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Compte Rendu Conférence du Graminaire 25 novembre Madame Anne-Claire Joncheray

L’objet de ce compte rendu est la conference Desirs, passions et modele biologique chez Lucrece
par Madame Anne Claire Joncheray, qui a eu lieu le vendredi 25 novembre dans le cadre de la
premiere journée du Graminaire 2023. La relatrice est doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon
Sorbonne, sous la supervision du Professeur Pierre-Marie Morel. Le titre de sa these, sur laquelle
elle travaille depuis 2019, devrait etre L’idée de nature, d’Epicure à Lucrèce. Structure ontologique
et modèle biologique. La conference s’inscrit dans le cadre plus general de sa recherche, en
problematisant le rapport entre désir et passion dans Lucrèce, tout en se referant constamment à
la matrice epicurienne. il est un principe central dans la philosophie épicurienne comme on peut
lire dans la Lettre à Ménécée 127 principe et fin de la vie heureuse. Dans ce paragraphe le
philosophe grec nous propose une classification des trois genres de desirs, destinée à devenir
celebre. D’abord on a affaire aux désirs naturels et nécessaires, puis ceux naturels mais pas
nécessaires et enfin il y aurait la categorie de ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires. Epicure
ne développe pas trop la question du rapport entre passion et désir, on apprend que, à a son avis,
la passion se range dans le troisieme groupe des desirs, ceux qui sont pour ainsi dire superficiels,
mais ce qui la distingue c’est precisement son caractère illimité. La question qui se pose tourne
alors autour de la question du rapport du desir avec la nature. Comment ces désires ni naturels ni
nécessaires sont possibles dans le système épicurien, si la passion est elle-même inscrite dans la
nature vivante, dans la réalité matérielle ? Lucrèce, bien plus que son maitre, est soucieux rendre
compte de la genèse de ce phénomène spécifique de la passion. Il faudrait d’abord remarquer sa
choix d’emploier un vocabulaire commun pour les deux instances du desir et de la passion dans
son œuvre. La passion est tout à fait un genre de desir, mais le poete latin souligne en même
temps la particularité de la passion comme désir aveugle. Dans son œuvre on n’arrivera pas à lire
une condemnation generale du desir : ce qui lui importe c’est le correct fonctionnement de ce
dernier, de manière qu’il ne se transforme pas en passion immoderée. Afin de resoudre l’impasse
qui semble se créer dans le système epicurien, on a besoin de trois passages à l’interieur de la
conception lucrecienne :

1. Aller voir la compréhension du désir dans Lucrèce non seulement d’un point de vue
psychologique mais aussi d’un point de vue physique (comment marche-t-il le desir au
niveau des atomes ?);
2. Definir les conditions de possibilité de la passion et leur statut : sont-elles inscrites dans la
nature humaine ou exterieurs et artificiels ? ;
3. Chercher de preciser à quel emploi du modèle biologique on a affaire, à savoir qu’est-ce
qu’on identifie par modèle biologique ? Quelle est son efficacité pour faire la distinction
entre passion et désir ? En quel sens penser le passage de la biologie à l’ethique ?

Joncheray commence par eclaircir l’analyse lucrecienne en termes physiques, en cherchant de


penser au desir en tant qu’expression physiologique d’un état de déséquilibre. Selon Lucrece il
serait une sorte de reaction à un changement de nature physique, censé produire ou bien un
manque (comme dans le cas de la nutrition) ou bien un surplus (c’est le cas du désir sexuel). Faut
alors rappeler les principes à la base de la physique epicurienne. Dans le livre 1 du De reum natura
l’auteur définit les corps comme des simples agrégats de matière autour du vide 1. La substance est
sollicité par le mouvement dans le vide des corps premiers la composant et c’est exactement ce
mouvement qui serait à l’origine des déséquilibres matériels. Sous cette perspective la douleur et
le plaisir ne seraient rien d’autre que la conséquence des mouvements des corps premieres
intérieures à la substance. Lucrèce donne un exemple de la premiere catégorie definie par Epicure,
c’est-à-dire le désir naturel et nécessaire : dans le livre IV il se penche sur les phenomenes de la
faim et de la soif. Trois points essentiels à retenir : le désir de faim et de soif comme réaction au
mouvement des atomes qui menacent la conservation physique de la substance Il dit dans le
poeme que la parte des atomes, qui dans les hommes est majeure à cause du mouvement
continu, conduit à la rarefaction du corps. Deuxième point : le désir est dirigé afin de rétablir
l’équilibre matériel, afin de combler « l’avidité du jeùne » et etancher le « soif pantelante ». Les
deux termes en latin qui lie soif et faim à la dimension active du desir sont l’adjectif anhela et le
nom cupido. Troisième point : une fois assouvi, le désir rétablit matériellement l’équilibre matériel
du composé, la matière extérieure qu’on incorpore à travers la nourriture et la boisson va combler
le vide qui s’était créé. La chaine des evenements est alors plutôt claire pour Lucrece : 1
déséquilibre matériel----2 désir d’équilibre-----3 apport de matière extérieure-------4 retour à
l’équilibre. Il s’agit, on le voit bien, d’un circuit fermé au sens où l’equilibre, bien qu’il soit
temporaire, est effectivement rejoint. Le manque physique peut toujours etre rempli, dans ce
modele il ne reste pas aucune raison de continuer à desirer une fois retrouvé l’equilibre corporel.
Sur le plan psychologique on pourrait traduire : douleur-désir-réalisation du désir-plaisir.

La deuxieme categorie epicurienne, celle du desir naturel non nécessaire, est expliquée par
Lucrece par le désir sexuel, Ce deuxieme type ne surgit plus d’un déséquilibre de la matière mais
de la sollicitation d’un objet extérieur qui se manifeste à l’esprit via le simulacre. La cause est donc
1
Lucrece, De Rerum Natura, livre I, 515-516, traduit par J.Kany-Turpin
d’abord externe à la nature individuelle, donc pas fruit d’une nécessité mais fruit d’une rencontre
hasardeuse entre objet et substance. Lucrece fournit une longue explication du fonctionnement
materiel de la transmission des simulacres des choses et ce qu’il faut tenir en compte dans notre
etude sur le desir c’est le fait que les simulacra restent absolument une realité naturelle. La
réponse matérielle à la sollicitation qui nous provient de ces images peut par exemple être la
concentration du sperme dans les organes génitaux. La sollicitation a donc en ce cas la capacité
d’engendrer un changement matériel dans la substance composée, qui produit lui-même un
déséquilibre, une differente redistribution des atomes dans le corps. Il s’agit ici d’une mise en
mouvement extérieure qui est capable de causer une réaction intérieure. Le fonctionnement
semble repondre à un modele hydraulique, où notre corps excité a besoin de decharger la
concentration de semence (Lucrece decrit donc sous cet angle les pollutions involontaires 2. Meme
si on est tous d’accord sur le fait que la cause soit extérieure, la condition de possibilité de
l’excitation du désir demeure interne. Il faut en fait qu’il y ait du sperme pour qu’il y ait l’excitation
suivante. C’est pour ça qu’on pourrait considerer ce genre de desir naturel, au sens où ses
conditions de possibilité sont inscrites dans la nature elle-même de la substance. On est ici en train
d’analyser un degré intermediare entre le dehors et le dedans, mais il y a un element qui nous
permet de parler encore des desirs et non pas de passions : c’est la visée de la pulsion, qui en ce
cas, comme dans le cas de la faim, est orientée envers l’equilibre interne. Il reste naturel parce
qu’il demeure une reaction au desequilibre, le but etant celui de se liberer d’une grande
concentration de semence. Au meme temps, on lit à la fin du passage que « l’esprit vise le corps
qui le blessa d’amour 3». Si du coté du corps ce qu’on vise à ce stade là est encore la jouissance
produite par l’equilibre, du coté de l’esprit l’inclination au dehors de nous est dejà evidente.
Maintenant on est donc prets à analyser la dernière catégorie, celle des désirs vains, dont la
passion amoureuse est le cas emblematique. Il y a d’abord quatre remarques à faire : on parle
toujours d’une sollicitation extérieure via le simulacre mais, au contraire du cas précèdent, la
tension amoureuse est totalement orientée vers l’objet exterieur, dans l’oubli d’une mesuration
interne. Ce qu’on experimente dans ce cas c’est alors le desir de possession, bien different de celui
de repletion d’un manque. Si jusqu’ici la repletion ou la decharge restaient en pouvoir de la
substance, ce changement d’objet nous empeche d’assouvir le desir. Le nouveau objet exterieur
ne peut en fait mettre fin à la passion amoureuse, une fois réalisé le désir reste inefficace.
Necudquam : vain. Désir étant opposé à la nature vers 1088 texte 6. Le désir s’oppose à toute

2
Lucrece, De Rerum Natura, livre IV, 1030-1037
3
Ibidem, 1047
logique de la nature. La description de ces trois catégories du désir pose la question de la
possibilité du troisième type : les deux premiers sont déterminés et codifiés par la nature,
comment comprendre la possibilité d’un désir opposé à la nature ? Lucrèce pense ce problème là
et essaie de pointer les conditions matérielles de la passion. Trois problèmes : temporalité de la
nature humaine, question du rapport de l’homme à la nature et enfin situation mondaine de
l’homme. Temporalité introduit chez Lucrèce le concept d’amour de la nouveauté. On s’intéresse à
la nature divine et à sa description parce qu’elle n’est pas sujette au passage du temps. Texte 7, où
la jouissance du nouveau doit impliquer la souffrance du passé et donc cette amour caractérisait
les êtres humains par opposition aux dieux. Il porte en lui la possibilité de la passion, il rend
possible la relativisation de la valeur des biens. Il pousse l’homme à évaluer ses désirs en fonction
de la variabilité des biens. Texte 8. Le souci de cet amour c’est qu’il peut conduire à transformer la
sensation qu’on a de choses. La sensation est le critère de vérité par lequel on se rapporte aux
choses. Le changement est radical, le gland est le bien premier de la nutrition mais on passe
souvent d’un amour à une haine. L’amour de la nouveauté porte en lui un potentiel d’éloignement
de la nature, ainsi qu’un oubli des affections premières, il peut être cause des erreurs de nos
jugements. Le rapport à a nature de l’homme le distingue ici des bêtes, il opère une comparaison
entre l’enfant et les bêtes. L’argument traditionnel des berceaux via a vedere su internet pour en
faire la preuve de la situation particulière des hommes dans la nature et de leur possibilité de
déviance. Texte 9 l’enfant s’oppose aux bêtes pour lesquelles la nature donne tout, elle est
daedala, astucieuse, la puissance gouvernant, dans les hommes ce qui gouverne c’est pas la nature
mais leur nature, leur esprit. Texte 10. L’esprit consilium vitae regimentum. Texte 11 récapitulatif
des différents actes produits par l’esprit. L’usage, l’activité de l’esprit, l’homme ne reçoit tout de la
nature, il devrait user de la nature. Prendre ce que la nature lui donne, y trouver un usage, par
l’esprit imiter, reproduire et transformer. Dans le livre 4 il refuse la cause finale au niveau
biologique, c’est l’organe qui crée la fonction, pas le contraire. C’est l’esprit dans ce cas qui
créerait la fonction du bien naturel. L’esprit a un rôle majeur dans le rapport de l’homme à la
nature. Situation mondaine de l’homme, il insiste sur la relation de l’esprit au simulacre, il est en
interaction permanente avec les simulacres des choses. Texte 12. La vision par les simulacres peut
être erronée, la seule garantie de la vision vraie c’est celle des sciences et de l’esprit. Texte 13. Le
problème c’est que l’attention de l’esprit est orientée elle-même par ce à quoi l’esprit s’adonne,
c’est-à-dire ses gouts et ses passions. Texte 14. Trois situations particulières de l’homme, il me
semble que ceci qualifie l’homme au sens de la spécificité matérielle qui désigne l’homme. Si la
nature porte les conditions de possibilité de la passion, comment devons-nous comprendre le
rejet éthique de ce dernier ? pour garantir ce rejet éthique Lucrèce recourt au modèle biologique,
pour le fonder sur des raisons physiques. Le modèle biologique est celui de la faim et de la soif,
texte 15. En quel sens peut-on parler de modèle ici? Deux sens : le premier au sens de rescription,
il propose de réécrire ce que serait un bon désir et de proposer par-là même comment
comprendre le disfonctionnement de la passion. Il rejette toute dimension finaliste et propose
d’évaluer le désir non plus à partir du bien visé mais à partir des résultats concrets qu’il a produits.
Deuxième sens de modèle qu’on pourrait retenir c’est le modèle au sens normatif du terme, il va
justifier le rejet de la passion. Lucrèce pose deux choses : le désir est pleinement lié au processus
classique de compensation des pertes. Jean Salem dit ça, notamment dans Lucrèce et l’éthique.
L’idée serait que le bon désir serait celui efficace dans la remplissons, celui qui produit un
remplissage du corps physiquement. La passion serait alors inefficace sous ce regard. Et alors les
simulacres ? ils sont matériels comme tous les autres choses, mais pourquoi ils ne remplissent pas
le corps ? le deuxième point c’est que le critère d’évaluation d’efficacité des désirs c’est avant tout
le corps. Rien n’est donné au corps, le problème de la passion serait ça, elle oublie que le corps est
le critère d’évaluation. Seul le corps peut évaluer l’efficacité et donner des limites au désir. Texte
16 ce qui est inutile pour le corps doit être jugé inutile pour l’esprit. Trois problèmes centraux de la
passion : 1 on se détournerait du corps au profit du bien extérieur, passage donc d’une logique de
la réplétion à une logique de la possession. Dans ce passage on perdrait la notion de limite
essentielle à la maitrise du désir et au même temps la connaissance vraie du plaisir. Texte 17. 2
problème l’esprit continue à prendre comme repères des repères extérieurs au corps, au lieu de
prendre le corps et la sensation comme critères. Texte 18 l’opinion plutôt que la sensation comme
critère, en latin est plus forte qu’en français. On perd le critère originaire d’évaluation. Troisième
problème de la passion : l’oubli par l’esprit du corps, l’esprit en en faute. Ce modèle lui permet de
résoudre le problème du rejet éthique de la passion, il donnerait en cela un fondement à l’éthique
de désirs que propose Epicure. Ils restent quand-même trois problèmes : le premier : rapport
entre biens de l’esprit et biens du corps. Est-ce qu’on peut penser une autonomie des biens de
l’esprit ou ils dépendent entièrement du corps ? Epicure semble bien accepter une autonomie des
biens de l’esprit. Lucrèce est-il plus radical de son maitre ? 2 problème : jugement sur la question
du progrès de la société, la société semble produire des biens qui s’éloignent vraiment de la
nature, socle parfait du développement des passions : le progrès est à la fois nécessaire à la
condition humaine et à la fois une source du développement des passions, le principal fautif.
Troisième problème, plus éloigné, celui de la nature des dieux. Ils ne semblent même pas soumis
au processus de perte matérielle : ça veut dire qu’il n’y a pas de vide en eux ou bien que qu’ils
auraient un processus de compensation autre de leur perte ? on peut dans d’autres textes trouver
que les dieux semblent soumis au processus de perte et compensation.

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