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Febvre Lucien. Un exemple et une leçon. In: Annales d’histoire économique et sociale. 3ᵉ année, N. 11, 1931. pp. 367-368;
doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1931.1426
https://www.persee.fr/doc/ahess_0003-441x_1931_num_3_11_1426
Nous avons trop souvent déploré le fâcheux état d'esprit qui, en France,
conduit si fréquemment (j'allais dire si normalement) les dirigeants de nos grandes
entreprises bancaires, commerciales ou industrielles, soit à négliger leurs archives,
soit à les détruire en bloc, soit enfin à les conserver, voire à les classer, mais alors
à les tenir plus jalousement enfermées dans leurs armoires que les épouses de
Barbe-Bleue ; nous avons trop souvent opposé cette attitude à celle des hommes
d'affaires d'autres pays et signalé qu'aux yeux de bons juges, j'entends de
techniciens éminents et non d'historiens chimériques, elle n'était pas considérée, aux
Etats-Unis notamment et, plus près de nous, en Allemagne, comme dépourvue
d'inconvénients pratiques г ; bref, nous avons trop souvent usé de critique, pour
ne pas applaudir avec satisfaction à une initiative particulièrement heureuse.
C'est un grand établissement financier dont le siège social est à Strasbourg,
la Société Générale Alsacienne de Banque, qui donne aujourd'hui l'exemple
et la leçon dont nous voulons signaler la portée. Constituée le 15 octobre 1881 pour
la reprise des agences que possédait en Alsace la Société Générale pour
favoriser le développement du commerce et de l'industrie en France ; ayant ajouté
successivement aux trois agences primitives de Strasbourg, Mulhouse et Colmar,
des agences nouvelles non seulement en Alsace et en Lorraine, dans tous les centres
importants : Metz, Thionville, Sarreguemines, Guebwiller, Sainte- Marie- aux-
Mines, etc., mais encore dans la Sarre, au Luxembourg, en Allemagne — Kehl,
Ludwigshafen, Mayence, Francfort, Wiesbaden, Cologne, Dusseldorf — et en
Suisse : Lausanne naguères, puis Zurich; disposant d'une filiale en Belgique ;
s'orientant ainsi tout le long du Rhin ; bien placée et outillée non seulement pour
seconder dans leur essor puissant l'industrie et le commerce d'Alsace, mais pour
jouer entre des pays singulièrement actifs et vivants un rôle ď intermédiaire
extrêmement intéressant et utile — la Société Générale Alsacienne de Banque
entend célébrer en 1931 le cinquantenaire de sa fondation. Suivant un exemple
qu'à leur façon déjà de grands établissements financiers n'ont pas hésité à
donner ces temps derniers2, elle se propose de faire éditer sur les problèmes rhénans
un ouvrage dont elle a demandé les chapitres à des géographes et à des historiens.
En même temps, désireuse de retracer sa propre activité, non d'après de vagues
1. Cf., tout dernièrement encore, les réflexions de Marc Bloch en tête de l'article de
Mr N. S. B. Gras, Les affaires et l'histoire des affaires dans Annales, t. III, 1931, p. 1 et
suiv.
2. Nous avons signalé (Annales, t. III, 1931, p. 110) la publication, par la Banque
d'Anvers, à l'occasion de son centenaire, d'un fastueux Coup d'œil sur l'histoire financière
d'Anvers rédigé par Mr P. Donnet. — Notons aussi qu'en 1927, à l'occasion de son
cinquantenaire, le Verein zur Wahrung der Rheinschiffahrts Interessen publiait, sous le titre :
50 Jahre Rhein-Verkehrs-Politik, un volume d'études dues à divers collaborateurs (Duis*
burg, ln-8°, 658 p.).
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souvenirs, mais à Vaide de documents précis, elle a permis l'accès de ses
précieuses archives privées à un historien, notre collaborateur Paul Leuilliot. Son
travail terminé, celui-ci a pensé, et nous avons jugé avec lui, qu'une note sur ce
que contiennent d'intéressant pour l'histoire de semblables archives serait la très
bien venue dans nos Annales. Cette note, il en faut tout d'abord rapporter le mérite
au très grand libéralisme de la Société Générale Alsacienne de Banque. Il faut,
ensuite, en souligner la double portée. D'une part, à propos d'un cas concret, et très
intéressant par lui-même, elle montre en quoi consistent les archives d'une banque
contemporaine, quels en sont les différents fonds, et ce qu'il convient de demander
à chacun d'eux. D'autre part, elle permet, si discrète soit-elle et, volontairement,
si brève, d'entrevoir, ce qu'une monographie économique régionale peut attendre,
doit attendre de l'utilisation rationnelle, lorsqu'elle est possible et autorisée, de ces
documents bancaires qui n'ont pas seulement une valeur technique, mais qui
peuvent éclairer d'un jour très pénétrant bien des réalités obscures.
Des deux façons, la note de Paul Leuilliot ira donc rejoindre quelques-unes
des préoccupations fondamentales de notre revue?-. Nous vivons, on ne saurait
trop le répéter, — trop surtout se le représenter quand on est homme d'étude et
curieux, par tempérament, des choses passées — nous vivons à une époque de
profonde, de rapide et puissante transformation d'un univers qui va, pour ainsi
dire, se « dénaturalisant » de jour en jour, avec une sorte de violence accélérée.
Entre l'homme et la nature, ces deux protagonistes éternels du drame terrestre,
se glissent avec une insistance croissante des forces créées par l'homme, mais qui
tendent de plus en plus à le maîtriser, à le dominer lui-même. Il en est de
matérielles, de mécaniques, dont l'action saute aux yeux des moins clairvoyants. Il en
est de plus complexes et de plus subtiles dont l'historien, dont le géographe ont une
tendance trop invétérée à sous-estirner le rôle et l'importance. Les forces
financières sont de celles-là, de plus en plus. Et dans quelle mesure il convient, dans
toute étude d'histoire ou de géographie économique, de placer leur rôle en pleine
lumière — c'est ce que montrera avec précision la note qu'on va lire, et que nous
sommes heureux de pouvoir publier.
Lucien Febvre