,
l’argent, en s’en chargeant en recette plus tard. Et si
quitte à retarder ces derniers. Comme l’écrit
dans les comptes qu’ils ont fait rendre, ils n’ont pas
Philippe Hamon, « la sous-évaluation des recettes
inscrit entièrement les charges ou s’ils ont admis
dans les comptes permet de conserver le maniement
dans la dépense des parties qui n’avaient pas la
d’une partie des fonds en ne réglant pas toutes les
justification et l’autorité suffisantes, afin de réduire
assignations. Ce n’est que lors de l’apurement
le solde. » (Ripia, p. 387).
définitif que les sommes dissimulées réapparaissent
Il semble que la rétention ait fait l’objet d’une
comme par enchantement, elles qui étaient absentes
relative tolérance, toute la difficulté pour le
jusque-là des états envoyés par les comptables ». La
288
chercheur étant d’en déterminer les limites. Ceci
pourrait expliquer que l’on se soit contenté
longtemps de solutions qui, au mieux, permettaient
de limiter cette pratique, sans la rendre impossible
aux plus astucieux. Ces solutions sont multiples. On
retiendra les plus courantes.
Les monarques comptent bien sûr sur la vertu du
comptable et sa crainte du parjure : il « affirmera
son compte »*, jurant qu’il n’a rien omis.
L’efficacité de cette solution est proportionnelle à
l’honnêteté du comptable et à sa mémoire.
Une précaution supplémentaire consiste à
augmenter la fréquence des redditions de comptes.
Les Trésoriers de l’Extraordinaire des Guerres sont
invités à rendre des comptes annuels (Hamon). Le
Trésorier général d’Espagne reçoit la même
injonction en Espagne en 1523 (Carlos Morales).
Au XVille siècle, les Trésoriers généraux nouvelle
formule institués par Philippe V pendant la Guerre
de Succession seront soumis à la même obligation
par le ministre Ensenada à partir de 1753 (Torres
Sanchez). On peut ainsi espérer que le comptable
veillera à se charger en recette de tous les fonds
perçus avant de rendre compte, les conservant par
devers lui moins d’un an. Il est aussi d’usage de
demander des états de recettes et de dépenses en
cours d’exercice, à des fréquences plus hautes
(toutes les quinzaines, tous les mois, etc.). Enfin,
les comptables sont invités à tenir des livres
journaux* qu’ils doivent être en mesure de
présenter à tout moment. Toutefois, la méthode de
tenue des livres reste la comptabilité en recette et
dépense*, en l’absence d’officiers pour tenir un
livre de caisse et un grand livre, qui constitueraient
avec le livre journal le jeu de livres propre à la
partie double*, la comparaison de trois livres tenus
par des personnes différentes permettant alors de
limiter la fraude. Aussi, cette invitation à tenir des
journaux tient-elle, comme les dispositions
précédentes, de l’injonction, surtout efficace auprès
des comptables honnêtes ou effrayés par la
sanction.
Une troisième solution, qui n’exclut pas les autres,
est d’obliger le comptable à émettre des quittances*
visées par un contrôleur, pour qu’elles soient
valables. Le ressort du contrôle est l’intérêt que
trouve celui qui a versé l’argent à obtenir un titre en
bonne et due forme, parce que lui aussi doit rendre
des comptes : c’est le cas, en principe, des autres
comptables de l’argent du roi et des contribuables.
Cela dit, est possible de détourner cette règle. On a
cité le cas de ces comptables qui exigent un
paiement pour émettre une quittance (concussion*),
ce qui peut inciter des contribuables peu fortunés à
se contenter d’un simple récépissé. D’autres savent
tout simplement que certains particuliers n’ont pas
besoin de quittance datée. Cela dit, on peut compter
sur le fait que les gros versements faits aux
comptables apparaîtront inévitablement dans les
redditions de comptes*, puisqu’ils sont faits par des
individus qui sont aussi comptables devant le roi.
Le problème est alors déplacé : comment accélérer
la reddition de comptes ?
Quatrième solution : c’est une variante de la
précédente, peut-être plus efficace. Elle est adoptée
en France par les Trésoriers de l’Extraordinaire des
Guerres pour contrôler leurs commis et en Espagne,
au XVIIIe siècle, par les Trésoriers généraux de la
Guerre puis les Trésoriers généraux (Dubet). Les
Trésoriers généraux sont les seuls à pouvoir émettre
des quittances en leur propre nom. Ils exigent donc
de leurs commis ou, en Espagne, des trésoriers
d’année, qu’ils émettent des quittances provisoires,
en vertu desquelles les fonds que l’agent local a
reçu d’un tiers (un fennier, un receveur, etc.)
seraient des fonds remis à cet agent par le Trésorier
général par le biais du tiers. Par ces documents, les
commis ou trésoriers reconnaissent donc qu’ils
doivent au Trésorier général l’argent qui vient de
leur être versé. Pour obtenir une quittance
définitive, le tiers qui a effectivement versé les
fonds porte ce document provisoire aux bureaux du
Trésorier général, qui le conserve par devers lui
pour sa comptabilité interne avec ses agents locaux.
En échange, le Trésorier général délivre une
quittance par laquelle il reconnaît avoir perçu les
fonds de ce tiers. Il semble que la solution ait été
efficace en Espagne, puisque l’on ne connaît pas de
cas de plaintes de Trésoriers généraux à l’égard de
leurs payeurs ou de trésoriers locaux. Cela dit, les
études de la Trésorerie générale sont encore
lacunaires, et cela ne résout pas le problème de la
reddition de comptes du Trésorier au roi.
Cinquième solution : l’obligation pour le
comptable de soumettre toutes ses opérations à un
contrôleur qui sera présent physiquement, dans ce
cas, quand de l’argent ou des effets entreront en
caisse. C’est notamment le cas des payeurs d’année
(Esteban Estringana, Rowlands) ou, en Espagne,
des Trésoriers généraux, ainsi que des responsables
des arcques, ces caisses instituées au milieu du
XVIIe siècle par Philippe IV pour recueillir toutes
les recettes ordinaires d’une province, et seules
habilitées à faire la dépense de l’argent (Dedieu &
Ruiz Rodriguez). Cela ne fonctionne que si le
contrôleur est effectivement présent à tout instant.
Dans la pratique, c’est difficile à réaliser,
notamment dans un contexte militaire, lorsqu’un
payeur d’année recourt à plusieurs agents qui font
des débours et encaissent des fonds en son nom
dans des lieux différents et à des moments qui ne
sont pas toujours déterminés à l’avance. Ripia a
décrit la parade. Lorsque le responsable de la caisse
est seul, ne pouvant émettre de quittance en forme
visée par le contrôleur, il délivre des cédules
provisoires à ceux qui lui ont remis les fonds. Il
peut alors s’écouler un certain temps entre cette
opération et le moment où le contrôleur enregistre
l’opération dans sa recette. Le contrôleur, écrit
Ripia, « doit agir tout autrement quand les arqueros
289
r
ne donnent pas de reçu, si l’on n’émet pas de ait à en payer à Jean-Louis Desailly, adjudicataire
témoignage écrit de leurs rentrées de caisses par bail [marché*] du 15 juin 1787 des ouvrages à
(entradas de areas), car dans ce cas toute la faire pour la reconstruction du pont de Villers-
diligence de l’administrateur est nécessaire pour Bocage moyennant la somme de 13 707 livres, la
que Yarquero n’occulte pas de parties. En effet, ils somme de 2 207 livres pour, avec celle de 11 500
ont l’habitude de le faire, donnant de petites cédules livres qu’il a ci-avant déjà reçue sur l’article 8 de
indiquant que l’argent est en leur pouvoir, jusqu’à l’état du roi* de l’exercice 1786 pour faire celle de
ce que l’on fasse une rentrée de caisses, et si la 13 707 livres, prix de l’adjudication ci-dessus datée,
partie ne vient pas [réclamer son dû], ils utilisent et ce suivant le certificat du sieur Delatouche,
l’argent. » (Ripia, p. 220). ingénieur du Roi pour les Ponts et Chaussées de la
Sixième solution : le recours aux coffres à plusieurs généralité, et en rapportant par ledit trésorier
clefs*, réparties entre le comptable, le contrôleur et principal notre présente ordonnance, ensemble la
l’administrateur de la recette. Elle rend le contrôle quittance dudit sieur Desailly, pour ce suffisant,
visuel qui vient d’être évoqué indispensable, à ladite somme de 2 207 livres lui sera passée et
condition que chacun conserve sa propre clef et soit allouée dans la dépense de ses comptes par le sieur
assez disponible pour être présent chaque fois que Trésorier général des Ponts et Chaussées de France
de l’argent entre ou sort de la caisse. Ce n’est pas en exercice ladite année, auquel elle sera
toujours le cas (voir la notice Fraude). pareillement allouée par Messieurs de la Chambre
Septième solution : l’intéressement. Il s’agit d’offrir des comptes que nous prions ainsi le faire sans
une rémunération aux comptables qui font rentrer difficultés. » Il s’agit donc du paiement du solde ou
leur recette en avance et surtout, s’en chargent dans « parfait paiement » d’un marché de travaux,
leurs comptes. Cette mesure incitative, mise en imputé sur l’exercice 1786 comme l’acompte;
place en France par Mollien* lors de l’institution de l’intendant définit quelles sont les pièces
la Caisse de service* (1806), semble avoir été la justificatives du comptable vis-à-vis de la Chambre,
plus efficace et est toujours d’actualité. A.D. et l’on constate que le certificat de réception n’en
Voir Doubel-emploi, Faux-emploi fait pas partie. Cette pièce est importante pour la
justification de l’ordonnancement : quoiqu’elle ne
Sources : Ferrière CJ. de (1779), t. II, p. 262. doive pas être exigible à cette époque, elle devrait
Chauveau A. et Faustin H. (1852), p. 401. être jointe à l’ordonnance comme preuve de la
Encyclopédie méthodique, finances, p. 239. La liquidation de la créance. À partir de 1822, la liste
Ripia J. de (1676), p. 387. et la contexture des pièces justificatives des
Bibliographie : Carlos Morales C. J. de (2000). comptables ne sont plus laissées à l’initiative des
Dubet A. (2009). Esteban Estringana A. (2002). ordonnateurs.
Hamon P. (1994), p. 282. Hamon P. (1999), p. 157. Le même auteur de 1727 signale que le souverain
Rowlands G. (2002). fait aussi expédier « des ordonnances de comptant
sur les trésoriers généraux qui sont payées comptant
Ordonnance de comptant comme celles du Trésor royal ». Ces ordonnances
de comptant correspondent à des dépenses jugées
Voir Ordonnance de paiement
secrètes et dont ni le comptable ni la Chambre des
comptes n’ont à connaître. Elles sont au porteur et
Ordonnance de paiement
C’est l’ordre écrit donné par un ordonnateur* à un
certaines sommes sont remises manuellement au
roi. D’après le règlement du 15 septembre 1661,
comptable* d’avoir à payer une certaine somme à
les comptants* sont opposés aux dépenses
un ayant droit désigné ou non dans la formule.
comptables* et sont émis « tant pour dépenses
L’auteur du Dictionnaire des finances de 1727 ne
secrètes que pour remises, intérêts et autres de toute
parle d’ordonnance qu’à propos du roi et du Trésor
nature ». Dans le second cas, les dépenses ne sont
royal. Pourtant le roi n’est pas le seul ordonnateur*
pas secrètes, mais les rois ont abusé du procédé, et
des dépenses de l’État et les gardes* du Trésor
la Chambre des comptes de Paris s’en est émue
royal ne sont pas les seuls comptables*
pour la régularité de ses opérations et aussi pour la
assignataires de ses ordonnances. Les ordonnateurs
diminution de ses épices. L’ordonnance de
secondaires, dits alors simplement ordonnateurs,
comptant doit être détruite et remplacée par un
émettent également des ordonnances sur les crédits
acquit de comptant* qui est la justification du
qui leur sont délégués au moyen d’« ordres de
comptable dans ce cas.
fonds ».
La délégation du pouvoir d’ordonnancer (ordonner,
L’ordre lui-même est une phrase mise en bas d’un
comme l’on dit alors) les dépenses de l’État n’a
décompte ou portée sur une feuille séparée avec la
jamais été remise en question, mais le roi a cessé
signature de l’ordonnateur, par exemple celle-ci,
d’être l’ordonnateur principal en 1791, au profit des
due à l’intendant d’Amiens et datée du 29 avril
ministres. Le mandat*, néologisme introduit par le
1788 : «Il est ordonné au trésorier principal des
commerce et mot fort ancien en italien, désigne
Ponts et Chaussées de la généralité d’Amiens que,
d’abord une opération d’ordre intérieur au Trésor
du fonds fait en ses mains pour l’exercice 1786, il
290
royal* à partir de 1788, puis aussi les ordonnances
des ordonnateurs secondaires, ces deux emplois
étant étrangers l’un à l’autre. Le mot mandement
figure à la place d’ordonnance de paiement dans
l’édit de janvier 1780 créant un bureau général des
dépenses de la Maison du roi, et le mot mandat y
désigne les pièces que le trésorier utilise pour
effectuer les paiements pressés et imprévus sous la
signature de l’un des cinq administrateurs, celui que
la dépense concerne, jusqu’à concurrence de 10 000
1. et le trésorier doit les échanger dans le mois
contre des « états » arrêtés par le bureau et qui
seront sa justification. Ici le mot mandat est plutôt à
prendre dans le premier sens. Sous la Terreur, les
délégués investis du pouvoir d’ordonnancer sont
innombrables. Le Comité de salut public a été lui-
même ordonnateur, et le tenue de mandat a désigné
notamment les ordres de paiement adressés à des
représentants en mission et autres individus, à
charge pour eux de rendre compte au Comité de
l’usage des sommes versées par des comptables*
réguliers sur ces mandats, entendus dans le second
sens. Sous le Directoire, les ordonnances de
paiement en viennent à désigner uniquement les
ordres de paiement des ministres, ceux-ci émettant
des ordonnances de délégation sur leurs crédits (à
la place des « ordres de fonds »), afin de permettre
aux ordonnateurs secondaires d’émettre à leur tour
des mandats de paiement dans la limite des crédits
délégués. Ces trois termes sont toujours employés
et leur sens n’a pas changé depuis lors ; le premier
et le troisième ont pour équivalent le chèque
bancaire. B.L.
Sources: Dictionnaire des finances (1727). AD
Somme, C 1296, cité par Condette-Marcant A.S.,
« De la gestion aux sacrifices : le difficile équilibre
du budget des Ponts et Chaussées », in Legay M.L.
(2007), p.87.
Ordonnancement
Les règlements généraux* relatifs à la comptabilité
publique* du début du XIXe siècle distinguent
quatre phases composant les dépenses et les recettes
publiques : l’engagement*, la liquidation*,
l’ordonnancement et le paiement*.
Le Dictionnaire des finances de 1727 pas plus que
Y Encyclopédie méthodique de 1784 n’isolent une
entrée pour ordonnancement ou n’emploient le
tenue dans les rubriques consacrées à
l’ordonnateur. On écrit à l’époque que
l’ordonnateur ordonne, que l’acte juridique servant
au règlement sur les finances est une ordonnance,
mais on ne trouve pas trace d’ordonnancement. Si il
existe indubitablement, l’ordonnancement semble
se confondre avec l’engagement* et relève in fine
de l’autorité du roi sans être identifié, comme en
témoigne le duc de Choiseul à propos des ministres.
« Ils ne peuvent ordonner aucune dépense, quelque
légère qu’elle puisse être, sur les fonds assignés
pour leurs départements sans un ordre de V.M.
L’ordonnance, en conséquence du bon du roi, est
encore signée par le roi même. Les ordonnances
passent du trésorier à la Chambre des comptes*,
laquelle n’arrête les comptes du trésorier que
d’après lesdites ordonnances, et l’ordonnateur est
l’instrument passif dirigé par la volonté de V.M.
[...]».
Le titre II de l’ordonnance du 14 septembre 1822
intitulé « De l’ordonnancement des dépenses »
manifeste l’existence du tenue dans l’ordre
juridique alors qu’il est utilisé dans l’ordre
comptable, comme en témoigne son emploi dans
divers ouvrages du début de la Restauration.
L’ordonnancement désigne depuis l’ordre adressé
par l’ordonnateur* au comptable* de régler un
créancier ou de mettre en recouvrement une somme
auprès d’un débiteur. L’ordonnancement peut être
émis au niveau central, il est alors réputé direct, on
le désigne sous le terme d’ordonnance de paiement*
par opposition aux ordonnances de délégations qui,
adressées aux ordonnateurs secondaires, permettent
une gestion des fonds au niveau déconcentré.
L’ordonnateur secondaire émet alors un mandat de
paiement. L’ordonnance de 1822 fixe le cadre de
chacune de ces procédures. Les ordonnancements
sont rattachés à un exercice* et visent le chapitre
budgétaire sur lequel ils s’imputent à hauteur des
crédits mentionnés. Ils ne peuvent dépasser les
montants inscrits sauf à engager la responsabilité de
l’ordonnateur*. Une fois le cadre déterminé, le
régime juridique des ordonnancements va être
précisé progressivement. Toute la question est de
savoir dans quelle mesure les ordonnancements
doivent être justifiés, c’est-à-dire de savoir dans
quelle mesure ils constituent une manifestation de
l’autorité du ministre en matière de dépense ou une
simple pièce comptable justifiant de l’emploi des
fonds au sein du compte du ministre, compte
administratif1 qui constitue le compte d’exécution
du budget*. Le ministère des finances va
progressivement imposer à chaque administration
d’accompagner les ordonnances de paiement de
pièces justificatives* de plus en plus précises
comme en témoigne l’article 65 de l’ordonnance de
1838 qui dispose que « les pièces justificatives sont
déterminées par nature de service dans les
nomenclatures arrêtées de concert entre le ministère
des finances et les ministères ordonnateurs ». Il
s’agissait, selon les Finances, de préciser la
procédure de paiement* et la responsabilité* des
comptables*. Les ministres y ont vu une forme de
mise sous tutelle et ont logiquement tenté de
conserver l’initiative de la justification des
ordonnancements. La Cour des comptes* relaya
cette pression permanente à l’occasion de ce que
l’on a appelé entre 1837 et 1842 la «querelle des
nomenclatures » qui concourut à accroître la
pression réglementaire sur la dépense publique.
291
 Sources : AN, K 502, pièce n° 40 : « Compte que
j'ai rendu au Roi de mon administration depuis
1757 jusqu'au 16 mars 1770». Dictionnaire des
finances (1727). De la situation du Trésor public
(1997).
Bibliographie : Bonnier F. (1902). Isaïa H. et
Spindler J. (1986). La comptabilité publique
(1995). Ludwig R., «La querelle des
nomenclatures. 1837-1842 », La Cour des Comptes,
Paris, CNRS, 1984, p.450-473. Marcé V. (1905).
Michaud H. (1970-1971). Say L. (1889-1894).
Stourm R., Les finances de l’Ancien Régime et de la
Révolution, origines du système financier actuel, 2
vol., Paris, Guillaumin, 1885.
Ordonnateur
L’ordonnateur est un administrateur habilité à
émettre un ordre de nature financière. Il peut s’agir
de prescrire une recette, mais sous l’Ancien régime
il s’agit plus généralement d’émettre à l’attention
des comptables un ordre de paiement que l’on
nomme ordonnance* et qui finit par être qualifié
juridiquement sous la Restauration
d’ordonnancement*. Au préalable, l’ordonnateur
aura veillé à l’établissement du montant de la dette
ou de la créance, c’est-à-dire à la liquidation* de
l’opération.
Des administrateurs aux ministres : maîtriser la
dépense
Le titre d’ordonnateur a été attribué à de nombreux
officiers. Un règlement de 1606 tenta de restreindre
la fonction au seul surintendant des finances*, mais
en pratique, divers administrateurs ont conservé la
possibilité d’ordonner des mouvements financiers.
En 1661, lors de la disgrâce de Nicolas Fouquet, le
roi reprend en main l’ordonnancement des
dépenses. Le règlement du 15 septembre 1661
dispose en ce sens que Sa Majesté « se réserve à
Elle seule la signature de toutes les ordonnances*
concernant les dépenses comptables et les
[ordonnances de] comptant, tant pour dépenses
secrètes que pour remises, intérêts et autres de toute
nature». Dès lors, le roi est seul ordonnateur
« principal » et les autres ordonnateurs
(secondaires) du royaume sont soumis à son
autorité financière. Les lettres de commissions* des
intendants* comportent des précisions sur ce point.
Sous la Révolution, la loi des 16 août et 13
novembre 1791 relative à l’organisation de la
Trésorerie nationale* va reprendre au roi le
monopole de la capacité d’ordonnancer les
dépenses. Les ministres deviennent ordonnateurs
principaux des départements ministériels, le roi
conservant la liste civile. L’ordonnance du 14
septembre 1822 vient définitivement établir les
ministres ordonnateurs principaux et distinguer les
ordonnateurs secondaires qui pourront agir sur
délégation au moyen de mandats. Au delà de
l’ordonnancement*, c’est la capacité à préparer le
292
budget* des départements et à en assumer la
responsabilité dont les ministres sont maintenant les
dépositaires. L’ordonnateur est « financièrement »
maître de son budget et doit tenir, présenter et
éventuellement rendre « ses comptes ».
Les contraintes qui encadrent les ordonnateurs
L’ordonnateur dispose de l’autorité nécessaire à
l’établissement des ordonnancements*. Il est
souvent l’auteur de l’engagement* et veille à la
liquidation* des opérations. Son action se concentre
sur la décision financière. La mise en œuvre
pratique de la dépense, le paiement*, lui échappe.
Cette distinction est d’autant plus forte que les
fonctions d’ordonnateur sont incompatibles avec
celles de comptable*. Cette pratique très ancienne,
qu’André Neurisse fait remonter à l’époque
romaine, a souffert quelques exceptions, mais est
sans cesse réaffirmée en droit public financier à
partir de la Révolution. Les décrets des 15 octobre
et 7 décembre 1794 (24 vendémiaire et 17 frimaire
an III) l’établissent en matière de recette et
l’ordonnance de 1822 la confirme en matière de
dépense. Il s’agit d’éviter une concentration des
pouvoirs financiers et de favoriser un contrôle
réciproque entre celui qui manie les fonds et celui
qui prescrit le mouvement.
Isolé du paiement, l’ordonnateur est aussi contraint
par la disponibilité des fonds. Le Contrôle général,
informé de l’état des ordonnancements*, organise le
mouvement des fonds sous l’Ancien régime. Sous
la Révolution, la Trésorerie nationale* va acquérir
une forme d’autonomie lui permettant de « gérer »
l’ordre des priorités en matière de paiement. Si les
ordonnateurs sont bien « responsables » des deniers
de leurs départements, les paiements relèvent d’une
logique politico-financière qui leur échappe. Avec
la Restauration, la ministre des Finances reprend la
distribution des fonds et devient le collecteur des
ordonnancements. Les ordonnateurs se voient
contraints de lui transmettre l’ensemble des pièces
relatives à leurs dépenses. Le ministère des finances
ne cesse alors de préciser la nomenclature des
pièces justificatives* que les ordonnateurs doivent
produire et porte de ce fait un regard de plus en plus
précis sur leur gestion.
Le cadre budgétaire vient lui aussi contraindre les
ordonnateurs. Les crédits accordés sont réputés
limitatifs dès l’article 56 de la constitution de 1799
qui précise que les ministres ne peuvent
ordonnancer qu’à « concurrence des fonds que la
loi a déterminés pour un genre de dépenses ».
L’article 151 de la loi du 25 mars 1817 confirme le
plafond des crédits au niveau fixé par les
ordonnances de répartition des fonds, les
ordonnateurs « ne pourront, sous leur
responsabilité, dépenser au-delà de ce crédit » sauf
à engager leur responsabilité*. L’ordonnance de
1822 précise le cadre budgétaire et impose aux
ordonnancements de spécifier l’exercice et le
chapitre de rattachement des opérations. Les crédits
ouverts sont enfermés dans l’exercice*. Au-delà de
la fin de l’exercice, les sommes non ordonnancées
sont ainsi « perdues » pour les ordonnateurs qui
n’ont en théorie pas droit au report des crédits non-
consommés. Le comptable* doit contrôler la
régularité financière des mandatements et
ordonnancements* sous peine d’engager sa propre
responsabilité*. L’ordonnateur peut décider de
passer outre le refus de paiement* du comptable*
en opérant sa réquisition, le premier substitue alors
sa responsabilité à celle du second qui avertit son
ministre de tutelle.
A partir de 1817, le Parlement va parallèlement
obtenir progressivement la spécialisation* du
budget*. Les crédits sont présentés et votés par
nature de dépense (en « chapitres ») et ce de
manière de plus en plus fine, encadrant
l’ordonnateur dans la mise en œuvre de la dépense
en cours d’exercice*. Enfin, le contrôle des
comptes* par la Cour des comptes* est censé
permettre de porter un regard sur la gestion des
administrations. Les cahiers d’observations sont
pensés, à l’origine, comme les outils de
communication entre le Cour et l’Empereur. Ils
deviennent progressivement publics entre 1823 et
1832 et perdent paradoxalement cette capacité
d’alerte. La publicité* nuit en fait à la liberté de ton
des membres de la Cour... surtout quand il s’agit de
stigmatiser des ordonnateurs principaux que sont
les ministres du roi à l’attention d’un Parlement en
quête de reconnaissance politique.
Sources : De la situation du Trésor public (1997).
Forbonnais F. Véron Duverger de (1758). Mathon
de La Cour C. J. (1788).
Bibliographie : Isaïa H. et Spindler J. (1986). La
comptabilité publique (1995). Marcé V. de (1905).
Meyer R., Du contrôle des ordonnateurs, thèse de
droit, Paris, A. Rousseau, 1900. Neurisse A.,
« L’émergence au XIVe siècle du statut du
comptable public », Revue du Trésor, mai 2004.
Say L. (1889-1894). Stourm R., Les finances de
l’Ancien Régime et de la Révolution, origines du
système financier actuel, 2 vol., Paris, Guillaumin,
1885. Stourm R., Cours de finances. Le budget [son
histoire et son mécanisme], Paris, Guillaumin 1889.
Ordre de compte
Voir Compte d’ordre
Ordre de paiement
En Angleterre, le système de crédit à court terme
fut modernisé par Georges Downing, ancien telier
devenu secrétaire du Treasury Board, qui inventa,
en 1665, VOrder of payement. Personnellement
hostile au système des anticipations* sur les caisses
des comptables qui échappaient au contrôle du
Trésor, Downing suggéra de donner aux personnes
qui viendraient librement remettre à l’Echiquier*
des prêts d’argent, des Orders ofpayement, en plus
du traditionnel tally of sol. L’originalité de ces
ordres de paiement tenait d’abord au fait qu’ils
étaient exclusivement payables à l’Echiquier qui
faisait seul office de fournisseur de crédit à court
terme. Ensuite, ces ordres étaient numérotés. De
sorte que le principe de leur remboursement n’était
pas laissé au bon vouloir des uns ou des autres. Au
contraire, le paiement s’effectuait dans l’ordre
d’émission des billets et, chose nouvelle, était
annoncé dans la presse. Enfin, les ordres de
paiement offraient l’avantage d’être transférables
par endossement du nom du nouveau propriétaire
dans la marge et par une simple déclaration auprès
de l’Echiquier. La banqueroute* de 1672 - connue
sous le nom de Stop of the Exchequer - suspendit
le remboursement d’une quantité trop importante de
ces billets émis pour financer la deuxième guerre
anglo-hollandaise, mais elle ne mit pas fin à
l’expérience. Le recours aux orders of payements,
ancêtres des bills of the Exchequer, reprit avec des
émissions de plus en plus importantes. Aussi, à
compter de 1688, les orders of payement furent-ils
systématiquement imprimés avec le nom du porteur
en blanc. J.F.
Voir Angleterre, Billet
Orry, Jean (1652 -1719)
Financier français, Jean Orry est envoyé par
Louis XIV à Madrid au printemps 1701 pour y
épauler Philippe V, petit-fils du roi de France, qui
vient de prendre la succession de Charles II, dans
l’examen de la situation des finances d’Espagne :
« pour voir et pour connaître l’état [des finances] du
Roi d’Espagne pour examiner les moyens les plus
propres de soulager ses sujets et des (sic) provinces
aux plus pressants besoins du public, qu’il m’assure
que toute l’Espagne en général le désire ».
Louis XIV lui enjoint de présenter un « état présent
des affaires du Roi d’Espagne » puis de « dresser
ensuite des mémoires des changements qu’il croira
qu’on doive faire soit pour augmenter ces mêmes
revenus soit pour mettre la règle en sorte qu’ils
reviennent plus nettement dans les coffres du Roi
d’Espagne, soit pour établir les choses de manière
que les dépenses soient plus proportionnées à la
recette. » Dépourvu de tout caractère, Orry est
supposé n’exposer ses projets à Philippe V qu’après
avoir reçu l’assentiment de Louis XIV par le biais
de deux de ses ministres, celui des affaires
étrangères, le marquis de Torcy, et le ministre de la
Guerre et contrôleur général, Nicolas Chamillart.
Or, si Orry respecte formellement ces injonctions, il
ne tarde pas à aller au-delà des limites fixées, fort
de la confiance qu’il inspire au jeune roi et à
l’influente princesse des Ursins, première dame
d’honneur de la reine Marie-Louise de Savoie, et
des appuis qu’il sait se créer au sein de
l’administration des finances espagnoles et des
groupes de gens d’affaires. Au fil de séjours
293
 successifs (juin - octobre 1701, juin - septembre
1702, décembre 1702-août 1704, mai 1705-juin
1706, mai 1713-février 1715), il parvient à mettre
en œuvre un ensemble de réformes qui modifient
profondément et durablement le gouvernement des
finances espagnoles. Si la disgrâce de la Princesse
des Ursins, expulsée d’Espagne par la seconde
épouse de Philippe V, Elisabeth Famèse, conduit en
effet Orry à un exil définitif, l’essentiel des
réformes qu’il a initiées demeurent, tandis que ses
collaborateurs restent en place.
Orry est un praticien. Issu d’une famille de
financiers normands en pleine ascension, il s’essaie
à quelques affaires industrielles avant d’opter, avec
succès, pour les entreprises royales. Son mariage
avec Jeanne Esmonin, fille d’un commissaire
d’artillerie et capitaine ordinaire des charrois du Roi
de France, lui permet en effet de participer à
plusieurs contrats de fourniture pour les travaux de
construction de l’aqueduc de Maintenon, qui
approvisionne Versailles en eau. Probablement
remarqué par Louvois, il participe ensuite à la
restauration du havre de Brouage (1687) comme
simple agent de l’entrepreneur, avant de s’emparer
du contrat (1690). Son habileté, dont le roi est
« bien aise », lui vaut d’être admis dans plusieurs
contrats de fournitures de l’année d’Italie pendant
la guerre de la Ligue d’Augsbourg, avant d’être
invité par Pontchartrain (contrôleur général des
finances) et Barbezieux (ministre de la Guerre) à
entrer dans la compagnie des munitionnaires des
vivres. Il renfloue son capital, y exerce un an la
fonction de Général des Vivres et se montre assez
habile pour trouver du blé en temps de disette. Si
les accusations de « friponnerie » ont cours pour lui
comme pour d’autres, il bénéficie de jugements
plus nuancés de la part des responsables militaires
et politiques. Aussi, se voit-il confier la compagnie
d’Occident en 1697, et y conserve-t-il des parts
jusqu’en 1718. C’est aussi sa maîtrise de l’art de la
reddition des comptes qui est appréciée. Général
des vivres de la compagnie des munitionnaires, il a
dressé les comptes de son prédécesseur. Au
lendemain de la guerre, il se charge de la
vérification de l’ensemble des comptes de la
compagnie des vivres. Il se vante quelques années
plus tard des talents qu’il y a fait valoir :
«Qu’en 1698 et 1699, il fut chargé de la
vérification des comptes et des vivres et de
l’artillerie des armées d’Italie et de Catalogne
pendant la précédente guerre, et qu’en 1700 il en
dressa le compte qui fut rendu de clerc-à-maître*,
qui se trouva monter à plus de cinq millions en sus,
sur lequel intervint l’arrêt du Conseil du 5 août
1700, qui a servi de modèle aux arrêts rendus
depuis sur les autres traités de vivres. »
Le tout lui vaut d’être reconnu par Chamillart. Le
ministre fait de lui son protégé et le recommande à
Louis XIV quand celui-ci cherche un financier à
envoyer en Espagne. Jusqu’en 1706, Chamillart le
294
soutiendra face aux attaques des Français et des
Espagnols hostiles à ses réformes, lui donnant
l’occasion de se justifier chaque fois que nécessaire.
L'état présent des affaires du roi d'Espagne:
regard d'un financier
Les premiers mois passés par Orry en Espagne sont
consacrés à la rédaction d’un bilan de la situation
des finances royales du roi d’Espagne,
essentiellement en Castille et dans les territoires
américains, et de projets de remèdes. Les
volumineux mémoires qu’il adresse à Torcy et
Chamillart en décembre 1702, de même que tous
ceux qui suivront pendant ses séjours en Espagne,
ne sont pas le fruit d’un travail solitaire. Orry
s’entoure en effet de commis français, parfois déjà
mis à l’épreuve dans l’administration de la
fourniture des vivres sur le front d’Italie, et de
collaborateurs et informateurs espagnols, commis
des bureaux des Conseils des Finances et des Indes
ou des Chambres des Comptes, mais aussi gens
d’affaires. Pendant son premier séjour, il bénéficie
en outre de l’appui bienveillant des deux conseillers
les plus influents de Philippe V, le cardinal
Portocarrero et Manuel Arias, Président du Conseil
de Castille, qui facilitent ses contacts dans
l’administration des finances. Ce travail collectif
d’une équipe franco-espagnole interdit de
considérer son bilan comme le fruit du regard porté
par un Français sur l’Espagne. De même, ses
propositions tiennent compte des attentes ou des
possibilités évoquées par ses interlocuteurs. Par
ailleurs, quand Orry décrit la fiscalité et les
institutions espagnoles, il n’a aucun mal à identifier
des équivalents français. Aussi, serait-il réducteur
de voir dans la politique qu’il développe en
Espagne l’importation d’un modèle français dans
une Espagne fondamentalement différente. Tout se
passe comme si, en passant les Pyrénées, Orry
n’avait pas changé de monde.
Le regard qu’il porte sur les finances espagnoles est
nourri par son expérience de manieur d’argent et de
comptable habitué à la reddition* de comptes. À
l’instar des donneurs d’avis, il estime que l’Espagne
est moins victime du manque de ressources que de
leur mauvaise administration. Mais pour ce qui
concerne les recettes fiscales du roi, il en fait une
estimation chiffrée. Il calcule ainsi le montant
annuel des fraudes* sur le droit de quint (5% des
trésors extraits du sol et du sous-sol) en Nouvelle
Espagne en confrontant les quantités de mercure
livrées aux mines (dont il déduit la production
réelle d’argent, trié par amalgame) et ce que
déclarent les bureaux royaux. D’autre part, une
comparaison entre la somme des abonnements au
détail des recettes royales et millions dans le
royaume de Séville et ce que verse le fermier au roi
pour l’ensemble du même royaume lui permet de
chiffrer l’économie de frais d’administration qui
serait réalisée si l’on recourait à un seul
abonnement pour tout ce territoire. Son examen de
la fiscalité est prolixe. À la définition de chaque
figure fiscale, s’ajoutent l’histoire de sa création et
de son emploi et la description de son mode de
recouvrement. L’examen de «l’état présent» des
finances se conclut par un tableau (une « carte »)
dans lequelle Orry a synthétisé l’emploi de chaque
recette, reprenant la structure des comptes-rendus
exigés des contrôleurs des districts depuis 1688.
Le projet : rendre son autorité au roi en matière de
finances
Mais Orry ne se borne pas à la description plate des
recettes et des dépenses du roi d’Espagne. Il offre
un diagnostic politique, prétendant expliquer
pourquoi le roi n’a pas d’autorité en matière
financière. Certes, Orry reprend à son compte
l’argumentation morale en usage, mettant en cause
les fraudeurs, contribuables pratiquant l’évasion
fiscale ou conseillers, fermiers et autres receveurs
accusés de tirer des bénéfices illégitimes de l’argent
du roi. Mais il avance des explications de fond d’un
autre ordre. Ce sont des facteurs structurels qui font
que le roi ne sait pas de combien d’argent il
dispose, que ses ordres de dépenses ne peuvent tous
être exécutés par les comptables, que les sujets sont
tentés par la fraude fiscale et que les fermiers
d’impôts leur accordent des rabais sur les droits
officiels, usurpant ici une prérogative royale,
parfois sous la pression des contrebandiers. Orry
distingue trois facteurs. Le premier est l’absence
d’uniformité, dans les tarifs de certains impôts
(notamment les droits de douane) ou dans les
modes de prélèvement (tels ceux des droits sur le
sel, qui changent d’une région à l’autre, ou ceux des
différents services des millions). Elle conduit les
fermiers à faire des cadeaux aux contribuables poul­
ies attirer dans leur juridiction et ces derniers à fuir
les pays les plus imposés ou, comme les
ecclésiastiques, à tirer argument de la proximité
entre différents services pour n’en payer aucun. Le
second facteur est le mécanisme économique qui
veut que, plus les droits sont élevés ou nombreux,
moins l’on en tire de recettes : Orry l’expose par le
menu. Le troisième est la diversité des caisses.
Outre les dépenses de fonctionnement accrues qui
en résultent, sa conséquence est que le roi ne sait
jamais de combien il dispose et ne saurait donc
bâtir de politique de dépense et de crédit fiable. En
outre, plusieurs Conseils, officiers des maisons
royales et ministres sont habilités à ordonner des
paiements, sans concertation entre eux, parfois sur
les mêmes caisses. Dans ce cas, c’est au comptable,
en principe simple exécutant, qu’il revient d’établir
l’ordre de priorité des paiements.
Les solutions imaginées par Orry et son entourage
en 1702 visent à corriger ces facteurs structurels.
D’une part, il convient d’uniformiser le mode de
prélèvement des douanes, des droits sur le sel ou
des services des millions, et de mettre en place des
tarifs valables sur tout le territoire pour les
premiers. D’autre part, il propose de recouvrer les
impôts dans le cadre de grands contrats. Pour des
impôts affermés tels que les douanes, on préférera
recourir à un seul fermier par type de taxe afin
d’éviter que des fermiers concurrents réduisent les
droits, et on lui offrira des conditions susceptibles
d’intéresser aux affaires du roi les financiers les
plus fiables : contrats de longue durée, assurance de
ne pas se voir retirer la ferme avant un délai
minimal, de ne pas être poursuivi après reddition et
jugement de son compte, gains suffisants. Pour les
recettes prélevées dans les provinces et les « trois
grâces » accordées par le Pape, il faudra négocier
des abonnements globaux ; dans le cas des
provinces, un seul abonnement devrait pouvoir
englober les différents services et les alcabalas
d’une province. Le nombre de caisses sera réduit,
les frais de perception diminués. Quant au
patrimoine royal, Orry ne conseille de ne le mettre
en régie directe que provisoirement : une fois
évaluée sa valeur, on reviendra à l’affermage.
L’extinction de la dette consolidée devrait être
financée par la création à grande échelle de
nouvelles charges vénales, de finance et de justice.
On remarquera que le financier évite de heurter les
intérêts des oligarchies locales, ne proposant aucune
modification de la nature des recettes royales dans
les provinces et de leur mode de prélèvement au
niveau des villes. Quant aux gens d’affaires, loin de
s’en méfier, il souhaite les attacher au service du roi
en rendant les fermes attractives ou, « par le fond de
leur finance », en leur vendant les charges de
nouvelle création. Le crédit du roi sera renforcé s’il
s’appuie sur la collaboration des meilleurs d’entre
eux, plutôt que de les épouvanter et de devoir se
contenter des plus faibles. Enfin, pour rendre la
décision de dépenses au roi, il faut réformer ses
Conseils. Orry s’inspire ici des réformes du Conseil
mises en œuvre par Louis XIV après la mort de
Mazarin, tout en respectant la pluralité des Conseils
de la polysynodie. Son « arrangement des
Conseils » repose sur l’idée qu’il faut contenter les
Grands d’Espagne et leurs clients, les gens de robe
les plus influents, en multipliant les places qui leur
seront accordées dans les Conseils, une façon de
diluer le pouvoir de chacun d’entre eux. En
contrepartie, quelques ministres choisis se verront
confier la décision et l’exécution. L’ensemble doit
permettre à Philippe V de gouverner «par lui-
même » ses finances, comme son grand-père.
Le ministre et le trésorier
Toutes ces réformes ne sont pas mises en place dès
1703. Celles qui concernent le prélèvement ne le
seront qu’en 1713 pour les rentes royales et services
des provinces, et 1714 pour les recettes affermées.
La vénalité des charges se développe pendant la
guerre de Succession, comme l’a montré Francisco
Andüjar, alimentant notamment la caisse de la reine
295
 et celle du Trésorier général de la Guerre, mais sans
devenir le marché régulé que l’on connaît en
France. La réforme des Conseils est adoptée en
novembre 1713, suivant les orientations décrites
dès 1702. C’est sur la décision et le contrôle de la
dépense qu’Orry concentre ses efforts au cours de
ses premiers séjours en Espagne. La réforme
entreprise entre septembre et novembre 1703
comporte trois volets complémentaires. D’une part,
le roi institue un nouveau Secrétaire des Dépêches
chargé de la Guerre, conçu comme un ministre
responsable, qui sera d’une part l’interlocuteur
privilégié des gens d’affaires dans la négociation
des contrats de fournitures, de l’autre, le seul à
transmettre les ordres du roi en matière de dépenses
militaires, après en avoir « dépêché » avec le roi.
Tous les responsables militaires et civils dans
l’année doivent communiquer avec lui par la « voie
réservée », sans passer par le Conseil de Guerre.
Dans le même temps, les compétences du Conseil
de Guerre en ce domaine sont réduites, ledit
Conseil se voyant imposer des règles plus
contraignantes qu’auparavant pour l’attribution de
grâces aux officiers. D’autre part, une seule caisse
réunira les fonds destinés aux dépenses de la guerre,
la Trésorerie générale de la Guerre ou Tesoreria
Mayor. Elle ne recevra d’ordres du roi que par la
voie du tout nouveau secrétaire. Le Trésorier
général est invité à placer auprès de chaque armée
et dans les places stratégiques des commis intitulés
payeurs, placés sous son contrôle direct et sous sa
responsabilité financière. Enfin, un contrat de
grande ampleur est signé avec un homme d’affaires
qui s’engage à fournir en grains toutes les armées
de Castille et se voit confier pour cela l’affermage
de plusieurs recettes fiscales, ce qui évite au roi de
lui faire des avances. En somme, ces réformes
adoptées simultanément visent à instaurer une seule
voie pour la décision, à réduire la diversité des
caisses de dépense et à concentrer les contrats avec
les gens d’affaires.
La réfonne modifie en profondeur la prise de
décision, lésant notamment des individus et des
organes administratifs qui y prenaient part. Outre le
Conseil de Guerre, c’est le Conseil des Finances,
qui se voit relégué à un rôle d’exécutant, chargé de
veiller à ce que les recettes fiscales soient
transmises au Trésorier général de la Guerre. Le
marquis de Rivas, Secrétaire des Dépêches
Universelles, ainsi que le cardinal Portocarrero, qui
avait accompagné Philippe V depuis sa prise de
pouvoir, s’étaient vu confier le maniement de fonds
destinés à la guerre : ils leur sont enlevés. En
quelques semaines, le Secrétaire des Dépêches
chargé de la Guerre devient l’interlocuteur de ceux
qui ont des grâces à solliciter du roi et, de plus en
plus souvent, des villes auxquelles le roi réclame
des prestations financières ou des soldats.
296
La modification du contrôle comptable
Les dispositions d’Orry transforment aussi le
contrôle financier exercé sur les années par
plusieurs biais. D’une part, les munitionnaires se
voient imposer des règles visant à contrôler par leur
biais les officiers militaires : ainsi, le munitionnaire
des grains ne saurait remettre que des grains aux
armées (et non du numéraire), et la nature des
acquits qu’il doit retirer des sergents majors lui est
précisée. Les entrepreneurs seront responsables de
leurs pertes s’ils agissent autrement. D’autre part, et
surtout, le Trésorier général de la Guerre assure lui-
même un contrôle permanent sur ses payeurs qui
s’inspire des mesures qui ont été prises par Louvois
lors de l’institution des commis des Trésoriers de
l’Extraordinaire des Guerres, en 1682. Les payeurs
ne peuvent encaisser de fonds sans qu’il en soit
averti, puisqu’ils n’ont pas l’autorisation d’émettre
de quittance* au nom du Trésorier général. Ils sont
en effet dans l’obligation d’émettre des quittances
provisoires, en vertu desquelles c’est le Trésorier
général qui leur a remis les fonds par les mains du
fennier ou receveur qui a effectivement apporté
l’argent. Comme les fermiers et receveurs qui
apportent de l’argent ont tout intérêt à le faire
reconnaître à la monarchie, ils s’empresseront de
réclamer aux bureaux de la Trésorerie générale à
Madrid une quittance définitive. Outre le contrôle
exercé sur des payeurs qui pourraient être tentés par
la fraude (ici, l’omission* de recette), l’opération
permet au Trésorier général d’enregistrer dans son
propre compte les recettes à mesure qu’elles sont
faites. En effet, il constitue une seule caisse avec
ses payeurs, leurs recettes figurant à sa charge, leurs
dépenses à sa décharge. Enfin, des commissaires
des guerres munis d’instructions précises pour les
revues viennent remplacer les contrôleurs qui
jusqu’ici contrôlaient les opérations des payeurs et
sont placés sous l’autorité directe du Secrétaire des
Dépêches chargé de la Guerre. Orry n’a donc pas
introduit la partie double* comme l’en créditent
certains historiens, à l’instar d’Henry Kamen. Il
opte pour l’instauration de moyens de contrôle
interne pour l’organisation d’un seul grand compte
tenu en recette, dépense et reprise*. De fait, la
création de la Trésorerie générale de la Guerre n’a
pas annulé les autres caisses, qui demeurent en
place et, souvent, conservent les fonds - une série
d’arrangements sont pris à cet effet en 1704 -, mais
toute dépense destinée à la guerre lui est désonnais
signalée et entre dans sa reddition de comptes, les
autres n’étant plus habilités à la faire directement.
En contrepartie du contrôle que le Trésorier de la
Guerre exerce sur ses payeurs, les procédures de
reddition finale de son compte devant la Grand
Chambre des comptes sont allégées. Pour justifier
sa dépense, il n’aura qu’à présenter les ordres de
paiements -qui attestent de la légitimité de la
dépense - et les reçus délivrés par leurs
I
bénéficiaires, sans plus passer par les bureaux des
« offices comptables » des armées et sans avoir à
présenter d’autres documents. La comparaison que
le gouverneur du Conseil des Finances établit en
août 1705 entre le Trésorier général de la Guerre et
le Trésorier général resté en place donne toute la
mesure de l’autonomie acquise par le premier.
D’abord, le contrôleur nommé pour enregistrer les
opérations du nouveau Trésorier n’a pas les clefs*
de son coffre, alors que le Trésorier général
ordinaire ne peut faire de débours ni de dépenses en
argent liquide qu’en présence des contrôleurs dits
de la raison* de la grand Chambre des comptes,
détenteurs d’une des clefs de son coffre. Ensuite, le
même contrôleur ne suit pas le Trésorier général de
la Guerre sur le front, ne pouvant assister qu’aux
seules opérations qu’il fait à la cour. Enfin, le
Trésorier général de la Guerre est en mesure
d’émettre des lettres de change sur ses
correspondants ainsi que des assignations sur les
recettes qui lui sont confiées et il nomme des agents
locaux qui font des paiements et encaissent des
fonds pour lui, toutes choses que ne fait pas le
Trésorier général. En d’autres tenues, dans la limite
des ordres de dépenses qui lui sont donnés par le
roi, via le Secrétaire des Dépêches chargé de la
Guerre, le Trésorier général de la Guerre apparaît
plus libre de choisir les modalités exactes du
paiement et les fonds qui seront grevés. Quant aux
opérations faites hors de Madrid, elles sont
susceptibles d’échapper à tout contrôle. Ainsi,
certaines recettes échappent totalement ou
partiellement à la vigilance de la grand Chambre
des comptes : les fruits du trafic négrier, les
contributions des Conseils pour la remonte de la
cavalerie, et plus encore les prises sur l’ennemi et le
produit des « bénéfices » (soit de la vénalité). La
réunion en août 1705 d’une junte chargée
d’examiner les moyens d’alléger les procédures de
reddition de comptes du Trésorier général de la
Guerre devant la grand Chambre des comptes
confirme que ces changements sont délibérés. Le
nouveau Trésorier doit être plus flexible, capable de
mettre en oeuvre sur le terrain, dans les conditions
changeantes liées à la guerre, une politique élaborée
par le roi avec son Secrétaire des Dépêches chargé
de la Guerre, en marge des Conseils. Il est doté
pour cela d’une autonomie plus grande ainsi que de
fonds suffisants pour rassurer les manieurs d’argent
qui traiteront avec le Secrétaire. Sa légitimité se
fonde avant tout sur la confiance royale.
La mise en œuvre des réformes
Les réformes initiées par Orry suscitent l’opposition
et la résistance, active ou passive. Aussi, ne
s’imposent-elles pas de façon linéaire ni sans
compromis. Outre les arrangements négociés avec
le Conseil des finances et plusieurs trésoriers de
recettes en 1704, il faut transiger avec des généraux
d’années désireux de conserver la possibilité de
faire des dépenses inopinées. Une partie des
contrôleurs des comptes des payeurs d’année qui
étaient en place négocient pour y rester. Les
payeurs du Trésorier général de la Guerre sont
parfois d’anciens trésoriers d’armée. Orry compte
aussi sur un réseau de clients placés dans les
bureaux de la Trésorerie générale, du Secrétaire à la
Guerre ou auprès des années, comme le gouverneur
des annes de Castille Francisco Ronquillo. Cela ne
suffit pas à assurer le succès immédiat de sa
réforme. Un coup d’arrêt est donné à celle-ci en
1704 pour des raisons qui, en partie, dépassent Orry
et ses projets de réfonne. En effet, il doit affronter
des groupes hostiles à l’influence que la princesse
des Ursins exerce sur le roi, à travers la reine.
L’éviction de sa protectrice, au printemps 1704, le
prive d’un appui précieux. Les difficultés
croissantes rencontrées par le fournisseur en grains
choisi par Orry en Castille, qui se révèle incapable
de satisfaire à ses engagements, compromettent
aussi la réforme. Enfin, c’est la conduite de celle-ci
qui est mise en cause. Orry est accusé d’avoir choisi
un secrétaire potiche en la personne du marquis de
Canales et d’avoir voulu cumuler tous les pouvoirs,
alors qu’il n’a aucun caractère. Habile mais
prétentieux et autoritaire, « il a voulu faire un
personnage », et exercé un véritable « généralat »,
refusant de « se laisser gouverner ». Au cours de
l’été 1704, Orry est rappelé en France, tandis que
Canales est démis de son emploi, le Secrétaire des
Dépêches universelles, le marquis de Rivas, se
voyant rétabli dans ses fonctions originelles. Le
Trésorier général de la Guerre, le marquis de
Moriana, renonce peu après à son mandat.
Les réformes de 1703 ont toutefois gagné des
adeptes. Au cours de l’automne 1704, tandis que la
gestion quotidienne de la guerre est confiée au
marquis de Rivas, et en premier lieu le choix de
nouveaux entrepreneurs pour les armées,
l’ambassadeur d’Espagne en France, le marquis de
Gramont et les ministres de la Guerre et des
Affaires extérieures en France et plusieurs
responsables des années envoyés par Louis XIV
débattent du bilan d’Orry et des dispositions à
adopter. En quelques semaines, l’idée s’impose
qu’il faut distinguer le projet d’Orry de son
exécution. Au fond, le projet était valable. C’est
notamment la figure du Secrétaire des Dépêches
chargé de la Guerre qu’il convient de rétablir.
Gramont remarque en effet que les gens d’affaires
regrettent l’absence d’un interlocuteur responsable.
Par ailleurs, l’on ne souhaite pas revenir sur les
nouvelles règles de contrôle des fonds qui ont été
imposées, tant bien que mal, aux officiers
militaires. C’est pourquoi avant même d’envisager
le retour d’Orry, Philippe V et Louis XIV sont à la
recherche d’un nouveau Secrétaire des Dépêches
chargé de la Guerre qui devra assumer la
responsabilité des contrats qu’ils signera au nom du
roi tout en se montrant docile et souple, n’étant là
297
 que pour exécuter les volontés du monarque.
Lorsqu’Orry négocie son retour en Espagne à la
faveur d’un retour en grâce de la princesse des
Ursins, au printemps 1705, il impose sans mal le
rétablissement des deux figures qu’il a créées, le
Secrétaire des Dépêches chargé de la Guerre et le
Trésorier général de la Guerre. Le second est rétabli
en juin 1705, la Trésorerie étant à nouveau confiée
au marquis de Moriana. En juillet, le Secrétariat est
confié à José Grimaldo, un bon connaisseur des
arcanes des finances, notamment américaines,
puisqu’il a été secrétaire du Conseil des Indes, et de
surcroît un ami d’Orry.
Les dispositions prises pendant l’été 1705 tendent à
renforcer les orientations prises en 1703 pour ce qui
concerne la décision de dépenses et le contrôle
comptable. Le Secrétaire s’intitule désormais
Secrétaire des Dépêches chargé de la Guerre et des
finances, ce qui confirme les compétences de fait
qu’il a acquises dans le domaine financier. Un
contemporain explique qu’il s’agit surtout de lui
donner compétence dans d’autres territoires que la
Castille, au moment où les troupes de Philippe V
prennent le contrôle de l’Aragon. Au-dessus de lui,
est institué un tout nouveau directeur des affaires de
la Guerre, emploi confié au marquis de Canales
puis, à partir de 1707, au duc de San Juan. Il s’agit
en effet de confirmer le Secrétaire dans son rôle
d’exécutant et de ne pas lui donner de voix
délibérative au conseil restreint de « cabinet » qui
entoure le roi. Cela dit, dans la pratique, le directeur
des affaires de la Guerre, qui n’a pas de bureaux
propres, paraît s’effacer devant le Secrétaire, par les
mains de qui passent tous les papiers et qui
continue de dépêcher avec le roi. Peu après la
nomination de Grimaldo, Philippe V rehausse en
outre son prestige en le nommant Secrétaire d’État.
Les dispositions relatives au contrôle comptable
font l’objet d’une réglementation officielle, qui
prévoit, sans les instaurer encore de façon
systématique, la mise en place d’intendants*. Un
nouvel échelon dans le contrôle financier des
années est créé, les directeurs des armes (infanterie
et cavalerie), tenus de dresser des états réguliers des
fournitures et du contenu des magasins, d’organiser
le travail des commissaires des gueires, de délivrer
aux officiers militaires les documents qui leur
pennettront de se faire payer et les autorisations
d’absences. Le succès des modifications introduites
dans le contrôle de la dépense militaire tient à
plusieurs facteurs. D’une part, Orry puis Grimaldo
ont su instaurer des relations de fidélité au sein des
bureaux du Secrétaire et de ceux du Trésorier, ainsi
qu’une communication quotidienne et fluide entre
ces deux services, dont les titulaires entretiennent
des relations cordiales, sinon amicales. Il en va de
même dans les armées : les commissaires des
guerres et les directeurs des armes se considèrent
comme les protégés de Grimaldo ou d’Orry ou de
leurs proches. Plusieurs des commis les plus actifs
298
pendant ces années deviendront intendants ou
ministres au lendemain de la guerre, continuant de
s’associer aux réfonnes administratives entreprises
en 1703. D’autre part, tant bien que mal et non sans
exercer de pressions, Orry a ménagé des compromis
avec les organes les plus directement lésés par les
réfonnes, notamment le Conseil des finances et les
trésoriers de recettes importantes, comme celles des
salines ou du service des milices. Concepciôn de
Castro, biographe de Grimaldo, montre que ce
dernier contribue activement à entretenir des
relations de bon voisinage avec les Conseils et avec
l’état major des années, car, aussi tenace qu’Orry, il
connaît les vertus de la politesse.
Enfin, le Secrétariat des Dépêches aux finances et à
la Guerre et la Trésorerie générale de la Guerre
fonctionnent bien, si l’on en croit leurs titulaires et
le jugement de ceux qui, dans les années 1720,
dressent le bilan de ces réfonnes, parce que tant
Grimaldo qu’Orry se sont efforcés de fonner les
officiers et commis de leurs bureaux, mais aussi les
commissaires aux revues et les directeurs des annes
et les premiers intendants. Dans ses bureaux,
Grimaldo répartit strictement les fonctions entre les
officiers, exige que des registres de con-espondance
soient tenus, vérifie régulièrement (et fennement)
que les ordres donnés au nom du roi sont appliqués,
punit éventuellement les créatures infidèles. Il sait
déléguer l’examen de dossiers et la rédaction des
réponses faites en son nom, se contentant
d’indications brèves données à ses commis. En
l’absence de recherches sur le travail au quotidien
des Secrétariats du Conseil et des Dépêches
universelles à la fin du XVIIe siècle, il est difficile
de donner la mesure de l’innovation ici. Cela dit,
d’après C. de Castro, Grimaldo systématise les
usages en vigueur. Aux commissaires et aux
directeurs des annes ainsi qu’à l’intendant
Duverger, envoyé à Cadix, Orry fait rappeler, par le
biais des bureaux de Grimaldo, quels sont les délais
à respecter pour l’envoi d’états de revue ou de
bilans de l’état des magasins. Il envoie des
fonnulaires et exige qu’ils soient utilisés,
expliquant à chacun ce qu’il doit faire (au facteur
du munitionnaire, au sergent major, au commissaire
des guerres), car il s’agit d’établir partout la même
« règle ». Â Duverger, trop négligent et imprécis, il
explique comment il doit gérer son courrier, ce qu’il
doit y mettre — la description de la flotte ne saurait
être une « appréciation générale », il faut « que
vous particularisiez» —, quand il doit faire des
revues, qui doit signer les états de dépense à
transmettre au Secrétaire, etc. Il ne s’agit pas de
rationnaliser ni d’uniformiser pour la beauté de la
« règle ». Ces usages répondent en effet aux
attentes du ministre, mais aussi à celles du Trésorier
général de la Guerre et des entrepreneurs des vivres
et autres fournitures : ceux-ci réclament des
tableaux précis de l’emploi des fonds et de la
distribution des fournitures à assurer dans des
territoires de plus en plus étendus (puisque les
armées se déplacent et que l’on continue de
promouvoir les contrats de fourniture à grande
échelle, pour une ou plusieurs années, pour
plusieurs denrées).
Des réformes durables
Lorsqu’Orry est rappelé à Madrid au printemps
1713, il parvient à mettre en œuvre en quelques
mois la quasi totalité des projets qu’il exposait en
1702. Dans le domaine fiscal, c’est la concentration
dans le recouvrement des impôts, aussi bien les
« recettes royales et millions » des provinces,
bientôt appelées « recettes provinciales » (on
s’efforce de trouver un seul fennier par province
pour toutes ces recettes) que les « recettes
générales », soumises à une régie commune. Dans
le même temps, les grands monopoles (tabac, sel)
sont organisés. Dans la Couronne d’Aragon, des
« équivalents » des recettes provinciales de Castille
sont mis en place. Au niveau local, leur
prélèvement est négocié avec les oligarchies
municipales et adopte des formes variables,
quoique la préférence soit donnée à des impôts sur
les patrimoines et les revenus. En Catalogne, le fils
de Jean Orry, Philibert, participe ainsi à la mise en
place du « catastro », dont il semble s’être inspiré
dans la mise en place la taille tarifée en France,
étudiée par Mireille Touzery. Ces dispositions
auront une fortune variable, mais en règle générale,
l’impératif de la concentration des contrats, qu’il
s’agisse d’abonnements, de fermes, ou de régies, est
maintenu. Les Conseils sont réfonnés en novembre
1713. Certains d’entre eux se voient doter de
plusieurs présidents, le nombre de conseillers et de
salles des Conseils est multiplié. Mais en
contrepartie, la réduction de leurs compétences à la
juridiction et à l’exécution qui sont prises par les
Secrétaires des Dépêches et d’État se confirme.
Grimaldo a conservé son emploi depuis 1705. En
1714, les Secrétaires deviennent plus nombreux
(État, finances, Guerre, Marine et Indes, clergé et
justice). La même année, Orry se fait donner les
fonctions de contrôleur général (Veedor General),
sans le titre et de façon provisoire, dit-il. Or, si la
chute d’Orry et de la princesse des Ursins entraîne
la disparition du contrôleur général et est suivie de
peu par le rétablissement, presque à l’identique, de
la structure des Conseils de 1713, Philippe V ne
renonce pas à l’essentiel de la réfonne instituée
depuis 1703. Il maintient en effet des Secrétaires
des Dépêches et d’État. Alberoni, nouveau favori au
lendemain de la Guerre de Succession, tient à
affirmer leur suprématie sur les Conseils. La
répartition des départements de ces derniers évolue
au fil du siècle, mais tous s’imposent comme les
lieux de la décision en matière de gouvernement et
de distribution de faveurs dès la fin des années
1710. Il n’est pas rare au début du XVIIIe siècle
que les Secrétaires d’un département soient en
même temps gouverneurs du Conseil
correspondant, une politique qui devient plus
systématique au fil des années, notamment dans le
domaine des finances. Aussi, les a-t-on considérés
comme les ancêtres des ministères. La Trésorerie
générale de la Guerre a connu une éclipse entre
1709 et 1713. De même, les intendants, créés dans
les années au fil de la guerre et étendus à
l’ensemble des provinces par le comte de Bergeyck
en 1712, ne se sont véritablement imposés que dans
les armées. Orry rétablit Moriana dans l’emploi de
Trésorier général de la Guerre (juin 1714) et fait
circuler, au printemps 1714, des instructions pour
les intendants* qui mettent en lumière la
complémentarité qui doit s’établir entre le réseau
d’intendants provinciaux et d’années, relais des
Secrétaires à la Guerre et aux finances sur le
territoire, et les trésoriers particuliers, relais du
Trésorier général de la Guerre. Loin d’être
abandonnées, ces réfonnes sont maintenues et
approfondies par Alberoni, qui s’efforce d’étendre à
tout le territoire péninsulaire de « petits tribunaux »
formés par un intendant, un trésorier et un
contrôleur. Si la réfonne suscite trop de réticences
dans les provinces de Castille pour y être
maintenue, elle s’impose définitivement dans les
armées et devient, à partir de 1749, le modèle de
toute l’administration des finances. A.D.
Voir Intendant, Trésorier général
Bibliographie : Castro C. de (2004). Dedieu J.P.,
« La Nueva Planta en su contexto. Las refonnas del
aparato del Estado en el reinado de Felipe V »,
Manuscrits, 18, 2000, p. 113-139. Dubet A. (2009).
Hanotin G., Jean Orry, un homme des finances
royales entre France et Espagne (1701-1705),
Cordoue, Universidad de Côrdoba, 2009. Kamen H.
(1974). Ozanam D., «La restauration de l’État
espagnol au début du règne de Philippe V (1700-
1724) : le problème des hommes » dans Philippe V
d’Espagne et l’Art de son temps, Paris, Musées de
l’Ile de France, vol. 2, 1995, p. 79-89. Rowlands G.
(2002). Torres Sanchez R., sous presse (b). Touzery
M. (1994).
Oyant-compte
Voir Auditeur
Paiement
Le terme de paiement appartient au droit civil, à
l’inverse de l’ordonnancement* : c’est l’acte par
lequel le débiteur se libère vis-à-vis de son
créancier*, et cette libération se matérialise
d’ordinaire par une quittance*. La libération d’un
comptable public* représentant l’État débiteur est
soumise à des conditions qui établissent la réalité de
la créance et le droit des parties prenantes* ou
créanciers ; le paiement suppose la production de
pièces justificatives*, ces pièces étant ensuite
299

examinées par le juge des comptes, avant la
libération complète du comptable.
Au XIXe siècle, aucune créance ne peut être
liquidée que par un ministre ou l’un de ses
délégués. La liquidation est prononcée d’office, soit
d’après les éléments certains dont dispose
l’administration, soit d’après les pièces produites
par les créanciers. Elle est alors ordonnancée ou
mandatée sur un crédit ouvert, sauf exception. La
direction du mouvement général des fonds*
transmet aux comptables des extraits ou avis
spéciaux des ordonnances délivrées par les
ministres sur leur caisse ; elle joint aux ordonnances
de paiement* les pièces justificatives qui s’y
rapportent. Les lettres successives d’avis
d’expédition des ordonnances de délégation
constituent, pour les ordonnateurs secondaires, le
titre en vertu duquel ils disposent de crédits de leur
ministre. Ces ordonnateurs doivent adresser chaque
jour au comptable des bordereaux par exercice des
mandats de la journée. En province, les mandats
sont visés par le comptable avant d’être remis aux
parties prenantes : c’est donc à ce moment qu’il
effectue son contrôle.
Les opérations de trésorerie, sans constituer de
véritables dépenses, ont pour but d’assurer les
mouvements de fonds* entre comptables et de faire
face à l’acquittement des effets du Trésor. Les
dépenses de cette nature sont autorisées par le
directeur du mouvement général des fonds (arrêté
du 9 octobre 1832).
En principe, le paiement se fait pour un service fait
ou au moins en cours (paiements d’acomptes, à
concurrence des 5/6 de la valeur de la fourniture,
sauf convention contraire) ; le paiement de la solde
se rapporte au contraire à un service à faire.
Certains services administratifs régis « par
économie » ont un agent accrédité par un comptable
qui peut effectuer le paiement de certaines
dépenses, qui ne semblent pas susceptibles
d’opposition, par forme d’avance sur les
ordonnances d’un ministre ou les mandats d’un
ordonnateur secondaire, sous réserve qu’il produise
au comptable les pièces justificatives exigées pour
les dépenses.
Les ordonnateurs joignent aux ordonnances ou aux
bordereaux d’émission de mandats les pièces
justifica-tives prévues par les règlements. Les
comptables destinataires conservent les pièces après
les avoir vérifiées et avoir éventuellement suivi leur
régularisation auprès des ordonnateurs. Les
nomenclatures de pièces avec leur description, dont
il est question dans la notice comptabilité
administrative*, figurent dans des règlements
ministériels rendus après concertation avec le
ministre des finances : il y en a eu une série après
l’ordonnance sur la comptabilité publique du 31
mai 1838 et une seconde après le décret du 31 mai
1862. Les pièces justificatives produites par les
créanciers sont d’ordre administratif ou
300
r
contentieux. Les ordonnateurs remettent les
premières aux créanciers ; si elles ne servent qu’une
fois, elles restent entre les mains du payeur en tant
que quittances et, si elles peuvent resservir, elles
sont frappées d’un timbre énonçant le paiement
effectué, qui est constaté par une quittance séparée
(par exemple les pensions acquittées au porteur du
titre). Les autres pièces ont pour objet d’établir les
droits des tiers qui se présentent comme
mandataires, cessionnaires ou ayants cause des
créanciers. Les sociétés sont comprises dans ce cas.
Le comptable doit non seulement s’assurer que les
ordonnateurs ne dépassent pas les crédits mis à leur
disposition, mais aussi de la validité de la créance et
de sa constatation régulière. L’identité des
créanciers doit être constatée avant paiement, et le
comptable est en droit d’exiger la légalisation des
signatures qui ne lui sont pas connues. Il vérifie les
droits des parties et examine les documents
d’identité et les preuves judiciaires, lorsque des
créances sont payables par voie de représentation
ou d’opposition. Sans entrer dans le détail des cas
d’opposition, nous indiquerons seulement que les
soldes et traitements sont saisissables dans certaines
limites et que les pensions civiles et militaires ne le
sont pas, sauf exception. Et aucune somme frappée
d’opposition ne peut être payée sans le
consentement des parties ou une autorisation
judiciaire. Dans les cas d’omission* ou
d’irrégularité des pièces, le comptable peut refuser
de payer (décret du 31 mai 1862, article 91). Il
remet alors une déclaration écrite et motivée de son
refus au porteur du titre de paiement et en adresse
copie au ministre des finances. Si l’ordonnateur le
requiert de payer, il s’exécute alors et annexe au
titre la copie de son refus et l’original de la
réquisition. Si les crédits sont inexistants, si la
preuve du service fait n’est pas rapportée ou encore
s’il y a des doutes sur la validité de la quittance, le
comptable doit en référer au ministre avant
d’exécuter l’ordre de réquisition. Le comptable ne
doit pas abuser de son droit car il peut gêner la
marche du service et s’exposer à des demandes de
dommages-intérêts formulées par des créanciers.
Le comptable en deniers tient ses écritures en partie
double*. Il envoie tous les dix jours copie de son
journal à la direction générale de la Comptabilité
publique. Le 20 de chaque mois, en plus des acquits
et pièces justificatives du mois précédent, il lui
envoie le compte du mois, la balance du grand livre
et des bordereaux sommaires de développement des
opérations par exercices, ministère et service. Ces
comptes, après vérifications à la direction, sont
présentés au jugement de la Cour des comptes.
Nous sommes donc loin de l’embrouillamini de
l’Ancien régime. B.L.
Bibliographie : Marcillac C. de et Guemaut H.
(1890). Say L. (1889-1894).
analogue à l'échelon national. Dès les débuts de la
Paris (frères) Régence, le duc de Noailles fit appel à eux pour
Plus connus pour le rôle qu'on leur prête dans
réorganiser l’administration financière.
l'échec de John Law et souvent présentés comme
les défenseurs de la finance traditionnelle face au
Les « administrations en partie double »
modernisme de ce dernier, les frères Paris furent à
La nouvelle « administration » des recettes, pour
l'origine d’une tentative de réfonne de
reprendre l'expression des Paris, reposait sur deux
l'administration financière qui en fait des
textes, 1 »édit de juin 1716 et la déclaration du 10
précurseurs des changements qui interviendront à
juin 1716 qui, en abandonnant le système des
partir des années 1780. Appuyée sur l’utilisation de
résultats* vont réorganiser le circuit et le contrôle
la tenue des livres en partie double*, cette réforme
de la fiscalité directe, sur la base d'une comptabilité
visait d'abord à accélérer les rentrées du Trésor et à
tenue en partie double. L’édit obligeait tous les
diminuer la charge d'intérêt. Ils utilisèrent à cet
« officiers comptables, de quelque qualité qu'ils
effet la caisse commune* des receveurs généraux et
puissent être » à tenir un registre journal de leurs
mirent en place une organisation comptable qui
recettes et de leurs dépenses. En outre, la
pennettait de connaître la position de chacun d'eux
déclaration établissait pour les vingt généralités des
vis-à-vis de l'Etat, ainsi que la ventilation de leurs
pays d'élections une caisse commune où devait être
recettes et dépenses. L’expérience fut
porté directement tout le produit des recouvrements
progressivement élargie à l'ensemble des secteurs
effectués par les receveurs généraux et les receveurs
de la finance mais ces efforts de rationalisation
des tailles. L’édit obligeait également chaque
furent interrompus en 1726, lorsque le cardinal de
receveur à transmettre, tous les quinze jours, la
Fleury accéda au pouvoir. Les frères Paris furent
copie fidèle de son registre-journal* au contrôle
éloignés des finances et l'on supprima alors la quasi
général. Enfin il était prévu de nommer, dans
totalité des contrôles qu’ils avaient instaurés.
chaque généralité, un contrôleur chargé de vérifier
Sauf exception signalée, les citations relatives au
mode de fonctionnement du dispositif technique des les livres des receveurs.
Les copies de journaux reçues des comptables
Paris sont issues du Traité des administrations des
servaient à la confection d'un journal général tenu
recettes et dépenses du royaume, un manuscrit daté
en partie double, où chaque opération était
de 1733 (AN KK 1005 C), attribué au second des
enregistrée dans l’ordre chronologique — l'ordre
quatre frères, Claude Paris la Montagne, par Arthur
des temps —, sous forme d’un article énonçant le
Michel de Boislile. Il est probable que ce texte
montant, l’origine et la destination du flux
enjolive les faits et surestime l’efficacité de la
financier. Ces informations étaient ensuite reportées
réforme entreprise, mais c’est pour son seul contenu
dans les grands livres* des bureaux
technique qu’il y est fait ici recours.
d'administration, dans lesquels étaient ouverts des
comptes particuliers à chacun des comptables et
Un point de biographie
des comptes généraux ou comptes d'ordre*
Antoine, Claude, Joseph et Jean Paris sont issus
correspondant aux différents chapitres de recettes
d'une famille de notables dauphinois. D'abord
ou de dépenses de chaque élection ou département
avocats au parlement de Grenoble, Antoine Paris
— l’ordre des matières —. L’architecture générale
(1668-1733) et son frère Claude, dit «La
était finalement assez simple ; on obtenait la
Montagne» (1670-1744), deviennent
position de chaque comptable vis-à-vis de la recette
munitionnaires de l'année royale durant les années
générale et une vue d'ensemble des différentes
1690 et se font rapidement remarquer par leurs
capacités de gestionnaires. Au début du XVIIIe catégories de recettes et dépenses. Mais toutes ces
innovations ne concernaient que les recettes
siècle, ils sont bientôt rejoints dans les affaires par
générales, or les projets des Paris allaient beaucoup
leurs cadets Joseph, qui prendra le nom de Paris du
Vemey (1684-1770), et Jean, futur banquier du Roi, plus loin.
alias Paris de Monmartel (1690-1766). Fréquentant
désonnais les allées du pouvoir, Antoine est chargé, Une extension contrariée
Tandis que les Paris conseillaient au Duc de
en 1710, d'organiser en régie la fourniture des
Noailles les mesures dont il vient d'être question,
vivres aux années. En 1712, il fait l’acquisition de
John Law entamait une réfonne monétaire et
la charge de receveur général des finances du
bancaire d’une toute autre envergure. C'est en mai
Dauphiné et deux ans plus tard, du Vemey entre
1716 qu'il créa la Banque Générale, première pièce
dans la ferme du tabac. En 1715, Monmartel achète
d'un dispositif qui devait fournir à l'Etat le système
la charge de Trésorier général des ponts et
de crédit qui l'affranchirait de la finance
chaussées. A la fin du règne de Louis XIV, les
traditionnelle. Devenus actionnaires de cette banque
quatre frères figurent panni les financiers les plus
pour satisfaire aux désirs du Régent, les Paris
puissants du royaume. Antoine ayant réorganisé
collaborèrent dans un premier temps avec Law,
avec succès la recette générale du Dauphiné en y
mais ils ne tardèrent pas à prendre leurs distances.
introduisant la comptabilité en partie double, les
Paris vont se faire les promoteurs d’une réfonne
301
 En octobre 1718, devenus adjudicataires du bail de généralité, les deux receveurs des tailles de chaque générale, Marion considère que les régisseurs, qui
Vemey, aux côtés du contrôleur général* Dodun :
la Ferme générale*, ils constituèrent à cet effet une élection et les receveurs du dixième : étaient les fermiers du bail de 1718, firent en sorte
contrôle comptable, suppression d'offices, réformes
société par actions, au capital de cent millions de - la recette, la dépense et les fonds restant entre les d’accroître les dépenses, notamment en personnel,
fiscales, allaient bientôt lui coûter sa place.
livres, sur le modèle de la Compagnie de Law. Ils mains des comptables ; en y voyant un double avantage : d'abord discréditer
D’autant qu'il entreprit de s'attaquer aux
obtinrent également l’intégration de la ferme du - une récapitulation par généralité, avec le total de le système de la régie*, ensuite restreindre les
exemptions fiscales de la noblesse et du clergé.
domaine d'Occident — Canada et Antilles — à la chacune des trois catégories de receveurs ; prétentions de la Couronne sur le prix du bail, dans
Manifestement impopulaires — on leur reprochait
Ferme générale. L'Anti-système, c'est ainsi que la - enfin un récapitulatif général pour la caisse l’hypothèse d'un retour à l’affennage. La régie de
notamment d'avoir réalisé d'énormes gains durant la
rumeur publique baptisa la nouvelle société, se commune. 1721-1726 fut-elle ou non plus efficace que ne
période du Système et d'avoir réussi à les dissimuler
plaçait d’entrée comme une sérieuse concurrente de Venait ensuite le contrôle des matières : l’ensemble l’aurait été un bail fennier dans les mêmes
à l'étranger —, les quatre frères avaient de
la Compagnie d’Occident. En août 1719, Law des comptes généraux, subdivisés par matières, circonstances ? Il n'est pas de notre propos de
nombreux ennemis. Lorsqu’en juin 1726, le duc de
obtint du Régent que le bail des Paris fût cassé et la permettait « de connoître le fort et le foible et de répondre à cette question, les historiens ont
Bourbon et Dodun furent écartés du pouvoir et
Ferme générale adjugée à la Compagnie d'Occident, porter les remèdes convenables dans les parties qui d'ailleurs quelques divergences sur les produits de
remplacés, respectivement, par le cardinal Fleury et
devenue entre temps Compagnie des Indes. Après en avoient besoin ». Pour la première fois, on la régie. Quelle que soit la valeur des arguments
Le Pelletier Desforts, Du Vemey se retrouva à la
la perception des impôts indirects, il ne manquait connaissait « les frais de régie qui avoient toujours respectifs, il n’est cependant guère douteux que les
Bastille et ses frères renouèrent avec l’exil. Les
plus qu'une pièce à l'édifice imaginé par Law, celle été ignorés ». Diverses comparaisons étaient financiers agirent pour que l'on mit fin à
Paris revinrent néanmoins un peu plus tard aux
des impôts directs. Ce fut chose faite avec l'arrêt du effectuées : « Les états de produits étoient des l’expérience. Là encore, la rapidité avec laquelle, en
affaires, continuant d'exercer une très forte
12 octobre 1719, lequel dépossédait les receveurs tables de comparaison, par généralité ou juillet 1726, on revint sur toutes les mesures prises
influence sur Louis XV, par le biais de leur
généraux de leurs attributions, pour les transférer à département, de la recette du dernier mois avec durant dix années témoigne de l’efficacité de la
protégée, Madame de Pompadour. Mais il semble
des commissionnaires désignés par la Compagnie celle du mois précédent, sur chaque nature de droit surveillance à laquelle ils étaient soumis. Ces
qu’ils ne se préoccupèrent plus guère de réorganiser
des Indes et agissant à son profit. ou d'imposition. ». Il était ensuite confectionné une dispositions allaient redevenir d’actualité cinquante
les finances de la France. A la suite de leur départ,
Leur opposition à Law rendait les Paris de plus en on revint sur leur réformes et au système des table générale, donnant les recettes de chaque ans plus tard.
plus indésirables et ils furent envoyés en exil en résultats*. Jugée contraire à la tradition des finances impôt, à laquelle était jointe une « carte de
Dauphiné en juin 1720, pour en revenir en 1721, comparaison du produit effectif mois par mois de La partie double comme technologie disciplinaire
royales, la caisse commune* des receveurs
rappelés par le Cardinal Dubois après la chute du chaque nature de droit ou d'imposition dans l'année La nouvelle comptabilité emprunte au modèle
généraux fut supprimée par la déclaration du 9
système. On retira à la Compagnie des Indes courante, avec le produit mois par mois de l'année marchand son concept de compte en débit et crédit*
juillet 1726. Elle continua cependant de fonctionner
l'administration des monnaies et celle de la Ferme précédente... ». L'exercice débouchait sur la et le mécanisme de la double imputation
mais avec un rôle réduit. Il fut également mis fin
générale et l'on rétablit dans leurs fonctions les prévision, la confection de l’état* général des fonds systématique mais elle ne conserve qu'une partie de
aux fonctions des contrôleurs ambulants des
receveurs généraux en reconstituant la caisse et dépenses du royaume : « Cet état général faisoit ses fonctionnalités. Ne visant ni à donner une
recettes générales. Enfin la plupart des textes
commune. Le bureau des livres fut confié aux Paris l’union des administrations entre les parties de représentation du patrimoine de l'Etat, ni à mesurer
réglementaires relatifs à ces matières furent
qui remirent en place l’organisation échafaudée en recette et celles de dépense ; c’étoit le tableau des une quelconque création de valeur, elle se contente
abrogés. Les règles de forme de l'édit de juin 1716
1716. Faute de trouver des fermiers disposés à besoins et des ressources du Royaume pour une de suivre les seuls flux de trésorerie intervenus
furent maintenues, mais sans obliger les receveurs à
prendre la Ferme générale à bail, compte tenu de la année, et ce premier tableau en produisoit mois par durant une période. La fonction de contrôle et de
faire parvenir tous les mois des copies de leurs
situation économique, on décida de l'exploiter en mois un autre de l'exécution des choses projettées ». surveillance est dominante ; en ce domaine, l’outil
journaux ; de simples bordereaux* récapitulatifs
régie* sur le modèle des Paris et sous leur direction. Car il fallait encore surveiller la réalisation des est censé offrir une visibilité parfaite : « à toutes les
suffiraient désormais. Les bureaux créés par les
Enfin un arrêt du 26 janvier 1721 ordonna un visa* prévisions budgétaires et procéder à divers heures du jour, à l'ouverture des livres on a le
frères Paris, pour la surveillance de la comptabilité,
de tous les effets provenant du système. L'opération ajustements : « on dressoit un état de comparaison compte de chacun dans le plus grand détail et avec
furent supprimés, et à la Ferme générale, le retour à
fut organisée par Paris du Vemey, qui en confia la du produit effectif du mois avec la somme à une précision absolu [...]». Le monarque doit
l’affermage s'accompagna de l'abandon des
responsabilité technique à Nicolas Barrême*. laquelle il avoit été évalué dans l'état général des désormais pouvoir exercer une surveillance
pratiques comptables qu’ils avaient mises en place.
Alors tout puissants, les Paris tentèrent d’élargir fonds et dépenses ; et l’on voyoit par là si les constante sur ses receveurs et ses payeurs : « le Roy
leur réforme à la totalité des secteurs de la finance. deniers reçus pendant le mois suffisoient pour étoit véritablement le maître de ses revenus, sans
Les potentialités de la partie double
Non seulement aux revenus, mais aussi aux acquitter les dépenses assignées par l'état de fonds, que dans le nombre de huit ou neuf mille
L’expérience apporte un éclairage intéressant sur
dépenses, ceci en perfectionnant les modalités de afin que s’il y avoit du vuide, on pût ou retarder le comptables, il y en eut un seul qui pût détourner un
l’utilisation de la méthode dans les finances
façon à réaliser un contrôle de plus en plus étroit, payement des dépenses les moins intéressantes, ou écu, à moins que d’être infailliblement découvert et
publiques. A l’opposé des redditions* de comptes
par le biais des déclarations des 4 octobre et 7 y apliquer d'autres fonds ». puni. Dans les dépenses, c’étoit de même [...] ».
périodiques, elle était censée autoriser un suivi
décembre 1723 et l’arrêt du 15 mars 1724. Ces Ainsi, pour les parties de la finance qu’ils avaient Cette surveillance rationalisée doit se substituer à la
permanent de l'ensemble des finances. Elle
textes furent rassemblés avec ceux de l’édit de juin réussi à placer sous leur contrôle, les Paris semblent répression désordonnée exercée par le biais des
permettait d'abord de suivre la situation des
1716 et de la déclaration du 10 juin 1716, dans un avoir été en mesure de maîtriser correctement la Chambres de justice*. C’est ce que l’on trouve
comptables et de la trésorerie : « Par ce moyen en
volume publié en 1724, sous le titre Edit, trésorerie, grâce à une véritable budgétisation des exprimé par Antoine Paris dès 1716 : «sans qu'il
comparant le montant du débit et du crédit du
déclarations, règlement et modelles pour la tenue recettes et dépenses. soit besoin du secours d'une chambre de justice à
comptable, on pouvoit voir en tous temps l'état de
des registres journaux des receveurs généraux des l’avenir, il n’y a point d’état que l’on ne puisse
sa caisse et prendre des mesures justes pour
finances. On peut y vérifier le détail et la minutie Une efficacité économique contestée examiner et contenir avec des preuves toujours
l'obliger à remettre les produits à la caisse générale,
des instructions ; avec respectivement 32 et 124 Le coût de la surveillance comptable paraissait trop certaines de tous les faits nécessaires à
ou pour en disposer d'une autre manière suivant les
articles, suivis de 30 et 90 exemples d’écritures élevé à certains. Selon Malezieu, « pour en revenir approfondir ». (BN, Ms Fr 7765, f° 286-288.) Le
besoins du service. » Diverses récapitulations
comptables, la déclaration du 4 octobre 1723 et aux journaux, cet établissement avoit ses avantages, mémoire de Paris la Montagne montre que cette
étaient réalisées, ainsi tous les jours, la situation de
l'arrêt du 15 mars 1724 forment un véritable manuel en ce qu'il tenoit en bride les receveurs et employés dimension disciplinaire est un élément central.
la caisse commune était portée sur un registre
de tenue des livres à l’intention des comptables. ayant maniement [...] Mais cet avantage étoit L’outil de surveillance est censé modeler les
spécial (BN, Ms Fr 11101). Périodiquement, on
Cependant, tout le monde était loin de partager détruit par le grand travail que cela causoit aux comportements, afin de conduire les individus à
confectionnait des tableaux de chiffres ou cartes,
l’enthousiasme des Paris pour la partie double et receveurs, en sorte que cet arrangement des Paris agir spontanément en conformité avec l’ordre
(BN, Ms Fr 7742 à 7746) donnant, par généralité,
l’expérience tourna court au bout de quelques pour l’envoi des copies des journaux fut souhaité, dans leur propre intérêt. Ceci résulte
pour les deux receveurs généraux de chaque
années. Divers changements introduits par Paris du discontinué par la suite [...]». Du côté de la Ferme d’abord de la permanence de la visibilité : « C'est la

302 303
 diversité des circonstances occasionnées par
l'écoulement du temps, qui donne lieu aux projets
de prévarication ; le comptable obligé d'écrire
chaque jour, et ne pouvant prévoir quelle seront les
circonstances subséquentes, ni quel sera l'effet du
laps de temps, ne peut se dispenser de conserver et
de produire un témoin qui ne lui pennet nul projet
d'infidélité ». L’impossibilité de modifier les
écritures passées doit éliminer toute velléité de
falsification des pièces justificatives. Enfin
l’examen des registres-journaux autorise un
contrôle par confrontation, pour toute opération
mettant en relation deux comptables :
« Ordinairement, le journal étoit fidèle, parce que
chaque article faisant recette et dépense, la copie du
journal de l'un servoit de contrôle à celle de
l'autre ».
Dans la conclusion de son mémoire rétrospectif,
Paris la Montagne recommande, dans l’hypothèse
d’une nouvelle expérimentation, de faire jouer un
ensemble de sanctions et de gratifications, afin de
modifier de façon durable les comportements : « Il
faudroit faire des exemples des comptables qui se
trouveraient en contravention ou malversation, et
même de ceux qui ne tiendraient pas exactement
leur journal dans la forme ordonnée, parce que c'est
le fondement de toute l’opération. Mais comme la
sévérité seule ne ferait que révolter les hommes,
s'ils n'avoient pas quelque espoir de récompense
lorsqu'ils servent utilement, il faudroit accorder
quelques grâces, et même faire quelque distribution
d'argent par gratification aux comptables qui se
seraient distingués par une conduite exacte et sans
reproche dans leurs fonctions [...]». C’est
Mollien*, quatre-vingts ans après la fin de
l’expérience des Paris, qui mettra en œuvre cette
arithmétique des peines et des récompenses dans le
cadre de la Caisse de service* des receveurs
généraux, en utilisant un mécanisme d’incitation -
dissuasion simple mais efficace. Les sommes
versées à la Caisse avant le ternie fixé portaient
intérêt au profit des receveurs, tandis que celles
qu’ils conservaient par-devers eux après ce terme,
sans les employer à un service public, étaient
frappées d’un intérêt de pénalité. Les trois
principaux éléments de la réforme des Paris — mise
en régie des revenus, caisse commune et partie
double —, seront repris dans les réformes qui
interviendront à partir des années 1780 et leurs
écrits sont certainement à ranger parmi les
premières expressions d’une réflexion que l'on
désignera bientôt comme la « science de
l’administration ». Y.L.
Voir Caisse commune, Ecritures comptables,
Journal, Receveur général, Tenue des livres en
partie double
Sources : AN, K 885 IA, Mémoire personnel aux
sieurs Paris sur les affaires générales où ils furent
employez. AN, KK 1005 C, Traité des
304
administrations des recettes et dépenses du
Royaume. AN, KK 1005 D, Discours de M. Paris
la Montagne à ses enfants. BN, Ms Fr 11152,
Mémoire sur les finances, s.d. (texte attribué à
Antoine Paris par Robert Dubois-Comeau). BN, Ms
NAF 5010, 1746, Malezieu (de), Histoire des
fermes du Roi. BN, F 21088 (10), Arrêt du Conseil
d'Etat du Roi, pour la prise de possession de la
régie des fermes générales unies, placées sous le
nom de Charles Cordier, 11 janvier 1721. BN, Ms
Fr 11101, Controlle de la Caisse commune de
l'administration des recettes générales, du premier
juillet au dernier décembre 1716, tiré des livres
tenus en parties doubles, 1717. BN Ms Fr 6936,
Lettres du duc de Noailles, 1716. BN, F 4590, Edit,
déclarations, règlement et modelles pour la tenue
des registres journaux des receveurs généraux des
finances..., Paris, Imprimerie Royale, 1724. BN,
Ms Fr 7742, Administration des recouvremens dans
les vingt généralités. Billan des six derniers mois
1716. BN, Ms Fr 7742 à 7746, Administration des
recouvremens dans les vingt généralités, Billan...,
1717 à 1718. BN, Ms Fr 7765, Recueil de
mémoires sur la réforme des finances, s.d. Edit du
Roy concernant les registres-journaux qui doivent
estre tenus par tous les officiers comptables, et
autres chargés de la perception, maniement et
distribution des finances du Roy et des deniers
publics. Juin 1716. Déclaration du Roy portant
règlement pour les receveurs généraux des finances
et les receveurs des tailles, 10 juin 1716.
Bibliographie: Boislile A.-M. de (1874). Bosher
J.F. (1970). Charlin H., « Une famille de financiers
dauphinois au XVIIIe siècle : les frères Paris », in
La pierre et l'écrit, PU de Grenoble, 1991, p. 143-
156. Chaussinand-Nogaret G. (1972). Claeys T.
(2008). Dessert D. (1984). Dubois-Comeau R.,
Paris de Monmartel, banquier de la Cour, Paris,
Jean-Fontaine, 1917. Lemarchand Y. (1997). Levy
C.-F. (1980). Liithy H. (1959). Marion M. (1914).
Parlement
Voir Contrôle parlementaire
Parti, partisan
Voir Traitant, Traité
Participe
Le mot désigne un associé (socius) qui apporte une
part du capital dans une affaire. Cette part est
mesurée en carats et les participes étaient aussi
appelés « caratisti » ou porteurs de carats. La
participation de ces associés était rendue nécessaire
parce que la ferme comportait toujours l’ouverture
d’un crédit par paiement anticipé de l’impôt au
bénéfice de l’État et l’adjudicataire cherchait à
réunir l’argent en fondant une société ou parti. Le
participe est donc celui qui a part dans un traité* ou
dans une ferme*, qui entre en participation dans une
affaire de finances avec les traitants*. Tandis que
ces derniers s’engagent vis-à-vis du roi et s’obligent
sous son nom à être la caution* de l’adjudicataire,
le participe ou associé n’a part à la ferme* que par
un traité secret fait avec l’intéressé auquel il prête
des fonds*. Lorsque le traitant est taxé par une
chambre de justice*, le participe supporte une partie
de la taxe. J.-C. H. et M.-L. L.
Voir Traitant, traité
Partie
La ligne ou le paragraphe qui décrit une opération
portée dans un compte, au débit ou au crédit. Les
manuels de tenue des livres* et les instructions
données aux contrôleurs et aux comptables
détaillent souvent la forme à adopter dans les
écritures comptables* pour la rédaction des
différents types de parties, énonçant en outre les
informations qui doivent y figurer pour qu’elles
soient complètes et recevables lors de la
présentation d’un compte*. Il s’agit de présenter un
compte lisible, d’éviter les erreurs*, de donner les
informations qui justifieront la dépense ou la
recette, et enfin de ne pas laisser de porte ouverte à
la manipulation des documents. L’invitation à
rédiger les sommes en toutes lettres plutôt qu’en
chiffres, ou en chiffres de finance* (« français » ou
« castillans ») plutôt qu’arabes, ou à l’inverse, selon
les époques, répond aux premières et à la dernière
exigence, de même que les invitations à ne pas
laisser de place entre les parties ou la division des
parties en colonnes*. « Il faut déclarer de qui on a
reçu, ou à qui l’on a payé, combien, pour quelle
cause, et en quel temps » pour que la partie soit
complète, indique Claude Irson. D’autres
informations sont requises, telle l’indication de la
monnaie utilisée ou de l’échéance de l’effet reçu ou
versé, de sa nature, de l’autorité qui l’a émis. A.D.
Voir Chiffre de finances, Écritures comptables,
Livres, Partie tenue en souffrance, Partie
supersedée, Partie indécise, Partie rayée purement
Sources : Irson C. (1678), chap. II et III.
Encyclopédie méthodique. Finances, t. I. (1784).
Partie double
Cette technique s'est développée simultanément
dans plusieurs centres commerciaux italiens au
cours du XIVe siècle : Gênes, Florence, Venise,
sans oublier Sienne, Milan ou Lucques, puis son
usage s’est progressivement étendu à l'ensemble de
l'Europe marchande durant les siècles suivants. En
1494 et sous le titre Particulares de computis e
scripturis, le moine mathématicien Luca Pacioli en
a fait la matière de la neuvième partie de sa Summa
de Arithmetica, Geometria, Proportioni et
Proportionalita. Ce premier exposé théorique et
pratique de la méthode a fortement contribué à sa
diffusion et toute une littérature spécialisée a
bientôt suivi. Nous n’aborderons ici que certains
aspects techniques de la méthode, principalement
au regard de son application à la comptabilité
publique, la littérature, l’enseignement et
l’apprentissage étant évoqués à l’article
comptabilité marchande*.
La technique de la partie double repose sur
l’utilisation de comptes en débit et crédit*. On peut
dire, de façon schématique, qu’elle consiste à
inscrire chaque flux simultanément et de façon
symétrique dans deux comptes séparés : l'un
figurant l'origine du flux (crédit) et l'autre sa
destination (débit). Les comptes sont ouverts aux
tiers avec lesquels on commerce, clients ou
fournisseurs, mais aussi aux opérations réalisées,
aux marchandises, à la caisse et, plus généralement,
à toute sorte d’effets détenus par l’entité pour
laquelle on tient les comptes. A titre d’exemple,
lors d'un achat de marchandises, le compte du
fournisseur (origine du flux réel) enregistre à son
crédit le montant de la livraison, tandis que ce
même montant est porté au débit du compte
marchandises (destination). Lors du règlement, le
compte caisse (origine du flux monétaire) est
crédité et en contrepartie celui du fournisseur est
débité (destination). Cette comptabilité pennet donc
de connaître en permanence la position de
l'entreprise vis-à-vis des tiers, l'origine de ses
ressources et l'emploi qu'elle en a fait.
Même si, dans certaines maisons, une première
saisie des information peut être effectuée sur un
livre dénommé brouillard* ou mémorial, deux
registres principaux sont utilisés : le journal* et le
grand livre*. Les enregistrements ou écritures
comptables* effectués sur le journal, selon l’ordre
chronologique, indiquent à chaque fois les noms et
les numéros de folios des comptes du grand livre
qui doivent être débités et crédités. La formule
générale des écritures est la suivante : « tel compte
doit à tel autre compte pour telle raison » suivie de
la somme « tirée hors ligne », souvent explicitée
dans le coips de l’article par le détail de la livraison
ou de la commande. Dés lors que plusieurs comptes
peuvent être débités et/ou crédités dans la même
écriture, nous aurons les variantes suivantes : « tel
compte doit à divers pour telle raison » suivie de la
liste des divers comptes crédités, « les suivants
doivent à tel compte pour telle raison » suivie de la
liste des différents comptes débités, et enfin « les
suivants doivent à divers pour telle raison » suivie
des deux types d’énumérations. Les éléments de ces
écritures sont ensuite reportés dans les comptes du
grand livre.
Si le grand négoce utilise cette technique, c’est non
seulement pour le suivi des créances, des dettes et
de la trésorerie, ce que permettrait une comptabilité
en partie simple, mais aussi pour celui des multiples
opérations menées simultanément, isolément ou à
plusieurs : transactions commerciales, armements
de navires et voyages, assurances, prêts à la grosse
ou encore opérations de change et arbitrages.
305
D’autant que les comptes ouverts à des opérations
sont reliés, par les écritures, aux divers
protagonistes qui interviennent dans leur réalisation
et donc aux créances et dettes qui y en résultent.
Débités du montant des dépenses engagées pour les
réaliser et crédités des produits qui en sont issus,
ces comptes permettent de déterminer des résultats
partiels, susceptibles de guider l’action, tandis que
la procédure de clôture annuelle permet de mesurer
le résultat global et de dresser la balance des
comptes et/ou le bilan* de l’entité. Décrite à
l’article balance*, cette clôture annuelle ne se fait
guère, au XVIIIe siècle, que dans quelques sociétés
de capitaux. Les marchands, même importants,
exerçant individuellement ou dans le cadre de
sociétés familiales, attendent souvent d’avoir rempli
toutes les pages de leur journal ou de leur grand
livre pour clôturer les comptes, afin de les réouvrir
dans un nouveau livre et d’y transférer les soldes.
La délicate adaptation de la partie double aux
finances publiques
L’Etat ne réalise pas d’opérations commerciales,
mais le recouvrement des différentes natures
d’imposition ou la réalisation des diverses sortes de
dépenses peuvent être traitées de la même façon et
donner lieu à l’ouverture de comptes en débit et
crédit, reliés aux comptes ouverts à ceux qui sont en
charge de les effectuer. C’est ainsi qu’ont proposé
de procéder des auteurs comme Simon Stevin*,
Barrême* ou Sébastian de Jôcano y Madaria* et
c’est ainsi qu’ont procédé à divers moments et en
divers lieux ceux qui ont tenté et parfois réussi à
introduire cette technique dans le maniement des
finances publiques. La liste est longue de ces
expériences dont on ne connaît parfois que peu de
choses. Celles de l'Espagne à la fin du XVIe siècle,
étudiée par Hernandez Esteve, du Marquis de
Pombal* au Portugal, dans la seconde moitié du
XVIIIe, ou encore des frères Paris* en France, sous
la Régence, sont maintenant un peu mieux connues.
En revanche celles des Pays-Bas et de la Suède,
régulièrement mentionnées à propos de Stevin, ou
celle du duc de Savoie Victor Amédée II, en
Sardaigne, évoquée par Paris la Montagne, le sont
beaucoup moins, voire pas du tout.
« L’impossibilité structurelle d’implanter la partie
double dans les finances publiques [...] mérite une
enquête européenne » écrivait Philippe Hamon en
1997 ; si les recherches ont depuis progressé la
question reste posée, des approfondissements sont
nécessaires et une synthèse est souhaitable. Une
synthèse qui prendrait en compte tout autant les
tentatives précoces et leurs échecs ou réussites que
les mises en place plus tardives et définitives. Car
au-delà de la résistance des financiers, des préjugés
culturels ou encore de l’absence de personnel
compétent, il y a les questions de la pertinence des
méthodes, davantage postulée que vérifiée, et de
leur adaptation aux besoins, au regard des
306
conditions du moment. Un changement de méthode suivante. L'aspect interchangeable des différents poursuivi n’allait pas encore au-delà du contrôle des
comptable s’accompagne ou accompagne presque rôles permet d'éviter le recours à des procédures comptables et de la maîtrise des flux de trésorerie :
toujours un changement organisationnel et sans formelles ; il n’y aura pas de confrontation du « La lumière avait enfin éclairé les détours
doute faut-il qu’un certain nombre de conditions compte avec les pièces justificatives, l'honnêteté du jusqu’alors impénétrables du labyrinthe
soient réunies pour pouvoir le mettre en place ou partenaire est postulée ; le principe du respect de la administratif des revenus et de la trésorerie, on
pour qu’il soit nécessaire d’y procéder. Une étude parole donnée sous-tend l'ensemble des relations parvint en un jour et à la première vue à constater
comparative menée sur ces divers exemples marchandes. Et le contrôle des subordonnés, dira-t- sur un seul registre la position de chaque comptable
pennettrait de les identifier. Un exemple : en 1716, on ? Il existe, bien entendu, mais il a un caractère et à obtenir en quelques heures la situation générale
les frères Paris n’entendent nullement demander permanent. Un volume important de transactions ne des finances par la simple totalisation d’un grand
aux receveurs de tenir leurs comptes en partie nécessite pas forcément l'emploi d'un très grand livre. Les comptes de mois et d’années autrefois si
double, celle-ci n’intervient qu’au niveau de la nombre de commis. Même dans une grande maison lents et si difficiles à établir se produisirent sans
caisse commune, alors qu’en 1807, Mollien* de négoce, le commerçant pourra lui-même obstacles et sans retard à la vérification du ministre,
l’impose aux receveurs généraux et aux receveurs effectuer la surveillance quotidienne de la caisse, au jugement de la Cour des comptes et à la sanction
d’arrondissement. Pourquoi cette différence dont la comptabilité en partie double lui donne en des chambres législatives. » Edwards, Combs et
d’attitude? Etait-ce impossible en 1716 ou n’était- permanence le solde. Seul le contrôle de personnes Grenner font un constat voisin du notre à propos de
ce tout simplement pas nécessaire ? Enfin il faudrait à qui on a délégué la mission de gérer une opération l’expérience britannique des années 1820-1830 et il
tenter de prendre la mesure des changements à distance, comme le capitaine d’un navire en est probable que l’on retrouverait des phénomènes
introduits car il n’y a pas eu substitution pure et charge de la réalisation d’une expédition analogues dans d’autres pays. Y.L.
simple d’un modèle à un autre mais bien plutôt commerciale, passe par des procédures et des
hybridation, mais pouvait-il en être autrement ? formes proches de celles de la comptabilité en Fondements
recette et dépense.
Une différence de nature Recette, Partie
Le fondement initial de la comptabilité en recette et Un modèle hybride dépense et double
dépense est le contrôle de ceux à qui est confiée la Le tableau ci-après met en regard les traits reprise
responsabilité du maniement des deniers royaux ou dominants des deux modèles tels qu’ils peuvent être Finalités Contrôle Contrôle
initiales du des
seigneuriaux ou la gestion d'un domaine. Elle est observés au XVIIIe siècle. L’ampleur des
comptable comptes de
censée aboutir à l'établissement périodique d'un différences est telle que la synthèse semble difficile tiers,
compte qui, une fois rendu et approuvé, décharge le et c’est effectivement un modèle hybride qui va de la caisse,
comptable* qui l'a produit à la suite de sa gestion. résulter de l’application de la partie double aux et des
Beaucoup plus qu'un mode de tenue des livres, bien finances publiques. Si l’on peut considérer qu’en opérations
que des textes fixent cette matière, il s’agit là d’un France, la mutation achève de se réaliser avec en cours
mode de reddition des comptes, dans le cadre de la l’article 18 de l’ordonnance du 14 septembre 1822, Point de vue Externe Interne
gestion des biens d'autrui. La comptabilité qui prévoit que les ministres tiendront leurs du contrôle
commerciale, au stade auquel elle est parvenue au comptes « d’après les mêmes principes les mêmes Logiques La Le suivi
XVIIIe siècle, n'a pas du tout les mêmes fonctions. de reddition permanent
procédés et les mêmes formes », en utilisant « dans
fonctionnement périodique
En droit, le commerçant est comptable de sa gestion chaque ministère un journal général et un grand
Organisation Procédures Absence de
vis-à-vis de la masse de ses créanciers, mais ceci ne livre en parties doubles », la comptabilité qui en est de contrôle, formalisme,
reçoit de traduction pratique que dans le cas de issue s’éloigne sensiblement de la partie double contrôle
audition
faillite. C'est un point de vue extérieur à l'entreprise initiale. Elle lui emprunte certes les comptes en des mutuel des
dont les seules conséquences concrètes, sur la débit et crédit et le mécanisme de la double comptes associés
comptabilité, sont les prescriptions de l'Ordonnance imputation symétrique et systématique, mais elle Personnages Le Le teneur
de 1673. Les relations entre marchands sont d'une conserve l’esprit de la comptabilité en recette et comptable : de livres :
toute autre nature que celles existant entre l'Etat et dépense. On n’y trouve en particulier aucun compte un un commis
un receveur ou entre un propriétaire terrien et son capital et il n’y a pas de représentation comptable responsable
régisseur, car elles sont fondées sur la symétrie des des éléments de patrimoine, au delà des créances et
positions respectives : chacun est comptable vis-à- des dettes. Un investissement se traduit par une Technique comptable
vis de l'autre. La réflexivité de la relation client - dépense et figure donc en tant que tel dans le
fournisseur se traduit par la réciprocité comptable récapitulatif annuel mais le bien d’équipement Recette, Partie double
des comptes courants ; elle permet un contrôle correspondant disparaît ensuite de la comptabilité, dépense et
reprise
mutuel simple des engagements et des paiements, ce qui en interdit tout suivi comptable à vocation
Le ou Un compte Un ensemble
même si la confonnité livraison - facture est sans gestionnaire, comme par exemple la les « rendu » à de comptes en
doute l'objet d'une plus grande attention. Il est vrai comptabilisation d’amortissements destinés à en l’instant t débit et crédit
comptes
que d'autres types de relations existent, non assurer à terme le renouvellement. à caractère
réflexives, impliquant donc reddition de compte : ce Ce type de préoccupations ne relevait pas encore permanent
sont les opérations réalisées en commun, telles que des intentions du moment — même la grande Les Enregistrement Enregistrement
les sociétés en participation ou l'armement de industrie ne savait alors pas toujours très bien écritures des recettes et des opérations
navires ; elles ont conduit à l'élaboration de formes comment procéder en la matière — et la dépenses, au journal,
spécialisées de comptabilité, dans le prolongement satisfaction manifestée par Audiffret à propos des dépouillement report dans les
du modèle initial. Mais, là encore, le meneur de jeu éventuel selon comptes du
progrès réalisé par la « comptabilité publique » au
leur nature : grand livre
d'une opération sera le partenaire passif de la début des années 1820 montre que l’objectif extrait
307
 posteriori par l’apport de pièces supplémentaires
Documents de synthèse lors de la présentation du compte*. A.D.
Recette, Partie Source : Hennequin J. (1595), fol. 225-226.
dépense et double Bibliographie : Esteban Estringana A. (2002),
reprise
préface.
Périodicité L’exercice Irrégulière
Type Etat des Balance des
recettes et soldes des Partie inopinée
dépenses, comptes du Les dépenses non prévues à l’avance (non
éventuellement grand livre engagées) qu’ordonne un responsable, par exemple
reclassées par le chef d’une année. Il faut les justifier a posteriori.
nature Lorsque Louis XIV fait en sorte de réduire les
Calcul du Recettes- Variation de
prérogatives financières des commandants d’année,
résultat dépenses la situation
il fixe un plafond pour ces dépenses inopinées,
nette (actifs-
dettes) veillant à ce que les autres dépenses demeurent sous
Thème Les flux Les le contrôle du ministre de la guerre, des intendants
dominant de « stocks » et des Trésoriers de l’Extraordinaire des guerres et
l’information de leurs commis. En Espagne, des dispositions
produite similaires sont prises au début du XVIIIe siècle.
Insuffisances Absence de Absence de A.D.
représentation représentation
comptable des comptable Sources : Portugués J.A. (1764), t. X, p. 327-341.
éléments du
synthétique Bibliographie : Rowlands G. (2002). Dubet A.
patrimoine des flux selon
(2009).
leur nature
Partie prenante
Voir Bilan, Comptable public, Grand livre, Recette, Il s’agit d’un particulier qui apparaît
dépense et reprise, Stevin nominativement dans un état* ou un compte, et
pour lequel le paiement se faisait sur présentation
Sources : Jôcano y Madaria S. de (1793). Stevin S. d’un titre qu’il possédait en propre, par opposition
(1608). Traité des administrations des recettes et aux corps pour lesquels le paiement se faisait en
dépenses du Royaume, A.N. KK 1005 C. masse. Un arrêt du conseil du 20 février 1720
Bibliographie : Audiffret C. (1863),vol. 5. Edwards, ordonna la retenue des arrérages de la capitation et
J. R., Coombs, H. M. et Greener H.T. (2002). du dixième (impôts directs) sur les sommes dues
Forrester D. A.R. (1990). Hernandez Esteve E. aux parties prenantes employées dans les états du
(1986 et 1992). Lemarchand Y. (1993 et 1997). roi*. Avec la réforme du Trésor royal* de mars
Martin H., Application aux écritures de la 1788, les parties prenantes durent échanger leurs
comptabilité publique de la tenue des comptes en titres en mandats* sur les nouvelles caisses de
partie double, Paris, 1865. Nikitin M. (2001). dépenses créées cette année-là. M.-L. L.
Partie indécise Partie rayée purement
Au moment du jugement des comptes* devant la Au moment de la présentation des comptes* devant
Chambre des comptes*, une partie est tenue pour la Chambre des comptes*, une partie est rayée
indécise si le paiement a été dûment effectué, en purement lorsqu’il apparaît qu’il manque les
vertu d’acquits patents*, mais parce qu’il manque pièces* comptables justifiant la dépense ou lorsque
quelque formalité. Jean Hennequin* donne la dépense n’aurait pas dû être faite : une pension
l’exemple des dons faits par le roi, sur lesquels on n’aurait pas dû être versée, une somme a été payée
lui adresse des remontrances, des dépenses à un autre que celui à qui elle était due, etc. Vincent
inopinées* du compte de l’extraordinaire des Gelée, commentateur du Guidon général des
guerres, tenues pour indécises car non employées finances de Jean Hennequin*, indique que ces
en l’état de Sa Majesté, ou encore des comptables parties sont signalées par « une raie droite sur la
qui n’ont pas présenté d’état au vrai*. Dans les somme ». La définition de la « radiation » donnée
dépenses militaires de l’Espagne aux Pays-Bas, cela par le Dictionnaire des finances au XVIIIe siècle
correspond aux dépenses faites par le payeur est identique. La conséquence est que la dépense
général des Pays-Bas sur simple billet du capitaine correspondant à cette partie n’est plus reconnue au
général, et non sur ordre formel (l’assignation visée comptable, qui doit donc restituer la somme au
par les deux contrôleurs de la solde -contador et titulaire du compte. A.D.
veedor). Ces parties demandent à être justifiées a Voir Présentation d’un compte
308
Sources : Hennequin J. (1595), fol. 226, (1601), fol.
287. Dictionnaire des finances (1727).
Partie simple
Cette comptabilité repose sur la tenue d’un
journal*, d’un Grand Livre* dans lequel est ouvert
un compte pour chacune des personnes avec
laquelle le titulaire du fond fait des affaires, tenu en
débit et crédit. Lors d’un achat de marchandises, on
enregistre au crédit (avoir) du compte du
fournisseur la dette que l’on a contracté vis-à-vis de
lui. Le compte sera débité au fur et à mesure des
paiements, qu’il s’agisse de paiement en espèces ou
avec un effet. Dans le cas d’une vente, c’est
l’inverse : le compte du client est débit (doit), il
sera crédité lors des règlements effectués par ce
client. Cette comptabilité permet donc de connaître
en permanence la position de l’entreprise vis-à-vis
des tiers. Contrairement à la méthode de tenue des
livres en parties doubles*, les opérations y sont
ainsi portées une seule fois et non deux, car cette
méthode « ne considère que la distinction des
affaires, à la différence de l’autre manière, par
Débit et Crédit à Parties Doubles, laquelle outre la
distinction des affaires considère encore la relation
qu’elles ont les unes avec les autres », expliquait
Claude Irson*, qui enseignait la tenue des livres*,
en 1678.
L’opération équivalente à la reprise dans les
comptes en Recette, Dépense et Reprise* se fait à
l’intérieur du compte concerné : la somme d’abord
portée au crédit de celui qui devait faire un
paiement au titulaire des fonds administrée est aussi
portée à son débit si le paiement n’a finalement pas
lieu. C’est la « contreposition »*. La clôture du
livre se fait en calculant pour chaque compte le total
du débit et du crédit, ainsi que le solde (le
« reste »), créditeur ou débiteur ; ce solde est
reporté au début du même compte dans le livre
suivant. A la fin d’une administration, le teneur du
livre de comptes dresse un état des restes des
différents comptes. Irson souligne la nette
différence ici avec la comptabilité en Recette,
Dépense et Reprise : « Ayant montré dans le
chapitre quatrième [sur la Recette, Dépense et
Reprise] que la fin principale qu’on se propose dans
les comptes est de rendre à chacun ce qui lui
appartient, il s’ensuit que la fin de l’administration
doit être le paiement ou le partage des effets. Et
qu’ainsi il faut de nécessité que le livre qui a servi
pour tenir les comptes finisse par l’état des
Débiteurs et des Créanciers qui sont la cause de ce
partage ».
Contrairement à la tenue des livres en parties
doubles, les parties simples ne semblent pas avoir
été une source d’inspiration pour le contrôle
comptable des finances royales ou publiques. Cela
tient sans doute au mépris dans lequel les tiennent
les spécialistes de la tenue des livres. Témoin,
Mathieu de la Porte, auteur d’un manuel de tenue
des livres, qui distingue « deux méthodes, une
imparfaite & une parfaite. L’imparfaite, qui est la
plus ancienne, est nommée Parties simples. Il n’y a
presque que ceux qui vendent en détail ou qui font
des affaires peu considérables qui s’en servent pour
connoître leurs débiteurs et leurs créanciers ». A.D.
Sources : Irson C. (1678), chap. V. La Porte M.de
(1782), « Idée générale des livres de comptes » et
« Traité premier de la science des négociants et
teneurs de livres, contenant la Méthode de tenir les
Livres de Comptes à Parties Simples », p. 6-10.
Partie supersédée ou supersession
(supercedée ou supercession)
Au moment du jugement des comptes* devant la
Chambre des comptes*, une partie est supersedée si
l’on doute de sa validité, lorsqu’il manque un
acquit* principal permettant de justifier une
dépense ou, pour la recette, lorsque le comptable
n’a pas fait les diligences nécessaires en temps et
lieu pour faire rentrer des fonds dans sa caisse. Un
délai est accordé au comptable pour présenter des
pièces justificatives* (comme dans le cas de la
partie tenue en souffrance*), mais au tenue de ce
délai, la partie tombe en reste : c’est-à-dire que le
Débet de clair* est exécutable, le Contrôleur des
restes* pouvant entamer des poursuites contre le
comptable, son procureur ou ses héritiers pour
recouvrer la somme due. Dans les comptes, les
parties supersedées sont signalées par « une raye au
travers ».
Au XVIIIe siècle, le ternie n’est plus en usage, les
parties supersedées étant confondues avec les
parties en souffrance*. C’est ce que confirme la
table des matières, imprimée en 1787, de la
Juridiction et jurisprudence de la Chambre des
comptes. Le paragraphe 4 des « Jugements contre
les vices des comptes » s’y intitule « Souffrances,
anciennement supercessions ». A.D.
Sources : Hennequin J. (1601), fol. 283-286.
Juridiction et jurisprudence de la Chambre des
comptes (1787).
Partie suspendue
Le compte des parties suspendues est mentionné
par Claude Irson dans sa description de la
comptabilité en partie double*. L’auteur ne le
définit pas mais donne des exemples de ce qui
pourrait donner lieu à un « compte en suspens » : on
ne le fait que « pour quelques débiteurs jugés fort
douteux par les intéressés au négoce, ou pour des
assurances de mer que l’on estime difficiles à
recouvrer ». Il précise les règles de tenue du compte
des parties suspendues : « On ne doit point donner
aucune rencontre* au compte de Parties
Suspendues, parce que les débiteurs et les
créanciers du négoce doivent toujours être
déclarés ». Il faut y exprimer les noms des débiteurs
309
 et des créditeurs des « parties qui sont en suspens »
afin de pouvoir « apurer les dites parties
suspendues ». A.D.
Voir Suspens
Sources : Irson C. (1678), chap. VII.
Partie tenue en souffrance
Au moment du jugement des comptes* devant la
Chambre des comptes*, une partie* est tenue en
souffrance en l’absence de pièces « qui ne sont de
conséquence », comme les quittances*, pourvu que
la partie soit « en l’état » (complète) et que les
ordonnances* de paiement soient présentées par le
comptable, indique Jean Hennequin*. Ce cas est
celui d’une dépense faite, mais non entièrement
justifiée. Le commentateur d’Hennequin, Vincent
Gelée, précise que la souffrance s’applique aussi
lorsqu’une recette n’a pas été faite, mais que le
comptable n’est pas en cause : « l’on use
pareillement de souffrance aux deniers rendus &
non reçus, quand le comptable a fait les diligences
en temps et lieu qu’il pouvoit faire pour lors, et que
néanmoins elles ne sont encores assez suffisantes ».
Il n’y a pas de doute, dans ces cas, sur la
« validité » de la partie - et sur l’honnêteté du
comptable -, mais le comptable ne peut pas être
déchargé sans toutes les pièces requises. Un délai
lui est accordé pour qu’il rapporte les pièces
justificatives nécessaires afin que sa dépense soit
passée en compte*. Au-delà de ce délai, il lui est
possible d’adresser une requête à la Chambre pour
obtenir un nouveau ternie. Un intérêt est dû au roi
par le comptable. S’il est incapable de présenter les
justifications de la partie tenue en souffrance, elle
sera transformée en Partie supersedée ou
Supersession*. Hennequin indique enfin que les
parties en souffrance sont signalées par « une raye
au-dessous des comptes ». La pratique est
sensiblement la même en Espagne. Le comte
d’Estrella, gouverneur du Conseil des Finances,
donne en 1704 cette précision sur les redditions de
comptes des fermiers. Une fois qu’ils présentent
leur état certifié* à la Grand Chambre des comptes,
on calcule leur solde* et le leur fait payer « sans
qu’il reste pour conclure le compte plus que ce qui
pourrait résulter de la justification des paiements
qui se présentent, car si l’on en exclut quelques-uns
on appelle cela les parties soulignées, pour
lesquelles on réserve au fermier le droit de les
justifier dans le délai qu’on lui assigne, et même si
celui-ci est dépassé, pour peu qu’il présente une
justification prouvant qu’il a fait le paiement de
façon légitime, on lui donnera le temps de le faire
reconnaître dans sa dépense». Estrella donne
ensuite une définition plus générale : « des
paiements qui ont été réellement faits mais pour
lesquels il manque quelques justifications ou
instruments nécessaires pour les légitimer, car cela
arrive universellement dans les comptes des
310
dépositaires, trésoriers, fermiers, payeurs et autres,
parce que les légitimations (sic) ont fait défaut ou
ont été égarées ou parce que leur petite intelligence
fait qu’ils n’ont pas préparé les instruments
nécessaires ». A.D.
Voir Passer en compte, Partie supersedée
Sources: Hennequin J. (1595), fol. 222-224 et
Hennequin J. (1601), fol. 282-283. AHN, Estado,
leg. 744, n° 91, lettre du comte d’Estrella au
marquis de Canales, 20 février 1704.
Passer en compte
Passer en compte, c’est inscrire une somme dans la
dépense d’un comptable. L’expression est
équivalente de faire bon*. Hennequin l’abrège en
disant «passer». Ainsi, évoquant les parties des
comptes en souffrance*, il explique : «Et doivent
nosdits sieurs des comptes regarder les parties où
celles (sic) pièces défaillent pour savoir si elles
doivent être passées ou bien avoir été payées par le
comptable. » Son commentateur Vincent Gelée
précise : « L’on doit user de souffrance seulement
quand il n’y a défaut que de quelque acquit qui
n’est de conséquence comme dit l’auteur & sans
lequel néanmoins l’on ne peut passer une partie
purement (...) ». A.D.
Voir Bon, bonifier
Sources : Hennequin J. (1601), p. 280, 282-283.
Payeur(Espagne)
En Espagne au début du XVIIIe siècle,
l’organisation des caisses* centrales du Trésor fait
l’objet de réformes successives. En septembre
1718, la Trésorerie générale (Tesoreria General)
succède à la Tesoreria Mayor, créée en 1703 et
rétablie en 1721. Le Trésorier général institué en
1718 est relayé localement par des commis appelés
« payeurs » (« pagadores »), alors que celui qui
existait auparavant et qui est rétabli en 1721 est
relayé localement par des trésoriers (« tesoreros »).
La différence de terminologie est expliquée au
moment du rétablissement du « Tesorero Mayor »
par un contemporain : « les payeurs étaient relevés
de toute liquidation de leurs comptes, leur seule
fonction étant de percevoir et de distribuer des
fonds ». Simples commis du Trésorier général, ils
n’avaient pas à rendre de comptes devant la Grand
Chambre des comptes, mais seulement, en interne,
à leur chef. En outre, ils n’avaient pas à donner de
cautions, les énormes fonds qui leur étaient confiés
étant garantis par la mise en place de coffres à trois
clefs*. Le système rétabli en janvier 1721 place
sous l’autorité du Trésorier appelé Tesorero Mayor
des trésoriers appelés Trésoriers d’armées, dans les
seules provinces où résident des troupes
permanentes. Tenus de rendre des comptes de leur
exercice devant la Grand Chambre des comptes et
de présenter des cautions, ils sont toutefois soumis
à un contrôle étroit de la part du Tesorero Mayor,
qui les a choisis. Comme le Tesorero General, le
Tesorero Mayor présente un seul compte en fin
d’exercice, dans lequel il fait figurer les recettes des
trésoriers d’armées comme ses recettes, et leurs
dépenses comme ses dépenses. A.D.
Sources : AHN, Fondos Contemporâneos,
Ministerio de Hacienda, lib. 6622, fol. 93v-96r,
lettre du marquis de Campoflorido à Fernando
Verdes Monténégro, Palais royal, 3 mars 1721.
Bibliographie Dubet A., in Astigarraga J. et Pérez
Sarriôn G. éd. (sous presse).
Payeur du Trésor (France)
Sont compris dans l’organisation du 1er juillet 1788
du Trésor royal trois des anciens trésoriers généraux
des départements et les deux gardes du Trésor sous
le titre d’administrateurs et de comptables (voir les
notices Trésoriers généraux de la Marine et Trésor
royal), ainsi que leurs commis en province, devenus
salariés de l’État sous le nom de trésoriers, pour
ceux qui ne l’avaient pas. Les listes nominatives
reproduites dans le rapport des commissaires de la
Trésorerie nationale* au 1er juin 1791 font état de
34 trésoriers principaux et 30 trésoriers de la
Guerre, 7 trésoriers de la Marine dans les ports et 6
dans les colonies ; il n’y est pas question des
trésoriers pour le département des dépenses
diverses, et ils sont une vingtaine environ. Les
trésoreries importantes emploient des commis* de
l’État. L’administrateur de la caisse générale a
changé, c’est Joseph Duruey (1741-1794), et les
administrateurs pour les dépenses sont réduits à
trois par suite de la création de la liste civile et
s’appellent à présent payeurs généraux (décret du
30 mars 1791) : Fontaine de Biré (1727-1809) pour
la Guerre, Boutin (1719-1794) pour la Marine et
Savalette de Langes (1746-1797), pour les dépenses
diverses.
Les receveurs de district (voir la notice receveurs et
receveurs généraux des finances*) ont à peine
commencé de payer des dépenses pour les Ponts et
Chaussées, la Justice et le clergé « constitutionnel »
que la loi des 24 septembre et 12 octobre 1791 le
leur défend, en ordonnant aux commissaires de
procéder à la nomination de payeurs généraux dans
les départements, 87 fonctionnaires en tout, soumis
au cautionnement. La proclamation du roi du 18
décembre 1791 les charge des paiements à la place
des trésoriers et des receveurs de district. La plupart
des nouveaux payeurs sont d’anciens trésoriers. Des
payeurs principaux et particuliers de la dette
publique* sont établis par la loi du 24 août 1793 et
des payeurs militaires et de la Marine dans les ports
par l’arrêté du 21 janvier 1800 (1er pluviôse an
VIII). La constitution de 1795 confirme le droit de
nomination des payeurs départementaux par les
commissaires de la Trésorerie. Le Directoire
nomme les receveurs de district, qui préfèrent
s’entendre avec la Trésorerie plutôt que de donner
l’état de leur caisse au ministère des finances. Le
Directoire renoue avec les contributions indirectes
en 1798 (portes et fenêtres, octrois), mais l’impôt
sur les boissons et l’impôt sur le sel sont rétablis en
1804 et 1806 seulement.
De 1800 à 1817, le service central du Trésor
comprend trois puis quatre caisses : caisse générale,
caisse des recettes, des dépenses, de service. La
caisse des dépenses, approvisionnée par la caisse
générale, paie directement des créanciers à Paris sur
les mandats émis par les quatre payeurs généraux
des départements ministériels rétablis par l’arrêté de
1800 (Guerre, Marine, Dette publique et Dépenses
diverses), chacun d’eux étant flanqué d’un
contrôleur. Les pièces justificatives* leur sont
remises en échange de leurs récépissés. Ces
payeurs, dont la comptabilité est régie par le décret
du 13 juillet 1804 (24 messidor an XII) sont
justiciables du bureau de la Comptabilité nationale*
puis de la Cour des comptes* lors de son
rétablissement en 1807. Le même arrêté porte
création d’agents dans les départements dits
préposés payeurs, nommés par eux et comptables
envers eux. Les receveurs généraux, que le
Directoire a rétablis, reprennent une partie de leurs
anciennes fonctions ; ils alimentent leurs caisses.
Cette organisation disparaît au 1er janvier 1818
(ordonnance du 18 novembre 1817), pour ce qui
concerne les payeurs. Les payeurs généraux et les
payeurs des divisions militaires sont supprimés. Le
service des dépenses du Trésor, dont la caisse est
désormais unique, est confié à un directeur des
dépenses nommé par le roi. Les dépenses du Trésor
payables à Paris sont d’abord acquittées par deux
comptables* nouveaux, le payeur principal de la
dette publique et le payeur principal des dépenses
des ministères. Les dépenses à faire en province
sont confiées à des payeurs généraux dans les
départements, aux payeurs de la Marine et préposés
payeurs de la Guerre maintenus et, en ce qui
concerne les dépenses de solde de la Guerre, au
payeur spécial de la Seine également maintenu.
Dans les lieux où le payeur n’a pas de préposé, les
receveurs particuliers d’arrondissement sont
chargés d’exécuter les paiements pour son compte.
Ces payeurs sont tous justiciables de la Cour des
comptes.
Le service des payeurs de département est
réorganisé une dernière fois par l’ordonnance du lLr
novembre 1829 : les préposés payeurs et le payeur
spécial de la Guerre, ainsi que les payeurs de la
Marine disparaissent, il n’y a plus qu’un payeur par
département, qui peut être aidé par les receveurs. Le
ministre Chabrol (1771-1836) écrivait ceci à propos
des payeurs dans le rapport de l’ordonnance :
« C’est à ce seul comptable, établi dans chaque
département, que reste confié le soin de veiller à
l’acquittement ponctuel de toutes les parties
prenantes qui ont justifié des droits d’un véritable
311
 créancier, de donner ainsi un complément
indispensable à la surveillance du gouvernement sur
les ordonnateurs secondaires jusqu’au dernier terme
de sa libération, de veiller à l’observation
rigoureuse de la spécialité des crédits, de mettre à
couvert la responsabilité du ministre des finances
chargé de ne délivrer les fonds que dans la limite
des budgets, d’éviter les retards et les embarras qui
arrêteraient le paiement des services au fur et à
mesure de leur exécution et de préparer tous les
éléments du contrôle final exercé sur la régularité
des dépenses publiques par la Cour des comptes.
C’est à la fois dans l’intérêt de l’ordre, de
l’économie et du crédit public que l’institution des
payeurs existe. » A l’issue des contrôles sur les
actes accomplis par les liquidateurs et les
ordonnateurs, le comptable paie la dépense et la
décrit dans ses écritures. Le payeur général reçoit
ses fonds de la recette générale du département ou
de la caisse centrale du Trésor.
Le régime de 1829 dure jusqu’au 1er janvier 1867,
lorsque les trésoriers-payeurs généraux sont mis en
place. En effet, un décret du 26 novembre 1865
supprime, par mesure d’économie et de
simplification, les payeurs généraux et transfère
leurs attributions aux receveurs généraux, qui
prennent le nouveau titre. Le service de la dépense
et celui de la recette sont réunis, et le trésorier-
payeur général a sous ses ordres les receveurs
particuliers des finances et les percepteurs du
département. Il répond seul de leur gestion et de la
sienne devant la Cour des comptes. Des trésoriers-
payeurs généraux sont nommés dans les colonies ;
un service de la trésorerie aux armées, organisé en
tout temps, n’est mis en activité qu’à la
mobilisation et un assez grand nombre de payeurs
divers subsistent (receveurs des régies financières,
trésoriers des invalides de la Marine, agent
comptable des traites de la Marine*, agent
comptable des chancelleries diplomatiques et
consulaires...). Signalons enfin que, de 1848 à
1875, l’ensemble des opérations de recette et de
dépense à effectuer à Paris a été confié à un seul
comptable, le caissier-payeur central du Trésor,
surveillé par un contrôleur central. Pour donner une
idée de la participation des différents groupes de
comptables* à l’exécution des budgets de l’État, et
sans oublier que le mouvement général des fonds au
ministère des Finances porte sur des sommes bien
plus considérables encore, nous indiquons ci-
dessous le mouvement relatif au budget de 1884
(qui est déjà sept fois plus élevé que celui de
1788...), à défaut de statistiques plus anciennes.
L’activité des trésoriers-payeurs généraux, en
paiement surtout, domine celle des autres groupes.
B.L.
Budget de 1884, réalisations en Recou­ Paiements
millions de francs vrements
receveurs de l’enregistrement, du 747 27
312
timbre et des domaines de versement de la Recette générale de Bruxelles comptable elle-même variait d’une province à
receveurs des douanes 377 32 vers Vienne devaient également s’en trouver l’autre, voire d’une communauté à l’autre. Pour
receveurs des contributions 1 112 82 facilités, car en fondant la comptabilité des Pays- obtenir un état courant de chaque recette, il fallait
indirectes Bas dans le « résumé général des finances de la pouvoir calculer les décomptes* rapidement,
receveurs des postes et 166 88 accélérer l’inscription des validations* et non-
monarchie dans le Grand livre au centre de
télégraphes valeurs*. Or, la marche suivie dans les différentes
Vienne », il s’agissait bien d’intégrer
trésoriers-payeurs généraux 978 2 115 provinces des Pays-Bas empêchait le plus souvent
agents du Trésor aux colonies, définitivement les deniers belgiques dans les
56 201 cette accélération. L’enregistrement comptable d’un
aux armées et à la Marine finances de la monarchie autrichienne.
Néanmoins, il faut bien comprendre la portée de simple transport de troupes par exemple variait
caissier-payeur central du Trésor 46 858
cette réforme comptable. Au-delà de l’introduction selon les ordonnances et les usages de chaque
payeur central de la dette e 685
virements de comptes des journaux, « la base de toute la comptabilité », et province. A Namur et au Luxembourg, ces sortes de
737 (4)
total de la formation des registres-livres d’imputations fournitures ne se défalquaient pas sur les subsides
4219 4 084
nécessaires à la représentation courante des (impôt direct), mais sur les aides (impôt indirect).
comptes, l’ambition de Joseph II était rien moins L’on ne pouvait donc opérer sur le compte du
Sources : De la situation du Trésor public (1997).
que de procéder à un audit général et approfondi de receveur des subsides une quelconque validation,
Bibliographie: Bruguière M. (1986). Frémont
tous les comptes des Pays-Bas et d’avoir la maîtrise tandis qu’à l’inverse, ce type de prestations se
(1906). Gauvain C., Les trésoriers-payeurs
de tous les revenus quelle que fût leur nature. Le décomptait des impositions en Flandre ou en
généraux, thèse de droit (Rennes), Paris, A. Pedone,
pouvoir central indiquait clairement qu’il ne Brabant. Le travail à fournir pour se conformer aux
1908. Girard H., L’institution des trésoriers-
pouvait plus se contenter d’enquêtes ponctuelles, vœux de l’empereur semblait considérable : « Il y
payeurs généraux, thèse de droit (Paris), Paris, A.
mais qu’il voulait introduire une inspection* aura pour cela des dispositions diverses à établir
Rousseau, 1903. Montagnier G., Le trésorier-
permanente des comptes, en modifiant et les differemens (sic ) dans chacune des cinq provinces,
payeur général, Paris, L.G.D.J., 1966. Neurisse A.,
méthodes de calcul* et la fréquence de reddition*. peut-être même faudra-t-il (en Brabant par
Le trésorier-payeur général, Paris, L.G.D.J., 1988.
Cette réforme devait concerner tous les receveurs, exemple) le concours de la législation jusques à un
Pinaud P.-F. (1983 et 1985). Say L. (1889-1894).
tant des revenus des Etats provinciaux, que ceux certain point pour obliger chaque communauté qui
des domaines* ou des droits d’entrée et de sortie aura fait des fournitures de chevaux, de chariots,
Pays-Bas (autrichiens)
« gérés » par la banque Nettine. Mieux, une fois guides... à présenter au greffe des états ou aux
cette connaissance acquise et régulièrement mise à receveurs généraux des états dans chacun des trois
L ’ambition d’une réforme comptable
jour, Joseph II espérait pouvoir disposer des quartiers de Bruxelles, Anvers et Louvain leurs
Un nouveau plan de comptabilité fut introduit aux
revenus belges et assigner plus largement les décomptes de ce qu’ils ont à prétendre à titre de
Pays-Bas par les décrets du 31 octobre 1782 et du
charges militaires sur les subsides au moment de la validation, endéans un brief tenue à préfiger (sic ) à
21 octobre 1783. Selon ces décrets, chaque receveur
préparation de la guerre pour la libération de peine de privation de la validation ».
(y compris ceux des administrations particulières)
l’embouchure de l’Escaut. La diplomatie française Il fallait par ailleurs trouver le moyen d’unifier les
devait adopter à compter du 1er novembre 1783 les
ne s’y trompait pas, qui renseigna Paris sur les opérations sans vexer les administrations. Et les
nouveaux formulaires modélisés à Vienne par les
intentions de l’empereur : « Il est à croire que la experts belges de proposer un palliatif à
soins du conseiller Puechberg* et de l’auditeur* des
nouvelle administration [aux Pays-Bas] sera dirigée l’intransigeant Joseph II en créant à la Jointe des
comptes Baals, c’est-à-dire les états hebdomadaires
de manière à augmenter une entrée nette dans la administrations* une sorte de bureau de
de caisse, « entièrement conformes aux journaux de
caisse de Vienne, mais ce ne sera pas sans premiers comptabilité* susceptible de travailler en bonne
caisse des revenus nets des autres Etats de sa
tatonnemens dont on ne peut prévoir le succès ». A intelligence avec les receveurs des villes et des
Majesté ». Il s’agissait « de faire former par les
cette même fin, il donna des consignes claires pour Etats, pour renseigner les états mensuels.
comptables des différentes administrations des
créer une « caisse de réserve* » laissée à la L’empereur suivit ce conseil et fit donc appel aux
journaux qu’ils remettraient tous les mois à leurs
discrétion du souverain. Naturellement, de tels services de deux commissaires impériaux,
principaux, de faire tenir par ceux-ci des livres au
objectifs remettaient en cause les formes Dominique de Locher* et Johann Schwarzer*,
moyen desquels ils seraient en état de faire parvenir
traditionnelles d’intermédiation financière entre chargés d’enquêter sur les finances locales et d’en
à Bruxelles, où l’on établirait un centre commun, à
Bruxelles et Vienne. dresser le bilan général pour permettre l’unification
des époques déterminées, des relevés ou tableaux
comptable. L’on doit bien considérer qu’ils
qui serviraient à fonner un état général de leurs
La mise en oeuvre travaillèrent non pas tant en collaboration avec la
recettes et de leurs dépenses ». Les instructions
Comme le pressentit le marquis de Noailles, Jointe des administrations*, qu’en supervisant toute
étaient très précises, tant pour le receveur* local, à
ambassadeur de France, la mise en œuvre de la la structure décisionnelle bruxelloise en matière de
qui l’on expliqua la manière de calculer, de reporter
réforme comptable fut difficile, mais Vienne ne finances. Les deux Viennois firent adopter un
les totaux, d’utiliser les services de la poste pour
négligea rien pour parvenir à ses fins. Pour préparer décret (3 décembre 1784) exigeant l’expédition des
faire parvenir ses états à Bruxelles... que pour les
l’exécution, plusieurs sujets des Pays-Bas se comptes de 1782 de toutes les communautés, afin
receveurs centraux, chargés de résumer leurs
rendirent dans la capitale des Habsbourgs et d’en rédiger le bilan* et de le mettre sur le même
journaux* « le soir de chaque samedi ». L’objectif
plusieurs experts autrichiens firent le déplacement à pied que celui établi pour les revenus domaniaux.
principal du nouveau plan comptable consistait
Bruxelles. Les balances de chaque communauté, de chaque
dans l’amélioration de la trésorerie par la
Le bilan des communautés. Comme toujours, la ville et finalement de chaque province devaient être
centralisation des opérations de caisse. Le Conseil
plus grosse difficulté résida dans la mise en présentées dans une même forme à l’aide du
des finances* de Bruxelles devait être en mesure
conformité des comptes provinciaux et municipaux. formulaire pré-imprimé où devaient figurer le nom
d’expédier ses ordres en connaissance de cause,
De nombreux obstacles techniques se présentèrent : du comptable, la monnaie de référence, la
d’où la nomination, comme à Vienne, d’un seul
outre la diversité des monnaies de référence, conversion en florins de Brabant, le détail des
référendaire de caisse* capable de renseigner
l’irrégularité de nombreux comptes, la méthode recettes et dépenses, les dettes actives et passives...
l’ordonnateur*. En toute fin de parcours, les ordres
313
 Une instruction de 48 articles fut rédigée et
transmise à chaque communauté. Vis-à-vis des
collecteurs, cette instruction insistait sur la
nécessité d’individualiser chaque dépense et chaque
recette. Elle indiquait en particulier que pour les
« passages de troupes, on spécifiera ce qui aura été
payé pour leur logement, leur chauffage et les
chevaux et chariots qui leur auront été fournis ».
Par ailleurs, elle enjoignait aux collecteurs de
hiérarchiser leurs opérations comptables et de
porter « chacune de ces sommes individuelles en
dedans de la ligne », pour réserver le hors-ligne aux
montants des catégories générales. Enfin, il
s’agissait d’éviter toute confusion des comptes de
caisse en portant l’attention des collecteurs sur la
rubrique « payements faits à d’autres caisses
municipales » créée dans le formulaire.
A la Jointe, une équipe d’une trentaine de commis,
placés sous leur direction, travailla d’abord à
l’élaboration des bilans à partir des comptes
envoyés par les administrations de la Flandre, puis
plus tard à partir de ceux envoyés par les autres
provinces. Les fonctionnaires employés par Locher
ventilaient les revenus et les charges des
communautés par rubriques à l’aide d’un
« répertoire des catégories », en calculer la balance,
puis établir le bilan pour l’ensemble de la province
et finalement pour l’ensemble des Pays-Bas.
Néanmoins, au fur et à mesure que les exigences
réformatrices de Joseph II se firent plus pressantes,
la résistance des institutions locales s’affermit.
Bientôt, le nouveau plan de comptabilité fut
compris dans les remontrances rédigées à l’encontre
de la politique viennoise. Dans le Hainaut, le
Conseil souverain jugea dès le 21 février 1786
« qu’il étoit contraire à la constitution de ce pays
d’obliger les communautés de se dégarnir de leurs
comptes ». De fait, la mise en œuvre d’une telle
comptabilité supposait rien moins qu’une
révolution des rapports entre communautés, corps
intermédiaires et administration centrale. Le
scepticisme s’installa : « Malgré la clarté et la
précision des directions qui ont été données pour la
formation des bilans, aucune administration
municipale n’a pu les achever sans demander des
nouvelles explications et après avoir reçu des
éclaircissements, plusieurs ont envoyé des bilans si
mal faits qu’il a fallu les renvoyer pour les
refondre ».
La nouvelle Chambre des comptes. En dehors du
bilan des comptes locaux, les commissaires
s’occupèrent de réorganiser la Chambre des
comptes*. 11 revint à Dominique de Locher* de
mettre en œuvre cette réforme institutionnelle en
s’inspirant de celle achevée à Milan. Ce plan avait
pour objectif d’ôter à la chambre « toute influence
dans l’administration en la mettant sur le même
pied et dans les mêmes termes que celle de
Vienne ». Les instructions de Kaunitz étaient
claires : il fallait subordonner la chambre au
314
Conseil royal d’une part et à la Chambre aulique
des comptes de Vienne d’autre part. A cette
dernière, la Chambre de Bruxelles devait
dorénavant fournir « les tableaux et les journaux
nécessaires pour la connaissance de l’ensemble des
finances de la monarchie ». Par ailleurs, ses
activités, réduites certes à la comptabilité, devaient
néanmoins embrasser toutes les branches de
revenus, c'est-à-dire non seulement le contrôle des
revenus royaux, mais aussi des revenus des
administrations municipales, des fonds de religion
et du clergé séculier et régulier, ainsi que les
revenus et dépenses des fondations pieuses. En
d’autres termes, aucune activité sociale ne devait
échapper à l’analyse financière de la nouvelle
chambre. En totalité, cela représentait, outre les
59 303 articles de comptes déjà étudiés par
l’ancienne chambre : on comptait 6 569 articles
pour les journaux de la recette générale et des
caisses provinciales, 1 958 articles pour les
journaux des receveurs des subsides, 79 pour ceux
du receveur de la Jointe des eaux, 777 pour ceux
des receveurs des entremises des fortifications,
3 545 articles pour les journaux des receveurs des
exploits des conseils et tribunaux de justice, 4 993
articles pour ceux des receveurs des finances
jésuitiques, soit en tout 17 921 articles pour les
journaux, auxquels il faut ajouter les 24 340 articles
des comptes des receveurs des domaines qui ne
présentaient qu’un compte annuel, 310 articles pour
le compte de la Monnaie et 16 732 articles pour les
comptes des douanes, Huit bureaux furent prévus,
reflétant cette volonté d’inspecter ordinairement
l’ensemble des revenus des Pays-Bas. Enfin, une
attention toute particulière fut portée au
recrutement.
Locher et Schwarzer accordèrent une attention toute
particulière à la formation des 5e et 6e bureaux de la
nouvelle chambre. Le 5e devait superviser la
comptabilité des revenus et charges provenant des
abbayes, couvents et monastères supprimés ; le 6e la
comptabilité des revenus et dépenses du clergé
séculier et régulier ainsi que des fondations pieuses.
Là encore, l’idée d’une intégration des fonds
provenant des biens du clergé dans la comptabilité
publique était importée de Vienne.
Trois conclusions s’imposent. La première
n’étonnera guère : comme pour d’autres réformes,
Joseph II a fait preuve d’une détermination
irréfragable pour parvenir à établir la connaissance
exacte du revenu net des Pays-Bas d’une part et en
obtenir la maîtrise d’autre part. Marie-Thérèse
n’obtint jamais que des comptes approximatifs; son
fils poussa l’exigence jusqu’à faire établir par
chaque communauté un bilan formalisé des recettes
et dépenses. Le deuxième point tient dans la
spécificité de la mise en œuvre de la réforme
comptable : elle nécessita le transfert de modèles
rédigés à Vienne vingt ans plus tôt et le
déplacement de conseillers impériaux. La
détermination politique se doublait donc d’une
expertise technique. La centralisation administrative
ne s’obtenait pas seulement à coup de circulaires
diffusées à Buda, Milan ou Bruxelles, mais par
l’encadrement et la formation des employés locaux
à la nouvelle science administrative. Il faut dire que
par le passé, l’impéritie et l’incompétence
comptable des commis eurent bien souvent raison
de toute évolution raisonnée de la connaissance des
comptes. Enfin, le troisième enseignement se
mesure à l’aune des réformes comptables passées.
Par rapport à celle engagée notamment par Benoît-
Marie Dupuy* entre 1749 et 1753, la réforme de
1783-1787 se caractérise par son ampleur : elle doit
être lue comme un effort ultime de centralisation,
comme la seule alternative possible à l’impasse
gestionnaire générée par le poids de la dette. D’où
peut-être la radicalité des décisions et la volonté
d’englober dans cette gestion éclairée, les revenus
ecclésiastiques. Pour la première fois également, la
réforme cherche à atteindre le premier degré de
l’administration des finances (le contrôle des
recettes) et de là, les privilèges des corps de
provinces et des corps de villes. Nul doute que les
révolutionnaires de 1787 y puisèrent une source de
mécontentement. M.-L. L.
Sources : AGR, Chancellerie aulique des Pays-Bas
à Vienne, 621. Conseil des finances, 7437, pièce 28
et sq. Conseil des finances, 7194, « Mémoire sur la
comptabilité des subsides » ; « Copie d’une lettre
de S.A. le Chancelier de Cour et d’Etat à S.E. le
ministre Plénipotentiaire », 9 juillet 1783.Conseil
des finances, 7195. Mémoire de 1784. Chambre des
comptes (de Flandre et de Brabant), cartons, 426,
pièces 6 ; 138 ; cartons 427/1 et 427/2. Chambre
des comptes (de Flandre et de Brabant), supplément
2353, dossier IX. Affaire du comité de religion.
Chambre des comptes, supplément, 2351, «Tableau
de comparaison des frais de guerre effectifs et des
moiens emploiés à leur faire face pour l’année
militaire 1785 » ; portefeuille 2355, Post-scriptum
de Kaunitz à Belgiojoso du 26 novembre 1783.
Jointe des administrations et des affaires de
subsides, registre 79, f° 277, 30 juillet 1784. AAE,
CP, Autriche, 351, P 478. Lettre du marquis de
Noailles, 20 décembre 1786. HHSA, Belgien, DD-
B, 128b, fac-similé de l’imprimé Directions pour la
formation des bilans par les administrations et les
communautés des Pays-Bas autrichiens d’après
leurs comptes réels de l‘année 1782, article 24.
Bibliographie : Aerts E. (1988). Coûtiez Y. (1986).
Steve Jacob, « Jacques-Antoine Le Clerc », in
Mortier R. et Hasquin H. (1999), p. 270. Legay M.-
L. L., « La réforme comptable de Joseph II »
(2008).
Péculat
C’est un « crime capital, vol de deniers royaux,
malversation dans l’administration des Finances »
(Dictionnaire des Finances, 1727). Les hommes de
l’époque moderne rappellent parfois qu’il en allait
différemment dans la république romaine, où le
péculat concernait aussi le vol de ce qui appartenait
au peuple (Ferrière, t. II). Suite à la Révolution
française et à la mise en place d’un régime libéral, il
s’agit de détournements ou soustractions de fonds,
sans restitution, commis par des fonctionnaires ou
des dépositaires publics (Faustin et Chauveau, p.
528).
Les modalités en sont variées, comme l’indique
Y Encyclopédie méthodique : « Il a lieu de diverses
manières : ou par omission* dans la recette des
comptes ; ou par faux et doubles emplois* dans la
dépense ; ou par des exactions et des levées
excédentes aux sommes portées dans les ordres ou
édits du roi ; ou par la délivrance de doubles
contraintes* pour une même somme que l’on fait
payer deux fois, en ne donnant point de quittance*
de la première ; ou encore, en cachant au peuple, à
une province, la remise* que le roi a bien voulu lui
accorder sur certaines impositions et en percevant
ces impositions en entier ; en exigeant des
redevables des gros intérêts pour les délais qu’on
leur accorde ; en employant dans ses comptes des
pertes supposées ; en portant en reprise* des
sommes qu’on a reçues ; enfm, en se servant des
fonds à son profit particulier». Le discours hostile
aux financiers et autres « sangsues du pauvre
peuple » les accuse souvent de vol. Leur
enrichissement trop rapide, étant donné une
naissance de condition que l’on veut modeste —
c’est le mythe du « laquais financier » déconstruit
par Daniel Dessert—, apparaît alors comme le
signe de leurs agissements coupables. Ferrière a
repris l’argument dans son Dictionnaire de droit.
La monarchie instrumentalise ce discours,
notamment lorsqu’elle cherche à renégocier ses
dettes à la baisse avec les manieurs d’argent. C’est
le cas en France lors des Chambres de justice* et en
Espagne lorsque le roi suspend ses paiements avant
d’entamer les tractations avec un collectif de
banquiers (Chauleur, Dessert, Ruiz Martin).
L’argument vaut pour les ordonnateurs comme pour
les comptables. On sait que Colbert utilise
l’accusation pour se défaire de Fouquet.
Les peines prévues contre le péculat sont
nombreuses. Jean-Claude Waquet, qui a passé en
revue les traités de droit européens, indique qu’au
pénal, c’est la peine de mort qui est prévue, tandis
que les peines civiles prévoient, outre la restitution
des biens, le paiement d’une amende qui se situe
entre le double et le quadruple des sommes volées
(Waquet, p. 149-158). Cette somme du quadruple*
vaut pour la France et pour l’Espagne des XVIIe et
XVIIIe siècles (voir Omission*, Faux emploi*,
Double emploi*, Divertissement*). En France,
l’ordonnance de 1545 prévoit la confiscation de
corps et de biens pour tous et, pour les nobles, et
leur descendance la perte de la noblesse (Ferrière).
315
 Pour les cas les plus graves, l’article 398 de
l’ordonnance de 1629, la déclaration du 5 mai 1690
et celle du 3 juin 1701 prévoient la peine de mort.
Les auteurs de vols moins importants sont passibles
des galères et / ou bannis (Chauveau et Faustin, p.
526-528). De la même façon, le droit contemporain
prévoit une progressivité des peines, en fonction de
la gravité du crime, c’est-à-dire du montant des
sommes enjeu, la mort n’étant promise qu’aux plus
gros voleurs.
Dans la pratique, toutefois, les peines pénales et
civiles sont loin d’être appliquées à la lettre aux
auteurs de péculat, pour deux raisons. D’une part,
l’on préfère négocier pour parvenir à des
compositions avantageuses pour les deux parties.
Cela signifie que ce ne sont pas nécessairement les
auteurs des plus graves péculats qui sauvent leur
tête, à quelques exceptions près (voir la notice
Chambre de justice), mais ceux qui ont les
meilleurs arguments dans la négociation. D’autre
part, ici comme dans d’autres domaines de la
pratique judiciaire, il suffit de quelques peines
exemplaires pour mettre en lumière la vertu de la
monarchie et de ses juges et effrayer les gens de
finance indélicats et les remettre dans le droit
chemin, l’objectif n’étant pas de les ruiner tous.
Ainsi, le préambule de l’édit de mars 1717, qui
amnistie des crimes de péculat et de malversations,
explique que « la corruption s’était tellement
étendue que presque toutes les conditions en
avaient été infectées, en sorte qu’on ne pouvait
employer la plus juste sévérité pour punir un si
grand nombre de coupables sans causer une
interruption dangereuse dans le commerce et une
espèce d’ébranlement dans tout le corps de l’Etat »
(Faustin et Chauveau, p. 527 ; Encyclopédie
méthodique). A.D.
Sources : Ferrière C.J. de (1779). Chauveau A. et
Faustin H. (1852), p. 526-544. Encyclopédie
méthodique. Finances, t. I, (1784), notice
«Chambre de justice» et t. III (1787), notice
« Péculat ».
Bibliographie : Bayard F. (1988). Chauleur A.
(1964). Félix J. (1999), Dessert D. (1974 et 1979).
Hamon P. (1999). Ruiz Martin F. (1968 et 1990).
Waquet J.C. (1984).
Percepteur
On lit dans YEncyclopédie méthodique que la
perception est « l’action de percevoir, de faire la
levée ou le recouvrement des droits, des
impositions ». Mais, si la notion est commune à
tous les États, le ternie de percepteur est alors
inusité en France. L’agent qui perçoit l’impôt est un
comptable public*, un agent délégué (le collecteur)
ou le commis d’un fermier. La perception de
l’impôt direct suppose une opération qui appartient
le plus souvent à des agents d’un ordre distinct :
c’est la répartition de l’impôt ou son calcul selon un
316
pourcentage de l’assiette des biens ou des revenus
retenue pour chaque contribuable. Ces agents sont
dits ordonnateurs* en recettes ; les impôts indirects
frappant les choses indépendamment des per­
sonnes selon des barèmes préétablis, il n’y a pas
d’ordonnancement* à proprement parler. La
Révolution conserve les collecteurs pour le
recouvrement des nouveaux impôts directs sous le
nom de percepteurs.
La loi du 1er décembre 1790 institue le premier
impôt de l’ordre nouveau, la contribution foncière
chère aux physiocrates. Elle dispose que cet impôt
direct sera réparti par les départements et son
recouvrement adjugé au rabais dans chaque
municipalité à des particuliers appelés percepteurs,
et non pas confié aux préposés établis récemment
dans certaines administrations provinciales et qui
ressemblent aux futurs percepteurs. Le soin de
confectionner les matrices revient aux municipalités
et l’expédition des rôles aux directoires de district.
La loi prévoit aussi de faire payer un intérêt aux
contribuables en retard et remplace les contraintes
par la saisie immédiate, une mesure brutale et
exagérée. L’intervention des municipalités,
considérée comme un « droit sacré » découlant de
la Déclaration des droits d’août 1789, gêne
beaucoup la perception de l’impôt pendant près de
dix ans, par suite de retards inadmissibles dans la
confection des rôles.
La loi du 24 novembre 1799 met en place une
organisation plus naturelle. Un directeur des
contributions directes, dans chaque département,
rédige les matrices, fait expédier les rôles et vérifie
le bien-fondé des réclamations ; un inspecteur des
impositions directes exécute des tournées sous les
ordres de ce fonctionnaire de l’État ; des
contrôleurs ont pour mission de préparer sur les
lieux et sous la surveillance des inspecteurs, le
travail qui est ensuite centralisé à la direction. Les
anciens collecteurs ou répartiteurs, nommés par les
municipalités, préparent avec les contrôleurs le
travail de l’assiette de l’impôt et des mutations. Les
percepteurs recouvrent toujours les impôts après
adjudication (arrêté du 4 août 1800). Le ministre
Gaudin* remplace les collecteurs « à la moins
dite », comme il les appelle, par des percepteurs à
vie, nommés sur une liste de candidats présentés
par les préfets et déposant un cautionnement en
numéraire. En l’an IX (1800-1801) et pour la
première fois depuis 1791, le recouvrement de
l’impôt a pu commencer avec l’année même à
laquelle les contributions appartiennent.
Les lois des 26 février 1802 et 24 février 1804 (7
ventôse an X et 5 ventôse an XII) font des
percepteurs des agents nommés par le
gouvernement. La jurisprudence leur a reconnu de
bonne heure le caractère de fonctionnaires publics,
ainsi qu’aux receveurs municipaux et autres
percepteurs de deniers publics, quel qu’ait été le
mode de leur première nomination. L’ordonnance
du 31 août 1839 et le décret du 15 novembre 1857
attribuent au ministre des finances la nomination
des percepteurs des quatre premières classes et des
deux tiers de ceux de la dernière classe, l’autre tiers
appartenant aux préfets, compte tenu dans les deux
cas des attributions à diverses catégories de
candidats prévues par la loi. Les receveurs spéciaux
des communes sont nommés par les préfets, sur une
liste de trois candidats présentés par les conseils
municipaux ou par le président de la République sur
proposition du ministre des finances, suivant le
revenu ordinaire de la commune. Les receveurs
spèciaux des établissements de bienfaisance
(hospices) sont nommés par les préfets, sur
proposition des commissions administratives. En
1879, le nombre de perceptions est de 5 625.
Aux termes de la loi de 1802, les percepteurs sont
chargés du recouvrement des contributions directes
et des taxes assimilées. Ils sont de droit receveurs
des communes et des établissements de
bienfaisance dont les revenus ordinaires ne
dépassent pas 30 000 F, et ils peuvent être chargés
des mêmes fonctions dans d’autres communes (on
les appelle percepteurs-receveurs), si les conseils
municipaux ne demandent pas la nomination d’un
receveur spécial (loi du 18 juillet 1837). Ils peuvent
aussi être désignés pour remplir les fonctions de
trésorier de la caisse des écoles dans chacune des
communes de leur perception (lois des 16 avril
1867 et 28 mars 1882), celles de trésorier des
associations syndicales autorisées (loi du 21 juin
1865). Ils reçoivent les versements effectués pour le
compte de la caisse de retraites pour la vieillesse
(lois des 18 juin 1850, 12 août 1876 et 20 juillet
1886) et pour celui des caisses d’assurances en cas
de décès et d’accidents (loi du 11 juillet 1868).
La perception des contributions directes est
autorisée chaque année par la loi de finances, et les
rôles sont homologués par le préfet. De ce fait, le
percepteur peut poursuivre les débiteurs (règlement
du 21 décembre 1839). Les contribuables ont la
faculté de payer leurs impôts directs et taxes
assimilées par douzièmes, sauf le cas de
changement de domicile. Les agents du
recouvrement doivent se transporter à des dates
fixées d’avance et dans les lieux déterminés pour
recevoir les versements que leur apportent les
contribuables. Le percepteur est chargé du paiement
des dépenses publiques sur les mandats des
ordonnateurs secondaires* visés « bon à payer » par
le trésorier-payeur général du département. Il se sert
des fonds qu’il a en caisse et appartenant au Trésor,
ou fait appel aux receveurs des régies* financières
de la même localité ou au receveur général des
finances* du département. Il n’a pas, dans ces
paiements, la responsabilité des droits des parties,
mais seulement celle de leur identité. En sa qualité
de receveur municipal, ce comptable* effectue les
recettes et les dépenses communales, il est chargé
seul et sous sa responsabilité de poursuivre la
rentrée des revenus de la commune et des sommes
restant dues, ainsi que d’acquitter les dépenses
ordonnancées par le maire, jusqu’à concurrence des
crédits régulièrement accordés (loi du 5 avril 1884).
La perception s’effectue soit sur des rôles
homologués par le préfet, soit un état exécutoire,
soit des états dressés par le maire et rendus
exécutoires par le visa du préfet ou du sous-préfet.
La gestion des percepteurs, pour tous les services
dont ils peuvent être chargés, est placée sous la
surveillance et la responsabilité des receveurs
particuliers des finances. Celle des receveurs
spéciaux est sous la seule surveillance de ces
mêmes receveurs (loi du 18 juillet 1837 et décret du
31 mai 1862). Les percepteurs reçoivent un
traitement fixe et des remises proportionnelles au
montant des recouvrements des contributions
directes. Les percepteurs, percepteurs-receveurs
municipaux et receveurs spéciaux sont assujettis au
cautionnement*. B.L.
Bibliographie: Say L. (1889-1894). Stourm R.
(1885).
Pièces justificatives
Ce sont les documents authentiques émis par
l’administration, les créanciers ou débiteurs et le
comptable* lui-même pour justifier la régularité de
la dépense ou de la recette du comptable aux yeux
de la Chambre des comptes dont dépend ce dernier,
au moment de l’examen de ses comptes. Ces
documents, qu’on appelle aussi acquits* ou
décharges, parce qu’ils servent à décharger la
responsabilité du comptable article* par article, sont
utiles en ce que seule sa comptabilité est ou doit
être alors surveillée. Sous la Restauration, une
comptabilité en deniers est imposée à tous les
ministres, y compris le ministre des finances qui a
désormais le monopole des recettes de l’État. Cette
comptabilité sert à surveiller les dépenses des
ordonnateurs* et à contrôler les comptes des
comptables par la centralisation de toutes les
écritures des uns et des autres. Les pièces
justificatives à l’appui des ordonnances et mandats
de paiement des ordonnateurs font l’objet d’une
surveillance renforcée à laquelle ceux-ci ne peuvent
plus se soustraire. Le comptable, désonnais
subordonné au ministre des finances, doit vérifier
avant de payer les mandats qu’elles sont confonnes
à celles qui sont prescrites par les règlements
ministériels. Les ordonnances de paiement* des
ministres sont examinées par la direction du
mouvement général des fonds de ce ministère avant
d’être remises visées aux caissiers centraux. En cas
d’irrégularité dans les pièces, le paiement est
suspendu jusqu’à la production des pièces
régulières ou manquantes, et doit être rejeté si
l’ordonnateur ne les fournit pas, sauf le cas de la
réquisition du comptable, l’ordonnateur engageant
317
 alors sa propre responsabilité en lieu et place du
comptable. B.L.
Voir Comptabilité administrative, Comptable
public, Ordonnancement, Ordonnateur, Ordonnance
de paiement, Paiement, Trésorier général de la
Marine
Pitt William
Voir Angleterre
Pombal, Sebastiâo José de Carvalho e
Melo, marquis de (1699-1782)
En 1750, une ère nouvelle s’ouvre au Portugal avec
l’arrivée du roi Joseph I et la nomination d’un
diplomate éclairé, Sebastiâo José de Carvalho e
Mello, connu plus tard sous le nom de Marquis de
Pombal, au poste de ministre des affaires étrangères
et de la guerre (1750), puis chef du gouvernement
(1756). Les réformes politiques et administratives,
qui ont permis de renforcer le pouvoir du roi et de
moderniser l’économie et la société portugaise, ont
débuté en grande partie après 1755, date à laquelle
tous les fonctionnaires impliqués dans
l’administration de la nation, quel que soit leur
rang, furent placés sous la supervision de Pombal.
Figure politique majeure, Pombal occupe une place
centrale pour comprendre les principaux aspects du
programme spécifique et novateur du gouvernement
portugais entre 1756 et 1777. Il faisait partie de
l’élite portugaise éclairée, dont l’influence avait
commencé à se faire sentir au cours de la première
moitié du dix-huitième siècle, et plus
particulièrement d'un groupe de hauts
fonctionnaires et de diplomates désireux de
comprendre l’organisation de l’empire et les
pratiques économiques qui selon eux, expliquaient
la puissance et la richesse de la France et de la
Grande Bretagne. Bien que Pombal fût diplômé en
droit de l’université de Coimbra, sa carrière
diplomatique le conduisit tout d’abord à Londres,
en qualité de représentant de la Couronne
portugaise d’octobre 1738 à mai 1743, puis à
nouveau pendant une période de six mois en 1745,
et également à Vienne de 1745 à 1749.
L’action principale de Pombal pour diriger le pays a
été influencée par les modèles du monde entier qui
prévalaient en Europe à cette époque, les idéaux des
Lumières, les politiques mercantilistes, ainsi que les
expériences de plusieurs pays européens. Les
mesures législatives mises en place par Pombal
furent considérables par leur nombre et variées dans
leur nature. Elles concernent aussi bien la politique
religieuse, l’économie, l’éducation, la fiscalité et
l’administration et définissent le « Pombalisme »
comme ère de développement économique et social
du Portugal. Parmi ces mesures, il faut mentionner :
la création de plusieurs monopoles de commerce
chargés des échanges commerciaux avec les
colonies portugaises et à l'intérieur du pays ; la
318
création de la chambre de commerce (1756); la
fondation de l’Ecole de commerce (1759) ; la
création du Trésor royal (Eràrio Régio) chargé de
l’organisation des finances publiques, avec Pombal
au poste «d'inspecteur général» (1761);
l’abolition de l’esclavage en métropole (1761);
l’établissement du Collège de nobles dont la
mission était de donner aux enfants de la noblesse
des compétences professionnelles dans le domaine
du service gouvernemental ou militaire (1761) ; la
réforme de l’année avec le recours à des cadres
formés en Autriche et en Angleterre (1765) ; la
mise en place du premier groupe de professeurs des
écoles publiques (1772) ; la réforme de l’université
de Coimbra avec les premiers cours de médecine et
de science (1772), et la suppression de la distinction
entre « nouveaux » et « anciens » chrétiens (1773).
La mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures et
le renforcement de la puissance de l’État passaient
impérativement par l’amélioration des finances
publiques. Ainsi, l’élaboration d’un système de
collecte de l’argent public plus performant (grâce à
la création du Trésor public doté d’une comptabilité
centralisée, à la réduction de la contrebande, à
l’augmentation des taxes), combiné au
développement économique, allait permettre
d’augmenter les recettes de l’État. La réforme
comptable au niveau du gouvernement central
s’inscrivait dans le cadre d’une réforme majeure de
l’administration publique portugaise, qui s’est
traduite par l’adoption, en 1761, du système de
comptabilité en partie double au Trésor royal.
La réforme de 1761
Le Trésor royal a été fondé en 1761 dans le cadre
des réformes initiées immédiatement après le
tremblement de terre qui ravagea Lisbonne en 1755,
séisme qui, non seulement avait détruit la ville mais
avait également marqué la fin de la première
organisation publique portugaise responsable de
l’administration et de la supervision des finances de
l’État - le Bureau de douane [Casa dos Contos] en
détruisant pratiquement la totalité de ses archives.
Associée à d’autres mesures, la création du Trésor
royal entraîna la centralisation de la structure
administrative en rassemblant les services qui
étaient auparavant répartis entre plusieurs bureaux ;
la mise en place d’une administration intègre et
compétente spécifiant les fonctions et les
qualifications de chaque service ou poste, et la
division des services gouvernementaux.
L’organisation du Trésor royal, établi par la loi du
22 décembre 1761, avait en outre pour but de placer
la gestion des recettes et des dépenses sous la
responsabilité d’une seule personne, l’inspecteur
général du Trésor. Une importance considérable fut
accordée au nouveau système de comptabilité qui
devait être mis en place dès le début, ainsi qu’aux
personnels chargés d’appliquer cette nouvelle
méthode comptable. Le système de comptabilité en
partie double* devait à l’origine être adopté par la
loi de 1761 au niveau des quatre Contadorias
Gérais [Bureaux de Contrôle général], tandis que la
comptabilité à simple entrée était appliquée aux
autres niveaux.
Structure organisationnelle du Trésor royal à sa
création
L’adoption de la comptabilité en partie double
devait légitimer la nouvelle organisation en mettant
en place un semblant de rationalité et d'efficacité,
sur la base de l’expérience acquise par de
nombreuses grandes maisons de commerce qui
l’utilisaient dans les nations européennes les plus
développées. Plus spécifiquement, la loi de 1761
montre que la comptabilité en partie double était
également utile pour l'administration publique dans
la mesure où elle constituait « le système le plus
simple, le plus clair et le plus performant pour
organiser la gestion de sommes importantes, sans
fraude* » (article XII) et comme l’atteste Pombal
lui-même (1777). On pensait qu’en centralisant la
collecte des recettes et le paiement des dépenses au
niveau des quatre bureaux de contrôle généraux et
en adoptant la méthode obligataire, on mettrait fin
aux problèmes de l’organisation centrale
précédente, le Bureau de douane, jugé inefficace et
incapable de gérer l’argent public sans corruption
(Rau, 1951). On estimait par ailleurs que ce
système permettrait d’améliorer le contrôle
systématique des recettes et des dépenses par
l’établissement régulier de rapports et de bilans*
des recettes et des dépenses, comme l’exigeait la loi
(article XV). Celle-ci spécifiait également les
procédures administratives à suivre pour la collecte
de l’argent public et les livres comptables qui
devaient être utilisés par les différents services du
Trésor royal, y compris les colonies. La mise en
place de la comptabilité en partie double nécessitait
le recrutement d’employés compétents. En raison
du manque de personnels suffisamment qualifiés
dans la maîtrise de cette méthode, des hommes
d'affaires furent nommés au poste de contrôleurs
généraux à temps partiel. En outre, l’adoption de la
comptabilité en partie double au Trésor royal servit
d’exemple, non seulement pour les colonies, mais
aussi pour d’autres organismes publics, comme
l’Hôtel des monnaies de Lisbonne, contraint en
1769 d’adopter à son tour la comptabilité en partie
double « conformément aux pratiques en vigueur au
Trésor royal » (décret royal du 13 octobre 1769).
L’arrivée de Pombal au pouvoir constitue donc un
moment clé dans l’histoire de la comptabilité
portugaise car ce dernier voulait transformait et
développer le Portugal pour l’amener au niveau des
nations les plus influentes d’Europe. Selon ses
ternies, Pombal souhaitait « faire de la Couronne
portugaise une nation puissante et brillante » (1777,
p.85). Une attention particulière fut apportée à
l’administration publique par la création d'une
nouvelle organisation - le Trésor royal, qui fut
chargé d'appliquer de nouvelles pratiques et
procédures comptables, dans le but d'améliorer la
situation des finances publiques du Portugal. Les
initiatives et les actions de grandes envergures
voulues par Pombal ont cependant été sujettes à
controverses. On a notamment parlé à son sujet du
« Paradoxe des Lumières » (Maxwell, 1995). D.G.
Sources: BNP, Colecçâo Pombalina, reservados
PBA 165, 166, 167, 677; reservados, caixa 33. NL,
Colecçâo Pombalina, Côdice 695, Pombal, Marqués
de (1777). Apologias. Catalogos de todos os
papeis.... AHTC, Erârio Régio, collection, Décret
royal du 13 octobre 1769, Casa da Moeda, loi du 22
Décembre 1761, Erârio Régio.
Bibliographie: Barreto J., Escritos econômicos de
Londres (1741-1742), Lisbonne, 1986. Gomes D.
(2007). Macedo J.B., A situaçâo econômica no
tempo de Pombal: alguns aspectos, Porto, 1951.
Marques A.H.O., Histôria de Portugal, vol. II,
Lisbonne, 1984. Maxwell K., Pombal: paradox of
the enlightenment. Cambridge, 1995. Rau V.
(1951). Serrâo J.V., O Marqués de Pombal. O
homem, o diplomata e o estadista, Lisboa, 1982.
Serrâo J.V., Histôria de Portugal - a restauraçào e
a monarquia absoluta (1640-1750), vol. V,
Lisbonne, 1996. Serrâo J.V., Histôria de Portugal -
o despotismo iluminado (1750-1807), vol. VI.
Lisbonne, 1996.
Portugal
Le contexte économique et politique
A la fin du XVe et au début du XVIe siècle, le
Portugal était une puissance coloniale de premier
plan, consciente de sa position de nation
commerçante dominante et disposant de moyens de
navigation puissants. Les conditions favorables
offertes par les rois de ce pays avaient favorisé
l’installation de marchands étrangers venus
d’Angleterre, des Pays-Bas, d’Allemagne,
d’Espagne et de France ainsi que d’Italie. Cet essor
commercial avait fait de Lisbonne un port
important de l’Europe de l’Ouest. Au cours des
XVI-XVIIe siècles, le développement commercial
s’est concentré sur la façade atlantique, mais
l’influence du Portugal en tant que nation
colonisante devait faire face à la concurrence
d’autres puissances coloniales. La baisse générale
des recettes commerciales, l’instauration en 1531 de
l’Inquisition, qui incita un grand nombre de Juifs à
quitter le pays, provoquèrent le déclin. En 1580, le
Portugal perdit son indépendance au profit de
l’Espagne. Bien qu’il la recouvrât en 1640 et
conservât son empire, le pays n’était pas en mesure
de retrouver la position qu’il détenait auparavant.
Les menaces constantes de guerre avec l’Espagne et
les autres Etats rendaient la situation instable. Le
Portugal conclut une alliance avec l'Angleterre qui
lui fournit un soutien à la fois politique et
319
 économique qui allait s’intensifier de manière
significative pendant la première moitié du XVIIIe
siècle. Néanmoins, la concurrence commerciale
internationale demeurait forte, tandis que
l’Inquisition portugaise continuait d’avoir des
conséquences néfastes sur la vie de nombreux
hommes d’affaires influents et de leurs familles,
affaiblissant progressivement la bourgeoisie. En
censurant un nombre croissant de livres, cette
institution mettait en outre les Portugais à l’écart
des grands mouvements d’idées, ce qui se traduisait
par le déclin de la créativité intellectuelle et même
une certaine hostilité face aux idées nouvelles. Les
idées des Lumières n’ont commencé que lentement
à se répandre sous le règne de D. Joâo V (1706-
1750), monarque absolu. Pendant cette période, le
flux de diamants et d’or provenant du Brésil,
colonie la plus étendue et la plus importante de
l’empire, permettait l’entretien d’une cour
fastueuse. Néanmoins, l’économie était sous-
industrialisée et une part importante du commerce
du pays était passée sous le contrôle de marchands
étrangers. Les nations dominantes, comme
l’Angleterre et la Hollande, essayaient de contrôler
les importations de sucre, de tabac, de coton et de
riz par la création de grandes compagnies. L’intérêt
pour le commerce s’était considérablement accru
ainsi que la pression sur les gouvernements afin
qu’ils jouent un rôle actif dans l’économie et son
développement, ces deux aspects étant
caractéristiques du mercantilisme qui prévalait
même à cette époque.
En 1750, s’ouvre une nouvelle ère au Portugal avec
le règne de D José I (1750-1777) et l’arrivée de
Pombal*. Les réformes politiques et administratives
ne furent pas interrompues par le tremblement de
terre de 1755, bien au contraire. Cette catastrophe
fut l’occasion de mettre en œuvre des réformes
économiques importantes, de réduire la dépendance
portugaise vis-à-vis de l’Angleterre et surtout de
créer les conditions d’un renouveau politique.
Parmi les réformes adoptées, la comptabilité joua
un rôle important. Des mesures spécifiques furent
adoptées pour améliorer la formation commerciale
et comptable des marchands et des agents publics.
Au niveau du gouvernement central, la réforme
aboutit sur l’adoption de la comptabilité en partie
double* par le nouveau Trésor royal (1761). Après
1762 cependant, la situation économique évolua
sous l’effet de la baisse de la production d’or et de
diamants, aggravée par la guerre avec l’Espagne et
d’une crise économique qui dura plusieurs années.
On observa également une baisse du commerce des
esclaves et du sucre (l’Angleterre, la France et la
Hollande ne dépendant plus du sucre du Brésil
puisqu’ils disposaient de leurs propres sources
d’approvisionnement) et le pays connut une
stagnation économique générale.
Les pratiques comptables
320
Le Bureau de douane fut la première organisation
publique portugaise responsable de l’administration
et de la supervision des finances de l’État. Il avait
été fondé vers la fin du XlIIe siècle et au début du
XlVe siècle en raison de la complexité croissante
de la comptabilité publique au cours des premiers
siècles de l’histoire du Portugal et de la mise en
place de différentes institutions, suite à
l’installation de la cour à Lisbonne. Le système de
comptabilité adopté par le Bureau de douane était
celui de la reddition* de compte. La première
initiative majeure pour mettre en œuvre un système
de comptabilité publique plus sophistiqué date
d’une loi de 1516. Grâce à cette réforme,
différentes procédures et livres comptables avaient
été instaurés. En 1627, une nouvelle loi centralisa
toute la comptabilité publique du pays, y compris
celle des colonies, au niveau du Bureau de douane.
Cependant, et en dépit des contacts étroits entre les
marchands portugais et les hommes d’affaires
étrangers, notamment italiens, la comptabilité
publique, et probablement celle des marchands,
resta basée sur le système de la reddition de compte
pendant des siècles.
A la fin du XVIe siècle, la question se posa de
l’intérêt d’adopter la comptabilité en partie double
pour la gestion des finances du roi. Cependant,
l’argument qui prévalait à cette époque était que ces
pratiques convenaient pour les hommes d’affaires et
étaient inadaptées à la gestion des finances royales.
Malgré les dénonciations récurrentes de confusion
dans la gestion, il fallut attendre le XVIIIe siècle
pour que des mesures de fond soient prises. Par la
la lettre de loi du 22 décembre 1761, le Bureau des
douanes fut officiellement dissous.
L’arrivée de Pombal* généra un nouvel élan.
Notons que plusieurs manufactures fondées sous la
direction de la toute nouvelle chambre de
commerce créée en 1756 adoptèrent la comptabilité
en partie double, parfois avec l’aide de comptables
étrangers originaires d’autres pays européens.
Parmi elles, la Manufacture royale de soie,
nationalisée en 1750, était dans l’obligation
statutaire se suivre cette méthode. Les comptables
étaient « recrutés à Venise et Gênes contre des
appointements fixés à um conto de reis e très mil
cruzados », selon Pombal. Dans de nombreux
domaines professionnels, l’État rémunérait des
immigrés chargés de former les Portugais. Des
comptables italiens et français étaient au service des
manufactures et des monopoles portugais. Ainsi la
société de Grâo-Parâ et Maranhào (1755) employait
un comptable français chargé de mettre en place le
système de la comptabilité en partie double. Par
ailleurs, à la Chambre de commerce, un marchand
italien occupait le poste de comptable, auquel
succéda un autre comptable italien, tandis que le
troisième comptable nommé fut un portugais,
diplômé de l’Ecole de commerce.
Une autre mesure importante concerna en effet la
création de l’Ecole de commerce par décret royal
du 19 mai 1759. Cette initiative s’inscrivait dans le
cadre d’une réforme plus large de l’enseignement
visant à placer l’éducation sous le contrôle de
l’État, séculariser l’enseignement et standardiser les
programmes. L’importance de l’Ecole de commerce
est attestée par l’engagement du gouvernement dans
sa création. De plus, il est prouvé que l’Ecole de
commerce fut la première école d’État spécialisée
dans l’enseignement de la comptabilité. Les
étudiants suivaient des cours dans les disciplines
commerciales, notamment l’arithmétique, l’algèbre
et la géométrie ; on leur apprenait le change, les
poids et les mesures de différents pays, l’assurance
ainsi que le système de la comptabilité en partie
i
double. A l’issue de leur formation, les diplômés
étaient recrutés dans différents secteurs, comme les
maisons de commerce, en qualité de comptables, ou
par les établissements commerciaux, militaires et
religieux, ou encore par des organismes publics
i comme le Trésor royal. Cette école a permis
d’améliorer considérablement le niveau culturel et
les connaissances techniques des marchands et des
fonctionnaires. La loi du 30 août 1770 exigea
d’ailleurs, non seulement que tous les marchands,
comptables, caissiers, maisons de commerces,
corporations et sociétés publiques ou privées soient
enregistrés auprès de la Chambre de commerce,
mais aussi qu’un niveau de qualification minimum
obtenu auprès de l’Ecole soit acquis afin d’occuper
certains postes publics, impliquant par conséquent
une connaissance de la comptabilité en partie
double pour l’obtention de ces postes à partir de
cette époque.
La création du Trésor royal en 1761 constitua une
autre mesure phare. Cette institution remplaçait le
Bureau de douane détruit par le tremblement de
terre de Lisbonne et jugé inefficace et corrompu. Le
Trésor royal fut le premier service gouvernemental
central à adopter le système de comptabilité en
partie double, ce qui constitua une première étape
cruciale dans l’institutionnalisation de cette
technique à l'échelle du pays et de l’empire. Entre
1761 et 1777, aucun changement majeur n’intervint
concernant le système comptable défini dans la loi
de 1761. Les dispostitions de celle-ci furent
régulièrement rappelées pour lever les difficultés
d’application. Le manque de personnel qualifié fut
en grande partie comblé après 1763 avec l’arrivée
d’un nombre croissant de diplômés de l’Ecole de
i
commerce qui constituaient un groupe disposant
d'un socle commun de connaissances commerciales
et comptables. Par décret, les diplômés de l’Ecole
de commerce furent autorisés à mettre en pratique
le savoir théorique qu’ils avaient acquis à l’Ecole
en qualité d’apprentis au Trésor royal.
Cependant, la diffusion de la comptabilité en partie
double demeura limitée. Pour les colonies, les
employés qualifiés étaient envoyés de Lisbonne
pour aider à l’instauration des nouvelles procédures
comptables et administratives, mais sans qu’il leur
soit demandé de mettre en œuvre ou de contrôler un
système intégral de comptabilité en partie double tel
qu’il était appliqué au niveau des quatre bureaux de
Contrôle général dès 1761. Bien que formés à ce
système, les responsables recevaient pour mission
de ne pas mettre en œuvre cette méthode jugée trop
complexe et d’application onéreuse. On leur
demandait au contraire de mettre en place une
méthode simplifiée, dérivée de celle utilisée au
Trésor royal. On notera l’exception notable faite
pour l’Angola. Bien que cette colonie fût à l’origine
soumise à un système simplifié, des circonstances
particulières aboutirent en 1772 à la mise den
œuvre de la comptabilité en partie double, lorsque
le Trésor royal prit directement la direction des
recettes tirées du commerce des esclaves et de
l’ivoire. On aurait pu penser qu’au fil des années,
avec l’arrivée de diplômés de l’Ecole de commerce,
les effets du manque de personnels qualifiés se
seraient fait moins sentir et que par conséquent, la
comptabilité en partie double serait entrée en
vigueur dans toute l’administration de l’empire,
mais cela ne fut pas le cas. L’uniformisation et la
standardisation des pratiques comptables et des
informations nécessaires au contrôle de l’empire à
distance furent accomplies par une méthode
simplifiée.
Le règne de D. Marie I et la chute du gouvernement
de Pombal (1777) inaugurèrent une nouvelle
politique, mais le Trésor royal continua d’appliquer
les mêmes pratiques administratives et comptables.
Certains changements furent introduits dans la
structure du Trésor, notamment la division des
bureaux du Contrôle général. Le Trésor royal fut
officiellement aboli en 1832 à la suite de la
révolution libérale, tandis que l’Ecole de commerce
fut fermée en 1844. D.G.
Sources: Pombal, S. de Carvalho e Melo (1775).
Loi du 30 août 1770. Décret royal du 14 mai 1750.
Décret royal du 30 septembre 1756: Estatutos da
Junta do Comércio. Décret royal du 19 May 1759 :
Estatutos da Aula do Comércio. AHTC, Erârio
Régio, collection, Books 1-142, 155-173, 330-346,
350-357, 405, 407-409, 438, 461, 492, 537-541,
546-549, 550-572, 849, 2699-2701, 2716-2725,
2731-2791, 3609, 3717, 3976-3977, 3981-3988,
3997-4005, 4024, 4040, 4055, 4061, 4070, 4072,
4154-4155, 4160-4163, 4167-4174, 4193, 4218,
4223, 4233, 5322.
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Lisbonne, 1980-1996.
Preuves
Voir Pièces justificatives
Prévision
Voir Budget, Etat
Principes budgétaires, comptables
Le régime juridique du budget*, en tant qu’acte de
prévision et d’autorisation des mouvements
financiers, est défini par des normes. Inscrites dans
le droit positif, ces règles relatives allaient montrer
certaines permanences que l’on finit pour des
raisons didactiques par appeler « principes » au
XXe siècle, c’est-à-dire des règles que l’on
souhaitait pérennes. Formalisés au cours du premier
tiers du XIXe siècle et regroupés au sein du
règlement général* de la comptabilité publique de
1838, les principes budgétaires sont le fruit de
tentatives répétées de soumission des finances
publiques à des règles de bonne administration qui
remontent à la monarchie. Les circonstances font
que ces principes seront discutés lors d’une période
d’émancipation parlementaire et qu’ils revêtiront
alors une signification profondément politique sur
322
laquelle les commentateurs ultérieurs insisteront.
Pour autant, ces règles (la séparation des
ordonnateurs* et des comptables, l’annualité*,
l’unité*, l’universalité*, la spécialité* et la sincérité
budgétaire) s’inscrivent lors de leur élaboration
dans des contextes très techniques.
La bonne administration du système financier
D’un point de vue « technique » et bien avant leur
formalisation juridique, les financiers du royaume
mettaient en œuvre des règles de présentation des
comptes qui concouraient à l’établissement d’outils
de prévision et d’autorisation en quête d’« ordre et
de lumière ». Les arrangements de finances*, les
états* étaient de véritables budgets* annuels
spécialisés par département ministériel.
L’annualité* de l’établissement de ces documents
permettait à la fois l’information régulière du
pouvoir et le renouvellement, autant que
l’authentification par le roi, de l’autorisation des
mouvements financiers. L’averdy, au milieu du
XVIIIe siècle, initia un regroupement de ces états*
qui préfigurait l’unité* du « budget ordinaire ». Il
s’agissait autant de favoriser la lisibilité des
prévision en synthétisant les différents documents
financiers que de tenter d’établir l’équilibre* des
finances du royaume. La distinction opérée entre les
finances ordinaires et les finances extraordinaires
permettait de cloisonner financièrement les
opérations « courantes » des opérations
« exceptionnelles ». Ce sont toujours des
contraintes techniques, liées à la difficulté de la
circulation des fonds qui poussèrent à la pratique
des assignations* et donc à l’affectation des recettes
à des dépenses. Les mouvements financiers étant
déconcentrés par nécessité, seul le produit net* de
l’impôt remontait au Trésor royal*. Enfin, les
tentatives de lutte contre l’opacité de la matière
concouraient à une forme de clarté de la matière
comptable en général.
Les garanties politiques du Parlement
D’un point de vue « politique », la formalisation de
l’ordre juridique consécutif à la Révolution
coïncide avec l’intrusion de la représentation
nationale dans le débat institutionnel. En France,
sous les monarchies censitaires, les débats qui
émaillent l’adoption, l’exécution ou le contrôle du
budget* sont le moment de véritables joutes
oratoires qui traduisent la volonté du Parlement de
mettre en œuvre une forme de contrôle du
gouvernement. Dès lors, l’annualité* de la
discussion matérialise le renouvellement périodique
du consentement de l’impôt et de la mise à
disposition des crédits budgétaires. Elle sera
poursuivie au XXe siècle par la quête de
l’antériorité du vote qui exige que le budget soit
voté avant le commencement de son exécution. La
spécialité* des crédits budgétaires traduit la finesse
de l’information financière livrée au Parlement s’il
s’agit de la nomenclature de présentation des
crédits, ou la précision de son pouvoir de contrainte
sur l’exécution du budget s’il s’agit de la
nomenclature de vote. L’unité* est perçue comme
un élément de la qualité de l’information, la
représentation nationale revendiquant un document
unique contenant l’ensemble des données. Ce
dernier argument sera aussi employé pour justifier
l’universalité* budgétaire, qu’il s’agisse de la
présentation du produit brut* des recettes ou de la
non-affectation* de ces dernières à des dépenses
précisément identifiées. Enfin, la loyauté des
comptes relève de l’évidence. Quel Parlement
tolérerait le doute quant à la fiabilité de
l’information fournie par le gouvernement ?
La signification politique des principes dans ce
contexte ne fait pas de doute et il devient paradoxal
de constater leur « épanouissement » sous la
Restauration ! Le Parlement est alors vecteur de
deux tendances qui, bien que politiquement
antagonistes, vont converger vers cette finalité
commune. D’un côté, le Parlement est un lieu de
représentation des forces conservatrices, les « ultra-
royalistes », qui vont tenter d’endiguer les
aspirations libérales de certains gouvernements en
les contraignant dans la mise en œuvre de leurs
budgets*. Ces victoires sonnent comme autant de
défaites puisque in fine, elles ne font que renforcer
le contre-pouvoir au roi que représente le
Parlement. D’un autre côté, ce dernier est aussi le
lieu d’expression de la bourgeoisie naissante qui
tente d’imposer une vision « libérale » de la société.
De ce point de vue, les règles budgétaires favorisent
l’accès à l’information financière et pennettent
indiscutablement une meilleure insertion des
représentants dans la vie publique. C’est cette
dernière analyse qui va inciter, un siècle plus tard,
les héritiers des libéraux à la promotion de
l’intangibilité des règles sous la forme de
« principes ». S.K.
Voir Affectation, Annualité, Equilibre, Produit brut,
Spécialité, Unité, Universalité
Bibliographie : « Les grands principes du droit
budgétaire de l’État » Cahiers de la comptabilité
publique n°l, Caen, 1989. Gilles W. (2009).
Produit brut, produit net
Le produit brut de l’impôt est l’ensemble des
recettes collectées auprès des contribuables. Le
produit net est la part des recettes versée au Trésor.
Les frais de perception et d’exploitation des impôts
apparaissent le plus souvent dans les comptes
élémentaires d’une administration, et ce dès le
début de l’époque moderne. La question plus
épineuse du report de ces frais dans les comptes
centraux a été réglée tardivement. Elle devient une
préoccupation centrale au cours du XVIIIe siècle
sous l’effet combiné du développement de la
pensée économique et de la nécessité d’une gestion
plus rigoureuse des dépenses. Avant cette époque,
et le plus souvent jusqu’au début du XIXe siècle, la
présentation du produit net domine dans les
comptes centraux.
La recette réellement disponible
Un intérêt de pratiquer une présentation en
« produit net » est de coller à la réalité du produit
fiscal. Les impôts affermés correspondent par
essence au calcul du produit net. Les fermiers* se
rémunèrent sur la plus value fiscale réalisée. Seul le
«produit net» de l’impôt revient au Trésor*. Les
fermiers n’ont pas intérêt à révéler au pouvoir la
marge réalisée sur la collecte qui permet de couvrir
leurs frais de perception* et le bénéfice réalisé qui
correspond au risque pris sur le montant négocié.
Necker explique ce point : « le bail de la Ferme
générale* se monte à cent vingt deux millions neuf
cents mille livres. Mais les Fermiers généraux
n’étant admis à un partage dans les bénéfices qu’au-
delà de Cent vingt six millions, c’est une preuve
qu’ils ont estimé eux-mêmes que les produits
surpasseraient cette dernière somme ; ainsi, l’on
peut la regarder comme un revenu sur lequel Votre
Majesté peut compter ». Necker tente d’établir une
prévision fiable du montant des revenus royaux.
Inversement, les impôts gérés en régie* peuvent
générer une moins value que Necker appelle
« déficit des impôts » : « c’est-à-dire, ce qu’ils
produisent de moins qu’on n’avait arbitré ». Là
encore, on n’inscrira que le produit net, au sens de
ce qui a été réalisé : ce qui est disponible pour le
roi, transmis au Palais et compté au Trésor royal*.
La technique du produit net implique, à l’image de
ce qui se passe naturellement pour la ferme*, de
déduire les frais de perception* des régies. Ce
produit correspond pratiquement aux liquidités de
la Couronne comme en témoigne Alonso Barbéro
dans son ouvrage Lumière et clarté pour les
contrôleurs des comptes des districts de 1694 : « la
valeur fixe c'est ce qui, une fois déduits les frais
d'administration, reste liquide, et c'est sur sa base
qu'on donne une assiette aux rentes annuelles des
juros ».
La gestion du mouvement des fonds* était un
problème crucial jusqu’à la centralisation des
différents comptes. La gestion de la trésorerie s’est
construite autour des assignations* qui permettaient
de faire prendre en charge localement certaines
dépenses. Il s’agissait d’affecter comptablement
certaines dépenses à certaines recettes. Cette
affectation* amputait d’autant le montant
« disponible » pour le Trésor royal. Le Compte
rendu au roi de Necker est bien présenté en
contraction entre les dépenses assignées sur les
caisses et leurs recettes. On dépasse ici le strict
cadre des dépenses nécessaires au recouvrement
puisque sont déduites toutes « les charges assignées
sur ces mêmes impositions ». Il peut s’agir de
remises* d’imposition ou de libéralités accordées
323
par le roi. Ces dernières s’entendent au sens le plus
large, secours, pensions, récompenses... Sur la
ferme générale*, dont le montant était évalué à
126 000 000 de livres « il est à déduire les diverses
charges assignées maintenant sur la Ferme générale
et qui se montent à 77 573 000 livres. Ainsi, il ne
reste à compter au Trésor royal sur cette partie des
revenue de votre majesté, que 48 427 000 ». Le
produit net se comprend bien comme le produit de
l’impôt amputé des frais de perception et des
différentes assignations opérées sur la caisse pour
des raisons d’organisation de la circulation des
fonds.
Le produit brut pour établir la réalité des coûts de
fonctionnement de l’administration
Les réformes de la comptabilité autrichienne du
milieu du XVIIIe siècle eurent notamment pour
objectif de faire apparaître le produit brut des
revenus dans le Grand-Livre* central, tant pour les
Etats héréditaires, que pour les territoires annexes
comme la Bohême, la Hongrie et les Pays-Bas. Les
instructions de Locher* et Schwarzer*, conseillers
viennois chargés de la réforme à Bruxelles, attestent
de cette préoccupation : « pour les comptes du
revenu net, le plan existoit déjà tout fait, nous en
trouvions l’esquisse distincte à notre arrivée à
Bruxelles... Mais quant au produit brut des revenus
de Sa Majesté et des administrations municipales, il
n’y a pas encore de plan fixe, nous devons en faire
le projet». Il s’agissait de justifier l’emploi de la
portion des deniers levés sur les peuples et restée
dans les mains des administrations subalternes. En
France, on appliqua la technique du produit net
jusqu’à la Restauration. Le changement de méthode
fut formalisé à l’article 149 de la loi du 25 mars
1817 qui dispose: «Le ministre des finances
présentera (...) le compte du recouvrement des
produits bruts des contributions directes et
indirectes ». En 1822, Masson* critique la pratique
du produit net : « Ces résultats incomplets étaient
pour les administrateurs inhabiles ou infidèles un
moyen commode de réticence et de déception ;
puisqu’au lieu de deux faits élémentaires (le produit
brut et les frais faits pour l’obtenir), ils ne tiraient
en ligne qu’un fait composé (le soi-disant produit
net). Mais, de bonne foi, y a t-il un produit net
quelque part, et surtout pour un rendant compte ?
Percevoir d’un côté, dépenser de l’autre, ne sont-ce
pas là deux actes administratifs d’une nature
opposée, et dont il doit être compté
distinctement ? ». Masson préfère le produit brut
qui permet d’embrasser l’ensemble de l’activité du
service. Proche collaborateur d’Audiffret*, il ne
cherche pas l’émancipation du Parlement, mais la
clarté des comptes à destination du pouvoir au sens
le plus large et l’accroissement de l’efficacité
financière de l’administration des finances.
L’application du produit brut permet précisément
d’envisager l’appréciation de l’efficacité de
324
l’administration. Masson prend pour exemple
l’application du produit net à la loterie* :
«L’administration des Finances a propagé elle-
même un erreur qui l’accusait, relativement aux
frais de perception des impôts. Cette administration
s’obstinait à ne porter en ligne de recette (au lieu de
55 à 60 millions qu’elle perçoit annuellement par la
loterie) qu’environ 12 à 15 millions qui lui restent,
après distribution faite des lots gagnants. La remise
allouée aux receveurs est de six pour cent, et cette
remise s’applique, comme il est juste, sur la totalité
des recettes brutes, c’est-à-dire sur 60 millions.
Ainsi c’est une dépense d’environ 3 600 000, à
laquelle il faut ajouter à peu près 900 000 francs
pour les dépenses de matériel et d’administration,
ce qui fait un total annuel de 4 500 000 francs.
Mais, comme le ministre des finances ne faisait
ressortir dans le budget que 15 millions pour la
recette, on était naturellement induit à rapprocher
ces deux dernières sommes, lorsqu’on voulait
établir la proportion des frais avec les produits. On
en concluait donc, que l’impôt de la loterie, si
justement blâmé à d’autres égards, avait encore
l’inconvénient de coûter trente pour cent de frais de
perception». L’intérêt du produit brut, dans ce
contexte, est de faire ressortir la notion de marge
pour établir de manière plus pertinente la notion de
coût de fonctionnement du service et justifie la
reprise en main de la gestion des finances par
l’administration plutôt que par des délégations* de
service public. Cari August Malchus* fit état du
débat français dans son traité de 1830 : « Le budget
n’est rien de plus que l’état de tout ce qui
légalement doit entrer au Trésor et de tout ce qui
légalement doit en sortir; ces produits bruts sont des
quantités purement fictives, construites après coup
sur des relevés de chiffres, mais qui jamais, dans
aucun tems ont existé sous cette forme brutte »,
entendit-on d’après lui à la chambre des pairs en
1821. D’après l’écrivain allemand, les pratiques
différaient encore grandement d’un Etat européen à
l’autre à son époque : « Dans la monarchie
prussienne par exemple, les dépenses liées au
recouvrement sont déduites du revenu brut et seul le
revenu net est inscrit dans l’état* général des
finances. En France* au contraire, le revenu brut est
inscrit en recette et les frais de recouvrement, et en
général les dépenses de l’administration
élémentaire, sont inscrits en dépense dans le
budget*. En Angleterre*, les frais de perception
apparaissent dans chacune des douze rubriques de
recettes du budget mais dans une colonne séparée ».
Ce n’est qu’en 1834 que les crédits votés au
Parlement anglais le seront selon la règle du produit
brut. S.K.
Voir Affectation, Universalité (principe d’)
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 185, f3 560,
Mémoire de 1784. Malchus C.A. (1830), vol. 2, p.
104. Masson V.A. (1822). Necker J. (1781). Loi du
25 mars 1817.
Bibliographie : Dubet A. (2009). Molinier J.
(1989).
Prospectus
Le livre de prospectus est le registre créé par le
décret du 16 août 1791 organisant la Trésorerie
nationale* pour inscrire toutes les dépenses à faire
d’après les décrets de l’Assemblée nationale.
Préparé tous les ans à l’avance pour l’année
suivante, il était monté à partir des états de
distribution*. Chaque département y avait son
compte ouvert. M.-L. L.
Sources : Décret du 16 août-13 novembre 1791
relatif à l’organisation de la Trésorerie nationale, in
Duvergier J.B. (1834), t. III, p. 215.
Protocole
Du latin médiéval protocollum. Ce dit d’un registre
authentique, par exemple du registre d’actes de la
chancellerie d’Empire ou plus communément du
registre de minutes des notaires. De tels registres
concernaient notamment les engagements et
transactions financières signées par les autorités
publiques et à ce titre, étaient utiles à la formation
des états prévisionnels de recettes. A Vienne, le
comte Gundaker Thomas von Starhemberg*
proposa en 1703 de faire dresser le Grand-Livre
(Hauptbuch) à partir du protocole (Hauptprotokoll)
de la chancellerie. M.-L. L.
Prusse
On peut faire remonter l’histoire des comptes
publics de la monarchie prussienne au temps de
Ludwig von Eyb (1417-1502) qui entra au service
du prince-électeur de Brandebourg, Albrecht
Achilles (1470-1486) en 1455 et en dirigea les
finances. Sa réforme comptable, considérée comme
détenninante par l’historiographie allemande, se
décompose en plusieurs éléments. En premier lieu,
il forma un état estimatif général des recettes et des
dépenses (Jahreshauptrechnung) de la maison du
prince, état qui faisait voir pour une année ce sur
quoi ce dernier pouvait compter. Cet état ordonnait
les recettes et les dépenses selon un ordre clair en
distinguant nettement les dépenses de cour par
exemple, ce qui pennettait une gestion plus
cohérente des fonds dont un tiers fut consacré à
l’administration intérieure et à la cour, un tiers à
l’amortissement des dettes du prince, et un tiers à
une réserve de guerre. Cet état général fut divisé par
Eyb en quatre états trimestriels
(iQuartalsrechnungen) bâtis comme l’état général.
Eyb voulut surtout suivre les dépenses de la maison
princière en faisant ouvrir par les quatre principaux
officiers de cour quatre registres (Küchen, Keller
Silberkammer et Marstallregister) chargés
d’enregistrer l’état hebdomadaire des dépenses. Ces
livres hebdomadaires pennettaient de dresser un
compte trimestriel et un compte annuel des recettes
et dépenses de la cour, sur la base duquel l’état
estimatif de l’année suivante était construit. En
outre, Eyb innova en faisant tenir quatre registres
de contre-rôle parallèles aux registres de cour.
Comme partout, les revenus de la principauté
provenaient des domaines* et des contributions
fiscales. Le Brandebourg se composait de pays
dirigés par les corps intermédiaires nobles qui
consentaient l’impôt au prince, en avaient
l’administration et restaient maîtres des dépenses
sur ces levées fiscales. Sur ces corps, le prince
procédait selon le principe de l’assignation* (ce que
les historiens allemands désignent par Fondsystem)
et le contrôle consistait dans la tenue d’un livre qui
enregistrait ce qui revenait bon* à la cassette du
souverain et ce qui était acquitté sur ce fonds. Dans
l’administration des domaines*, les registres
élémentaires des différents receveurs enregistraient
les recettes en nature et en espèces. A l’échelle
centrale, un registre général existait; il fut flanqué
au XVIe siècle d’un contre-rôle. Le registre des
domaines et son contre-rôle (registre des
quittances*) étaient comparés tous les mois. Sur ces
revenus du domaine, le prince procédait également
par assignation. L’ordonnance du 8 juin 1617
établit, à côté du compte général des revenus du
prince, des comptes secondaires (Geld-, Korn-,
Vieh-, Küchen und Kellerrechnungen, que l’on peut
traduire par comptes des deniers, des blés, du bétail,
de bouche, de cave, auxquels s’ajoute le compte
d’inventaire), appelés également
Quartalsrechnungen parce qu’ils étaient clos tous
les trimestres. Ces comptes étaient tenus dans
l’ordre des rubriques* du compte principal.
Au temps de Frédéric-Guillaume de Brandebourg
qui régna de 1640 à 1688, l’expansion territoriale
de la principauté des Hohenzollem se traduit
d’abord par une réorganisation du Conseil (4
décembre 1651) dont l’autorité devait s’étendre non
seulement au Brandebourg, mais aussi à la Prusse
ducale, au comté de la Marck, au duché de
Clèves... Due à Georges Frédéric von Waldeck,
l’instruction de 1651 ordonna aux conseillers
d’Etat : de faire tenir un livre des recettes et
dépenses des fonds du Trésor et de l’examiner
chaque semaine; de faire tenir un registre principal
des assignations ordonnées par le prince sur ces
fonds; de tenir un autre livre pour les assignations
sur les autres objets (autres caisses); et surtout
d’inspecter toutes les administrations territoriales
particulières pour en connaître l’état des caisses.
Cette instruction fut complétée par celle du 14
novembre 1659 par laquelle Frédéric Guillaume
exigea la formation, tous les trimestres d’extraits*
(Quartaliter richtige Extrackte) des registres de
recettes et dépenses et des assignations, espérant
ainsi avoir une idée claire de la situation de ses
finances. Toutefois, la connaissance de l’ensemble
325
 des revenus de l’Electorat et des mandats de
paiement sur les caisses fit encore défaut pendant
quelques décennies. Au sein du conseil, la direction
des finances se concentra dans les mains de
conseillers qui cependant, n’eurent pas encore
l’autorité d’un ministre principal des finances.
L’arrivée de Dodo von Knyphausen* (1684)
accéléra la formation d’une telle administration qui
prit le nom, au sein du conseil, de Geheime
Hofkcimmer. Cette chambre reçut des instructions
énergiques pour obtenir les extraits de comptes des
receveurs et trésoriers provinciaux qui devaient
faire leur gestion dans une période bien définie de
quatre trimestres, faire clore les comptes tous les
trimestres, envoyer leurs comptes annuels et les
extraits trimestriels à la chambre pour qu’ils soient
comparés avec les livres tenus par les
adminsitrateurs centraux (1689). En outre, une
caisse centrale fut créée en 1696 pour recevoir les
revenants-bon des caisses subalternes des domaines
et une Direction supérieure des domaines (Ober-
Domànen Directorium) fut instituée le 17 mars
1698. Le Trésorier des domaines
(Oberrentmeister), Christian Frédéric Kraut, était
compétent pour contrôler les trésoriers provinciaux.
Trois instances dominaient donc les finances à cette
époque : la chambre aulique (Hojkammer), la
direction ou le directoire des domaines et le
commissariat général de la guerre, érigé en 1655
pour superviser la gestion des ressources de l’armée
(notamment les contributions directes consenties
par les Etats provinciaux et l’octroi sur les
marchandises). Grâce à ces innovations
centralisatrices, un premier bilan chiffré des recettes
et des dépenses de tout le Brandebourg-Prusse put
être établi pour l’année 1689-1690, sous l’electorat
de Frédéric Ier de Prusse revint aussi la création de
la première Chambre des comptes (Ober-Rechen-
Kammer) en 1707.
Le règne de Frédéric-Guillaume Ier fut marqué par
la formation d’un véritable ministère collégial des
finances, le grand Directoire*, en deux temps :
d’abord la réunion de la chambre (Hojkammer) et
de la direction supérieure des domaines (27 mars
1713) en un Directoire général des finances
(Generalfînanzdirektorium), puis l’adjonction du
commissariat de la guerre pour former en 1723 le
grand Directoire ou « Directoire général des
finances, de la guerre et des domaines » (instruction
du 20 décembre 1722 et patente du 24 janvier
1723). Cette instance fut chargée de la direction de
toutes les finances, de la formation des états
estimatifs, de la tenue des comptes et du contrôle
comptable. Sous son autorité fut érigée un Fiskalat
général (18 janvier 1723) qui avait la connaissance
des affaires liées à la perception des impôts et une
nouvelle Chambre des comptes ( juin 1717 et 2
mars 1723). Notons que dès 1714, par le rescript du
22 novembre notifiant aux chambres provinciales
d’envoyer à l’avenir toutes les quittances et les
326
pièces jutificatives à la Chambre des comptes de
Berlin, le roi-sergent avait fait évoluer cette
institution créée par son père en une autorité de
contrôle sur l’ensemble des territoires dominés par
les Hohenzollem : après avoir été vérifiés par les
présidents des chambres provinciales, les comptes
des domaines et des impôts devaient être révisés et
jugés à la chambre supérieure des comptes dans
l’année qui suit l’exercice. Cependant, il plaça cette
instance sous l’autorité directe du Directoire : son
président, Bogislav von Creutz, contrôleur général
de toutes les caisses de Prusse, était ministre, vice-
président du Directoire et à sa mort, en 1731, aucun
successeur ne fut désigné. Quant au contrôle des
caisses, il se faisait par visite* chaque samedi pour
les caisses centrales établies à Berlin (caisse des
domaines, caisse générale de la guerre, caisse
générale des emplois, caisse des amendes et caisse
de l’extraordinaire) par les cinq ministres du
Directoire et toutes les semaines pour les caisses
provinciales par les présidents des chambres.
Le roi renforça la « budgétisation » des dépenses en
faisant dresser deux états généraux (un pour les
revenus des domaines et un pour les revenus de la
guerre) en trois colonnes pour chacun : les recettes
ordinaires et extraordinaires, les dépenses
ordinaires et extraordinaires et la colonne pour le
calcul du total des recettes et du total des dépenses;
l’état général pour les domaines contenait par
ailleurs un « Extraordinàrer Bau und Meliorations-
etat » dit Extraordinarium pour prévoir les
dépenses d’aménagement. Ces états, divisés en
trimestres, étaient également formés pour chaque
province. Les présidents des chambres provinciales
(chambres de la guerre et des domaines dans
chaque district) fonnaient des propositions dont les
postes devaient correspondre aux états généraux.
L’exécution de ces états avait lieu du 1er juin au 31
mai. Les extraits* de comptes que faisaient parvenir
les chambres provinciales permettaient de suivre la
situation de la trésorerie selon le principe du produit
brut*. Concernant les caisses, Schneider établit
clairement que leur comptabilité suivait le style
caméral : un ordre du cabinet adressé le 25 février
1725 au grand Directoire réclame de porter
attention à ce que la comptabilité des caisses des
impôts comprenant le journal et le manuel, soit
également suivi dans l’administration de la
chambre. Les caissiers faisaient clore leurs manuels
ou livres de rubriques* tous les mois (pour les
caisses des impôts) ou tous les quartaux (pour les
caisses des domaines) et les extraits de leurs livres
étaient envoyés à la chambre pour examen. Quant à
savoir s’il s’agissait du nouveau style de la
comptabilité camérale*, l’auteur est également
affirmatif (Schneider F., p. 88-89), sans toutefois en
apporter la preuve : si ce qui est dû était bien établi
comme une dette par le caissier, la fidélité de son
extrait de compte* ne pouvait pas être pleinement
assurée comme le conçoit la méthode de
Puechberg*. Le compte qui se présentait comme ci-
dessous restait fondé sur la seule garantie du
caissier.
Etatsoll Wirklich. Ist Rest
Soll
Le roi Frédéric II (1740-1786) poursuivit l’oeuvre
de son père en développant l’administration du
grand Directoire (8 départements). Sa politique
économique et financière, fondée sur le
développement des fabriques et manufactures, le
renforcement des monopoles d’Etat et plus
généralement la centralisation de la gestion des
revenus, s’appuya pour partie sur une
administration française, la régie* des accises et des
péages. Cette politique, qui devait avant tout servir
l’armée, négligea l’intégration administrative des
territoires, laissés aux mains de la noblesse
terrienne. La formation des états n’évolua pas
fondamentalement. Le grand Directoire dressait les
états généraux d’après les états provinciaux et après
l’exercice fait, toujours divisé en quartaux, l’on
calculait la balance des recettes et dépenses.
Frédéric II compléta néanmoins la législation de
son prédécesseur par les instructions du 30 mai
1768 et du 13 février 1770 adressées à la chambre
supérieure des comptes. Par celle du 30 mai 1768, il
dédoubla les fonctions présidentielles de la
Chambre des comptes, désignant un chef-président
et un président, augmenta le personnel, et exigea
plus de soin et de rapidité dans l’exécution des
affaires. Frédéric II s’était déjà plaint en 1748-1750
de l’impéritie de la chambre et même « de la
négligence irresponsable » dans la réception des
comptes de caisses de gabelle de Halle. Il
encouragea les calculateurs* de la chambre en leur
accordant 8 sous par erreur découverte. Par
l’instruction de 1770, l’ordre à respecter pour
monter la comptabilité des recettes et des dépenses
fut clarifié : pour les recettes, les comptes de caisse
devaient faire voir par article et chapitre chaque
objet de revenu avec à chaque fois 1) ce qui doit
être reçu selon l’état estimatif; 2) ce qui a été
effectivement reçu; 3) la différence entre les deux et
4) les raisons de cette différence. Le restant en
caisse* devait en outre apparaître pour chaque
compte de caisse, accompagné d’un bordereau des
espèces*. Les dépenses devaient être enregistrées
selon le même principe. De plus, le souverain
resserra le contrôle des caisses qu’il confia à des
commissaires par l’instruction du 13 juillet 1770 :
la caisse générale de guerre, la caisse générale des
domaines, la caisse des pensions, de la loterie*, des
manufactures de porcelaine, de l’artillerie, de la
cour... subirent un examen spécial de commissaires
désignés par le roi, tandis que les conseillers de la
chambre supérieure des comptes procédaient au
jugement pour décharger* les comptables de leur
gestion.
Cette dualité des fonctions de contrôle laissait la
part belle à l’autorité du souverain et fut corrigée
par Frédéric-Guillaume II qui rendit la plénitude de
ses fonctions à la Chambre des comptes par les
instructions du 2 novembre 1786 et du 4 novembre
1796. L’instruction de 1786 donnait au président de
la chambre la possibilité de désigner les membres
de sa compagnie et inaugurait un nouvel usage : la
remise au roi d’un rapport annuel des activités de la
chambre. C’est ainsi que l’on apprend, par le
rapport annuel du 31 décembre 1788 par exemple,
que la chambre avait examiné dans le courant de
l’année 15 798 comptes et recouvré 15 299 thalers
de dépenses injustifiées. En 1796, la chambre fut
directement rattachée au souverain : non seulement
elle fut détachée du grand Directoire et acquit ainsi
son indépendance, mais elle recouvra l’examen des
comptes de la caissse générale des domaines et de
la caisse générale de guerre. En outre, l’approbation
des états lui fut confiée : elle dut vérifier que toute
dépense ordonnée fut bien inscrite dans les états et
soumettre toute dépense nouvelle à la signature du
roi.
La fin du XVIIIe siècle se caractérise tout à la fois
par une succession de défaites militaires et par des
réformes financières structurelles importantes
proposées par la commission des finances établie
par Frédéric-Guillaume III en février 1798. Ces
réformes concernent notamment la fiscalité des
villes et des pays (les accises et les contributions)
dont la gestion avait été délaissée par Frédéric II,
les péages intérieurs supprimés en 1805,
l’administration des finances elle-même avec la
subordination de la direction générale de la
banque*, de l’administration générale de la loterie*
et de l’administration générale des postes au grand
Directoire en avril 1799. Par l’instruction du 19
février 1798, Frédéric-Guillaume III réforma la
comptabilité publique avec pour objectif de
simplifier les procédures budgétaires, de faire
mieux suivre la trésorerie et de renforcer le
contrôle. Si l’unification des caisses ne fut pas
nettement avancée (on comptait encore 11 caisses
centrales en 1807), le souverain parvint en revanche
à réduire la part des dépenses extraordinaires dans
le budget en faisant dresser, avec difficulté, des
états des salaires et des pensions. Les comptables
de la monarchie furent enjoints de modifier la tenue
de leurs comptes pour faire apparaître non
seulement ce qui était effectivement reçu et payé,
mais aussi la justification de ces colonnes par deux
nouvelles colonnes détaillant chaque entrée et
chaque sortie, ce qui donnait, tant en recettes qu’en
dépenses :
Etatsoll Zugang Abgang Wirkli. Ist Rest
Soll
327
 Enfin, le président de la Chambres des comptes,
également contrôleur général des finances*, devint
ministre d’Etat sans portefeuille et supervisa à
partir de 1798 l’ensemble des comptes publics du
royaume, incluant les caisses communales des
petites villes.
Après la débâcle et les humiliations de 1806-1807,
le gouvernement prussien, anéanti par le traité de
Tilsit (1807) qui démembra le royaume (en 1814, la
Chambre des comptes n’examina plus que 4477
comptes), se reconstruit sur les bases des réformes
de deux administrateurs : Charles von Stein, issu
d’une vieille famille impériale et admirateur de
Frédéric II, et Charles August von Hardenberg à qui
revint les finances et l’Intérieur en juin 1810. Ce
que l’on désigne par les « réformes prussiennes »
concerne tous les rouages de l’Etat, de la société et
de l’économie. Concernant l’administration
centrale, on introduit, à la place du
Generaldirektorium, un ministère d'État
(Staatsministerium) organisé selon le principe du
ressort, tandis que les territoires furent divisés en
districts administratifs. Le Staatsministerium
regroupait cinq grands ministères : ministères de
l'Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances, de
la Justice et de la Guerre, tous responsables devant
le roi. Comme en France*, on testa quelques temps
(de 1817 à 1824) la formation d’un ministère du
Trésor séparé du ministère des finances, expérience
qui se révéla peu probante. La direction des
finances et la comptabilité furent réorganisées par
les instructions pour le Contrôle général du 6
décembre 1817, 9 mars 1819 et 4 décembre 1824,
celle concernant la Chambre des comptes (18
décembre 1824) et la loi du 29 mai 1826. Déjà en
1814, l’administration avait innové en faisant
correspondre le calendrier comptable (jusque là de
juin à mai) avec l’année civile. Les états furent en
outre décentralisés : les caisses centrales-dressaient
leurs projets d’états, de même les caisses
élémentaires leurs Spezialetats, projets sur lesquels
étaient bâtis les états des administrations internes et
les états pour chaque ministère, à partir desquels le
ministre des finances formait enfin l’état pour la
caisse générale de l’Etat (le Trésor) et celui de
« tous les revenus et dépenses de l’Etat », budget*
désigné par le terme Hauptfinanzetat. Ces budgets,
construits pour un an, étaient révisés dans le
courant de l’année. Leur publication au journal
officiel devint régulière à partir de 1821. L’unité de
caisse fut partiellement réalisée : la comptabilité de
la caisse générale de l’Etat présentait les résultats
de toutes les caisses fiscales, mais ceux de la caisse
d’amortissement, de la caisse militaire, de la caisse
générale des postes et de la caisse générale de la
loterie, ainsi que ceux de divers fonds annexes
n’entraient pas dans cette comptabilité. Toutes les
caisses publiques devaient clore leur journal chaque
mois, le 26 du mois pour les caisses spéciales qui
ne dépendaient pas directement des caisses
328
provinciales, le 10 pour les autres, et le dernier jour
du mois pour les caisses centrales de Berlin. Après
la clôture, le comptable devait établir son extrait de
compte* issu du manuel et le faire parvenir au
ministère.
Le contrôle des comptes fut provisoirement confié à
une instance bureaucratique, le GeneralKrontrolle
der Finanzen, organisé par la loi du 3 novembre
1817. Cette administration, conçue parallèlement à
la Chambre des comptes et confiée à la direction de
Philipp von Ladenberg, devait réfonner la tenue des
caisses et des comptes et examinait les états en
collaboration avec la chambre. Cette autorité fiit
supprimée le 29 mai 1826. Entre temps, Ladenberg
fut désigné président de la Chambre des comptes
(1823) et prépara une nouvelle instruction qui entra
en vigueur le 18 décembre 1824. Ce texte est une
véritable codification* des règles d’examen des
comptes. M.-L. L.
Voir Directoire (grand), Régie française
Sources : [Frédéric II], Instruction zu einer
besseren Einrichtung des Kassen-und
Rechnungswesen aus. D. Jahre 1769, Alfons
Pausch éd., Cologne, Deubner, 1977. Malchus C.A.
(1830). Unterricht über die Entwürfe (1786).
Wôhner P.G. (1797).
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Aktenstücke zur Geschichte der Inneren Politik des
Kurjursten Friedrich Wilhem von Brandebourg,
vol. 1, Leipzig, 1895. Clark C., Histoire de la
Prusse 1600-1947, Perrin, 2006. Dorwart R.A., The
Prussian Welfare State before 1740, Cambridge,
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Ressorttrennung. Vom Ende des 17. bis zum Beginn
des 19 Jarhunderts, Berlin, 1953. Hinrichs C.
Preussen als historisches Problem. Gesammelte
Abhandlungen, Berlin, 1964. Hubatsch W., Die
Stein-Hardenbergschen Reformen. Darmstadt,
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1989. Klein E.
(1974). Neugebauer W., « Zur neueren Deutung der
preussischen Verwaltung im 17. und 18.
Jahrhundert », dans Biisch O. et Neugebauer W.,
Moderne preussische Geschichte 1648-1947,
Berlin, 1977, p. 541-597. Nipperdey T., Deutsche
Geschichte 1800-1866. Biirgerwelt und starker
Staat, Munich, 1998. Riedel A.F., Der
brandenburgisch-preussische Staatshaushalt in den
beiden letzten Jahrhunderten, Berlin, 1866.
Schmoller G., Preussische Verfassung,
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Schneider F. (1952). Schrott J. (1871).
Werminghoff, Ludwig von Eyb der Altéré, Halle,
1919.
Publicité
Conséquence de l’émancipation du Parlement, le
principe de publicité du budget* a été mis en œuvre
dès le XVIIIe siècle en Angleterre*. En Russie*, il
fallut attendre la deuxième moitié du XIXe siècle
(1862) et les réformes budgétaires liées à la
modernisation conduite dans le domaine
économique et financier sous le règne
d’Alexandre II. En France, c’est entre ces deux
dates que la publicité des comptes s’est
progressivement imposée. Cet étalement dans le
temps permet de distinguer deux mouvements qui
concourent à structurer la notion. La publicité des
comptes renvoie tout d’abord à la volonté de
certains administrateurs de lutter contre l’opacité
traditionnelle de la matière financière : la technique
financière est mise au service de l’infonnation des
acteurs financiers. Ensuite, la publicité des comptes
peut intégrer une dimension politique, elle devient
alors un enjeu caractéristique de la nature du régime
en vigueur.
La lumière sur le système financier
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la France cultive
l’opacité de son système financier. Le mystère
procédait initialement d’une économie morale. Il
était encore fréquent au XVIe siècle de jurer sur les
Saintes Evangiles de ne rien révéler de ce qui se
délibérait au sein des assemblées et des conseils. Ce
serment fut par exemple prononcé aux Etats de
Béziers en 1514, alors qu’aux États généraux de
1614, l’évêque de Bellez comparait les finances au
mystérieux sanctuaire de l’Ancienne Loi. Si les
dispositions religieuses s’affaiblirent, l’opacité des
comptes demeurait. En 1627, le marquis d’Effiat,
surintendant des finances, dénonçait : « les
naturalistes disent que la seiche a cette industrie, de
troubler l’eau pour tromper les pêcheurs qui
l’épient. De même, les Trésoriers ont perverti tout
l’ordre [comptable] et obscurci leur maniement,
afin qu’on ne pût apprendre par l’Epargne les
recettes qui s’étaient faites dans les généralités, ni
pareillement juger des dépenses, quoique l’épargne
soit la source d’où doivent sortir les moyens de la
faire. De là vient que, quand le comte de l’Epargne
est demeuré, ceux des généralités demeurent aussi
accrochés, semblables à un peloton de fils mêlés
duquel vous ne pouvez tirer un bout que vous ne
serriez davantage les autres ». En 1755 encore, Jean
Vilain insistait sur le caractère volontaire de la
démarche, l’opacité des comptes servant les intérêts
des financiers. « Il est peut-être de l’intérêt de
quelques personnes que les affaires de l’État soient
embrouillées, ses revenus sont un champ où il est
facile de glaner et le profit n’en est jamais si
considérable que dans les urgences publiques ». Il
mettait aussi en avant le lien entre la publicité des
comptes et le crédit public : « L’habileté,
l’exactitude, la sagesse et l’économie des
administrateurs ont une grande influence sur le
crédit public. Il faut donc diriger le plan de
l’Administration relativement à ces objets de façon
que tout le monde soit à même d’en juger. Il est
donc conséquemment non seulement avantageux
mais indispensable relativement au rétablissement
du crédit public, de donner une connaissance exacte
de toutes les parties de détails qui entrent dans
l’Administration générale ».
Peu de temps après, c’est Necker* qui marque
concrètement la première étape de ce mouvement
en France avec son Compte-rendu au Roi de 1781.
Il est relayé au sein de l’administration, comme en
témoigne François Barbé-Marbois (futur premier
président de la Cour des comptes*), qui affinnait
que « la publicité est le meilleur garant de la fidélité
des comptes ». En dépit du caractère ambigu des
raisons qui poussaient le directeur des finances de
Louis XVI à agir, on retiendra du large succès de
cette publication l’appétit de la Nation pour
l’infonnation financière. Michel Bruguière crédite à
ce titre le monarque d’une réelle volonté d’établir la
publicité de son compte prévisionnel, c’est-à-dire
de son budget*. L’effort de Necker fut poursuivi
par celui de Loménie de Brienne en 1788, par la
convocation des États généraux le 24 janvier 1789
puis par la Déclaration du 23 janvier 1789. Si le
principe de la publicité des comptes était acquis,
encore fallait-il le mettre en œuvre. Les constituants
tentèrent de soumettre la Trésorerie* à une
obligation de compte-rendu* public tous les quinze
jours, croyant établir le contrôle de la Nation sur le
maniement des deniers. Mais les événements ne
permirent pas au bureau de la comptabilité
nationale* de porter un véritable regard sur la
comptabilité* et la publicité demeura théorique.
C’est bien Charles Audiffret*, plaçant « l’ordre et la
lumière » au cœur de son Système financier de la
France, qui imposa dans l’ordre juridico-comptable
cette relation entre le système comptable, son
contrôle et sa publicité. Pour autant, si les motifs
d’Audiffret étaient bien « techniques », au sens où
ce monarchiste convaincu ne cherchait qu’à lutter
contre l’opacité des comptes et à établir le crédit
public, leur formalisation juridique s’opéra au
moment de l’essor du Parlement en France ce qui
obscurcit la lecture que l’on a du phénomène.
La publicité comme préfiguration de la
transparence financière
Masson* indique en 1822 qu’une comptabilité bien
ordonnée et soumise à une loyale publicité « n’est
pas seulement dans l’intérêt (des gouvernements
représentatifs), elle est aussi dans leurs devoirs ».
Durant la Restauration, le contexte juridique évolue
rapidement. Le titre XII de la loi du 25 mars 1817
relatif aux « dispositions sur les comptes à présenter
aux chambres » établit les différents comptes des
ministres et fait peser sur eux une obligation de
publicité. L’article 22 de l’ordonnance du 14
septembre 1822 rappelle, indirectement mais
clairement, le principe de la publication des
comptes puisque « la Cour des comptes constatera
et certifiera (...) l’exactitude des comptes généraux
publiés par le ministre des finances et par chaque
ministre ordonnateur». L’article 15 de la loi du 21
329
 avril 1832 complète le dispositif de 1822 en
ordonnant non seulement l’impression mais aussi la
distribution aux Chambres des cahiers
d’observations de la Cour des comptes et renforce,
ce faisant, l’intelligibilité des comptes. Alors que le
régime se libéralise sous la Monarchie de juillet,
l’article 129 du règlement général* sur la
comptabilité publique de 1838 établit
définitivement, au-delà de la publication,
l’impression des comptes des ministres. Le chapitre
XI de cette même ordonnance précise encore cette
volonté de transparence des comptes publics en
imposant aux ministres de joindre une série de
« documents spéciaux » en annexe au budget de
l’État. Pour autant il ne faut pas surinterprêter ce
mouvement. La publicité ainsi entendue s’adresse
aux Chambres et non à la Nation. Dans sa partie
consacrée aux finances des communes et intitulée
« publication des budgets et des comptes », l’article
494 de l’ordonnance du 31 mai 1838 (qui reprend le
dispositif de l’article 69 de la loi du 18 juillet 1837)
réserve cette publicité aux contribuables. « Les
budgets et les comptes des communes restent
déposés à la mairie où toute personne imposée aux
rôles de la commune a droit d’en prendre
connaissance ».
Le progrès est évident bien qu’incomplet. La
publicité des comptes est une obligation juridique
qui ne s’adresse pas directement aux citoyens mais
à ses représentants ou au contribuable. Il s’agit là
d’une illustration du caractère profondément
censitaire du régime comme le confirme
Audiffret* : « le nouveau gouvernement imposait
aux mandataires du souverain des devoirs de
publicité et de responsabilité qui rendaient leur
conduite beaucoup plus difficile en leur donnant
tous les représentants des intérêts du pays pour
contradicteurs et pour juges ». S.K.
Voir Budget, Contrôle parlementaire, Principes
budgétaires
Sources : Audiffret C. (1863). Loménie de Brienne
E.-C. (1788). Montcloux H. (1840). Necker J.
(1781). Vilain J. (1755).
Bibliographie: Bruguière M. (1992). Kott S.
(2009). Potton J.-F. (2007).
Puechberg, Johann Matthias (1708-
1788)
Actuaire et teneur de livres* d’abord dans des
fabriques de coton à Krems, sa ville natale, puis au
sein de la Peisserschen Compagnie de Vienne. En
1753, il devient administrateur des biens des comtes
Joseph Heberstein et Franz Anton Lamberg.
Remarqué par Ludwig von Zinzendorf nommé à la
tête de la nouvelle Chambre des comptes*,
Puechberg fut désigné conseiller et premier teneur
de livres de la chambre le 30 août 1762, avec un
traitement de 3 500 florins, vite augmenté. Il tira de
son expérience des enseignements transposables à
330
la comptabilité publique et les proposa l’année
même dans son ouvrage Anleitung zu einem
verbesserten Kameral-Rechnungs-Fuss auf die
Verwaltung einer Kameral-Herrschaft angewendet.
Ce livre forme le premier traité de la nouvelle
comptabilité camérale*. En 1763, il dressa le
fameux Inventaire* de l’Etat (Staatinventar),
bilan* très précis en neuf volumes de la situation
fiscale et financière des territoires autrichiens.
Rédigé en trois à quatre mois pleins, cet inventaire
révélait entre autre l’étendue des dettes publiques*.
Comme le signale Hanns Léo Mikoletzky,
Puechberg travailla avec constance à l’amélioration
de ses idées, de sorte que son apport intellectuel
relevait plus de l’imprégnation que de l’invention.
Outre ses écrits de 1762, Puechberg rédigea des
mémoires d’un grand intérêt pour comprendre
l’avancée de la science comptable dans la capitale
des Habsbourg. En effet, la nouvelle Chambre des
comptes reçut en 1768-1769 la tâche de transformer
la comptabilité publique et l’on fit appel à
l’expertise de Puechberg. Le nouveau système fut
critiqué néanmoins dans les rangs militaires, et
Puechberg chercha à répondre aux reproches en
produisant de nouveaux mémoires. Encouragé par
l’impératrice Marie-Thérèse, qui considérait la
méthode proposée comme une amélioration
essentielle à la bonne marche de son administration,
il défendit son œuvre avec acharnement. Parmi ses
écrits, on retiendra notamment cet important
mémoire de 43 chapitres publié en 1772 et portant
le titre : Ausführliche Erklàrung der dermalige im
Jahre 1770 von der Rechenkammer eingefiihrten
Staatssbuchjîihrung, welche dem über solche
ertheilen kurzen Begriffe zum Nachtrage zu dienen
hat (explication détaillée de la comptabilité
introduite en 1770 par la Chambre des comptes,
donnant de courtes notions en supplément). Comme
il l’indique lui-même dans le préambule, son
objectif consista à faire mieux comprendre la
finalité de la comptabilité d’Etat et à faire admettre
la nécessité d’adapter les principes de la
comptabilité marchande* à l’administration.
Lorsque la Chambre des comptes* perdit son
indépendance, en 1773, Puechberg travailla
temporairement à la chancellerie de Galizie avant
de retourner à l’administration des finances sous le
règne de Joseph IL On lui confia notamment les
opérations de rectification fiscale dans les territoires
étrangers, puis il fut employé par Karl von
Zinzendorf, demi-frère de Ludwig et président de la
Chambre des comptes* viennoise. De 1785 jusqu’à
sa mort, il diriga le grand-livre* central des comptes
de la monarchie. M.-L. L.
Voir Comptabilité camérale
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 70.
Bibliographie : Mikoletzky H.L., « Johannes
Mattias Puechberg und die Anfânge der
Hofrechenkammer », Jahrbuch des Vereines fiir die
Geschichte der Stadt Wien, 1961-1962, XVII-
XVIII, p. 133-148. Legay M.L., «La réforme
comptable de Joseph II » (2008).
Quadruple
Voir Faux-emploi
Quartal, quartier
Terme fréquemment employé dans la langue
administrative ancienne pour désigner le trimestre.
Les états de distribution* étaient souvent dressés
par quartiers. Dans les Etats gennanophones, les
comptes trimestriels (Quartalsrechnungen) sont les
comptes qui couvrent la recette et la dépense de juin
à août, de septembre à novembre, de décembre à
février et de mars à mai (quatre quartaux) et sont
clos au tenne de chaque quartal. M.-L. L.
Quittance
Reconnaissance, écrite par le créancier, du
paiement effectué par son débiteur et de l’extinction
de la dette. La quittance sert de preuve pour faire
connaître qu’on a payé une somme.
En Angleterre*, le tally - ou taille - était une
quittance que les officiers du Lower Exchequer, ou
caisse centrale des recettes et dépenses de la
monarchie anglaise, délivraient aux comptables et
autres personnes qui venaient y verser des fonds
provenant des recettes du domaine, des impôts ou
des emprunts. Fait en bois de noisetier, le tally
recevait plusieurs encoches de formes différentes
qui représentaient la valeur du versement effectué,
valeur exprimée en milliers, centaines, dizaines et
unités. En plus des encoches, le tally recevait
diverses écritures en latin, en particulier le montant
de la somme versée (en chiffres romains), la date du
versement et le nom du comptable. Une fois la taille
et les écritures effectuées, le tally était coupé en
deux dans le sens de la longueur. La plus grande
moitié - appelée stock - était remise au comptable
ou a la personne qui étaient venue apporter des
fonds pour lui servir de quittance et l’autre moitié,
plus courte, le foil, était conservée par les services
de l’Echiquier*. Il existait plusieurs types de tallies
qui furent développés par le Treasury pour faciliter
les paiements ou assurer la trésorerie. Le tally of
receipt, qui portait l’abréviation sol (signifiant
‘payé’ en latin) était typiquement délivré aux
comptables royaux. Lors de la procédure de
l’audition* des comptes des comptables devant
YUpper Exchequer, les deux parties des tallies
étaient mises en regard pour constater les
versements et elles étaient ensuite normalement
brûlées pour éviter la fraude*. Au cours du XVille
siècle, le système de la comptabilité par tallies fut
de plus en plus inadapté aux développements
économiques et financiers. Les tallies, dont la plus
grande unité autorisée était le millier, avaient eu
tendance à voir leur taille s’accroître, en même
temps que l’enrichissement global du pays, au point
d’atteindre plus de 80 cm de long. Il arrivait que
l’Echiquier soit contraint de tailler plusieurs tallies
lorsque que le versement des fonds était
particulièrement important. En 1785, l’Echiquier ne
remit pas moins de 1 775 tallies pour constater le
versement des recettes du receveur général des
douanes. Les tallies furent officiellement abrogés
en 1786 mais leur usage perdura jusqu'à la
suppression de la caisse de l’Echiquier, en 1834.
Ses fonctions échurent désormais à la Banque
d’Angleterre. La décision de brûler les tallies, qui
s’étaient accumulés depuis plusieurs siècles, fut à
l’origine de l’incendie qui anéantit l’ancien Palais
de Westminster.
En France, parmi les quittances délivrées par
l’administration, on distinguait les « quittances
simples » fournies aux particuliers et les
« quittances comptables » fournies aux
responsables du maniement des deniers publics.
Les « quittances simples » délivrées à Versailles par
le garde du Trésor royal* ou le trésorier des parties
casuelles* par exemple, étaient en parchemin et les
porteurs étaient dans l’obligation de les faire
contrôler dans Tannée du jour et date à laquelle
elles étaient expédiées. Les gardes des registres du
contrôle général des finances* vérifiaient si les
sommes portées par les quittances étaient les
mêmes que celles établies dans les rôles arrêtés au
conseil. Il arrivait qu’un porteur d’une quittance de
finances ne soit qu’un prête-nom. Les gardes
présentaient les registres de quittances toutes les
semaines au ministre. Les trésoriers dressaient leurs
comptes en fin d’exercice à l’aide de ces registres.
Parmi les quittances de finances, il faut isoler les
quittances spéciales d’arrérages délivrées aux
porteurs d’inscriptions de rente* sur l’Etat pour leur
permettre d’encaisser les sommes dues sans avoir à
produire lesdites inscriptions. Ces quittances pour
constitution de rentes* font l’objet d’une procédure
de visa* (quittances visées) entre deux comptables
publics, celui chez qui la rente* à payer est
ordonnancée et celui qui paye effectivement.
Enfin, les quittances présentaient les mêmes
caractéristiques que celles signées dans le
commerce. Elles étaient notamment soumises au
droit de timbre.
Il importait beaucoup aux comptables publics de
faire reconnaître leurs paiements par la conversion
de simples reçus ou récépissés* en bonnes
quittances revêtues de toutes les formalités
nécessaires pour faire passer et allouer leurs
dépenses. Ces « quittances comptables » servaient
de pièces justificatives auprès de la Chambre des
comptes*, c’est pourquoi les lois accordaient un
soin particulier à leur qualité en rappelant la
nécessité de faire inscrire les dates et chiffres en
toute lettre. En France, les gardes du Trésor royal*
expédiaient des quittances comptables à la décharge
des comptables qui remettaient entre leurs mains le
331

fonds* de leur recette. Les trésoriers généraux
fournissaient pareillement des quittances
comptables à la décharge* des gardes du Trésor
royal lorsqu’ils recevaient les fonds destinés à leur
maniement. Les receveurs généraux des finances
fournissaient leurs quittances aux receveurs
subalternes, par exemple aux receveurs de taille à
mesure qu’ils reconnaissaient que les rescriptions*
qu’ils tiraient sur eux étaient acquittées. Cependant,
les plaintes des comptables subalternes qui ne
recevaient pas les quittances comptables à temps
pour justifier de leur gestion n’étaient pas rares. En
1749, le receveur diocésain du clergé* de Saint-
Omer qui versait sa recette au receveur général*
d’Artois se plaignit de n’avoir reçu aucune
quittance comptable de la part de ce dernier pour les
années 1740 à 1747. On observe les mêmes
préoccupations dans d’autres Etats européens. Le
trésorier provincial du Genevois, par exemple, se
plaignit en 1759 de ce que le Trésorier général de
Savoie n’avait pas le temps de reconnaître toutes
ses quittances. A partir de 1716 en France, toutes
ces quittances comptables du Trésor royal*, des
receveurs généraux des finances et des receveurs
généraux des domaines et bois devaient être
contrôlées dans le mois du jour de leur date. La
déclaration du 4 octobre 1723 précise, en son article
XVIII, que « lorsqu’il sera fait des conversions de
récépissés en quittances finales ou comptables, il
sera fait sur le journal un article détaillé qui
contiendra la mention des récépissés particuliers qui
auront été reçus ou donnés pour valeur desdites
quittances, date par date & somme par somme, & le
comptable sera obligé de rappeler dans ledit article
le folio du registre-journal* où lesdits récépissés
auront été enregistrés et même de faire mention à la
marge de l’enregistrement desdits récépissés et de
ladite conversion en quittances finales ou
comptables ». Pour améliorer le contrôle*, Necker*
fit adoptée le 17 octobre 1779 une déclaration qui
oblige « tous les comptables sans exception » à
rapporter des quittances comptables des gardes du
Trésor royal* pour être valablement déchargés. On
voit apparaître à cette époque sur les acquits* le
tampon « quittance comptable » qui témoigne de
l’effort de rationalisation administrative.
Mention particulière doit être faite pour les
quittances délivrées dans l’administration militaire.
On distinguait en effet les dépenses employées dans
les états de distribution* mensuels, pour lesquelles
il était rapporté des quittances de chaque partie
prenante* avec les autres pièces nécessaires sans
que lesdits trésoriers soient obligés de les faire
certifier, et les paiements faites aux compagnies.
Selon la déclaration du 14 juin 1702 qui astreint les
trésoriers des guerres à dresser des états de
dépenses pour chaque compagnie, ces derniers
devaient rapporter à compter de cette date pour la
justification de ces payements non plus des rôles de
montre, mais des quittances en parchemin signées
332
des Majors chargés du détail des régiments et
bataillons et certifiées par les colonels. Ces
quittances devaient contenir « tout au long & non
en chiffre la somme totale qui leur reviendra pour le
mois ou pour partie d’icelui ainsi que le payement
en aura été ordonné, comme aussi les noms en
détail des Compagnies & la somme qui reviendra
pour chacune», selon le modèle suivant :
Modèle de Quittance à retirer pour un Régiment,
Bataillon, Escadron ou plusieurs Compagnies d’un
même Corps (déclaration du 14 juin 1702).
NOUS soussigné {Major ou Aide Major,
Capitaine} du régiment de-----présentement {en
garnison, à l’Armée commandée par} chargé du
détail du dit {Régiment, Bataillon, de tant de
compagnies dudit Régiment} confessons avoir reçu
de M.--------Trésorier Général de l ’Extraordinaire
des Guerres la somme de-----(en toutes lettres et
sans abrégé) ordonnée être mise en nos mains pour
le payement pendant-----de {treize, quatorze, huit}
Compagnies, {du Régiment de Cavalerie de -—, ou
Infanterie de —}, Sçavoir la somme de-----(en
toutes lettres) pour la Compagnie de-----(tant pour
celle de)-----(& ainsi des autres jusqu’à la dernière)
dont Nous quittons ledit Trésorier. FAIT à — le —
(en toutes lettres) mil sept cent-----.
Les administrations utilisaient également des
« quittances provisoires » entre receveurs ou entre
trésoriers, sans forcément que les fonds* aient été
tirés de l’un sur l’autre. Au sein de la Trésorerie
générale de la Guerre espagnole par exemple,
chaque fois qu’un agent recevait une somme, il
émettait une quittance provisoire par laquelle il
reconnaissait avoir reçu des fonds* du Trésorier
général par les mains du fermier ou autre qui avait
versé effectivement l’argent. Pour se voir délivrer
une véritable quittance dans laquelle le Trésorier
général de la Guerre reconnaissait qu’il avait reçu
un paiement de sa part, le fermier devait donc
porter ce document fictif aux bureaux du Trésorier
à Madrid. Le Trésorier général récupérait la
quittance provisoire émise par son payeur et il en
délivrait une définitive au fermier. Cela permettait
au Trésorier de ne pas être trompé par ses agents.
Ces quittances fictives utiles au contrôle des
dépenses avaient néanmoins un coût et finirent par
être dénoncées, comme ce fut le cas à l’Assemblée
Constituante en France dans la séance du 30 janvier
1790. Le député d’Alsace expliqua: «le bailli
compte fictivement au receveur particulier qui lui
rend une quittance fictive, et retient pour ce travail
4 sols pour livre ; ce receveur remet ainsi
fictivement au receveur général de la province,
celui-ci de la même manière au Trésor royal ; et il
résulte de toutes ces fictions qu’il n’arrive pas un
denier au Trésor royal ». L’usage des quittances
provisoires était cependant indispensable à
l’administration pour constater des versements. Plus
symptomatique de l’époque peut-être sont les
contestations concernant le droit de timbre à
acquitter sur les quittances de l’administration.
Entre 1780 et 1784, une querelle opposa les
régisseurs généraux des aides et le parlement de
Metz sur la question de savoir qui, des
contribuables ou de la régie* devaient acquitter les
droits de timbre sur les quittances. Le ministre
Calonne ne transigea pas : «je conviens qu’il paroit
dur d’exiger que le redevable qui acquitte le droit
prenne une quittance lorsqu’il ne veut pas, mais la
règle est constante, elle doit faire regarder le droit
de quittance comme forcé... c’est ce qui s’observe
dans tout le royaume et je n’y puis apporter de
changement sans perte pour le recouvrement ».
Le décret du 16 août 1791 organisant la Trésorerie
générale* maintint que toutes les quittances des
parties prenantes* dans le cas de recevoir des
payeurs* du Trésor public* devaient être en papier
timbré. M.-L. L.
Voir Acquit, Certification, Récépissé
Sources : AN, Paris, E 2042, f° 327, Déclaration du
Roy concernant la tenue des registres journaux,
donnée à Versailles 4 octobre 1723, 8 p. ; G" 9,
lettre de Calonne au premier président du parlement
de Metz, 23 mars 1784, F4 1006, lettre du 5 mai
1749. Briquet (1747), vol. V, titre V : De la forme
des acquits de TExtraordinaire des Guerres.
Louis XIV, Déclaration du 14 juin 1702. p. 64 et sq.
avec modèles de quittances et de certifications. AD
de Savoie, C 1609, lettre de Billiod, 25 mai 1759.
Dictionnaire des finances (1727), p. 308-310.
Diderot et d’Alembert (dir.), Encyclopédie (1782),
t. 9, p. 337-338. Mercure de France dédié au roi,
Paris, 6 février 1790, p. 49.
Bibliographie : Dubet A. (2009). Robert R., « A
short history of tallies », in Littelton A.C. et Yamey
B.S. (1956). Baxter W.T., « Early accounting : the
tally and the checker-board », in Parker R.H. et
Yamey B.S. (1994), p. 197-235.
Quitus
Décharge* que l’on fournit à un comptable lorsqu’il
a rendu tous ses comptes à la Chambre des
comptes* et qu’il est entièrement quitte de sa
gestion. S’oppose à débet* (il doit). Les Chambres,
les Cours des comptes rendent des arrêts de quitus
qui donnent mainlevée de toutes les sûretés. Le
quitus libère les cautions* du comptable de leurs
obligations. Il faut distinguer l’arrêt de quitus rendu
par une juridiction comptable et le simple certificat
de quitus délivré par l’administration des finances
après la vérification* du dernier compte de gestion*
du comptable. La loi du 21 février 1805 (2 ventôse
an 13) permet à ce dernier de se faire rembourser
des deux tiers du cautionnement fourni en
numéraire avant l’apurement* définitif de sa
comptabilité, si le ministère constate sur son dernier
compte l’absence de débet* vis-à-vis du Trésor*.
Les comptables subordonnés à un comptable
supérieur obtiennent de même le remboursement
des cautions fournies en numéraire en présentant le
certificat de quitus du second, placé dans
l’obligation de le fournir dans des délais
réglementaires, par exemple quatre mois aux termes
de l’ordonnance sur les cautionnements des
comptables des finances du 22 mai 1825-3 juillet
1835. M.-L. L.
Voir Apurement, Débet, Décharge
Sources : Duvergier J.B. (1836), t. 35, p. 176-177.
Raison
Voir Contrôleur de raison
Rayer
Voir Partie rayée
Récépissé
Ecrit par lequel on reconnaît avoir reçu une valeur
en deniers ou en effets, dont on promet de compter
à la décharge* de quelqu’un. La conversion des
récépissés en bonnes quittances* était l’une des
préoccupations du comptable. M.-L. L.
Voir Acquit, Quittance
Recette
En comptabilité publique, la recette signifie : 1°
(action de recevoir) le recouvrement des sommes
qui sont dues à telle ou telle échéance ; 2° le lieu où
les receveurs tiennent leur bureau ; 3° (sous
l’Ancien régime) l’office d’un receveur ; 4° la
somme dont le recouvrement a été effectué. En
matière budgétaire, les recettes s’opposent aux
dépenses qu’elles doivent en principe équilibrer ;
quand ce n’est pas le cas, il y a déficit.
Enfin, si l’on considère la technique comptable, les
termes de recette, dépense et reprise* caractérisent
la comptabilité en partie simple*. B.L.
Recette, dépense (et reprise), tenue des
livres en
Cette méthode, en usage chez les comptables
chargés d’administrer le fonds d’un tiers (le roi,
l’Eglise, un seigneur, une ville, un orphelin placé
sous tutelle, etc.), prévaut dans les finances royales
de l’Ancien régime, à l’exception de quelques
secteurs qui se voient imposer la partie double*.
Elle correspond à l’usage « ordinaire » des finances
royales à l’époque moderne, comme l’affirment
Diego del Castillo (1522), Claude Irson* (1678) et
Pierre Bernard d’Hénouville (1709), auteurs de
manuels de tenue des livres, ou le juriste Claude-
Joseph de Ferrière pour qui il va de soi que les
comptes des officiers de finances « doivent être
dressés en la forme ordinaire, composés d’une
préface et de trois chapitres, savoir de recette, de
333
 dépense et de reprise. »
C’est une méthode ou « hypothèse » (Irson,
Hénouville) de tenue des livres, mais aussi et
surtout un mode de reddition des comptes*. Il est
ainsi significatif que Ferrière, qui ne décrit que cette
méthode, confonde dans une même notice
« compte » et « reddition de compte ».
La comptabilité en recette, dépense et reprise est
rarement décrite dans les manuels de tenue des
livres, consacrés le plus souvent à la partie double.
En Espagne, le Licencié Diego del Castillo la
mentionne à côté de la partie simple et de ce qui est
une partie simple plus organisée ou une partie
double, dans son Traité des Comptes publié en
1522. En France, Claude Irson, «juré teneur de
livres », en donne une description exhaustive en
1678, mentionnant un seul précédent. Le juriste
Dumoulin (Commentaire sur la coutume de Paris,
article 9), écrit-il, est le « seul qui s’est proposé
l’hypothèse de la Recette, Dépense et Reprise, et
c’est de lui que j’ai principalement tiré les règles de
cette méthode » (Irson, Méthode, chap. I). En 1709,
Pierre Bernard d’Hénouville, « professeur ès
mathématiques et de livres de comptes à parties
doubles » publie à son tour un opuscule présenté
comme « une section d’un gros ouvrage intitulé Le
grand interprète des négociants, que j’ai composé
pour ma satisfaction il y a quelques années ». Il y
décrit les principes généraux de ce mode de tenue
des livres, accordant une attention particulière au
chapitre de la reprise. Enfin, le chapitre « De la
comptabilité du régisseur d’une terre » de VEssai
sur l’administration des terres de Bellial des Vertus
(Paris, Hérissant, 1759) décrit une reddition de
comptes en recette, dépense et reprise.
Cette discrétion des auteurs de manuels de tenue
des livres, qui s’adressent le plus souvent aux
marchands, tient sans doute au fait que la méthode
s’apprend sur le tas, dans les bureaux de finances.
Aucun des manuels cités ne rend compte de tous les
cas de figure que le chercheur peut trouver dans les
comptes qu’il est amené à consulter. En particulier,
il y est accordé peu de place à ce qu’Hénouville
appelle la « méthode qu’il faut observer pour
rentrer dans un nouveau compte, supposé que la
gestion soit reconnue » et « supposé que les affaires
soient recontinuées par le même comptable ou autre
qui aura pris sa place » (Hénouville, p. 56-57), alors
que dans certains comptes, c’est là un chapitre
volumineux. L’on ne peut donc recomposer
l’ensemble de la méthode qu’en examinant les
comptes, les instructions partielles données aux
contrôleurs des comptes et aux comptables lors des
réformes des modes de contrôle comptable. Les
commentaires du droit et de la pratique judiciaire
offrent un bon complément d’information :
quoiqu’ils donnent la méthode pour connue du
lecteur, ils décrivent parfois non seulement la
valeur légale des parties et les procédures de
vérification, mais le contenu des différents types de
334
parties*. C’est le cas du Guidon général des
financiers de Jean Hennequin*, souvent sollicité
dans cet ouvrage.
L’ouvrage d’Irson définit les principes
fondamentaux de la tenue des livres en recette,
dépense et reprise. Il distingue en 1678 trois «
manières de tenir les livres de compte » : « La
première se fait par Recette, dépense et reprise, qui
est celle dont les gens de Finance se servent, et qui
est ordinairement en usage dans toutes les
redditions de comptes en justice ; mais cette
méthode est pénible et de longue discussion. La
seconde manière est simplement par Débit et crédit,
qui est la méthode que les Anciens pratiquoient ;
mais qui est peu sûre et peu utile, parce qu’il est
très difficile d’y reconnoître les erreurs, quand il y
en a. Et la troisième est celle à Parties doubles,
particulièrement usitée par les négociants, qui est la
plus utile, et à la démonstration de laquelle je me
suis le plus attaché pour faire voir qu’elle peut être
pratiquée par toute sorte de personnes et dans toute
sorte de maniements. Comme les goûts sont
différents, je donnerai des Règles pour chacune de
ces manières et ferai voir que dans le fonds, elles
reviennent toutes au même point. Je comparerai ces
trois manières entre elles et démontrerai que les
Comptes d’une affaire peuvent être tenus de ces
trois façons. On connoîtra pareillement par cette
comparaison les convenances et les différences de
ces trois méthodes et les avantages que l’une a sur
les autres». {Méthode, chap. 1). Irson précise plus
bas que ce qu’il appelle débit et crédit s’appelle
aussi usuellement « parties simples » {Méthode,
chap. V). Son livre examine les avantages comparés
des trois méthodes et nous éclaire, par là, sur leurs
finalités respectives. Celle de la Recette, Dépense et
Reprise est utile, dit-il, lorsqu’il s’agit seulement de
rendre compte à autrui de l’administration de ses
biens, comme les « tuteurs, les procureurs, les
curateurs, les administrateurs généraux et
particuliers, les agents, les associés, les cohéritiers
administrant l’hérédité indivise et les communs en
bien administrant tout le bien commun » {Méthode,
chap. II), en calculant ce qu’on lui doit ou ce qu’il
nous doit : « Chapitre IV. Des règles qu ’il faut
observer pour un Grand Livre, par Recette,
Dépense et Reprise. (...) La disposition du grand
Livre peut être faite en deux manières, l’une en
séparant généralement la Recette de la Dépense et
en distinguant chacune d’elles en autant de
catégories qu’il y a de différentes natures de
recettes et dépenses. L’autre en séparant chaque
affaire particulière de l’administration totale, et en
faisant un compte séparé, composé de recette ou
Débit, de dépense ou Crédit. (...) tout maniement
ne consistant qu’en Recette et en Dépense, il
s’ensuit que si on regarde simplement le Compte
qui en doit être dressé, on pratiquera utilement la
première méthode ; mais si l’on considère que cette
Recette et cette Dépense proviennent de certaines
affaires qui produisent l’une et l’autre, et que l’on
veut bien comparer et examiner en même temps, &
en particulier, on mettra en usage la seconde
méthode». {Méthode, chap. IV).
La particularité de la comptabilité en Recette,
Dépense et Reprise est qu’elle regroupe toutes les
recettes dans un seul chapitre, toutes les dépenses
dans un autre, sans créer de comptes particuliers
pour chaque affaire. L’objectif est judiciaire. Il
s’agit de détenniner ce que doit l’administrateur des
fonds à leur titulaire, ou inversement. C’est ce que
confirme l’Ordonnance de 1667 (Titre XXIX. De la
reddition des comptes, article VII), qui fait
référence en matière de reddition de comptes dans
les finances royales : « Le rendant sera tenu
d’insérer dans le dernier article du compte la
somme à quoi se monte la recette, celle de la
dépense et reprise distinctement l’une de l'autre ; et
si la recette se trouve plus forte que la dépense et
reprise, l’oyant pourra prendre exécutoire de
l'excédent, qui lui sera délivré sur l’extrait du
dernier article de compte, sans préjudice des
débats* formés ou à former contre la recette,
dépense et reprise, et de sentiments contraires».
Comme le dit Hénouville en adoptant le point de
vue du comptable, « la fin de la reddition d’un
comptable est pour se justifier de son
administration » {Le guide des comptables, p. 5).
Ainsi, chaque opération portée dans l’une des deux
colonnes sera accompagnée de pièces justificatives
à présenter en même temps que le livre de comptes
(reçus, quittances, ordres de paiement, certificats de
signatures ou paraphes, etc.). La vérification des
comptes consistera précisément à constater que les
parties portées dans le livre sont toutes justifiées par
des documents valables : leur forme, leur contenu et
l’identité de ceux qui sont habilités à les émettre
sont minutieusement décrits dans les instructions
aux comptables. On s’assurera qu’aucune partie n’a
été omise (volontairement ou non) ou falsifiée, que
le teneur de livres ne s’est pas trompé de colonne et
que le calcul des sommes ne comporte pas
d’erreur*. Il ne s’agit pas d’évaluer le profit d’une
affaire ni de déterminer seulement ce qu’il reste en
caisse, mais de dire ce que doit le comptable au
titulaire du fonds administré, soit, écrit Hénouville,
« faire voir s’il y a du reliquat ou non ».
L’expression équivalente de « compte en charge et
décharge », qui a sa traduction littérale en espagnol
(« en cargo y data » ou, comme le dit Castillo, « por
cargo y descargo ») et en anglais (« charge and
discharge accounting »), reflète bien cette finalité.
La charge est la recette, dont se charge* le
comptable, tandis qu’il demande à être déchargé*
de sa dépense.
Le chapitre de la reprise*, lorsqu’il est admis dans
la reddition de compte, confirme la nature
éminemment judiciaire de la tenue des livres en
recette, dépense et reprise. En effet, il s’agit du
«chapitre de ce qui a été compté et non reçu, c’est-
à-dire de ce que l’on devoit recevoir et qui est décrit
dans le chapitre de recette, mais qui n’a pas été
reçu, sans qu’il y ait aucune faute du comptable. »
{Méthode, chap. IV). Une telle opération est portée
dans un chapitre de recette et, à la fin du mandat du
comptable, dans un chapitre de reprise, quand le
comptable peut justifier du non encaissement de la
somme : elle apparaît deux fois. Au début de
l’exercice suivant, elle est à nouveau inscrite au
début de la colonne de recettes, puisqu’il appartient
au comptable en exercice de faire entrer la somme
dans sa caisse.
D’autres opérations comptables importantes ne
sauraient être confondues avec un mouvement de
fonds, et témoignent du haut degré d’abstraction de
ce mode de tenue des livres. Il s’agit de celles qui
sont faites pour assurer la transition entre deux
comptables. Ainsi, un trésorier qui n’a pu acquitter
des ordres de paiement sur sa caisse se charge en
recette des sommes concernées : il est alors tenu
d’émettre des quittances en faveur de son
successeur, en même temps qu’il lui transmet les
ordres de paiement de toutes sortes (notamment des
billets) mis en circulation. Son successeur les inscrit
dans sa dépense quand il les paye, mais il s’en
charge à nouveau en recette à la fin de son mandat
s’il n’exécute pas les paiements. En 1753, les
Trésoriers généraux d’Espagne sont aussi tenus de
se charger en recette des paiements effectivement
réalisés par leurs prédécesseurs mais non encore
formalisés par l’émission de quittances. La mesure
les oblige à faire le nécessaire pour obtenir des
quittances formelles des bénéficiaires des
paiements : une fois les quittances émises, les
sommes leurs seront passées en compte*.
Conséquence utile pour les chercheurs : le solde*
de comptes tenus en recette et dépense, ou en
recette, dépense et reprise, ne représente pas
l’argent et les effets restants en caisse, mais la dette
du comptable à l’égard du titulaire du fonds
administré, ou, si la dépense dépasse la recette, la
dette de ce dernier. Il convient d’ajouter que, bien
que les parties, soit de dépense, soit de recette,
soient datées et portées sur les livres dans leur ordre
chronologique, le mélange dans une même colonne
des opérations faites avec différentes personnes
interdit de savoir de façon instantanée quel est l’état
des affaires du comptable avec chacune de ces
personnes.
Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas non
plus d’évaluer combien de temps des fonds sont
restés dans les mains d’un comptable entre leur
arrivée dans sa caisse et la dépense qu’il en a faite.
Le financier Paris* la Montagne, favorable à la
mise en place de la partie double dans la
comptabilité royale, le souligne en 1733 : «Le
Conseil et la Chambre dans l’examen des comptes
n’approfondissent pas le passé et ne peuvent
l’approfondir. Ils abandonnent l’ordre des temps
pour s’en tenir uniquement à l’ordre des matières et
335
 à la forme absolue des décharges, plutôt qu’aux
moyens pratiqués pour les obtenir ». Cette forme de
tenue des livres, ajoute le financier, est une porte
ouverte à la fraude*, puisqu’elle permet de
dissimuler les emplois privés que les comptables
font de l’argent qui leur est confié : « Combien de
comptables rétentionnaires ou coupables des
divertissements de deniers ont attendu ou peut-être
procuré un temps de discrédit pour se pourvoir à vil
prix de leurs décharges ? »
A la fin du XVIIIe siècle, dans le droit fil de la
pensée des Lumières, certains soulignent aussi
l’absence de méthode qui caractérise la tenue des
livres en recette, dépense et reprise. C’est le cas de
l’un des promoteurs de la mise en place d’une
comptabilité en partie double dans les territoires
espagnols de l’Amérique, Francisco Javier
Machado Fiesco, au milieu des années 1780 :
« Qu’est-ce donc que la méthode en recette,
dépense et reprise ? Jusqu’à présent, le monde n’a
connu aucune méthode portant ce titre. On sait
seulement que ‘recette, dépense et reprise’, ‘doit et
avoir’, ‘charge et décharge’, ‘débit et crédit’,
‘entrée et sortie’, sont des synonymes qui
permettent uniquement de distinguer dans un
compte deux parties, l’action et la passion... mais
une méthode de recette, dépense et reprise ou de
dette et avoir, s’il s’agit de désigner des règles et
une méthode pour rédiger les parties comme il faut,
puisque c’est de cela qu’il s’agit, jusqu’à présent,
on n’en a jamais vu ni connu et je crois que l’on ne
pourra jamais en voir ni en connaître.
Quelle est la méthode en vigueur en Espagne ? Pour
ma part, jamais je n’ai entendu dire qu’il y en eût
une, et je sais seulement qu’il n’y en a point pour
tenir les comptes quotidiens des finances royales.
L’ordre circulaire indique qu’en général il n’y a que
la pratique, et en effet je n’ai jamais été informé,
quoique je l’aie sollicité autant que possible, que
quiconque ait produit des règles ou une méthode
pour cela, que ce soit sous forme manuscrite ou
imprimée ».
A l’inverse, en France comme en Espagne, les
défenseurs de la tenue des livres en recette, dépense
et reprise rappellent que le roi n’est pas un homme
d’affaires soucieux de faire du profit avec le produit
de l’impôt, et n’a donc pas besoin de la partie
double. A la fin du XVIIIe siècle, les Institutions
politiques du baron de Bielfeld* (1760), largement
diffusées en Europe occidentale, apportent de l’eau
à leur moulin en soulignant que les finances d’un
État n’ont pas à être régies comme celles d’un
particulier. L’auteur conclut ses chapitres consacrés
aux finances par une condamnation sans appel de
l’usage de la partie double, qui ne saurait convenir
qu’au commerce des particuliers. Pour les comptes
de l’État, il faut en effet préférer « la méthode la
plus simple & la plus courte pour les former ». La
partie double, idéale pour les négociants, ne
convient pas aux finances publiques, car elle double
336
le travail et parce que les agents des bureaux ne
maîtrisent pas cette méthode ; enfin, les copies d’un
livre à l’autre sont source d’erreur.
Ces arguments sont abondamment cités au cours
des polémiques relatives à l’introduction de la
partie double dans les finances de l’Amérique
espagnole, où Bielfeld est nommément cité. Outre
le coût lié au changement et l’absence de formation
solide des officiers des bureaux du roi, c’est bien le
risque de voir ces derniers se comporter comme des
commerçants avec l’argent du roi qui est mis en
avant par ceux qui le reprennent à leur compte. Une
crainte qui s’explique par le mépris dans lequel est
tenue l’activité commerciale, par la noblesse, mais
aussi par les gens de finance. Ainsi, Mollien*,
évoquant l’introduction de la partie double dans la
Caisse d’amortissement (1800), indique : «j'eus la
sagesse de ne pas me vanter de cette innovation...
On n'aurait pas manqué de dire qu'il n'était pas de la
dignité d'une administration publique d'emprunter
des formules commerciales ».
En dépit de ces arguments polémiques, il semble
que les gens de finance n’aient pas eu à choisir
entre deux méthodes qui reposeraient sur des talents
et peut-être des moralités opposées, cultivant soit
l’une soit l’autre. Au contraire, le choix semble être
instrumental, lié à la seule finalité du compte. La
comptabilité en recette et dépense est une
comptabilité de trésorerie, dans laquelle ne sont
enregistrés que des mouvements effectifs de
moyens de paiement, monnaie ou effets. Cela suffit
pour une reddition de compte, le titulaire des fonds
s’intéressant avant tout au résultat final, pour les
raisons exposées plus haut. Au contraire, la
comptabilité en parties simples et la partie double
sont par essence (ou presque car ce n'est pas non
plus obligatoire) des comptabilités d’engagement,
qui doivent permettre à celui qui manie les fonds de
savoir à tout instant quelles sont les créances à
recouvrer ou les dettes à payer et quel est l’état de
ses relations avec chacun de ses partenaires. Les
affaires faites pour le compte du roi peuvent se
prêter à cette comptabilité, si ce sont les bénéfices
du comptable qu’il faut compter. Aussi, est-il
envisageable que des financiers tiennent de front
deux comptabilités, l’une destinée à leur reddition
de comptes, l’autre, à leur usage personnel et à celui
de leurs compagnons. En témoigne à la fin du
XVIIIe siècle le cas, étudié par Gaspar Feliù, de ces
compagnies d’hommes d’affaires qui afferment les
revenus d’un seigneur catalan : ils comptent en
recette et dépense pour rendre compte de leur
affermage au seigneur et, pour la même affaire, en
partie double pour évaluer en interne les bénéfices
de l’opération et les partager entre les associés de la
compagnie. Rares sont les travaux qui font
apparaître cette cohabitation des deux méthodes
pour une même affaire de finance, et il serait
souhaitable de vérifier si ceux qui créent des
compagnies pour affermer les taxes du roi, fournir
ses années ou administrer ses manufactures en
usent de même, ou s’ils recourent, pour leur
comptabilité interne, à la partie simple ou à la
recette et dépense.
Il convient de signaler qu’à l’instar de la partie
double, la méthode de tenue des livres en recette et
dépense n’est pas demeurée intangible au fil des
siècles modernes. Elle est en effet susceptible
d’aménagements visant à réduire les possibilités de
fraude et à donner aux responsables des finances les
moyens d’avoir une idée précise de l’état des
finances chaque fois que nécessaire, sans qu’il soit
besoin de comparer les comptes rendus par
différents comptables plusieurs années après la fin
de leur exercice. Panni les plus fréquents, on citera
les consignes données pour éviter la manipulation
des documents : ne pas laisser de blanc, noter les
nombres en toutes lettres, préciser toujours dans les
parties* quelles sont les monnaies ou effets utilisés,
utiliser des cahiers reliés plutôt que des feuillets
percés et attachés ensemble par un cordon, les faire
viser par un contrôleur, les accompagner de
certifications*, recourir à des formulaires pré­
imprimés. S’y ajoute la multiplication de la
fréquence des états rendus en cours d’exercice. En
Espagne, la mise en place d’un Contrôleur de la
Raison* (1543) est une façon d’institutionnaliser
l’élaboration régulière de bilans de la situation des
finances sans renoncer à la tenue des livres en
recette et dépense. Outre le contrôle réciproque
exercé entre comptables, contrôleurs et
administrateurs, les administrations comptent aussi
sur l’intérêt contradictoire des différents comptables
pour détecter la rétention* de fonds que pourraient
cacher les livres de comptes : ainsi, si le receveur a
tout intérêt à omettre* ou retarder l’enregistrement
de la recette, le fermier qui lui a remis celle-ci a
avantage, au contraire, à se faire décharger de la
somme qu’il lui a versée sans attendre. La réforme
des Chambres des Comptes et de la Trésorerie
générale entreprise en Espagne en 1717-1718
repose précisément sur ce mécanisme.
Signalons enfin que, si la partie double semble
s’imposer aux régimes libéraux comme la solution
la plus viable au XIXe siècle, l’histoire n’est pas
linéaire. En Argentine, après que la république
fondée au lendemain de l’Indépendance s’est dotée
d’une comptabilité en partie double dans le courant
des années 1820, le dictateur Rosas revient aux
méthodes antérieures pendant les années 1840.
A.D. et Y. L.
Voir Bielfeld, Partie double, Présentation des
Comptes, Reprise
Sources : Ferrière C.J. de, t. II (1779), notice
« Officiers de finance », p. 258-259. Irson C.
(1678). Hénouville P.B. d’ (1709). « Compte en
charge et décharge que M. Robert Dubourg
Directeur, rend à Messieurs les seigneurs
propriétaires des Forges et forêt de Brécilien », un
établissement partagé entre treize seigneurs
copropriétaires et plus connu sous le nom de Forges
de Paimpont (A.D. Ille et Vilaine C 1478. Forges
de Brécilien). Mollien N. (1845), 1.1, p. 227. AN,
K.K 1005 C: Paris la Montagne, «Traité des
administrations des recettes et dépenses du
royaume », 1733. « Instrucciôn de 10 de diciembre
de 1753, para el gobiemo de la Tesoreria General ».
Comptes des Trésoriers généraux Fernando Verdes
Monténégro (janvier 1721-février 1724), Nicolas de
Hinojosa (mars-septembre 1726) et Tomâs de
Iriberri (octobre 1726-septembre 1727), AGS,
Tribunal Mayor de Cuentas, leg. 1922-1928, 1938-
1944. Bielfeld (1760), t. 1, chap. 12, § 35.
Bibliographie : Chatfield M., « Médiéval account
keeping », in Chatfield M. (1977), p. 19-29. Hamon
P. (1997). Lemarchand Y. (1997). Edwards J.R.,
« Charge and discharge accounting », in Edwards
J.R. (1989), p. 32-44. Donoso Anes A. (1997 et
1999). Feliu G., « El negocio de los arrendamientos
de rentas senoriales: examen de un libro de
cuentas », Revista de Historia Econômica, III, 1985
p. 31-54. Halperin Donghi T. (2005).
Recettes (Collège des)
Au début du XVIIIe siècle, Pierre le Grand réforma
son administration centrale, en créant à la place des
anciens prikazy des collèges (kollegii) à la suédoise.
Institué par les oukases du 11 et 15 décembre 1717,
le Collège des Recettes (en russe : Kamer-kollegija)
était chargé de surveiller la gestion des revenus de
l’État. Le prince Dmitrij M. Golicyn devint son
premier président. À son coté, le conseil collégial
fut composé d’un vice-président, des conseillers et
des assesseurs. La tenue des écritures était assurée
par le secrétaire et des commis subalternes. Le
procureur fiscal (fiskal), remplacé en 1722 par le
procureur, veillait au respect des règlements et au
bon déroulement des activités du collège. En 1720,
on y recruta 207 employés, mais l’institution n’était
pas à plein effectif.
Le Collège des Recettes réunit sous son autorité le
Bureau des deniers du sel jusqu’en 1723 et en
1727-1731, le Bureau des accises (supprimé en
1730), le Bureau des fermes* et des fournitures, le
directeur et les inspecteurs des cadastres, les
douanes intérieures. Il s’occupait également des
travaux publics, des forêts, de la pêche et de
l’agriculture (en 1723, on y créa un service pour
s’informer sur l’état des récoltes et les prix du blé
selon les gouvernements). En 1730, il reçut la
mission de réviser les comptes publics (à
l'exception de ceux des services militaires) des
années 1719-1726. Dans les années 1750-1760, il
avait la direction des distilleries et des magasins
publics à vin et ainsi fut chargé de poursuivre la
fraude en cette matière. Ses organes locaux étaient
les camériers (kameriry) et les commissaires
provinciaux (zemskie komissary).
337
 Suivant le règlement du 11 décembre 1719, le
Collège des Recettes était une administration
supérieure en matière de recettes. Il devait connaître
la nature et la situation des revenus tant ordinaires
qu’extraordinaires dans l’ensemble du pays. A cette
fin, il conservait les rôles de recensement de la
population et devait tenir un livre contenant
l’énumération de toutes les ressources de l’État
(okladnaja kniga). Il veillait aux opérations de
recouvrement en s’y référant. Cependant, en
cherchant les moyens d’augmenter les revenus
publics, il ne pouvait pas établir de nouvelles taxes
sans l’approbation du Sénat. Enfin, il procédait
conjointement avec le Collège des Dépenses* à
l’établissement des états* prévisionnels des
finances pour l’année à venir. Après avoir examiné
les principaux postes de dépenses pour l’armée, la
marine, l’appareil administratif et la Cour, il
organisait la ventilation des ressources disponibles
en fonction de ces dépenses. Techniquement, la
procédure consistait à affecter à chaque poste de
dépenses un fond détenniné et à indiquer une caisse
de paiement. La pratique d’assignation* et de la
spécialisation des recettes* n’était pas certes propre
à la Russie mais semble bien caractériser la gestion
financière des autres États européens à la même
époque.
Peu après son établissement, le Collège procéda à la
collecte des renseignements sur l’état des revenus
dans les gouvernements en vue de dresser le livre
général des impôts de l’Empire. Mais les états
tardaient à lui parvenir. La prescription fut répétée
par les oukases du Sénat en 1720 et 1721, et les
officiers de la Garde impériale étant envoyés sur
place afin de contraindre les gouverneurs et leur
personnel. C’est ainsi que le Collège des Recettes
parvint à dresser les états généraux des
recouvrements attendus et effectifs pour les années
1722, 1723 et 1724, suivis d’un état prévisionnel
des revenus de 1724. Mais ces documents
n’offraient pas un tableau complet des ressources de
l’Etat. Ils ne comprenaient pas les impôts directs et
contributions destinées à la construction de la flotte,
aux recrues, aux moyens de transport, à la
fourniture des vivres et aux fourrages, qui allaient
être remplacés par l’impôt de capitation (l’impôt sur
les « âmes») en 1724.
Dès le début, le Collège des Recettes avait
principalement en charge la gestion des impôts
indirects, tels que les droits sur les boissons, le sel,
le tabac, les douanes intérieures, ainsi que des droits
dits « de chancellerie » et des revenus du domaine
de l’État. En revanche, les revenus de la capitation,
qui devint la plus importante imposition directe en
Russie au XVIIIe siècle, passaient directement à la
caisse du Collège de la Guerre. Les cours des
monnaies furent rattachées au Collège des Mines en
1720. Le Collège des Manufactures s’occupait du
papier timbré. Le Collège du Commerce disposait
des recettes des douanes extérieures. Le Bureau de
338
Sibérie levait l’impôt sur la fourrure (yasak). Le
Bureau des affaires de Livlande et d’Estlande
recevait les prélèvements sur la population des
territoires nouvellement conquis. Les réfonnes
pétroviennes n’aboutirent donc pas à centraliser la
gestion financière, bien qu’elles allassent
manifestement dans ce sens.
Le tableau prévisionnel des finances de l’année
1725 est reproduit dans le fameux ouvrage intitulé
L'état florissant de la Russie du secrétaire en chef
(ober-sekretar) du Sénat Ivan Kirilov. Il s’agit là
d’un document budgétaire proprement dit, qui
prévoyait et énumérait de manière plus complète
que jusqu’alors les recettes et les dépenses
ordinaires de l’État. Son analyse fait apparaître les
changements quantitatifs et qualitatifs survenus
dans les finances russes sous le règne de Pierre Ier.
La majeure partie des revenus provenait de la
capitation, levée sur la base de 70 kopecks par
contribuable de sexe masculin selon l’oukase de
Catherine Iere de 1725 et entièrement assignée à
l’entretien de l’année ; les dépenses de la marine et
de la Garde impériale étaient payées sur les revenus
des douanes et de la vente des boissons de quarante
provinces ; les revenus du domaine et du
gouvernement de Riga couvraient les dépenses de la
maison impériale ; les bénéfices de la frappe des
monnaies étaient destinés aux dépenses de la
diplomatie, tandis que les administrations
consommaient les revenus qu’elles percevaient
chacune dans leur ressort.
Confronté à une mauvaise rentrée des impôts et au
coût élevé de fonctionnement de l’administration, le
Conseil suprême secret (Verhovnyj Tajnyj Sovet)
décida de réduire les dépenses administratives. En
1726, il décréta la suppression du Collège des
Mines, du Magistrat principal et du Collège des
manufactures ; le Collège des Dépenses fut intégré
au Collège des Recettes. Au niveau local, l’oukase
du 14 mars 1727 supprima les charges de camériers
et de trésoriers des gouvernements, en enjoignant
aux gouverneurs et voïévodes de remplir des
fonctions polyvalentes de justice, police et finances.
Toutefois, en démantelant le réseau des institutions
financières locales, la nouvelle organisation de la
comptabilité introduite au cours des réfonnes selon
les usages de la comptabilité camérale suédoise fut
maintenue. Celle-ci reposait sur l’utilisation d’une
grande quantité de livres et le suivi régulier par
l’administration supérieure de l’activité de ses
subordonnés par le biais de nombreux comptes
rendus. Dans la pratique, les agents du pouvoir
local arrivèrent mal à traiter un flot d’affaires
multiples en charge. Leurs états de comptes étaient
transmis avec retard, et par conséquent le Collège
des Recettes n’était plus en mesure de suivre
l’évolution des revenus de l’État et de tenir à jour
les livres de taxation.
Anna Ivanovna, devenue impératrice en 1730,
rétablit l’autonomie institutionnelle du Collège des
Dépenses et réorganisa le Collège des Recettes. En
fait, celui-ci fut dédoublé par la création du
« nouveau » Collège des Recettes possédant son
propre personnel. Il se vit promulguer le règlement
du 23 juin 1731 qui lui assigna comme tâche
principale d’établir un nouveau livre général des
impositions pour tout l’empire. A cette fin, il
s’attela à réviser la fiscalité à partir des livres de
comptes des années 1719-1732. En même temps,
les différentes caisses devaient lui faire connaître
les recouvrements et les dépenses faites sur ces
fonds par les bordereaux mensuels et les états
semestriels et trimestriels. De son coté, l’ancienne
institution continuait à fonctionner afin d’assurer le
prompt recouvrement de l’arriéré d’impôts.
Malgré les efforts consentis, le Collège des Recettes
ne remplit pas la mission qui lui incombait. Vers
1735, il rassembla plus de treize milles registres,
états et comptes rendus transmis par différentes
administrations, dont il ne parvint à traiter qu’une
faible quantité. En l’absence d’une gestion
centralisée de la trésorerie, le travail
d’établissement du livre général d’imposition
devint une besogne insurmontable. Il fut relancé en
1738, sous la surveillance du Sénat, mais en vain.
Dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle, la Russie
connut un retard chronique dans le paiement des
impôts et un accroissement des dépenses publiques.
Le gouvernement d’Elizabeth Petrovna (1741-
1761) chercha à couvrir le déficit par
l’augmentation des impôts indirects, les
manipulations monétaires et le développement du
commerce et d’industrie. Entre 1755 et 1757, la
réforme du régime de douanes réalisée sur le projet
du comte Petr Suvalov supprima les barrières et les
taxes douanières à l’intérieur du pays. Pour éviter
une perte de revenus au Trésor, on augmenta les
tarifs douaniers sur le commerce extérieur et les
prix du sel et du vin. Les transferts de fonds de
caisse à caisse entraînèrent une confusion des
comptabilités. En 1747, le Collège des Recettes
dressa à la demande du Sénat les états généraux des
revenus levés successivement par différentes
caisses de 1742 à 1746, mais leurs chiffres étaient
incomplets. De fait, la monarchie n’avait aucune
idée précise sur l’évolution globale de ses
ressources. La conduite de la guerre de Sept Ans
(1756-1763) aggrava le déséquilibre entre les
recettes et les dépenses de l’État.
À son avènement au trône, Catherine II (1762-
1796), pour dynamiser l’activité du Collège des
Recettes, renforça ses effectifs et créa en 1764 un
département pour résorber plus de 96 000 dossiers
non résolus qui s’y étaient accumulés au fil des
années. En même temps, l’impératrice tendait de
plus en plus à confier au procureur général du Sénat
Alexandre Vjazemskij le traitement des affaires
financières les plus importantes. En 1773, il devint
le chef de l’Expédition des Recettes d’État
(Ekspedicija o gosudarstvennyh dohodah), où allait
progressivement se concentrer tout le travail sur
l’établissement du budget. En définitive, les livres
généraux de taxation furent confectionnés en 1769,
1773, 1776 et 1777. La préparation des états
prévisionnels des finances fut annuelle à partir de
1781. Avec la réforme de 1775 qui reconstruisit
l’administration locale, les chambres de Trésor
(kazennaja palata) allaient concentrer entre leurs
mains la gestion des revenus et des dépenses dans
les gouvernements. Tout ceci entraîna la
suppression du Collège des Dépenses en 1780, du
Collège des Recettes en 1784 et du Collège de
Révision des comptes* en 1788. Le Collège des
Recettes sera rétabli de 1797 à 1801 mais seulement
avec la mission restreinte de gérer les distilleries
publiques, T affermage de la fabrication et de la
fourniture des eaux-de-vies pour les magasins
publics. N. P.
Sources : AAAR, fonds 248 (Sénat), inventaire 15,
39-41, 88, 110 (Dossiers concernant le Collège des
Recettes, 1719-1764); f. 273 (Collège des
Recettes), inv. 1-2 ; f. 350 (Rôles de recensement et
livres d’imposition), inv. 1-3 ; f. 353 (Bureau
chargé de lever les deniers du sel), inv. 1-2 ; I. K.
Kirilov, Cvetuscee sostojanie gosudarstva
Rossijskogo, Moscou, Nauka, 1977 ; Polnoe
sobranie zakonov Rossijskoj imperii, 1 éd., St.-
Pétersbourg, 1830, t. 5, n° 3128, 3129, 3133, 3466
(Règlement du Collège des Recettes du 11
décembre 1719), 3468 ; t. 6, n° 3524, 3583, 3992 ;
t. 7, n° 4175, 4293, 4548, 4928 ; t. 8, n° 5543, 5628,
5789 (Règlement du Collège des Recettes du 3 juin
1731), 5827, 6145, 6159; t. 10, n° 7396, 7860 ; t.
13, n° 9750; t. 15, n° 11187; t. 16, n° 12118,
12239 ; t. 17, n° 12448 ; t. 18, n° 13338 ; t. 19, n°
13622 ; t. 20, n° 15003 ; t. 21, n° 15530 ; t. 22, n°
16096 ; t. 24, n° 17797 ; t. 26, n° 19316, 20068 ;
Sbornïk Russkogo istoriceskogo obscestva, St.-
Pétersbourg, 1885, t. 5, p. 219-295 et t. 6, p. 220-
304.
Bibliographie : Anisimov E.V. (1997). Bondarenko
V. N., Ocerkifinansovoj politiki Kabineta ministrov
Anny Ivanovny, Moscou, 1913. Ceculin N.D.
(1906). Jasnopolskij L.N. (1912). Kulomzin A.
(1869). Kurukin I.V., «Naglo kaznu
razvorovyvat’... ». Finansovye « kamfuzii » pri
Anne Ionnovne », Rodina, (4), 2004. Miljukov P.N.
(1892). Platonova N., «The govemment reforms
and accounting practice in Russia...” (à paraître).
Schmidt S.O., « La politique intérieure du tsarisme
au milieu du XVIIIe siècle», Annales. Economie,
Société, Civilisations, (21/1), 1966, p. 95-110.
(1966). TroickijS.M. (1966).
Receveur
C’est, dit Y Encyclopédie méthodique, partie
Finances, « un officier, soit en titre, soit par
commission, dont les fonctions sont de recevoir les
deniers dont le paiement est ordonné [ordonnancé]
339
 entre ses mains. On distingue autant de receveurs
qu’il y a de parties qui les emploient. Ainsi l’on
connaît les receveurs des aides, les receveurs des
domaines*, les receveurs des gabelles, les receveurs
des loteries* [ou buralistes], les receveurs des
traites. Tous ces receveurs se divisent encore en
receveurs généraux et receveurs simples ou
particuliers. » Ceci pour les receveurs de l’État car
l’Église avait ses receveurs pour les décimes, les
pays d’états en avaient pour leurs subsides, les
villes pour leurs impositions et enfin les seigneurs
pour leurs droits. La définition reste exacte après
1789, quoique l’exercice ne se fasse plus par office
formé, mais elle omet, pour l’ancien comme pour le
nouveau régime, les fonctions de financiers que
certains receveurs ont été obligés d’exercer
également, les receveurs généraux des finances*
notamment, tant que le crédit public ne s’est pas
établi en France. B.L.
Receveur général des finances
Contrairement aux trésoriers, qui constituent l’autre
grande catégorie de comptables publics* dans
l’ancienne France, les receveurs portent un titre
dénué d’ambiguïté. Leur fonction principale
consiste à recevoir les impositions et les droits dus
à l’État. Leur caisse leur permet d’exécuter
commodément, d’après l’état du roi* annuel déjà
ordonnancé ou non et en évitant les transferts de
fonds, des dépenses locales qui varient peu d’une
année à l’autre. Les receveurs généraux et
comptables équivalents versent aussi des fonds aux
caisses des principaux payeurs d’après les
assignations* que ceux-ci reçoivent du Trésor, ou
au Trésor lui-même en cas d’excédent. L’existence
des receveurs date de la création des impôts royaux,
c’est-à-dire au XIVe siècle. Le système des caisses,
comportant l’affectation des dépenses locales aux
recettes et l’envoi du surplus au centre, remonte
quant à lui aux carolingiens.
La réforme de François F (1542)
L’administration des finances du roi était divisée en
finances ordinaires et finances extraordinaires. La
première, celle des revenus du domaine et la plus
ancienne, est assurée par des officiers royaux,
baillis, sénéchaux et prévôts, des juges qui font
fonction de comptables. D’autres officiers, les
receveurs, supplantent les premiers ; ils sont placés
sous la surveillance de quatre Trésoriers de France
chargés d’inspections dans les quatre
circonscriptions du royaume. La seconde
administration, celle des impositions, revient
d’abord aux Etats généraux. Les provinces
soumises à l’impôt décidé par les états de 1355 sont
divisées en neuf généralités. À la tête de chacune
d’elles est placé un général des finances, secondé
par deux receveurs généraux, également élus. Le
général contrôle les rentrées et ordonnance les
dépenses ; les receveurs concentrent les recettes et
340
acquittent les dépenses. La séparation des
ordonnateurs* et des comptables* est donc
observée dans ce service dès le début.
François Ier rapproche les deux administrations des
finances en leur donnant le même cadre territorial et
confie à des receveurs généraux résidents la caisse
unique de chaque généralité, dans laquelle ces
comptables doivent rassembler les deniers des
recettes du domaine, des aides ou équivalents, de la
taille, des gabelles, décimes de l’Église, octrois,
contributions des villes et autres deniers
extraordinaires. Les anciens receveurs exerçaient
par commission, les nouveaux sont des officiers
titulaires. L’union des caisses ne dure pas car les
receveurs des aides, gabelles, etc. sont rétablis. Les
généralités ou recettes générales sont au nombre de
seize d’après les deux édits de décembre 1542.
Onze d’entre elles sont en pays dits d’élections,
cinq en pays d’Etats. La recette générale de
Grenoble est agrégée au groupe des onze ; du reste
le Dauphiné perd ses états en 1628. Les recettes
générales de pays d’ Etats subsistent, mais les
trésoriers des états collectent et manient la plus
grande partie des fonds. Des douze recettes de 1542
on passe à vingt en 1716 dans les pays d’élections.
Cet ancien cadre fiscal sert à l’établissement des
intendants et, à ce titre, il est généralisé à toute la
France, y compris les régions annexées de fraîche
date, avec des aménagements territoriaux. Les
généralités restent assez artificielles en ce que des
régimes fiscaux différents peuvent s’y côtoyer.
Cinq généralités récentes abritent une recette
générale assimilée à celle des pays d’élections:
Lille, Metz et Strasbourg (une seule recette
générale), Besançon, Nancy, portant à vingt-quatre
le nombre des recettes générales en 1781, et à
vingt-trois celles qui sont couvertes par le réseau
des recettes particulières (Lille fait exception), sur
un total de trente-trois généralités (trente-quatre
après 1784). D’après les évaluations de la
population par généralités que fournit Necker, la
perception de la taille, de la capitation et de leurs
accessoires par la voie des receveurs des tailles se
fait sur 72 % de la population du royaume.
Chaque année, sont établis un état général des
paiements à faire à l’Épargne et des états divisés par
généralités et par recettes particulières pour les
dépenses locales. Chaque receveur des tailles ou
receveur particulier des finances (cette appellation
subsiste seule après 1782) participe aux dépenses
assignées sur sa caisse. À partir de 1550, il doit
fournir des états trimestriels faisant ressortir la
situation de sa caisse et, en fin d’année, un état au
vrai* des recettes et des dépenses qu’il a faites ; il
transmet l’état au receveur général, à destination de
l’Épargne et du Conseil du roi. Dès 1553, les
offices de receveur général sont dédoublés, et des
offices triennaux apparaissent sous Henri IV. Les
emplois vénaux sont multipliés, et les officiers non
comptables forment, dans chaque généralité
effective, un bureau des finances fonctionnant à la
fois comme administration et comme juridiction.
Henri III constitue ces bureaux formellement par
l’édit de juillet 1577, qui unit les charges de
Trésorier de France et de général des finances sous
le nom de Trésorier général de France. Un autre
édit, au mois de mars 1693, achève la réforme par
la réunion des dernières chambres du domaine (sauf
celle de Paris) aux bureaux des finances. Enfin, par
un édit de février 1554, Henri II crée deux offices
de contrôleur général dans chaque recette générale
des finances. Certains contrôlent aussi les receveurs
généraux des domaines et bois. Leurs attributions,
qui paraissent bien minces, se sont ensuite limitées
au contrôle des quittances comptables délivrées par
le receveur général aux receveurs des tailles, et à
rien lorsque les receveurs des tailles comptent avec
les receveurs généraux seulement (1772). Un édit
de juin 1779 supprime ces offices sans retour.
L’opération de 1542, qui suit l’unification du
Trésor sous le nom d’Épargne en 1523, est une
confusion qui tend, ainsi que Loyseau l’a écrit, « à
ôter au peuple la mémoire de ce que les aides et
deniers extraordinaires provenaient de son octroi et
consentement libre ». François Ier a hérité d’une
dette considérable que les guerres d’Italie ont
formée, et il l’entretient en les poursuivant et en
déployant beaucoup de faste. Il vend des offices sur
une échelle inconnue jusque-là et emprunte de
grosses sommes. Dès ce moment les difficultés
financières de la royauté deviennent quasi
permanentes jusqu’à sa chute. Les receveurs
généraux profitent ensuite des troubles religieux
pour embrouiller leur comptabilité. Sully est le
premier ministre des finances à être parvenu à
l’éclairer pour un temps. Son successeur, le marquis
d’Effiat, avoue aux Notables réunis en 1626 que
«les trésoriers [de l’Épargne] ont perverti tout
l’ordre et obscurci leur maniement, afin qu’on ne
pût apprendre, par l’Épargne, les recettes qui
s’étaient faites dans les généralités, ni pareillement
juger des dépenses, quoique l’Épargne soit la
source d’où doive sortir les moyens de les faire».
Les recettes de tant d’années sont la source de tant
de confusion et de divertissements « qu’il n’était
pas possible de discerner les vraies recettes et
dépenses d’avec les vraisemblables », ajoute le
surintendant. Colbert* constate les mêmes abus : ils
viennent surtout de la confusion des recettes,
chaque receveur déguisant l’état de sa caisse. Un
ministre pressé recourt alors aux emprunts ou
traités ruineux. Il rappelle les états et comptes à
fournir dans un délai qui évite l’accumulation de
fonds considérables dans les mains des receveurs
généraux. Il les oblige à signer des résultats* ou
soumissions* afin de fixer le paiement des tailles
dans l’espace de 18 puis de 15 mois. La tenue d’un
journal détaillé leur est à nouveau prescrite. Le
désordre revient après sa mort et les receveurs
profitent de la détresse de l’État.
Le régime définitif des recettes des finances
Les bureaux des finances ont longtemps fonné le
principal service financier local. L’arrivée
d’intendants à poste fixe, à partir de 1634 et, de
manière définitive après 1661, oblige les receveurs
à collaborer avec les nouveaux venus pour la taille
et, plus encore, pour les nouveaux impôts directs
(capitation, dixième, vingtième) dont
l’administration leur est confiée en entier. Les
receveurs ne sont pas leurs subordonnés, pas plus
qu’ils ne le sont des trésoriers de France, mais ils
travaillent pour eux et doivent répondre devant eux
des tâches qui leur sont demandées.
Les soumissions des receveurs généraux
contiennent les sommes à verser en différents
tennes et dont le total est égal à celui des brevets*
des impôts directs réglés au Conseil royal des
finances. L’irrégularité des perceptions dans
l’année est à l’origine de ces sortes de traités mis au
point sous le ministère de Philibert Orry. Les
receveurs généraux anticipent les revenus en
envoyant, au début de l’année, des rescriptions* aux
départements ministériels via la caisse commune ;
ceux-ci les utilisent selon leurs besoins de
paiements. Chaque receveur général signe ses
rescriptions tirées sur son commis en province et en
est responsable. Il les libelle selon les montants et
les services désignés dans les états du roi ou les
états de distribution*. Il s’engage donc à collecter
les sommes indiquées et à en avancer une partie
sous la fonne de rescriptions*, effets négociables
dont la valeur dépend de son crédit. Les receveurs
généraux, à l’inverse des receveurs particuliers,
sont donc plus financiers que comptables ; le
gouvernement attend d’eux des avances ou
anticipations* des recouvrements futurs. Les
receveurs des tailles sont obligés de verser les fonds
(recette nette) aux receveurs généraux un mois
avant que ceux-ci les versent au Trésor. Lorsqu’ils
sont en avance, ils touchent une prime de 2 d.p.l.
sur le montant, et les receveurs généraux en
profitent aussi, parce qu’ils jouissent plus
longtemps de ces fonds. S’ils sont en retard, les
receveurs généraux touchent la prime à leur place.
Divers avantages figurent dans les soumissions et
traités. La réforme de 1780 a permis de disposer des
fonds morts dans toutes les caisses. La suppression
définitive des charges aurait permis de compter
définitivement avec les receveurs généraux et de
recouvrer les débets considérables qui seraient
venus diminuer la valeur des finances à rembourser.
Un édit d’août 1669 limite à deux le nombre des
receveurs particuliers dans chaque élection, et l’on
s’en est tenu à ce nombre jusqu’à la Révolution,
sauf à la fin, désastreuse, du règne de Louis XIV.
Avant 1775, le receveur général a un traité avec
chaque receveur de la généralité, mais ces receveurs
comptent devant une Chambre des comptes. En
1772, l’abbé Terray astreint les receveurs à compter
341
 désormais de clerc à maître* avec leur receveur
général, parce qu’il n’y a pas lieu de compter deux
fois des mêmes parties d’un compte. Le receveur
général devient civilement responsable des
receveurs, mais il semble qu’il n’a pas le droit de
présentation des nouveaux venus. Trois ans plus
tard, 317 receveurs détiennent les 418 offices
existants (276 en 1781). Turgot a vu une belle
économie à réaliser, à la fois pour l’État et pour les
contribuables. L’édit d’août 1775 met donc en
extinction l’une des deux charges de chaque
élection quand elle vient à vaquer et oblige le
titulaire de l’autre charge à la racheter contre la
jouissance des taxations, ce qui revient à
reconnaître que les fonctions sont bien payées et
qu’elles ne sont pas exténuantes. L’État se libère
des charges et des gages sans bourse délier ; du
point de vue de l’officier, c’est une augmentation de
finances sans augmentation de gages. L’édit de
janvier 1782, pris à la suite du rétablissement des
receveurs généraux, recrée les 418 charges comme
elles étaient avant 1775 sous le nom d’offices de
receveur particulier des finances, mais sous les
receveurs généraux.
Necker* fournit encore, à propos des receveurs
particuliers, des observations fort justes en réponse
à des arguments un peu trop convenus ou intéressés
pour être crédibles. Comme le recouvrement de
l’impôt s’étale réellement sur une période de 18 à
24 mois, les receveurs sont actifs en permanence et
ils peuvent pressurer les contribuables
concurremment pour deux exercices différents mais
entremêlés. L’unité est évidemment favorable aux
contribuables ; les receveurs l’accepteraient, assure
le ministre, s’ils ne devaient pas payer double
finance. Il est vrai que les receveurs avides
s’arrangent pour accélérer le recouvrement et
profiter des délais de leurs traités pour faire
travailler l’argent public à leur profit. La régie*
essayée en 1780 aurait permis d’éclairer la gestion
des receveurs, que les receveurs généraux
n’auraient plus masquée. L’argument mis une fois
de plus en avant pour rétablir l’exercice alterné est
de rendre la comptabilité plus distincte. Or, un seul
comptable avec deux registres peut entretenir le
même ordre que deux receveurs alternatifs. La
vérité, c’est qu’il y a davantage de places à nommer
et de petites avances supplémentaires à espérer,
contre une augmentation des frais de
recouvrement*.
La tentative de réforme de la comptabilité
Le Régent, par la déclaration du 24 mars 1716,
ordonne le visa* des billets délivrés par les
receveurs généraux pour le montant des
assignations tirées sur eux par anticipation et aussi
des billets de la caisse Le Gendre. Dans une
deuxième étape, il veut mettre de l’ordre dans les
journaux* des receveurs et des receveurs généraux,
afin de contrôler les uns par les autres : c’est
342
l’opération de juin 1716 qui a permis d’arrêter tous
les comptes à la même date.
La déclaration du 10 juin 1716 oblige ces officiers
parisiens, dont chacun rémunère un commis dans sa
généralité, à tenir une « caisse commune* et
générale d’administration » au lieu de leurs
réunions ; ils doivent remettre dans cette caisse le
montant des impositions qui revient au Trésor, y
compris le reliquat des années précédentes. La régie
est confiée à dix receveurs généraux nommés par le
roi et responsables solidairement des fonds de la
caisse ; ils veillent aux recouvrements et à l’emploi
ordonné des fonds et empêchent les
divertissements. Les receveurs particuliers qui font
le moins de frais et recouvrent plus rapidement
doivent recevoir des gratifications. Au contraire, les
receveurs négligents ou qui ont intérêt au désordre
risquent la dépossession. Les receveurs n’ont plus
le droit de retenir de deniers provenant de leurs
recouvrements, sauf leurs émoluments personnels.
Avec les copies des journaux que les commis des
receveurs généraux lui adressent chaque quinzaine,
le bureau d’administration de la caisse commune
tient des livres par natures de dépenses et de
recettes pour tous les receveurs généraux et
particuliers. Le caissier donne chaque jour un état
de sa recette et de sa dépense. Les deux
commissaires chargés de la caisse vérifient tous les
quinze jours les états de distribution sur le registre
de la caisse et sur les pièces, article par article ; ils
en font l’arrêté au bas, afin de garantir l’exécution
des ordres du roi et des autres ordonnateurs*. Le
caissier rend compte à chaque receveur général,
parce qu’il retire les décharges du Trésor pour ses
versements réels ou fictifs. La caisse commune a
permis de faire rentrer les sommes dont les
receveurs étaient débiteurs. La connaissance de
dettes restées impayées a permis d’étaler leur
règlement sous la Régence ; il aurait été plus aisé si
les parties prenantes n’avaient usé de leur crédit
pour obtenir des acomptes variables selon ce qu’il
était. Cette institution a duré et a passé le siècle,
même si, par la déclaration du 9 juillet 1726, la
caisse a cessé de contrôler les comptes des
receveurs ; son rôle se réduit au règlement des
rescriptions et aux avances*.
Le procès des receveurs généraux
La levée des impôts directs de près des trois quarts
de la population est placée sous la direction de 48
officiers résidant à Paris et exerçant leur charge
alternativement. Leur situation leur permet de jouir
des fonds publics pendant des périodes plus ou
moins longues, « soit pour payer les engagements
qu’ils auraient pris pour acheter leurs charges, soit
pour faire au roi des avances à intérêt avec ses
propres deniers, soit enfin pour entrer dans des
affaires particulières » (Compte rendu au Roi de
1781). Forbonnais juge dès 1758 que les receveurs
particuliers pourraient faire également le service
forme actuelle. Ces comptes sont arrêtés par le
des receveurs généraux et que la caisse commune
caissier général et les receveurs généraux choisis
pourrait former une caisse du Trésor. L’usage du
par la compagnie. Le caissier fait les soumissions
crédit est un argument spécieux, poursuit-il, parce
des receveurs généraux supprimés entre les mains
qu’un particulier, en prêtant de l’argent à ces
du contrôleur général, sous la garantie des douze. Il
derniers, « connaît très bien la nature de cet
émet toutes les rescriptions au nom de la compagnie
engagement et, s’il n’avait point de confiance dans
et les fait contresigner par trois receveurs au moins,
l’État, il ne prêterait pas ou se prévaudrait sur les
ce qui est la négation de leur crédit individuel. Il
conditions du risque qu’il s’imaginerait courir ». Il
affirme que cette dépendance volontaire de l’État rend compte du montant des impositions et de
l’acquit des charges figurant dans les états du roi*.
lui a toujours coûté cher et a même été forcée,
Le nouvel ordre ne touche donc que les receveurs
lorsque l’argent s’est trouvé en leurs mains. S’il
généraux et la caisse commune ; il n’y a rien de
dépense par anticipation, il lui suffit de donner des
changé pour les commis dans les généralités (à ceci
promesses du Trésor ou de disposer d’une caisse
près qu’ils deviennent salariés de l’État) ni pour le
des emprunts, s’il rembourse rapidement ; le crédit
réseau des receveurs particuliers. D’après cette
de ces financiers ne suffit du reste pas pour
description, le nombre des receveurs généraux
emprunter à long terme. Forbonnais conclut ainsi.
conservés sous un autre habit est très excessif :
Le crédit national est proportionnel à l’exactitude et
Necker voulait ménager ainsi la transition vers la
à l’économie du gouvernement, ainsi qu’à l’étendue
fusion avec le Trésor. Le choix des douze, contraire
des ressources publiques. En revanche, « le vain
à ses vœux, a favorisé la résistance des 36 receveurs
étalage de crédit des compagnies de finances
évincés. L’opération est loin d’être terminée
ressemble exactement à celui que ferait un grand
lorsqu’il démissionne, si bien que le retour en
seigneur d’une multitude de domestiques, qui
arrière en a été facilité.
s’enrichissent des débris de sa fortune ».
Necker partage cette opinion. Il considère d’une Son successeur, Joly de Fleury, favorable à l’ancien
système, avance que ses receveurs généraux signent
manière générale que le seul moyen de mettre une
les rescriptions* sans garantir l’exactitude des
grande manutention d’argent à l’abri de
paiements, alors que les prêteurs voient en elles des
l’inquiétude, c’est de la confier à une compagnie.
assignations sur le Trésor. Ainsi seraient-elles
C’est ainsi que les receveurs généraux des
inopérantes ou moins recherchées, et le
domaines et bois ont été rassemblés en une régie en
rétablissement des receveurs généraux devient dans
1777. De cette façon, il n’est plus possible de se
ces conditions une nécessité. Necker n’a pas de mal
servir de l’argent public à des fins particulières ou
à répondre que les anciens receveurs n’étaient
étrangères à l’intérêt public : la compagnie doit
responsables d’aucun fait du gouvernement, quoi
délibérer et agir en commun et obtenir l’autorisation
qu’on ait pu imaginer dans le public. D’ailleurs,
du ministre avant d’ordonner des dispositions
poursuit-il, « ce n’est pas l’étendue numérique
extraordinaires sur la caisse. Les receveurs
d’une recette qui exige un grand nombre d’hommes
généraux étant tenus de verser en 21 mois ce qu’ils
pour la conduire, c’est le genre de difficultés
reçoivent en 12, 150 millions produisent 8,9
auxquelles elle est assujettie. Il faut autant de
millions d’intérêts en 1780, sans compter ceux des
collecteurs de la taille que de paroisses, parce que,
avances faites à l’État. L’unité d’action est un autre
ces fonctions étant envisagées comme une charge
avantage capital par rapport aux 48 traités
onéreuse à laquelle chaque habitant est soumis à
particuliers qui mettent en opposition d’intérêts les
son tour, on est forcé de les confier à des gens de
receveurs généraux et le contrôleur général* et
[la] campagne qui ont d’autres occupations et qui
suscitent la méfiance de l’administration des
ne pourraient y vaquer, s’ils étaient obligés de
Finances. On connaîtra aussi l’état des
s’éloigner de leurs foyers. Ces collecteurs, de plus,
recouvrements, afin de hâter ceux des provinces
étant responsables de l’exacte rentrée des deniers
favorisées par les récoltes et de ménager les autres.
qu’ils ont à recouvrer, il faut nécessairement les
L’édit d’avril 1780 supprime donc les 48 receveurs
mettre à portée de recevoir à chaque instant et par
généraux et forme à compter du 1er janvier 1781
petites portions la contribution de la plupart des
une compagnie de 12 receveurs généraux avec
taillables. Il faut aussi un receveur des tailles dans
caisse unique et caissier général agissant et rendant
compte sous leur garantie. Les nouveaux officiers chaque élection, afin que les collecteurs des
paroisses du même district soient à portée de la
reçoivent une commission, un traitement fixe de
caisse où ils doivent remettre les deniers qu’ils ont
25 000 1 et doivent déposer un cautionnement* d’un
recueillis. On peut encore, comme on l’a toujours
million (presque le double de la valeur moyenne
pratiqué, établir un commis principal dans chaque
des anciennes charges). Ils remplissent
généralité, afin que les receveurs des tailles
collectivement les fonctions et sont tenus par les
correspondent habituellement avec lui et versent
obligations de leurs prédécesseurs. Les receveurs
entre ses mains les fonds qui doivent servir à
particuliers doivent fournir à la compagnie les
l’acquit des rescriptions ou au paiement des
sommes contenues dans leurs traités respectifs et
différentes charges assignées sur le produit des
rendre leurs comptes au caissier général dans la
343
 recettes générales. Mais, pour recevoir à Paris
l’excédent de ces charges, objet alors [en 1780] de
cent vingt millions, et pour en faire le versement au
Trésor royal, on ne concevra point comment il faut
quarante-huit personnes revêtues d’un office ; et je
ne crois pas que, dans aucun pays du monde, on
puisse l’imaginer ni en présenter d’exemple». Ce
dernier trait n’est pas rare sous les meilleures
plumes : la France est la terre d’élection du
gaspillage des deniers publics en général, et sa
réputation paraît bien établie à l’étranger.
L’édit d’octobre 1781 rétablit les 48 charges de
receveur général des finances au 1er janvier 1782.
Chacun tient à nouveau sa comptabilité et demeure
responsable de la gestion des receveurs particuliers
de sa généralité. Les taxations restent fixées à 3
d.p.l. (l/SO^.La caisse commune est renforcée ; le
roi nomme les administrateurs et le caissier. Les
candidats aux offices de receveur particulier dans
une généralité doivent désonnais obtenir le
consentement de son receveur général. Ce
consentement rend ces derniers civilement garants
et responsables de la solvabilité des receveurs vis-à-
vis du roi. On remarque que la finance d’un
receveur général est en moyenne très inférieure à la
moitié de la recette des officiers dont il est le
garant. Un édit de mars 1784 ajoute deux nouveaux
offices pour la ville de Paris, alors que les receveurs
des impositions de cette ville en versaient le
montant directement au Trésor. L’édit de janvier
1782 recrée les 418 recettes particulières des
finances, dans l’état où elles étaient avant Turgot.
C’est dans cet appareil que les recettes des finances
abordent la Révolution.
Dix ans de désordre et le retour à l ’ancien ordre
Les principes révolutionnaires et les changements
administratifs conduisent aux nouveautés suivantes.
Des autorités locales élues, municipalités et
départements, sont chargées de confectionner les
matrices et d’assurer le recouvrement des nouveaux
impôts directs. La perception de la contribution
foncière, créée par la loi du 1er décembre 1790, est
mise en adjudication dans chaque municipalité. Les
anciens impôts continuent d’être perçus sous la
forme ordinaire jusqu’à leur remplacement (loi du
23 novembre 1789), mais le peuple cesse de les
payer et Mirabeau a résolu de les remplacer par les
dépouilles du clergé. Les collecteurs et receveurs
sont maintenus provisoirement (loi du 30 janvier
1790), les receveurs généraux ne s’engageant plus
qu’à verser ce qui leur aura été remis au lieu de
faire leurs versements à des termes fixes et
convenus selon leur soumission. Ces derniers
voudraient être employés dans la nouvelle
organisation. Ils voient bien que, les receveurs
particuliers étant provisoirement chargés de
nouveaux maniements, leur responsabilité devient
illusoire dans l’impossibilité où ils sont de
comparer la marche de leur service avec celle des
344
perceptions ; elle sera nulle vis-à-vis des nouveaux
receveurs de district. Les uns et les autres sont
supprimés par la loi des 14 et 24 novembre 1790, à
compter du 1er janvier suivant. Des receveurs de
district, au nombre de 543, les remplacent ; ils sont
nommés pour six ans par les administrations de
district, qui inspectent les caisses deux fois par
mois. Ils doivent, à la fin de chaque mois, remettre
au directoire de district un bordereau* constatant le
montant de la recette et des paiements avec les
pièces justificatives*. Ils correspondent avec la
Trésorerie nationale* pour leur comptabilité et,
jusqu’en 1793, avec la Caisse de l’Extraordinaire.
Une sorte de régie doit se substituer aux receveurs
généraux. Le royaume est divisé en quatre
circonscriptions, confiées à quatre directeurs du
recouvrement des impositions directes, les seules
dont les révolutionnaires veuillent entendre parler.
Chargés non seulement de la recette des impôts
directs dans leurs districts respectifs, mais aussi du
recouvrement des ventes des biens nationaux, de
celui des baux de ces mêmes biens non encore
aliénés, de la recette des amendes prononcées par le
tribunal de district, et des sommes considérables qui
leur étaient envoyées par la caisse de
l’Extraordinaire pour payer les pensions et divers
traitements, les nouveaux receveurs locaux
constituent le rouage essentiel dans la fonnation et
la comptabilisation du revenu national. Avant la loi
du 12 octobre 1791, ces receveurs étaient en outre
chargés d’acquitter les dépenses. Les commissaires
de la Trésorerie entendaient donc suivre exactement
leurs opérations en établissant une correspondance
« directe et immédiate » avec eux. Ceux-ci,
rappellent-ils, devaient souscrire des traités et
s’engager à fournir mois par mois à la trésorerie le
douzième du montant des contributions tant
foncières que mobilières. En outre, ils insistent pour
que les registres, livres, sommiers, journaux
permettant de suivre la comptabilité locale dans les
bureaux de correspondance soient tenus en partie
double*. Les commissaires se chargent donc de la
surveillance du versement des impôts vers les
caisses centrales tout en faisant porter l’attention
sur la rigueur avec laquelle les comptes devaient
être tenus. L’incompétence manifeste des receveurs
de district, dénoncée entre autres par le
commissaire Martin Gaudin, futur ministre des
finances après le 18 Brumaire, entrave rapidement
la marche de cette surveillance. La Trésorerie en
vient donc à réclamer des administrateurs
intermédiaires, nommés par elle, des payeurs
généraux qui feraient les dépenses dans les
départements. L’Assemblée cède à cette demande le
24 septembre et la loi du 29 septembre
1791 entérine cette entorse au principe du
comptable unique élu par les autorités locales : la
loi dispose que « les receveurs de district et tous les
trésoriers et payeurs particuliers compteront des
sommes qu’ils auront reçues aux commissaires de
la Trésorerie nationale pour tous les objets de
recette ordinaire qui doivent y être versés et aux
trésoriers de la caisse de l’Extraordinaire sous les
yeux du commissaire du roi pour tous les objets de
recette extraordinaire ».
Ainsi donc, jusqu’au Directoire, le service financier
dans les départements se compose-t-il, outre les
administrations locales, des collecteurs « à la moins
dite », selon l’expression de Martin Gaudin*, des
receveurs de district et du payeur général. Le
rendement de l’impôt reste insuffisant à cause de
l’organisation, en dépit des remaniements et des
inspections, et aussi de la malhonnêteté de certains
receveurs. Les nouveaux comptables ont profité de
l’anarchie pour spéculer sur leur encaisse ; ils se
sont fait des relations avec les agioteurs et faiseurs
d’affaires qui avaient des délégations assignées
nominativement sur leur caisse. Un ministre du
Directoire, Rainel de Nogaret, réédite l’opération de
1716 en décembre 1796 : l’examen des comptes et
des caisses montre, outre l’imprécision des
comptes, les opérations « prodigieuses » réalisées
par des receveurs qui pouvaient jouer à la hausse
comme à la baisse avec le produit incertain des
contributions, y compris dans les départements en
arrière. Les Thermidoriens suppriment
l’administration de district, à cause de la part
qu’elle a prise dans la Terreur. La nouvelle
constitution confie au Directoire exécutif le soin de
nommer des « receveurs des contributions
directes » dans chaque département. La première
promotion n’a compris que des techniciens, anciens
administrateurs ou profiteurs de la Révolution. Les
receveurs de district s’appellent à présent
« préposés aux recettes ». Les percepteurs versent
l’impôt recouvré aux préposés, qui le versent à leur
tour aux receveurs de département, ces derniers
étant aussi chargés de la recette de l’arrondissement
du chef-lieu de département. La loi du 3 septembre
1798 règle un traitement fixe et des remises aux
receveurs et aux préposés.
Ce retour à d’anciennes formes ne suffit pas à
ramener l’ordre dans les finances. Gaudin* veut
ouvertement y rétablir l’Ancien régime, soit
l’administration des impôts directs et les anciens
impôts indirects, gabelle comprise. Il s’appuie sur
les receveurs généraux des finances pour atteindre
le premier objectif. La loi du 24 novembre 1799 (3
frimaire an VIII, quinze jours après le coup d’État)
décharge les communes et départements des
opérations relatives à l’impôt. Un poste de directeur
des contributions directes est créé dans chaque
département afin de fonner les matrices des rôles et
de vérifier les réclamations des contribuables. Un
inspecteur des impositions directes lui est adjoint.
Des contrôleurs préparent sur les lieux et sous la
surveillance de l’inspecteur, le travail centralisé à la
direction. Trois jours plus tard, une autre loi rétablit
les soumissions annuelles et les rescriptions,
rebaptisées obligations, payables chaque mois à
date fixe et en espèces métalliques. Le Trésor doit
ainsi être nanti, avant le commencement de chaque
année, d’une masse de valeurs égale au montant du
revenu annuel des impôts directs, et il peut
l’employer selon les besoins. Pour garantir ces
obligations, les cautionnements en argent que la loi
leur impose aussi sont déposés dans une « caisse de
garantie et d’amortissement » indépendante du
Trésor, qui a pour objet de payer le montant des
obligations protestées à leur échéance, rôle joué
antérieurement par la caisse commune. Gaudin
pense que la mesure était nécessaire au succès des
obligations : il y a eu des protêts, et ces valeurs ont
fini par jouir d’une grande faveur. Les moyens de la
caisse s’accroissant avec la multiplication des
cautionnements* exigés de divers fonctionnaires,
elle a été en mesure d’escompter des obligations
avant leur échéance.
Le gouvernement consulaire s’est demandé si les
anciens et nouveaux receveurs généraux — il y a eu
une épuration dans ce groupe comme dans les
autres groupes ou corps de fonctionnaires —
allaient accepter les nouvelles conditions. Mollien*,
a trouvé des hommes « plus disposés à acheter par
quelques sacrifices la sécurité que donne le
rétablissement de l’ordre qu’à conserver la chance
de profits que le désordre facilite». La loi du 18
décembre 1800 remplace les préposés par les
receveurs particuliers nommés directement par le
gouvernement. Elle autorise les receveurs généraux
à exiger d’eux des traités* dont les termes
coïncident avec leurs obligations, avec quinze jours
d’avance. Les receveurs particuliers sont ainsi
intéressés à la surveillance des percepteurs, et les
receveurs généraux ont un titre à leur imposer pour
assurer l’exécution de leurs engagements. Les uns
et les autres ont toujours une jouissance de fonds,
entre la recette effective et les montants portés dans
les soumissions et traités, mais ils ne peuvent
accélérer le recouvrement plus que la loi ne le
permet. À partir de 1801, des inspecteurs du Trésor
vont assurer une liaison directe entre le centre et la
caisse de chacun de ces comptables, en attendant le
changement de mode de comptabilité et quelques
améliorations de moindre ampleur qui allaient enfin
établir au Trésor l’ordre ébauché en 1716 et en
1788. Gaudin remplace les collecteurs « à la moins
dite » par des percepteurs à vie, nommés sur une
liste de candidats présentés par les préfets et
déposant caution en numéraire. Par la loi du
25 février 1804, ils sont nommés par le
gouvernement. En l’an IX (1800-1801) et pour la
première fois depuis 1791, le recouvrement de
l’impôt a pu commencer avec l’année même à
laquelle les contributions appartiennent.
La caisse de service* et la partie double*
Sous l’impulsion de Bonaparte, un comité des
receveurs généraux est recréé en 1803 afin de
recevoir les obligations, les régler à leur échéance et
345
 les escompter pour le compte du Trésor, et, plus
généralement, pour lui faire des avances sur leurs
fonds. Le successeur de Dufresne* au Trésor, Barbé
de Marbois, devenu ministre du Trésor dès 1801,
préfère recourir aux faiseurs de service pour les
avances. Il place aussi dans le public des « bons de
service », appelés ensuite bons du Trésor. La
compagnie est animée par Ouvrard, Vanlerberghe et
Desprez. La défaite française de Trafalgar provoque
une crise de confiance sur la place de Paris, et le
ministre croit devoir leur consentir des avances
importantes en effets du Trésor. Les spéculations
hasardeuses de la compagnie se soldent par une
perte de 142 millions pour le Trésor et la destitution
du ministre. Mollien*, qui était directeur de la
Caisse d’amortissement, le remplace. Il part du
principe que le Trésor doit être son propre faiseur
de service, c’est-à-dire ne travailler qu’avec les
receveurs généraux, la Banque de France se
s’occupant plus que des escomptes. Les recettes du
Trésor restent étalées sur environ 16 mois, les
dépenses sur 12 mois : l’ajustement se fait grâce à
l’escompte des obligations par les banquiers, ce qui
est un emprunt dissimulé. Les receveurs disposent
cependant toujours de fonds sans emploi jusqu’à
l’échéance du versement au Trésor. Le montant
n’en est pas mieux connu que sous l’Ancien
régime. Pour les utiliser, il faut les connaître et les
rémunérer. La Caisse de service, nouvelle caisse du
Trésor créée par le décret du 16 juillet 1806,
remplace le comité des receveurs généraux. Ceux-ci
y versent leur recette au fur et à mesure des
recouvrements, de sorte que la Caisse de service
peut émettre des mandats payables sur toutes les
caisses publiques, et que les banquiers s’en servent
aussi pour faire des remises sur les places où ils
n’ont pas de correspondants. La caisse ouvre à
chaque receveur général (ou particulier) un compte
d’intérêts réciproques : l’intérêt, d’abord égal à
5 %, court à leur profit pour toutes les sommes
qu’ils versent avant les dates fixées dans leur
soumission* ; l’intérêt est au contraire à leur charge
pour tout produit d’impôts qui, passé ce délai,
n’aurait pas été employé au service public. L’intérêt
du comptable est enfin en accord avec celui du
Trésor : le Trésor profite de son crédit, il tire du
Trésor même un intérêt sur les sommes versées
d’avance au lieu de les faire valoir lui-même en ne
les versant pas. Aucun capital ne reste plus oisif, les
transports sont régularisés par des compensations
selon les usages du commerce.
Pour connaître chaque jour les opérations des
receveurs, condition nécessaire du versement de
recettes complètes, l’adoption de la comptabilité en
partie double* était indispensable, ainsi que
venaient de le montrer une fois encore des débets*
considérables que l’ancienne comptabilité n’avait
pas permis de détecter. Certains receveurs ont eu
recours à titre auxiliaire à la partie double afin de
connaître leur situation réelle vis-à-vis du Trésor et
346
des comptables qui correspondaient avec eux, mais
Mollien se rend compte qu’il ne pourra vaincre
« l’ignorance en fonctions » comme il l’a fait à la
Caisse d’amortissement. Il écrit dans ses mémoires
qu’il a établi un bureau de comptabilité centrale en
partie double au Trésor, dont le chef correspondait
avec les receveurs adeptes de la nouveauté : ceci
tend à prouver que ce mode de comptabilité a été
abandonné après 1791. Il arrive un moment où les
receveurs généraux et particuliers n’ont plus que le
choix de se soumettre : c’est l’objet du décret du 4
janvier 1808 relatif «aux versements des
percepteurs des communes et agents des régies, au
contrôle de ces versements, à la comptabilité des
receveurs généraux et particuliers, aux caisses du
Trésor et à la comptabilité centrale ». Le Trésor
adopte définitivement la partie double pour les
écritures centrales et celles du réseau des receveurs
des finances à compter du 1er janvier 1808. Tous les
dix jours, ils envoient une copie de leur journal, et
ces documents sont vérifiés et comparés. Il en va de
même des récépissés de versement que les
receveurs généraux délivrent aux receveurs
particuliers et que les préfets doivent viser et
envoyer par extraits. Ainsi, assure Mollien, chaque
receveur général est soumis à un double contrôle
auquel il lui est presque impossible d’échapper. La
partie double, qui suit l’impôt de la source à
l’emploi, permet une surveillance plus efficace des
comptables, en ce que le ministre connaît presque
en temps réel leurs opérations et que les infidélités
sont rendues plus difficiles. Elle permet aussi
d’accélérer la reddition des comptes : ceux d’un
comptable diligent peuvent être jugés dans l’année
qui suit chaque exercice et, dit encore l’ancien
ministre, le Trésor a été en mesure de clore chaque
budget dans le 24e mois de son ouverture.
Le régime des recettes des finances après 1814
Le retour de Louis XVIII est l’occasion du
rattachement définitif du Trésor au ministère des
finances. Le nouveau ministre, le baron Louis,
prend en mai 1814 la décision de créer une
direction du mouvement général des fonds aux
dépens de la Caisse de service. Celle-ci est ensuite
absorbée, ainsi que les autres caisses du Trésor,
dans une caisse centrale et de service unique, à
partir du 1er janvier 1818 (ordonnance du 18
novembre 1817). Un arrêté du 7 novembre 1814
supprime les obligations et bons à vue des
receveurs généraux, mais non les soumissions*
annuelles. Le successeur de Louis, le comte
Corvetto, recrée un comité des receveurs généraux
afin d’obtenir leur concours dans les opérations
d’escompte, de crédit ou de négociation (arrêté du
19 avril 1816). Les particuliers sont autorisés à
déposer des fonds dans leur caisse, ce qui fait d’eux
de nouveau des banquiers, et des banquiers qui
disposent de centaines de guichets répartis sur tout
le territoire, alors que la Banque de France n’a que
quelques succursales en dehors de Paris, pour ne
rien dire des autres banques privées.
Les fonctions des receveurs, jusqu’en 1865,
peuvent s’exprimer ainsi. Les receveurs généraux
dirigent et centralisent la perception et le
recouvrement des contributions directes, reçoivent
directement, comme les receveurs particuliers,
certains produits du budget et exécutent dans leur
département les opérations du service de la
trésorerie. Ils remplissent les fonctions des
receveurs particuliers dans l’arrondissement du
chef-lieu. Les receveurs particuliers mettent à la
disposition de leur receveur général les fonds de
leur recette, soit pour les verser à la recette
générale, soit pour les employer à des dépenses
locales, soit pour leur donner la destination
commandée par les besoins du service (ordonnance
du 31 mai 1838, article 292). Ils agissent d’après les
ordres de ce chef de service et pour son compte. Ils
ont à la recette générale un compte courant débité
tous les dix jours des recouvrements opérés et des
remises que le receveur général leur fait, et crédité
des envois qu’ils font en numéraire, en effets à
recevoir ou en pièces constatant les paiements
qu’ils ont effectués. Leur comptabilité est rattachée
à celle du chef de service et leur journal repris dans
le sien. Leur journal lui est envoyé chaque jour en
copie, ainsi que le dépouillement de leur recette et,
le vingt de chaque mois, la balance des comptes de
leur grand livre. Le receveur général reçoit des
sous-préfectures les talons visés des récépissés
délivrés par les receveurs particuliers pour chaque
versement à sa caisse. Enfin les receveurs
principaux ne peuvent exiger que les percepteurs se
mettent en avance de leurs fonds personnels et ils
doivent leur fournir les fonds nécessaires dans les
localités où les recettes sont insuffisantes. Les
percepteurs ont accès aux emplois vacants de
receveur particulier.
Sous le régime de Juillet, des voix à la Chambre
font à nouveau entendre que l’État aurait intérêt à
traiter avec des banquiers, voire avec la Banque de
France pour le service du Trésor. Les défenseurs
des receveurs généraux avancent que leur service
est économique, qu’ils prennent des risques
importants et qu’ils répondent des agents chargés,
sous leurs ordres, de percevoir l’impôt direct. Le
changement ou la continuité va venir des payeurs
du Trésor*. Leur institution a été justifiée par
l’exactitude nécessaire des paiements (et peu
respectée sous l’Ancien régime, même lorsque les
fonds ne manquaient pas), que les receveurs
pouvaient retarder afin de faire un emploi lucratif
des fonds qu’ils détenaient. Cette justification est de
moins en moins fondée à mesure que les receveurs
participent aux paiements. Les receveurs
particuliers et les percepteurs* interviennent
directement dans le paiement des rentes et des
pensions et indirectement dans celui des dépenses
publiques hors du chef-lieu. Le payeur général est
devenu un contrôleur de la validité de leurs
paiements. Le marquis d’Audiffret* est d’avis de
confier le service de la recette et de la dépense au
même comptable principal dans chaque
département, pour des raisons d’économie et de
simplicité, et aussi parce que les receveurs généraux
assurent une partie de la dépense. Des députés, dont
plusieurs banquiers, reprennent cette proposition à
leur compte. Certains détracteurs disent encore que
« la recette n’est rien, la maison de banque est
tout ».
Le décret du 26 novembre 1865 supprime, à
compter du 1er janvier 1867, les payeurs généraux
et transfère leurs attributions aux receveurs
généraux, qui prennent le nouveau titre de
trésoriers-payeurs généraux des finances. Le
service de la dépense et celui de la recette sont
réunis, et le trésorier-payeur général a sous ses
ordres les receveurs particuliers des finances et les
percepteurs du département. Il se porte garant de
l’intégralité du recouvrement qu’il doit faire et de la
régularité de ses paiements. Il répond seul de leur
gestion et de la sienne devant la Cour des comptes.
Il est aussi chargé du service départemental et de la
surveillance des comptables communaux, des
établissements de bienfaisance, des caisses
d’épargne, des syndicats autorisés et des fabriques
d’église. Il jouit d’un traitement fixe, touche des
commissions sur les recettes et dépenses et diverses
allocations. Jusqu’en 1890, il supporte les dépenses
de personnel de ses bureaux, les frais de matériel et
les frais de transport de fonds dans le département.
Ces dépenses font ensuite l’objet d’un abonnement
(décret du 31 décembre 1889). Il doit constituer, de
ses deniers ou de ceux qu’il emprunte à ses proches
et pour toute la durée de sa gestion, une avance au
Trésor égale au montant de son cautionnement, à
laquelle s’ajoutent les fonds qui lui sont confiés, à
titre personnel, par des particuliers (décision du 18
décembre 1865). Ces fonds, déposés au Trésor, ne
peuvent recevoir d’autre affectation que le service
du Trésor. Si le jeu du compte courant et des
époques de valeur institué en 1806 disparaît, le
système des avances au Trésor est maintenu,
quoique les avances baissent avec la diminution du
taux d’intérêt. Les receveurs particuliers sont
conduits à faire des dépôts d’avances momentanés,
par exemple lorsqu’il y a insuffisance de fonds pour
payer les dépenses assignées sur leur caisse. Ces
comptables ont le devoir de se couvrir de leurs
avances au moyen des sommes provenant des
premiers recouvrements qu’ils effectuent pour le
compte de l’État. Les percepteurs ne sont pas tenus
d’avancer de l’argent sur leurs fonds personnels, et
leur avance ne peut dépasser le l/24e du montant
des rôles ni le montant des douzièmes échus. De
plus l’utilisation des fonds des communes à titre
d’avance pour le service des contributions est
formellement interdite. Les fonctions des trésoriers-
payeurs généraux sont désonnais celles d’un
347

comptable dont les opérations de banque sont
étroitement limitées : on mesure ainsi le chemin
parcouru depuis 1542. B.L.
Sources : BNF, Lf7628, Observations rapides
concernant les receveurs généraux des finances,
Paris, Baudouin, [1790], Audiffret C. (1863-1870).
De la situation du Trésor public au Ie' juin 1791
(1997). Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Encyclopédie méthodique, partie Finances.
Forbonnais, Véron de F. de (1758). Gaudin, M.
(1818). [Ministère des finances], Le service de la
trésorerie de 1790 à 1866, Paris, I.L, 1866. Mollien
F. (1898). Necker J. (1781, 1784 et 1788). [Poullin
de Viéville, Nicolas-Juste], Nouveau code des
tailles, ou recueil par ordre chronologique et
complet des ordonnances, édits, déclarations,
règlements et arrêts rendus tant sur cette matière et
autres impositions que sur la jurisprudence qui
s'observe dans les cours des aides et élections, 4e
éd., 6 vol., Paris, Prault père, 1761-1783.
Bibliographie : Bosher J.-F. (1970). Briffaud F., Un
receveur des finances sous la Révolution : le
citoyen Hezon, receveur du district d’Evreux de
1790 à 1796, thèse, Caen, 1909. Bruguière M.
(1986 et 1987). Michaud C. (1991). Pinaud, P.-F.
(1990). Say L. (1889-1894). Stourm R. (1885).
Sueur P., Histoire du droit public, XVe-XVIIIe
siècle, 3e éd., 2 vol., Paris, 2001. Villain J., Le
recouvrement des impôts directs sous l’Ancien
Régime, Paris, 1952 ; réimp. Genève, Slatkine,
1992.
Receveur des domaines
Voir Domaine
Receveur des fermes
À la veille de la réforme de 1780, l’on compte, dans
les services extérieurs de la Fenne générale*, 42
directeurs des fermes, 156 directeurs des aides, un
directeur des entrées de Paris et 30 directeurs des
domaines. Les premiers nommés sont responsables
des services des gabelles, des traites ou du tabac.
Après le retranchement de la partie des domaines*
confiée à la Fenne et des aides, devenues des
régies* séparées, il y a les receveurs des gabelles,
les receveurs des droits sur les huiles et savons, les
receveurs des droits de la marque des fers, les
receveurs des droits de traite et les receveurs du
tabac ; leurs fonctions sont assez semblables. Au-
dessus d’eux se trouvent placés les receveurs
généraux des fermes, à raison d’un par direction,
plus les receveurs généraux du tabac.
L’édit de 1716 désigne les receveurs de la Fenne
générale par l’expression « caissiers et commis
comptables de nos fenniers et sous-fermiers, soit en
titre [d’office] soit par commission [de la Fenne] »
et leur prescrit de tenir des registres-journaux*
comme les comptables de l’État. En effet, ils ne le
sont pas, seuls les fenniers généraux devant
348
!
compter au Conseil par états au vrai* et devant les
Chambres des comptes* désignées dans le bail,
chacune pour un montant détenniné.
Les fonctions du receveur des gabelles sont définies
dans la procuration de la Fenne, équivalent de la
commission du roi. Dans les pays de grandes
gabelles, il assiste aux mouvements du sel dans son
grenier et en dresse procès-verbal avec les officiers
du roi pour en « demeurer garant et responsable
soli-dairement avec eux ». Il vend le sel en présence
du grenetier et de son contrôleur*. Il se fait remettre
par les collecteurs des tailles copie de leurs rôles et
les vérifie. Il en fonne des registres sextés* de la
gabelle de chaque paroisse comprise dans l’étendue
du grenier à sel et, tous les six mois, tire un extrait
comportant le signalement des chefs de famille qui
n’ont pas rempli leur devoir (acheter un minot par
an, sur la base de quatorze personnes de huit ans et
plus, soit 7 1 par personne). Après la publication
dans les paroisses à la diligence des syndics et le
délai de grâce de quinze jours, il décerne une
contrainte pour le recouvrement des restitutions et
amendes encourues, mais ne peut procéder par voie
d’emprisonnement, saisie et exécution que sur ordre
du directeur ou des fermiers généraux. Dans les
zones frontalières, il envoie aux collecteurs des ga­
belles les mandements de leur livrer le sel qui leur
revient. Il tient son registre-journal* et
communique sur demande ses registres aux
directeur, contrôleur et autres préposés de la Fenne.
Chaque mois, il établit un état* de sa recette et de
sa dépense en sel et en deniers et envoie dans les
dix premiers jours les fonds en caisse au receveur
général des Fermes.
Des contrôleurs généraux et inspecteurs* sont
chargés d’inspections dans l’étendue de chaque
direction et en rendent compte à leur directeur.
Leurs fonctions consistent à surveiller le bon
fonctionnement de l’administration de la Fenne
dans leur district, la conduite des agents, la
perception des droits et la gestion des contrôleurs
ambulants. Ce sont souvent des hommes jeunes et
par là insuffisants, qui attendent une place de
directeur. Le receveur général est le deuxième
homme de la direction ; il n’a pas de contrôleur qui
lui soit propre, c’est le directeur qui en fait les
fonctions, parfois avec négligence. Il centralise les
fonds comme les receveurs généraux des finances.
Comme eux, il est apparenté aux financiers, ici au
profit de la Fenne dont il doit payer les
rescriptions ; comme eux, il dispose d’une certaine
latitude pour faire travailler les fonds en caisse à
son profit. Ses appointements sont médiocres, mais
il a le droit de remettre ses fonds à la caisse de Paris
en effets à deux usances, soit un intérêt de 5 %
pendant deux mois à deux mois et demi qui
multiplie ses gains par cinq. Les directeurs des
Fermes, dont l’emploi suppose davantage de
capacités que les siennes et comporte des
responsabilités dont l’équivalent de
l’ordonnancement, gagneraient ainsi trois ou quatre
fois moins que lui. Toujours selon l’auteur de
l’article « Receveurs des fennes » de
VEncyclopédie méthodique, il suffirait, pour faire
cesser cet abus, de délivrer des rescriptions sur ces
receveurs généraux en assignant un jour fixe pour
leur paiement. On peut en effet connaître la
situation de toutes les recettes générales,
puisqu’elles n’acquittent rien que sur des mandats*,
rescriptions* ou ordres venant de Paris, et donc
savoir ce que tel receveur général peut acquitter à
telle époque et les ressources dont il dispose pour
faire de petites avances. Les receveurs particuliers
pourraient aussi faire parvenir directement leurs
deniers à Paris, chaque fois qu’ils en auraient
l’occasion et ils en retireraient du receveur général
de Paris des récépissés qu’ils échangeraient contre
ceux de leur receveur général, pour le bon ordre de
la comptabilité.
La Ferme générale* a dû tolérer à deux reprises la
transformation de certaines de ses procurations ou
commissions en offices formés, la seconde fois à la
fin du règne de Louis XIV. Ce fléau atteint toutes
les administrations à caractère technique par le
départ des commissaires hors d’état de payer la
finance et leur remplacement par des officiers trop
souvent incapables ou prévaricateurs. Des places de
receveur des gabelles, des aides, des traites ont
donc été confiées à des officiers titulaires, qui
pouvaient néanmoins commettre à l’exercice de
leur recette une personne de leur choix (et non au
choix de la Ferme) ayant les qualités requises. On a
dit que des créatures des marchands, réputés
fraudeurs des droits du roi, les peupleraient, ainsi
que des gens du pays, ce que la Ferme cherchait à
éviter. Aussi cette dernière n’a-t-elle manifesté
aucun empressement à échanger ses préposés contre
des officiers du roi. En 1707, elle obtient la garantie
d’une hypothèque légale sur les offices et leur
suppression dix ans plus tard. Cependant, des
usages invétérés l’ont empêchée de jouir
pleinement de son droit de nommer à tous les
emplois : la clientèle de chaque fermier général, le
népotisme, l’ingérence des contrôleurs généraux
des finances ont nui aux intérêts financiers de la
Fenne et souvent empêché la promotion
d’employés méritants.
Enfin, un assez grand nombre de préposés, au-delà
des receveurs, sont soumis au cautionnement*. La
partie en argent est déposée au Trésor royal* et
porte intérêt : c’est un objet de plus de 27 millions
lors de la liquidation en 1791. Le marc d’or est
perçu au-dessus de 500 1 de salaire, y compris les
suppléments. Pour fixer les idées nous donnons ci-
après une table numérique des agents de la Fenne
générale vers 1770, au moment de sa plus grande
extension, d’après le travail de Lavoisier*. -
Services centraux (685 employés) : 56 directeurs ; 1
receveur général ; 1 contrôleur général de la
recette ; 3 receveurs ; 4 caissiers ; 6 contrôleurs
particuliers ; 614 employés divers. - Parties des
gabelles, traites et tabacs (23 839) : 42 directeurs,
79 contrôleurs généraux et inspecteurs; 31
receveurs généraux pour les traites et les gabelles et
55 pour le tabac ; 387 receveurs des gabelles; 997
receveurs des traites ; 565 contrôleurs ou visiteurs ;
9 inspecteurs des manufactures de tabac ; 14
contrôleurs ; 20 élèves ; 453 entreposeurs de tabac ;
21 188 employés des brigades, dont 352 capitaines
généraux. -Partie des aides (2 440): 156
directeurs; 115 receveurs généraux; 76 sous-
receveurs ; 80 contrôleurs ambulants ; 121
contrôleurs de ville ; 1 122 receveurs de
département et commis en second à cheval ; 770
receveurs et commis aux exercices à pied (non
compris les buralistes). - Régie des aides de Paris
(656) : 1 directeur ; 1 contrôleur général des
entrées ; 1 receveur général ; 653 employés divers. -
Régie des domaines (884) : 30 directeurs ; 36
inspecteurs ; 58 vérificateurs ; 152 ambulants ; 608
contrôleurs des actes. Total général : 28 504
employés. B.L.
Voir Fenne générale, Régie générale des aides
Bibliographie : Azimi V. (1987). Clinquart J., Les
services extérieurs de la Ferme générale à la fin de
l’Ancien régime. L’exemple de la direction des
fermes du Hainaut, Paris, CHEFF, 1996.
Receveur du clergé
En France, l’assemblée du premier ordre créa la
commission* de receveur général* du clergé pour
recevoir les nouvelles décimes prélevées sur les
bénéficiers et destinées à régler les engagements du
clergé vis-à-vis du roi par le contrai de Poissy signé
le 21 octobre 1561. Le receveur rendait compte
devant une « assemblée de comptes » biennale
composée exclusivement de membres du clergé. En
outre, il présentait tous les six mois aux agents
généraux du clergé un bref état* de ses recettes et
dépenses avec la liste par diocèse de tous les restes*
qu'il pouvait devoir. La fonction du receveur
général du clergé prit de l'ampleur au fur et à
mesure de la multiplication des contrats passés avec
le roi. comme celui signé le 26 juillet 1695 pour le
paiement de la somme de quatre millions de livres
de secours extraordinaire accordé en lieu et place de
la capitation. Le Contrôle général* expédiait donc
de plus en plus d’assignations* sur sa recette, mais
la contribution du clergé de France aux revenus de
l'Etat demeura globalement modeste au regard des
richesses dont il disposait.
Le roi érigea en office des recettes provinciales et
des recettes diocésaines. Le clergé usa de la faculté
de rachat qui lui était laissée, et loin de disparaître
les receveurs furent doublés de receveurs alternatifs
et de contrôleurs des décimes. Les receveurs
diocésains percevaient en deux tenues, à la Saint-
Jean et à Noël, les taxes fixées pour chaque
bénéficier par le bureau diocésain, instance créé en
349
 1615 dans chaque diocèse. Ils poux aient procéder
théoriquement à des contraintes par corps contre les
économes et les fermiers des bénéfices et les saisies
pour décimes étaient privilégiées et préférées aux
autres dettes. Ils touchaient des honoraires à hauteur
de trois deniers pour livre. Comme le receveur
général, les receveurs particuliers tenaient des
registres en bonne forme, cotés et paraphés par les
députés du bureau diocésain. L’arrêt du 26 janvier
1644 réclame par exemple au receveur du diocèse
d’Amiens un cahier pour les anciennes décimes et
un pour le don gratuit tenant lieu de paiement du
dixième des biens du clergé. L’évêque signait
chaque cahier et un double restait aux archives du
clergé. Les receveurs présentaient un état de
situation* des sommes perçues de six mois en six
mois à l’évêque et aux députés du bureau. Outre ce
qu'il recevait, le receveur* précisait dans cet état*
pour quelle année et pour quel tenne. ce qui restait
à payer, le nom. la qualité, la demeure des
bénéficiers qui refusaient de payer leur taxe, les
poursuites faites et ce qui restait en caisse. Les
députés du bureau diocésain vérifiaient cet état*
dans les huit jours et en tonnaient copie pour les
agents généraux du clergé de France. Les receveurs
diocésains rendaient un compte* définitif six mois
après l'exercice* écoulé devant le bureau qui
arrêtait le compte. On y trouve en général un seul
article de recettes, et en dépenses, selon les
diocèses, l’article portant débet* formé lors de la
clôture* du compte précédent, les acquits* du
receveur général du clergé, mais aussi les charges
internes du diocèse. Le plus souvent, le secrétaire
du bureau recevait les honoraires pour apostiller le
compte et en écrire la clôture*. L'évêque recevait
des vacations pour sa présence à l’assemblée de
reddition* des comptes II faut attendre le décret du
14 janvier 1790 pour que les comptes des receveurs
particuliers des décimes soient rendus par devant
les directoires de districts, c'est-à-dire devant
l’administration publique. On notera que les
receveurs du clergé des provinces frontières
(diocèses d'Alsace. Artois, Cambrésis, Franche-
Comté, Lorraine et Roussillon) versaient leurs
recettes non au receveur général du clergé, mais au
receveur général des finances* qui faisaient
parvenir les quittances du Trésor royal* aux syndics
de ces diocèses.
Une enquête de 1770 initiée par les agents généraux
du clergé fait voir que les bénéficiers étaient
systématiquement en retard pour payer les décimes,
plaçant les receveurs du clergé* dans la nécessité de
procéder à des avances conséquentes par traité*. Le
receveur du diocèse de Luçon, par exemple, était
chargé « de faire les deniers bons et de payer au
receveur général chaque tenne de l’imposition à son
ceux des années impaires pendant le semestre de
échéance quand même il ne l’auroit pas reçu dans
juillet, mais ce principe ne fut pas toujours suivi.
sa totalité des bénéficiers ». Le reliquat* des
Les comptables respectaient mal les échéances qui
recettes diocésaines était donc important. 44 000
leur étaient fixées, et la Chambre des comptes fut
livres dans le cas de la caisse de Meaux. 9 000
amenée à reporter l’examen des comptes d’un
350
livres dans celui de la caisse de Vabres en 1770
Ces traités étaient avantageux aux membres du
clergé car ils leur permettaient de ne jamais faire les
frais pour le premier tenne des décimes, et de régler
le second tenne avec retard. Les avances du
receveur diocésain avaient naturellement un coût
élevé, I'intérêt montant à 5% au XVIIle siècle. Les
contraintes à l'encontre des bénéficiers étaient
rares, surtout si ces derniers étaient éloignés de la
ville cathédrale, car les frais d'huissier n’étaient pas
couverts par la somme à recouvrer. En outre, les
receveurs diocésains du clergé de provinces
frontières procédaient également avec retard au
paiement à la recette générale des finances, au point
que le Contrôle général* envisagea en 1773
d’intégrer les impositions de ces clergés dans les
soumissions* des dits receveurs généraux. M.-L. L.
Sources : AN, G8 30 (enquête des agents généraux
du clergé, lettre circulaire du 6 février 1770 et
réponses des bureaux diocésains), F4 1006. Diderot
et d’Alembert, Encyclopédie, t IV, p. 678-679.
Bibliographie : Michaud C. (1991).
Reçu
Voir Quittance, Récépissé
Reddition
Cette expression désigne une démarche obligatoire
par laquelle le comptable rend son compte à la
juridiction des comptes ou bureau de comptabilité*
pour y être examiné et arrêté. En France, aux termes
de l’ordonnance du mois d’avril 1667 (titre XXIX),
les comptables restaient débiteurs «jusqu’à ce
qu’ils aient rendus compte, payé le reliquat* s’il en
est dû et remis toutes les pièces justificatives* ».
Les modalités de présentation des comptes à la
Chambre des comptes furent prescrites par les édits
et règlements royaux des 23 décembre 1454, 20
juin 1514, 1598, 8 octobre 1640, 30 janvier 1647,
août 1669 et 14 janvier 1693. Le comptable était
tenu de présenter son compte et les pièces
justificatives à l’appui. Les textes du 16 janvier
1556, de 1598 et d’août 1669 statuèrent qu’un
comptable ne pouvait briguer un autre poste sans
avoir préalablement rendu et apuré les comptes de
sa première comptabilité. Dans les premiers temps,
la Chambre des comptes exigeait qu’on lui
présentât les comptes trois fois dans l’année
courante : à la Chandeleur (2 février), à l’Ascension
(24 mai) et à la Toussaint (1er novembre). Puis, la
vérification* des comptes fut organisée en deux
semestres : les comptes des années paires devaient
être examinés pendant le semestre de janvier et
semestre à l’autre, ce qui perturbait son
fonctionnement. Il y eut aussi des dérogations.
L’édit de 1669 accorda aux receveurs des deniers
communs et des octrois des villes le délai de six ans
pour rendre les comptes, si le montant total de leurs
recettes n’excédait pas 3 000 livres. Par la
déclaration royale du 2 septembre 1690, les
receveurs généraux du domaine* ne se présentaient
que deux ans après la fin de leurs exercices.
La Chambre des comptes pouvait infliger une
amende de 50 livres aux comptables qui tardaient à
rendre leurs comptes. Dans son mémoire de 1705,
le procureur général Fourqueux indique clairement
quelle était la raison de ce retard : « Il n’y a qu’à
supposer qu’un comptable ait 20 000 livres de
fonds entre les mains. En ne rendant point son
compte, il ne paye que 600 livres d’amende pour un
an à raison de 50 livres chaque mois, pendant que la
somme qu’il retient lui produit jusqu’à 2 000 livres
d’intérêt». Une décharge entière ou partielle de
l’amende n’était accordée que si les comptables
avaient des excuses valables. Ce fut le cas de Pierre
Girardos, receveur des tailles à Château Chinon, qui
ne put produire ses comptes de l’année 1702 aux
échéances à cause de la maladie. La Chambre des
comptes décida modérer de deux tiers l’amende
qu’elle lui avait alors infligée.
Le comptable était tenu d’assister en personne à la
présentation des comptes ou d’être représentés par
un procureur des comptes. En cas de décès du
comptable, l’obligation de rendre compte incombait
à ses héritiers. Les auditeurs* de la Chambre des
comptes notaient la date de présentation des
comptes sur un registre et les remettaient au
procureur général qui en informait le grand bureau.
Le président convoquait alors les comptables ou
leurs représentants pour qu’ils affirment* sous
serment* que la recette avait été portée
intégralement et la dépense employée à l’usage
prévu. Dès lors, les comptes ne pouvaient plus être
modifiés, les comptables portant toute
responsabilité des irrégularités constatées suite à
des vérifications. N.P.
Voir Auditeur, Chambre des comptes
Sources : AN, G7 1760 (Diverses pièces relatives au
règlement des comptes à la Chambre des comptes
de Paris, 1688-1704); Recueil d’édits...de la
Chambre des comptes de Paris (1728).
Bibliographie : Jassemin H. (1933). La Cour des
Comptes (1984).
Régie
Mode de gestion des deniers publics par lequel
l’administrateur en charge, quel que soit son statut,
compte de clerc-à-maître* de la recette et de la
dépense du service géré. La régie exclut la
possibilité de tirer privativement bénéfice du profit
dégagé par ce service, qu’il s’agisse d’un service
financier, comme les douanes*, ou d’un service
industriel comme les arsenaux. En cela, la régie
s’oppose au mode de gestion par affermage. Tandis
que le fermier traite d’une affaire par forfait, sans
que le souverain ne puisse rien prétendre sur les
bénéfices, le régisseur, même dans le cas où le
contrat qui le lie au roi prévoit un intéressement,
doit comptabiliser ces derniers vis-à-vis du Trésor*.
Les avantages comparés des deux modes de gestion
ont fait l’objet d’un débat politique bien connu au
XVIIle siècle, les esprits éclairés condamnant
l’affairisme des financiers et défendant les droits du
peuple. Montesquieu, qui a inspiré l’auteur des
articles « ferme » et régie » de Y Encyclopédie de
Diderot et d’Alembert, avait pris à cette époque fait
et cause pour la régie : « La régie est
l’administration d’un bon père de famille, qui lève
lui-même avec économie & avec ordre, ses
revenus... Par la régie, le prince épargne à l’Etat les
profits immenses des fermiers qui l’appauvrissent
d’une infinité de manières... Par la régie, le prince
épargne au peuple un spectacle de fortunes subites
qui l’afflige... Par la régie l’argent levé passe par
peu de mains ; il va directement au prince, & par
conséquent revient plus promptement au peuple ».
L’auteur de l’Esprit des lois avait en tête l’exemple
tant admiré de l’Angleterre* dont les taxes
indirectes étaient administrées par régie. Encore les
vertus de la régie furent-elles examinées à la loupe,
d’aucuns craignant que par cette voie
d’administration, la paresse des commis, autant que
l’avarice des fermiers, ne lésât les intérêts du
peuple. L'Encyclopédie rend compte de ces
discussions, tout en opposant peut-être trop
radicalement les tenues du débat. L’Encyclopédie
méthodique en revanche, atténue la différence: « les
fermiers, en payant le prix du bail fixé, jouissent de
tous les bénéfices qui excèdent ce prix, au lieu que
dans la régie, ces bénéfices appartiennent
rigoureusement au propriétaire de la chose régie, à
moins qu’il ne soit stipulé que les régisseurs auront,
outre les honoraires et émoluments détenninés, telle
part dans les bénéfices, et c’est ce qui se fait
toujours ». De fait, non seulement les régies étaient
le plus souvent intéressées, mais il arrivait en outre
que vis-à-vis des fermes, le gouvernement réussît à
négocier le versement au Trésor d’une part
substantielle des profits. La délimitation entre la
ferme et la régie apparaît donc ténue.
Les Etats modernes eurent recours à diverses
formes de régies. Avant le XIXe siècle, la plus
répandue fut la régie indirecte ou intéressée, qui
s’oppose alors à la régie directe. Dans le premier
cas, les régisseurs sont liés par contrat à l’autorité
publique. Les cautions* de la régie sont des
bailleurs de fonds. Ni la somme qu’ils avancent
pour exploiter le service, ni les intérêts reçus ne les
dispensent pourtant de verser les bénéfices de
l’affaire dans la caisse publique. Dans le second
cas, les régisseurs, comme leurs employés, sont
assimilés à des agents de l’administration.
351

La régie indirecte
Elle constitue une étape fondamentale dans l’effort
mené par les gouvernements européens pour limiter
leur dépendance vis-à-vis des capitaux de la
noblesse et de la haute bourgeoisie et accroître le
contrôle sur les recettes publiques. A titre
d’exemple, les douanes* (customs) et les accises
(excise) du royaume d’Angleterre étaient
administrées par régie indirecte. Ces taxes
relevaient depuis 1643 de bureaux placés sous
l’autorité du Parlement. Des commissaires*, qui
avaient sous leurs ordres des milliers de receveurs*,
contrôleurs*, visiteurs et commis, dirigeaient ces
régies et le Trésor devint l’unique bénéficiaire des
recettes, même si le personnel était intéressé à
l’affaire : la moitié du profit tiré des saisies lui
revenait, tandis que l’autre moitié revenait net à la
Couronne. Nombre de souverains ont mis en œuvre
ce type de régie indirecte, provisoirement, afin
d’apprécier le revenu d’un service avant de
l’affermer de nouveau comme dans le cas des
domaines*, ou de façon pérenne. Le succès de la
régie indirecte se confirma au cours du XVIIIe
siècle comme alternative à l’affairisme des
traitants*. Le roi Victor-Amédée II établit une
régie du sel dans l’ensemble de ses Etats en 1720.
Le bureau général des gabelles, à Turin,
correspondait avec les directions provinciales
établies partout dans le royaume; Vienne opta pour
une régie intéressée des tabacs en 1723; en Prusse,
Frédéric II créa une régie royale pour les impôts
indirects (sel, boissons)... En France, Turgot a
imposé le système de la régie indirecte au détriment
de la ferme pour divers services comme les
messageries (1775), régie qui ne dura guère, ou la
fabrication et la vente des poudres et salpêtres
(1775), dont la direction revint à Lavoisier* à partir
de 1776. L'arrêt du conseil d’État du 24 juin 1775
qui convertit le bail des poudres, stipule
notamment que les cautions de l’administrateur
« seront chargées de faire personnellement le
service, de déterminer [entre eux] la quotité et
l’intérêt de leurs fonds d’avances, et de régler leurs
fonctions, tant publiques qu’intérieures ». Le fonds
d’avances fut fixé à 4 millions, l’intérêt à 11%,
« sans que sous aucun prétexte, les bailleurs de
fonds puissent prétendre à aucun bénéfice sur la
régie qui doit tourner en entier au profit du roi ». La
régie ne devait garder que les fonds indispensables
pour le service et à mesure de la vente des matières,
il était fait des remboursements sur les 4 millions. Il
est intéressant de noter les conditions de reddition*
des comptes qui liaient la régie à l’autorité : les
régisseurs devaient remettre chaque année au
secrétaire d’Etat de la guerre un tableau général de
la situation des fabriques des salpêtriers et de la
récolte en salpêtre (article VIII) ; chaque mois,
« pour connaître dans tous les temps la véritable
situation de la régie », ils devaient transmettre au
352
contrôleur général des finances* et à l’intendant de
finances* d’Ormesson, commis spécialement à cet
effet, un état certifié* par eux véritable des recettes
et dépenses en deniers, matières et effets de la régie,
ensemble des dépenses « qu’ils croiront nécessaires
pour les établissements d’ateliers de salpêtre,
construction de bâtiments nouveaux,
reconstruction...» (article XV); enfin, ils étaient
tenus de fournir au conseil, à la fin de chaque
année, un compte général desdites recettes et
dépenses en deniers, matières et effets, un compte
particulier du produit des 2 sous par livre
d’augmentation sur la poudre fine, lesquels comptes
étaient vérifiés et arrêtés par d’Ormesson, « Sa
Majesté dispensant Jean-Baptiste Bergaud [le
titulaire du contrat] et les régisseurs, ses cautions,
de compter ailleurs qu’en son conseil » (article
XVI). On voit par là qu’une telle régie, pour
intéressée qu’elle fût, était placée sous l’inspection
directe du ministère des finances qui en arrêtait les
comptes et qu’aucun contrôle comptable
juridictionnel n’était prévu (la Chambre des
comptes n’opérant ici qu’à travers l’audition des
comptes du Trésor royal*).
Necker*, pour sa part, s’est illustré par le
démantèlement de la Ferme générale* et la création
de la régie des droits réunis (avril 1777), puis de la
régie générale des aides* (janvier 1780) et de
l’administration des domaines* (1780), mais aussi
de la régie intéressée des postes (1777). Il a
également opéré des conversions pour les services
industriels et notamment les vivres de la Marine,
mises en régie indirecte en 1777. Il semble
néanmoins que, contrairement à la régie des aides,
la régie des vivres de la Marine n’ait pas donné
satisfaction : « de 2 425 000 rations consommées
d’après l’arrêté des rôles sur les vaisseaux Le
Languedoc, Le Conquérant, L ’Annibal, Le Robuste,
armés en 1779, 1780 et 1781, la régie n’en connoit
que 642 000, le reste n’est ni connu, ni constaté.
S’il existe une pareille erreur sur le nombre des
rations, que ne doit-on pas supposer sur les achats
des denrées dont on n’a aucun état et dont la
dépense n’est prouvée que par l’acquittement des
lettres de change non motivées et qui forment une
partie de 150 millions », révèle une lettre de 1784.
L’exploitation en régie a également été retenue pour
divers établissements comme les forges à ancres de
Guérigny qui appartenaient à Babaud de la
Chaussade et qui furent rachetées par l’Etat en
1781. Le règlement d’administration du 21 janvier
1781 désigna à la tête de cet établissement un
commissaire du roi avec autorité sur tous les
« préposés, employés et ouvriers attachés » aux
forges, un régisseur chargé de la direction générale
des forges et cinq directeurs qui lui furent associés.
Chaque directeur devait tenir un compte mensuel en
deniers ainsi qu’un compte en nature (matières),
celui-ci étant limité aux livraisons d’objets terminés
(articles 33 et 34). Ces deux comptes mensuels
étaient vérifiés par le contrôleur puis par le
régisseur et visés par le commissaire du roi ; ils
servaient de pièces justificatives* des comptes
annuels tenus à Paris (articles 35 et 36). Les gardes-
magasins de Nevers et de La Charité tenaient de
leur côté des comptes-matières* contenant les
envois des Forges et les entrées provenant des
achats qui leur étaient destinés (articles 38 et 40).
Le caissier général inscrivait sur son livre de caisse
les recettes et les dépenses qu’il avait faites (article
42) . Un livre-journal* et un grand livre par débit et
crédit étaient tenus à Paris ; dans le grand livre
étaient ouverts les comptes en deniers relatifs à
l’administration des directions et aux achats (article
43) . Cette partie de la comptabilité en deniers était
donc tenue en partie double*. La direction de Paris
vérifiait les comptes en nature selon cette méthode :
chaque directeur avait son compte avec en débit les
fabrications en cours de sa direction et en crédit les
envois dans les magasins, les consommations ou
ventes (article 44). La régie d’Etat de Guérigny
demeura néamnoins une exception, tant il est vrai
que les fournitures et subsistances de la Marine
comme de la Guerre ont surtout été administrées
par entreprise jusqu’à la Restauration.
La régie directe
Les cas de régie directe sont assez rares avant le
XIXe siècle. Ces modalités de gestion étaient
souvent adoptées par défaut, quand aucun
adjudicataire ne se présentait pour avancer les fonds
d’un service financier ou lorsque la gestion des
ressources fiscales d’un territoire récemment
conquis n’avait pas vocation à durer. En France, le
« système » de la régie directe fut promu au temps
de la première République. Les vivres de la Marine,
par exemple, ont été exploitées ainsi une première
fois en 1793, les Postes ont formé une régie
nationale la même année. Bonaparte, qui se méfiait
également des gens de finances, poursuivit l’œuvre
d’étatisation des services et de centralisation
financière. En 1800, il réclama de la régie de
l’enregistrement et des domaines* « qu’au lieu de
lui présenter un tableau des recettes mis par mois en
une seule colonne, on eût établi les revenus par
exercice et distingué l’énoncé de la recette future,
de la recette effectuée et de la recette à effectuer ».
L’année suivante, il s’en prit à la régie du sel
imposée aux départements transalpins en
questionnant le ministre des finances sur les raisons
pour lesquelles les régisseurs «1° n'ont pas rendu de
clerc à maître le compte qu'ils devaient fournir dans
trois mois, à compter de messidor an VIII; 2° n’ont
pas fourni des bordereaux de recettes et de dépenses
chaque mois, comme ils y étaient obligés; 3°
n'avaient pas versé, au 1er messidor, la part
revenant au Trésor public dans les bénéfices ». La
réintroduction des impôts indirects en France, régie
des droits réunis (1804) ou régie des salines (1806)
paracheva la promotion de la gestion directe. En
1820, on comptait 7 régies financières dénommées
soit « direction générale » (des postes, de
l’enregistrement, des domaines et forêts, des
douanes, des contributions indirectes) ou
« administration généale (de la loterie royale, des
monnaies, des salines de l’Est). Audiffret* s’opposa
aux tentatives de réintroduction de la Ferme sous la
Restauration. « On a cru longtemps devoir céder à
forfait à des compagnies particulières la plupart des
opérations relatives à l’assiette, à la perception et à
l’emploi des revenus publics. Cet ancien système,
qui livrait aux spéculations de l’intérêt privé
l’exécution des lois de finances*, l’application des
tarifs et les ressources du crédit, était aussi
préjudiciable aux contribuables que ruineux pour le
Trésor de l’État. L’expérience a démontré au
gouvernement qu’il devait prendre une part plus
directe à l’administration des intérêts généraux qui
lui étaient confiés, et il a fait succéder le mode plus
régulier des régies intéressées à celui des fermes
générales ». M.-L. L
Voir Ferme, Frais de régie, Régie générale des
aides
Sources: AN, Marine, E 206, pièce 173, 1784.
Dupré d’Aulnay L. (1743). Encyclopédie
méthodique, finances, t. III, p. 476. Audiffret C.
(1863-1870). Diderot D. et d’Alembert (dir.),
Encyclopédie, lerc éd., t. 15, p. 575. Montesquieu,
De l’esprit des lois, 1748. Napoléon Bonaparte,
Lettre au ministre des finances, Paris, 30 décembre
1801, in Correspondance publiée par
www.histoire-empire.org. Robinet J.B.,
Dictionnaire universel des sciences morale,
économique et politique et diplomatique ou
bibliothèque de l’homme d’Etat et du citoyen,
Londres, 1778, t. IV, p. 642. Turgot A. R.J.,
Œuvres, éd. Daire E. et Dussard H., p. 422-425.
Bibliographie : Ashworth W.J. (2003). Branda P.
(2007). Brewer J. (1989). Hoon E. (1938). Klein E.
(1974), p. 27. Lutun B., « Propriété, exploitation et
surveillance de la gestion... » (à paraître).
Massaloux J.P. (1989). Pigeard A., « Le service des
vivres dans les années du premier empire (1804-
1815) », AHRF, 1996, vol.303, p. 144-147.
Régie des biens des religionnaires
Louis XIV réunit les biens des religionnaires
fugitifs à son domaine* par l’édit de janvier 1688.
Par arrêt du 18 juillet 1690, il établit une régie
chargée de recevoir le produit des revenus de ces
biens par la voie des receveurs des domaines*.
L’intendant* était chargé d’arrêter les comptes de
ces receveurs. La destination exacte de ces revenus
échappa cependant à l’administration centrale
comme le révèle l’enquête de 1699 : les comptes ne
furent pas régulièrement rendus et les fonds
rarement versés dans la caisse de la régie.
L’intendant du Béarn par exemple, disposa pendant
dix ans des recettes sans en référer au contrôleur
353
général des finances*. Au demeurant, le régisseur
lui-même, qui devait rendre compte par simple bref
état* au Conseil, se contenta de donner un état de sa
recette et dépense à son successeur, compte
succinct qui fit apparaître deux omissions* de
recettes pour une somme totale de 161 803 livres.
Par arrêt du 20 juillet 1700, le roi désigna un
nouveau conseiller à la tête de la régie : Charles
Boucher. Le bureau central était installé rue de
Grenelle Saint-Honoré à Paris, tandis qu’un
commis suivait les revenus des biens saisis et
confisqués dans chaque généralité. Les intendants
arrêtaient l’état de recettes des commis et Boucher
devait présenter lui-même son compte général,
formé à partir de ces documents, par bref état*
devant une commission du Conseil, « sans qu’il soit
obligé d’en compter ailleurs ». Le retard de la
reddition* des comptes des commis occasionnait
cependant celui de la présentation* des comptes de
Boucher. En 1708, ce dernier n’avait encore rien
présenté. Cela n’empêcha pas toutefois que le
produit de la régie fût distribué d’après les états du
roi*. Selon le procès-verbal de caisse dressé le 4
novembre 1720 par l’archevêque de Rouen, la
caisse* de la régie possédait 35 020 livres en billets
de banque et 24 livres en espèces. La gestion des
biens des religionnaires prit alternativement la
forme d’une ferme* ou d’une régie* jusqu’en 1733,
devenant définitivement ferme* en 1734. Plusieurs
fermiers généraux ont été régisseurs des biens des
religionnaires. En province, la régie* était alors
représentée par un directeur nommé par le
secrétaire d’État de la Religion Prétendue Réformée
sur avis de l’intendant*. Les biens proprement dits
n’étaient pas vendus mais donnés à bail, en général
par le subdélégué. A l’égard des biens dont la
confiscation était adjugée au roi, le bail était de 6 ou
9 ans; à l’égard de ceux dont la simple saisie était
ordonnée, le bail était de 3 ans. Faute de fennier, le
régisseur général devait administrer directement le
fonds. Certains biens, faisant l’objet de procédures
de mainlevée, étaient restitués aux héritiers des
fugitifs ou à leur parenté faisant profession de la
religion catholique. La liquidation de la ferme et la
restitution des biens des protestants firent l’objet
des décrets de l’Assemblée constituante de juillet et
décembre 1790. Une partie des biens ne trouva pas
preneur et fut vendue au profit de l’État. M.-L. L.
Voir Caisse de religion, Economat, Régie
Sources : AN, G7 13221, dossier sur la gestion des
biens (1688-1734); TT, 1 à 82 (comptes par
généralités).
Bibliographie : Jahan E., La confiscation des biens
des religionnaires fugitifs de la révocation de l ’édit
de Nantes à la Révolution, Paris, 1959. Schaeffer
M., La révocation de l’édit de Nantes et les biens
des religionnaires fugitifs en Languedoc,
Montpellier, 1985.
354
Régie « française »
Régie* intéressée établie le 9 avril 1766 par
Frédéric II de Prusse* pour l’administration
générale des accises et des péages (et quelques
monopoles comme le tabac et le café),
administration que l’on retira donc des compétences
des chambres provinciales. Si le directeur nommé à
la tête de cette régie fut bien un Prussien, le
président de la chambre provinciale du Kurmark,
von der Horst, les cinq régisseurs généraux étaient
tous français (ancien directeur de la douane* de
Lyon, ancien directeur des fermes générales*...), de
même que les directeurs provinciaux et nombre
d’employés. En tout, près de 200 Français ont
travaillé pour Frédéric II. Le rôle joué par Helvétius
dans la formation de cette régie fut condamné par
Mirabeau au moment où les critiques contre les
fermiers généraux s’intensifiaient. Appelés pour
leurs compétences et pour redresser cette branche
de revenus soumise trop systématiquement à la
fraude*, les régisseurs devaient avancer
annuellement 60 000 thalers, rémunérés à 5 % et
présenter l’état de leurs dépenses chaque année au
roi. En 1772, la régie fut renouvelée et simplifiée
sous la direction d’un seul régisseur général,
Delaunay, et de quatre sous-régisseurs, deux
Allemands et deux Français. Malgré la
rationalisation et l’augmentation effective des
recettes, les conflits de compétence entre la régie et
le grand Directoire* d’une part, et la haine nourrie
par les contribuables à l’encontre de cette
administration étrangère d’autre part, eurent raison
de son sort en 1786 : le successeur de Frédéric II
mit fin à ses fonctions. Il n’en demeure pas moins
que la formation de cette régie constitue un bel
exemple de transfert pratique de compétences
administratives, ici la gestion de droits indirects, à
laquelle les employés de la Ferme générale étaient
très bien formés. M.-L. L.
Voir Ferme générale, Régie
Sources : GSPK, II. HA, General Direktorium, Abt
24.
Bibliographie : Schultze W., Geschichte der
Preussische Régieverxvaltung von 1766 bis 1786,
Leipzig, 1888. Waquet J.C. (1977).
Régie générale des aides
Régie* formée par Necker* le 9 janvier 1780 à
partir de tous les droits dits d’exercices exigés pour
la préparation, vente et consommation de boissons
et pour la fabrication de plusieurs autres objets. Une
portion de ces droits faisait partie du bail de la
Ferme générale*, et une autre part, connue sous le
nom de droits réservés ou droits réunis, était
administrée par une régie* créée le 3 avril 1777. Le
démantèlement de la Ferme générale* répondait au
vœu de l’opinion publique. Les aides et droits
réunis furent donc confiés à 25 régisseurs nommés
par le roi et chargés de fournir 25 millions
d’avances rémunérés à 5 %. Formée pour six ans,
elle fut reconduite en 1787 par Calonne qui la
confia à 28 régisseurs et exigea 33,6 millions de
fonds d’avances. Le titulaire de la régie comptait de
toutes ses recettes et dépenses devant le Conseil*
seulement, le roi le dispensant de « compter ailleurs
et imposant à cet effet silence aux procureurs
généraux de ses Chambres des comptes ». On voit
par là que Necker* avait de la transparence* une
idée toute relative. Sans doute cette décision se
justifiait-elle par la réputation exécrable de ces
taxes.
Cette régie générale se caractérisa par la rigueur de
sa gestion. « La régie des aides passe, dans l’esprit
même de ses détracteurs, pour être ingénieuse,
savante et parfaitement bien ordonnée. L’esprit
d’ordre, de suite, de méthode et de bonne
comptabilité en distingue les employés », pouvait-
on lire en 1789. Installée dans l’hôtel de Lussans à
Paris, avec une annexe rue de Choiseul, son bureau
central des comptes fut réorganisé par décision du
ministre du 26 mars 1782. 11 se composait de six
divisions, cinq exclusivement chargées du suivi des
comptes de la régie courante, et une responsable de
l’apurement* des comptes de la régie précédente.
Chaque division comprenait un directeur et deux
vérificateurs, recevait les comptes et pièces des
comptables des provinces qui dépendaient d’elle,
suivait les débets* de ces derniers. Le premier
vérificateur de chaque division tenait la
correspondance ayant trait au suivi des débets et,
une fois les paiements des débets faits, remettait
celle-ci à son directeur avec les récépissés qui
avaient été expédiés. Les commis aux écritures se
chargeaient de la mise au net des lettres de
correspondance, des observations sur les comptes et
des expéditions. Les bureaux de la recette générale
se composaient d’une caisse* et de huit commis :
l’un chargé des lettres de change*, de les faire
recevoir aux échéances, de la signature de
rescriptions*, un autre chargé de l’enregistrement
des lettres de change sur les comptes ouverts des
receveurs généraux des provinces, du registre des
cautionnements*, un autre chargé des pièces de
dépenses de toute nature, de la confection des
inventaires desdites pièces, un autre du
recouvrement des abonnements, du registre des
comptes ouverts desdits abonnements, de
l’enregistrement des significations d’actes des
fonds d’avance*, des comptes ouverts des
régisseurs où sont portés leurs intérêts, droits de
présence et remises*, des états* du mois de la
situation de la caisse*, un autre des récépissés
expédiés aux receveurs généraux des provinces, du
relevé des effets* reçus, un commis pour les
registres-journaux* de toutes les recettes et
dépenses, un commis pour le registre de contrôle de
toutes les recettes et dépenses et un commis pour
l’expédition des rescriptions et les états de
répartition. Pour suivre les journaux des
comptables, les bureaux centraux exigeaient d’eux
des extraits* de journaux, d’abord tous les 15 jours,
puis tous les deux mois à compter du 29 octobre
1787, « les journaux continueront néanmoins d’être
arrêtés chaque quinzaine et le relevé destiné à en
présenter le résultat continuera de même de nous
être adressé régulièrement tous les quinze jours par
la poste lors même que les journaux n’auraient pas
variés d’une quinzaine à l’autre ». Les extraits* de
journaux devaient présenter de suite et sur une seule
feuille par ordre de dates et de numéros tous les
enregistrements faits pendant les deux mois en
observant de distinguer les arrêtés* de chaque
quinzaine; les relevés devaient présenter
constamment les arrêtés jusque y compris le
récépissé final pour solde de débet. Le receveur
général* de chaque direction provinciale devait
verser tous les quinze jours la totalité de ses fonds*
« sans jamais en réserver sous aucun prétexte ». Le
directeur provincial devait quant à lui indiquer par
apostille* sur le relevé le jour fixe de l’envoi* des
fonds et les causes du retard.
Le suivi rigoureux des journaux et des caisses*,
combiné à l’extrême attention portée aux
recouvrements et aux dépenses cadrées par les états
de frais de régie*, révèlent donc les progrès de la
gestion publique à la fin de l’Ancien régime. Le
décret du 2-17 mars 1791 abolit les droits d’aides et
mit fin à l’activité de la régie. La loi du 25 février
1804 recréa une régie des droits réunis (sur les
boissons, les tabacs, cartes à jouer...), dont on ne
sait si elle bénéficia du savoir-faire comptable de
l’ancienne. Son contrôleur général, Bonhoure, fit
néanmoins savoir que les obligations imposées aux
commis étaient très étendues. Celles-ci furent
consignées dans un Recueil général des lois,
arrêtés, décisions et instructions concernant la
perception des droits réunis (1806). M.-L. L.
Sources : AN, G2 20, l’ensemble du carton, dont
dossier 4 : « Ordre de travail du bureau des
comptes» de la Régie générale des aides, 1782,
dossier 7 : « Composition de la recette générale »,
1787; G2 109, l’ensemble du carton, dont dossier 3,
« Conditions de la régie générale », dossier 8,
«Circulaire sur la suite des caisses », 29 octobre
1787. Vues générales sur l’impôt des aides, les
inconvénients de sa suppression et la possibilité de
sa réforme, 1789, cité par Marion M. (1999), p. 12.
Bonhoure, Manuel des droits réunis, Paris,
Imprimerie de J.H. Stone, 1806.
Bibliographie : Azimi V. (1987). Legay M.L.
(2011). Logette A., «La Régie générale au temps
de Necker et de ses successeurs, 1777-1786»,
Revue historique de droit français et étranger, vol.
60, 1982, n°3,p. 415-445.
Registre de contrôle
C’est, dit Y Encyclopédie méthodique, « en général
le double des écritures tenues par un officier public
355
 ou un comptable*, ou un registre dans lequel
s’inscrivent, par extraits*, certains actes judiciaires
ou des expéditions de finances, pour en assurer
l’existence et constater leurs dates et leur objet.
Celui qui tient un de ces registres est appelé
contrôleur. Il devient en quelque sorte le surveillant
et le vérificateur du premier registre, auquel le sien
doit être parfaitement conforme». Encore faut-il que
le contrôleur travaille réellement et ne se contente
pas de recopier les registres du contrôlé, comme
cela s’est vu dans la Marine. Le registre de contrôle
ou contre-rôle a donné son nom à l’officier qui le
tient, mais tous les contrôleurs ne tiennent pas de
rôles de chiffres ni mêmes de registres du tout : le
même dictionnaire signale qu’ils ne remplissent
alors leurs fonctions « que par la surveillance qu’ils
exercent sur les commis et employés qui leur sont
subordonnés. » L’auteur du Dictionnaire des
finances de 1727 restreint leur activité aux bureaux
des comptables : le contrôleur est un « officier créé
pour faire un contrôle et pour certifier que les
choses ont été contrôlées. Les contrôleurs sont
établis dans les bureaux pour enregistrer avec
exactitude toutes les parties de recette et de dépense
qui concernent leur contrôle et pour être présents au
dénombrement des deniers et faire le bordereau des
espèces données ou reçues en paiement. » Il insiste
sur l’importance de leurs emplois, alors que son
successeur déplore que l’autorité ait abusé du
contrôle afin de multiplier les emplois inutiles voire
nuisibles au public. B.L.
Voir Contrôle
Sources : Dictionnaire des finances (1727).
Encyclopédie méthodique, Finances (1784).
Registre de délivrance
Voir Monnaies
Registre(-journal)
Voir Journal
Registre sexté
Dans les pays de grandes gabelles, là où le sel est le
plus cher et vendu sous le nom de sel de devoir, les
habitants sont tenus de le prendre au grenier dans le
ressort duquel leur domicile est compris (édit
d’août 1579). Ils doivent acheter un minot (38,1
litres) pour quatorze personnes âgées de huit ans et
plus, et pour la table seulement (« pot et salière »),
les besoins supplémentaires pour la table et ceux
des salaisons faisant l’objet d’achats séparés et au
même prix exorbitant. L’ordonnance de mai 1680
modifiée pennet aux personnes dans la gêne de
s’associer jusqu’à seize pour partager un minot,
quatre pour le demi-quart (la plus petite mesure est
ainsi introduite dans les greniers, sauf celui de
Paris).
356
Les dénombrements sont la base de toutes les
opérations qui tendent à obliger les chefs de famille
à remplir ce devoir. Les collecteurs des tailles
doivent fournir au receveur des gabelles une copie
certifiée des rôles de tailles des paroisses dans le
ressort de son grenier, avec mention des exempts,
dont les clercs et les nobles. Les maires, syndics et
échevins des villes franches, abonnées à la taille ou
tarifées doivent en faire autant. Dans cette copie les
rôles de taille et de capitation distinguent ceux qui
paient plus de 30 s de l’une ou l’autre imposition (3
1 après 1780) des autres contribuables. Les premiers
sont seuls soumis au devoir du sel ; les autres
peuvent se fournir chez les regrattiers. Les
ecclésiastiques, supérieurs de communautés et
nobles doivent déclarer le nombre de personnes
vivant sous leur toit, quand on le leur demande. À
partir des rôles précédents, qu’ils ont dû vérifier, les
receveurs des gabelles établissent d’autres rôles dits
sextés dans lesquels la quantité de sel que chacun
doit acheter est indiquée (ordonnance de mai 1680,
t. 6, article 7, arrêt du Conseil du 15 mai 1696,
déclaration des 9 mai 1702, 21 octobre 1710 et 29
août 1724). Les registres sextés par paroisses
mentionnent, en regard du nom du chef de famille,
sa profession, le nombre de personnes composant sa
famille, le nombre de bestiaux, sa cote de taille ou
de capitation, le sel vendu pour la table, les
salaisons de chairs, le beurre et le fromage.
On a pensé dès avant 1548 que la perception de la
gabelle faite selon le mode de la taille serait plus
efficace dans les pays de grandes gabelles
limitrophes des provinces franches ou rédimées. De
l’autre côté de la frontière, sur une partie de sa
longueur sont établis des dépôts publics, afin de
limiter la contrebande. Le Conseil fixe donc chaque
aimée le montant de l’impôt à recouvrer dans
chaque grenier; l’intendant, aidé des officiers du
grenier et en présence du receveur, détermine le
montant dû par chaque paroisse et le collecteur des
gabelles, l’impôt de chaque contribuable de sa
paroisse. Les collecteurs sont élus par les
paroissiens depuis l’ordonnance de juin 1517. En
général, le montant de l’imposition d’une paroisse
est proportionnel au nombre de ses contribuables et
il peut dépasser la valeur d’un minot par an pour
quatorze personnes de huit ans et plus. En revanche,
les collecteurs détenninent l’assiette de l’impôt
selon les facultés bien plus que d’après le nombre
des membres de la famille ou des gens vivant sous
le même toit. Il arrive que des commissaires
nommés par l’intendant rédigent des rôles ou
cotisent d’office.
Le collecteur doit livrer aux assujettis dans les huit
premiers jours du trimestre le quart du sel d’impôt
de l’année et le porter d’abord en totalité dans sa
paroisse le jour même de sa délivrance par le
grenier. Le collecteur se sert de mesures qu’il a
achetées et fait étalonner au grenier. Il remet au
receveur du grenier les deniers du sel, moitié
pendant la première partie du trimestre, moitié
pendant la seconde, faute de quoi il peut y être
solidairement contraint par emprisonnement. Les
collecteurs sont défrayés et n’ont rien à demander
aux contribuables : le prix de vente du minot des
grandes gabelles est majoré d’une livre...
Les contribuables ont la faculté de payer leur sel au
fur et à mesure de leurs consommations. Ceux qui
refusent de s’acquitter de l’impôt dans le délai
accordé au collecteur pour compter au receveur sont
poursuivis dans la forme retenue pour les tailles.
Enfin, le sel est destiné à la table, il est interdit de
s’en servir pour les salaisons sans la permission des
officiers des greniers.
Dans les pays de petites gabelles, le sel reste cher,
mais moins que dans les pays de grandes gabelles et
il n’y a ni quantités minimales à acheter ni registres
sextés. B.L.
Sources : Encyclopédie méthodique, partie
Finances.
Bibliographie : Beaulieu E.P., Les gabelles sous
Louis XIV, Paris, Berger-Levrault, 1903 ; réimp.
Genève, 1974. Cabourdin G. éd., Le sel et son
histoire, Nancy, 1981. Callery A., « La fraude des
gabelles sous l’Ancien régime, d’après les
mémoires inédits de M. de Chateaubrun (1730-
1786)», dans La France judiciaire, 1880 (tiré à
part en 1882). Durand Y. (1971). Hocquet J.C.
(1984, 1987, 1991, 1992). Mollat M. dir., Le rôle
du sel dans l’histoire, Paris, PUF, 1968. Pasquier J.,
L ’impôt des gabelles en France aux XVIf et XVIIIe
siècles, Paris, 1905. Say L. (1889-1894).
Règlement définitif des comptes, du
budget
Le règlement définitif des comptes consiste
matériellement en une tentative d’établissement a
posteriori de l’ensemble des mouvements
financiers retracés par les comptes* des comptables.
On évoque le règlement définitif du budget* si l’on
fait référence à la tentative de comparaison entre ce
compte spécifique qu’est le budget* en tant qu’acte
de prévision et d’autorisation et la réalité de son
exécution.
Au XVIIIe siècle, le mécanisme de l’autorisation de
la dépense repose sur les états du roi, signés en
conseil royal des finances. Ces documents
constituent la première forme du budget* et sont
transmis dans les provinces à fin d’exécution. Les
receveurs généraux*, en fin d’exercice, joignaient
leurs comptes à cet état et l’envoyaient à la
Chambre des comptes* qui en opérait la
vérification. A l’aide des états au vrai*,
l’administration des finances tentait de confronter
les prévisions et l’exécution. Il s’agissait d’opérer
un contrôle de l’exécution budgétaire en fin
d’exercice. Le compte-rendu au roi de Necker en
1781 peut être analysé en ce sens. L’absence de
clôture de l’exercice rendait évidemment la chose
délicate.
Cette volonté d’établir un « compte de fin
d’exercice » est réaffirmée sous la Révolution. La
loi du 2 août 1791 prescrit l’établissement d’un état
général des dépenses depuis le 1er mai 1789 ainsi
qu’un état des recettes pour l’année à venir. La
Constitution du 5 fructidor an III reprend le
dispositif à son article 162. « Le Directoire est tenu,
chaque année, de présenter, par écrit, à l'un et à
l'autre Conseil, l'aperçu des dépenses, la situation
des finances, l'état des pensions existantes ». Les
multiples difficultés auxquelles sont confrontés les
représentants de la Nation les poussent cependant à
délaisser cet aspect financier de la gestion publique.
C’est finalement Gaudin, par la loi du 19 nivôse an
X, qui met en place un compte général de
l’administration des finances (CGAF) qui perdurera
jusqu’au XXIe siècle. Le compte est périodique, il
est rendu dans le quatrième mois qui suit la fin de
l’année civile. Il pennet donc théoriquement et à
date fixe, de suivre la situation des comptes autant
que d’apprécier les opérations restant à effectuer.
L’article 149 de la loi du 25 mars 1817 et l’article
18 de l’ordonnance du 14 septembre 1822 viennent
confinner la finalité de ce compte. Il s’agit bien
d’un côté d’établir la centralisation des
comptabilités des comptables répartis sur
l’ensemble du territoire national et de «servir de
base au règlement définitif des budgets » des
ministres. Les articles 2 et 3 de l’ordonnance du 10
décembre 1823 viendront établir les différents
éléments contenus par le « CGAF » par
l’ordonnance de 1817. Il se compose de 5 sous-
comptes. Tout d’abord le compte des contributions
et revenus publics doit établir les recettes établies
au titre de l’exercice*. Ensuite viennent les
dépenses ; le compte des dépenses publiques
récapitule les engagements* (en théorie) mais
surtout les ordonnancements* des ministres. Il peut
être comparé au compte des budgets qui récapitule
les crédits ouverts. Le compte de trésorerie atteste
de préoccupations typiquement financières, la
dépense est une chose, la trésorerie en est une autre.
Enfin, le compte des divers services publics retrace
les opérations effectuées hors des caisses de l’État.
Afin de venir établir « définitivement » ces
comptes, la Cour des comptes est appelée à les
vérifier et à prononcer sur leur exactitude par deux
déclarations annuelles de conformité. La première
porte sur la concordance entre ses arrêts et le
compte général de l’administration des finances et
pennet de valider l’intégration de son travail
juridictionnel dans la comptabilité publique. La
deuxième porte sur la concordance entre le compte
général et les comptes des ministres. Cette
deuxième déclaration de conformité était délicate :
comment une juridiction des comptes pouvait-elle
contrôler les écritures et surtout les pièces
justificatives des ministres ? La vérification fut
357
 confiée à une commission administrative (en 1823) position de poursuivre son effort de synthèse. Dans
ouverte aux parlementaires (en 1830). Mais la le rapport de la Cour publié en 1835, il appelle à la
difficulté de la tâche et le manque de motivation des codification des mesures « comptables ». Le tenue
ministres quant à la tenue d’une comptabilité doit s’entendre dans son sens le plus large : relève
administrative ne permirent jamais à cette seconde du champ comptable tout ce qui est inscrit dans un
déclaration de conformité de jouer son rôle. Le compte ... y compris le budget des ministres ! C’est
contrôle des ordonnateurs restait une fiction. Cela donc à une codification générale de l’ordre
n’empêcha pas pour autant le règlement définitif du financier qu’Audiffret aspire quand un arrêté du 4
budget d’acquérir une valeur législative propre. août 1836 lui confie la présidence d’une
Alors que le compte général de l’administration des commission de directeurs des comptabilités
finances était repris dans les différentes lois de ministérielles et de membres de la Cour des
finances*, en 1818 il finit par faire l’objet d’une comptes chargée d’examiner et de résoudre les
délibération autonome au sein de ce qui allait questions de comptabilité traitées dans les rapports
devenir la loi de règlement*. S.K. des finances des deux Chambres. Il s’empresse de
Voir Arrangement de finances, Budget, Etat du roi, demander l’élargissement de cette mission afin de
Loi de règlement « former un recueil méthodique de toutes les
dispositions éparses de la législation financière, afin
Bibliographie: Kott S. (2004, 2005, 2009, 2010). d’éclairer et de fixer, par ce nouveau code, les
Pinaud P-F. (1992). points demeurés encore incertains pour chacune des
autorités chargées de l’interprétation et de
l’application des principes et des règles de l’ordre
Règlement sur la compabilité publique
général auquel devait être soumises désormais
(France)
l’exécution de tous les services publics ». Alors
L’ordonnance du roi portant règlement général sur
qu’il travaille déjà au projet, il obtient cet
la comptabilité publique du 31 mai 1838 et le décret
élargissement de Laplagne l’année suivante.
impérial portant règlement général sur la
L’article 1er de l’arrêté du 18 juillet 1837 enjoint à
comptabilité publique du 31 mai 1862 constituent
« la commission spéciale de comptabilité, instituée
deux textes fondamentaux du droit public français.
par l'arrêté ministériel du 4 août 1836 de préparer et
Michel Bottin les qualifie de « véritables
discuter un recueil méthodique à distribuer à la
codifications dont dépend en grande partie le droit
prochaine session des Chambres, et résumant les
positif de (la) fin du XXe siècle » et exprime les
lois, ordonnances royales, règlements administratifs
deux raisons pour lesquelles ces textes marquent
et autres actes qui régissent la comptabilité
profondément l’ordre juridique financier : synthèse
publique ». Audiffret prépare un document qu’il
et pérennité. L’ordonnance de 1838 réalise une
soumet effectivement à la commission et qui
synthèse de l’évolution financière (alors qualifiée
deviendra l’ordonnance du 31 mai 1838 comptant
de comptable) de la Révolution, de l’Empire et de
695 articles.
la Restauration dans le prolongement de
Les 883 articles du décret de 1862 constituent une
l’organisation financière de l’Ancien régime. Le
mise à jour du texte au regard des évolutions
décret de 1862 intègre quelques nouveautés
institutionnelles : la France est passée d’une
techniques et institutionnelles, mais reprend
monarchie constitutionnelle au Second Empire. Ils
majoritairement le dispositif de 1838. Il perdurera,
intègrent en outre quelques évolutions telles que les
en dépit d’une tentative de révision générale au
fonds de concours et la réglementation de la
début de la Ille République (1878-1884), jusqu’à sa
comptabilité-matières*. La présidence de la
refonte le 29 décembre 1962. La France dispose
commission chargée de la rédaction du texte de
donc dès 1838 d’un véritable code financier mis à
1862 fut bien évidemment confiée à Audiffret.
jour en 1862.
Un codefinancier ancré dans un contexte politique
Un code financier technique, porté par Audiffret
Il existe peu d’évolutions notables entre les textes
Cette vaste entreprise de recherche de cohérence au
de 1838 et de 1862. Cette remarque vaut pour le
sein du système juridico-financier est en grande
fond et pour la forme. L’organisation des textes est
partie l’œuvre d’Audifffet*. Dès 1826, il coordonne
la même. Le code financier public est divisé en cinq
la refonte en une seule instruction générale des
titres : Le premier titre traite de la comptabilité
nombreuses circulaires adressées depuis 1806 aux
législative, le second de la comptabilité
receveurs généraux des finances* et à leur
administrative, le troisième de la comptabilité
subordonnés. Cette instruction générale du 15
judiciaire, le quatrième des comptabilités spéciales
décembre 1826 sera mise à jour en 1840 puis en
et le cinquième des dispositions générales. La seule
1859, elle constituait selon son instigateur une
différence entre les textes de 1838 et de 1862
« codification méthodique des règles de la
résulte du déplacement des dispositions générales
comptabilité des recettes générales des Finances ».
qui figurent en tête d’ouvrage, au titre Ier, dans le
Ayant accédé à la présidence de la chambre des
texte de 1862 et décale ainsi les autres titres.
dépenses à la Cour des comptes, Audiffret est en
358
Le rapport au roi sur la première version du texte
explique de manière opportuniste cette architecture
au regard du système institutionnel. « Cette division
a paru conforme à la nature même des relations
établies entre le gouvernement et les Chambres,
entre l’administration centrale et ses délégués,
enfin, entre la Cour des comptes, les ministres
ordonnateurs et les préposés du Trésor ». Il s’agit
de distinguer les relations financières entre le
gouvernement et ses différents interlocuteurs : le
Parlement, l’administration et la Cour des comptes.
Cette présentation donne une image « équilibrée »
du schéma institutionnel. Or, la constance de cette
présentation ne résiste pas à la simple comparaison
entre la monarchie constitutionnelle de 1838 et le
Second Empire de 1862. De plus, il convient de
noter qu’Audiffret est un monarchiste résolu,
proche des ultras de la Restauration et admiratif de
Charles X. Derrière son habillage, le code financier
public est porteur d’une autre réalité comptable qui
ne permet ni au Parlement (par le biais de la
comptabilité législative), ni à la Cour des comptes
(par le biais de la comptabilité judiciaire) de
contrôler réellement les finances du gouvernement.
Seul ce dernier est en réalité en mesure de suivre
ses dépenses et l’intervention du Parlement ou de
de la Cour des comptes ne sont pensée qu’au profit
de la loyauté de l’administration à l’égard du
ministre et du ministre à l’égard du roi ou de
l’empereur. S.K.
Voir Audiffret, Contrôle parlementaire.
Sources : Audiffret G. (1863). Bruguière M. et
Goutal-Arnal V. (2002)
Bibliographie : Bottin M., dans Isaïa H.et Spindler
J. (1986). Kott S. (2004). Magnet J. (1989 et 1995).
Règlement sur la comptabilité publique
(Russie)
Afin d’assurer le bon fonctionnement de la machine
administrative de l’Empire, il était nécessaire de
mettre à jour le corps des lois et règlements. Or, au
XIXe siècle la Russie continuait à être régie par le
Code des lois (Sobornoe Ulozenie) du tsar Aleksei
Mikhailovic (1645-1676) de 1649, qui était devenu
obsolète et fut complété par d’innombrables
oukases, décrets, règlements, instructions
promulgués au cours des deux siècles suivants. Au
XVIIIe siècle, plusieurs commissions furent
convoquées pour élaborer un nouveau code des lois,
mais aucune n’aboutit. Un nouvel effort fut tenté au
début du règne d’Alexandre Ier (1801-1825): la
commission présidée par le comte Speranskij
prépara alors des projets de codes civil, criminel et
commercial, en s’inspirant des modèles étrangers,
dont en premier lieu le Code civil français (1804),
cependant des événements d’ordre politique et des
difficultés techniques empêchèrent leur adoption.
C’est avec l’avènement au trône de Nicolas Ier
(1825-1855) que l’activité codificatrice fut relancée
et déboucha cette fois-ci sur des résultats positifs.
Tant au regard des conditions historiques de sa mise
en œuvre que du contenu qui lui était donné,
l’œuvre de codification laisse tient une place
particulière dans un mouvement général de
codification* du droit public que connut l’Europe
du XVIIIe au XXe siècle.
Sa réalisation fut alors confiée à la deuxième
section de la Chancellerie particulière de Sa
Majesté Impériale dirigée par l’ancien maître
d’école du tsar, M. Balug’janskij. En réalité,
l’essentiel du travail fut accompli par Speranskij,
que le tsar fit revenir à la Cour non pas en tant
qu’homme d’État, lequel, sous Alexandre Ie1, avait
préparé dans un esprit libéral un projet de réformes
de l’État, mais comme un collaborateur précieux
pour sa remarquable capacité de travail, son
expérience et ses compétences en matière de
jurisprudence. Selon son plan, les travaux de
codification furent organisés en deux étapes. Il
s’agissait d’abord de rechercher et de réunir dans
l’ordre chronologique l’ensemble des dispositions
législatives russes. Il en résulta en 1830 la
publication de 45 volumes de la Collection
complète des lois de l’Empire russe (PSZ)
englobant plus de trente-trois mille textes
promulgués de 1649 à 1825 ; la série fut reprise
deux fois pour les années 1825-1881 et 1881-1913.
La seconde tâche était de faire une sélection des lois
en vigueur et de les compiler par ordre des matières
dans un Corps (en russe : Svod) des lois de
l’Empire russe (SZRI). Cependant, Nicolas Ier,
craignant une limitation du pouvoir autocratique,
n’autorisa pas à ce que cette grande entreprise
devînt l’occasion de réformer le système du droit
russe, comme le défendait Speranskij. N’effectuant
finalement qu’une systématisation des lois, l’œuvre
de codification en Russie resta donc inachevée.
Le choix d’une telle codification reflétait, en effet,
la politique conservatrice par laquelle Nicolas Ier
entendait maintenir et consolider le régime
politique en vigueur. Après avoir sévèrement
réprimé l’insurrection des « décembristes » en
1825, le tsar se préoccupa de mettre de l’ordre dans
le pays. La codification était envisagée comme un
moyen de fortifier, par un cadre juridique
déterminé, l’ordre politique, administratif et
judiciaire établi, ce qui revient de fait à retirer la
question de la constitution de l’ordre du jour. Au
lieu de créer un nouveau droit, elle visait à
systématiser la législation existante, laquelle, dans
son état chaotique et hétéroclite qu’elle était à cette
époque, donnait souvent lieu à la pratique de
l’arbitraire et aux abus des agents de pouvoir à
l’égard des sujets.
Le Corps des lois de l’Empire russe est structuré
huit parties ou livres, renfermés en 15 volumes. Le
Livre I inclut les lois fondamentales de l’Empire et
les lois organiques sur les institutions
administratives et judiciaires ; le Livre II contient
359
 les règlements sur les prestations relatifs aux
recrutements et aux corvées ; le Livre III comprend
les règlements sur l’administration des finances et
les impôts, sur les mines et les forêts. Le Livre IV
réunit les lois sur « l’état des personnes », qui fixent
les droits et les obligations des sujets d’après leurs
conditions sociales. Ainsi transparaît la réalité de la
société russe toujours divisée en ordres, le statut
des classes privilégiées est consolidé, tout comme
le servage en tant que fondement de l’ordre
économique. Le livre V comprend les lois civiles,
notamment en ce qui concerne la famille et le
mariage, la tutelle et la curatelle, ainsi que les lois
sur les biens et les propriétés. Le livre VI contient
les règlements sur le crédit public, le commerce,
l’industrie et les métiers, les voies de
communication, les édifices et constructions. Le
livre VII réunit les dispositions relatives à la police
et au maintien de l’ordre public. Le livre VIII traite
la procédure pénale. À l’intérieur de chaque livre,
les lois sont classées par titres, chapitres et articles.
La loi de référence est indiquée aux lecteurs dans
les notes placées à la fin de chaque article auquel
elle appartenait.
Le Corps des lois de l’Empire russe entra en
vigueur à partir du 1er janvier 1835. Il y eut ensuite
deux autres éditions complètes en 1842 et 1857. En
1876, la réédition de la série de 1857 resta
inachevée. En 1885-1897, la plupart des volumes
publiés en 1876 furent complétés par de nouvelles
lois et réédités. Ainsi, la Russie se trouva doté d’un
corps de droit massif qui allait constituer avec ses
archaïsmes et ses défauts techniques le socle pour
l’exercice de la justice et de l’administration
publique jusqu’à la fin du régime monarchique. Ce
corpus n’était cependant pas d’application générale
à toute la Russie, car il y avait des lois particulières
établies pour certains territoires périphériques de
l’empire. D’autant plus que d’autres recueils
devaient contenir les codes des lois militaires en
élaboration.
La codification de la comptabilité publique:
acteurs principaux et aboutissements
Dans ce domaine, le Gouvernement impérial fut
confronté à un double souci : d’une part,
d’uniformiser la législation comptable qui s’était
accumulée avec le temps et, de l’autre, de rendre
plus rigoureuse et plus efficace la gestion des
finances de l’Etat. Les travaux en vue de codifier
les dispositions comptables débutèrent en 1828 et
se prolongèrent avec interruption jusqu’en 1848. Il
fut décidé de produire un règlement général sur la
comptabilité publique et des règlements spécifiant
pour les administrations centrales les règles et les
procédés de la comptabilité propres à leurs
domaines d’activité. L’équipe chargée de leur
rédaction fut formée de représentants du Contrôle
d’État et de la Deuxième section de la Chancellerie
particulière de Sa Majesté Impériale dont la
360
direction revint désormais au comte D. N. Bludov.
Elle commença par collecter des matériaux auprès
de chaque ministère, puis procéda au travail de
synthèse. Le texte du projet du Recueil des
règlements comptables (Svod zakonov scetnyh) fut
discuté article par article à plusieurs séances de
réunion. Après avoir été soumis à l’approbation du
tsar, il fut officiellement promulgué le 7 octobre
1848. En 1857, il fut inséré intégralement dans le
huitième volume de la deuxième édition du Corps
des lois de l ’Empire russe.
Quant à sa structure interne, ce Recueil est divisé en
deux grandes parties: la première qui énonce des
dispositions générales (Livre I), et la deuxième qui
réunit des règlements concernant les comptabilités
des ministères et départements suivants : Finances
(Livre II, 480 articles), Domaines (Livre III),
Intérieur (Livre IV), Instruction publique (Livre V),
Voies de communication et Édifices publics (Livre
VI, 285 articles), Postes (Livre VII), Justice (Livre
VIII), Affaires Étrangères (Livre IX), Saint-Synode
(Livre X), Palais impérial (Livre XII),
établissements de bienfaisance sous le patronage de
l’impératrice Marie (Livre XIII). Le Livre XI réunit
les dispositions relatives à la pratique comptable
des institutions n’ayant pas l’obligation de rendre
les comptes au Contrôle d’État. Quant au Ministère
de la Guerre et à celui de la Marine, leurs recueils
de règlements sur la comptabilité furent édités à
part.
Le noyau de l’ouvrage est constitué par le Livre I,
où le législateur fixe les principes généraux et les
procédures d’une comptabilité publique descriptive
et régulièrement justifiée par les agents de
l’administration. À travers ses 5 titres et 394
articles les dispositions comptables autrefois
disséminées dans 376 actes législatifs et
administratifs sont méthodiquement codifiées. Le
plus ancien en est l’oukase du 27 juin 1669 sur la
conservation des deniers publics et le contrôle
mensuel des comptes dans les bureaux centraux
(prikazy). Au XVIIIe siècle qui est marqué par
l’œuvre réformateur de Pierre le Grand (1682-
1725), l’activité législative s’intensifia et toucha
presque tous les domaines. En matière de
comptabilité, cette période recense 66 textes, parmi
lesquels le Règlement sur le Collèges des Recettes*
du 11 décembre 1719, le Règlement sur le Collège
des Dépenses du 13 février 1719, le Règlement de
l’Amirauté du 5 avril 1722, Y Instruction donnée
pour l ’exécution des fonctions par les chambres de
trésor de 1785. Mais 4/5 des références renvoient à
la législation promulguée dans les années 1801-
1847, tels que Y Instruction donnée au ministre des
Finances de 1811, le Statut du Département du
Trésor public de 1821, des circulaires du ministre
des Finances.
Dans le titre I qui comprend 190 articles, sont
exposées de façon claire et exhaustive les
conditions dans lesquelles s’exécutaient les
opérations d’encaissement des recettes et de
paiement des dépenses, ainsi que les règles de la
tenue des écritures. Ainsi, les comptables devaient
produire des comptes fidèles et sincères. La
comptabilité était tenue par année séparément en
deniers et en matières (denrées, matériaux, objets).
Les entrées et les sorties d’argent étaient recensées
journellement sur les livres de caisse (kassovye
knigi). Des livres de comptes (buhgalterskie knigi)
étaient tenus à partir des données des livres de
caisse afin de retracer les montants non dépensés au
cours de l’année précédente, les sommes
effectivement versées et payées par rapport aux
prévisions, les transferts d’argent pour le compte
des autres administrations, le remboursement des
dettes, les dépenses de fonctionnement et du
personnel de l’institution. Il fut prescrit de tenir les
livres comptables avec soin et ordre. Les opérations
en recettes et en dépenses devaient être inscrites
dans les comptes par article, sans rature, grattage ou
interligne, et appuyées des pièces justificatives
(chap. 3). Un chapitre spécial explique la nature des
documents pennettant d’établir la réalité de
l’encaissement, du transfert et de l’emploi des fonds
par un comptable, tels étaient en premier lieu les
quittances délivrées à la caisse (art. 167-177). Le
titre II (art. 190-258) couvre les dispositions
relatives au contrôle administratif de la gestion des
comptables. Ceux-ci avaient à préparer, selon un
modèle uniforme, des bordereaux de comptes
mensuels, destinés à informer l’administration
supérieure sur la situation de leurs caisses au
dernier jour du mois. Dans le titre III (art. 259-366),
les procédures de la reddition des comptes annuelle
sont détaillées à travers des dispositions qui se
référaient à des règlements plus récents, comme par
exemple le Statut du Contrôle d’État de 1836 et
Y Instruction pour l'établissement des états de
comptes du 6 novembre 1830. S’y ajoutaient une
série de recommandations pratiques pour guider les
réviseurs à chaque étape de leur travail. Une
nouvelle forme de procès-verbaux de vérification
leur était fournie en annexe. En dernier lieu, le titre
IV traite toutes les questions se rapportant à la
responsabilité des comptables (art. 367-394). Elle
était très contraignante : les comptables étaient
déclarés personnellement et pécuniairement
responsables des opérations dont ils étaient en
charge. Cette responsabilité se trouvait mise en jeu
dès lors qu’un manque en deniers avait été constaté,
qu’une recette n’avait pas été recouvrée ou d’une
dépense avait été irrégulièrement payée.
En somme, la grande codification du droit russe
accomplie dans le premier tiers du XIXe siècle
donna lieu à la systématisation de la comptabilité
publique. Mais celle-ci ne doit pas être comprise
comme une simple compilation. En élaborant le
Recueil des règlements comptables de 1848, un
effort préalable de clarification et de reformulation
du vocabulaire avait été entrepris par le législateur,
qui cherchait à présenter de façon claire, complète
et cohérente les dispositions normatives en cette
matière. La notion de comptabilité est ici entendue
au sens large : les prescriptions édictées
concernaient aussi bien l’établissement des comptes
que l’organisation des services en charge du
maniement des deniers publics, laquelle reposait sur
un principe essentiel de séparation des fonctions
respectives entre les ordonnateurs et les comptables.
Les ordonnateurs, à savoir les ministres et les hauts
fonctionnaires de certains services, prescrivaient les
opérations en recettes et en dépenses ; il incombait
aux comptables de les effectuer. La division des
tâches entre les deux catégories distinctes d’agents
fut posée afin d’assurer la régularité dans
l’exécution des recettes et des dépenses de l’État.
La publication du Recueil des règlements
comptables apporta une consécration législative au
système administratif et financier en vigueur dans
la Russie de la première moitié du XIXe siècle. Au
sommet de tout l’édifice monarchique était le tsar
autocrate, qui concentrait en sa personne un pouvoir
illimité faisant de lui le maître absolu du pays et
l’ordonnateur suprême en matière financière. Le
Conseil d’État, créé en 1810 comme un organe
consultatif auprès du tsar, vit son rôle diminuer vu
l’importance donnée au Comité des ministres ou
encore à la Chancellerie particulière du tsar, où
Nicolas Ier préférait décider les affaires les plus
urgentes. L’administration des finances impériale
était caractérisée par un formalisme procédurier,
derrière lequel elle manquait en réalité de souplesse
et d’efficacité. La multitude des caisses et le
manque d’autorité du ministre des Finances sur ses
autres collèges empêchaient la bonne maitrise de la
charge croissante des dépenses de l’État. Quant au
Contrôle d’État, son champ d’intervention était
sérieusement restreint. En effet, depuis le début du
XIXe siècle la fonction de contrôle était exercée en
interne par l’administration elle-même : les services
de contrôle étaient organisés à l’intérieur des
ministères pour vérifier à l’appui des pièces
justificatives les comptes annuels de leurs services,
tandis que le Contrôle d’État, en tant qu’organe
suprême de contrôle, ne recevait que des rapports et
des états récapitulatifs, ce qui rendait son contrôle
inefficace. La mauvaise gestion, le détournement de
revenus publics et les pots-de-vin se répandirent à
tous les niveaux de l’administration.
Il reste à souligner que la codification de 1848
concerna la comptabilité plus que le budget.
Quelques dispositions règlementaires portant sur la
préparation et l’exécution du budget de l’État se
retrouvent insérées à la fin du recueil des
règlements comptables, lequel employait,
significativement, le terme traditionnel de
« smeta », pris dans son sens administratif et non
politique, pour désigner le budget. Il s’agissait
effectivement là d’un « état » général sur lequel
étaient chiffrées les prévisions des recettes et des
361

dépenses de l’État pour l’année à venir. Il était
composé au Ministère des finances à partir des états
prévisionnels des différentes institutions centrales
et approuvé par le tsar. Il était tenu secret.
C’est avec la réforme des finances publiques
d’Alexandre II (1855-1881) que le droit budgétaire
va s’affirmer en Russie. Engagée en parallèle avec
la réforme de l’abolition du servage et celle de la
justice, cette réforme parvint à stabiliser et à
moderniser le système financier russe qui était dans
un état de crise profond après la guerre de Crimée
(1853-1855). Les «capitaux économiques» et
fonds de réserve dont disposaient certaines
administrations furent désonnais rattachés au
budget de l’État; la gestion centralisée de la
trésorerie fut instaurée en 1864 ; la création des
chambres provinciales de contrôle, placées sous
l’autorité directe du Contrôle d’État, pennit de
renforcer le contrôle sur l’administration des
finances. Le Règlement du 22 mai 1862 devint un
premier grand texte de caractère organique relatif
aux lois des finances en Russie. Rédigé par une
commission spéciale selon les propositions de V. A.
Tatarinov*, il posa ce qu’on appelle dans le droit
budgétaire actuel les grands principes d’annualité,
d’unité et de spécialité dans la forme et le contenu
du budget, tandis que les opérations de son
établissement et de son exécution allaient être plus
encadrées. La monarchie russe accepta de rendre
public le budget de l’État, dont une première
publication fut réalisée en 1862.
A la suite de ces changements, une modification
partielle fut apportée aux textes de règlements
comptables de 1848. Mais cette révision laissa
intact les dispositions codifiées énonçant les
définitions et les règles fondamentales de la
comptabilité publique, qui furent reproduites et
restèrent toujours valables jusqu’en 1917. Celles-ci
se rapportaient à une comptabilité d’État qui était
par essence une comptabilité administrative, en
partie simple, dont le but était d’enregistrer les
opérations de recettes et de dépenses conformément
au budget et de renseigner l’autorité impériale sur
l’état de sa trésorerie. Par ailleurs, la question
d’appliquer la méthode de la partie double à la
comptabilité de l’État fut posée lors de la
préparation de la réforme budgétaire et comptable
de 1862. En 1858, V. N. Hitrovo, jeune
fonctionnaire du Ministère de la Marine, fut envoyé
à l’étranger, afin d’observer le fonctionnement de
cette méthode dans les États occidentaux. En
Russie, la comptabilité en partie double fut
introduite dans la gestion financière des ports et des
arsenaux de l’Amirauté à partir de cette période.
N.P.
Sources: Hitrovo V.N. (1858). Polnoe sobranie
zakonov Rossijskoj imperii (PSZ), Saint-
Pétersbourg, 1830. Speranskij M.M., Obozrenie
istoriceskih svedenij o Svode zakonov, St.-
362
Pétersbourg, 1833. « Svod zakonov scetnyh », dans
Svod zakonov Rossijskoj imperii (SZRI), Saint-
Pétersbourg, 2e éd., 1857, vol. 8, partie 2.
Bibliographie : Isaev I.A., Istorija gosudarstva i
prava Rossii : Polnyj kurs lekcij, Moscou, Jurist,
1996. Gilardeau E., «Le Svod zakonov vu de
France », Revue historique de droit français et
étranger, 81/1, 2003, p. 33-65. Latkin V.I., Lekcii
po istorii russkogo prava, Saint-Pétersbourg, 1891-
1892. Majkov P.V., Vtoroe Otdelenie Sobstvennoj
Ego Imperatorskogo velicestva kanceljarii, 1826-
1882, Saint-Pétersbourg, 1906. Raeff M.,
«Codification et droit en Russie impériale.
Quelques remarques comparatives», Cahiers du
monde russe et soviétique, 20/ 1, janvier-mars
1979, p. 5 -13. et Michael Speransky: Statesman of
Impérial Russia 1772-1839, La Haye, Nijhoff,
1957. Sidorcuk M.V., «O sistematizacii
zakonodatelstva v Rossii v 1826-1832 gg. »,
Pravovedenie, (6) 1990, p. 26-32 et «Polnoe
sobranie zakonov Rossijskoj imperii: istorija
sozdanija», Pravovedenie, (4) 1991, p. 92-96.
Sakovic V.A. (1898).
Rejeter
Lors de l’examen d’un compte, ternie utilisé pour
désigner une partie* employée dans un compte où
elle ne doit pas entrer. Par opposition, on dit
« passer », « allouer » une partie d’un compte.
Relevé de compte
Voir Bordereau de compte
Reliquat, reliquataire
C’est le reste ou le debet* (en latin « il doit ») dont
le rendant compte se trouve débiteur par la clôture*
et l’arrêté* de son compte. Le reliquat d’un compte
peut être constitué des sommes des recettes non
recouvrées ou détournées et celles des dépenses
irrégulièrement passées dans le compte, que les
Chambres des comptes* constataient lors de la
vérification*. Opposé à quitus* (« quitte »), le
reliquat est exigible par l’administration jusqu’à ce
qu’il soit payé. Tout comptable public est en effet
jugé responsable de son déficit, ou reliquataire, sur
ses propres deniers. En France*, le contrôleur
général des restes* était chargé d’exercer les
poursuites contre les comptables reliquataires et
leurs héritiers. Le reliquat est calculé par le juge du
compte qui procède à la clôture*. L’ordonnance de
1667, titre 29, article 20, est claire sur ce point : « le
jugement qui interviendra sur l’instance de compte
contiendra le calcul de la recette et de la dépense et
formera le reliquat précis, s’il y en a aucun ». Un
compte rendu en justice est exécutoire pour le
reliquat, sans qu’il soit nécessaire d’attendre un
jugement sur cet objet. Le reliquat doit être reporté
dans le projet de fonds de l’exercice suivant. En
1751, le roi de Piémont-Sardaigne se plaignit à son
général des finances à propos des reliquats du
duché de Savoie qui embarrassaient les bilans* :
« Sa Majesté ne veut absolument plus qu’on y
comprenne ce qu’il y a d’inexigible ». N.P.
Voir Apurement, Clôture, Contrôleur des restes,
Débet
Sources : AD de Savoie, Chambéry, C 264, lettre de
Grégory, général des finances, 16 novembre 1751.
Remise
Le terme a plusieurs acceptions. Il désigne
généralement la grâce qu’accorde le roi à un
débiteur en lui remettant une partie de sa dette.
Dans ce sens, il s’appliquait aux contribuables dont
la cote d’impôts était réduite. En France, le
prélèvement des impôts directs s’accompagnait de
tout un dispositif de remise, ou secours, que
l’intendant* répartissait entre les élections de sa
généralité pour tenir compte de l’effet des
événements climatiques (grêle, inondations ....) sur
les récoltes. « Ces secours distribués avec soin et
justice sont d’une grande utilité et prouvent aux
habitants des campagnes que les regards de Sa
Majesté se tournent avec bonté sur leurs besoins ».
L’intendant* pouvait faire aller la remise de taille*
sur une élection jusqu’à plus de 20 % de la somme
attendue ou bien au contraire la réduire à rien au
profit d’élections voisines. S’efforçant d’être juste,
il pérennisait une forme de justice fiscale par voie
extraordinaire. Sur le plan comptable, ces remises
apparaissent dans les comptes de taille, de
capitation, de vingtième des receveurs par une ligne
séparée nommée le plus souvent « déduction »,
« décharge » ou « modération ». De même, des
« remises » ou « modérations » sont inscrites dans
les comptes des receveurs du clergé* pour alléger
ou exempter les bénéficiers de décime en cas
d’accidents climatiques. Dans les pays d’Etats
provinciaux, les remises étaient forfaitaires et
négociées annuellement par l’assemblée*. Au cours
de son premier ministère (1777-1781), Necker*
réduisit les remises fiscales.
La remise était également un bénéfice accordé au
financier, fermier, traitant* ou officier*, sur sa
gestion. La pratique de l’affermage de l’impôt
s’accompagnait d’enchères encouragées
artificiellement par la promesse de fortes remises
pour ceux qui emportaient l’affaire. En Espagne par
exemple, les compagnies de fermiers obtenaient
systématiquement ces prometidos qui pouvaient
atteindre jusqu’à 10%. Par ce moyen, les
monarques soutenaient la gestion* de leurs
financiers. Quand l’un d’eux se déclarait failli, il
n’était pas rare que le roi accordât une remise de
pure grâce comme ce fut le cas par exemple pour
l’officier-comptable Chamoy, receveur des
consignations et payeur des gages* français du
XVIIIe siècle, à qui il fut donné une remise de
50 000 livres par arrêt du conseil du 20 décembre
1755 et une autre de 20 000 livres par un autre arrêt
du 27 juillet 1756, « imposant à cet égard un silence
perpétuel au Procureur général de la Chambre des
comptes ». Contrairement aux remises fiscales, de
telles remises aux financiers étaient souvent
comptabilisées par acquits de comptant*.
Caractéristique de la gestion ancienne des Etats
européens, elles révélaient les limites de la
délégation* de la gestion des deniers publics. Les
grands réformateurs de la comptabilité se sont
efforcés d’en réduire la pratique en développant le
mode de gestion par régie*. M.-L. L.
Voir Décharge, Non-valeur
Sources : AN, H1 1447, pièce 96, Mémoire de
l’intendant de Caen, vers 1781; H1 438, pièce 204,
1754-1756 (affaire Chamoy).
Rencontre, rencontrer, rescontre,
rescontrer
Les deux termes sont parfois confondus, si l’on en
croit le Dictionnaire universel du commerce, qui
définit la valeur « rencontrée » en commerce
comme une application du « rescontre » aux lettres
de change. En outre, les termes rencontre ou
rescontre, en français, rescuentro (rescontrar) en
espagnol, riscontro, scontro*, en italien, ont deux
significations différentes, mais qui se recoupent.
D’une part, la rencontre est l’indication, en marge
d’une partie, de la page où « la partie est employée
dans un effet contraire » : par exemple, pour une
partie couchée en débit* d’un compte, on indique
quel est le compte et la page où la même somme est
portée en crédit. Cette définition est donnée par
Claude Irson pour la tenue des livres en parties
doubles* (Méthode, chap. 6), mais son application
est plus large. Ainsi, dans la nouvelle comptabilité
camérale* promue par Puechberg* en Autriche
pendant les années 1770, les livres de Scontri
(« Sammlungs-Rubricken-und-Kasse Scontri »)
sont des livres de comptes généraux dont la
formation permet de vérifier l’exactitude des livres
auxiliaires.
Faire la rencontre consiste à vérifier qu’une partie
portée dans la dépense ou la recette d’un compte est
bien portée à l’inverse dans la recette ou la dépense
du compte de l’individu qui a bénéficié de la
dépense ou versé la recette. C’est probablement
l’origine de la désignation de contrôleurs des
comptes italiens sous le ternie de scontri, dans
l’administration vénitienne de l’impôt du sel*.
D’autre part, rencontrer ou rescontrer signifie
compenser, dans les comptes de deux personnes
traitant ensemble, une partie avec une autre, soit
une dette et une créance. Comme le formule La
Porte, « rescontrer : rabattre, ou donner l’un contre
l’autre ». C’est dans ce sens que Luis Valle de la
Cerda emploie le ternie lorsqu’il explique que les
caisses* qu’il veut établir dans la monarchie
espagnole pour résorber la dette du roi et des villes
auront besoin de peu de capital : en effet, achetant
363
 continuellement des rentes à 5% et les vendant à
6%, elles se contenteront d’encaisser ou de payer la
différence entre les deux prix. La définition de
Savary des Bruslons, reprise par Diderot et
d’Alembert, est la même, et c’est aussi celle du
Dictionnaire de l’Académie royale de la langue
espagnole. Rescontrer est le « terme dont se servent
quelques négociants pour signifier une
compensation* ou évaluation qui se fait d’une
chose contre une autre de même valeur. Il faut
rescontrer les 500 liv. que je vous dois pour
marchandises avec pareille forme contenue en lettre
de change que j’ai sur vous, pour dire qu’il faut
compenser ces 500 liv. avec pareille somme portée
par la lettre de change ». L’opération décrite sous le
terme rencontrée n’est qu’une variante plus
complexe de la même compensation* :
« Valeur de moi-même ou rencontrée en moi-
même, style de lettres de change. Les lettres de
change où ces termes se mettent sont la troisième
espèce de lettres de change. On les libelle de la
sorte afin que lorsqu’un banquier ou négociant tire
une lettre de change sur son débiteur, elle paroisse
toujours être de ses propres deniers à cause de la
créance qu’il a de pareille somme sur celui sur qui
il l’a tirée, ce qui ne seroit pas si le tireur mettoit
valeur reçue en deniers comptants, parce qu’alors
le commissionnaire ou l’ami à qui elle aurait été
remise pour la recevoir pourraient prétendre que la
lettre leur appartiendrait, puisqu’il paraîtrait par la
lettre qu’ils en auraient fourni la valeur». A.D.
Voir Compensation, Scontro
Sources : Irson C. (1678). La Porte M. de (1685).
Valle de la Cerda L. (1600) : le terme est récurrent
dans la seconde partie, Oposiciones que hizo contra
los Erarios don Juan Centurion, Caballero
Genovés, Marqués de Estepa). Diccionario de la
Real Academia de la Lengua, 1737. Diderot et
d’Alembert, Encyclopédie (1751 et 1782).
Reprise
Dans un compte tenu en recette, dépense et reprise,
il s’agit du troisième chapitre, décrit ainsi par
Claude Irson (1678) : « le chapitre de ce qui a été
compté et non reçu, c’est-à-dire de ce que l’on
devoit recevoir et qui est décrit dans le chapitre de
recette, mais qui n’a pas été reçu, sans qu’il y ait
aucune faute du comptable » (Méthode, chap. IV).
D’après Pierre d’Hénouville (1709), « en un mot, la
reprise, dans sa véritable définition, est la troisième
partie d’un compte, qui donne la faculté au
comptable de déduire les choses comptées en
recette qu’il na pas effectivement livrées ou reçues,
ou bien partie livrée et partie reçue » (Le guide des
comptables, p. 49).
Tous les auteurs s’accordent sur deux conditions
indispensables. D’une part, une partie doit avoir
d’abord été inscrite en recette pour pouvoir figurer
en reprise. « Ainsi, il faut que la somme ou quantité
364
Dans le cas où la recette est supérieure, l’excédent expressément chargés par les édits & déclarations,
dont il prétend faire reprise ait été mentionnée ou
doit être chargé en recette au début du compte comme pour la capitation, &c., auquel cas elle
du moins, comme il vient d’être dit, qu’elle fasse
d’exercice suivant. Dans le cas contraire, où le total prend en reprises les décharges portées dans leurs
partie de l’article décrit dans la recette, qu’elle
de la dépense et de la reprise est supérieur à la comptes arrêtés par Messieurs les Intendants. » (Le
s’accorde au date (sic), qu’elle ait aussi un rapport
recette, la reprise du compte qui vient d’être rendu guide des comptables, p. 31).
avec la somme ou quantité et à toutes les autres
constitue le premier article de la recette du compte Quoique D’Hénouville n’en fasse pas mention, il
circonstances qui y sont déclarées » (D’Hénouville,
de l’exercice suivant — puisqu’il faut faire en sorte semble que les comptes qui admettent la reprise
Le guide des comptables, p. 49). D’autre part, il ne
d’encaisser les sommes qui ne l’ont pas été et donc soient ceux que l’on appelle comptes de clerc à
peut y avoir reprise que si le comptable démontre
en rendre le comptable débiteur. Dans ce dernier maître*, réservés à tous les comptables qui
qu’il n’est pas en faute, ayant fait toutes les
cas, l’excédent sera employé « à l’entrée du n’assument pas les risques de leur gestion, les
démarches qu’il lui revenait de faire pour encaisser
chapitre de dépense » du compte de l’exercice pertes étant assumées par le roi. Nous venons de
les fonds. Ainsi, Irson indique : « il faut encore
suivant (Le guide des comptables, p. 57). voir que les receveurs des domaines et bois en font
observer une seconde condition qui regarde le
Les cas de reprise décrits par d’Hénouville partie des comptables.
fonds, laquelle veut que la partie que l’on prétend
correspondent à l’encaissement partiel d’une L’autorisation d’inclure un chapitre de reprise dans
contreposer* pour avoir été mise en recette & non
somme : 1. Le comptable qui rend ses comptes a son compte est considérée comme une faveur que le
reçue ne puisse pas être attribuée à la faute de celui
reçu une lettre de crédit, une lettre de change ou un roi fait à ses comptables. On trouvera dans la notice
qui la devoit recevoir, parce que s’il a négligé d’en
billet et a donné son récépissé, mais il n’a pu « compte de clerc à maître » des exemples qui
faire le recouvrement faute de poursuite, il a
encaisser la totalité de la somme. Il fait donc reprise confirment son caractère exceptionnel. C’est
commis un dol & doit être responsable du
de ce qui reste à payer sur l’effet concerné. 2. Le pourquoi les monarques s’efforcent de se réserver
dépérissement qui en est arrivé. » (Méthode, chap.
comptable s’est chargé en recette de la totalité cette concession. C’est le cas en Espagne. Le terme
VIII). Pierre Bernard d’Hénouville (1709) détaille
d’une somme qui devait lui être payée en plusieurs « albaquia » n’est pas un équivalent exact de la
cette clause, citant « Jacques Menochius, célèbre
échéances, mais son mandat s’est terminé avant le reprise, puisqu’il désigne tout « reste ou résidu de
jurisconsulte de Pavie » du début du XVIIe siècle :
versement des dernières échéances, sans qu’il y ait compte qui n’a pas été payé », selon le dictionnaire
« que celui qui a seulement été chargé pour
faute du débiteur ni démarche particulière à faire. Il de l’Académie royale de la langue espagnole (1726,
solliciter et procurer des recouvrements qu’il n’a pu
« fait reprise » des échéances non encore reçues (Le 1770). Une ordonnance des Rois Catholiques
faire est obligé de rendre raison & déclarer par écrit
guide des comptables, p. 97-102). Cela correspond (1476) atteste cependant de l’emploi du mot dans le
la cause & pourquoi il ne les a pas effectivement
à la définition de la « reprise en fait de compte » cadre de la reddition de comptes en recette et
reçus, afin de voir & faire connoître à ceux qui l’ont
donnée par le juriste Ferrière : « Pour garder dépense, signalant que les comptes du temps
installé si ç’a été par sa faute & par sa négligence
l’ordre* du compte, le rendant emploie dans le d’Henri IV de Castille (prédécesseur d’Isabelle la
que les affaires n’ont pas réussi, pour l’en charger
chapitre de recette une somme entière dont il n ’a Catholique, jusqu’en 1474) peuvent être tenus en
ou décharger suivant les faits qu’il aura rapportés &
reçu qu’une partie, mais c’est à la charge de recette et dépense, car il n’y a pas eu d’albaquias.
prouvés par ses allégations » (Le guide des
reprise, c’est-à-dire de mettre dans le chapitre de Au siècle suivant, un article des Ordonnances
comptables, p. 4), et plus loin : « Il faut cependant
reprise les deniers comptés dans le chapitre de préparées à l’issue de la visite (inspection) du
ici remarquer que ce n’est pas toujours une règle
recette qu’il n’a pas reçus ». S’y ajoutent toutes les Conseil des Finances, en 1554, indique qu’il est
générale de déduire les choses comptées et non
recettes qui n’ont pas été effectivement recouvrées interdit aux chefs de la Grand Chambre des
reçues ; car si le défaut de n’avoir rien reçu procède
alors que le contrat du comptable stipulait leur comptes de faire des compositions avec les
de la négligence d’un comptable, il lui sera très
recouvrement. comptables de l’argent du roi qui ont des dettes à
difficile de s’en faire passer et accorder le Vu en
Si la définition théorique est limpide, dans la son égard sans en référer au monarque. Or, le texte
bonne reprise, attendu qu’il ne représente aucune
pratique, la reprise suscite des réticences. Ainsi, précise aussitôt qu’ils ne doivent pas permettre
pièce qui justifie ses diligences, ou bien qu’il est
d’Hénouville prend soin de préciser que, sauf qu’il soit fait de reprise (« se faga albaquia ») dans
chargé en recette d’un effet qu’il ne rapporte pas. »
exception, ce chapitre n’est pas admis dans les le recouvrement de ces dettes. La reprise est perçue
(Le guide des comptables, p. 49-50). Ainsi, les
comptes rendus au roi : « Avant de venir à aucune par l’entourage de Philippe II comme le moyen
receveurs des domaines et bois peuvent employer
explication des préceptes, il est à propos de savoir d’éteindre de façon abusive les dettes des
en reprise « les sommes qu’ils n’ont pu recouvrer
que la troisième partie d’un compte n’est pas comptables. La question qui est posée ici est de
des adjudicataires des bois et de leurs cautions et
toujours admise, étant à remarquer pour l’usage de savoir qui, en dehors du roi, est en droit d’accorder
certificateurs à deux conditions. La première est
cette dernière partie, qui est la reprise, que l’on les reprises aux comptables.
qu’ils justifient « des poursuites et diligences qu’ils
entend parler que de ceux qui gèrent les affaires Dans les comptes des trésoriers et des payeurs qui,
ont faites tant contre les adjudicataires que contre
pour le compte des financiers, des traitants au contraire d’un fermier, ne s’engagent pas à
les cautions et [fidejjusseurs et qu’ils rapportent des
généraux & sous-traitants des affaires percevoir une somme déterminée dans un délai fixé
procès verbaux de carence des biens en la forme
extraordinaires, receveurs de communautés, quelles que soient les circonstances, la reprise est le
prescrite par l’ordonnance de 1669 ». La seconde
caissiers de compagnies ou de sociétés. En un mot, chapitre le plus important. Les cas de reprise sont
condition est qu’ils aient assisté personnellement ou
de tous ceux qui ont à compter avec d’autres en effet inévitables, dans la mesure où une partie
envoyé un commis assister aux adjudications, pour
qu’avec le roi : car les compagnies et autres des paiements reçus par les trésoriers se font à
soit recevoir soit contester les cautions et les
particuliers qui ont traité directement avec Sa échéances ou sous forme de lettres de change. Or,
certificateurs des receveurs généraux. S’ils
Majesté pour quelques recouvrements ou aucun comptable ne voudrait se charger de leur
négligent de le faire, « ils sont garants de
entreprises rendent leurs comptes à la Chambre, montant total et en donner son récépissé s’il n’avait
l’insolvabilité des adjudicataires et de leurs
laquelle n’admet que les deux premières parties, l’assurance de pouvoir se faire décharger en reprise
cautions ».
Recette et Dépense, excepté certains comptes que de la partie de la somme non encaissée, en cas de
Lorsqu’il y a reprise, le solde du compte s’obtient
rendent les comptables à la Chambre pour deniers défaillance de celui qui doit faire le versement, ou
en calculant la différence entre la recette d’une part,
levés extraordinairement pour le roi et dont ils sont tout simplement parce que son exercice de
la dépense et la reprise additionnées d’autre part.
365
 comptable doit prendre fin avant les dernières
échéances du paiement. L’usage veut que dans ces
cas, le trésorier se charge de la totalité de la somme
au moment où il en reçoit le premier versement et
que dans sa reddition de comptes il porte la partie
non encaissée en reprise. Elle est alors inscrite dans
le premier chapitre de la recette du trésorier qui lui
succède, pour obliger ce dernier à s’efforcer de la
percevoir. La pratique fait l’objet de régulations
scrupuleuses. Ainsi, en Espagne, l’Instruction
donnée au Trésorier Général* en 1753, à l’issue
d’un demi-siècle de remodelage de cette nouvelle
institution, précise les cas dans lesquels des
paiements non encaissés par le Trésorier qui rend
son compte seront inscrits au chapitre de la recette
de son successeur : « De la même façon, on doit le
charger en recette du montant des reçus d’à-bons-
comptes* que ses prédécesseurs lui auront passés
pour leur formalisation et des crédits et lettres qui
n’auront pu être encaissés ou dont les termes ne
seront pas échus ». A.D.
Voir Compte de clerc à maître ; Recette, dépense et
reprise
Sources: Irson C. (1678). Hénouville P.-B. (1709).
BA, ms 2451, «Traité sur les comptes des
domaines et des bois », « traité sur la comptabilité
des tailles», p. 179-182 et 209. Ferrière C.-J.
(1779). «De los contadores mayores de cuentas y
sus oficiales », dans Côdigos espaholes... (1850,
liv. 9, Titre 5, loi 3, p. 280). Ordonnances de
Philippe II pour le Conseil des Finances et la Grand
Chambre des comptes, 1554, chap. 10, dans
Côdigos espaholes, liv. 9, tit. V, loi 20, p. 283).
« Instrucciôn de 10 de diciembre de 1753, para el
gobierno de la Tesoreria General », article II.
Bibliographie : Gonzalez Ferrando J.M. (1988).
Rescriptions
Billet* de trésorerie à court tenue émis par les
receveurs de taille et les receveurs généraux de
finances* en France. Ce billet payable à trois, six
ou huit mois d’échéance, circulait ainsi jusqu’à son
tenue, date à laquelle le dernier porteur le rapportait
à l’administration pour obtenir sa valeur en espèces.
Sur les rescriptions des receveurs généraux ou les
billets des Fermiers généraux, qui étaient de même
nature, le roi accordait un intérêt de cinq pour cent
avec un pour cent de commission pour la
négociation. « Souvent, au tenue de leur échéance,
on les renouvelloit encore pour un terme semblable
et il en coûtoit au gouvernement des frais de
commission qui devenoit un objet de plusieurs
millions ».
Adossés sur les recettes les plus centralisées de la
monarchie (impôts directs et indirects), ces effets*
formaient la ressource la plus sûre pour faire le
service de l’Etat et étaient très appréciés du public.
Pour obtenir ces valeurs-refuge, les Français bien
pourvus se bousculaient. « C’étoit une faveur dont
366
ne jouissoit pas qui vouloit. Il falloit se faire
inscrire longtemps d’avance et cette confiance
générale produisoit une circulation telle qu’on
attendoit jamais pour recevoir ses fonds au moment
ou l’on en avoit besoin », témoigne Jean-Baptiste
Coquereau. Les choix de gestion néo-colbertistes de
Philibert Orry, contrôleur général* de 1730 à 1745,
renforcèrent le rôle de ces billets. En effet, les
receveurs de taille et receveurs généraux de
finances* furent astreints à des soumissions* fixes,
ce qui régula du même coup l’émission des
rescriptions. Le ministre Laverdy date de cette
époque leur développement: « Sous M. Orry, la
partie des recettes générales reçut une forme
définitive en ce qui concernait les payements à faire
au trésor royal par les receveurs généraux avec les
deniers que doivent verser dans leurs caisses les
receveurs de tailles, et du sein de ces arrangements
économiques sont nées les rescriptions des
receveurs généraux ». En réalité, les rescriptions
existaient bien avant la réforme de Philibert Orry
(Sully en parle d’abondance dans ses Oeconomies),
mais leur succès grandit avec cette sorte de garantie
que leur offrit le ministre : « La finance de chaque
office en particulier, les avances considérables
faittes au Trésor royal et la fortune de chaque
titulaire affectée par privilège à la garantie de son
maniement étoient des cautionnemens
tranquillisants, et bien au-delà des restans en
caisse ».
De là, le rôle de monnaie fiduciaire que les
rescriptions jouèrent dans le royaume : « Il faut
savoir que les rescriptions et les billets des fermes
surtout tenoient lieu de banques publiques établies
dans d’autres royaumes. Les gens qui avoient de
l’argent chez eux dont ils ne savoient que faire dans
le moment le portoient à ces dépôts et l’y
regardoient comme aussi sûr que dans leurs
coffres ». En 1779, le total des rescriptions déposait
au Trésor royal* formait une somme de 87 500 000
livres. Ces effets entraient aussi dans les fonds des
trésoriers de la monarchie. Ainsi, les fonds* réglés
pour les dépenses ordinaires de la Marine en 1770
(18 millions) provenaient pratiquement tous
d’assignations* en rescriptions. Le trésorier retirait
alors ces fonds des recettes générales*, mais le plus
souvent de Paris, car la plupart des receveurs
remettaient leurs rescriptions à la caisse commune*.
Non seulement les Français acquéraient ces billets,
mais ils les conservaient précieusement lorsque le
discrédit public se généralisait, comme en 1759,
année au cours de laquelle le contrôleur général*
Silhouette procéda à une banqueroute* partielle. Le
paiement des rescriptions fut suspendu. «Ayant été
proposé depuis trois semaines de payer seulement
un cinquième des rescriptions et de les renouveler
pour les 4 cinquièmes restants, plusieurs
particuliers se sont décidés à perdre plutôt ce
payement que de remettre leurs rescriptions pour les
faire renouveler, aimant mieux garder les
endossements mis sur ces rescriptions auxquels ils
ont plus de confiance qu’en toute autre arrangement
dépendant du crédit du Roy ». Au début de l’année
1770, le ministre Terray se défendit avec
véhémence de vouloir suspendre le paiement des
rescriptions. Ces arguments firent le tour du
royaume et avaient pour but de rassurer les
financiers : « M. Noguès, Monsieur, vient de me
dire que le bruit se répandoit que je voulois arrêter
le paiement des rescriptions et les faire convertir en
contrats. Ces discours, contraires à la vérité, tendent
à arrêter la circulation et la négociation des
rescriptions que je maintiendrai toujours et à
laquelle je suis très éloignée de donner atteinte
puisque c’est la seule ressource pour faire le
service». A vrai dire, Terray fut acculé à la
suspension de paiement des rescriptions, des billets
des fermiers généraux et des assignations* sur eux
le 18 février 1770. Néanmoins, il détourna les
sommes destinées au remboursement des capitaux
d’emprunts contractés sur les corps intermédiaires
(25 février 1770) pour rembourser au plus vite ces
effets exigibles. De fait, les 21,5 millions de
rescriptions en circulation en 1770 furent
remboursés en six ans.
Ni la création de la monnaie de papier, les
assignats, ni la suppression des receveurs généraux
des Finances (décret du 25 décembre 1790) ne
mirent fin aux rescriptions. Les receveurs
particuliers furent alors astreints de faire tous leurs
paiements en espèces, assignats ou en effets, mais si
ces effets* étaient de trop courte échéance pour
passer dans les mains des commis aux recettes
générales, ils les adressaient aux directeurs du
recouvrement à Paris qui délivraient pour valeur des
rescriptions particulières, sortes de reconnaissances
provisoires. Au bureau central pour la perception et
le recouvrement des impositions, créé en 1791, un
journal de caisse* pour l’enregistrement des
rescriptions concernant chaque généralité était tenu
par un des commis de la caisse* et visé d’un des
directeurs. La fin des assignats, prononcée le 17
février 1796, vit le retour des rescriptions reçues
pour comptant* dans toutes les caisses* de la
République. On vit d’abord apparaître des billets de
la Trésorerie, nommés rescriptions, assis sur les
produits d’un emprunt forcé et de la vente des bois
nationaux (1er nivôse an IV). Le Directoire fit
délivrer directement ces billets aux fournisseurs*
des années et de la Marine : « les ordonnances
délivrées par les ministres aux fournisseurs des
années, de la Marine et autres entreprises de la
République pour le payement d’un service actuel et
courant depuis le 15 brumaire an V seront admises
en payement de la première partie des biens
nationaux ... Les ministres qui les délivreront y
feront énoncer la date et l’objet du marché ou de
l’entreprise en payement desquels elles seront
délivrées.... Ils les feront convertir en rescriptions
qui seront expédiées au nom du fournisseur ou de la
personne qu’il désignera et admis en payement des
domaines dont ledit fournisseur ou la personne par
lui désignée justifiera qu’il s’est rendu adjudicataire
avant la délivrance de la rescription ». Sous le
Consulat, les rescriptions des receveurs de
département (loi du 22 août 1795) réapparurent à
leur tour. Ces nouveaux fonctionnaires procédèrent
au versement anticipé de leurs soumissions* gagées
sur les recettes fiscales. On retrouve ici le choix
adopté en 1726 : on exige des receveurs des
soumissions par portions égales de douze mois ; on
reconnaît néanmoins que la contribution peut être
levée en quinze à vingt mois, selon les
départements ; on donne donc aux soumissions des
receveurs la valeur d’une avance sur trésorerie
(arrêté du 1er pluviôse an VIII). Leurs obligations
portant intérêt négociées par le Trésor à 1 ou 2 %
attiraient les faiseurs de service du nouveau régime,
qui procéda sur ce point de la même manière que
l’ancien. M.L.L
Sources : AN, F4 1001, Résolution « qui ne sera pas
imprimée » du Conseil des Cinq cents, 30 pluviôse
an V ; F4 1008 (pièces de 1770), F4 1083, dépenses
du Trésor royal pour 1780 ; H1892, pièce 28,
Déclaration du roi qui ordonne que pendant quatre
années les remboursemens à faire des capitaux
d’emprunts seront employés à rembourser les
rescriptions & assignations suspendues, 25 février
1770, 4 p. ; K 885, Laverdy, «Rapport de la
situation des finances...»; K 892, n° 191, f° 3,
Mémoire des Receveurs généraux, vers 1781-1782.
Coquereau J.B. (1776), p. 27. Encyclopédie
méthodique, Finances, t. II, 1784, p. 692, article
«rescriptions». Rapport de Silhouette, 1759, in
Mathon de la Cour C. (1788). Auget de Monthyon,
Particularités et observations sur les ministres des
finances de France les plus célèbres depuis 1660
jusqu'en 1791, Londres, 1812, p. 158-159.
Réserve
Voir Caisse de réserve
Résidu (de caisse)
Voir Restant en caisse
Responsabilité
Voir Comptabilité administrative,
Ordonnancement, Ordonnateur, Receveur
général des finances
Restant en caisse
Ce qui se trouve en caisse quand un commis rend
compte de son maniement ou remet son bordereau
de situation*. En Espagne, au XVIIIe siècle, les
trésoriers généraux donnaient parfois des billets à
valoir sur leur restant en caisse {papeles de resto de
caja) à ceux qui venaient se faire payer à la caisse
de leur trésorerie, quand ils ne pouvaient pas leur
367
 délivrer la totalité de la somme figurant sur leur
assignation*. Tout Trésorier Général dont
l’exercice prenait fin était invité à recueillir ces
billets pour les transmettre à son successeur, chargé
de payer les créanciers. A.D.
Sources: Dictionnaire des finances (1727).
Encyclopédie méthodique. Finances, t. 1 (1784).
AHN, Fondos Contemporâneos-Ministerio de
Hacienda, lib. 6622, fol. 93 et lib. 6623, fol. 21-22 :
lettres de José Rodrigo à Nicolas Ginés Gômez de
Hinojosa et à Fernando Verdes Monténégro
organisant la succession du premier au second à la
tête de la Trésorerie Générale, 31 mars 1724. AHN,
Fondos Contemporâneos-Ministerio de Hacienda,
lib. 6625, fol. 124 et AGS, Secretaria y
Superintendencia de Hacienda, leg. 210-211 : lettre
de José Patino à Nicolas Ginés Gômez de Hinojosa
et à Tomâs de Iriberri organisant la succession du
second au premier à la tête de la Trésorerie
Générale, 11 novembre 1726.
Restes
Les sommes portées à la décharge du comptable
dans ses comptes, mais qui n’avaient pu être
justifiées même a posteriori (après que la partie
avait d’abord été supercedée*) devant la Chambre
des comptes* et par conséquent se transfonnaient
en dettes à l’égard du roi. Leur recouvrement était
confié à un receveur des restes ou à un solliciteur
des restes sur l’ordre d’un contrôleur général des
restes*. A.D.
Sources : Hennequin J. (1595), fol. 222-226. Tomâs
de Aguilar, « Relaciôn del estilo de los contadores
del Consejo de Hacienda, Contaduria Mayor»,
BNE, Ms 18731-5.
Résultat
Le mot fut d’abord entendu, en ternies de finances
et d’administration, au sens de décision issue d’une
délibération, c’est d’ailleurs le sens que lui donne la
première édition du Dictionnaire de L'Académie
française (1694) : « Ce qui résulte, ce qui s'ensuit
d'une délibération, d'une conférence, d'une
assemblée.» Le Dictionnaire des finances (1727)
reprend une définition analogue mais dans une
acception plus restreinte, en évoquant le seul
« résultat » du Conseil du Roi : « délibération des
commissaires du Conseil, ce qui a été résolu,
délibéré et arrêté au Conseil sur une affaire... »
Parmi les résultats du Conseil figuraient les
homologations des traités conclus avec les
receveurs généraux* et par lesquels ces derniers
s’engageaient à verser au Trésor royal, à échéance
de quinze à dix-huit mois, selon les généralités, les
produits de leurs recouvrements*. Le résultat
précisait le montant qui devait être collecté, le
nombre de versements et leurs échéances, ainsi que
la remise qui leur était consentie pour leurs frais de
368
gestion, remise exprimée en deniers pour livre (9
deniers pour livre la plupart du temps, soit 3, 75 %).
« Les dix receveurs généraux administrateurs firent
leur soumission au greffe du Conseil par laquelle ils
s’obligèrent solidairement à l’exécution du
résultat » écrit par exemple Véron de Forbonnais.
Par extension, le mot a été utilisé pour désigner le
montant sur lequel les receveurs généraux
s’engageaient et, plus généralement, le mode
d’organisation de la collecte des impôts directs.
C’est ainsi que l’expression « baux et résultats » fut
utilisée pour désigner l’ensemble du système
contractuel de perception des impôts (baux des
fermes pour les impôts indirects et résultats des
receveurs généraux pour la fiscalité directe), en
opposition à « l’administration en partie double »
mise en place par les frères Paris* après l’édit de
1716 sur les registres journaux*. On la retrouve
dans le titre même d’un mémoire de Desmaretz :
Mémoire où l'on fait la comparaison des avantages
d'une administration en partie double des finances
du Roy avec les avantages des baux et des résultats.
(s.d., 1718-1719).
Plus communément peut-être, le terme est utilisé
dans le domaine comptable et financier au sens de
résultat d’un calcul. Pour Y Encyclopédie
méthodique finances, « le résultat d’un compte,
d’un inventaire, se forme en comparant le montant
de la recette avec le montant de la dépense. Ce
résultat s’appelle balance*. » Claude Irson*
l’emploie d’ailleurs avec le même sens dans sa
formule de compte rendu « à la manière des
financiers ». Enfin dans le monde marchand, on
l’utilise à partir de la fin du XVIIIe siècle pour
désigner le bénéfice ou la perte issue d’une
opération, puis bientôt, ainsi que le fait Edmond
Degrange dans La tenue des livres rendue facile, le
bénéfice ou la perte d’une année d’activité. Ces
derniers usages ont perduré. Y.L.
Sources : AAE, Mémoires et document, France
137, 1705-1719, mémoire 1, f° 3-5 : Mémoire où
l'on fait la comparaison des avantages d'une
administration en partie double des finances du
Roy avec les avantages des baux et des résultats.
(s.d., circa 1718-1719). Dictionnaire des finances
(1727). Encyclopédie méthodique finances.
Degrange Edmond, La tenue des livres rendue
facile ou nouvelle méthode d'enseignement, 5e
édition, Paris, Hocquart, 1803. Véron Duverger de
Forbonnais F. (1758).
Rétention, rétentionnaire
Selon le Dictionnaire des finances (1727), «c’est
lorsqu’un comptable retient les deniers royaux ou
du public, au lieu de les distribuer suivant leur
destination. On dit une rétention de deniers. » Le
rétentionnaire est donc « celui qui fait une rétention
de deniers, qu’il les garde & qu’il les retient au
préjudice du roi ou de celui à qui ils
appartiennent. » La définition de Y Encyclopédie
méthodique diffère légèrement : « La rétention de
deniers arrive lorsqu’un comptable ne veut pas se
défaire des fonds qu’il a entre les mains & refuse de
les distribuer suivant la destination qui leur est
assignée ou de les remettre à son supérieur. » Cette
seconde définition concerne le cas où le comptable
est découvert alors qu’il retient encore l’argent et se
refuse à le rendre. La première est plus générale, et
peut concerner la rétention dont on a découvert a
posteriori qu’elle avait eu lieu.
En effet, dans tous les cas, la rétention suppose que
celui qui en est l’auteur a le projet de restituer
l’argent, sans quoi le délit commis serait un
péculat*. Il s’agit donc d’un emprunt que le
comptable fait à sa caisse, clandestinement — le
plus souvent, il se contente d’omettre* d’enregistrer
sa recette jusqu’au moment où il restitue le fonds
ou de retarder les dépenses ordonnées. L’objectif
est d’utiliser les fonds dans ses affaires personnelles
ou au bénéfice de ceux qui se sont portés caution
pour lui, et donc, de les divertir de l’emploi décidé
par l’autorité de tutelle. De fait, les textes associent
rétention et divertissement*. Le texte de
VEncyclopédie méthodique précise ainsi: «mais
comme il arrive rarement qu’il y ait rétention de
deniers sans divertissement, voyez ce qui a été dit à
ce dernier mot». En 1716, l’édit sur la tenue des
registres journaux tenait le même langage : le but de
la nouvelle disposition est d’« empêcher à l’avenir
la dissipation, le divertissement et la rétention des
deniers qui doivent estre portés dans nos coffres, ou
ditribuez suivant la destination ». On pourrait
multiplier les citations de teneur identique. Aucun
comptable ne retient l’argent pour le laisser dormir
au fond d’un coffre.
En quoi cette pratique est-elle coupable et jusqu’à
quel point ? La question ne se pose pas que pour
l’Ancien régime. En effet, dans le contexte d’un
régime libéral, où l’on s’attendrait à ce que tout
usage privé de l’argent public soit moralement
condamnable, Chauveau et Faustin font la remarque
suivante : pour être coupable du crime de péculat,
disent-ils, il faut non seulement être comptable ou
dépositaire public et avoir effectivement soustrait
des deniers à sa caisse, mais il faut encore l’avoir
fait animé d’une intention coupable. Comment
peut-on « déterminer à quels signes se révèle
l’intention » ? La chose est difficile, car « il ne
suffit pas que le mandataire se soit servi des
sommes qui lui ont été confiées : le détournement
momentané n’est pas celui que la loi a voulu punir,
c’est le détournement frauduleux, celui qui a pour
but de soustraire les deniers, qui seul constitue le
délit prévu par l’article 408 ». Les mêmes, évoquant
les discussions qui ont précédé l’établissement de
l’article commenté, rapportent l’opinion de Berlier,
qui affirmait que la soustraction d’argent était
moins grave quand le dépositaire imprudent avait
l’intention de restituer, moins grave aussi quand de
petites sommes étaient en jeu. Il reste que le Code
Pénal condamne les auteurs de ces petites rétentions
pour abus de confiance, puisqu’ils avaient des
comptes à rendre au public (Chauveau et Faustin, p.
530-539).
La réflexion de ces deux juristes libéraux met le
doigt sur deux éléments importants : dans
l’appréciation de la gravité de la rétention, il
convient de tenir compte de l’intention du
comptable et de l’ampleur des dommages
éventuellement causés au titulaire des fonds maniés
(puisque retenir de petites sommes est moins
grave). A l’époque moderne, l’intention est
fondamentale. Jean-Claude Waquet, auteur d’une
célèbre étude de la corruption à Florence, cite les
opinions de théologiens et de juristes des XVIIe et
XVIIIe siècles. La plupart des théologiens
s’accordent pour dire que le dépositaire d’un bien
remplaçable (comme l’argent) peut l’aliéner s’il se
croit en mesure de le remplacer le moment venu.
Les deux critères sont bien là : il n’y a pas de péché
s’il y a intention de restituer (on ne fait que retenir)
et si cette restitution est faite au moment opportun
(Waquet, p. 150-159). La seconde clause suppose
que la restitution n’a pas lieu trop tard, et par
conséquent, n’entraîne pas de dommages pour le
propriétaire du fonds manié. On aura remarqué que
c’est aussi ce que donne à entendre le Dictionnaire
des finances cité plus haut : celui qui retient les
deniers est coupable de rétention, rétentionnaire,
lorsqu’il retient les deniers « au préjudice du roi ou
de celui à qui ils appartiennent ». En l’absence de
préjudices et d’intention peccamineuse, il
semblerait qu’il n’y ait pas de fraude.
Or, ce que Waquet considère comme de subtils
distingos de casuistes, destinées à apaiser les
consciences de puissants aux pratiques que
l’historien tient pour scrupuleuses, pourrait être
expliqué autrement que par la dénégation de
coupables honteux. Le raisonnement décrit semble
en effet cohérent, dans une culture politique qui ne
considère pas que les deniers du souverain sont de
l’argent « public » et qui autorise que des bénéfices
privés soient réalisés avec les deniers du roi —
pensons aux plus évidents, les bénéfices des
fermiers d’impôts. De fait, les juristes cités par
Waquet offrent une explication à cette tolérance :
dans la mesure où, au contraire des trésoriers de la
Rome antique, qui n’étaient pas responsables de
leur caisse, les comptables actuels assument le
risque sur leurs propres biens et sur ceux de leurs
cautions, la seule exigence que l’on puisse avoir à
leur égard est qu’ils honorent leurs engagements
aux échéances prévues (Waquet, p. 150-159).
Ce discours est aussi celui que tiennent des gens de
finance. Lorsque, à la fin du XVIe siècle, en
Espagne, Luis Valle de la Cerda prétend ériger dans
la monarchie espagnole un réseau de caisses de
crédit dont les employés seraient salariés, ces
« tresoryes » ayant pour hypothèques les recettes
369
 fiscales du roi et les patrimoines des villes, et non
les biens personnels de leurs employés et de leurs
cautions, un financier génois, Juan Centurion, lui
fait la leçon (1593). « Si les receveurs présentent
des cautions, c’est en raison de l’utilité qu’ils tirent
de l’argent, en retardant les paiements. Et c’est avec
ce gain qu’ils secourent leurs cautions, c’est bien
connu, et parfois même leur paient leurs
garanties ». Si au contraire le roi accepte la solution
proposée par Valle de la Cerda, il « aventure son
patrimoine et lui fait courir le risque », car si les
tresoryes faisaient faillite,
« c’est Votre Majesté qui courrait le risque de toute
cette perte, car comme Votre Majesté doit être la
caution [dans le projet commenté], il n’a personne à
qui faire payer, sinon lui-même. Et ainsi, tout le
risque est contre Votre Majesté, et par ce biais
l’administration des recettes royales reçoit un grand
préjudice, car actuellement, elle est assurée, tandis
que par la voie [décrite dans le projet], elle se
trouve privée de toute sécurité, sans que Votre
Majesté ait de recours contre personne, alors qu’il
en a actuellement contre les receveurs et leurs
cautions ».
Pour enfoncer le clou, Centurion précise encore
qu’il faudrait verser des salaires mirobolants à des
administrateurs salariés et irresponsables, une façon
de suggérer que le roi, tout en prenant un risque
important, ne ferait aucune économie. Un demi-
siècle plus tard, Bartolomé Spinola, facteur de
Philippe IV, tient le même langage (Andrés
Ucendo, p. 59). Certes, ces financiers trouvent
avantage à justifier une pratique qui les fait vivre, et
il serait donc tentant d’invalider leur jugement,
parce qu’intéressé. Toutefois, ils n’hésitent pas à le
prononcer devant le roi et ses conseillers, ce qui
implique qu’ils sont convaincus qu’il est recevable.
En somme, les bénéfices privés que la rétention
permet de réaliser avec l’argent du roi sont le
salaire d’un risque lui aussi privé. Comme l’écrit
Philippe Hamon, il y a là une « logique de
compensation » (Hamon, p. 167).
A quelles conditions la rétention cesse-t-elle d’être
tolérable? Si l’on suit les définitions données au
début de cette notice, la réponse ne saurait être
donnée qu’en termes généraux : lorsque, en raison
de la rétention, des préjudices sont causés au
titulaire de la recette, c’est-à-dire lorsque le manque
de fonds occasionné par la rétention l’empêche de
faire des dépenses et que, ne pouvant les faire, il
reçoit un préjudice. Cela signifie que la chose ne
peut s’apprécier qu’au cas par cas. C’est pourquoi
accuser quelqu’un de rétention suffit rarement, si on
ne le charge de maux supplémentaires. Lorsque le
ministre des finances de Philippe V, Fernando
Verdes Monténégro, est accusé d’omission et de
rétention en 1724, ses ennemis ajoutent qu’en sous-
estimant les recettes disponibles, il a conduit à
suspendre les paiements aux années. Ce n’est pas la
rétention qui est seule coupable, mais bien le fait
370
d’avoir fait attendre un créancier important, avec
les conséquences qu’on imagine (Dubet). Le
préjudice est moins grave lorsque ce sont de petits
créanciers qui attendent. Pire, les comptables sont
souvent soupçonnés d’utiliser l’argent retenu pour
faire des prêts à intérêt au roi ! L’argument a cours
au XVIe siècle (Hamon, p. 151). Au XVille siècle,
c’est un lieu commun : « La forme des journaux, si
soigneusement établie par M. Colbert, fut négligée,
l’obscurité s’y mit. Les receveurs firent valoir à
gros intérêt l’argent de leur caisse, et ce fut le
prince même qui les paya, parce que la rentrée des
parties du trésor royal ne se faisoit plus avec
exactitude ». (Encyclopédie méthodique, notice
« Compte », p. 343). A partir de quand la rétention
devient-elle coupable en soi, sans qu’il soit besoin
de l’associer aux prêts usuraires au roi, au
divertissement des deniers et au désastre des caisses
vides ? Revenons à Faustin et Chauveau : « ces
soustractions ne constituent en elles-mêmes qu’un
abus de confiance aggravé seulement par l’abus des
fonctions qui s’y réunit ». Il y a bien abus de
confiance de comptables que les deux juristes
définissent avant tout comme des « fonctionnaires »
qui ne sauraient confondre leur argent et celui, non
point du roi, mais du « public ». Si un nouveau
modèle de finances publiques qui sépare nettement
les sphères publique et privée se définit au XIXe
siècle, au moins comme un projet (dans le cas de la
France et de l’Espagne, pendant le premier tiers du
siècle), il conviendrait d’étudier de plus près
comment change la perception de ce type de fraude,
dans les pratiques quotidiennes et les discours des
acteurs. A.D.
Voir Jeu de caisse
Sources : Dictionnaire des finances (1727), p. 338-
339. Encyclopédie méthodique. Finance, p. 494.
Edit concernant les registres-journaux qui doivent
être tenus par tous les officiers comptables &
autres chargés de la perception, maniement &
distribution des finances du Roy, & des deniers
publics, du mois de juin 1716, préambule;
Chauveau A. et Faustin H. (1852). Centurion J.,
Oposiciones que hizo contra los Erarios don Juan
Centurion, Caballero Genovés, Marqués de Estepa,
1593, fol. 76-77, dans Valle de la Cerda L. (1600).
Bibliographie : Andrés Ucendo J.I., La fiscalidad
en Castilla en el siglo XVII : los servicios de
millones 1601-1700, Universidad del Pais Vascos,
1999. Dubet A. (2008). Hamon P. (1999). Kott S.
(2009). Waquet J.C. (1984). Hamon P. (1999). Pro
Ruiz J., « Des finances royales aux finances
publiques : le contribuable et l’administration dans
le nouvel ordre fiscal (1833-1852) » dans Dubet A.
(2008), p. 291-305. Waquet J.C. (1984).
Revenant-bon
C’est « ce qui revient de net et de clair d’une affaire
après en avoir acquitté les charges et déduit les
frais ». Dans la perception des impôts, ce sont les
recettes nettes. A.D.
Sources : Dictionnaire des finances (1727). Jean
Orry, « Mémoires concernant les revenus du roi
d’Espagne», décembre 1702, AAE, CP Espagne
119, fol. 93 v)
Revenu brut, revenu net
Voir Produit brut, produit net
Réviseur
Traduction littérale du tenue allemand Revisor ou
du tenue italien Revisore. Dans les Etats allemands,
il est assimilable au contrôleur* interne à
l’administration, ou plus exactement à celui qui
établit le résultat* du compte, qui en fait le calcul.
Dans ces Etats en effet, les Chambres des comptes
disposaient de bureaux chargés de la vérification
des comptes des différentes branches de revenus.
Ces bureaux étaient dirigés par un registrateur qui
avaient sous ses ordres des réviseurs, qui avaient
eux-mêmes sous eux des calculateurs. « Le compte
à faire se donne premièrement au calculateur qui le
finit quant au calcul. Le réviseur examine ensuite si
le compte est exact, c'est-à-dire s’il est conforme
aux instructions et aux ordres donnés à celui qui
rend compte, après quoi, il passe entre les mains du
registrateur pour une superrévision ». D’après Jung-
Stilling*, le reviseur 1) a pour tâche de vérifier si le
compte, dans toutes ses parties*, est exact tant en
quantité qu’en qualité; 2) doit avoir connaissance
non seulement de la théorie des sciences camérales,
mais aussi de leurs pratiques; 3) doit calculer le
total du compte et réviser les postes incorrects; 4)
doit donner le résultat en termes mathématiques
particulièrement éclairants courts et irréfutables.
Dans les Etats latins, le réviseur a une fonction plus
juridique. Le Sénat vénitien institua par exemple en
janvier 1575 des réviseurs aux écritures, magistrats
chargés de vérifier les registres des comptables, de
contrôler si l’enregistrement des opérations a été
conforme aux instructions. En Toscane, les Sindaci
et Soprassindaci qui procédaient à la révision
annuelle des comptes des caissiers du Grand-Duché
étaient également investis d’un pouvoir de
juridiction et avaient connaissance des litiges liés à
la révision. M.-L. L.
Sources : AN; K 879, pièce 74. Jung-Stilling J.
(1786), partie 3, chapitre 3, § 328.
Révision
Au sens strict, il s’agit de la procédure par laquelle
on réforme les articles d’un compte pour procéder
à son calcul et vérifier son exactitude. Le
Dictionnaire des finances distingue deux
acceptions : la révision qui intervient pendant le
premier examen à la Chambre des comptes lorsqu’il
y a débat*, procédure au tenue de laquelle on clôt le
compte; et la révision qui est un second examen
ordonné par le roi lorsqu’il y a des erreurs*, des
omissions* ou doubles emplois*. La deuxième
acception est synonyme de correction*. La première
révision revêt un caractère plus technique. Au
demeurant, la révision d’un compte n’était pas
propre à l’institution judiciaire et pouvait intervenir
au sein d’une administration, dans un bureau de
comptabilité ministériel procédant au calcul des
comptes subalternes. Dans les bureaux
d’enregistrement des Chambres des comptes des
Etats allemands, le calculateur* procédait au calcul
du compte, le réviseur* à l’examen de sa
conformité et le registrateur à la « superrévision ».
M.-L. L.
Voir Correction
Sources : Dictionnaire des finances (1727). Jung-
Stilling J. (1786), partie 3, chapitre 3, § 327.
Révision des comptes (collège de)
Le Collège de révision des comptes (Révision-
kollegija) émergea de la réforme administrative de
Pierre le Grand (1682-1725) qui permit de
remplacer les bureaux centraux (prikazy)
développés sous la monarchie moscovite par des
collèges (kollegii) de type suédois. Subordonné au
Sénat, ce collège hérita de la Chancellerie privée
(Bliznjaja kanceljarija) la fonction du contrôle des
finances a posteriori. Sa composition fut précisée
dans les textes des oukases du 11 et 15 décembre
1717. Le conseil des membres du collège
comprenait un président, un vice-président, des
conseillers et des assesseurs, bénéficiant chacun
d’une voix délibérative dans la prise de décision sur
les affaires qui y étaient portées et la procédure de
jugement des comptes. La nomination du président
eut lieu en décembre 1719. Le prince Jacob F.
Dolgorukov fut désigné. Une chancellerie fut
composée en réunissant un secrétaire et de plusieurs
commis aux écritures. En 1720, un procureur fiscal
(fiskal), remplacé en 1722 par un procureur, veillait
au respect des règlements et au bon déroulement
des activités du collège.
Le Collège de révision des comptes était chargé
d’examiner et de clore les comptes annuels tant en
argent qu’en nature (denrées, métaux précieux,
fourrures, etc.) de l’ensemble des institutions.
L’administration centrale et les gouverneurs étaient
tenu de procéder à cet effet à une vérification
préalable des comptes et des pièces justificatives de
leurs subordonnés à la fin de l’exercice. A l’issu de
ce contrôle, réalisé en interne, ils dressaient des
bordereaux des comptes (scetnaja vypiska)* qui
étaient à adresser dans le délai de trois mois au
Collège de révision des comptes. La tâche du
collège était donc d’apprécier, de cette façon
indirecte, la régularité de la gestion des recettes et
des dépenses du tsar et de sanctionner les
irrégularités commises. En cas de doutes sur la
371
 sincérité des bordereaux présentés, il pouvait
demander aux administrateurs concernés la
délivrance de leurs livres de comptes originaux.
Malgré l’établissement de ce Collège, le Sénat
continuait à exercer la fonction de contrôle.
D’ailleurs, à cette époque, les institutions
présentaient leurs comptes à la fois au Sénat et au
Collège de révision des comptes. L’oukase du 12
janvier 1722 mit un tenne à cette situation, en
intégrant le collège à la structure du Sénat. Le
Bureau de révision des comptes (Revision-kontora)
dirigé par le procureur général adjoint (ober-
prokuror) du Sénat Ivan Bibikov procéda dès lors
au contrôle des comptes selon les modalités décrites
par l’instruction du 4 décembre de la même année.
En réalité, il avait du mal à trouver son rythme de
travail et à imposer son autorité à l’administration.
Ce n’est pas sans raison que, dans son mémoire
présenté au Conseil suprême secret (Verhovnyj
Tajnyj Sovet), le procureur général P. Jaguzinskij
déclara que « le contrôle des comptes n’existaient
que sur papier, il n’en était rien dans les faits ».
Pour y remédier, Catherine 1ère, la veuve de Pierre
Ier qui lui succéda au trône en 1725, ordonna le 7
juillet 1725 le rétablissement du Collège de révision
des comptes. De plus, une commission temporaire
fut spécialement créée pour réviser les comptes du
Collège de la Guerre et de celui de l’Amirauté.
Par l’oukase du mois de juin 1728, le collège fut
déménagé à Moscou, mais cela ne fit guère avancer
le travail d’apurement des comptes. Au contraire,
les dossiers ne cessaient de s’accumuler. Dans ces
conditions, la tsarine Anna Ivanovna (1730-1740)
décida d’instituer neuf commissions de contrôle,
qui furent réunies en 1733 en une unique
Commission générale des comptes (Generalnaja
scetnaja komissija), chargée d’effectuer la
vérification des comptabilités des années
antérieures à 1732. Le Collège organisait
uniquement la clôture des comptes à partir de 1732.
Il pouvait sanctionner les retardataires dans la
production des bordereaux des comptes d’une forte
amende, de la privation des charges et de l’envoi
aux travaux forcés.
Alors que le Collège des recettes* et le Collège des
dépenses* furent dotés en 1719 des règlements
spécifiant leur statut, l’organisation interne et les
attributions de leurs employés, le Collège de
révision des comptes ne l’obtint qu’en mai 1733.
Ce règlement fut compilé à la base de l’instruction
de 1722 et se conformait aux articles du règlement
général des collèges (General’nyj reglament) du 28
février 1720. L’oukase du 8 janvier 1736 prescrivit
à tous les services gouvernementaux d’adopter à
partir de l’année 1736 de nouvelles formes de la
tenue des livres de recettes et de dépenses et de la
composition des bordereaux des comptes.
Par l’arrêt du 4 juin 1737, le Collège de révision
des comptes fut transféré à Saint-Pétersbourg. À
partir de ce moment, il devait arrêter les comptes
372
des collèges et des chancelleries situés à la capitale
et dans les gouvernements avoisinants (de Saint-
Pétersbourg, de Novgorod, des territoires de la
Baltique), tandis que le Bureau des comptes ouvert
à Moscou et ayant à sa tête un vice-président du
Collège s’occupait de tous les autres comptabilités.
Le recouvrement des débets des comptes fut confié
au Bureau des Restitutions (Doimocnaja
kanceljarija) jusqu’en 1741.
Dans les années 1730, le Collège de l’Amirauté fut
autorisé à statuer définitivement sur les comptes
dans son ressort et à présenter les bordereaux des
comptes directement au Sénat. Il en était de même
pour les services de la Cour et les régiments de la
Garde impériale en 1735-1737, qui disposaient de
leurs propres bureaux de comptes. De 1732 à 1743,
le Collège des recettes* fut préposé à la vérification
des comptes des douanes. Le fait que nombre
d’administrations ne relevaient pas de la
compétence du Collège de révision amena à rompre
l’unité de l’action de contrôle.
À son avènement, Elizabeth Petrovna (1741-1761)
supprima les bureaux de contrôle particuliers et
rendit au Collège de révision l’importance d’un
organe suprême de contrôle. L’ensemble de
l’administration centrale et territoriale, ainsi que
l’Université de Moscou et la Chambre des orfèvres,
étaient tenus de lui rendre compte annuellement.
C’est ainsi que le Collège, qui manquait de
personnel, se trouva chargé d’une quantité
importante de comptes à vérifier. En 1756, ses
employés se virent supprimer leurs traitements
réguliers et étaient désonnais payés sur les sommes
recouvrées au Trésor au titre des débets des
comptes et des amendes infligées aux comptables.
Dès les premières années de son règne, Catherine II
(1762-1796) renforça le personnel réorganisé en six
départements, dont quatre se trouvaient à Saint-
Pétersbourg et deux autres à Moscou. Le conseil
collégial, fonné d’un président, d’un vice-président,
de 6 conseillers et de 3 assesseurs, siégeait à
Moscou et commandait une chancellerie avec 10
secrétaires, 5 teneurs de registre, 5 commis à
l’enregistrement des documents entrant et sortant
du collège, un archiviste, 53 clercs, 32 copistes, 30
soldats et 10 gardes aux portes. Puis, la réforme de
l’administration locale de 1775 apporta un
changement majeur. L’exercice du contrôle des
finances fut décentralisé entre les mains de
l’Expédition de révision des comptes (Ekspedicija
svidetel’stva scetov), au niveau central, et des
chambres de Trésor (kazennaja palata)* ayant la
fonction de gérer la perception des revenus et les
dépenses dans les gouvernements. Chacune d’entre
elles disposait d’un bureau des comptes qui vérifiait
la comptabilité des services locaux à l’appui des
pièces justificatives.
En 1773, le procureur général du Sénat, le prince A.
Vjazemskij, vint à la direction de l’Expédition des
recettes. En octobre 1780, celle-ci fut divisée en
quatre expéditions, dont la troisième portait le titre vérification des comptes des années 1737-1745 de
la ville de Kostroma, 1757).
de l’Expédition de révision des comptes et se
Bibliographie : Anisimov E. V. (1997). Bleh I.I.
réservait la tâche d’apurer les comptes de
(1895). Ceculin N.D. (1906). Istorija Senata za
l’administration centrale. En revanche, en vertu de
dvesti let (1711-1911), Saint-Pétersbourg, 1911;
l’oukase du 5 août 1780, les comptes du Collège de
Konjaev A.I. (1957). Milukov P.N. (1905).
la Guerre étaient examinés au sein de son propre
Platonova N. (2003 et 2009). Sakovic V.A. (1898).
service de contrôle. L’apparition de l’Expédition de
révision des comptes provoqua la suppression du Troickij S.M. (1966).
Collège par l’oukase du 23 février 1788. On
maintint seulement l’un de ses départements à Revue des troupes
Moscou pour tenniner les dossiers en cours. Ce
Voir Extrait de revue
département fut fenné le 14 septembre 1809. N.P.
Rizzi et Costantini
Sources : Polnoe sobranie zakonov Rossijskoj
Difficile de séparer ces deux noms et ces deux
imperii, 1 éd., Saint-Pétersbourg, 1830, t. 5, n°
familles qui, au cours du XVIIIe siècle, envoyèrent
3128, 3129, 3133, 3255 ; t. 6, n° 3877, 4127 ; t. 7,
simultanément plusieurs de leurs membres au
n° 4580, 4659, 4753, 4898, 4990, 5017 ; t. 8, n°
concours pour entrer dans le collège des
5281, 5375, 5651 ; t. 9, n° 6391 (Règlement du
comptables. Les Rizzi furent comptables pendant
Collège de Révision des comptes de 1733), 6392; t. cinq générations, de 1696 à 1789. La transmission
10, n° 7310, t. 11, n° 8492, 8729 ; t. 14, n° 10636 ;
familiale de la profession conférait une réputation,
t. 16, n° 11909, 11989, 11991 ; t. 20, n° 14505,
une position de prestige parmi les « citoyens
14732, 14957 (Oukase du 31 décembre 1780),
originaires » (le second ordre juste après la
15041; t. 21, n° 15120,15318; t. 22, n° 16629
noblesse) et un moyen de conserver des privilèges à
(Oukase du 23 février 1788); t. 30, n° 23838;
l’intérieur d’offices et de magistratures. Les
AAAR, fonds 248 (Sénat), inventaire 2 (livre 42,
(experts-)comptables n’hésitaient pas à avancer
dossier 15 : Arrêt de 1718 sur la nomination des
d’audacieux projets de réforme de toute
employés du Collège de Révision des comptes);
l’administration de la République et surtout de la
inv. 3 (livre 95 : Liste des employés du Bureau de
finance. De ces projets sont nés les bilans généraux.
Révision des comptes en 1722); inv. 5 (livre 229:
Le premier d’entre eux fut compilé en 1710 par le
Arrêt du Sénat en date de 1732 ordonnant la vente comptable Giovanni Maria Vianello qui, avec ses
aux enchères des biens du commis A. Poliektov deux confrères, Rizzi et Costantini, fut consulté en
confisqués pour les débets des comptes); inv. 11
1721 sur le mode de rassembler tous les comptes-
(Arrêts du Sénat sur les rapports du Collège des
rendus épars pour en tirer des enseignements utiles
Recettes, du Collège des Dépenses et du Collège de
à l’administration. Gerolamo Costantini di Antonio
Révision des comptes entre 1718 et 1765), inv. 15
(entendez fils d’Antonio) et Paolo Antonio Rizzi di
(livre 839, f. 260-265: Rapport du Collège de
Antonio ont conçu la méthode et réalisé le premier
Révision des comptes au Sénat sur le retard dans la
bilan financier de la République de Venise qui
présentation des comptes de l’année 1732, daté du
tentait de mettre un peu d’ordre dans le système
12 mars 1734); inv. 39-41, 118; Fonds 278
chaotique des caisses publiques et de rendre plus
(Collège de Révision des comptes), inv. 1, parties 2
fonctionnelle la comptabilité publique (Zannini).
(5847 : Bordereau des comptes de l’année 1742 de Paolo Rizzi fut invité en 1726 par une « conférence
la province de Tula; 5872 : Registre des bordereaux de magistrats » issus de différents organes de l’État
des comptes rendus en 1746; 5897: Etat des pour étudier « transversalement » des questions
comptes arrêtés au Collège de Révision des
économiques, à faire des propositions pour limiter
comptes de 1730 à 1747 ; 5952 : Bordereau des l’accumulation des caisses* (213 au total dans la
recettes de la capitation perçues et dépensées par la
seule cité-capitale) qui géraient l’argent public. Il
garnison de Pavlovsk, dressé par le capitaine F. préconisa la séparation entre offices d’exaction (de
Popov en 1757; 5847 : Bordereau des comptes des
la recette) et offices de la dépense, une réduction du
douanes de Tula de l’année 1741); partie 3 (6087 :
nombre des caisses et la création, sous l’autorité du
Bordereau des comptes de la trésorerie de Kiev de
savio cassier (le sage préposé aux finances au sein
1728 ; collection de livres et bordereaux des
du collège, l’exécutif de la République), d’un office
comptes des régiments entre 1750-1780; 6392: collecteur unique qui aurait centralisé les soldes
Registre des procès-verbaux et arrêts du Collège de positifs de toutes les caisses. Une telle
Révision des comptes de 1740-1741); partie 4 centralisation était contraire à l’esprit même du
(6669 : Dossier sur la vérification des comptes de
gouvernement aristocratique fondé sur une division
l’année 1736 de la province de Pereslavl’-
extrême des responsabilités et sur la collégialité,
Rijazanskij, 1741; 6642 : Dossier sur la vérification
lesquelles entraînaient la superposition des
des livres de comptes des années 1738-1739 des
compétences. Le projet de Rizzi s’ensabla, les
percepteurs des droits de douanes et des boissons de autorités toujours prudentes préférèrent s’engager
la province de Suzdal, 1740; 6575 : Dossier sur la dans une révision progressive. En 1735, soupçonné
373
 d’avoir commis des irrégularités (escroquerie et
péculat*) dans la gestion du lotto, il s’enfuit de
Venise.
En ces mêmes années prenait corps une autre
initiative, la compilation des « bilans généraux
réalisés » (bilanci generali di fatto), comptes-
rendus* des recettes et des dépenses de l’Etat. Son
auteur, Gerolamo Costantini, rédigea le premier
bilan récapitulatif en 1736. L’opération fut
poursuivie, facilitée par la diffusion de modules
imprimés qui permettaient de recueillir une
information choisie et classée auprès de toutes les
caisses. Consulté en 1738 sur la situation financière
du Banco Giro, G.C. recommandait « d’obliger
toute la gestion de l’économie publique (= la
finance) à passer par la banque », ce qui aurait fait
du Banco Giro la trésorerie centrale de l’État, projet
qui fut également enterré.
Zannini crédite le bilan de Costantini, par rapport à
ses prédécesseurs, « d’un plus solide usage de la
partie double et d’un esprit de système très siècle
des Lumières dans la rédaction et la précision avec
laquelle les lignes (en italien : voci) étaient
rassemblées en chapitres ordonnés de la recette et
de la dépense. Le tableau, encore approximatif,
donnait une image véridique de la réalité
financière ».
Si les modules imprimés distribués à toutes les
caisses ont impressionné les historiens de la
comptabilité au XIXe siècle, on relève aujourd’hui
que les comptes-rendus ne distinguaient pas entre
arriérés perçus, restes*, recettes extraordinaires,
anticipations*, etc, et que d’autre part ils étaient
rédigés un à trois ans après la clôture* de
l’exercice. Leur utilité, selon Ventura, se résout en
la fourniture d’une base statistique qui permit
d’étudier des mesures telles que la réduction de la
dette publique*. J.-C. H.
Voir Venise
Bibliographie : Ventura A. (1972). Zannini A.(1994
et 1998).
Rubrique
Terme employé dans la comptabilité camérale pour
désigner les chapitres* qui structuraient les comptes
formés à partir du journal de caisse. Dans la
comptabilité camérale*, les livres de rubriques sont
des livres auxiliaires qui servent de collecteurs
intermédiaires entre le journal et le grand livre* afin
d’éviter le trop grand volume de ce dernier. Le
« système des rubriques », indique C.A. Malchus,
permet de faire apparaître les sources de revenus
d’une même recette particulière dans l’état* spécial
(Special-etat) de cette recette et de calculer la
recette générale par totalisation des sommes des
rubriques; ainsi, l’état principal (Haupt-etat) d’une
recette générale, comme celle des domaines*,
reprend les rubriques de l’état spécial, et le
374
General-etat les rubriques principales de l’Haupt-
etat. M.-L. L.
Voir Chapitre, Comptabilité camérale
Sources : Malchus C.A. (1830), vol. 2, p. 106-107.
Russie
Voir Arnold, Recettes (collège de)
Règlement sur la comptabilité publique,
Révision des comptes (collège de),
Tatarinov
Savoie
Province « au-delà des monts » rendue par le traité
de Cateau-Cambrésis (1559) au duc Emmanuel-
Philibert qui fixa sa capitale à Turin, dans la
principauté du Piémont, la Savoie est à l’époque
moderne un territoire-tampon occupé à plusieurs
reprises par la France, administré par la Maison qui
porte son nom et dont les princes portèrent le titre
de « roi de Sardaigne » à partir de 1718. La Savoie
forma un département français entre 1792 et 1815.
On trouve dans les archives de Turin les
«sommaires» des revenus de Savoie (1568),
également désignés sous le terme « états de
revenus» de Savoie (1572), «état de la trésorerie
de Savoye» (1573) ou « bilan de la Thrésorerie et
gabelle de Savoye» (1618), «bilan général des
finances de Savoye » (1633), plus tard « compte de
la trésorerie générale de Savoie» (1785). Ces
documents sont des états* prévisionnels de recettes
et dépenses formés pour un an. Des extraits par
quartier* en sont tirés par la chambre des comptes
et remis au trésorier général. Leurs chapitres* sont
d’abord succincts : le bilan de 1618 n’en comprend
que trois, « recepte », « paiements » et « gabelle du
sel ». Il s’agit d’un état prévisionnel des recettes qui
devaient se faire dans les différents pays du duché
(Maurienne, Tarentaise, Chablais, Genevois et
Faucigny), de celles attendues du « marchand
sarde » et du « marchand Battaglin » et de celles
tirées du profit des monnaies. Les paiements sont
subdivisés en deux parties : paiements ordinaires et
paiements extraordinaires; quant à la « gabelle du
sel », ce chapitre est lui-même divisé en recettes et
paiements (la gabelle du sel était alors un impôt
affermé sous forme de capitation annuelle). Cet état
assigne donc des paiements sur des recettes à venir.
Il est signé Emmanuel et contresigné par divers
agents, dont le contrôleur général de la chambre des
comptes et finances de Chambéry.
Il est intéressant d’observer que dès cette époque,
les états renvoyaient à des comptes également
dressés par quartier comme cet article de recette qui
indique : « 685 D. [ducatons] pour le profit des
monnoyes de 2000 escus payés en Piedmont le 5
juin 1617 comme au compte n° 4 article 15 des
quartiers de mars et juin 1618». On déduit de là
que chaque trimestre, on procédait à la vérification
et à la clôture du compte de la trésorerie générale de
Savoie. Au ternie de l’année, la chambre des
comptes pouvait ainsi établir le « relevé des
sommes restantes à payer de la distribution faite par
la chambre ». On voit aussi que, si une dépense
extraordinaire était ordonnée, le mandat* prévoyait
son enregistrement dans l’état de distribution* du
quartier suivant et prenait la précaution de rappeler
que les fonds à faire ne devaient pas excéder ceux
déjà « bilancés ».
Le « bilan général des finances de Savoye pour
l’année 1633 » ne se présente pas de la même
façon. Signé Amedeo, il commence par les
« assignations*» : 17 chapitres sont ainsi énumérés
(« assignations ordinaires », « gages du Sénat »,
« gages de la chambre et finances », « gages des
trésoriers », des officiers de guerre, des juges
mages, des procureurs fiscaux,
« remboursements », « mandats de Son Altesse »,
« autres mandats sur l’extraordinaire »,
« pensions », « à la cavalerie », « assignations sur la
gabelle »...), puis viennent les « provisions », c'est-
à-dire les recettes, et finalement le « répartement
que Ton observera aux paiements ». Cette
distribution* reprend en abrégé les assignations et
les provisions précédemment décrites, mais en
distinguant trois sommes, c'est-à-dire que les
recettes sont spécialement affectées à certains
paiements. Dans l’ensemble cependant, les
procédures mises en place au XVIe siècle restent
inchangées : distribution par quartier, vérification
des ordres, clôture des comptes et relevé des restes*
sont supervisés par la chambre des comptes*.
L’occupation française de 1690-1713 n’eut guère
d’incidence sur la structure générale du compte de
la trésorerie générale, honnis l’apparition, en
recette, de la capitation établie sur les Etats de
Savoie par ordre de Louis XIV (8 décembre 1701).
Les réformes entreprises au lendemain de la guerre
de Succession d’Espagne par Victor-Amédée II, roi
de Sicile de 1713 à 1720, puis roi de Sardaigne à
partir de cette date, sans bouleverser non plus le
« système des bilans », modifièrent les voies
ordinaires du contrôle* comptable. D’une part, la
chambre des comptes de Chambéry fut supprimée
et l’audition des comptes savoyards confiée à la
chambre piémontaise; d’autre part, le contrôle
administratif1' des comptes fut confié aux bureaux
turinois du général des finances, qui avait la
correspondance avec les intendants*. On mesure
aisément l’esprit nouveau qui souffla dans
l’administration de ce petit royaume. En 1717 par
exemple, le général des finances rappela à
l’intendant Morand que le roi avait défendu par son
dernier règlement aux trésoriers « de faire aucune
avance des gages à ceux qui sont employez à son
service à peine du quadruple* et aux
administrateurs de ses finances d’expédier aucun
mandat* à ce sujet ». Par la voie des intendants, on
pressait l’exécution des états par quartier et la
liquidation des restes, on exigeait le détail de toutes
les recettes « bien séparées », on rationalisait
l’enregistrement des mandats.
Au XVIIIe siècle, l’état des dépenses à la charge de
la Savoie était donc tiré du « bilan général de
Tannée courante » dressé à Turin par le général des
finances. Ce ministre priait l’intendant* d’en
assurer l’exécution « tems par tems ». Les trésoriers
du duché (trésoriers provinciaux et trésorier
général) tenaient leur journal* et transmettaient
chaque mois aux intendants dont ils dépendaient le
mensuel* des paiements faits pendant le mois sur
les recettes de la taille, un état des recettes et
dépenses qui comprenait, outre les comptes de
taille, ceux des domaines et parties casuelles, une
feuille de change et l’inventaire de caisse. La
Trésorerie générale de Savoie située à Chambéry
produisait de même un état des recettes et dépenses
et un inventaire de caisse chaque mois. Le tout,
mensuels et états, était visé par l’intendance
générale avant d’être envoyé à Turin où les bureaux
du général des finances vérifiaient l’exactitude des
comptes. Au terme de chaque année, le trésorier
général présentait son compte par devant la
chambre des comptes de Turin. Ces comptes de
gestion étaient tenus en recette, dépense et reprise*.
Dans celui dressé pour 1785, le trésorier se charge
et décharge d’abord dans un compte additionnel des
anciens restats (il s’agit d’une année de transition
entre deux trésoriers généraux) avant de présenter le
compte de sa propre gestion*. La recette se divise
en 8 chapitres : 1) le « fonds resté de la recette de
1784 »; 2) « le restât de taille royale de 1784 »; 3)
« la taille royale de 1785 »; 4) « le restât de la taille
ecclésiastique de 1784 »; 5) « la taille ecclésiastique
de 1785 »; 6) «Tabellion et domaniaux»; 7)
«parties casuelles pour 1785 » et 8) «gabelles et
rétro » (à cette époque, il s’agit d’une régie*
directe). Les huit chapitres de dépenses portent le
même intitulé. Les maîtres des comptes vérifiaient
si les débets* et restes étaient conformes aux parties
portées par l’arrêt caméral du compte précédent et
remis au bureau du contrôleur général des finances.
M.L.L.
Voir Intendant de province, Mensuel
Sources : AST, Caméra dei conti, Savoia,
inventario 20 (paquets 1 à 7 : XVIIe siècle);
inventario 16, mazzo 370 (compte pour 1703),
mazzo 446 (compte pour Tannée 1785). AST,
Ufficio generale delle Finanze, seconda
Archiviazione, correspondenza registri copia lettere
dell’Azienda generale, capo 54, registre 32, lettre
du 15 septembre 1717.
Schwarzer, Johannes
Conseiller autrichien versé dans la science
comptable, superviseur de la réforme menée dans
les Pays-Bas autrichiens de 1783 à 1786. Il fut sans
doute le fils du célèbre maître des comptes*, F.
375

Johannes Michael Schwarzer, auteur du manuel
Arithmetica mercatorum oder vollstandiges
Kaufmànnisches Rechenbuch publié à Vienne et
Leipzig en 1762 et réédité en 1771. La préface de
ce manuel indique : « L’auteur de cet important
travail était le grand et célèbre maître des comptes
F.J. Michael Schwarzer, qui, d’après ses amis
comme d’autres connaissances qui ont travaillé à
cette partie de la science, a été poussé à rendre
public son ouvrage, finalement livré en Prusse en
1762. Il avait étudié les calculs algébriques pendant
de nombreuses années et a employé son temps à
rapporter ces nouveaux principes et sources de
vérités mathématiques, ce qui fut suffisamment
connu pour en projeter la publication ». Quant à
Johannes Schwarzer, il travailla d’abord à Vienne
comme secrétaire aulique au département des
mines, puis au bureau de comptabilité* de la
banque de Vienne et, « avec le même succès », au
bureau du grand Livre au centre. Avec Dominique
Locher*, il fut envoyé en mission à Bruxelles pour
réformer la comptabilité publique des Pays-Bas*.
Leurs lettres de commissions, rédigées par Kaunitz,
datent du 8 septembre 1783. Laconiques (6
articles), elles insistent surtout sur la nécessité
d’user de « beaucoup de politesse et de franchise »
à l’égard de tous ceux avec lesquels ils devaient
opérer. L’action des deux fonctionnaires viennois
fut très étendue. Ils avaient en charge, outre la
question des comptes locaux, celle de la monnaie*,
de la liquidation des comptes entre la caisse*
générale des dettes de Vienne et la Recette
générale* de Bruxelles, des emprunts et plus
généralement toute affaire financière interférant
avec la réfonne comptable. Il est clair que la
priorité leur était accordée en toute chose et que
leur statut de commissaires impériaux les amenait à
contrecarrer sans vergogne, en cas de besoin, les
conseillers collatéraux et ceux de la Chambre des
comptes. Pendant leur séjour bruxellois (septembre
1783-juillet 1786), ils travaillèrent non pas tant en
collaboration avec la Jointe* des administrations,
qu’en supervisant toute la structure décisionnelle
bruxelloise en matière de finances. Les deux
Viennois se chargèrent eux-mêmes de former la
synthèse des revenus nets et bruts des provinces. De
retour de mission en 1786, Schwarzer fut pressenti
pour diriger le bureau de comptabilité* que Joseph
II voulut mettre en place à Vienne pour le contrôle
des comptes belges à partir de l’examen des
extraits* de registres fournis par Bruxelles. M.-L.
L.
Voir Bureau de comptes, Locher, Pays-Bas
Sources : HHSA, Nachlass Zinzendorf, 185, f°s 248,
409, 784. AGR, Chambre des comptes, carton
427/1 et 427/2 : « Itinéraire de Messieurs les
commissaires de Sa Majesté de Locher et
Schwarzer depuis le 27 septembre 1783 au 21
juillet 1786 ». F. Johannes Michael Schwarzer,
376
T des sages aux ordres, compétents en matière de
Arithmetica mercatorum oder vollstandiges
Kaufmànnisches Rechenbuch, in welche malle
rechnungsarten so bei der Handlung volkommen,
Wien und Leipzig, 1771 (ce livre est consultable à
la bibliothèque nationale de Vienne).
Bibliographie : Legay M.L., « La réfonne
comptable de Joseph II » (2008).
Scontro
Comptable chargé de tenir des écritures
indépendantes qu’on peut confronter (scontrare, et
en Toscane, riscontrare) à celles du caissier
responsable dans un office. Le scontro tient donc
une place essentielle dans le processus de
vérification des comptes. Le mot désigne à la fois le
« livre » et la personne chargée de le tenir.
Scontrare se dit aussi de la compensation* opérée
en faveur du bénéficiaire qui présente la lettre de
change en paiement au « tiré ».J.-C.H.
Voir Compensation, Rencontre
Secret
Voir Caisse de réserve
Sel (office du)
1) La création des provéditeurs au sel
Dans tous les secteurs de l’administration
vénitienne, il existait des organes de contrôle
administratif et financier dotés de pouvoir
d’enquête, d’exaction et de juridiction criminelle à
l’égard des coupables de détournement d’argent
public. Ainsi depuis 1376, les Ufficiali aile rason
vecchie examinaient les comptes des officiers
(recteurs, podestats, capitaines, châtelains) vénitiens
qui avaient administré les territoires du Stato da
mar e da terra, des ambassadeurs, surtout le compte
des dépenses de foris par conséquent. Ces
« officiers aux vieux comptes » avaient bien
d’autres compétences, ainsi en 1409, le grand
Conseil après avoir observé que le Collège les avait
mandatés le 8 mars pour qu’ils envoyassent en
Albanie du sel de Piran et en tinssent le compte,
objectait qu’il revenait aux « officiali de le rason
nuove » de recevoir l’argent du sel envoyé «dans
nos terres » mais que ces comptes n’étaient pas
vérifiés, alors qu’il était indispensable que fussent
vus les comptes de tous ceux qui maniaient l’argent
de la commune, les comptes des officiali de le
rason nuove seraient à l’avenir examinés par leurs
collègues des rason vecchie. Venise appliquait le
principe constitutionnel de la collégialité des
officiers et de la dualité des offices, l’un contrôlant
l’autre. En confiant aux « officiers des nouveaux
comptes » l’approvisionnement en sel des cités
sujettes, le pouvoir détruisait sa logique
administrative car à ces officiers revenait mission
I (vente du sel à San Marco et à Rialto, par
d’aller ensuite vérifier sur place les comptes du sel.
Le 6 juin 1428, le grand Conseil procéda à la
création de Y Office du sel et le 14 juin de la même
année, après avoir entendu le rapport des Sages -
dont la réunion formait le Collège - le Sénat adopta
les dispositions votées en grand Conseil qui
portaient organisation générale de l’office du sel.
Les considérants de la loi méritent d’être rappelés :
« Comme par le passé et encore aujourd’hui les
comptes du sel de la Commune sont tenus par deux
offices, à savoir l’office des rason nuove et l’office
du sel de la manière suivante : l’office des rason
nuove tient le compte du sel de Chioggia et du sel
de Piran envoyés aux terres sujettes jusqu’à Vérone
incluse, l’office du sel de mer tient les comptes de
tout le sel de mer et du sel de Piran vendu en divers
lieux. Or ceci n’est pas bien. Pour trois raisons : 1.
L’office des rason nuove n’a pas de supérieur qui
vérifie ses comptes : 2. Il est même incapable de
tenir le compte du sel envoyé dans l’Etat de
Terreferme puisqu’il n’en reçoit pas tout l’argent de
la vente, il ne connait que la partie de l’argent qui
lui revient ; 3. Les recteurs font avec les massari
(alors chargés de la vente du sel en gestion directe)
les comptes du reliquat qui reste sur place et créent
des difficultés pour les communiquer aux
officiers ».
Les « officiers aux nouveaux comptes » qui
auraient dû contrôler les comptes du sel ne
connaissaient que la partie de l’argent provenant de
la vente du sel de Chioggia à l’est du lac de Garde,
qui leur faisait retour, l’argent dépensé sur place au
nom du principe de la décentralisation de la
dépense était une affaire traitée entre les recteurs et
les massari. Il fallait donc créer un office dont les
magistrats auraient autorité sur tous les comptes de
tous les sels, aussi bien aux entrées qu’aux sorties.
Le sénat décida d’élire pour deux ans trois
provéditeurs chargés de gérer et gouverner le sel
dans tout l’Etat, qui siégeraient dans les locaux de
Y Office du sel, tiendraient tous les comptes du sel,
tant en recettes qu’en dépense, assumeraient en
matière de vente du sel et d’encaissement des
recettes les anciennes compétences de l’office des
rationes novae réduit à vérifier leurs comptes
chaque année. Les provéditeurs soldaient les
comptes avec les recteurs ou avec les massari, ils
percevraient un salaire annuel de 80 ducats, plus les
« régales » (commissions), mais seulement, sous
peine d’une amende de 50 %, après avoir soldé les
comptes et les avoir montrés à l’office des rason
nuove. Ils avaient l’initiative des lois au sénat et au
collège « pour le bien et le profit du sel » et les
sénateurs (pregadi) leur donnèrent également
pouvoir de juger les contrebandiers du sel. Ces
magistrats qui cumulaient tous les pouvoirs,
législatif, exécutif et judiciaire, en matière de sels,
étaient tenus à une reddition des comptes devant
une magistrature autonome.
Une autre magistrature se vit aussi confirmer en
1464 son aptitude à connaître des comptes, les
sages du Conseil et de Terreferme (qui formaient
les deux-tiers du collège, le dernier tiers étant formé
navigation) à qui les « ministres » des offices :
sopra le camere, gouverneurs des entrées,
provéditeurs super rationibus camerarum, office du
sel, devraient présenter chaque lundi deux cédules
sur lesquelles seraient indiquées toutes les entrées
et sorties d’argent.
En 1491, 14 décembre, dans une situation de crise
aggravée par les guerres continuelles sur deux
fronts que menait la République depuis plus d’un
demi-siècle, le conseil des Dix légiféra sur le solde
des caisses de la chambre du sel. « Le caissier de
l’office n’opérait pas les dépôts mensuels en un seul
versement car il y avait en permanence (à l’office)
quatre caisses ouvertes simultanément et chaque
caissier notait sur son journal ses opérations
(partitas) ; là où notre argent doit être distribué par
un seul caissier, il y en continuellement quatre.
Cette situation est la cause essentielle du retard des
dépôts et, ce qui est pire, l’ouverture permanente
des livres « mensuels » empêche la bonne tenue des
écritures. Les caisses de notre office du sel devront
être soldées à l’avenir tous les quarante jours, c’est-
à-dire dix jours après la fin du mois durant lequel la
caisse est restée ouverte : les caissiers apporteront
alors tout l’argent qu’ils auront aux camériers de la
commune pour le compte du dépôt : ils ne pourront
pas faire de partita de paiement pour leur
successeur à la caisse s’ils n’ont effectué le
versement complet du dépôt du mois précédent.
Font exception à ce règlement l’argent versé pour la
fabrique du palais, pour les mercenaires et pour
notre conseil des Dix, ainsi que les loyers versés
aux particuliers par l’office du sel ».
Il apparait que le Conseil des Dix accordait une
priorité absolue au versement du dépôt qui
alimentait le trésor de guerre de la République.
Quand celui-ci était opéré, le caissier pouvait
procéder aux opérations ordinaires.
2) La gestion de l’office
La centralisation de la recette du sel à la caisse du
dépositaire, la petite caisse et la caisse ordinaire
Le 6 juillet 1502, en temps de guerre turque, la paix
avec Bajazet ii fut signée en décembre, le Conseil
des Dix augmenté de la commission sénatoriale (la
Zonta ou junte : l’addition) fixa les règles
auxquelles seraient tenus le « dépositaire » ou
caissier de l’office et son contrôleur {scontro). Il y
avait alors « trois ou quatre caisses ouvertes
simultanément et qui dispensaient chacune de
l’argent en dépenses ordinaires ou extraordinaires,
au préjudice de la Seigneurie, car les dépôts
mensuels n’étaient pas effectués ». Un des
provéditeurs serait élu dépositaire pour une durée
de quatre mois, il encaisserait tout l’argent de
l’office, sous réserve des recettes de la petite caisse
conséquent dans la ville même, vente au détail et
200 ducats provenant de la taxe du vin et des loyers
377
des rives). Le dépositaire devrait en priorité affecter
8 000 ducats au dépôt, puis verser les 200 ducats et
l’argent assigné au versement des intérêts du Monte
Nuovo, verser les subventions aux sauniers de
Chioggia et de Cervia, à ceux de Pago pour la traite,
donner à la caisse ordinaire de l’office de 300 à 400
ducats chaque mois pour le paiement des pensions
et des salaires aux recteurs, camériers et salariés
payés par l’office. Cette liste de dépenses était
limitative, tout dépassement tomberait sous le coup
de la loi des furanti. Il devait chaque mois solder sa
caisse, ne pouvait tenir vachetta, il consignait
chaque jour ses opérations (partide) dans le
mensuel, en accord avec le scontro de l’office « tant
pour l’avoir que pour le doit » et ne pouvaient notar
partida l’un sans l’autre. Comme le dépositaire
manageait de fortes sommes d’argent, il ne pouvait
rester à sa caisse plus de quatre mois, le scontro de
même, qui devrait quitter sa fonction huit jours
avant le dépositaire afin d’instruire son successeur.
Si passé ce délai de quatre mois, le dépositaire et
son contrôleur faisaient une opération, ils
encouraient une peine de 100 ducats pour un.
Désordre des écritures
Le 10 juillet 1502, le conseil des X et la Zonta
précisèrent que le « caissier dépositaire » devait
consigner intégralement à son successeur tout
l’excédent {superabundante) de sa caisse. Le 12
août, le conseil des X missionnait ses patrons, les
trois chefs du conseil, pour qu’ils se transportassent
en personne à l’office afin de voir et examiner les
caisses non soldées et commander à chacun des
provéditeurs d’avoir à solder sa caisse avant le
mercredi suivant. Les chefs du conseil revinrent
effarés : aucunepartita n’avait été enregistrée sur le
livre ordinaire depuis une année et plus et sur le
journal depuis plus de 9 mois, ce qui créait une
situation absurde et beaucoup de confusion qu’on
ne pouvait tolérer à l’office du sel, « principal
membre de cette cité ». Les secrétaires devaient se
mettre en règle avant la fin septembre et tenir à jour
aussi les livres des nefs et ceux des sels. C’était le
18 août 1502 et on admire la promptitude des
décisions des X, mais le 14 avril 1505 le Sénat, qui
ne voulait pas être en reste sur le conseil
concurrent, accordait 20 jours aux secrétaires et
receveurs (esattori) pour enregistrer toutes les
partide puis inscrire chaque jour les opérations
«afin qu’on voie si l’argent a été dépensé..., ils
doivent porter chaque dimanche matin à la
Seigneurie la police des dépenses ».
Le 8 juin 1529, le Conseil des X {et Zonta)
rappelait que les scontri devaient tirer un trait sous
le compte soldé {tirar marelle et non lassar spacio).
L’indiscipline s’était généralisée à tous les offices,
aucun caissier ne respectait plus le délai de huit
jours laissé à l’expiration du mois, certains avaient
des excuses car « en certains offices on menait si
grand train d’écritures qu’il était impossible de faire
378
immédiatement le solde ». Il était rappelé aux uns
de solder leurs caisses à l’office des camériers, aux
autres (et c’était le cas à l’office du sel) de délivrer
le solde de la caisse au caissier appelé à succéder
dans la charge. Après avoir contrôlé l’opération, les
scontri porteraient deux comptes-rendus {polizze)
identiques aux Avogadori di Comun et aux chefs du
Conseil, où seraient indiqués ce qui restait en
suspens (à solder). Du solde le caissier sortant était
fait débiteur, avec une amende de 20 %, les
contrôleurs {scontri) qui n’exécuteraient pas le
présent ordre étaient passibles d’une amende de 100
ducats versés au bénéfice des Avogadori (50 %) et
de l’Arsenal (50 %). La moitié de l’amende
rétribuait le travail des magistrats à la façon d’une
prime en sus du salaire, l’autre moitié alimentait
une caisse publique, l’Arsenal. Les Avogadori
étaient chargés d’aller chaque mois dans les divers
offices vérifier l’état des caisses, de délivrer un
acquis (far buoni) pour l’argent versé au nom de la
Seigneurie, mais s’il manquait de l’argent (à cause
de dépenses indues ou de malversations), les
coupables seraient déchus {casudi, tombés) et leur
nom crié au grand Conseil, en marque d’infamie.
Les Avogadori déléguaient leurs comptables
(rasonati) le 9e jour du mois pour procéder aux
vérifications. S’il surgissait une difficulté entre les
caissiers et les Avogadori, le litige était
immédiatement porté devant les chefs du Conseil
des X. La délibération serait publiée à la prochaine
séance du Grand Conseil (le dimanche suivant). La
délibération montre comment le Conseil des X
s’arrogeait ce qui était de la compétence des
Avogadori. Nonobstant, le 11 septembre 1531, il
fallait élargir les délais de reddition des comptes en
accordant jusqu’à fin octobre à tous les scrivani des
offices qui manageaient l’argent public pour
reporter dans le livre toutes les partide inscrites
avant la fin du mois d’août dans le journal. Le
Conseil des X précisait encore qu’il fallait porter les
comptes mensuellement aux nobles Gabriel Venier
et compagnie, avogadori fiscali. C’était là une
nouvelle magistrature que le Conseil s’efforçait
d’instituer pour affaiblir, semble-t-il, les Avogadori
di Comun qui étaient les véritables gardiens des
institutions de Venise chargés d’examiner la
constitutionnalité de toutes les lois votées par les
différents conseils. Or, le Conseil des X allait trop
vite en besogne, il était capable de désigner par son
nom un de ces nouveaux magistrats mais n’était pas
assuré que la magistrature se verrait reconnaître
existence légale {et non essendo avogadori fiscali),
le compte rendu serait alors présenté comme par le
passé aux Avogadori di Comun qui déféreraient
devant le Collège les comptables contrevenant. Le
recul du conseil des Dix obligé de reconnaître la
compétence du Collège et des Avogadori était
compensé : ses chefs interviendraient au Collège
dans l’élection des nouveaux secrétaires appelés à
succéder à leurs collègues défaillants. On mesure
combien ces questions de contrôle comptable, fort
ingrates sans qu’il soit besoin de souligner l’ennui
qu’elles pourraient susciter, constituaient un enjeu
de pouvoir entre conseils concurrents et entre
groupes de familles nobles.
Un élément de désordre tenait au fait que les
titulaires des charges {principali) se faisaient
remplacer par des substituts {contadori sustituti)
mal identifiés, quelquefois indélicats : dans les sacs
de monnaies envoyés dans les territoires, il
manquait souvent de l’argent. « Les principaux
devaient exercer personnellement leur charge »,
ainsi les coupables de malversations seraient
aisément identifiés. En octobre 1574, les chefs du
Conseil des X invitaient tous les secrétaires et
contrôleurs des caissiers et quadernieri des offices
de la cité qui percevaient l’argent de la Seigneurie à
venir dénoncer immédiatement les caissiers qui ne
soldaient pas leur caisse dans les délais. Leur
dénonciation serait tenue secrète.
En septembre 1534, le Conseil des X siégeant avec
la Zonta apporta une modification à la tenue des
écritures : le dépositaire de l’office et son scontro
ne tiendraient plus les « mensuels », mais, tous
deux solidairement, un « grand journal ordinaire »
chacun, pour enregistrer les opérations au jour le
jour, afin que le quadernier les reportât sur le
« livre » lui aussi au jour le jour : l’exemplaire du
journal tenu par le dépositaire resterait continûment
à l’office, le provéditeur délégué aux magasins
{saleri) chaque matin adresserait à l’office une note
de tous les sels chargés et consignés aux datiari et
aux marchands, il assisterait aussi au déchargement
des sels et à leur mesurage.
La comptabilité à partie double
«Parce que l’écriture tenue actuellement aux
magasins à sels {saleri) est très confuse, même si le
massaro n’écrit dans son journal que
simultanément avec le provéditeur et en conformité
avec lui, et ceci de jour en jour à mesure des
opérations, les livres que tient le massaro sont au
nombre de deux, le premier tenu avec le notaire des
magasins qui émarge, sur lequel doivent être notées
les réceptions des sels distinctement sur chaque
page de gauche {in ogni prima faccia), en nommant
les lieux de provenance, et en face {ail ’incontro, sur
la page de droite) la dispense de ce sels, et puisqu’il
peut andver que dans un même magasin fussent
placés des sels de diverses qualités, ou que, finie
une sorte de sel, on en ait placé une autre sorte,
chaque sorte doit être enregistrée sur une page
différente, et chaque tas {monte) se débite, afin
qu’on sache toujours l’augmentation ou le manque
qui affecte chaque sorte de sel ; le second livre qu’il
faut tenir est le journal qui est contrôlé {scontro)
par le provéditeur. Les deux livres doivent être
commencés {da novo) comme à l’office du sel, afin
de solder les vieux libres dans ces nouveaux.
Dans ce journal à partie double {zornal per partita
doppia) on fait débiteurs les magasins, et créditeurs
les sels qui y sont placés, puis créditeurs les
magasins, et débiteurs les fermiers {datieri) ou
autres partisans {altri di partito) qui auront reçu le
sel, et de même dans ce même journal le massaro -
obligé de conduire ses écritures {menar partita) en
conformité avec le provéditeur - [porte] au crédit du
fermier qui aura levé le datio pour la quantité et la
qualité de sel qui figure dans son bail, et au débit de
la Seigneurie ce même sel. Ainsi on évitera
l’inconvénient observé en d’autres temps quand les
fermiers enlevaient plus de sel ou d’une autre sorte
que ne les y obligeait leur bail {partito), ce dont ils
n’étaient pas fait débiteurs, et ainsi doit-on faire
pour tous les sels qu’ils enlèvent, les fermiers ou
ceux de leur parti doivent se présenter aux magasins
de la Douane avec un mandat de l’office, lequel
doit être enregistré dans un livre à part où soient
distingués les dazi et partiti, chacun sous son
datio ».
L'unification de la gestion des magasins
Le massaro qui, dans la gestion des magasins à sel,
intervenait de manière autonome, à preuve : le
provéditeur lui servait de scontro, assistait
également à tout déplacement de sel. Le 21 mars
1576, les Dix avaient placé l’administration
{masseria) des magasins de la douane sous
l’autorité du second personnage de l’État dans
l’ordre protocolaire, le Grand Chancelier, chef de
toute l’administration du Palais. C’est dire à la fois
l’importance que présentaient cette gestion et ces
magasins dans l’économie de Venise et la
signification politique de la libéralité des Dix qui
faisait du Grand Chancelier, un non-noble, leur
obligé, mais cet important personnage n’avait pas le
temps de s’occuper du mouvement des navires et
des sels à la Douane de mer et il déléguait sur place
un substitut pour y exercer la fonction de masser.
La présence du masser engendrait la confusion, il
empiétait sur les compétences des magistrats de
l’office du sel. Le 19 janvier 1586, l’office
commença à mettre de l’ordre dans cette double
gestion : il exigea que la nomination du masser fût
approuvée par les provéditeurs réunis au Collège.
Après cette première victoire, neuf ans plus tard, le
Sénat, « ainsi que le conseillaient les Régulateurs et
Réviseurs » vota que le chancelier n’avait plus à se
mêler de désigner le masser. Désormais ce choix
relèverait du seul Collège, mais comme le
Chancelier tirait grand profit du travail de son
substitut, le Collège du sel lui verserait à l’avenir
une gratification annuelle de 700 ducats, de même
montant que la commission versée par le masser à
son patron. L’office du sel désintéressait ainsi le
Grand Chancelier et restait seul maître de la gestion
des magasins de la Pointe de la Douane. Le masser
restait en charge quatre ans et trois mois avant sa
sortie de charge il devait rendre compte de toute sa
379
 gestion aux provéditeurs et aux régulateurs aux
écritures. Il avait aussi à rendre compte tous les
quatre mois des magasins vidés de leur sel.
La régulation des écritures
Le 23 septembre 1587, pour l’exécution d’une loi
votée au Sénat le 3 du même mois sur la gestion des
recettes publiques, les trois Provéditeurs à la
Monnaie et les 3 Régulateurs aux écritures firent
parvenir aux Provéditeurs au Sel leurs ordres :
L’office du sel pouvait dépenser à l’année
pour l’achat des sels, les subventions aux salines,
les nolis, les fabriques (bâtiments) et grands travaux
de terrassement (cavamenti) 58 500 ducats pour
fournir les dazi, et 9 900 ducats tirés des dazi pour
payer à forfait (per limitation) les dépenses de
Rialto et de s. Marco, les salariés de l’office et
autres lieux.
Le caissier du Collège pourvoit aux
dépenses extraordinaires du Palais, du temple du
vœu (l’église de s. Maria délia Salute) et autres
fabriques financées ces dernières années avec
l’argent assigné à la Monnaie dont celle-ci n’a
jamais été remboursée, à l’avenir toute dépense
extraordinaire financée par la recette du sel (denari
del sal) doit être autorisée par un vote du Sénat qui
consulte les Provéditeurs à la Monnaie et les
Conservateurs du dépôt.
Le dépositaire au sel porte chaque
quinzaine à la Zecca tout l’argent non dépensé
(quello che gli sopravanzava), qui provient des
dazi, des sels vendus, des débiteurs qui ont payé
leur dû....
Les provéditeurs au sel perçoivent 150
ducats du dazio des rives et du vin et 2 188 ducats
du dazio de la boucherie pour payer les créanciers
des rives et des boucheries.
La recette du marché (partito) de Milan
est portée à la Zecca.
Sera assignée à la Zecca la recette
intégrale de certains dazi des sels.
Tous les offices de Venise (questa città) et
de l’État (appelé « dehors », fuori) doivent rendre
compte aux Régulateurs de l’écriture publique et
leur donner un compte particulier de ce qui reste à
percevoir pour chaque taxe, tiré des livres
authentiques, rédiger les écritures selon l’ordre
indiqué par les Régulateurs, pour que les comptes
de tous les offices et chambres soient tous
conformes, leur adresser les comptes des débiteurs
non soldés depuis le règlement général de 1579.
Chaque office apportant de l’argent à la
Zecca présente un compte caisse par caisse.
L’argent récupéré sur les vieux débiteurs
(antérieurs au règlement de 1579) va à
l’amortissement (la francation) de la dette publique
à la Monnaie.
Les Régulateurs contrôlent et font sceller
les caisses (comme les Avogadori).
380
L’avis des Régulateurs est demandé quand
on envisage d’accorder des délais aux débiteurs
pour le compte de taxes et autres recettes assignées.
3) Le contrôle et les organismes de contrôle au
XVIe siècle
La chasse aux débiteurs
Les chefs du conseil des dix s’étaient arrogé une
mission de contrôle des comptes, selon un
processus qui leur attirait beaucoup de jalousie et de
haine, car le conseil des X avait tendance à se mêler
de tout et à surveiller tous les autres magistrats. Le
Sénat essayait de reprendre la main : le 25 février
1511 il déférait à trois proveditori sopra i conti les
débiteurs récalcitrants (désobéissants, inobedienti)
parmi lesquels ceux qui n’avaient pas satisfait au
boccadego (rétabli provisoirement dans le climat de
panique militaro-fmancière qui avait suivi le
désastre d’Agnadel, et appliqué au seul dogado
puisque la Terre ferme, perdue, était occupée par les
forces de la coalition de Cambrai), de même que les
débiteurs au compte (de rason) des nefs, barques et
autres navires et des frets, tous avaient à s’acquitter
de leur dû. L’exaction de tous ces débits était
confiée à «trois provéditeurs sur la révision des
comptes », encouragés à accomplir leur tâche par la
promesse qu’ils recevraient « de rason de sali » 5 %
du capital de la Seigneurie.
Ce mode de rétribution appelle explication : l’État
se considérait non comme le propriétaire, mais
comme le dépositaire du sel qui continuait
d’appartenir aux marchands nobles qui l’avaient
importé et l’avaient mis en dépôt auprès du
monopole public dans les magasins de la Douane de
mer. Quand les fermiers versaient à l’office sa
quote-part, celle-ci était divisée en deux parts, la
part des marchands rétribuait l’achat et le transport
du sel, opérations libres, le dazio constituait la part
du monopole, de l’État, et c’est sur cette fraction
seulement que l’office prélevait 5 % pour
récompenser le zèle de ses contrôleurs. De l’argent
reçu au compte des navires et nolis, les contrôleurs
recevraient aussi 5 %, mais cette prime était
supportée par le débiteur, non prélevée sur le capital
de la Seigneurie. Autrement dit, le débiteur voyait
sa dette augmentée de 5 % et supportait donc la
pénalité qui constituait la prime des fonctionnaires.
Cette prime de rendement était nette d’impôt (netta
e libéra d’ogni contribution).
En janvier 1549, toute une série de dispositions
furent prises pour obtenir satisfaction des débiteurs.
Ceux qui figuraient sur le mémorial (debitori in
vachetta) devaient apporter leur argent dans le
mois. Les camériers de la commune ont comparu le
matin du 11 janvier avec leurs successeurs devant le
Collège pour la consignation des caisses, ils
l
voulaient aussi leur consigner les débiteurs qui ont
in vachetta environ 10 000 ducats et les camériers
désignés refusaient. Le conseil des Dix et la Zonta
(
ordonnèrent aux camériers entrant en charge
d’accepter l’argent comptant consigné par leurs
prédécesseurs et prirent des dispositions pour faire
cesser l’abus : interdiction de tenir des débiteurs sur
le mémorial, transmission des caisses entre les
camériers seulement en argent comptant et toujours
en présence du caissier du Collège qui signait l’acte
de transmission, le scontro des camériers et des
autres caissiers (tous les contrôleurs par
conséquent) ne pouvaient faire les opérations ni
solder les caisses qu’en argent comptant. Pour que
les caisses fussent soldées, les débiteurs devaient
s’être acquittés en argent comptant. Les camériers
recevaient beaucoup d’espèces, tous les caissiers
des offices devaient chaque soir porter l’argent dans
des boites (danari nelli scrigni) aux camériers car il
fallait que l’argent de la Seigneurie fût mis en
sûreté, enfermé dans l’écrin (scrigno), et chaque
semaine compté aux camériers.
En 1587, 18 septembre, le Collège du sel revint sur
la question des débiteurs. Des magistrats réviseurs
aux comptes soldaient les livres de l’office du sel et
reportaient les débiteurs sur les livres de leur office,
si bien que ces débiteurs disparaissaient des
écritures de l’office du sel. Or ces débiteurs
venaient quelquefois à être aussi créditeurs à
l’office pour un autre compte, mais comme le débit
avait disparu de l’office, celui-ci ne compensait
(disfalchar) plus crédit et débit, l’office payait les
crédits sans solder les débits, et ceci valait aussi
pour les débits contractés avec les « chambres du
dehors » (hors de Venise, dans l’État). Ces
magistrats réviseurs appartenaient à l’office des
Trois Sages (sur le royaume de Chypre) où le
nombre des débiteurs s’était beaucoup accru, ce qui
rendait difficile la perception de l’argent, quand ces
avocats fiscaux sortaient de charge, les débiteurs
restaient ensevelis (sepolti) dans leurs livres. La loi
adoptée par le Collège du sel réservait l’autorité sur
les débiteurs à ces trois Sages et Avogadori fiscali
qui ne pourraient plus solder (effectuer les reports)
les livres de l’Office du sel dans leurs propres
livres, mais extraire les débiteurs de l’Office du sel
le jour où ils les porteraient débiteurs à leur office
(celui des trois Sages) en laissant à l’office du sel
les partide vive del debito afin que en toute
occasion quand il arrivait un crédit, la SN pût se
rembourser (par compensation). Quant aux
débiteurs de plus de deux ans, dévolus aux trois
Sages et Avogadori fiscali, les provéditeurs au sel
ne peuvent plus leur verser de l’argent (s’ils ont un
crédit), ils doivent informer les Sages de l’existence
de ce crédit.
Le contrôle des salaires des magistrats et des
ministres
Magistrats et ministres, quand ils encaissaient leurs
salaires, étaient faits débiteurs à l’office des trois
sages et ne pouvaient donc percevoir ni salaire ni
prêt (avance ?) de leur office. En effet
« à l’office des camerlenghi de comun de nombreux
salariés paraissent débiteurs et créditeurs, à qui il
n’a été fait ni débit ni crédit depuis dix et douze
ans, des livres restent ainsi ouverts, les noms sont
reportés de livre en livre sans jamais procéder au
règlement (éliminer) des débits et des crédits (senza
caciar fuora i loro debiti over crediti). Il faut
apporter une solution pour que la Seigneurie voie
clair dans ses comptes (la SN possi veder le rason
sue), qu’elle ait des informations sur les versements
d’argent (partide de dar danaro) opérés par les
offices en faveur de la Zecca, des monti ou autre, et
s’ils ne sont pas échus, qu’ils soient contrôlés et
revus. Les livres et journaux des camériers doivent
être apportés immédiatement aux « trois sages sur
le royaume de Chypre » qui doivent insérer toutes
les partide dans un livre à part et y transférer tous
les restes des débiteurs et créditeurs. L’exécution de
la loi est confiée aux Avogadori di Comun, et
principalement au caissier du Collège. Les trois
sages doivent envoyer aux camériers un alfabeto
avec les noms de tous les débiteurs et créditeurs de
l’office et revoir tous les comptes des salariés,
magistrats, secrétaires et autres ministres de tous les
offices de cette ville, aussi bien de l’office du sel,
des gouverneurs des entrées, des rason vecchie, des
rason nuove, des huit offices et d’autres, et
contrôler les partide ».
Il faut comprendre que les fonctionnaires avaient
longtemps perçu leur rémunération directement
dans l’office dont ils relevaient, mais une douzaine
d’années auparavant la loi avait confié aux
camériers de la Commune la charge de verser tous
ces salaires. Les bureaux (offices) avaient pourtant
continué leurs écritures comme si de rien n’était, ils
portaient au crédit les salaires des employés, mais
comme ils avaient cessé de verser effectivement ces
traitements, les employés n’apparaissaient pas
débiteurs et les comptes n’étaient pas soldés, ce qui
empêchait de solder les livres avec les autres
comptes. L’État (NS, Notre Seigneurie, la
Seigneurie) n’y voyait pas clair et ne savait pas si
les transferts avaient été opérés à la Zecca ou aux
Monti. Les Dix confiaient donc aux 3 Sages sur le
royaume de Chypre, colonie vénitienne, qui
apparemment n’étaient pas débordés de travail, le
soin de revoir tous les livres des camériers de la
Commune et de dresser la liste alphabétique de tous
les débiteurs et créanciers des offices. Ces 3 sages
travailleraient sous l’autorité des Avogadori, dont
c’était une compétence traditionnelle, et surtout du
caissier du Collège, plus tard appelé cassier grande.
On voit se renforcer les compétences du Collège.
Commentfrauder les caisses ?
Le 29 décembre 1515, le Conseil des X (avec la
Zonta, sans laquelle les Dix n’auraient pu intervenir
dans la matière financière, seule la présence de
sénateurs à leurs côtés les autorisait à quitter le
champ de compétence policière et inquisitoriale et
de la politique intérieure qui leur était propre)
381
 définit les recettes et les dépenses assignées à la
«petite caisse» de l’office du sel. Ces recettes
s’élevaient à 570 ducats, les dépenses, des loyers, 6
ducats 16 gros au prieur du monastère de la Trinité
pour les terrains sur lesquels avaient été construits
les magasins à sel, pensions et salaires, étaient
estimées à 553 d 23 g 5 deniers. Le caissier - un
provéditeur noble - ne pouvait enregistrer aucune
partida sur son journal sans la présence et l’accord
du scontro, il ne pouvait tenir vachetta, le scontro
avait pour devoir de « dénoncer aux chefs du
conseil tout manquement même de détail à ce
règlement », le caissier devait solder sa caisse à la
fin de chaque mois. Le souci du contrôle d’une
caisse dont recettes et dépenses, soigneusement
énumérées étaient limitées au gros près, et les
bénéficiaires, institutions ou particuliers,
nominativement listés, était très minutieux.
Pourtant ceux qui géraient les fonds publics
utilisaient dans les partide des noms fictifs (nom/
jinti et simulatî), ne spécifiaient pas en lettres
(chiffres romains) la somme versée dans la partida
et ne la tiraient pas en marge per abaco (chiffres
arabes), « ce qui portait grave préjudice à l’État et
bel avantage à ceux qui n’accomplissant pas leur
devoir ont ainsi facile moyen d’exécuter leurs
tristes desseins » regrettaient les Pregadi qui
exigèrent que désormais dans les offices qui avaient
manège d’argent public auprès de tiers particuliers,
ceux-ci se présenteraient en personne ou seraient
représentés par un procureur exhibant sa
commission authentique, la partida étant reportée
sur les livres avec la référence à la procuration
(date, nom du notaire qui avait instrumenté), report
de la somme en chiffres romains puis en colonne en
chiffre arabe, toutes opérations ensuite enregistrées
dans le journal.
Escompte et sauvegarde des intérêts des tiers
créditeurs
En 1517, le 13 novembre, les Dix et Zonta revinrent
sur une affaire difficile et délicate. C’était l’époque
des trêves avec les Impériaux et on voulait faire les
comptes car des fermiers avaient été spoliés et
obligés de livrer leur recette aux troupes de
Maximilien qui avaient occupé Vérone et la
Terreferme. Le conseil intervint sur un point de
comptabilité : les provéditeurs devaient solliciter les
fermiers (datiari) pour qu’ils versassent leur dû aux
temps fixés, sinon ils encouraient une amende pour
défaut de paiement et les provéditeurs ne pouvaient
encaisser l’amende sans le capital ni le capital sans
l’amende, exigeant les dettes les plus anciennes et
ainsi de suite. C’est là qu’intervenait la difficulté.
En effet, les fermiers escomptaient à crédit les
papiers des créanciers de l’office, conformément à
une pratique déjà attestée à Venise au milieu du
XlVe siècle. Les créanciers étaient les marchands
de sel qui livraient à l’office et en recevaient un
titre de paiement payable à l’échéance (à tour de
382
papier). Mais ces marchands avaient besoin de leur
capital pour le réinvestir dans leurs affaires et leurs
sociétés. Ils cédaient leur papier, leur créance, aux
fermiers qui le leur paieraient au moment où ils
effectueraient leur versement à la chambre du sel et
moyennant une commission (escompte, sconto).
Les fermiers étaient les escompteurs (scontadori).
L’État - dont il faut rappeler qu’il était l’affaire
exclusive des nobles qui tous avaient été des
marchands, non des boutiquiers mais des
marchands internationaux rompus à la pratique des
affaires publiques pour avoir dans leur jeune âge
conduit leurs propres affaires sur toutes les grandes
places internationales du commerce tricontinental -
se méfiait des ententes entre marchands de sel
importateurs et fermiers exportateurs et il avait fixé
une limite à la pratique de l’escompte : seuls les
fermiers des sels menus venant des salines
adriatiques monopolisés par l’office - et dans le
négoce desquels n’intervenaient pas les marchands
- pouvaient escompter le papier des marchands qui
importaient exclusivement les gros sels
méditerranéens. On évitait ainsi, en édifiant une
cloison étanche, la confusion et la prise illégale
d’intérêts. Le Conseil des dix recommandait par
conséquent aux provéditeurs, quand ils soldaient la
partida d’un fermier de réserver les comptes des
créanciers et de rappeler de temps en temps aux
datiari (débiteurs) qu’ils devaient débourser leur
argent dans les délais prescrits en faveur de leurs
autres créanciers.
Le transfert des procès en appel du conseil des
Quarante à Rialto
En 1513, le 5 juin, le Grand Conseil intervint à son
tour dans le fonctionnement de l’office du sel.
Rappelons tout d’abord que ce conseil, le plus
grand au sens de plus important (et plus nombreux :
maggior consiglio) avait la prééminence sur tous
les autres conseils issus de lui, il ratifiait par son
vote en dernière instance les délibérations des
autres conseils et ses décisions n’étaient pas
susceptibles d’appel devant un autre conseil. Ce
point échappe à beaucoup d’historiens qui voient
avec obstination dans le Sénat le principal conseil,
ce qui pourrait être exact à la rigueur s’agissant de
la politique étrangère et de son financement, mais il
leur échappe que le Sénat n’était pas maître de son
ordre du jour et que tous les textes qu’il était appelé
à examiner avaient été préparés par les sages
formant le Collège. Les mêmes passent sous silence
l’existence et les fonctions de ce conseil restreint,
véritable exécutif de la Commune puis de la
Seigneurie. Le Grand Conseil, donc, modifia
l’ordonnancement constitutionnel. Il avait en effet
observé que l’appel des sentences et des décisions
des provéditeurs au sel était dévolu, par la loi, à la
Quarantia Civil qui siégeait au palais de la
commune, véritable palais de justice établi à San
Marco (appelé aujourd’hui palais ducal, palais des
doges). Pour défendre leur position, les
provéditeurs et les défendeurs (litteganti) étaient
appelés au palais, les premiers devaient surseoir aux
affaires en cours à Rialto (ils siégeaient dans le
palais dit des camerlenghi dans l’île de Rialto). Le
Grand Conseil transféra l’appel des causes au
Collège des vingt sages à Rialto, à qui il donna
autorité pour entendre les parties et rendre un
jugement par un vote (espedir a bossoli et ballotte)
qui trancherait entre les provéditeurs et ceux qui
avaient fait appel et leurs avocats.
En 1531, les X, toujours cherchant à diminuer les
pouvoirs des autres conseils, interdirent aux chefs
du tribunal des Quarante (où, par le nombre de ses
sections, au criminel, au pénal, au civil, dans
chacune desquelles siégeaient quarante nobles, et
probablement au total 160 nobles, dominaient les
représentants de la petite noblesse judiciaire) de
suspendre les décisions des provéditeurs au sel qui
saisissaient les biens des débiteurs pour les mettre
en vente afin de percevoir leur crédit.
4. Contrôle et conflit au sommet de l’Etat
Le 28 juin 1582 les Régulateurs aux écritures et les
Provéditeurs au sel sortis de charge furent chargés
par le conseil des X de mettre en ordre toute
l’écriture du sel, y compris pour les marchés. Il
fallait parer aux désordres et conserver et accroître
le bien public dans l’office. Le conseil faisait
confiance aux provéditeurs invités à faire tout le
nécessaire, les uns et les autres viendraient ensuite
exposer les mesures prises au Collège du sel qui
aurait à les approuver. Il fallait aussi mettre de
l’ordre dans les marchés conclus avec l’étranger et
les provéditeurs au sel se concerteraient avec leurs
homologues, les provéditeurs in zecca avec qui ils
viendraient rendre compte devant le Collège. Le
conseil des Dix tentait là un beau coup en mettant
sous tutelle l’office du sel, le plus puissant de tous
les organes financiers exacteurs de la République,
en obligeant, pour les affaiblir, les provéditeurs à
collaborer activement avec les Réviseurs aux
écritures et avec les magistrats de la Monnaie. Ce
fut son dernier succès car les Pregadi reprirent
ensuite la main en s’appuyant sur la Quarantia : le
4 novembre 1582, les sénateurs introduisirent au
Collège statuant dans la politique des sels les chefs
de la Quarantia criminelle en lieu et place des
«seigneurs chefs de l’excellentissime Conseil des
Dix ». Il ne fallait pas moins que les chefs des
Quarante pour succéder aux chefs des Dix, le coup
était habile ! grâce à l’alliance des Quarante et du
Sénat appuyée par le Grand Conseil, la superbe des
Dix était abattue et les provéditeurs au sel
retrouvaient toute leur compétence au Collège du
sel. Les sénateurs frappèrent fort : tout ce qui serait
délibéré et adopté au Collège serait tenu comme
voté et adopté par le Sénat, l’élection des
provéditeurs, du dépositaire, du délégué aux saleri
et de celui qui allait au dehors (de Venise) pour
mettre les baux aux enchères, était enlevée aux Dix
et réintégrait le Sénat. Il est significatif que la
fameuse «correction» des années 1582-1583 qui
aboutit à un transfert des compétences au bénéfice
du Sénat et au détriment du Conseil qui représentait
le plus sûrement l’oligarchie, la fraction la plus
riche et plus puissante de l’aristocratie, ait
commencé à l’office du sel et par une simple
question de contrôle d’écriture. En réalité le conseil
des Dix faisait l’unanimité contre lui : le 1er octobre
1582 le Grand Conseil, donnant le signal de la
révolte, avait élu seulement 12 des 15 membres de
la Zonta. La Zonta incomplète devenait inapte et le
conseil des Dix perdait un élément capital de son
autorité. Le sénat l'obligea alors rapidement à lui
restituer toutes ses compétences en matière de
finances publiques.
Avant d’être dépouillé de ses compétences en
matière financière, les X et la Zonta avaient adopté
la loi créant le « collège des comptables » (cf
l’article « comptabilité publique »). La réforme était
bien nécessaire car « les offices de la ville où sont
perçus et managés l’argent et la recette publique,
sont exercés pour la plupart par des ministres qui ne
répondent pas aux exigences de nos lois, sont
inexperts et incapables de remplir la charge qui leur
a été confiée, ce qui engendre des inconvénients au
préjudice de la chose publique et des particuliers ».
Le Conseil des X, accompagné de sa fidèle junte
(Zonta) avait institué un remède, le collège des
comptables, lesquels, examinés pour leur
compétence et leur valeur, devaient être préférés et
recrutés par les magistrats. Les Sages à la
marchandise et les Régulateurs aux écritures
ordonnèrent aux notaires de l’office du sel de
n’enregistrer parmi le personnel de l’office
« scontri, quadernieri, pontadori et rasonati, overo
scrivani o coadjutori ... o sustituti » même
approuvés par quelque conseil, collège, office et
magistrat qu’on voudra, si cette personne « ne peut
présenter un certificat (bollettino overfede) de notre
office attestant qu’elle est idoine et suffisante et
admise au collège des rasonati ». J.-C. H.
Bibliographie: Hocquet J.-C. (1978-1979, 1979,
1981, 1999) et État, marché, finance à Venise de
l’An mil au 18e siècle (sous presse).
Serment
Le serment est une forme particulière et solennelle
d'affirmation, de promesse, d'engagement. On
retrouve son usage dans toutes les sociétés et à
toutes les époques. Ainsi on distingue le serment
politique, judiciaire ou professionnel. Dans le cadre
de la procédure judiciaire, les témoins sont appelés
à prêter serment de « dire la vérité » avant qu'ils ne
fassent leur déposition. Les magistrats des cours de
justice prêtent serment lors de leur nomination, par
lequel ils jurent de remplir bien et fidèlement leurs
fonctions, de garder le secret des délibérations et de
se conduire en digne et loyal magistrat. Il en va de
383
même pour les membres des juridictions
financières*. En France, sous l’Ancien régime, les
présidents, maîtres des comptes*, auditeurs* et
correcteurs* entraient en fonction après avoir
prononcé individuellement leur serment devant la
compagnie réunie en assemblée générale. En même
temps, les comptables* des deniers publics ne
pouvaient être installés dans leur emploi sans avoir
fourni une caution* et avoir prêté le serment devant
les Chambres des comptes, dont ils étaient
directement justiciables (ord. de 1319 et 1388 ;
décl. du 3 mars 1563 et du 16 janvier 1565). Au
moment de la reddition* annuelle des comptes, ils
devaient également affirmer la sincérité de leurs
écritures sous la foi du serment. Il faut noter qu’à sa
création en 1807, la Cour des comptes* n’a pas été
investie de recevoir le serment des comptables, ce
qui lui sera toutefois attribué par l’ordonnance du
29 juillet 1814. Les actes de prestation de serment
étaient soumis aux droits d'enregistrement. En
matière de finances et de comptabilité publique,
l’obligation du serment apparaît comme l’une des
garanties importantes par laquelle l’Etat veut
s’assurer de la probité et de la fidélité des agents
chargés du maniement des deniers publics. N.P.
Voir Cautionnement, Chambre des comptes
Solde, solder (un compte)
« Solder ou solde de compte est la clôture et le
paiement d’un reliquat de compte. C’est le terme
suivant l’usage des négociants », indique le teneur
de livres Claude Irson. Mathieu de la Porte propose
plusieurs variantes du même terme, parfois tirées
d’autres langues (comme l’espagnol « saldo ») :
« Solver, solder : vuider, arrêter ou clore un
compte. Saldo, solde, soude : reliquat, ou somme
qui fait l’égale d’un compte ». A.D.
Sources : Irson C. (1678), chap. X. La Porte M. de
(1685), p. 16.
Sommaire, sommier
Le tenue a plusieurs acceptions. Il peut désigner en
premier lieu un registre d’actes (abonnements,
baux, adjudications, mises en régie...) nécessaire à
l’établissement des droits du roi sur un territoire.
De là, le sommier est le registre qui établit, article
par article, la somme des droits à percevoir. Il
forme donc le document qui fixe la recette*
attendue quand celle-ci n’est pas tirée d’un impôt
de répartition. Par opposition à l’état de
distribution* qui répartit à l’avance les sommes par
ville, par paroisse, par tête..., selon la nature de
l’impôt, le sommier est constitué pour les droits
indirects qui ne peuvent être calculés qu’à partir
d’une évaluation de la consommation des produits
sur lesquels portent les taxes. Au sein de la Ferme
générale*, les receveurs dressaient des sommiers
pour toutes sortes de droits comme les aides, les
droits de franc-fief, les péages, les gabelles... ce qui
384
supposait une connaissance très précise de la
législation fiscale en cours et la formation d’une
infinité d’employés pour suivre l’actualité de ces
droits. Le sommier des fiefs et biens nobles par
exemple, devait « être fait à mi-marge, par ordre de
paroisse, hameau et écart; il y sera laissé une
distance suffisante d’un article à l’autre pour
pouvoir y mettre toutes les observations qui seront
nécessaires et pour qu’il soit tenu proprement, sans
confusion, ratures, ni renvois et que tous les fiefs
soient mis de suite, on en portera d’abord la matière
sur des feuilles particulières, et après l’avoir bien
digérée, on la transcrira sur le sommier». Le
sommier des droits sur les boissons était dressé par
ordre alphabétique des cabaretiers à partir des états
de débit de boissons établis par des commis
ambulants. Le sommier servait à la décharge* des
contribuables. On inscrivait le paiement en marge
de l’article.
Le sommier désigne aussi, plus généralement, le
grand-Livre* ou livre-maître formé à partir du
journal*. On parle alors de sommier général. Pierre
Bernard d’Hénouville emploie le terme dans ce
sens. Il explique que dans la comptabilité en recette,
dépense et reprise*, le comptable tient deux livres:
un livre-journal* «et au moins un sommier comme
font les financiers ». Le livre journal « reçoit jour
par jour toutes les affaires à mesure qu’elles sont
arrivées ou résolues et terminées, de manière que
tout ce qu’il renferme est écrit d’une suite
processionnelle tant en recette qu’en dépense sans
aucune interruption». «Le sommier est une autre
espèce de journal, mais construit d’une manière
différente, parce que la recette ou tout ce qui entre
en notre pouvoir est écrit à gauche et la dépense ou
tout ce qui en sort est écrit à droit, l’un et l’autre de
suite. C’est-à-dire que la recette se continue de page
en page à gauche et la dépense de page en page à
droite, et jour par jour, jusqu’à la fin d’une certaine
époque, auquel temps le comptable fait une
comparaison de la recette avec la dépense pour
solder ou arrêter ce compte par la différence.
Quoique cette méthode de tenir ainsi un sommier
soit en usage dans la finance, cependant on ne peut
passer sous silence son sentiment et dire qu’un livre
tenu de cette manière ne peut se soutenir sur la
bonne foi d’un comptable : sa disposition le rend
susceptible d’altération et de changement, parce
qu’il arrive souvent ou que la recette est faite en
peu de parties et la dépense en plusieurs menues
parties, ou bien la recette en beaucoup de parties et
la dépense en moins, en sorte q les parties de la
recette et celles de la dépense ne peuvent rarement
répondre à page pour page. Ainsi depuis la fin d’un
compte, soit en recette ou en dépense, jusqu’à la fin
de l’autre, il se rencontre toujours des pages vuides
qui pourroient bien par la suite servir à y employer
certains faits contraires à la vérité, ce qui ne peut
pas facilement arriver dans le journal où tout y est
écrit et coté de suite, par ordre des dates sans aucun
blanc entre les articles, suivant qu’il est prohibé par
Y ordonnance du mois de mars 1673, titre 3, article
5 ».
Le sommier estdonc un livre où les actions écrites
au journal sont rangées suivant la forme que
prescrit l’ordre des comptes. Un tel document était
difficile à établir. Il constituait pourtant une étape
nécessaire dans la formation du budget*. Lorsque
Benoît-Marie Dupuy* tint la régie des revenus des
pays conquis par la France sur les Pays-Bas
autrichiens (1746-1748), il eut pour ambition de
dresser ce sommier pour l’ensemble des recettes du
territoire : « Le sieur Dupuy est le seul sur lequel je
puisse compter pour la tenue du sommier général
qui est d’un très grand détail. Je le fais tenir dans un
sy grand ordre qu’il présentera tous les
recouvremens dont nous sommes chargés. Pour que
ce registre soit dans la plus grande exactitude, il y
en a deux, l’un sur lequel on ne porte rien que
toutes les vérifications les plus exactes ne soyent
faites». Passé dans l’administration de Bruxelles, ce
réformateur proposa encore la confection d’un
sommier qui récapitulerait tous les comptes publics,
sans succès. A.D. et M.-L. L.
Voir Compte d’ordre, Grand-Livre
Sources : AD de la Drôme, Valence, C 1020. AN,
G2 230, lettre de Gauthier, Bruxelles, 18 mars 1747.
AGR, Conseil des finances, 7044, « Instructions
pour la tenue d’un sommier général», 1749.
Brunet de Granmaison P. (1750), t. 2, p. 148.
Hénouville P.B. de (1709).
Souffrance
Voir Partie tenue en souffrance
Soumission (du receveur)
Traité* par lequel un receveur* s’engage à mettre le
montant de sa recette à disposition du Trésor. Seuls
les receveurs des impôts directs, dont les montants
étaient connus à l’avance, pouvaient souscrire une
soumission. Les contributions indirectes ou droits
divers, dont les montants n’étaient pas connus à
l’avance, ne pouvaient entrer dans ces traités. Les
soumissions des receveurs étaient payables à vue de
mois en mois. Jusqu’en 1715, la monarchie s’était
habituée à laisser s’arriérer le paiement des impôts.
Receveurs et collecteurs démêlaient difficilement
leurs comptes et les contribuables s’engageaient
dans d’interminables procès à propos des restes à
payer. Après l’échec des réformes adoptées au
temps de la Régence, le contrôleur général Philibert
Orry* renégocia les accords avec les receveurs
généraux des finances*, mais au lieu de traiter des
produits du recouvrement à forfait, perte ou profit,
le ministre convint avec eux à la fin de chaque
année des fonds à provenir des impositions de
l’année suivante. « Sous l’administration de M.
Orry, ce traité fut appelé soumission ». Pour
respecter les termes fixes, les receveurs particuliers
furent encouragés de même à satisfaire
régulièrement aux traités passés avec les receveurs
généraux grâce à une gratification de 3 deniers pour
livre pour les avances faites à ces derniers en
exécution des soumissions. Comme l’indiquent les
bureaux de François Marie d’Ormesson, cette
gratification a rendu les receveurs particuliers
« industrieux et attentifs à ménager les
contribuables, à s’abonner avec les collecteurs, à
saisir les instants favorables des récoltes,
marchés... pour avancer leurs recouvrements ». En
d’autres termes, les receveurs de taille auraient
huilé le recouvrement fiscal en le rendant plus
régulier. En effet, il n’était pas rare de voir une
partie de la population acquitter en 30 à 36 mois les
impositions que les receveurs eux-mêmes
délivraient en général en 24 mois au Trésor. La
régularité des versements des officiers comptables
compensait les aléas du calendrier des prélèvements
pour lesquels on admettait une certaine souplesse.
Dans les bureaux des recettes générales des
finances, on procédait trois fois par an à une
évaluation des produits des soumissions et des
suppléments pour préparer les anticipations* de
l’année suivante. En reprenant les anciens usages en
vigueur avant 1789, la loi du 27 novembre 1799
obligea de nouveau les receveurs généraux à
souscrire pour le montant des contributions directes
de leur département des obligations payables à leur
domicile à jour fixe et par douzième de mois en
mois. Pour garantir les soumissions ou
recouvrements qu’ils faisaient, les receveurs étaient
obligés de fournir une caution* en numéraire égale
à 10 % du montant des impôts annuels, versée dans
la caisse d’amortissement dirigée par Mollien*.
Cette caisse, en garantissant le paiement des
rescriptions*, adopta la même fonction que
l’ancienne caisse commune*. La loi du 18
décembre 1800 autorisa les receveurs généraux à
exiger des receveurs particuliers des soumissions à
verser à la recette générale le montant des
contributions directes quinze jours avant le terme
assigné aux receveurs généraux pour les envois au
Trésor*. Audiffret*, dans ses Mémoires, narre
comment il est venu à bout de ses soumissions. Il
présenta un rapport (25 octobre 1817) pour les
inspecteurs des finances* dans lequel il proposa de
remplacer les obligations et bons à vue des
receveurs généraux par un simple arrêté fixant
chaque année « dans une juste mesure » les termes
concédés pour le recouvrement des contributions
directe et le taux de l’intérêt calculé jusqu’au jour
des rentrées effectives, dans un compte spécial.
Audiffret entendait mettre fin « au vieux système
d’affermage des revenus publics emprunté à
l’ancien régime des traitants ». M.-L. L.
Voir Caisse commune, Caisse de service,
Rescription
385
Sources : AN, K 899, n° 57, « Observations sur le
travail du bureau des recettes générales » ; K 892,
n° 191, Mémoire des Receveurs généraux contre
Necker. « Decipimur specie recti » ; 156 MI 68,
chapitre I. Résultats des opérations des états du roy
de 1771, chapitre III. Ces résultats sont publiés dans
l’Annuaire-Bulletin de la société de l’histoire de
France, 2004, Paris, 2006, p. 125-224.
Bibliographie : Bruguière M., Goutal-Amal V.
(2002), p. 172. Pinaud P.F. (1990).
Soutènement (de compte)
Argument qu’un comptable donne par écrit pour
répondre aux débats formés à la Chambre des
comptes à l’occasion de l’examen de son compte.
Voir Débat
Spécialité budgétaire
Le budget* ne formalise pas un « abonnement »
financier moyennant lequel l’autorité mettrait en
œuvre les services publics, il règle la provenance et
la destination des deniers. Il est donc organisé selon
une série de divisions et subdivisions auxquelles
correspondent des montants tant en recette qu’en
dépense : il est spécialisé.
Au long du XIXe siècle, le terme « spécialité » sert
à distinguer autant les crédits que les exercices. On
parle alors de spécialité dans le temps ou par
exercice* par opposition à la spécialité « dans
l’objet ». Ainsi les exercices, autant que les crédits,
sont « spéciaux », c’est-à-dire définis, déterminés,
circonscrits. L’ordonnance du 31 mai 1838
consacre logiquement un paragraphe à la
« spécialité des crédits par exercice et par
chapitre ». La formalisation du droit public
financier va progressivement distinguer des
principes budgétaires* parmi lesquels le principe dit
de spécialité budgétaire qui se distingue
progressivement de l’annualité* budgétaire
(spécialité dans le temps) pour ne concerner que le
degré de précision de la nomenclature budgétaire.
L 'évolution de la spécialisation des crédits
Les états* de la monarchie présentaient
traditionnellement le budget selon les différents
départements ministériels. Le budget*, en tant
qu’acte de prévision et d’autorisation des recettes*
et des dépenses* est divisé en rubriques budgétaires
selon une nomenclature qui s’affine en France au
long du XIXe siècle. L’article 150 de la loi du 25
mars 1817 formalise l’apparition du «chapitre»*
dans le vocabulaire juridique. L’article 2 de
l’ordonnance du 14 septembre 1822 confirme cette
nomenclature budgétaire : le budget est présenté par
ministères eux-mêmes subdivisés en chapitres.
L’ordonnance du 1er septembre 1827 prescrivant
d’établir des « sections spéciales » dans le budget
général de l’État, revient sur cette dénomination.
Des sections spéciales remplacent formellement les
chapitres dont elles semblent cependant les
386
héritières directes : les sept ministères sont alors
décomposés en 42 sections spéciales. Le budget de
1829 compte 52 sections regroupant 89 rubriques*.
La loi du 29 décembre 1831 réintroduit le chapitre
qui devient « spécial ». Cette partition en
« chapitres spéciaux » est maintenue sous la
Monarchie de Juillet et précisée sous la République
de 1848 qui en compte 338. Sous le Second
Empire, la nomenclature évolue. Les crédits sont
moins détaillés puisque présentés par services
généraux de 1852 à 1861 et par sections de 1862 à
1869 puis dans un second temps, on retrouve le
chapitres en 1870 qui sera consacré par la loi du 16
septembre 1871.
Spécialisation de moyen ou spécialisation
fonctionnelle des crédits ?
L’évolution de la nomenclature entre chapitre et
section pose évidemment la question de la
signification des subdivisions. Les premiers textes
encadrant strictement la nomenclature budgétaire
assimilent spécialité budgétaire et service
administratif. L’ordonnance royale du 1er
septembre 1827 prescrit en ce sens d’établir, dans le
budget général de l’État, des sections spéciales
limitant les dépenses de chaque service. Son article
1" précise que « le projet de budget général de
l’État présentera distinctement l’évaluation des
dépenses par branche principale de service » et
propose de fait une nomenclature fonctionnelle.
L’article 11 de la loi du 19 janvier 1831 repris
intégralement à l’article 31 de l’ordonnance du 31
mai 1838 et à l’article 56 du décret du 31 mai 1862,
poursuit en ce sens que « chaque chapitre ne
contiendra que des services corrélatifs ou de même
nature ». Si le service n’a jamais reçu de définition
claire, le chapitre correspond précisément à une
subdivision administrative : soit à une unité
d’organisation interne de l’administration (service
au sens organique), soit à une incarnation de
l’action de l’administration (service au sens
matériel).
Tableau de répartition des crédits prévu par
l’ordonnance du 1er septembre 1827.
1° Budget de la dette consolidée et de
l’amortissement, 4 sections.
2° Service général.
Liste civile et famille royale.
Ministère de la justice, 4 sections : administration
centrale, conseil du roi ; cours et tribunaux ; frais de
justice criminelle.
Ministère des affaires étrangères, 3 sections :
administration centrale ; traitements des agents du
service extérieur ; dépenses variables.
Ministère de l’intérieur, 6 sections : administration
centrale et de police générale ; ponts et chaussées ;
travaux publics ; services divers ; dépenses
départementales ; secours pour pertes résultant de
grêle, incendie etc.
Ministère de la guerre, 4 sections : administration
centrale ; solde et entretien de l’année ; matériel et
établissements militaires ; dépenses temporaires et
imprévues.
Ministère de la marine, 6 sections : administration
centrale ; personnel (solde, hôpitaux, vivres) ;
approvisionnements ; travaux relatifs à la flotte ;
constructions hydrauliques ; objets spéciaux
(chioumie et dépenses diverses)
Ministère des finances, 22 sections : chambre des
pairs ; chambre des députés ; supplément à la
Légion d’honneur ; Cour des comptes ; dette
inscrite (viagère, pensions, intérêts, des
cautionnements) ; administration centrale
(personnel et matériel) ; administration des
monnaies (personnel, matériel et frais de refonte) ;
bureau du commerce et des colonies ; frais de
service et négociations ; intérêts de la dette
flottante ; bonifications d’intérêts aux receveurs sur
les contributions directes ; taxations aux receveurs
sur le versement des revenus indirects, caissiers et
payeurs du trésor.
3° Administration des revenus publics, 26 sections
pour le personnel, le matériel, l’administration
centrale, le service des départements, et les
traitements et remises des comptables des six
grandes directions générales des contributions
directes, de l’enregistrement, des douanes, des
contributions indirectes, des postes, des forêts et de
l’administration de la loterie.
4° Remboursement, restitutions et primes : 15
sections pour les restitutions sur les contributions
directes, les restitutions de sommes indûment
perçues, les restitutions de produits d’amendes et
confiscations, les primes, les escomptes.
Spécialisation technique ou spécialisation politique
des crédits ?
Très rapidement, les parlementaires ont compris
l’intérêt d’obtenir une nomenclature budgétaire de
plus en plus spécialisée afin d’encadrer et de
contraindre l’action du Gouvernement. Dès lors, la
spécialisation budgétaire s’inscrit dans un rapport
de force institutionnel. La loi de 1817 qui introduit
le chapitre budgétaire en est une illustration. Il
s’agissait d’une avancée considérable du pouvoir
financier des Chambres et aux revendications de
Benjamin Constant qui demandait si le vote des
crédits se ferait par ministère ou par chapitre le
garde des sceaux de Serre, répondit qu’ « il ne faut
pas confondre le vote avec l’examen ; car, si le
devoir de la Chambre est d’apprécier les motifs qui
peuvent rendre nécessaires les divers services pour
lesquels des fonds lui sont demandés, elle ne saurait
voter tous les détails de ces divers services ».
L’exécutif distinguait clairement une nomenclature
budgétaire de vote et une nomenclature budgétaire
d’action administrative. Dans ce sens l’article 2 de
l’ordonnance 1822 précise que les ministres doivent
faire valider par le roi « le projet de répartition entre
les divers chapitres de leur budget (...) alloués par
la loi annuelle des finances ». L’ordonnance du 10
décembre 1823 maintient cette distinction mais il
faut attendre l’article 36 de l’ordonnance du 31 mai
1838 pour voir clairement affirmée l’idée selon
laquelle la répartition « n’établit que des
subdivisions administratives (alors que) la
spécialité des crédits demeure exclusivement
renfermée dans les limites des chapitres
législatifs ».
Dès lors, l’ordre juridique distingue la
spécialisation des crédits au sens stricte (la
présentation du budget à destination des Chambres
avec ses enjeux politiques) de la répartition des
crédits (la présentation du budget selon une
nomenclature d’exécution). La seconde étant
toujours plus précise que la première, le Parlement
n’aura de cesse d’obtenir progressivement une
spécialisation de plus en plus précise du vote des
crédits. Cette spécialisation « politique » des crédits
se révèle un bon baromètre du caractère libéral du
régime politique. Si l’objectif de l’ordonnance
royale du 1er septembre 1827 est bien de « limiter
les dépenses de chaque service », elle organise la
contrainte sur l’ordonnateur*. Les parlementaires
français obtiendront de la monarchie de Juillet un
encadrement plus strict des mouvements de crédits.
L’article 32 de l’ordonnance de 1838 établit que
« les sommes affectées par la loi à chacun de ces
chapitres ne peuvent être appliquées à des chapitres
différens ». Inversement, sous les régimes
autoritaires, la spécialisation des crédits se fait
moins contraignante comme en témoigne l’article
12 du Sénatus consulte du 25 décembre 1852 qui
réduit la compétence budgétaire du Corps législatif
au vote par ministère. S.K.
Bibliographie : Leneveu G. Histoire de la spécialité
budgétaire en France, Paris, LGDJ, 1906. Luçat H.
de, Législation du budget de 1789 à 1852, Paris,
Guillaumin, 1862. Maître C., La mise à disposition
des crédits budgétaires, Paris, LGDJ, 1989. Michel
P., « Le principe de spécialité, hier, aujourd’hui,
demain », Les grands principes du droit budgétaire
de l’État, Caen, Cahiers de la comptabilité
publique, 1989, p. 69-98. Quint A. (2005).
Starhemberg, Gundaker Thomas von
(1668-1745)
Président de la chambre aulique (Hofkammer) de la
monarchie autrichienne et auteur de Methodus, der
dargelegte, Wie zu Ihrer
Kaÿ[serlichen]Maÿ[estât]ohnfehlbahr besseren
dienst die Négocia Cameralia zu
Tractiren...(\703). Dans cet ouvrage, le comte
Starhemberg propose au souverain Habsbourg
d’utiliser le registre d’actes de la Chancellerie, le
Hauptprotokoll, à partir duquel serait composé le
Grand-Livre (Hauptbuch) des recettes et des
dépenses, et un journal (Diarium) dans lequel les
recettes et paiements seraient inscrits selon un ordre
387
 chronologique. Grâce à ces deux outils inspirés de de canaux de la ville de Delft, Stevin est nommé
la comptabilité en partie double*, il deviendrait superintendant des finances en 1600. La même
possible de connaître l’état effectif des caisses* année, il réorganise l’enseignement des
publiques et d’améliorer l’assignation* des mathématiques à l’Université de Leyde, à la
dépenses. Les préoccupations de Starhemberg demande de Maurice de Nassau. Installé à La Haye
débouchèrent sur la rédaction d’un vaste à partir de 1612, Stevin y meurt en 1620, âgé de 72
questionnaire adressé par décret du 1er décembre ans.
1707 aux trois principaux teneurs de livres (le Le Prince d’Orange manifestait un intérêt certain
Hofbuchhalter, le Niederôsterreichischen pour les mathématiques et une grande partie des
Buchhalter et le Kriegsbuchhalter). A la tête de la écrits scientifiques de Stevin sont le fruit des
banque de la ville de Vienne de 1705 jusqu’à sa questionnements issus de sa relation avec ce
mot, Starhemberg soutint le financement des dernier. Ayant l’habitude d’emporter les manuscrits
guerres autricheinnes en mobilisant le crédit. M.-L. de Stevin lors de tous ses déplacements, le Prince
L. décida de les faire imprimer, de peur de les perdre
Voir Comptabilité camérale un jour. Il le fit faire non seulement en flamand
mais également dans une traduction latine —
Bibliographie : Holl B., « Hofkammerpràsident Hypomnemata mathematica — et dans une
Gundaker Thomas Graf Starhremberg und die traduction française (réalisée par Jean Tuning,
ôsterreichische Finanzpolitik der Barockzeit (1703- secrétaire du jeune frère de Maurice de Nassau, le
1715», in Archiv für ôsterreichische Geschichte Prince Frederik Hendrik de Nassau) : Mémoires
132, 1976, p. 1-453. mathématiques. Ces deux traductions assurèrent à
l’œuvre une importante diffusion.
Mathématicien, physicien, ingénieur et philosophe,
Stevin, Simon (1548-1620)
Stevin est considéré par l’historien des sciences
Simon Stevin s’inscrit dans une longue lignée
Georges Sarton comme l’un des deux hommes de
d’auteurs flamands qui ont traité de la tenue des
sciences les plus originaux de la seconde moitié du
livres de comptes, comme Jan Ympyn Christoffels,
XVIe siècle avec Galilée. Après Luca Pacioli, il est
Valentin Mennher de Kempten ou Barthélémy de
le second mathématicien d’envergure à aborder la
Renterghem, tous trois publiés à Anvers, l’une des
technique de la tenue des livres de comptes. Mais
portes d’entrée de la technique comptable italienne
Pacioli s’est uniquement intéressé aux pratiques du
en Europe du Nord et ville où Simon Stevin en fit
négoce, dont il avait acquis une connaissance
l’apprentissage. Mais l’homme se distingue à bien
intime durant les six ans passés comme précepteur
des égards de ses prédécesseurs et son propos
des enfants du marchand vénitien Antonio de
s’adresse à d’autres utilisateurs.
Rompiasi. En revanche, si Stevin commence par
Né à Bruges en 1548, Simon Stevin exerça les
présenter la méthode italienne dans le contexte
fonctions de caissier et de teneur de livres à Anvers,
commercial, l’essentiel de son propos concerne son
avant d’être employé dans les services financiers de
application au contrôle des finances et plus
sa ville natale. Il quitta Bruges en 1571, pour
particulièrement à celles de Maurice de Nassau.
voyager en Allemagne, Pologne, Suède et Norvège,
Le Livre de compte de prince à la manière d'Italie,
puis revint s’établir au nord des Pays-Bas en 1581.
en domaine et finance extraordinaire... fut publié à
Il publie alors ses deux premiers ouvrages connus.
Leyde en 1608 par Jan Paedts Jacobsz, marchand
Le premier, une brochure de 24 pages intitulée
libraire et maître imprimeur de l’université, dans
Nieuwe Inventie van Rekeninghe van Compaignie
une traduction française, œuvre de Jean Tuning. Il
{Nouvelle invention de compte de compagnie),
constituait la deuxième partie du cinquième volume
publiée à Delft en 1581, lui a été récemment
des Mémoires mathématiques, le volume des
attribué. Signé de Simonem Stephanum, version
mélanges, les autres portant respectivement sur la
latinisée de Simon Stephan, nom sous lequel il était
cosmographie, la géométrie, l’optique, la statique et
inscrit à l’Université de Leyde, son contenu est très
l’hydrostatique. En 1749, Hendrik Stevin, fils de
proche de l’un des chapitres de son ouvrage sur la
Simon, fit publier en deux volumes plusieurs écrits
tenue des livres. Le second, publié à Anvers en
de son père relatifs à diverses questions de
1582, a pour titre Tafelen van interest {Tables
gouvernement, sous le titre Materiae politicae. Le
d’intérêt) et constitue l’un des tout premiers
second volume, Verrechting van domeine mette
ouvrages de ce type, sinon le premier. Il connut un
contrerolle en ander behouften vandien, imprimé à
succès immédiat car les rares tables manuscrites
Leyde, contient deux parties : Verrechting van
alors existantes étaient jalousement tenues secrètes
domeine — réforme de l’administration domaniale
en raison des difficultés de calcul*. A partir de
— et Vorstelicke boeckhouding in domeine en
1583, il étudie les mathématiques à l’université de
finance extraordinaire op de italiaensche wyse, qui
Leyde où il fait la connaissance de Maurice de
est une version élargie de l’original néerlandais du
Nassau (1567-1625), futur Prince d’Orange et
Livre de compte de prince.
gouverneur des Provinces-Unies de 1585 à sa mort.
Après s’être vu confier la responsabilité du système
388
Nombreux sont ceux qui recommandèrent à leurs
souverains d'utiliser la comptabilité des marchands
dans le cadre de la gestion de leurs finances mais
Simon Stevin est certainement le premier d'entre
eux. Convaincu des avantages de la méthode, le
Prince l’introduisit dans son propre domaine en
1604, ainsi que le précise Stevin. Au moment de
l’impression de l’ouvrage, l’auteur y fit insérer une
dédicace à Sully dont on reprendra les premières
lignes : « Monsieur, puisque mon intention est de
vous dédier cette description, je déclareray
premièrement la cause qui m’y a conduite [sic]. Il
est notoire que les receveurs des grands marchands
qu’on nomme cassiers, ne peuvent ainsi à leur
propre prouffit, user de l’argent de leurs maistres,
comme font les receveurs des princes, à cause que
le marchand sçait toujours, par son teneur de livres,
quel argent son cassier doit présentement sans
contredit avoir en casse ; ce qu’au prince est
incognu de ses receveurs, car combien qu’annuel­
lement se fait closture de compte d’une année
précédente, et qu’ils payent la reste d’icelle
closture, toutefois le prince n’a nulle démonstration
de ce qu’ils ont plus reçeu que payé, en l’année ou
années suivantes après la susdite dernière closture,
tellement que le tout s’arrête sur leur dire, d’autant
plus qu’ils respondent (bien différemment de
l’usage des cassiers) pour toutes debtes... Or donc
n’ayant le seigneur nulle cognoissance ny
démonstration des deniers qui de faict sont soubs
ses receveurs, il s’en suit que leur estant demandé
de l’argent, s’ils respondent qu’il n’y en a point, il
n’y a que redire... Mais les grands marchands
entendent mieux leur cas, car s’ils suivoyent tel
stile, il y en demeureroyent bien peu grands
marchands... ».
Il a souvent été fait référence à cette préface, depuis
que Forbonnais a en a évoqué le contenu dans ses
Recherches et considérations sur les finances de
France. Mais Sully a-t-il lu l’ouvrage ? En a-t-il
seulement lu la préface ? « Sully avait repoussé les
propositions du brugeois Simon Stevin qui avait
adressé à tous les Etats de l’Europe un projet de
comptabilité en partie double » écrit Victor de
Swarte, sans livrer ses sources, que ce soit à propos
du « refus » de Sully ou de l’envoi de l’ouvrage « à
tous les Etats de l’Europe ». Selon Delepierre,
« Stevin jouit de l’estime et de l’amitié de Sully et
Henri IV le complimenta sur ses vastes
connaissances », mais là encore l’auteur n’indique
pas ses sources.
Quoi qu’il en soit, les arguments présentés à Sully,
qui se retrouvent d’ailleurs développés dans
l’ouvrage au chapitre intitulé « origine de la
description de ce livre de compte », transcription
d’un colloque entre Stevin et Maurice de Nassau,
sont ceux qui seront utilisés par tous les avocats de
l’introduction du mécanisme de la partie double
dans les finances de l’Etat. Si la façon de compter
par recette et dépense, assortie des contrôles censés
l’accompagner, permet normalement de vérifier
qu’il n’y a eu, de la part des comptables, ni
dissimulation de recettes ni doubles emplois, elle ne
permet nullement de connaître, à tout moment,
l’état de leurs caisses, et d’éviter que ceux-ci ne
s’enrichissent aux dépens de l’Etat en retardant
leurs versements. Au Prince qui lui demande
« comment on sçaura toujours quel argent les
receveurs ont en casse », Stevin répond : « on luy
commandera d’envoyer chasque mois toutes les
parties de recepte et mise qui en celuy mois se sont
actuellement fait, lesquelles estant par le teneur de
livre transportées au grand livre, la reste qu’il doit
avoir en casse sera continuellement (comme du
cassier) devant les yeux». C’est, à peu de choses
près, le dispositif que les frères Paris* mettront en
place en France entre 1716 et 1726.
Le Livre de compte de Prince est divisé en deux
parties : le « livre de compte de marchand selon la
manière d’Italie » et le « livre de compte de Prince
à la manière d’Italie ». La première constitue un
exposé très didactique de la méthode de tenue des
livres en partie double, dans lequel la notion de
profit annuel est très bien explicitée, comme somme
des soldes des comptes « qui augmentent ou
diminuent le capital ». Un compte « estât ou
capital », correspondant au compte bilan* d’entrée
ou balance* d’entrée que l’on trouve dans d’autres
manuels, est dressé en fin d’année et repris à
l’ouverture des livres de l’année suivante. La
différence entre son solde et celui qu’il avait à la fin
de l’année précédente donne le résultat de l’année.
Stevin présente ensuite une « preuve d’estât », qui
n’est autre que le compte « prouffit et perte » dont
le solde est bien égal à ce résultat.
La seconde partie comprend trois subdivisions : le
« livre de compte en domaine à la manière
d’Italie », qui traite de la comptabilité des recettes
ordinaires, le « livre de compte de despense de
Prince à la manière d’Italie » où il est traité des
dépenses ordinaires et enfin le « livre de compte en
finance extraordinaire à la manière d’Italie »
consacré aux recettes et dépenses de cette nature.
Le «livre de compte en domaine» s’ouvre sur
diverses définitions et précisions relatives à la
fiscalité et aux finances, à destination des teneurs de
livres « en marchandise » qui souhaiteraient
s’initier à la matière. Ceux qui désirent un
complément d’information sont renvoyés à toute
une série d’ouvrages et de recueils de textes
français : le Vestige des finances (1527), Le Guidon
général des finances de Jean Hennequin (1585), les
Annotations de Vincent Gelée sur le Guidon
général des finances (1593), le Traité des tailles de
Jean Combes (1575), le douzième des Vingt livres
du Code d'Henri 111 (1599), consacré au
fonctionnement de la Chambre des comptes, et
enfin à un Recueil des finances, que nous n’avons
pas réussi à identifier précisément mais qui est
peut-être le Recueil des reiglemens, edicts,
389
 ordonnances et observations sur le faict des
finances, publié lui aussi en 1599. Par le biais de
ces ouvrages, Stevin possédait une bonne
connaissance des institutions françaises et il y fait
très souvent référence, pour tout ce qui relève de
l’organisation des finances et de ses procédures.
Ce livre, tout comme les deux qui le suivent,
présente ensuite les jeux de comptes utilisés, en
fonction des nomenclatures de recettes et de
dépenses retenues — proches de celles que l’on
retrouve chez Jean Hennequin —, puis un exemple
de journal donnant les différentes écritures à
réaliser dans l’année, jusqu’à la clôture des
comptes, accompagné du grand livre correspondant.
Afin de faciliter l’enchaînement des exercices,
Stevin préconise de tenir simultanément deux séries
de livres. Les livres de l’année N ne sont clôturés
qu’à la fin de l’année N+l « car ce qu’alors il y
restera sera apparemment peu et il n’y aura guères à
escrire pour transporter aux livres d’une année
suivante », alors même qu’un ensemble de
nouveaux registres — journal et grand livre — est
mis en œuvre au 1er janvier N+l, mais dont les
comptes ne seront clôturés qu’à la fin de l’année
N+2. Ce n’est donc qu’au 1er janvier N+2 que l’on
reprend les créances de l’année N qui ne sont pas
encore recouvrées. C’est le système de l’exercice*
de vingt-quatre mois qui sera adopté en France au
début des années 1820, à l’instigation du Baron
Louis.
Si le travail de ce précurseur n’eut guère d’écho en
France, il reçut quand même une autre application
que celle qui fut mise en œuvre par Maurice de
Nassau. Selon O. Ten Hâve, sa méthode inspira le
gouvernement suédois qui l’adopta en 1623, ce que
firent également plusieurs villes suédoises, dont
Stockholm à partir de 1643 ; mais Stevin était aussi
le conseiller de Gustave Adolphe en matière
militaire, ceci explique peut-être cela. Y.L.
Voir Partie double
Sources : Combes J., Traité des tailles et autres
charges et subsides, tant ordinaires
qu'extraordinaires qui se lèvent en France et des
offices et estats touchant le maniement des finances
de ce royaume, avec leur institution et origine,
Paris, Morel, 1575. Gelée V. (1593). Hennequin J.
(1585). Le grant stille et prothocolle... (1527).
Mennher de Kempten V., Pratique brifve pour
cyfrer et tenir livres de compte touchant le
principal train de marchandise, Anvers, Van Los,
1550. Pacioli Luca (1494). Recueil des
reiglemens... (1599). Renterghem Barthélémy (de),
Instruction nouvelle pour tenir le livre de compte,
ou de raison, selon la façon et manière d'Italie,...
Anvers, Guislain Janssens, 1592. Stevin S. [attribué
à], Nieuwe Inventie van Rekeninghe van
Compaignie, Delft, Hendricksz, 1581. Stevin S.,
Tafelen van interest, Midtsgaders De Constructie
der selver, Anvers, Plantin, 1582. Stevin S. (1608).
390
Véron Duverger de Forbonnais (1758), vol.2. Vingt
livres du Code d'Henri III de ce nom, Roy de
France et de Pologne, Lyon, Jean Anard dict Jamet,
1599. Ympyn Christoffels J., Nouvelle instruction
et remonstration de la très excellente science du
livre de compte,... Anvers, Gilles Copyns de Diest,
1543.
Bibliographie : Augier, « Sur l’administration et les
réformes financières de Sully», L’investigateur,
journal de l’Institut historique, t. IV, Ile série,
1844, p. 213-228. Delepierre J. O., Résumé
biographique sur Simon Stevin de Bruges par un
brugeois, Bruges, Vandecasteele Werbrouck, 1840.
Devreese J. T., Vanden Berghe G., ‘Magic is No
Magic’. The Wonderful Word of Simon Stevin,
Southampton, Boston, WitPress, 2008. Sarton G.,
«Simon Stevin of Bruges (1548-1620)», Isis, vol.
21, n° 2, 1934, p. 241-303. Secretan C., Boer P.
(den) coord., Simon Stevin, De la vie civile, 1590,
Paris, ENS éd., 2005. Steichen M., Mémoire sur la
vie et les travaux de Simon Stevin, Bruxelles, Van
Dale, 1846. Swarte V. de (1885). Ten Hâve O.
(1976).
Suède
Voir Cabiliau Abraham
Supercession
Voir Partie supercédée
Superrévision
Voir Révision
Surintendant
Administrateur général des finances en France
jusqu’à la suppression de cette fonction par
Colbert* en 1661. Le surintendant de finances
n’était initialement que l’un des intendants de
finances*, institutions créées en 1552 par Henri II.
Son rôle dans la gestion des deniers publics devint
prééminent à partir du règne d’Henri III. Le duc de
Béthune Sully a illustré la fonction en faisant
former chaque année des états du roi* suivant les
indications des états de la valeur des finances
fournis par les Trésoriers de France. En janvier de
chaque année, le surintendant des finances envoyait
à chaque bureau des finances* des extraits de l’état
général du roi, ainsi qu’une copie de ces états du roi
particuliers au Trésorier de l’Epargne*. Ce dernier
recevait les états au vrai* des Trésoriers de France
et formait lui-même pour sa part l’état au vrai du
Trésor de l’Epargne. D’après David Buisseret, ce
sont ces états au vrai de l’Epargne, sous le titre
d’états généraux de recettes et dépenses de
l'épargne, qui sont conservés dans les « Papiers de
Sully» pour 1605-1609. Le surintendant était en
outre le premier ordonnateur du royaume, ce qui lui
conférait un immense pouvoir.
Le mot surintendant s’emploie en Europe pour
désigner toutes sortes d’administrateurs placés au
dessus des intendants, comme en Espagne.
Voir Contrôleur général des finances, Intendant
Sources : AN, 120 AP 2.
Bibliographie : Buisseret D. (1968 et 1984).
Suspens, Suspends
Registre regroupant, sous la forme d'un compte
« neutre » toutes les pièces non inscriptibles en
l'état dans des registres définitifs. Le formalisme
développé à travers temps est tel qu'au XVIIIe
siècle les pièces justificatives* des mouvements de
fonds devaient parfois comporter de multiples
signatures et visas. En l'absence d'un seul, le
comptable ne pouvait inscrire la dépense ou la
recette et la reléguait dans un « registre suspens ».
« Ces suspens s'élevaient quelquefois dans une
seule recette générale à plusieurs centaines de mille
francs; ils étaient représentés dans les mains des
comptables par un immense volume de pièces à
régulariser », écrit Mollien au XIXe siècle.
Dans leur rapport sur la situation du Trésor public
en 1791, les commissaires de la Trésorerie
nationale* évoquent un « état des suspends
contenant les paiements faits et non ordonnancés »
ainsi qu’un extrait du «journal des suspends » qui
« contient toutes les parties non ordonnancées ».
Dans le « Département des dépenses diverses », le
premier commis est chargé des opérations relatives
à la caisse des suspends : « On comprend sous ce
nom des objets de recette ou de dépense casuelles
ou des dépenses momentanées qui doivent
s’évanouir par des rentrées. Il n’aurait pas été
praticable de confondre ces objets dans la
comptabilité ordinaire. Les achats d’espèces sont
dans ce cas». A.D. et S.K.
Voir Partie suspendue
Sources: Mollien (1898), t. 2, p. 64. De la situation
du Trésor Public (1997), p. 97, 99, 174.
Tabelle
Etat des dépenses et revenus conservé dans les
archives des cités et communautés de l’Etat du
Vatican. Par la bulle Pro commissa nobis fulminée
le 15 août 1592, le pape, tout en définissant les
maximes de bon gouvernement, ordonne aux cités
et communautés de son Etat de dresser chaque
année une tabelle. Les villes de Rome et de
Bologne s’y soumettent. La cité d’Avignon
obtempère en 1604 en livrant pour la première fois
une sorte de bilan*, une tabelle répondant aux
exigences de 1592 en réunissant dans un même
document : l’état récapitulatif des dépenses
ordinaires et extraordinaires, la liste des capitaux
dus par la ville avec le nom de ceux qui les
détiennent et le montant de l’intérêt qui leur est
versé annuellement. Le contenu de la tabelle est
ensuite approuvé par les autorités de la légation qui,
par ce moyen, limitent les dépenses autorisées de la
ville aux seuls emplois décrits dans la tabelle. « La
véritable innovation de la tabelle réside dans le
caractère juridique contraignant qui fait d’elle, non
pas seulement un état au vrai* des finances
citadines, mais aussi un budget légal fixant une
norme de la bonne dépense », juge Olivier
Rouchon. En réalité, dans le cas d’Avignon, le
conseil de ville conserva une marge de manœuvre
sur la dépense et ne répondit pas aux obligations
légales d’affectation prioritaire des recettes à
l’extinction de la dette (intérêts et capital) comme le
souhaitait Rome. Il n’en demeure pas moins que la
procédure de contrôle des communautés par la
tabelle se poursuivit. L’intendant* de Provence en
fit part au contrôleur général des finances en 1688 :
« Je croyois que le soin qu’il [le vice-légat
d’Avignon] prenoit d’examiner tous les ans les
dettes revenus et dépenses de ces communautés et
d’ordonner ensuite suivant leurs besoins au bas des
mémoires ou tabelles qui luy étoient présentés par
chacune communauté en particulier dependoit de la
fonction d’intendant ». M.-L. L.
Voir Bilan, Etat
Sources : Boislisle A.M., t. 1 (1874), p. 167, lettre
de Lebret, 7 décembre 1688.
Bibliographie : Rouchon O., « Les tabelles
d’Avignon au XVIIe siècle », in Jamme A. et
Poncet O. (2007), p. 601-639.
Taille
Voir Contrôleur des tailles
Tally
Voir Quittance
Tatarinov, Valerian Alekseevic (1816 -
1871)
Né en 1816 dans une famille noble, Valerian
Tatarinov reçut une éducation dans un pensionnat
de l’Université de Moscou. Il débuta sa carrière à la
chancellerie du Contrôle d’État (Gosudarstvennyj
kontrol). En 1842, il travailla sur l’élaboration de
la nouvelle réglementation sur la révision des
comptes au sein de la Ile section de la Chancellerie
particulière de Sa Majesté Impériale. Il devint
ensuite directeur-adjoint de la chancellerie du
Contrôle d’État en 1850 puis directeur du
Département de la révision des comptes en matière
civile en 1852. C’est alors en cette qualité de
praticien et expert du domaine de contrôle qu’il prit
part à la réforme budgétaire et comptable
d’Alexandre 11 (1855-1881).
Tatarinov en fut en fait la cheville ouvrière. En
1855, il fut envoyé, avec l’appui du grand-duc
Konstantin Nikolaevic, dirigeant le ministère de la
Marine, dont il était de l’entourage et partageait les
391
 idées libérales, à l’étranger avec la mission
d’étudier l’organisation financière et comptable des
principaux pays européens. Après un séjour de deux
ans en France, en Belgique, en Autriche et en
Prusse, il présenta des mémoires sur chaque pays
visité, complétés d’une note de synthèse
comparative. Ces documents sont loin d’être de
simples rapports mais témoignent d’un intérêt réel,
de compétences et de l’implication personnelle de
leur auteur dans le travail accompli. Ils furent édités
intégralement en 1858 (la deuxième édition eut lieu
en 1881). De même, au cours de son voyage
Tatarinov put rassembler une nombreuse
documentation juridique et comptable des autres
pays, qui allait lui servir plus tard de précieux
matériaux pour la préparation de la réforme. Mais
essentiellement il revint au pays avec un plan de
réforme réfléchi et cohérent, affiné de la
connaissance des expériences étrangères et
s’appuyant sur son analyse des difficultés
constatées dans le fonctionnement des finances
russes de l’époque.
Les propositions formulées par Tatarinov
signalaient la nécessité d’apporter plus d’uniformité
dans les budgets de toutes les branches de l’État,
d’instaurer l’unité des caisses, de confier la révision
des comptes de l’ensemble des administrations à
une institution indépendante, qui serait appelée à
apprécier la régularité des actes des comptables
comme ceux des ordonnateurs. Or, tout cela faisait
défaut au système financier russe du milieu du XIXe
siècle, où l’absence de la rigueur dans l’exécution
du budget, la gestion décentralisée de la trésorerie
et un contrôle insuffisant, réalisé en interne au sein
de chaque administration, engendraient des
confusions et des dysfonctionnements ponctuels.
Dans la mesure où la monarchie n’avait pas de
vision d’ensemble sur l’état de ses ressources,
dispersées entre multiples caisses et ne figurant pas
pour leur totalité dans le budget de l’État, elle dut
couvrir la croissance des dépenses par le recours à
l’emprunt extérieur et à l’émission du papier-
monnaie. Cette politique entraîna l’accroissement
de la dette publique qu’il était impossible de
rembourser. Au lendemain de la guerre de Crimée
(1853-1855), dont la Russie sortit perdante, l’État
fut menacé de banqueroute. Alexandre II, monté au
trône en 1855, procéda alors à une série de réformes
destinées à rétablir et à moderniser les finances
russes.
A la suite de la discussion des propositions de
Tatarinov au Conseil des ministres, en présence du
tsar, une Commission suprême de contrôle fut
instituée en novembre 1858 pour travailler sur le
projet de la réforme. Réunie sous la présidence du
comte D. Guriev, chef du Département de
l’économie et des lois du Conseil d’État, elle
comprenait également le conseiller d’État P. P.
Gagarin, le ministre des finances A. Knjazevic, le
contrôleur général de l’Empire N. Annenkov et
392
Tatarinov qui en fut le secrétaire et le rapporteur.
La commission aboutit à définir des principes
généraux qui devaient servir de base à la réforme.
Leur mise en œuvre sera confiée en revanche à une
autre commission, spécialement créée en 1859 au
sein de l’administration de contrôle sous la
direction de Tatarinov. Les travaux qu’elle
accomplit se résumèrent à une série d’innovations
affectant à la fois le travail gouvernemental de
préparation et d’exécution du budget, l’ordre
administratif et comptable, les procédures du
contrôle financier, que nous allons exposer plus
loin.
Le règlement du 22 mai 1862 visait à fixer pour la
première fois un cadre juridique et réglementaire
aux procédures d’établissement et d’exécution du
budget de l’État. C’est un premier grand texte de
droit budgétaire en Russie. Composé de 57 articles
répartis entre six titres, il prônait la vocation
technique que le pouvoir tsariste voulait donner au
budget, en tant que document comptable qui
prévoyait pour l’année à venir l’ensemble des
recettes et des dépenses de l’État. D’ailleurs, le
terme lui-même de « budget », dans son acception
politique, née de la Révolution, que l’on entendait
dans la jurisprudence et la pratique budgétaire
occidentale, n’est pas employé. Le terme utilisé est
celui d’« état » financier prévisionnel et annuel, se
rapportant au vocabulaire habituel de la pratique
administrative russe. Il importe cependant que la
réforme de Tatarinov visât à rompre avec
l’ancienne pratique financière et comptable. Elle
était en train de transformer un budget
techniquement rudimentaire, qui n’était pas jusque-
là revêtu de fonction obligatoire pour
l’administration, en un budget au sens comptable
moderne, prenant la forme juridique d’une « loi de
finances ».
Par le règlement de 1862, le mode de formation du
budget de l’État fut modifié. Chaque ministère
ayant dressé son projet de budget particulier le
faisait parvenir au ministère des finances et au
contrôle d’État vers le 1er octobre. Le ministre des
finances préparait le projet de budget général, en se
souciant d’équilibrer les dépenses et les recettes, et
le soumettait vers le 1er novembre au Conseil
d’État, tandis que le Contrôle d’État, de son coté,
faisait y parvenir ses observations basées sur le
règlement définitif du budget précédent. Une fois
discuté et arrêté au Conseil d’État, le projet de
budget était porté à la sanction de l’empereur. Le
Comité des finances perdit donc son rôle dominant
dans la procédure budgétaire qu’il s’était octroyé
pendant le règne de Nicolas Ier (1825-1855). Cette
tâche fut définitivement attribuée au Conseil d’État.
Le budget impérial, jusqu’ici tenu secret, sera rendu
public à partir de 1862. La monarchie en le
promulguant se préoccupait de restaurer la
confiance de ses créanciers altérée par la crise
financière du début du règne. En l’absence de
transparence dans les finances de l’État, il lui était
difficile de contracter des emprunts sur les marchés
financiers extérieurs. La question de la publicité
budgétaire fut donc posée en ces termes par le
ministre des finances, Knjazevic, dans son rapport
du 27 février 1861. Sûrement partisan de cette
mesure, Tatarinov ne s’y exprima pas ouvertement,
ne voulant certainement pas exacerber la critique
des adversaires de la réforme qui était en cours.
En posant les règles et principes du droit
budgétaire, la réforme visait à limiter la liberté des
administrateurs dans l’utilisation des deniers
publics. Ceux-ci devaient respecter l’affectation
donnée aux crédits mis à leur disposition. Le
règlement de 1862 n’autorisa seulement le report
des excédents des crédits que dans les subdivisions
subalternes de chaque budget, en conservant les
assignations par chapitre. La validité des budgets
devait cesser à la fin de l’année, et par conséquent
les crédits assignés et non consommés tomberaient
en annulation pour revenir au Trésor. Les crédits
supplémentaires ou extraordinaires seront examinés
à la demande des ministères concernés, après avoir
sollicités l’avis du ministre des finances, au Conseil
d’État. Toutefois, le règlement prévoyait une
exception, en stipulant qu’en cas d’urgence
commandée par des circonstances militaires ou
requérant le secret, des crédits extraordinaires
pouvaient être demandés par les ministres de la
Guerre, le ministre des affaires étrangères et le
ministre de la Marine directement auprès du tsar qui
décidait seul de leur attribution.
L’existence de budgets autonomes de territoires
périphériques de l’Empire (la Finlande, le royaume
de Pologne) et de fonds spéciaux de certaines
institutions rompait l’unité du budget russe et
heurtait la primauté du ministère des finances sur
l’ensemble de l’administration financière. L’un des
objectifs de la réfonne était alors de procéder à une
refonte générale des ressources financières inscrites
au budget de l’État. Après avoir examiné la nature
des revenus alimentant les différentes caisses,
Tatarinov établit une liste d’institutions, dont les
capitaux, estimés à plus de deux cent millions de
roubles, étaient destinés à être incorporés dans le
budget de l’Empire. Mais une opposition menée par
des ministères fit consentir des dérogations, après
lesquelles le montant effectif fut réduit à 55
millions.
L’unification des fonds publics, bien que inachevée,
était un préalable à la mise en place de la
centralisation de la trésorerie. Le projet des
nouvelles règles concernant le mouvement des
fonds et le fonctionnement des caisses élaboré par
Tatarinov fut sanctionné en juin 1863.
L’organisation centralisée des caisses fut appliquée
en guise d’expérience d’abord au gouvernement de
Saint-Pétersbourg puis dans le reste du pays à partir
de 1866. Dès lors, les ministères n’avaient plus à
gérer de fonds mais seulement des avances qui leur
étaient versées au compte de leurs budgets en cours.
Les trésoreries provinciales et les receveurs
spéciaux étaient tenus de déposer la totalité des
recettes recouvrées sur le compte général du Trésor
ouvert à la Banque d’État. Le ministère des finances
était ainsi en mesure de suivre directement la
rentrée et l’emploi des fonds et de procurer à tout
moment une connaissance sur la situation des
finances de la monarchie.
Parallèlement au travail consacré au budget et à la
comptabilité publique, Tatarinov, nommé en janvier
1863 au poste de contrôleur général de l’Empire,
s’attela à la réorganisation du Contrôle d’État.
Durant toute son activité il ne cessa de dénoncer ce
défaut majeur du système de contrôle qui consistait
à confier aux ministères et aux chambres de Trésor
provinciales la révision des comptes de leurs
subordonnés, en laissant à l’instance de contrôle
centrale l’appréciation des résultats de leur contrôle.
En réalité, ce mode de contrôle, mis en place par le
statut du 30 décembre 1836, amenait à réduire à
l’impuissance le Contrôle d’État et n’empêchait pas
les abus de se commettre dans les finances
publiques. Dans son projet de réforme, Tatarinov
défendait avec force l’indépendance des contrôleurs
vis-à-vis de l’administration et songea à
l’introduction du contrôle préliminaire sur les
assignations, à la manière dont il s’exerçait à la
Chambre des comptes en Belgique. Mais cette
tentative d’établir un contrôle sur les ordonnateurs
fut écartée par une majorité de ministres réticents,
et finalement la réfonne se consacra à renforcer les
mécanismes de contrôle a posteriori. Treize
chambres de contrôle régionales furent
effectivement ouvertes dès 1865 à travers l’Empire.
Indépendantes des pouvoirs locaux et placées
directement sous les ordres du contrôle d’État, elles
procédaient à la vérification des comptes annuels à
l’appui des pièces justificatives présentées par les
comptables. Dans les années suivantes, le Contrôle
d’État se chargea des contrôles matériels de
l’exploitation des lignes de chemin de fer
construites au frais de l’État, à commencer par celle
reliant Saint-Pétersbourg à Moscou inaugurée par
Nicolas Ier en 1851. Néanmoins, il n’obtint pas la
compétence de réviser les comptes que comportait
la gestion du ministère de la Maison impériale, de
la Chancellerie particulière de Sa Majesté
impériale, du Saint-Synode, ainsi que des villes,
communes et corporations. Après la réfonne, le
contrôleur général participait à la discussion
préalable du budget de l’État et adressait au tsar un
rapport annuel sur les résultats de son exécution, où
il mettait en lumière diverses inégularités et
proposait des mesures susceptibles d’améliorer la
gestion des finances. Dans le but de réduire le
déficit budgétaire, il appelait à réaliser des
économies sur la dépense et à limiter la demande
des crédits extrabudgétaires. Le 14 février 1871,
lorsqu’il était au point culminant de sa carrière,
393
r
Tatarinov décéda brusquement à Saint-Pétersbourg.
Il ne laissa aucune fortune à ses héritiers, qui se
virent alors attribuer selon l’ordre du tsar une
allocation de cent milles roubles. N.P.
Sources: Tatarinov V.A. (1858). Preobrazovanie
gosudarstvennoj otcetnosti v Rossii, (1861-1863).
PSZ, t. 37, n° 38309 («Pravila o sostavlenii,
rassmotrenii, utverzdenii i ispolnenii
gosudarstvennoj rospisi i finansovyh smet
ministersv i gravnyh upravlenij, vysocajse
utverzdennye 22 maja 1862 goda»).
Bibliographie: Alysevskij N. Y., (1881). Blioch
I.S. (1882). Golovacev A.A., Desjat’ let reform,
1861-1871, Saint-Pétersbourg, Vestnik Evropy,
1872. Gosudarstvennyj kontrol’ (1911).
Jasnopolskij L.N. (1912). Kaskarev M. P. (1891).
Konjaev A.I. (1957). Lebedev V.A., Finansovoe
pravo, Saint-Pétersbourg, t. 1, vol. 2, 1891.
Nikol’skij D.V. (2003). Platonova N. (2007c et
2007d). Pogrebinskij A.P., Ocerki istorii finansov
dorevolucionnoj Rossii, Moscou, Gosfinizdat,
1954. Sakovic V.A. (1898 et 1908).
Torregrosa, Pedro Luis de (1522-1607)
Promoteur de la première tentative de dresser des
comptes généraux des finances royales espagnoles
en partie double en 1592.
Issu d’une famille de marchands aisés de Séville,
où il a exercé la charge d’échevin, Pedro Luis de
Torregrosa est très tôt intéressé aux finances
royales. Il reçoit des missions de confiance dès le
milieu des années 1550, comme d’assurer le dépôt,
la transformation en monnaie et l’acheminement de
l’argent des mines de Guadalcanal. Il entre dans
l’administration des finances royales comme facteur
de la Casa de contrataciôn de Séville en 1559-
1562, ce qui fait de lui l’un des trois responsables
de cet organe chargé de gérer les flux de métaux
précieux venus d’Amérique et le commerce
transatlantique. D’après ses fils, il consacre les
années suivantes jusqu’à 1573 à ses affaires
personnelles, comme une banque privée à Séville.
Toutefois, la plupart de ses activités demeurent des
affaires de finance. Il figure ainsi parmi les cautions
de grands partisans génois dans les années 1560 et
afferme plusieurs droits de douane du roi. À partir
de 1573, il est chargé de les administrer en régie
directe, avant de devenir l’administrateur des
alcabalas de plusieurs localités, revenant ainsi dans
le giron des finances royales. Ses bonnes relations
avec le Président du Conseil des Finances Juan de
Ovando font qu’il est alors souvent sollicité pour
donner son avis sur des questions de politique
financière, comme l’alternative entre le monopole
ou la pluralité des banques à Séville (années 1580),
la régulation des foires de Vieille Castille (1583),
les projets de banques de crédit des années 1590.
Considéré comme un homme de confiance, il est
chargé d’examiner la reddition de comptes de
394
Melchor de Herrera, ancien Trésorier Général et
partisan du roi, entre 1582 et 1585, une opération
aussi bien politique que financière. Il remplit des
missions similaires pendant les dernières années du
règne de Philippe II et au début de celui de
Philippe III (1589-1621). Il est enfin à l’origine de
la frappe de monnaie de billon mise en œuvre au
début du XVIIe siècle pour éponger la dette du roi.
L’idée d’un compte général des finances royales en
partie double, qui serait confié à Torregrosa, date
du milieu des années 1570, d’après un récit
contemporain étudié par Esteban Hernandez Esteve,
sans que l’on connaisse la teneur des discussions
qui ont lieu à l’époque. Jusque-là, la partie double
n’était en usage que dans des secteurs bien
délimités des finances royales, tels les comptes des
mines de Guadalcanal ou les arrivées de métaux
précieux de la Casa de la Contrataciôn. Le projet de
Torregrosa est plus ambitieux, puisqu’il s’agit de
faire tenir en un seul grand livre toutes les
opérations des finances royales.
Une première tentative est faite en juillet 1580,
quand le roi charge Torregrosa de préparer un
« livre de caisse », soit un grand livre* relié, dans
lequel il tiendrait le compte général et particulier
des finances royales. Tentative infructueuse,
comme l’indique la cédule du 2 novembre 1592 par
laquelle Philippe II confirme cette première
nomination : « Parce que quelques ministres
auxquels vous avez demandé, dans des plis signés
de votre nom, de vous rendre compte et raison des
restes qu’ils devaient et avaient à leur charge, et qui
étaient obligés de le faire conformément à ma dite
cédule [celle de 1580], vous ont opposé quelques
difficultés et autres obstacles et ne vous ont pas
donné ce que vous leur demandiez, vous n’avez pu
continuer et tenir ledit livre de caisse».
La seconde tentative se produit donc en 1592,
pendant les quelques mois où, fort de la récente
concession du premier service des millions en
Castille, le roi d’Espagne tente de trouver des
solutions alternatives aux grands partis des Génois
pour financer ses guerres en Europe. Ce n’est en
effet pas un hasard si, à la même époque, depuis
février 1592, le Génois Tomâs Fiesco est chargé, en
tant que Facteur Général du roi, d’assurer à la place
des partisans les remises d’argent aux Pays-Bas et
la monétisation des barres de métal. Les comptes du
même facteur sont tenus en partie double et,
quelques mois après son institution, Fiesco
demande d’ailleurs au roi l’autorisation d’accéder
aux états de tous les coffres du roi, afin de connaître
les fonds disponibles pour réaliser ses opérations.
Or, Fiesco est l’un des rares ministres favorables à
l’initiative de Torregrosa. Il s’agit bien de dresser
un bilan de la situation de tous ceux qui sont en
affaires avec le roi, afin de permettre à celui-ci de
savoir de combien d’argent il dispose, mais aussi,
de pouvoir envisager d’éventuelles poursuites. Des
efforts sont faits pour soutenir l’entreprise.
Quelques mois avant la nomination de Torregrosa,
a été publié le livre de Bartolomé Salvador de
Solôrzano, dont le parrain est apparenté à
Torregrosa. Ce traité, Libro de caja y manual de
clientas de mercaderes y otras personas, con la
declaraciôn dellos (1590), se présente comme un
manuel de tenue des livres en partie double destiné
avant tout aux marchands. Cependant, l’auteur écrit
aussi pour « rois, Princes et grands seigneurs ». De
fait, le livre répond aux projets de la monarchie, qui
encourage la publication. Le texte, dédié à
Philippe II, est précédé d’une approbation de Pedro
Luis de Torregrosa qui va bien au-delà de l’accord
formel : « Moi, Pedro Luis Torregrosa, je dis que
j’ai vu le livre spécifié ici dont Votre Altesse m’a
commis l’examen, et je trouve que ce style de livre
de caisse et journal est facile et que c’est ainsi que
l’on écrit les comptes avec la plus grande clarté, le
plus grand ordre et la plus grande résolution, en
particulier chez les hommes d’affaires, et c’est de
ce style et d’aucun autre qu’usent toutes les nations
que l’on connaît. Et grâce à lui on comprend [les
comptes] plus facilement et avec une plus grande
ponctualité, et il est utile non seulement pour les
propriétaires des livres, mais aussi pour tous ceux
qui sont ou peuvent y être intéressés, et pour bien
faire voir et que l’on comprenne mieux si dans ces
livres il peut se trouver une chose qui soit moins
sûre ou qui ne soit pas vraie, car on ne peut pas y
écrire quoi que ce soit qui ne le soit pas sans que
cela se voie et se remarque bien plus facilement que
si l’on suivait l’ordre des livres de feuillets percés
et reliés, ou d’autres [styles] qui ne soient pas celui
du journal avec son livre de caisse : lequel [style]
convient fort à toute la république, et en particulier
aux rois et Princes et à ceux qui en leur nom
administrent la justice, et si ce n’était pas le cas, il
n’aurait pas été approuvé et reçu par toutes les
nations». En d’autres termes, c’est avant tout
l’instrument d’un meilleur contrôle des comptes
que cherche à promouvoir Torregrosa, puisque l’on
ne peut rien écrire qui « ne soit pas vrai », une
qualité souvent reconnue à la partie double. Les
livres de feuillets percés et reliés sont ceux qui sont
en usage dans les redditions de comptes de
l’administration des finances royales. La forme
renvoie à une autre méthode de tenue des livres, la
comptabilité en recette, dépense et reprise*. Elle
présente l’inconvénient majeur de faciliter la
fraude*, puisqu’il est facile de remplacer un feuillet
par un autre.
Le bureau de Torregrosa se met rapidement en
place. Constitué de quatre officiers et quatre
commis aux écritures, comme c’était prévu en
1580, il est chargé de tenir un compte englobant
tous les comptes suivants : alcabalas et tercias ;
services ; autres recettes ordinaires et
extraordinaires ; remises des Indes pour le roi ;
produit des amendes et autres peines pécuniaires ;
produit des restes* établis par la Grand Chambre
des comptes ; produit des revenus des Ordres
Militaires ; produit des trois grâces ecclésiastiques
(bulles de la Sainte Croisade, Subsidio et Excusado)
et autres contributions qu’accordera le Pape ;
produit des expédients financiers de toutes sortes
(ventes, changes, etc.) ; compte de tout ce qui est
inscrit et comptabilisé dans les livres des
contrôleurs de la raison* ; compte de tout ce qui a
été remis à des hommes d’affaires en vertu de
l’accord de 1577 qui a suivi la suspension des
paiements de 1575 ; compte des accords particuliers
pris avec des gens d’affaires des Pays-Bas ; compte
de toutes les affaires particulières qui pourraient
concerner le patrimoine royal ; compte de toutes les
charges que l’on aura contre le trésorier général*,
contre tout trésorier, payeur, receveur pour toute
recette qui leur aura été confiée et de toutes les
assignations pesant sur ces recettes. Il s’agit bien de
tenir un compte général « sans qu’il y manque
rien » susceptible de rendre compte au roi de l’état
de ses finances à tout instant. Le bon
fonctionnement du nouveau bureau suppose que
chacun des contrôleurs des différentes recettes et
dépenses du roi collabore avec Torregrosa en lui
remettant la documentation nécessaire.
La tentative donne quelques résultats. Le nouveau
bureau, appelé tour à tour « du livre général des
finances royales » et « du livre de caisse des
finances royales », entre en fonctionnement. Une
« Relation des livres de caisse et manuels et autres
livres reliés de l’office du contrôleur des comptes
Pedro Luis de Torregrosa » confectionnée au début
de l’année 1597 indique que plusieurs livres sont
prêts, accompagnés de livres auxiliaires, registres,
livres de copie de lettres, etc. Ainsi, Esteban
Hernandez Esteve indique que quatre livres de
caisse (ou grands livres) et plusieurs manuels (ou
journaux) sont tenus, puisque l’on tient différents
journaux selon les secteurs d’activité. Le bureau
conserve aussi les liasses de feuilles percées et
reliées remises par les autres contrôleurs dont il faut
transcrire l’information dans le livre de caisse.
D’après le dernier titulaire de l’office de contrôleur
du Livre de Caisse des Finances Royales, Francisco
de Molina (1614-1621), l’ensemble repose sur un
jeu de journaux différents dont toutes les parties
sont reportées dans un unique grand livre : deux de
la raison « dans lesquels on donne raison des
documents concernant les maravédis distribués
pour le compte du roi et de ceux reçus pour son
service, comme les grâces, aumônes, partis, ventes
et autres choses de cette qualité », sans que l’on
sache s’il s’agit de deux journaux différents ou du
même journal recopié à l’identique ; deux journaux
de relations, où sont couchées « les parties* qui
concernent les recettes royales, par débits ou crédits
des trésoriers, receveurs et percepteurs de celles-ci,
ainsi que ce que doivent ou doivent avoir les
titulaires de juros perpétuels ou viagers » ; deux
journaux concernant les alcabalas (l’impôt sur les
395

ventes) ; un journal des trois grâces ; un du produit
des peines de la Chambre de Castille ; un de la
Grand Chambre des comptes, qui détaille les
dépenses de ce tribunal et les soldes des comptes de
tous les particuliers qui ont rendu des comptes
devant lui ; un journal des juros où figurent tous les
rachats de juros et leurs ventes. Le récit cité par
Hernandez Esteve indique que le livre de caisse ou
grand livre comporte un compte par recette fiscale,
qui distingue les districts de perception, et un
compte par particulier débiteur ou créancier du roi.
Il est suivi d’un abécédaire comportant le numéro
de folio de chaque compte, classé par prénom et par
nom. Enfin, l’indication des dates et des numéros
de folios permet de passer du grand livre aux
journaux et inversement. Aussi, dit un
contemporain, « on peut voir rapidement l’état de
n’importe quel compte ». Malheureusement, il a été
impossible de retrouver l’ensemble des cinq ou six
cents livres décrits ici, les chercheurs devant se
contenter d’inventaires.
Les difficultés rencontrées pour trouver les archives
du bureau du « livre de caisse » sont peut-être liées
à la disparition de ce dernier. En effet, la réforme de
1592 rencontre l’hostilité dès le début. Elle a été
précédée d’un examen contradictoire. Plusieurs
membres de la Grand Chambre des comptes et du
Conseil des Finances sont à l’origine d’un mémoire
de vingt-cinq objections, transmis par le Président
du Conseil des Finances à Torregrosa sur ordre du
roi. C’est alors que Torregrosa bénéficie du soutien
de quelques ministres, comme Tomâs Fiesco. Une
fois créé son office, Torregrosa se heurte à deux
formes d’opposition, en partie liées entre elles. La
première est celle des responsables de la tenue des
livres de recettes et de dépenses particulières, qui
diffèrent leur réponse -— le Président du Conseil
des Finances doit leur rappeler leur obligation de
collaborer en mars 1593. Le conflit porte sur l’ordre
de préséance à établir entre tous les contrôleurs.
Ainsi, le Conseil des Finances doit préciser en
janvier 1593 que dans les documents communs,
Torregrosa signera juste après les chefs de la Grand
Chambre des comptes et les contrôleurs des
comptes de la Croisade, mais avant les Contrôleurs
de la Raison et tous les autres. La disposition est
réitérée en octobre 1596 et en 1602, preuve qu’elle
a suscité des réticences. L’autre opposition, plus
diffuse, serait venue des gens d’affaires, peu
disposés à accepter la mise en place d’un mode de
contrôle permettant de recouper leurs diverses
opérations et de mettre à jour leurs bénéfices. Les
liens entre les membres de la Grand Chambre des
comptes et le Conseil des Finances d’une part et les
gens d’affaires de l’autre, mis en lumière par une
visite des deux organismes à la fin du XVIe siècle,
comme l’a montré Margarita Cuartas, autorisent à
croire que c’est aussi pour défendre les intérêts des
financiers que les officiers des livres de comptes
protestent.
396
A la mort de Torregrosa en 1607, son neveu et
premier officier assure l’intérim, mais n’obtient pas
le titre de son oncle. Celui-ci est donné en 1608 à
Miguel de Ipenarrieta, contrôleur des restes* de la
Grand Chambre des comptes. La faveur dont
bénéficie ce dernier, protégé du duc de Lerme
(favori du roi), pourrait être un indice de l’intérêt
que la monarchie accorde encore au bureau du
« livre de caisse ». On en sait moins sur les
dernières années de fonctionnement de ce bureau et
sur les raisons explicites que se donnent les
conseillers de Philippe IV pour le supprimer. En
effet, Francisco de Molina succède à Ipenarrieta de
décembre 1614 à novembre 1621, date à laquelle
Philippe IV (1621-1665) supprime le bureau du
« livre de caisse ». Il serait intéressant de savoir si,
outre des conflits de clientèles qui ont pu jouer à
l’avènement de Philippe IV, comme dans d’autres
secteurs de l’administration, les nouveaux
gouvernants ont cherché à établir des compromis
avec les groupes lésés par la réforme de Torregrosa
(les gens d’affaires ?) et / ou à modifier la nature du
contrôle financier. D’après Hernandez Esteve, cette
suppression est surtout la sanction d’un arrêt
progressif de l’activité du bureau créé par
Torregrosa. A.D.
Sources : Salvador de Solôrzano B. (1590).
Bibliographie : Cuartas Rivero M. (1984).
Hernandez Esteve E. (1985 et 1986).
Toscane
Voir Dépositaire général
Traitant, traité
Le traité de finances est un contrat signé en conseil*
entre le pouvoir royal d'une part, et un prête-nom
qui représente la personne qui se charge d'exécuter
ce contrat d'autre part. Cet exécuteur s'appelle le
traitant. Les termes équivalents sont asiento et
asentista en espagnol, assiento en italien ou
Pacht(steuer) dans les pays germanophones. En
France, on employait également le terme de
« parti », contrat financier dirigé par un
« partisan ». Selon le dictionnaire de Trévoux
(1771), l’expression «traitant» est en effet «un
nom qu'on donne maintenant aux Gens d'affaires
qui prennent les Fermes du Roi & se chargent du
recouvrement des deniers & impositions : c'est au
lieu de celui de Partisan, qui est devenu odieux ».
L’origine de ce type de contrat serait lombarde. Les
marchands italiens sont entrés dans les affaires de
finances en avançant les sommes de la recette
attendue d’un nouvel impôt, de l’exploitation d’une
mine, d’une vente..., dont ils tiraient pour eux-
mêmes les bénéfices en procédant à la réalisation
du contrat. Le défaut de numéraire obligeait les
souverains à multiplier en temps de guerre ces
affaires dites « extraordinaires » en engageant aux
traitants ou « financiers » les revenus de l’Etat et le
patrimoine de leur Couronne. En 1524 par exemple,
les Fugger prirent à ferme les revenus de la
Couronne espagnole tirés des trois grands ordres de
chevalerie (Saint Jacques, Calatrava, Alcàntara)
dont le roi était le grand maître. L’attribution du
traité se faisait par adjudication* à un particulier ou
un groupe de capitalistes qui partageait les parts
divisibles et cessibles d’une même affaire. Le
pouvoir encourageait les enchères et promettait une
remise* substantielle au vainqueur. Dans le détail,
les dispositions pécuniaires variaient
considérablement d’un traité à l’autre selon la
nature de l’affaire (levées de taxes ou d’impôts,
vente d’offices, vente de rentes...), la zone
géographique sur laquelle elle s’étendait,
l’importance du montant en jeu. Les articles du
traité prévoyaient, outre le chiffre global et la
remise*, la somme à payer comptant*, le nombre de
versements ultérieurs et donc la durée du contrat.
Au XVIIe siècle en France, les contrats rapportaient
en moyenne 100 000 à 1 000 000 de livres, le
signataire obtenait 20 à 30% de remise*, versait
moins de 10 % du montant global au départ, soldait
le reliquat* en 5 à 8 versements espacés de deux à
trois mois. Pour garantir sa solvabilité, le traitant
présentait des cautions*. Une fois le traité vérifié et
enregistré, il procédait au recouvrement des deniers,
le plus souvent par sous-traités. L’édit de juin 1700
portant sur les traitants, sous-traitants, leurs
cautions, participes* et intéressés précise les
obligations de chacun. Le sous-traitant rendait
compte de sa gestion* par devant le traitant qui
rendait lui-même compte par devant l’autorité
compétente. Contrairement au receveur fiscal
permanent qui pouvait rendre un compte de clerc-à-
maître*, le traitant administrait sa recette par forfait
et se trouvait donc pleinement responsable des
pertes subies pour non-valeur*, pertes pour
lesquelles il ne pouvait réclamer de reprise*. Ces
pertes pouvaient être assez élevées étant donné
l’aversion que les financiers provoquaient.
Inversement les bénéfices faits dans l’opération
étaient partagés entre associés, mais ne rentraient
pas dans les caisses royales. Pour cette raison, le
mode de gestion par traités tendit à disparaître au
XVIIIe siècle comme une forme de crédit
archaïque. En Autriche, les partisans fournirent
sous cette forme les 2/3 du crédit accordé à la
Chambre des comptes* au début des années 1660,
mais leur part relative ne représente que 50 % du
total pendant la guerre de Hollande, 25 % en 1694-
1695 et 12 % en 1699. La poursuite des traitants
pour malversation* était toujours délicate car elle
entamait le crédit des souverains auprès des
financiers. Les Chambres des comptes* réglaient
les litiges, soit ordinairement, soit par commission
extraordinaire, nommée « chambre de justice »* en
France. M.-L. L.
Voir Adjudication, Affermage, Chambre de justice.
Entrepreneur, Ferme, Financier, Gens d’affaires.
Participe, Remise
Source: Dictionnaire de Trévoux, t. 8 (1771). p.
141.
Bibliographie : Bayard F. (1988). Bérenger J.
(1975). Chauleur A. (1964). Dessert D. (1984).
Dubet A. (2008).
Traites de la Marine
La comptabilité de la Marine et des Colonies
comporte des dérogations aux règles de la
comptabilité publique en France. Les dépenses à
bon compte* comprennent dans l’Année les
appointements des officiers et les masses, qui sont
payées avant d’être liquidées. Cette dérogation
considérable à la règle de l’ordonnancement
préalable ne s’étend pas à la Marine. En revanche,
les troupes des deux départements militaires sont
soldées par forme de prêt (paiement tous les cinq
jours), c’est-à-dire que le paiement se fait avant
service fait. Le paiement avant ordonnancement,
dans la Marine, prend la forme des traites. On a
écrit qu’elles remontaient à Colbert, mais ni
l’ordonnance du 15 avril 1689 ni celle du 25 mars
1765 qui la remplace en partie n’en disent mot.
Leur existence est en fait liée au remplacement des
officiers de plume sur les vaisseaux et dans les
escadres par des officiers de marine en 1776, et
surtout à la perspective d’une guerre sur mer loin de
la France ; elles permettent aux bâtiments en
campagne de faire acquitter leurs dépenses en
l’absence de tout comptable* sur les lieux.
L’une des ordonnances du 27 septembre 1776 et
l’épais mémoire annexé (avec formulaires)
définissent les fonctions de ces officiers de marine
dits de détail. Le mémoire, rédigé pour un vaisseau
isolé, prévoit les dépenses suivantes : 1° achat de
munitions navales, journées d’ouvriers et
d’hôpitaux ; 2° acomptes versés aux officiers ou
aux membres de l’équipage, lorsque la campagne
est longue (la délégation de solde est en usage
depuis Colbert) ; 3° achat de vivres et de
rafraîchissements. L’ordonnance envisage quatre
cas : le ravitaillement dans un port de guerre de
France, dans une colonie française, dans un port
étranger où réside un consul de France, dans un port
étranger sans consul de France. L’intendant ou
ordonnateur dans une colonie passe les marchés
nécessaires ; le consul passe également les marchés,
et l’officier de détail assiste à la procédure, les
signe et les fait viser par le capitaine de son
vaisseau. Le consul acquitte les dépenses au moyen
de lettres de change* tirées sur le trésorier général
de la Marine* en exercice, qui sont faites en double
et visées par le capitaine, de même que les états
acquittés (l’officier de détail garde les doubles).
Dans le dernier cas, l’officier de détail procède aux
achats et les acquitte lui-même en lettres de change,
397
 si le capitaine n’a pas reçu de fonds ou pas assez.
Les bénéficiaires sont l’équipage (acomptes sur
solde), le fournisseur ou le bailleur de fonds du
navire. Le fournisseur fait généralement escompter
les lettres de change par sa banque. L’officier
rapporte un certificat de deux négociants qui
constate le change de la monnaie du pays avec celle
de France et le fait viser par un intendant,
ordonnateur ou consul. Au désarmement, il se fait
rendre compte par chaque maître détenteur de
matériel, en présence du capitaine, des effets perçus
au départ et pendant la campagne, et arrête les
consommations sur son registre ; il remet les
inventaires, registres, rôles, procès-verbaux de
consommation (pour les effets importants), marchés
passés et autres pièces au conseil de marine du port,
qui doit en faire l’examen. Notons pour finir que le
document le plus précieux reste le rôle d’équipage,
qu’il doit chercher à sauver en premier lieu du
naufrage parmi tous les papiers du roi. Si son
vaisseau est pris, il ne doit garder que ses registres,
ses rôles d’équipage et de rations.
Il est question des lettres de change, déjà appelées
traites, dans le règlement rendu pour la Marine le
1erjuin 1788, lors de la formation du nouveau
Trésor royal*. Le règlement rappelle qu’une partie
des fonds destinés à l’administration des colonies
est remise en lettres de change ou récépissés à six
mois de vue. Toutes les dépenses faites par les
vaisseaux sont acquittées en lettres de change tirées
sur l’administrateur du Trésor royal chargé de la
Marine ; elles sont accompagnées d’un état
justificatif des dépenses, visées et approuvées
comme ci-dessus. Les intendants* et ordonnateurs*
de France régularisent ces dépenses lors du
désarmement. Les traites tirées pour dépenses faites
dans les colonies sont à six mois, celles des pays
étrangers, « aux plus longs termes possibles, en se
conformant toutefois à l’usage des lieux ».
Claude-François Blanchard, alors directeur de la
comptabilité au ministère de la Marine, fait
observer que dans les années 1840, les dépenses des
bâtiments en campagne ont atteint 14 millions, soit
de l’ordre de 15 % des dépenses totales de la
Marine sans les Colonies. Jusqu’en 1838, les traites
ont été payées au moyen d’ordonnances de
paiement délivrées par le ministre de la Marine au
moment de leur présentation. Les pièces
justificatives*, produites ensuite, étaient examinées
puis transmises à la Cour des comptes* avec
l’indication de leur rattachement aux ordonnances.
Ainsi l’ordonnancement* devenu préalable ne se
faisait-il pas d’après les pièces, et les comptes de
gestion du payeur central du Trésor étaient jugés
avant l’arrivée d’une partie d’entre elles. Pour
remédier à ce défaut, une ordonnance du 13 mai
1838 (incorporée dans celle du 31) institue un agent
comptable, comptable d’ordre placé près du
ministre de la Marine pour le service des traites. Il
revêt d’un « vu bon à payer » les traites acceptées,
398
qui sont payées pour son compte par le caissier
central du Trésor, il en débite les tireurs et les
crédite à mesure de la remise des pièces
justificatives. Ces pièces sont soumises à une
liquidation ministérielle et donnent lieu à l’émission
d’ordonnances de régularisation pour couvrir le
Trésor de ses avances et dégager la responsabilité
des tireurs ; ces ordonnances prennent place dans
les comptes de gestion de l’agent comptable. Le but
principal, permettre à la Cour de juger les comptes
des dépenses outre-mer en connaissance de cause,
est atteint. Mais, cette fois, les traites sont à
nouveau payées sans ordonnancement préalable, et
celui-ci a lieu la plupart du temps vers la clôture de
l’exercice, époque où les crédits sont trop rares, si
bien que les dépenses à régulariser enflaient d’une
année à l’autre. L’ordonnance du 7 novembre 1845
permet de faire des réserves sur les crédits de la
Marine au fur et à mesure de la présentation des
traites. Le ministre peut également demander un
crédit extraordinaire, si les crédits législatifs ne
suffisent pas. Plusieurs circulaires de cette époque
donnent le modèle de la traite de bord et des
instructions sur la procédure des traites.
Les traites subsistent aujourd’hui dans la Marine,
mais s’appliquent à des montants bien plus faibles,
alors que les paiements par les agents consulaires
restent importants. B.L.
Voir Effet, Lettre de change
Bibliographie: Blanchard C. F., (1849-1859) et
« Service des traites de la marine. Dépenses de
l’extérieur», extrait du manuel financier à l’usage
de la Marine, p. 382-533 et 801-853, Paris, 1860.
Trésor royal
Dépôt général des deniers royaux. Au sens strict, il
s’agit de la caisse centrale où sont versés tous les
fonds provenant des revenus ordinaires et
extraordinaires d’un roi. La constitution,
l’organisation et les fonctions d’un Trésor royal
variaient considérablement d’une monarchie à
l’autre. Si la fonction de « caisse centrale » ou plus
exactement de référendaire unique des caisses, est à
peu près établie partout, plus délicates sont les
questions de savoir qui avait l’autorité et
l’ordonnancement sur les fonds du Trésor,
comment s’en faisait la distribution*, comment se
négociaient les avances, si le Trésor acquittait
l’ensemble des dépenses sur les deniers royaux, si
son administrateur procédait aussi à la vérification
des comptes des caisses subalternes et quelle était la
valeur représentative de ses comptes. Sur ce point,
rappelons que le compte du Trésor ne constituait
pas le compte d’un Etat ou d’une nation, qui ne
peut être formé qu’à partir des balances* des
recettes et dépenses de toutes les caisses publiques.
Il ne faut pas négliger pour autant les efforts
entrepris par les souverains pour unifier la
comptabilité de la dépense publique enregistrée sur
la base des quittances du Trésor. Ce lut le sens de
bien des réformes du trésor, celle George Downing
en 1667-1668, de Victor-Amédée de Savoie (1717),
d’Alberoni en Espagne (1718), de Pombal* au
Portugal (1761), ou de celle de Necker* (1779).
Une « caisse centrale »
A suivre le destin du Trésor royal en France, on
voit bien qu’il forme à partir des réformes de
François Ier une unité d’enregistrement des revenus
et des dépenses ou unité de caisse. Le Trésorier de
l’Epargne désigné en 1523 est chargé d’inscrire en
recettes ce qui revient net des revenus du roi et
d’acquitter les dépenses sur ces fonds sur ordre du
conseil du roi. Unité de caisse et unité de
l’ordonnancement était liées : ces « messieurs des
finances », c'est-à-dire les trésoriers de France (poul­
ies finances ordinaires) et les Généraux de France
(pour les finances extraordinaires) cessèrent d’être
ordonnateurs sur les fonds du Trésor à cette date.
Le trésorier de l’Epargne tenait deux registres, un
pour la recette, l’autre pour la dépense, registres
« contre-rôlés » par deux contrôleurs* (ordonnance
du 12 avril 1547) qui vérifiaient les quittances*
délivrées par le trésorier. Ce dernier comptait par
état au vrai* au conseil et à la Chambre des
comptes*. L’établissement du Contrôle général des
finances* (1661-1664) n’eut pas d’incidence
fondamentale sur l’organisation du Trésor : comme
le Trésorier de l’Epargne, les deux gardes* du
Trésor, commissaires puis titulaires d’offices à
partir de 1689, ne recevaient ni ne dépensaient par
eux-mêmes. La distribution des fonds se faisait par
états du roi dressés par les intendants de finances*
qui procédaient aussi à la vérification des états au
vrai*. La centralisation comptable, tant des recettes
que des dépenses, se poursuivit néanmoins. La
déclaration du 17 octobre 1779 que fit adopter
Necker* confirma la maxime selon laquelle toutes
les caisses* du royaume ne formaient qu’une
émanation du Trésor royal* et imposa aux
comptables de la monarchie de justifier leurs
dépenses sur la seule base des quittances* de ce
dernier.
A cette époque, le Trésor royal ne constituait pas
une administration de suivi et de contrôle de la
comptabilité des caisses subalternes. Le compte du
Trésor n’était pas un grand-livre* contenant les
résultats* de l’ensemble des comptables publics,
même si la fonction de caisse centrale faisait
naturellement apparaître dans ses comptes la
plupart des administrations intermédiaires
gestionnaires des deniers publics. Pour prendre un
autre exemple, le Trésor de Bruxelles, appelé
« Recette générale des finances », fonctionnait
depuis 1531 sur le même principe: le receveur
général des finances enregistrait les recettes du pays
revenant net dans sa caisse, était compétent pour
trois grands types de dépenses (les salaires et frais
de fonctionnement de l’administration de l’Etat, les
dépenses militaires et la dette publique) et se
trouvait sous le double contrôle du Conseil des
finances et de la Chambre des comptes. Malgré les
tentatives de Benoît-Marie Dupuy pour transformer
la Recette générale en un Contrôle général, cette
institution demeura une caisse centrale tout au long
du XVIIIe siècle.
La réforme du Trésor royal en France
Les faillites des trésoriers Baudard de Saint-James
et Mégret de Sérilly (1787) provoquèrent une
refonte tardive et incomplète du Trésor. Loménie de
Brienne supprima en effet les offices des deux
gardes* du Trésor royal, des trésoriers de la
Guerre*, de la Marine* et des dépenses diverses et
unifia pour la première fois leurs fonctions en les
confiant à cinq administrateurs. En réalité, les
premiers hauts fonctionnaires du Trésor n’étaient
pas des inconnus. La caisse centrale, qui recevait
toutes les recettes et réglait toutes les dépenses, fut
confiée à François-Louis-Joseph Laborde de
Méréville, le fils du banquier de la cour, tandis que
les quatre départements de dépenses furent dirigés
par Charles Savalette de Langes (ancien garde du
Trésor), Marie-Sébastien Fontaine de Biré (ancien
trésorier général des dépenses de la Guerre),
Charles-Simon Boutin (ancien trésorier de la
Marine) et Marc-Antoine Randon de la Tour
(ancien trésorier général de la Maison du roi).
Néanmoins, ces administrateurs, issus certes des
familles les plus impliquées dans la gestion de la
monarchie, devaient occuper des fonctions
nouvelles et s’adapter aux exigences
administratives du moment. En premier lieu, un
intendant du Trésor, en la personne de Bertrand
Dufresne*, fut chargé de superviser toutes les
opérations. L’édit de mars 1788 innova encore en
insistant sur les modalités d’acquittement : le
Trésor devint en effet seul comptable de la dépense
publique. Les commis des départements des
dépenses devaient dresser des mandats* timbrés et
numérotés correspondant aux états de distribution et
les parties prenantes* devaient échanger leurs titres
contre ces mandats sur les caisses du Trésor pour
pouvoir être payées. Chaque jour, la liste des
mandats et celle des paiements étaient rapprochées
pour établir la connaissance exacte de la trésorerie.
Cette étape de la conversion des pièces en mandats
devait donc garantir la monarchie contre toute
forme de dérapage des dépenses. En outre, les livres
de la caisse centrale devaient être tenus en partie
double* et au 31 décembre de chaque année, tous
les comptes devaient être arrêtés pour procéder à la
balance* des livres (article 13 du règlement de mars
1788). Chaque soir, les versements de la caisse
centrale vers les quatre caisses auxiliaires chargées
des paiements (caisse des pensions, intérêts et
remboursements des effets royaux, caisse de la
Guerre, caisse de la Marine et des Colonies, caisse
de la Maison du roi, des bâtiments et ponts et
399
 chaussées) devaient être récapitulés, de même que
chaque soir, les paiements effectués dans la journée
sur présentation des états de distribution par ces
quatre caisses devaient être inscrits dans les
journaux de la caisse générale. Le bénéfice d’une
telle réforme devait être considérable : « tous les
boni des départements y restent et peuvent servir
dans un cas imprévu, tandis que si chaque trésorier
en avoit la jouissance, ils les feroient valoir à leur
profit, s’intéresseroient dans des affaires souvent
douteuses, se ruineroient et entraîneroient dans leur
ruine maintes familles comme ont fait Sérilly et
Saint-James ». Le résidu de caisse* des différents
administrateurs restait enfin à la disposition du
caissier central. Ainsi, la réforme sonnait le glas de
la prééminence des grands officiers de finances
dans la gestion publique. Il ne faut donc pas
négliger l’importance de la réforme de l’assemblée
des notables. Elle constitua le dernier effort, bien
tardif, de la monarchie d’Ancien régime pour
transformer le Trésor royal en une trésorerie en
mesure de présenter chaque jour l’état courant des
recettes et dépenses de la monarchie. M.-L. L.
Voir Caisse, Epargne, Garde, Trésor public,
Trésorerie nationale
Sources : AN, D VI, dossier 17, « Note pour
Messieurs du comité de finances ». Règlement
général du roi pour la manutention du Trésor
royal, du 30 mars 1788. Recueil des anciennes lois
françaises..., t. XXVIII, p. 521-524.
Bibliographie : Aerts E., Baelde M., Coppend H.
(1995). HamonP. (1999). Krüger K. (1970).
Trésor public
Le Trésor public désigne, au sens strict, l’ensemble
des fonds accumulés par une personne publique :
les fonds de l’État. Par extension, le terme est aussi
utilisé pour désigner l’administration responsable
du maniement et de la conservation de ces fonds.
Trésor royal ou Trésor public ?
Le terme Trésor royal englobe les finances du roi et
celles de l’État (le service public). En France,
Dufresne* est directeur du Trésor royal en 1789.
C’est avec la Révolution, le 27 mars 1791, que l’on
va distinguer formellement deux finalités des fonds
publics : la liste civile* correspond au Trésor de la
Couronne au sens strict et la Trésorerie nationale*
correspond au Trésor public. La Constitution du 3
septembre 1791 maintient la liste civile tout en la
soumettant au Parlement. Son article 10 dispose :
« La Nation pourvoit à la splendeur du trône par
une liste civile, dont le Corps législatif déterminera
la somme à chaque changement de règne pour toute
la durée du règne». A partir de 1812, le Trésor
impérial réagrège l’ensemble des fonds pour
devenir (redevenir) Trésor royal sous la
Restauration. Signe du caractère libéral du régime,
400
la Monarchie de Juillet réintroduira le Trésor public
le 7 août 1830 à côté de la liste civile.
L 'administration des fonds
Le trésor est entreposé dans des caisses* abondées
par des recettes permettant de couvrir des dépenses.
Plusieurs notions concourent à caractériser la
gestion du Trésor public. L’autorité cherche à
réaliser l’unité du Trésor* c’est-à-dire à mettre en
relation les différentes caisses qui le contiennent. Il
peut s’agir de centraliser les richesses pour éviter le
divertissement des fonds. L’unité du Trésor peut
aussi s’entendre au niveau comptable, il ne s’agit
plus d’une centralisation physique des fonds mais
d’une centralisation comptable des écritures
relatives aux fonds. L’objectif est alors d’éviter la
stagnation des fonds publics chez les comptables
publics. Il convient aussi d’exercer une gestion
régulière du Trésor public. Loin de la régularité
juridique, la régularité de la gestion des fonds du
Trésor public renvoie plutôt à l’idée de continuité
dans l’approvisionnement des fonds. On lit dans
l’Encyclopédie moderne de 1832 une métaphore
bien usée, mais dont l’exactitude excusera la
banalité : le Trésor public peut être comparé à un
immense réservoir dans lequel on rassemblerait
toutes les eaux qui doivent abreuver et arroser un
grand pays. Si l’on attendait pour distribuer les
eaux, que le réservoir fut rempli, quelques canaux
de distribution se tariraient, et la prospérité du pays
en souffrirait. Ce n’est donc qu’à l’aide de certains
artifices qu’on peut entretenir un mouvement
constant, qui remplit par mille conduits le réservoir,
en même temps que celui-ci se vide graduellement
par mille autres conduits. Si le conservateur de ce
réservoir voulait par prudence le laisser s’emplir
beaucoup avant de rendre l’eau à la circulation, il
désolerait le pays ». La gestion de la trésorerie de
l’Etat est un problème crucial. Sous l’Empire, il fut
envisagé de confier le service du Trésor public à la
Banque de France. L’opposition de Bérenger
(directeur de la caisse d’amortissement) et
l’expérience acquise avec la caisse commune* des
receveurs généraux* poussa à la création de la
caisse de service* au sein du ministère du Trésor
public. S.K.
Trésorerie nationale
Instituée par le décret de l’Assemblée constituante
française du 27 mars 1791, la trésorerie nationale
remplaça le Trésor royal* réformé en 1788, pour
satisfaire aux principes politiques du nouveau
régime. En matière comptable, ces derniers se
définissent comme suit : « Les représentants de la
nation fixent le montant des revenus publics d’après
ce qu’exigent le maintien de la sûreté générale et
des droits individuels ; ils connaissent donc
l’étendue et les limites de tous les besoins, et c’est à
eux qu’appartient l’autorité de régler la distribution
générale des produits qui doivent y être consacrés,
d’établir chaque objet de dépense et d’y attribuer
une somme détenninée. L’application de cette règle
générale est confiée aux ministres ; l’exécution en
est remise aux commissaires de la trésorerie ». Ces
principes furent repris dans le plan d’organisation
établi par les six commissaires de la Trésorerie
(Jean de Vaines, Condorcet, Lavoisier*, Rouillé de
l’Etang, Antoine Pierre Dutremblay et Barthélemy
Huber) qui remirent leur rapport en juin 1791. La
première partie de ce plan décrit l’état des bureaux
du Trésor au moment de leur arrivée. La seconde
partie, rédigée par Condorcet (article I) et
Lavoisier* (article II), permet de prendre toute la
mesure de l’accélération de la réflexion politique
appliquée aux finances. La troisième partie enfin
élabore un plan d’organisation idéal qui ne vit pas
immédiatement le jour mais pose les bases
définitives du futur Trésor public. La loi conçut la
Trésorerie nationale comme un organe administratif
indépendant, en confia la direction à un comité de
Trésorerie composé de six commissaires nommés
par le roi et soumis au contrôle de trois députés
chargés d’assister à leurs délibérations, de vérifier
les caisses et les registres. Elle assigna trois
missions au Trésor: contrôler les dépenses (en
encadrant les fonctions d’ordonnancement des
ministres), contrôler la réalité des paiements (en
encadrant les receveurs, puis les payeurs généraux
des 83 départements) et établir une comptabilité de
caisse* courante, tandis que le bureau de la
comptabilité nationale* était chargé de la
comptabilité de contrôle. La Trésorerie nationale
devait « montrer pour chaque jour la situation
générale du Trésor public, pour chaque mois et
même chaque quinzaine la situation particulière de
chaque caisse de recette et dépenses, l’état des
recouvrements de chaque branche de revenus et
celui des versements qui auront été faits dans le
Trésor public*, l’état des dépenses ordonnées et
celui des dépenses acquittées ». Les commissaires
insistèrent sur la nécessité absolue de baser
l’ordonnancement sur les états de distribution*, de
discuter ces états* en comité de trésorerie, de
proscrire les ordonnances particulières, dénoncées
comme l’un des pires abus de l’Ancien régime. Ni
les receveurs* de district, ni les régies* ou
administrations dont le produit n’entrait pas dans
les caisses* de ces receveurs ne furent autorisés à
faire aucun paiement sans l’accord du comité de la
trésorerie. De même, les payeurs* principaux des
caisses de dépenses furent enjoints à suivre
rigoureusement les états de distribution*. Cette
« budgétisation » des dépenses prolongeait l’effort
entrepris depuis Necker* sur ce point. En outre, la
Trésorerie devint le centre névralgique par lequel
devaient passer les comptes des receveurs*, des
contributions directes, des régies* nationales et des
payeurs* dans les départements. Les commissaires*
entendaient suivre très exactement leurs opérations
en établissant une correspondance « directe et
immédiate » avec tous les receveurs*. Ceux-ci,
rappelèrent-ils, devaient souscrire des traités* et
s’engager à fournir mois par mois à la trésorerie le
douzième du montant des contributions tant
foncières que mobilières. Ils insistèrent pour que les
registres, livres, sommiers, journaux* permettant de
suivre la comptabilité locale dans les bureaux de
correspondance soient tenus en partie double*. Les
commissaires se chargèrent donc de la surveillance
du versement des impôts vers les caisses centrales
tout en faisant porter l’attention sur la rigueur avec
laquelle les comptes devaient être tenus. Le compte
du Trésor fonnait ainsi un contrôle de toutes les
comptabilités subalternes, « puisqu’il sert à
constater ce que les autres comptables ont pris ou
versé dans la caisse publique ». Cette subordination
comptable des recettes au Trésor fut confirmée par
la suite ; reprise par la constitution de l’an III, par
celle de l’an VIII, elle fut consacrée par l’arrêté du
6 septembre 1801 (19 fructidor an IX) qui institua
15 inspecteurs généraux du Trésor public* pour
vérifier les comptes des receveurs généraux* et
particuliers et des payeurs*. Une telle activité
supposait d’établir au sein de la trésorerie des
bureaux de vérification* des pièces, service de
comptabilité amené à s’étoffer au temps de
Mollien*. Le « bureau central de comptabilité »
créé en 1791 devait tenir un journal* à parties
doubles* pour les opérations de la caisse* centrale,
un grand-Livre* « qui aura des comptes ouverts
pour chaque section de la Trésorerie, dans lesquels
ils seront débités, jour par jour, des sommes qui
leur seront versées en masse et crédités dans le plus
grand détail de leurs paiements », un registre pour
présenter chaque jour la balance* générale de toutes
les opérations, un grand-Livre* auxiliaire
correspondant par des renvois avec le grand-livre*
général et contenant les divisions des comptes
principaux. Pour suivre la comptabilité des
receveurs* et payeurs*, un second journal et un
second grand-Livre* à parties doubles* furent
montés pour contenir les comptes sommaires des
divers comptables, tant de Paris que des
départements. On soumit également la Trésorerie à
la loi du compte-rendu public des comptes, tous les
quinze jours, croyant ainsi établir le contrôle de
toute la nation sur le maniement des deniers. Ce
principe fondamental fut repris par la législation.
Néanmoins, dans la mesure où la comptabilité de
contrôle établie au bureau de la comptabilité
nationale* fut négligée, la Nation ne sut jamais
comment ses contributions furent gérées.
La Trésorerie nationale continua de fonctionner
telle quelle après la chute de la monarchie. Joseph
Cambon* en renforça même le rôle. Il fusionna la
Trésorerie et la caisse de l’Extraordinaire, chargée
du produit de la vente des assignats, ce qui clarifia
la distinction essentielle entre le papier-monnaie en
valeur et les assignats annulés par les ventes de
biens nationaux ou par les échanges contre des
401
 petites coupures. Le chef du comité de finances
poursuivit en outre la centralisation des comptes. La
loi du 30 germinal an II en particulier exigea que
tous les agents indirects du Trésor royal qui avaient
reçu des fonds publics à titre d’avances*, remettent
leurs comptes et les pièces justificatives à la
Trésorerie nationale. Plus tard, les commissaires de
la Comptabilité nationale de l’an XII jugèrent
sévèrement ces dispositions: « Une loi de germinal
an II, sous prétexte de centraliser à la trésorerie
nationale tous les éléments de comptes, y avoit jeté
la plus grande confusion et avoit paralysé la
vérification réelle et le règlement définitif des
comptes arriérés».
A côté du suivi et de la vérification* des recettes et
dépenses, la Trésorerie fut chargée de la
négociation du numéraire : les commissaires de la
Trésorerie remplissaient les fonctions
d’ordonnateur* pour les frais d’achat du numéraire.
Or, pour financer la guerre, le comité de finances
devait laisser la bride au cou des affairistes, comme
au temps de Louis XVI. Les Mémoires du
commissaire Gaudin témoignent des risques pris
par le Trésor au nom de la République et de
l’enrichissement évident des fournisseurs d’années.
Michel Bruguière lit la chute de Robespierre à la
lumière de ces trafics. De fait, certains des
commissaires de la Trésorerie, « gestionnaires de la
Révolution », faisaient fructifier les affaires de leurs
familles, comme Etienne Rouillé de l’Etang ou le
jacobin François-Victor Aigoin, lié à la banque
Lajard. Leur fonctionnement quasi autonome
contredisait fondamentalement les principes de
1791. Seuls les dirigeants du régime conventionnel
connaissaient les tenants et les aboutissants de ces
tractations. Les avertissements sur les inconvénients
de l’autonomie administrative et politique de la
Trésorerie se multiplièrent au lendemain de
Thermidor. Le traité d’Antoine Levacher-Duplessis
revint sur cette question en dénonçant les
conceptions fausses des députés sur la comptabilité
nationale : « elles sont une des principales causes
du désordre et de la confusion qui règne
aujourd’hui dans les finances ». En 1795, Levacher
exhorta les députés à renoncer à « cette manie de
centralisation » qui rendait les commissaires de la
trésorerie arbitres « absolus » de la fortune
publique. « On ne vit pas que c’était à tort qu’on
vouloit regarder les commissaires de la Trésorerie
comme des agens principaux de la Nation,
lorsqu’ils n’en sont que les trésoriers ..., qu’en
suivant au contraire le système qu’on avoit adopté,
on isoloit la Trésorerie du Gouvernement, on
donnoit aux commissaires une latitude
d’attributions et de pouvoirs qui excédait les forces
de cinq individus». Pourtant, le Directoire ( 1795-
1799) ne parvint pas à purger la situation. Il tenta
bien de remplacer l’assignat par de nouveaux
papiers, les promesses de mandat territorial et les
cédules hypothécaires. Le cours de cette nouvelle
402
monnaie*, trop abondante, chuta rapidement. La
trésorerie finit par acquitter les dépenses en lingots
d’or que l’administration des monnaies lui fournit.
L’échec de cette tentative de renouvellement de la
monnaie est connu. Il précipita la liquidation du
papier, non sans provoquer une grave crise
politique : la Trésorerie délégua cette liquidation
des mandats*, dont elle aurait du se charger, à la
« compagnie Dijon » créée à cet effet par des
affairistes notoires. La Trésorerie, trop habituée
depuis 1791 a négocié les conditions de son
alimentation, fut jugée responsable du marasme.
Les remous politiques de cette affaire Dijon,
dénoncée tant par les royalistes que par les
Républicains au Conseil des Cinq-Cents, aboutirent
au coup d’Etat du 4 septembre 1797 (18 fructidor
an V) et à la mise au pas des commissaires de la
Trésorerie. L’année 1797 constitue donc bien le
point extrême de confusion dans laquelle la
République était plongée. A cette époque, les
besoins réels de la trésorerie s’élevaient par jour à
850 000 livres pour Paris seulement, tandis que le
produit total des recouvrements était évalué à
200 000 livres par jour. La détresse du ministre des
finances, obligé d’interrompre le paiement des
services dans le courant de juin 1797, est
éloquente : « Il est de mon devoir de vous prévenir
que la situation du Trésor public, l’expédition du
service de l’an V, exigent qu’il ne soit plus délivré
d’ordonnances en paiement des objets fournis ou de
dépenses faites au 1er vendémiaire de l’an V. Il sera
statué dans peu de temps sur le paiement de cet
arriéré. Je n’autoriserai en attendant sur vos
ordonnances déjà délivrées que les articles dont les
retards compromettroient le service ».
Le bilan du travail de la Trésorerie restait donc
maigre à cette date. La dépréciation monétaire
entrava les efforts de centralisation comptable.
Mollien*, qui prendra la tête du ministère du
Trésor public*, décrit dans un passage célèbre l’état
général où se trouvait la France à la veille du 18
Brumaire, stigmatisant tour à tour une trésorerie
sans ressources, une monnaie sans valeur, des effets
discrédités, des comptables à la discrétion des soi-
disant banquiers, une matière imposable appauvrie,
une banqueroute* solennelle de 2 milliards et
« enfin, un corps législatif qui était l’arbitre de la
France, demandant sérieusement alors si la
trésorerie ne pouvait pas, pour sortir d’embarras,
imitait les commerçants qui avec un million de
capital, font pour dix millions d’affaires ». La loi du
21 janvier 1800 supprima la Trésorerie remplacée
par une direction du Trésor d’abord dépendante du
ministère des finances, puis érigée en ministère
(1801). M.-L. L.
Voir Bureau de comptabilité nationale, Ministère
du Trésor public, Mouvement général des fonds,
Trésor royal
Sources: AN, AF III 130, dossier 608. De la
situation du Trésor public (1997). Décret du 16
août-13 novembre 1791 relatif à l’organisation de la
Trésorerie nationale, in Duvergier J.B., t. III, 2e éd.
(1834), p. 207-218. Crassous P. (frimaire an VIII).
Gaudin C. (1826). Levacher Duplessis A. (1785).
«Les travaux de la comptabilité nationale...»
(1996).
Bibliographie : Bruguière M. (1986). Bruguière M.
et Fougère L. (1992), p.223-244. Lefebvre G.
(1984).
Trésorier de France
Voir Bureau des finances
Trésorier général (Espagne)
Le Trésorier Général, qui existe en Castille depuis
le début du XVIe siècle, est nettement distingué
dans la documentation des Trésoriers du roi ou de
la reine, même s’il arrive du vivant de Ferdinand
d’Aragon que la même personne assume les deux
responsabilités. Sa fonction consiste à percevoir des
recettes extraordinaires ainsi que le revenant-bon*
des recettes ordinaires et le produit des remises des
Indes — que doit lui remettre la Casa de la
Contrataciôn de Séville. Pour la dépense, il doit
payer les assignations qui lui sont remises par la
Grand Chambre des Finances puis par le Conseil
des Finances et se rendre dans les foires de Castille
pour négocier les opérations de crédit qui
permettent au roi de financer ses garnisons et ses
guerres. La Trésorerie Générale n’implique donc ni
unité de caisse ni unité du trésor*. Le Trésorier
Général n’encaisse pas la totalité des recettes,
dépensées par la caisse qui les a perçues (en
particulier, les rentes annuelles des juros), ce qui ne
veut pas dire que son rôle soit négligeable. D’autre
part, la majeure partie des dépenses est directement
ordonnée aux fermiers et aux receveurs, sans que le
Trésorier Général en soit informé.
Quoiqu’il n’ait pas le maniement de toutes les
recettes, le Trésorier Général est un des piliers du
crédit au roi au XVIe siècle. En effet, une partie
d’entre elles sont moins contrôlées par la Grand
Chambre des comptes, comme les recettes
extraordinaires, ou représentent des liquidités
importantes et facilement mobilisables, comme les
remises des Indes. Son concours est fondamental
pour le paiement des armées. Au début du XVIe
siècle, c’est par lui que passent les remboursements
aux entrepreneurs des gardes chargés de payer les
troupes. Les ambassadeurs vivent de son crédit.
Une de ses tâches les plus importantes est de
participer aux foires de Castille pour y négocier les
emprunts du roi et les rembourser. On s’en doute,
un tel Trésorier n’est pas qu’un exécutant. Le
monarque compte sur son habileté et sur son crédit
personnel pour soutenir le sien. De fait, la plupart
des Trésoriers sont issus du monde du négoce et ont
su tisser des liens avec les receveurs et les fermiers
locaux, mais aussi avec les échevins des villes qui
participent (par le biais de l’abonnement) au
recouvrement d’impôts du roi. Les plus importants
sont aussi des hommes de pouvoir qui comptent sur
un réseau serré de fidélités dans les Grand
Chambres des finances et des comptes, au Conseil
des finances et à la cour, comme l’ont montré, pour
le XVIe siècle, David Alonso Garcia et Carlos
Javier de Carlos Morales. Leur entrée au Conseil
des Finances, depuis sa création en 1523, jusqu’aux
réformes de 1584, est une forme de reconnaissance
du prestige dont ils jouissent. Plusieurs de ces
Trésoriers sont accusés de fraude et démis de leurs
fonctions, épisodes parfois suivis d’une réforme de
la Trésorerie, tels Alonso de Vargas, qui fait l’objet
d’une inspection en 1523, Melchor de Herrera et
Juan Fernandez de Espinosa (1584), ce qui
confirme leur poids dans le système financier
castillan.
Charles Quint puis Philippe II se sont attachés à
contrôler les activités des Trésoriers Généraux.
Entre 1523 et 1525, la Trésorerie fait l’objet de
plusieurs réformes successives, au moment où son
titulaire, Vargas, est soumis à un contrôle rigoureux
de ses comptes, tout en continuant son activité et en
prêtant au roi pendant quelques mois. La procédure
utilisée pour le contrôler est exceptionnelle,
puisqu’il est sommé de remettre tous ses livres,
journaux* compris, et de jurer que le compte qu’il
rend est définitif. Vargas ne cessera d’alléguer son
droit à compléter ses comptes, à mesure que les
acquits définitifs lui parviendront, et de corriger ses
erreurs*. Poussé à la démission, il est remplacé
pendant quelques mois par Alonso Gutiérrez de
Madrid, qui porte alors le titre de receveur Général
et envoie dans les provinces des receveurs
particuliers qui forment une seule caisse avec lui.
Les promoteurs de cette tentative s’inspirent des
quatre receveurs Généraux des Pays-Bas espagnols,
selon Ramôn Carande. Cela dit, David Alonso a
montré que les attentes de Charles Quint à l’égard
de ce nouveau Receveur ne le distinguaient guère
du Trésorier Général qui l’avait précédé : il ne
s’agit pas de remettre tous les fonds des recettes
ordinaires à Gutiérrez de Madrid, mais d’obtenir de
lui qu’il pallie aux retards du recouvrement en
obtenant des crédits des financiers. De fait,
Gutiérrez de Madrid offre de verser un forfait
hebdomadaire. Le résultat est peu probant, les
impayés s’accumulant. Dès 1525, l’on revient à la
Trésorerie Générale existante. Le Trésorier rend ses
comptes, comme autrefois, devant la Grand
Chambre des comptes, mais il est invité à le faire
chaque année. Des précautions supplémentaires
sont prises au cours de la procédure entamée contre
Melchor de Herrera, ancien Trésorier Général, en
mai 1584. D’une part, le titulaire de la Trésorerie
est désonnais doté d’un coffre à trois clefs*, deux
d’entre elles étant détenues par les Contrôleurs de la
Raison* qui contrôlent visuellement toutes ses
403
 opérations. D’autre part, il est prévu qu’un second
Trésorier alternera avec le premier, tous les deux
ans, afin de faciliter la reddition de comptes. Cette
dernière disposition n’est pas respectée et sera
annulée en 1621, lors d’une réforme du Conseil des
Finances.
Les Trésoriers Généraux du XVIIe siècle ont
suscité moins d’intérêt de la part des historiens des
finances, définitivement éclipsés qu’ils sont dans
ces histoires par les partisans et par les facteurs
généraux du roi. De fait, leur rôle dans le crédit à la
monarchie semble moindre — il serait souhaitable
de le confirmer par des recherches monographiques.
Cela pourrait expliquer que les réformes majeures
de l’administration des finances royales pendant le
règne de Charles II ne les affectent pas ou que la
Trésorerie Générale ne fasse pas partie des emplois
recherchés par les partisans de l’époque, dont
Carmen Sanz Ayân a montré l’espace qu’ils
occupent dans les Conseils et la Grand Chambre
des comptes. L’on peut attribuer cette moindre
influence du Trésorier Général à plusieurs raisons.
Il était un acteur fondamental du crédit en Castille
au XVIe siècle, représentant notamment les intérêts
du roi dans les foires de Castille. Or, les foires de
Castille ont progressivement cessé de se réunir
depuis le dernier quart du XVIe siècle et, s’il y a
toujours des garnisons à payer en Castille, ce sont
les dépenses hors de la Péninsule qui ont cru le plus
vite : ici, le Conseil des Finances et les favoris
successifs des monarques négocient directement
avec les partisans, des banquiers dont le réseau de
correspondants s’étend dans toutes les grandes
places de l’Europe occidentale. Ces derniers exigent
des consignations sûres, le plus souvent, sur les
caisses locales du service des millions, court-
circuitant le Trésorier Général.
L’organisme que l’on appelle Trésorerie Générale
au XVille est très différent de ce qui vient d’être
décrit. La réforme se fait en plusieurs étapes, sans
que le processus en soit linéaire, et vise à
concentrer tant les caisses que l'information
comptable. Dans un premier temps, c’est une
Trésorerie Générale de la Guerre qui est instituée en
octobre 1703, au début du règne de Philippe V.
Inspirée des Trésoriers de l’Extraordinaire des
Guerres tels qu’ils fonctionnent en France depuis
Colbert, elle constitue une seule caisse, puisque
celui qu’on appelle bientôt le « Tesorero Mayor de
Guerra » envoie d’abord des payeurs (pagadores)
auprès des armées. Ceux-ci sont de simples agents
salariés et non responsables, à l’instar des commis
des Trésoriers Généraux de l’Extraordinaire des
Guerres institués au début des années 1680 en
France. Leurs comptes sont absorbés dans ceux du
Trésorier Général de la Guerre, qui inscrit leurs
recettes dans sa recette, leurs dépenses dans sa
dépense. Cela signifie que le Trésorier Général
404
exerce un contrôle étroit sur les recettes de ses
agents. Celui-ci se fonde sur l’utilisation de
quittances provisoires. Chaque fois qu’un payeur
reçoit le produit d’un impôt, remis par un fermier
ou un receveur, il ne peut émettre qu’une quittance
provisoire dans laquelle il reconnaît avoir perçu les
fonds du Trésorier Général par la main du fermier
ou receveur. Le payeur reconnaît ainsi sa dette à
l’égard du Trésorier Général. Le receveur ou
fermier qui a remis l’argent est obligé de se rendre à
Madrid dans les bureaux du Trésorier Général pour
obtenir une quittance en forme, en vertu de laquelle
c’est lui qui a remis la somme au Trésorier Général
dans la caisse du payeur Untel. Comme il est dans
l’intérêt de tout fermier ou receveur de faire
reconnaître ses paiements à l’administration royale,
le procédé est en principe imparable. En
contrepartie, le contrôle exercé sur le Trésorier
Général de la Guerre par la Grand Chambre des
comptes est allégé, certains opposants à la réforme
n’hésitant pas à affirmer qu’une partie de ses
recettes, comme le fruit de la vénalité des charges,
est incontrôlable.
La réforme n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans le
cadre plus vaste d’une réorganisation du
gouvernement des finances. Il s’agit en effet de
concentrer les fonds destinés à la guerre dans une
seule caisse pour soutenir le crédit du roi et attirer
les prêteurs, mais aussi de concentrer la décision de
dépenses. Le promoteur de cette réforme, Jean
Orry*, considère en effet que cette décision est
usurpée par plusieurs Conseils (notamment ceux de
Guerre, de Finances et des Indes) et hauts officiers
des maisons royales. Cela a pour effet d’introduire
de la « confusion », puisque plusieurs ordres de
dépenses venus d’autorités différentes pèsent sur les
mêmes recettes. Il faut donc rendre l’initiative à un
roi qui est moins privé de richesses que
d’informations sur les fonds réellement disponibles
et sur l’emploi qu’on en fait, afin de lui permettre
de « gouverner par lui-même », comme son illustre
grand-père. C’est pourquoi le Trésorier Général de
la Guerre est placé sous l’autorité d’un tout
nouveau Secrétaire des Dépêches et d’État chargé
de la Guerre, seul habilité à lui donner des ordres
(septembre 1703). Celui-ci est là pour transmettre
les décisions discutées en tête-à-tête avec le roi, au
cours du travail du « despacho », l’équivalent de
« la liasse » qui réunit régulièrement Louis XIV et
Chamillart — ministre de la Guerre et contrôleur
général en France, et protecteur d’Orry. D’autres
dispositions prises à l’automne 1703 visent à limiter
les fraudes commises dans les années par les
officiers au moment de la paye de la solde et de la
fourniture des vivres et à réduire l’autonomie des
commandants des troupes en matière financière, en
restreignant les dépenses « inopinées »* et la
nomination d’officiers qui leur incombe. Là encore,
les coïncidences sont nombreuses avec les
dispositions prises par Chamillart en 1702.
et de la Princesse des Ursins, pendant l’hiver 1714-
La réfonne se veut prudente, évitant les
1715, Philippe V rétablit la composition des
suppressions. Ainsi, la création de ce nouveau
Conseils, il laisse en place les ministres et le
Trésorier ne met pas fin à l’existence du Trésorier
Trésorier Général de la Guerre. Le cardinal
Général, qui continue de fonctionner comme
d’Alberoni, favori du couple royal, s’inscrit ici dans
autrefois jusqu’en août 1718 sous l’autorité du
la continuité, renforçant le rôle des différents
Conseil des Finances. Cela dit, l’influence du
Trésorier Général décroît en proportion des fonds Secrétaires d’État et des Dépêches, bien qu’il se
dise l’ennemi d’Orry. Les mesures qu’il adopte
qui lui sont enlevés et en raison de la moindre
pour la Trésorerie Générale vont dans le sens d’une
participation du Conseil des Finances à
plus grande concentration des caisses et de
l’élaboration de la politique financière. Il récupère
l’information comptable, tout en offrant au
toutefois l’espace perdu entre 1707 et 1713, années
Trésorier une marge d’initiative non négligeable qui
pendant lesquelles il n’y a pas de Trésorier Général
fait de lui un collaborateur des ministres, plus qu’un
de la Guerre.
Les avatars de cette réforme sont nombreux. Dès le subordonné.
Alberoni désire reprendre l’offensive militaire en
début, elle est en butte à l’hostilité de ceux qui se
Italie pour récupérer des territoires que Philippe V
sentent lésés, en premier lieu, les Conseillers de la
n’a cédés que de mauvais gré à l’issue de la Guerre
Guerre, le Gouverneur du Conseil des Finances et
de Succession d’Espagne. Pour ce faire, il tient à
plusieurs des Trésoriers d’impôts particuliers
redresser les finances, persuadé, tout comme Orry,
appelés à remettre leurs fonds au Trésorier Général
que les ressources de l’Espagne, bien réelles, sont
de la Guerre. Une des accusations portées contre les
mal administrées et victimes de la « confusion »
promoteurs de la réforme est qu’ils ont choisi un
semée par des agents trop nombreux. Il procède en
ministre potiche pour mieux asseoir leur propre
deux temps. En mai 1717, il réduit de façon
influence, celle des proches de la reine d’Espagne,
drastique le nombre des bureaux de contrôle des
Jean Orry et la Princesse des Ursins. Ces conflits
comptes de Madrid (un par recette ou dépense), les
conduisent à l’éviction successive des deux
ramenant à deux offices, celui du Contrôleur de la
Français (mars et juillet 1704) puis à la suspension
Raison* des Valeurs et celui du Contrôleur de la
de la réfonne au cours de l’été 1704. Le retour en
Raison de la Distribution. Ils seront chargés
faveur de la Princesse des Ursins au début de
d’exercer un contrôle direct et visuel sur les
l’année 1705 pennet à Orry de revenir à Madrid
opérations faites à Madrid par le Trésorier Général
pour rétablir le Trésorier et le ministre, avec
de la Guerre alors en place, Nicolas Ginés Gômez
quelques changements (juin-juillet 1705). Le
de Hinojosa, et de remédier à l’absence d’un
premier, qui continue de s’intituler « Tesorero
« bureau perpétuel » qui conserverait les documents
Mayor de Guerra », envoie auprès des troupes non
justifiant les dépenses et recettes du Trésorier, en
plus des commis mais des trésoriers, responsables
particulier l’ensemble des ordres et règlements qui
de leurs caisses, présentant cautions et hypothèques.
concernent les paiements réguliers aux troupes. En
Toutefois il continue de ne fonner qu’un seul
conséquence, ils remplacent des officiers qui
compte avec eux, par le même procédé. Le ministre
jusque-là faisaient partie des bureaux du Trésorier
a désormais deux départements, la Guerre et les
Finances, ce que les contemporains expliquent par général de la Guerre, le contrôleur de la recette et
celui de la dépense. En juillet 1718, des dispositions
la volonté du roi de créer un seul ministère des
complémentaires sont prises. Le 3 juillet, le roi
finances pour toute la Péninsule, et non plus pour la
réforme le Conseil des finances : le nombre de
seule Castille. De fait, la négociation fiscale avec
salles est réduit, quelques bureaux de contrôle,
les villes passe de plus en plus souvent par ce
comme celui des services des millions, sont intégrés
ministre, que les oligarchies locales n’hésitent pas à
à ceux institués en mai 1717, et un contrôleur
mettre en concurrence avec le Conseil de Castille et
général des comptes est institué pour organiser le
celui des Finances. Ce schéma est préservé jusqu’en
travail des différents contrôleurs ; en même temps,
juillet 1718, en dehors des années 1707-1713, au
le Gouverneur du Conseil des Finances est invité à
cours desquelles la Trésorerie Générale de la
harmoniser les districts des différents impôts, pour
Guerre disparaît, les paiements de guerre étant
créer « une seule bourse » par province ou district,
confiés au Trésorier Général. Le Trésorier Général
en concertation avec les fermiers d’impôts, une
de la Guerre est rétabli en juin 1713, Orry
disposition qui s’inscrit dans la continuité des
renforçant au fil des mois suivants les ministères
révisions de la carte fiscale opérées durant le règne
(Secrétaires d’État et des Dépêches chargés de la
de Charles II. Le 4 juillet, est mis en place dans
Guerre, des Finances, de la Marine et des Indes, de
chaque province de la Péninsule un trio, véritable
la Grâce et de la Justice, de l’État, c’est-à-dire des
« petit tribunal » composé d’un intendant de police,
affaires extérieures) au détriment des Conseils.
justice, finances et troupes, d’un payeur et d’un
Ceux qui devaient les mettre en œuvre semblent
contrôleur principal, éventuellement relayé par des
s’être bien approprié ces réformes, qu’ils fussent ou
délégués dans les districts. Le Trésorier Général de
non clients de l’entourage français du roi. En effet,
la Guerre devient alors Trésorier Général tout court,
lorsqu’après l’éviction de la cour de Madrid d’Orry
405
 la réforme supprimant le Trésorier Général qui
existait depuis le XVIe siècle. Les payeurs étant ses
commis, il couvre désonnais tout le territoire, et
non plus seulement les régions dans lesquelles
stationnent des armées. Il doit recueillir la presque
totalité des recettes royales et se charger, par
conséquent, de dépenses autres que celles destinées
à la guerre ou au paiement des salaires des
différents ministres. Ses ordres lui seront donnés
par chacun des Secrétaires d’État et des Dépêches
dans son département, le succès de la réforme
reposant sur le postulat que ces derniers auront une
politique concertée de dépenses. Ce Trésorier et ses
payeurs sont soumis à un contrôle étroit de la part
du contrôleur principal de chaque province et des
deux Contrôleurs Généraux institués en mai 1717,
auxquels sont envoyées des relations régulières des
dépenses et des recettes faites, dont les résumés,
une fois validés par lesdits Contrôleurs Généraux,
serviront d’acquits pour la reddition de comptes*
du Trésorier Général devant la Chambre des
comptes, ce qui revient à alléger cette dernière
procédure. L’objectif annoncé est double : il s’agit
de donner au Trésorier les moyens de mobiliser
rapidement des fonds partout sur le territoire, en
fonction des besoins ; en même temps, le roi doit
pouvoir être informé à tout moment de l’état de sa
caisse. Une certaine marge d’initiative est par
conséquent reconnue au Trésorier, invité à
apprécier quels fonds pourront être utilisés pour les
dépenses qui lui seront ordonnées et supposé savoir
choisir les meilleurs partenaires parmi les hommes
d’affaires, notamment pour les opérations de
change. Le fait que les intendants puissent émettre
des assignations contribue à cette flexibilité. En
contrepartie, on demande au Trésorier d’avoir du
crédit. En somme, on reconnaît plus ouvertement
qu’auparavant sa qualité d’homme d’affaires, dont
la culture, mise au service du roi, est valorisée. Il
est probable que Nicolas Ginés de Hinojosa a
œuvré dans ce sens, lui qui plus tard, au cours du
procès fait au ministre des Finances Fernando
Verdes Monténégro (1724) ou lorsqu’il rédige lui-
même les instructions de la Trésorerie Générale de
1726, revendique le droit d’intervenir dans
l’élaboration de la politique financière.
La réfonne fait long feu, pour des raisons qui ne
tiennent pas qu’à sa dimension financière. Les
conflits des intendants* avec les oligarchies locales
ont en effet pesé lourd dans la décision prise par
Philippe V à la fin de l’année 1720 de ne conserver
toutes leurs compétences aux intendants que dans
les provinces dotées d’armées et de réduire la
Trésorerie à ces mêmes provinces (Catalogne,
Valence, Aragon, Estrémadure, Andalousie,
Navarre et Guipuzcoa, la province et frontières de
Castille, Galice, Majorque), revenant à la formule
de Tesoreria Mayor qui prévalait jusqu’à l’été
1718. Mais c’est aussi un ensemble d’agents de
l’administration des finances qui se sont sentis lésés
406
par les dispositions de juillet 1718. Les
responsables des caisses locales (les arcques), les
multiples propriétaires d’offices de contrôleurs de
chacune des recettes ordinaires des provinces
(souvent un par impôt et par district), ont dû, au
mieux, devenir les subordonnés respectifs des
payeurs et des contrôleurs principaux. Les
contrôleurs ont mieux résisté, retenant l’information
qui leur était réclamée ou se refusant à devenir
contrôleurs principaux lorsqu’ils étaient sollicités,
car ils y perdaient en prestige et en revenus, les
contrôleurs principaux n’étant que des agents
salariés. Ils ont alors compté sur leur savoir-faire,
difficile à remplacer. A Madrid enfin, plusieurs des
contrôleurs réformés en 1717 ou 1718, comme ceux
des millions, n’ont eu de cesse de réclamer leur
rétablissement. Enfin, le Gouverneur du Conseil des
Finances a le plus grand mal à accepter de ne pas
être le seul à donner des ordres de paiement au
Trésorier Général et de voir les intendants se mêler
de l’administration de recettes juteuses, comme
celles du tabac ou du papier timbré.
Pour autant, 1721 n’est pas un retour en arrière.
Comme l’a indiqué Rafael Torres Sanchez, le roi
transige sur l’accessoire pour sauver l’essentiel, la
caisse de guerre. Ajoutons que lui et son entourage
tiennent fermement au maintien d’une caisse unique
de guerre dans les comptes de laquelle se résument
ceux de tous les trésoriers de guerre locaux. Pour
preuve, les commentaires hostiles suscités au cours
de l’été 1726 par la très éphémère Trésorerie
Générale (mars 1726-septembre 1726) réorganisée
à l’initiative de Nicolas Ginés de Hinojosa : celle-ci
présentait la particularité de séparer les comptes du
Trésorier Général de ceux des trésoriers locaux, les
comptes rendus par le Trésorier Général
enregistrant comme des dépenses les versements
qu’il avait faits aux trésoriers particuliers ; il fallait
donc consulter le compte de chacun de ces derniers
pour savoir ce qui avait été fait de l’argent. D’après
Francisco de Arriaza, gouverneur du Conseil des
Finances, il est urgent de rétablir une Trésorerie de
la Guerre qui réunisse en une seule caisse le
Trésorier général et les trésoriers particuliers. C’est
là l’avantage principal du modèle qui a prévalu de
1703 à 1726, qu’il décrit ainsi :
« un bureau universel dans lequel, trouvant toutes
les informations que le roi peut demander sur la
distribution de son trésor royal, de sorte que sans
que l’on risque de duplications on forme un compte
général si autorisé par les contrôles directs et les
vérifications que ce n’est que pour lui donner une
ultime solennité et le conserver dans les archives de
la Grand Chambre des comptes, comme dépôt des
comptes du patrimoine royal, qu’on le présente et le
clôt devant cette Chambre des comptes pour que le
Trésorier Général puisse recevoir son quitus. »
Aussi, Arriaza n’hésite-t-il pas à comparer la
Trésorerie Générale de la Guerre à un « Contrôle
Général ». De fait, à l’exception de la tentative de
1726, c’est bien cette caisse unique qui est
maintenue. Les réformes adoptées à partir de 1721
tendent à concentrer davantage la décision la
concernant, non sans susciter de tensions. Ainsi, en
1721-1724, le Trésorier Général de la Guerre reçoit
des ordres de la part de plusieurs ministres (ceux de
la Guerre, des Finances, de la Justice et de la
Grâce). Lorsqu’en 1724 Fernando Verdes
Monténégro, devenu ministre des finances*,
modifie les instructions au Trésorier Général de la
Guerre en le plaçant sous sa seule autorité, il entre
en conflit ouvert avec le Trésorier Nicolâs Ginés
Gômez de Hinojosa. Ce conflit a pour conséquence
l’éviction de Verdes, accusé de multiples fraudes
par Hinojosa et par ses alliés dans l’affaire — il
sera réhabilité plus tard. Mais en octobre 1726,
c’est bien la concentration de la décision dans les
mains d’un ministre puissant qui s’impose. En effet,
José Patino, après avoir démis Hinojosa, promulgue
des instructions qui font de lui le seul habilité à
donner des ordres de paiements à un Trésorier
qu’on appelle alors indifféremment Tesorero
Mayor ou Tesorero General, la seconde
dénomination s’imposant au fil des années. Patino
est alors Gouverneur du Conseil des Finances,
Secrétaire d’Etat et des Dépêches chargé des
Finances, de la Marine et des Indes, Surintendant
des Recettes Générales (pour l’essentiel, le produit
des douanes) et des salines, et obtient le 9 octobre
que le roi déclare sa faculté de « disposer de tous
les fonds et de les distribuer, tant ceux de l’Espagne
que ceux qui pourront venir des Indes et du
commerce des Indes, des droits d’entrée et de sortie
et de tous les autres fonds qui, pour quelque raison
que ce soit, pourront m’appartenir [au roi] ». Les
successeurs de Patino, Campillo et Ensenada,
tendront à leur tour à assumer plusieurs ministères
et maintiendront l’unicité de la décision de
dépenses du Trésorier Général.
A partir de cette date, l’évolution de la Trésorerie
Générale semble plus linéaire. Elle consiste d’une
part dans l’absorption d’une part croissante des
recettes de la monarchie, toujours comprises dans
un seul compte. En janvier 1753, les Trésoriers des
royaumes et armées d’Aragon et de Valence qui,
jusque-là, rendaient compte séparément d’une
partie de leurs recettes (les ustensiles et la
contribution territoriale) devant la Grand Chambre
des comptes, en tant que dépositaires ou arqueros,
sont invités à inclure ces recettes dans les comptes
qu’ils présentent au Trésorier Général, qui les
« fondra » dans son propre compte. La mesure,
adoptée à la demande du Trésorier en place
(Manuel Antonio de Horcasitas), est déjà en
vigueur en Catalogne. En décembre 1753, le
Trésorier Général Nicolâs de Francia obtient la
publication de nouvelles instructions qui rappellent
aux Trésoriers d’années et de provinces quelles
règles ils doivent suivre pour présenter leurs
comptes au Trésorier Général, leurs comptes devant
se «fondre» dans le sien. L’instruction énonce la
liste des recettes, recueillies dans tout le territoire et
pas seulement dans les royaumes et provinces dotés
de troupes, qui figureront aussi dans la recette du
Trésorier Général : ce sont les principales
contributions ordinaires payées dans les provinces,
les taxes douanières, les produits des monopoles et
les remises des Indes. Si le rétablissement des
intendants de 1749 n’a pas été accompagné de
l’institution de payeurs ou de trésoriers du Trésorier
Général dans les provinces sans troupes, comme en
juillet 1718, on s’efforce ainsi d’obtenir des
résultats comparables en matière de contrôle
comptable en imposant aux administrateurs et aux
contrôleurs de chaque grande recette de rendre
compte de leurs opérations au Trésorier. Au fil de la
seconde moitié du siècle, les quelques recettes qui
échappent encore au Trésorier Général seront
intégrées à ses redditions de comptes, au point
qu’en 1799 il a absorbé la quasi-totalité des autres
caisses. Dans le même temps, le contrôle qui pèse
sur le Trésorier devient plus régulier. L’alternance
annuelle, envisagée dès 1727 par Patino mais non
mise en œuvre, devient effective à partir de 1753,
soutenue par le ministre Ensenada et par le
Trésorier Général Francia. Les Trésoriers doivent
consacrer l’année qui suit leur exercice à rendre
leurs comptes et à diriger le bureau du « Real
Giro », chargé des virements du roi pour toutes les
places étrangères. Le système perdure jusqu’à la fin
du siècle.
En somme, au fil du siècle, le type de
gouvernement des finances qui valait pour les
frontières, les théâtres de guerre, s’est imposé à
l’ensemble des finances royales : la réflexion vaut
aussi bien pour les intendants que pour la
Trésorerie. Rafael Torres Sanchez a montré que les
finances militaires ont la priorité jusqu’à la fin du
siècle. Le contrôle est primordial : l’historien
observe un effort constant pour réduire l’autonomie
des intendants en matière de paiements, le roi
tranchant toujours les conflits qui les opposent au
Trésorier Général en faveur de ce dernier.
On manque d’études systématiques qui
permettraient de se prononcer sur le rôle joué par
les Trésoriers dans l’élaboration de la politique
financière et sur l’efficacité du contrôle comptable
mis en place à travers la Trésorerie Générale. Il
n’est pas certain qu’il y ait un profil type de
Trésorier Général. Si tous ont servi dans
l’administration des finances avant de parvenir à cet
emploi, comme comptables, mais parfois aussi
comme contrôleurs ou même intendants, certains
sont plus étroitement liés que d’autres au monde de
la marchandise et de la banque privée. Ainsi, à la
fin du siècle, Francisco Montes, qui a fait ses
premiers pas dans le commerce avec l’Amérique et
en est fier, alterne avec le marquis de Zambrano,
dont le profil de bureaucrate est plus accusé. Quant
407
 au poids politique des Trésoriers, il dépend
étroitement de leur relation avec le ministre des
Finances, qui les consulte au quotidien. Nicolas de
Francia a pu réformer la Trésorerie Générale parce
qu’il avait l’oreille d’Ensenada. En revanche, un
quart de siècle plus tard, Francisco Montes a du mal
à imposer ses vues en matière de dette royale face à
l’activisme de François Cabarrus.
Quelle est l’efficacité de la Trésorerie Générale en
matière de contrôle comptable ? Là encore, pas
d’étude systématique de la mise en application des
règles élaborées au fil du siècle. Le fait que
l’alternance annuelle des Trésoriers fonctionne le
plus souvent et que les comptes soient annuels
autorise à croire que les Trésoriers ont pu rendre
leurs comptes plus rapidement qu’autrefois,
puisqu’ils ne pouvaient exercer de nouveau mandat
avant d’obtenir leur quitus* pour l’exercice
antérieur. Certes, Francia et Zambrano, qui exercent
chacun trois années consécutives (1760-1762 et
1765-1767) font sans doute exception à la règle.
Mais à la frontière du Portugal, lors de la guerre de
1762, le Trésorier d’année met deux ans à rendre
son compte, un délai d’une brièveté inenvisageable
au début du siècle. Il serait certes souhaitable de
pouvoir vérifier que cette régularité des comptes se
confirme partout et de savoir comment l’évaluent
les contemporains. En tout état de cause, les
comptes rendus par les Trésoriers Généraux devant
la Grand Chambre des comptes, depuis le premier
présenté par le comte de Moriana pour son mandat
d’octobre 1703 à septembre 1704, sont une source
précieuse pour qui veut mesurer l’évolution du
volume et de la répartition des principales recettes
et des dépenses tout au long du siècle ou dresser la
liste de tous les receveurs et fermiers provinciaux.
Certains historiens ont réalisé le premier travail, tels
Henry Kamen et Carmen Sanz Ayân pour la Guerre
de Succession d’Espagne, Renate Pieper pour la
seconde moitié du siècle, ou encore José Jurado
Sanchez, qui étend l’analyse à l’ensemble du siècle.
La réunion en un seul compte des opérations du
Trésorier Général et de tous les trésoriers d’armées
présente notamment l’intérêt d’offrir une vision
spatiale des activités financières de la monarchie,
en distinguant l’origine des recettes de chacune des
caisses locales, leurs dépenses sur leurs territoires
respectifs, les transferts de fonds réalisés d’une
caisse à l’autre, la caisse sise à Madrid comprise. Il
est alors possible d’opposer les caisses
« dépensières » à celles qui alimentent les autres et
de voir des équilibres évoluer. Si la Trésorerie de
Barcelone et celle de Castille et d’Extrémadure sont
les plus grosses manieuses d’argent pendant le
règne de Philippe V, celle d’Andalousie gagne en
importance par la suite, comme l’ont montré Sergio
Solbes Ferri et Rafael Torres Sanchez. Il est
important de signaler que ces évaluations
n’intéressent pas seulement les historiens du XXIe
siècle. Pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle
408
— il conviendrait de savoir depuis quand — les
Trésoriers Généraux ont l’habitude de faire préparer
chaque mois un « librete » (petit livre) qui résume
toutes les entrées et les sorties de chaque Trésorerie
locale et de la caisse de Madrid, distinguant
clairement les mouvements de fonds internes à la
Trésorerie Générale des paiements faits à des agents
extérieurs ou reçus d’eux. Le « librete » annuel est
la somme des « libretes » mensuels (Torres
Sanchez, Solbes Ferri).
Quant à la véracité des comptes, le peu d’indices
dont on dispose oblige ici aussi à s’en tenir à des
questions et à des hypothèses. Il semble que le
système mis en place n’offre pas de garantie
absolue contre la fraude*. Cela dit, les témoignages
dont on dispose se prêtent à des interprétations
divergentes. Les Trésoriers Généraux, selon Torres
Sanchez, se plaignent notamment des mauvais
usages des trésoriers de recettes fiscales qui ne sont
pas sous leur responsabilité directe, mais
l’argument pourrait ne révéler qu’un conflit de
compétences. Ils ne se plaignent pas des Trésoriers
d’anuées placés sous leur tutelle, pour des raisons
peut-être inverses. Un seul Trésorier Général, Pedro
Francisco Goosens, est accusé de malversations
(1769), alors que plusieurs de ceux qui ont exercé
l’emploi pendant le règne de Philippe V ont fait
l’objet de poursuites judiciaires ou de soupçons.
Mais le coupable pourrait être le caissier de
Goosens. En outre, en l’absence d’une étude
approfondie de l’affaire, on ne saurait dire si la
malversation est réelle ou si elle sert de prétexte à
des affrontements politiques, comme dans le cas de
son prédécesseur Verdes Monténégro, en 1724.
Les Trésoriers Généraux sont-ils devenus plus
honnêtes, mieux contrôlés, ou bien leurs pratiques
sont-elles plus tolérables ? A.D.
Sources : AHN, FC-MH, liv. 6622, fol. 93-96 :
Marquis de Campoflorido à Fernando Verdes
Monténégro. AHN, Estado, leg. 768 : Francisco de
Arriaza à Juan Bautista de Orendain, Madrid, 11
juin 1726. AGS, SSH, leg. 211-2: Tomâs de
Iriberri à José Patino et José Patino à Mateo Pablo
Diaz de Lavandero, 18 août 1728. AHN, FC-
COGR, liv. 8012, fols. 209r-211r, n° 459:
Philippe V à José Patino, 9 octobre 1726. Sur
l’adoption de l’alternance entre deux trésoriers et
les réformes imposées aux trésoriers de l’ancienne
Couronne d’Aragon en 1753: AGS, SSH, leg. 238-
2. AGI, Arribadas, leg. 524: Instruction para los
tesoreros de ejército y provincia, depositarios y
pagadores, cuyas cuentas estân mandadas
comprehender en la del Tesorero General, sobre la
forma y modo que deben presentarlas (10 décembre
1753), Madrid, En la imprenta del Mercurio por
Joseph de Orga, impresor, 1753.
Bibliographie : Alonso Garda D., El erario del
reino. Fiscalidad en Castilla a principios de la
Edad Moderna (1504-1525), Valladolid, Junta de
Castilla y Leôn, 2007. Alonso Garcia D., « Le
gouvernement des finances royales au début de
l’époque moderne (1504-1523)» dans Dubet A.
(2008). Angulo Teja M., La Hacienda espahola en
el siglo XVIII. Las rentas provinciales, Madrid,
2002. Carande R., Carlos Vy sus banqueros, 2e éd.
augmentée, Madrid, 1965. Carlos Morales C.J. de
(1994, 1996, 2000, 2008). Castro C. de (2004).
Gonzalez Enciso A., « El coste de la guerra y su
gestion : las cuentas del tesorero del ejército en la
guerra con Portugal de 1762 » dans A. Guimerâ et
V. Peralta (coord.), El Equilibrio de los Imperios:
De Utrecht a Trafalgar. Actas de la VIII“ Réunion
Cientifica de la Fundaciôn Espanola de Historia
Moderna (Madrid, 2-4 de junio de 2004), Madrid,
2005, p. 551-564. Jurado Sanchez, El gasto de la
hacienda espanola durante el siglo XVIII. Cuantia
y estructura de los pagos del Estado (1703-1800),
Madrid, 2006. Dubet A. (2008, 2009 et sous presse
(a), (b) et (c)). Kamen H., La Guerra de Sucesion
en Espaha, 1710-1715, Barcelone-Buenos Aires,
México D.F., Grijalbo, 1974. Nava Rodriguez T.
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du Grand Siècle. Michel Chamillart, ministre et
secrétaire d’État de la Guerre de Louis XIV, Paris-
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Hacienda Real bajo Fernando VI y Carlos 111
(1753-1788). Repercusiones econômicas y sociales,
Madrid, IEF, 1992. Sanchez Belén J. A., La politica
fiscal en Castilla durante el reinado de Carlos II,
Madrid, Siglo XXI, 1996. Sanz Ayan C. (1989 et
2006). Solbes Ferri S. (2007 (a) et (b) et sous presse
(a) et (b)). Torres Sanchez R. (2008 et sous presse
(a), (b) et (c)).
Trésorier général de la Guerre
Les activités militaires présentaient des
caractéristiques propres à mettre en cause l’ordre
comptable : elles réclamaient des espèces en masse,
à mobiliser dans l’urgence, pour des troupes en
constant déplacement. Les gouvernements ont mené
à bien des réformes pour budgétiser un temps soit
peu les dépenses, unifier la trésorerie de guerre,
faire enregistrer tous les effets passant par les mains
des trésoriers, renforcer le contrôle des comptes,
mais la négociation du numéraire pour le paiement
des troupes et des fournisseurs les obligeait dans le
même temps à mettre les trésoriers de la guerre à
l’abri d’une inquisition trop étroite de leur gestion.
Pour étudier les enjeux des comptes de la guerre,
nous présenterons d’abord les difficultés propres à
l’activité de la guerre, puis nous nous appuierons
sur le cas français pour étudier les solutions
comptables qui ont été apportées.
1) Les difficultés comptables
Une année avait plusieurs types de dépenses : les
dépenses fixes (comme la solde), variables (comme
les fournitures) et celles faites par estimation
(comme les réparations). Concernant les dépenses
fixes, comme la rémunération des soldats et
officiers, la difficulté tenait dans la nécessité de
suivre exactement les effectifs d’un lieu à l’autre,
d’où l’importance des revues et du document
comptable dressé par le commissaire des guerres :
l’extrait de revue*. Officiers de plume et officiers
d’épée pouvaient facilement s’entendre pour
falsifier ce document. En outre, le soldat ou le
cavalier touchait sa solde, mais on lui retirait de la
masse* tant pour le pain, tant pour la viande et pour
son entretien, ce qui multipliait les risques
d’erreurs*. Ces dépenses étaient néanmoins
« budgétisées » par états* et l’exécution des états
était suivie par les bureaux des ministères des
guerres.
La comptabilité des fournitures, dépenses variables,
posait également d’infinis problèmes. Les officiers
d’un régiment étaient presque tous payés de
manière différente selon des modalités complexes
(appointements, pensions, ustensiles...). Ces
modalités variaient selon les provinces. En Alsace
par exemple, les fourrages étaient payés par la
province sur les fonds de l’imposition pour les
officiers de cavalerie, mais par la caisse* de
l’Extraordinaire pour les officiers de l’infanterie. En
Franche-Comté, tous les officiers recevaient leurs
fourrages sur la province, mais dans le pays messin
et en Hainaut, la caisse militaire prenait tout en
charge. En Flandre, « il n’y a rien de réglé pour le
quartier d’hiver ». Sur quels comptes, de la ville, de
la province, de l’entrepreneur, devait-on assigner
les frais de logement des officiers ? Devait-on y
joindre le règlement des fourrages, des munitions
pendant la durée du conflit ? S’agissait-il d’un
paiement en nature ou en espèces prises sur les
impositions de l’endroit où l’officier se trouvait?
La multiplication des ordres sur ces questions en
temps de guerre rendait le tout confus,
particulièrement dans les Etats faiblement
centralisés. Surtout, la masse des effets* exigibles
mis en circulation pour le paiement des
entrepreneurs était suivie avec peine à partir des
journaux* des trésoriers. Ces derniers recevaient
des a-bon-compte*. Cette forme de paiement était
justifiée: « elle me paroit fondée sur ce que les états
de fourrages qui devraient être arrêtés tous les deux
mois (conformément aux revues) ne l’étant en
raison de la lenteur de la comptabilité qu’à la fin du
3e mois et au-delà... resteraient à découvert»,
affirme le maréchal de Ségur en 1785. Les bureaux
envisagèrent à plusieurs reprises de mettre les
fournitures en régie* ou en ferme*. En 1704, le
gouvernement espagnol recourut aux services d’une
seule compagnie pour la fourniture des blés et
fourrages de toutes les troupes d’Andalousie,
Vieille Castille, Estrémadure et Galice. Le
gouvernement français eut des expériences
similaires, mais s’orienta nettement vers la gestion
interne. Pour les fourrages, l’expérience aurait
prouvé qu’il valait mieux passer par des marchés
409
 locaux et laisser la manutention aux officiers plutôt
que de faire appel aux services d’une entreprise
générale. C’est du moins le constat dressé par le
maréchal de Castries en 1775 : «Je ne dois pas
vous laisser ignorer que le plus grand nombre de
régiments de cavalerie et de dragons qui ont gérés
pendant 7 à 8 ans cette partie au compte du Roy en
ont abusés. Mais en comparant les abus respectifs
de ces deux genres de manutention, on trouve que
les chevaux ont été mieux nourris lorsque les états
majors achetoient les fourrages que lorsqu’ils
étoient fournis par des entrepreneurs et que les
profits illicites que la cavalerie a fait ont été moins
considérables que ceux des entrepreneurs ». En
revanche, le département de la Guerre fut moins
exposé que celui de la Marine aux tâtonnements de
la comptabilité-matières*.
Quant aux recettes, si elles n’étaient pas
directement tirées du territoire conquis (par
confiscations, rapines, réquisitions de toutes sortes),
elles provenaient le plus souvent d’expédients,
d’anticipations* sur les exercices à venir. Le
principe de l’assignation* des dépenses sur ces
recettes extraordinaires complexifiait en outre les
circuits financiers. Pour éviter que le défaut de
centralisation des fonds ne nuise au financement
des armées, les monarques ont cherché à créer un
service de caisse* de guerre indépendant (en 1584 à
Venise, en 1612 à Naples, en 1674 dans le duché de
Prusse avec la création de la General-Feld-
Kriegskasse, en 1703 dans le royaume d’Espagne
avec la création de la « Trésorerie générale de
guerre», en 1718 à Bruxelles...). Mais la question
de l’ordonnancement sur ces fonds est demeurée
vive partout, opposant le plus souvent les ministres
en charge de la Guerre et ceux en charge des
finances. Lors des conflits, l’ordonnancement se
faisait en masse et les ordonnateurs secondaires
comme les intendants* ou les commissaires des
guerres* avaient grande latitude pour l’utilisation
des fonds. Les ententes frauduleuses avec les
fournisseurs constituaient alors le nœud gordien que
les gouvernements ne parvinrent à trancher qu’au
milieu du XIXe siècle.
2) Le cas français
Le budget
En France, le budget pour la Guerre était organisé
par l’arrangement de finances* au ternie duquel
était dressé l’état général des fonds pour le
département. Les responsabilités pour l’exécution
du budget se partageaient entre le contrôleur
général des finances* et le Secrétaire d’Etat à la
guerre. Au premier revenaient les fournitures de
pain et de viande aux troupes, le fourrage des
chevaux, les étapes dans les provinces qui
formaient son département, les traités avec les
fournisseurs. En outre, le ministre des finances
délivrait les assignations* sur les recettes générales.
410
En bref, il était compétent pour la gestion ordinaire
des finances qui se déroulait comme suit : on tirait
du projet de fonds annuel des états de distribution*
mensuels qui servaient de base à l’expédition des
ordonnances de fonds signées du roi, appelées
« gros fonds ». Ces « états des fonds à faire pour la
subsistance des troupes » comprenaient les
dépenses à payer par l’Ordinaire et l’Extraordinaire
des guerres, mais aussi « les autres dépenses dont le
secrétaire d’Etat n’est pas l’ordonnateur » comme
les pensions militaires, l’artillerie ou les
fortifications. Les états de fonds étaient répartis
entre les trésoriers généraux qui en faisaient des
extraits pour chaque département et les expédiaient
aux trésoriers secondaires dits trésoriers principaux,
qui les faisaient passer à leur tour aux trésoriers
particuliers. Pour dresser ces états, les bureaux
calculaient précisément les masses* pour
l’infanterie, la cavalerie, les troupes de la Maison
du roi, les gardes suisses... etc. Pour l’infanterie par
exemple, on distinguait au XVIIIe siècle la masse
de l’habillement, la masse des réparations et la
masse des recrues. On prévoyait cinq masses pour
la cavalerie (masse des porte-étendards, masse
« des 16 deniers », masse « des 27 livres » (solde),
masse des remontes (rachat de chevaux), masse des
recrues. Les régiments recevaient les fonds
mensuels distribués selon le projet général de fonds
et chaque trésorier de corps dressait un « état de ses
recettes et dépenses ».
Le secrétaire d’Etat à la Guerre, quant à lui,
exerçait sa tutelle sur les intendants des années, les
commissaires et les contrôleurs des guerres, ainsi
que sur les trésoriers de l’Ordinaire et de
l’Extraordinaire des Guerres. Dans les provinces
frontalières, il pouvait disposer de l’emploi de
recettes fiscales pour lesquelles il délivrait des
assignations au trésorier de l’Extraordinaire, sans
passer par le contrôleur général. Ses responsabilités
financières étaient plus importantes en temps de
guerre. Lors des conflits en effet, le secrétaire
d’Etat de la Guerre devait obtenir du contrôleur
général des finances des ordonnances de
supplément de fonds. En général, il n’entendait pas
essuyer un quelconque refus. Le ton qu’utilisa le
maréchal de Ségur pour d’adresser à Calonne en
1784 parle de lui-même : «j’ai demandé et il m’a
été accordé une somme de 2 075 899 livres payable
en deux termes égaux... A l’égard du second terme,
je compte fermement qu’il sera acquitté à son
époque », écrivit-il, alors que l’on procédait au
licenciement des troupes. En tout état de cause, on
ordonnait des sommes considérables sans que le
Contrôle général discutât les sommes demandées :
« Il ne se fait aucun paiement pour le Roi s’il n’est
ordonné : mais comment l’est-il ? C’est toujours en
masse. Il faut 50 millions pour la guerre, et 50
millions sont fournis au Trésorier de ce
département, ainsi des autres et l’on n’en voit
aucune suite». Les finances organisaient donc le
paiement des dépenses extraordinaires, assignaient
grossièrement des fonds, anticipaient sur les
exercices ultérieurs, tandis que les bureaux de la
guerre en assuraient la distribution. A la différence
des dépenses ordinaires, les dépenses
extraordinaires laissaient beaucoup plus de champ
aux ordonnateurs secondaires, les commissaires* et
intendants* d’année. Certes, les ordonnances des
intendants devaient être confonnes aux états de
fonds prévus pour chaque mois, mais bien des
circonstances venaient contrarier cet ordre. A partir
de 1791, on cessa d’arrêter des projets de fonds et
des états de distribution, « car ceux que le ministre
envoie n’arrivent le plus souvent que longtemps
après que les dépenses ont été acquittées et on n’en
a même reçu aucun pour l’année 1791 ». Les
soldes, les subsistances furent réglées d’avance par
décrets de l’Assemblée nationale. Le premier
commis du nouveau département des dépenses de la
Guerre, mis en place en 1788 après la suppression
des trésoriers généraux, formait tous les huit jours
un aperçu* des sommes à dépenser, document qu’il
soumettait à l’ordonnateur général du Trésor pour
approbation. Évidemment, les paiements effectifs
s’éloignèrent dès 1792 des prescriptions contenues
dans l’aperçu*.
La trésorerie
La trésorerie militaire se caractérise en France par
une centralisation progressive aux mains de
trésoriers généraux, mais aussi par un défaut de
maîtrise de la négociation du numéraire. Les
troupes permanentes relevaient de l’Ordinaire des
guerres depuis Louis XI, tandis que les troupes en
expansion dépendaient de l’Extraordinaire. Sous le
règne de Louis XIV, le nombre de Trésoriers
généraux de F Extraordinaire des guerres varia de
deux à trois, chaque officier restant en exercice
douze mois. L’année passée hors de l’exercice était
capitale pour réunir une équipe d’associés et de
bailleurs de fonds en vue de l’exercice à venir.
Avec les dernières guerres louis-quatorziennes en
effet, s’acheva le règne des traitants* et débuta celui
des officiers-banquiers. Les trésoriers ne recevaient
plus comptant* les sommes qu’ils devaient
acquitter car la valeur des papiers royaux, convertis
en rentes*, en surséances, en divers billets de
monnaie dont l’échéance était trop éloignée, se
dégradait. Dans l’impossibilité de négocier ces
papiers auprès des fournisseurs, ils eurent recours à
l’emprunt pour se procurer des liquidités plus
certaines. Les premiers à alimenter leur trésorerie à
partir de leur crédit personnel furent les trésoriers
de l’Extraordinaire des guerres, bientôt suivis par
les trésoriers de la Marine*. Le contrôleur général
des finances, Chamillart, autorisa les trésoriers
généraux de l’Extraordinaire à emprunter
personnellement sur le marché public à partir de
1702. La même année, le Trésorier général de la
Marine en exercice, Fontanieu, reçut l’ordre « de
payer tout ce qui est dû sans attendre l’arrivée des
fonds ». Pour trouver des liquidités, les officiers de
finances se tournèrent vers la banque* génoise et
les négociants lyonnais avant que Chamillart ne
favorise leur association avec Samuel Bernard
chargé de coordonner leurs opérations avec le
monde financier international. De fait, engagés
personnellement dans le soutien du crédit royal par
l’enregistrement des assignations*, le trésorier se
transforma en pourvoyeur de fonds et finit par
délivrer des billets sans qu’aucun fond soit prévu,
réduisant à peu de chose les préceptes de Colbert*
sur la bonne tenue des finances. On notera que par
son service de banque, le trésorier libère en quelque
sorte la gestion de son ministre des contraintes
auparavant imposées par le Contrôle général* : aux
yeux d’un secrétaire d’Etat de la guerre, un
paiement fait par billet du trésorier est tout à fait
valable. Que le billet ne constitue qu’une dette que
le département des finances devra honorer, cela ne
le concerne en rien. En d’autres tenues, le nouveau
mode de financement des guerres était destiné à
évoluer exponentiellement. Le trésorier provincial
de la guerre, Mennesson, tira par exemple 383
lettres de change* sur l’exercice 1772. En outre, ce
système de financement supposait une entente entre
ministres. A défaut, le ministère des finances
perdaient deux de ses attributions : le contrôle sur la
partie privée de la dette publique d’une part ; la
maîtrise du budget* ordinaire d’autre part : les
trésoriers se remboursant de leurs prêts sur le
service courant, ils confondaient le budget*
ordinaire et le budget* extraordinaire dans une
même masse.
Quelle était la nature du crédit ouvert par les
officiers ? En réalité, leur rôle d’intermédiaires
variait selon les papiers qu’ils émettaient. Il faut
distinguer ceux créés à partir d’acquits valablement
ordonnés par le ministre et ceux délivrés sans ordre.
Les premiers gonflaient la dette royale. Les seconds
engageaient la seule fortune de l’officier. C’était
bien en ce sens que la législation colbertiste avait
été rédigée puisqu’elle s’était concentrée sur la
réalisation de la dépense et avait multiplié les
garde-fous. Dans la pratique, il était toujours
difficile de démêler l’écheveau des dettes publiques
et privées. Cette opération supposait l’examen
détaillé des comptes du trésorier. En l’absence de
comptabilité courante, on procédait le plus souvent
par commissions extraordinaires. Celle formée en
1742 pour juger des affaires de Pierre-Henri
Bontemps, trésorier de l’Extraordinaire des guerres
en Alsace, constata par exemple que les lettres de
change* que ce comptable tira sur le trésorier
principal Delaunay étaient antidatées et
n’engageaient que sa seule responsabilité. Le
banquier Daniel Bôchler, acquéreur de ces effets
pour une somme de 60 000 livres, jugea à l’inverse
que Bontemps était une personne publique
substituée au trésorier général : « il montra les
411
 ordres qu’il avoit de tirer sur Paris pour son
remboursement et donna les lettres d’avis de M.
Delaunay sous cachet volant ». La réponse de
Jacques-René Cordier Delaunay à la requête de
Bôchler fut sans appel : il n’y eut ni ordre écrit de
sa part, ni enregistrement des lettres de change dans
le registre-journal*.
La trésorerie du département de la guerre fut
réorganisée en 1788. Les deux trésoriers généraux
de l’Extraordinaire des guerres furent supprimés et
remplacés par un bureau central sous la direction
d’un payeur* général et d’un premier commis*,
divisé en quatre services : l’Extraordinaire,
l’Artillerie et le Génie, la Maréchaussée et
l’Ordinaire des guerre, y compris les troupes de la
Maison du roi. Les fonds destinés à la caisse de la
guerre étaient versés par la caisse générale. Trente
quatre trésoriers principaux, un dans chaque grande
ville, et trente trésoriers particuliers complétaient le
dispositif. Cette unification du service de la
trésorerie militaire n’empêcha pas cependant les
dérives liées à la négociation du numéraire quand
celle-ci était laissée aux mains des financiers.
L’affaire de la compagnie des Négociants-Réunis,
qui était en charge de la subsistance d’environ
500 000 hommes (1805), mit fin aux illusions d’une
trésorerie de guerre gérée par les affairistes. Les
campagnes napoléoniennes se caractérisèrent, quant
à elles, par la formation d’une caisse de l’armée,
devenue Domaine extraordinaire* en 1810,
alimentée par les réquisitions, confiscations,
indemnités tirées des pays conquis.
Contrôle comptable
Comme les autres comptables du royaume, les
Trésoriers de l’Extraordinaire des Guerres ont été
protégés par le gouvernement et donc relativement
épargnés par la justice. S’ils rendaient compte
ordinairement par devant la Chambre des comptes*,
ils étaient exempts de toute taxe et recherche de
chambre de justice*, ne pouvaient être « ni troublés
ni inquiétés ». Les trésoriers se plaignirent du reste
de la lenteur de la justice comptable, « des
longueurs et des embarras de la comptabilité qui les
obligent d’entretenir pendant douze ans, et
quelquefois plus, après qu’ils sont sortis de charge,
des bureaux... ce qui fait un objet de 30 000 livres
de frais pendant chacune des douze années ». Ainsi,
près de 360 000 livres de charges supplémentaires
devaient être déboursées pour que les comptes
soient rendus ! Pour apurer les comptes des
exercices 1779-1781, l’administration compta
374 400 livres pour la reddition et encore 450 000
livres pour les frais à la Chambre des comptes.
Si le contrôle judiciaire faisait défaut, le contrôle
administratif* en revanche se renforça
considérablement. Les trésoriers provinciaux
avaient été sommés dès 1557 de tenir un registre de
leurs recettes et d’inscrire sur ce même registre la
distribution de leurs deniers. Ils devaient compter
412
chaque mois devant le Trésorier général qui
remettait le résultat de sa propre gestion dans les
mêmes délais. La fraude* avérée des trésoriers
intermédiaires amena le roi à supprimer ces
fonctions en tant qu’offices. Par l’édit de février
1684, les charges de trésoriers provinciaux furent
abolies. Les Trésoriers généraux de l’Extraordinaire
désignèrent pour les remplacer des trésoriers-
commis placés sous leur entière responsabilité.
Cette réforme inspira fortement celle menée en
Espagne dans les années 1703-1705. Les trésoriers
des guerres étaient en outre sous la surveillance des
contrôleurs de guerre, chargés de tenir les registres,
et des commissaires* dont l’institution remonte au
XIVe siècle. Les commissaires de guerre* avaient
pour tâche de contrôler les effectifs, l’armement et
l’équipement des troupes, faisaient une revue par
mois pour les troupes en garnison et trois revues au
cours d’une campagne. Subordonnés aux intendants
d’années créées en 1635, ils leur transmettaient un
extrait de revue* pour compte-rendu, en envoyaient
un second au secrétaire d’Etat de la guerre et un
troisième au trésorier chargé de payer la solde. Les
intendants arrêtaient les comptes des trésoriers
principaux chaque mois.
Globalement, l’administration renforça le contrôle
de ses trésoriers en doublant le travail des
contrôleurs et commissaires : la validation* des
dépenses continuait de s’appuyer sur les registres
de ces derniers, mais ces documents étaient
rapprochés, dans les bureaux centraux, des propres
états des trésoriers. Par la déclaration d’avril 1682,
on ordonna aux commis des trésoriers généraux de
T Extraordinaire des guerres* de tenir un registre-
journal* sans laisser de feuilles vierges sous peine
d’amende, de faire arrêter la recette et la dépense
chaque mois par l’intendant*, d’envoyer un
bordereau de compte* chaque mois au Trésorier
général*, mais aussi de transmettre au ministère,
chaque mois également, un état exact de sa recette
et de sa dépense « sans attendre le compte qu’il leur
sera arrêté par l’intendant, quand même toute la
dépense concernant le mois précédent ne sera pas
achevée ». Dans les faits, d’après Pierre de Briquet,
la plupart des commis se contentait d’envoyer à
Versailles un double de l’arrêté de compte* de
l’intendant. A partir de 1702 (déclaration du 14
juin), on exigea des trésoriers de T Extraordinaire
des guerres et de leurs commis un état* de dépenses
mensuel, divisé en autant de chapitres* qu’il y avait
de régiments, bataillons, corps particulier et en
autant d’articles qu’il y avait de compagnies. Cet
état des dépenses arrêté chaque mois devait être
accompagné des quittances* certifiées, et non plus
des rôles de montres et états des prêts faits en
attendant la montre. Car la question centrale
demeurait bien de suivre les paiements effectifs des
années du roi. Par l’arrêt du 8 janvier 1724 portant
sur la tenue des registres journaux des Trésoriers de
l’Extraordinaire des guerres, un journal* « tenu en
leur nom, indépendamment de celui tenu par leurs
caissiers ou commis » fut exigé des Trésoriers
généraux. Ce journal devait reprendre toutes les
parties* des recettes et dépenses soit qu’elles
fussent faites directement par eux, soit qu’elles ne
fussent faites que par les mains de leurs commis
« en sorte que sans avoir recours aux registres
particuliers des caissiers ou commis, ni aux
registres auxiliaires que les Trésoriers généraux
sont dans l’usage de tenir pour la distribution des
matières, on ait besoin que du seul journal desdits
trésoriers généraux pour connaître en tout tems leur
situation et les différentes parties des recettes et
dépenses faites par eux et leurs commis ». Cette
séparation de la comptabilité de caisse et de la
comptabilité de contrôle devait permettre une
meilleure appréciation de la trésorerie de guerre.
L’arrêt donnait la manière d’enregistrer les effets*
de compensation, les effets* exigibles, les
assignations* du Trésor royal*, les ordres de
retenues et les lettres de change*, en précisant bien
la nécessité de toutes les porter sur le journal, même
celles qui « paraissent étrangères au service » et
qu’il ne pouvait être tirer de lettres de change*
qu’entre les trésoriers, généraux, principaux et
particuliers. Trésoriers généraux des guerres et
trésoriers de la Marine comptaient au Conseil royal
par états au vrai*. La vérification de ces états
échappait toutefois au bureau central créé par
Colbert*. En 1762 par exemple, l’examen des états
au vrai* de l’Ordinaire des guerres et des
Maréchaussées était confié au premier commis de la
Guerre, Marie, tandis que les comptes des trésoriers
généraux de F Extraordinaire ou de la Marine
étaient dans les attributions de l’intendant général
de la Guerre, Joseph Foullon. En 1772, l’examen
des états au vrai* de l’Ordinaire et de
l’Extraordinaire des guerres cessa d’être confié aux
commis du département et devint une attribution du
bureau de vérification des états au vrai près du
Conseil royal des finances, particulièrement du
commis Boissy.
Par le règlement du 9 octobre 1787, on créa un
conseil d’administration chargé de publier à la fin
de chaque année « un tableau de toutes les dépenses
ordinaires et extraordinaires en énonçant objet par
objet les prix des achats, marchés, régies et
entreprises, soit particulières soit générales », mais
la suppression des trésoriers généraux de la Guerre
et de la Marine par Necker*, puis la réforme de
mars 1788 rendirent caduque l’ancienne forme de
contrôle administratif. Au département des
dépenses de la Guerre, un service chargé du suivi
des journaux, composé en 1791 de 15 commis, fut
établi. Quiconque avait une somme à recevoir sur le
département de la Guerre présentait ses pièces et
recevait en échange un mandat* sur la caisse de
Guerre. Tous les acquits* étaient enregistrés par
nature d’objet et portés ensuite dans des registres de
compte ouvert pour chaque partie. On tenait
également des registres de comptes ouverts avec
tous les trésoriers du département. Une attention
particulière avait été portée sur les traites tirées par
ces trésoriers. Ces derniers en faisaient état tous les
dix jours. Leurs avis étaient enregistrés dans un
registre* où chaque trésorier avait son compte
ouvert, tandis qu’un second registre* d’échéances
permettait de suivre jour par jour les engagements
de la caisse.
Le bel édifice de 1791 fut évidemment mis à mal
par les guerres révolutionnaires au cours desquelles
les ententes entre administrateurs et fournisseurs se
multiplièrent. Soustraite à toute forme de contrôle
également, la caisse de l’année de Napoléon.
Naturellement, les fonds tirés sous diverses formes
des pays conquis ne pouvaient faire l’objet d’une
quelconque vérification des bureaux du Trésor
public. Tout au plus l’empereur exigea des
trésoriers-payeurs des armées de tenir un compte
séparé de l’argent qui provenait du Trésor de Paris
et de celui qui provenait du pays conquis. M.-L. L.
Sources : SHD, Ya 23, note du 23 mars 1762 (sur
les états au vrai) ; Ya 57 à 67 : projets de fonds, de
1720 à 1790, série continue (manque 1788) ; Ya 57,
« Mémoire sur les fourrages des officiers des
troupes pendant le quartier d’hiver 1733 à 1734 » ;
Ya 65, lettre du maréchal de Ségur à Calonne, 27
mars 1784; Ya 65, «Frais de la trésorerie de la
guerre » pour les exercices 1779, 1780 et 1781 ; Ya
66, lettre du maréchal de Ségur à Calonne, 18
février 1785; Ya 74, règlement particulier du 23
octobre 1787, article 22. A 3689, pièce 116, lettre
de Castries au comte de Saint-Germain, 22
novembre 1775 ; A 3689, pièce 200 ter ; A 3686,
document du 6 décembre 1774 (lettres de change du
trésorier provincial Mennesson). AN, E 2042, f°
202-271, Arrest dit Conseil d’Etat du Roy portant
règlement pour la tenue des registres journaux des
trésoriers de 1’Extraordinaire des guerres,
Versailles, 8 janvier 1724; K 883, pièce 6, vers
1775 ; K 892, n° 141 ; V7 34, commission formée
pour juger des affaires de Pierre-Henri Bontemps
par arrêts du 1er mars 1742 et du 10 décembre 175.
Briquet P. de (1747). Comte de Guibert, rapport au
Conseil de guerre, décembre 1788, cité par Jean-
Baptiste Goupy de Morville, Principes
fondamentaux de législation militaire concernant la
constitution de l’armée française..., Paris, 1790, p.
176. De la situation du Trésor public (1997).
Bibliographie : Branda P. (2007). Callery A.
(1878).
Trésorier général de la Marine
Certains services de l’État employant un personnel
nombreux sont pourvus dès le début de la période
d’un comptable* spécial qui reçoit des fonds et les
répartit entre les bénéficiaires. Ces comptables
portent le nom de trésorier ou de trésorier général,
et c’est aussi dans ce sens que Y Encyclopédie
413
 méthodique, partie Finances, comprend le ternie,
quoiqu’il soit employé depuis longtemps pour
désigner les administrateurs que sont devenus les
trésoriers de France : « les trésoriers en finance sont
des pourvus d’office pour payer les dépenses de la
partie à laquelle ils sont attachés ». C’est ainsi que
les trésoriers de la Marine apparaissent en 1517 et
1519 : ils sont chargés des paiements dans leur
partie à la place des trésoriers de l’extraordinaire
des guerres. La commission de 1519 prescrit déjà le
paiement des dépenses suivantes, classées par
natures : 1 ° les soldes et appointements (les
capitaines reçoivent la paie de l’équipage, ils ont
donc eux aussi un maniement de deniers) ; 2° les
dépenses d’entretien et d’avitaillement des navires
(et de constructions neuves, s’il y en a) ; 3° les
dépenses de réparation et d’entretien des places
fortes, ports et havres de Provence ; 4° les dépenses
dites extraordinaires. S’y ajoutent par la suite des
recettes faites pour le compte du Roi. Les trésoriers
sont attachés aux quatre amiraux-juges chargés
jusqu’en 1627 du service militaire, jusqu’alors bien
modeste et séparé de celui des Galères qui, du reste,
a davantage l’allure militaire. Les amiraux
ordonnancent leurs dépenses respectives et peuvent
déléguer cette fonction. Les trésoriers sont attachés
au secrétaire d’État à partir de la création définitive
de cette charge en 1669, jusqu’à leur suppression
des leurs en 1788. Ils sont au vrai dans une situation
intermédiaire entre les Finances qui leur fournissent
les fonds et la Marine qui les consomme, mais il a
été admis presque jusqu’au bout que le secrétaire
d’État pouvait seul donner des ordres aux trésoriers
de son département ; le changement opéré en 1778
annonce celui de 1788.
Le statut des trésoriers de la Marine
Le 14 janvier 1517, François Ier délivre une
commission de trésorier général de la marine de
Ponant ; elle est transformée en office par un édit de
février 1519. Une seconde commission est donnée
en février 1519 pour le Levant, Marine et Galères, à
un secrétaire du Roi et receveur des tailles ; elle
devient également un office en 1531. Le premier
dédoublement de ces offices est opéré par l’édit de
décembre 1553 : l’exercice par chaque titulaire de
la charge devient alterné. Des trésoriers triennaux
apparaissent en 1568 et sont durables, alors que les
offices quadriennaux créés en 1645 disparaissent en
1663. Après des années de querelles d’attributions
et en fait d’intérêts, l’édit de juillet 1654 confie aux
trésoriers de la marine de Ponant la dépense de
toute la Marine, ceux du Levant devant se contenter
des Galères, ce qui constitue bien un
démembrement de leur charge.
L’existence de commis des trésoriers astreints à
résidence est attestée en 1603. Colbert veut qu’il y
en ait partout où l’on travaille pour la Marine, y
compris en Bourgogne pour l’achat des bois. Si une
escadre part pour une longue expédition, un
414
commis doit s’embarquer avec elle pour le
maniement des fonds (un officier de plume fait les
fonctions d’ordonnateur pendant la campagne ; seul
celui-ci subsiste par la suite, le commandant
devenant dépositaire des fonds, si un autre officier
ne peut faire de paiements). En 1691 encore, le
ministre écrit à Rochefort : « le Roi donne des
taxations au trésorier pour avoir des commis ou des
correspondants dans tous les lieux où l’on travaille
pour la Marine ». Les trésoriers généraux répondent
de leurs commis ; les conflits qui les opposent sont
du ressort de la justice réglée, et le trésorier peut se
rembourser sur les biens d’un commis défaillant.
Les commis deviennent communs aux deux
trésoriers généraux à partir de 1782 seulement.
L’ère de stabilité commencée en 1654 s’achève en
1690, lorsque le gouvernement cherche à faire
argent de charges dont l’importance est devenue
considérable par suite de la croissance de la Marine.
L’édit de novembre 1691 portant création de
charges de trésoriers et de contrôleurs généraux de
la Marine fait date dans l’institution. Les six
charges existantes (Marine et Galères) sont
remplacées par six autres charges : deux pour les
dépenses de la Marine (y compris aux colonies),
deux pour les Galères, deux pour les fortifications
des côtes de France et des colonies. La finance de
chacune des deux nouvelles charges de la Marine
est de 550 000 1, contre 450 000 1 pour les trois
anciennes. Divers édits modifient jusqu’à la fin les
conditions d’exercice des charges, dont le nombre
varie de 2 à 6 pour les trois départements de la
Marine, des Galères (jusqu’en 1749) et des
Colonies. La finance de chaque charge augmente
tellement qu’un particulier ne pourrait en acheter
deux ; dans le dernier état, celui de 1771 confirmé
en 1782, il y a deux trésoriers généraux de la
Marine et des Colonies réunies, et chaque charge
vaut 1 200 000 1. Outre la rémunération du capital
immobilisé sous forme de gages, ces trésoriers ont
touché, suivant les époques, des taxations fixes ou
variables (proportionnelles aux sommes maniées)
ou les deux à la fois et d’autres indemnités pour
frais, et l’on a considéré qu’une partie de tous ces
défraiements devait tenir lieu de rémunération. H.
Legohérel a estimé la rentabilité nette du capital à
20 % environ à la fin du règne de Louis XIV et de
6 à 10 % par an ensuite (en faisant la moyenne des
années d’exercice et des années hors exercice) ; elle
est exactement de 8 % lors de la transformation des
charges en quasi-commissions par Necker. Ces
revenus sont ceux du comptable ; ceux du financier
sont bien supérieurs : 50 % en 1703, 83 % en 1778.
Ces chiffres donnent une idée de la position sociale
que ces comptables ont pu atteindre et leur position
spéciale parmi les officiers du roi.
Le secrétaire d’État choisissait le trésorier général
qui devait remplacer un officier démissionnaire ou
décédé et payer la finance à l’officier lui-même ou à
ses héritiers. Jusqu’en 1691, la charge est de valeur
moyenne, c’est un tremplin. À la fin de l’Ancien
régime, c’est un accomplissement. L’édit de
rétablissement de juin 1782 la déclare héréditaire,
alors qu’elle était casuelle depuis 1661, quoique
deux familles en aient détenu une pendant trois
générations (les Moufle, 25 exercices et les de
Selle, 29 exercices).
Chaque caisse de dépenses reçoit de grosses
sommes de quelques caisses de recettes. Le travail
des trésoriers des départements est plus minutieux,
dans la mesure où ils doivent fournir les pièces
justificatives des paiements. Ils ont donc presque
toujours eu chacun un contrôleur général à leurs
côtés, qui tient journal et doit identifier le nom de
chaque partie prenante. Les huit anciens offices de
contrôleur général de la Marine et des Galères ont
été remboursés par des arrêts du Conseil de 1669 et
1682. Ils sont dits supprimés et remplacés par deux
offices de contrôleur général des trésoriers
généraux, « pour exercer et tenir alternativement le
registre et contrôle des sommes qui seront payées à
nos trésoriers généraux sur leurs quittances et de
toutes celles qui seront payées par lesdits trésoriers
généraux, suivant nos ordonnances, contrôler toutes
les quittances, tant desdits trésoriers que des
particuliers, ensemble les provisions, commissions
et brevets qui seront par nous accordés aux officiers
de la Marine, Galères et fortifications des places
maritimes. » Les contrôleurs de la Marine dans les
ports (voir la notice contrôle administratif*) ont
aussi des comptes à rendre à ces contrôleurs
parisiens : le Roi veut que les premiers « tiennent
bon et fidèle registre de toutes les dépenses qui s’y
feront et des acquits qu’ils contrôleront, duquel
registre [de contrôle des paiements dans le ports] ils
enverront un double d’eux certifié à notre
contrôleur général en exercice à la fin de chaque
année, et que, pour le contrôle de chaque quittance,
il leur soit payé [...], desquels droits de 5 s et 10 s il
appartiendra aux conseillers contrôleurs commis
[57'c] la moitié qu’ils retiendront par leurs mains et
l’autre moitié appartiendra à notre contrôleur
général en exercice, auxquels lesdits contrôleurs
commis seront tenus d’en faire le paiement. » L’édit
prévoit un autre tarif pour les actes du contrôleur
général, mais sans partage... Les droits sont une
partie des revenus des contrôleurs généraux, qui
touchent des gages et des droits d’exercice. Des
contrôleurs généraux des trésoriers généraux des
départements sont affectés au contrôle général des
finances lorsque Necker supprime la majorité des
offices de trésorier général.
Les fonctions du trésorier général : le comptable
Trois ensembles de documents sont dressés pour
l’exécution du budget, les états généraux des fonds*
et les états du roi* annuels des départements d’une
part, les états de distribution* mensuels de fonds de
l’autre. L’état général des fonds sert à calculer le
montant de l’assignation* donnée au trésorier pour
encaisser les fonds de son service et à établir sa
quittance* comptable, celle-ci étant un ordre de
paiement aux yeux du trésorier de l’Épargne ou
garde du Trésor royal. Il est communiqué en entier
au trésorier général et, par extraits, aux
ordonnateurs*. Le roi ordonnance lui-même une
partie des dépenses contenues dans l’état et délègue
l’autre partie. Le commis principal du trésorier
général dans le port ne connaît que le montant des
fonds «à ne pas divertir», c’est-à-dire à ne pas
affecter à d’autres dépenses. D’autre part, les
intendants et ordonnateurs dans les ports n’ont pas
le droit d’ordonnancer (on dit alors ordonner) des
dépenses non prévues au budget ou au moins celles
qui excèdent le montant total réglé par le Roi sans
une autorisation que le ministre lui demande, ainsi
que l’explique Colbert : « Il faudra me donner avis
des dépenses à faire pour lesquelles il n’aura été fait
aucun fonds, afin que j’y pourvoie, plutôt que d’y
employer un fonds [destiné] à une autre dépense
[...]. Quand il survient quelque dépense absolument
nécessaire pour le service du Roi et qu’il ne reste
aucun fonds entre les mains du trésorier, ni des
dépenses extraordinaires, ni des deniers revenants-
bons de l’année précédente, il faut la proposer au
roi, lui faire voir qu’il n’y a point de fonds ; si S.M.
l'ordonne, en expédier l’état ou l’ordonnance de
fonds».
L’état général des fonds comprend deux catégories
principales : les fonds dits libellés (affectés à telle
dépense précise, armements, soldes ou
appointements) et les fonds « pour les dépenses des
ports ». Si l’ordonnateur « divertit » les fonds de la
première catégorie, en utilisant une partie à des
dépenses qui ne sont pas celles auxquelles ils sont
affectés, c’est le trésorier qui est sanctionné. Pour
cette raison, ce dernier doit confronter les
ordonnances avec l’état général et refuser de payer
en cas de diversion (et non de dépassement). Ceci
est donc un contrôle limité de l’ordonnateur*
secondaire par le comptable* ; si le trésorier ou ses
commis le négligent, le premier s’expose à la
radiation des sommes en cause. Les dépassements
de crédits ont valu quelquefois aux ordonnateurs
des retranchements d’appointements de la part du
secrétaire d’État, le contrôleur général des finances
n 'ayant aucun moyen de les obliger à respecter les
crédits prévus pour leurs dépenses.
Les dépenses payables à Paris sont ordonnancées
par le roi, ainsi que certaines dépenses payables
dans les ports (toutes celles de la première catégorie
peut-être). Les autres dépenses des ports sont
laissées, dans une certaine mesure, à l’appréciation
des ordonnateurs secondaires, étant entendu que
l’état général des fonds a été établi en fonction d’un
programme de constructions et d’entretien entériné
par le ministre ou par le roi. Quand certaines
dépenses conduisent à excéder la somme allouée en
masse, Colbert commence par gronder
l’ordonnateur, afin de l’engager à plus d’économie,
415
 puis il lui accorde une rallonge. Ici le commis n’a
connaissance ni du montant ni du détail des fonds
alloués ; il les encaisse et paie après avoir vérifié la
régularité formelle des ordonnances* et de leurs
pièces justificatives*. Il doit seulement avertir son
chef, s’il voit ses fonds diminuer de manière
anormale. Quand les fonds viennent à manquer, soit
à partir de 1690, le contrôle des dépassements de
crédits se fait plus rigide. Aux XVIe et XVIIe
siècles, les dépenses de la Marine peuvent aussi se
décomposer comme suit : 1° personnel entretenu,
soldats et matelots, administration centrale
(ministre compris) ; 2° matériel naval ; 3°
installations des ports et fortifications des places
maritimes ; 4° dépenses extraordinaires. On notera
encore que, jusqu’à Colbert, les capitaines recrutent
leurs hommes et reçoivent une somme globale pour
leur entretien et celui du ou des navires qui leur
sont confiés, une sorte de fret : ils ont donc un
maniement de deniers.
Le trésorier général ne peut envoyer de fonds à ses
commis sans un ordre écrit ; ces ordres permettent
au secrétaire d’État de connaître l’état de sa caisse.
Ce sont les états, les ordres de remise de fonds, les
ordres de comptant et les ordonnances de décharge.
Les états se rapportent au paiement des soldes et
appointements à Paris ou dans les ports, mais avec
une ordonnance de paiement* du roi. Les
ordonnances de remise de fonds concernent une
opération particulière (avec l’ordonnance de
paiement du roi) ou les dépenses du port. Les ordres
de comptant et les ordonnances de décharge sont
envoyés au trésorier pour les dépenses qu’il a faites
lui-même pour pensions ou pour gratifications,
indemnités, dépenses extraordinaires. Les
ordonnances de décharge suivent souvent le
paiement ordonné verbalement par le secrétaire
d’État ou le roi. Le détail du port avec lequel le
commis du trésorier général entretient les rapports
les plus constants est celui des fonds. Un ancien
intendant de la Marine à Rochefort et ancien adjoint
du ministre en 1758 dit qu’il est, de tous les détails,
« celui qui a été depuis longtemps le plus négligé et
le moins recherché de la part de ceux qui doivent le
remplir, tant par la sécheresse du travail que ce
détail fournit et le peu de soin qu’on a eu d’y
former des sujets, que par le peu d’attention qu’on a
apporté en général depuis quelque temps à ce qui
concerne ce détail. Il ne saurait cependant être
rempli trop exactement, non seulement pour l’ordre
de la comptabilité et des finances de la Marine,
objet qu’on ne saurait assez recommander, mais
encore pour tenir en règle les autres détails des
ports par rapport aux dépenses. C’est à ce détail que
se rapportent toutes les ordonnances de recette et de
paiement, les états de distribution arrêtés à la Cour,
les états de demande de fonds, les états de remise de
fonds, soit de la part des trésoriers généraux, soit
d’un port à un autre ou autrement, les états ou
ordonnances de recette extraordinaire, ainsi que
416
l’expédition de toutes les décharges en forme et des
comptes des trésoriers ou autres avec le roi. Il faut
encore à la tête de ce détail un bon commissaire de
la Marine instruit de cette partie et capable d’un
travail sédentaire. »
Le Guidon général des finances décrit l’activité des
trésoriers de la Marine, mais ne traite que des
soldes, achats de matériel et frais de mission*. Les
règles qui y figurent ont été reprises par Colbert
dans le règlement du 14 novembre 1678 et le livre
XXI de l’ordonnance du 15 avril 1689 intitulé
« Des pièces et acquits nécessaires au trésorier
général de la Marine pour la justification de la
recette et dépense de ses comptes [en deniers] ». En
voici quelques éléments. L’ordonnance de
paiement* doit être accompagnée des pièces
justifiant l’exécution de la prestation et donnant la
preuve du paiement. Dans le cas du paiement de
soldats, marins, ouvriers, le rôle de revue certifié
par le contrôleur de la Marine, qui assiste aussi au
paiement public, fait preuve. Les officiers et autres
entretenus doivent de plus montrer leur commission
ou brevet ; pour les marchés, il faut l’acte lui-même
et les certificats de réception. La preuve du
paiement est apportée par une quittance (payante)
au nom du trésorier. L’ordonnance de décharge, qui
récapitule les pièces, est délivrée par l’ordonnateur
au trésorier sur présentation du dossier du paiement.
Le trésorier justifie de sa recette, sans oublier les
recettes extraordinaires qu’il a faites pour le compte
du roi, par les ampliations de quittances données au
garde du Trésor ou aux receveurs généraux et qu’ils
ont signées pour les mouvements de fonds et,
d’autre part, par la procédure décrite dans
l’ordonnance de 1689, livre XXI, titre 1er, pour les
opérations de recette.
Ces comptables sont tenus, dès avant Sully, de tenir
deux registres-journaux*, un pour les recettes, un
pour les dépenses, mais ils les négligent. L’objectif
immédiat est de déterminer le solde à tout moment.
L’obligation est rappelée à tous les comptables* par
l’édit de juin 1716 et précisée par la déclaration du
4 octobre 1723 (voir la notice journal, registre-
journal). Comme la loi de 1716 n’établit pas de
forme précise, ils ont demandé de conserver les
journaux à quatre colonnes utilisés depuis 1724,
ceux de la Guerre probablement (arrêt du 15 mars
1724). La déclaration du 9 juillet 1726, qui met fin
à l’expérience des frères Pâris*, les dispense
d’envoyer copie de leurs journaux, il suffit qu’ils
adressent au ministre à la fin de chaque mois une
balance ou bordereau des recettes et dépenses
faites, en séparant celles qui auront été faites en
effets exigibles des autres.
Le commis principal dans le port rend compte au
trésorier des fonds qu’il reçoit et à l’ordonnateur de
ceux qu’il dépense. Les commis ont été tentés
d’empiéter sur les fonctions de l’ordonnateur en
payant quand il leur plaisait les dépenses qu’ils
jugeaient à propos de payer. Le commis principal
adresse au premier le compte de l’année afin de lui
permettre d’établir le sien. L’intendant doit être au
courant de la situation financière. Il reçoit un
double des ordres de la Cour afin de surveiller le
premier commis. Il tient registre de la recette, qu’il
expédie à la Cour à la fin de l’année. Son bureau
des fonds tient registre des ordres de paiement
donnés au commis, registre que tient aussi le
commis et qui sert ou peut servir de contrôle. Ces
registres pennettent d’arrêter l’état en forme des
dépenses du commis dans l’année. Le contrôleur de
la Marine dans le port tient lui aussi le registre des
recettes et des dépenses faites par le commis. Il
assiste à l’arrêté de ses comptes avec l’intendant ou
ordonnateur. En sa qualité de gardien de la bonne
règle en matière administrative, il semble qu’il a
bien rempli ce rôle, mieux en tout cas que les
ordonnateurs.
Sous Colbert, l’examen des comptes des trésoriers,
du munitionnaire et des intendants est réalisé par
son adjoint d’Usson de Bonrepaus (1744-1719). En
1687, il est confié à un nouveau bureau dit de
l’examen des comptes, qui s’ajoute au bureau des
fonds et rejoint le contrôle général en 1781. Dans
les quatre mois qui suivent la fin de chacun de ses
exercices, le trésorier général remet à ce bureau
l’état au vrai* de sa gestion comprenant par
exercices les recettes et les dépenses, les
assignations* non recouvrées, les revenants-bons*
et les dépenses extraordinaires non comprises dans
l’état général des fonds* (dont font longtemps
partie les dépenses des armements, considérées plus
ou moins comme superflues !). C’est un état
provisoire qui doit être complété par les comptes
particuliers des commis pourvus des décharges
signées des intendant et contrôleur. Il est fait
double, l’un pour les recettes, l’autre pour les
dépenses, le compte d’exercice comprenant
dépenses et recettes (édit de juin 1717). L’état
devenu « définitif » est présenté au Conseil et à la
signature du roi, qui doit y assister. Les différents
états au vrai contenant des dépenses ou recettes de
Y exercice sont ensuite déférés à la Chambre des
comptes avec le compte d’exercice du trésorier.
L’édit de 1553 donne deux ans au trésorier pour
« rendre, clore et affiner » ce compte à cette
juridiction (davantage lorsque sont apparues des
dépenses pour les colonies). Le délai réel n’a jamais
été inférieur à trois ans et il a atteint 28 ans ; le
dernier exercice jugé de la Marine et des Colonies
est celui de 1774... en mars 1789.
Le comte de Maurepas (1701-1781), successeur de
Morville en 1723, s’applique à perfectionner l’état
des dépenses payées par le trésorier en exercice et
la régularité des paiements. Il distingue en
particulier dans le 1er chapitre les ouvrages à prix
fait des ouvrages à la journée. Les acomptes des
ouvrages de conséquence sont à payer sur
ordonnances en forme ; pour les autres ouvrages, il
faut une ordonnance à expédier au plus tard dans les
trois mois ou à la fin de chaque trimestre car, passé
ce ternie, le commis du trésorier est en droit de
refuser de payer la suite d’une dépense dont il
n’aura pas les décharges des paiements précédents.
L’ordonnance du 12 mars 1725 doit permettre de
« remédier à la variété des usages et lever les
difficultés qui pourraient se rencontrer lors de la
reddition des comptes à la Chambre des comptes » ;
voici comment elle règle le paiement des
appointements. Les officiers militaires, payés par
des états expédiés par la Cour à la fin de chaque
mois (ils sont établis dans les ports d’après les
revues et envoyés à la Cour, qui exerce ainsi sa
surveillance), fournissent chaque mois des
quittances contrôlées de leurs appointements. La
Cour enverra aussi des états mensuels pour les
officiers-mariniers entretenus, qui sont payés sur la
certification du contrôleur de la Marine (ce qui leur
évite de lui régler le droit de quittance). Les
officiers de port et de plume, ceux des hôpitaux et
de la prévôté, les maîtres d’ouvrages et autres
entretenus qui sont payés par des états particuliers
expédiés à la fin de chaque trimestre et dont les
appointements dépassent 50 1. par mois reçoivent
leur dû sur la certification du contrôleur. Les
officiers réformés (en fait surtout des retraités), qui
sont payés par semestre, fournissent des quittances
contrôlées, « attendu qu’ils ne sont pas obligés de
résider dans les ports et qu’ils ne peuvent pas être
payés en présence du contrôleur », sauf les
écrivains, maîtres d’ouvrages, officiers-mariniers et
bas-officiers de galère (parce que leur traitement de
réforme est faible). Les officiers des gardes du
pavillon et de la Marine fournissent des quittances
contrôlées comme les autres officiers de marine ;
les gradés et les simples gardes des compagnies
d’élèves-officiers sont payés sur la certification du
contrôleur. À la fin de l’Ancien régime,
l’interdiction du changement de destination des
fonds s’étend à tous les chapitres d’un exercice,
d’un exercice à l’autre et des dettes anciennes au
service courant.
La responsabilité des trésoriers généraux, compte
tenu de leur rôle de financier, ne peut être engagée
dans les conditions légales. Les héritiers de
Vanolles (1659-1714) ont payé pour lui, parce que
le gouvernement a attendu sa mort ; la faillite du
financier Baudard de Sainte-James a entraîné celle
du comptable et la liquidation de ses biens après sa
mort, alors que la fragilité de sa situation financière
était connue.
Les fonctions du trésorier général : le financier
Colbert avait prescrit aux trésoriers de la Marine de
ne payer qu’après avoir reçu les fonds, l’avance
n’étant permise que d’après son autorisation
préalable. Or, il est impossible de maintenir la règle
lorsque les fonds manquent et que les dépenses des
ordonnateurs excèdent les montants prévus pour de
bonnes ou de moins bonnes raisons. A partir de
417
 1690 et jusqu’à la Révolution, la Marine manque
constamment de fonds pour faire face à des
dépenses dont le niveau est pourtant très variable.
Le gouvernement recourt donc à nouveau au crédit
personnel des trésoriers pour soutenir celui de
l’État, et pour des montants de plus en plus
importants en temps de guerre. Ils font des avances
portant intérêt en l’absence d’argent en caisse ou
d’assignations sur d’autres caisses, à la fois pour
assurer leur fonds de roulement et pallier les
défaillances du Trésor royal. Leurs billets sont
devenus une monnaie permanente. Notons que cette
nouvelle obligation n’est consignée ni dans les édits
de création des charges, ni dans les lettres de
provision. Les commis du trésorier général dans les
ports ont eux-mêmes du crédit, qu’ils utilisent pour
payer des dépenses en lettres de change sur celui-ci
lorsqu’ils manquent de fonds.
Les fonds accordés à la Marine ne sont donc pas
tous versés au trésorier général, ou alors certaines
assignations sont inutilisables. Une partie des
dépenses ne peut être payée et elle est reportée sur
l’exercice suivant, creusant la dette de la Marine.
Les paiements sont désorganisés, parce qu’il n’est
pas possible d’affecter les fonds d’une année aux
paiements prévus la même année, à cause des
dettes. La banqueroute de Terray n’empêche pas la
reconstitution de la dette particulière : elle est de 28
millions en 1776 et d’environ 200 millions en 1784.
Une assignation sur des revenus à percevoir deux
ou trois ans plus tard reste inutilisable jusqu’à son
échéance, sauf à la négocier à perte : dans les deux
cas, c’est une amputation des fonds de l’exercice en
cours. Le trésorier général, contraint de négocier
des papiers que le Trésor lui fournit, essaie de
limiter ses pertes et engage sa responsabilité vis-à-
vis des tiers qui lui en rachètent. Le prêt est d’abord
le moyen d’éviter des pertes, avant d’être celui de
gagner de l’argent.
Le trésorier général attire les particuliers qui
acceptent ses billets dans la confiance qu’il les
remboursera en espèces et ceux qui détiennent des
espèces et les placent entre ses mains ou celles de
ses agents. Il paie ou fait payer les dépenses en
espèces (celles du roi, les siennes et celles de ses
créanciers) ou par des billets pour un règlement
ultérieur. Selon la doctrine officielle, le paiement
par billets reporte le paiement réel sur le contrôle
général des finances. Mais le public les considère
comme des engagements personnels du trésorier et
des engagements plus solides que ceux du roi. Les
billets n’auraient pas dû circuler jusqu’à leur retour
au trésorier général pour paiement ; ils circulent en
fait dès le début du XVIIIe siècle et servent parfois
aux fournisseurs qui ont des droits à acquitter. La
masse des billets de la Marine atteint un demi-
milliard en 1715. Le Régent décide par l’arrêt du
Conseil du 17 octobre 1716 que ceux qui n’ont pas
été convertis en rentes ou en offices selon la
déclaration du 16 août 1712 seront remboursés,
418
selon le cas, au cinquième (billets et autres effets
qui ont déjà été négociés), aux deux cinquièmes ou
aux quatre cinquièmes (soldes et appointements),
ceci afin de soumettre ces dettes au visa comme les
autres. L’opération décharge les trésoriers d’un
paiement intermédiaire qu’ils n’auraient d’ailleurs
pu faire sans se ruiner : les nouveaux billets sont
des billets de l’État. Ils peuvent émettre de
nouveaux billets sans risque, tant que les dépenses
de la Marine restent aussi faibles. La question des
effets de marine revient pendant la guerre de Sept
ans, en 1758. Le crédit des trésoriers n’a pas suffi :
une compagnie, formée par Beaujon (1718-1786),
ancien receveur général des finances, banquier de la
Cour, par le garde du Trésor, le trésorier de
l’artillerie et le banquier Goossens, s’engageait à
fournir 3 millions par mois à la Marine. La même
méthode est suivie par l’abbé Terray mais, cette
fois, le crédit des billets a été entamé. Turgot et
Necker sont hostiles aux banqueroutes afin de
préserver le crédit public, mais c’est aux dépens de
celui des officiers de finances : l’excès de billets
émis par Baudard de Sainte-James (1738-1787) est
à l’origine de sa faillite, et cette faillite, qui s’ajoute
à celle d’autres comptables, dont celle de Mégret de
Serilly (1746-1794), trésorier général de
l’extraordinaire des guerres, justifie en partie la
suppression des trésoriers généraux.
La fin des trésoriers généraux des départements
ministériels
John Bosher a montré de façon convaincante que la
forme donnée au Trésor royal en 1788 n’était pas la
solution trouvée tout d’un coup afin de résoudre la
crise financière puis politique de l’année
précédente, mais le résultat d’une réforme
commencée par l’abbé Terray (1715-1778) et
amplifiée par Necker (1732-1804), puis enrayée par
les derniers ministres des finances partisans des
officiers-prêteurs et des caisses multiples et
autonomes. Necker explique dans le Compte rendu
au Roi publié en mars 1781 que l’économie n’est
pas le seul motif de réduction du nombre des
trésoriers (et de celui des autres comptables*).
D’abord, écrit-il, « c’est un grand bien en général
que de diminuer le nombre des caisses, parce qu’il
n’en est aucune qui n’entraîne avec elle un fonds
mort et que tout fonds mort diminue l’action de la
circulation ; d’ailleurs, multiplier les trésoriers,
c’est multiplier les risques et les surveillances, or, il
n’est ni inspection ni contrôle qui puisse être une
caution certaine, lorsque le comptable veut abuser
et mettre son art à se procurer des jouissances de
fonds [... Donc] il est essentiel pour les intérêts du
roi qu’un ministre des finances n’ait à fixer son
attention que sur un petit nombre de comptables,
distingués encore par leur état et par leur fortune ».
Necker précise que les trésoriers généraux ne sont
pas de simples particuliers, en ce qu’ils influent sur
le crédit public. Il les a placés sous sa dépendance
en 1778, une dépendance encore imparfaite, mais
qui comporte les avantages suivants : d’une part, le
public prendra davantage confiance en eux, ou
plutôt cette confiance sera mieux fondée ; de
l’autre, le roi (et son ministre) connaîtra mieux le
détail des dépenses payées, sans priver les autres
ministres de la connaissance de la situation qu’ils
ont déjà. Enfin, écrit le ministre, l’expérience
montre que ce n’est pas le nombre des emprunteurs
qui multiplie les ressources. La réunion des
receveurs généraux des finances* en une
administration et la division de celle des impôts et
droits indirects n’ont pas ébranlé la confiance,
contrairement à ce qu’indiquent de vieilles
maximes.
Par l’arrêt du 18 octobre 1778 et l’édit de novembre
de la même année, Necker réforme le système des
trésoriers des départements. Leur nombre est réduit,
ils reçoivent un traitement fixe, leurs frais étant pris
en charge par l’État ; ils peuvent être révoqués. Le
trésorier de la Marine et des colonies, devenu
unique, continue d’exécuter les ordres du secrétaire
d’État et des ordonnateurs, mais il doit faire
connaître l’état de sa caisse au contrôleur général
lorsqu’il le demande et lui envoyer un compte
mensuel des recettes et des dépenses. Il ne peut plus
faire ni billet ni avance sans son autorisation. Le
contrôleur général peut ainsi savoir si la répartition
des fonds par ports et par objets est conforme au
budget, si des fonds sont divertis ensuite ou
consommés trop rapidement et empêcher le
trésorier de confondre sa caisse personnelle et celle
de la Marine. Necker entend faire des emprunts des
trésoriers des opérations dirigées par les Finances.
Et le contrôleur général détient désonnais le droit
de présentation au roi des nouveaux trésoriers
généraux.
Quatre édits ont donc réduit à sept les quarante et
un trésoriers ou trésoriers généraux des
départements ministériels, y compris les gardes du
Trésor royal : réduction à un seul des neuf trésoriers
généraux du département de la Guerre, des deux
trésoriers généraux de la Marine et des Colonies
(novembre 1778) et des deux trésoriers généraux
des Ponts et Chaussées (février 1779) ;
remplacement des quinze trésoriers généraux du
département de la maison du roi (y compris le
trésorier des Bâtiments, ceux du marc d’or et ceux
de la maison de la reine) par un trésorier général
des dépenses des deux maisons (juillet 1779) ;
suppression des trois offices de trésorier des Suisses
et des Grisons, avec rattachement des fonctions au
Trésor royal, et constitution d’un office de trésorier
général des dépenses diverses par réunion de
l’office de trésorier de la police de Paris et de sept
commissions diverses (octobre 1779). Les nouveaux
officiers reçoivent un traitement fixe assorti d’une
gratification à discrétion et une allocation pour leurs
frais personnels, le personnel étant rémunéré par le
roi : il n’y a plus qu’à transformer leur finance en
cautionnement pour faire d’eux des commissaires.
Les offices des contrôleurs placés auprès des
trésoriers supprimés sont remplacés par des
commissions pour servir au contrôle général, et plus
précisément sous les ordres du premier commis des
finances, alors Bertrand Dufresne (1736-1801).
Après le départ de Necker, quatre édits portent
rétablissement d’autant d’offices supprimés :
Maison de la reine (octobre 1781), offices
alternatifs de la Guerre et de la Marine (juin 1782)
et Bâtiments (décembre 1783). Le système des
taxations est rétabli. Des contrôleurs généraux sont
placés à nouveau près des trésoriers en 1786.
Ces changements éphémères sont suivis en 1788
d’une autre réforme, et celle-ci est radicale. L’édit
de mars est entièrement motivé par les effets
néfastes des caisses multiples. Leurs opérations
peuvent se contrarier et compromettre le « crédit
général ». La distribution de fonds à des époques
déterminées est parfois anticipée et, si le Trésor doit
recourir à des anticipations, il reçoit quelquefois des
fonds dont il s’est dessaisi sans nécessité. De plus,
le dérangement des affaires privées de plusieurs
trésoriers est retombé sur le Trésor, par les avances
qu’il leur a faites et par la difficulté de distinguer
les traites ayant rapport au service des autres traites
et de recouvrer leurs débets. L’unité de caisse, au
moins pour les dépenses des ministères, permet de
distribuer les fonds au moment et à proportion des
dépenses, sans fonds morts et de manière
économique, et aussi de mettre de l’ordre dans la
comptabilité. Aucun intérêt ne s’oppose plus à la
reddition rapide des comptes, que le nouvel
établissement doit simplifier. Les offices des
trésoriers des départements ministériels sont
supprimés au 1 "juillet. Leurs caisses sont réunies
au Trésor, en attendant l’union de toutes les autres
caisses ; tous les revenus de l’État doivent y passer,
au moins en compte, avant d’être distribués. Le
Trésor dans sa nouvelle forme reste placé sous la
direction du contrôleur général des finances. Il est
confié à un intendant et à cinq administrateurs-
comptables, d’anciens trésoriers ou gardes du
Trésor tous commissionnés par le roi (ils sont
soumis au cautionnement pour un montant de
1 200 000 1 ; c’est la conversion de leur finance), le
premier est chargé de la caisse générale pour toutes
les recettes et l’acquit de toutes les dépenses, les
quatre autres des dépenses. La Marine et les
Colonies sont confiées à l’un d’eux, qui n’est autre
que Boutin (1719-1794), ancien trésorier du
département. Le règlement du 30 mars 1788 précise
que la caisse générale fera toutes les recettes et
qu’elle fera les dépenses par l’intermédiaire des
quatre caisses auxiliaires placées auprès des
administra-teurs du trésor. Il se rapporte
visiblement aux dépenses payables à Paris. Le
règlement du 1er juin rendu pour la Marine précise
que les dépenses payables dans les ports et les
419
 colonies proviennent également de la caisse
générale.
L’administrateur chargé de la caisse générale doit
présenter au Conseil royal des finances, chaque
année au mois d’avril, l’état au vrai des recettes et
des dépenses qu’il a faites l’année précédente et il
en rend compte ensuite à la Chambre des comptes,
les autres administrateurs en font autant pour ce qui
concerne leurs dépenses, dans les formes et les
délais fixés par les ordonnances en vigueur.
L’ensemble des états au vrai, après leur examen au
Conseil royal, doit être publié. Les livres de la
caisse générale sont tenus en partie double ; la
balance des livres est faite au 31 décembre. Une
copie de cette balance, avec les journaux et le grand
livre, est remise au bureau de comptabilité afin de
dresser les comptes dans la fonne de la Chambre
des comptes*, c’est-à-dire par exercices. Le compte
de 1788 doit donc comporter deux parties : la
première, les dépenses et recettes faites jusqu’au 30
juin par les gardes du Trésor, par addition des
journaux des exercices arriérés ; la seconde de
même, par le Trésor, « de même que la Chambre
des comptes aura sous les yeux l’ensemble de
chaque exercice ». Les notions d'exercice et de
gestion se distinguent et s’opposent donc mieux
dans cette mesure transitoire. Le ministre des
finances rétablit, par le règlement du 29 mars 1800
(8 genninal an VIII) la comptabilité de gestion
concurremment avec la comptabilité d’exercice, et
ce règlement est mal appliqué par les ordonnateurs
et par les comptables. L’adoption de la gestion à la
place de l’exercice pour les comptes des comptables
et de la clôture des exercices au bout de deux ans
sous la Restauration résolvent deux anciens
problèmes en mettant enfin de l’ordre dans les
comptes.
D’après le règlement du 1er juin 1788, le ministre de
la Marine remet en septembre au contrôleur général
des finances un projet détaillé des dépenses de
l’année suivante en respectant le montant fixé
d’avance par le roi. Il serait plus logique de
déterminer le montant après l’examen du projet... à
moins que le montant définitif ne soit toujours
décidé au Conseil, conformément au règlement de
1661. De même le ministre remet-il tous les mois
les états de distribution à acquitter le mois suivant,
mais le règlement du 30 mars dispose que le
contrôleur général des finances les arrête, c’est-à-
dire qu’il dispose d’un pouvoir d’appréciation,
pouvoir qui dérive de ses attributions en matière de
recettes et du rattachement du Trésor à son
administration. Les trésoriers salariés, qui
remplacent les commis des trésoriers généraux et
sont soumis au cautionnement, n’ont pas le droit de
payer les ordonnances si elles ne sont pas
accompagnées des « pièces comptables [pièces
justificatives* ou décharges] exigibles par la
Chambre, les rendant responsables des sommes qui
ne seraient pas allouées [par le Conseil] lors de
420
approuvées par les ordonnateurs ou conseils et La réunion en un même « compte » des éléments
l’arrêté de l’état au vrai*, par le manque de pièces
visées par les commandants à la mer (voir la notice relatifs aux recettes et aux dépenses
nécessaires ou défaut d’icelles ».
traites de la Marine*). La mise en place des L’unité budgétaire, en tant que réunion au sein d’un
Cette prescription est une nouveauté, si l’on
nouveaux trésoriers est fixée comme celle des même document des éléments constitutifs du
consulte l’ordonnance du 15 avril 1689, qui ne
administrateurs du Trésor royal au 1er juillet 1788. budget de l’État, s’établit sous la Restauration dans
prévoit aucune sanction pécuniaire frappant les
Ces trésoriers subsistent jusqu’en 1865 et leurs les faits avant de s’affirmer en droit. De 1814 à
trésoriers et encore moins leurs commis pour
anciens chefs disparaissent en 1791 pour reparaître 1819, les dépenses et les recettes de l’État figurent
omission de pièces (alors que les officiers de
en 1800, jusqu’en 1817 (notice payeur du Trésor*). dans une même loi. La célèbre loi du 25 mars 1817
marine encourent assez souvent cette sanction, mais
Le Trésor, quant à lui, était bien bâti : il a traversé est autant une loi sur les finances qu’une loi de
pour d’autres raisons...). C’est le début du contrôle
la tempête et sa forme, au XIXe siècle, n’a guère finances* comme en témoigne son organisation.
du comptable sur l’ordonnateur, qui s’affermit sous
changé. B.L. Elle intègre l’ensemble des éléments concourant à
la Restauration. La loi du 16 septembre 1807
l’unité budgétaire. Si son titre II fixe en 10 articles
établissant une Cour des comptes* dispose qu’elle
Sources : Encyclopédie méthodique, Finances. les budgets de 1814, 1815 et 1816, son titre III est
ne peut refuser aux payeurs l’allocation des
SHD Marine, ms SH 16, Mémoire sur la Marine, entièrement consacré au budget de 1817 qui sera
paiements qu’ils font sur les ordonnances revêtues
sans nom ni date. A.N. Marine, A2-25, mémoire et développé dans les titres suivants. Le texte
des formalités prescrites et accompagnées des
décision du comte de Maurepas du 24 avril 1724 et distingue ensuite les différentes recettes (les
acquits des parties prenantes et des pièces que
ordonnance du 12 mars 1725 portant règlement contributions directes au titre V, les droits
l’ordonnateur « aura prescrit d’y joindre ». Cet
pour les décharges des trésoriers de la Marine et des d’enregistrement au titre VI et les contributions
article permet ainsi aux ordonnateurs de ne pas en
Galères et lettre de Maurepas du 7 avril 1726. indirectes au titre VII) avant d’évoquer les moyens
produire et de les remplacer par la mention néant
Bibliographie : Alland D. et Riais S. (2003). Bosher des crédits au titre VIII. Cette unité normative n’est
sur l’ordonnance ou le mandat. Sous la Révolution,
J.F. (1970). Crepey A. dir., La Cour des comptes, cependant pas durablement installée. En 1819 et
les ministres prétextaient les circonstances pour
Paris, C.N.R.S., 1984. Dessert D. (1984). Frémont, 1820, les recettes et les dépenses feront l’objet de
faire payer des fournitures, réelles ou non, sans
Les payeurs d’armées. Historique du service de la deux lois distinctes. De 1821 à 1827, on retrouve
preuves de livraison. L’effort porte surtout de ce
trésorerie et des postes aux armées (1293-1870), une unité législative d’encadrement du budget. A
côté sous la Restauration.
Paris, Plon-Nourrit et C‘e, 1906. La comptabilité partir de 1828, ce sont de nouveaux deux textes
La pratique des acquits de plus ample décharge
publique (1995). Legohérel H. (1965). Lutun B. distincts qui sont votés le 17 août, quand bien
subsiste néanmoins en 1788 pour les dépenses
(2007). Mémain R., La marine de guerre sous même ils le sont le même jour après avoir été
pressées, mais les ordonnateurs doivent remettre les
Louis XIV. Le matériel. Rochefort, arsenal modèle étudiés par la même commission. Cette dualité sera
décharges en fonne qui manquent dans le premier
de Colbert, Paris, Hachette, 1937. Ozanam D. formalisée dans l’ordonnance du 31 mai 1838 qui
mois du trimestre suivant. L’administrateur du
(1969). distingue au sein de la comptabilité législative un
Trésor chargé de la Marine rassemble les décharges
chapitre consacré au « budget des recettes »
de sorte que, trois mois après la fin de chaque
Unité budgétaire formalisé par une « loi de l’impôt» et un chapitre
année, il puisse rédiger les comptes de l’année. Le
Audiffret* définissait l’unité financière comme « la consacré au « budget des dépenses » fonnalisé par
volume de ces pièces est considérable : Savalette de
centralisation, dans un seul tableau, des ressources la « loi annuelle de finances ». Cette dernière
Langes, pour son exercice de 1782 au Trésor, a
et des besoins de chaque exercice*, ainsi que l'unité comporte pourtant l’autorisation juridique, le
livré, dix ans plus tard, quelque 50 000 pièces. Les
de système, qui sont les bases fondamentales de consentement de l’impôt, et permet la
trésoriers des ports et des colonies lui envoient,
l’ordre dans les finances ». Le propos doit être correspondance entre les dépenses et les « voies et
ainsi qu’aux Finances, non la copie de leur journal,
précisé, le concept d’unité budgétaire doit être moyens » comprises dans le budget des recettes.
mais un « bordereau détaillé de la recette et
distingué de celui d’unité du Trésor* aussi appelé Pour autant, l’ordonnance de 1838 ne réalise pas
dépense » du mois écoulé, selon modèle : c’est
unité de caisse. Si le second implique le phénomène complètement l’unité budgétaire au sein de la loi de
encore la règle au XIXe siècle.
de centralisation de la caisse* publique autour d’un finances. Elle sera complétée sur ce point par
Les trésoriers envoient dans le premier mois de
compte unique, le premier implique qu’un l’article 31 du décret du 31 mai 1862 qui énonce
chaque trimestre à l’administrateur chargé de la
document unique —le budget*— comporte très clairement : « Chaque année les différents
Marine toutes les décharges en fonne du trimestre
l’ensemble des différents éléments techniques qui le ministres préparent le budget de leurs départements
écoulé ; ils lui adressent tous les mois, ainsi qu’à
composent pratiquement : le budget est alors un respectifs. Le ministre des finances centralise ces
l’administra-tion des Finances, comme nous venons
ensemble de comptes ou d’états* financiers. Il budgets et y ajoute celui des recettes pour
de le dire, le bordereau détaillé de leurs recettes et
compléter le budget général de l'État ». L’unité
dépenses arrêté au dernier jour du mois précédent. s’agit autant de rassembler les budgets ordinaires et
extraordinaires que de regrouper les dispositions budgétaire est dès lors est réalisée juridiquement à
De la sorte, cet administrateur sera en état de
relatives aux recettes et aux dépenses en un même travers le budget général de l’État, au sein des lois
rédiger les comptes de l’année dans les trois mois
qui la suivront. Celui-ci remet d’autre part aux ensemble. Thiers dira à ce sujet dans un discours du de finances.
3 juillet 1868 que « dans un pays bien administré, La distinction des budgets ordinaires et des budgets
Finances, à la fin de chaque semaine, l’état détaillé
des dépenses et des recettes qu’il aura faites. Les une seule chose est sincère, utile, profitable, c’est extraordinaires
d’avoir un seul budget*, d’avoir dans un seul La distinction entre les finances ordinaires et les
ordonnateurs ne peuvent faire tirer de traites sans
tableau toutes les dépenses de l’État, dans un seul finances extraordinaires permet à l’origine de
l’autorisation du secrétaire d’État, qui doit alors se
autre, toutes ses recettes. Alors on sait quelle est la séparer ce qui relève du domaine ordinaire des
concerter avec le contrôleur général, lequel donne
situation ; alors le public la comprend facilement et monarques (leurs revenus propres) de ce qui relève
ses ordres aux trésoriers. Toutes les dépenses
immédiatement, sans qu’il soit possible de faire de tout autre mode de financement (l’impôt est
concernant la Marine, faites par les bâtiments du roi
illusion à personne. (...). L’unité, c’est la lumière ». d’abord extraordinaire par nature avant d’intégrer
dans les colonies et les pays étrangers, sont
l’ordinaire). Les états* de prévoyance de l’ancien
acquittées par des lettres de change sur
régime mentionne clairement l’ordinaire qui est
l’administrateur du Trésor après avoir été
421
 prévisible, par rapport à l’extraordinaire qui sera
établi selon les circonstances. Constitué
principalement des dépenses de guerre,
l’extraordinaire est financé par l’emprunt. Michel
Bottin explique cette partition qui permettait « de
façon naturelle, d’éviter de financer des dépenses
extraordinaires par des revenus ordinaires et des
dépenses ordinaires par des revenus
extraordinaires » et constitue à ce titre une sorte de
principe de saine gestion. Faisant face à de
nombreuses difficultés, la Révolution ne présenta
pas de comptes de l’extraordinaire. C’est sous
l’Empire que réapparut une caisse de
l’extraordinaire* qui permettait de séparer
strictement le compte de la Nation du compte du
domaine extraordinaire de l’empereur dont les
recettes étaient constituées des tributs et autres
prélèvements opérés sur les pays conquis. La
Restauration maintint un budget extraordinaire pour
le paiement des réparations dues aux troupes
occupantes. La pratique s’estompa à partir des
années 1820 qui constituèrent en quelque sorte
l’âge d’or de l’unité budgétaire. Cependant, la
Monarchie de Juillet réintroduisit les budgets
extraordinaires par exemple avec la loi du 17 mai
1837 qui créa un budget extraordinaire pour
l’exécution des travaux publics. Il s’agissait en fait
d’isoler comptablement, plus que de camoufler,
certaines activités. Les recettes étaient constituées
du produit de rentes et les dépenses de travaux bien
identifiés. Dans un contexte d’émancipation du
Parlement, le débat autour de l’unité budgétaire
revêt alors une nouvelle signification, il ne
s’agissait plus seulement de présenter l’ensemble
des comptes dans une document unique mais de
favoriser l’infonnation financière des représentants.
Les récriminations de la Cour des comptes et du
Parlement poussèrent à réintégrer ces sommes dans
le budget général par la loi du 6 juin 1840.
Cependant, la spécialisation* du budget permit de
créer des chapitres* spéciaux, aussi bien en recette
qu’en dépense qui préfiguraient les budgets
annexes. La pratique des budgets extraordinaire ne
disparut pas pour autant puisqu’on en retrouvera
sous le Second Empire puis sous les Ille et IVe
Républiques en grande partie sur les questions
coloniales. S.K.
Voir Budget, Domaine extraordinaire, Equilibre,
Principes budgétaires, Spécialité
Unité de caisse, unité du Trésor
L’unité de caisse* et l’unité du Trésor* sont des
opérations de centralisation financière qui s’opèrent
progressivement dans de nombreux pays européens
à partir du XVIe siècle (voir à ce propos la notice
« caisse ») après un préalable nécessaire :
l’unification monétaire du royaume. Il faut
logiquement distinguer l’unité de caisse qui
consiste à réunir localement les différentes caisses,
de l’unité du Trésor qui consiste à réaliser le lien
422
entre toutes les caisses présentes au sein du
royaume via une caisse centrale. Ces deux réformes
comptables poursuivent un objectif commun de
meilleure administration des finances. Elles
permettent d’éviter la stagnation des fonds, c’est-à-
dire de faciliter les paiements au niveau local. Elles
permettent en outre d’accélérer la centralisation des
fonds disponibles, c’est-à-dire d’accroître les
disponibilités au niveau central.
Une volonté constante : centraliser le réseau des
caisses
En France, c’est une véritable « rupture
institutionnelle » selon les tenues de Philippe
Hamon, qui s’opère en 1523 avec la création du
Trésor de l’Epargne*. Annoncée au printemps, la
réforme est opérée par l’ordonnance du 28
décembre 1523. «Désonnais le trésorier de
l’Epargne doit encaisser la totalité des recettes de la
monarchie, réalisant ainsi une complète
centralisation ». Cependant, François Ier ne put
mettre en œuvre cette réforme telle qu’elle avait été
annoncée et maintint, à côté du trésorier de
l’Epargne, un trésorier des finances extraordinaires.
De plus, sous ces deux trésoriers centraux, la
« pulvérisation » restait la règle puisque de
multiples caisses d’un poids très variable se
disputaient les fonds. Colbert réduisit les trésoriers
au rôle de caissiers, puis de gardes du Trésor royal*
sous l’autorité du contrôle général des finances*.
L’idée d’unité s’effaça peu à peu sous la pression
des contingences financières. Ainsi la caisse
Legendre s’ajoutait à l’organisation financière en
1709. Elle était à l’origine chargée du
remboursement des billets émis lors de la guerre de
succession d’Espagne et devint la caisse commune*
des receveurs généraux. La formation de la ferme
générale*, dont on connaît la fortune sous la
monarchie et l’infortune sous la Révolution, ajouta
un nouveau réseau comptable au sein du royaume.
Des administrateurs comme Necker* marquèrent à
la fin du XVIIIe siècle une profonde volonté
centralisatrice. Dès son premier ministère, le
Genevois supprima de nombreuses charges
(trésorier général de la marine et des colonies, des
troupes de la Maison du roi, des guerres, de
l’artillerie, des maréchaussées etc.), puis remplaça
les quarante-huit receveurs généraux par la caisse
commune des impositions. Ces réformes
administratives s’inscrivaient dans une perspective
d’unification des caisses du royaume autour du
Trésor royal comme en témoigne la déclaration du
17 octobre 1779. Quelques années plus tard,
Calonne imprimait sa volonté de poursuivre dans ce
sens lorsqu’il déclarait que les « finances éprouvent
depuis longtemps des inconvénients sans nombre
qui résultent de la multitude des caisses où les
revenus sont versés pour acquitter les dépenses.
Pour remédier à ces inconvénients, nous avons pris
la résolution (...) de supprimer ces différentes
caisses et d’en fonner une seule ». La
réorganisation des services du Trésor de 1788
établissant la caisse centrale du Trésor est
l’aboutissement de ce mouvement.
La réalisation de l’unité de caisse et de l’unité du
Trésor
La Révolution réintroduisit un temps la pluralité
des caisses alors qu’elle réorganisait les finances
autour des administrations. Mais en janvier 1793,
Cambon* reprit le mouvement centralisateur et créa
une caisse centrale au siège de la Trésorerie. « Il
faut revenir au principe que la multiplication inutile
des caisses est un obstacle réel à l’établissement de
l’unifonnité, qui est la principale base d’une bonne
administration » disait-il. La caisse centrale, créée
au siège de la Trésorerie, devint le lieu du
versement des excédents.
C’est enfin sous l’Empire que furent établies
définitivement tant l’unité de caisse que l’unité du
Trésor. Posée en 1802 et reprise par l’ordonnance
du 31 mai 1838, l’unité de caisse se forma autour
du comptable public. Chaque comptable ne devait
plus gérer qu’une unique caisse dans laquelle
étaient réunis tous les fonds des divers services dont
il avait la responsabilité. Parallèlement, Mollien*,
avec le décret du 16 juillet 1806, créait la Caisse de
service* et réalisait la première forme réelle d’unité
du Trésor en organisant un système de
compensation* entre toutes les caisses des agents
du Trésor, en facilitant la couverture de tous les
paiements par toutes les recettes au sein des caisses
locales et en organisant le paiement d’intérêts
consécutifs au versement des fonds disponibles à la
caisse centrale. Pourtant, la caisse de service
cohabitait encore avec les caisses générales, caisse
des recettes et caisses des dépenses. L’ordonnance
du 18 novembre 1817 réalisa administrativement
l’unité du Trésor autour de la caisse centrale et de
service du Trésor royal qui se substituait à toutes
les caisses encore existantes au sein du mouvement
général des fonds*. D’après son article 3, « à dater
du 1er janvier 1818, les recettes et dépenses qui
s’effectueront au Trésor royal à Paris, tant en
numéraire qu’en valeurs de portefeuille, seront
faites au nom et sous la responsabilité d’un seule
comptable, qui prendra le titre de caissier de la
caisse centrale et de service du trésor royal ». Dès
lors, tous les comptes tenus par les comptables
publics sur l’ensemble du royaume aboutissent
formellement au sein d’une caisse unique avec
laquelle ils sont en liaison du fait de la
généralisation des écritures en partie double*.
L’unité du Trésor était réalisée, mais des fonds
« publics » échappaient encore à la caisse de
service. Par décret du 27 février 1811, les fonds
disponibles des communes étaient versés à la caisse
de service*. L’ordonnance du 7 mars 1817 élargit le
champ aux hôpitaux, bureaux de charité, collèges,
fabriques, séminaires, évêchés, archevêchés et de
tous les établissements publics. Plus que l’unité du
Trésor, c’était l’unité de Trésorerie qui émergeait,
réaffirmée par l’arrêté du 7 mars 1818. Dès lors, la
question devint celle de la rémunération des fonds.
En période de capacité de financement,
l’administration des finances eut tendance à tenter
d’exclure du bénéfice des intérêts certains
« correspondants », comme en témoigne une
circulaire du 19 juillet 1839 qui précise que « seuls
les communes, les hospices, les monts-de-piétés,
etc. auront le droit de verser leurs fonds libres au
Trésor public comme placement en compte courant
avec intérêts ». Les autres correspondants n’ayant
accès qu’à des « placements sans intérêts ». S.K.
Voir Caisse, Caisse commune, Caisse de service,
Mollien.
Source : Ordonnance du 6 février 1828.
Bibliographie : Hamon P. (1994), Cabannes X.
(2000). Neurisse A. « Le trésorier de l’Épargne de
François Ier», Revue du Trésor, novembre 1998.
Séné C. (1988).
Universalité
Rendre compte au souverain des finances de son
royaume implique de décrire et d’analyser
l’ensemble du phénomène financier. Il convient
dans cette perspective d’être exhaustif,
d’appréhender les finances dans leur ensemble :
dans leur universalité. C’est en ce sens de
complétude qu’il faut comprendre Necker* lorsqu’il
évoque l’universalité des revenus et des dépenses
dans son Compte rendu au roi de 1781. Une
manière de rendre compte des finances, écrit-il,
« consisterait à exposer l’universalité des revenus
ordinaires, et l’universalité des dépenses
pareillement ordinaires ». Cependant, cette façon de
procéder implique d’être parfaitement renseigné sur
les flux financiers opérés sur l’ensemble du
territoire ou sur les flux financiers réalisés pour le
compte de l’autorité publique. Or, cette précision
est inaccessible et Necker doit convenir qu’« un
pareil état serait aisément susceptible d’erreurs, et
la vérification de tous les articles dont il serait
composé, présenterait de grands embarras ». Dès
lors, Necker préfère renoncer à l’universalité pour
présenter son compte selon la technique du produit
net* qui n’intègre que les flux comptés au Trésor
royal, c’est-à-dire net des frais de perception et
déduction faite des assignations* ou affectations*
opérées sur chaque caisse*.
Le développement de la technique comptable va
permettre progressivement de dépasser le produit
net pour aller vers le produit brut qui rendra compte
de l’intégralité des mouvements comptables tant en
recette qu’en dépense. C’est sous la Restauration
que sera affirmée l’obligation pour le Trésor* de
comptabiliser l’universalité des opérations. Les
réorganisations successives de l’administration
financière permettent aussi de parvenir
progressivement à une centralisation des données
comptables : c’est l’unité de trésorerie*. Dès lors, si
423
 les paiements restent assignés sur des caisses
locales, les dépenses ne sont plus formellement
affectées à des recettes et l’idée d’une non-
affectation budgétaire peut émerger. Les techniques
adoptées pour clarifier les comptes (le produit net et
l’affectation) vont revêtir une dimension politique
et évoluer vers leurs contraires au niveau budgétaire
(le produit brut et la non-affectation).
Le Parlement intègre le jeu institutionnel et
réclame, au-delà de la simple clarté des comptes
publics, leur transparence*. Cette transparence
implique que les comptes soient présentés dans
leurs complétude : dans leur universalité ! Si
l’universalité évoquée par Necker correspondait à
un compte rendu, sous les monarchies censitaires,
l’universalité révèle deux dimensions en matière
d’autorisation. D’un côté, elle implique que les
recettes et les dépenses figurent toutes dans le
même état financier (le budget* de l’État). Il s’agit
là du principe dit de non-affectation budgétaire qui
se défie d’une multiplication des états financiers
nuisible au consentement de l’impôt*. D’un autre
côté, l’universalité budgétaire implique de dépasser
la simple présentation d’un solde* budgétaire et
commande d’établir l’ensemble des mouvements
financiers (recettes et dépenses). Il s’agit là du
principe dit de non-contraction* entre les recettes et
les dépenses. C’est sous cette double acception que
la notion d’universalité (dorénavant budgétaire)
franchit le XIXe siècle. S.K.
Voir Affectation, Produit net / produit brut
Usure
La charité (le prêt) n ’a pas de prix
L’usure telle que la conçoivent les catholiques à
l’époque moderne ne se définit pas seulement par
référence au droit positif, mais au droit naturel et à
la morale. Ce n’est pas qu’un délit : c’est avant tout
un péché. La question ne concerne donc pas que les
juristes, mais aussi tous les chrétiens. L’on ne
s’étonnera pas de lui voir consacrer de nombreux
manuels, dont les premiers lecteurs sont censés être
les confesseurs — tels ceux des marchands de
Séville ou des foires de Castille, plus exposés que
les autres au danger de confondre le péché et la
vertu en matière financière (prologues de Mercado,
1571, et Garcia, 1583).
L’usure est d’abord définie dans le cadre d’une
opération, le prêt mutuum, celui qui, dans la pensée
thomiste, a pour objet des choses dont l’usage
consiste à être consommées, comme c’est le cas de
l’argent ou du blé (Molina, 1597, traité n° 1).
L’usure est la rémunération demandée au
bénéficiaire d’un prêt en raison même de l’acte de
prêter. Elle est illicite pour deux raisons. La
première est que le prêt est un acte de charité,
parfois qualifié de bénéfice (au sens de bonne
action), reposant sur une inégalité fondamentale qui
fait que chacun a besoin des autres : le prêt n’a donc
pas de prix (Mercado, p. 536-539 et 523-524).
424
Bartolomé Clavero montre ainsi que le prêt est
beaucoup plus qu’un contrat et échappe à la justice
commutative, relative aux contrats, qui a pour
principe le respect de l’égalité entre les deux
parties. Plusieurs théologiens établissent ainsi un
parallèle explicite entre l’usure, qui consiste à
vendre l’amitié ou la charité, et la prostitution, la
vente de l’amour (Antidora). La seconde raison
alléguée est qu’il est vicieux de vouloir faire
fructifier l’argent, naturellement stérile selon
Aristote (Mercado, p. 543 et 68). L’argument de
Saint Thomas conduit à la même conclusion : on ne
peut vendre à la fois une chose dont l’usage est
d’être consommée et son usage (Secunda Secundae,
question 78). Corollaire : ce n’est pas le montant du
taux de la rémunération réclamée en raison du prêt
qui permet de détenniner si ce prêt est ou non
entaché d’usure, mais le fait même qu’il y ait
rémunération, quel que soit son montant. L’usure
n’est pas une question de degré, mais de nature. Un
prêt est usuraire ou ne l’est pas, il ne peut l’être
« un peu ».
Une telle conception a plusieurs conséquences.
D’abord, commettre le péché d’usure revient à
enfreindre les exigences morales les plus
élémentaires : un « aller simple pour l’enfer », selon
le théologien Tomâs de Mercado (p. 398). Ensuite,
l’usure n’est pas seulement un acte positif : tout
réside dans l’intention, exprimée ou non, celle du
prêteur qui attend une rémunération, celle du
débiteur qui s’apprête à payer le prix du prêt
(Mercado, p. 556 ; Clavero, Antidora, p. 65, 71-72).
Même si rien n’est dit, l’une des parties
contractantes peut être coupable d’usure mentale,
précise le jésuite Luis de Molina (p. 43).
Une difficulté supplémentaire tient à ce que s’il y a
de mauvaises intentions, on peut aussi en avoir de
bonnes. Saint Thomas, Aristote et ceux qui s’en
inspirent ne réprouvent pas la compensation
spontanée, le cadeau, effet de la gratitude, de
l’amitié ou de l’amour (Saint Thomas, Secunda
Secundae, question 78 ; Molina, p. 67; Ullastres,
p. LX). On peut faire ou désirer de telles
compensations sans honte (Clavero, Antidora,
p. 65-67, 93-100, 116 et 123). Par ailleurs, il existe
des versements licites, qui ne sont pas le paiement
de l’acte de prêter mais le prix d’indemnités. Les
règles de la justice commutative imposent en effet
le respect d’une stricte équivalence entre la somme
prêtée et la somme restituée. Depuis le XVe siècle,
les Docteurs en théologie s’accordent pour juger
légitime le paiement d’un intérêt pour le damnum
emergens, le risque encouru par le prêteur, et, dans
une moindre mesure, le manque à gagner (lucrum
cessons) (Vacant, Mangenot et Arnann ; Ferrière, t.
II ; Barrientos Garda ; Clavero, Usura, p. 91-92).
Le débat porte seulement sur les cas dans lesquels
ces justifications sont acceptables : pour la plupart
des docteurs, il faut que le risque ou le manque à
gagner soient visibles et puissent être évalués au
moment de prêter. Le préjudice doit être réel : un
rentier qui aurait laissé dormir son trésor dans un
coffre ne peut sans honte réclamer de dommage
émergent, puisque le fait de ne pas prêter ne lui
aurait rien rapporté. Pour Mercado (1571), il faut
que le prêteur soit obligé de prêter pour être en droit
de demander la compensation du manque à gagner ;
Cajétan, Azpilcueta (1556) ou Molina (1597) ne
l’exigent pas, et c’est cette position plus souple qui
a l’assentiment de la majorité des docteurs aux
XVIIe et XVIIIe siècles (F. Garcia, 1983, 2e partie,
p. 263-84). La position officielle de l’Église ne
change guère au fil des siècles modernes. Témoin,
la bulle Vix pervenit (1745), promulguée suite à une
polémique suscitée à Vérone par la rémunération
des emprunts de la ville : le texte affirme que la
rémunération des prêts n’est licite qu’au titre des
raisons extrinsèques habituelles (manque à gagner,
risque émergent, frais d’administration, etc.).
Les déguisements de l'usure
Plus que sur la définition de l’usure, la difficulté
vient de l’identification des pratiques usuraires. La
loi seule ne peut réglementer un péché qui peut être
commis seulement en intention. En outre, à partir
du moment où l’on considère la situation respective
du prêteur et de l’emprunteur au moment du prêt (le
prêteur est-il obligé de prêter à l’emprunteur ?
qu’allait-il faire de son argent ? combien aurait-il
gagné s’il n’avait pas prêté ?) chaque cas devient
singulier : il est ainsi délicat de trouver des
justifications générales pour une opération donnée.
Les contrats les plus courants sont passés au crible
de ces principes. L’usure se déguise : on décèlera
l’usure « palliée » (Diderot et d’Alembert, p. 536)
dans la vente à crédit (plus chère) ou anticipée
(moins chère) l’association entre une opération de
vente et un mutuum usuraire, dans le rachat (à
moindre prix) d’un titre de dette — telles les
rescriptions dévaluées qui circulent sur le marché
en France, ou les juros dépréciés en Espagne. Plus
risqués encore, les contrats dans lesquels
l’opération associée au mutuum n’existe que sur le
papier, comme le change sec. De tels concepts ne
sont pas l’apanage des théologiens. La mise en
cause de l’usure déguisée est un leitmotiv chez les
donneurs d’avis.
A cet égard, le dépôt suscite la plus grande
réticence, chez les théologiens, comme Mercado
(« cela revient à payer ce qui ne mérite pas d’être
payé », Mercado, p. 486) ou Miguel de Salon,
pourtant issu d’une famille de marchands burgalais
(Cavillac, p. 204-207). Mais les hommes d’affaires
ont aussi des scrupules, tel Simon Ruiz, qui, à la fin
du XVIe siècle, accepte de rémunérer les dépôts
qu’on lui confie mais refuse que les siens soient
rémunérés (Lapeyre, p. 133). Pour tous, le dépôt est
un prêt à intérêt déguisé fait au banquier.
L’opération a été condamnée en 1571 par Pie V, qui
distingue l’intérêt fixé à l’avance des gains que l’on
peut faire en participant à une compagnie, non
déterminés au moment du contrat (Delumeau),
condamnation réitérée en par la loi dans plusieurs
pays. Certes, il n’est pas interdit, une fois de plus,
de faire un cadeau à son banquier (Clavero,
Antidora, p. 84).
Le change et la rente sont moralement moins
risqués, à condition de ne pas les détourner de leur
nature.
Le change se distingue d’un prêt réciproque, car les
choses échangées peuvent être différentes
(notamment des monnaies distinctes). En outre, le
change peut se faire en un instant, alors que le prêt
exige un délai pour que l’on puisse jouir de l’objet
prêté. De la même façon, on l’oppose à la location
et à la vente (Garda, p. 174 et 184 ; Azpilcueta,
p. 17-19). A priori, le change n’a rien de
répréhensible. Azpilcueta voit dans son apparition
la conséquence naturelle de l’existence de monnaies
différentes (p. 22-23). La classification des types de
change diffère d’un théologien à l’autre. En
revanche, il existe un certain consensus sur la
rémunération du change. A la fin du XVIe siècle, la
hausse rapide des prix en Espagne et les différences
de niveaux de prix que l’on observe entre les places
conduisent des théologiens espagnols, souvent
proches des marchands par leurs origines et leurs
fréquentations, à s’interroger sur les facteurs qui
font varier ce que Mercado appelle 1’ « estime » de
la monnaie. Leurs réflexions débouchent sur les
premières expressions de la théorie quantitative de
la monnaie, leur permettant de justifier l’existence
d’un taux de change entre deux places. La chose est
plus délicate lorsque le change se fait sur une même
place, entre deux dates différentes (notamment de
foire en foire), car il ressemble alors étrangement à
un mutuum, même si l’on admet parfois que
l’« estime » de la monnaie peut changer en
quelques mois. En outre, le change se prête à toute
sorte de détournements. On peut demander plus que
la différence d’« estime » entre deux monnaies,
bloquer la circulation monétaire pour faire monter
artificiellement les taux de change ou exiger du
débiteur qu’il change pour une place pour laquelle
le taux est élevé : le change est alors réel, mais
illicite. Une autre solution, plus périlleuse pour
l’âme du pécheur, est le change sec : la lettre ne
part pas, on l’adresse à un correspondant dont on
sait qu’il ne pourra la payer, etc. L’échange des
sommes se fait sur la même place, mais pas au pair,
alors que l’estime de la monnaie n’a pas changé.
C’est « un prêt d’argent avec gain, déguisé sous le
nom de change» (Garcia, p. 410). Il est parfois
associé au « rechange » : une nouvelle lettre est
faite sur le tireur, qui paie là où il a reçu l’argent, la
même somme augmentée de divers à-côtés.
Les achats et ventes de rentes rachetables sont une
autre façon licite d’offrir du crédit ou d’en recevoir
sur une même place. Les rentes perpétuelles, plus
durables, coûtent plus cher que les rentes
425
rachetables (le taux de rente est moindre).
L’opération présente l’énorme avantage d’entrer
dans la catégorie de la vente, et non du mutuum. Le
capital (appelé « principal » ou « sort ») est le prix
d’achat de la rente annuelle : celle-ci n’est donc pas
l’intérêt d’un prêt. Conséquence : le titulaire de la
rente ne peut récupérer son capital, une vente étant
en principe irréversible (Mercado, p. 500-501).
L’achat de rentes reste en principe de son point de
vue une « opération à fonds perdus » (Schnapper).
En revanche, pour le bénéficiaire du principal, une
rente rachetable peut constituer un crédit : il lui
suffit en effet de restituer le principal (de racheter la
rente qu’il a vendue) pour se libérer de l’obligation
de payer les annuités. De même que les autres
contrats, la rente peut être détournée de son emploi
premier pour masquer un mutuum usuraire : par
exemple, vendeur et acheteur s’accordent pour fixer
la date de restitution du principal ou bien l’acheteur
impose au vendeur de payer un nombre minimum
d’annuités avant ladite restitution. De telles clauses
sont progressivement prohibées par les Papes aux
XVe et XVIe siècles (Clavero, Usura, p. 47 et 57).
Il suffit aussi d’avoir l’intention de racheter la rente
que l’on est en train de vendre pour se trouver en
état de péché. Le droit n’y peut rien, le pécheur
s’arrangera avec sa conscience et son confesseur.
Les financiers, la monarchie et l ’usure
La doctrine scolastique de l’usure n’empêche pas de
faire crédit et de réclamer des indemnités ou de
recevoir des cadeaux gracieux pour sa bonne action.
On le sait, le crédit se développe avec l’extension
des marchés à partir du XVIe siècle et adopte des
formes multiples, qui vont du prêt amical enregistré
ou non devant notaire (on déclare éventuellement
une somme supérieure à la somme prêtée) au
change de foire en foire ou entre places plus ou
moins éloignées, du prêt sur gages des monts-de-
piété, justifié par les papes au XVIe siècle, au
commerce de rentes entre particuliers, en passant
par les dépôts rémunérés chez les changeurs et par
le prêt à la grosse aventure.
Dans les finances, le crédit rémunéré est aussi
multiforme : prêts directs au souverain, avances des
comptables sur leurs caisses (avec leurs propres
fonds et ceux de leurs cautions), avances des
fermiers et des receveurs sur la recette à recouvrer,
opérations de change d’une place à l’autre,
émission de billets sur les caisses, ventes et achats
de rentes assises sur les recettes fiscales du roi ou
d’une ville, telles celles dites de l’Hôtel de Ville de
Paris et les juros du roi d’Espagne. En Espagne,
c’est cette dernière opération qui assure la
domination des Génois sur le crédit au roi pendant
près d’un siècle (entre 1559 et 1647 au moins) : ils
sont en effet passés maîtres dans le placement des
juros auprès des épargnants, mettant en vente de
gros paquets de rentes chaque fois que le roi
renégocie sa dette avec eux et en consolide une
426
partie — de fait, depuis le dernier tiers du XVIe
siècle, les ventes directes de juros par les bureaux
du Conseil des Finances ont quasiment cessé. Or,
une de leurs sources de bénéfices consiste à
racheter sur ce même marché des juros dépréciés
pour les donner ensuite au roi à leur prix nominal
ou obtenir que qu’ils soient assignés sur une caisse
où le paiement sera fait régulièrement au taux
officiel. Cela tient de l’usure (rachat d’une créance
au rabais) et de l’accès privilégié à une infonnation
secrète (Ruiz Martin). Pour alimenter leurs crédits,
les financiers recourent à leur tour à l’emprunt, sous
forme de placement dans une compagnie (autorisé
par l’Église et par la loi, puisque les associés
s’exposent en principe aussi bien à une perte qu’à
un gain), de dépôt rémunéré ou de prêt. Ainsi, dans
la monarchie espagnole, il est de notoriété publique
que les partisans versent des pourcentages (qualifiés
de cadeaux ou présentés comme le paiement des
frais de garde) à ceux qui leur confient leurs dépôts.
A Anvers, au XVIe siècle, on peut espérer recevoir
9 % chez les Fugger (Rôdenas Vilar, p. 117). Au
début du XVIIe siècle, les Génois installés dans la
Péninsule ibérique offrent 7 %, selon un donneur
d’avis anonyme. Au XVIIIe siècle, les cinq Corps
de Métiers réunis de Madrid (Cinco Gremios
Mayores), qui afferment les impôts du roi et
assurent la fourniture de ses années, rémunèrent
l’épargne à 2,5 % en pratiquant le « triple contrat »,
que Sixte Quint a jugé «détestable» en 1586.
L’opération, une « fiction subtilement imaginée
pour assurer le profit ordinaire de l’argent prêté
sans encourir le blâme d’injustice ou d’usure »
(Diderot et d’Alembert, p. 536), se fait en trois
étapes : un individu devient associé d’une
compagnie dans laquelle il place son capital (en
principe, à perte ou à gain) ; il décide ensuite
d’accepter une réduction de son gain éventuel à
condition qu’on lui assure un gain (il versera donc
un pourcentage pour modique pour l’assurance) ;
enfin, il accepte de réduire encore les bénéfices de
que la répartition des profits de la compagnie
pourrait lui valoir pourvu qu’il reçoive une somme
fixe chaque année (Garcia Ulecia ; Vacant,
Mangenot et Amann). En pratique, cela revient à
rémunérer des dépôts, et les cinq Corps ont su
gagner la confiance des épargnants au fil du siècle
(Capella et Matilla Tascôn). On pourrait multiplier
les exemples.
Or, de même que l’on accuse souvent les financiers
de fraude*, l’argument qui les assimile à des
usuriers demeure efficace jusqu’au XVIIIe siècle. Il
est manié avec la même ambivalence, et souvent
dans les mêmes circonstances. Ainsi, en Espagne,
ce sont d’abord les partisans génois qui sont visés
par les discours hostiles aux usuriers de la fin du
XVIe siècle, aussi bien ceux qui sont tenus aux
Cortès ou dus à la plume des donneurs d’avis, que
ceux d’un théologien comme Luis de Molina, qui
ne voit pas de meilleur exemple de l’usure déguisée
que constitue l’achat anticipé au rabais que l’achat
de laine brute que pratiquent les Génois dans sa
région natale, Cuenca (Cavillac ; Dubet). Les
décrets annonçant les suspensions des paiements
des rois d’Espagne allèguent le caractère usuraire
des gains réalisés dans les grands partis par les
banquiers, invités à en négocier la restitution. En
France, l’argument est développé lors des
Chambres de Justice* ou de la suspension déguisée
des paiements que constitue la mise en place du
visa*, en 1721.
Les formes d’usure qui sont mises en avant
évoluent avec la pratique financière. Au XVIe
siècle, la figure de F usurier demeure classique :
c’est celle du prêteur sur gages, tels les Lombards
des Pays-Bas, même si l’on vise moins fusurier à la
petite semaine que le créancier du roi ici aussi. Au
XVIIIe, l’accent est mis sur l’inflation d’un papier
financier déprécié et objet de la spéculation des
gens qui sont intéressés aux finances du roi et qui
sont les mieux infonnés. L'Encyclopédie
méthodique, évoquant le « désordre » qui a précédé
l’arrivée au pouvoir de Colbert, assimile l’attente
forcée que les comptables imposaient aux porteurs
d’assignation à une forme d’usure : « Souvent,
c’étoit sur les porteurs d’assignations que tomboient
leurs usures ; ils les faisoient languir jusqu’à ce que
le besoin en arrachât un escompte ». L’édit de 1716
imposant la tenue de registres journaux aux
comptables évoque le trafic des billets et les
avances faites au roi avec son propre argent,
moyennant rétribution : « quelques-uns ont pris
occasion de payer en papier ce qu’ils avoient touché
en argent, de décréditer leurs propres Billets pour
les racheter à vil prix, de faire languir un grand
nombre d’Officiers employez dans les estats, &
d’exercer des usures énormes en exigeant l’interest
des sommes mêmes dont ils dévoient le capital ».
On se doute qu’un tel discours a surtout une utilité
stratégique et qu’il n’est pas constant. Le procédé
est connu. L’accusation d’usure devient un moyen
de pression dans la négociation. Toutefois, il
semble que l’on n’aille guère au-delà des attaques
verbales prononcées dans les édits ou les
pamphlets, soit que la menace d’un procès suffise à
fléchir les créanciers, soit que l’on sache d’avance
qu’il sera difficile de prouver l’usure devant un
juge, pour les raisons mentionnées plus haut. Les
procès en fonne pour usure semblent en effet avoir
été réservés à des usuriers à la petite semaine, et
non aux hommes d’affaires qui financent les États
(Ferrière). Ajoutons que l’interdiction légale
d’opérations a priori usuraires est toujours
susceptible d’exceptions dans les monarchies, le
pouvoir du roi étant d’abord celui de déroger à ses
propres lois. Ainsi, en Espagne, Philippe III interdit
la rémunération des dépôts en 1608. Toutefois,
quelques décennies plus tard, Pedro Valle de la
Cerda, conseiller des Finances, indique que
plusieurs partisans reçoivent des autorisations
individuelles de rémunérer les dépôts (1643)
Au quotidien, les monarchies acceptent de
débourser des sommes supérieures à celles qu’elles
ont reçues à crédit, à deux titres, qui sont ceux
autorisés par la doctrine de l’usure. D’une part, les
intérêts, c’est-à-dire les indemnités licites évoquées
plus haut. Les taux de change sont régulés, les
Conseillers n’hésitant pas à recourir aux manieurs
d’argent habitués à recourir à la lettre de change
pour connaître les taux en usage. Les rescriptions*
se voient aussi assigner un taux fixe, tout comme
les avances que les comptables font à leur caisse
pour pouvoir assurer les paiements qui leurs sont
ordonnés à temps. Les contrats de prêts indiquent
aussi le taux des pénalités que le roi devra verser
s’il rembourse après les échéances prévues. Ces
intérêts figurent dans les contrats et sont
mentionnés dans les redditions de comptes. D’autre
part, il arrive qu’un monarque fasse des cadeaux à
ceux qui le servent bien en lui prêtant leurs fonds.
C’est le cas en Espagne. Les contrats passés avec
les financiers pour l’envoi de fonds hors de Castille
(un change assorti d’un crédit, payable au loin et
remboursable en Espagne) prévoient non seulement
le paiement d’un taux de change écus/ducats, mais
l’offre gracieuse d’un cadeau appelé « adehala ».
L’une des faveurs le plus souvent accordées à ce
titre est le droit pour les partisans de déplacer les
juros qui lui ont été cédés d’une caisse vers une
autre, source de bénéfices importants (Ruiz Martin).
De même que dans le monde des marchands il a été
possible d’accommoder la doctrine de l’Église avec
des pratiques de crédit assez souples, dans celui de
la finance, les indemnités du prêt et les
récompenses gracieuses sont des titres suffisants
pour rémunérer des crédits aux formes de plus en
plus variées sans braver l’interdit de l’usure, du
moins au moment de la signature des affaires.
L ’usure légitime
L’attitude des monarchies catholiques face à l’usure
connaît un certain infléchissement durant la
seconde moitié du XVIIIe siècle. Il obéit à plusieurs
facteurs. D’une part, l’institutionnalisation de la
présence des financiers dans l’administration
pourrait expliquer que les attaques menées contre
eux soient moins nombreuses. D’autre part, si la loi
n’a guère changé, une partie des élites politiques
sont réceptives aux critiques de la théorie
scolastique venue de la réfonne protestante et de
l’économie politique et ont pu œuvrer en faveur
d’une application souple des règlements.
La doctrine scolastique de l’usure subit des attaques
frontales à partir du XVIe siècle. C’est d’abord la
doctrine de Calvin. Interrogé sur le caractère licite
des rémunérations que les pasteurs réclament pour
leurs prêts, le réformateur répond que la Bible
n’interdit pas formellement le prêt à intérêt.
« Premièrement, il n’y a point de témoignage ès
427
 écritures par lequel toute usure soit totalement
condamnée ». Ce sont les tendances des hommes à
rechercher leur profit, ne prêtant que pour obtenir
une récompense au lieu d’exercer une charité
désintéressée, que condamne la Bible. Or, Jésus
« nous commande de prêter principalement à ceux
desquels il n’y a point espoir de recouvrer » (lettre à
Claude de Sachin, 1545). Calvin distingue ainsi
deux sortes de prêts, les prêts destinés aux pauvres
— des prêts à la consommation dont on ne peut pas
espérer de récompense — et les prêts d’affaires, que
l’on fait à ceux qui investiront l’argent pour en tirer
un bénéfice. La Bible, selon lui, considère surtout
les premiers, recommandant la charité à tout
chrétien. Ici, « les usures sont condamnées en tant
qu’elles emportent une licence de dérober et
piller », comme le montre le mot hébreu qu’emploie
David pour en parler dans les Psaumes, « qui
signifie mordre» (1554). Il «n’est parlé que des
pauvres, et par conséquent si on a affaire à des
riches, [il] est pennis de leur prêter à usure »
(1554). Quant aux lois qui sont énoncées dans la
Bible, comme celle du Deutéronome interdisant
l’usure aux Juifs, ce sont des lois « politiques »,
rendues nécessaires par les pratiques de la société,
les abus. Or, « il serait bien à désirer que les usures
fussent chassées de tout le monde même que le nom
en fût inconnu. Mais parce que cela est impossible,
il faut céder à l’utilité commune » (lettre à Sachin,
1545). La prise en compte des pratiques
économiques actuelles conduit Calvin à rejeter
l’idée aristotélicienne en vertu de laquelle l’argent
est stérile. En effet, comme tout autre bien matériel,
l’argent ne produit rien par lui-même, mais le
travail pennet de le faire fructifier. Dans ce cadre,
celui du prêt fait à un homme riche, il est licite de
réclamer un profit. C’est alors la règle d’équité qui
doit prévaloir, le prêteur ne pouvant imposer à
l’emprunter des conditions qu’il refuserait pour lui-
même. Calvin énonce donc une série de contraintes
afin d’éviter d’ouvrir la porte aux abus : il est
immoral de faire métier du prêt d’argent, qui ne doit
être qu’occasionnel ; l’usure n’est licite que pour
les prêts d’affaires, pas les prêts aux pauvres ; le
prêt ne doit pas être fait par seul goût du lucre ;
l’intérêt réclamé doit demeurer inférieur au
bénéfice fait par l’emprunteur avec l’argent
emprunté ; il ne doit pas non plus être préjudiciable
au public, par exemple en faisant monter le niveau
des prix. La règle reste d’ordre moral, et l’on ne
saurait donc s’en tenir à la reproduction de la
coutume ni fixer un taux plancher en-deça duquel il
n’y aurait pas d’usure (Biéler, p. 453-476). Cela dit,
Calvin conseille de fixer localement un plafond
légal aux taux d’intérêts, au-delà duquel on peut
parler d’usure (Tortajada, p. 84). Grotius et
Pufendorf développeront les conséquences légales
de cette théorie. L’Angleterre, les États de
Hollande, des états allemands s’en inspirent en
fixant des taux maximum pour le prêt.
428
prospérité et le soutien du commerce, tout en qui font la politique financière partagent leurs vues.
L’autre critique provient de l’économie politique.
reconnaissant que le prêt lui est indispensable. On connaît le rôle de Turgot et de son cercle d’amis
Les hypothèses sont variées. Pour Locke, l’argent
Enfin, le manque à gagner ne saurait être une aux finances en France (Meyssonnier) ainsi que
produit de la valeur au même titre qu’une terre que
exception, puisqu’il y en a dans tous les cas de celui de Necker. En Espagne, la polémique suscitée
l’on loue, ce qui justifie de fixer un prix pour le
prêts : on ne saurait établir une exception si elle est par le triple contrat illustre une attitude nouvelle de
prêt. Ce prix variera en fonction de l’offre et de la
demande, l’État devant se contenter de le réguler, aussi générale que « la prétendue règle » qui la monarchie. Elle se déroule en deux temps.
condamne le prêt à intérêt. La légitimité de l’intérêt Première étape : en 1763, le dominicain Antonio
en évitant en particulier que le taux officiel soit
repose en outre sur la propriété privée : le prêteur Garcés publie une dénonciation virulente des cinq
inférieur au taux naturel. Cette conception fait
n’étant pas obligé de prêter « il peut mettre à son Corps de Métiers de Madrid, qui pratiquent ce
référence au début du XVille siècle, qu’on y adhère
prêt telle condition qu’il veut ». Cet argument n’est contrat. Les Corps de Métiers obtiennent aussitôt du
ou qu’on la rejette (Steiner, p. 123-125). L’article
toutefois pas décisif. Turgot en avance un autre, la roi la réunion d’une junte composée de conseillers
« Usure » publié dans une réédition de
critique de l’idée que ce qui est prêté est un bien de Castille, de l’Inquisition et de la Chambre de
Y Encyclopédie par M. Faiguet, en 1758, synthétise
« fongible », qui change de propriété et ne saurait Castille et comptent sur le soutien actif des jésuites
les arguments mobilisés depuis la fin du XVIIe
être rendu qu’en donnant une quantité strictement (Barrenechea). Le 10 juillet 1764, Charles III publie
siècle contre la théorie scolastique, en particulier
équivalente. D’après lui en effet, la transaction une cédule destinée à clore la polémique. Il y
ceux qui ont été développés à Vérone par Scipion
porte moins sur l’argent physique que sur une affirme simplement que des doutes ayant surgi
Maffei (1744), conduisant le pape à publier la bulle
quantité de valeur et sur son utilité. C’est cela qu’il parce que les Corps de Métiers acceptaient
Vix pervenit (1745). Faiguet, désireux d’examiner
faut rémunérer, « la valeur et l’utilité dont il est l’épargne de personnes modestes et la restituaient
la question de l’usure avec les yeux de la raison et
pour celui qui prête et pour celui qui emprunte ». au terme d’un délai fixé avec un petit intérêt, une
de la philosophie, la circonscrit (comme Calvin et
L’utilité est ici supérieure pour l’emprunteur, tandis junte de personnes « intègres et de saine doctrine »
Maffei) à l’intérêt réclamé dans un prêt fait à des
que son créancier estime à juste titre que la s’est réunie ; suivant l’avis de la junte, et pour
gens aisés, un cas bien différent de celui des prêts
promesse d’être remboursé a moins de valeur que le « couper court à tout motif de doute », le roi déclare
faits aux pauvres. Si dans ce dernier cas, le prêt doit
fait de détenir la somme effective, d’où la demande ces contrats « légitimes et obligatoires ». Le texte
rester une aumône gratuite, dans l’autre, on ne
d’un intérêt. Le taux sera le résultat d’un arbitrage est prudent : il n’est question ni de prêt ni de dépôt.
saurait voir qu’un contrat passé librement entre des
entre ces valeurs (Facarello et Cot, p. 279-281). La polémique ne cesse pas pour autant. En 1788,
personnes qui en connaissent à l’avance les
Adam Smith, son contemporain, analyse quant à lui des prêtres de l’Oratoire de Barcelone dénoncent à
conditions et qui en tirent un bénéfice réciproque,
le taux d’intérêt comme le résultat de l’équilibre l’Inquisition trois textes, les Leçons sur le
qui justifie l’usure. Les objections empruntées à
entre l’offre et la demande de fonds prêtables sur un commerce du Napolitain Genovesi, traduites par
Aristote n’ont pas lieu d’être : l’argent n’est pas
marché, qui sont elles mêmes détenninées par la Victoriân de Villalba (1785), la Dissertation sur la
stérile, comme le prouve la pratique quotidienne, et
répartition des revenus et la structure sociale, ainsi pratique des billets d’Accarias de Serionne, traduite
on ne saurait dire qu’il est interdit d’en tirer un
que par le niveau du taux de profit. Cela fait de par Domingo de Marcoleta, et Y Augmentation du
intérêt sous prétexte qu’il n’a pas été créé dans ce
l’intérêt des prêts un phénomène naturel, à l’opposé commerce en toute sécurité pour la conscience de
but, car c’est là le cas de nombreuses autres
de l’usure. Lorsque Necker* examine l’« intérêt de José Maria Uria Nafarrondo, traduction libre du
créations. Il convient de considérer le prêt comme
l’argent» dans son traité De l’administration des Traité de l’usure et des intérêts de Paul Timoléon
une location et de lui appliquer des règles qui soient
finances de la France (1784), il ne prend pas la de la Forêt. L’affaire est intéressante à plusieurs
valables pour le commun des mortels, et non celles
peine de critiquer le raisonnement de la doctrine titres. Tout d’abord, elle montre que tant les auteurs
destinées à ceux qui recherchent la perfection
classique de l’usure. L’énoncé des facteurs dénoncés que leurs délateurs connaissent bien tous
morale : en l’occurrence, il convient d’admettre que
économiques et sociaux qui détenninent le niveau les textes interdits, qu’ils citent et commentent,
l’on prête pour faire un bénéfice, de même qu’on
de l’intérêt tient en deux pages, comme si la depuis Calvin. Ensuite, les délateurs insistent sur le
loue sa maison ou qu’un médecin soigne ses
démonstration n’était plus à faire, tandis que l’idée fait que les opérations usuraires que justifient, selon
patients pour gagner de l’argent. D’ailleurs, dans
même de « payer une redevance annuelle en eux, les livres dénoncés, sont pratiquées au grand
ces deux cas, il existe la même exception que pour
échange des avances qu’on sollicitoit» paraît jour à Barcelone. L’argument ne serait que
le prêt : on accueillera un indigent gratuitement
« naturelle ». L’usure se réduit, ici aussi, aux rhétorique s’ils ne donnaient pas d’exemples
chez soi et le médecin soignera les pauvres
extorsions commises par les usuriers sur les pauvres concrets, ce qu’ils font. Il n’est plus question à
gracieusement. L’auteur s’attache à montrer que la
et les jeunes inconscients (chap. XXI et XXII). l’époque de mentionner les Cinq Corps de Métiers
Bible et les pères de l’Église ont établi les mêmes
Si de telles critiques ne sont pas assumées par des de Madrid, puisque le roi a clos le débat, mais on
distinctions, avant de passer en revue des
souverains catholiques comme ceux de France ou sait qu’ils demeurent alors très actifs dans le crédit
dispositions légales des rois de France qui prouvent
d’Espagne, les textes sont lus avec intérêt et à la monarchie. Aussi continuent-ils sans doute
que la loi admet une usure modérée. La pratique le
bénéficient de l’assentiment d’une part de l’élite d’être une des cibles des attaques. Enfin, l’attitude
confinne : le prêt usuraire est « pleinement autorisé
éclairée et des cercles marchands. La Richesse des de la monarchie est significative. Le Conseil du
dans plusieurs emprunts du roi, surtout dans ceux
nations (1776) est rééditée six fois du vivant de Saint-Office reçoit les dénonciations, fait qualifier
qui se font sous la forme de loteries et d’annuités ;
Smith et traduite en plusieurs langues (Béraud ; les chefs d’accusation, demande de nouvelles
dans plusieurs emprunts de la compagnie des
Llombart). En Espagne, les textes des économistes informations, accumule une documentation
Indes ; et dans les escomptes qu’elle fait à présent
politiques du reste de l’Europe circulent, sous volumineuse, et finit par trouver des théologiens qui
sur el pied de cinq pour cent par année ; enfin, dans
forme de traductions autorisées ou sous le manteau. défendent les livres attaqués. Les délateurs se
les emprunts des fenniers généraux ».
Parmi beaucoup d’autres, Turgot, Smith, Necker, plaignent de ces longueurs, rappelant qu’une
Turgot reprend une partie de ces arguments dans
Genovesi (Astigarraga ; Llombart ; Morelli). Or, les première dénonciation était déjà restée sans suite en
son Mémoire sur les prêts d’argent (1770). L’usure
lecteurs souvent bienveillants de ces textes sont 1776 et attribuant cette mauvaise volonté à
licite est celle du prêt fait à des hommes industrieux
proches des membres de la haute administration, l’intervention de groupes puissants, comme le
qui en tireront profit. Les textes saints
quand ils n’en font pas partie, et une part de ceux Consulat de Commerce de Barcelone. Si Genovesi
l’encouragent indirectement, promouvant la
429
 sera interdit, après plusieurs éditions, en revanche,
la cause contre Uria est suspendue en 1791. A.D.
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1977 (lere éd. : 1571). Molina Luis de, Tratado
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343. Diderot et d’Alembert, rubrique « Usure », p.
529-555. « Danos de cambiar dineros y fundar
censos y juros y no cultivar la tierra y criar
ganados » et « Apuntamientos cômo se enriquecen
las provincias. Très cosas enriquecen las provincias,
fertilidad de la tierra, ingenio e industria para las
artes, oficios y ejercicios, y la mercancia », auteur
anonyme, BNE (Madrid), Ms 3 207, p. 513-525.
Edit concernant les registres-journaux qui doivent
être tenus par tous les officiers comptables &
autres chargés de la perception, maniement &
distribution des finances du Roy, & des deniers
publics, du mois de juin 1716. « Premâtica para que
no se pueda dar dinero para traer a cambios o para
que traten con ellos, no entrando en los contratos y
negociaciones los que lo dieren, ni puedan llevar
interés del dinero que se depositare o se diere a
mercaderes o hombres de negocios no siendo en los
casos permitidos por derecho. En Madrid, en casa
de Juan de la Cuesta », 1er mai 1608, BNE, VE 40-
80. «Don Pedro Valle de la Cerda, (...),
respondiendo a los 18 cargos que por autos de
Vuestra Senoria de 12 del mes de abril y 20 de
mayo deste ano en la visita del Consejo de hacienda
se me han notificado como Consejero dél digo que
se ha de declarar haber cumplido en este cargo y
oficio con todas las obligaciones dél y ser
merecedor de que SM me premie y haga merced
por las causas y razones justas que de la satisfaciôn
a los dichos cargos resultarân en mi favor », BNE,
ms 2/40844. AHN, Inquisition, leg. 4463-10, « Real
Cédula del ano de 1764 sobre la licitud de ciertos
contratos ». Sur la cause des livres de Villalba, Uria
et Marcoleta devant l’inquisition espagnole: AHN,
Inquisition, leg. 4463-10 et 4482-11.
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en la Segovia del Siglo de Oro. El mercader Juan
de Cuéllar, Salamanque, Junta de Castilla y Leon,
1990. Ruiz Martin F. (1968). Schnapper B. (1957).
Soetaert P., « Mémorandum sobre la indexaciôn de
los bienes monetarios », Boletin de Documentaciôn
del Fondo para la Investigaciôn Econômica y
Social, 1975, p. 707-17. p. 710 et Steiner P.,
« Monnaie, intérêt et travail » dans Béraud A. et
Faccarello G. dir. (1992), p. 122-131. Ullastres A.,
« Las ideas econômicas de Martin de Azpilcueta »,
introduction à Azpilcueta M. de, Comentario
resolutorio de cambios, éd. de A. Ullastres, J. M.
Pérez Prendes, Luciano Perena, CSIC, Madrid,
1965 (lere éd. à Salamanque, 1556). Vacant A.,
Mangenot E. et Amann Mgr. dir., Dictionnaire de
théologie catholique, contenant l’exposé des
doctrines de la théologie catholique, leurs preuves
et leur histoire, t. 15, Paris, 1950.Vilar P., «Les
primitifs espagnols de la pensée économique :
quantitativisme et bullionisme », Mélanges offerts à
Marcel Bataillon, 1962.
Validation
Il s’agit de la reconnaissance par l’autorité
supérieure, d’une dépense particulière du comptable
venant en déduction d’une recette attendue, par
exemple une décharge de recette pour fourniture
militaire. Parmi les validations, on distinguait les
fixes (intérêts des rentes anciennement levées,
intérêts des offices ou engagères) et les variables
(exemptions, remboursements d’avances,
fournitures et logements militaires) plus
importantes. M.-L. L.
Voir Non-valeur, Remise
Venise
Le contrôle de la finance publique, recettes et
dépenses, s’exerçait à plusieurs niveaux à Venise.
On peut en effet déceler un premier niveau de
vérification quand le contribuable est invité à
vérifier et rectifier ses déclarations antérieures. Ceci
vaut pour l’impôt direct. Il existe aussi un contrôle
interne mis en œuvre par la tenue simultanée de
plusieurs livres* de compte dans un même bureau
appelé office ou un « ministre », le scontro, est
spécialement chargé de la confrontation entre les
différents livres tenus par ses collègues. Un
contrôle externe est opéré périodiquement par une
magistrature indépendante au moment où les
officiers (titulaires d’offices) appelés magistrats,
après avoir soldé leur caisse, apportent l’excédent
aux trésoriers de la Commune. Enfin, en cas de
faute ou de fraude*, l’affaire est déférée par les
contrôleurs à des procureurs de la Commune qui
peuvent entamer des poursuites ou déférer l’affaire
au pouvoir exécutif. Ces procédures remontent aux
origines mêmes de la Commune, elles ont été mises
en place par le grand Conseil vers le milieu du
XlIIe siècle et elles n’ont pas cessé d’être
perfectionnées jusqu’au milieu du XVIIIe siècle à
mesure que des lacunes étaient décelées dans le
contrôle.
Ces questions ont fait l’objet d’études précises dès
la fin du XIXe siècle. Le travail pionnier a été
l’œuvre d’Antonio Stella (1890), qui passa en revue
les magistratures économiques et financières de la
République, examina le rôle dévolu aux camériers*
de la Commune, à la Monnaie*, aux magistrats
réviseurs, au personnel des offices, aux Chambres
fiscales de la Terrefenne. Il était d’autant plus
nécessaire d’y voir clair qu’en 1726, on dénombrait
à Venise, c’est-à-dire dans la capitale, à l’exclusion
des territoires sujets de Terreferme ou d’Outre-Mer,
54 magistratures tenant en propre 213 caisses*.
Dans chacune de ces magistratures, le personnel
recruté parmi les citoyens affectés à la recette ou à
la dépense était composé, sous l’autorité du
caissier, magistrat noble, du comptable chargé de
contrôler son travail en confrontant les écritures, du
comptable (contador) qui manipulait et comptait les
espèces, du «journaliste» qui tenait le livre
journalier, du « quademier » qui recopiait les
indications du journal sur le « libro maestro ». Les
caisses* ouvertes simultanément portaient un nom
en relation avec leur emploi ou leur destination :
ainsi on tenait un compte à part des dépenses
opérées localement pour le paiement des salaires
des employés ou autres menues dépenses par la
cassa libéra, pour le paiement des soldes aux
milices par la cassa militare, tandis que les recettes
qui appartenaient à la Dominante (à Venise) étaient
conservées dans la cassa obbligata. Les caisses des
reggimenti, c’est-à-dire des administrations locales,
ne devaient garder aucun excédent, elles envoyaient
chaque mois le solde de leurs caisses à Venise, à
des magistratures compétentes désignées par le
pouvoir.
Angelo Ventura (1972) dénonça « le nombre infini
de virements et d’opérations {partite) inutiles qui
venaient obscurcir le relevé des recettes et des
dépenses, les ajustements d’écritures, les erreurs* et
les fraudes*» provoqués par la prolifération des
caisses, engendrée à son tour par la prolifération des
offices tous jaloux de leurs prérogatives. La
pléthore engendrait « la subdivision entre différents
offices des sources de recettes ou de dépenses de
même nature, afférant aux mêmes sujets ou à des
matières semblables ». Cette multiplicité avait des
causes historiques — la constitution de l’Etat
régional fondé sur la conquête avait laissé en place
les administrations antérieures et autonomes de la
commune médiévale et exigé la création
d’institutions nouvelles répondant à un objectif peu
explicité de centralisation - et sociologiques : la
constitution aristocratique supposait le maintien
d’équilibres complexes au sein de la classe de
pouvoir, le patriciat de la capitale à qui les
magistratures et les offices ou les sièges dans les
conseils apportaient leur lot de prébendes, leurs
pensions et souvent un indispensable revenu.
Ventura (1981) a aussi montré que la survie de la
vieille Commune répondait à cette ambition de
l’aristocratie qui refusait de partager le pouvoir en
intégrant aux structures de l’État les anciennes
classes dirigeantes des villes sujettes.
Sur le plan technique, les Vénitiens, grâce à la
maîtrise acquise dans les affaires commerciales,
excellaient dans la tenue des écritures comptables,
mais la gestion de l’appareil d’État s’avérait
complexe. La constitution aristocratique et la
gestion administrative ont combiné leurs effets pour
aboutir à un résultat d’apparence paradoxale : la
prolifération des caisses et leur chevauchement ont
suscité des tentatives de réforme, de réduction de la
fragmentation, de suppression des doublons, de
simplification qui, en règle générale ont abouti à
leur contraire, à de nouvelles duplications. Ventura
porte un jugement sévère sur « une culture évoluée
en matière de gestion financière dont le
développement s’est trouvé bloqué dans un
contexte politico-social pétrifié dans la tradition ».
La multiplicité des caisses* imposa le contrôle de la
gestion des divers offices et de leurs caissiers et la
431
création de magistratures habilitées à opérer les
contrôles, à prendre des sanctions contre leurs
collègues défaillants, à poursuivre les délinquants.
Fidèles à la méthode qui consiste à examiner les
questions d’histoire vénitienne dans la longue
durée, nous avons été grandement aidés dans notre
enquête par les travaux récents de deux historiens
vénitiens, publiés à quelques années d’intervalle,
l’un pour la période moderne, Andrea Zannini
(1994), et le second pour le XHIe siècle, Franco
Rossi (1998). La présente contribution leur doit
beaucoup.
Les origines médiévales
Au XlIIe siècle, quand se mettait en place la
« constitution » vénitienne, le grand Conseil,
principal organe législatif de la cité, a cherché à
encadrer la comptabilité publique (d’État), aussi
bien par le contrôle du maniement d’argent par ses
représentants à tout niveau que par la
révision/vérification* des écritures comptables*.
Dès 1192, le doge Enrico Dandolo jurait qu’il ne
disposerait pas des biens de la Commune sans
l’accord du Conseil, vrai détenteur de la
souveraineté (la loi votée s’imposait à tous, aux
plus hauts échelons du pouvoir). Pour bien
connaître l’étendue des biens, des recettes et des
dépenses de la Commune, il fallait les enregistrer
par écrit et en décembre 1223 un notaire se vit
chargé de porter par écrit : « tous les comptes
{raciones) et les dépenses opérés au service de
l’Arsenal et des galères et de toutes les affaires
(negocii) ayant trait à l’Arsenal ». L’année suivante,
deux magistrats « au froment » sortant de charge
rendaient compte des sommes reçues et dépensées
pour l’office en présence de deux conseillers
ducaux (six conseillers formaient le petit Conseil).
Chacun d’eux présenta son compte et démontra à
l’aide de quittances, de reçus et toutes pièces
justificatives ce qu’il avait dépensé. Vers le milieu
du siècle, les camériers* de la Commune
(Camerlenghi di Comun) devaient chaque mois
clore leur caisse, faire le compte des entrées et des
sorties et porter ce compte au doge et à son conseil
(petit Conseil) dans les 8 jours du mois suivant. Le
chap. XX de leur capitulaire ordonnait aux camériers
de présenter, dans les quinze jours suivant leur
sortie de charge, le compte de l’exercice* écoulé à
leurs collègues entrant en charge et d’examiner
avec eux toute la comptabilité produite. Le premier
contrôle était donc interne, opéré au cours d’une
passation de pouvoirs entre ceux qui sortaient et
ceux qui entraient en charge, il offrait une garantie
aux magistrats déchargés ainsi de responsabilités
indues et venait en garantie du bien public. Tout
manquement entraînerait des sanctions telles la
privation de l’office auquel ils auraient été élus, la
perte de la faculté de concourir à tout nouvel office
432
dans et hors de Venise, la déchéance de leur siège
au grand Conseil.
1. Les officiers aux comptes
Le 23 juin 1249, apparaît la première mention
d’une magistrature spécialement chargée de vérifier
les comptes quand le grand Conseil accorda à tous
les podestats représentant localement le doge dans
le duché (dogado) un délai de 15 jours après leur
retour pour rendre compte de leur gestion à leurs
successeurs et « aux trois magistrats habilités à
recevoir et revoir les écritures comptables » (bientôt
appelés « ufficiali aile rason di Comun »). Dès le 25
novembre, le grand Conseil délibérait que même les
procurateurs de s. Marco, la plus haute magistrature
viagère de la Commune juste après le doge, auraient
à présenter leur gestion annuelle, celle relative au
patrimoine (public) de s. Marco et au trésor*, ainsi
que les commissarie (privées, la gestion des
successions à eux confiées pour être investies) à ces
trois hommes aptes ad recipiendum raciones
Comunis Veneciarum. Tous les magistrats étaient
probablement assujettis à cette reddition* des
comptes dont la loi allait bientôt préciser les
modalités, procédures et contenus. La loi du 24
novembre 1254 disposa que tous les magistrats qui
« doivent tenir un compte », titulaires de caisse*,
recteurs, ambassadeurs, tout magistrat en service
hors de Venise, disposaient de huit jours après leur
retour pour remettre le solde de leur caisse* aux
camériers* de la Commune puis procéder à la
reddition/révision* de leurs comptes en présentant
leurs écritures aux ufficiali aile rason di Comun. Le
26 mai 1260, le grand Conseil attribua de nouvelles
fonctions aux « officiers des comptes » obligés de
conserver dans leur bureau un registre pour y noter
les dettes de la Commune et tenir à jour les
paiements effectués pour la Commune, de faire la
somme de toutes les recettes entrées à la Commune
et de toutes les dettes qui subsistent. De cette façon,
grâce aux écritures les « officiers des comptes »
supervisaient tout le mouvement de caisse* de la
Commune, tous les magistrats ordonnateurs de la
dépense et tous ceux qui étaient chargés de la
perception de la recette. Rossi conclut : la fonction
de vérification* des officiers aile rason était
circonscrite à l’exactitude et à la régularité des
opérations de caisse et des écritures
d’enregistrement.
A partir de 1267, on distingua les comptes « du
dedans et du dehors », sans qu’il soit nécessaire de
faire intervenir une division de l’office ou une
répartition des comptes du dedans (la ville) et du
dehors (le duché ou les ambassades) entre deux
organes différents. Une pars du 10 février 1269
mentionnait « illi qui sunt super racionibus de foris
et de intus », les mêmes trois officiers supervisaient
les deux types de compte et, à leur sortie de charge,
pour assurer la continuité du service public un seul
d’entre eux par tirage au sort prolongeait sa mission
durant trois mois, après quoi il cédait son poste à un
successeur. Le 5 juillet 1271, le grand Conseil
ajouta un amendement au capitulaire des officiers
aux comptes en accordant aux magistrats qui
rendaient compte 20 jours « à ceux du dehors » et
15 jours « à ceux du dedans ». Tout l’acte démontre
qu’il s’agissait d’une magistrature unique qui avait
compétence sur l’ensemble des comptes et
distinguait seulement les délais impartis à la
révision* pour accorder du temps à ceux qui
arrivaient de l’extérieur, un office unique donc
occupé par deux types d’officiers - et peut-être
divisé en deux sections - mais le critère de
répartition* des comptes est peu clair, puisque les
saliniers de Chioggia présentaient leurs registres*
aux officiers de intus, il est vrai qu’ils devaient à
leur compétence économique et commerciale d’être
classés parmi les magistrats de Rialto même s’ils
officiaient à Chioggia, dans le duché mais hors de
Venise.
Le contrôle était permanent et comportait un
premier échelon : en avril 1264, le grand Conseil
avait disposé que « tous ceux qui reçoivent des
recettes et des revenus de la Commune sont tenus
sous serment de rendre compte entre eux chaque
mois », selon une procédure d’information mutuelle
interne à chaque office par conséquent. Une loi
ultérieure précisa Yiter administratif de cette
vérification* : les officiers au froment
examineraient les comptes des fontegheri, des
directeurs des fontichi ou greniers publics dispersés
dans la ville où la Commune entreposait les grains,
froment, mil et farines. Le contrôle descendait alors
du supérieur aux subordonnés, mais en 1297 le
grand Conseil ordonnait au doge, à ses six
conseillers et aux trois chefs des Quarante (les dix
magistrats appelés par la suite à former ce qui
s’appellera la Seigneurie, l’organe suprême et
collectif du pouvoir apparu à mesure que se
fortifiait la Commune) de choisir par élection deux
sages qui auraient à examiner les comptes des
officiers au froment dans les délais prescrits par
l’autorité sous peine d’une amende de 50 livres
pour chacun d’eux.
Une loi du 3 mars 1285 prescrit d’ajouter au
capitulaire de tous les officiers qui reçoivent les
recettes de la Commune qu’ils doivent enregistrer
de leur propre main ou faire enregistrer et donner
par écrit à ceux des comptes combien d’argent ils
ont versé aux camériers* de la Commune. Et ceux
des comptes doivent, en présence de ceux qui
donnent et d’un camérier* au moins, enregistrer
dans leur livre la somme versée. La loi s’applique à
tous et il est donc inutile de préciser « comptes du
dedans » et « comptes du dehors ». Les officiers
aux comptes contrôlent tout le mouvement de
l’argent entre les percepteurs des recettes et
l’organe central de la trésorerie* tenu par les
camériers*, de façon à éviter toute soustraction
d’argent aussi bien lors de la perception que de la
transmission. Pour la finance publique, cette
nouvelle extension du contrôle est de grande
importance, les officiers aux comptes contrôlent
chacune des magistratures particulières habilitées à
percevoir l’argent des taxes, des loyers, des
cautions, ainsi que la trésorerie générale* où les
camériers* reçoivent tout le revenant-bon. Les
camériers* sont au centre du système. Mais
jusqu’alors la mission de révision* comptable des
officiers aux comptes semblait limitée à l’argent qui
confluait vers les caisses des camériers. Le 24 avril
1288, une pars du grand Conseil précisa
expressément cette limitation, elle ordonna en effet
à ces officiers d’examiner les comptes des domini
di notte (seigneurs de la nuit chargés de la police
nocturne et qui infligeaient des amendes) « comme
si cette recette était donnée aux camériers ». La
nouvelle disposition s’appliquait à tous les autres
offices dans le même cas. En 1289, le 24 mars, les
visdomini Lombardorum qui percevaient les taxes
douanières sur le commerce fluvial à destination de
la Lombardie (toute la plaine padane) furent invités
à présenter leurs livres aux officiers de rationibus
tenus de les vérifier nonobstant le fait que ces
visdomini déposaient l’argent des taxes perçues sur
les denrées portées à Padoue in Procuratia. Le 28
juin, les officiers aux comptes de intus devaient
vérifier les écritures des officiers de Rialto qui
avaient payé par le passé les officiers du fontico dei
Tedeschi et les travailleurs (fanti) de l’office des
ragion di fuori. Cette fois la compétence s’étendait
aux paiements opérés en faveur des agents relevant
des offices publics. Il faut remarquer que l’office
des comptes ne disposait pas de recettes et les
salaires de ses propres employés étaient versés par
une autre magistrature qui, elle, encaissait des
recettes.
Les officiers aux comptes eurent dès lors
compétence générale pour revoir tous les comptes
publics, même si l’argent de la recette ne quittait
pas l’office qui l’avait perçu : le 30 juin 1292, les
capitaines des postes (leurs recettes consistaient en
droits de transit, péages et amendes) sortant de
charge et transmettant à leurs successeurs le solde
de leur caisse durent soumettre leurs écritures
comptables aux officiers aux comptes. Cette
compétence étendue entraîna une augmentation des
effectifs : le 16 mars 1299, quand le grand Conseil
décida de placer les comptes de Y Office à la
marchandise du Levant sous le contrôle de Y Office
aux comptes du dehors, le seul notaire officiant
dans ce bureau ne pourrait suffire à la tâche, il lui
fut adjoint un second notaire au salaire annuel de 20
sous de gros (soit 10 ducats).
Dès 1263, 5 août, le grand Conseil avait fixé
minutieusement les modalités de présentation* des
comptes : ceux qui recevaient de l’argent ou
d’autres biens au nom de la Commune devaient
écrire dans l’ordre sur leur livre : le nom du
payeur*, la quantité reçue, le jour et le mois du
433
versement, la destination de la recette ; les officiers
aux comptes refuseraient toute écriture non
conforme. Quelques mois plus tard, le 7 novembre,
il ordonnait aux camériers de tenir un livre qui
resterait toujours à la Chambre à leur portée, sur
lequel seraient enregistrés tous les débiteurs de la
Commune et tous ses créanciers, tant pour les
salaires que pour les emprunts et pour toute autre
occurrence. Les comptes seraient examinés par les
Officiers aux comptes ou par les Vicedomini, les
uns et les autres assermentés, qui
communiqueraient par écrit ces comptes au doge et
à son conseil. Les camériers* enregistreraient
l’avoir (quitus*) et le doit (débet*) en respectant
l’ordre des opérations. Il revenait au doge et à son
petit Conseil de communiquer par écrit aux
camériers les noms des personnes (créanciers) qu’il
faudrait payer, ceux des débiteurs envers des tiers,
enfin les noms des condamnés à une amende
pécuniaire par le doge, les Quarante, ou le grand
Conseil. La procédure de révision* comptable qui
obligeait à déposer les livres à la Chambre des
comptes* astreignait de même chaque office à tenir
plusieurs exemplaires du registre*, deux d’entre eux
étant confiés à la chambre pour confrontation, le
troisième restant ouvert à l’office. Le compte revu
et visé par les officiers aile rason, était restitué à
l’office qui l’avait produit. Le second exemplaire
demeurait à la Chambre. Tous ces livres étaient
conservés sous clés dans des armoires (sub
clavibus).
2. Les Avogadori di Comun
Le 5 septembre 1261, le grand Conseil délibérait :
« qu’il soit ajouté au capitulaire des officiers (aile
rason) qu’ils doivent montrer aux Avogadori di
Comun tous les registres* et feuilles qu’ils sont
tenus de leur présenter, et s’ils tiennent quelqu’un
pour défaillant, ils doivent aussi le notifier aux
avogadori », des magistrats, parmi les plus
importants, qui avaient en charge la défense des
droits de la Commune et compétence pour
suspendre tout acte officiel jugé contraire aux lois,
et qui étaient les défenseurs de la légalité et de
l’esprit de la constitution. La pyramide du contrôle
s’édifiait donc rapidement : le contrôle effectué par
les officiali devint une routine obligée, préliminaire
à toute clôture de caisse, l’intervention des
avogadori, une inspection sollicitée par les officiers
aux comptes en cas de poursuite : le 5 juillet 1271
on en sut plus sur ces « caduti » : les ufficiali
devaient convoquer tous ceux qui auraient
contrevenu à leurs obligations et leur accorder un
ultime délai de deux mois pour se mettre en règle.
Passé ce délai il fallait procéder à une enquête,
punir les récalcitrants et en aviser le doge. En 1271,
les magistrats qui ne se présenteraient pas à la
reddition* des comptes seraient donnés pro cadutis
au doge (le verbe cadere désigne ici quelqu’un qui
se rend coupable de non respect de la loi) et les
434
« seigneurs de la nuit » exécuteraient les peines
encourues par ces contrevenants. La Commune
affichait véritablement une obsession à vérifier en
permanence les comptes de la bureaucratie
intermédiaire, contrôle qui constituait une
composante essentielle de l’État et de son
fonctionnement. Ce soin mis à vérifier les comptes
légitimait l’action de l’État, c’était un acte politique
et pas seulement de transparence administrative
(Zambon).
Comment les avogadori examinaient-ils les
comptes que leur soumettaient les officiers aux
comptes : l’un d’eux devait se rendre dans chaque
office, voir les livres et « tirer un trait pour clore* le
compte ». La dispersion et le nombre des offices
rendaient cette tâche impossible. Une délibération
beaucoup plus tardive (1543) fixa la procédure de
révision* : « deux fois par mois les avogadori se
rendront personnellement avec les comptables (de
YAvogaria) dans les offices pour constater si les
caissiers ont en caisse tout l’argent qui apparaît
dans leurs livres (mensuali ovvero libri) ». En 1577
il appartenait au doge d’inviter un avogador « à
inspecter et sceller toutes les caisses où entre de
l’argent public ». Peu après le conseil des Dix
choisit de tirer au sort une caisse confiée à l’examen
diligent et attentif d’un avogador. Les Avogadori
vérifiaient alors le solde des caisses* et les écritures
des magistrats chargés de la perception des taxes.
Les modalités du contrôle et leurs conséquences.
Trois exemples choisis l’un dans le dogado, le
second à Venise pour des magistrats ayant
compétence dans tout l’État, les officiers de Rialto,
prédécesseurs des provéditeurs au sel, le troisième
dans le dominio, à Padoue, à l’échelon local par
conséquent de la civitas et de son district rural, vont
illustrer les modalités et l’efficacité du contrôle à la
fin du Moyen Âge.
1. Les saliniers de Chioggia
Le 2 juillet 1271, le grand Conseil instituait cinq
saliniers à Chioggia, des officiers chargés de
prélever les taxes qui pesaient sur les ventes de sel
au départ de la petite cité lagunaire et de ses marais
salants, et par conséquent de surveiller le commerce
de ce produit afin de s’assurer qu’il ne se
commettait aucune fraude* lors des opérations de
mesurage et de chargement. Chaque quinzaine un
salinier se rendrait à Venise pour remettre la recette
au doge, plus précisément aux camériers* de la
Commune. Le rôle des camériers ne se limitait pas
à recevoir la recette : toutes les opérations à
Chioggia, surtout le mesurage et la pose des scellés
sur la barque se déroulaient en présence d’un
salinier et d’un employé ou serviteur (famulus)
assermenté des camériers, choisi par tirage au sort
et qui assistait aussi à l’enregistrement de la vente
en indiquant la quantité de sel expédiée, son prix, le
nom du mesureur, après quoi le serviteur portait
cette cédule au chancelier (probablement le
directeur de l’administration locale à Chioggia) qui
la reportait sur un livre en parchemin. Le salinier
avait porté en écriture, dans l’ordre, l’argent reçu, le
nom de l’acheteur et la quantité de sel emportée. Le
chancelier suivait le même ordre. En cas d’absence,
le salinier reporterait dans son livre dans les quinze
jours les écritures de ses collègues et, ensemble
d’un commun accord ; ils reverraient les comptes
en se prêtant assistance pour une bonne tenue des
livres* afin que ni la Commune ni les marchands
n’en subissent un préjudice. De l’argent il rendrait
compte le troisième mois aux préposés à la
réception des comptes de la Commune, selon une
procédure précise qui établissait un tour de rôle :
celui (des saliniers) dont ce serait la dernière
quinzaine du trimestre, devrait dans les 8 jours aller
à Venise accompagné du chancelier de quinzaine
pour présenter ses comptes du trimestre aux
officiers des comptes du dedans. Ces officiers
disposeraient également de 8 jours pour vérifier les
comptes. Si les comptes n’étaient pas contrôlés en
totalité dans les délais, le salinier perdrait son
salaire pour les jours où il demeurerait à Venise au-
delà de la période légale de 8 jours, ce qui était une
incitation à présenter des comptes parfaitement
tenus afin de ne pas allonger le temps de la
reddition*. Le 10 octobre 1274, le grand Conseil
vota que le salinier devait apporter ses livres* à
Venise. Le salinier Lorenzo Zulian qui avait
maquillé les comptes fut sanctionné et privé
d’office pendant cinq ans. De ce qui précède, on
conclut que les cinq magistrats de Chioggia
n’étaient pas solidaires, sauf ce devoir d’assistance
mutuelle dans la confection des livres, mais que
chacun à son tour venait présenter au contrôleur à
Venise ses propres livres et répondre de sa seule
gestion*. En somme le marché du sel leur imposait
ce mode de fonctionnement : les 3 à 400 familles
qui cultivaient des salines entreposaient leur récolte
dans des magasins (salaria) privés dispersés sur les
canaux de la cité, la tâche du salinier et de son aide
consistait à assister aux opérations simultanées de
mesurage et d’embarquement devant ces magasins
de stockage.
2. Les officiers de Rialto
Les officiers de Rialto promettaient d’écrire dans
leur livre tout ce qu’ils recevaient et tout ce qu’ils
versaient, d’avoir une clé* pour chaque bureau de la
chambre (banque), de restituer aux camériers* de la
Commune dans les huit jours suivant leur sortie de
charge tout le solde de leur caisse, sous peine d’une
amende de 5 s/1 soit 25 % (1277). Comme tous les
fonctionnaires de la Commune qui recevaient de
l’argent, ils tenaient les livres de compte sous clé*
et rendaient compte de leurs recettes et de leurs
dépenses. En octobre 1349, ces officiers de Rialto
eurent à choisir parmi eux un caissier pour recevoir
l’argent de la Commune. Ce caissier, dispensé
d’aller sur les différents chantiers, restait à demeure
à la chambre. Il ne pouvait conserver à l’office plus
de 4 000 livres et déposait l’excédent à la
Procuratie s. Marci avant de le reverser aux
camériers* de la Commune.
Les officiers sopra Rialto étaient continuellement
occupés en qualité de maîtres d’œuvre des travaux
exécutés pour la Commune, pour lesquels ils étaient
payés chacun 70 livres a grossi par an, mais la
démolition du marché aux poissons dont la
location leur rapportait un profit (utile) et la vente
de propriétés de la commune dont ils obtenaient une
commission de 10% (10 soldi per centener) leur
avaient fait perdre ces revenus annexes et le grand
Conseil, le 3 juillet 1322, pour compenser la
modicité de leur salaire, vota que ces officiers
auraient un salaire annuel de 20 sous de gros
chacun, en plus de leur salaire actuel. Le 19 mars
1356, le conseil des Quarante - la plus haute
juridiction de la Commune siégeant au civil, au
criminel et en appel - délibéra que les saliniers de
la mer désormais, quand ils apporteraient de
l’argent aux camériers* de la Commune seraient
accompagnés d’un scrivan et feraient écrire dans
l’ordre l’argent qu’ils assigneraient, et chaque mois
en présence des officiers du Levant ils devraient
montrer leurs livres*, tant de la recette que de la
dépense, et ceux des camériers*, afin qu’on puisse
les confronter. Le Ie' juillet 1359, le Sénat adoptait
la loi De furantibus bona communis contre les
magistrats, recteurs, avogadori, provéditeurs,
ambassadeurs, de intus et de foris qui pillaient les
biens de la Commune.
La révision* des comptes permettait de remonter
loin dans le passé pour traquer divers abus,
appliquer des décisions de justice et rétablir l’ordre,
par exemple dans les paiements effectués par l’État
en faveur de ses créanciers. En 1407, 19 décembre,
on constata que les signori del sal e sopra Rialto
avaient renoncé depuis plus de vingt ans à exiger le
paiement des amendes. On leur donna jusqu’au 8
janvier pour exiger ces amendes des débiteurs, sous
peine d’être passibles d’amendes de même montant.
En 1416,3 septembre, les pregadi (le Sénat)
informés que dans les livres de l’office du sel*
beaucoup de paiements avaient été opérés depuis
l’année 1401 en faveur de ceux qui avaient un
crédit à l’office, en contravention à la loi puisque
l’office était encore débiteur pour du sel importé
durant les années antérieures de 1397 à 1401,
rappelaient qu’il fallait honorer les dettes les plus
anciennes per honor délia nostra Signoria. Les
officiers du sel devaient diligemment enquêter pour
retrouver toutes les personnes qui avaient reçu de
l’argent en paiement du sel depuis le 1er mars 1401
et leur ordonner le reversement de cette somme
dans un délai de quatre mois. Les anciens créanciers
devenaient débiteurs. De ceux qui ne se seraient pas
exécutés à l’expiration de ce délai, les officiers du
435
 sel enverraient le nom, dans les 15 jours, par écrit à
s. Nicolo Bragadin et à s. Vettor Dolfin, offïciali
delle nostre rason a veder le rason di X officii,
habilités à percevoir de ces personnes le capital
augmenté d’une pénalité de 10 sous/1 (= 50 %). Le
capital serait remis aux officiers du sel qui
paieraient ainsi les importateurs de sel des années
1397-1401, selon l’ordre des arrivées des nefs
chargées de sel. Mais comme parmi les paiements
opérés par l’office depuis 1401, de nombreuses
ventes avaient été effectuées de façon malhonnête
par ceux qui avaient acheté le papier de l’office,
encore appelé « crédits du sel » à moindre prix (il
s’agit de la spéculation sur les fedi), ces acheteurs
des créances devaient restituer à l’office l’argent
obtenu depuis 1401, en faisant «inscrire les
vendeurs qui ont vendu à ces acheteurs leur sel
comme créanciers de la Commune, ce qu’ils avaient
été initialement, mais si les acheteurs (des papiers)
voulaient demander des comptes {usar le sue rason)
contre les vendeurs, qu’ils le fassent devant les
officiers qui n’ont à répondre que de l’argent donné
pour payer le dit sel. Mais comme beaucoup d’actes
illicites ont été commis par ces acheteurs et par les
officiers, les avogadori doivent examiner les achats
effectués depuis 1401 et prendre des mesures contre
les coupables et tous ceux qui ont enfreint l’ordre
des paiements de l’office du sel, les avogadori sont
invités à agir per ben e destro del nostro comun ».
En somme la spéculation fondée sur la
dévalorisation des crédits du sel n’avait pas à se
transformer en passe-droit et la réputation de la
Commune ne devait en aucun cas souffrir de ces
pratiques qui portaient atteinte aux droits des
importateurs et enrichissaient des escompteurs.
Le 19 mars 1451, les pregadi, informés de la
mauvaise administration des Chambres fiscales de
Dalmatie et Albanie décidèrent d’envoyer sur place
un des officiers des rason vecchie pour enquête. Or
trois ans plus tard (loi du 15 juillet 1454) personne
n’était encore parti pour cette mission. Un officier
partira sur le champ (amende de 100 ducats)
examiner les livres. La magistrature des rason avait
connu quelques vicissitudes au siècle précédent.
Elle avait été successivement supprimée, puis
rétablie (1358), rendue permanente (1360) mais
sans pouvoir obtenir des compétences plus étendues
et autonomes en matière de réglementation
financière, elle fut finalement dédoublée en 1396
entre rason vecchie et rason nuove (Knapton). Au
début du XVe siècle l’ancienne distinction entre
« comptes du dedans » et « comptes du dehors » a
fait place à une différenciation entre « vieux
comptes » {rason vecchie) et « nouveaux comptes »
{rason nuove).
3. Les provéditeurs sur les Chambres de Terreferme
La chambre fiscale de Padoue envoyait ses livres à
la révision des Provveditori sopra le camere à
Venise. Knapton a pointé les difficultés du
436
système : les longs délais d’encaissement des
recettes engendraient un grand écart entre le
rendement attendu et l’effectif qui incitait à
renforcer les dispositifs de l’exaction ;
l’approximation de l’information sur laquelle on se
fondait pour assigner les recettes aux dépenses ; le
manque permanent de liquidités pour couvrir les
engagements de dépense; l’incidence de la
superposition des compétences et la confusion dans
l’action des organes préposés à la gestion de la
finance publique. Les Chambres fiscales
percevaient localement les recettes de la Seigneurie
et en dépensaient sur place la majeure partie, en
assignations* déterminées par les autorités de la
capitale, Sénat et collège. Divers aspects de la
gestion* des Chambres étaient objet de
sollicitations, contrôles, indications normatives,
interventions directes dans les procédures, de la part
d’inspecteurs plus ou moins occasionnels ou
extraordinaires, ou de magistratures financières
permanentes de la capitale.
• les gouverneurs des entrées créés en 1433
pour contrôler tous les offices percevant des taxes
indirectes {dazi) dans la capitale et les bilans
(toujours en matière de dazi) des administrations
de l’Etat. Cette magistrature était rapidement
devenue le plus important organe de contrôle et de
révision* des recettes publiques, aidée dans sa
recherche des débiteurs de l’Etat par les Ufficiali
sopra i dieci uffici et par les Ufficiali aile cazude,
chargés de procéder contre les débiteurs de
l’impôt. En 1474 l’action comptable des
gouverneurs fit l’objet de vérification de la part de
Tre Savi sopra conti.
• les provéditeurs sur les Chambres de
Terreferme (1449)
les savi aile cazude périodiquement
nommés pour poursuivre les débiteurs d’impôt.
• Les provéditeurs au sel.
Les provéditeurs sur les Chambres de Terreferme
furent les magistrats les plus impliqués dans le
contrôle comptable et de gestion durant la seconde
moitié du XVe siècle. Destinataires des livres, ils
vérifiaient aussi les soldes militaires et les
paiements de l’année. Ils visaient tous les bulletins
{bollette) envoyés aux chambres pour paiement et
imposaient aux chambres de rendre compte chaque
mois de l’argent versé à l’année. De quelles
carences comptables la chambre de Padoue était-
elle coutumière ? Non respect des délais d’envoi
des livres par les scrivani : amende pour un retard
supérieur à 8 jours, licenciement si le retard
excédait 15 jours ; interdiction d’emporter les livres
chez soi ou ailleurs sans la permission des
recteurs ; l’âge avancé du scontro l’empêchait de se
présenter journellement au travail ; il contestait la
tâche qui lui avait été confiée, et licencié il
interjetait appel ; les camériers locaux étaient tenus
pour responsables de la mauvaise rentrée des
amendes.
En 1488, les avogadori di Comun réfonnèrent
toutes les chambres de Terreferme : ils
commencèrent par un rappel des règles comptables,
essentiel à tout travail d’enquête. Les camériers
avaient à enregistrer, en présence du scontro*, les
recettes sur les livres, non sur des feuilles volantes,
ils fermeraient les caisses 10 jours après la clôture
du mois durant lequel la gestion de la caisse leur
avait été confiée. Il fallait rétablir les omissions
dans la continuité historique de la comptabilité,
clore les comptes, reporter les soldes. Le Sénat,
informé par l’enquête des avogadori ordonna aux
camériers de rédiger deux livres des vieux débiteurs
de la chambre fiscale, en réservant les résidus actifs
les plus anciens, antérieurs à 1483, à la liquidation
des vieilles créances et à des dépenses
extraordinaires ; l’argent dû postérieurement à 1483
était à assimiler à la gestion courante. La plupart de
ces opérations étaient plutôt orientées à la
perception qu’au contrôle des écritures et Knapton
conclut que la révision comptable était plus prêchée
que pratiquée. Il n’existe pas de signes tangibles de
la confrontation interne des livres tenus par les
camériers et compilés par le scontro*. Le contrôle
externe était sporadique.
Le renforcement du contrôle à l’époque moderne
1. Les Revisori e regolatori alla scrittura.
La guerre de Chypre et la Peste qui suivit avaient
coûté très cher, la dette publique s’éleva à
5 714 439 ducats. Il fallut instituer en janvier 1575
des réviseurs aux écritures dont le Sénat fixa les
compétences en février : à toute requête des
réviseurs les « ministres » de tous les offices
seraient obligés de leur consigner les livres de
comptes, à l’exception des livres en cours (ou livres
courants) qui seraient visés à l’office même. Les
caissiers des offices et tous les employés aux
comptes (appelés « ministres ») étaient tenus de
régler les écritures selon les vœux des réviseurs. On
invitait aussi les officiers à exiger les crédits en
suspens, majorés des pénalités pécuniaires (2/3
reviendraient aux magistrats qui auraient procédé
au recouvrement, 1/3 aux comptables des
réviseurs). Les réviseurs pouvaient recruter 2 ou 3
comptables {rasonati, ragionati) « pratiques et
suffisants ». Le conseil des Dix ne voulut pas être
en reste et surenchérit sur le Sénat en chargeant les
réviseurs de revoir aussi les écritures de la Zecca et
de tous les offices placés sous sa juridiction. La
masse des affaires à traiter risquait d’aboutir à la
paralysie de la nouvelle magistrature qui reçut le
renfort d’un troisième membre. Le Sénat en juillet
rappelait qu’il avait institué les réviseurs afin de
procéder à l’examen des comptes de tous les
officiers durant la dernière guerre maritime (dont la
bataille capitale avait eu lieu à Lépante), mais il
étendait leur compétence au contrôle « si del debito
corne del credito délia Signoria nostra » présentés
par les nobles qui avaient servi dans les
administrations du Stato da Mar {reggimenti da
mar) dans le mois suivant leur retour à Venise.
Les nouveaux magistrats se mirent au travail et
commencèrent par l’examen des livres de comptes
des gouverneurs des entrées. Ils y trouvèrent bien
des défauts : sur les registres* n’avaient pas été
reportées des délibérations du Sénat, restées de ce
fait lettre morte, les « ministres » tenaient les
comptes à l’aide de notarelle e memorie
contradictoires entre elles, bref la remise en ordre
de toute la comptabilité de l’État était urgente. Les
réviseurs adressèrent des instructions aux offices
pour leur recommander la compilation exacte du
livre «journal » ou l’utilisation d’une valeur unique
dans un même ordre de comptes. Cette simple
activité visait à développer une rationalité
comptable et administrative (Zannini).
En 1587 furent élus des magistrats chargés du
contrôle des écritures des reggimenti da terra, en
Terreferme italienne par conséquent, et en 1593 les
deux offices fusionnèrent et formèrent l’office des
Revisori e regolatori alla scrittura. En 1577 on
avait décidé d’effectuer des régulations générales
du bilan* de l’État qui répartiraient organiquement
les entrées entre les divers chapitres de la dépense,
opération qui fut renouvelée en 1579 et en 1587. La
création des Réviseurs s’inscrivait donc dans la
continuité de l’évolution institutionnelle de Venise
et comme une œuvre de modernisation des
instruments institutionnels de contrôle de ce que les
historiens italiens appellent « l’économie
publique » (Einaudi). En 1604, on créa les Deputati
all’esazione del denaro pubblico avec autorité sur
tous les offices de perception et compétence sur
toutes les charges de l’Etat avec obligation pour
quiconque entrerait en service d’obtenir de ces
députés l’attestation (fede) de n’être pas débiteur de
l’État. En 1617, pour remettre de l’ordre dans
l’administration des « indirectes » {dazi), on institua
les Réviseurs et régulateurs des dazi de Venise et
de Terreferme chargés aussi de superviser les
enchères et de la juridiction sur les faits de
contrebande. En 1658 on développa une nouvelle
magistrature créée lorsqu’avait éclaté la guerre de
Candie, les deputati ed aggiunti (adjoints,) alla
provvision del denaro pubblico qui, réunis au
XVIIIe siècle avec le savio cassier entrant et le
sortant, constitua le centre programmateur de la vie
économique (Zannini).
2. La création du collège des comptables
La structure bureaucratique du gouvernement
demeurait inchangée : les organes de
gouvernement, de décision, continuaient d’être
réservés à l’aristocratie vénitienne, classe de
pouvoir et les charges intermédiaires d’exécution
soumises à vénalité restaient occupées par du
personnel non noble.
437
 L’ensemble des charges comptables subalternes
préposées à l’administration financière et à la
comptabilité publique rentraient dans cette
catégorie et avaient reçu au XVIe siècle un profil
spécifique par la création d’un collège des
comptables (ragionati) auquel appartenaient tous
les officiers qui avaient maneggio di denaro (les
comptables ou contadori) ou maneggio di scrittura
(scontri, quadernieri, ragionati). Les offices
comptables étaient dévolus à trois catégories
d’employés : les opérations pratiques liées au
maniement d’argent étaient accomplies par le
contador qui exerçait une charge « mécanique » et
entrait dans la catégorie des offices de basso
ministero ; il travaillait sous le strict contrôle du
scontro, un comptable qui répondait des sommes
confiées au cassier, charge patricienne occupée à
tour de rôle par un magistrat noble, chef du bureau.
Le maneggio delle scritture relevait du quadernier
et du scrivano. Ces divers employés scontri,
quadernieri, ragionati et appuntadori déjà en
service furent tenus de s’inscrire au collège d’où à
l’avenir on extrairait les postulants à ces diverses
fonctions. Le registre (albo) professionnel qui
servait au recrutement et à la formation du
personnel comptable subalterne et l’institution
contemporaine d’une magistrature habilitée à
superviser et à rationaliser la comptabilité publique,
les revisori e regolatori alla scrittura, visaient à
améliorer un système comptable chaotique et
dispersé. La loi du 2 décembre 1581 qui instituait le
collège des comptables organisait aussi un examen
devant les comptables du Palais en présence des
réviseurs aux écritures et des V sages à la
marchandise. Les comptables préparaient les
épreuves (formar alquanti quesiti necessari per tal
essaminà), les candidats faisaient la preuve de
savoir tenir les écritures, le jury retenait les
meilleurs à la majorité des %, mais il y avait une
autre condition : être citoyen vénitien, ou avoir
résidé durant 5 années sans avoir jamais exercé
d’art mécanique (travail manuel) ni avoir été
condamné à une peine infamante, les Avogadori
répondant de ces diverses conditions. Ce collège
élirait son prieur et formerait son capitulaire,
comme cela se faisait au collège des notaires. Tout
recrutement ultérieur de scontri, quadernieri,
pontadori et rasonati à la Zecca comme en tout
autre office, se ferait dans le collège. Tous les
comptables en place (les « principaux ») avaient
deux mois pour passer l’examen afin d’être
reconduits dans leur fonction s’ils étaient jugés
capables. Les « méritants » qui s’étaient vus confier
une charge avec ses revenus, mais ne l’exerçaient
pas et avaient fait appel à des substituts, ces
substituts avaient à répondre aux critères
d’inscription du collège des comptables.
L’exécution de la loi était confiée aux 5 Sages à la
marchandise et aux « régulateurs aux écritures se ne
sarano », ce qui signifie qu’à cette date, décembre
438
1581, on n’avait pas encore procédé à la
désignation de ces Régulateurs.
Il manquait une ébauche de centralisation des
opérations de caisse confiées à une masse d’offices
divers. Avec la ramification des activités
administratives le total des caisses dans la
Dominante dépassait au XVIIIe siècle les 200,
chacune avec sa comptabilité et ses critères
spécifiques de gestion et d’enregistrement
comptable (Zannini). L’autonomie de gestion des
diverses caisses et la décentralisation comptable
répondaient à la volonté politique du patriciat qui
refusait de voir une magistrature unique « devenir
un centre unificateur et coordinateur qui, par le
biais du gouvernement de l’économie publique,
aurait fini par dominer tout l’appareil politique et
administratif» (Pezzolo). L’absence d’institution
financière centrale empêchait par contre-coup de
disposer d’un bilan financier et d’une synthèse
organique du mouvement de la finance d’Etat. On
ignorait la fonction du bilan comme instrument de
la politique économique de l’État.
La crise financière durant la seconde guerre de
Morée (1716-1718) mit en évidence l’absence de
normes de sélection dans le recrutement des
officiers comptables et dans les critères selon
lesquels étaient conduites les révisions. On fixa à
24 ans l’âge minimum d’admission au collège des
ragionati, un corps d’une centaine d’officiers
spécialisés : 10 appuntadori, fonctionnaires sous la
direction des réviseurs et régulateurs aux écritures,
chargés du contrôle et de la révision des comptes de
tous les offices centraux ou périphériques. En
février 1719 les nonnes qui réglaient la procédure
de révision comptable furent rassemblées en un
texte législatif unique.
En 1721 trois des meilleurs comptables furent
consultés pour rassembler les comptes-rendus
(rendiconti) des caisses de la République. L’expert
Paolo Rizzi avança une proposition simple : confier
au savio cassier la fonction de trésorier* unique
afin de simplifier la comptabilité et de centraliser
les fonctions de programmation et de contrôle des
flux financiers. Mais il se heurta au conservatisme
des patriciens et le Sénat se contenta de modestes
retouches. En 1736, à la suite de manœuvres
malhonnêtes de comptables (dont Rizzi) qui
utilisaient la lenteur des procédures de contrôle
pour détourner de l’argent avant de prendre la fuite,
Girolamo Costantini réunit tous les rendiconti de
toutes les caisses de la Dominante (Venise) et des
domini (les territoires), il regroupa les comptes en
catégories homogènes et compila un bilan* général
de fait. Son travail obéissait aux règles de la partie
double*. Il inaugura ainsi la série des Bilanci* dont
la rédaction fut facilitée par la confection de
modules pré-imprimés pour la reddition de comptes
de chaque caisse (Zannini). Ce fut à Venise le
sommet du processus de rationalisation, certes,
mais il n’était pas exempt de faiblesse : ces bilans*
reposaient en effet sur les rendiconti des caisses qui
souvent ne distinguaient pas les arriérés perçus, les
soldes, les recettes exceptionnelles, les
anticipations*..., et qui étaient d’autre part rédigés
deux ou trois ans après la clôture* de l’exercice.
Ces documents servaient au mieux à fournir une
assise statistique à la prise de mesure à long terme,
par exemple pour la réduction de la dette publique*
(Ventura).
Costantini proposa une réforme plus audacieuse :
« obliger tout le management de l’économie
publique à passer par la banque », ce qui aurait à la
fois réformé le banco giro, créé un service unique
de trésorerie*, centralisé le flux des recettes et des
dépenses et effacé les complications monétaires et
des changes. La proposition ne fut pas écartée, mais
réduite à un simple expédient technique.
Les réviseurs nobles déploraient : « notre monde
économique n’a jamais connu de siècle d’or, on y a
toujours volé ». Les magistrats accusaient les agents
administratifs, mais quand ils étaient députés aux
caisses*, par inertie ils les laissaient faire ce qu’ils
voulaient. Cette faiblesse de l’administration
financière était inhérente à la constitution : les
nobles qui passaient deux ans seulement à la tête
des magistratures n’avaient pas toujours reçu une
formation adéquate et laissaient dans la réalité des
« officiers de service » permanents, non-nobles, les
gérer, ceux-ci connaissaient les clés, les
mécanismes du fonctionnement. Cette contradiction
fondamentale fit échouer les tentatives de réforme
administrative qui finirent en simples ajustements
de buon governo.
3. Une classe de bureaucrates
A la fin du XVIIIe siècle, les charges intermédiaires
de la bureaucratie vénitienne furent réparties en
trois classes : citoyens, ragionati, populaires. Les
nobles occupaient les consilia et les officia qui
avaient une fonction exécutive (non exclusive d’un
rôle législatif). Ces offices étaient des comités
restreints, compétents dans un champ particulier,
chargés de l’administration et des questions
pratiques. Les « citoyens originaires » formaient un
groupe bureaucratique, un « ordre » qui s’identifiait
avec une position de responsabilité et de prestige
dans l’appareil d’Etat (Zannini). La première loi qui
lia l’assignation de postes publics à la condition de
citoyen originaire remontait à 1419, à l’époque de
la constitution de l’état territorial quand il s’agissait
de créer un corps de fonctionnaires dévoués au
service public et aux destinées de la république
aristocratique. En 1478 à ce groupe fut réservée
l’entrée à la chancellerie qui constituait le cœur de
tout l’appareil bureaucratique et groupait une
centaine de notaires et de secrétaires au service des
consilia, dirigé par un chancelier non noble sous le
contrôle vigilant du conseil des Dix. La plupart des
emplois publics fut réservée à ce groupe : toutes les
charges de notaire, secrétaire, masser, ragionato,
contador et scontro qui, à l’intérieur de chaque
magistrature, formaient l’échelon intermédiaire de
la hiérarchie bureaucratique (les popolani pouvaient
aspirer aux seuls postes de « basso ministero »).
Ces charges étaient « distribuées par la Quarantia
Ocriminal) » qui recrutait les candidats. En 1636,
après la peste, les autorités inaugurèrent la première
vente générale de tous les offices pourvus par la
Quarantia, ce qui entraîna un réaménagement de
tout le secteur bureaucratique intermédiaire et la
perte du monopole des citoyens originaires. Les
offices vendus furent viagers et furent souvent
occupés par des personnes autres que le titulaire. En
1731 la présence des citoyens se réduisit à 13 % des
emplois. Cette vente des offices entraîna diverses
conséquences, l’absentéisme, l’inefficacité, la
tentation de se refaire des fortes sommes engagées
pour les uns dans l’achat et pour les autres dans le
loyer versé au titulaire, d’où des abus et des
malversations, bref le prix à payer pour la
« dépersonnalisation » et la vénalité de l’office.
En 1723, l’Etat tenta de récupérer deux catégories
d’office, les scontrarie et les fiscalerie. En 1743,
l’office des appuntadori (Inquisitore sopra le
revisioni et appuntadure) se vit confier la direction
d’un collège d’appuntadori non patriciens chargés
de la révision* comptable de tous les offices de la
Dominante. La fonction devint une charge à vie et
un commissaire enquêteur aux révisions et
contrôles fut placé à la tête de l’office, ce
coordinateur patricien contribua aussi à améliorer la
présentation de la comptabilité publique (Zannini).
Plusieurs magistratures, appuntadori, revisori,
s’intéressaient simultanément à la révision de la
comptabilité publique et croisaient leurs opérations.
La révision et le contrôle en général n’étaient pas
effectués à l’intérieur de l’office, sauf si celui-ci
comportait un revisor ou appuntador.
4. Les modalités du contrôle
Tout l’appareil administratif obéissait à un même
principe : aucun officier ne pouvait accomplir seul
des opérations délicates et tous devaient se
contrôler mutuellement : les mouvements d’argent
en caisse étaient laissés au contador, mais le
scontro devait assister à toute recette et à tout
paiement. L’opération était inscrite par le contador
sur un petit registre* (vacchetta) tenu « per lettera
dentro e fuori per abbaco », c’est-à-dire en chiffres
romains (lettres pour éviter les falsifications) dans
la partie descriptive et en chiffres arabes (per
abbaco) dans la colonne des comptes. Le scontro
enregistrait les opérations ou partite dans le
Journal* (ou dans le Mensile) en présence du
cassier. Le cassier tenait aussi son giornale-cassier
où il notait toutes les opérations de rentrée ou de
sortie, un livre auquel le livre compilé par le
scontro servait de riscontro. La comptabilité à
partie double*, apparue à Venise au début du XlVe
siècle, n’était pas systématiquement utilisée.
439
 Pourtant sans une telle méthode « rien ne peut être
en bon ordre ».
A la fin du XVIe siècle, on déplorait aussi de
nombreuses malversations. On adopta deux
solutions : on conçut des mécanismes concrets de
révision comptable et on décida que tous les scontri
et quadernieri des principales caisses citadines
seraient soumis à rotation quadriennale, gérée par le
Collège (pien collegio formé de la réunion plénière
de tous les sages). Un bon nombre d’offices furent
dès lors soustraits à la juridiction de la Quarantia.
Mais en 1606, on constatait que la rotation avait
surtout engendré de la confusion et on la suspendit.
Le collège des ragionati fut géré par le colleggetto
formé du prieur et de quatre membres, appelés la
banca, puis en 1665 porté à 15 membres élus par
tous les ragionati, et qui eut la haute main sur les
recrutements. Les autorités patriciennes avaient
donc délégué au collège toute la cooptation et
renforcé le caractère corporatiste de la profession.
Au XVIIe siècle, le jeune qui voulait entrer au
collège présentait une supplique aux Revisori qui,
après avoir entendu le prieur et la banque du
collège, remettaient la décision au Sénat. En 1673,
les ragionati étaient 129, plus 56 principaux de
charge, neuf ans plus tard, ils étaient 193. En 1683,
le Sénat bloqua les inscriptions pour revenir à 100
unités.
En 1589, les Revisori avaient demandé à tous les
magistrats de « recourir à des personnes issues du
collège des ragionati pour pointer les livres de tous
les offices recevant et dépensant l’argent public ».
En 1598 on créa un groupe stable de dix ministres
comptables parmi lesquels les réviseurs tireraient au
sort tous les deux mois ceux qui iraient examiner
les livres de l’office qui leur serait désigné. Ces dix
ministres triés sur le volet devaient recevoir 2/3 des
voix en Pien Collegio. Leur charge était viagère. Ils
seraient payés 44 gros pour 1 millier de partite de
zornal examinées + 10 % des sommes recouvrées à
la suite de la découverte de malversations. Leur
tâche consistait à vérifier que les reports étaient
bien effectués. Ils devaient « confronter les
documents justificatifs originels (par exemple le
bon de commande et la facture) et la première
écriture et en second lieu vérifier la concordance
des opérations {partite) entre le journal* et le
mastro ». Ils devaient aussi vérifier que scontro et
cassier ne tenaient aucune écriture in vachetta qui
ne serait pas reportée sur le journal, contrôler tous
les justificatifs : polices d’enchères, lettres, ducales,
mandats, arrêtés, reçus, ordres et autres. Pour les
opérations qui impliquaient d’autres offices, ils
devaient vérifier que les sommes avaient été virées,
à débit ou à crédit, pour le même montant que celui
relevé dans l’office inspecté. Les appuntadori
rendaient compte aux réviseurs et dressaient un
bilan* pour avis (bilancio consultivo). Ils faisaient
plus qu’une révision* des comptes, en fait une
véritable révision administrative qui vérifiait le
440
fondement de tout acte accompli par une
dont ils sont débiteurs,
magistrature, un contrôle approfondi de la gestion*.
Aucun autre organe n’avait une telle fonction
d’ensemble, si importante qu’on ne pouvait la
confier à des nobles qui auraient pu en profiter pour
La rémunération de l’appuntador était fonction du
s’arroger des pouvoirs extraconstitutionnels. Ces
nombre de partite contrôlées : 44 gros par millier
pouvoirs si importants devaient être exercés par des
« compté une seule fois dans le journal » et 44 gros
hommes d’extraction sociale inférieure et soumis à
pour les « revoir », soit 88 gros ou 3 ducats 18 gros.
un organe patricien.
Mais le journal* n’était pas unique, il y avait le
En 1657, la Monnaie (Zecca) se vit rappeler qu’elle
journal de caisse et le journal du scontro.
ne devait pas recourir, pour exercer un contrôle de
L ’appuntador numérotait les partite sur le premier
routine, à des appuntadori recrutés dans son
journal puis les recomptait dans le second journal*
personnel comptable, mais s’adresser au corps des
et les doublait donc une première fois. Ces écritures
appuntadori au sein du collège des ragionati, si
bien qu’il fallut leur donner quatre adjoints et porter
apparaissaient « doublées par règle d’écriture » (le
leur nombre à 14 (1660). L’appuntadura n’était pas
un emploi, mais une mission temporaire, sans
salaire fixe, avec une rétribution casuelle. On
décida d’interdire aux appuntadori d’exercer leur
ministère dans l’office où ils servaient comme
comptables et où ils se seraient contrôlés eux-
mêmes.
En février 1719, une terminazione précisait certains
devoirs des appuntadori : une fois élu, le ministre
avait six mois pour consigner la première révision
des offices qui lui avaient été assignés et ensuite
quatre mois pour les révisions successives ; chaque
mois il devait reporter sur un registre conservé près
du Réviseur le solde de caisse conforme aux
écritures du caissier, indiquer si les écritures du
journal étaient à jour et les causes des retards
éventuels. L ’appuntador devait aussi vérifier si les
impôts avaient été retenus à la source, par ex. la
décima sur les salaires des employés de l’office, s’il
n’était pas versé des salaires à des employés non
idoines, si n’exerçaient pas une tâche comptable des
employés qui n’auraient pas appartenu au collège
des ragionati.
Le cycle de la révision comptable
1) L'appuntador rédige son rapport sur la révision
et l'adresse aux Revisori e regolatori aux écritures
2) Les /Revisori e regolatori/ aux écritures
- signalent par écrit au sénat les principaux
désordres
- autorisent l'appuntador à corriger les erreurs
d'écritures
- invitent ministres et magistrats à justifier les
opérations obscures
3) Le Sénat
- demande aux magistrats en cause leurs
observations sur le rapport des Revisori
- reçoit leurs observations écrites
- et délibère
4) Les /Revisori/
- enjoignent à ces magistrats de verser l'argent
mois et institua l’inquisiteur noble qui put travailler
avec un adjoint choisi par lui parmi les appuntadori
- reçoivent leurs observations
et un notaire de YAvogaria di Comun en mesure
- invitent les appuntadori à ajuster les écritures
d’instruire les procès, de procéder à des
arrestations, de saisir le Sénat et le Conseil des Dix.
Le magistrat patricien et le gardien noble de la
constitution aristocratique, l’Avogaria (qui
enregistrait les naissances nobles, condition
indispensable pour accéder au statut noble et au
grand Conseil) conservait ou avait récupéré leurs
anciens pouvoirs. J.-C. H.
Monnaie de compte, Monnaies (Hôtel des), Sel
(Office du)
se retrouvaient ensuite sur le quaderno où elles
Sources : ASV, Savio Cassier, b. 579, cc 1-166
(pour le bilan de 1710) ; Sécréta Capitolari, già
système de la partie double impliquait en effet
Miscellanea Codici 133, Capitolare dei salinieri di
double enregistrement de toute variation comptable
Chioggia, cc. 113r-117r, cap. VIII ; Provveditori al
en doit et avoir). Elles étaient donc encore une fois
sal, Capitolare 1°, b. 1 ; Sources publiées, R. Cessi,
doublées. Enfin le ministre était obligé de
Deliberazioni del Maggior Consiglio di Venezia, 3
confronter {riscontraré) le partite avec les données
vol., Bologne 1931-1950. Documenti finanziari :
des vachette, ces cahiers de notes et de première
Besta F. et Ventura A. (1903-1972).
entrée : des contrôleurs comptaient cette entrée pour
Bibliographie: Bonamore D., Il Linguaggio
la énième fois. Les Revisori soulignèrent que le
dell ’economia e délia finanza a Venezia (Relazione
compte de partite valait uniquement sur le premier
dei rettori in terraferma, 1500-1700), Udine, 1980.
journal* contrôlé.
Concina E., Venezia nell’età moderna. Struttura e
En 1728, les Revisori dénonçaient la faible
funzioni, Venise 1989. Einaudi L., L’economia
efficacité des appuntadure : les 14 ministres
pubblica veneziana dal 1736 al 1755, in La Riforma
revisori étaient en retard d’au moins six mois dans
sociale, XI (1904), vol. 14. Felloni G., Gli
la remise des appuntadure, quelquefois de cinq ans.
Investimenti finanziari genovesi in Europa tra il
La possibilité de corriger les défauts, les
Seicento e la Restaurazione, Milan 1971.
irrégularités d’écriture, de demander aux ministres
Ghisalberti C., “Corte dei conti (storia)”,
leurs observations, de récupérer l’argent,
Enciclopedia del diritto, vol. x, Milan, Giuffrè,
dépendaient de la brièveté des délais laissés à
1962. Hocquet J. C. (1979, 1995, 1999, 2005 et
l’examen et à la réponse. La multiplication des
2006). Knapton M., « La dinamica delle finanze
offices, des caisses, faisait que, écoulé un certains
publiche », Storia di Venezia, Rome 1997, p. 475-
laps de temps, il devenait impossible de remédier
528. Knapton Michael, in Zambon S. (1998). Gino
aux erreurs*: « si des révisions il est résulté un
L., Storia economica di Venezia dall’XI al XVI
avantage pour le Trésor public, celui-ci est certain
secolo, Venise 1961. Magistrature contabili e di
mais il est négatif » observaient avec causticité et
controllo délia Repubblica di Venezia dalle origini
humour les Réviseurs familiers de la partie double*
al 1797, Ministero del Tesoro, Ragioneria generale
et qui jouaient aussi avec le concept de « certain »
dello Stato., Roma 1950. ueller [1971] Reinhold C.,
ou d’incertain en usage sur le marché des changes.
The Procurators of San Marco in the thirteenth and
Dans les années 1736-40, plusieurs cas de fraude*
fourteenth centuries: a study of the office as a
commis par les appuntadori n’eurent pas de suite :
financial and trust institution, « Studi Veneziani »,
la lenteur des procédures favorisait la fuite des
XIII; ueller [1977] R.C., The Procuratori di San
suspects avec plusieurs milliers de ducats.
Marco and the Venetian Crédit Market : a study ofthe
Les Revisori proposèrent la création d’un enquêteur
development of crédit and banking in the Trecento,
(inquisitore) qui présiderait le collège des
New York, Amo Press; Pezzolo Luciano, L’oro dello
appuntadori, non en qualité de juge de leurs
Stato. Société, finanza efisco nella Repubblica Veneta
découvertes en matière d’erreurs dans les écritures,
del secondo '500, Treviso/Venezial990; Pezzolo L.,
mais d’inspecteur de la qualité de leur travail et
Sistema di potere e politica finanziaria nella
d’enquêteur de leurs manques et collusions. Cet
Republica di Venezia (sec. XV-XVII), in Origini
« inquisiteur » serait un magistrat patricien et le
dello Stato. Processi di formazione statale in Italia
collège des ragionati aurait élevé une barrière entre
fra Medioevo e Età moderna, a c. di Chittolini G.,
deux corps, celui des comptables travaillant dans
Molho A. et Schiera PA., Bologne 1994; Princivalli
les offices à la comptabilité publique et celui des
A. et Ortalli G. éds, Il Capitolare degli Uffiiciali sopra
appuntadori qui en contrôlerait l’activité et la
Rialto. Nei luoghi al centro del sistema economico
régularité. La discussion de la loi suscita de longs
veneziano (secoli xiii-xiv), Milano 1993; Rezzasco G.
débats. En 1743, la loi substitua à l’ancien paiement
(1881). Rossi F. (1997 et 1998). Sinopoli M.,
des appuntadori un salaire fixe de 60 ducats par
441
 “Corte dei conti”, Novissimo Digesto Italiano, vol.
IV, Turin, 1959. Stella Antonio, Il servizio di cassa
nell'antica Repubblica Veneta, Venezia 1890.
Tiepolo M.F. (1985). Trebbi G., La cancelleria
veneta nei secoli xvi e xvii, in Annali délia
Fondazione Luigi Einaudi, XIV (1980), p. 65-125.
Tucci Ugo (1973). Ulvioni P., Politica e riforme a
Venezia nel secondo Settecento. Il piano daziale, in
Corsini Umberto éd., Profdi di storia veneta (sec.
XVIII-XIXe), Venise 1985, p. 65-94. Ventura A.
(1972 et 1981). Viggiano A., Governanti e
governati. Legittimità del potere ed esercizio
dell ’autorità sovrana nello Stato veneto délia prima
età moderna, Trévise 1993. Zambon S. (1997 et
1998). Zannini A. (1993, 1994). Zanini A., in Storia
di Venezia, VIII, p; 431-477. Zordan G., /
Visdomini di Venezia nel secolo xiii (Ricerche su
un’antica magistratura finanziaria), Padoue 1971.
Zordan G., L’ordinamento giuridico veneziano,
Padova 1980.
Villa, Francesco (1801-1884)
Fils d’un modeste employé, Francesco Villa naît à
Milan en 1801. Après des études classiques puis
techniques, il obtient les diplômes de comptable et
d'arpenteur. En 1826, il est engagé en tant que
commis dans le cadre de l’administration financière
mise en place à Milan après le retour de la
Lombardie à l'Autriche* en 1815 : l'Impériale
Regia Contabilità Centrale Lombarda. Il poursuit
parallèlement l’étude de ses disciplines de
prédilection : la comptabilité, les mathématiques et
l’agronomie et, vers 1830, il commence à donner
des leçons particulières de comptabilité et
d'agronomie puis enseigne bientôt dans une école
technique.
Ces leçons lui fournissent la matière d’un premier
ouvrage comptable publié à Milan en 1837 :
Manuale per la tenuta dei registri, o sia esposizione
teorico pratica del modo di tenere i registri a
scrittura semplice e doppia (manuel de tenue des
livres ou exposé théorico-pratique de la tenue des
livres en partie simple et en partie double). Ce
manuel est encore proche de ceux de ses
prédécesseurs mais il s’en distingue cependant par
la clarté du discours.
Peu de temps après en 1840 et 1841, il publie les
deux volumes de son second ouvrage : La
contabilità applicata aile amministrazioni private e
pubbliche ossia elementi di scienze economico
amministrative applicati alla tenuta dei registri, ed
alla compilazione e revisione dei rendiconti (La
comptabilité appliquée à l’administration privée et
publique ou éléments de science économico-
administrative appliquée à la tenue des livres et à
l’élaboration et au contrôle des comptes annuels).
Ce traité lui vaut de remporter un prix de mille
florins offert par le gouvernement autrichien et
destiné à récompenser le meilleur manuel de
comptabilité, ainsi que d’être recruté, en 1842,
442
comme professeur à la faculté de droit de
l'Université de Pavie, où le gouvernement
autrichien avait créé en 1839 une chaire de
comptabilité publique ; il y restera dix-sept ans. En
1850 il publie dans cette ville son troisième ouvrage
relatif à la comptabilité : Elementi di
amministrazione e' contabilità (Eléments
d'administration et de comptabilité), qui connaîtra
cinq rééditions.
En 1859, une réorganisation de l'enseignement
public aboutit au transfert de la chaire de
comptabilité publique de l’Université de Pavie à
l’Académie scientifique et littéraire nouvellement
créée à Milan. Villa quitte alors Pavie pour venir
enseigner à Milan ; à l’Académie d’abord puis à
l’Institut technique à partir de 1862, suite à la
suppression de la chaire de comptabilité de
l’Académie. Enfin en 1867, il publie son dernier
ouvrage : Nozioni e pensieri sulla pubblica
amministrazione. Studi di economia e contabilità
applicati ai bisogni, ai mezzi ed alla gestione delle
Amministrazioni pubbliche e dello Stato (Notions et
réflexions sur l’administration publique. Etudes
d’économie et de comptabilité appliquées aux
besoins, aux ressources et à la gestion de
l’administration publique et de l’Etat). Membre de
l'Institut lombard des Sciences et Lettres depuis
1863, il passe les dernières années de sa vie à Milan
où il décède le 30 juillet 1884.
C’est dans son second ouvrage que Villa fait figure
de novateur. Il y précise en effet que la comptabilité
ne doit pas être confondue avec la seule tenue des
livres et que cette dernière ne saurait prétendre au
rang de science. La comptabilité doit être
considérée comme un ensemble de notions
d’économie et de gestion appliquées à l’art de tenir
les livres de comptes ; les écritures comptables n’en
représentent donc qu’une partie. Si leur maîtrise est
indispensable au teneur de livres, elle ne saurait
suffire à un comptable ou à un administrateur, qui
ne doit pas simplement passer des écritures mais
aussi contrôler les comptes et les états de synthèse
qui en sont issus, et ne peut être à même de juger
des résultats d’une gestion s’il n’en connaît pas de
manière détaillée la nature exacte et les règles qui la
régissent. Car le contrôle* est la finalité de la
comptabilité, et celle-ci est indissociable de
l’organisation elle-même et de la gestion de son
patrimoine.
L’élan qu’il imprime ainsi à la réflexion comptable
italienne, en la libérant notamment d’une influence
française jusque-là dominante, lui vaut d’être
considéré, à partir de la fin du XIXe siècle, comme
« le père de la comptabilité italienne ». Lui-même
est partiellement inspiré par les auteurs autrichiens,
en particulier, selon Federigo Mélis, par Josef
Schrott, l’un des théoriciens de la comptabilité
camérale, une filiation qui résulte de sa propre
expérience de l’administration autrichienne.
Toujours selon Mélis, c’est dans son troisième
ouvrage, publié en 1850, que Francesco Villa se
dégage de l’influence autrichienne et pose les
fondements de l’édifice de la comptabilité italienne
moderne. Les spécialistes de l’histoire de la
comptabilité italienne le présentent comme le
fondateur de l’école lombarde ou lombardo-vénète,
dont l’autre représentant majeur est Antonio Tonzig
(1804-1894), alors titulaire de la chaire de
comptabilité publique de l’Université de Padoue.
Tous deux auront pour successeur Fabio Besta
(1846-1922), le théoricien comptable le plus
influent de l’Italie du début du XXe siècle.
Nous nous intéresserons ici essentiellement à la
partie de l’œuvre de Villa qui concerne la
comptabilité publique, c’est-à-dire le second
volume de l’ouvrage publié en 1840 et 1841 et
l’ouvrage de 1867.
Sous le titre Délia contabilità applicata
ail’amministrazione pubblica, le premier de ces
textes est organisé selon le plan suivant :
- Titre 1. Notions économico-administratives
- Chapitre 1. Brève présentation de
l’administration du Royaume (Lombardie-Vénétie)
- Ch. 2. Bref aperçu des besoins de l’Etat
- Ch. 3. Les sources de revenus de l’Etat
- Ch. 4. Les modes de recouvrement des recettes
provenant des diverses sources de revenus de l’Etat
- Titre 2. De la comptabilité publique en général et
de l’administration des fonds publics
- Ch. 5. Eléments et principes généraux de la
comptabilité publique
- Ch. 6. L’administration du trésor royal
- Titre 3. Pratique de la comptabilité de
l’administration publique
- Ch. 7. Comptabilité publique en partie simple et
partie double
- Ch. 8. La méthode de comptabilité camérale*
Dans la seconde section du chapitre 5, Villa
i
développe les principes généraux de la comptabilité
publique lombardo-vénète :
- la nécessité de prendre en compte les biens
i immobiliers et mobiliers qui constituent le
patrimoine de l’Etat ;
- la nécessité de centraliser les finances de l’Etat
dans une caisse générale ;
- la spécialisation des dépenses et l’assignation des
ressources ;
- l’ordonnancement des dépenses et leur
paiement ;
- la responsabilité des dépenses publiques ;
i mode d’exécution d'un travail doit être étudié en
- la production des comptes et leur contrôle.
Pour l’auteur, il y a beaucoup de traits communs
entre la gestion publique et la gestion privée, dès
lors que plusieurs des secteurs d’activité de l’Etat
relèvent de la gestion manufacturière et
commerciale, comme le tabac ou les poudres. En
conséquence, les notions économico-
administratives développées dans le premier
volume de l’ouvrage, consacré à la comptabilité
privée, sont censées pouvoir s’appliquer à la
majeure partie de l’administration publique.
Publié 26 ans plus tard, le second ouvrage —
Nozioni e pensieri sulla pubblica amministrazione
— relève d’une optique quelque peu différente.
L’auteur établit cette fois-ci une distinction claire
entre administration privée et administration
publique. La finalité de la gestion privée est la
recherche du profit et la satisfaction des besoins du
propriétaire, et elle suppose une prise de risque.
L’Etat travaille à la satisfaction des besoins
généraux de la société et l’administration publique
doit évaluer les ressources nécessaires et les
rapprocher des sommes qu’il est susceptible de
collecter. Celles-ci étant par définition limitées, une
administration publique bien organisée doit faire en
sorte que les dépenses restent dans la limite des
recettes disponibles.
En termes d’organisation, reprenant des
observations développées dans l’ouvrage de 1841,
il insiste sur la nécessité de doter l’Etat d'une
trésorerie générale destinée à centraliser toutes les
procédures opérationnelles et comptables liées à la
collecte de ses revenus. Il estime en effet que la
décentralisation administrative complique la
comptabilité publique.
Sa préoccupation d’équilibre financier le conduit à
s’interroger sur les effets de la croissance
économique sur les dépenses publiques : « Plus un
pays avance dans la civilisation, plus ses habitants
sont industrieux et actifs, plus son administration
devient coûteuse, car les exigences et les besoins du
service public augmentent avec l’accroissement de
la prospérité nationale et le développement du
commerce et de l'industrie. » Inquiet de cette
situation, il attire l’attention sur le risque de voir le
poids des dépenses retomber sur la population et
insiste sur la nécessité de bien analyser les dépenses
et d’élaborer des règles d’appréciation fondées sur
ce qu’il nomme des principes économico-
administratifs fondamentaux : « Il ne suffit pas de
connaître l’intitulé et le montant d’une dépense
pour être en mesure de porter un jugement et de
voter en toute connaissance de cause, il faut avoir
une idée précise de l’objectif poursuivi, des moyens
de l’atteindre et de l'effet que l’on peut
raisonnablement attendre de leur mise en œuvre. La
nécessité, la commodité, l’opportunité d’une
dépense se déduisent des causes qui ont conduit à
l’envisager et des conditions dans lesquelles se
trouve la société qui doit en fournir les moyens. Le
s’appuyant sur des principes économiques. L’effet
doit en être évalué en prenant en compte les
avantages directs et indirects, au regard des fonds
dépensés et du temps passé. Juger d’une dépense
donnée, sans l’appui de certains principes et règles,
dont la connaissance constitue ce que nous
appelons le critère économico-pratique, qui doit
guider en la matière, ne pourrait être que risquée».
443
 Villa classe alors les dépenses de l’Etat en quatre
catégories fonctionnelles homogènes et les analyse
de façon détaillée :
- dépenses de construction, de gros entretien et de
réparation ;
- frais de nourriture, matériaux et objets
manufacturés ;
- salaires, traitements et rémunérations pour
services divers ;
- intérêts du capital de la dette et des emprunts,
perpétuels et temporaires.
Voici, à titre d’exemple, les principes économiques
qu’il suggère de mettre en œuvre à propos des
dépenses en salaires et traitements :
- organiser chaque service de la façon la plus
simple, relativement à l’objectif qui lui est assigné ;
- étudier la répartition des tâches la plus logique
qui soit en termes de compétences intellectuelles et
manuelles ;
- leur affecter les fonctionnaires les plus
compétents, capables et consciencieux ;
- rémunérer ces agents de sorte que l’on puisse,
avec raison et justice, exiger d’eux la plus grande
ponctualité et le zèle nécessaire à l'accomplissement
de leurs devoirs ;
- offrir aux plus doués d’entre eux des
perspectives de promotion.
On le voit, les écrits de Villa vont bien au-delà de la
seule technique comptable et en font l’un des
grands précurseurs du courant de VEconomia
aziendale qui se développera durant la première
moitié du XXe siècle. Y.L.
Voir Autriche, Comptabilité camérale
Sources : Villa F. (1837, 1840-1841, 1850 et 1867).
Bibliographie : Maggi D., « La pubblica
amministrazione nel pensiero e nel l’opéra di
Francesco Villa », Contabilità e Cultura Aziendale,
2001, vol. 1, n° 2, p. 210-219. Melis F. (1950).
Siboni B. (2005). Zan L., « Toward a history of
accounting historiés: perspectives from the Italian
tradition», European Accounting Review, 1994,
vol. 3,n° 2, p. 255-310.
Villèle, Joseph de (1773-1854)
Officier de Marine, il s’établit à l’île Maurice puis à
la Réunion ou il se marie. Sous l’Empire, Villèle
rentre de « l’île Bourbon » où il a acquis un
domaine agricole. Il s’inscrit très rapidement au
sein d’une mouvance monarchiste (les chevaliers de
la foi) avant de participer activement à la naissance
de ce qui allait devenir le mouvement « ultra » (les
ultraroyalistes) en publiant, le 20 mai 1814 ses
Observations sur le projet de constitution,
adressées à MM. Les députés de la Haute-Garonne
au Corps législatif, par un habitant de ce
département. Nommé maire de Toulouse sous la
seconde Restauration, puis élu député le 22 août
1815, il devient un des chefs de la Chambre
introuvable. Ministre sans portefeuille de Richelieu,
444
il est nommé ministre des finances le 14 décembre
1821 avant de cumuler la présidence du Conseil à
partir du 4 septembre 1822 jusqu’à sa démission
des deux postes le 3 janvier 1828, six années durant
lequelles Villèle a durablement marqué la
construction du droit public financier. Son action
fut politique. Face aux « ultraroyalistes » qui
menacent de le déborder, Villèle contient
l’émancipation parlementaire, en particulier dans le
domaine financier. Pressé dès 1822 de détailler les
dispositions du budget général, Villèle repousse la
spécialisation* du vote des crédits budgétaires
jusqu’en 1827. En 1823 et 1824, il ne parvient pas à
obtenir du Parlement la conversion des rentes*. Il
finit par l’arracher en 1825, ce qui lui permet de
financer l’indemnisation des émigrés au titre des
confiscations de biens subies durant la Révolution :
le « milliard des émigrés ».
Son action est aussi financière. Villèle soutient
l’action d’Audiffret* au sein du ministère des
finances*. Il permet à ce dernier d’imprimer un
mouvement de fond qui va guider l’évolution de
l’organisation financière pour les décennies à venir.
La conversion des rentes* (bien au-delà de la
simple indemnisation des émigrés), la
réorganisation du « compte général de
l’administration des finances », la formalisation des
« bons royaux » (qui deviendront les bons du
trésor*) révèlent une véritable réforme de la
gestion* de la trésorerie de l’État.
Son action est encore administrative. Villèle
finalise la réunion des ministères du Trésor et des
Finances en rassemblant les deux administrations
dans un bâtiment construit à cet effet, rue de Rivoli,
il fusionne les caisses de retraite des fonctionnaires
des Finances et surtout, dans ce domaine encore,
appuie la réorganisation administrative effectuée
par Audiffret*. S.K.
Voir Audiffret
Bibliographie : Antonetti G., « Villèle (Joseph de)
1821-1828 », Les ministres des Finances (2007).
Bottin M. (1995). Fourcassié J., Villèle, Fayard,
1954.
Visa
Ce terme vient du latin visa, ce qui entend papier
vu, dérivé de visus, participe passé du verbe videre
(voir). Les anciens dictionnaires de la langue
française délivrent deux usages de ce mot. Le
premier atteste l’emploi de ce terme en matière
ecclésiastique pour désigner, selon le Furetière,
« les nouveaux titres de provision qu’un évêque
donne à un curé en exécution de celles qu’il a
obtenu du Pape in forma dignum ; celles ne se
donnent après que le pourvu a subi l’examen devant
l’évêque et s’est trouvé digne du bénéfice à lui
conféré sous cette condition». Une seconde
définition, celle qui nous intéresse ici plus
particulièrement, véhicule une acception plus
technique du ternie, articulée sur l’idée de contrôle
et reliant de façon spécifique le terme de visa au
vocabulaire de la pratique administrative, financière
et judiciaire. Le visa est une formule que l’on
appose sur un acte pour le rendre valide. Il désigne
l’acte de revoir et de vérifier par signature un
document, de confirmer son authenticité et de le
mettre à l’exécution. Ainsi, le visa appartenait au
chancelier qui mettait de sa main ce mot au bas des
édits et des lettres patentes avant qu’on ne les
scelle. Depuis le XVIe siècle, le visa était fait par le
contrôleur général des finances* sur les documents
financiers émanant du trésorier de l’Épargne. Le
contrôle par visa était pratiqué lors des
modifications des contrats de rentes. Une révision
des rentes conduites par Colbert* en 1663 finit par
abaisser leurs taux d’intérêt et repousser les
échéances de leur payement. Les rentiers ne
bénéficiaient alors de remboursement qu’après
avoir présenté aux commissaires du roi et dans un
délai d’un mois leurs titres d’acquisitions. Au début
du XVIIIe siècle, le visa se voit être prioritairement
réservé au contrôle du papier-monnaie. Qu’il
s’agisse de la première (1715) ou de la deuxième
opération (1721), ce fut un expédient extraordinaire
par lequel le pouvoir monarchique tenta de
redresser la situation critique des finances publiques
et de résoudre le problème de la dette. La dette
flottante de l’Etat représentait après la mort de
Louis XIV une masse considérable d’effets ou de
créances en circulation, alors que le Trésor ne
disposait de suffisants revenus ni pour en assurer le
remboursement du capital ni payer les intérêts.
Ainsi le duc de Noailles songea à établir le visa le 7
décembre 1715. Le second visa fut lancé six ans
plus tard, le 26 janvier 1721, destiné à la liquidation
du Système de Law. Les deux procédures furent
conduites par les frères Paris et entamèrent une
révision massive des papiers royaux. Cette mesure
devait en principe confirmer les engagements de
l’État, après avoir reconnu les créances publiques
bien fondées et après avoir éliminé celles douteuses
et usuraires, mais, en réalité, la monarchie s’en
servit pour éteindre une partie de ses dettes, en
échappant légalement mais, de façon détournée, à
une banqueroute de fait.
La mise en place de deux opérations fut confiée aux
commissions, ou bureaux de visa, dépendantes du
Conseil des finances*. En 1715, les billets devaient
être visés en un mois, mais leur vérification fut
prolongée jusqu’au 31 janvier 1716. Le second visa
s’étendit sur seize mois, du 26 janvier au 2 août
1722, au lieu de deux mois prévus initialement ;
plus d’un milieu de commis répartis en 54 bureaux
y furent impliqués. Une autre particularité de ces
visas consiste en ce qu’ils étaient conduits sur
l’ensemble du territoire et qu’ils engageaient une
vérification d’ensemble de papiers royaux en
circulation. Autrefois, cette mesure était restreinte à
vérifier soit une seule espèce d’effets, soit les billets
de certaines années. D’autre part, ces opérations
pouvaient aller au-delà des missions qui leur étaient
initialement dévolues : en 1722, en effet, les
registres de visa servirent de base pour
l’établissement des rôles de la capitation
extraordinaire, qui taxa les patrimoines de ceux que
le Système de Law avait enrichis.
Les informations que nous possédons sur les
modalités d’exécution du visa des papiers royaux
au début du XVIIIe siècle restent lacunaires. Le visa
de 1715 est mieux documenté que celui de 1721.
On sait que ce dernier a produit de nombreuses
archives, mais qui ont été en grande partie détruites
par l’administration même à la fin de l’opération.
Cela étant, l’étude de la question ne peut se faire
aujourd’hui qu’à partir de l’analyse d’une série de
textes officiels, des sources manuscrites
disponibles, ainsi que des ouvrages, mémoires et
chroniques laissés par les contemporains au sujet
des finances de la Régence. Ainsi, les Archives
nationales de France ont conservé l’un des
bordereaux généraux des effets visés dressés par les
commissaires du Conseil, qui permet d’établir les
résultats du visa de 1715 : le capital total des
créances de l’Etat fut alors diminué, après des
retranchements, de 596,6 à 250 millions de livres.
Les anciens divers billets furent par la suite
transformés en titres homogènes, appelés billets de
l’État, à taux d’intérêt unique de 4 % payables
chaque semestre à l’Hôtel de ville.
L’ouvrage de Charles Dutot, Réflexions politiques
sur les finances et le commerce (1738), et celui de
Joseph Paris-Duvemey, Examen du livre intitulé :
Réflexions politiques sur les finances et le
commerce (1740), qu’il prépara conjointement avec
son commis, François Deschamps, sont à cet égard
de première importance pour notre connaissance de
l’histoire du visa de 1721. Les deux auteurs
s’interpellent et polémiquent, avec des prises de
position diamétralement opposées, sur l’expérience
financière de Law et surtout sur les avantages et les
inconvénients du visa. Charles Dutot, ancien
caissier de la Banque, fit dans son ouvrage
l’apologie du Système de Law, en condamnant de
façon absolue l’opération de visa. Il la qualifia de
« la plus injuste et de la plus funeste de toutes les
opérations ». Elle était, selon lui, « contraire au bien
de l’État et du public », car ne chercha pas
véritablement à rétablir les affaires mais à
persécuter et « à fouiller dans le secret de
familles », à « venger les haines personnelles » et à
« s’enrichir aux dépens d’autrui ». Paris-Duvemey,
auteur de la liquidation du Système, en réfutant les
considérations de Dutot, défendit l’utilité du visa.
Ce fut, selon lui, « un ouvrage très long et très
pénible », mais certes indispensable pour remédier
aux désordres financiers et monétaires dans
lesquels le Système avait plongé le royaume. C’est
pourquoi le visa était, selon lui, «judicieux et
avantageux à l’État », aboutissant à réduire ses
445
 dettes «à proportion qu’il pouvait supporter», et
contrairement à ce que pensait Dutot, à soulager
les créanciers que le Système avait rigoureusement
puni par le discrédit des billets.
En 1721, les effets devaient être présentés au visa
par leurs porteurs en personne ou par des notaires.
Ils étaient tenus de produire conjointement un
bordereau signé et certifié véritable qui énumérait
les effets qu’ils rapportaient et expliquait leur
provenance. Dans les faits, la collecte des papiers
pour le visa se heurta à la mauvaise volonté des
propriétaires qui cherchaient à y échapper.
Beaucoup d’entre eux se mirent à les négocier dans
l’espoir que la vente pouvait encore donner plus
que les effets annulés, tandis que d’autres
acquièrent des immeubles, des vaisselles d’or et
d’argent et toutes sortes de marchandises sur des
sommes considérables. Quelques-uns réussirent à
exporter leurs fortunes en dehors du royaume. Au
final, les autorités arrivèrent à rassembler 511 009
déclarations, dont 107 936 à Paris et 369 774 dans
les provinces. Le capital total des effets représentés
monta à 2 462 645 581 livres, dont 2 222 597 181
livres en rentes et en billets et 250 048 000 livres en
actions.
Le processus de vérification et liquidation fut donc
particulièrement long et complexe. Les commis
préposés au visa avaient à faire face à une grande
quantité de titres hétéroclites, à tenir de nombreux
registres et à travailler sur plusieurs vérifications
dans un délai de temps limité. En effet, il fallut
examiner l’état fonnel des effets déposés et vérifier
l’exactitude des informations contenues dans les
déclarations, en les confrontant avec les registres du
Trésor, les registres de la banque et les registres de
la Compagnie des Indes, ainsi qu’avec les extraits
d’actes de propriétés fournis par les notaires.
Toutefois, cette vérification était une étape première
et essentielle de l’opération qui devait permettre au
gouvernement de constater l’état de la dette et de
déterminer ensuite les bases de la liquidation pour
chaque type d’effets. Les modalités en furent fixées
par l’arrêt du 23 novembre 1721. Or, pour parvenir
au rétablissement des finances de l’Etat, il fut
décidé d’effectuer des retranchements sur le capital
des effets visés, après quoi les créanciers reçurent
de nouveaux titres représentatifs de leur créance.
Ces réductions n’étaient pas, en effet, faites selon
un taux uniforme, mais suivant la nature de
créances et les catégories de créanciers dans
lesquelles on voulut séparer, en termes de l’époque,
les premiers porteurs, considérés comme de
véritables créanciers, et les agioteurs ayant gagné
sur le commerce usuraire des papiers. Ainsi, un
capital porté en billets de banque de plus de 10 000
livres était réduit de 33 %, s’il provenait des
finances et le commerce, Paris, Droz, 1935.
remboursements faits sur les anciennes rentes ou les
offices (première et deuxième classes), de 40 à 75
généralement tous les mots français tant vieux que
% s’il avait été acquis des ventes de terres, de biens
moderne de toutes les sciences et des arts, Leers,
meubles et de marchandises (troisième et quatrième
La Haye, Rotterdam, 1690, t. 3, « visa ». Mannont
446
classes), et de 95 % s’il avait été gagné par le
commerce du papier (cinquième classe). Les petits
porteurs, qui déclarèrent posséder moins de 500
livres en billets, étaient au nombre de 251 590 et
furent épargnés de réduction. La valeur des titres de
rentes viagères sur la Compagnie des Indes et des
certificats de compte en banque était réduite de 40
% pour les deux premières classes, de 66 % pour
troisième classe et de 66 à 75 % pour la quatrième
classe. Les actions de la Compagnie des Indes,
acceptées au visa au nombre de 125 000 et reparties
en sept classes par l’arrêt du mois de novembre
1721, subirent une amputation sévère allant de 40 à
95 % de la valeur nominale. Par ces divers
retranchements, 2 462 645 581 livres de capitaux de
dettes fut réduit à 1 700 793 294 livres et à 55 000
actions de la Compagnie des Indes, dont le
dividende fut fixé à 100 livres. A la clôture de
l’opération en août 1722, les effets visés étaient
retirés aux propriétaires par l’intermédiaire des
notaires et remplacés par des certificats de
liquidation. Ces papiers donnèrent droit au
remboursement, qui se fit par l’émission, en juillet
1723, de 31 millions de rentes perpétuelles à 2,5 %
d’intérêt correspondant au capital de 1 640 millions
de livres, et de 16 millions de rentes viagères à 4 %
d’intérêt ayant le capital nominal de 400 000 livres.
Ainsi, on peut conclure que le résultat principal des
expériences du visa au début du XVIIIe siècle
consista en une diminution considérable des dettes
de l’État, qui passèrent en deux mouvements
successifs d’une dette estimée entre 3,5 et 2
milliards de livres à la mort de Louis XIV à une
dette constituée au capital de 1,6 milliards de livres,
après la liquidation du Système de Law et le visa de
1721. Si le second visa des papiers royaux permit à
la monarchie française de sortir de la crise et de
stabiliser sa situation financière, elle fut, en
revanche, défavorable aux créanciers qui perdirent à
cette occasion une partie de leurs capitaux. Le
crédit public semble être sensiblement affecté par
cette mesure. N. P.
Voir Agiotage, Banque, Dette, Effet de paiement
Sources : AN, G7 728 (Bordereau général des effets
visés par les commissaires du Conseil en exécution
du visa de 1715) ; BNF, 21308 (2) : Déclaration du
roi portant que tous les billets faits pour le service
de l’Etat seront rapportés pour en faire la
vérification et liquidation, du 7 décembre 1715 ;
21088 (29) : Arrêt du Conseil du roi, du 26 janvier
1721. Deschamps F., Examen du livre intitulé:
Réflexions politiques sur les finances et le
commerce, La Haye, Vaillant frères et N.Prevost,
1740. Dutot C., Réfexions politiques sur les
Furetière A., Dictionnaire universel contenant
Du Hautchamp B. (1739 et 1743). Véron de
Forbonnais F. (1758).
Bibliographie: Andreau J. Béaur G... (2006).
Félix J. (2007). Levasseur E., Recherches
historiques sur le système de Law, Guillaumin,
Paris, 1854. Faure E. (1977). Harsin P. (1928).
Platonova N., «Le visa des papiers royaux...»
(2007). Thiveaud E., Monnaie, finances et politique
en France, de la refonte générale de septembre
1701 à la réforme monétaire du 15 juin 1726, thèse
de doctorat, Paris, EHESS, 1995, 2 vol. Villain J.,
« Le rôle de la capitation extraordinaire de 1722 »,
RHDF, 4/32, janvier 1954, p. 108-140, et « Heurs et
malheurs de la spéculation (1716-1722)», RHMC,
avril-juin, 1957, p. 121-140.
Visite
La visite était une pratique d’inspection par tournée
dans l’administration des finances des régimes
anciens. Elle constitua le moyen de contrôle des
caisses* et des comptes le plus répandu en
l’absence de véritable centralisation et unification
comptable. On repère des tournées de commissaires
chargés de contrôler les caisses dès le Moyen Age.
En Castille, cette procédure est instituée dès le XVe
siècle. Elle constitue un mode de gouvernement
dans tous les domaines. Lors de sa visite de 1596, le
vice-roi d’Aragon se fit par exemple présenter les
états de finances des villes, étudia les registres et
l’origine des revenus exigea des officiers
municipaux de mettre leurs comptes à jour, imposa
la maîtrise du remboursement des dettes... En
Bavière, l’usage est établi dans les dernières années
du règne de Albert V (1550-1579). En Sicile, le
vice-roi envoya en 1640 toirs commissaires aux
comptes (razionali) pour contrôler la gestion des
institutions locales. En Hongrie, le vicomte, élu par
les diétines dans chaque circonscription nommée
« comitat », était obligé de visiter inopinément
plusieurs fois par an les deux caisses* du comitat
(la caisse des contributions au souverain et la caisse
domestique) et d’en faire le rapport à l’assemblée
du comitat. Les obligations des intendants
provinciaux de la principauté de Piémont-Savoie au
XVIIIe siècle étaient plus lourdes encore: ils
devaient faire des visites de caisses des receveurs-
trésoriers placés sous leur inspection deux fois par
mois, une fois à date fixe (visite ordinaire) et une
fois dans le courant du mois sans fixation de jour
(visite extraordinaire). A l’occasion de ces visites,
ils comparaient l’état de la caisse avec les sommes
inscrites dans le brouillard* du trésorier. Les visites
de caisse étaient particulièrement usitées dans les
territoires où circulaient de nombreuses espèces ou
bien lorsque celles-ci étaient soumises à
d’importantes variations. Les années 1720, en
France, ont occasionné de telles vérifications. La
suppression des billets de la banque Law (1er
novembre 1720) provoqua des visites dans tout le
royaume, à l’instar de celle qu’entreprit
l’archevêque de Rouen, chargé de la direction des
économats*, au bureau de la régie des biens des
religionnaires fugitifs*, pour procéder à la
numération des espèces d’or et d’argent et des
billets de banque. La déclaration d’octobre 1723
concernant les registres-journaux* fixa les modèles
de procès-verbaux de caisse dressés en cas de
variations d’espèces par les commissaires, officiers
ou juges. Ces procès-verbaux devaient être
transcrits sur le journal à l’instant même de leur
confection.
Cejourd’huy M. ... Subdélégué à l’Intendance, a
dressé dans mon bureau le procès-verbal dont la
teneur suit.
Cejourd’huy vingt-deux juillet mil sept cens vingt-
trois, Nous, nous sommes transportez au
Bureau de M. ... pour y faire la vérification de son
journal et de sa caisse, en exécution des ordres à
Nous adressez par M. l’Intendant et de l’Arrest du
Conseil du jour d’hier, qui ordonne une diminution
sur les espèces d’or, à raison de vingt sols par
Louis d’or; lequel Sieur... après que Nous luy
avons eu déclaré le sujet de nostre transport, Nous
a représenté son journal dont Nous avons trouvé
que la Recette monte à....
Cy....
Et la Dépense à....
Cy...
Au moyen de quoi la Recette excède la Dépense
de....
Cy...
Ensuite ledit Sieur... Nous a fait ouverture de sa
caisse, dans laquelle, après la numération des
espèces, nous avons trouvé trente-un Louis d’or à
45 livres, montant à treize cens quatre-vingt-quinze
livres, et Ecus et tiers d’Ecus à 7 livres 10 sols,
cinq cens cinquante cinq livres ; faisant lesdites
sommes ensemble celle de dix neuf cens cinquante
livres, sur laquelle la diminution est de trente-une
livres, ce que dessus nous avons dressé le procès-
verbal.
La stabilisation de la livre tournois à partir de 1726
rendit ce modèle caduc.
L’inspection* des comptes, que l’on distingue du
contrôle administratif des comptes, pouvait
également s’effectuer par visite, soit d’un
contrôleur*, soit d’un inspecteur* dont le statut
(commissaire ou officier) variait d’un territoire à
l’autre. Au sein de la Ferme générale* par exemple,
les contrôleurs inspectaient les receveurs* et
commis* pour le compte de la compagnie,
vérifiaient leurs registres, collationnaient les états,
paraphaient les articles. Les instructions
précisaient : « Pour faire les visites, ils auront
l’adresse de surprendre les commis en leur
demandant leur registre en les abordant, lequel ils
retiendront de crainte qu’en leur laissant ils n’ y
ajoutassent des charges qu’ils pourroient avoir
447

obmises à mauvais dessein ». Quant aux inspecteurs
des fermes*, ils contrôlaient receveurs et
contrôleurs pour le compte du roi lors de tournées
d’inspection. M.-L. L.
Voir Caisse, Inspection, Intendant
Sources : AN, E 2042, f3 327, Déclaration du Roy
concernant la tenue des registres journaux, donnée
à Versailles 4 octobre 1723, 8 p. AAE, Mémoires
et documents, Autriche 42, f° 134 à 159 (mémoire
de Joseph Urményi sur la Hongrie, 1785). AD de
Savoie, Chambéry, C 1609, lettre de l’intendant
général de Savoie, 23 juillet 1759. Brunet de
Granmaison P. (1750), p. 152.
Bibliographie : Peytavin M. (2003).
Voiture, voiturage (des fonds)
Le convoi ou voiturage des espèces fît l’objet d’une
attention particulière des autorités publiques avant
le développement de la monnaie scripturale en
Europe. Pour faire porter les deniers d’une recette
locale vers la capitale ou inversement de la capitale
vers la province, on utilisait des escortes pour parer
aux attaques des bandits de grand chemin. Les
frais* de ces voitures étaient supportés par le
comptable responsable des fonds*, qui se faisaient
ensuite décharger*. On distinguait néanmoins les
deniers ordinaires, ceux portés dans l’état du roi* et
convoyés régulièrement, et les deniers
extraordinaires pour lesquels le receveur devait
avertir les autorités et obtenir un ordre particulier.
Les frais* de transport pour deniers ordinaires
étaient le plus souvent compris dans les taxations
ordinaires, tandis que les frais de port des fonds*
faits extraordinairement faisaient l’objet d’un état
de frais. En France, quand un receveur général des
finances* faisait voiturer des espèces au trésor
royal* par exemple, il devait retirer un bordereau
d’espèces*, le faire signer par les Trésoriers de
France*, faire certifier par ces derniers le jour du
départ, le nombre d’escortes, de sacs, de chevaux
ou mulets. De même, les bureaux du Trésor royal*
certifiaient le jour d’arrivée du convoi et le jour de
retour afin de calculer les frais. Selon l’édit de
Cognac de 1542, ses frais* étaient récapitulés dans
un cahier en papier, dans lequel on inscrivait la
quittance* du trésorier de l’Epargne contenant les
espèces par le menu. Ce cahier, ou état de frais,
était vérifié par les Trésoriers de France*, puis par
les juges des comptes qui passaient à cette époque
soixante sols par jour pour le chef du convoi,
cinquante sols pour les autres convoyeurs, trente
sols par jour pour chaque mulet, dix sols pour
chaque sac... Si le transport se faisait par sacs,
chaque mulet devait faire dix lieues en été (du
premier avril au premier septembre) et huit en
hiver. Il était prévu deux convoyeurs pour les
sommes entre 15 000 et 50 000 livres, trois pour les
sommes supérieures. Si le convoi se faisait par
charrette, il était prévu quatre chevaux attelés.
448
I
L’argent était alors mis en baril ou caque pour
chacun desquels il était payé quinze sols, tandis que
le charretier recevait vingt sols par cheval. Le
charretier était tenu de faire dix lieues en été et huit
en hiver. Quant à la fréquence des voitures de
recettes, elle se régularisa au fil du temps. Si au
XVIIe siècle, certains receveurs procédaient encore
sur ordre particulier, au siècle suivant la plupart des
receveurs des impôts voituraient régulièrement
leurs fonds* tous les mois. En France, le receveur
des tailles était obligé de voiturer ces espèces à la
recette générale* dans les huit premiers jours du
mois suivant (avec celles reçues depuis le dernier
du mois précédent jusqu’à l’instant du départ de la
voiture), et de donner avis à l’intendant* de
finances du départ et du montant de la voiture.
« Sur ces bordereaux et sur ces lettres d’avis, on
forme un relevé qui rassemble l’objet des fonds qui
sont entrez ou ont du entrer dans la caisse de la
recette générale. On précompte ensuite sur le
montant de ces fonds celuy des rescriptions
restantes à acquitter et celuy des dépenses à faire
dans le mois par les receveurs des tailles, s’il y en a
eu d’ordonnées. Ainsy, cette opération donne le
montant des fonds dont on peut disposer dans la
caisse de chaque recette générale soit pour les
consommer par les rescriptions que l’on délivre aux
trésoriers des différentes parties de dépenses, soit
pour les faire voiturer à la caisse commune. La
distribution des fonds* provenant du produit de
chaque mois se fait donc avec pleine connaissance
de la situation de chaque caisse et cela dès le 10 du
mois suivant ». Les frais de port de deniers étaient
en général alloués sur le montant des récépissés. La
déclaration du 4 octobre 1723 concernant la tenue
des registres-journaux* donne un modèle « pour
enregistrer l’envoy d’une voiture de deniers d’une
place à une autre » suivant l’article XXI : « l’envoi
de deniers ou effets exigibles qui sera fait de
comptable à comptable sera enregistré sur le journal
le jour de l’envoi sans être tiré hors ligne et
seulement pour mémoire » :
Envoyé à M.... la somme de trois mille six cens
livres par la voye de .... Suivant ma lettre de
voitures, ma lettre d’envoy, l’ordre ou le procès-
verbal.
Espèces d’or réformées.............................3 600 liv.
Pour valeur ledit Sieur.... doit me fournir son
récépissé sur.... Cy pour....
Une fois le récépissé* reçu seulement, le comptable
pouvait en faire un article sur son journal* daté du
jour de la réception et portant hors ligne le montant
du récépissé.
Néanmoins, le cas français, où les recettes étaient
réglées par soumission*, n’est peut-être pas
symptomatique du reste de l’Europe. Dans le
royaume du Piémont, on procédait encore aux
transferts de fonds sur ordre particulier du général
des finances de Turin en plein XVIIIe siècle,
comme le prouve la correspondance entre ce dernier
et l’intendant général de Savoie. En 1751 par
exemple, le général des finances avoue : «j’ai vu
les raisons pourquoi vous ne pouvés m’envoyer un
convoi plus considérable ; mais comme notre
Trésorerie générale est dans une grande disette vous
m’obligerés infiniment Monsieur, de faire partir au
plutost ledit convoi»; en en 1777 encore: «J’ai
reconnu qu’il y a un fond d’au-delà de 200 000
livres en espèces nobles et 84 000 livres en billons.
Je vous prie de m’expédier un convoi. Je ne vous
fixe point de quantitatif, vous le ferez former de
toutes les espèces nobles, je ne vous fixe point non
plus de tems pour cet envoi, il me suffit de le
recevoir avant l’échéance de ce mois ». Pour
convoyer les fonds des recettes de ses Etats, le roi
du Piémont faisait appel à un entrepreneur. Huit
jours étaient nécessaires pour faire le trajet Turin-
Chambéry.
Les lois ont également encadré rigoureusement les
convois de fonds destinés aux années. Selon
l’ordonnance du 16 août 1676 par exemple, les
trésoriers de l’Extraordinaire des guerres devaient
faire partir et voiturer sur le champ « aussitôt que
les ordres pour l’envoi des Fonds destinés pour le
paiement des Troupes auront été délivrés, en
bonnes Espèces ayant cours dans le Royaume &
dans les lieux où ils doivent être employés ou en
bonnes Lettres de change payables en même
Espèces dans lesdits lieux à trois jours de vue au
plus tard ». Les trésoriers rapportaient au Secrétaire
d’Etat de la Guerre le lendemain du départ de leurs
voitures un bordereau signé d’eux, contenant le
détail des espèces et lettres de change*, le nom de
ceux dont ils avaient pris lesdites lettres de
change*, à quels jours elles étaient payables, dans
quelle ville et par qui. Ils donnaient ordre à leurs
commis ou trésoriers provinciaux d’informer les
intendants des années et places de l’arrivée desdites
voitures et de la réception des lettres de change*
aussitôt qu’ils les avaient reçues. Jean Orry*
s’inspira de cette législation et l’appliqua à
l’Espagne* à partir de 1703. L’arrêt du conseil du 8
janvier 1724 précisa encore les conditions d’envoi
d’espèces ou d’effets pour les trésoriers de
l'Extraordinaire des guerres en réclamant toujours
qu’un bordereau d’espèces* accompagne la voiture.
M.-L. L.
Sources : AN, E 2042 f° 327, Déclaration du Roy
concernant la tenue des registres journaux, donnée
à Versailles 4 octobre 1723, 8 p. ; G7 1118, pièce 1.
AD de Savoie, Chambéry, C 264 lettre du général
des finances de Turin à l’intendant général du
duché de Savoie, 16 novembre 1751 et C 278, lettre
du général des finances à l’intendant, 7 juin 1777.
Hennequin J. (1595), p. 128-130. Briquet (1747),
vol. V, p. 77, « De l’envoi des fonds ».
Wôhner, Paul Gottlieb
Secrétaire de la chambre des finances de la
province du Kurmark, Wôhner est l’auteur du
premier manuel pratique de tenue des caisses et des
comptes (Handbuch iiber das Kassen und
Rechnungswesen) publié à Berlin en 1797. On y
trouve non seulement la législation comptable de
son époque (entre 1724 et 1797), mais aussi les
formulaires employés dans les administrations. Cet
ouvrage, réédité par Symanski en 1824, eut une
grande influence et inaugura une série de manuels
pratiques de même nature, panni lesquels celui du
réviseur* F.W. Kieschke, abondamment cité par
C.A. Malchus*. M.-L. L.
Bibliographie : Schneider F. (1952), p. 123.
449
 Bibliographie générale
La bibliographie présentée ci-dessous se
compose de trois parties.
La première (« sources imprimées »)
présente les principaux ouvrages décrivant
les techniques comptables utilisées dans
les organisations publiques, mais aussi les
sources documentaires particulièrement
utiles à la compréhension de l’histoire de la
comptabilité publique entre 1500 et 1830.
Les traités ou manuels de tenue des livres de
comptes en finance sont rares avant la fin du
xvme siècle et se multiplient exponentielle­
ment entre 1780 et 1830, particulièrement
les traités de sciences camérales appliqués
à la comptabilité publique. Cette partie ne
référence pas les ouvrages généraux sur les
finances publiques, ni les traités d’économie
politique, mais bien les textes centrés sur les
pratiques et la science comptable.
La seconde partie (« instruments de tra­
vail et dictionnaires ») reprend les collections,
dictionnaires, lexiques, recueils de lois utilisés
par les auteurs.
La troisième partie (« ouvrages cri­
tiques ») constitue la bibliographie de l’his­
toire des comptes publics et de la compta­
bilité publique proprement dite entre 1500
et 1830. Elle présente les auteurs et travaux
mentionnés en abrégé dans la rubrique
« bibliographie » propre à chaque notice.
Cette forme abrégée se compose du nom de
l’auteur, de l’initiale de son prénom et de la
date entre parenthèses de son travail, qu’il
s’agisse d’un ouvrage ou d’une article. On
notera que les ouvrages et articles secondaires,
non repris dans cette partie de la bibliogra­
phie générale, sont présentés dans leur forme
complète sous chaque notice. Nous attirons
l’attention du lecteur sur le fait que cette
bibliographie ne reprend pas l’historiogra­
phie des comptabilités agricole, bancaire,
marchande, industrielle, ni celle des comptes
des institutions ecclésiastiques (fabriques,
fondations, couvents, monastères, ordres...).
Sources imprimées
A déclaration concerning the general Accounts
ofthe Kingdom; with the true State of ail
receipts and disbursements ofmoneys both
by land and sea, for the use of the com-
monwealth, published buy order of the
Honourable House of Commons, assembled
in Parliament, Londres, 1642.
Arnold* Karl Ivanovic, Taschenbuch fur
Banquier und Kaufleute, Mitau, 1804.
Arnold Karl Ivanovic, Samoucitel’ bukhgalte-
rii (Auto-manuel de comptabilité), Moscou,
1809.
Arnold Karl Ivanovic, Opyt grazdanskoj
bukhgalterii (Essai sur la comptabilité
publique), St.-Pétersbourg, 1814.
Arnold Karl Ivanovic, O sisteme gosudars-
tvennogo scetovodstva (Système de la comp­
tabilité publique), St.-Pétersbourg, éd. du
Ministère de l’Intérieur, 1823.
Audiffret* Charles-Louis-Gaston, Examen
des revenus publics, Paris, Dufart, 1839.
Audiffret Charles-Louis-Gaston, Le budget,
Paris, A. Allouard, 1841.
Audiffret Charles-Louis-Gaston, Chenin,
Masson Victor-Alexandre, Règlement
spécial sur la comptabilité du ministère des
Travaux publics, Paris, 1849.
Audiffret Charles-Louis-Gaston, Le système
financier de la France, Paris, Imprimerie et
librairie administratives de Paul Dupont,
3e éd., 6 vol., 1863-1870.
Audiffret Charles-Louis-Gaston, Rapport
sur le concours ouvert relativement au
contrôle dans les finances sur les recettes et les
dépenses publiques, Paris, 1866. 451
 Audiffret Charles-Louis-Gaston, Souvenirs
de ma famille et de ma carrière dédiés à
mes enfants, 1787-1878, éd. Bruguière et
Goutal-Arnal, Paris, CHEFF, 2002.
Audouin Xavier, Histoire de Vadministration
de la Guerre, 4 vol., Paris, F. Didot, 1811.
August Ludwig Schlôzers Briefwechsel meist
historischen undpolitischen Inhalts, 11 vol.,
Gôttingen, 1777-1782.
Barbedor Louis, Les escritures financière et
italienne bastarde dans leur naiveté. Ouvrage
composé de quantité d'exemplaires qui sont
d'expéditions que l'on escrit journellement
en toutes sortes d'affaires, chacune escrite du
caractère convenable à son sujet. Très-utile à
ceux qui aspirent aux emplois ou il est requis
de bien et diligemment escrire. Avec plusieurs
autres escritures et alphabets de la plus-part
des nations du monde. Par Louis Barbedor,
secrétaire ordinaire de la Chambre du Roy et
maistre escrivain juré à Paris, pour la vérifi­
cation des escritures & signature contestées,
Paris, Nicolas Langlois, 1640.
Barnaud Nicolas [Alias Froumenteau],
Estât au vray de deniers ordinaires et extra­
ordinaires, levez tant du domaine du Roy
que de ses sujets et gens des trois estats de son
royaume, ensemble des charges et dépenses sur
etfaites depuis l'avénement de feu Henri II
jusques à 1581, temps et règne de Henri III;
lequel estât a été dressépour et afin qu’ilplaise
à S.M. le voir, et considérer qu'il est contable
à Dieu du grand désordre, excès et confusion
tenu au maniement et dispensation de ses
finances, 1582?
Barnaud Nicolas [Alias Froumenteau], Le
secret des finances de France descouvert &
réparti en trois livres, & maintenant publié
pour ouvrir les moyens légitimes & néces­
saires de payer les dettes du Roy, deschar­
ger ses sujets des subsides imposez depuis
trente un ans, et recouvrer tous les deniers
prins à Sa Majesté, S.I., 1581, 3 parties en
1 volume.
Barrême* François, Les Livres des tarifs, où
sans plume et sans peine on trouve les comptes
faits... par Barreme... Texte imprimé, Paris,
Barreme, 1669.
Barrême François, Le Livre facile pour
452 aprendre l'aritmétique de soy-mesme et sans
maistre... par Barreme... Texte imprimé,
Paris, chez l’autheur, 1672.
Barrême François, Le Livre des aides,
domaine et finances, très utile à toute sorte
de personnes particulièrement aux traitans,
et aux commis et mesme à ceux qui aspi­
rent à y estre employez... Paris, D. Thierry,
1674.
Barrême François, Le Grand Banquier, ou
le Livre des monnoyes étrangères réduites en
monnoyes de France... par Barreme... Texte
imprimé, Paris, D. Thierry, 1685.
Barrême François, Le Livre nécessaire pour
les comptables, avocats, notaires, procureurs,
négotians, et généralement à toute sorte de
conditions..., Paris, D. Thierry, 1694.
Barrême, Traité des parties doubles ou méthode
aiséepour apprendre à tenir en parties doubles
les livres du commerce et des finances avec
un traité de finances, Paris, Nyon Libraire,
1721.
Barrême Nicolas, L'arithmétique du Sr
Barrême ou le livre facile pour apprendre
l'arithmétique de soi-même, et sans maître.
Ouvrage très nécessaire à toute sorte de per­
sonnes, aux unes pour apprendre l'arithmé­
tique, et à ceux qui la savent, pour les aider à
rappeller dans leur mémoire quantité de règles
qui s'oublient facilement, faute de pratique.
Paris, Libraires associés, 1788.
Baudeau Nicolas, Idées d'un citoyen sur
l'administration des finances du Roi, Paris,
F. A. Didot, 1763; réimp. Munich, Kraus,
1980.
Beaune Claude de, Traité de la Chambre
des comptes de Paris, divisé en deux parties
concernant l'établissement d'icelle, Michel
Robin, Paris, 1647.
Beecken* Georg Adalbert Edler von,
Erklârung der Staatsbuchführung, Vienne,
1772.
Béranger, Essai sur le contrôle, présenté au
comité des finances et à celui des impositions
[de l'Assemblée nationale], Paris, Imprimerie
nationale, 1790 [BNF, 8-Lf80-87].
Bernot, La comptabilité des finances et la
liquidation des dettes de l'Etat, Paris, Pain,
1790.
Besta Fabio et Ventura Angelo, Bilanci
generali délia repubblica di Venezia, 4 vol.,
Venezia : 1) Origini delle gravezze e dei
dazzi principali 976-1579; Regolazioni
generali delle pubbliche casse e staati gene­
rali delle rendite e spese : 1577-1641, 1912.
2) Bilanci dal 1736 al 1755 : scritture e
decreti, 1903. 3) Bilanci dal 1736 al 1755,
1903. 4) Angelo Ventura, Bilanci dal 1755
al 1783, 1972.
Bielfeld* Jakob-Friedrich, Institutions poli­
tiques, par Monsieur le baron de Bielfeld,
t. premier, A La Haye, chez Pierre Gosse
Junior, Libraire de SAS Monseigneur le
Prince Stathouder. 1760.
Bielfeld Jakob-Friedrich, Institutions
Politiques. Ouvrage où l'on traite de la Société
Civile, des Lois, de la Police, des Finances, du
Commerce, des Forces d'un Etat. Et en général
de ce qui a rapport au Gouvernement. Par
M. Le Baron de Bielfeld. T. Quatrième.
Augmenté d’un Supplément. A Paris, chez
Duchesne, Libraire (...), 1762.
Bielfeld Jakob-Friedrich, Instituciones poll-
ticas. Obra en que se trata de la Sociedad
Civil, de las Leyes, de la Policla, de la Real
Hacienda, del Comercio y Fuerzas de un
Estado. Y en general de todo cuanto pertenece
al Gobierno. Escrita en idioma fiancés por
el baron de Bielfeldy traducida al castellano
por D. Domingo de la Torre y Mollinedo.
Tomes 1 à 6, publiés chez différents édi­
teurs de 1767 à 1801 à Madrid.
Boislisle Arthur Michel de, La Chambre des
comptes de Paris. Piècesjustificatives pour ser­
vir à l'histoire des Premiers présidents (1506-
1791), Nogent-le-Rotrou, 1873.
Boislisle Arthur Michel de, Correspondance
des contrôleurs généraux des finances avec les
intendants de province, Paris, 3 vol., 1874-
1897.
Bonvallet des Brosses Simon-Joseph-
Louis, Moyens de simplifier la perception et
la comptabilité des deniers royaux, 1789.
Bonvallet des Brosses Simon-Joseph-
Louis, Richesses et ressources de la France,
pour faire suite aux moyens de simplifier
la perception et la comptabilité des deniers
royaux, Lille, imp. Jacquez, 1789.
Bonvallet des Brosses Simon-Joseph-
Louis, Situation actuelle de la France, chez
l’auteur, décembre 1791.
Bonvallet des Brosses Simon-Joseph-
Louis, Etat des finances et des ressources
de la France au 1er janvier 1792, 1792.
Bowring John, Report ofn thepublic Accounts
ofFrance, to the Right Honourable the Lords
Commissioners ofHis Majesty's Treasur... y,
Londres, 1831.
Bowring John, The décimal System, in num-
bers, coins and accounts ; especially with refe-
rence to the décimalisation of currency and
the accountancy of the United Kingdom,
Londres, 1854.
Bosquet, Dictionnaire raisonné des domaines
et droits domaniaux, ou Traité du domaine,
2e éd., 4 vol., Rennes, veuve Vatar, 1782-
1784.
[Bouthillier de Chavigny ?], Dictionnaire
des finances, contenant la définition de tous
les termes de Finance, leur usage et leurs
différentes applications dans toutes sortes
d'affaires. L'explication de tous les droits et
impositions qui se lèvent dans l'étendue du
royaume. L'établissement des Conseils du roi,
des Chambres des Comptes et des Cours des
Aides, la création des Charges, et générale­
ment tout ce qui regarde les Finances et la
pratique des Bureaux. A Paris, Jacques Josse,
Théodore Le Gras, Guillaume Cavelier, La
Veuve Saugrain, 1727, Avec approbation et
privilège du roi.
Briquet Pierre de, Code militaire ou com­
pilation des ordonnances des roys de France
concernant les gens de guerre, À Paris, De
l’Imprimerie Royale, 1728.
Briquet Pierre de, Code militaire, ou com­
pilation des ordonnances des rois de France
concernant les gens de guerre, par le sieur de
Briquet..., Mis dans un nouvel ordre & aug­
menté considérablement dans cette Nouvelle
Edition, Tome Premier, à Paris, Chez
Rollin Fils, Libraire, Quai des Augustins,
à S. Athanase & au Palmier, DCC. XLVII
(1747).
Brunet de Granmaison Pierre, Dictionnaire
des Aydes ou les dispositions tant des ordon­
nances de 1680 et 1681 que des règlemens
rendus en interprétation jusqu'à présent,
Paris, 2 t., 1750.
Burté Antoine, Observations sur la nomina­
tion des commissaires de la comptabilité, lues 453
 devant La Société des Amis de la constitution,
le 27 novembre 1791, Paris, Imprimerie du
Patriote français, 1791.
Buterne, Dictionnaire de législation, dejuris­
prudence et de finances sur toutes les fermes
unies de France, Avignon, L. Chambeau,
1763.
Calendar ofTreasury books, 11 vol., Londres,
Stationery Office, 1868-1903. Les 6 pre­
miers volumes ont été édités par Joseph
Redington, les volumes 7 à 11 par William
Arthur Shaw (couvrent la période 1556-
1728).
Calendar of Treasury books, vol. 1 à 32,
Londres, Stationery Office, 1904-1957
(couvrent la période 1660-1730).
Calonne Charles-Alexandre, Correspondance
de Mr Necker avec Mr de Calonne, 1787.
Calonne Charles-Alexandre, Réponse de M.
de Calonne à L’écrit de M. Necker publié en
avril 1787, contenant l’examen des comptes
de la situation des finances rendus en 1774,
1776, 1781 et 1787, avec des observations
sur les résultats de l’Assemblée des notables,
Londres, T. Spilsbury, janvier 1788.
Calonne Charles-Alexandre, Motifde M. de
Calonne pour différer jusqu’à l’assemblée des
Etats généraux la réfutation du nouvel écrit
que M. de Necker vient de publier sur l’objet
de Leur controverse, s. 1. n. d.
Calonne Charles-Alexandre, Les Etrennes
de M. de Calonne à La nation française, ou
Lettre contenant un léger détail des bienfaits
que M. de Calonne a rendus à la France,
Londres, J. Adamson.
Calonne Charles-Alexandre, Notes sur Le
mémoire remis par M. Necker au Comité des
subsistances établi par l’Assemblée nationale,
par M. de Calonne, Londres, T. Spilsbury,
1789.
Calonne Charles-Alexandre, Observations
sur les finances à L’Assemblée, par M. de
Calonne, Londres et Paris, Chalon, 1790.
Calonne Charles-Alexandre, De l’Etat de la
France présent et à venir, par M. de Calonne,
ministre d’Etat, Londres et Paris, Laurent,
octobre 1790.
Calonne Charles-Alexandre, Lettre de M.
de Calonne sur les finances, aux Français
454 (18 février 1797), Paris, Chaudrillié, s .d.
Capré François, Traité historique de La
Chambre des comptes de Savoye, Lyon,
Guillaume Barbier, 1662.
Chauveau Adolphe et Faustin Hélie, Théorie
du code pénal, 3e éd., Paris, Imprimerie et
Librairie Générale de Jurisprudence, 1852.
Clément Pierre, Lettres, instructions et mémoires
de Colbert, Paris, 10 vol., 1861-1882.
Cochard Claude-Alexis, Rapport du comité
central de liquidation sur l’organisation de la
comptabilité générale des finances de L’État,
Paris, Imprimerie nationale, 1791.
Collection complète de tous les ouvrages pour
et contre M. Necker, 3 vol., Utrecht, 1781
[BNF Lb39 293].
Coquereau Jean-Baptiste, Mémoires concer­
nant l’administration des finances sous le
ministère de M. l’abbé Terrai, contrôleur
général, Londres, John Adamson, 1776.
Conte Francisco Augusto, Examen del
estado de la hacienda publica de Espana, por
D. F A. Conte, individuo de la Academia de
Bellas Letras Gaditana, secciôn de Ciencias,
4 t., Cadiz, Imprenta, Libreria Litog. de la
Revista Médica, 1854-1855.
Crassous Paulin, Du rétablissement de l’ordre
dans les finances, par une organisation nou­
velle de la trésorerie et de la comptabilité,
Paris, chez Forget, frimaire an VIII.
Davenant Charles, An essay upon the national
crédit ofEngland, introductory to a proposai
prepar’dfor establishing the public crédit...
humbly submitted to the Honourable House
of Commons, Londres, A.R. in Bonds
Stables adjoyning to Symond’s Inn, near
Chancery-Lane, 1710.
Davenant Charles, A reportfor the Hon. the
Commissioners for putting in execution the
act, entitled, an act for the taking, exami-
ning, and stating the public accounts ofthe
Kingdom, Londres, 1712.
De la situation du Trésor public au premier
juin 1791, par les Commissaires de la
Trésorerie nationale, éd. Jean-Pierre Poirier,
Paris, CTHS, 1997.
Desmaretz Nicolas, Mémoire de ce qui doit
être observé dans la vérification qui sera faite
des deniers qui se trouveront dans les caisses
des recettes des gabelles et cinq grosses fermes,
lors des diminutions ordonnées par arrêt
du 30 septembre 1713 (Signé Desmaretz,
30 octobre 1713), s. 1. n. d.
Desmaretz Nicolas, Mémoire de M. Desmaretz
sur l’administration des finances, depuis Le
20 février de L’année 1708jusqu’au premier
septembre 1715, s. 1. n. d. (deux autres édi­
tions, s. 1. n. d. et 1789, s. L).
Diderot et d’Alembert (dir.), Encyclopédie
ou dictionnaire raisonné des sciences, des
arts et des métiers, par une société de gens de
lettres. A Paris, 1751 ; Encyclopédie ou dic­
tionnaire raisonné des sciences, des arts et des
métiers..., Lausanne et Berne, 1782.
Dôpler Jacob, Der getreue und ungetreue
Rechnungsbeamte : Das ist : Ein aufiführli-
cher Bericht wie ein iedweder Beamter Diener
und Verwalter so auff Rechnung angenom-
men worden nicht allein seiner Herrschafft
treulich dienen... Mit vielen fürstlichen
Verordnungen Decreten Bestallungen.../
Vorgestellt von Jacob Dôplern, Francfort sur
le Main, Foerster, 1697.
Dôpler Jacob, Neu vermerhrter Getreuer
und Ungetreuer Rechnungs-beamter, Oder
Ausfürlicher Bericht, voie ein jedweder
Beamter und Verwalter... rigtige Rechnungen
thun und ablegen solle, Francfort et Leipzig,
1708; Hanovre, Hellwing, 1724.
Duboin Felice Amato, Raccolta per ordine
di materie delle leggi, editti manifesti ecc...,
pubblicati sino agli 8 dicembre 1798 sotto il
felicissimo dominio délia Real Casa di SAvoia
in continuazione ed a compimiento di quella
del Senatore Borelli, Turin, tome III, 1826.
Dufresne* Bertrand, Etudes sur le crédit
public, s. 1., 1784.
Dufresne de Saint-Léon Louis-César-
Alexandre, Etude du crédit public et des
dettes publiques, Paris, Bossange père,
1824; 2e éd. en 1828.
Dupont de Nemours Pierre-Samuel,
Mémoires sur la vie et les ouvrages de
M. Turgot, ministre d’État, Philadelphie et
Paris, Barrois l’aîné, 1782.
Dupré d’Aulnay Louis, Traité général des
subsistances militaires, Paris, Prault, 1743.
Ebhardt Georg Henrich, Versuch einer
Anleitung zu dem practischen kame-
ral-Rechnungswesen, hauptsâchlich für
Unterrechnungsbeamte, Darmstadt, 1807.
Ekkehart von Ellenbogen, Buchhalten auf
Preussische Müntz und Gewicht, Willenberg,
1537.
Encyclopédie méthodique, Finances, par
Rousselot de Surgy, 3 vol. in-4°, Paris, chez
Panckoucke, 1784-1787.
Éon de Beaumont Charles d’, Essai his­
torique sur les différentes situations de la
France par rapport aux finances sous le règne
de Louis XIV et La régence du duc d’Orléans,
Amsterdam, 1753.
Éon de Beaumont Charles d’, Mémoires pour
servir à l’histoire générale desfinances, 2 vol.,
Londres, L. P. Mortier, 1758.
Eschenmayer C. H. von, Anleitung zu
einer systematischen Einrichtung des
Staatsrechnungswesens und zur Kenntnis der
dahin einschlagenden Rechte bearbeitet, und
mit allen nôthigen Formularien versehen,
Heidelberg, 1807.
Eschenmayer C. H. von, Lehrbuch über das
Staats-Oekonomie-Recht, Francfort sur le
Main, Friedrich Esslinger, 1809.
Ezpeleta Martin de, Libro de cuentas extraor-
dinarias, 1704.
Feder, Handbuch über das Staats-Rechnungs
und Kassenwesens, Stuttgart et Tübingen,
1820.
Fanshawe T., Practice ofthe Exchequer Court,
Londres, 1658.
Ferrière Claude-Joseph de, Dictionnaire
de droit et de pratique, contenant l’expli­
cation des termes de droit, d’ordonnances,
de coutume et de pratique, avec les juridic­
tions de France. Par Monsieur (.), Doyen
des Docteurs-régents de la Faculté des Droits
de Paris et ancien Avocat au Parlement,
Paris, au Palais, chez Joseph Saugrain, t. 1
(4e édition), 1758; t. 2 : nouvelle édition,
revue corrigée et augmentée par M. ***,
Toulouse, chez J. Dupleix, 1779.
[Frédéric II], Instruction zu einer besseren
Einrichtung des Kassen- und Rechnungswesen
aus. D. Jahre 1769, Alfons Pausch éd.,
Cologne, Deubner, 1977.
Garcia Francisco, Parte primera del tratado
utillsimo y muy general de todos Los contra­
ts, quantos en Los negocios humanos se suelen
offrecer. Hecho por el muy R. PF, Francisco
Garcia, Doctor Theologo, de La orden de 455
 Predicadores. Dirigida al muy Illustre Senor
don Hieronymo Ruyz de Corella, mayorazgo
y heredero ünico de la Casa y Condado de
Cocentayna. Impresa en Valencia, en casa
de Ioan Navarro, 1583. P.L.M.P. Impressa
a costa de la Companla, vendese en la Calle
de Cavalleros, 1583. (La dernière page
de l'exemplaire de la BNE consulté pré­
cise : « Impressa en Valladolid en casa de
I.N., al molino de la Rovella, Ano 1582.
P.L.M.P. ») BNE, R 27 923. Seconde par­
tie : même titre, même année, même édi­
teur. BNE, R 27 924.
Gaudin* Charles, Observations et éclaircis­
sements sur le paragraphe concernant les
finances, dans l'Exposé sur la situation du
royaume, présenté à la Chambre des pairs et à
celle des députés, s. 1. n. d. [BN 4° Lb45 313].
Gaudin Charles, Observations sommaires sur
le budget présenté à la Chambre des dépu­
tés, dans la séance du 23 juillet 1814 par
le ministre et secrétaire dEtat des Finances,
s. 1. n. d. [BN 8°Lb45 684].
Gaudin Charles, Notes concernant la première
partie de l'« Opinion d'un créancier de lEtat sur
le budjet [sic] et sur les observations et réflexions
dont il a été lobjet » adressées aux créanciers de
l'État, s. 1. n. d. [BN 4° Lb45 192].
Gaudin Charles, Opinion préliminaire sur les
finances, par le duc de Gaëte [BN 4° Lb48
324], 1815.
Gaudin Charles, Mémoire sur le cadastre,
1818.
Gaudin Charles, Notice historique sur les
finances de la France (de l'an VI11-1800
jusqu'au 1er avril 1814), 240 p. [B. N.
8°LF54 1], 1818.
Gaudin Charles, Mémoires, souvenirs, opi­
nions et écrits du duc de Gaëte, 2 vol., Paris,
Baudouin frères, 1826.
Gaudin Charles, Supplément aux Mémoires et
souvenirs de M. Gaudin, duc de Gaëte, 1834.
Gelée Vincent, Annotations de Vincent Gelée,
conseiller du roy et correcteur ordinaire de sa
Chambre des comptes, sur le Guidon general
des finances, Paris, Abel L’Angelier, 1593.
Gilbert GeofFrey, An historical view ofthe
Court ofExchequer, and ofthe King's reve­
nues, there answered. By a late learnedjudge,
456 Londres, T. Waller, 1738.
Gilbert GeofFrey, A treatise on the Court of
the exchequer, in wich the revenues ofthe
crown, the manner ofreceiving and accoun-
tingfor the several branches ofthem, the duty
ofthe several ojficers employed in the collec­
tion and receipt, the nature of the processes
for the recovery ofdebts due to the crown, are
clairly explained, by a late Lord ChiefBaron
ofthat Court in the Savoie, Londres, 1758.
Gladstone William Evart, Public income and
expenditure. 1, Great Britain and Ireland,
separately [Texte imprimé] : return to an order
of the honourable the House of Commons,
dated 24 July 1866 : for, Accounts of the
net public income and expenditure of Great
Britain, in each Financial year from 1688
(the period of the Révolution) to 5 January
1801..., George Ward Hunt. Ordered,
by the House of commons, to be printed,
29 July 1869, Londres 1869.
Goussard Alexandre, De la Trésorerie et de la
comptabilité nationale dans Tordre constitu­
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Goussard E., De la Cour des comptes et du
Conseil d'Etat, Paris, Imprimerie Schneider
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Graaf B. C., Handbuch des Etats-, Kassen-
und Rechnungswesens des k. preuss. Staates,
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Grupen Joachim, Grundliche Information
von Amts-Verwalt- undBerechnungen, als L
Von der Beamten Obliegenheit in genere...
aus bissheriger Expérience abgefasset und
ans Licht gegeben von Joachim Grupen...,
Hanovre, Nicolaus Forster, Hof-Buch-
Handler, 1724.
Hauterive Alexandre-Maurice Blanc de la
Nautte, comte d’, Faits, calculs et observa­
tions sur la dépense d'une des grandes admi­
nistrations de l'Etat à toutes les époques,
depuis le règne de Louis XIV et inclusivement
jusqu'en 1825, Paris, Le Filleul, 1828.
Heeser Johann, Loci communes juris practici
de rationibus reddendis, eadrumque revi-
sione, id est, a quibus, cui, ubi, quando et
quomodo ratio sit reddenda ? reddita item
et examinata an 1 et quando repeti sive revi-
deri possit?, Darmstadt, Chr. Abel, 1665
et 1666; troisième édition, Cologne,
Guillaume Metternich, 1708.
Hennequin* Jean, Guidon général des
finances, Paris, chez Abel FAngelier,
en 1585 et 1586.
Hennequin Jean, Guidon général desfinances,
Lyon, par Benoît Rigaud, 1595.
Hennequin Jean, Le guidon général des
finances, contenant l'instruction du manie­
ment de toutes les finances de France. Par
Jean Hennequin, Champenois. Avec les
annotations de M. Vincent Gelée, conseiller
du roi & correcteur ordinaire en la Chambre
des comptes. Paris, Abel l’Angelier, 1596,
1601 ; Paris, Jean Regnoul, 1610.
[Hennequin Jean], Le Nouveau et dernier
guidon général des finances [...] [revu] par
M. Sébastien Hardy [...] avec les annota­
tions de M. Vincent Gelée, [...] plus une
instruction pour les récipiendaires qui subis­
sent l'examen en La dite chambre, Paris,
Toussainct Quinet, 1631, 1633; Paris, chez
Jean Guignard, 1644; Paris, chez Michel
Bobin, 1644.
Hénouville Pierre-Bernard d’, Le guide des
comptables ou L'art de rédiger soi-même toutes
sortes de comptes suivant l'hypothèse de la
recette, de la dépense et de la reprise. Ouvrage
nouveau, nécessaire à tous commis employés
pour le recouvrement dans la finance, aux
receveurs de communautés et d'hôpitaux,
tuteurs, fermiers judiciaires, séquestres, gar­
diens, commissionnaires pour lefait du com­
merce de terre et de mer, caissiers de com­
pagnies et de sociétés pour des entreprises, et
autres gens d'affaires qui ont charge de gros
maniements et assujettis à rendre compte et
à faire les diligences de leur administration.
Dressé méthodiquement par le sieur..., Paris,
chez Jacques Etienne, 1709.
Hitrovo V. N., « O buhgalterii po dvojnoj
sisteme i o wedenii eja v Kommisariatskom
departamente Morskogo ministerstva »,
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Hitrovo V. N., Buhgalterija vprimenenii k
gosudarstvennym oborotam, s formami, St.-
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Howard G. E., Tl treatise on the Exchequer
and revenue ofIreland, 2 vol., Dublin, 1776.
Howard T., An essay ofthe nature ofa loan;
being an introduction to the knowlege of the
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Irson* Claude, Nouvelle méthode pour
apprendrefacilement les principes et la pureté
de la langue françoise..., Paris, Fauteur,
1656.
Irson Claude, Nouvelle méthode pour
apprendrefacilement Les principes et la pureté
de la Langue françoise... Paris, P. Baudouin
le fils, 1662.
Irson Claude, Méthode abrégée et familière
pour aprendre en peu de temps à bien lire,
à prononcer agréablement et à écrire correc­
tement en françois..., Paris, P. Baudoin le
fils, 1667.
Irson Claude, L'Arithmétique universelle
démontrée, contenant en six règles principales
disposées dans un ordre naturel les applica­
tions convenables aux finances et au négoce
de banque et de marchandise, à L'art mili­
taire et à la géométrie pratique, Paris, Pierre
Baudouyn, 1674.
Irson Claude, Méthode pour bien dresser
toutes sortes de comptes à parties doubles,
par débit et crédit, et par recette, dépense et
reprise. Etablie sur Les règles générales et par­
ticulières, tirées des lois et des ordonnances,
de l'autorité des docteurs et de l'usage. Avec
la démonstration de chacune de ces trois
manières et plusieurs questions importantes
sur lefait des livres de comptes, Paris, 1678.
Irson Claude, Pratique générale et méthodique
des changes étrangers..., Paris, J. Jombert,
1687.
Irson Claude, Abrégé méthodique familier
et raisonné des changes étrangers..., Paris,
Guignard, 1694.
Irson Claude, Abrégé de l'arithmétique pra­
tique et raisonnée..., Paris, Vve Chardon,
1695.
Jacob Ludwig Heinrich von,
Staatswissenschaft theoritisch und praktisch
dargestellt und erlàutert durch Beispiele
aus der neuern Finanzgeschichte europàis-
cher Staaten, Halle, Hemm-erde und
Schwetschke, 1821.
Jôcano y Madaria* Sébastian de, Disertaciôn
Crltica y Apologética del Arte de llevar
Cuenta y Razôn contra la opinion del Baron
de Bielfeld, acerca del Arte en general y del
Método llamado de Partidas Dobles en par-
ticular. Madrid, 1793, rééd. AECA, 1998. 457
 Jones Edward Thomas, English System ofbook-
keeping, by single or double entry. Edwards,
Bristol, 1796. Traduction française ano­
nyme (J. G***) sous le titre Méthode simpli­
fiée de la tenue des livres, Johanneau, Paris,
1803.
Jousse Daniel, Nouveau commentaire sur l'or­
donnance civile du mois d'avril 1667, Paris,
Debure, nouvelle édition, 1757.
Jung-Stilling* Johann Heinrich,
Anleitung Zur Cameral-rechnungs-
ivissenschaft Nach Einer Neuen Méthode
Des Doppelten Buchhaltens : zum Gebrauch
der akademischen Vorlesungen, Leipzig,
M. G. Weidmann, 1786.
Juridiction et jurisprudence de la Chambre
des comptes ou Collection des Ordonnances,
Edits, Déclarations, Lettres Patentes, Arrêts
et Réglements, tant sur la juridiction que
sur chacune des matières de sa compétence :
Concernant, 1 ° Les droits honorifiques dus
au roi. 2° Les enregistrements de ses volon­
tés. 3° La manutention des finances dudit
Seigneur Roi. A Paris. L. Cellot & fils,
Imprimeurs de la Chambre des comptes,
1787.
Kieschke F. W., Grundzüge zur
Zweckmàssigen Einrichtung des Staats-kassen
und Rechnungsivesens, Berlin, Rücker, 1821.
Klippstein, Grundsatze der Wissenschaft
Rechnungen einzurichten, Leipzig, 1778.
Kozyrin A. N., Jalbulganov A. A. (éd.),
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NI. Turgenev, M.F.Orlov : Sbornik, Moscou,
Statut, 1998 (série « Zolotye stranicy
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Lamotte Gustav August Heinrich (von),
Anleitung zur ordentlichen und gründlichen
Abnahme der Rechnungen, zum Nutzen
der kônigl. Preuss., Krieges und Domainen-
Kammer-Referendarien, Berlin, 1778.
La Porte Mathieu de, Le guide des négocians
et teneurs de livres. Ou nouveau traité sur
les livres de comptes à parties doubles, conte­
nant une instruction générale pour les biens
tenir suivant la véritable méthode italienne,
et comme elle est aujourd'huy en usage parmi
les négocians les plus considérables par toute
458 la terre, et environ 300. questions avec leurs
solutions ou réponses, sur toutes sortes de négo­
ciations qui peuvent arriver aux marchands,
banquiers, et autres négocians, Paris, Charles
Osmont, 1685.
La Porte Mathieu de, La science des négocians
et teneurs de livres, Paris, G. Cavelier, 1704.
La Porte Mathieu de, La science des négo­
ciants et teneurs de livres, ou instruction
générale pour tout ce qui se pratique dans les
comptoirs des négociants tant pour les affaires
de banque que pour les marchandises & chez
lesfinanciers pour les comptes, à Rouen, chez
P. Machuel et J. Racine, 1782.
La Ripia Juan de, Prdctica de la administra-
ciôn y cobranza de las rentas realesy visita de
los ministros que se ocupan en ellas, Madrid,
1676.
Lau Theodor Ludwig, Auffrichtiges Nachricht
von dem jetzigen Etat des Finanz-wesens
der Respublicq des verienigten Niederlandes,
Cologne, Marteau, 1717.
Lavoisier* Antoine-Laurent, Calculs des pro­
duits de différents baux de la Ferme générale,
avec des détails très particuliers sur les frais
de régie du bail de Laurent David, 1893
(1774).
Lavoisier Antoine-Laurent, Rapport sur la
Caisse d'escomptefait à l'Assemblée nationale
le 4 décembre [1789] par ses commissaires,
Paris, 1789.
Lavoisier Antoine-Laurent, De la richesse ter­
ritoriale du royaume de France, éd. critique
présentée par Jean-Claude Perrot, Paris,
CTHS, 1988 (1791).
Lavoisier Antoine-Laurent, De l'état des
finances de France au 1er janvier 1792, par
un député suppléant à l'Assemblée nationale
constituante, Paris, Dupont, 1791.
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officielles; les Modèles d'Actes et les Tarifs
nécessaires pour la Perception ; les Modèles
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la divine science des nombres, soit pour les
marchands, thrésoriers, financiers, et autres
receveurs de deniers, soitpour les géomètres, et
pour les chefs d'armées en ce qui concerne les
munitions et ordonnances des batailles, Paris,
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advocatis pernecessarius, plusieurs éditions
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finances de la France', vol. VI. Sur l'admi­
Paris la Montagne à ses enfants [AN, KK Comendador de Villarubia de los Ojos en
nistration de M. Necker. Second ministère de
1005 D]. la de Calatrava, del Consejo de SM y su
M. Necker; vol. VIL Troisième ministère de
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Necker; vol. VIII. Du pouvoir exécutifdans
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le décomtpe d'une somme quelconque, soit kingdom, 1778; réimp. New York, Da
terii i v osobennosti o buhgalterii kazennyh
mest, Saint-Pétersbourg, 1810. d'intérêts, soit d'arrérages de rentes et de pen­ Capo Press, 1972.
sions, soit de traitements d'activité, depuis un Puechberg* Johannes Matthias, Anleitung zu
centime par an jusqu'au million de francs; einem verbesserten Kameral-Rechnungs-Fuss
Navales & Arsenaux de Marine. Du 15 avril
ouvrage utile à messieurs les employés, payeurs, aufdie Verwaltung einer Kameral-Herrschaft
1689. Nouvelle Edition augmentée des deux
receveurs généraux et particuliers, banquiers, angewendet, Vienne, 1762. 461
Reglemens par Colonnes. Le premier, pour les
 Puechberg* Johannes Matthias, Ausjuhrliche
Erklàrung der dermalige im Jahre 1770
von der Rechenkammer eingeführten
Staatssbuchführung, welche dem über solche
ertheilen kurzen Begriffe zum Nachtrage zu
dienen bat, Vienne, 1772.
Puissant de Molimont Joseph-Maurice,
Etat actuel de Vadministration économique
de la Marine, par M. de Molimont, contrô­
leur de la Marine au département de Brest,
Brest, 1790.
Puteani, Grundsàtze des allgemeinen
Rechnungswesens, Vienne, 1818.
Quiney J. S., Livre de raison ou nouvelle
méthode théorique et pratique de la tenue
des livres en parties double et simple, entière­
ment différente de toutes celles qui ont paru
jusqu à ce jour, appropriée à la comptabilité
des administrations publiques et particulières,
et de tous les genres de commerce, avec dix
tableaux ou modèles de registres analogues
contenant des exemples d'application et des
moyens infaillibles de comparaison ou de
contrôle qui complètent la théorie de cette
méthode, en facilitent l'étude et en rendent la
pratique prompte et exempte de toute erreur,
Paris, L’Auteur, Henry Grand, 1817.
Rebmann Johann Christian, Von den gericht-
lichen und aussergerichtlichen Verfahren in
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und Führung des Cameralrechnungswesens
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l’administration des finances depuis 1806
jusqu’au 1er janvier 1824.
Recueil des reiglemens, edicts, ordonnances et
observations sur le faict des finances. Divisé
en trois parties. Avec deux traictez, l'un de
la charge des thrésoriers généraux de France,
et l'autre de l'action de tous les Officiers de
la Chambre des comptes, Paris, Jean Richer,
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Et Du Bulletin Des Lois, De 1788 A 1824
Inclusivement, Par Ordre Chronologique,
Avec Un Choix D’Instructions Criminelles,
Et Des Notes Sur Chaque Loi, Indiquant,
1 ° Les Lois Analogues; 2° Les Décisions Et
Arrêts Des Tribunaux Et Du Conseil-D’Etat;
3° Les Discussions Rapportées Au Moniteur;
Suivie D’Une Table Analytique Et Raisonnée
Des Matières (...) Continuée Depuis 1824,
Et Formant Un Volume Chaque Année,
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des ordonnances, édits, déclarations, lettres
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 Les auteurs

Anne Dubet est professeur à l’université de Clermont-Ferrand.

Joël Félix est professeur à l’université de Reading.
Jean-Claude Hocquet est directeur de recherches ém., CNRS, université Charles-de-Gaulle-
Lille III.
Sébastien Kott est maître de conférences HDR à l’université de Paris Ouest Nanterre-La Défense.
Marie-Laure Legay est maître de conférences HDR à l’université Charles-de-Gaulle-Lille III.
Yannick Lemarchand est professeur à l’université de Nantes.
Bernard Lutun est docteur en histoire, ministère de la Défense.
Natalia Platonova est docteur en histoire, EHESS.

Et la collaboration de :
Delfina Gomes, professeur-assistant à l’université of Minho.
Jérôme Jambu, maître de conférences à l’université Charles-de-Gaulle-Lille III.

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