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Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour les Enseignes de la Grande Distribution

Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour


les Enseignes de la Grande Distribution

KAOUTHER GHOZZI RYM KAMOUN 


Agrégée en Economie&Gestion, Maître Agrégée en Economie&Gestion, Maître
Technologue, ISET de Radès, Tunisie Technologue, ISET de Radès, Tunisie
kaoutherghozzi@yahoo.fr kamounr2@gmail.com

BASMA BEN ALAYA


Agrégée en Economie&Gestion, Maître
Technologue, ISET de Radès, Tunisie
basma.perso@gmail.com

Résumé
Les produits «bio» sont en plein essor en Tunisie. Depuis quelques années, l’agriculture
se spécialise et la distribution de produits issus de la culture biologique, ainsi que la diététique
et commerce équitable prennent une place discrète mais grandissante.
Sensibiliser à la consommation responsable, tel est l’objectif considéré par tous les acteurs
impliqués, comme le leitmotiv de ce nouveau marché. On peut désormais trouver un rayon bio
dans un grand nombre d’enseignes de la grande distribution tunisienne, mais aussi des boutiques
spécialisées solidaires d’initiatives pour un développement durable et un monde meilleur.
Toutefois et malgré les incitations du gouvernement tunisien pour faire connaître les produits
bio au grand public, les professionnels du domaine considèrent que ce marché se développe
à un rythme assez timide comparé à nos voisins, les pays maghrébins/ le Maroc, l’Algérie ou
l’Egypte.
D’après les statistiques du ministère tunisien de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques
(La Presse Economie / Février 2012), le marché de l’offre et de la demande du bio est, dans
l’ensemble, bien régulé. Mais, les professionnels et les représentants de plusieurs structures
d’appui et d’accompagnement relevant du ministère considèrent que cette typologie de produits
peine toujours à intégrer le circuit de production et de consommation dans le marché local et à
gagner la confiance du consommateur qui ignore les vertus réels de cette catégorie de produits.
Toutefois et toujours d’après ce même quotidien, un constat est certain est que les produits bio en
Tunisie séduisent une clientèle vigilante, sélective et avertie. Serait-il donc, opportun de cibler
ce marché de niche ? Ce marché constitue-t-il vraiment un mythe ou un phénomène de mode,
répondant à une exigence d’adaptation à l’évolution mondiale de l’environnement, ou plutôt une
réalité dans laquelle il s’agirait d’un marché réellement opportun et une niche à exploiter afin de
se démarquer de la concurrence.
En réponse à ces interrogations, nous nous proposons dans ce travail, d’explorer à travers
une étude qualitative, les pratiques des différents acteurs dans la commercialisation et la
consommation des produits bio sur le marché tunisien. Ensuite et en se basant sur la méthode
du chaînage cognitif des moyens-fins (Valette-Florence, 1994), nous tenterons de dégager des
stratégies de communication et de positionnement pour une segmentation différenciée répondant
au marché cible.

Mots clés : Marché des produits bio en Tunisie, Distribution et Consommation des produits
bio, Pratiques adoptées sur le marché tunisien, Etude qualitative, Chaînes cognitives, Cartes
hiérarchiques.

Revue Marocaine de Recherche en Management et Marketing N°9-10, Janvier-Décembre 2014 189


KAOUTHER GHOZZI / RYM KAMOUN / BASMA BEN ALAYA

The market for organic products in Tunisia: Myth or Reality


for the Retail Signs

Abstract
Products “organic” are thriving in Tunisia. In recent years, agriculture specializes and
distribution of products from organic farming, as well as dietary and fair trade are discreet but
growing up.
Awareness about responsible drinking, this is the objective considered by all actors involved,
as the leitmotif of this new market. You can now find a bio radius in many brands of large
distribution Tunisia, but also solidarity initiatives for sustainable development and a better world
specialty shops. However, despite the incentives of the Tunisian government to publicize organic
products to the general public, professionals in the field believe that this market is growing at
a rather timid pace compared to our neighbors in the Maghreb countries / Morocco, Algeria or
Egypt.
According to statistics from the Tunisian Ministry of Agriculture and Water Resources
(La Presse Economics / February 2012), the market supply and demand bio is, overall,
well regulated. But, professionals and representatives of various support structures and
support of the Ministry consider this type of product is still struggling to integrate the
circuit of production and consumption in the local market and gain the trust of consumers
who know the real virtues of this product category. However, always according to the same
newspaper, a finding is certain is that organic products in Tunisia seduce a vigilant customer,
selective and knowledgeable. Would it therefore appropriate to target this niche market?
This market is there really a myth or a fad in response to a requirement for adaptation to global
environmental change or rather a reality in which it would be a really appropriate market niche
operate to stand out from the competition.
In response to these questions, we propose in this work, to explore through a qualitative
study, the practices of different actors in the marketing and consumption of organic products on
the Tunisian market. Based on the method of cognitive chaining means-ends (Valette- Florence,
1994), we also try to identify communication strategies and positioning for a differentiated
segmentation meet the target market.

Key words: Market for organic products in Tunisia, Distribution and consumption of
organic products, Practices adopted on the Tunisian market, Qualitative study, Cognitive chains,
Hierarchical maps.

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INTRODUCTION ET PRÉSENTATION DU CONTEXTE GÉNÉRAL


Produire et consommer dans le respect de l’environnement représente un défi stratégique
pour tout pays soucieux de la qualité de son environnement et la sauvegarde de la planète.
Citoyens, consommateurs, entreprises, associations, pouvoirs publics : tous sont concernés par
cette nécessaire mutation de l’économie mondiale. Que ce soit par les choix de consommation
au quotidien, ou par les stratégies d’entreprise, tous sont des acteurs de cette transformation.
Toutefois, cette dynamique se traduit par un foisonnement d’affirmations sur les produits qui sont
parfois difficiles à appréhender : durable, responsable, bio, naturel, biodégradable... Quelle est la
signification véritable de ces termes ? Que garantissent-ils ?
L’argument environnemental n’est pas un argument de vente comme les autres: il rapproche
l’engagement d’une entreprise et l’implication d’un consommateur en faveur du développement
durable, et ne peut se permettre de jouer sur des ambiguïtés. Une communication loyale et explicite,
base d’une confiance solide, est donc fondamentale pour assurer une consommation responsable.
Bio renvoie à un mode de production respectueux de l’environnement réglementé et contrôlé
par les pouvoirs publics : l’agriculture biologique. Cette réglementation ne s’applique pas aux
produits non agricoles et non alimentaires. L’utilisation du terme bio pour qualifier ces produits ne
doit donc être possible que si le produit contient des ingrédients issus de l’agriculture biologique.
En aucun cas, le terme bio ne doit servir à valoriser la qualité écologique d’un produit si le produit
en question ne répond pas à ces exigences
Pour les produits non agricoles et non alimentaires comme les produits de beauté, d’hygiène,
d’entretien, de bricolage, les textiles, etc., il n’existe pas de réglementation encadrée par les
pouvoirs publics. Le principe est que l’utilisation de «bio» pour qualifier ces produits ne doit pas
induire le consommateur en erreur.
Le marché du bio connait une croissance fulgurante depuis une dizaine d’années au niveau
mondial, dépassant la barre des 46 milliards de dollars en 2007. En Allemagne, bassin historique
et désormais référence incontestée dans le domaine des produits biologiques, le secteur des
produits biologiques et naturels représentait, en 2007, un marché de 4,6 milliards d’euros, avec une
croissance de plus de 5 millions par an en valeur (Etude Organic Monitor, 2009). Quant au marché
tunisien, objet de notre étude, les produits «Bio» sont en plein essor dans le pays. Depuis quelques
années, l’agriculture se spécialise et la distribution de produits issus de la culture biologique, ainsi
que la diététique et commerce équitable prennent une place discrète mais grandissante.
Sensibiliser à la consommation responsable, tel est l’objectif considéré par tous les acteurs
impliqués, comme le leitmotiv de ce nouveau marché. On peut désormais trouver un rayon bio
dans un grand nombre d’enseignes de la grande distribution tunisienne, mais aussi des boutiques
spécialisées solidaires d’initiatives pour un développement durable et un monde meilleur. Toutefois
et malgré les incitations du gouvernement tunisien pour faire connaître les produits bio au grand
public, les professionnels du domaine considèrent que ce marché se développe à un rythme assez
timide comparé à nos voisins, les pays maghrébins/ le Maroc, l’Algérie ou l’Egypte (Rapport
annuel du ministère tunisien de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques 2011).
D’après les statistiques du ministère tunisien de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques
(La Presse Economie / Février 2012), le marché de l’offre et de la demande du bio est, dans
l’ensemble, bien régulé. Mais, les professionnels et les représentants de plusieurs structures
d’appui et d’accompagnement relevant du ministère considèrent que cette typologie de produits

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peine toujours à intégrer le circuit de production et de consommation dans le marché local et à


gagner la confiance du consommateur qui ignore les vertus réels de cette catégorie de produits.
Toutefois et toujours d’après ce même quotidien, un constat est certain est que les produits bio en
Tunisie séduisent une clientèle vigilante, sélective et avertie. Serait-il donc, opportun de cibler ce
marché de niche ?
En réponse à cette interrogation, nous nous proposons dans ce travail, d’explorer à travers une
étude qualitative, les pratiques des différents acteurs dans la commercialisation et la consommation
des produits bio sur le marché tunisien. Ensuite et en se basant sur la méthode du chaînage
cognitif des moyens-fins (Valette-Florence, 1994), nous tenterons de dégager des stratégies de
communication et de positionnement pour une segmentation différenciée répondant au marché
cible. Cette démarche traite un aspect novateur dans l’analyse en matière de segmentation. Elle
permet un apport tant sur un plan théorique, par une meilleure connaissance de l’acheteur de produits
bio, que sur un plan « managérial », par une mise en œuvre de stratégies de positionnement et /ou
de communication ciblées pour une niche de clientèle potentielle ambitionnant de se démarquer
de la concurrence.

I. MARKETING RESPONSABLE : EMERGENCE DE NOUVEAUX


MODES DE CONSOMMATION
Un consommateur acteur, un consommateur éthique, un « alterconsommateur1» et plus
généralement un consommateur responsable est devenu un champs de recherche et d’exploration
de plus en plus attrayant pour tous les acteurs impliquées dans le processus de consommation
et de commercialisation. Cet intérêt accru est fortement accompagné par un désir de découverte
des motivations, des attentes et des caractéristiques de ce nouveau consommateur de plus en plus
conscient, attentionné et préoccupé par son environnement physique, social et même économique
répondant ainsi à l’émergence d’un nouveau mode de consommation réfléchie, consciente et
éthique.
Toutefois, le consommateur responsable qui s’inscrit dans une logique de marketing
responsable existe-il vraiment ? Le consommateur fait-il réellement une différence entre les
notions de durable, éthique, vert, bio, écologique, etc. En effet et face au foisonnement de ces
appellations et à une définition protéiforme du marketing responsable, les consommateurs se
sentent perdus. Quels repères leur donner? Les efforts pour construire une offre plus responsable
n’étant pas nécessairement les plus visibles ou les plus audibles pour le consommateur ; comment
bien communiquer autour de cette offre ? Par ailleurs, la mise en œuvre du marketing responsable
dans l’entreprise, passe nécessairement par le développement de nouvelles compétences chez les
différents acteurs impliqués, que ce soit en interne ou en externe de l’entreprise. Comment le
mettre en œuvre et mettre en exergue sa composante distinctive ?

1. Pourquoi le marketing responsable ?


Le paradigme du marketing traditionnel change. En effet, la concurrence entre les entreprises
n’a jamais été aussi féroce, la réglementation gouvernementale n’a jamais été aussi stricte et les
consommateurs n’ont jamais été aussi informés. De plus, les communautés ont besoin d’un appui
pour trouver une solution aux graves problèmes sociaux et aborder les enjeux environnementaux
urgents. Les entreprises, qui tentent pour leur part de relever les défis commerciaux et d’honorer
1 - Alterconsommateur : Il s’agit d’un nouveau type de clients plus enclin à maîtriser ses désirs selon des valeurs qu’il juge
importantes. Il recherche ainsi l’association entre bénéfice individuel et collectif.

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un contrat social envers la société, afin de contribuer à des changements positifs, reconnaissent les
forces et les avantages associés aux partenariats communautaires stratégiques. C’est que dans de
tels partenariats, les entreprises sont non seulement capables d’entraîner des changements sociaux
positifs, mais également d’engager un nombre plus important que jamais de consommateurs
socialement responsables et faisant preuve de discernement. Pour une entreprise, ces partenariats
se traduisent par un accroissement de la différenciation de la marque, une diminution du risque
lié à la réputation et une augmentation des occasions d’affaires. Le marketing responsable est le
nouveau paradigme en marketing, stimulant ainsi la responsabilité sociale et philanthropique des
entreprises.

1. Intérêt du marketing responsable


La mise en place d’un marketing responsable permet la fidélisation des clients dits
« alterconsommateurs ». En effet la mise en exergue de l’argument écologique, permet de donner
une image positive de l’entreprise et conduit par conséquent à l’identification du consommateur à
la marque ou au produit. De part son mode de consommation, le client pense au double bénéfice
de son achat, autant pour la qualité intrinsèque du produit et donc pour son intérêt personnel que
pour l’apport global du produit en termes de symbolisme et d’idéologie militante qui s’inscrit dans
une logique de protection de l’environnement.
Le marketing responsable tend vers une vision durable du monde et une délimitation du
cadre des pratiques du marketing. Il a pour but « la conception, la fabrication, la distribution
et la promotion des produits et services commerciaux, qui au delà des qualités économiques et
d’une satisfaction individuelle soient aussi socialement et écologiquement responsables » (Sauver
Fernandez, 2005).
Outre la réponse aux besoins des consommateurs, le marketing responsable peut donner lieu
à un enrichissement de l’entreprise en termes de stratégies et d’intelligence faisant ressortir de
véritables enjeux à prendre en compte pour gérer l’entreprise au quotidien.

II. LE MARCHÉ DES PRODUITS BIO ET COMPORTEMENT ÉTHIQUE


1. Revue de la littérature 
Le cadre théorique de la littérature stipule que les actions de développement durable pourraient
créer la différence dans « un univers concurrentiel où les batailles commerciales se gagnent sur le
terrain de l’image » (Lipovetsky, 1992). C’est effectivement le contexte de la grande distribution,
un contexte caractérisé par un environnement mouvant et en pleine croissance, une concurrence
rude, où les atouts de différenciation se font de plus en plus rares.
Le postulat de base de la majorité des études anglo-saxonnes réalisées sur l’impact
des actions de développement durable des entreprises sur les consommateurs est
le suivant : les consommateurs ont généralement une réaction positive vis-à-vis des
engagements sociaux et environnementaux des entreprises et ils vont jusqu’à rétribuer
leur comportement (Levy, 1999). Cependant, même si les attitudes des consommateurs
vis-à-vis des pratiques socialement responsables des entreprises sont plutôt positives,
certains chercheurs soulignent leur caractère complexe (Brown et Dacin, 1997 ; Sen et
Battacharya, 2001).
Le comportement éthique semble se développer proportionnellement à une
conscience critique. Désormais, les entreprises ne sont plus jugées uniquement sur leurs

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performances financières, mais aussi sur leurs performances éthiques (Lavorata, 2008), et
de manière attentive et critique. De plus en plus on assiste à de nouveaux critères liés à
la responsabilité sociale des entreprises tels que l’éthique, le bio, le commerce équitable,
ou encore le socialement responsable qui sont de plus en plus intégrés dans le choix et
l’évaluation des entreprises, des marques et des produits mis sur le marché.
Cet attachement aux valeurs éthiques, au respect de l’environnement, et à la
réduction de la consommation pour un monde plus « responsable » a d’ailleurs été
rapidement exploité par les marques avec l’essor du commerce équitable, des produits
issus de l’agriculture biologique, ou encore des produits respectueux de l’environnement
(François-Lecompte et Valette-Florence, 2006). Les enseignes sont de plus en plus
nombreuses à intégrer l’éthique dans leurs stratégies. Toutefois certains consommateurs
restent sceptiques quant à ces types de pratiques dites environnementales de la part des
enseignes. En effet, ces dernières peuvent être perçues comme étant « manipulatrices »,
puisque demeurent inscrites dans une logique marchande, soutenues par des techniques
marketing et commerciales (Penaloza et Price, 1993). Les consommateurs tunisiens malgré
leurs sensibilités récentes aux variables écologiques et environnementales, affichent
une relative préoccupation et sont conscients des problèmes y afférents. En effet, ces
consommateurs pourraient boycotter les produits des entreprises polluantes ce qui est de
nature à entraver le développement de la vie économique.

2. Le marché tunisien des produits bio : Une tendance mais qui


reste timide
Les produits «bio» sont en plein essor en Tunisie. Depuis quelques années, l’agriculture
se spécialise et la distribution de produits issus de la culture biologique, ainsi que la diététique
et commerce équitable prennent une place discrète mais grandissante. Consommer responsable,
consommer sain, c’est le leitmotiv de ce nouveau marché. On peut désormais trouver un rayon
bio dans quasiment toute la grande distribution en Tunisie, mais aussi dans certaines boutiques
spécialisées.
L’agriculture biologique est relativement récente en Tunisie. Son introduction ne date que
de quelques années par des opérateurs sensibilisés à ce type de production et à l’exportation vers
l’Union Européenne. En 1999, la Tunisie a mis en place un cadre juridique régissant l’exercice des
activités d’agriculture biologique et décidé un ensemble de mesures incitatives pour encourager les
agriculteurs à produire bio. Une stratégie intégrale pour l’agriculture biologique à l’horizon 2016
a été mise en place. Cette stratégie prévoit l’extension des superficies de cultures bio, notamment
après l’inscription de la Tunisie, en Juin 2009, sur la liste des pays exportateurs des produits bio
vers l’Union Européenne jusqu’à l’an 2012. La promotion de l’agriculture bio, en Tunisie, s’inscrit
dans le cadre de la politique de développement intégral, de la diversification des produits agricoles
et de la valorisation des terres adaptées aux cultures bio.
L’agriculture biologique est un créneau qui intéresse de plus en plus les agriculteurs tunisiens.
En effet, le développement des produits bio en Tunisie a été impulsé par une forte croissance de la
demande internationale. A l’étranger, le label « bio » a gagné ses galons d’or et s’est imposé sur
le marché des produits agricoles. Cet engouement de plus en plus croissant pour l’alimentation bio
se nourrit de la méfiance grandissante pour les produits issus de l’agriculture intensive. L’éventuel
rapport de cause à effet pouvant exister entre la présence d’additifs et de pesticides dans ces produits
et l’incidence élevée  des maladies cancéreuses n’ont cessé, en effet, d’alimenter ces dernières

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années, la crainte des consommateurs qui privilégient de plus en plus la consommation de produits
exempts d’intrants chimiques et de molécules de synthèse.
Aujourd’hui, les produits bio séduisent une clientèle vigilante et sélective qui se montre de
plus en plus attentive à ce qu’elle mange. Toutefois en Tunisie et malgré les incitations, le marché
bio continue à se développer timidement. L’agriculture biologique couvre de plus en plus de
superficie dont plus de la moitié sont des oliveraies d’ici à l’horizon 2016. Le marché de l’offre et
de la demande est, dans l’ensemble, bien régulé (Le nombre d’exploitants certifiés bio en Tunisie
a été multiplié par 7 entre 2001 et 2009 et la superficie couverte par l’agriculture biologique a
été multipliée par 5 ; tiré des statistiques du ministère tunisien de l’Agriculture et des Ressources
Hydrauliques /La Presse Economie / Février 2012). Mais et bien que tout ait été mis en œuvre
depuis des années pour structurer le secteur et atteindre cet objectif, la superficie consacrée à
l’agriculture biologique n’a pas beaucoup évolué ces dernières années. La situation irrégulière de
certaines terres agricoles et la réticence des agriculteurs face au coût élevé de la production ont
constitué autant de blocages responsables de la traîne du secteur, causant ainsi une lenteur dans la
distribution et la commercialisation de cette typologie de produits.
NB/ Nous utiliserons tout le long de ce qui suit, l’appellation « produits bio » pour désigner les
produits issus principalement de l’agriculture biologique, végétaux ou minéraux, (Exemple :
produits alimentaires, produits d’entretien ou produits cosmétiques).

III. LES PRATIQUES DES ACTEURS IMPLIQUÉS DANS LA


CONSOMMATION ET LA COMMERCIALISATION DES PRODUITS
BIO EN TUNISIE  ET LEURS PRÉOCCUPATIONS ÉTHIQUES DANS
LEURS COMPORTEMENTS MANAGÉRIAUX
1. Présentation du contexte de l’étude
Depuis 2001, le secteur de la distribution organisée en Tunisie a connu une intensification
progressive de la concurrence avec l’ouverture des premiers hypermarchés en 2001 (Carrefour) et en
2005 (Géant). Ces nouveaux venus ont apporté une grande expérience et un savoir faire en matière
de merchandising et de promotion des ventes, ce qui a provoqué une modernisation du secteur de la
distribution accompagné par un changement radical du comportement du consommateur tunisien.
Consciente du poids économique de ce secteur et des potentialités de croissance importante sur
le pays, l’Etat a mis en place de nouvelles réformes et a institué une planification d’ouverture des
hypermarchés en Tunisie. La grande distribution dans le pays est en train de connaitre un tournant
qualitatif en réponse à l’adoption d’une logique de modernisme adaptée aux nouveaux modes de
consommation.
En Tunisie, trois grands groupes se partagent le marché de la distribution, le groupe Mabrouk,
Chaibi et Bayahi. Le groupe Mabrouk avec la franchise Casino, leader sur le marché, représentant
de l’enseigne Géant et les magasins Monoprix, occupe 36% de part de marché. Le groupe Chaibi,
représentant de l’enseigne Carrefour (Carrefour Market, Cash and Carry) occupe 31% de part de
marché et le groupe Bayahi représentant les enseignes Promogro et Magasin Général (partenaire
actuel avec Auchan) occupe 33% de part de marché. (www.Jeune Afrique.com/ 2013).
8La grande distribution en Tunisie se dessine peu à peu une éthique nouvellement instaurée
sur ce marché, encore très peu développée de part les habitudes de comportements d’achat de ses
consommateurs. Favorisant le développement durable à la fois de leurs produits mais aussi de leurs

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systèmes logistiques et leurs services, les grandes enseignes de distribution s’alignent à leurs pairs
pour s’adapter à leur environnement et adopter les vertus du « Marketing Responsable ». A titre
d’exemple, Monoprix Tunisie est la 1ière enseigne dans la grande distribution qui s’est lancée le défi
de gagner le pari de cette nouvelle orientation dans le monde en développant un comportement
d’éco-citoyens chez ses clients et en menant diverses pratiques marketing : lancement de produits
verts, produits bio, écolo, responsables, éthiques, etc. (La presse Économiques Tunisie 2011)
En s’orientant vers le développement d’un comportement d’éco-citoyen, plusieurs
recherches ont été menées en Tunisie et ont consisté principalement à étudier le comportement du
consommateur face aux pratiques éthiques et de protection de l’environnement (Basma B.Alaya,
R.Kamoun et K.Ghozzi 2012). L’orientation écologique de ces enseignes a-t-elle vraiment
réussi à développer l’adhésion du consommateur tunisien, a t-elle affecté considérablement son
comportement en développant chez lui un comportement réel d’éco-citoyen basé sur une forte
culture environnementale ?
Ces études ont justement relevé que les résultats n’étaient pas aussi optimistes auxquels les
distributeurs ambitionnaient; faudrait-il probablement déceler des niches de clientèle bien décrites,
faudrait-il réfléchir sur des stratégies de communication bien segmentées, faudrait –il se positionner
clairement dans le nuage de la grande distribution en Tunisie si jeune soit-il ?
Nous allons chercher tout le long de ce travail à répondre à ces questions en scrutant d’abord
les pratiques des principaux acteurs impliqués dans le processus de commercialisation et de
consommation des produits bio dans la grande distribution.

2. Présentation de la méthode adoptée : la méthode du chaînage


cognitif des moyens-fins (Valette-Florence, 1994)
La théorie des chaînages cognitifs a été retenue comme une méthodologie de notre recherche,
car elle permet de déterminer les motivations et, plus particulièrement, la place des valeurs dans
le jugement à travers le choix des attributs du produit. Issue de la psychologie des construits
personnels de Kelly (1955), cette théorie a été adaptée par Reynolds et Gutman (1988) à l’étude du
comportement du consommateur afin de comprendre les structures cognitives associées à l’achat
d’un produit, c’est-à-dire les relations entre les attributs du produit, les bénéfices qu’en retire le
consommateur, et les liens éventuels avec ses valeurs personnelles. En effet, on définit les chaînages
cognitifs comme l’ensemble des associations évoquées par les participants à une enquête sur les
liens entre les attributs d’un produit, les conséquences personnelles et les valeurs recherchées lors
de l’achat. Pierre Valette-Florence ajoute que les chaînages cognitifs sont la représentation « à un
niveau agrégé, soit sous la forme de cartes hiérarchiques, soit au moyen de chaînes virtuelles, de la
résultante de l’ensemble des chaînes individuelles évoquées par tous les répondants. Ils permettent
ainsi de synthétiser la nature des structures cognitives qui régissent un marché donné ». On peut
donc qualifier cette collecte d’informations de «  transversale » poussant l’analyse à des niveaux
de segmentation poussées et faisant entre eux le lien explicite entre les attributs, conséquences et
valeurs ( notées respectivement A, C et V) .
L’objectif de cette méthode est de procéder à l’analyse et à la compréhension du processus
décisionnel du consommateur pour l’achat des produits bio par rapport à l’achat de produits dits
classiques. Le recours aux chaînages cognitifs, constitue ainsi une démarche méthodologique
pertinente permettant d’affiner la compréhension relative à la perception du consommateur tant au
niveau de ses freins que de ses motivations.

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Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour les Enseignes de la Grande Distribution

Cette connaissance est importante tant sur un plan théorique, afin d’approfondir la connaissance
de l’acheteur de produits bio, que sur un plan « managérial », afin de mettre en œuvre des stratégies
de segmentation différenciées au fur et à mesure que se développe ce marché.
Au sein des études qualitatives, cette orientation reposant sur l’analyse des chaînages
cognitifs constitue « un potentiel excessivement intéressant permettant une meilleure stratégie de
communication publicitaire et de positionnement mais aussi par la qualité prédictive de ce type
d’approche » Valette-Florence (1994). Dibley et Baker (2001) ajoute que ce choix de méthode
permet une analyse psychologique affinée des perceptions individuelles des enquêtés.

3. Résultats de l’étude et recommandations


Dans le but d’explorer les pratiques des différents acteurs dans la commercialisation et
la consommation des produits bio sur le marché tunisien, nous avons procédé à un double
questionnement sous forme de guides d’entretiens semi directifs :
L’un destiné aux acteurs principaux impliqués dans le processus de distribution de ce type
♦♦
de produit, (responsable d’achat et/ou d’approvisionnement et directeurs de magasins) des
différentes enseignes de la place.
L’autre adressé aux consommateurs afin d’étudier leurs perceptions individuelles par
♦♦
rapport à cette catégorie de produits.
Nous avons interrogé dix responsables faisant partie des cadres décisionnels des enseignes
de la grande distribution (Promogro, Magasin Général, Carrefour, Géant et Monoprix) afin de
s’assurer de l’homogénéité des résultats. A ce titre, le guide d’entretien semi directif utilisé comme
support de collecte d’informations, comporte 3grandes parties :
♦♦ La reconnaissance des produits bio comme levier commercial dans le magasin.
♦♦ La description d’une stratégie claire de commercialisation de ce type de produits.
♦♦ La description du profil type du consommateur de cette catégorie de produits.
Par ailleurs, nous avons interrogé 40 individus fréquentant les enseignes de la grande
distribution. Dans un premier temps, nous avons amené les répondants à exprimer leurs attitudes
vis-à-vis des produits classiques en général. Puis dans un second temps et respectant la logique
de l’entonnoir, nous avons affiné le questionnement vers la connaissance relative des produits bio
et aux représentations mentales qu’ils pouvaient avoir concernant l’objet étudié afin d’apprécier
un éventuel lien entre la difficulté à percevoir l’apport des produits issus principalement de
l’agriculture biologique, végétaux ou minéraux, et les produits dits classiques. Dans une 3ième étape,
nous nous sommes proposées de dresser les cartes hiérarchiques traçant la transversalité des liens
entre attitudes, conséquences et valeurs de Pierre Valette-Florence.
Nous avons veillé à allonger la durée des entretiens (de 30 à 40 minutes) afin de générer un
nombre de chaînes suffisamment exploitables pour comprendre le processus cognitif relatif au
comportement d’achat des produits bio. Les discours des répondants ont été retranscrits et analysés
selon le principe de déduction afin d’obtenir progressivement une échelle allant vers des éléments
de plus en plus abstraits et généraux.
L’entretien semi directif en profondeur nous a permis de dégager les éléments importants du
comportement d’achat à l’égard de cette catégorie de produits. A côté du déroulement habituel des
entretiens, nous avons dépassé l’écueil de la pauvreté des réponses élémentaires par la relance
des répondants à chaque fois qu’ils butent, tout en leur donnant une certaine liberté d’évocation
qui peut aller au-delà d’une structure linéaire de chaînage cognitif (Grunert et Grunert, 1995). En

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effet, cette méthode est adaptée à la découverte d’une représentation plus détaillée et largement non
sollicitée des perceptions et croyances des individus (Russel et alliii 2004).
a. Analyse des résultats : A travers les guides d’entretien, nous avons tenté de tracer des
cartes à différents niveaux hiérarchiques, pour comprendre d’une part les motivations et freins
relatifs à la consommation des produits bio dans les enseignes de la grande distribution et d’autre
part les pratiques des distributeurs dans la commercialisation de cette catégorie de produits.
Les chaînes mineures, intermédiaires et majeures générées dans les cartes qui suivent, reflètent
l’intensité de l’importance des attributs, des conséquences et des valeurs exprimées par chacun des
répondants (A1 ; A2).
L’analyse des résultats nous a permis de confronter les comportements des offreurs et des
demandeurs du marché des produits bio. Notre finalité, étant de proposer des recommandations
quant à la stratégie commerciale appropriée au segment cible.

♦Présentation de la carte hiérarchique des motivations relatives à l’achat des
produits bio auprès des enseignes de la grande distribution
La carte (Figure1) présentée au niveau agrégé donne une vision d’ensemble des motivations
d’achat des produits bio auprès de la grande distribution.
Les répondants, en recherchant les attributs « origine, composition et contrôle labellisé des
produits  », visent des valeurs fondamentales de bien être et de bonne santé à travers ce qu’ils
consomment. En effet, plus ils retrouvent ces attributs dans les produits achetés, et plus leur
motivation d’achat augmente et leur confiance en ce qu’ils achètent devient plus importante. Si
nous affinons les relations hiérarchiques dans un but de segmentation d’un profil type plus précis de
consommateur, nous constatons que les attributs « Contrôle labellisé et Composition du produit »
cités, ont pour conséquences tracées à travers des liens intermédiaires, une plus grande confiance
à l’égard des produits et une perception de produit d’une qualité supérieure. De même que pour la
recherche d’un large choix de produits distinctifs et l’importance de la fréquence d’achat affectant
les valeurs ultimes recherchées par le consommateur (Figure1).
Cette typologie de consommateurs est commandée par une volonté forte d’une consommation
dite « consciente » pour le respect de l’environnement s’inscrivant dans une logique de
développement durable.

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Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour les Enseignes de la Grande Distribution

Figure 1 : Carte hiérarchique des motivations relatives à l’achat des produits bio auprès
des enseignes de la grande distribution

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Ainsi, on constate que les motivations des consommateurs à adopter les produits bio sont
plurielles et peuvent même être de nature divergente, voire parfois contradictoire. L’étude a identifié
deux catégories majeures de motivations intrinsèques à agir en faveur de l’environnement :
- Les motivations rationnelles, qui se traduisent par une logique essentiellement matérielle :
Exemple : utiliser des produits alimentaires, contrôlés et sans additifs chimiques, et non alimentaires
«meilleurs» pour la santé, encourager la fabrication locale des produits bio, prendre soin de sa
ligne, etc.
- Les motivations émotionnelles, qui incitent les consommateurs à chercher une cohérence
entre l’offre et leur comportement, à soulager une culpabilité et à présenter à la société une image
de citoyen responsable. En renforçant leur estime d’eux-mêmes par ces actions «citoyennes», les
consommateurs en tirent ainsi des bénéfices de valorisation personnelle auprès de leur entourage et
affirment leur place au sein de la société.
On constate que pour la majorité des participants de l’étude, les motivations rationnelles
prennent le dessus sur les motivations émotionnelles, ce qui se traduit majoritairement par un frein
face aux comportements responsables au-delà des “actions basiques”, faciles et sans contraintes
particulières. On observe donc un décalage entre d’une part l’image que chacun cherche à se
donner, et d’autre part le comportement et l’implication réelle des personnes interrogées.
Présentation de la carte hiérarchique des freins relatifs à l’achat des produits

bio auprès des enseignes de la grande distribution
Après avoir procédé à l’analyse des motivations à l’achat des produits bio auprès des enseignes
de la grande distribution, nous avons interrogé les interviewés afin de les amener à s’exprimer sur
les barrières qui les freinent à adopter cette catégorie de produits.
Le constat frappant des interrogés est que nous avons relevé que les prix des produits bio sont
jugés chers par rapport aux produits classiques, surtout pour les produits alimentaires (produits les
plus fréquemment demandés). En effet, une grande part des interviewés sont freinés par le niveau
élevé des prix, même s’ils sont orientés « consommation responsable ».
Ils proposent que les distributeurs acceptent de commercialiser ces produits avec des marges
plus faibles que celles pratiquées sur les produits classiques pour que les prix des produits bio
correspondent mieux à leur pouvoir d’achat. Par contre, si les lieux d’achat sont les magasins
spécialisés, le consommateur accepte de payer un surplus de prix s’il trouve que ses attentes ont
été bien respectées.
C’est pourquoi, les répondants émettent une forte réticence vis-à-vis de ces produits. En effet,
cette réticence spontanée, traduite par une faible fréquence d’achat (Figure 2) ne peut que conforter
leur regard critique à l’égard de cette catégorie de produits. Ce regard critique est alimenté par
l’absence d’intérêt causé par le prix élevé des produits.
Par ailleurs, le manque de référencement des produits bio chez les distributeurs amène leur
manque fréquent en termes de disponibilité d’où un mauvais repérage dans les rayons des magasins
fréquentés et une absence totale de valorisation de ces produits. Cela nous permet de tirer une
conséquence légitime, est que les produits bio ne sont pas très présents dans les habitudes de
consommation du tunisien. D’où un double regard critique qui s’impose à l’esprit du consommateur,
c’est celui développé à l’égard des pratiques des distributeurs. En effet, le consommateur ne perçoit
pas une volonté réelle de la part des stratèges de la grande distribution d’instaurer cette nouvelle
orientation de consommation même pour une niche de clientèle très pointue.

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Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour les Enseignes de la Grande Distribution

Figure 2 : Carte hiérarchique des freins relatifs à l’achat des produits bio auprès des
enseignes de la grande distribution

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♦♦ Présentation de la carte hiérarchique relative à la commercialisation des


produits bio dans les enseignes de la grande distribution
Les responsables interrogés des divers magasins de la grande distribution (responsable
approvisionnement et /ou achat et directeurs de magasins) ont carrément déclaré qu’il n’y a pas de
stratégie claire pour cette ligne de produits (Figure 3) ; les produits sont exposés dans chaque rayon
spécifique avec les produits ordinaires de la même famille de produits ; et leur commercialisation
dépend en quelque sorte d’un nombre réduit de fournisseurs locaux et/ou étrangers avec qui ils sont
habitués de négocier la livraison de marchandises (Figure 3). Et pourtant, la demande existe, même
à un état embryonnaire, répondant à une tendance universelle recherchée par le consommateur
aujourd’hui.
Le manque de communication et de sensibilisation drainé par l’absence d’une stratégie
commerciale claire entraine un positionnement flou, perçu par le consommateur comme preuve
d’un engagement sociétal faible ne contribuant pas suffisamment à améliorer le bien-être général
de ses clients, mise à part les actions des enseignes dans la promotion de l’utilisation des sacs
recyclables. Et pourtant, la grande distribution notamment Monoprix ayant acquis une certaine
légitimité et crédibilité (depuis 22 ans) pour s’engager dans cette voie pourrait renforcer ses actions
de responsabilité sociale et d’engagement écologique. Ces variables sociétales représentent les
valeurs ultimes auxquelles aspire toute enseigne voulant se démarquer de la concurrence rude du
secteur.

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Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour les Enseignes de la Grande Distribution

Figure 3 : Carte hiérarchique relative aux pratiques des distributeurs des produits bio

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b. Recommandations : D’après les données collectées, nous avons constaté que la plus part
des interviewés engagés dans cette orientation comportementale vers les produits bio, sont des cadres
supérieurs appartenant à une tranche d’âge de 30/40 ans et habitant des quartiers « relativement
aisés » de Tunis la Capitale. Leur engagement s’explique par une conscience à l’égard de leur santé
et du respect de l’environnement. Pour eux, il est important d’être en harmonie avec eux-mêmes
soucieux d’un bien être individuel et collectif et adepte d’une consommation responsable.
Sur un plan « managérial », cette recherche a contribué à une meilleure définition des éléments
propres aux stratégies de positionnement et de communication par des critères de segmentation
utiles à une communication ciblée.
La nécessité d’un étiquetage sur les produits bio (à l’instar des écolabels) a été soulignée,
et s’accompagne de diverses attentes en matière de conseils, d’agencement clair et agréable et
de valorisation de l’offre. En effet, certains distributeurs préconisent la mise en place d’un
rayon spécialisé en produits bio, accompagné par un ensemble d’actions de communication
et de sensibilisation. Considérant que le marché des produits bio en Tunisie est un marché de
niche opportun dont la demande existe réellement, nous résumons les actions entrepreneuriales
proposées dans les points du plan d’action suivant :
 L’insertion du bio dans la stratégie commerciale des distributeurs ;
 La redynamisation des structures professionnelles ;
 L’adéquation de produit au marché en termes de prix ;
 Le développement du géo marketing pour une meilleure rentabilité et ce en tenant compte
de la variabilité de la demande en fonction des zones géographiques ;
 Le renforcement des actions de sensibilisation et de développement de l’offre locale ;
 Le développement des actions marketing visant la sensibilisation des consommateurs et la
promotion de l’offre des produits bio ;
 La valorisation d’un label spécifique aux produits bio.

IV. Conclusion et limites de l’étude


Privilégier les produits bio pour protéger sa santé, c’est une évidence pour de nombreux
consommateurs, même si tous ne sont pas prêts à faire l’effort financier nécessaire. Les distributeurs
sont tenus de mettre en exergue leur orientation sociétale, élément de compétitivité distinctif,
par un positionnement clair et des actions marketing, fortes de valorisation du rayon bio et de
sensibilisation des consommateurs, tout en traitant les objections liées à la nature des produits
bio. Ainsi, consommer bio, c’est aussi faire réapparaître des contraintes qui avaient disparu avec
l’incorporation de substances chimiques dans les produits conventionnels. Cependant, beaucoup
d’idées fausses et de confusion circulent sur les produits bio. Ainsi, certains produits sont
soupçonnés d’être moins efficaces que les produits classiques, citons à titre d’exemple; les aliments
bio se conservent moins facilement et moins longtemps que ceux bourrés de conservateurs, les
produits bio sont confondus avec les produits verts, responsables, écologiques ou naturels.
Par ailleurs, cette recherche présente certaines limites liées  principalement au fait que l’étude
soit limitée au seul domaine de la grande distribution ; une étude auprès des magasins spécialisés
serait préconisée pour enrichir nos résultats. En outres, une étude quantitative pourrait également
appuyer les résultats obtenus.

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Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour les Enseignes de la Grande Distribution

A 1/ Fréquence des Attributs, des Conséquences et des Valeurs chez les consommateurs
des produits bio
Fréquences Fréquences
ATTRIBUTS
absolues relatives

- Origine des produits 12 30%


- Produits contrôlés 20 50%
- Composition des produits (absence des composantes 20 50%
chimiques, produit naturel)
- mise en valeur du produit dans le rayon 18 45%

- Prix élevés 33 82.5%


- Origine des produits 3 7%
- Référencement chez le distributeur 14 35%

CONSEQUENCES

- Fréquence d’achat 20 50%


- Choix des produits distinctifs (estime) 20 50%
- Confiance à l’égard du produit 25 62.5%
- Produit de qualité supérieure 20 50%

- Manque de disponibilité des produits 15 37.5%


- Absence d’intérêt 15 37.5%
- Mauvais repérage des produits 15 37.5%
- Problème d’identification des produits 17 42.5%
- Absence d’habitudes de consommation des produits bio 25 62.5%

VALEURS

- Bien être 9 22.5%


- Bonne santé 25 62.5%
- Consommation consciente à l’égard de l’environnement 7 17.5%

- Regard critique à l’égard des pratiques des distributeurs 25 62.5%


- Regard critique à l’égard des produits bio 15 37.5%

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A2 / Fréquence des Attributs, des Conséquences et des Valeurs chez les distributeurs des
produits bio

Fréquences Fréquences
ATTRIBUTS
absolues relatives

- Absence de stratégie claire pour cette ligne de produits 7 70%


- Origine du fournisseur 5 50%
- Référencement du produit 7 70%
- Agencement du magasin 5 50%

CONSEQUENCES

- Manque de communication 7 70%


- Faible fréquence d’achat 6 60%
- Dépendance des fournisseurs 2 20%
- Disponibilité 4 40%
- Repérage et visibilité des produits 6 60%
- Positionnement flou 5 50%
- Manque de sensibilisation des clients 5 50%
- Différenciation 4 40%
- Manque de Valorisation 7 70%

VALEURS
- Responsabilité sociétale 7 70%

Bibliographie
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tunisien », Bouhouth Jamiyya (Recherches universitaires), Revue de la Faculté des Lettres et
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• Alexandre, Lapeyre, Annie Bonnefont, « Evocations du développement durable par les
consommateurs : étude exploratoire par la méthode projective des collages » Centre de
Recherche en Gestion/ Université es Sciences Sociales de Toulouse 1-IAE.
• Basma Ben Alaya, Rym Kamoun et Kaouther Ghozzi. (2012) « Perception du Consommateur
Face aux Pratiques Ethiques d’une Enseigne de la grande distribution installée sur le Marché
Tunisien », Revue Marocaine de Recherche en Management et Marketing REMAREM n° 6-7.
• Christophe Sempels et Marc Vandercammen.(2009), Oser le marketing durable, Éditions
Pearson.
• Claude Hugonnet. (2013), Les nouvelles tendances de consommation.
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Le marché des produits bio en Tunisie: Mythe ou Réalité pour les Enseignes de la Grande Distribution

• Elizabeth Pastore-Reiss. (2012), Les 7 clefs du marketing durable, Éditions Eyrolles.


• Etude de positionnement stratégique de l’agro alimentaire biologique en Tunisie (2012), Extrait
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• Florence de Ferran. (Avril 2006)  « Comparaison des trois techniques de collecte des chainages
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équitable » Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’ Aix Marseille III ; Université
Paul Sésanne-IAE ; Centre d’études et de recherche sur les organisations et la gestion, W.P
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• Florence de Ferran. « Le commerce équitable en question, Étude originale Les motivations
des acheteurs de  produits issus du  commerce équitable : des  tendances différentes
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• Franck Stassi. (2012), La grande distribution surfe sur la cherté des produits bio.
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• Karine Viel.(2011), Le Guide pratique du marketing durable, Editions du Comité 2.
• L’alimentaire bio face à la grande distribution, (Juillet 2013).
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• La grande distribution en Tunisie : un secteur primordial profitant de l’occidentalisation accrue
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• La grande distribution fait main basse sur le bio ; Distribution (2010).
• Le bio : un atout marketing convoité ; Entreprises, Pratiques commerciales, Marketing
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• Leila Hanana et Fethi Akrout (2013) ; « Proposition d‘une échelle de mesure du comportement
de consommation responsable (CCR) à partir du comportement d’achat responsable (CAR)
et du comportement d’usage responsable (CUR) » Faculté des Sciences économiques et de
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• Les biens faits des produits bio, (2013) La presse Economie Novembre.
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• Loïc Menvielle, William Menvielle DBA, Nadine Tournois, « Vers une compréhension du
comportement d’achat de forfaits médicaux à l’étranger : une approche exploratoire par la
méthode du soft-laddering auprès de consommateurs français et québécois ».
• Nadia Ben Tamansourt. (2009) ; « Tunisie : L’agriculture bio, axe du futur »; African Manager.
• Sara Bourhaleb, les enjeux du marketing responsable, Newage-manager.overblog.com

Revue Marocaine de Recherche en Management et Marketing N°9-10, Janvier-Décembre 2014 207

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