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Janvier 1941

6 – La bataille de l’information
La presse de l’ombre
1er janvier
Les Français parlent aux Français
Alger – La Radiodiffusion nationale inaugure la nouvelle année avec une émission appelée à
connaître un retentissement extraordinaire, “Les Français parlent aux Français”. Diffusé tous
les soirs, de 20 h à 20 h 30, à l’heure du dîner, ce programme veut devenir le truchement d’un
dialogue permanent entre le gouvernement et ceux qui continuent la guerre outremer, d’une
part, et les autres, combattants ou non, d’autre part, qui, du fait des circonstances générales ou
individuelles, par choix, par devoir ou, quelquefois, par malchance, sont demeurés sur le sol
métropolitain.
“Les Français parlent aux Français” réunit les talents les plus divers, parfois les plus
inattendus, ce qui lui confère un ton sans précédent. Il mêle des nouvelles qui complètent les
trois journaux quotidiens1 de Radio Alger, des propos à bâtons rompus, des clins d’œil, de
l’ironie dans la veine des chansonniers – voire une dérision qui puise à la tradition du
surréalisme, de la contre-propagande et, bientôt, des “messages personnels” à l’attention de la
Résistance. De temps en temps, l’un des membres du gouvernement – parfois même le
général de Gaulle – accepte de se prêter dans la bonne humeur à une interview.
L’équipe est dirigée par un comédien, poète à ses heures, neveu du metteur en scène Jacques
Copeau, Michel Saint-Denis, qui prend le pseudonyme de Jacques Duchesne. Il a été rejoint
par Pierre Dac bien sûr, mais aussi par le journaliste Yves Morvan, un colosse qui est devenu
Jean Marin, par le peintre et illustrateur Jean Oberlé, par Jacques-Henri Cottance dit Jacques
Brunius, un ex-membre du Groupe Octobre des frères Prévert, par André Diamant-Berger
devenu André Gillois, et par un homosexuel flamboyant, peintre et dessinateur lui aussi,
Maurice Van Moppès. D’origine anversoise, un ingénieur chimiste conduit au journalisme par
le hasard de l’existence, Léopold Lobenberg dit Paul Loby, compagnon de route du Groupe
Octobre à la fin des années 30, prépare dans les coulisses la partie information en suçant dix
ou douze glaces à l’eau par jour.
L’indicatif de l’émission – quatre coups de timbale roulés sur le rythme de l’ouverture de la
Ve symphonie de Beethoven, suivis de l’annonce “Ici Alger, les Français parlent aux
Français” – demeurera à jamais dans la mémoire nationale et l’inconscient collectif.

12 janvier
La presse de l’ombre
Alger – Tenue à jour par les services de Jean Zay, avec l’aide de la Défense et de l’Intérieur,
la liste de la presse clandestine comprend maintenant vingt-six titres. Quatorze d’entre eux ont
déjà publié au moins trois numéros, voire quatre ou cinq. Trois journaux, Combat, Libération
et Franc-tireur, semblent s’être assuré une diffusion quasiment nationale. Ils paraissent liés à
des mouvements, eux aussi clandestins, de résistance à l’occupant et au pouvoir de Laval, qui
n’ont pas encore pris contact avec Alger. D’orientation, Combat relèverait d’une Droite
patriote alors que Libération a sans doute des liens avec le syndicalisme non communiste.
Franc-tireur, lui, se situerait dans la mouvance de la gauche de la SFIO.
Il faut sans aucun doute mettre à part une véritable revue, les Cahiers du Témoignage
Chrétien, qui n’a encore connu qu’une seule livraison. Ces Cahiers – soixante pages ! – ont

1
D’une durée moyenne de quinze minutes, ces trois journaux sont diffusés tous les jours, à 8 h, 13 h et 19 h.
été tirés dans une véritable imprimerie, probablement dans la région de Lyon, sur un papier de
qualité. À première vue, ils reflètent le point de vue d’une frange moderniste de l’Église
qu’exaspère la passivité d’une hiérarchie dont la neutralité proclamée fait, en réalité, le jeu du
gouvernement de Paris. Ils auraient été distribués à plus de cinq mille exemplaires. Quelques
plaisantins feignent de s’interroger avec angoisse sur l’origine des textes : viennent-ils de la
Compagnie de Jésus ou sont-ils l’œuvre de dominicains ?
Par ailleurs, des crieurs traditionnels ont vendu en décembre sur les marchés de plein air, à
Grenoble et à Gap, des dizaines d’exemplaires d’une édition falsifiée – ou parodique – du
Petit Dauphinois, le quotidien des Alpes du sud. Sous le titre Le Dauphiné libéré, cette
édition, qui reprenait la mise en page et les codes graphiques du Dauphinois, défendait dans
ses articles l’action du gouvernement d’Alger, tandis que l’éditorial appelait à la lutte « par
tous les moyens » contre les occupants et le Nouvel État Français. Policiers et gendarmes, a-t-
on appris à Alger, ne sont intervenus, dans les deux cas, qu’avec la sage lenteur des
carabiniers et ils n’ont pas paru mécontents de faire chou blanc.

14 janvier
La Collaboration cherche des plumes
Paris – Pierre Laval soumet à Otto Abetz une liste de journalistes “nationaux”, en captivité en
Allemagne depuis le printemps ou l’été 1940, dont il souhaite la libération immédiate. « Je
crois devoir faire remarquer au Reich, écrit Laval, que nous n’aurons jamais assez de talents,
à Paris et en Province, pour combattre les menées des traîtres d’Alger. »
Abetz se bornera à lui répondre qu’il doit en référer à Berlin.

16 janvier
Contre la presse de Collaboration
Alger – Sur l’ordre de Jean Zay, la Censure autorise Havas Libre et Radio Alger à mentionner
une rumeur qui circule dans les “milieux autorisés” : le gouvernement préparerait un projet de
loi « portant confiscation de droit, immédiate et sans indemnité », dès la libération de la
France métropolitaine, des « journaux parisiens qui auraient continué de paraître après le 31
août 1940 sous l’égide de l’autorité de fait se disant Nouvel État Français ».
La dépêche d’Havas Libre précise que, dans une première rédaction, le texte ne visait que
« les journaux continuant à paraître à Paris ». Mais Georges Mandel, aussi rancunier que
Clemenceau, s’en serait ému. Il aurait exigé que le projet soit revu afin que sa formulation
englobe Le Temps, toujours publié à Lyon.

22 janvier
Des photos pour Havas Libre
Alger – Pierre Brossolette nomme le journaliste Jean Queyras conseiller technique auprès de
la direction d’Havas Libre. Restée confidentielle, la lettre de mission de Queyras lui assigne la
tâche d’étudier avant le 15 avril 1941 le lancement d’un service photo international, couvrant
l’AFN, l’ensemble de l’Empire et le reste du monde. Ce service devra pouvoir concurrencer,
dans l’immédiat sur le marché de la Presse française d’AFN et, à l’avenir, en Métropole, les
clichés que distribuent les agences américaines et britanniques à leurs abonnés. Sur le marché
mondial, Havas Libre se donnera pour objectif d’égaler au moins la qualité, que force est à
chacun de reconnaître, des photos allemandes.
Si les conclusions de Jean Queyras sont positives, ajoute la lettre de mission, le service photo
international d’Havas Libre sera lancé dans la foulée, dans le but de livrer ses premières
photos sur l’ensemble de la planète, avant tout dans les pays neutres, en moins d’une année,
soit au 1er avril 1942 au plus tard.

30 janvier
Vu de Sirius
Vannes – Le journaliste Hubert Beuve-Méry, attentiste depuis sa démobilisation, a quitté
Paris, prétendument pour se rapprocher de sa famille de Bretagne. En fait, il pense trouver
dans l’Ouest les moyens de quitter la Métropole, peut-être à bord d’un bateau de pêche, dans
le but de rejoindre Alger. Correspondant du Temps à Prague, Beuve-Méry en a donné sa
démission en septembre 1938, en signe de protestation contre les accords de Munich.

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