L'écrasement de la Commune de Paris et ses conséquences inattendues
La France contient, dit l'Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement Il s'agit aujourd'hui non plus de couper les têtes, mais d'ouvrir les intelligences. Il y a deux sortes de bergers parmi les pasteurs des peuples : ceux qui s'intéressent à la laine et ceux qui s'intéressent aux gigots. Aucun ne s'intéresse aux moutons. Henri Rochefort. Le 18 mars, je n’avais plus de patrie; la France s’était effondrée: plus de courage, plus de patriotisme, plus d’honneur. Le 19 mars, j’apprends qu’une ville a pris les armes, et je me raccroche désespérément à ce lambeau de patrie. Je ne savais pas qui étaient les insurgés, mais je savais contre qui ils étaient insurgés et cela me suffisait. Louis Rossel. Le complot par excellence, s'il doit y en avoir un, est d'abord, est surtout, un complot contre l'information et la connaissance ourdi au profit des « possédants ». Ici, nul ne pourra dire qu'il s'agit d'un complot mené à ciel ouvert puisque, précisément, il concerne des pans entiers de notre histoire qui sont noircis au marqueur noir sans que quiconque ou presque ne s'en aperçoit. Il ne doit pas exister beaucoup d'événements qui échappent à la censure systémique mais certains sont tellement épurés, tamisés, stérilisés, pasteurisés, qu'ils deviennent incompréhensibles pour tous, aux yeux de tous. L'actualité brûlante est parfois insondable à cause de tous ces silences savamment couvés. Alors, que dire de la perception de l'histoire contemporaine, écrémée à souhait, inaudible en définitive et ne pouvant leur servir de leçon et donc de boussole ? En ce 150 ième anniversaire de La Commune de Paris et des prolongations de la guerre franco-prussienne, matrice inconnue ou ignorée du Vingtième siècle, nous nous devons d'éclaircir certains points d'épisodes historiques charnières. La République « fait » dans la Mémoire des autres, l'école publique se fiche de nos chères têtes blondes, les media sont quasiment tous tenus par des crapules venues d'ailleurs (et ils ont toujours l'esprit ailleurs), les bibliothèques sont fermées, les bons livres très peu réédités. Difficile dans ces conditions de prendre toute la mesure d'une crise, en apparence si française, à l'origine de chamboulements mondiaux et de l'apocalypse de la vieille Europe. La débâcle de 1870 On ne reviendra pas sur l'imprévoyance de Napoléon III qui engagea l'Armée française face au nouvel ogre germanique qui n'attendait que cette occasion pour se muer en Reich. Guillaume et le chancelier Bismarck n'attendaient que cela, ne voulaient que cela ; cette guerre servit à cela, et par la même occasion à saigner à blanc la France à laquelle ils soutirèrent 5 milliards de Francs de l'époque, alors la plus colossale rançon de tous les temps (25 % du PIB français) que le préposé Adolphe Thiers s'empressa de payer en empruntant à des petits porteurs mais aussi à la haute-banque internationale d'énormes sommes. Ecrasée, le quart Nord-Est de la France fut occupé par l'armée allemande de 1870 à 1873. Précisément, au nord, l’espace contrôlé par les Allemands en décembre 1870, s’étend à 170 km de Paris. L’extension maximum de l’occupation à la date de l’armistice du 28 janvier 1871 porte sur 30 départements, soit, ainsi, le quart nord-est de la France, excepté le Nord et le Pas-de-Calais. Par application du traité de Francfort, les départements du Calvados, de l'Orne, de la Sarthe, d'Eure-et-Loir, du Loiret, du Loir-et-Cher, d'Indre-et-Loire, de l'Yonne, de la Seine-Inférieure, de l'Eure, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne jusqu'à la Seine, de l'Aube et de la Côte-d'Or sont en effet évacués à la suite de sa signature le 10 mai 1871. Le traité prévoit qu’après un premier versement d'une indemnité d’un demi-milliard, l’évacuation s’étendra aux départements de la Somme, de l’Oise et aux parties des départements de la Seine-Inférieure, Seine-et-Oise et Seine- et-Marne, situées sur la rive droite de la Seine. Ces 6 départements furent libérés fin juillet 1871 après versement de 500 millions de francs mi-juillet, d'un milliard en août. Les départements de l’Aisne, de l’Aube, de la Côte-d'Or, du Doubs et du Jura sont ensuite libérés par décision du 12 octobre 1871. Le paiement par anticipation début 1873 du dernier des 5 milliards d'indemnité amène la libération des départements des Ardennes, de la Marne, de la Haute-Marne et des Vosges en juillet 1873, du territoire de Belfort, de la Meuse et de la Meurthe-et Moselle en septembre 1873. L’occupation des départements de l'Est, les derniers libérés en même temps parmi les premiers envahis, a duré presque 3 ans. Mais l'Alsace-Lorraine va vivre une autre histoire. Annexées après une occupation de trois ans, l'Alsace et la Moselle sont soumises à une administration impériale confiée au comte Bismark-Bohlen alors que le chancelier Bismarck s'efforce dans un premier temps d'obtenir l'adhésion des habitants en promettant l'application des lois en vigueur, le respect « des institutions et usages du pays, de la propriété des habitants » et le maintien des fonctionnaires français acceptant la domination allemande. Ces promesses se révèlent illusoires. La plupart des fonctionnaires refusent de reconnaître la nouvelle autorité et sont révoqués puis expulsés. Manger et crever comme des rats Cependant, durant l'hiver 1870, le peuple français (déjà très mal informé) n'imaginait pas une telle punition même si tous les observateurs le décrivaient alors comme accablé et plongé dans une profonde incertitude. « Nous mangeons de l’inconnu », écrivait Victor Hugo, « peut-être du rat ! » ; et c’est ce qui s’est passé. Puisque la France n'a pas le droit de jouir d'un quelconque devoir de Mémoire, plus personne ne sait qu'à la fin de 1870, des disettes et des épidémies de typhus et de choléra tuèrent des dizaines de milliers de Français. C'est dans cette situation que le pouvoir bancaire a manoeuvré pour faire payer la rançon aux pauvres, aux petits, aux travailleurs qui avaient déjà vu leurs conditions de vie se dégrader avec la récession de 1866, l'augmentation de certaines denrées à Paris et du prix de l'immobilier (qui poussait déjà les salariés à vivre en périphérie de la Capitale). L'insurrection de la Commune de Paris commence le 18 mars 1871 quand le peuple exsangue apprit la composition du gouvernement d'Adolphe Thiers et sa volonté de dire oui sur tout à Bismarck qui logeait tranquillement au château des Rothschild à Ferrières-en-Brie dont le baron Alphonse avait fait remplir les caves de 40 000 bouteilles de ses meilleurs crus.