Vous êtes sur la page 1sur 50

Réviser son bac

HORS-série
avec

PHILOSOPHIE
e SÉRIES L, ES, S
g ra mm
Pro minale
er l’essentiel du cours
de T
• Des fiches synthétiques
• Les points clés
du programme
• Les définitions clés
• Les repères importants

DES sujets de bac


• 2 0 dissertations
commentées
• L’analyse des sujets
• Les problématiques
• Les plans détaillés
• Les pièges à éviter

DES ARTICLES DU MONDE


• Des
 articles du Monde
en texte intégral
• Un accompagnement
pédagogique de chaque
article

3:HIKPMH=YU\^U]:?a@k@k@b@f;
Hors-série Le Monde, avril 2012 un guide pratique
M 05274 - 1 H - F: 7,90 E - RD
• L a méthodologie
des épreuves
• Astuces et conseils

En partenariat avec
Réviser son bac
avec

Philosophie Terminale, séries L, ES, S

Une réalisation de

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
Avec la collaboration de :
Stéphane Ernet
Sybil Gerault
Pierre Leveau

En partenariat avec
sommaire
Comment optimiser vos révisions et être sûr(e) de maîtriser
en profondeur les thèmes et les enjeux du programme de philosophie ?
Le jour du bac, comment rendre une copie qui saura faire toute la différence
et vous assurer la meilleure note possible ?

Pour vous y aider, voici une collection totalement inédite !


Elle est la première et la seule à vous proposer – en plus des révisions Le sujet p. 5
traditionnelles – d’étoffer vos connaissances grâce aux articles du Monde. chapitre 01 – La conscience, l’inconscient p. 6
Mises en perspective des grandes questions de l’humanité, pistes de réflexion, liens avec chapitre 02 – La perception p. 10
les autres disciplines, idées clés : chaque article est une mine d’informations à exploiter chapitre 03 – Autrui p. 14
pour enrichir vos dissertations et commentaires. chapitre 04 – Le désir p. 18
Très accessibles, ils sont signés, entre autres, par des médecins,
sociologues, économistes (Paul Benkimoun, Georges Balandier,
chapitre 05 – L’existence et le temps p. 22
Christian Laval – entretien –, Philippe Simonnot),
des philosophes (Pierre Dardot, André Comte-Sponville, Alain Badiou,
La culture p. 27
Slavoj Zizek – entretiens –, Michel Onfray), etc.
Inspirée de la presse, la mise en pages met en valeur chapitre 06 – Le langage p. 28
l’information et facilite la mémorisation des points importants. chapitre 07 – L’art p. 32
Sélectionnés pour leur pertinence par rapport à un thème précis chapitre 08 – Le travail p. 36
du programme, les articles sont accompagnés : chapitre 09 – La technique p. 40
• de fiches de cours claires et synthétiques, assorties des mots clés et repères essentiels à retenir ; chapitre 10 – La religion p. 44
• de sujets de bac analysés et commentés pas à pas
chapitre 11 – L’histoire p. 48

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
pour une meilleure compréhension.

Sans oublier la méthodologie des épreuves et les conseils pour s’y préparer.
La raison et le réel p. 51
chapitre 12 – Théorie et expérience p. 52
En partenariat avec chapitre 13 – La démonstration p. 56
chapitre 14 – Le vivant p. 60
chapitre 15 – La matière et l’esprit p. 64
Complétez vos révisions du bac sur www.assistancescolaire.com : chapitre 16 – La vérité p. 68
méthodologie, fiches, exercices, sujets d'annales corrigés... des outils gratuits et efficaces
pour préparer l'examen.
La politique, la morale p. 73
chapitre 17 – La société et les échanges p. 74
chapitre 18 – La justice et le droit p. 78
Édité par la Société éditrice du Monde chapitre 19 – L’État p. 82
80, boulevard Auguste Blanqui – 75013 Paris
Tél : +(33) 01 57 28 20 00 – Fax : + (33) 01 57 28 21 21 –
chapitre 20 – La liberté p. 86
Internet : www.lemonde.fr
Président du Directoire, Directeur de la publication : Louis Dreyfus.
Directeur de la Rédaction : Erik Izraelewicz – Editeur : Michel Sfeir le guide Pratique p. 91
Imprimé par Grafica Veneta en Italie
Commission paritaire des journaux et publications : n°0712C81975
Dépôt légal : avril 2012.
Achevé d'imprimer : avril 2012

Numéro hors-série réalisé par Le Monde


© Le Monde – rue des écoles, 2012
le sujet

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS MOTS CLÉS


conscience
Étymologiquement, le mot
conscience signifie «  savoir en-
semble  », «  savoir rassemblé  »
La conscience, l’inconscient inconscient
Il se produit en nous des phé-
nomènes psychiques dont nous
n’avons pas conscience, mais

L
(cum scientia). Au sens général, la qui déterminent certains de nos
conscience est le savoir intérieur ’homme, dans la mesure où il est conscient, c’est-à-dire Comment concevoir la un réseau de significations : je ne peux percevoir actes conscients. Ainsi, nous pen-
immédiat que l’homme possède capable de se prendre lui-même pour objet de pensée, conscience ? que ce qui pour moi a un sens. sons nous connaître, mais nous
de ses propres pensées, sentiments Que je sois certain que j’existe ne me dit pas ignorons pourquoi nous avons
et actes. Elle est un certain rapport n’est plus simplement dans le monde comme une chose encore qui je suis. Descartes répond que je Le rôle de la conscience de l’attrait ou de la répulsion à
de soi à soi, ou une présence à soi ou un simple être vivant, mais il est au contraire devant le suis «  une substance pensante  » absolument dans la perception l’égard de certains objets. Cela
de son esprit ou de son âme. C’est
une faculté qui permet à la fois de
monde  : la conscience, c’est la distance qui existe entre moi distincte du corps. Pourtant, en faisant ainsi de
la conscience une «  chose  » existant indépen-
Lorsque je perçois quelque chose, je le vise en fait
sous la forme d’un « comme » : je me rapporte à
peut être la part inconsciente de
notre personnalité qui entre en
saisir ce qui se passe en nous et et moi-même et entre moi et le monde. damment du corps et repliée sur elle-même, l’objet en visant son utilité vis-à-vis de moi. C’est jeu. Selon Freud, toute névrose
hors de nous. La conscience donne Descartes ne manque-t-il pas la nature même de en ce sens qu’il n’y a pas de perception sans provient d’une rupture d’équilibre
ainsi lieu à plusieurs catégories de Cependant, avoir conscience la conscience, comme ouverture sur le monde signification. entre le surmoi, le ça et le moi, qui
connaissances. de soi, ce n’est pas lire en soi et sur soi ? se manifeste par un sentiment
comme dans un livre ouvert; Surtout, la conscience constitue la perception : d’angoisse :
conscience du monde savoir que j’existe, ce n’est pas C’est ce que Husserl essaie de montrer  : par exemple, je ne verrai jamais d’un seul – le « ça » est totalement incons-
«  La conscience est un être pour encore connaître qui je suis. Da- loin d’être une chose ou une substance, la regard les six faces d’un cube. Il faut donc que cient  ; il correspond à la part
lequel il est dans son être ques- vantage même, c’est parce que conscience est une activité de projection vers ma conscience fasse la synthèse des différents pulsionnelle (libido et pulsion de
tion de son être en tant que cet je suis un être de conscience les choses. Elle est toujours au-delà d’elle- moments perceptifs (le cube de devant, de mort) ;
être implique un autre être que que je peux me tromper sur ma même, qu’elle se projette vers le monde, vers côté et de derrière) pour construire ma re- – le « moi » est conscient ; la part
lui  » affirme Sartre, dans L’Être condition, m’illusionner et me ses souvenirs vers ou l’avenir, à chaque fois présentation du cube. Toute perception est inconsciente est chargée de se
et le néant. Je ne peux pas avoir méconnaître  :  un animal dénué dans une relation – ou visée – que Husserl une construction qui suppose une activité de défendre contre toutes les pul-
conscience d’un objet ou d’une de conscience ne saurait se men- nomme « intentionnelle ». la conscience : c’est ce que Husserl nomme la sions du « ça » et les exigences du

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
idée sans avoir conscience de cette tir à soi-même. synthèse temporelle passive : passive, parce « surmoi » ;
idée. Les objets du monde existent que ma conscience opère cette synthèse sans – le « surmoi » désigne l’instance
pour ma conscience dans la me- La conscience L’intentionnalité de la conscience que je m’en rende compte, et temporelle, parce psychique inconsciente, expri-
sure où elle-même existe pour elle. que j’ai d’exister Que la conscience ne soit pas une substance mais qu’elle synthétise différents « moments » per- mant la puissance des interdits
Cependant toute conscience n’est peut-elle être une relation, cela signifie que c’est par l’activité ceptifs qui se succèdent. intériorisés (interdit parental, in-
pas absolue, mais est en relation remise en doute ? de la conscience que le monde m’est présent. terdits sociaux) qui sont à l’origine
avec le monde : elle est médiation. Je peux me tromper dans la Husserl tente, tout au long de son œuvre, de Suis-je totalement transparent du refoulement et du sentiment de
C’est là le sens de l’intentionnalité connaissance que je crois avoir dégager les structures fondamentales de cette à moi-même ? culpabilité. Le « surmoi » est celui
chez Husserl. La conscience de de moi (celui qui croyait être cou- relation, à commencer par la perception. Il La conscience n’est pas pure transparence qui interdit ou autorise les actes
soi implique une dualité  : c’est rageux peut s’avérer n’être qu’un montre ainsi que celle-ci est toujours prise dans à soi  : le sens véritable des motifs qui me du « moi ».
la conscience de soi avec celle de lâche, par exemple), mais la pure poussent à agir m’échappe souvent. C’est ce Je ne suis donc pas «  maître
quelque chose d’autre. conscience d’être, elle, est néces- que Freud affirme en posant l’existence d’un dans ma propre maison  », et le
sairement vraie. Ainsi, Descartes, inconscient qui me détermine à mon insu. Le conflit entre ces trois instances
conscience morale au terme de la démarche du doute sujet se trouve ainsi dépossédé de sa souve- psychiques se manifeste par la
La conscience morale est la capa- méthodique, découvre le caractère raineté et la conscience de soi ne peut plus névrose. La cure psychanalytique
cité qu’a l’homme de pouvoir juger absolument certain de l’existence être prise comme le modèle de toute vérité. consiste à retrouver un équilibre
ses propres actions en bien comme du sujet : « je pense, donc je suis ». L'inconscient n'est pas le non conscient : vivable entres les contraintes so-
en mal. Même si celle-ci est sus- Cette certitude demeure, et rien ne mes souvenirs ne sont pas tous actuellement ciales et nos désirs.
ceptible de nous faire éprouver peut la remettre en cause. présents à ma conscience, mais ils sont dis-
du remords ou de la «  mauvaise Descartes fait alors du phénomène ponibles (c'est le préconscient). L'inconscient intentionnalité
conscience  », elle fait pourtant de la conscience de soi le fondement forme un système indépendant qui ne peut Du latin intentio, «  action de
notre dignité. inébranlable de la vérité, sur lequel pas devenir conscient sur une simple injonc- tendre vers », ce terme est utilisé
La conception kantienne de la mo- La conscience fait-elle la toute connaissance doit prendre modèle pour s’édifier. tion du sujet parce qu'il a été refoulé. C'est en phénoménologie par Husserl
rale pose la question du devoir  : grandeur ou la misère de l’homme ? une force psychique active, pulsionnelle, pour désigner l’acte par lequel la
« Que dois-je faire? ». Kant énonce Pascal répond qu’elle fait à la fois l’une et l’autre. résultat d'un conflit intérieur entre des désirs conscience se rapporte à l’objet
le principe de l’impératif catégo- Parce qu’elle rend l’homme responsable de ses actes, qui cherchent à se satisfaire et une personna- qu’elle vise.
rique qui se présenterait tel une loi la conscience définit l’essence de l’homme et en fait deux articles du Monde à consulter lité qui leur oppose une résistance. En affirmant que «  la conscience
universelle d’actions, guidée par sa dignité. J’ai conscience de ce que je fais et peux en est toujours conscience de quelque
• L’inconscient freudien au crible
des impératifs moraux. C’est ce qui répondre devant le tribunal de ma conscience et celui des neurosciences p.9 L'inconscient ne pourra s'exprimer qu'in- chose », Husserl, contre Descartes,
détermine sa formule : « Agis de des hommes : seul l’homme a accès à la dimension (Paul Benkimoun, 24 novembre 2006) directement dans les rêves, les lapsus et les montre que loin d’être une « subs-
façon telle que tu traites l’huma- de la spiritualité et de la moralité. • La plasticité du cerveau compense symptômes névrotiques. Seule l'intervention tance pensante  » autarcique, la
nité aussi bien dans ta personne Pourtant, parce que la conscience l’arrache à l’in- l'ouïe par la vue p.9 d'un tiers, le psychanalyste, peut me délivrer conscience est toujours visée in-
que dans toute autre, toujours en nocence du monde, l’homme connaît aussi par elle (C. V., 16 octobre 2010) de ce conflit entre moi et moi-même, conflit tentionnelle d’un objet, tension
même temps comme fin et jamais sa misère, sa disproportion à l’égard de l’univers et, que Freud suppose en tout homme. vers ce qu’elle n’est pas, et que c’est
comme moyen ». surtout, le fait qu’il devra mourir. Sigmund Freud (1856-1939). là son essence.

6 Le sujet Le sujet 7
Un sujet pas à pas Les articles du

REPÈRES Dissertation : La conscience L’inconscient freudien au crible des neurosciences


Bonheur et conscience
Comment fonctionne notre cerveau ? Quelle est la part du conscient et celle de l’incons-
Selon Pascal, la conscience de
notre condition est une faculté
proprement humaine mais qui
peut-elle être un fardeau ? cient ? Neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et normalien, Lionel Nac-
n’en demeure pas moins misé- cache se penche sur cette question intrigante depuis plusieurs années, notamment en
rable. En plus de notre conscience l’homme de la grandeur ou nuit-il au contraire à son collaboration avec Stanislas Dehaene.
de la mort s’ajoute celle de notre bonheur et à sa liberté ?

A
petitesse par rapport à l’infinité rmé des savoirs nés du « mé- cache met en évidence l’existence région cérébrale dont l’activité serait cientes postulées par Freud sont en
de ce qui existe. Face à l’espace et Le plan détaillé du développement nage à trois » que forment d’une perception et d’une motricité exclusivement et nécessairement absolue contradiction avec ce que
au temps, l’homme n’est qu’un I. La conscience est la marque de la grandeur humaine. la psychologie cognitive, «  hors conscience  ». Il en ressort réservée aux pensées conscientes ». nous connaissons aujourd’hui du
point infime dans l’immensité. a) La disposition de la conscience nous donne le statut l’imagerie cérébrale et la neuropsy- que notre cerveau fonctionne de Enfin, inconscient et conscient ne fonctionnement mental et de sa
Citation : « Il veut être grand, il se de sujet lucide et responsable de nos actes. chologie clinique, il dévoile pas à manière beaucoup plus subtile sont pas deux mondes qui s’igno- physiologie ».
voit petit  ; il veut être heureux, b) Ce sont les exigences du corps qui peuvent davan- pas ce que les neurosciences nous que ne le supposaient les théories rent. L’inconscient est «  souple et Freud a, selon Lionel Naccache,
il se voit misérable  ; il veut être tage être vécues comme un fardeau : maladies, travail, apprennent sur l’inconscient. Cela attribuant une aire unique à cha- sensible aux modifications dyna- doté l’inconscient des attributs qui
parfait, il se voit plein d’imper- douleurs ; nous souffrons de vieillir trop vite. accompli, il confronte cette vision à cune des fonctions (vision, audition, miques de la conscience du sujet ». sont « le propre de la conscience ».
fections » (Pensées,) c) Les manifestations du corps et ses désirs, relayés celle de l’inconscient tel que Freud langage...). Cet « inconscient cognitif » corres- L’inconscient freudien ne serait que
par l’inconscient, peuvent alourdir et perturber la l’a défini afin de mettre au jour les Autrement dit, loin d’être l’« idiot de pond-il à celui décrit par Freud  ? «  la conscience du sujet qui inter-
Morale et conscience conscience (psychanalyse). convergences et divergences entre la famille  », l’inconscient regroupe Certes, « plusieurs idées importantes prète sa propre vie mentale incons-
Selon Rousseau, le sujet juge de la Transition  : Ne serait-il pas préférable de n’avoir ces deux approches. des contenus riches et divers. Il semblent communes à ces deux dé- ciente à la lumière de ses croyances
valeur de ses propres intentions aucune conscience des limites de notre condition ? À partir du récit détaillé – peut- n’existe pas un lieu qui lui soit dédié, marches théoriques » : « La richesse conscientes ».
et de ses actes. C’est donc par la être trop, trouveront les lecteurs mais il repose au contraire sur une de l’inconscient, le statut originaire- S’il rejette donc l’édifice théorique de
conscience morale, principe inné II. La conscience peut être malheureuse. profanes – d’expériences avec des multiplicité de substrats cérébraux. ment inconscient de toute représen- Freud, Lionel Naccache n’en rejette
de justice et de vertu, que l’homme a) En tant qu’individu, la conscience de nos défauts patients au cerveau lésé, Lionel Nac- De même qu’«  il n’existe aucune tation mentale, le rôle de l’attention pas pour autant la psychanalyse
peut s’élever au-dessus des bêtes et psychologiques est douloureuse. dans la prise de conscience et enfin comme « procédé thérapeutique ».
se rendre « semblable à Dieu ». La b)  En tant qu’être humain, la conscience de notre la division de l’espace inconscient Sans dogmatisme et en se démar-

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
morale rousseauiste est une morale condition ne peut susciter que l’incompréhension pourquoi repérable ? Cet article fait le point en plusieurs catégories qualitative- quant de critiques traditionnelles
du sentiment et du cœur, opposée et l’angoisse (Cf. Pascal). cet article ? sur les travaux du neurologue ment distinctes ». de l’œuvre de Freud, Lionel Nac-
à tout intellectualisme. L’amour c) En tant que citoyen, la conscience des injustices et Lionel Naccache qui remettent Au terme de son inventaire, l’auteur cache réussit le tour de force de
humain de la vertu est un signe des déterminismes divers pesant sur nous n’incite Les processus à l’œuvre dans la en cause certains aspects des théo- avoue pourtant sa «  déception  ». nous éclairer et de questionner un
irrécusable du divin en l’homme. pas au bonheur. constitution de la conscience que ries freudiennes de la conscience Pour Lionel Naccache, grand lecteur domaine, celui de notre psychisme,
« La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît
Citation : « Conscience! Conscience! Transition  : Mais prendre conscience des détermi- nous avons de nous-mêmes et des et de l’inconscient. Science et de Freud, « le cœur de la psychana- sur lequel nous n’avons pas fini de
misérable ; un arbre ne se connaît pas misérable. » (Pascal,
Instinct divin, immortelle et céleste Pensées). nismes n’est-il pas un moyen de s’en libérer ? autres sont-ils reconnaissables philosophe se rejoignent ici pour lyse freudienne de l’inconscient, nous interroger.
voix […] juge infaillible du bien et du dans l’activité même de notre alimenter la réflexion sur la na- c’est-à-dire le concept de refoule-
mal qui rend l’homme semblable à « Pour un être conscient, cerveau  ? L’inconscient y est-il ture de la conscience humaine. ment, et certaines propriétés des Paul Benkimoun
Dieu, c’est toi qui fais l’excellence L’analyse du sujet exister consiste à changer. » représentations mentales incons- (24 novembre 2006)
de sa nature et la moralité de ses I. Les termes du sujet Bergson
actions » (Émile ou de l’éducation).– • Conscience :
– sens psychologique  : faculté de se représenter sa III. La prise de conscience est libératrice.
Choix et conscience
Selon Bergson, conscience si-
gnifie choix. Il montre dans son
propre existence.
– sens moral : faculté de juger, ou de se représenter la
valeur morale de ses actes.
a) Sans conscience, le bonheur et la liberté ne seraient
ni vécus, ni ressentis vraiment.
b) En matière morale, la conscience donne un idéal à
La plasticité du cerveau compense l’ouïe par la vue
P
œuvre que toute conscience est • Fardeau : respecter, mais que l’on ne peut jamais parfaitement arce qu’ils peuvent, comme des chats sourds, les chercheurs ont dans leur organisation, de celles vouées à la vision sont dédiées chez
liée à l’action. Mes actes sollici- – idée d’absence de liberté, d’entrave. atteindre. les humains, être sourds de observé que ces derniers perdaient des humains, cette découverte les aveugles de naissance à d’autres
tent ma conscience et je mobilise – idée d’efforts, de douleur. c) La conscience nous donne un projet d’existence, naissance, les chats viennent leur avantage visuel, alors que le pourrait avoir des conséquences tâches, telle la lecture braille ou la
des éléments en moi (par exemple • Peut-elle : toujours susceptible de changer (Cf. Sartre). de contribuer, de façon spectaculaire, même traitement ne modifie en thérapeutiques. Découvrir com- localisation auditive.
des souvenirs) pour déterminer – idée de possibilité, de choix. à démontrer les capacités d’adap- rien les aptitudes visuelles des chats ment le cerveau d’une personne
mon action dans le présent. Ma – idée de légitimité. Conclusion tation du cerveau. Des chercheurs à l’ouïe normale. sourde depuis la naissance diffère C. V.
conscience rassemble et organise La conscience peut être vécue comme un fardeau, de l’université d’Ontario-Occidental La fonction de ces zones cérébrales de celui d’une personne enten- (16 octobre 2010)
mon expérience passée pour me II. Les points du programme mais c’est également le fait d’être conscients de nos (Canada), qui ont publié leurs tra- initialement destinées à localiser dante permettrait par exemple de
préparer au futur et résoudre les • La conscience. propres limites qui nous en libère. vaux, mardi 12 octobre, dans l’édition les sons a donc été modifiée chez mieux comprendre comment il
problèmes qui peuvent surgir • L’existence et le temps. en ligne de Nature Neuroscience, les chats sourds de naissance, afin réagit face à un implant cochléaire pourquoi
devant moi. • La morale. ont comparé la capacité visuelle de de leur donner une meilleure per- (prothèse auditive interne). cet article ?
• Le bonheur. Ce qu’il ne faut pas faire trois chats, sourds de naissance, et de ception des mouvements se pro- Ces travaux constituent, par
« La conscience est • La liberté. Oublier la dimension positive de la conscience. trois chats entendant normalement. duisant à la limite de leur champ de ailleurs, un nouvel exemple de la Comme nous le montre cet
un pont jeté entre Leurs expériences ont montré que vision. « Le cerveau est très efficace formidable plasticité du cerveau, article, le cerveau recèle encore
le passé et l’avenir » La problématique Les bons outils les premiers avaient une meilleure et ne laisse pas d’espace inutilisé », qui lui permet de réorganiser ses de nombreux secrets, ouvrant
La conscience que nous possédons peut-elle être • Pascal, Pensées. vision périphérique que les seconds. commente Stephen Lomber, princi- réseaux neuronaux en fonction de nouveaux champs de
(Bergson, considérée comme une charge nous empêchant de • Sartre, La Nausée. Comment le cerveau parvient-il à ce pal signataire de ces travaux. des expériences vécues. L’imagerie réflexion sur la conscience et
L’Évolution créatrice). jouir pleinement de l’existence ? • Descartes, Méditations métaphysiques. résultat ? En désactivant temporaire- Les aires sensorielles du cortex cérébrale avait déjà permis d’ob- la perception.
Se rendre compte de ses propres défauts confère-t-il à • Saint Augustin, Confessions. ment deux régions du cortex auditif des chats étant assez proches, server que des aires normalement

8 Le sujet Le sujet 9
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS
La perception MOTS CLÉS
senties par les sens, ni un pur
fragment d’étendue conçu par
analyse la raison. Il faudrait cesser de sensible
Type de raisonnement qui consiste confondre la perception avec Sensible s’oppose à intelli-
à décomposer une réalité en ses autre chose qu’elle (sensation gible. Il est ce qui peut être
différents éléments. ou intellection) et lui restituer perçu par les sens.

J
sa spécificité.
empirisme sensualisme
Du grec empeiria « expérience ». ’ai la sensation d’une couleur ou d’une odeur, mais je perçois Comment Le sensualisme est une doc-
Doctrine professée en particulier toujours un objet doté de qualités sensibles (une table rouge peut-on sortir trine qui veut ramener toutes
par Locke et Hume, selon laquelle
et sentant la cire). Alors, si je ne perçois pas simplement du de l’alternative ? nos connaissances aux sen-
toutes nos idées et connaissances C’est Husserl qui nous donne sations. L’épicurisme, par
sont dérivées de l’expérience sen- rouge, mais une chose rouge, cela signifie que, quand je perçois, la solution : dans la perception, exemple, est un sensualisme.
sible. Les empiristes refusent de
cette manière les idées innées
j’identifie des objets (l’objet table, ayant telles ou telles qualités la chose ne se donne ni morce-
lée dans une diversité de qua-
Cela n’implique pas qu’il suf-
fit de sentir pour connaître,
de Descartes. La raison, selon sensibles) et que j’opère la synthèse des sensations provenant lités sensibles, ni comme une mais seulement que, sans sen-
les empiristes, est elle-même de mes différents sens. La question est alors de savoir d’une totalité parfaitement claire et sation, aucune connaissance
issue de l’expérience, aussi bien transparente pour la raison ne serait possible.
extérieure (perception sensible), part comment s’opère cette synthèse, et d’autre part comment qui conçoit. Elle se donne « par
qu’intérieure (réflexion), et en je reconnais tel ou tel objet. esquisses  ». En effet, je peux synthèse
dépend d’autant plus qu’elle faire le tour de cette table que Du grec sun, « ensemble », et
permet (grâce aux signes) de j’ai sous les yeux  : j’ai sans tithémi, «  poser  ». Opération
rassembler les perceptions. Comment articuler perception cesse conscience de l’existence de l’esprit qui consiste à ras-
Kant s’opposera aux empiristes et sensation ? d’une seule et même table, sembler des éléments divers,
en affirmant l’existence de struc- On peut soutenir que ce sont les différentes sen- alors même que la percep- et à construire un ensemble
ture a priori de l’esprit et ainsi la sations qui vont s’additionner pour composer tion de cette table ne cesse à partir de ces principes. La
possibilité de connaissances non l’objet : la sensation du toucher de la table, de de varier. C’est l’essence de la synthèse s’oppose à l’analyse

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
empiriques. sa couleur et de sa forme, s’ajoutent les unes perception. qui est un mouvement de dé-
aux autres jusqu’à constituer la perception Chaque «  vécu  » de la table est composition.
essentiel de l’objet «  table  ». C’est la solution défendue celui de la même table : ce n’est Chez Descartes, la synthèse
Du latin esse, «  être  ». L’essence par les empiristes : la connaissance dérive de pas une représentation dans constitue après celle de l’évi-
d’une chose, c’est sa nature, ce l’expérience, entièrement faite d’une accu- l’esprit ni une simple apparence. dence et de l’analyse, la troi-
qui définit son être. On ne saurait mulation de sensations. Nous avons d’abord Au contraire, chaque vécu de la sième règle de sa méthode  :
ôter la qualité de la chose sans la des sensations, et ce sont elles qui composent table me la rend présente, mais «  conduire par ordre mes
détruire. Une qualité essentielle nos idées. d’un certain point de vue, sous pensées, en commençant par
s’oppose alors à une qualité acci- un certain aspect ; c’est ainsi dans les objets les plus simples et
dentelle, c’est-à-dire non consti- Mais comme ces sensations se présentent tou- un flux temporel d’esquisses les plus aisés à connaître, pour
tutive et non nécessaire à la chose. jours conjointement dans mon expérience que chaque objet apparaît à la monter peu à peu, comme
sensitive, je finis par prendre l’habitude de les René Descartes (1591-1650). conscience, et il ne peut en être par degrés, jusqu’à la connais-
étendue unir  : je désigne alors leur union par un seul autrement : je ne peux pas, par sance des plus composés  ».
L’étendue d’un corps, c’est la nom (je nomme « tulipe » l’union de certaines La perception est-elle définition, percevoir en même temps les six faces (Discours de la méthode)
portion d’espace que celui-ci odeurs, couleurs, et formes se présentant en- réductible à un acte de la raison ? d’un cube posé devant moi. Le propre de la chose
occupe dans le réel. C’est parce semble). Au sens strict, toute chose n’est alors Se pose ici une alternative  : ou bien on sou- perçue, c’est donc de ne jamais pouvoir se donner
que les corps sont dans l’espace qu’une collection de sensations, unies sous une tient avec les empiristes que la perception tout entière à la conscience : un objet entièrement
qu’ils sont étendus et qu’ils seule dénomination par une habitude. se confond avec la sensation, mais alors elle présent, est un idéal toujours visé mais jamais atteint.
occupent l’espace chacun de n’offrirait qu’un pur divers sans unité ni « Ce n’est pas
manière spécifique. La perception est-elle réductible Edmund Husserl (1859-1938), philosophe allemand,
signification propre  ; mais cela ne corres- OUTILS une propriété
à une somme de sensations ? fondateur de la méthode phénoménologique. pond en rien à notre expérience perceptive. • Descartes, Discours de la méthode  ; Méditations fortuite de la chose
évidence Peut-on cependant réduire ainsi l’objet à une Ou bien on soutient avec Descartes que la métaphysiques. ou un hasard de
C’est ce dont la vérité apparaît collection de qualités senties et la perception perception d’un objet se confond avec un acte • Locke, Essai sur l’entendement humain. notre constitution
immédiatement et ne peut être à une somme de sensations reçues ? Descartes Qu’est-ce donc alors qui me fait connaître ce de la raison : percevoir, c’est concevoir, ce qui • Merleau-Ponty, Phénoménologie humaine que
contesté, et qui s’impose comme montre que c’est impossible  : prenons un qu’est la cire, si ce ne sont pas mes sensations ? fait aussi problème. Comme le note en effet de la perception. notre perception
tel à la pensée. morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche ; Selon Descartes, c’est une « inspection de l’es- Merleau-Ponty, devant la raison, un carré est
ne puisse atteindre
il est dur, odorant, et possède une forme dé- prit  »  : si l’objet est ce qui demeure le même toujours un carré, qu’il repose sur l’une de
les choses
inné terminée. Mais si on l’approche d’une flamme, par-delà les variations de l’expérience sensible, ses bases ou sur l’un de ses sommets  ; mais un article du Monde
elles-mêmes,
que par
Est inné ce qui est donné avec un ces qualités sensibles disparaissent toutes ; et alors la perception ne peut être qu’un acte pour la perception, dans le second cas, il à consulter l’intermédiaire
être à sa naissance et appartient de pourtant, chacun le reconnaîtra avec évidence, intellectuel. Or la raison me fait reconnaître que est à peine reconnaissable  : nous percevons de simples
ce fait à sa nature. S’oppose à ac- « la même cire demeure ». L’expérience révèle la cire n’est pas une somme de qualités sensibles, spontanément autre chose. Par conséquent, • Les neurobiologistes enquêtent sur la esquisses. »
quis. Un des problèmes essentiels donc que la cire était, à mon insu, autre chose mais une forme flexible et muable. Percevoir il faut sans doute sortir de l’alternative si perception visuelle : lorsque « la vision
est de déterminer, chez l’homme, que ce que je croyais : elle n’est pas un assem- un objet, ce ne serait donc pas le sentir mais le l’on veut rendre compte de notre expérience aveugle » éclaire l'inconscient p.13
les parts respectives de l’inné et blage de qualités sensibles  ; son essence doit concevoir. perceptive réelle : l’objet perçu ne serait alors (Hervé Morin, 19 mai 1995) (Edmund Husserl)
de l’acquis. être distinguée de son apparence. ni une pure collection de diverses qualités

10 Le sujet Le sujet 11
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

repères
l'origine des idées
Dissertation : Le réel se limite-t-il Les neurobiologistes enquêtent
selon Les empiristes à ce que perçoivent nos sens ?
Selon les empiristes, nos idées
résultent d’une habitude associa-
tive : à force d’avoir telles et telles
sensations dans un ordre précis,
L’analyse du sujet
I. Les termes du sujet
sur la perception visuelle :
je finis par les associer et par me
les représenter comme des parties
d’une seule idée. Si donc c’est bien
par les idées que nous connais-
• Le réel :
– tout ce qui existe concrètement.
– contraire de ce qui est seulement imaginé, conçu,
rêvé.
Lorsque la « vision aveugle »
sons, comme les idées proviennent
elles-mêmes de sensations, alors il
faut dire que toute connaissance
commence avec la sensation.
• Ce que perçoivent nos sens :
– toutes les informations fournies par nos cinq
sens.
– référence à l’activité spécifique de perception, qui ne
éclaire l’inconscient
Il ne s’agit pas en revanche de dire se limite pas à une simple sensation passive. L’étude de certaines affections cérébrales permet de distinguer deux types de
que nos sens sont fiables, ou qu’ils • Se limite-t-il :
nous permettent de connaître – idée de restriction, par rapport à une opinion
perception visuelle.
mieux que la raison : il n’y a tout courante ou à une définition possible.

A
simplement aucune connaissance – idée d’objectivité, de délimitation exacte des II. La perception sensorielle possède de nombreuses u volant d’une voiture, il de résiduelles, et ne les mettait Jeannerod, semble ainsi étayer la conscience perceptive. Ainsi,
qui n’ait commencé par une sen- contours. limites. arrive fréquemment que en œuvre qu’à la demande des l’existence chez l’homme de deux certains patients, partiellement
sation. a) Le rôle des facultés mentales est déterminant dans le conducteur freine bru- expérimentateurs. systèmes visuels indépendants et insensibilisés à la suite d’une lé-
II. Les points du programme la perception : elles ne sont pourtant pas elles-mêmes talement afin d’éviter un obstacle Cette vision inconsciente n’est ce- complémentaires. Ces chercheurs sion cérébrale, peuvent pointer
Descartes et • La perception. perçues. qui surgit devant son véhicule pendant pas propre à l’homme, et ont demandé à des patients atteints un endroit de leur corps qui vient
« l’inspection • La matière et l’esprit. b)  La perception sensorielle est une connaissance − ballon, cycliste ou animal − avant les neurologues se gardent bien de de cécité partielle de placer une d’être stimulé, alors même qu’ils
de l’esprit » • La théorie et l’expérience. « confuse » (Descartes), puisqu’elle ne retranscrit pas même de l’avoir clairement iden- la relier à l’inconscient freudien. carte dans une fente ou de saisir déclarent n’avoir pas senti qu’ils

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
Descartes nomme «  inspection • L’interprétation. fidèlement la nature de l’objet perçu. tifié. Cette expérience familière Ils préfèrent la traquer du côté différents objets rectangulaires avaient été touchés. Ce phéno-
de l’esprit » cet acte de l’attention c) On peut même supposer que la réalité de l’esprit montre la complexité de la per- animal, en particulier chez les pri- présentés dans leur champ aveugle. mène de blindtouch est l’équiva-
qui me permet d’identifier un L’accroche est plus certaine que celle des corps sur lesquels des ception visuelle et les différents ni- mates. De fait, en 1965, l’éthologue Les patients ont pu accomplir ces lent pour le toucher du blindsight
objet malgré les changements La formule «  Je crois ce que je vois  » est souvent illusions sont toujours possibles. veaux de « conscience » qui y sont Nicolas Humphrey, de l’université tâches avec une précision assez pour la vision.
de mes sensations. En effet, employée pour mettre en doute quelque chose Transition : Comment garantir la preuve de l’existence associés. Elle illustre les conclu- de Cambridge, a noté que sa gue- bonne, adaptant la pince formée Parmi d’autres, ces observations
lorsqu’on chauffe le morceau de tant que l’on n’en a pas eu de preuve tangible, d’une réalité appelée « esprit » ? sions d’un nombre croissant de non Helen, privée de cortex visuel, par le pouce et l’index à la forme plaident pour l’hypothèse d’une
cire, toutes ses qualités sensibles perceptible. neurologues, qui considèrent qu’il pouvait ramasser des objets et des objets à saisir, et orientant la organisation du cerveau en mo-
se modifient. Si donc je n’avais III. Le terme réel a un sens limité. existe différents modes de repré- éviter des obstacles. Depuis lors, carte selon l’axe de la fente. Mais dules spécialisés dans diverses
de ce morceau qu’une somme de La problématique a) Le réel au sens scientifique regroupe tout ce qui a sentations mentales conscients il a été clairement démontré que lorsqu’on introduisait un délai formes de perception, conscientes
sensations, je serais incapable de La perception est-elle un critère suffisant pour dé- été vérifié expérimentalement et qui n’est pas pour et inconscients utilisés pour des les macaques pouvaient présenter entre la présentation du stimulus et ou non. L’identification des mou-
le reconnaître après qu’on l’eut terminer ce qui est réel et ce qui ne l’est pas ? Est-elle autant perçu tel quel par nos sens. Sa constitution tâches distinctes et faisant appel une « vision aveugle » similaire à la réponse motrice, cette dernière vements, des formes, des couleurs,
chauffé. Or, ce n’est pas le cas. fidèle à la nature réelle des choses  ? Peut-elle tout et ses limites font l’objet de théories en constante à des systèmes neuronaux séparés celle de l’homme. se faisait moins précise. ou même des visages et des ex-
Si je peux identifier le morceau englober ? évolution, à mesure que les sciences avancent. et complémentaires. Chez l’individu normal, les ré- pressions faciales, ne sont que
de cire, c’est donc qu’il y a plus b)  Le réel au sens objectif est donc impossible à Pour parvenir à ces conclusions Systèmes ponses motrices sont également quelques-uns des modes de trai-
dans la perception qu’une simple délimiter, puisque chacun a aussi un point de vue qui provisoires, les neuropsycholo- indépendants moins précises après un court tement de l’information visuelle
suite de sensations : mon esprit dépend de sa façon d’interpréter, de son expérience gues se sont particulièrement Faut-il pour autant voir dans la délai, ou lorsqu’il est demandé connus, dévoilés au hasard des
inspecte la chose, la conçoit, et de ses projets. intéressés, depuis une vingtaine blindsight la survivance d’une vi- de décrire l’objet présenté. « Tout pathologies et des accidents. C’est
c’est-à-dire conçoit ses propriétés d’années, à une pathologie hors du sion archaïque ? « Il est vrai qu’elle ce passe donc comme si deux pourquoi il apparaît illusoire, es-
essentielles, celles qui justement Conclusion commun, la vision inconsciente s’apparente à celle de vertébrés systèmes de traitement de l’in- timent les neurologues, d’espérer
ne changent pas, et me permet- Le réel ne se limite pas à ce que perçoivent nos sens, ou aveugle (blindsight, selon la inférieurs, reconnaît Marc Jean- formation coexistaient, explique identifier, s’il existe, un siège unique
tent de l’identifier malgré les dans la mesure où le terme «  réel  » suppose une terminologie anglo-saxonne). C’est nerod, qui dirige l’unité Vision et Marie-Thérèse Pérenin. Le système de la conscience perceptive.
changements de mes sensations. sorte d’idéal d’objectivité, ou au contraire une vision en 1974 que le premier cas de blind- motricité de l’Inserm à Lyon. La pragmatique, qui est le seul à sub-
nécessairement subjective du monde extérieur. sight a été clairement identifié par grenouille, qui n’a pas de cortex, est sister chez les patients, est précis Hervé Morin
un psychologue de l’université ainsi capable, dit-il, de localiser très et rapide. Mais il est très instable. (19 mai 1995)
« À cela, je réponds Les bons outils d’Oxford. Laurence Weiskrantz précisément des objets en mou- Tandis que le système symbo-
en un mot de Le plan détaillé du développement • Descartes analyse la perception d’un morceau de avait alors « découvert » un su- vement. » Cela lui permet, entre lique, qui leur fait défaut, permet
l’Expérience : c’est I. La réalité est délimitée par la perception. cire dans Les Méditations métaphysiques. jet qui avait perdu la moitié de autres, de gober des insectes au vol. à l’homme normal d’identifier pourquoi
là le fondement a) Est d’abord jugé réel ce qui est perçu concrètement, • Berkeley montre le type de réalité des choses perçues son champ visuel après avoir été Sans faire un saut trop rapide entre l’objet, de le nommer. » Cette opé- cet article ?
de toutes nos connais- par opposition à ce qui est rêvé, espéré, projeté. dans Les Principes de la connaissance humaine. opéré d’une tumeur du cerveau. le batracien et l’homme, il est de ration plus complexe, consciente,
sances ; et c’est de b) Toute la démarche scientifique s’attache au critère « Daniel T. » restait néanmoins plus en plus admis que divers types est aussi plus lente. Les cas de vision aveugle rappor-
là qu’elles tirent leur de ce qui est vérifiable par la perception sensorielle capable de suivre du regard et de de vision ont pu se superposer au L’intérêt de cette distinction tés par cet article nous éclairent
première origine. » (directe et naturelle) ou par des instruments d’optique Ce qu’il ne faut pas faire saisir des objets circulant dans son cours de l’évolution des espèces. entre réponse pragmatique et sur les différents niveaux de
(perception artificielle). Dresser un cataloguer de choses réelles, mais champ aveugle. Le plus étonnant Une expérience récente, menée symbolique est qu’elle s’applique conscience à l’œuvre dans les
(John Locke) Transition  : Nos sens ne sont donc pas les seuls à non perçues (atomes, etc.). est qu’il n’était pas conscient de par Marie-Thérèse Pérenin et à d’autres types de déficiences mécanismes de la perception.
entrer en jeu. ses capacités visuelles, qualifiées Yves Rossetti, de l’équipe de Marc spectaculaires mettant en jeu

12 Le sujet Le sujet 13
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

Autrui
MOTS CLÉS En quel sens ai-je
ZOOM SUR…
autrui besoin d’autrui La dialectique du maître et de l’esclave
Désigne l’autre, en tant qu’il est pour être conscient
cependant mon semblable. Autrui de moi-même ? L’homme consomme d’autres êtres
est un alter ego, c’est-à-dire à la Pour Hobbes, j’ai besoin d’autrui vivants pour se nourrir. Cette néga-
tion pratique permet à la conscience
fois un autre moi, et un autre que parce qu’il est dans la nature
de parvenir à la certitude d’elle-
moi. C’est cet entrelacement du humaine de désirer qu’autrui ad- même : l’homme y devient un être
même et de l’autre en autrui qui mette ma supériorité. La nature pour soi. Mais la certitude purement
fait l’objet d’un questionnement humaine révèle donc un désir de subjective d’être n’est pas encore la

Q
philosophique. pouvoir sur autrui. vérité : il faut donc impérativement
que la conscience de soi soit reconnue
état de nature u’est-ce qu’autrui  ? Un autre moi-même, c’est-à-dire Hegel juge cette thèse insuffi- comme telle par une autre conscience
de soi, et voilà le thème de la lutte
L’état de nature est un état fictif ou celui qui est à la fois comme moi et autre que moi. sante, car Hobbes suppose une pour la reconnaissance, lutte dont la
supposé de l’homme avant qu’il ne nature humaine antérieure à la
vive en société. Il s’oppose à l'état Rencontrer autrui, cela suppose donc d’une part la vie en rencontre d’autrui. Mais selon
mort est le risque et la liberté, l’enjeu.
Chacun veut être reconnu par l’autre
civil, ou état social. Des philosophes communauté ; mais d’autre part, comme je ne saurais être moral Hegel, je ne suis homme que si pour ce qu’il veut être, à savoir un
individu conscient et libre. Or, il n’y
comme Rousseau ou Hobbes ont
thématisé cette distinction.
tout seul, la moralité elle-même suppose la rencontre d’autrui. l’on m’accorde ce statut. Le désir
de pouvoir, et donc le besoin a aucune raison pour qu’autrui me
donne ce que je recherche, parce que
d’autrui n’est pas seulement révé- si j’obtiens satisfaction, je n’aurai
humanité Comment définir ce qu’est Quel rapport existe-t-il entre moi lateur, mais bien constitutif de plus rien à lui demander et donc
Par opposition à l’animalité, l’hu- autrui ? et autrui ? mon humanité. plus aucun motif de le satisfaire à
manité est l’ensemble des caracté- La réponse semble simple : autrui, ce sont les Nous avons retenu du solipsisme cartésien son tour. Le premier qui reconnaît à
ristiques propres au genre humain. autres hommes dans leur ensemble. Cela signi- l’idée que le moi est plus certain que le monde : Quel est le sens entre la vie et la liberté. Dans la lutte pour la l’autre la liberté lui a donné tout ce
Sur le plan moral, l’humanité en fie que je ne comprends jamais autrui comme il y a d’abord le moi, puis ensuite seulement le de la thèse de Hegel ? reconnaissance, l’esclave est le premier à lâcher qu’il désirait ; loin de lui reconnaître
la liberté en retour, alors, celui qui
moi comme en autrui est considé- étant seulement autre chose que moi, une chose monde et autrui. Selon Descartes en effet, je Selon Hegel, l’humanité ne nous est pas don- prise : il préfère abandonner sa liberté plutôt a été reconnu asservit celui qui l’a
rée par Kant comme ce qui nous parmi les choses. Dès la perception, je ne vise n’ai pas besoin d’autrui pour avoir conscience née à la naissance, au contraire, elle est gagnée que de risquer sa vie. Le maître arrive donc à reconnu comme un individu libre,

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
confère un caractère sacré, qui pas autrui comme je vise une chose inerte, de moi ; mais tout seul, puis-je avoir conscience si nous voyons autrui nous l’accorder, car c’est obliger l’autre à le reconnaître comme étant c’est-à-dire le prive de sa liberté et
oblige absolument et sans restric- c’est-à-dire comme une pure altérité  : autrui d’exister ? lui qui me donne le statut d’être humain. un homme, c’est-à-dire comme étant libre ; et en fait son esclave. On peut songer
tion au respect. est tout à la fois autre que moi et identique à en acceptant de reconnaître le maître, l’esclave au statut de l’esclave grec : celui qui
sur le champ de bataille a renoncé
moi. En termes platoniciens, autrui entrelace Husserl va montrer que la conscience n’est pas accepte d’être asservi, c’est-à-dire de ne pas être
à se battre parce qu’il avait peur de
intersubjectivité le même et l’autre. une substance, mais une ouverture à l’altérité : « Il n’existe pour nul homme lui-même reconnu comme homme. mourir, celui-là aura la vie sauve s’il
Du latin inter, « entre », et subjectus, je n’ai pas d’abord conscience de moi, puis le moyen de se garantir qui soit aussi dépose les armes, mais il deviendra
« sujet ». Terme phénoménologique d’autrui et du monde, parce que ma conscience raisonnable que le fait de prendre Quel rôle autrui joue-t-il dans la l’esclave de son triomphateur. Celui
utilisé par Husserl pour désigner la est d’emblée rapport au monde et à autrui. Le les devants, autrement dit, de se rendre moralité ? qui a préféré mourir que perdre la
relation réciproque des consciences monde dont je suis conscient n’est pas un désert maître, par la violence ou par la ruse, Selon Hegel, c’est finalement le maître qui de- liberté remporte donc le combat et
de la personne de tous les hommes asservit l’autre  : il exerce alors sa
les unes avec les autres, comme vide, car je peux deviner la trace d’autrui der- vient inhumain en refusant le statut d’homme
domination et fait du vaincu l’ins-
étant à l’origine de la constitution rière les choses : le chemin sur lequel je marche pour lesquels cela est possible. à l’esclave. Il est en réalité esclave de son désir trument de sa satisfaction. Le vaincu
d’un monde commun. n’a pas été tracé par mes seuls pas. Il n’y a rien là de plus qu’en exige qui l’enchaîne au plaisir. Faisant d’autrui un devient esclave, c’est-à-dire une force
Autrui n’est pas coupé de moi, mais la conservation de soi-même. » moyen d’assouvir ses désirs, et non une fin en de travail mise au service du vain-
je le découvre en même temps que En quoi la visée d’autrui est-elle soi, le maître méconnaît la liberté véritable : je queur  : mais dans sa servitude, il
moi-même dans la possibilité du spécifique ? (Hobbes, Léviathan) ne suis vraiment libre que si je reconnais autrui, apprend à travailler et à renoncer à
ses désirs, puisqu’il ne peut plus les
dialogue et le partage d’un monde À même la perception, je distingue moi, les malgré toutes ses différences, comme étant le
satisfaire Ici, la situation s’inverse : le
commun. autres choses que moi, et autrui, c’est-à-dire Il faut le miroir de l’autre pour que la même que moi (voir zoom ci-contre). maître, habitué à voir le moindre de
l’autre moi. Husserl montre que cette distinc- conscience de nous-même ne soit pas une ses désirs satisfaits sans avoir rien à
pitié tion, qui semble toute naturelle, est en fait très illusion : ce qui différencie le fou qui se prend La moralité ne se fonde donc pas sur un préten- faire, se révèle être l’esclave de son es-
Rousseau pose la pitié, ou compas- complexe, et repose en dernière analyse sur pour Napoléon, et Napoléon lui-même, c’est du « droit à la différence », bien au contraire : clave ; et l’esclave, parce qu’il a dans
sion suscitée par le malheur d’autrui, le langage  : autrui, à la différence des choses, qu’autrui ne reconnaît pas que le fou est ce qu’il c’est parce qu’autrui, malgré ses différences, la douleur appris à se rendre maître
de la nature hors de lui par le travail
comme le sentiment caractéristique répond quand je lui parle. croit être. Or, la reconnaissance par l’autre ne appartient au même, c’est-à-dire à l’humanité,
et en lui par la maîtrise des désirs,
de la nature humaine. passe pas simplement par la reconnaissance de que j’ai des devoirs moraux envers lui  ; c’est s’avère être véritablement libre.
La tradition philosophique insiste l’autre : tel est le véritable sens de la dialectique pourquoi Rousseau faisait de la pitié, sentiment Deux conclusions, alors. Mon hu-
en général davantage sur l’ambiva- Par le langage, je suis avec autrui en situation du maître et de l’esclave. naturel par lequel je m’identifie aux souffrances manité ne m’est pas donnée à la
lence de ce sentiment, qui permet de compréhension réciproque (ce pourquoi, d’autrui, le fondement de la moralité. naissance  : elle ne m’est accordée
d’asseoir sa domination sur autrui. d’ailleurs, je ne me comporte pas de la même Qu’est-ce que la reconnaissance que si autrui me la reconnaît, et
façon seul que devant autrui). Le langage fonde d’autrui ? cette reconnaissance n’est pas sim-
plement révélatrice, mais bel et bien
respect donc la «  communauté intersubjective  ». Un Je reconnais autrui comme un homme, et en constitutive. Cependant, au moment
Reconnaissance de la dignité langage que je serais seul à comprendre serait échange, il fait de même. Hegel va montrer un articles du Monde même où le maître refuse de recon-
d’autrui en tant qu’elle équivaut au mieux un code, au pire un charabia  : par en quoi cette thèse est absurde : si je cesse de à consulter naître l’humanité du vaincu et en fait
à la sienne propre. Kant définit le le seul fait que je parle une langue, je ne suis dominer autrui, si je le reconnais comme un son esclave, c’est lui qui se montre
respect comme le sentiment par jamais seul, parce que parler une langue, c’est autre homme, alors, c’est lui qui va me dominer. • Des animaux doués d’empathie p. 17 inhumain : au terme du processus,
c’est l’esclave alors qui accèdera à la
lequel nous prenons conscience d’emblée appartenir à une communauté. La reconnaissance est donc pour Hegel «  une (Pierre Le Hir, 27 février 2010)
liberté véritable.
de la loi morale en nous. Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). rivalité à mort  » dont l’enjeu est le choix

14 Le sujet Le sujet 15
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

REPÈRES
Aristote
Aristote affirme qu’il n’y a pas de
Dissertation : Qu’est-ce que comprendre autrui ?
L’analyse du sujet Transition : Comment expliquer
Des animaux doués d’empathie
connaissance de soi sans amitié. I. Les termes du sujet alors les relations d’amour ou

C
Nul ne peut se connaître lui-même • Comprendre : d’amitié sincères ? ’est une scène de la vie des vieux époux finissent par se qu’elle donnera accès à de la l’apparition des soins parentaux.
par lui-même ; la connaissance de – idée de connaissance théorique, ordinaire. Une aveugle, ressembler, un attelage de chiens nourriture à un congénère, mais « Pendant 200 millions d’années
soi passe par celle de l’autre, l’ami de raisonnement. III.  Autrui est compris dans la désorientée, cherche son de traîneau se meut comme un pas à lui-même ? d’évolution des mammifères, les
– mon semblable – jouant pour – idée de sentiment, de sympathie. mesure où il peut et veut me chemin. Une voyante vient à corps unique, un chimpanzé Pour Frans de Wall, la réponse femelles sensibles à leur pro-
moi un rôle de miroir. L’amitié lie • Autrui : comprendre. son secours, la guidant de la baille à la vue d’un congénère tient en un mot  : l’empathie, géniture se reproduisirent da-
les hommes par les liens naturels – tout autre individu. a)  La saisie de l’altérité fonda- voix. L’infirme la remercie par se décrochant la mâchoire, précisément, ou le souci du vantage que les femelles froides
de la sympathie, qui rendent pos- – toute personne considérée mentale d’autrui se fait grâce à de bruyantes effusions. Scène et rit quand l’autre s’esclaffe. bien-être d’autrui. Même et distantes. Il s’est sûrement
sibles ceux, artificiels, des conven- comme sujet doté de conscience. son visage, à la fois parfaitement ordinaire, à cela près qu’elle se Mieux, cette contagion franchit lorsque cet autre n’appartient exercé une incroyable pression
tions et des lois. singulier et totalement fragile  : passe en Thaïlande, dans un parc la barrière des espèces : ainsi un pas à la même espèce que soi. de sélection sur cette sensibi-
II. Les points du programme comprendre autrui signifie naturel, et que les deux prota- singe rhésus bébé reproduit-il les On a vu, dans un zoo, une ti- lité », suppose le chercheur. Voilà
Husserl • Autrui. d’abord comprendre et expéri- gonistes sont des éléphantes. mouvements de la bouche d’un gresse du Bengale nourrir des pourquoi les mammifères, dont
Pour Husserl, la visée d’autrui est • La vérité. menter qu’il est autre (cf. analyse Cet exemple est l’un de ceux expérimentateur humain. porcelets. Un bonobo hisser un les petits, allaités, réclament plus
en soi spécifique et diffère de la • La morale. de Lévinas). dont fourmille le nouveau livre Mais l’empathie a des expres- oiseau inanimé au sommet d’un d’attention que ceux d’autres
visée de tout autre objet inten- b)  Dans l’amour ou l’amitié, on de l’éthologue Frans de Waal, sions plus élaborées. Dans le arbre pour tenter de le faire vo- animaux, seraient les plus doués
tionnel, parce que je sais qu’autrui L’accroche attend même de ce sujet qu’il spécialiste des primates et pro- parc national de Thaï, en Côte ler. Ou un chimpanzé remettre d’empathie. Et les femelles da-
me voit le voir : autrui est bien un Dans le livre L’Attentat, de Y. Kha-
«  L’Enfer, c’est les autres.  » Cette
comprenne notre propre per- fesseur de psychologie à Atlanta d’Ivoire, des chimpanzés ont à l’eau un caneton malmené par vantage que les mâles. Un trait
objet de ma perception parmi tous dra, le personnage principal dé- formule prononcée par Garcin dans sonnalité. La compréhension est (Géorgie). Intitulée L’Âge de l’em- été observés léchant le sang de jeunes singes. que partageaient peut-être les
les autres, mais il diffère de tous couvre que sa propre femme est Huis-Clos de Jean-Paul Sartre désigne en même temps un appel à la pathie, cette passionnante leçon de compagnons attaqués par Dans ses formes les plus derniers grands reptiles. Ce qui
les autres objets parce que je suis directement responsable d’une le fait que les autres font de moi une compréhension réciproque. de choses, bousculant les fron- des léopards, et ralentissant simples, la «  sympathie  » ani- expliquerait pourquoi certains
moi-même un objet de sa percep- attaque terroriste. chose quand ils me jugent. c)  Comprendre ne revient donc tières entre l’homme et l’animal, l’allure pour permettre aux male − terme employé par oiseaux − probables descendants
tion. Il est vrai que c’est également pas à posséder l’autre, mais à est aussi un plaidoyer pour le blessés de suivre le groupe. Darwin lui-même − ne mobi- des dinosaures − semblent eux
le cas avec les animaux  : mais La problématique établir une relation d’enrichissement mutuel « vivre-ensemble » à l’usage de Dans la même communauté lise nullement des capacités aussi faire preuve de commi-

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
même si je sais qu’un animal me Quelles sont les exigences à remplir pour qu’il y (exemple de l’amitié, développé par Kant). nos sociétés. ont été décrits plusieurs cas cognitives complexes, réputées sération. Le rythme cardiaque
voit lorsque je le regarde, je ne sais ait vraiment compréhension de l’autre  ? Faut-il « La cupidité a vécu, l’empathie d’adoption d’orphelins par des propres à l’homme. Elle met en d’une oie femelle s’accélère ainsi,
pas quel sens il peut bien donner à le connaître intimement, et déjà un peu l’aimer  ? est de mise, proclame l’auteur. adultes femelles, mais aussi par jeu, décrit l’éthologue, de purs battant la chamade, quand son
cette perception. Ou suffit-il d’une simple identification à soi ? Mais « Autrui est le médiateur indispensable Il nous faut entièrement réviser des mâles. Une sollicitude qui mécanismes émotionnels. Des mâle est pris à partie par un
Face à autrui, je peux m’assurer s’agit-il alors vraiment de le comprendre en tant entre moi et moi-même. » (Sartre) nos hypothèses sur la nature peut sembler naturelle pour des souris se montrent ainsi plus autre palmipède.
de la signification qu’il donne à ce qu’être différent ? humaine. » À ceux, économistes animaux sociaux, qui trouvent sensibles à la douleur quand L’éthologue ne verse pas pour
qu’il voit de moi par le langage  : « À la façon dont nous regardons ou responsables politiques, qui un intérêt collectif à coopérer. elles ont vu souffrir d’autres autant dans l’angélisme.
parce qu’autrui peut me parler, Le plan détaillé du développement dans un miroir quand nous voulons voir la croient régie par la seule Comment l’expliquer, toute- souris dont elles sont familières. Comme pour les autres ani-
je suis face à lui en situation de I. Comprendre autrui revient à l’identifier à soi. notre visage, c’est en tournant nos regards lutte pour la survie et, selon fois, lorsque l’individu n’a rien En revanche, des processus maux, « il existe chez l’homme
compréhension réciproque. Pa- a)  Au sens intellectuel, la compréhension sup- vers notre ami que nous pourrons l’interprétation dévoyée que le à gagner à un comportement cognitifs entrent en jeu pour un penchant naturel à la com-
resser lorsqu’on a du travail sous pose la saisie des intentions, des propos, par la nous découvrir, puisqu’un ami est darwinisme social a donnée de empathique, qui devient alors des modes de compassion plus pétition et à l’agressivité ». Mais
le regard de son chien n’est pas un disposition commune de raison (cf.  analyse de un autre soi-même. » (Aristote) la théorie de l’évolution, par proprement altruiste  ? Une complexes, nécessitant de se sa propension à la compassion
problème ; mais si autrui me voit Malebranche). la sélection des individus les expérience a montré que des mettre à la place de l’autre. est « tout aussi naturelle ». Reste
dans cette situation, j’en suis gêné, b)  Au sens affectif, la compréhension suppose « La connaissance de soi n’est pas plus performants, il oppose un singes rhésus refusaient, plu- Comme lorsqu’un chimpanzé que l’empathie n’est pas tou-
parce que je sais le sens qu’il donne le sentiment partagé à l’égard des plaisirs et des possible sans la présence de quelqu’un autre principe, tout aussi actif sieurs jours durant, de tirer sur délaisse ses occupations pour jours vertueuse. C’est aussi sur
à mon comportement. Autrui n’est douleurs éprouvés par l’autre, via la sympathie d’autre qui soit notre ami. » (Aristote) que la compétition : l’empathie. une chaîne libérant de la nour- venir réconforter un congénère la capacité à ressentir les émo-
donc pas celui qui a des devoirs naturelle (cf. analyse de Hume). Cela donne lieu au C’est-à-dire la sensibilité aux riture si cette action envoyait molesté lors d’une rixe. tions d’autrui que se fondent la
envers moi ; c’est bien plutôt moi respect moral minimal, parfois au pardon. émotions de l’autre. Une fa- une décharge électrique à un La compassion prendrait ses ra- cruauté et la torture.
qui ai toujours des devoirs envers Transition : La compréhension repose alors sur ce Conclusion culté compassionnelle qui, loin compagnon dont ils voyaient cines dans un processus évolutif
lui, parce que c’est aussi à travers qui est commun, et non sur ce qui est différent. Comprendre autrui suppose un désir de compréhen- d’être l’apanage de l’homme, les convulsions. Préférant ainsi lointain, à une période bien an- Pierre Le Hir
lui que je me juge. L’autre en tant qu’autre n’est-il jamais saisi comme sion réciproque et respectueux. est partagée par de nombreux endurer la faim qu’assister à la térieure à l’espèce humaine, avec (27 février 2010)
tel ? mammifères, à commencer par souffrance d’un semblable.
les primates, les éléphants et les Autoprotection contre un spec-
« Les êtres raisonnables II. Rencontrer l’autre, en tant qu’autre, revient à Ce qu’il ne faut pas faire dauphins. Et qui, de surcroît, est tacle dérangeant  ? Mais pour- pourquoi chez les animaux, cet article
sont appelés des Proposer une série de réponses sans établir
ne pas le comprendre. vieille comme le monde. quoi, alors, un singe capucin cet article ? nous interroge sur notre propre
personnes, parce que de progression entre elles.
leur nature les désigne a) Autrui est un sujet doté d’intériorité, je ne peux Dans ses formes les plus ru- de laboratoire ayant le choix rapport à autrui, élément
déjà comme des fins en par définition jamais me mettre totalement à sa dimentaires, ou les plus ar- entre deux jetons de couleurs Des animaux capables d’al- constitutif de notre humanité.
soi, c’est à dire comme place, du fait de mon extériorité par rapport à lui chaïques, elle se manifeste par différentes, dont l’un lui vaut un truisme  ? C’est ce que ten- Cette réflexion sur les spécifici-
quelque chose (cf. analyse de Sartre). Les bons outils l’imitation, ou la synchronisa- morceau de pomme tandis que draient à montrer les travaux tés du comportement des êtres
qui ne peut pas être b)  Cette extériorité m’amène plutôt à le juger • Hume, Enquête sur les principes de la morale. L’au- tion des comportements  : de l’autre garantit également cette de l’éthologue Frans de Waal, humains par rapport à celui des
employé simplement (exemple de la honte, développé par Sartre). teur montre les parts respectives de l’amour-propre même que nous applaudissons récompense à un partenaire, spécialiste de l’étude du com- animaux ouvre ainsi une pas-
comme moyen. » c)  Du point de vue affectif, son extériorité peut et du souci pour le bien d’autrui. sur le même tempo que nos opte-t-il pour le jeton assurant portement des primates. serelle sur deux autres thèmes
aussi devenir une rivalité, au point que l’amour- • Sartre, L’Être et le Néant (chap. « Le regard »). voisins à la fin d’un concert, que une gratification commune  ? En s’intéressant à l’empathie du programme : le vivant et la
(Kant) propre en sort exacerbé (cf.  analyse de Rousseau • Montesquieu, « contre l’esclavage », De l’esprit des deux promeneurs accordent la Mieux, pourquoi un chimpanzé telle qu’elle peut s’exprimer conscience.
dans l’Émile). lois. longueur de leurs pas, ou que ouvre-t-il une porte dont il sait

16 Le sujet Le sujet 17
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS MOTS CLÉS

Le désir
Selon Schopenhauer, la vie d’un être de désir est
donc comme un pendule qui oscille entre la souf-
ataraxie france (quand le désir n’est pas satisfait, et que le libido
Du grec ataraxia, «  absence de manque se fait douloureusement sentir) et l’ennui Terme latin signifiant «  désir
troubles  ». État de tranquillité de (quand le désir est provisoirement satisfait). amoureux ». Chez Freud, énergie
l’âme qui définit le bonheur et ainsi, des tendances affectives, dont le

N
le but à atteindre pour les sagesses Le désir est-il par essence noyau est la pulsion sexuelle.
antiques (épicurisme et stoïcisme). ous éprouvons sans cesse des désirs : que le désir vise violent ?
un objet déterminé − une belle voiture − ou un état dif- Dans le Léviathan, Hobbes montre que le passion
bonheur comportement humain est une perpétuelle Du latin patior, « souffrir ». Il y a
État de plénitude et de satisfac- fus et général – le bonheur −, désirer semble faire corps marche en avant du désir. Sitôt satisfait, il se passion quand un désir, parvenu à
tion durable, par opposition au avec l’élan même de la vie qui sans cesse nous entraîne au-delà porte sur un autre objet, et ainsi de suite à l’infini ; dominer et orienter tous les autres,
plaisir éphémère. La philosophie
antique en fait le souverain bien,
de nous-mêmes  : vers les objets extérieurs pour nous les ap- mais comme les objets désirables ne sont pas en
nombre illimité, mon désir se heurte tôt ou tard
aveugle l’homme au point qu’il
en devient dépendant. La sagesse
c’est-à-dire la fin suprême de la vie proprier, ou vers ce que nous voudrions être mais que nous ne au désir d’autrui. serait dans l’absence, ou du moins
humaine, indissociable de la vertu.
Kant critiquera cette position et
sommes pas. Les autres deviennent non pas seulement des
la domination des passions.
Hegel et le romantisme réhabilite-
montrera que ce à quoi l’homme concurrents, mais bien des adversaires, car le ront les passions en en faisant le
est destiné, ce n’est pas tant le Le désir est-il essentiel pour compare l’homme qui désire à un tonneau percé meilleur moyen d’empêcher le désir de l’autre principe moteur des grandes actions.
bonheur que la moralité, qui seule comprendre ce qu’est l’homme ? qui ne peut jamais être rempli. de me barrer la route est de tuer l’ennemi. Parce
le rend digne d’être heureux. Si Spinoza a pu faire du désir l’essence même qu’il est un être de désir, l’homme naturel est plaisir
de l’homme, c’est que désirer n’est pas un phé- nécessairement violent : il faut un État pour faire Comme satisfaction sensible, le
désir nomène accidentel mais bien le signe de notre cesser « la guerre de tous contre tous ». plaisir est le plus souvent conçu
Du latin desiderare, de de privatif condition humaine. négativement comme un tyran
et sidus, «  astre  ». Donc littéra- Tout désir est-il désir qui éloigne l’homme de la raison
lement «  cesser de contempler C’est d’abord le signe d’un manque : on ne désire de pouvoir ? et de la sagesse.
l’étoile  » et donc, regretter l’ab- que ce que l’on n’a pas. Il y aurait au cœur de Dans le Traité de la nature humaine, Hobbes va

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
sence de l’astre qu’on ne voit plus.
Le désir est d’abord la prise de
l’homme une absence de plénitude et un inachève-
ment qui aspireraient à se combler et qui seraient
plus loin. Je ne désire un objet que parce qu’un
autre le désire aussi : ce que je désire, ce n’est pas
Zoom sur...
conscience d’un manque, dont la à l’origine de la dynamique même de l’existence. l’objet lui-même, c’est en priver autrui pour le La tripartition des désirs selon Épicure
satisfaction procure du plaisir. forcer à reconnaître que je peux obtenir ce qu’il se
voit refusé. Tout désir aspire à obtenir de l’autre Il y a des désirs de trois sortes :
discipline Désir et besoin l’aveu du pouvoir, c’est-à-dire « l’honneur ». Tout les désirs naturels et nécessaires
Le stoïcisme et l’épicurisme nous Le besoin caractérise l’état de l’organisme lorsqu’il désir, en tant qu’il vise avant tout à l’humiliation Marc-Aurèle (121-180), empereur romain et philosophe (boire quand on a soif, manger
invitent à une discipline des désirs est privé de ce qui assure son fonctionnement : on de l’autre, est désir de pouvoir. stoïcien. Les stoïciens partagent avec les épicuriens l’idée quand on a faim, par exemple) ;
que notre état initial est celui du trouble intérieur, et qu’il
pour atteindre le bonheur. distingue le besoin vital − boire et manger −, qui faut précisément la philosophie pour parvenir à la paix de
les désirs naturels mais non né-
concerne la conservation de l’individu, et le besoin En d’autres termes, je ne désire que médiatement l’âme et donc au bonheur, conçu négativement comme cessaires (manger des mets déli-
éros sexuel, qui assure la survie de l’espèce. ou indirectement un objet : ce que je désire im- l’absence de troubles. cats et savoureux ou satisfaire ce
Divinité de l’amour chez les grecs. S’ajoutent à ces besoins physiologiques les besoins médiatement, c’est affirmer ma supériorité sur qu'Épicure nomme « les désirs
Symbole de l’amour et du désir sen- dits «  artificiels  », créés par la société. Dans les autrui  ; la possession de l’objet n’est ici qu’un nécessaires, qui sont tout à la fois faciles à combler du ventre  ») et enfin les désirs
suel, par opposition à philia, « l’ami- deux cas, le besoin trouve son assouvissement moyen. et dont la satisfaction est source de plaisir, telle non naturels et non nécessaires
tié » et agapê, « l’amour » (selon une dans un objet qui lui préexiste et le complète. Il est la morale épicurienne. Toutes deux dessinent (comme désirer la fortune ou les
dimension affective et morale). en va autrement du désir  : il n’a pas d’objet qui Faut-il chercher à maîtriser l’idéal d’une sagesse humaine fondée sur l’absence honneurs).
Éros est présenté comme un dé- lui soit par avance assigné. Quand je désire être ses désirs ? de troubles (ou ataraxie) et l’harmonie avec la nature. Les premiers désirs sont faciles à
mon dans le Banquet de Platon. heureux, suis-je capable de définir précisément Si le désir est insatiable, il risque d’entraîner satisfaire et procurent un plaisir
Fils de pénia (le manque) et de ce que j’attends ? L’objet du désir est indéterminé. l’homme dans des excès et de faire son malheur. parfait, parce que le plaisir est
poros (l’abondance), il est un être Les sagesses antiques préconisaient ainsi une « Car ce sont là des émotions qui une qualité insusceptible de degré.
intermédiaire, entre les dieux et discipline des désirs. L’homme est malheureux doivent se produire à l’égard de ce qui Les deuxièmes sont plaisants à
les mortels. Éros ne peut être de parce qu’il désire trop et mal. Apprendre à désirer est beau : la stupeur, l’étonnement satisfaire, mais peuvent générer
nature purement divine (les dieux Le désir peut-il être pleinement seulement ce que l’on peut atteindre, en restant joyeux, le désir, l’amour et l’effroi des habitudes qui nous font dé-
ne désirent pas puisqu’ils sont satisfait ? dans les bornes du raisonnable, telle est la morale accompagné de plaisir. » (Plotin) pendre des caprices du hasard  :
comblés), mais il n’est pas non plus Dans le désir, il n’est pas dit que j’aspire vraiment stoïcienne. celui qui s'accoutume au luxe risque
comme pénia, un pur manque. à une satisfaction qui fasse disparaître tout désir. S’arracher à la peur superstitieuse de la mort « Malheur qui n’a plus rien à désirer ! de souffrir, si les circonstances le
C’est donc un «  démon  » qui in- Le désir est contradictoire car il veut et ne veut et des dieux et s’en tenir aux désirs naturels et
Il perd ainsi tout ce qu’il possède. On privent de sa fortune. Les derniers
jouit moins de ce qu’on obtient que de
carne la philosophie même, dans pas être satisfait : que serait, en effet, une vie sans désirs enfin sont illimités : celui qui
ce qu’on espère, et l’on n’est heureux
sa dimension de quête perpétuelle. désir, si ce n’est une vie morte ? qu’avant d’être heureux. » veut la richesse n'en aura jamais as-
Platon établit en effet une analo- un articles du Monde (Rousseau) sez et connaîtra une insatisfaction
gie entre l’amour – intermédiaire Par ailleurs, le désir sent confusément qu’aucun à consulter perpétuelle. Qui recherche le plaisir
Buste du philosophe grec Épicure. Celui-ci propose une
entre possession et non-posses- objet n’est à même de le satisfaire pleinement. C’est philosophie simple et soucieuse du bonheur quotidien  : « Le désir ouvre « la guerre de tous véritable devra donc s'en tenir à la
sion – et la philosophie qui se pourquoi, à la différence du besoin, il est illimité, le sage se contentera de peu, vivra à l’écart des affaires • Vivre humainement parmi les humains p. 21 contre tous. » (Hobbes) seule satisfaction des désirs naturels
situe entre le savoir accompli et insatiable et sans cesse guetté par la démesure, publiques, goûtera aux plaisirs simples de l’existence et (Jean Birnbaum, 30 mai 2008) et nécessaires : il connaîtra alors un
l’ignorance totale. comme le montre Platon dans le Gorgias quand il aux joies sans mélange de l’amitié. bonheur réel et durable.

18 Le sujet Le sujet 19
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

MOTS CLÉS Dissertation : Le désir peut-il être désintéressé ?


devoir
Il faut distinguer le devoir, Transition : Pourtant, on peut aussi dé-
Vivre humainement parmi les humains
comme obligation morale va- sirer se comporter de façon morale et
lant absolument et sans condi- généreuse. Un chef-d’œuvre épicurien entre dans « Le Monde de la philosophie ». André Comte-
tion, susceptible d’être exigé
de tout être raisonnable, et les II. Désir et morale ne sont pas opposés.
Sponville, qui vient de publier, aux éditions Hermann, un essai sur Lucrèce, l’a lu et relu.
devoirs, comme obligations so- a) Le désir et le plaisir font juger de ce qui
ciales, liées à une charge, une est bien. Tout acte moral a pour moteur Quelle est la place (car je les préfère toujours) je rêvais Quel est le texte qui nécessaire aujourd’hui : le combat
profession ou un statut, qui psychologique un désir (cf.  analyse de de Lucrèce et de sa qu’elles puissent un jour éliminer, vous a le plus marqué, contre l’obscurantisme, l’explora-
n’ont qu’une valeur condition- Spinoza), dans la mesure où c’est lui seul pensée dans votre comme dit à peu près Lucrèce, les nourri, et pourquoi ? tion d’une spiritualité sans Dieu,
nelle et ne peuvent prétendre à qui nous fait agir, et non la volonté. propre itinéraire fantômes de la nuit... Lucrèce n’a écrit qu’un seul ou- enfin la quête d’une sagesse tra-
l’universalité. b) Le désir porte sur autrui, sur la connais- philosophique ? En vieillissant, j’ai compris que ce vrage, le De rerum natura, mais gique. Lucrèce est un philosophe
Kant fait de l’impératif catégo- sance, sur la beauté, sur des réalités qui Elle est à la fois précoce, tardive et n’était qu’un rêve (quand bien même ce divisé en six chants. Le texte de lui des Lumières. Pas plus qu’Épicure,
rique de la moralité l’énoncé nous dépassent et qui ne constituent décisive. Précoce, puisque je l’ai dé- rêve s’appelle la philosophie), qui nous que j’ai le plus travaillé, c’est sans il ne fait profession d’athéisme :
de notre devoir en tant qu’êtres pas seulement notre bien-être matériel couvert à 19 ans, en khâgne   : le De sépare de la seule sagesse acceptable : conteste celui, dans le livre II, que les dieux existent, mais très loin,
Anselm Feuerbach, Le Banquet de Platon, 1873.
raisonnables. (cf. analyse de Platon dans Le Banquet). rerum natura était au programme, non pas l’élimination de la nuit, que Lucrèce consacre au clinamen, cette dans les intermondes, où ils sont
Transition : Dans ces situations, n’est-ce cette année-là, du concours de la rue seule la religion peut promettre, mais déviation indéterminée et infime trop heureux pour s’occuper des
impératif catégorique L’analyse du sujet pas toujours avec l’idée d’un intérêt que l’on agit ? d’Ulm. Je n’ai guère cessé, depuis, de son acceptation sereine. Épicure est des atomes, qui explique à la fois hommes. La critique de la religion
Si les impératifs énoncent un I. Les termes du sujet le relire. Pourquoi alors parler d’une un sage : il vit, l’expression est de lui, l’existence des mondes et celle, tout est pourtant beaucoup plus vive,
devoir, tous ne sont pas mo- • Le désir : place tardive ? Parce que, pendant « comme un dieu parmi les hommes ». aussi incontestable pour Lucrèce, de chez Lucrèce, que chez son maître : il
raux. Kant distingue ainsi les – tendance générale à obtenir ce que l’on n’a pas.
« Notre propre intérêt est mes années de formation ou dans mes Lucrèce n’est qu’un philosophe poète, la liberté. C’est une théorie qu’on voit dans le fanatisme et la supersti-
impératifs hypothétiques, qui – tendance irrépressible, physique et/ ou psycho-
encore un merveilleux premiers livres, c’est surtout Épicure qui essaie de vivre humainement par- ne trouve exposée dans aucun des tion l’une des causes principales du
sont conditionnels, simples logique.
instrument pour nous mi les humains, qui célèbre la sagesse
crever les yeux agréablement. » qui m’importait. Lucrèce, son génial textes d’Épicure qui sont parvenus malheur des hommes.
conseils de prudence ou d’ha- • Désintéressé : disciple latin, ne représentait pour moi et la lumière, certes, mais sans pouvoir jusqu’à nous, mais que toute l’Anti- Il n’y en a pas moins chez lui une
bileté («  si tu veux ceci, fais – idée d’indifférence à l’égard de son profit ou (Pascal) qu’une voie d’accès − que je trouvais se libérer tout à fait de la nuit qui est en quité tardive lui attribue, sous son forme de piété ou, comme je préfé-

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
cela »), de l’impératif catégo- bien-être personnel. à la fois très fiable et quelque peu lui, et qui est lui. C’est ce que j’ai essayé nom grec de parenklisis. Lucrèce, rerais dire, de spiritualité : la piété,
rique. Seul impératif moral, – idée de générosité, de don : contraire d’« égo- décevante − vers son maître, qui était, de comprendre dans mon dernier livre, selon toute vraisemblance, n’en est explique-t-il, ce n’est pas courir les
il commande absolument et ïste », d’« individualiste ». III. Le terme intérêt n’est pas univoque. avec Spinoza et Marx, l’un de mes Le Miel et l’Absinthe, sous-titré Poésie et donc pas l’inventeur. Il n’en reste autels, ni se mettre à genoux, ni faire
sans condition à tout être a) L’intérêt au sens le plus trivial désigne ce qui philosophes de prédilection. philosophie chez Lucrèce (Éd. Hermann). pas moins que l’exposé qu’il en vœu sur vœu : « C’est pouvoir, l’âme en
raisonnable, toujours et par- II. Les points du programme nous est matériellement profitable, rejoignant Concernant la fiabilité de Lucrèce, Lucrèce est un épicurien paradoxal, et fait est un texte extraordinaire, paix, contempler toute chose. » Ici, le
tout, indépendamment des • Le désir. ainsi l’avidité et l’égoïsme. Mais cela ne constitue j’avais assurément raison : on ne c’est en quoi il m’intéresse aujourd’hui souvent mal compris, où l’on voit matérialisme touche à la spiritualité. «
désirs, des conséquences et • Le bonheur. pas toujours notre intérêt véritable, ni le seul peut rêver d’un disciple plus intel- au moins autant que son maître. Le ce que peut être un « matérialisme Les innombrables lecteurs de Lucrèce,
de l’utilité. En voici une des • La morale. intérêt possible. ligent, plus pénétrant, plus enthou- paradoxe est double, à la fois formel de l’aléatoire », comme disait mon dira Alain, savent ce que c’est que sau-
formulations : « Agis unique- b)  D’un point de vue individuel, vivre selon la siaste ! Vous savez que d’Épicure, qui et conceptuel. Épicure condamnait la maître et ami Louis Althusser, un ver l’esprit en niant l’esprit. »
ment d’après la maxime qui L’accroche vertu constitue notre réel intérêt, qui n’est pas avait beaucoup écrit, on n’a conservé poésie ; Lucrèce expose l’épicurisme matérialisme non fataliste, et même La formule est très juste. Elle dé-
fait que tu peux vouloir en Les hommes politiques parlent bien souvent au matériel (cf. analyse d’Épictète). que trois lettres et quelques frag- en hexamètres dactyliques. Épicure est antifataliste, qui serait aussi et sur- bouche sur ce que j’appelle une
même temps qu’elle devienne nom de l’intérêt général, et non au nom de leur c)  D’un point de vue collectif, l’intérêt général ments. Lucrèce, lui, n’a écrit qu’un peut-être le philosophe le plus lumi- tout un matérialisme de la liberté. sagesse tragique : une sagesse qui
une loi universelle ». seule ambition personnelle. est aussi un élément désiré ou voulu par le corps seul livre. Mais c’est un chef-d’œuvre, neux de toute l’Antiquité, le plus serein, C’est le texte de Lucrèce que j’ai le ne fait pas l’impasse sur la mort et
social, et il n’est pas individuel (cf.  analyse de et le seul exposé épicurien dont nous le plus heureux. Lucrèce, philosophe plus travaillé. Mais ceux que j’ai la souffrance, une sagesse qui n’es-
morale La problématique Rousseau dans Le Contrat social). disposions in extenso. Pour qui s’in- épicurien, en tire le poème le plus le plus lus et relus, non comme saie pas de consoler, qui n’offre pas
La morale est l’ensemble des Le désir n’est-il pas, par nature, par définition, téresse à l’épicurisme, il est donc plus sombre, le plus âpre, le plus angoissé... un travail mais comme un plaisir, un sens ou un salut, mais qui tend
devoirs qui s’imposent à l’être tourné vers le bien-être et l’intérêt de celui qui dé- Conclusion que précieux : il est irremplaçable. Ce n’est pas seulement une question de comme une émotion, comme un vers un certain bonheur, même dans
humain, en tant qu’être rai- sire ? Comment pourrait-on désirer ce qu’on jugerait Le désir peut être désintéressé, au sens où il Pourquoi le trouvais-je alors déce- sensibilité. Lucrèce est un philosophe repos dans la nuit ou le combat, c’est les difficultés, et une certaine paix,
sonnable, et lui commandent n’apporter ni bien ni plaisir ? Mais bien et plaisir ne se porte pas que vers l’intérêt matériel et vant ? Parce que je ne retrouvais pas tragique, ce qu’Épicure n’était pas. C’est un passage quasi schopenhauerien même au cœur des combats... C’est
le respect de l’humanité en lui s’obtiennent-ils toujours en ne visant que le seul personnel. en lui ce qui me bouleversait dans les ce qui me gêna longtemps chez Lucrèce, du livre III, sur le divertissement, ce qui nous rend Lucrèce si proche, si
comme en autrui. intérêt particulier ? Ne consistent-ils qu’en cela ? fragments d’Épicure : une certaine et qui me passionne aujourd’hui. C’est comme dira Pascal, et la mort (voir émouvant, si fraternel.
lumière, une certaine légèreté, une pourquoi je parlais d’une influence surtout les vers 1 046 à 1 094), et
volonté générale Le plan détaillé du développement Ce qu’il ne faut pas faire certaine grâce, comme une vérité paradoxalement tardive de son œuvre un autre du livre IV, sur l’amour, Propos recueillis par Jean Birnbaum
Concept créé par Rousseau I. Le désir vise notre bien-être particulier. S’en tenir à un seul sens des termes intérêt heureuse, ou comme un bonheur sur mon travail : je ne l’ai lu d’abord bouleversant d’érotisme et de vérité, (30 mai 2008)
dans Le Contrat social. C’est, a) Le désir porte sur ce que l’on ne possède pas : et désintéressé, sans les analyser de façon qui serait vrai... Lucrèce n’est pas que pour comprendre Épicure ; ce n’est aux vers 1 030 à 1 134. Il n’est mal-
complète.
par opposition à la volonté son objectif est de changer notre état grâce à l’ob- seulement philosophe, vous le savez, que depuis une quinzaine d’années heureusement pas possible de les
particulière individuelle, la tention de l’objet désiré (cf. définition de Platon). c’est aussi un immense poète, l’un qu’il m’importe pour lui-même, et citer ici : je ne peux qu’y renvoyer
volonté du citoyen d’un État b)  Par-delà des objets spécifiques, le bonheur des plus grands de toute l’Antiquité. davantage, parfois, que son maître... le lecteur... pourquoi
en tant qu’il veut ce qu’il doit peut être vu comme la satisfaction de toutes Les bons outils Mais c’est un poète sombre, angoissé, Pour le philosophe matérialiste que cet article ?
vouloir pour le bien de tous, et nos inclinations, la réalisation parfaite de notre • Platon, dans Le Banquet, décrit l’« ascension » de douloureux... Épicure, c’est Mozart, je suis, il n’est de sagesse acceptable Selon vous, où cet
non seulement pour son bien intérêt (cf. définition de Kant). l’amour, du stade physique au stade immatériel et du moins c’est à lui qu’il me faisait que tragique : c’est ma façon d’intégrer auteur trouve-t-il au- Zoom sur Lucrèce et son De
propre. L’État légitime, pour c) L’indifférence à l’égard de notre intérêt, le sens intellectuel. penser. Lucrèce, ce serait plutôt Schu- les objections que Nietzsche faisait à jourd’hui son actua- rerum natura, via une ana-
Rousseau, doit être dirigé par du sacrifice semblent plutôt des prescriptions de • Épicure, Lettre à Ménécée. bert, en plus terrien, ou Brahms, en Épicure ou Spinoza, sans renoncer lité la plus intense ? lyse d’André Comte-Spon-
la volonté générale, qui se ma- la morale, présentées comme des devoirs, non • Rousseau, Le Contrat social. plus sombre... J’étais jeune : je préfé- pour autant ni au matérialisme ni à Trois points, qui sont liés, font de ville.
térialise dans les lois. comme des désirs. • Spinoza, Éthique. rais la grâce et la lumière ; ou plutôt la sagesse... Lucrèce un auteur particulièrement

20 Le sujet Le sujet 21
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS MOTS CLÉS


a priori
Formule latine signifiant  «  à
partir de ce qui vient avant  ».
Désigne ce qui est indépendant
L’existence et le temps existence
Du latin exsistere, «  se tenir
hors de, sortir de  ». Au sens
strict, celui qui est utilisé par

I
de toute expérience. S’oppose les phénoménologues, seul
à a posteriori. Contre l’empi- l est impossible de définir le temps dans ses trois dimen- l’homme existe, dans la mesure
risme, Kant soutient l’existence
de structures a priori qui pré-
sions (passé, présent et avenir)  ; définir le temps, ce se- À ce temps spatialisé, homogène et mesurable, il
faut donc opposer notre vécu interne du temps
où seul il est capable de se jeter
hors de lui-même pour se rap-
cèdent et conditionnent notre rait dire : « le temps, c’est… ». Or, on ne peut demander ce ou «  durée  ». La durée, c’est le temps tel que nous porter à soi et au monde. Hei-
connaissance du monde. qu’est le passé (qui n’est plus) ou l’avenir (qui n’est pas en- le ressentons quand nous ne cherchons pas à le
comprendre. Elle n’a pas la ponctualité abstraite
degger oppose ainsi l’existence
humaine à « l’être-là-devant »
conscience core) : seul le présent est, mais le présent n’est pas la totalité du temps  : dans la durée telle que nous la vivons, des choses.
Au sens général, la conscience du temps. notre passé immédiat, notre présent et notre futur
est le savoir intérieur immédiat immédiat sont confondus. Tout geste qui s’esquisse identité
que l’homme possède de ses Plus qu’une chose à définir, le temps est la dimension de ma est empreint d’un passé et gros d’un avenir : se lever, Du latin idem, « même ». L’iden-
propres pensées, sentiments conscience, qui se reporte à partir de son présent vers l’ave- aller vers la porte et l’ouvrir, ce n’est pas pour notre tité d’une chose, c’est ce qui
et actes.
nir dans l’attente, vers le passé dans le souvenir et vers le vécu une succession d’instants, mais un seul et même
mouvement qui mêle le passé, le présent et l’avenir.
fait qu’elle demeure la même
à travers le temps malgré les
durée présent dans l’attention (saint Augustin). La durée n’est pas ponctuelle, elle est continue, parce changements.
Alors que le temps, comme que notre conscience dans son présent se rapporte
grandeur physique homogène toujours à son passé et se tourne déjà vers son avenir. intelligence
et mesurable, se réduit à une En quoi la conscience Nous ne pouvons percevoir La durée non mesurable, hétérogène et continue Du latin intelligere, «  com-
suite discontinue d’instants est-elle temporelle ? les choses que sous forme est donc le vrai visage du temps avant que notre prendre  ». Appartient da-
ponctuels, la durée désigne le Husserl montre comment la de temps et d’espace ; et ces intelligence ne le décompose en instants distincts. vantage au vocabulaire de la
temps subjectif, tel que nous le conscience est toujours conscience formes ne sont pas déduites psychologie que de la philoso-

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
vivons, qui transcende toujours intime du temps. Si je regarde à de la perception, parce phie. Chez Bergson cependant,
l’instant ponctuel en empiétant l’intérieur de moi, je n’y trouve pas que toute perception les Sous quel signe le temps en part un être temporel que l’homme existe. Les l’intelligence est la faculté
sur le passé et l’avenir. une identité fixe et fixée d’avance, suppose. La seule solution place-t-il notre existence ? choses sont, mais seul l’homme existe (au sens éty- d’adaptation à la matière en
Bergson montre ainsi que la mais une suite de perceptions consiste donc, pour Kant, à Non seulement le temps place notre existence sous le mologique) : l’homme est jeté hors de lui-même par vue de l’action, c’est-à-dire la
durée, ou temps vécu, est hé- sans rapport entre elles (le chaud faire du temps et de l’espace signe de l’irréversible, mais il éveille en nous la possi- le temps. Être temporel, ce n’est donc pas simplement faculté de fabrication des outils
térogène, continue et qualita- puis le froid, le dur puis le lisse par les formes pures ou a priori bilité d’une conscience morale : je me reproche mon être soumis au temps  : c’est être projeté vers un conceptuels aptes à l’organiser
tive, contrairement au temps exemple). C’est alors la conscience de toutes nos intuitions passé parce que je ne peux rien faire pour annuler les avenir, vers du possible, avoir en permanence à se et à la transformer, par opposi-
physique, qui n’en est que la du temps qui me permet de poser sensibles  : le temps n’est erreurs que j’ai commises. choisir et à répondre de ses choix (ce que Heidegger tion à l’intuition, comme mode
spatialisation abstraite pour les mon identité  : la conscience du pas dans les choses, il est la Parce que le temps est irréversible, je crains mon ave- nomme le souci). de connaissance de la durée et
besoins de l’action. temps me permet de comprendre forme sous laquelle notre nir et je porte le poids de mon passé ; parce que mon de l’esprit.
que dans cette suite de percep- esprit perçoit nécessaire- présent sera bientôt un passé sur lequel je n’aurai Le temps fait-il de la mort notre
espace tions, ce n’est pas moi qui change, ment les choses. aucune prise, je suis amené à me soucier de ma vie. horizon ?
L’espace est avant tout l’éten- mais c’est le temps qui s’écoule. Selon Heidegger, c’est même parce qu’il est de part Si je ne savais pas d’avance que je vais mourir un jour,
due géométrique, telle que l’a Mon identité est donc de part en Quelle est si je n’étais pas certain de ne pas avoir tout le temps, « Conscience signifie
formalisée Euclide. Descartes part temporelle. Surtout, la percep- la solution je ne me soucierais pas de ma vie. Ce n’est donc pas
mémoire – conserva-
en fait une «  substance éten- tion suppose que ma conscience proposée la mort qui nous vient du temps, mais le temps qui
tion et accumulation
du passé dans le
due  », aux caractéristiques fasse la synthèse des différents par Bergson ? nous vient de la mort (Heidegger).
présent. C’est un
strictement géométriques, ou- moments perceptifs  : j’identifie Ni le passé, ni l’avenir ne Je ne meurs pas parce que je suis un être temporel trait d’union entre ce
vrant le champ à la physique la table comme table en faisant la sont : seul l’instant présent et soumis aux lois du temps, au contraire : le temps qui a été et qui sera,
moderne. Kant considère l’es- synthèse des différentes percep- existe réellement, et le n’existe pour moi que parce que la perspective un pont jeté entre le
pace et le temps comme des tions que j’en ai (vue de devant, temps n’est que la succes- certaine de ma mort m’invite à m’en soucier (in- passé et l’avenir. »
formes a priori de notre sen- de derrière, etc.). Or, cette synthèse
Saint Augustin. « Qu’est donc que le temps ? sion de ces instants ponc- conscients de leur propre mort, les animaux ne (Bergson)
sibilité, autrement dit non pas Si personne ne me le demande, je le sais ; tuels de l’avenir vers le passé.
est temporelle : c’est dans le temps connaissent pas le temps). Et comme personne ne
des réalités objectives existant que la conscience se rapporte à mais si on me le demande et que je veuille Quand nous essayons de pourra jamais mourir à ma place, personne ne pourra « L’univers dure.
l’expliquer, je ne le sais plus. »
par soi, mais des structures de elle-même ou à autre chose qu’elle. comprendre le temps, nous non plus vivre ma vie pour moi : c’est la perspective Plus nous approfon-
l’esprit, conditions de possibi- le détruisons en en faisant de la mort qui rend chacune de nos vies uniques et dissons la nature
lité de toute expérience. Si le temps n’est pas une chose, une pure ponctualité privée d’être. insubstituables. du temps, plus nous
qu’est-il ? Bergson montre ainsi que notre intelligence com- comprenons
éternel, éternité Selon Kant, le temps n’est ni une intuition (une prend le temps à partir de l’instant ponctuel  : elle que la durée signifie
Qui est soustrait au devenir perception), ni un concept, mais plutôt la forme le spatialise, puisque la ponctualité n’est pas une un article du Monde invention, création
temporel, sans commencement même de toutes nos intuitions  : cela seul ex- détermination temporelle, mais spatiale. Le temps à consulter de formes, élaboration
ni fin. Contrairement au temps, plique que le temps soit partout (tout ce que serait alors la succession des instants, comme la ligne •L'immense interrogation que la mort continue de l’absolu-
l’éternité n’implique pas les nous percevons est dans le temps) et cependant est une succession de points. Notre intelligence com- représente... p. 25 ment nouveau. »
idées de succession et de chan- nulle part (nous ne percevons jamais le temps prend donc le temps à partir de l’espace : comprendre (Cécile Chambraud, 10 janvier 1996) (Bergson)
gement. comme tel). le temps, c’est le détruire comme temps.

22 Le sujet Le sujet 23
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

Dissertation : Sommes-nous
« L’immense
AUTEURS CLÉS
Bergson
Philosophe français (1859-
1941). Le point de départ de
sa réflexion est la décou- prisonniers du passé ?
interrogation que
verte de la durée, comme
temps vécu, par opposition
au temps abstrait de l’action L’analyse du sujet La problématique
et des sciences, qui n’est que I. Les termes du sujet Le passé a-t-il une emprise telle que nos choix et nos
du temps spatialisé. Si la • Nous : actions sont entravés par des événements antérieurs ?
durée caractérise la vie de – chaque individu et son histoire personnelle ; La liberté humaine n’a-t-elle pas la force de résister
l’esprit, conscience signifie –  entité collective  (société, génération, nation, ou de s’en dégager ?

la mort représente »
alors mémoire, et l’intuition humanité, etc.).
en est le mode d’approche • Prisonniers : Le plan détaillé du développement
spécifique. Bergson l’oppose –  idée d’enfermement, d’obstacle et de limites I. La liberté donne un statut particulier à l’homme.
à l’intelligence, outil d’ac- empêchant d’agir et de décider ; domaine physique a) Le libre arbitre est la faculté de se déterminer selon
tion sur la matière. et psychologique ; un choix personnel, sans être poussé ni empêché par
– idée de faute et de culpabilité ; domaine moral. une force antécédente ou supérieure.
Freud • Passé : b) La connaissance humaine progresse (ex. : Pascal
Inventeur de la psychanalyse – passé immédiat (enfance, éducation) ou plus loin- dans la Préface du Traité du Vide) en sciences notam- La mort la sienne, celle des autres, François Mitterrand en a souvent parlé. Non qu’il
(1856-1939). Ses études au-
près du professeur Charcot
tain (origines) ;
–  passé individuel et collectif  (histoire, tradition,
ment, à mesure que le temps avance.
c)  Dans l’histoire, le renouvellement des projets
fût « nécrophile », comme il s’en est un jour défendu (Le Point du 20 juillet 1981), mais
attirent son attention sur commémoration). politiques montre la singularité de chaque période. parce qu’à ses yeux « la naissance et la mort sont les deux ailes du temps. Comment
les maladies de l’esprit, en
particulier l’hystérie. Grâce II. Les points du programme
Transition  : N’existe-t-il pas pourtant pour chaque
société un poids de l’histoire ?
l’homme irait-il au bout de sa recherche s’il ignorait cette dimension ? » (L’Abeille et
à l’observation des effets de • Le temps. l’Architecte, Flammarion, 1978)

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
l’hypnose, il rapporte les • L’histoire. II. Le passé a une emprise déterminante.

A
symptômes pathologiques à • La liberté. a) Dans toute société, des événements passés influen- ussi lui semblait-il interrogation que la mort chologue exerçant dans une hérer à soi. Comme si, lorsque
des souvenirs traumatiques cent le présent. qu’«  une société qui représente  ». N’avait-il pas unité de soins palliatifs, sur tout s’achève, tout se dénouait
inconscients et s’oriente L’accroche b) De façon plus générale, selon le principe du déter- dérobe la mort au re- confié à Franz-Olivier Gies- « la transformation profonde enfin du fatras des peines et
sur la voie d’une nouvelle Le film Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004, minisme, le présent est la conséquence nécessaire gard des vivants, qui la ma- bert, dans un entretien au qu’elle observait chez certains des illusions qui empêchent
méthode thérapeutique  : Michel Gondry) est construit sur la volonté du héros du passé. quille, comme un mensonge, Figaro du 8 septembre 1994  : êtres à la veille de mourir  », de s’appartenir. Le mystère
la psychanalyse, fondée sur d’oublier les moments douloureux de son passé. c)  La réalité de l’emprisonnement est analysée en qui l’ôte du quotidien, loin «  Ce n’est pas de mourir que François Mitterrand assurait, d’exister et de mourir n’est
l’hypothèse de l’existence psychanalyse (ex. : névrose ou complexe d’Œdipe). de magnifier, de préserver j’éprouverai un grand souci. dans la préface à son livre  : point élucidé, mais il est vécu
d’un inconscient psychique Transition  : Pour autant, on peut guérir de cette la vie, la corrompt  ». Il était C’est de ne plus vivre » ? Plutôt « Au moment de plus grande pleinement [...]. La mort peut
actif. emprise du passé. revenu sur ce thème dans la que de parler de sa maladie solitude, le corps rompu au faire qu’un être devienne ce
préface qu’il avait rédigée à comme d’un combat contre bord de l’infini, un autre qu’il était appelé à devenir  ;
Hegel III. La libération à l’égard du passé est une action La Mort intime. Ceux qui vont la mort, n’avait-il pas préféré temps s’établit hors des me- elle peut être, au plein sens du
Philosophe allemand (1770- de progrès. mourir nous apprennent à vivre évoquer, dans un entretien sures communes. En quelques terme, un accomplissement. Et
1831). Il s’est attaché à ré- a)  Connaître les déterminismes permet d’en être (Robert Laffont, 1995), de Ma- accordé à Christine Ockrent jours parfois, à travers le puis, n’y a-t-il pas en l’homme
concilier le réel et la pensée, moins prisonnier et d’agir en conséquence. rie de Hennezel : « Comment (L’Express du 13 juillet 1995), secours d’une présence qui une part d’éternité, quelque
au sein d’une philosophie b) La vision que nous avons du passé peut dépendre mourir  ? Nous vivons dans son « combat pour la vie, tout permet au désespoir et à la chose que la mort met au
conçue comme un système de nos choix et de nos projets. Le présent oriente donc un monde que la question simplement » ? Peut-être était- douleur de se dire, les malades monde, fait naître ailleurs ? »
dominé par la dialectique, ou aussi l’interprétation du passé. effraie et qui s’en détourne. ce là, aussi, une manière d’es- saisissent leur vie, se l’appro-
processus de dépassement Des civilisations, avant nous, quiver le paradoxe qu’il avait prient, en délivrent la vérité. Cécile Chambraud
des contradictions. Conclusion regardaient la mort en face. résumé, quelques années au- Ils découvrent la liberté d’ad- (10 janvier 1996)
C’est en effet une philosophie Nous sommes dépendants, mais pas prisonniers. Le [...] Elles donnaient à l’achève- paravant, à Pierre Jouve et Ali
du processus réconciliateur, passé a des conséquences sur le présent, mais qui ment de la destinée sa richesse Magoudi (François Mitterrand,
et en ce sens une philoso- n’annulent pas notre capacité à en tirer des leçons. et son sens. Jamais peut-être portrait total, éditions Carrère, pourquoi d’appréhender l’existence.
phie de l’histoire, qui montre le rapport à la mort n’a été 1986)  : «  Je sais que je vais cet article ? La mort constitue-t-elle vérita-
comment l’esprit parvient si pauvre qu’en ces temps de mourir, mais je n’y crois pas. » blement le terme ultime de la
à se conquérir lui-même Ce qu’il ne faut pas faire sécheresse spirituelle où les Mourir, du reste, ne signifiait Cet article de Cécile Cham- vie ? L’éternité (c’est-à-dire ce
en s’extériorisant dans le Dresser uniquement un catalogue d’exemples hommes, pressés d’exister, pas disparaître. « Je crois aux braud traite de la mort, à tra- qui n’a ni début ni fin) est-elle
monde par ses créations, en psychologiques sur le regret ou le remords. paraissent éluder le mystère. forces de l’esprit et je ne vous vers des propos de François un leurre  ? Peut-on réduire
particulier juridiques et ar- Ils ignorent qu’ils tarissent quitterai pas », avait-il assuré Mitterrand alors qu’il attei- l’existence humaine au temps
tistiques. Hegel montre que ainsi le goût de vivre d’une aux Français au moment de gnait la fin de sa vie. passé sur Terre ?
ce mouvement de sortie hors Les bons outils source essentielle. » conclure ses derniers vœux Inséparable d’une réflexion Réfléchir au temps et à l’exis-
de soi et de retour à soi à par- • L’analyse et la théorie du libre arbitre chez Descartes, De ce goût de vivre, François en tant que président de la Ré- sur le temps, le rapport à la tence nous amène très vite à
tir de l’extériorité, n’est rien Gedächtniskirsche («  église du souvenir  ») à Berlin, dans les Méditations métaphysiques. Mitterrand faisait l’une des publique, le 31 décembre 1994. mort dans la société actuelle la question du sens de la vie,
d’autre que le mouvement mémorial dédié à la paix et à la réconciliation, symbole du • Les lois de l’inconscient dégagées par Freud, dans les raisons de sa constante pré- évoquant ses conversations en dit long sur notre manière et par-là même à la religion…
même de la conscience. souvenir de la Seconde Guerre mondiale. Cinq leçons sur la psychanalyse. occupation de «  l’immense avec Marie de Hennezel, psy-

24 Le sujet Le sujet 25
la culture

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS ZOOM SUR…


abstraction
Du latin abstrahere, «  tirer, enle-
ver  ». Constitutive de la pensée
et du langage, l’action d’abstraire
est l’opération de l’esprit qui isole,
pour le traiter séparément, un
Le langage Ferdinand de Saussure (1857-1913)

Génie précoce, Ferdinand de


Saussure a fait de la linguis-
tique une discipline à part
entière, ayant «  pour unique

A
élément d’une représentation  ; et véritable objet la langue
la blancheur, la liberté, sont des ristote définissait l’homme comme « le vivant possédant envisagée en elle-même et
abstractions. le langage » : la capacité linguistique semble n’apparte- pour elle-même  ». Ses Cours
de linguistique générale ont
chose nir en propre qu’à l’homme, et le distinguer de tous les ainsi permis de dépasser l’an-
En phénoménologie, on distin- autres vivants. Le langage permet à l’homme de penser et de cienne perspective diachro-
gue la chose de l’objet  : la chose, nique, pour étudier la langue
comme réalité concrète, a une
communiquer ses idées : il fonde donc la vie en communauté. comme un système de signes,
existence indépendante de toute susceptible de décrire et d’ex-
visée de conscience, alors que l’ob- Comment définir le langage ? pliquer la réalité de l’acte de
jet est nécessairement le corrélat Le langage se définit par un vocabulaire, c’est-à-dire parole. La linguistique a ouvert
d’un sujet qui le pose dans un par un pouvoir de nomination, et par une grammaire, Peut-on parler des chemins non seulement
projet. c’est-à-dire par des règles régissant la nature et les d’un langage animal ? vers la compréhension de la
Heidegger nous invite ainsi à une relations des mots. Saussure a montré que les mots Certains animaux ont développé des formes langue, mais aussi de l’homme
prise en compte des choses en que nous utilisons pour parler (ou signes) sont la évoluées de communication, et particulièrement lui-même.
elles-mêmes, indépendamment totalité d’un signifiant (la suite de sons qui compose ceux qui vivent en société comme les abeilles.
des projets de maîtrise et d’action le mot) et d’un signifié (ce que le mot désigne). Mais, comme l’a montré Benveniste, ce «  lan- Extraits du Cours de linguis-
que nous pouvons avoir sur elles. Il a aussi établi qu’il n’y avait aucun rapport logique gage » n’a rien à voir avec le langage humain : tique générale :
entre le signifiant et le signifié : c’est la thèse de l’ar- il dicte un comportement, et non une réponse «  En séparant la langue de la

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
concept bitraire du signe. Le langage est donc une convention linguistique. « Le mot chien n’a jamais mordu personne. » (Saussure, Cours de linguistique générale). parole, on sépare du même
Du latin conceptus, « reçu, saisi ». arbitraire ; c'est pourquoi, d’ailleurs, il existe plusieurs Les animaux n’utilisent pas dans leur commu- coup ce qui est social de ce qui
Produit de la faculté d’abstraction, langues. nication des signes composés, mais des signaux parle : parce qu’il me répond, autrui est non un est individuel, ce qui est essen-
un concept est une catégorie géné- indécomposables. Alors que le langage humain simple objet de ma perception, mais un autre sujet tiel de ce qui est accessoire et
rale qui désigne un caractère com- est un langage de signes, la communication
« Les limites de mon langage qui me vise à son tour dans sa propre conscience. plus ou moins accidentel. La
mun à un ensemble d’individus. animale est un code de signaux, dont chaque signifient les limites de mon Le langage permet de viser intentionnellement langue n’est pas une fonction
Les concepts, auxquels renvoient signal renvoie à une seule signification possible. propre monde. » autrui comme sujet : Husserl peut donc affirmer du sujet parlant, elle est le pro-
les signes du langage, permettent (Wittgenstein) que c’est lui qui fonde la communauté humaine, duit que l’individu enregistre
d’organiser et de classer notre sai- entendue comme «  communauté intersubjec- passivement. […] La parole est
sie du réel. Qu’est-ce qui caractérise tive ». au contraire un acte individuel
le langage humain ? d’abstraction : le mot arbre peut désigner tous de volonté et d’intelligence. »
signe Selon Rousseau, « la langue de convention n’ap- les arbres, parce que nous avons, contrairement Le langage a-t-il une fonction
Élément fondamental du langage, partient qu’à l’homme » : les animaux possèdent aux animaux, la faculté de ne voir dans cet éthique ? « Il n’y a de différences que si
composé d’un signifiant, suite de leur « langage » dès la naissance. Ils n’ont pas à arbre-ci qu’un exemplaire de ce que nomme le Le langage semble n’avoir qu’une seule fonction : l’on parle des significations,
sons ou de gestes, et d’un signifié l’apprendre, parce que c’est leur instinct qui le mot arbre (le concept d’arbre). décrire des «  états de choses  » (comme par donc des signifiés ou des si-
ou concept, qui lui donne sens leur dicte ; ce « langage » est inné, et non acquis. exemple : « le chat est sur le paillasson »). gnifiants. […] Le signifié seul
(distinction saussurienne). Le « langage » animal n’a pas de grammaire : les Le langage ne sert-il Wittgenstein remarque cependant qu’à côté n’est rien : il se confond dans
signaux qui le composent ont chacun un sens qu’à communiquer ? de cette fonction descriptive, le langage a plus une masse informe. De même
« Lorsque j’utilise le mot, précis et unique, et ne peuvent donc pas être Comme l’a montré Bergson, les mots désignent fondamentalement une fonction éthique : dire le signifiant. Mais le signifiant
déclara Humpty Dumpty combinés entre eux. Grâce à la grammaire et au des concepts généraux, et non des choses sin- que le chat est sur le paillasson, c’est certes et le signifié contractent un
avec gravité, il signifie nombre infini de combinaisons qu’elle permet, gulières. Le langage simplifie donc le monde et décrire la position du chat, mais c’est aussi lieu en vertu des valeurs dé-
exactement ce que j’ai le langage humain, lui, est plus riche de signi- l’appauvrit : il nous sert d’abord à y imposer un célébrer la communauté humaine pour laquelle terminées, qui sont nées de la
décidé qu’il signifierait fications et surtout, il est capable d’invention ordre en classant les choses par ressemblances. cette proposition a une signification. Le langage combinaison de tant et tant
– ni plus ni moins. et de progrès. Le langage ne fait donc pas que décrire un fait de l’homme « l’animal cérémoniel » : il n’a de signes acoustiques avec
— Mais le problème, dit monde qui lui serait préexistant  : c’est lui de sens que dans une communauté, et c’est cette tant et tant de coupures qu’on
Alice, c’est de savoir si tu Sur quelle faculté qui délimite le monde humain, ce que nous communauté de langue que nous célébrons, peut faire dans la masse de la
peux faire en sorte que le langage repose-t-il ? pouvons percevoir et même ce que nous pou- même sans le savoir, dès que nous parlons. pensée. […] Le lien unissant
les mots signifient des Le mot arbre désigne aussi bien cet arbre-ci que vons penser. N’existe, en fait, que ce que nous le signifiant au signifié est
choses différentes. cet arbre-là. Arbre ne désigne pas un arbre donné, pouvons nommer dans notre langue. arbitraire, ou encore, puisque
— Le problème, dit mais le concept même d’« arbre » (ce que doit être un article du Monde à consulter nous entendons par signe le
Humpty Dumpty, est de une chose pour être un arbre  : avoir un tronc, Le langage constitue-t-il total résultant de l’association
savoir qui commande, etc.) ; c’est pour cela qu’il peut désigner tous les la communauté humaine ? • Les deux bouts de la langue p. 31 d’un signifiant à un signifié,
c’est tout ! » arbres. Les mots ne renvoient pas à des choses, La conscience ne vise pas autrui comme une Michel Onfray (1er juillet 2010) nous pouvons dire plus sim-
(Lewis Carroll, mais à des concepts abstraits et généraux. chose parmi les choses, parce que, contrairement plement : le signe linguistique
De l’autre côté du miroir)
Ferdinand de Saussure (1857-1913). Le langage est donc le fruit de notre faculté aux choses, autrui peut répondre quand je lui est arbitraire. » 

28 La culture La culture 29
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

MOTS CLÉS
dialogue
Des mots grecs dia, « à travers »,
et logos, «  parole  ». Le dialogue
Dissertation : La langue est-elle un
moyen d’expression comme un autre ?
Les deux bouts de la langue
A
n’est pas uniquement échange u commencement était le fin du fin. Je songe aux « na- ptérodactyle à Saint-Germain- plus particulièrement « l’être
d’informations utiles, il est aussi L’analyse du sujet « Nous pensons un univers Babel, chacun connaît tionalistes  », plus justement des-Prés... ensemble  » sans perspective
échange d’idées. Il fait accéder à la I. Les termes du sujet l’histoire  : les hommes nommés «  indépendantistes À l’autre bout de la langue de d’échanges autres que de biens
représentation abstraite, il est, par • La langue : que notre langue a d’abord parlent une seule et même régionaux », qui font de la lan- fermeture, locale, étroite, xé- immatériels.
conséquent, le propre de l’homme. –  la langue maternelle et/ ou la langue du pays modelé. » (Saussure) langue, dite «  adamique  », gue un instrument identitaire, nophobe, il existe une langue L’espéranto propose d’habi-
d’adoption. celle du premier d’entre un outil de fermeture sur soi, d’ouverture, globale, vaste, ter une langue universelle,
ineffable – tout système de signes reconnus collectivement et/ « Ce que l’on conçoit bien eux. Puis ils se proposent une machine de guerre anti- cosmopolite, universelle  : cosmopolite, globale qui se
Ce qui ne peut être dit, soit parce ou institutionnellement. s’énonce clairement/et les de construire une immense universelle, autrement dit un l’espéranto. construit sur l’ouverture,
qu’on suppose qu’il n’existe aucun • Moyen d’expression : mots pour le dire arrivent tour destinée à pénétrer les dispositif tribal. Elle est la création de Lud- l’accueil, l’élargissement ; elle
mot pouvant l’exprimer, soit parce – support par lequel des idées, des sentiments, des cieux. Pareille architecture Précisons que le politique- wik Zamenhof, un juif de veut la fin de la malédiction
que ce qui est à dire reste confus, besoins sont extériorisés.
aisément. » (Boileau) suppose que les hommes ment correct passe souvent Bialystok, une ville alors si- de la confusion des langues
obscur. – idée de revendication. habitant le même élément sous silence cette information tuée en Russie (en Pologne et l’avènement d’un idiome
• Comme un autre : c)  Une langue évolue de façon constante. Elle est que Dieu en deviendraient de qu’il n’existe pas une langue aujourd’hui). Dans cette cité susceptible de combler le
langage – processus de comparaison qui renvoie à l’idée de soumise à des éléments sociaux : mots et expressions facto les égaux. Cette volonté corse, une langue bretonne, où la communauté juive cô- fossé de l’incompréhension
On peut le définir comme un sys- nivellement, d’absence de différence spécifique. à la mode, vocabulaire propre à une génération, etc. prométhéenne agit comme mais des dialectes corses ou toyait celle des Polonais, des entre les peuples ; elle propose
tème de signes ordonnés suivant Transition : Ne s’agit-il pas toujours de faire voir ce une autre formule du péché bretons, chacun correspon- Allemands et des Biélorusses, une géographie conceptuelle
des règles. Il est une spécificité hu- II. Les points du programme que l’on ressent, ce que l’on est, de la même façon que originel car, goûter du fruit dant à une étroite zone géo- les occasions de ne pas se com- concrète comme antithèse à la
maine dans la mesure où il com- • Le langage, la culture. pour tout autre mode d’expression ? de l’arbre de la connaissance, graphique déterminée par le prendre étaient nombreuses. religion du territoire ; elle pa-
porte des caractéristiques propres • La société et les échanges, l’État. c’est savoir tout sur chaque pas d’un homme avant l’in- En ces temps, déjà, Dieu pou- rie sur l’être comme généalo-
absentes de la communication II. La langue n’a pas de fonction privilégiée. chose, autrement dit, une fois vention du moteur. Le mythe vait jouir de son forfait. Fin gie de son ontologie et non sur
animale, en particulier sa plasticité L’accroche a) D’autres formes d’expression permettent d’exté- encore, égaler Dieu. Il y eut d’une langue corse ou d’un 1870-début 1880, l’espéranto l’avoir ; elle est le vœu d’une
et son caractère articulé, rendant De plus en plus de pays font passer des tests de langue rioriser les sentiments, et de meilleure façon : l’art, une sanction pour le geste unique parler breton singe pa- se propose donc le retour au nouvelle Grèce de Périclès

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
possible une infinité de combinai- aux candidats à l’immigration. la musique (cf. analyse de Bergson sur les limites du d’Ève, personne n’a oublié... radoxalement le jacobinisme Babel d’avant la colère divine. pour l’humanité entière − car
sons à partir d’un nombre réduit langage courant). De même pour celui des honni, car lesdites langues À l’heure où le mythe d’une était grec quiconque parlait
d’éléments. La problématique b) La langue est sociale, d’abord parce que le langage constructeurs de Babel  : la régionales sont compartimen- langue adamique semble grec  : on habitait la langue
Si l’on s’exprime toujours dans sa langue, est-ce par répond à la nécessité de communiquer pour satisfaire confusion des langues. tées en groupe de dialectes prendre la forme d’un an- plus qu’un territoire  −  ; elle
langue habitude, ou parce que les autres moyens d’expres- ses besoins et organiser le travail entre les hommes Dieu qui est amour, rappe- − j’eus des amis corses qui, glais d’aéroport parlé par des est la volonté prométhéenne
Une langue est un ensemble sion sont moins riches, moins révélateurs ? Pourtant, (cf.  analyse de Bergson sur la fonction utilitaire du lons-le pour qui aurait la le vin aidant, oubliaient un millions d’individus, on com- athée non pas d’égaler les
institué et stable de signes et de le recours à d’autres signes et gestes n’est-il pas parfois langage), exactement de la même façon que les fâcheuse tendance à l’ou- instant leur religion et leur prend que la langue de Shake- dieux, mais de faire sans
règles grammaticales que par- plus efficace et adapté à l’exigence d’expression ? animaux ont un  moyen de communication pour blier, descend sur Terre pour catéchisme nationaliste pour speare mutilée, amputée, défi- eux, de quoi prouver que les
tage une communauté humaine survivre ensemble. constater de visu l’arrogance avouer qu’un berger du cap gurée, massacrée, dévitalisée, hommes font l’histoire − et
donnée. Le plan détaillé du développement Transition : Pourquoi n’existe-t-il pas alors de langue de ces hommes. « Il dit : “Voilà corse ne parlait pas la même puisse triompher de la sorte non l’inverse.
I.  La langue est un mode d’expression culturel et universelle ? qu’à eux tous ils sont un seul langue que son compagnon du puisqu’on lui demande d’être
parole non naturel. peuple et ont un seul langage ; cap Pertusato ! Babel, Babel... la langue du commerce à tous Michel Onfray
Elle est nécessairement indivi- a)  Toute langue est construite sur une structure et III. La langue dépasse la simple faculté d’expression. s’ils ont fait cela pour leur La langue régionale exclut les sens du terme. Vérité de La (11 juillet 2010)
duelle, et suppose un sujet actif. Par un système conventionnels de signes (cf. analyse de a) La pensée se forme par le langage (cf. analyse de début, rien désormais pour l’étranger, qui est pourtant sa Palice, elle est langue domi-
la parole on s’approprie une langue. Saussure). Hegel). La langue est donc ce par quoi la pensée eux ne sera irréalisable de parentèle républicaine. nante parce que langue de la
La parole est ce par quoi le sujet b) Tous les moyens d’expression ne sont pas conven- individuelle, voire l’identité collective, s’entretient. tout ce qu’ils décideront de Elle fonctionne en cheval civilisation dominante. Par- pourquoi
exerce sa fonction linguistique. tionnels ou culturels. Les pleurs et les cris, identiques b) Tous les autres modes d’expression culturels sont faire. Allons  ! Descendons et de Troie de la xénophobie, ler l’anglais, même mal, c’est cet article ?
chez tous les individus de la même espèce, sont ainsi alors compris et interprétés en fonction de sa ou ses là, brouillons leur langage, de autrement dit, puisqu’il faut parler la langue de l’Empire.
naturels ou physiques. langues. sorte qu’ils n’entendent plus préciser les choses, de la haine Le biotope de l’anglais a pour Dans cet article, Michel Onfray
« Voyez par exemple le langage les uns des autres.” de l’étranger, de celui qui n’est nom le dollar. prend pour point de départ la
avec quelle sincérité on Conclusion Et Yahvé les dispersa, de là, à pas «  né natif  » comme on Mais cette langue agit aussi légendaire tour de Babel pour
prononce le mot miasme... La langue n’est pas un moyen d’expression comme un la surface de toute la Terre, et dit. Or, comme une espèce comme un régionalisme pla- montrer comment la diversité
autre, car c’est par elle que la pensée, la compréhen- ils cessèrent de bâtir la ville » animale, une langue obéit nétaire  : elle est également des langues existantes est le
n’est-ce pas là une
sion et l’identité de l’individu se façonnent. (Gen. 11, 6-7) − où comment à des besoins relatifs à une fermeture et convention pour signe d’une profonde division
onomatopée... semer la discorde... configuration temporelle et un même monde étroit, celui entre les hommes.
du dégoût ? » Dès lors, il y eut des lan- géographique ; quand ces be- des affaires, du business, des Cet article nous amène à
(Bachelard) Ce qu’il ne faut pas faire gues, certes, mais surtout soins disparaissent, la langue flux marchands d’hommes, nous interroger à la fois sur
Établir une comparaison de valeur l’incompréhension parmi meurt. Vouloir faire vivre une de choses et de biens. Voilà l’origine des langues, mais
entre les langues. les hommes. De sorte que langue morte sans le biotope pour quelle raison l’espéranto également sur leur valeur
Le langage est « une ma-
nière pour le corps humain la multiplicité des idiomes linguistique qui la justifie est une utopie concrète à idéologique (comme ou-
de vivre et de célébrer le
Les bons outils constitue moins une richesse est une entreprise thanato- égalité avec le projet de paix verture vers les autres) et
• Rousseau, Essai sur l’origine des langues. qu’une pauvreté ontologique philique. Son équivalent en perpétuelle de l’abbé de Saint- communautaire (le langage
monde. » • Benveniste, Problèmes de linguistique générale. et politique. On se mit alors à zoologie consisterait à vouloir Pierre, autant d’idées de la comme principe d’apparte-
(Merleau-Ponty) • Merleau-Ponty, Sens et non sens. parler local, ce que d’aucuns réintroduire le dinosaure dans raison dont le biotope n’est nance, d’identité).
• Wittgenstein, Tractatus philosophicus. célèbrent aujourd’hui comme le quartier de la Défense et le pas « l’avoir » mais « l’être » −

30 La culture La culture 31
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

L’art
MOTS CLÉS Le beau
dépend-il
semble ne pas avoir de
fonction particulière.
ZOOM SUR…
art du goût Suffit-il alors de rendre L’art et les beaux-Arts
Ars en latin  ; traduit le mot grec de chacun ? un objet technique inu- Au Moyen Âge, on opposait aux
techné, «  savoir-faire  ». Désigne Selon Kant, la réponse tilisable pour en faire arts dits « mécaniques », qui ré-
d’abord le savoir-faire de l’artisan, est négative  : le beau une œuvre d’art ? C’est clamaient une habileté manuelle,
la maîtrise technique. Terme qui plaît universellement, en tous cas la théorie du les sept arts « libéraux » (c’est-à-
tend à être réservé aujourd’hui à même s’il s’agit d’une ready-made de Marcel dire dignes des hommes libres) :
la création artistique. universalité de droit, Duchamps. la dialectique, la grammaire,

L
et non de fait. Si je Pour Kant cependant, la rhétorique, l’arithmétique,
beau ’art ne doit pas seulement être entendu dans le sens de juge une œuvre belle cette inutilité n’est l’astronomie, la géométrie et la
Ce qui fait naître le sentiment es-
thétique. Si l’Antiquité cherchait à
« beaux-arts » : il ne faut pas oublier l’art de l’artisan, qui alors que mon voisin
la trouve laide, la pre-
pas simplement une
absence de fonction  :
musique.

formuler des règles objectives du lui aussi réclame une technique, c’est-à-dire un ensemble mière chose que je ten- elle résulte de la nature On voit bien ici que le terme tar-
beau, la modernité, avec Kant, a
insisté sur le fondement subjec-
de règles à respecter. Il est clair cependant que les beaux-arts terai de faire, c’est de
le convaincre. C’est ce
même du beau. Dire
qu’une fleur est belle
dif de « beaux-arts » n’équivaut
pas aux anciens arts libéraux  ;
tif du jugement esthétique et sa n’ont pas la même finalité puisqu’ils recherchent le beau et qui différencie le beau ne détermine en rien au contraire  : nombre de nos
spécificité. Kant définit le beau produisent des objets dépourvus d’utilité. de l’agréable : l’agréable le concept de fleur  : le beaux-arts (comme la peinture,
comme « ce qui plaît universelle- est affaire de goût et dé- jugement esthétique la sculpture ou l’architecture)
ment sans concept ». pend du caprice de cha- n’est pas un jugement étaient jadis considérés comme
Comment définir l’art ? sujet, éveillé par certains objets qui produisent en cun, alors que le beau de connaissance, il ne des arts mécaniques, et leurs « ar-
beaux-arts Ce n’est qu’au xviiie siècle que le terme d’art a été réduit nous un sentiment de liberté et de vitalité. En effet, exige l’universalité. détermine en rien son tistes  » comme des artisans. Ce
Arts qui ont pour objet de représen- à la signification que nous lui connaissons actuelle- le sentiment du beau est le « libre jeu » de l’imagina- Le beau peut être uni- objet, qui plaît sans qui s’oppose aux arts de l’artisan,
ter le beau : essentiellement la pein- ment. Il avait jusque-là servi à désigner toute activité tion et de l’entendement : le beau suscite un jeu de versel parce qu’il fait qu’on puisse dire pour- ce sont donc les beaux-arts.
ture, la sculpture, l’architecture, la humaine ayant pour but de produire des objets : en nos facultés par lequel nous éprouvons en nous le jouer des facultés qui quoi. C’est ainsi parce
musique, la danse et la poésie. ce sens, l’art s’oppose à la nature, qui est l’ensemble de dynamisme même de la vie. sont communes à tous que le beau plaît sans Le beau et l’agréable
tout ce qui se fait sans que l’homme n'ait à intervenir. les sujets : le sentiment concept que l’œuvre Kant oppose l’agréable, qui

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
entendement L’art réclame toujours des règles  : lorsque l’on est que j’éprouve devant la ne peut pas avoir de touche les sens, au beau, qui
Faculté de comprendre, pouvoir charpentier comme lorsque l’on est musicien, il faut belle œuvre peut, en finalité assignable. suscite un plaisir désintéressé.
de connaître. observer des règles si l’on veut produire l’œuvre dé- droit, être partagé par Le jugement sur l’agréable et
sirée. C’est exactement ce que veut dire le mot technè tous. L’art sert-il ses variétés est lié à un intérêt,
finalité, fin en grec : la technique, c’est l’ensemble des règles qu’il Kant estime néanmoins à quelque et relève de la seule faculté de
But, intention. Parler de finalité faut suivre dans un art donné. que cette définition chose ? désirer. Ce n’est pas l’objet d’un
naturelle, c’est faire référence au vaut aussi bien pour le Que l’œuvre d’art simple jugement  : il produit
fait que «  la nature ne fait rien beau naturel que pour n’ait pas de fonction une inclination et un plaisir en
en vain » (Aristote) : tout dans la Qu’est-ce qui différencie les le beau artistique  ; en assignable ne signifie résulte. L’agréable dépend du
nature serait organisé suivant une beaux-arts de l’art de l’artisan ? un sens, le beau na- pas que l’art ne sert à goût de chacun et est particu-
fonction, un but harmonieux. L’artisan a pour but de produire des objets d’usage : turel peut être selon rien  : Hegel, dans son lier, tandis que le beau doit être
Kant remarque cependant que si, c’est l’usage qu’on va faire de l’objet qui détermine lui supérieur au beau Esthétique, lui assigne universel.
surtout dans le vivant, tout semble ses caractéristiques, et donc la façon dont on va le artistique, parce qu’il même la tâche la plus
être finalisé, on ne peut toutefois fabriquer. est purement gratuit  : haute. Une œuvre n’a Le beau comme kAnon
démontrer l’existence d’une telle L’artiste quant à lui ne vise pas l’utile, mais le beau. Si la belle œuvre est faite pas pour but de repro- La beauté, selon un sens clas-
finalité objective dans la nature. l’habileté technique est la limite supérieure de l’art pour plaire, et cette in- duire la nature avec les sique, est définie à partir des
de l’artisan, elle est la limite inférieure des beaux- tention, quand elle est faibles moyens dont règles, de la mesure. Kanon en
jugement esthétique, arts : alors qu’on attend d’un objet courant qu’il soit trop visible, peut gâcher l’artiste dispose, mais grec, signifie «  règle  », au sens
jugement logique bien conçu et réalisé de façon à être d’usage aisé, notre plaisir ; rien de tel de la recréer. d’instrument et de procédure. Le
Distinction kantienne. Un jugement on n’attend pas simplement d’un tableau qu’il soit avec un beau paysage. Dans le tableau, ce n’est canon est donc un ensemble de
logique est un jugement de connais- bien peint, mais qu’il éveille au contraire en nous le donc pas la nature que règles données pour œuvrer à un
sance, par lequel j’attribue à un objet sentiment du beau. L’œuvre d’art je contemple, mais l’es- contenu. Tous les grands sculp-
un prédicat qui le détermine. a-t-elle La Vénus de Milo.
prit humain  : l’art est teurs grecs (Phidias, Praxitèle)
Le jugement esthétique, par une fonction ? le moyen par lequel la ont respecté un canon pour leurs
lequel je dis d’un objet qu’il est Peut-on définir ce qu’est Contrairement à l’objet technique qui trouve la rai- conscience devient conscience de soi, c’est-à-dire statues, que reprendront ensuite
beau, n’est pas un jugement de le beau ? son de son existence dans son utilité, l’œuvre d’art la façon par laquelle l’esprit s’approprie la nature les artistes de la Renaissance.
connaissance, dans la mesure où Deux grandes conceptions s’affrontent dans l’histoire et l’humanise. C’est donc parce que nous nous y
la beauté n’est pas une qualité de de la philosophie : soit le beau est une caractéristique contemplons nous-mêmes que l’art nous intéresse. Les grecs possédaient également
l’objet : dire qu’une chose est belle de l’objet, soit il est un sentiment du sujet. La pre- un article du Monde Certes, un outil est aussi le produit de l’esprit le mot kosmos, dont le sens
n’augmente pas la détermination mière doctrine remonte à Platon : une chose est belle à consulter humain ; mais il a d’abord une fonction utilitaire est «  en bon ordre  ». Le terme
de son concept. Ce n’est donc pas quand elle est parfaitement ce qu’elle doit être ; on et pratique. En contemplant une œuvre d’art en désigne à la fois l’ordre et la
un jugement déterminant, mais peut parler d’une belle marmite, quand cette marmite • De toute beauté p.35 revanche, nous ne satisfaisons pas un besoin pra- beauté (ou la beauté résultant de
un jugement réfléchissant, parce rend exemplaire l’idée même de marmite. (Philippe-Jean Catinchi, 1er octobre 2004) tique, mais purement spirituel : c’est ce qui fait la l’ordre). C’est de là que provien-
qu’il réfléchit comme un miroir La seconde est inaugurée par Kant : le beau n’est pas supériorité des œuvres sur les autres objets qui nent le sens et l’origine du mot
le sentiment du sujet. une caractéristique de l’objet, c’est un sentiment du Statue de Kant à Kaliningrad. peuplent notre monde. cosmétique.

32 La culture La culture 33
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

Dissertation : L’œuvre d’art


De toute beauté
ZOOM SUR…
Kant et la critique du jugement
esthétique

La question est celle du jugement


doit-elle plaire ?
de goût, c’est-à-dire du beau.
Quand je dis que la rose est belle, L’analyse du sujet Deux sommes très différentes qui tentent d’interroger à travers les siècles le regard
je n’ajoute rien au concept de I. Les termes du sujet de l’homme sur ce qu’il trouve beau.
rose  : ce type de jugement n’est • Œuvre d’art :
donc en rien déterminant (il ne – sens classique : toute création appartenant à la

C
détermine rien quant au contenu liste classique des beaux-arts. ’est la beauté d’Hélène donne esthétique. Ainsi le xvie dès lors que le seul terrain en- travers les âges. Ce n’est donc
du concept). Mais un tel jugement – sens moderne  : toute production humaine re- qui fut cause de la guerre siècle privilégie-t-il le visage visagé pour apprécier le beau pas une Histoire de l’art, mais
est-il la simple expression du vendiquant ce statut. de Troie. L’Euripide des et le statisme, malgré l’impor- est le corps individuel. Est-on bien une impertinente − et
goût subjectif de chacun  ? Non  : • Doit-elle plaire : Bacchantes a beau jeu de sou- tance du feu du regard, limitant là au terme de ce mouvement pertinente − façon de décaper
si l’agréable est singulier, le beau – idée d’impératif, d’obligation morale ou déon- ligner que « ce qui est beau est la noblesse au seul haut du d’extériorisation de l’intime qui le regard engourdi par un lourd
lui vaut universellement (ce que tologique. toujours cher aux hommes » corps ; au xviie, le port allonge assigne au corps de livrer les héritage de révérences. Pas de
je trouve beau, et pas simplement – idée de nécessité. ou Platon de rapporter dans Le la silhouette, le maintien fait signes essentiels de l’identité, leçon confortable donc, ni de
agréable, doit pouvoir être trouvé Banquet que c’est en voyant la la grâce et la mécanique phy- que Vigarello a mis au centre définition miracle et univer-
tel par tous les sujets). Comment II. Les points du programme beauté « par le moyen de ce qui sique, danse ou escrime, ac- de sa réflexion ? Le jeu sur les selle, mais des approches, des
cela ? Parce que le jugement esthé- • L’art. la rend visible » que l’homme centue une théâtralité inédite ; clichés, le brouillage des pistes « moments » où une optique,
tique repose en dernière analyse • La matière et l’esprit. est en mesure d’enfanter « des le xviiie élit le mouvement et la à l’heure où émerge la sensi- un équilibre tiennent provi-
sur un « libre jeu » de facultés com- • Le devoir. réalités véritables, car c’est la vivacité, oubliant la symétrie bilité « métrosexuelle » rend soirement lieu de perfection
munes à tous les sujets, à savoir beauté ou à l’apparence de l’objet représenté (cf. vérité qu’il touche », la notion pour les jeux de l’expression et le chantier plus passionnant (la proportion pour le Grec an-
l’entendement et l’imagination. L’accroche analyse de Platon dans l’Hippias Majeur). de kalon, réservée à ce qui plaît, du contraste, tandis que le bas du encore, maintenant que le Beau tique, la beauté suprasensible
À l’occasion de certains objets, Zola, dans la préface de Thérèse Raquin, s’insurge c) Le but de l’art n’est pas de divertir. Certains suscite l’admiration, attire le corps, naguère simple piédestal, semble avoir parachevé, par un de la Florence de Ficin...).
nous éprouvons une impression contre ceux qui ont trouvé son roman « obscène », artistes modernes revendiquent un autre idéal que regard ou satisfait les sens, mais s’anime ; certes le mouvement lent mouvement du haut vers Le propos contemporain n’en

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
de finalité (c’est particulièrement alors qu’il ne visait que la vérité selon lui. celui de la beauté ou du plaisir. Il s’agit au contraire ne saurait être universelle. est sans doute moins linéaire le bas, la colonisation du corps. est que plus fort : la démocra-
vrai pour le beau naturel), alors de faire réfléchir, de choquer, etc. Tenter l’histoire du Beau tient que ne l’exige la démonstration, Le projet d’Umberto Eco as- tie esthétique, qui compromet
que rien n’est objectivement fina- La problématique Transition  : Tout et n’importe quoi peut-il donc donc de la gageure. Deux et le dévêtu façon Directoire sume d’être moins didactique, l’archétype élitiste, semble
lisé : je ne peux pas m’empêcher L’artiste est-il soumis à l’impératif de créer un être de l’art ? sommes, très différentes, af- comme la simplicité des lignes embrassant des millénaires libérer l’individu, mais dans le
d’avoir l’impression que tout plaisir chez le spectateur ? Le statut d’œuvre d’art fichent toutefois cette dérai- du style Empire préparent mal de création pour un état des même temps on observe une
dans la rose est fait pour qu’elle nécessite-t-il qu’il y ait toujours divertissement, III. L’œuvre d’art est à redéfinir constamment. sonnable ambition, astucieuse- cette « anatomie de combat » lieux de la beauté qui ne récuse insidieuse aliénation généra-
soit belle, alors que la rose n’est ou peut-on au contraire lui donner un autre rôle ? a) L’œuvre d’art est suffisamment riche pour ment recadrée pour s’affranchir du xixe qui normalise un nu plus pas plus les monstres de Bosch lisée, dès lors que chacun est
faite pour rien du tout. Comme L’œuvre d’art peut-elle même être soumise à un mettre chaque spectateur en situation de former et du soupçon de subjectivité. réaliste qu’académique, tandis que les vertiges de Piranèse, comptable de ne pas soigner
l’entendement ne parvient pas à impératif quelconque ? d’échanger des jugements, ce qui suscite un plaisir Spécialiste du corps dont il qu’un véritable « marché de les visions de Friedrich et les son apparence, soumis à un
conceptualiser cette impression (la et un intérêt spécifiques (cf. analyse de Kant). s’attache à décrypter les usages l’embellissement » répond à un équilibres palladiens, l’option chantage public qui siffle sans
finalité n’est pas une catégorie de Le plan détaillé du développement b) De nos jours, les frontières de l’art ne sont pas comme les images, Georges impératif nouveau : gérer une organique de Gaudi ou l’in- état d’âme les hors-jeu. Le
l’entendement), il s’ensuit un jeu I. Le plaisir a partie liée avec l’essence et l’exis- fixes, et le jugement doit être forgé sur le statut Vigarello a la prudence de pré- apparence qui s’escamote moins. solence de Duchamp. Ména- problème tient à la parfaite
entre lui et l’imagination qui nous tence même des œuvres d’art. même d’œuvre d’art, sur le fait même de savoir en ciser, dès son sous-titre, qu’il Au xxe  siècle, la démocratisa- geant un dialogue permanent artificialité des références qui
procure un sentiment de plaisir : a) Il existe un plaisir naturel propre à la vision des quoi il s’agit d’une œuvre d’art (exemple des ready- n’interrogera que l’apparence tion en marche s’appuie sur avec théoriciens et littérateurs distord comme à la sollicitation
le plaisir esthétique. Comme dans images (cf. analyse d’Aristote), ce pour quoi l’art est made de Duchamp). Pour cela, le plaisir ne suffit pas. physique dans un cadre social et la fabrique d’un idéal que les (Dante, Bembo, Kant, Baude- continuelle qui interdit la sage
ces jugements, le sujet ne fait que essentiellement imitatif. chronologique limité. De fait, sa stars modélisent, avant de le laire, Roussel ou Barthes). indifférence à ce goût de la
projeter sur l’objet sa propre struc- b) Les grandes œuvres sont celles qui, depuis leur Conclusion leçon, circonscrite, a le mérite de mondialiser. Accompagnant, C’est une sorte de Carte du norme qui ignore l’intimité des
ture, Kant les nomme : jugements création, plaisent de façon constante, du fait des Une œuvre d’art suscite plaisir et intérêt, de diffé- la clarté. S’attachant à étudier le sans confondre les images, les Tendre du Beau que tentent sensations. Magistral et stimu-
réfléchissants. qualités de composition qu’elles possèdent (cf. rentes natures, mais sans que l’exigence de plaisir passage d’une perception de la mutations sociales. Ainsi l’éga- Eco et Michele. Un parcours do- lant, ce regard interroge. Et sait
analyse de Hume). soit elle-même un préalable à remplir. beauté « don de Dieu », héritée lité entre les sexes tend moins cumenté par les seules œuvres laisser la réponse ouverte.
c) L’appréciation de la beauté se fait en fonction du Moyen Âge, à l’impératif à une esthétique androgyne d’art  –  Eco s’en explique dès
« Le beau est ce du plaisir ressenti, donc sans plaisir, les œuvres ne Les bons outils actuel, au cœur d’une véritable qu’à la promotion parallèle l’introduction – qui s’ouvre sur Philippe-Jean Catinchi
qui est représenté, seraient pas reconnues comme telles. • Aristote, Poétique. industrie, où le mince, le musclé, d’un corps qu’on rêve désin- la visite d’une pinacothèque (1er octobre 2004)
sans concepts, Transition  : Pourtant, nombreuses ont été les • Hume, De la norme du goût. Est présentée dans le lisse et le hâlé tiennent lieu hibé, d’autant plus artificiel idéale où Vénus et Adonis,
comme l’objet œuvres non appréciées, voire condamnées lors cet essai la figure du critique d’art. d’absolus, justifiant toutes les su- qu’il se veut glorieux. L’issue vêtus ou non, précèdent le
d’une satisfaction de leur création. • Diderot, Traité du Beau. renchères, tant cosmétiques que ne peut venir de la multiplicité Christ et la Vierge comme pourquoi
universelle. Cette • Plotin, Traité du beau. chirurgicales, Vigarello travaille des looks, dont les stéréotypes le Roi et la Reine. L’enquête cet article ?
II. La relativité du plaisir esthétique constitue • Kant, Critique de la faculté de juger. sur l’« invention » d’un corps assignent à une normalisation peut commencer. Née d’une
définition du beau un problème. nouveau, accessible à chacun au minimale, d’autant plus éprou- commande pour le marché du Entre les concepts de kalon et
peut être tirée de la a) Le jugement esthétique est relatif à chacun, s’il prix d’une exigence qui devient vante que les canons en varient cédérom (Bellezza. Storia di kanon grecs, cet article illustre la
précédente, qui en fait repose sur un plaisir. Ce qu’il ne faut pas faire peu à peu un devoir social. fréquemment. un’idea dell’Occidente parut variation des goûts esthétiques au
l’objet d’une citation b) Le plaisir éprouvé par le plus grand nombre Omettre de citer et d’analyser ne serait-ce qu’un Car la promotion du visible Triomphe de l’apparence, donc. en 2002 chez Motta on line), la travers des siècles. Il nous renvoie
tirée de tout intérêt. » ne signifie pas que l’œuvre soit de grande qualité exemple d’œuvre d’art. n’émancipe pas forcément. Avec pour seul acquis l’équiva- présente somme n’interroge ce faisant à la distinction kan-
(Kant) (exemple du cinéma dit « grand public »). Il peut Et l’historien de pointer les lence admise entre la beauté des que ce que les hommes ont tienne du beau et de l’agréable.
y avoir un plaisir superficiel, lié à l’apparence de canons qui bouleversent la hommes et celle des femmes, considéré comme « beau » à

34 La culture La culture 35
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

Le travail
ZOOM SUR… mais comme je ne peux pas
tout travailler, ma propriété
ZOOM SUR…
La pensée de Karl Marx est naturellement limitée  : le
droit naturel répartit donc
Plus-value, valeur
L’accumulation équitablement la propriété
du capital entre les hommes. d’usage, valeur
La plus-value progressivement gé- Rousseau ajoute cependant d’échange

T
nérée par les processus productifs que ce droit naturel n’est Aristote différenciait la valeur
conduit à une lente accumulation oute société humaine est fondée sur un partage du travail pas le droit positif  : dans un d’usage d’un objet (ce qu’il
de capital. Nous ne sommes pas corps social organisé, c’est la permet de faire) et sa valeur
encore dans le mode de production entre ses différents membres. La nécessité du travail est loi, et non le seul travail, qui d’échange (ce qu’il permet d’ob-
capitaliste, mais cette accumula- pourtant vécue comme une malédiction pénible. N’est-il fixe la propriété de chacun. tenir si je l’échange contre autre
tion et la constitution progres-
sive d’une classe de possédants
pas cependant une condition de l’accomplissement de l’huma- Lorsqu’il passe de l’état de
nature à l’état civil, l’homme
chose). Mais pour pouvoir échan-
ger, il faut établir une valeur com-
en est une des deux conditions nité ? En outre, chacun produisant quelque chose de différent, abandonne le bien dont il mune aux objets de l’échange.
de possibilité. La seconde, c’est
la constitution progressive d’une
comment mesurer la valeur relative des biens que l’on échange ? jouissait seulement pour en
être le premier occupant  :
Comment savoir ce que vaut par
exemple une paire de chaussures
classe de prolétaires  ; c’est-à-dire désormais, n’est à moi que ce par rapport à un morceau de
d’hommes ne possédant plus rien et conquiert sa liberté et son dont la loi me reconnaît légi- pain  ? Dans l’échange apparaît
qu’eux-mêmes, et par-là réduc- humanité. C’est ce que montre time propriétaire. L’État doit- donc ce qu’il y a de commun à
tibles à une force de travail qu’ils Hegel : en m’apprenant à retar- il alors simplement constater tous les produits : la dépense de
devront vendre pour survivre. der le moment de la satisfaction l’inégalité des richesses et de la travail humain qu’il a fallu pour
Au prix de son propre épuise- de mes désirs, le travail m’oblige propriété de chacun, ou doit-il les produire. C’est elle qui fixe la
ment, la force de travail produit à me discipliner. chercher à les répartir entre ses valeur d’échange ; c’est elle qui est
une plus-value qui revient tout membres ? prise en compte lorsque le pro-
entière au propriétaire du capital ; Dans l’effort, l’homme se rend duit devient produit d’échange,
le salaire n’est donc pas le prix peu à peu maître de lui  : il se L’organisation c’est-à-dire marchandise.

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
du travail, mais le prix de la force libère ainsi de la nature en lui capitaliste Maintenant, le but d’une tran-
de travail, achetée par le proprié- (les instincts) en transformant du travail saction marchande, c’est de
taire des moyens de production, la nature hors de lui. Faire taire en change-t-elle vendre la marchandise plus cher
au même tire que n’importe la tyrannie des instincts, n’est- le sens ? qu’elle n’a effectivement coûté
quelle matière première. Ce qui ce pas là précisément être libre, Marx montre comment le à produire. Si ce qui détermine
détermine le salaire, ce n’est rien n’est-ce pas là la marque propre système capitaliste fait du sa valeur, c’est la quantité de
d’autre que le prix nécessaire au de l’humanité ? Le travail est donc propriétaire d’un bien non ce- travail, alors le travailleur peut
renouvellement de la force de nécessaire en un second sens  : lui qui le travaille, mais celui réclamer à bon droit une part
travail épuisée par le processus Karl Marx sans lui, l’homme ne peut pas qui en possède les moyens de de la plus-value engendrée par
productif. réaliser son humanité. production : c’est le capital qui la vente du produit de son tra-
En quoi le travail est-il est rémunéré, et non le travail, vail  ; mais le propriétaire des
L’aliénation une nécessité ? en sorte que les propriétaires moyens de production, quant
du travailleur L’étymologie même du mot «  tra- Illustration tirée des Confessions de Jean-Jacques Rousseau. n’ont pas besoin de travailler, à lui, va tenter au contraire de
L’ouvrier, réduit à n’être qu’une vail  » renvoie à un instrument de « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa et que les travailleurs ne peu- s’accaparer cette plus-value et
force de travail, voit son travail torture  ; Dieu condamne d’ailleurs de dire ceci est à moi, et trouva des gens assez vent devenir propriétaires. même de l’augmenter en payant
l’appauvrir au lieu de l’enrichir : Adam au travail, qui est le châti- simple pour le croire, fut le vrai fondateur La nécessité du travail n’est-elle En dépossédant le travailleur de ses moyens de le travail moins cher que ce qu’il
il ne peut même pas acheter le ment du péché originel. Le travail est de la société civile. » qu’une contrainte ? production et du produit de son travail, le capita- rapporte. C’est donc autour de la
produit de ses efforts, tandis donc une nécessité vitale à laquelle (Rousseau) Le travail ne doit pas être pensé dans l’horizon de la lisme, au lieu d’en faire une activité libératrice et répartition de la plus-value que
que la rationalisation du pro- l’homme semble condamné, car, survie : par son travail, l’homme cultive et humanise formatrice, a rendu le travail aliénant  : dans «  le s’organise la lutte des classes. Le
cessus productif et la division contrairement aux animaux, il ne « Le travail ne produit pas seulement la nature (Marx) et se cultive lui-même. travail aliéné » inauguré par la grande industrie et le propriétaire du capital va tenter
des tâches le transforment en trouve pas dans la nature de quoi
des marchandises ; il se produit lui-même Tel est le sens de la dialectique du maître et de salariat, non seulement l’ouvrier n’est pas maître de de maximiser ses profits  ; mais
et produit l’ouvrier comme une marchandise. »
pièce d’un mécanisme qui lui satisfaire immédiatement ses be- l’esclave chez Hegel : le maître, c’est-à-dire celui qui ce qu’il fait, mais encore sa force de travail est elle- d’une part l’accumulation de
(Marx)
échappe et sur lequel il n’a plus soins : les vêtements ne se tissent pas jouit du travail d’autrui sans avoir rien à faire de même vendue et achetée comme une marchandise. capital tend structurellement à
aucune maîtrise. Au lieu d’être tout seuls, la terre doit être cultivée. « C’est le travail qui donne à toute chose sa valeur. » ses dix doigts, est finalement le véritable esclave ; Le travail devient donc aliéné en un double sens : diminuer le taux de profit (il
une affirmation de soi et une L’invention des machines ne résout (Locke) et l’esclave, qui apprend à se discipliner lui-même d’abord parce que le travailleur le vend, et ensuite faudrait que le profit augmente
libération, comme le croyait pas le problème puisqu’il faut encore et acquiert patiemment un savoir-faire, devient parce qu’en le vendant, il s’aliène lui-même. proportionnellement au capital
encore Hegel, le travail devient des hommes pour les concevoir et « Le bonheur consiste dans le loisir. » maître de lui comme de la nature. Alors qu’il était accumulé pour que ce taux reste
le lieu de la suprême aliénation : les réparer. (Aristote) une contrainte subie et la marque de l’esclavage, le constant), et d’autre part elle se
en vendant son travail, l’ouvrier travail devient moteur de notre libération. un article du Monde fait au prix d’une paupérisation
se vent lui-même, c’est-à-dire Travailler est-il un « L’esclave lui-même est une sorte de propriété à consulter croissante des prolétaires : c’est
aliène sa propre essence. «  Le obstacle à la liberté ? animée et tout homme au service d’autrui est comme Le travail fonde-t-il la propriété ? le signe que le capitalisme est en
travail ne produit pas seulement Si le travail est vécu comme une un instrument. Si les navettes tissaient d’elles même, Le champ appartient à celui qui l’a défriché et qui le • Manifeste du parti communiste p. 39 train d’entrer en contradiction
des marchandises ; il se produit contrainte pénible, il n’en est les chef n’auraient pas besoin d’esclaves. » laboure : c’est, selon Locke, le fondement même de («  Les livres qui ont changé le monde  », avec lui-même, et qu’une crise
lui-même et produit l’ouvrier pas moins le moyen par lequel (Aristote) la société civile. Je possède ce que je travaille, sans 5 février 2010) dépassant ce mode de production
comme une marchandise. » l’homme s’affranchit de la nature avoir pour cela besoin du consentement des autres ; est imminente.

36 La culture La culture 37
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

MOTS CLÉS
aliénation Dissertation : Peut-on opposer Manifeste du parti communiste
Du latin alienus, «  étranger  », de

le loisir au travail ? P
alius, « autre ». En droit, désigne le « rolétaires de tous les pays, « à la face du monde entier ». Son titre propriété d’État, mais en aucun cas que, loin d’être la simple projection
fait de donner ou de vendre. C’est unissez-vous ! » : ainsi se initial, Manifeste du parti communiste, une « propriété commune ». La seule d’une conscience ou d’une volonté, les
le sens qu’utilise Rousseau dans Le conclut l’ouvrage occidental le ne devient Manifeste communiste chose « commune » était sans doute pratiques ont leur logique propre qui
Contrat social. plus lu et le plus traduit après la Bible, qu’à partir de l’édition allemande de la misère et l’oppression, comme si fait que leur résultat échappe souvent
Selon Hegel, Feuerbach et Marx, répétitive, pénible, imposée par rédigé au moment où la révolution de 1872. Marx, qui proposa lui-même de s’incarnait là tragiquement ce que le au contrôle des acteurs eux-mêmes :
l’aliénation est le processus par la nature (cf. analyse de Marx). 1848 éclate en France. Pierre Dardot dissoudre la Ligue des communistes jeune Marx avait appelé le commu- les hommes font leur propre histoire,
lequel un individu est dépossédé b)  Au contraire, le loisir est li- et Christian Laval reviennent sur la en 1852, faisait très bien la différence nisme « grossier », celui qui institue la mais ils la font dans des circonstances
de ce qui le constitue au profit brement voulu, plaisant, sans portée de ce texte unique. Fondateurs entre « le parti compris dans le sens communauté en unique propriétaire données. Si l’on reste fidèle à ce « maté-
d’un autre, ce qui entraîne un as- exigence de résultats ni de ré- du groupe d’études et de recherche « tout à fait éphémère » et le parti qui « privé et nie toute individualité. Si le rialisme des pratiques », on ne peut que
servissement. gularité. Question Marx », vous êtes coauteurs naît partout spontanément du sol de « marxisme-léninisme » a « entaché » s’interdire de faire du communisme
c)  La division du travail et la de La Nouvelle Raison du monde. la société moderne », c’est-à-dire de le communisme, c’est donc en parve- une hypothèse indéterminée ou une
capitalisme hiérarchie professionnelle s’im- Essai sur la société néolibérale (La l’organisation spontanée du proléta- nant à persuader que le « commun » idée éternelle indifférente aux contin-
Système économique et social posent à l’individu. Le loisir est Découverte, 2009). Comment expli- riat en classe. se confondait avec ce qui était imposé gences de l’Histoire réelle. Cette concep-
caractérisé par la propriété pri- exercice de la liberté, de l’indi- quez-vous le formidable succès du – « Un spectre hante l’Europe : c’est par l’État. Cependant, on ne peut igno- tion, notamment défendue par Alain
vée des moyens de production et vidualité et d’une plus grande Manifeste du parti communiste   ? le spectre du communisme »... La rer qu’il y a chez Marx lui-même une Badiou et Slavoj Zizek aujourd’hui,
fondé sur la recherche du profit. mixité sociale. Pierre Dardot et Christian Laval  : Ce dramaturgie du texte, qui résume conception réductrice de la politique nourrit un « marxisme d’invocation »
Marx analyse et critique ce « mode Transition : Mais le loisir aussi succès est dû en grande partie au ca- toute l’histoire mondiale par la lutte comme violence, notamment comme qui, sous couvert d’un hommage pu-
de production bourgeois  », qui peut être pratiqué avec effort ractère performatif du texte, comme entre oppresseurs et opprimés, est exercice de la coercition par le moyen rement rhétorique, en revient à un
repose selon lui sur l’exploitation et régularité : club de sport, de l’a bien montré le philosophe Jacques saisissante. Pourquoi une telle mise de l’État, qui a pesé lourd jusque dans idéalisme à forte dimension religieuse.
du travail salarié, devenu une théâtre, etc. N’est-ce pas alors Derrida dans Spectres de Marx (1993) : en scène ? la pratique des régimes qui se sont – De quoi le communisme est-il, selon
marchandise, et l’aliénation des une forme de travail ? le Manifeste, loin de constater une Le Manifeste veut montrer que le réclamés de lui. vous, le nom ?
travailleurs. L’analyse du sujet situation (la montée des révolutions), communisme s’identifie au mouve- – Après la chute du Mur de Berlin, il Il faut être prudent s’agissant de l’avenir
I. Les termes du sujet II. Le loisir est soumis au travail. en appelle à un avenir qu’il accom- ment historique en cours, « le mou- était d’usage de proclamer la mort d’un nom qui a désigné et désigne

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
état de nature, • Loisir : a)  Le loisir répond à des procédés économiques et plit lui-même par sa publication. Les vement réel qui abolit l’état actuel de Marx. Or aujourd’hui, avec la crise encore des pouvoirs d’État d’autant
état civil – sens économique : toute activité indépendante du sociaux (cf. analyse de Arendt). communistes « opposent à la légende des choses   ». D’où le tranchant des économique, Marx revient. Comment plus monstrueux qu’ils font régner
L’état de nature est un état fictif travail rémunéré. b) Le loisir est passif, notamment quand le travail est du spectre du communisme un mani- formules et le souffle qui le traverse. expliquez-vous ce retour qui s’effec- l’exploitation capitaliste la plus féroce.
ou supposé de l’homme avant – sens psychologique : toute activité correspondant pénible et abêtissant (cf. analyse de Marx). feste du parti lui-même » et, ce faisant, Il met en scène la « révolution en tue aussi bien du côté des essayistes S’il peut devenir de nouveau un mot
qu’il ne vive en société. S’oppose à un goût ou plaisir personnel. Transition : N’y a-t-il pas opposition entre différentes font littéralement exister le commu- permanence  : la bourgeoisie a inau- libéraux que des penseurs radicaux ? de l’émancipation, c’est à la seule
à état civil, ou état social. Des • Travail : façons de travailler ou de se livrer à un loisir ? nisme comme parti. Le « parti » dont guré un bouleversement qui finira Signe des temps, le marketing édito- condition de défaire l’identification
philosophes comme Rousseau – sens large : toute activité qui produit des biens ou il est question n’est pas la Ligue des par la supprimer elle-même. Il noue rial recycle les proscrits d’hier, Marx du «   commun » à l’étatique, longtemps
ou Hobbes ont thématisé cette services ayant une valeur d’usage. III. Une nouvelle opposition, plus pertinente. communistes elle-même, qui n’en est et condense des idées de diverses pro- en tête. On célèbre en lui le prophète perpétuée par les partis «  commu-
distinction. –  sens restreint  : activité rémunérée, socialement a) Le travail, dans son essence, suppose une activité qu’une incarnation éphémère, mais venances. L’idée de la lutte entre les de la mondialisation, négligeant en nistes  ». Le commun compris en ce
organisée. mentale, une maîtrise technique et psychologique justement quelque chose qui n’existe classes est bien antérieure à 1848. C’est cela sa critique implacable du capi- sens ne désigne pas un « bien » dont
loisir • Peut-on opposer : qui amène l’homme à la culture (cf. analyse de Marx). pas encore, à savoir une association l’historiographie libérale qui, durant talisme. Mais on peut aussi relire on fait un usage commun (l’air, l’eau,
Au sens grec de skholê, activité – opposition de caractéristiques. b)  Inversement, certaines tâches sont purement internationale de travailleurs agissant la Restauration, en a fait la clé des sérieusement Marx, non pour le ou l’information), il est d’abord et avant
libre à laquelle un citoyen grec, – opposition de valeur. matérielles, alors qu’elles s’effectuent pendant le au grand jour. progrès de la civilisation européenne. «  sauver » ou pour l’« actualiser », tout ce que des individus font exister
qui n’était pas astreint à un tra- temps libre (ménage). Or le loisir ne se résume – Pourquoi Marx et Engels ont-ils Marx ne s’est jamais caché de cet em- mais pour s’expliquer avec lui. On par leurs pratiques lorsqu’ils mettent
vail manuel, pouvait s’adonner, II. Les points du programme pas à cela. choisi la forme du manifeste alors prunt à François Guizot ou à Augus- perdrait aussi quelques précieuses en commun leur intelligence, et ce
temps qu’il pouvait consacrer à • La société, les échanges. c) La véritable opposition de valeur se fait entre le que prédominait à l’époque celle du « tin Thierry. L’idée du remplacement leçons politiques à l’ignorer ou à qu’ils défendent contre toute tentative
des occupations personnelles. Le • Le travail, la technique. travail (activité répétitive et soumise à l’exigence catéchisme révolutionnaire » ? de l’antagonisme des classes et des le contourner. La simplification de de privatisation et de mise en marché.
loisir a trois fonctions  : le dé- • La liberté. de consommation) et « l’œuvre » (activité plus per- Le catéchisme est l’exposé d’une doc- nations par l’association universelle l’antagonisme entre bourgeoisie « Communisme  » doit donc faire en-
lassement (qui délivre le corps • Le bonheur. sonnelle et créatrice, selon les termes de Arendt). trine sous la forme de demandes et de des travailleurs vient des disciples et prolétariat, idée que l’on a prise tendre l’idée que l’émancipation ne
de la fatigue), le divertissement réponses. Moses Hess, surnommé le « de Saint-Simon. Mais l’énergie qui un peu vite pour une prédiction peut procéder que des pratiques de
(qui délivre l’existence de l’en- L’accroche Conclusion rabbin communiste », publie en 1844 porte tout le texte tient à l’objectif qu’il sociologique, relève plutôt de la po- « mise en commun  ».
nui), et la culture (qui délivre les L’ouverture des magasins le dimanche fait actuelle- Travail et loisir peuvent moins être opposés que un Catéchisme communiste par ques- assigne au mouvement prolétarien : la larisation des camps qui s’affrontent
esprits de l’ignorance). Il ne faut ment débat. consommation et création. tions et réponses. On discutait alors suppression de la propriété privée et la et du travail de composition des Propos recueillis par Nicolas Truong
pas confondre le loisir avec l’oi- beaucoup de divers projets de « profes- destruction de l’État. forces qui s’impose dans le combat. (« Les livres qui ont changé le monde »,
siveté, qui est un état d’inactivité La problématique sion de foi communiste ». Lui-même – En quel sens les régimes qui se sont Cette polarisation requiert, comme 05 février 2010)
complète. Loisir et travail  : s’agit-il de deux activités sans Ce qu’il ne faut pas faire auteur d’un contre-projet intitulé réclamés du « Manifeste » peuvent- Marx l’avait compris, un objectif
point commun entre elles, répondant à des finalités Analyser travail et loisir séparément, Principes du communisme, qui sacrifie ils être considérés comme commu- stratégique, celui qui a tant manqué
obligation, contraires ? N’existe-t-il pas des formes de travail, l’art dans deux parties distinctes. encore à la forme des questions et des nistes ? Dans quelle mesure les pays au chartisme anglais. Un tel objectif pourquoi
contrainte par exemple, qui s’apparentant au loisir ? réponses, Engels suggéra à Marx dès dits « marxistes-léninistes » ont-ils fait aujourd’hui cruellement défaut. cet article ?
L’obligation est un devoir auquel novembre 1847 « de laisser tomber la selon vous entaché le communisme ? – Quels sont les usages théoriques et
je suis tenu de satisfaire, tout Le plan détaillé du développement forme catéchisme et d’appeler ça “ Ma- On serait tenté de répondre : en aucun politiques de Marx les plus féconds Zoom sur Marx et son ouvrage
en pouvant matériellement m’y I.  Travail et loisir s’opposent sur de nombreux Les bons outils nifeste communiste ”. À la différence sens. En effet, les moyens de produc- aujourd’hui ? Manifeste du parti communiste,
soustraire. La contrainte est une points. • Marx, Le Manifeste du parti communiste. du catéchisme, destiné à des cercles de tion devinrent propriété de l’État, mais Et en quel sens le communisme est-il incontournable dans une ré-
force à laquelle je n’ai pas la pos- a) Le travail relève pour l’homme de la nécessité de • Arendt, Condition de l’homme moderne : l’auteur y propagande ou à des sociétés secrètes, l’État devint la propriété privée du une hypothèse, une idée à réactiver ? flexion sur le travail.
sibilité d’échapper. produire pour satisfaire ses besoins. C’est une activité distingue le concept de travail et celui d’œuvre. le Manifeste se veut une proclamation parti. Il y avait donc peut-être une Le plus fécond chez Marx, c’est l’idée

38 La culture La culture 39
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

La technique
ZOOM SUR… ZOOM SUR…
La pensée artistotélicienne
de la nature et de la tech-
nique Le mouvement et le
« premier moteur »

«
La célèbre doctrine des
L’art et la nature quatre causes va ainsi per-
La substance individuelle  Technique » vient du grec technè qui signifie, selon Aris- mettre à Aristote de penser
ou première, support des la nature et ses changements
changements, est elle-même tote, «  une disposition à produire accompagnée d’une (ce dont Platon se désinté-
déterminable comme un règle vraie » : la technique au sens grec, c’est l’ensemble ressait).
composé de matière et de Il en distingue d’ailleurs dans
forme. La matière, c’est le
des règles qu’il faut suivre pour produire un objet donné. Mais la la Physique quatre sortes,
support ultime, le noyau technique moderne peut-elle encore se comprendre ainsi ? suivant ce qui est affecté
stable de la substance, qui, par un changement  : il y a
comme on le voit dans la le changement selon le lieu
production technique, peut pointu qu’il a ramassé, mais il ne saurait le tailler (ou «  transport  »), le chan-
perdre une forme détermi- lui-même pour le rendre pointu. gement selon l’essence («  la
née pour en acquérir une génération et la corruption »
autre : le bois de l’arbre de- Dans le Gorgias, Platon fait le récit mythique d’une chose), le changement
vient le bois de la chaise. de la naissance de la technique  : l’imprudent selon la qualité ou «  altéra-
Mais c’est la forme qui fait Épiméthée n’ayant laissé à l’homme aucun tion » (ce qui se produit, par
d’une chose ce qu’elle est  : instrument naturel pour se nourrir et se dé- exemple, quand la capacité
dans ce sens, elle coïncide fendre, son frère Prométhée aurait dérobé la de voir de l’œil passe à l’acte),
avec son essence. technique et le feu aux dieux. Entendons par là et le changement selon la
Soulignons l’importance du que la technique comme production d’outils quantité («  la croissance et

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
paradigme de la production est pour l’homme une nécessité vitale  : avec la diminution » d’une plante
technique chez Aristote  : il la technique, l’homme devient « homo faber » par exemple, qui pousse puis
va lui permettre de penser (Bergson), l’être qui place des outils entre lui et que fait Heidegger entre la pensée méditante et se fane).
la nature elle-même. En le monde. La technique n’est-elle qu’une désintéressée, et la pensée calculante qui veut Mais quelque chose ne
effet, la production d’une disposition à produire ? par la technique dominer la nature et l’asservir peut changer que s’il est
s u b s t a n c e i n d iv i du e l le Que signifie la définition Pour comprendre ce qu’est une chose, il faut aux besoins de l’homme. lui-même mis en mou-
suppose l’intervention de aristotélicienne de la technique ? savoir ou imaginer comment elle a été produite : vement par autre chose.
quatre causes que l’art rend Selon Aristote, tout objet produit non par la c’est ce qu’on appelle le « schème artificialiste ». Le danger lié à la technique n’est donc pas Or, comme « il est nécessaire
visibles : en plus de la cause nature, mais par l’homme, est déterminé par Autrement dit, la technique nous fournit les d’abord celui d’une explosion nucléaire ou de s’arrêter quelque part  »
formelle (la forme du lit) quatre causes : la cause matérielle (la matière modèles selon lesquels nous comprenons le d’un conflit planétaire destructeur : le véritable dans la régression à l’infini
et de la cause matérielle (le dans laquelle il est fait), la cause formelle (la monde qui nous entoure : ainsi, nous appliquons danger, c’est que la technique devienne l’unique (selon un célèbre principe
bois) déjà citées, il faut une forme qu’on va lui donner), la cause finale (ce sans même nous en rendre compte des schèmes mode de pensée, c’est-à-dire la seule façon que aristotélicien), il doit y avoir
cause efficiente (l’artisan) et à quoi l’objet va servir) et la cause efficiente techniques sur la nature afin de la rendre com- nous ayons de penser quelque chose. Car alors, un principe ultime de tout
une cause finale (le projet de (l’artisan qui travaille l’objet). préhensible − nous disons qu’un arbre produit il nous faudra craindre que l’homme se pense changement, qui lui-même
l’artisan). La technique est l’ensemble des règles permet- des fruits, comme on dit d’un potier qu’il produit lui-même en termes techniques, comme un ne se meut pas  : c’est le
L’art permet ainsi de distin- tant d’ordonner ces causes dans un art donné : des cruches. Cela signifie que la façon dont nous objet manipulable ou comme une ressource premier moteur non mû ou
guer ce qui est étroitement une règle technique nous dit comment travailler pensons la technique détermine radicalement à exploiter de la manière la plus productive principe divin.
uni dans la production d’une telle matière, quelle forme lui donner, si l’on veut notre rapport au monde. possible. Cette première cause du
chose naturelle par la physis en faire tel objet. mouvement doit toujours
(la « nature ») : alors qu’une Or, nous dit Heidegger, cela a déjà eu lieu. La être en acte (sinon il au-
chose artificielle a hors Pourquoi la technique La définition aristotélicienne technique n’est plus un projet dont l’homme rait besoin d’un autre être
d’elle-même le principe de est-elle un ensemble s’applique-t-elle à la technique serait encore le maître  : elle est bien plutôt la qui le fasse passer à l’acte
sa propre production et de de « règles vraies » ? moderne ? façon dont l’homme moderne se comprend et ainsi à l’infini), ne peut
ses changements, une chose Un artisan n’est pas libre de faire ce qu’il veut : Selon Aristote, la technique est l’ensemble des lui-même et comprend le monde, en sorte que qu’être immobile, éternelle
naturelle renferme en elle- on ne fait pas des haches en plomb ou des fers règles définissant les moyens en vue d’une fin. l’homme lui-même est mis au service de la et immuable et donc par là
même, par essence et non à cheval en bois. Pour produire un objet, il faut Heidegger montre comment notre modernité ne technique, et non l’inverse. immatérielle (la matière est
par accident, le principe ou ordonner la matière et la forme selon la fonction pense plus la technique comme l’ensemble des toujours sujette aux chan-
la cause de son mouvement Statue d’Aristote. qu’on veut lui attribuer, en obéissant à ce qu’on règles nécessaires à un art : nous en sommes au gements et à la corruption).
et de son repos. appelle les règles de l’art. contraire venus à ne plus penser les choses qu’en un article du Monde De ce fait, son essence sera
Si donc, selon le mot d’Aris- La technique est-elle Ces règles ne sont pas laissées au caprice de tel termes techniques. à consulter d’être pure pensée se pensant
tote, « l’art imite la nature », spécifiquement humaine ? ou tel  : elles sont nécessaires et enseignables, elle-même, ou pure « pensée
c’est pourtant par analogie Chez l’animal, l’organe et l’outil se confondent : c’est-à-dire qu’on peut les transmettre  ; en ce La technique n’est donc pas un instrument • Ce qu'on peut faire dire de la pensée  », parce qu’il
avec l’art que se comprend la le crabe, par exemple, se sert de ses pinces pour sens, on peut dire qu’elles sont « vraies », parce neutre qu’on peut bien ou mal utiliser, mais un à la technique p. 43 n’y a pas d’objet de pensée
génération naturelle.comme s’enterrer. Même les primates ne fabriquent pas qu’elles ne changent pas et ne peuvent pas être mode de pensée. L’homme ne pense plus qu’à (Georges Balandier, 17 mai 2002) plus excellent que le premier
une marchandise. d’outils : un chimpanzé peut se servir d’un bâton modifiées. gérer, à calculer et à prévoir : c’est la différence moteur lui-même.

40 La culture La culture 41
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

ZOOM SUR…
Martin Heidegger, Essais et
conférences, « La question de
la technique »
Dissertation : Le développement technique
est-il une menace pour la liberté ?
Ce qu’on peut faire dire
à la technique
« L’essence de la technique n’est ab-
solument rien de technique. Aussi L’analyse du sujet
ne percevrons-nous jamais notre rap- I. Les termes du sujet
port à l’essence de la technique, aussi • Le développement technique :
longtemps que nous nous bornerons – au sens économique, les innovations de produits et
à nous représenter la technique et à la de procédés de production.
pratiquer, à nous en accommoder ou –  au sens usuel, la part grandissante des objets Interrogeant technophobie et technophilie, Lucien Sfez s’attache à analyser comment
à la fuir […]. Quand cependant nous techniques dans le quotidien.
considérons la technique comme • Menace : se sont constitués à la fois le discours technologique et son utopie.
quelque chose de neutre, c’est alors – idée de danger, identifié ou non.

L
que nous lui sommes livrés de la – idée de volonté délibérée. a technique, autant que la habitées par la fiction », elles de connaissance technique ». naturelles ». Ce sont celles qui
pire façon. » • Liberté : b)  Le marché économique renouvelle sans cesse parole, constitue le monde sont associables. Mais la fiction Il évoque ainsi les « person- font de l’univers technique un
–  au sens philosophique, métaphysique, le libre l’offre de produits et rend obsolètes des objets pour- en ce qu’il a de proprement ainsi évoquée ne relève pas de la nages conceptuels » (formule univers qui a, peut-on dire, la
Concevoir la technique comme arbitre, la faculté de choix. tant performants, ce qui nous pousse à consommer humain. Dans la philosophie simple illusion, elle agit en tant empruntée à Deleuze) et les ob- même puissance d’évidence
« quelque chose de neutre », c’est la – au sens politique, l’ensemble des droits reconnus (cf. analyse de Arendt). grecque, elle donne à l’homme que moteur et d’autant plus jets de référence (dont Internet que la nature elle-même. La
concevoir comme un instrument. par un État, une Constitution. Transition : Pour autant, s’agit-il de revenir en arrière ? les moyens d’être créateur par qu’elle peut se présenter sous qualifié de « plus grand réfé- publicité exaltant les objets
Un instrument n’est en soi ni bon ni lui-même, d’exploiter le possible la forme de l’utopie en voie de rent ») qui peuplent cet ima- techniques en banalise la certi-
mauvais, il est absolument neutre, II. Les points du programme III. La technique ne doit être qu’un moyen. du monde et d’effectuer ce que réalisation. Comment définir la ginaire. Celui-ci est constitutif tude. Mais les biotechnologies,
et tout dépend de la façon dont • La technique. a) Les possibilités techniques vont jusqu’à changer la nature est dans l’impossibilité fiction qui se manifeste à travers du techno-discours en tant que en technicisant la nature et
on l’utilise : je peux avec le même • La liberté. l’ordre écologique (réchauffement climatique) ou d’accomplir. Mais elle est tenue les « techno-discours » et les fiction, de ce qui le rend « im- l’homme lui-même, sont les
couteau peler une pomme ou agres- • L’État. modifier la structure des organismes (ogm, clonage). en son domaine, elle reste l’ins- nouveaux fétiches techniques ? perméable » à la critique. Après principales pourvoyeuses de

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
ser autrui. Selon un vieux schème Elles permettraient même de détruire la Terre entière trument du pouvoir-faire, elle Comment identifier sa fonction le traitement théorique vient la cette imagerie, cependant que
hérité d’Aristote, la technique serait L’accroche (arme nucléaire). L’homme se retrouve donc dans une est soumise à la production du et mesurer son pouvoir d’« insé- démonstration concrète, c’est l’écologie peut y contribuer
justement un ensemble de moyens Chaque individu est repérable grâce à son téléphone situation de pouvoir quasi divin sur la nature. sens et à la capacité d’instituer. mination » par le foisonnement l’objet de la seconde partie du indirectement par l’opposition
déployés en vue d’obtenir une fin portable. b) Pourtant le risque principal n’est pas là : il est plutôt C’est aujourd’hui l’inverse, la des images ? livre, consacrée aux « images d’une fiction − celle d’origine
visée à l’avance  ; si ce schème est que la technique devienne l’unique mode de pensée technique est devenue omni- C’est à cette double tâche que du récit techno-politique ». À technologique − à une autre
exact, il serait inutile de se demander La problématique de l’être humain, que l’homme ne raisonne plus qu’en présente, elle fascine et inquiète Lucien Sfez s’attache dans un ce qui n’est pas un imaginaire − celle d’une nature personni-
ce que « vaut » la technique. Notons Les objets techniques accroissent notre pouvoir termes techniques, se considérant lui-même comme par sa puissance continûment parcours d’analyse critique, de technicien spécifique mais fiée affirmant ses droits.
cependant qu’il ne s’agit pas non d’action, mais n’augmentent-ils pas aussi l’étendue un objet ou une ressource à exploiter. La technique accrue. L’emballement techni- démonstration, au tracé com- plutôt une « imagerie ». Si la fiction imprègne les re-
plus de l’encenser ou de la diaboliser des pouvoirs exercés sur nous, par exemple la sur- doit rester un moyen en vue d’une fin dont l’homme ciste engendre les embarras du plexe où se retrouvent nombre Deux catégories d’images sont présentations et les pratiques
(il n’y a pas de « technophobie » chez veillance ? reste maître. langage, les affrontements doc- des apports théoriques anté- identifiées, sans que la ligne de nées des technologies, peut-elle
Heidegger !) : tous ces rapports sont Gardons-nous la réelle maîtrise du développement de trinaux, les passions inverses et rieurs. Ceux qu’il a constitués partage puisse être nettement être une « fiction instituante  »
faux, et foncièrement inadéquats, la technique dans notre vie de tous les jours ? Conclusion épisodiquement les doutes. De en proposant une « critique tracée. Les unes sont dites de la société en son entier et
tout simplement parce que la tech- Le développement technique constitue une menace là, ces discours contraires qui de la décision », en explorant « techno-sociales ». Elles sont du politique ? En conclusion,
nique n’est plus un instrument. La Le plan détaillé du développement pour la liberté s’il se fait sans intervention collective envahissent les débats actuels : la « symbolique politique », en exploitées par les acteurs qui Lucien Sfez s’attache à montrer
pensée issue d’Aristote ne peut plus I. Le développement technique nous libère de mul- ou politique de la part des citoyens, et si l’homme se la technophilie opposée à la présentant une « critique de la contribuent à l’entretien du que rien n’est moins sûr. La
concevoir la technique moderne, tiples efforts et dangers. met lui-même au service de la technique. technophobie, le mouvement communication », et surtout en lien techno-social, aux rap- technique a en vue une seule
dont l’essence n’est rien de tech- a)  Les progrès techniques ont fait reculer les pires du progrès au déclin par inertie... se faisant l’analyste du « rêve ports établis entre technique, chose, une seule vérité : l’action
nique, parce que cette technique dangers naturels : les maladies et autres fléaux sont Lucien Sfez soumet à la ques- bio-technologique ». Ce sont société, et politique. Elles se efficace et sa vérification par
est en son essence une modalité moins dévastateurs dans les sociétés les plus « avan- Ce qu’il ne faut pas faire tion ces oppositions, comme là les supports constamment manifestent dans l’alliance d’ les résultats. Elle additionne,
particulière du penser. cées » techniquement. Traiter et illustrer seulement l’aspect négatif le déplacement langagier qui rappelés par les références, ils « une certaine vision prospec- mais elle ne lie pas, par manque
Et voilà le danger de la technique : b)  Les progrès techniques nous libèrent de tâches du progrès technique. situe en équivalence tech- servent d’appuis à une nouvelle tive (voire utopique) issue du d’une symbolique unifiante.
la technique est un mode de penser, pénibles, dans la vie professionnelle comme do- niques et technologies, comme attaque : celle qui met à nu la technicisme et d’une vision Elle ne lie pas, mais assure le
et non un outil, et son danger est mestique. Le temps de loisir s’en trouve augmenté le mariage ambigu de la tech- technique en la révélant, au-de- économique, pragmatique, « service des puissances écono-
d’abord un danger pour la pensée. (cf. analyse de Arendt). Les bons outils nique et de la politique. Il le là du pouvoir-faire, comme une du problème technique ». miques dominantes ».
Quand il ne saura plus que calculer c) Les objets techniques sont de plus en plus acces- • Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne. fait sous l’éclairage d’une thèse fiction que des relais mettent Elles alimentent la rhéto-
et prévoir, tout penser en termes de sibles à tous (portable, iPod, etc.). • Martin Heidegger, Qu’est-ce que la technique ? principale. Le discours tech- en oeuvre. Les plus efficients rique dirigeante. Les autres Georges Balandier
rentes et de capitaux (on parle ainsi Transition  : Ce pouvoir ne peut-il pas se retourner nologique ne peut être réduit étant évidemment ceux « qui images sont dites « techno- (17 mai 2002)
déjà de « capital-temps » à propos contre nous ? au « discours des choses elles- font le pont entre technique
de l’existence), l’homme ne sera pas « Supposons maintenant mêmes » − entendons par là et politique », en accrochant
seulement incapable d’apprécier la II. Le développement technique peut être un vecteur que la technique ne soit pas ce que disent les instruments, fortement un domaine à l’autre. pourquoi l’apparition dans le monde d’au-
beauté gratuite d’une œuvre d’art : de domination. un simple moyen : quelles chances les dispositifs techniques, Lucien Sfez considère en ou- cet article ? jourd’hui − où la technique est
il sera incapable de comprendre a)  Le développement technique entre bien dans restent alors à la volonté de les pratiques −, il appartient verture l’imaginaire dans son devenue reine − de deux discours
qu’il n’est pas un objet, parce que une logique de pouvoir qui consiste à surveiller les s’en rendre maître ? » à l’ordre de la « fiction ». Et rapport à la technique, en À partir d’un ouvrage de Lucien opposés : celui de la tecnophilie
la différence entre lui et les objets agissements des individus (cf.  analyse de Foucault (Heidegger) dans la mesure où technique fonction du travail que celui- Sfez, Georges Balandier analyse opposé à celui de la technophobie.
aura été peu à peu gommée. sur le pouvoir technocratique moderne). et politique sont « toutes deux ci accomplit « dans le mode

42 La culture La culture 43
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS Religion et raison MOTS CLÉS

La religion
s’excluent-elles
bonheur mutuellement ? fétichisme
État de plénitude et de satisfac- La philosophie doit, selon Feuer- Stade archaïque du fait religieux,
tion durable, par opposition au bach, entreprendre la « critique qui consiste à considérer les objets
plaisir éphémère. La philosophie de la déraison pure  », c’est-à- animés et inanimés comme habi-

I
antique en fait le souverain bien, dire du christianisme ; en cela, tés par des esprits et porteurs de
c’est-à-dire la fin suprême de la l s’agit de savoir ici ce que sont les religions en général, il s’oppose à Kant, qui envisage puissances magiques.
vie humaine, indissociable de
la vertu. Kant critiquera cette
et non de parler de telle ou telle religion. Le fait religieux est la possibilité d’une religion
rationnelle. Si la Critique de mythe
position et montrera que ce à présent dans toutes les cultures humaines, même les plus la raison pure a bien montré Du grec muthos, « récit, légende ».
quoi l’homme est destiné, ce
n’est pas tant le bonheur que la
primitives  : fondamentalement, le fait religieux lie l’homme à qu’aucune preuve de l’existence
de Dieu n’était recevable, Kant y
Récit fictif relatant en particulier
l’origine du monde, et permettant
moralité, qui seule le rend digne des puissances qui sont plus qu’humaines. La question est alors explique également que l’exis- ainsi d’organiser, au sein d’une
d’être heureux. de savoir si raison et religion doivent s’exclure réciproquement. tence de Dieu est un postulat société, la compréhension du réel
nécessaire de la raison pratique. et de justifier l’ordre naturel et
conviction social du monde.
Croyance réfléchie et volon- Peut-on définir la religion ?
taire, qui se distingue de l’opi- Le philosophe latin Cicéron donnait une double Le devoir en effet semble aller à polythéisme
nion et de la certitude (qui n’est étymologie à la religion : elle viendrait à la fois l’encontre de notre bonheur per- Du grec polus, «  nombreux  », et
pas seulement subjectivement de relegere, « rassembler », et de religare, « ratta- sonnel : dans ce monde, il n’est theos, « dieu ». Religion qui pose
fondée mais qui est objecti- cher ». Ainsi, la religion rassemble les hommes pas possible de penser le juste l’existence de plusieurs dieux.
vement et rationnellement en les rattachant ensemble à des puissances rapport entre bonheur et vertu.
fondée). surnaturelles qu’ils doivent vénérer  : c’est le Pour que le devoir lui-même ne raison
sentiment du sacré, mélange de crainte et de sombre pas dans l’absurde, il Si ses déterminations exactes va-
création continuée respect pour des forces qui nous dépassent. faut alors nécessairement pos- rient d’un philosophe à l’autre,
Manière dont Descartes conçoit Vénération du sacré, la religion prend la forme tuler l’existence d’un Dieu juste tous reconnaissent la raison

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
la création du monde par Dieu : de rites qui se distinguent du temps profane et bon qui garantira ailleurs comme le propre de l’homme, et
parce que la nature n’est pour comme temps des affaires humaines. et plus tard la correspondance comme la faculté qui commande
lui rien d’autre qu’une grande du bonheur et de la moralité. le langage, la pensée, la connais-
machine, un pur mécanisme, Peut-on distinguer plusieurs Blaise Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Cette « religion dans les simples sance et la moralité. Descartes l’as-
elle est dépourvue de tout dy- sortes de religions ? limites de la raison » n’est pas simile au « bon sens », c’est-à-dire
namisme interne et ne saurait Auguste Comte voyait dans le fétichisme la Selon Feuerbach, le monothéisme le plus ra- la religion des prêtres  : pas de à la faculté de juger.
exister par elle-même. Elle est religion la plus primitive. La croyance fétichiste dicalement neuf est le christianisme  : c’est culte, pas de clergé, ni même de prières, c’est Kant distingue le versant théo-
donc à chaque instant suspen- confère aux objets des qualités magiques : ainsi, lui qui a montré que les religions polythéistes une pure exigence de la raison pratique qui pose rique de la raison, qui a trait à la
due à une création divine conti- c’est parce qu’une force surnaturelle l’habite adoraient des dieux imaginés à la ressemblance que Dieu existe, même si la raison théorique ne volonté de connaître, et le versant
nuée, autrement dit toujours que l’arme est mortelle. On parlera alors de des hommes. La religion grecque, en fait, adorait pourra jamais le démontrer. pratique, par lequel l’homme se
renouvelée. magico-religieux : le rite vise à se concilier les l’homme lui-même : le christianisme dépasse les soucie de son action et entend en
grâces de puissances supérieures potentiellement autres religions parce qu’il montre qu’elles ont lui l’appel du devoir moral.
croyance menaçantes. toutes été anthropomorphiques.
Adhésion à une idée ou une Selon Comte, le stade suivant est celui du po- Une religion rationnelle est-elle religion rationnelle
théorie sans véritable fondement lythéisme  : ce ne sont plus les objets qui sont Quel est le sens de la critique de possible ? Chez Kant, désigne le fait que,
rationnel. En ce sens, la croyance vénérés, mais des êtres divins représentés de Feuerbach ? La religion de Kant est-elle encore religieuse  ? quand bien même l’existence de
est une opinion et s’oppose au manière anthropomorphique. Au rite religieux Auguste Comte. Selon Feuerbach, le christianisme s’est approché Pascal aurait répondu par la négative  : contre Dieu est indémontrable, il est né-
savoir. est alors associé l’élément du mythe comme de la vérité de la religion sans toutefois l’at- Descartes, et contre tous ceux qui veulent réduire cessaire de l’admettre, afin de don-
récit des origines : le mythe n’est pas qu’un récit Surtout, c’est avec le monothéisme que Dieu teindre  : en affirmant que dans le Christ, Dieu la religion à ce qu’il est raisonnable de croire, Pascal ner pleinement sens à la moralité.
déiste imaginaire, c’est un modèle qui sert à expliquer n’est plus pensé à l’image de l’homme  : il est s’est fait homme, le christianisme amorce un en appelle au cœur qui seul « sent Dieu ».
Est déiste celui qui croit en l’exis- le réel et à le comprendre en racontant sa genèse. désormais infiniment distant, il est le tout-autre. mouvement que la philosophie doit achever en C’est justement la marque de l’orgueil humain que rite
tence de Dieu, mais rejette toute Le dernier stade de la religion, nous dit Comte, Il ne s’agit plus alors de faire des sacrifices pour inversant la proposition. En fait, la religion n’est de vouloir tout saisir par la raison et par « l’esprit » ; Ensemble des règles établies au
autorité sous forme de dogme ou est le monothéisme. s’attirer ses faveurs, mais de croire en lui : avec pas le mystère du Dieu qui s’est fait homme, mais mais ce n’est pas par la raison que nous atteindrons sein d’une communauté pour la
de pratique religieuse. le monothéisme, c’est la notion de foi qui prend le mystère de l’homme qui s’est fait Dieu. Dieu, mais par le sentiment poignant de notre célébration d’un culte, qui consiste
Qu’est-ce qui distingue le tout son sens. Même si l’homme l’ignore, Dieu n’est autre que propre misère : la foi qui nous ouvre à Dieu est d’un en une suite codifiée de gestes et
Dieu monothéisme du polythéisme ? l’homme lui-même : pensant Dieu comme étant autre ordre que la raison, et la raison doit lui être de paroles.
Les attributs de Dieu, comme Les religions monothéistes croient en un dieu Quelles sont les nouveautés tout autre que lui, l’homme s’aliène puisqu’il se subordonnée.
entité transcendante créatrice unique, contrairement aux religions polythéistes. apportées par le monothéisme ? dépossède de ses caractéristiques les plus dignes transcendance
du monde sont traditionnelle- Et si les mythes des religions polythéistes se Le monothéisme remplace le mythe par la foi, et pour les donner à Dieu. « L’homme pauvre a un Du latin transcendere, « passer au-
ment, sur le plan métaphysique, perdent dans la nuit des temps, s’ils racontent une croit en un dieu qui n’est plus pensé à l’image de dieu riche  »  : cela signifie que le dieu chrétien un article du Monde à consulter delà, surpasser ». Par opposition à
l’éternité, l’immutabilité, l’om- origine en-dehors de l’histoire, les religions mo- l’homme. On ne peut l’honorer par des sacrifices, n’est que la projection des espérances humaines ; l’immanence, est transcendant ce
nipotence et l’omniscience, et nothéistes en revanche ne sont pas mythiques : mais par la prière et par des actions qui obéissent cela signifie aussi que l’homme a dû se dépouiller • République et religion, l'équilibre qui existe au-delà du monde sen-
sur le plan moral, l’amour, la elles affirment leur caractère historique en à sa volonté  : le monothéisme introduit une de toutes ses qualités pour en enrichir Dieu. Nous (Gérard Larcher, 6 septembre 2008) p.47 sible de l’expérience, de manière
souveraine bonté, et la suprême posant l’existence « datable » de leur fondateur dimension morale dans la religion ; on peut alors devons alors réapprendre à être des hommes en radicalement séparée. On parlera
justice. (Abraham et Moïse, Jésus-Christ, ou Mahomet). parler d’éthico-religieux. nous libérant de l’aliénation religieuse. ainsi de la transcendance divine.

44 La culture La culture 45
Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

EXTRAIT
Quel rapport existe-il entre la
morale et la religion ? Ont-elles le
même but ? Peuvent-elles se servir
et se fonder mutuellement ?
Dissertation : Toutes les croyances
se valent-elles ? République et religion,
l’équilibre
Pour Kant, la vraie religion doit
se fonder sur la morale. Elle se L’analyse du sujet
distingue ainsi de la superstition, I. Les termes du sujet
où l’on obéit à Dieu par espoir ou • Toutes les croyances :
par crainte. La foi séparée de la – référence aux croyances religieuses.
morale agit comme un narcotique –  référence à toute forme de croyance sociale et
sur la conscience  : elle éteint ses
lumières et replonge l’humanité
individuelle.
• Se valent-elles :
Les vieux clivages sont dépassés. Reconnaissons le fait religieux, sans déstabiliser
dans la nuit. – idée d’équivalence, d’égalité. l’idéal républicain.
– idée de comparaison et de hiérarchie.

L
«  La religion, qui est fondée a République doit-elle avoir pés en France à partir du siècle des de croire qu’il n’existe pas de liens qu’elles postulent l’existence d’une
simplement sur la théologie, ne II. Les points du programme b) Moralement, des croyances de type sectaire tendent peur des religions ? Longtemps Lumières continuent à participer entre le politique et le religieux  ? transcendance ou qu’elles soient
saurait contenir quelque chose • La société, les échanges. à exclure l’interprétation critique et l’appartenance de en France la réponse à cette à la réflexion politique. Est-il profitable de faire comme si matérialistes. Il faut leur permettre
de moral. On n’y aura d’autres • La religion. l’individu à une société ouverte. Des croyances, reli- interrogation s’est traduite dans le Cette situation nouvelle rend né- les positions politiques des citoyens de les exprimer avec discernement.
sentiments que celui de la crainte, • Le bonheur. gieuses ou idéologiques, mettent également en cause slogan « Le cléricalisme, voilà l’en- cessaire de considérer autrement n’étaient en aucune façon influen- Mais il ne faut jamais oublier que la
d’une part, et l’espoir de la récom- • La morale. des valeurs morales comme l’égalité entre les hommes nemi ». Considérée comme intro- les rapports entre le politique et cées par leurs convictions intimes ? décision politique ne saurait résul-
pense de l’autre, ce qui ne produira (selon les races, selon les sexes, etc.) et aboutissent à des duisant des éléments dissolvants le religieux, entre le citoyen et le Reconnaissons avec délicatesse et ter de la référence à un credo. Elle
qu’un culte superstitieux. Il faut L’accroche traitements physiques ou moraux inégaux. pour la communauté des citoyens fidèle. Les différents discours du mesure au fait religieux la place doit découler du seul débat républi-
donc que la moralité précède et L’église de scientologie a un statut de secte en France, c) Politiquement, certains types de croyance doivent au sein d’une nation indivisible, chef de l’État sur ce sujet ont eu qui lui revient. L’idéal républicain cain. Lucidité et mesure sont aussi
que la théologie la suive, et c’est de religion aux États-Unis. être «  combattus  », car ils empêchent l’exercice la religion fut redoutée comme le mérite de poser des questions est de faire en sorte que ce fait de règle en la matière. Il nous faut
là ce qui s’appelle la religion. La critique du jugement et le développement rationnel un concurrent politique pouvant difficiles. Comment assurer dans religieux s’exprime sans excès, éviter – et les élus locaux sont en

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
loi considérée en nous s’appelle La problématique de l’individu (préjugés, fanatisme, etc.). conduire à ce contre quoi luttaient l’espace public l’expression de nos dans le respect de l’ordre public. première ligne dans ce combat  –  de
la conscience. La conscience est Au nom de quelle valeur objective peut-on établir une avec ardeur les pères fondateurs de convictions personnelles ? Quelles C’est, par exemple, la raison pour répondre aux provocations de ceux
proprement l’application de nos hiérarchie entre les formes ou les types de croyances ? Conclusion la iiie République : le « gouvernement relations le politique peut-il nouer laquelle les manifestations exté- qui jouent sur les craintes des uns et
actions à cette loi. Les reproches de Comment pourrait-on définir de façon légitime un Toutes les croyances ne se valent pas dans la mesure des curés ». avec le religieux ? Il existe un rieures telles que les processions les appréhensions des autres.
la conscience resteront sans effet, critère préférentiel entre les préjugés, les idéologies, où certaines ne veulent pas se reconnaître comme Libératrice pour les protestants et consensus tacite pour considérer et les sonneries de cloche du culte Gardons-nous d’un recours abusif à
si on ne les considère pas comme les religions ? telles et empêchent délibérément les conditions de les juifs, la République fut, du reste, que notre conception de la laïcité catholique ont été limitées par l’idée de tolérance, conçue comme
les représentants de Dieu, dont l’exercice du jugement chez l’homme. considérée avec distance, voire dé- reste, pour l’essentiel, un fonde- les pouvoirs publics à compter de l’acceptation de l’autre « faute de
le siège est bien élevé au-dessus Le plan détaillé du développement fiance, par nombre de catholiques. ment du pacte politique. 1875. Le droit public des Français mieux ». Sachons dénoncer l’in-
de nous, mais qui a aussi établi I. Les croyances s’expliquent de la même façon. Les durs combats relatifs à la Consti- La nation française est indivisible. concilie l’expression des croyances fluence délétère des discours xéno-
en nous son tribunal. Mais d’un a) Par essence, toute croyance se définit par l’assen- Ce qu’il ne faut pas faire tution civile du clergé, à la fin du xviiie Elle ignore les communautés pour avec le respect de l’espace public. phobes, qui enferment les croyants
autre côté, quand la religion ne se timent à une « vérité » considérée comme telle, mais Énumérer les défauts des croyances siècle, puis ceux de la séparation des ne considérer que les citoyens : Notre laïcité postule le respect dans une identité religieuse substitut
joint pas à la conscience morale, sans savoir avéré. Préjugés, superstitions, convictions, sans chercher au nom de quoi ils peuvent Églises et de l’État du début du xxe jamais on ne portera, en France, absolu de la liberté individuelle, de citoyenneté. Acceptée comme le
elle est aussi sans effet. Comme croyances religieuses, etc., sont équivalents selon ce être qualifiés de « défauts ». siècle ont marqué cette opposition. la mention de la religion sur les et notamment de l’égalité entre la sujet important qu’elle constitue,
on l’a déjà dit, la religion, sans la critère essentiel. Leur souvenir explique les appré- documents d’identité. Elle repose femme et l’homme. C’est, du reste, la religion ne serait plus ni un objet
conscience morale, est un culte b)  Du point de vue de leur fonction, les croyances hensions, sinon l’hostilité des uns sur l’idée que les hommes sont ce qui a légitimé la loi sur le voile d’instrumentalisation ni un vecteur
superstitieux. On pense servir reposent sur des mécanismes psychologiques per- vis-à-vis des religions et la réserve des gouvernés par la Raison et non par islamique, réponse à des attitudes de conflits. Dans notre pays, en ma-
Dieu en le louant, par exemple, en mettant de combler le besoin d’être rassuré (cf. ana- Les bons outils autres dans l’expression de leur foi. la croyance. Elle se fonde sur un souvent mues par le souci du sen- tière religieuse comme dans tant
célébrant sa puissance, sa sagesse, lyse de la superstition et du préjugé par Spinoza, de • L’analyse de la religion comme une névrose collec- La configuration religieuse de la optimisme anthropologique hérité sationnel, voire de la provocation. d’autres, la République n’est pas ce
sans songer à remplir les lois di- la croyance religieuse par Freud). tive dans L’Avenir d’une illusion de Freud. France ayant changé, il serait de Rousseau : la nature humaine est Mieux que quiconque, les élus qui divise les Français quel que soit
vines, sans même connaître cette c) Du point de vue du droit, les croyances religieuses • La distinction entre la religion et la magie dans Les illusoire de prétendre régler ces perfectible. Cela se traduit par l’exis- locaux savent ce qu’est la paisible leur culte. Elle demeure l’essentiel de
sagesse et cette puissance et sans doivent toutes être reconnues par l’État (cf. analyse de Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim. questions avec les seules solutions tence d’un service public de l’éduca- vie quotidienne des fidèles des ce qui les unit.
les étudier. On cherche dans ces Locke) dans la mesure où elles impliquent la foi et la d’hier et de fonder la politique reli- tion nationale investi de la mission religions. Celles-ci ne doivent pas
louanges comme un narcotique conviction de chaque individu, son choix d’existence, gieuse de la France contemporaine de former des citoyens. D’où vient devenir un facteur de division au Gérard Larcher
pour sa conscience, ou comme sa définition du bonheur, etc. « La foi est un don de Dieu, sur la crainte du religieux et non dès lors que l’on ne pourrait pas par- sein de la Cité. Il convient donc (6 septembre 2008)
un oreiller sur lequel on espère Transition  : N’y a-t-il pas une différence entre les non du raisonnement. Voilà ce qu’est sur la confiance en la Raison. Si les ler des questions religieuses dans qu’elles aient toute leur place, mais
reposer tranquillement. » (Kant) religions et les sectes du point de vue légal ou civil ?
la foi : Dieu sensible au cœur, confessions chrétiennes restent ma- l’espace public ni mener, s’agissant rien de plus que leur place, dans le
non à la raison. » joritaires dans notre pays, elles se de l’État, une politique religieuse débat public. C’est une affaire de pourquoi
Pascal
II. Toutes les croyances n’ont pas les mêmes effets diversifient, tandis que le judaïsme y qu’en catimini sous peine de voir dé- respect entre les citoyens. Tel est, cet article ?
« Je devais donc ni les mêmes finalités. « Ce n’est que lorsque le pas vers la occupe une place significative et que ployer l’étendard d’une laïcité qui se sans doute, le fruit principal de
supprimer a)  Psychologiquement, toutes les croyances ne se religion a été fait que la morale peut- le bouddhisme et surtout l’islam sentirait menacée par l’expression notre « laïcité », mot intraduisible Un prolongement de la réflexion
le savoir pour faire ressemblent pas. Elles se distinguent en fonction du être appelée doctrine du bonheur, parce sont professés par un nombre im- des convictions de chacun ? et concept sans équivalent dans sur la religion en abordant ses
une place à la foi. » degré de conviction qui les accompagnent, et cette que l’espoir d’obtenir ce bonheur ne portant de nos concitoyens. Surtout, Pourquoi refuser le dialogue pu- nombre d’États voisins, fussent-ils implications politiques : quelle
distinction rejaillit sur les actes qu’elles peuvent commence qu’avec la religion. » l’indifférence face au fait religieux blic des religions entre elles ? La membres de l’Union européenne. place peut-elle occuper dans un
(Kant) engendrer ou non (cf. distinction opérée par Kant se renforce, tandis que les cercles de République court-elle un risque La France a besoin d’hommes et de État républicain, laïque ?
Kant
entre la foi et l’opinion). spiritualité non religieuse dévelop- à l’organiser ? Pourquoi feindre femmes fiers de leurs convictions,

46 La culture La culture 47
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS MOTS CLÉS

L’histoire
implique deux mouvements  :
poser un objet extérieur à
soi et le reconnaître comme
dialectique étant soi-même. C’est ce qui temps de l’histoire et
Chez Aristote, le mot désigne les arrive lorsque je contemple temps de la nature

L
raisonnements fondés sur des mon image dans un miroir Le temps de la nature est
principes seulement probables. ’histoire est toujours histoire d’une communauté humaine : et que je la reconnais (et c’est circulaire, il suit des cycles

Kant reprendra ce sens en


il n’y a pas plus d’histoire de l’individu pris isolément qu’il justement ce dont tous les
animaux sont incapables).
(jours, saisons, génération
et corruption). On ne peut
faisant de la dialectique n’y a d’histoire des animaux. Il faut distinguer l’histoire concevoir l’histoire de manière
transcendantale la logique de comme récit fait par l’historien des événements passés et l’his- Alors, quel est l’objet extérieur cyclique, car cela impliquerait
l’apparence qui pousse l’esprit à lui qu’un peuple pose, et com- un éternel retour, sans progrès
humain à s’égarer hors des li- toire comme aventure en train de se faire. ment le reconnaît-il comme possible. Le temps de l’histoire
mites de l’expérience possible. étant lui  ? Pour Hegel, l’objet est linéaire  : nous pouvons
posé, ce sont les institutions : nous représenter l’histoire
Hegel en fonde le sens mo- L’histoire est-elle Pourquoi faisons- c’est en créant des institutions sous forme d’une chronologie
derne  : la dialectique devient une science ? nous de l’histoire ? chargées de régir la vie en ou d’un déroulement successif
le processus par lequel une L’historien répond à une exi- Certainement pas pour en communauté qu’un peuple d’événements. Ce déroulement
contradiction se dépasse dans gence de vérité, le problème tirer un quelconque en- parvient à l’existence. Les ins- dans le temps donne un sens
une unité synthétique supé- étant qu’il raconte un passé seignement  ! «  L’histoire titutions sont l’image qu’un à l’histoire  : il y a un passé
rieure, processus qui com- auquel il n’a pas été présent. ne repasse pas les plats  » peuple se donne de lui-même, distinct de l’avenir, et un dé-
mande le réel et la pensée. Toutefois, cette exigence de (Marx) : on ne peut tirer un elles matérialisent le peuple roulement irréversible.
vérité ne suffit pas à faire de enseignement que de ce qui comme peuple.
histoire l’histoire une science. Toute se répète, et l’histoire ne se
Du grec historia, «  enquête  ».
Ce mot recouvre principale-
science a pour but de dégager
des constantes ou lois uni-
répète jamais. Comme le re-
marque Hegel, s’il suffisait
Comment un peuple
se reconnaît-il dans
AUTEURS CLÉS
ment deux significations, verselles et prédictives. Or, de connaître les anciennes ses institutions ?

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
que la langue allemande dis- l’histoire est une discipline erreurs pour ne plus les La question est de savoir com- Dilthey (Wilhelm)
tingue  : le devenir historique purement empirique  : il n’y commettre, la paix régne- ment un peuple peut s’identi- Philosophe allemand (1833-
lui-même, comme ensemble a pas de lois universelles de rait sur Terre depuis bien fier à ses institutions. Hegel se 1911) qui influença le mouve-
d’événements (Geschichte), et l’histoire comme il y a des lois longtemps… souvient de la célèbre phrase ment phénoménologique par
la connaissance du passé que en physique. de Louis XIV  : «  L’État, c’est la distinction qu’il établit entre
l’historien essaie de constituer L’histoire peut seulement moi  »  ; celui qui permet au les sciences de la nature, qui
(Historie). nous enseigner comment les Nous faisons de l’histoire non peuple de se reconnaître dans s’attachent à expliquer par
choses se sont passées, et non Hegel. pour prévoir notre avenir, ses institutions, c’est le chef les causes, et « les sciences de
La première signification pose comment elles se passeront. mais pour garder trace de politique. l’esprit  », où il s’agit de com-
le problème du sens et de la fi- Si donc nous définissons une science par son notre passé, parce que nous nous posons la prendre du sens.
nalité de l’histoire ; la seconde, objet, alors l’histoire n’est pas une discipline question de notre propre identité  : c’est parce Sans le «  grand homme  »,
celui de la scientificité de la scientifique  ; en revanche, elle l’est peut-être que l’homme est en quête de lui-même, parce cette image de lui-même Hegel
discipline de l’historien. par sa méthode : l’historien a pour but de dire qu’il est un être inachevé qui ne sait rien de que sont les institutions lui Philosophe allemand (1770-
ce qui s’est réellement passé à partir de traces son avenir, qu’il s’intéresse à son passé. Par serait comme étrangère  : le 1831). Il s’est attaché à récon-
institution qu’il authentifie et qu’il interprète. l’histoire, l’homme construit et maintient son second moment de la prise cilier le réel et la pensée au
Par opposition à ce qui relève identité dans le temps. de conscience de soi est ef- sein d’une philosophie conçue
Napoléon.
de la nature, peut être consi- En quoi consiste le travail fectué par le chef éclairé (par comme un système dominé
déré comme une institution de l’historien ? exemple Napoléon) qui s’iden- par la dialectique, ou pro-
tout ce qui a été établi par les Le travail de l’historien est un travail d’interpré- L’histoire a-t-elle un sens ? de se faire ». La question est alors de savoir si tifie aux institutions d’un peuple et qui, animé cessus de dépassement des
hommes (langage, traditions, tation : il ne s’agit pas simplement pour lui de Ici, il ne s’agit plus de l’histoire comme disci- la totalité des actes humains a son unité et se par la passion du pouvoir, les réforme et les contradictions.
mœurs, règles, etc.). faire une chronologie, mais d’établir le sens et pline de l’historien, mais de l’histoire « en train dirige vers un but (une fin), ou s’éparpille dans impose autour de lui.
l’importance des événements ainsi que leurs un simple agrégat d’actes individuels sans C’est en effet une philosophie
Il n’y a pas de société sans relations. Selon Dilthey, nous expliquons la na- rapport entre eux. OUTILS du processus réconciliateur, et
institutions, c’est-à-dire sans ture, c’est-à-dire que nous dégageons peu à peu « Toute la suite des hommes doit • La conception de l’histoire comme déploie- en ce sens une philosophie de
organisation des activités hu- les lois qui la régissent ; mais nous comprenons être considérée comme un seul Hegel montre que l’histoire est en fait le pro- ment de la providence divine, chez saint l’histoire, qui montre comment
maines dans des structures la vie de l’esprit. homme qui subsiste toujours et cessus par lequel un peuple devient conscient Augustin, La Cité de Dieu. l’esprit parvient à se conquérir
réglées. L’institution est donc De même, l’historien ne doit pas expliquer existera continuellement. » de lui-même, c’est-à-dire conscient d’exister en • La théorie de « la ruse de la raison » de Hegel lui-même en s’extériorisant
cœxtensive à l’humanité. les chaînes causales et établir des lois, mais (Pascal) tant que peuple ; c’est la raison pour laquelle (La Raison dans l’histoire). dans le monde par ses créations,
comprendre un sens  ; aussi l’objectivité his- nous retenons principalement de l’histoire les • L’analyse des conditions dans lesquelles en particulier juridiques et ar-
interprétation torique n’a-t-elle rien à voir avec l’objectivité « Ce qu’enseignent l’expérience moments où notre peuple a été menacé dans l’histoire se déroule pour l’homme ; l’histoire tistiques. Hegel souligne que
Interpréter, c’est donner une scientifique : étant une interprétation, l’histoire et l’histoire, c’est que les peuples son existence, autrement dit les guerres. comme histoire de la lutte des classes (Marx, ce mouvement de sortie hors de
signification à un phénomène. peut et doit toujours être réécrite. En ce sens, et gouvernements n’ont jamais L’Idéologie allemande). soi et de retour à soi à partir de
L’interprétation est un des l’histoire est surtout la façon dont l’homme rien appris de l’histoire. » Comment un peuple devient-il • Foucault et le concept de continuité ou l’extériorité, n’est rien d’autre
moments fondamentaux de la s’approprie un passé qui n’est pas seulement (Hegel) conscient de lui-même ? discontinuité de l’histoire, Cahiers pour que le mouvement même de la
compréhension. le sien. Selon Hegel, parvenir à la conscience de soi l’analyse. conscience.

48 La culture La culture 49
Un sujet pas à pas

EXTRAIT
Le passé passe-t-il vraiment ? Que
Dissertation : Les hommes
retenons-nous de lui ? S’oppose-t-il
à l’avenir ou en est-il le produit ?
Qu’est-ce que l’histoire ?
savent-ils l’histoire qu’ils font ?
Pour Sartre, le passé existe aussi c)  Les hommes connaissent le passé grâce à
comme projet, choix d’un avenir. l’étude critique des documents.
Dans l’histoire, ce n’est pas le passé Transition  : N’existe-t-il pas justement des
qui produit le présent et l’avenir, divergences d’interprétation sur un même
mais ces derniers qui le construi-
sent en décidant de son sens. Ainsi,
événement ?
la raison et le réel
le rapport naturel des parties du II. L’histoire est trop complexe.
temps s’inverse. a)  Toutes les répercussions d’une décision
sont impossibles à prévoir, tant les facteurs sont
«  C’est le futur qui décide si le nombreux.
passé est vivant ou mort. Le pas- b)  Les acteurs de l’histoire n’ont pas le recul
sé, en effet, est originellement critique des historiens qui étudieront la période.
projet, comme le surgissement c) On peut même se demander s’il n’existe pas un
actuel de mon être. Et, dans la processus de lois supérieures qui se développent
mesure même où il est projet L’analyse du sujet à l’insu des acteurs de l’histoire (ex. : la ruse de
il est anticipation  ; son sens lui I. Les termes du sujet la Raison analysée par Hegel ; la lutte des classes
vient de l’avenir qu’il préesquisse. • Savoir ce que l’on fait : analysée par Marx).
Lorsque le passé glisse tout en- − conscience et savoir de l’acte effectué. Transition : Dans ce cas, n’y a-t-il pas une bonne
tier au passé, sa valeur absolue − responsabilité et volonté de l’acte effectué. connaissance des lois de l’histoire ?
dépend de la confirmation ou de • L’histoire :

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
l’infirmation des anticipations − ensemble des événements passés, à l’échelle de III. L’histoire peut être dangereuse.
qu’il était. Mais c’est précisément la société, de la nation, de l’humanité. a)  La causalité historique n’est ni totalement
de ma liberté actuelle qu’il dé- − discipline qui étudie et explique ces événements. aléatoire ni totalement nécessaire ou prévisible.
pend de confirmer le sens de ces • Les hommes : b) Affirmer connaître avec une certitude ce que
anticipations en les reprenant à − tout ou chaque individu, en tant qu’il participe l’histoire va réaliser est le propre des régimes
son compte, c’est-à-dire en antici- à la vie collective. totalitaires.
pant, à leur suite, l’avenir qu’elles − les historiens, les grands personnages histo-
anticipaient ou de les infirmer en riques. Conclusion
anticipant simplement un autre Les hommes ne savent pas l’histoire qu’ils font et
avenir. […] Ainsi l’ordre de mes II. Les points du programme ne s’entendent pas tous sur l’histoire qu’ils veulent.
choix d’avenir va déterminer un • L’histoire. Mais les leçons de l’histoire permettent de donner
ordre de mon passé et cet ordre • La conscience. un certain cadre à nos actions.
n’aura rien de chronologique. Il • La vérité.
y aura d’abord le passé toujours • La liberté.
vivant et toujours confirmé  : Ce qu’il ne faut pas faire
mon engagement d’amour, tels L’accroche Parler uniquement de l’histoire au passé :
contrats d’affaires, telle image de Le protocole de Kyoto atteste que les hommes ont il s’agit ici de l’histoire faite,
moi-même à quoi je suis fidèle. conscience qu’ils bâtissent leur avenir. vue et jugée au présent.
Puis le passé ambigu qui a cessé
de me plaire et que je retiens par La problématique
un biais : par exemple, ce costume Les actes et les motivations des grands person-
que je porte – et que j’achetai à à nages politiques, tout comme ceux, à moindre Les bons outils
une certaine époque où j’avais le échelle, de tout un chacun, ne sont-ils pas • La théorie de « la ruse de la raison » de Hegel (La
goût d’être à la mode – me déplaît conscients et lucides  ? Mais n’est-ce pas tou- Raison dans l’histoire).
souverainement à présent et, de jours après coup que l’histoire et les historiens • L’analyse des conditions dans lesquelles l’his-
ce fait, le passé où je l’ai « choisi » peuvent juger de ce qui s’est réellement produit ? toire se déroule pour l’homme, chez Marx (L’Idéo-
est véritablement mort. Mais logie allemande).
d’autre part mon projet actuel Le plan détaillé du développement
d’économie est tel que je dois I.  Les actes et les motifs humains sont
continuer à porter ce costume conscients.
plutôt que d’en acquérir un autre. a)  L’Histoire résulte de décisions humaines  : « L’histoire est l’activité
Dès lors il appartient à un passé guerres, changements de régime…
de l’homme poursuivant
mort et vivant à la fois. » b) Tous les actes de l’homme s’accompagnent
es propres buts. »
de conscience, psychologique et morale, à la Marx
(Sartre, L’Être et le Néant.) différence des animaux.

50 La culture
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

motS CLÉS
abstraction
Du latin abstrahere, «  tirer,
Théorie et expérience Qu’est-ce qu’une
expérimentation
scientifique ?
motS CLÉS
déduction
Descartes oppose la déduction,
enlever  ». Constitutive de la On oppose souvent un savoir théorique et « abstrait » à l’expé- Tout d’abord, remarquons comme raisonnement démonstra-
pensée et du langage, l’action
d’abstraire est l’opération de
rience supposée «  concrète  ». Mais «  expérience  » peut s’en- qu’il n’y a pas d’expérimen-
tations dans les sciences
tif qui conclut à partir de prémisses,
à l’intuition, qui est la saisie immé-
l’esprit qui isole, pour le traiter tendre en un triple sens : l’expérience de l’homme d’expérience pures comme les mathéma- diate de l’évidence de l’idée vraie.
séparément, un élément d’une
représentation  ; la blancheur,
n’est pas l’expérience sensible dont parle Kant, ni non plus l’ex- tiques. L’expérimentation
scientifique, qui a pour but
Une déduction est valide quand
elle respecte les règles de la logique.
la liberté, sont des abstractions. périence scientifique (ou expérimentation). Il ne faut pas alors de soumettre une théorie
opposer à chaque fois théorie et expérience : l’expérience est au à l’épreuve des faits, n’est expérience
a priori pas simplement une expé- On peut distinguer quatre sens prin-
Formule latine signifiant «  à contraire un moment nécessaire de la connaissance. rience brute, parce qu’elle cipaux de l’expérience :
partir de ce qui vient avant  ». utilise des processus visant – l’expérience sensible, c’est-à-dire ce
Désigne ce qui est indépendant à restreindre et à contrôler que les sens nous révèlent du monde ;
de toute expérience et condi- les paramètres entrant en – l’expérience scientifique, c’est-à-dire
tionne notre connaissance du « Je croirai avoir assez jeu dans le résultat final. l’expérimentation, qui est un dispo-
monde. S’oppose à a posteriori. fait, si les causes que Ainsi, l’expérimentation sitif réglé de vérification des théories
j’ai expliquées sont scientifique se fait en la- scientifiques ;
comprendre, telles que tous les boratoire, et non en pleine – le savoir-faire technique acquis à
expliquer effets qu’elles peuvent nature, parce qu’il s’agit de force de pratique ;
Distinction posée par Dilthey simplifier les mécanismes – la sagesse acquise par l’homme
pour rendre compte de la dif-
produire se trouvent naturels en restreignant les d’expérience au contact des épreuves
férence entre les sciences de semblables à ceux que causes d’un phénomène de la vie.
la nature et «  les sciences de nous voyons dans pour ne retenir que celles
l’esprit  »  : alors que les phé- le monde, sans m’en- qui seront testées dans le fait

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
nomènes naturels nécessitent quérir si c’est par protocole ; on compare en- Un fait est une donnée constatable
une approche explicative, elles ou par d’autres suite les résultats obtenus de l’expérience, dont l’objectivité
en ce qu’ils obéissent à des qu’ils sont produits. » lorsqu’on fait varier un est cependant discutable, dans
causes déterminables par des paramètre donné. la mesure où son sens dépend
(René Descartes)
lois, l’homme, comme sujet de son interprétation et d’une
libre, et toutes les activités Quel rôle construction théorique préalable,
humaines, doivent être com- l’expérimentation surtout en science.
pris, car ils sont porteurs de savoir qui n’est pas théorique et joue-t-elle dans
sens, d’intentions, de projets, qui ne s’enseigne pas. Ainsi, je ne les sciences ? induction
qu’aucune causalité stricte ne peux pas transmettre à d’autres Alors que l’expérience Mode de raisonnement qui
peut expliquer. ce que l’expérience m’a appris  : sensible nous est donnée consiste à tirer des lois générales
c’est ce qui oppose le savoir-faire immédiatement, l’ex- de faits particuliers.
concept de l’expérience et le savoir théo- périmentation, elle, est Le raisonnement inductif s’oppose
Du latin conceptus «  reçu, rique qui, lui, peut s’enseigner, construite. Elle suppose au au raisonnement hypothético-
saisi  ». Produit de la faculté parce qu’il repose sur des règles préalable un travail théo- déductif, qui part d’hypothèses
d’abstraction, un concept est connues et transmissibles. rique de l’entendement  : générales pour en inférer des
une catégorie générale qui dé- elle n’a en science qu’une conséquences particulières.
signe un caractère commun à Quel rôle l’expérience fonction de confirmation ou seulement montrer qu’elle n’est En d’autres termes, l’expérience
un ensemble d’individus. Les sensible joue-t-elle d’infirmation d’hypothèses théo- pas fausse, c’est-à-dire qu’on ne lui a en science un rôle réfutateur de intuition
concepts, auxquels renvoient dans la connaissance ? riques qui ne sont pas, quant à a pas encore trouvé d’exception. la théorie, qui n’est jamais entiè- Du latin intuitus, «  regard  ». Chez
les signes du langage, permet- L’expérience est toujours singu- elles, tirées directement de l’expé- En effet, l’expérimentation repose rement vérifiable  : c’est la thèse Descartes, acte de saisie immédiate
tent d’organiser et de classer lière, et ne se partage pas. C’est rience. On pourrait alors soutenir, sur le principe d’induction, qui de la « falsifiabilité » des théories de la vérité, comme ce qui s’impose
notre saisie du réel. en cela que Kant a pu parler d’ex- avec Karl Popper, que les sciences dit qu’une théorie confirmée un scientifiques. La vérité n’est donc à l’esprit avec clarté et distinction.
Michael Faraday dans son laboratoire. périence sensible en lui donnant expérimentales ne reçoivent grand nombre de fois sera considé- pas l’objet de la physique, qui L’intuition s’oppose à la déduction,
concret le sens de « perception ». La perception en effet est qu’un enseignement négatif de rée comme valide. Mais pour que recherche bien plutôt un modèle qui parvient à la vérité par la média-
Est concret l’image qui est En quel sens peut-on opposer toujours perception d’une chose singulière, alors que l’expérience  : l’expérimentation sa validité soit absolue, il faudrait d’explication cohérent et efficace tion de la démonstration. Chez Kant,
toujours l’image d’un objet en théorie et expérience ? la connaissance se veut universelle. est incapable de prouver qu’une un nombre infini d’expériences, ce de la nature. Le physicien est l’intuition désigne la façon dont un
particulier. Le temps n’est pas qu’une puissance d’usure et Comment passer du triangle singulier que je vois théorie est vraie, elle pourra qui est impossible. devant la nature comme devant objet nous est donné  ; tout donné
d’amoindrissement, car je peux toujours tirer devant moi aux propriétés universelles valant pour «  une montre fermée  », disait étant nécessairement sensible, il ne
connaissance quelque chose des jours qui passent  : au sens tous les triangles  ? C’est là pour Kant le travail de Einstein en citant Descartes : peu pourra y avoir pour l’homme que
Du latin cognitio, « action d’ap- courant, l’expérience est alors cette sédimentation l’entendement  : l’expérience sensible est la matière un article du Monde à consulter lui importe, finalement, de savoir des intuitions sensibles, et jamais,
prendre  ». Activité de l’esprit en moi d’un passé me permettant de faire mieux de la connaissance, mais elle n’est pas d’elle-même comment la montre fonctionne, comme Descartes le soutenait, des in-
par laquelle l’homme cherche à et plus vite ce que j’accomplissais auparavant connaissance. Pour connaître, il faut que l’entende- • La preuve par la manipulation p. 55 le tout étant de proposer une tuitions intellectuelles. Kant appelle
expliquer et à comprendre des péniblement. «  C’est en forgeant qu’on devient ment donne à cette matière la forme universelle d’un (Pierre Jacob, 21 juillet 1989.) explication efficace pour prédire intuitions pures, ou formes a priori
données sensibles. forgeron », disait Aristote : l’expérience me livre un concept à l’aide des catégories a priori. les mouvements des aiguilles. de la sensibilité, l’espace et le temps.

52 La raison et le réel La raison et le réel 53


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

ZOOM SUR…
Karl Popper
Dissertation : Une théorie scientifique La preuve par la manipulation
Né à Vienne, Karl Popper quitta
l’Autriche en 1936. Dix ans plus
est-elle une invention ou une découverte ?
tard, il s’installa définitivement Les électrons existent-ils dans la réalité ou ne sont-ils qu’une construction de l’esprit ?
à Londres. C’est par ses discus- Le plan détaillé du développement Ian Hacking choisit la thèse du réalisme et la démontre.
sions avec les physiciens, les I. Toute théorie suppose une découverte.
biologistes, les zoologistes, les a) La découverte a nécessité du temps et des efforts

D
mathématiciens et les logiciens dans la mesure où l’« objet » découvert n’est pas direc- ans Concevoir et expé- mission de corroborer ou de ré- réalisme scientifique, il reste à barder une goutte de niobium. Si
qu’il développa non seulement tement apparent (par exemple : l’héliocentrisme, ou rimenter, Ian Hacking futer une théorie élaborée par examiner la thèse qui unifie le le réaliste cherche des raisons de
une nouvelle épistémologie, mais l’inconscient freudien). dénonce l’emprise tradi- un théoricien. Les muons furent livre : l’expérimentation est le croire en l’existence des électrons,
plus généralement une nouvelle b)  Une découverte scientifique se fait aussi contre tionnelle qu’exercent les théories découverts en 1936 par des expé- meilleur argument en faveur du qu’il renonce à édifier une théorie
philosophie du progrès. des idées acceptées jusqu’alors. Il s’agit d’éliminer sur la philosophie des sciences rimentalistes. Ils furent d’abord réalisme scientifique. À la ques- de la référence du mot électron et
Il s’est attaché à penser la distinc- les « inventions » théoriques, fruits de croyances et «  orthodoxe  » au détriment de identifiés à tort aux mésons, qui tion : « Les électrons existeraient- qu’il apprenne à les manipuler !
tion entre science et non science, de préjugés (cf. analyse de Bachelard). l’expérimentation. Si vous vou- étaient, selon le théoricien Yu- ils si aucun membre de l’espèce Un philosophe orthodoxe dé-
montrant que le caractère propre Transition  : Inversement, ne faut-il pas justement lez comprendre la démarche des kawa, le siège des interactions humaine n’avait essayé de déter- tectera deux faiblesses dans le
d’une science n’est pas sa vérifia- imaginer et concevoir abstraitement une hypothèse, sciences « expérimentales », dit en «  fortes  » qui préservent l’unité miner leur charge électrique ? », pragmatisme de Hacking. D’une
bilité, mais sa falsifiabilité, ce qui avant d’en faire une théorie ? substance Hacking à ses collègues, de l’atome. Les expérimenta- un réaliste répond « oui ». Cette part, un physicien a beau affirmer
exclut du domaine des sciences le quittez vos bibliothèques et faites listes ne connaissaient pas plus question est-elle sensée ? Hacking qu’il « voit » des particules micro-
marxisme et la psychanalyse, qui II. Toute théorie contient une part d’invention. un stage dans un laboratoire. Ap- l’hypothèse de Yukawa que les la juge « futile » mais non dénuée physiques, cela ne constitue pas,
ne peuvent s’exposer au démenti a) La loi découverte a nécessité une hypothèse a priori prenez, par exemple, à bombarder radioastronomes Penzias et Wil- de sens. selon Hacking (contrairement à la
expérimental. De l’anglais to fal- et une expérimentation montée de toutes pièces pour une goutte de niobium avec des son ne cherchaient à corroborer Depuis que la philosophie ana- manipulation expérimentale), un
sify, «  réfuter  », la falsifiabilité vérifier l’hypothèse (cf. exemples de Kant). électrons. Un microscopiste, écrit l’hypothèse du Big Bang lorsqu’ils lytique a accompli un « tournant argument en faveur de l’existence
caractérise les théories scienti- b) Les mathématiques reposent sur des vérités abs- Hacking, a plus de «  tours dans découvrirent en 1965 le rayonne- linguistique  », l’«  ascension sé- des particules. Pourquoi Hacking
fiques, en tant qu’elles sont tou- traites, conçues par l’esprit humain (ex. : le zéro, la son sac  » que le plus imaginatif ment cosmique. mantique » (et non l’« ascendant accorde-t-il au mot bombarder
jours susceptibles d’être infirmées racine carrée, etc.). des philosophes qui « réfléchit à sémantique  » comme le dit la dans la bouche du physicien un

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
par l’expérience, sans pour au- c) En sciences humaines, l’interprétation est néces- la perception dans son fauteuil ». Le « cynisme traduction) est devenue − et Hac- privilège dont il prive le mot voir ?
tant pouvoir être définitivement saire pour comprendre les faits observés. Grâce à son érudition, l’auteur sait anti-philosophique » king le déplore − le slogan de D’autre part, la manipulation ex-
confirmées par elle. Isaac Newton. Transition  : Comment distinguer ce qui est scienti- faire apprécier les trésors mécon- Deuxièmement, expérimenter, l’orthodoxie : pour comprendre périmentale des électrons milite
L’épistémologie évolutionniste fique de ce qui ne l’est pas ? nus d’ingéniosité déployés par les ce n’est pas simplement regarder, la formation des concepts et des en faveur de leur existence parce
de Popper promeut l’essai, la dé- L’analyse du sujet expérimentations pour réussir fût-ce dans un appareil. Outre que théories scientifiques, examinez qu’elle révèle leur capacité à entrer
marche hypothético-déductive, la I. Les termes du sujet III. L’invention est le terme le plus approprié. une expérience : pour colorer le l’observation est un don ou un les mots utilisés pour les expri- dans des interactions causales.
sélection naturelle, l’élimination • Théorie scientifique : a)  Les conditions de la scientificité d’une théorie noyau d’une cellule sans crever talent, en sciences expérimen- mer. Pour savoir si les électrons Mais, comme Hacking ne relève
critique de l’erreur. Le paradoxe – idée d’explication, de schéma général des phénomènes. reposent sur la vérification toujours possible des la membrane ou surmonter les tales, pour « voir » quelque chose, existent indépendamment de pas le défi de Hume qui niait que
est que Popper avait d’abord sou- – idée d’objectivité, de méthode reconnue. faits (cf. analyse de Popper sur la différence avec la aberrations optiques ou chroma- il faut savoir faire fonctionner l’esprit humain, examinez l’usage le mot cause ait une référence
tenu que la théorie darwinienne • Invention : doctrine ou la croyance). tiques d’un microscope. Dans la l’équipement − télescope ou mi- que font les physiciens du mot dans la réalité physique et qui
elle-même n’était pas véritable- –  idée de création, et d’efficacité dans le domaine b)  L’invention a un sens technique. Or les théories seconde partie du livre (intitulée croscope. Cela ne prouve-t-il pas électron. Le réaliste orthodoxe tenait la causalité pour une pro-
ment scientifique, car irréfutable technique. scientifiques sont « vraies » dans la mesure où l’on peut « Intervenir »), il plaide avec brio que l’expérimentation dépend affirme − et son adversaire le nie − jection de l’esprit humain, un
et tautologique. – idée de fiction, voire de fabulation, dans le domaine les appliquer au réel observé (cf. analyse de Comte). pour que soit octroyée à l’expéri- d’une théorie optique ? « Non », que le mot électron a, autant que disciple de Hume ne prendra pas
psychologique. mentation la dignité intellectuelle répond résolument l’auteur : pour le mot table, une référence dans la manipulation expérimentale
Conclusion
CITATIONS • Découverte :
– idée de réalité objective, de fait réellement existant. Une théorie scientifique est plus une invention
qu’elle mérite et que soit recon-
nue son indépendance vis-à-vis
construire un appareil, on a be-
soin d’une théorie explicite, mais
la réalité physique.
Aux partisans de l’ascension sé-
des électrons pour un argument
décisif en faveur de leur existence.
«  Je ne forge pas d’hypothèses.  » –  idée d’événement arrivé soit par hasard, soit, au qu’une découverte, mais elle ne peut se passer d’un de la démarche théorique. savoir l’utiliser correctement, c’est mantique, Hacking reproche de En dépit de ces réserves, il faut lire
(Newton) contraire, après des recherches difficiles. rappel constant aux faits observés. Mais, lui objectera-t-on, le pro- posséder une connaissance tacite. supposer que « voir, c’est dire ». le livre de Hacking, qui est une
gramme de réhabilitation de l’ex- C’est pourquoi Hacking n’a pour Pour compréhensible que soit mine de réflexions sur l’expéri-
«  Il est enfin des fantômes or- II. Les points du programme Les bons outils périmentation ne présuppose-t-il la doctrine idéaliste de l’« impré- la thèse réaliste, les arguments mentation scientifique.
dinaires des dogmes dont les • Théorie et expérience. • Kant, Critique de la raison pure (préface). L’auteur décrit pas fallacieusement que tous les gnation théorique  » de l’obser- linguistiques ne pèsent, selon
diverses philosophies sont com- • La vérité. l’expérimentation et la construction rationnelle préa- philosophes des sciences contem- vation, défendue entre autres Hacking, pas plus en sa faveur Pierre Jacob
posées, et qui, de là, sont venus • La démonstration. lables, propres aux grandes découvertes scientifiques. poraines accordent un privilège par Paul Feyerabend, pas plus de que le fait de réputer «  vraie  » (21 juillet 1989)
s’établir dans les esprits. » • Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique. rationaliste aux théories sur sympathie que pour la réduction une théorie n’explique ses succès
(Bacon) L’accroche • Bacon, « L’expérience peut-elle vérifier ou démentir l’expérience ? La seule existence empiriste de l’expérimentation à expérimentaux. Malgré l’ambiva-
Des «  savants  » sont cités par certains courants une théorie? », Novum organum (la perception et la de la tradition empiriste, qui a l’observation. Il tient à bon droit lence de l’auteur (qui dénonce le pourquoi
«  Une théorie qui n’est réfutable religieux pour cautionner la thèse du créationnisme raison sont soumises à l’erreur, seule l’expérience mis en vedette tantôt la vérifia- pour absurde d’assimiler à une « cynisme anti-philosophique »), cet article ?
par aucun événement qui se contre la théorie de Darwin, encore de nos jours. permet l’établissement d’une théorie). bilité tantôt la réfutabilité des théorie scientifique explicite une la première partie offre une
puisse concevoir est dépourvue • Hume, Enquête sur l’entendement humain. hypothèses scientifiques (par des proposition implicite comme ma présentation claire et lucide des Qu’est-ce qui prime dans la
de caractère scientifique. » La problématique faits observables), ne suffit-elle croyance ordinaire selon laquelle controverses linguistiques entre science d’aujourd’hui ? La théo-
(Karl Popper) Une théorie scientifique consiste-t-elle à mettre à jour pas à discréditer le programme l’air qui sépare mes yeux de la partisans et adversaires ortho- rie ou l’expérience ?
des faits, des lois de la nature ignorées jusqu’alors, ou Ce qu’il ne faut pas faire de Hacking ? page sur laquelle j’écris ne dé- doxes du réalisme scientifique. À partir d’un livre de Ian Hacking,
«  Il n’est de science que de l’uni- nécessite-t-elle aussi une construction mentale qui Séparer totalement découverte et invention Pour deux raisons, la réponse est forme pas les lettres que je vois. La preuve que les électrons cet article de Pierre Jacob propose
versel. » l’apparente à une invention ? Comment reste-t-elle pour constituer les parties du devoir. « non ». Premièrement, un expé- La première partie (intitulée « Re- existent, dit Hacking, c’est que des éléments de réponse.
(Aristote) alors objective ? rimentateur n’a pas pour unique présenter  ») étant consacrée au le physicien s’en sert pour bom-

54 La raison et le réel La raison et le réel 55


L’essentiel du cours L’essentiel du cours

motS CLÉS
apodictique
Du grec apodeiktikos, «  démons-
tratif ». Un jugement apodictique
La démonstration motS CLÉS
épistémologie
Du grec épistémé, «  science  », et
logos, « discours ». Partie de la phi-
énonce une vérité nécessaire  ; Comme le remarquait Husserl, la volonté de démontrer est appa- losophie qui étudie la démarche
c’est le cas des propositions de la
logique et des mathématiques.
rue en Grèce antique, aussi bien dans le domaine mathématique scientifique et s’interroge sur les
fondements de la science et la
Se distingue chez Kant du juge- que dans celui de la logique. Être rationnel, l’homme a en effet validité de ses énoncés.
ment assertorique, qui énonce la possibilité d’articuler des jugements prédicatifs dans des rai-
un fait contingent, simplement induction
constaté, et du jugement pro- sonnements en trois temps nommés syllogismes, et qui sont la Mode de raisonnement qui
blématique, qui énonce un fait forme même de la démonstration. consiste à tirer des lois générales de
possible. faits particuliers. Le raisonnement
(prémisse majeure), or tous les philosophes sont des inductif s’oppose au raisonnement
axiome hommes (prémisse mineure) donc tous les philosophes hypothético-déductif, qui part d’hy-
Principe premier indémontrable sont mortels (conclusion) » : c’est-à-dire, « Tout A est B, or pothèses générales pour en inférer
d’un raisonnement déductif. Se tout C est A, donc tout C est B ». Ce syllogisme, constitué des conséquences particulières.
distingue du théorème, qui est d’une majeure, d’une mineure et d’une conclusion uni-
une proposition démontrée. verselles affirmatives, est effectivement concluant (la intuition
Tend aujourd’hui à se confondre conclusion est nécessairement déduite). Mais il existe Du latin intuitus, « regard ». Chez
avec le postulat, pour désigner des combinaisons incorrectes, comme : « Tout A est B, or Descartes, acte de saisie immédiate
un principe accepté de manière quelque B est C, donc tout A est C » ; comme le montrera de la vérité, comme ce qui s’impose
purement hypothétique, sans que Leibniz, parmi les 512 combinaisons syllogistiques pos- Raphaël, L’École d’Athènes (détail). Euclide et Archimède entourés d’élèves. à l’esprit avec clarté et distinction.
sa vérité ou sa fausseté puisse être sibles, 88 seulement sont concluantes. Les autres sont des L’intuition s’oppose à la déduction,
tranchée. paralogismes, c’est-à-dire des syllogismes formellement parce que je sais intuitivement ce nissables, mais réputés parfaitement qui parvient à la vérité par la mé-
faux. Quelle que soit la combinaison, il faut en fait, pour Aristote, nous dit Descartes, s’est que ces mots veulent dire. clairs et évidents. Or, pour Leibniz, diation de la démonstration.

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
catégorie que le raisonnement soit concluant, que la conclusion trompé sur ce point  : la logique, La méthode géométrique ne nous l’évidence est un critère purement Chez Kant, l’intuition désigne la fa-
Chez Aristote, les catégories dé- soit déjà contenue dans les prémisses : c’est seulement art de la démonstration formelle, conduit donc pas à vouloir tout dé- subjectif  : quand je me trompe, je çon dont un objet nous est donné ;
signent les différentes modalités dans ce cas qu’elle est nécessairement déduite, donc que est l’art des démonstrations finir, mais au contraire à partir de prends une erreur pour une évidence, tout donné étant nécessairement
que prend le verbe être dans les ju- le syllogisme est concluant du point de vue formel. vides et en un sens, inutiles. Elle termes absolument évidents pour en sorte que l’évidence n’est pas à elle sensible, il ne pourra y avoir pour
gements prédicatifs (par exemple ne saurait servir de méthode ou définir les autres et commencer seule le signe de la vérité. l’homme que des intuitions sen-
le lieu, la quantité, la qualité, etc.). La logique formelle peut-elle d’instrument (en grec organon) à nos déductions. C’est exactement ce Kant, surtout, va démontrer que la sibles, et jamais, comme Descartes
Chez Kant, les catégories sont les constituer l’instrument de toute la connaissance en général. que dit Descartes : la méthode de la méthode géométrique n’a de sens le soutenait, des intuitions intel-
concepts a priori fondamentaux connaissance ? connaissance, c’est la méthode géo- qu’en mathématiques  : la défini- lectuelles. Kant appelle intuitions
de l’entendement, qui permettent Pythagore. Telle que nous l’avons définie, la logique est une Y a-t-il une autre métrique, qui consiste à déduire des tion du triangle me dit ce qu’est un pures, ou formes a priori de la
de lier et de classer les intuitions science formelle. Comme telle, elle est une condition méthode pour vérités de plus en plus complexes à triangle, mais pas s’il existe réelle- sensibilité, l’espace et le temps.
sensibles, rendant ainsi possible Qu’est-ce que la logique formelle ? nécessaire, mais non suffisante, pour la vérité d’une démontrer ? partir d’idées claires et distinctes. ment quelque chose comme un Chez Bergson, l’intuition est le seul
la connaissance. Elles sont regrou- Il existe différents genres de jugements prédicatifs qui démonstration : un syllogisme peut être concluant Selon Pascal dans L’Esprit de la Ainsi, dans son Éthique, Spinoza va triangle. La méthode géométrique mode de connaissance susceptible
pées sous quatre rubriques : quan- vont permettre différents types de combinaisons. Il faut du point de vue formel, et faux du point de vue géométrie, c’est la mathématique, appliquer à la philosophie la mé- est donc incapable de passer de la d’atteindre la durée ou l’esprit, par
tité, qualité, relation et modalité. en effet distinguer quatre quantités dans nos jugements matériel, c’est-à-dire eu égard à son contenu. « César et plus exactement la géométrie, thode des géomètres : on pose des définition à l’existence. opposition à l’intelligence, qui a
(universelle, particulière, indéfinie, singulière) et deux est un nombre premier ; or un nombre premier n’est qui fournit à la connaissance le définitions et des axiomes dont Cela n’a aucune importance en pour vocation de penser la matière.
connaissance qualités (affirmative et négative). Par exemple, «  tout divisible que par un et par lui-même  ; donc César moyen de découvrir la vérité et de on déduit tout le reste, y compris mathématiques  : peu importe au
Du latin cognitio, «  action d’ap- S est P » est une proposition universelle affirmative, et n’est divisible que par un et par lui-même » est un la démontrer : il ne faut employer l’existence et la nature de Dieu. mathématicien que le triangle existe jugement analytique,
prendre ». Activité de l’esprit par « quelque S n’est pas P », une proposition particulière né- syllogisme formellement cohérent, mais absurde aucun terme sans en avoir d’abord réellement : pour lui, la question est jugement synthétique
laquelle l’homme cherche à expli- gative. Produire une démonstration, alors, c’est combiner matériellement (dans son contenu). expliqué le sens, et n’affirmer que La méthode simplement de savoir ce que l’on peut Distinction kantienne. Un jugement
quer et à comprendre des données ces différents types de propositions en syllogismes, en D’ailleurs, un syllogisme pose ses prémisses comme ce que l’on peut démontrer par des géométrique peut- démontrer à partir de la définition analytique est un jugement dont le
sensibles. sorte que la conclusion s’impose nécessairement. Or, ce étant vraies sans pour autant le démontrer. En fait, vérités déjà connues. elle constituer du triangle et des axiomes de la géo- prédicat est tiré du sujet, et qui, de
Le problème de l’origine et du fon- que remarque Aristote, c’est que certaines combinaisons la logique n’a pas pour but de démontrer la vérité Mais il y a des termes que l’on ne l’organon de métrie. Mais quand la métaphysique ce fait, n’est qu’une explicitation
dement de la connaissance, ainsi sont possibles, mais que d’autres ne sont pas concluantes, des prémisses, mais d’établir toutes les déductions saurait définir, parce qu’ils nous la connaissance ? entend démontrer l’existence de Dieu qui ne nous apprend rien de neuf. À
que celui de ses limites, oppose en quel que soit le contenu des propositions – on dira en cohérentes qu’on peut en tirer : si j’admets que la ma- servent à définir tout le reste  : Leibniz montre qu’on ne peut généra- selon une méthode mathématique, l’opposé, un jugement synthétique
particulier Kant et les empiristes. de tels cas que le raisonnement est formellement faux. jeure est vraie, et si j’admets que la mineure est vraie, les « mots primitifs ». Ainsi, je ne liser la méthode géométrique à toute elle est dans l’illusion, parce que les est un jugement dont le prédicat est
La logique formelle a alors pour but de montrer quelles que puis-je en tirer comme conclusion ? Au début de peux pas définir des mots comme la connaissance : avec cette méthode, mathématiques sont justement in- ajouté au sujet sans qu’il en ait été
déduction sont les formes possibles d’un raisonnement cohérent, chaque syllogisme, nous sous-entendons donc : « s’il « temps » ou « être », mais je n’ai toutes les déductions reposent en capables de démontrer l’existence tiré. Il n’y a de connaissance nou-
Descartes oppose la déduction, c’est-à-dire d’établir les règles formelles de la pensée, est vrai que ». Les prémisses sont des hypothèses, et pas besoin d’une telle définition, effet sur des termes primitifs indéfi- de leurs objets. Selon Kant, le seul velle que si le jugement qui l’énonce
comme raisonnement démons- indépendamment du contenu de cette pensée. la logique en tant que telle ne peut produire que des moyen à notre portée pour savoir si est synthétique. Kant montre que
tratif qui conclut à partir de raisonnements hypothético-déductifs. La logique un objet correspond réellement au tous nos jugements synthétiques
prémisses, à l’intuition, qui est la Qu’est-ce qu’un syllogisme n’augmente en rien notre connaissance, elle ne un article du Monde à consulter concept que nous en avons, c’est l’ex- ne sont pas empiriques : il existe
saisie immédiate de l’évidence de concluant ? fait qu’expliciter une conclusion qui par définition périence sensible. Au-delà des limites des jugements synthétiques a
l’idée vraie. Un syllogisme est constitué de deux prémisses devait déjà être contenue dans les prémisses, en ne • Aristote : La prudence du juste milieu p. 59 de cette expérience, nous pouvons priori, par exemple dans les pro-
Une déduction est valide quand (une majeure et une mineure) et d’une conclusion. tenant en outre aucun compte du contenu même Propos recueillis par Jean Birnbaum, (1er février 2008) penser, débattre, argumenter, mais positions des mathématiques et de
elle respecte les règles de la logique. Par exemple, «  tous les hommes sont mortels des propositions. pas démontrer ni connaître. la physique pure.

56 La raison et le réel La raison et le réel 57


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

PISTES DE Dissertation : L’expérience peut-elle Aristote : La prudence du juste milieu


RÉFLEXION
Pascal et les « mots démontrer quelque chose ? L’Éthique à Nicomaque est le deuxième volet du « Monde de la philosophie ». Entretien
primitifs »
Pourquoi selon Pascal ne puis-je pas offre-t-elle néanmoins un savoir démontré, prouvé ?
avec Alain Badiou, professeur émérite à l’École normale supérieure.
définir les « mots primitifs » ? N’est-elle pas au contraire toujours particulière, voire
Pascal nomme « primitifs » des mots subjective ? Inversement, n’est-elle pas ce qui permet Quelle est la place est le multiple-de-rien, l’ensemble un événement). Donc, « être » se dit de l’examen collectif de problèmes
comme «  espace  » ou «  temps  », d’invalider une démonstration ? d’Aristote et de vide. Pour exposer cette philoso- au moins en deux sens. Cependant, correctement posés, dont on connaît
etc.  : ce sont des termes premiers sa pensée dans votre phie du vide, je me suis appuyé ces deux sens sont polarisés l’un les solutions antérieures (Aristote a
à l’aide desquels je définis la signi- Le plan détaillé du développement propre itinéraire sur le très beau texte de sa Physique et l’autre par l’existence de vérités, inventé l’histoire de la philosophie
fication de tous les autres mots. I. L’expérience n’est pas un outil adéquat de démonstration. philosophique ? où Aristote « démontre » que le vide construites dans un monde sous comme matériau de la philosophie),
Vouloir définir le temps, c’est donc a)  La démonstration est utilisée en logique et en Une place très importante : celle de n’existe pas... Pour soutenir que les l’effet de l’événement. En ce sens et dont on propose des solutions
vouloir définir un terme simple et mathématique, où l’on procède par l’enchaînement l’Adversaire. L’opposition Platon- mathématiques sont essentielles on peut dire que « être » se dit « en neuves qui rendent vaines celles
premier par une suite de termes nécessaire de propositions abstraites, sans lien avec Aristote symbolise en effet deux dès lors qu’on veut distinguer les direction de l’un », ce qui signifie : d’avant. Travail en équipe, problèmes
dérivés et complexes, en sorte que des données de l’expérience. orientations philosophiques tout à options possibles de la pensée phi- une vérité est l’être réel des multiples communs, règles acceptées, modes-
la définition serait elle-même plus b) L’expérience ne peut donner que des vérités par- fait irréductibles. Et ce quelle que losophique, j’ai pris à contre-pente conséquences d’un événement. tie savante, articles des dix dernières
compliquée que ce qu’elle est censée ticulières ou générales, mais jamais universelles ou soit la question. Dans le champ on- le livre bêta de la Métaphysique Enfin, Aristote définit génialement années annulant tout un héritage
définir (autrement dit : ce n’est pas nécessaires (cf. analyse d’Aristote). tologique, le platonicien privilégie où Aristote explique que la seule (dans son contexte à lui, qui est celui historique... Qui ne reconnaît là
une définition  !). Simplement, ce c) L’expérience, en tant qu’elle fait intervenir la perception la puissance séparatrice de l’Idée, vertu des mathématiques est des sujets et des prédicats) ce qu’on les traits de la grande scolastique
n’est pas parce que nous entendons sensible, est même susceptible de créer des illusions : ce qui fait des mathématiques le d’ordre esthétique. J’ai classé les nomme aujourd’hui la logique clas- contemporaine, dont la matrice est
intuitivement les mots primitifs elle nous donne à voir que le soleil tourne, par exemple. vestibule de toute pensée de l’être ; différents rapports entre les arts sique, à partir de deux propriétés la philosophie analytique inaugurée
que nous ne pouvons pas les dé- Transition : D’un autre côté, l’expérience du pendule l’aristotélicien part du donné empi- et la philosophie de telle sorte que fondamentales de la négation : le par le cercle de Vienne ?
finir  : il faut plutôt dire que cette de Foucault démontre bien la rotation de la Terre. rique, et veut rester en accord avec la la doctrine d’Aristote sur ce point, principe de non-contradiction (on D’un autre côté, l’hégémonie
impossibilité où nous sommes n’est physique et la biologie. En logique, le dans sa Poétique, est en quelque ne peut avoir en même temps et contemporaine de la démocratie
pas un problème, parce que nous II. L’expérience est requise dans toute démonstration. platonicien choisit l’axiome, qui ins- sorte « coincée » entre Platon et sous le même rapport la vérité de P parlementaire se reconnaît dans le

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
avons de ces termes simples une a) L’expérience scientifique a une valeur de démons- titue, voire fonde souverainement, le romantisme, et rejetée du côté et la vérité de non-P), et le principe pragmatisme d’Aristote, son goût
entente intuitive et évidente. tration, puisque les paramètres sont au préalable un domaine entier de la pensée de la psychanalyse. J’ai également du tiers exclu (on doit avoir ou P, ou des propositions médianes, sa
définis par la raison, de telle sorte que le résultat soit rationnelle, plutôt que la définition, utilisé les fameux développements non-P). Or, ce n’est qu’aujourd’hui méfiance au regard de l’exception
Mathématique et probant (cf. analyse de Bachelard). où Aristote excelle, qui délimite et de la Politique sur le lien entre la que nous savons qu’en utilisant et du monstrueux, son mélange
connaissance b) Inversement, un fait nouveau observé peut infir- précise dans la langue une certaine démocratie et la croissance de la ces deux propriétés on peut définir de matérialisme empirique, de
Pourquoi la mathématique ne peut- mer une théorie acceptée jusqu’alors. L’expérience expérience du donné. classe moyenne, pour faire un sort en réalité trois types différents de psychologie positive et de spiri-
elle pas fournir une méthode pour peut alors prendre la valeur d’une preuve contraire En éthique, le platonicien privilégie la à l’apologie contemporaine, dans logique : la classique en effet, mais tualité ordinaire. Le train du monde
toute connaissance ? Aristote. (cf. analyse de Popper sur la falsifiabilité). conversion subjective, l’éveil soudain notre Occident, desdites classes. aussi la logique intuitionniste, s’accommode parfaitement d’Aris-
Parce qu’elle est incapable de passer c) L’expérience au sens le plus courant est requise, y à une voie antérieurement inaperçue avec principe de non-contradic- tote, à l’exception sans doute d’un
de la définition d’un être à la preuve L’analyse du sujet compris pour figurer des démonstrations géomé- vers le Vrai, alors que, du côté d’Aris- Quel est le texte tion mais sans le tiers exclu, et la seul trait, il est vrai grandiose : son
de son existence Il ne s’agit pas ici I. Les termes du sujet triques, ou pour développer les aptitudes purement tote, prévaut la prudence du juste d’Aristote qui vous logique paraconsistante, avec le affirmation selon laquelle il faut
de savoir si l’on peut mathématiser • L’expérience : abstraites de l’esprit humain (cf. analyse de Leibniz sur milieu, qui se garde à droite comme a le plus marqué, tiers exclu mais sans le principe s’efforcer de vivre « en Immortel ».
la connaissance, mais si la connais- – au sens commun, le vécu, le savoir et le savoir-faire le double rôle de l’inné et de l’acquis dans nos idées). à gauche de tout excès. En politique, nourri, et pourquoi ? de non-contradiction. Ce qui en Ce trait à lui seul justifie qu’Aristote,
sance peut suivre la méthode géo- acquis par la pratique. l’aristotélicien désire le débat orga- Sans aucun doute le livre gamma de réalité veut dire qu’il existe trois parlant de lui-même, dise volon-
métrique en procédant par axiomes, – au sens philosophique, l’ensemble des perceptions Conclusion nisé entre les intérêts des groupes et la Métaphysique, texte fameux entre notions essentiellement différentes tiers « nous, platoniciens », quitte
définitions et déductions. Or, ce que sensibles. L’expérience ne démontre jamais à elle seule quelque des individus, le consensus élaboré, tous, et dont Barbara Cassin et Michel de la négation. Cette variabilité de ensuite à assassiner le maître. Oui,
remarque Kant, c’est qu’il ne suffit –  au sens scientifique, l’expérimentation, dans des chose, mais elle entre en ligne de compte, par vé- la démocratie gestionnaire. Le pla- Narcy ont proposé il y a quelques an- la catégorie logique de négation je crois que nous devons essayer de
pas d’avoir un concept cohérent de conditions définies par un protocole et une méthode. rification ou par réfutation, dans le processus de tonicien est animé par la volonté de nées une lecture tout à fait nouvelle. a des conséquences incalculables, vivre « en Immortels ». Mais c’est
quelque chose pour que ce quelque • Peut-elle démontrer : démonstration. rupture, la possibilité d’une autre Dans ce texte, tout d’abord, Aristote et il est certain qu’Aristote a vu le souvent contre l’aristotélisme am-
chose existe réellement : il ne suffit – idée de possibilité, de capacité. destination de la vie collective, le énonce qu’il existe une « science de problème dans toute son étendue. biant, académique ou électoral, que
pas de penser à un billet de 100 euros – idée de vérité totalement certaine et objective. goût du conflit dès lors qu’il met en l’être en tant qu’être », programme Le platonicien, ici, s’incline devant nous devons relever cette maxime
dans sa poche pour qu’il y en ait un. • Quelque chose : jeu des principes. En esthétique, la vi- que je suis un des rares à avoir pris le génie en quelque sorte gramma- d’Aristote.
Or le mathématicien travaille sur de – tout fait concret et réel, qu’il soit naturel, psycho- Ce qu’il ne faut pas faire sion du platonicien fait du Beau une au pied de la lettre, puisque pour moi tical d’Aristote.
purs concepts  (sa question est par logique ou social. Parler de l’expérience seulement des formes sensibles du Vrai, tandis les mathématiques, qui proposent Propos recueillis par Jean
exemple : étant admise la définition –  tout élément identifiable, même abstrait  : une au sens scientifique. qu’Aristote met en avant la fonction une ontologie du multiple pur, sont Où cet auteur Birnbaum
du triangle, que puis-je en tirer  ?). hypothèse, un résultat de calcul… thérapeutique et quasi corporelle l’existence avérée de cette science. trouve-t-il, à vos yeux, (1er février 2008)
Mais on ne saurait déduire l’exis- des spectacles. Aristote indique ensuite que le mot son actualité
tence réelle d’un triangle de sa défi- II. Les points du programme Les bons outils Comme depuis ma jeunesse je suis, « être » se prend en différents sens, la plus intense ?
nition ; d’ailleurs, le mathématicien • La démonstration. • Popper, De la connaissance objective, où l’auteur quant à l’orientation principale, du mais « en direction de l’un ». Et en Tout le monde est aujourd’hui aris- pourquoi
a un concept parfaitement défini • Théorie et expérience. fait une analyse des opérations d’induction et de côté de Platon, l’étude − très soi- effet, pour moi, l’être est une notion totélicien, ou presque ! Il y a à cela cet article ?
du triangle… alors que les triangles • La vérité. déduction (chapitre 1). gneuse − d’Aristote m’a fourni équivoque, dès lors qu’on l’applique à deux raisons distinctes, quoique
n’existent pas ! Ainsi, dès qu’il s’agit • Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique. de nombreux et remarquables la fois à l’existence réglée de ce qui est convergentes. D’abord, Aristote in- Zoom sur Aristote, premier
de savoir si quelque chose existe ou La problématique • Pascal, L’Esprit de la géométrie ; Pensées. contre-exemples. J’en citerai (les multiplicités disposées sous la loi vente la philosophie académique. théoricien de la logique et de
non (par exemple Dieu), la méthode Si la connaissance acquise par l’expérience, notam- • Aristote, Analytiques. quatre. J’ai proposé une ontologie d’un monde) et à la force de rupture Entendons par là une conception de ses règles.
des géomètres est impuissante. ment dans le milieu professionnel, est valorisante, • Kant, Critique de la raison pure. du Multiple dont l’ultime support de ce qui survient (ce que j’appelle la philosophie dominée par l’idée

58 La raison et le réel La raison et le réel 59


L’essentiel du cours L’essentiel du cours

Le vivant
motS CLÉS La biologie est- « La vie apparaît comme
âme elle une science un courant qui va d’un
Du latin anima, « souffle, principe impossible ? germe à un germe par
vital  ». Désigne, chez Aristote, la La biologie moderne se l’intermédiaire d’un
forme immatérielle qui anime rapproche de plus en plus organisme développé. »
tout corps vivant, et qui se ma- de la biochimie  ; par là, (Bergson)
nifeste à travers les différentes elle perd son objet : la vie.
activités que sont la nutrition, la Le biologiste Jacob von
sensation ou l’intellection. Les La notion même de « vivant » est au cœur de nombreux débats Uexküll envisage une autre motS CLÉS
stoïciens et les épicuriens en font
une réalité matérielle.
contemporains : avec le développement de la génétique, l’homme possibilité  : ne plus consi-
dérer le vivant comme un loi
Dans la tradition chrétienne et a désormais le pouvoir inouï de travailler la vie comme un maté- objet d’études, mais comme En physique une loi est une rela-
chez Descartes, l’âme est rapportée riau, ce qui soulève de graves problèmes éthiques que la science un sujet ouvert à un mi- tion constante à valeur universelle
à la pensée, propre à l’homme  ; lieu avec lequel il est en et nécessaire qui régit les phéno-
séparable du corps, elle est consi- à elle seule ne peut sans doute pas résoudre. constante interaction. mènes naturels.
dérée comme immortelle. Comprendre le vivant, ce
n’est pas le disséquer ou machine
besoin Quelles sont les caractéristiques l’analyser, c’est établir les Du grec, mèchané, «  ruse  ». Tra-
Exigence ou nécessité naturelle, du vivant ? Cellules sanguines. relations dynamiques qu’il ditionnellement, la machine est
d’ordre physiologique, dont l’as- Le biochimiste Jacques Monod pose trois caractéris- entretient avec son environ- considérée comme une ruse contre
souvissement est nécessaire au tiques propres au vivant : un être vivant est un individu à partir de fins imaginées, mais à cessé de réfuter, parce qu’il n’est nement : chaque espèce vit dans un la nature. Elle sert de modèle à la
maintien de la vie. indivisible formant un tout cohérent, possédant une partir des causes constatables (ne pas étudiable scientifiquement  : milieu unique en son genre et n’est science et notamment à la physique.
À distinguer des besoins acquis ou dynamique interne de fonctionnement et doué d’une plus dire par exemple que l’œil les problèmes éthiques contempo- sensible qu’à un nombre limité de La nature entière peut ainsi être
artificiels, d’ordre psychologique autonomie relative par rapport à un milieu auquel il est fait pour voir, mais décrire rains se posent, parce que pour le stimuli qui définissent ses possi- considérée comme une machine
ou social. peut s’adapter. La première caractéristique de tout être les processus par lesquels l’œil biochimiste, il n’y a plus de vie à bilités d’action. La vie se définit dont il s’agit de percer les rouages.
vivant, c’est alors la morphogénèse autonome qui se transforme un stimulus visuel respecter (il n’y a pas de vie dans une alors non comme un ensemble

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
finalité, fin manifeste par exemple dans la cicatrisation : le vivant en influx nerveux). Il faut pour molécule d’adn), il n’y a qu’une orga- de normes et de lois analysables, nature
But, intention. Parler de finalité produit lui-même sa propre forme et est capable de cela réduire le fonctionnement nisation particulière de la matière. mais comme une « normativité » Désigne au sens large ce qui existe
naturelle, c’est faire référence au la réparer. Ensuite, tout être vivant possède une inva- du corps vivant à un ensemble Bergson montre que l’intelligence a (Canguilhem). Ce qui caractérise le indépendamment de l’action
fait que «  la nature ne fait rien riance reproductive : les systèmes vivants en produisent de mécanismes physiques et pour rôle d’analyser et de décompo- vivant, ce n’est pas un ensemble de humaine, ce qui n’a pas été trans-
en vain » (Aristote) : tout dans la d’autres qui conservent toutes les caractéristiques de chimiques pour pouvoir en dé- ser : au fur et à mesure qu’elle s’em- lois mécaniques, c’est qu’il est ca- formé. Naturel s’oppose alors à ar-
nature serait organisé suivant une l’espèce. Enfin, tout être vivant est un système où chaque gager des lois. pare du vivant, elle le décompose en pable de s’adapter à son milieu en tificiel, ou culturel. Aristote définit
fonction, un but harmonieux. partie existe en vue du tout, et où le tout n’existe que Ainsi, la biologie moderne se rap- des réactions mécaniques qui nous établissant de nouvelles normes la nature comme ce qui possède en
Kant remarque cependant que si, par ses parties : le vivant se caractérise par sa téléono- proche de plus en plus de la phy- font perdre le vitalisme de la vie. vitales. soi-même le principe de son propre
surtout dans le vivant, tout semble mie, parce que c’est la fonction qui définit l’organe. sique, et la biologie moléculaire mouvement, autrement dit comme
être finalisé, on ne peut cependant On nomme organisme cette organisation d’organes semble achever le projet carté- ce qui possède une spontanéité
démontrer l’existence d’une telle interdépendants orientée vers une finalité. sien d’une mécanique du vivant : autonome de développement.
finalité objective dans la nature. lorsqu’on l’analyse, la vie se ré-
sume finalement à des échanges organisme
inné La finalité est-elle nécessaire chimiques et physiques… qui sont Être composé d’organes différenciés
Bergson.
Est inné ce qui est donné avec un pour penser le vivant ? aussi valables pour l’inerte ! caractérisés par leur interdépen-
être à sa naissance et appartient Comment définir Dans le vivant, la vie semble être à elle-même sa propre dance et leurs fonctions spécifiques.
de ce fait à sa nature. S’oppose à ce qu’est le vivant ? finalité : c’est ce que Kant nomme la « finalité interne ». Peut-on connaître le Seul le vivant est ainsi organisé.
acquis. Selon Aristote, il faut distinguer les êtres animés des Le vivant veut persévérer dans l’existence, et c’est vivant ? Par analogie, on parlera d’orga-
Un des problèmes essentiels est êtres inanimés, c’est-à-dire ceux qui ont une âme et pourquoi il n’est pas indifférent à son milieu, mais fuit Remarquons le paradoxe  : pour nisme à propos du corps social.
de déterminer, chez l’homme, les ceux qui en sont dépourvus. Aristote nomme donc le nocif et recherche le favorable. La vie veut vivre : tout connaître le vivant, il faut le dé-
parts respectives de l’inné et de « âme » le principe vital de tout être vivant, et en dans l’être vivant semble tendre vers cette fin. truire. La dissection tue l’animal téléologie
l’acquis. distingue trois sortes. L’âme végétative est la seule Devant l’harmonie des différentes parties d’un or- étudié, et la biochimie énonce des Du grec telos, « fin », et logos, « dis-
que possèdent les végétaux  : elle assure la nutri- ganisme, il est alors tentant de justifier l’existence lois qui ne sont plus spécifiques cours  ». Étude de la finalité, en
instinct tion et la reproduction. À celle-ci s’ajoute, chez les des organes par la nécessité des fonctions à remplir, au vivant  : une cellule cancé- particulier dans la nature vivante.
Comportement automatique et animaux, l’âme sensitive, principe de la sensation. et non l’inverse, en faisant comme si l’idée du tout reuse, une cellule saine et même
inconscient des animaux, sous L’homme est le seul de tous les vivants à posséder à produire guidait effectivement la production des la matière inerte obéissent aux vitalisme
la forme d’actions déterminées, en plus une âme intellective, principe de la pensée. parties. Cela présuppose que l’effet ou la fin sont mêmes lois chimiques. La vie est Doctrine issue d’Aristote qui pose
héréditaires et propres à une On voit ici que l’âme végétative est de toutes la plus premiers, ce qui est scientifiquement inadmissible : la un concept que la biologie n’a Dissection. l’existence d’un principe vital
espèce, ordonnées en vue de la fondamentale : pour Aristote, vivre, c’est avant tout biologie va opposer à notre compréhension naturelle dynamique pour rendre compte
conservation de la vie. « se nourrir, croître et dépérir par soi-même ». Cela du vivant par les fins une explication mécaniste. des activités du vivant. Contre le
L’instinct est susceptible d’adapta- signifie que le vivant se différencie de l’inerte par un article du Monde à consulter matérialisme et le mécanisme,
tion chez les animaux supérieurs. une dynamique interne, par une autonomie de Qu’est-ce que l’explication le vitalisme pose l’irréductibilité
Seul l’homme semble en être fonctionnement qui se manifeste dans un ensemble mécaniste du vivant ? • Un généticien américain crée la première cellule vivante synthétique p. 63 des phénomènes de la vie à leurs
dépourvu, d’où la nécessité de d’activités propres à maintenir la vie de l’individu C’est Descartes qui fonde l’entente mécaniste du (Le Monde.fr, 21 mai 2010.) conditions physico-chimiques.
l’éducation. comme de l’espèce. vivant : il s’agit de comprendre l’organisme non plus Bergson est vitaliste.

60 La raison et le réel La raison et le réel 61


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

zoom sur...
Aristote, De l’âme, II, 1, 412 ab

«  L’âme est, en définitive, l’enté-


Dissertation : Le vivant peut-il être
considéré comme un objet technique ?
Un généticien américain
léchie première d’un corps na-

crée la première cellule


turel ayant la vie en puissance, b) Le vivant est un ensemble indéfectible,
c’est-à-dire d’un corps organisé ». dont on ne peut simplement assembler et
Dans le traité De l’âme, Aristote se remplacer les parties de l’extérieur  : une
donne pour tâche d’examiner ce greffe est ainsi spontanément rejetée par
qui fait la spécificité du vivant par l’organisme.
opposition à l’inerte. Qu’il s’agisse c) L’objet technique est inventé, imaginé

vivante synthétique
des végétaux, des animaux ou des par l’esprit humain, et peut être produit
hommes, tous ont en commun un en série.
certain nombre d’activités que la Le vivant répond à des lois qui échappent
seule matière ne suffit pas à expli- encore à la connaissance humaine, et rien
quer, même quand elle est « orga- n’est exactement identique entre deux
nisée  » (organique), comme c’est organismes semblables.
le cas pour le vivant. Il doit donc y
avoir une certaine forme respon-
Transition : Pourtant, le clonage est désor-
mais réalisable sur des animaux.
Une cellule synthétique qui possède son propre adn  ? Le pionnier du séquençage
sable de l’acte de vivre, c’est-à-dire du génome humain, le biologiste américain Craig Venter, a dévoilé, jeudi 20 mai, la
du fait de «  se nourrir, croître et Insémination artificielle. II.  Le vivant possède des propriétés méca- création de la première cellule vivante dotée d’un génome synthétique. Une « étape
dépérir par soi-même ». C’est cette niques, naturelles ou artificielles.
forme qu’Aristote appelle l’âme L’analyse du sujet a) La notion de finalité et de fonction justifie l’analogie importante scientifiquement et philosophiquement  », explique le chercheur, dans
(psuchè). Là est la spécificité de la I. Les termes du sujet entre la technique et le vivant : chaque élément a sa la compréhension des mécanismes de la vie et qui ouvre la voie à la fabrication
« psychologie » d’Aristote : l’âme • Le vivant : place dans l’organisation d’ensemble (cf. analyse de
ne se confond pas, pour Aristote, − sens scientifique, tout élément possédant des Descartes).
d’organismes artificiels.

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
avec la pensée. Seul l’homme a la propriétés biologiques. b) Inversement, des organismes vivants sont utilisés,

I
capacité de penser, mais tous les • Peut-il être considéré comme : voire inventés aujourd’hui, pour leur fonction et leur « l s’agit de la création de la et nous pensons ainsi à une somes synthétiques ne seront dore  » ces travaux, Pat Moo-
êtres vivants ont une âme, comme − sens théorique et descriptif, « compris », « expli- efficacité technique (ogm résistants aux pesticides, première cellule vivante gamme étendue d’applica- plus des obstacles aux progrès ney, directeur de l’etc Group,
principe de vie des êtres animés. qué » selon le modèle de l’objet technique. cellules souches, etc.). synthétique, au sens tions », précise-t-il. de la biologie synthétique  », organisme international privé
Aristote va alors forger de toutes − sens pratique et moral, « utilisé », « construit » de Transition : Pourquoi continuer à faire une différence où celle-ci est entièrement Craig Venter avait annoncé en soulignent les auteurs de ces de surveillance des technolo-
pièces le concept d’entéléchie pour façon semblable à l’objet technique. et quelle différence faire ? dérivée d’un chromosome 2008 être parvenu avec son travaux. gies dont le siège est au Ca-
rendre compte de la dimension • Un objet technique : synthétique », explique Craig équipe à fabriquer un génome nada, estime que « la biologie
dynamique du vivant. L’entéléchie, − objet artificiel et non naturel. III. Vivant et machine se distinguent par leur valeur. Venter, créateur de l’Institut bactérien 100 % synthétique « Boîte de Pandore » synthétique est un champ
c’est de l’acte. Mais alors que « l’en- − objet destiné à produire un résultat, à assurer une a) L’objet technique n’a d’autre réalité que sa fonction. du même nom et coauteur du en collant des séquences d’adn C’est ainsi que selon Craig d’activité à haut risque mal
téléchie seconde  » désigne une fonction. Il est construit pour cela. premier séquençage du gé- synthétisées bout à bout afin Venter, ces chercheurs vont compris, motivé par la quête
activité pleinement accomplie, b) Le vivant est capable de s’adapter, et comprend un nome humain rendu public de reconstituer le génome tenter de concevoir des al- du profit  ». «  Nous savons
portée à sa perfection, sans rien II. Les points du programme degré d’adaptation plus grand selon la complexité de en 2000. «  Ce chromosome complet de la bactérie Myco- gues capables de capturer que les formes de vie créées
qui demeure encore en puis- − Le vivant. son organisation (cf. analyse de Bergson montrant le [élément porteur de l’infor- plasma genitalium. L’avancée le dioxyde de carbone (co2), en laboratoire peuvent deve-
sance, «  l’entéléchie première  » − La technique. lien entre la conscience et la vie). mation génétique contenant annoncée jeudi découle de ces principal gaz à effet de serre, nir des armes biologiques et
est de l’activité qui conserve du − La morale. c) Parmi les êtres vivants, les hommes en particulier un groupe de gènes de l’orga- travaux antérieurs et ouvre et de produire de nouveaux menacer aussi la biodiversité
possible, qui n’est pas totalement ne peuvent être réduits à une pure fonction, leur nisme] a été produit à partir effectivement la voie à des ap- carburants propres. naturelle », ajoute-t-il.
réalisée  : elle est dynamique (du L’accroche enlevant le statut de personnes. de quatre flacons de subs- plications environnementales Des recherches sont aussi Le Craig Venter Institute a dé-
grec dunamis, « puissance »). No- Dans le film L’Ascenseur (1984, Dick Maas), un objet tances chimiques et d’un syn- et énergétiques. en cours pour accélérer la posé des brevets recouvrant
tons que ce concept aristotélicien technique devient un organisme vivant. Or, sans Conclusion thétiseur, et tout a commencé Le génome qu’ils ont fabri- production de vaccins, fabri- certaines des techniques dé-
d’entéléchie sera repris par Leibniz qu’il s’agisse de science-fiction, peut-on considérer Le vivant ne peut être considéré comme un simple avec des informations dans un qué est la copie d’un génome quer de nouvelles substances crites dans les travaux publiés
au xviie  siècle pour s’opposer au le vivant comme un objet technique ? objet technique, non parce que l’analogie est absurde ordinateur », poursuit-il. existant, celui de la bactérie chimiques, des ingrédients jeudi.
mécanisme cartésien et penser théoriquement, mais parce que la confusion est mycoplasme mycoïde, mais alimentaires et des bactéries
la nature de manière dynamique. La problématique dangereuse pratiquement et moralement. Vers la biologie avec des séquences d’ adn capables de purifier l’eau. LeMonde.fr
Un organisme vivant a-t-il des propriétés et un mode synthétique supplémentaires pour l’en Qualifiant de «  boîte de Pan- (21 mai 2010)
de fonctionnement qui l’apparentent à une machine ? Les bons outils Cette percée « change ma vi- distinguer.
« Chaque corps Est-il légitime de l’utiliser et de le traiter comme un • Bergson, Matière et mémoire, La conscience de la Vie. sion de la définition de la vie Ils ont ensuite transplanté
organique vivant objet, en vue d’un résultat à produire ? • Descartes, Lettre au marquis de Newcastle (théorie des et de son fonctionnement  », ce génome synthétique dans pourquoi création d’une cellule « vivante »
est une espèce de animaux machines, car étant dépourvus de pensées). ajoute ce chercheur, un des une autre bactérie, appelée cet article ? synthétique nous plonge au cœur
machine divine. » Le plan détaillé du développement • Darwin, De l’origine des espèces. coauteurs de ces travaux pa- microplasme capricolum, du sujet et de ses implications
(Leibniz) I. Le vivant a des propriétés et une valeur qui dépas- rus dans la revue américaine réussissant à «  activer  » les Qu’est-ce que le vivant  ? Seule- éthiques. Jusqu’où l’homme
sent l’objet technique. Science datée du 21 mai. « Cette cellules de cette dernière. « Si ment le résultat de processus peut-il aller dans la manipu-
« La vie en général, a) Le vivant possède la faculté autonome de se repro- Ce qu’il ne faut pas faire approche est en effet un très ces techniques peuvent être biochimiques, reproductibles en lation génétique  ? Les risques
est la mobilité même. » duire, de se développer, grâce à ses échanges avec la Restreindre le devoir à des exemples de science-fic- puissant instrument pour généralisées, la conception, laboratoire ? Cet article publié sur inhérents à de telles expériences
(Bergson) réalité extérieure  ; la machine, non (cf.  distinction tion, ou à des idées de « progrès » futurs. tenter de concevoir ce que la synthèse, l’assemblage et la le site du Monde et rapportant la sont-ils vraiment maîtrisés ?
établie par Kant). nous attendons de la biologie transplantation de chromo-

62 La raison et le réel La raison et le réel 63


L’essentiel du cours L’essentiel du cours

La matière
motS CLÉS tion pose problème  : comment
penser en effet l’union étroite
motS CLÉS
composé de «  la substance pensante  »  et idée
hylémorphique de «  la substance étendue  » que Du grec idein, « voir ». L’idée est ce
De hulé, «  la matière  », et mor- tout oppose, c’est-à-dire l’union par quoi la pensée unifie le réel. La
phé, «  la forme  ». Désigne chez de l’âme et du corps dans l’être question de l’origine et de la nature

et l’esprit
Aristote toute chose individuelle humain  ? Si cette union va de des idées divise les philosophes.
concrète : un lit, par exemple, est soi dans la vie courante (je veux Descartes soutient que nous avons
composé de matière (le bois) et mouvoir ma main, et je la meus) en nous des idées innées, alors que
de forme (la forme du lit, qui le comment l’expliquer sur le plan Hume leur attribue une origine
définit). métaphysique  ? Descartes pose empirique.
l’existence « d’esprits animaux », Il faut distinguer, chez Kant, l’idée
esprit sortes d’influx nerveux assurant du concept : l’idée, produite par la
Du latin spiritus, « souffle ». Dé- La matière est ce qui est le plus élémentaire, au sens où c’est la communication entre l’esprit raison, est un principe d’unifica-
signe, au sens large, par opposi- et le corps  ; Spinoza, mais aussi tion du réel supérieur au concept,
tion au corps matériel, le principe ce qui existe indépendamment de l’homme, comme ce qui est Leibniz et Bergson, montreront produit par l’entendement.
immatériel de la pensée. susceptible de recevoir sa marque, la marque de l’esprit. La dé- que cette solution n’est pas sa-
matérialisme
Chez Pascal, l’esprit, qui permet
la connaissance rationnelle, s’op-
finition est ici nominale : est matière ce qui n’est pas esprit, et tisfaisante.
Doctrine qui considère la matière
pose au cœur, par lequel l’homme inversement. Pourtant, matière et esprit sont-ils deux réalités Comment penser comme la seule réalité existante,
s’ouvre à la charité et à la foi. que tout oppose ? une participation ou qui explique tout, y compris
Chez Hegel, l’esprit est le mou- de la matière à la vie spirituelle, à partir de la
vement de se reprendre soi- l’esprit et de l’esprit matière. L’atomisme antique de
même dans l’altérité. Il désigne Qu’est-ce qui oppose la matière à à la matière ? Démocrite et d’Épicure est un ma-
ainsi le mouvement même de la l’esprit ? Dans son ouvrage Matière et mé- térialisme. S’oppose à idéalisme.
conscience. Si la matière est ce qui manque de détermination, moire, Bergson entend réconcilier
l’homme est par excellence l’être qui va lui donner ce que Descartes avait opposé et matière, forme

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
essence, essentiel forme par son travail. Or, ce travail de transformation montrer que l’insertion de l’esprit Opposition aristotélicienne. La ma-
Du latin esse, «  être  ». L’essence n’est possible que parce que l’homme, comme le dit dans la matière est possible, parce tière est le substrat indéterminé
d’une chose, c’est sa nature, ce qui Hegel, «  est esprit  ». Parce qu’il a une conscience, que l’esprit et la matière ont au que la forme vient déterminer. La
définit son être. l’homme peut sortir de lui-même et aller vers le fond le même mode d’être  : ils forme d’une chose est ainsi non
Une qualité essentielle s’oppose monde, pour le ramener à lui et se l’approprier, ne sont deux formes de la durée. seulement son contour, mais sur-
alors à une qualité accidentelle, serait-ce que dans la perception. La matière en elle-même n’est pas, tout son essence, ce qui la définit.
Schéma extrait des Méditations métaphysiques de Descartes.
c’est-à-dire non constitutive de comme le croyait Descartes, l’es- Un composé de matière et de forme
l’être de la chose. Parce qu’il est esprit ou « être pour soi », l’homme est pace géométrique que nous pré- est un composé hylémorphique.
capable de ce double mouvement de sortie hors de sente la science, mais un ensemble L’esprit se réduit-il à cerveau (thèse réductionniste),
être pour soi, soi et de retour à soi, ce qui l’oppose précisément à la de vibrations continues, dont de la matière ? ou si le cerveau peut être conçu monisme
être en soi matière, ou « être en soi », qui est incapable de sortir les moments se pénètrent sans La question est encore au- sur le modèle d’un ordinateur, Du grec monos, « un seul ». Terme
Sartre, après Hegel, oppose l’être hors de ses propres limites. rupture comme les notes d’une jourd’hui vivement débattue. c’est-à-dire comme un système crée par Christian Wolff pour dé-
en soi, caractéristique de l’opacité mélodie. Nous n’envisageons la Selon la thèse moniste (du grec computationnel de traitement signer un système philosophique
des choses, incapable de distance La matière est-elle ce qui n’a pas matière comme divisible en ob- monos, un), l’esprit n’est qu’une d’informations (thèse fonction- dans lequel la totalité du réel est
avec soi-même, à l’être pour soi de conscience ? jets extérieurs les uns aux autres configuration particulière de naliste). On peut cependant considérée comme une substance
de l’être conscient, capable de Pour Hegel, la distinction entre la matière et l’esprit que pour les besoins de l’action et la matière. Cette thèse est celle objecter que la seule chose qui unique.
se rapporter à lui-même et au rejoint la distinction entre être conscient de soi et être sous l’influence du langage qui en de Gilbert Ryle  : nous croyons s’atteste dans les neurosciences,
monde. Qu’est-ce que la matière ? non conscient de soi : en ce sens, l’esprit désigne tout nommant, crée des distinctions. qu’une entité séparée et réelle c’est une solidarité entre l’activité substance
Couramment, la matière désigne l’inerte, par opposi- ce qui porte la marque de l’homme (un produit du De même pour l’esprit : il n’est pas correspond au mot « esprit », et cérébrale et la conscience  ; cela Du latin substare, «  se tenir en-
idéalisme tion au vivant : c’est la pierre, le bois, la terre, bref, ce travail humain ou une œuvre d’art) et la matière, tout en lui-même composé d’états de nous en faisons un «  fantôme ne signifie pas que la conscience dessous  ». Au sens strict, chez
Doctrine qui accorde un rôle pré- qui est inanimé, c’est-à-dire qui ne possède pas d’âme ce qui est étranger à l’homme et n’est qu’un support conscience discontinus et homo- dans la machine » qu’est le corps. soit réductible à des états céré- Descartes, la substance est ce qui
éminent aux idées. au sens qu’Aristote donne à ce terme (le principe vital possible pour ses activités : les choses de la nature, gènes. Chaque moment de la vie En réalité, « corps » et « esprit » braux (Bergson). La question est n’a besoin de rien d’autre pour
On pourra parler de l’idéalisme de interne à tout être vivant). Pourtant, l’être vivant est dans la mesure où elles existent indépendamment de de l’esprit contient tous les autres désignent non pas deux ordres, surtout morale : faire de l’esprit exister : seul Dieu est tel.
Platon, qui accorde plus de réalité lui aussi composé d’une matière : la distinction de toute intervention humaine et n’ont pas encore été et n’est que leur développement mais deux faces d’une même un processus physico-chimique Mais en un autre sens, la subs-
et de dignité aux idées qu’aux départ est donc insuffisante. transformées, sont matière. La matière est donc ce qui continu. réalité  ; la question est simple- ou un emboîtement de fonctions, tance est le support permanent
réalités sensibles. En fait, ce qui caractérise la matière, c’est d’abord un n’a pas de conscience et ce dont l’esprit a conscience. Ce que Bergson nomme « durée » ment de savoir si l’activité spi- cela ne revient-il pas à mécaniser des attributs ou qualités  : ainsi
L’idéalisme allemand renvoie défaut de détermination. La matière est sans forme : permet donc de penser sous un rituelle se réduit finalement à l’homme, c’est-à-dire à nier la la « substance pensante » a pour
aux philosophies de Kant, Hegel, ce n’est qu’une fois mise en forme qu’elle est délimi- Matière et esprit s’excluent-ils même concept l’esprit et la matière. l’activité physico-chimique du liberté et la dignité humaine ? attribut principal la pensée.
Fichte et Schelling. S’oppose à tée et déterminée, par exemple, une fois que l’argile nécessairement ?
matérialisme. a reçu la forme d’une cruche. C’est ainsi qu’Aristote Telle est la position de Descartes, qui pose d’emblée sujet
Il faut distinguer, chez Kant, l’idée considère toute chose concrète comme un composé l’existence de deux substances distinctes : « la substance un article du Monde à consulter Du latin subjectum, «  poser des-
du concept : l’idée, produite par la de forme et de matière, ou composé hylémorphique pensante » et « la substance étendue », la première sous ». Avec Descartes, le sujet va
raison, est un principe d’unifica- (de hylé, « matière », et morphè, « forme », en grec). caractérisant l’homme en tant qu’il pense et se pense, • Comment la matière l'a emporté de justesse sur l'antimatière p. 67 devenir l’esprit qui connaît, par
tion du réel supérieur au concept, La matière n’est alors ici que le support sans forme et la seconde caractérisant la matière corporelle, (Pierre Le Hir, 29 mai 2010.) opposition à la chose connue, ou
produit par l’entendement. propre de déterminations formelles. pure étendue géométrique. Pourtant, cette distinc- objet.

64 La raison et le réel La raison et le réel 65


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

zoom sur
Gottfried Wilhelm Leibniz
Dissertation : La matière est-elle Comment la matière
(1646-1716)
plus facile à connaître que l’esprit ?
Philosophe allemand, diplo-
mate, juriste, historiographe,
physicien, inventeur du calcul
infinitésimal, profond méta-
pas également des difficultés à définir précisément
ce qu’est la matière ?
l’a emporté de justesse
sur l’antimatière
physicien, il s’efforce dans sa Le plan détaillé du développement
philosophie de penser à la fois I. La matière se prête davantage aux exigences de la
l’unité et la diversité du réel. connaissance.
Il compose celui-ci de monades, a) La méthode d’observation s’applique aux phéno-
ou substances à chaque fois mènes matériels susceptibles d’être perçus.
différentes, qui, comme des mi- b)  Inversement, aucune preuve matérielle ne peut Si l’on en croit le modèle standard de la physique, la page de journal où est imprimé
roirs, concentrent et expriment être apportée sur la réalité tangible de l’esprit d’un cet article, ou l’écran sur lequel il s’affiche, ne devraient pas exister. Pas plus que les
du point de vue unique qui est homme, ni de l’Esprit divin, simple objet de croyance.
le leur tout l’univers, selon une c) Les éléments de l’esprit ne se laissent pas connaître journalistes, les lecteurs, ni rien d’autre. Pas de galaxies, d’étoiles, de planètes. Pas de
harmonie préétablie par Dieu. La de la même façon  : un individu qui se sait ob- vie. Pourtant, nous sommes vivants, et le monde qui nous entoure bien réel. Parce que
monade : c’est la notion qui rem-
placera la substance individuelle.
servé peut délibérément cacher, mentir… Il faut
donc interpréter, ce qui laisse la part plus grande à
l’Univers a choisi la matière plutôt que l’antimatière. De très peu  : une infime pincée
La monade est un point de vue la subjectivité. supplémentaire de la première, qui a suffi à faire toute la différence. Pourquoi, comment ?
métaphysique, un point de Transition : Connaître et interpréter, n’est-ce pas une

D
force qui enchaîne des percep- activité de l’esprit ? es expériences menées matière et antimatière étaient du groupe de recherche théo- Ces résultats ne pourront
tions inscrites de toute éternité au Fermilab de Chicago, restées en quantités égales, rique du cern. Une particule qu’aiguillonner les équipes
dans son programme. II.  L’esprit peut avoir une bonne connaissance de avec le détecteur DZero elles auraient donc dû s’an- de matière sur 10 milliards du cern, dont l’un des dé-
Cette substance simple et sans ses lois du Tevatron − le collisionneur nihiler. À moins de supposer aurait survécu à l’annihilation tecteurs, le lhcb, est dédié à

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
partie entre dans tous les com- a) La conscience nous donne une plus grande certi- de particules le plus puissant que l’Univers s’est scindé en générale entre particules et l’étude de l’asymétrie entre
posés et est l’élément de toute tude de sa propre activité spirituelle que des objets au monde après le Large Ha- domaines distincts, faits soit antiparticules. C’est de ces res- matière et antimatière. S’ils
chose. Toutes nos idées sont extérieurs. Il s’agit de l’analyse de Descartes qui dron Collider (lhc) de l’Orga- de matière, soit d’antimatière. capées que serait né le monde demandent à être validés par
innées et inscrites en nous de aboutit à : « Je pense donc je suis. » nisation européenne pour la Mais, alors, des déflagrations que nous connaissons. de nouvelles mesures, ils mar-
toute éternité. b) La matière définie comme substance est un concept recherche nucléaire (cern) de devraient se produire en per- À la fin des années 1960, quent, commentent les cher-
Avec la doctrine de la monade, L’analyse du sujet très abstrait. On connaît davantage les éléments Genève −, lèvent peut-être un manence aux frontières de ces le physicien russe Andreï cheurs, une «  nouvelle étape
Leibniz va faire du «  pro- I. Les termes du sujet (particules élémentaires) ou les lois (force gravita- coin du voile. Tout en ébran- domaines, créant des rayons Sakharov (prix Nobel de la vers la compréhension de la
gramme  » (néologisme leib- • La matière : tionnelle) de la matière. lant le socle de la physique gamma cosmiques parvenant paix en 1975) a suggéré que prédominance de la matière
nizien) une notion centrale  : – substance fondamentale des choses. c) L’esprit, entendu comme substance, est lui aussi un fondamentale. Ces travaux, jusqu’à la Terre. des forces agissaient de façon dans l’Univers  », en faisant
toute monade est un point de – tous les éléments, tous les niveaux d’organisation terme abstrait. On le connaît par ses manifestations auxquels participent 500 Les calculs montrent que, différenciée entre matière apparaître «  l’existence de
force qui déroule une suite de de cette substance : atomes, molécules, corps, objets… extérieures ou par des schémas théoriques de corré- physiciens de 19 pays, parmi compte tenu du flux de ces et antimatière, provoquant nouveaux phénomènes qui
perceptions inscrites en elle de • L’esprit : lation entre ses éléments : le conscient et l’inconscient lesquels une cinquantaine de rayons gamma, de tels do- une « violation de symétrie » dépassent nos connaissances
toute éternité. – faculté de penser sous toutes ses formes : conscience, par exemple. chercheurs français du cnrs et maines auraient au moins la entre particule et antiparti- actuelles  ». Et qui appellent
Elle n’a donc ni porte, ni fenêtre idées, réflexion… du Commissariat à l’énergie taille de la totalité de l’Univers cule. Cette asymétrie a ensuite rien de moins qu’une nouvelle
«  par où quelque chose pour- – « réalité » immatérielle ; substance supposée être Conclusion atomique (cea), ont été soumis visible. Conclusion : l’antima- été mise en évidence par plu- physique.
rait entrer ou sortir  », et cha- distincte du corps. La matière et l’esprit sont étudiés selon des schémas pour publication à la revue tière primitive a totalement sieurs expériences.
cune définit en fait « un point • Plus facile à connaître : de lois. Mais cela veut-il dire que tout phénomène a Physics Review D. disparu de notre Univers. Celle La percée réalisée par les Pierre Le Hir
de vue de Dieu sur l’univers ». – exigence de savoir, de vérité. des causes matérielles ? En théorie, lors du Big Bang qu’observent aujourd’hui les chercheurs du Fermilab, qui (29 mai 2010)
Si l’univers est harmonieux, si – baisse des efforts, des difficultés, des obstacles. originel, voilà 13,7 milliards physiciens provient des rayons ont procédé, pendant huit
les monades s’entre-expriment d’années, matière et anti- gamma heurtant l’atmosphère ans, à plusieurs centaines
bien, c’est que Dieu a réglé de II. Les points du programme Ce qu’il ne faut pas faire matière ont été formées en terrestre, ou des collisionneurs de milliards de milliards de pourquoi
toute éternité cette harmonie • La matière et l’esprit. Parler uniquement de la matière dans une partie du quantités égales. Leurs com- où elle est fabriquée en très collisions entre protons et an- cet article ?
expressive : c’est la doctrine de • La conscience. devoir, et de l’esprit dans une autre. posants élémentaires sont de petites quantités. tiprotons, est d’avoir mesuré
l’harmonie préétablie. • La vérité. même masse, mais de charge une différence de 1 % entre Cet article de Pierre le Hir
Il n’y a donc plus de corps, il n’y • L’interprétation. électrique opposée, à chaque « Violation le nombre de particules (des permet de prolonger la ré-
a que des âmes, puisque tout Les bons outils particule de matière corres- de symétrie » muons) et d’antiparticules (des flexion sur la matière, à la
est composé de monades, ces L’accroche • Platon, Phédon  (plusieurs arguments en faveur de pondant une antiparticule  : Les cosmologistes imaginent antimuons) générées par ces lueur des dernières théories
« atomes formels » et non ma- Le cerveau est peu à peu décrypté et cartographié l’existence séparée et autonome de l’âme). ainsi de l’électron, de charge que l’Univers primordial a chocs, rapporte Marc Besançon et découvertes scientifiques
tériels, ces « miroirs vivants » par la science. • Bergson, L’Âme et le Corps (l’auteur intègre à son ar- négative, et du positon, chargé connu à ses tout premiers ins- (cea). Un écart considérable que sur l’origine de l’Univers. Bien
qui reflètent à chaque fois tout gumentation des éléments de découverte scientifique positivement. tants, alors qu’il était encore − c’est le plus vertigineux de loin d’en épuiser le mystère,
l’univers sous un certain point La problématique sur le cerveau). Or, lorsqu’une particule et une extrêmement dense et chaud, l’histoire − le modèle standard elles ouvrent de nouvelles
de vue. La structure de la matière n’est-elle pas plus accessible • Spinoza, Éthique. antiparticule se rencontrent, une phase de transition au de la physique, qui prévoit un perspectives sur le concept
Les organismes sont donc or- à l’analyse et à l’observation que l’esprit ? L’esprit sous • Aristote, De l’âme. elles disparaissent dans un cours de laquelle son équilibre taux d’asymétrie inférieur à 1 même de matière et d’anti-
ganiques à l’infini, et la nature, toutes ses formes peut-il être vraiment appréhendé • Descartes, Méditations métaphysiques. flash de lumière, leur masse thermodynamique a été rom- pour 1 000, est impuissant à matière.
entièrement vivante. de façon objective ? Cependant, la science n’a-t-elle • Berkeley, Des principes de la connaissance humaine. se transformant en énergie. Si pu, explique Antonio Riotto, expliquer.

66 La raison et le réel La raison et le réel 67


L’essentiel du cours L’essentiel du cours

La vérité
motS CLÉS motS CLÉS
adéquation erreur
Désigne en particulier la corres- Du latin errare, « errer ». Affirma-
pondance entre la chose et l’idée tion fausse, c’est-à-dire en contra-
que j’en ai, entre le réel et ce que diction, soit avec les règles de la
j’en dis, et définit ainsi tradition- logique, soit avec les données de
nellement la vérité. l’expérience.
À distinguer de la faute, qui pos-
apodictique
Du grec apodeiktikos, «  démons-
La vérité fait partie de ces termes que la philosophie scolastique sède une connotation morale et
ne concerne pas tant le jugement
tratif ». Un jugement apodictique nommait des « transcendantaux », parce qu’ils sont toujours « au- que l’action.
énonce une vérité nécessaire  ; delà » (trans) de tout ce qui est (ens), et que, comme tels, ils ne
c’est le cas des propositions de la illusion
logique et des mathématiques. sont pas définissables : il ne s’agirait pas alors de les comprendre, Du latin illudere, «  tromper, se
Se distingue chez Kant du juge- mais de les saisir directement par une intuition immédiate. jouer de  ». Il faut distinguer l’er-
ment assertorique, qui énonce reur de l’illusion : alors que l’erreur
un fait contingent, simplement m’est toujours imputable, en ce
constaté, et du jugement pro- les uns les autres, et la définition, cir- qu’elle résulte de mon jugement,
blématique, qui énonce un fait culaire, est purement « nominale », que je peux toujours corriger,
possible. c’est-à-dire qu’en fait elle ne définit l’illusion (par exemple une illu-
rien. Il faut donc chercher une autre sion des sens) est un effet de la
cogito définition. Pour cela, il faut d’abord rencontre entre la conformation
Mot latin signifiant «  je pense  ». définir ce qui est susceptible d’être de mes organes et du réel, qui peut
L’intuition «  cogito ergo sum  », vrai ou faux. être expliquée, mais non dissipée.
« je pense donc je suis », constitue
pour Descartes la certitude pre- Qu’est-ce qui est La bouche de la vérité (Rome). immédiat

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
mière résistant au doute métho- susceptible d’être Au sens strict, immédiat signifie
dique et, comme telle, le modèle vrai ou faux ? Descartes, que toute ma vie ne soit qu’un « songe bien forces, je ne peux donc pas avoir une telle idée. «  sans médiation, sans intermé-
de toute vérité. Seuls nos énoncés sur les choses, et lié », que je sois en train de rêver tout ce que je crois Si j’ai l’idée de Dieu, il faut donc que ce soit Dieu lui- diaire », et s’oppose à médiat.
non les choses elles-mêmes, sont percevoir : rien ne m’assure que le monde ou autrui même qui l’ait mise en mon esprit ; par conséquent, Au sens cartésien, par exemple,
conviction susceptibles d’être vrais ou faux ; et existent tels que je les crois être. je suis certain que Dieu existe avant d’être sûr que le l’intuition est un mode de connais-
Croyance réfléchie et volontaire, encore : la prière, le souhait, l’ordre, monde est comme je le perçois. Mais si Dieu existe, sance immédiat, alors que la
qui se distingue de l’opinion et de etc., sont des énoncés qui n’ont pas Faut-il alors renoncer à parvenir et s’il est parfait, il doit être vérace et bon  : il ne démonstration est un mode de
la certitude (qui n’est pas seule- de valeur de vérité. à la vérité ? peut avoir la volonté de me tromper, et le monde connaissance médiat.
ment subjectivement fondée mais En fait, seuls les énoncés qui attri- Même si tous mes jugements sont faux, il est doit bien être tel que je me le représente. Descartes
qui est objectivement et rationnel- buent un prédicat à un sujet, c’est- cependant une seule chose dont je ne peux pas est ainsi contraint de poser l’existence de Dieu au intuition
lement fondée). à-dire les jugements prédicatifs, douter : pour se tromper, il faut être ; donc, je suis. fondement de la vérité. Du latin intuitus, « regard ». Chez
peuvent être vrais ou faux. La vérité « Je pense, donc je suis » est la seule proposition Descartes, acte de saisie immé-
croyance serait alors d’attribuer à un sujet le nécessairement vraie. Cette intuition devient le La solution cartésienne diate de la vérité, comme ce qui
Adhésion à une idée ou une prédicat qui exprime bien comment modèle de la vérité : il ne s’agit plus de comparer résout-elle le problème ? s’impose à l’esprit avec clarté et
théorie sans véritable fondement le sujet est réellement (par exemple, mes idées aux choses, ce qui est impossible, mais En fait, lorsque Descartes affirme que le modèle de distinction. L’intuition s’oppose
rationnel. l’énoncé « la table est grise » est vrai mes idées à cette intuition certaine, le cogito. Toute la vérité, c’est l’intuition immédiatement certaine du à la déduction, qui parvient à la
En ce sens, la croyance est une si la table réelle est effectivement idée qui est aussi claire et distincte que le cogito est cogito, il présuppose que sa définition de la vérité est la vérité par la médiation de la dé-
opinion et s’oppose au savoir. grise). Une proposition serait donc nécessairement vraie. vraie définition. monstration.
vraie quand elle décrit adéquate- Cependant, à ce stade du doute méthodique, je ne Comme l’a montré le logicien Frege, la vérité se Chez Kant, l’intuition désigne la fa-
doute méthodique ment la chose telle qu’elle est. suis assuré que d’être en tant que chose qui pense : présuppose toujours elle-même, quelle que soit la çon dont un objet nous est donné ;
Méthode cartésienne de mise à pour m’assurer qu’autrui et le monde existent, définition que j’en donne : que je définisse la vérité tout donné étant nécessairement
l’épreuve des opinions afin de La définition de et me sortir du solipsisme, Descartes devra par la comme adéquation, comme cohérence logique de la sensible, il ne pourra y avoir pour
parvenir à une vérité indubitable. la vérité comme suite poser l’existence d’un dieu vérace et bon qui proposition ou comme intuition certaine, je présup- l’homme que des intuitions sen-
Ce n’est ni le doute spontané de adéquation est-elle ne cherche pas à me tromper. pose déjà le « sens » de la vérité. Cette circularité ne sibles, et jamais, comme Descartes
l’homme en proie à l’incertitude, satisfaisante ? rend pas la vérité nulle et non avenue, mais invite le soutenait, des intuitions intel-
ni le doute des sceptiques, qui Saint Thomas d’Aquin a le premier plutôt à remarquer le paradoxe : la vérité se précède lectuelles.
font de la suspension définitive défini la vérité comme l’adéqua- Quelle est la solution proposée toujours elle-même. Kant appelle intuitions pures, ou
du jugement une sagesse de vie. tion de l’esprit et de la chose. par Descartes ? formes a priori de la sensibilité,
Le doute comme méthode est pro- Saint Thomas d’Aquin : « La vérité est l'adéquation de la chose et de l'intellect. » Mais pour que cette définition « Je pense, donc je suis » : il est impossible de douter l’espace et le temps.
visoire, systématique, et hyperbo- soit valide, il faudrait que je puisse de cette proposition. La certitude du cogito ne me dit un article du Monde à consulter Chez Bergson, l’intuition est le seul
lique, car il a une fonction critique : Quel sens donnons-nous comparer mes idées aux choses ; le problème, c’est cependant rien d’autre : hormis cela, je peux encore mode de connaissance susceptible
séparer les opinions des savoirs habituellement à la vérité ? que je n’ai jamais affaire aux choses en elles-mêmes, me prendre à douter de tout. Mais, parmi toutes les • Descartes : le spectre du cogito p. 71 d’atteindre la durée ou l’esprit,
certains, pour permettre d’asseoir Descartes remarque que l’on définit couramment le mais seulement à ma représentation des choses. idées dont je peux douter, il y a l’idée de Dieu. L’idée (Propos receuillis par Jean Birnbaum, 8 février par opposition à l’intelligence,
sur des bases inébranlables l’édi- vrai comme ce qui n’est pas faux, et le faux comme Or, rien ne m’assure que le monde est bien conforme d’un être parfait est elle-même nécessairement par- 2008.) qui a pour vocation de penser la
fice des sciences. ce qui n’est pas vrai… Ici, les contraires se définissent à ce que j’en perçois ; il se pourrait, comme l’a montré faite ; or, je suis un être imparfait : de mes propres matière.

68 La raison et le réel La raison et le réel 69


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

citations
« Ainsi, il suffit de définir le men-
Dissertation : La vérité est-elle Descartes : Le spectre du cogito
songe comme une déclaration
intentionnellement fausse, et
point n’est besoin d’ajouter à cette
la valeur suprême ? Le Discours de la méthode et les Méditations métaphysiques sont le troisième volet du
« Monde de la philosophie ». Entretien avec le philosophe et psychanalyste Slavoj Zizek.
clause qu’il faut qu’elle nuise à le niveau et le degré de vérité auquel ils parviennent
autrui […] car il nuit toujours à (cf. analyse d’Aristote sur le statut suprême du sage).
autrui : même si ce n’est pas un c)  L’homme est doté de morale, le fait de mentir à Quelle place la pensée de devient différent de ce qu’il serait s’il gito est mort. Pourtant, son spectre et commence à agir comme le ma-
autre homme, c’est l’humanité autrui est considéré comme une faute suprême Descartes occupe-t-elle avait toujours vécu entre des Chinois continue de nous hanter. Donnons lin génie de Descartes, perturbant la
en général. » (exemple de Kant). dans votre propre itiné- ou des cannibales ; et comment, jusques trois exemples. Le premier est, peut- coordination entre mon esprit et ma
(Kant) Transition : Mais n’y a-t-il pas des cas où le dévoile- raire philosophique ? aux modes de nos habits, la même chose être contre toute attente, la notion propre expérience corporelle. Lorsque
• ment de la vérité peut faire mal ? Le spectre cartésien hante la philosophie qui nous a plu il y a dix ans, et qui nous marxienne de « prolétaire », l’ouvrier le signal envoyé par mon esprit de
« C’est à partir de cette “ croyance ” contemporaine. Toutes les puissances plaira peut-être encore avant dix ans, exploité à qui on retire le produit de son lever ma main est suspendu ou même
qui est la leur, qu’ils se démènent II. La relativité de la vérité. académiques se sont unies en une nous semble maintenant extravagante travail, si bien qu’il est réduit au statut de contrecarré dans la réalité (virtuelle),
pour obtenir leur “ savoir ” quelque a) L’exigence de vérité absolue dépend de comporte- Sainte-Alliance pour l’exorciser : l’obs- et ridicule ; en sorte que c’est bien plus la subjectivité sans substance. ce qui est ainsi sapé est mon expé-
chose, qui finira solennellement à ments spécifiques qui n’ont pas plus de « valeur » que curantisme New Age et le déconstruc- coutume et l’exemple qui nous persua- Le second exemple est celui d’un sujet rience la plus fondamentale du corps
être baptisé “ La vérité ”. La croyance les autres (cf. analyse de Nietzsche sur l’idéal moral et tionisme postmoderne ; le théoricien dent qu’aucune connaissance certaine, totalement « médiatisé », entièrement comme « mien ».
fondamentale des métaphysiciens, néfaste de la Vérité). habermasien de la communication et et que néanmoins la pluralité des voix immergé dans la réalité virtuelle : bien Le troisième cas est le sujet « post-
c’est la croyance aux oppositions de b) La vérité absolue et objective est un idéal auquel ne le partisan heideggerien de la pensée n’est pas une preuve qui vaille rien qu’il pense « spontanément » être traumatique », celui dont l’iden-
valeurs. » correspond jamais de savoir effectif, ce qui crée un de l’Être ; le postmarxiste et la fémi- pour les vérités un peu malaisées à en contact direct avec la réalité, son tité symbolique a été effacée par un
(Nietzsche) trouble constant. L’exigence de bonheur doit alors pri- niste. Y a-t-il une seule orientation découvrir, à cause qu’il est bien plus rapport à la réalité est soutenu par un choc brutal : une maladie cérébrale
mer, ce qui entraîne la suspension du jugement comme théorique qui n’ait été accusée par ses vraisemblable qu’un homme seul les dispositif numérique complexe. Rap- comme Alzheimer, une forme de
« Nos raisonnements sont fondés règle de sagesse (cf. analyse de Sextus Empiricus). détracteurs de ne pas avoir pleinement ait rencontrées que tout un peuple, pelez-vous Neo, le héros du film Matrix, violence physique, une catastrophe
sur deux grands principes : celui de Transition : Dans ce cas, doit-on abandonner la vérité récusé l’héritage cartésien ? Pourquoi je ne pouvais choisir personne dont qui découvre d’un coup que ce qu’il naturelle... Le premier cas connu est
la contradiction et celui de la raison comme valeur ? le cogito cartésien joue-t-il ce rôle de les opinions me semblassent devoir perçoit comme la réalité est construit le « musulman » au sein des camps
Athéna, déesse grecque de la vérité.
suffisante […] Il y a deux sortes de référence négative ? Répondre à cette être préférées à celles des autres, et je et manipulé par un super-ordinateur : nazis. Le terme désignait ceux qui

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
vérités  : celle des raisonnements III.  La valeur de la vérité est primordiale dans les énigme a été mon point de départ, me trouvai comme contraint d’entre- ne se trouve-t-il pas exactement dans simplement végétaient, perdant ainsi
et celle des faits. Les vérités de L’analyse du sujet relations humaines. parce qu’elle a quelque chose à faire prendre moi-même de me conduire. » la position de la victime du malin l’envie la plus élémentaire, celle de
raisonnement sont nécessaires et I. Les termes du sujet a)  Le statut même de valeur suppose une prise en avec la nature même de la philosophie. Cette expérience cartésienne du carac- génie cartésien ? Rien d’étonnant à ce survivre. La structure subjective de ce
leur opposé est impossible, et celles • La vérité : compte de ce qui fait et rend l’humanité supérieure À son tout début (les présocratiques tère contingent de notre propre position que la philosophie qui ait annoncé le genre d’individus est autiste : ce sont des
des faits sont contingentes et leur − aspect philosophique et scientifique  : idéal de aux autres animaux : liberté, justice, bonheur, etc. ioniens), la philosophie est apparue est un premier pas. Pour un philosophe, cauchemar de la réalité virtuelle soit morts vivants, ils sont vivants sur le plan
opposé est possible. » connaissance objective. b) La vérité a une valeur en tant qu’elle contribue à dans les interstices des communautés les origines ethniques ne sont tout « l’occasionnalisme » de Malebranche, biologique mais indifférents sur le plan
(Leibniz) − aspect psychologique et moral : idéal de sincérité. la réalisation de toutes les valeurs essentielles. Par sociales, comme la pensée de ceux simplement pas une catégorie de la qui a radicalisé le dualisme de Descartes : émotionnel, désengagés de la réalité. Le
• Valeur suprême : exemple : comment peut-il y avoir véritable bonheur qui étaient incapables de se recon- vérité, ou, pour le dire dans les termes si notre âme et notre corps appartien- sujet autiste post-traumatique est la «
− idée de supériorité, de plus haut rang dans la dans l’illusion (cf. analyse de Descartes) ? naître pleinement dans une identité kantiens, lorsque nous nous penchons nent à deux substances différentes, preuve vivante » du fait que le sujet ne

auteur clé hiérarchie.


− idée de sélection, de préférence à l’égard de toutes
c) Inversement, les autres valeurs favorisent la ré-
flexion critique et l’intégrité pour chaque esprit
sociale positive. Descartes a radicalisé
ce geste : le résultat de son doute hy-
sur ces origines, nous nous engageons
dans un usage privé de la raison, limité
sans contact direct, comment expliquer
leur coordination ? La seule solution est
peut être identifié (ne peut coïncider
totalement) avec les « histoires qu’il
les autres valeurs. humain, c’est-à-dire les conditions de la vérité. perbolique est une prise de conscience par des présuppositions dogmatiques qu’il existe une troisième et vraie Subs- se raconte sur lui-même  », avec la
Descartes « multiculturelle » du fait que notre contingentes. Nous agissons comme des tance (Dieu), qui fonctionne comme texture symbolique narrative de sa
Philosophe français (1591-1650). II. Les points du programme Conclusion propre tradition n’est pas meilleure individus « immatures », et non comme coordinateur et médiateur entre les vie : lorsque nous supprimons tout
Sa démarche, telle qu’elle apparaît • La vérité. La vérité est une des valeurs suprêmes de la vie hu- que ce que nous percevons comme les des êtres humains libres évoluant dans deux, assurant ainsi un semblant de cela, il reste quelque chose (ou, plutôt,
dans le Discours de la méthode • La morale, le bonheur. maine, surtout par le refus de la tromperie et l’appel traditions « excentriques ». la dimension de l’universalité de la rai- continuité. Lorsque je pense à lever ma rien, mais sous une certaine forme),
(1637) ou les Méditations méta- à la réflexion critique qu’il suppose. son. Nous pouvons aimer nos origines, main et qu’elle se lève effectivement, et ce quelque chose est le pur sujet de
physiques (1641), se caractérise par L’accroche Quel est le texte de en être fiers, sentir nos cœurs se réchauf- ma pensée cause le mouvement de ma la pulsion de mort.Il suffit, pour avoir
la recherche de la certitude. Parce « Une faute avouée est à moitié pardonnée », dit-on Les bons outils Descartes qui vous fer en revenant chez nous − mais nous main non pas directement, mais seule- une idée du cogito dans sa dimension
qu’il est en quête d’un fondement souvent… mais la vérité ne rétablit alors que la moitié • Aristote, Métaphysique (livre A). a le plus marqué ? devrions agir comme saint Paul qui, tout ment « occasionnellement » : observant la plus pure, à son «  degré zéro », de
certain pour la connaissance, Des- de la valeur. • Sextus Empiricus, Contre les moralistes. L’auteur Voici mon passage préféré, extrait de en étant fier de son identité particulière que ma pensée ordonne à ma main de regarder les monstres autistes – un re-
cartes décide de remettre en doute montre l’impossibilité d’une preuve définitivement son Discours de la méthode : « Mais, (juif et citoyen romain), était conscient se lever, Dieu déclenche l’autre chaîne gard aussi pénible que perturbant. C’est
tout ce qu’il a appris, et découvre La problématique objective sur ce qui est bien ou mal par nature. ayant appris, dès le collège, qu’on ne que, dans le véritable espace de la Vérité causale, matérielle, qui est à l’origine du ce qui explique que nous résistions
la vérité première de la pensée, N’y a-t-il rien de supérieur à la vérité, au point qu’elle • Kant, Théorie pratique. Sur un prétendu droit de mentir saurait rien imaginer de si étrange chrétienne, « il n’y a ni Juif, ni Grec ». mouvement effectif de ma main. obstinément au spectre du cogito.
comme essence du sujet, qui seule doive être recherchée et trouvée à tout prix  ? Ou par humanité. L’auteur soutient que le mensonge est et si peu croyable, qu’il n’ait été dit Pour la même raison, les femmes étaient Nous pouvons encore une fois observer
demeure absolument indubitable. doit-on au contraire la subordonner à d’autres exi- toujours nécessairement une infraction à la loi morale. par quelqu’un des philosophes ; et des lectrices passionnées de Descartes que la perspective de la virtualisation Propos recueillis par Jean Birnbaum
Sa position est dualiste  : il pose gences ? Mais comment l’ignorance ou la tromperie • Frege, Recherches logiques. depuis, en voyageant, ayant reconnu parce que, comme l’une d’entre elles le radicale confère à l’ordinateur une (8 février 2008)
l’existence de deux substances pourraient-elles êtres valables ? • Nietzsche, Par delà bien et mal ; Le gai savoir. que tous ceux qui ont des sentiments formula, le cogito n’a pas de sexe. position parfaitement homologue à
radicalement distinctes, «  la fort contraires aux nôtres ne sont pas celle de Dieu dans « l’occasionnalisme »
substance pensante  », qui fait Le plan détaillé du développement pour cela barbares ni sauvages, mais Où la pensée de de Malebranche : puisque l’ordinateur pourquoi
l’essence de l’homme, et «  la I. La vérité est une valeur supérieure. Ce qu’il ne faut pas faire que plusieurs usent, autant ou plus que Descartes trouve-t-elle, coordonne le rapport entre mon esprit cet article ?
substance étendue  », purement a)  L’homme est doté d’esprit, de volonté  : la vérité Traiter de la vérité sans faire de comparaison nous de raison ; et ayant considéré com- selon vous, son actua- et (ce qui m’apparaît comme) le mou-
géométrique. Kant, Husserl, cri- constitue l’idéal ultime auquel se consacrer, surtout avec d’autres valeurs : le bonheur, bien un même homme, avec son même lité la plus intense ? vement de mes membres (dans la réa- Un retour sur Descartes et son
tiqueront la substantialisation de face aux préjugés de son époque (exemple de Descartes). la justice, la liberté… esprit, étant nourri dès son enfance Selon la doxa contemporaine, notre lité virtuelle), nous pouvons aisément héritage philosophique.
la conscience. b) Les hommes sont même plus ou moins estimés selon entre des Français ou des Allemands, époque est postcartésienne, et le co- imaginer un ordinateur qui s’emballe

70 La raison et le réel La raison et le réel 71


la morale
la politique,

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
L’essentiel du cours L’essentiel du cours

MOTS CLÉS AUTEURS CLÉS


civilisation
La civilisation, c’est d’abord
ce qui s’oppose à la barbarie
ou à l’état sauvage, comme
un progrès dans les mœurs et
La société et les échanges Claude Lévi-Strauss
Anthropologue né en 1908 à
Bruxelles et mort en 2009.
Son approche des sociétés hu-
maines est structuraliste, en

U
les connaissances. Rousseau a ce qu’il s’attache à déchiffrer
contesté cette identification de n État, c’est un ensemble d’institutions politiques régis- tiens qu’un autre fasse ce que je ne sais pas La société sert-elle uniquement à des structures invariantes du
la civilisation, au sens d’éloi-
sant la vie des citoyens. Mais qu’est-ce que la société ? Si faire : il sera alors possible d’échanger le produit assurer notre survie ? comportement social.
gnement de l’état de nature, de mon travail contre le produit du travail d’un Selon Aristote, la vie en communauté n’a pas
avec le progrès, tant moral la société n’est pas l’État, il serait tentant de la réduire à autre. Or, pour qu’autrui accepte l’échange, il pour seul but de faciliter les échanges afin Il tient l’interdit de l’inceste
qu’intellectuel.
On tend ainsi à parler de
une simple communauté d’individus échangeant des services et faut qu’il éprouve, lui aussi, le besoin d’acquérir
ce que je produis : il est donc dans mon intérêt
d’assurer notre survie  : ce qui fonde la vie en
communauté, c’est cette tendance naturelle
comme l’acte culturel décisif
qui fonde la vie sociale, dans
plus en plus de civilisations des biens. La société aurait par conséquent une fonction avant propre que le plus de gens possible aient besoin qu’ont les hommes à s’associer entre eux, la la mesure où il témoigne de
au pluriel, notamment sous tout utilitaire : regrouper les forces des individus, diviser et spé- de ce que je produis. Comme chacun fait de son philia ou amitié. Il ne s’agit pas simplement la règle de l’échange à l’œuvre
l’influence de Lévi-Strauss, côté le même calcul, il est dans l’intérêt de tous de dire que nous sommes tout naturellement dans toute société.
comme ensembles cohérents cialiser le travail, régir les échanges et organiser le commerce. que les besoins aillent en s’augmentant  ; et enclins à aimer nos semblables, mais bien plutôt
et durables de règles, de savoirs On peut douter cependant que la société se réduise à ces seules avec eux, c’est l’interdépendance qui s’accroît. que nous avons besoin de vivre en société avec Marcel Mauss
et de mœurs, sans hiérarchie.
fonctions. Les échanges deviennent alors le véritable
fondement d’une société libérale : la satisfac-
eux pour accomplir pleinement notre humanité.
Comme le remarquait Kant, l’homme est à la fois
Neveu et disciple de Durkheim,
Marcel Mauss, qui effectue
contrat social tion de mes besoins dépend d’autrui, mais la sociable, et asocial : il a besoin des autres, mais il peu d’études de terrain,
Le contrat social est un pacte satisfaction des siens dépend de moi ; et chacun entre en rivalité avec eux. C’est cette « insociable ouvre néanmoins le champ
qui détermine l’organisation Quelle est l’utilité de dépendant ainsi de tous les autres, aucun n’est sociabilité » qui a poussé les hommes à dévelop- de la sociologie à l’étude des
d’une société. Chez de nom- la vie en société ? plus le maître de personne. per leurs talents respectifs et leurs dispositions sociétés non industrielles.
breux philosophes du xviii e Comme le remarque Hume, naturelles, bref, à devenir des êtres de culture. C’est la naissance de l’eth-
siècle, comme Hobbes ou Rous- l’homme est un être dépourvu Comment s’organisent les nologie. Dans son Essai sur

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
seau, mais selon des modalités de qualités naturelles. Il a donc échanges ? « La société n’est pas une simple somme
le don, il analyse le rituel
différentes, le contrat social tout à la fois plus de besoins Réunis en société, les individus deviennent d’individus, mais le système formé sacré du « potlatch » au cours
est l’origine et le fondement que les autres animaux (il lui interdépendants grâce à l’échange continuel par leur association représente une réalité duquel un chef indien offre
même de toute communauté faut des vêtements pour se pro- de services et de biens  : dans la vie en com- spécifique qui a ses caractères propres. » solennellement à un rival
politique. téger du froid, par exemple), munauté, l’homme travaille pour acheter le des richesses. Ce geste doit
et moins de moyens pour travail d’autrui. Chaque bien produit a donc une (Émile Durkheim) être interprété comme une
culture les satisfaire, parce qu’il est double valeur : une valeur d’usage en tant qu’il lutte pour le prestige et le
Par opposition à la nature, la faible. C’est donc pour pallier satisfait un besoin, et une valeur d’échange, en « L’homme qui vit en dehors de la cité pouvoir, la valeur marchande
culture est l’ensemble cohérent cette faiblesse naturelle que tant qu’il est une marchandise. Mais, ainsi que est soit une bête soit un dieu. » des biens étant secondaire.
des valeurs, normes, mœurs et l’homme vit en société  : la le note Aristote, comment échanger maison et Ce « don » n’est évidemment
connaissances qui caractérisent vie en commun permet aux chaussures ? C’est la monnaie, comme commune (Aristote) pas gratuit ; le chef donateur
une société humaine. individus de regrouper leurs mesure instituée, qui rend possible l’échange de cherche à humilier son ri-
C’est ce à quoi nous initie l’édu- forces pour se défendre contre produits qualitativement et quantitativement val et à le contraindre à un
cation, en tant qu’elle a pour les attaques et pour réaliser différents. Les échanges sont-ils réductibles contre-don ou à la soumis-
but de nous ouvrir au monde à plusieurs ce qu’un seul ne au commerce des services et des sion. À partir de cet exemple,
humain. À rapprocher de la saurait entreprendre  ; elle biens ? Mauss met en évidence la
notion de civilisation. permet aussi de diviser et de C’est ici que Platon voit le danger d’une société Comme l’a montré l’ethnologue Claude Lévi- notion de « fait social total ».
spécialiser le travail, ce qui fondée uniquement sur les échanges et le com- Strauss, on ne saurait réduire les échanges aux L’échange ne se réduit pas à
échange en accroît l’efficacité mais en- merce : les individus y auront toujours tendance seules transactions économiques. En fait, il existe sa dimension économique,
Relation de réciprocité au fon- gendre également de nouveaux à profiter des échanges non pour acquérir les deux autres types d’échanges qui ont d’ailleurs la il est partie intégrante d’un
dement de la vie en commu- besoins (il faudra à l’agriculteur biens nécessaires à la vie, mais pour accumuler même structure : l’organisation de la parenté, et ensemble global qui se ca-
nauté. Il y a échange de biens des outils produits par le forge- de l’argent. De moyen, la monnaie devient fin en la communication linguistique. Une société n’est ractérise par la structure du
à partir du moment où il y a ron, etc.). Se dessine alors une soi, pervertissant ainsi tout le système de pro- donc pas réductible à une simple communauté triangle  «  donner – recevoir
répartition des tâches, chacun communauté d’échanges où duction et d’échange des richesses et corrompant économique d’échange  : elle se constitue aussi – rendre  ». Économie, poli-
ayant besoin de ce que produit chacun participe, à son ordre le lien social. par l’organisation des liens de parenté (le ma- tique, droit, et religion sont
l’autre. et mesure, à la satisfaction des riage), par l’instauration d’un langage commun interdépendants.
besoins de tous (Platon, La Ré- à tous ses membres, par un système complexe
publique, II). d’échanges symboliques (promesses, dons et
contre-dons) qui établissent les rapports et la hié- « Le monde
« L’homme est Les échanges fon- un article du Monde à consulter rarchie sociale, etc. Pour Durkheim (le fondateur a commencé
un animal dent-ils la société ? de la sociologie), une société n’est alors pas une sans l’homme
politique par et s’achèvera
nature. » Selon Adam Smith, l’individu • L'ordre « positif » et l'ordre naturel simple réunion d’individus : c’est un être à part
est dans l’incapacité de satis- (Francis-Paul Bénoit, 22 avril 1987) p. 77 entière exerçant sur l’individu une force contrai-
sans lui. »
(Aristote) faire tous ses besoins. Je ne gnante et lui fournissant des «  représentations (Lévi-Strauss)
Claude Lévi-Strauss, père de l’anthropologie structurale. peux les satisfaire que si j’ob- collectives » orientant toute son existence.

74 La politique, la morale La politique, la morale 75


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

ZOOM SUR… Dissertation : Les échanges


Rousseau  : la nature contre la ci- L’ordre « positif » et l’ordre naturel
vilisation

L’état de nature et sa
favorisent-ils la paix entre les hommes ? L’école française du libéralisme admet un rôle actif de l’État.
corruption

V
L’homme de la nature est un L’analyse du sujet oici le libéralisme Cette doctrine de l’école fran- Pour Quesnay, la liberté écono- de production est sans cesse
homme heureux  : il doit ce I. Les termes du sujet confronté aux réalités çaise répond à nos besoins ac- mique permet une « consom- évoqué par Quesnay : « Il faut
bonheur à la modicité de ses • Les échanges : de la vie française. Pour tuels. Au dix-huitième siècle, mation générale », l’abondance que le gouvernement soit très
besoins, aisément satisfaits –  sur le plan économique, beaucoup, il y a interrogation, la France se trouvait en effet pour tous. attentif à conserver, à toutes
par la nature. Être de pures échanges de biens et de services, inquiétude, voire déception. confrontée au même problème Dans ce système de liberté éco- les professions productrices,
sensations, qui ne connaît au sein d’une société et entre États. Le moment semble venu de que celui qu’elle connait ac- nomique, l’État n’est nullement les richesses qui leur sont né-
pas l’abstraction de la pen- –  sur le plan culturel et linguis- s’entendre sur le contenu réel tuellement : sortir du «  trop le spectateur passif du jeu des cessaires pour la production et
sée, ses désirs se limitent à tique, échanges d’idées, de senti- de la doctrine libérale. d’État » colbertiste pour rendre forces sociales. Pour l’école libé- l’accroissement des richesses
ses besoins physiques  ; il vit ments. S’il est vrai que, depuis 1981, le la liberté à l’économie, en redé- rale française, il ne s’agissait pas de la nation. »
donc content. Comme il ne • Favorisent-ils : mot libéralisme est devenu à finissant ce que devait être le de remplacer le colbertisme par
reconnaît pas ses semblables – idée de contribution, d’aide, mais la mode, chacun lui a donné la rôle de l’État. une abstention de l’État. Tout au Liberté et
et ne les rencontre que rare- pas de causalité directe ou totale. signification de son choix. On La liberté de l’économie ainsi contraire, l’État se voit assigner gouvernement
ment, il n’est pas en  guerre – idée de valeur positive. s’est tourné vers l’étranger  : réclamée était celle de la produc- un rôle essentiel en matière L’État doit enfin veiller à l’em-
contre eux. C’est donc un état • La paix entre les hommes : reaganisme, thatchérisme, tion, du travail et des échanges. économique. ploi. Turgot le dit : protecteur
de paix que l’état de nature, – dans le domaine politique, rela- libertarianisme de l’école de Au cœur de la revendication  : Fondamentalement, l’État est des particuliers, l’État «  doit
contrairement à ce que pré- tions d’entente ou d’indifférence Chicago... De là est née la doc- la liberté des prix. Pour Tur- le garant du bien général ; il faciliter les moyens de se pro-
tendait Hobbes (1588-1679) : ce entre les États. trine du « moins d’État ». A été got comme pour Quesnay, le représente, dit Quesnay, l’ « in- curer par le travail une subsis-
dernier a en effet, aux yeux de –  dans le domaine moral et psy- ainsi inventé un libéralisme prix valable, car conforme aux térêt général de la nation ». À tance aisée ». Quesnay insiste :
Rousseau, confondu l’homme chologique, absence de tension ou d’agression entre société n’est pas l’échange, mais le conflit entre des excessif qui, face aux réalités données profondes du système ce titre, l’État n’est pas un gen- «  L’état de la population et de
naturel avec l’homme «  mal individus. intérêts opposés. de l’après mars 1986, n’a au- de la satisfaction des besoins darme se bornant à assurer la l’emploi des hommes sont les

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
gouverné ». Transition : Faut-il alors regretter la « civilisation », cune chance de succès. des hommes, et dès lors le prix sécurité des intérêts licites de principaux objets du gouverne-
II. Les points du programme au profit de la « barbarie » ? Cet ultralibéralisme imaginaire juste, est celui qui se forme par tous ; il est une autorité, « su- ment économique des États. »
Comment prend fin l’état de La société et les échanges, la culture et le langage, la a fait écran à la réalité : l’exis- la libre discussion entre vendeur périeure à tous les individus », Les Français sont ainsi faits
nature  ? Ce n’est que par un justice et le droit. III. Les échanges sont ce que nous en faisons. tence d’une doctrine française et acheteur. Toute intervention qui a pour mission de veiller à qu’ils veulent à la fois la liberté
« funeste hasard » qu’une « so- a) Les échanges en eux-mêmes sont moins détermi- du libéralisme, clairement for- de l’État est ici mauvaise, en rai- la prospérité de l’ensemble de économique et un rôle actif
ciété naissante » va se former, L’accroche nants que les conditions et les objets des échanges : on mulée depuis deux siècles, et son de « motifs redoutables » : la nation. de l’État. Le libéralisme écono-
marquant le passage du noma- « Si tu veux la paix, prépare la guerre », dit l’adage peut échanger des armes ou des sourires. Considérer qui seule correspond aux don- à savoir, l’action «  des intérêts C’est tout d’abord comme légis- mique en France ne peut donc
disme à la vie sédentaire. L’état ancien. toute chose comme échangeable, au moyen de l’ar- nées sociales, économiques et particuliers toujours cachés et lateur que l’État doit intervenir. se réaliser avec succès au cri
de nature commence alors à gent notamment, pose aussi problème. politiques de notre pays. toujours sollicitant sous le voile Sur le plan économique, il lui de « moins d’État », ni même
se corrompre  : «  le tien  » et La problématique b) Les échanges favorisent aussi bien l’égoïsme que Il n’y a pas, en effet, une concep- du bien général ». appartient de préciser le détail de « l’État autrement ». Sa de-
le «  mien  » font leur appa- Les échanges commerciaux favorisent-ils la paix ? Le la moralité (cf.  analyse de Kant sur l’insociable so- tion unique du libéralisme éco- des lois naturelles qui régissent vise ne peut être que : liberté
rition, et avec la propriété, dialogue n’est-il pas en effet l’opposé de la guerre ? ciabilité). nomique, mais deux : une fran- Le garant de le marché, notamment ce qui et gouvernement. La réalité
les inégalités et les rapports N’existe-il pas pourtant de plus en plus de « guerres c) Des conditions parfaites d’échanges supposent çaise, l’autre anglaise. Si l’accord l’économie touche la concurrence et la des faits, de notre pays et de
de domination. L’homme commerciales » recourant à des pratiques de moins déjà une moralité fondée (cf. Rousseau, le Contrat existe sur l’essentiel, la liberté Cette liberté économique, sécurité des consommateurs. notre temps, nous ramène
entre ainsi dans l’histoire : sa en moins respectueuses des hommes et des droits ? social). économique, des différences Turgot et Quesnay la veulent Personne ne doit pouvoir inéluctablement à la réalité
«  bonté originelle  » laisse la profondes les opposent sur les toutefois non pas comme un fausser à son profit égoïste le de la conception française du
place aux passions et aux vices Le plan détaillé du développement Conclusion moyens d’atteindre cette liberté. avantage donné aux entrepre- jeu des lois naturelles. L’État libéralisme économique.
engendrés par l’ordre civil  ; I. L’échange est un facteur de paix. Les échanges favorisent la paix, du moment que les neurs et aux commerçants, doit donc créer par la loi un
le mal ne fera alors plus que a) Les vertus du commerce sont de servir les intérêts conditions de l’échange sont pleinement respectées. Besoins actuels mais comme une règle posée « ordre positif », qui précise et Francis-Paul Bénoit
progresser. de chacun, sur la base de l’entente (cf.  analyse de C’est en effet l’esprit de conciliation qui favorise les Pour l’école anglaise, il faut, au profit de tous, et notam- conforte l’ordre naturel. (22 avril 1987)
Montesquieu sur le commerce). Le commerce est échanges et ne les pervertit pas. selon Adam Smith, laisser aller ment des consommateurs. Ce L’État doit en second lieu veiller
alors le contraire de la guerre. le « cours naturel des choses », qu’il faut favoriser, dit Ques- au respect réciproque de leur
b) Les vertus de la vie sociale consistent à développer dont résulte nécessairement le nay, « ce ne sont pas des corps liberté naturelle par tous les ac- pourquoi
des aptitudes morales (cf. analyse de Hume). Ce qu’il ne faut pas faire progrès de la société. L’État doit particuliers de commerçants, teurs économiques. Il est, nous cet article ?
« Le premier qui, Énoncer des lieux communs sur les méfaits
ayant enclos un c)  C’est toujours par le dialogue et la négociation borner son rôle à assurer l’ordre c’est le commerce lui-même ». dit Turgot, le « protecteur des
de l’indifférence ou de la guerre. matériel. Pour l’école française, Turgot demande que l’on dé- particuliers » ; il doit s’assurer
terrain, s’avisa de diplomatique que l’on évite les guerres. Dans cet article, Francis-Paul
dire ceci est à moi, et Transition : Mais les guerres n’ont-elles pas toujours celle de Turgot et de Quesnay, fende « la liberté publique des que « personne ne puisse faire Benoit – docteur en droit et spé-
trouva assez de gens lieu entre des États, des sociétés déjà constituées ? Les bons outils il en va tout autrement. Le bon invasions de l’esprit monopo- à un autre un tort considérable, cialiste de l’histoire des idées
simples pour • Platon, La République (livre II). ordre de la société et la liberté leur et de l’intérêt particulier ». et dont celui-ci ne puisse se politiques – revient sur les diffé-
le croire, fut le vrai II. Les échanges peuvent avoir des vices cachés. • Montesquieu,  L’Esprit des lois (livre  XX), l’auteur résultent du respect de lois Fille des contraintes que lui garantir ». rents courants de pensée relatifs
fondateur de la a)  L’intérêt personnel est le but et le moteur de analyse les bienfaits et les dangers du commerce. naturelles, telles que celles du impose le libéralisme, la liberté L’État doit encore veiller au bon à l’intervention de l’État dans
société civile. » l’échange (cf.  analyse de Smith), ce qui ne favorise • Lévi-Strauss, Race et Histoire. marché concurrentiel. Dès lors, économique a ainsi une fina- fonctionnement général de les échanges économiques, et
donc pas la bienveillance à l’égard d’autrui. • Rousseau, Discours sur les fondements et l’origine l’État a le devoir d’intervenir lité sociale. Turgot insiste sur l’économie. Le rôle de l’État en plus particulièrement sur l’école
(Rousseau) b) Certains « échanges » peuvent même être qualifiés de l’inégalité parmi les hommes  ; Discours sur les activement pour que tous res- l’idée que cette liberté donne à ce qui concerne le maintien et libérale française.
de vols déguisés (cf. analyse de Marx sur le salaire). La sciences et les arts. pectent ces lois. l’acheteur un rôle déterminant. le développement de l’appareil

76 La politique, la morale La politique, la morale 77


L’essentiel du cours L’essentiel du cours

ZOOM SUR… ZOOM SUR…


La pensée politique de Platon

Les philosophes rois


Le philosophe tel que le
La justice et le droit « La cité de beauté »
Dans le cadre d’une réflexion
centrée sur la recherche de
l’essence de la justice, la

Q
conçoit Platon n’est cepen- République pose les fonde-
dant pas un contemplatif ue l’injustice nous indigne montre que la justice est Quels sont les rapports du droit ments de la cité juste, idéale
solitaire destiné à le rester,
d’abord une exigence, et même une exigence d’égalité : et de la justice ? « Les hommes naissent et demeu- en ce sens qu’aucune des cités
même s’il est vrai qu’il est Le droit est d’abord l’ensemble des règles qui rent libres et égaux en droits. Les réelles ne l’incarne aux yeux
en butte aux moqueries de c’est d’abord quand un partage, un traitement ou une régissent un État : c’est le droit positif. Comme distinctions sociales ne peuvent être de Platon. Pour être juste,
fondées que sur l’utilité commune. »
la foule, voire à son hosti-
lité déclarée, du fait de ses
reconnaissance sont inégalitaires, que nous crions à l’injustice. ces règles varient d’un État à l’autre, n’y a-t-il
nulle justice qui soit la même pour tous les
elle devra être divisée en
trois classes de citoyens : les
thèses paradoxales et peu La justice devrait donc se définir par l’égalité, symbolisée par hommes ? C’est bien la position de Pascal : les (article 1 de la Déclaration artisans et les laboureurs en
des droits de l’homme)
communes (n’oublions pas l’équilibre de la balance. Mais qu’est-ce qu’une égalité juste  ? lois n’ont pas à être justes, elles doivent surtout assureront la subsistance ; les
que c’est le peuple athénien garantir la paix sociale, car « Il vaut mieux une gardiens guerriers la défen-
lui-même qui condamna Suffit-il d’attribuer des parts égales à chacun ? injustice qu’un désordre » (Gœthe). dront contre les ennemis ; et
Socrate à mort). Le philo- Mais ce n’est pas la position de Rousseau, ni enfin, les meilleurs gardiens,
sophe ne saurait pourtant se La justice se confond-elle l’homme lésé soit puissant ou misérable, le rôle de la pensée des «  droits de l’homme  »  : les ceux qui auront parcouru
désintéresser du sort de ses avec la stricte égalité ? de la justice est de rétablir l’égalité en versant lois peuvent être injustes, et cautionner des toute l’ascension du sensible
semblables  : ainsi, parvenu Aristote distingue la justice distributive et la des intérêts de même valeur que le dommage, inégalités de droits. Un droit positif juste sera à l’intelligible, gouverneront
au terme de son ascension justice corrective. La justice corrective concerne comme s’il s’agissait de biens échangés dans un alors un droit conforme au droit naturel, la cité. Les différences de
vers l’idée du bien, il devra les transactions privées volontaires (vente, achat, acte de vente. c’est-à-dire à ce que la raison reconnaît comme fonctions doivent épouser les
redescendre dans la caverne etc.) et involontaires (crimes et délits). Elle La justice distributive concerne la répartition moralement fondé, eu égard à la dignité de la différences d’aptitudes natu-
et se verra confier malgré lui obéit à une égalité arithmétique stricte  : que des biens et des honneurs entre les membres personne humaine. relles. Telle est d’ailleurs la
le gouvernement de la cité. de la cité. Ici, la justice n’est pas définition de la justice qui se
Telle est en effet la condition de donner à chacun la même dégage peu à peu du dialogue :

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
sine qua non de l’existence chose, car il faut tenir compte que chacun exerce l’activité
d’une cité juste aux yeux de du mérite  : l’égalité n’est alors qui convient à sa nature et
l’auteur de la République  : pas arithmétique (le même pour occupe ainsi la place qui lui
que les philosophes y aient tous), mais géométrique, car elle revient par nature. Or, ce qui
le pouvoir. N’en voulant implique des rapports de propor- vaut de la cité vaut également
pas, ils ne seront pas tentés tion (à chacun selon son mérite). nous rendant invisibles, nous commettrions de l’individu, selon une analo-
d’en abuser ; mieux encore  : les pires injustices. Mais Gygès était un ber- gie célèbre : à la tripartition de
parce que, seuls de tous les Quelle égalité peut ger  privé d’éducation, et qui vivait hors de la la cité répond dans l’individu
hommes, ils ont contemplé exiger la justice ? cité : l’enjeu de la politique, c’est précisément la tripartition de l’âme en une
l’idée du bien, nul n’est plus Personne ne peut soutenir que de rendre les citoyens meilleurs, en leur faisant instance dirigeante (la raison),
compétent qu’eux pour sa- les hommes sont égaux en fait : acquérir cette vertu qu’est la justice, contre une instance dont la tâche
voir ce qui est bien et juste aux inégalités naturelles (de leurs penchants égoïstes. est de la seconder (le cœur,
pour la cité. Confier le pou- force ou d’aptitudes) s’ajoutent instance de la colère), et enfin
voir aux «  gros animal  » en effet les inégalités sociales La justice est-elle une vertu L’égalité des droits suffit-elle une partie désirante, qui doit
qu’est la foule, ce serait à cet (de richesse ou de culture). ou une illusion ? à fonder une société juste ? obéir. La justice règne quand
égard s’en remettre à l’incom- Pourtant, la justice exige que les Platon soutient que la justice, si elle est l’idéal La démocratie a commencé par poser qu’il y ces hiérarchies naturelles
pétence de l’ignorance et au hommes soient égaux en droit, de la communauté politique, doit aussi être avait des droits inaliénables et universels : les (entre les parties de l’âme
dérèglement de l’intempé- c’est-à-dire que, malgré les inéga- une vertu morale en chaque individu. Contre droits de l’homme. Mais la sphère des droits dans l’individu et les classes
rance. On l’aura compris : en lités de fait, ils aient droit à une ceux qui soutiennent que «  nul n’est juste s’est progressivement étendue  : par exemple, de citoyens dans la cité) sont
politique, Platon n’est pas égale reconnaissance de leur volontairement  » et que la justice comme la richesse globale étant le fruit du travail de respectées. Jusqu’à la fin de sa
partisan d’une constitution dignité humaine. vertu n’existe pas, Platon montre que c’est tous, il est normal que chacun ait droit à une vie (sa dernière œuvre s’inti-
de type démocratique. Le le rôle de l’éducation d’élever chacun à cette part raisonnable. tule les Lois), Platon cherchera
pouvoir doit revenir à ceux C’est ce que montre Rousseau dans vertu suprême, qui implique à la fois sagesse, Cette extension du «  droit de  » au «  droit à  » à penser les fondements d’une
qui ont le savoir, qui seul le Contrat social : un État n’est juste courage et tempérance. s’est achevée par l’exigence de droits « en tant cité ordonnée selon des lois
peut en fonder l’exercice lé- et légitime que s’il garantit à ses Certes, l’homme a tendance à vouloir s’attribuer que  » (femme, minorité, etc.). En démocratie, justes, susceptibles de rendre
gitime. Notons cependant le citoyens le respect de ce qui fonde plus que les autres au mépris de tout mérite : certaines minorités sont systématiquement les citoyens vertueux.
paradoxe  : dire qu’une cité la dignité humaine, à savoir la si comme Gygès, nous trouvions un anneau ignorées, puisque c’est la majorité qui décide de
juste doit confier le pouvoir liberté. Seule en effet elle est « ina- la loi : donner des droits égaux à tous, c’est donc
au philosophe, c’est en fait liénable » : la vendre ou la donner finalement reconduire des inégalités de fait. « Ce n’est pas
renoncer à trouver une solu- au tyran, c’est se nier soi-même. Selon John Rawls il faut, au nom de la justice, la vérité, mais
tion, puisque le philosophe Cette égalité en droit doit pouvoir un article du Monde à consulter tolérer des inégalités de droits, à condition l’autorité qui fait
refusera le pouvoir si on le lui ainsi se traduire par une égalité que ces inégalités soient au profit des moins le droit. »
propose, et que celui qui l’ac- en droits : nul ne doit posséder de • L'injustice de la justice favorisés. Cela cependant amène à nier que tous
cepte n’est pas philosophe. privilèges eu égard à la loi de l’État. (Philippe Simonnot, 9 mars 2001) p. 81 les droits sont universels, parce que certains (Hobbes)
Statue de Platon à Athènes.
auront des droits que d’autres n’ont pas.

78 La politique, la morale La politique, la morale 79


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

MOTS CLÉS
droit naturel,
droit positif
Alors que le droit positif est le droit
tel qu’il est réellement établi, et ce
Dissertation : Le juste et l’injuste
ne sont-ils que des conventions ?
L’injustice de la justice
D
de manière variable, dans chaque ans La République de flatterie ? « C’était pas mal, y a ou encore sur la route, prendre file d’attente, si quelqu’un dit :
État, le droit naturel est une concep- L’analyse du sujet Platon, le sophiste Thra- quand même des choses qui brutalement sa priorité, quitte « Je crois que c’est à vous », non
tion idéale du droit, tel qu’il devrait I. Les termes du sujet symaque démontre ne sonnent pas juste », déclare à faire une embardée à un seulement il évite une dispute,
être pour être conforme aux exi- • Le juste et l’injuste : avec force arguments que « la le chef d’orchestre pendant autre conducteur. Prendre voire un pugilat, mais il peut
gences d’humanité et de justice. – sens moral : référence aux va- justice est à l’avantage du plus une répétition : ici, commente moins que son dû, vraiment ? aussi créer une émulation dans
leurs, aux concepts, aux figures fort », de sorte que « l’homme notre auteur, l’insincérité pos- Imagine-t-on un condamné de- le souci d’autrui. Ou encore,
justice du juste et de son contraire. juste est partout inférieur à sible − comment un chef d’or- mandant à rester en prison au devant une caisse, au moment
Chez Platon et Aristote, la justice – sens politique : référence à ce l’injuste » −  à quoi Socrate chestre peut-il se réjouir d’une terme de sa peine parce qu’il où la caissière s’impatiente
est la vertu essentielle qui permet qui est juste par rapport aux répond que la justice, qualité interprétation qui ne sonne pas estimerait que sa libération parce que le client fouille trop
l’harmonie de l’homme avec lui- lois. intrinsèque de l’âme, fait le juste − affaiblit l’interprétation actuelle n’est pas équitable non longtemps dans sa poche, une
même et avec ses concitoyens. • Conventions : bonheur de celui qui l’accom- compliment sans pour autant pas seulement aux yeux des remarque du genre : « Je vous
De façon plus moderne, la justice se – accords ou pactes passés entre plit, et l’injustice le malheur imposer l’interprétation flatte- parents de la victime, mais à fais perdre votre temps  » dé-
confond tantôt avec l’idéal du droit individus. de celui qui la commet. Sans rie. Comme il est difficile de di- ses propres yeux ? samorce la querelle possible.
naturel, tantôt, comme institution – règles et pratiques appliquées et doute. Mais cela suffit-il à dé- riger autrui avec justesse sinon Comme le dit pertinemment Le principe est ici  : « Je m’en
d’un État, avec le droit positif. reconnues par un groupe social. finir la justice ? Le problème avec justice ! Les ordres que peut l’auteur, s’il y a un doute sur la remets à vous », sous-entendu
• Ne sont-ils que : posé par les sophistes n’est pas se permettre de donner un pré- justice à prendre son dû, il peut à votre sens de la justice. Mais
– idée de réduction, de limitation. résolu, car il faut bien tenir sentateur d’émission télévisée tout aussi bien y en avoir un sur cela ne marche pas à tous
PISTES – idée de définition. compte des autres et, comme
le remarque Patrick Pharo en
aux personnes présentes sur
le plateau, fussent-elles chefs
le fait de prendre moins que son
dû. « Ce dont on aurait besoin,
les cas, surtout si les deux
branches de l’alternative pro-
DE RÉFLEXION II. Les points du programme ouverture d’un essai particuliè- d’État, sont d’autres exemples écrit-il, c’est donc plutôt d’un posée sont trop différentes
Qu’est-ce qui distingue l’égalité de • La justice et le droit. rement dense et brillant, « il y donnés par Pharo de l’impor- critère qui permette, chaque l’une de l’autre. Vous n’irez

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
fait et l’égalité de droit ? • L’État. que sa part (de biens et de maux) est injuste a évidemment des cas où il est tance des situations pour élu- fois qu’elles sont en question, de pas proposer à un clochard le
(cf. analyse d’Aristote). juste de faire le profit d’autrui cider le contenu d’une relation moduler l’application des règles choix entre habiter chez vous
L’égalité de fait, ce serait une condi- L’accroche c) La figure du juste, du héros peut correspondre à et d’autres cas où cela n’est pas de subordination, mais aussi de justice pour tenir compte de ou coucher sur le trottoir... Plus
tion effectivement égale pour tous Le mariage et l’adoption pour les couples homo- une justice objective, naturelle : vouloir le bien de juste ». Reste à savoir lesquels, de l’incroyable flottement de leurs conditions d’activation. » généralement, l’humilité et la
les hommes. C’est en cela qu’elle sexuels ne sont pas autorisés par la loi en France, l’autre, rétablir les équilibres entre les hommes. ce qui n’est pas une mince af- sens des mots les plus usés, au N’est-ce pas supposer le pro- modestie ne sont pas, que l’on
se distingue de l’égalité de droit : mais ils le sont aux Pays-Bas. Transition : Pourtant les hommes n’ont pas tous faire ! Pourquoi respecte-t-on premier rang desquels le juste blème résolu ? Patrick Pharo sache, des vertus socialement
que dans les faits, les hommes ne les mêmes héros. les contrats ? Peut-on les an- et l’injuste. ne le pense pas. La solution, payantes en ce bas monde. Le
soient pas égaux, cela ne signifie La problématique nuler et pour quelles raisons ? L’actualité, qui fourmille de estime-t-il, consisterait à traiter fait de prendre en compte le
pas qu’en droit, ils ne devraient Doit-on penser qu’il n’existe aucune autre justice III. La convention correspond au juste. Est-ce que les promesses enga- cas où l’on se plaint, bruyam- la justice non pas seulement sens de la justice d’autrui peut
pas l’être. Ainsi, la Déclaration des que celle décidée par les hommes  ? Sa définition a) La convention, au sens politique ou juridique, gent ? Pourquoi obéit-on à des ment ou dans le secret de son comme un bien à octroyer à donc aboutir à la situation
droits de l’homme ne dit pas que peut-elle alors évoluer selon les époques, selon les est elle-même expérience de justice : il y a accord, ordres ? Et en quoi un ordre se malheur, de l’injustice de la autrui, mais aussi comme un décrite par le fameux Thra-
tous les hommes naissent égaux, lois en vigueur  ? Une valeur suprême comme la égalité et création d’une norme supérieure. différencie-t-il d’autres actes justice, est une raison supplé- bien à obtenir du fait d’autrui. symaque. Mais peu importe
mais qu’ils naissent et demeurent justice n’a-t-elle pas une essence plus objective, plus b)  La volonté générale correspond à l’essence directifs tels qu’une demande, mentaire d’essayer de démêler Il s’agit de s’en remettre au sens à notre auteur, qui semble en
égaux en droit, même s’ils sont atemporelle ? même de la convention  : accord, institution et une offre, une menace, un cet écheveau embrouillé de- de la justice d’autrui, c’est-à-dire revenir à Socrate, lorsqu’il es-
inégaux dans les faits. coercition (cf. analyse de Rousseau), ce pourquoi chantage ? Qu’est-ce que cela puis la nuit des temps. D’où à « mettre l’autre suffisamment time « difficile d’accepter une
L’égalité de droit ne vise donc pas Le plan détaillé du développement elle est juste. veut dire quand on dit du bien l’importance d’en revenir aux en confiance pour qu’il ne se éventualité normative qui fait
à réduire les inégalités de fait : il I. Ce qui est juste est affaire de convention entre ou du mal d’autrui ? ou de écrits fondateurs, notamment, sente ni menacé ni agressé et le bonheur de l’injuste ». Le
s’agit de dire qu’au-delà des iné- les hommes. Conclusion vous ? Quid de l’hospitalité une fois encore, à l’Éthique qu’il soit au contraire enclin à juste peut passer pour un idiot,
galités entre les hommes, qu’elles a) Les lois, les règlements, les pratiques donnent Le juste et l’injuste ne sont que des conventions, envers les étrangers ? Autant à Nicomaque. La justice est manifester ce qu’il y a en lui de mais cela ne joue pas dans une
soient naturelles ou sociales, tous la norme de ce qui est reconnu comme juste. mais ils sont toute la convention, et non une de questions tirées de la vie ce qui est conforme à la loi, meilleur, qui est précisément « estime de soi bien-fondée ».
peuvent prétendre en droit à être b) La reconnaissance de l’institution de la justice convention tronquée, au sens où la norme et courante contemporaine, qui mais la loi en raison de son le sens logique de la justice ». Et si on lui demande d’avaler
égaux, c’est-à-dire à une égale di- dans un État est elle-même affaire d’accord entre l’accord de quelques-uns s’imposeraient à tous. ont toutes un rapport avec le caractère général ne permet On va crier à l’utopie. Mais la ciguë ?
gnité. L’égalité en droit se traduit les hommes (cf. analyse de Hobbes). sens que l’on a de la justice. pas de tenir compte des cas en fait il s’agit d’un compor-
donc par l’égalité des droits : une c) Sans convention, sans pouvoir reconnu, aucune Pharo, qui est sociologue, les particuliers ; elle a donc be- tement tout à fait courant et Philippe Simonnot
loi juste ne fait ni exception, ni norme ne s’impose à personne. Ce qu’il ne faut pas faire traite avec une subtilité étour- soin d’un correctif qui est ce banal, répond Pharo. Dans une (9 mars 2001)
acception de personne (elle s’ap- Transition  : Pourtant, le pouvoir, même démo- Oublier de citer d’autres exemples  de conven- dissante, agrémentant son qu’Aristote appelle l’équité,
plique à tous d’égale façon). cratique, peut être qualifié d’injuste, notamment tions : langage, règlement, code, etc. propos d’exemples de locutions imposant de prendre moins
quand il y a abus d’autorité. tirées de propos entendus, ce que son dû (Livre V, chap. 10). Il pourquoi Quelles sont les limites de la loi ?
qui est souvent amusant. « Tu y a de la violence à « prendre ses cet article ? Qu’est-ce que l’équité ?
CITATIONS II. La justice s’impose aux hommes. Les bons outils as une bonne note, c’est nor- droits dans le sens du pire », par En commentant un ouvrage du
« Rien, selon la seule raison, n’est a)  Le pouvoir politique crée un déséquilibre et • Aristote, Éthique à Nicomaque. mal  », dit un père à son fils : exemple, à table, faire en sorte Comment définir la justice ? Par sociologue Patrick Pharo, Phi-
juste de soi. Tout branle avec le une supériorité, dont on peut abuser (cf. analyse • Rousseau, Du contrat social. est-ce un compliment ? « Quel de demander exactement son quels moyens, au quotidien, peut- lippe Simonnot fait le point sur
temps. » (Pascal) de Montesquieu). • Hobbes, Léviathan. beau dessin ! », s’exclame une morceau de gâteau ou dans la on déterminer si un acte, même le ces questions centrales dans une
« La justice est ce qui est établi. » b)  L’égalité est une caractéristique objective de • Montesquieu, De l’Esprit des Lois. mère devant l’œuvre informe vie académique réclamer lour- plus anodin, est juste ou injuste ? réflexion sur la justice.
(Pascal) justice, ou, inversement, le fait de prendre plus • Rawls, Théorie de la Justice. de son enfant  : est-ce une dement sa part des honneurs,

80 La politique, la morale La politique, la morale 81


L’essentiel du cours L’essentiel du cours

ZOOM SUR… ZOOM SUR…

L’État
par lequel chacun s’engage
à se démettre du droit d’uti-
Rousseau et le pacte social liser sa force au profit d’un Les fondements de
tiers terme qui ne contracte l’État légitime
pas et qui devient seul à pou- Les clauses très précises
Contre les théories voir légitimement exercer la du contrat social résolvent
politiques de ses violence  : l’État. L’État serait ce problème  : chacun de-

S
prédécesseurs donc nécessaire pour assurer vra aliéner tous ses biens
i « l’homme est le vivant politique » (Aristote), alors ce n’est la paix sociale : chaque sujet et tous ses droits, sans ex-
Que désormais le vice règne
en  maître ne signifie pas
qu’au sein d’une cité (polis en grec) qu’il peut réaliser son accepte d’aliéner sa liberté au
profit de l’État, si ce dernier
ception, à l’ensemble de la
communauté. Par cet acte
pour autant que la situa- humanité. Or l’organisation d’une coexistence harmonieuse peut lui assurer la sécurité. est créé un corps politique
tion soit irrémédiable. Au
contraire, il faut penser les
entre les hommes ne va pas de soi : comment concilier les désirs comme personne morale.
Chacun, en tant que membre
conditions, non pas d’un et intérêts divergents de chacun avec le bien de tous ? Rousseau formule deux ob- du peuple ainsi créé, reçoit
retour (impossible) à un jections  : d’abord, Hobbes alors de tous ce qu’il a don-
hypothétique état de na- suppose une nature humaine né  : il ne perd rien, mais
ture, mais d’un état civil pour fonction d’établir les lois. Selon Aristote, alors qu’il n’y a pas d’homme gagne plus de force pour se
qui soit vraiment légitime. la cité, c’est-à-dire l’organisation politique, est «  naturel  ». Ensuite, la ques- conserver lui-même et sa
C’est précisément la tâche pour l’homme «  une seconde nature  »  : par tion est de savoir s’il est lé- liberté. La condition étant
que Rousseau se donne elle, l’homme quitte la sphère du naturel pour gitime de mettre ainsi en ba- égale pour tous, nul n’a de
dans le Contrat social. Ses entrer dans un monde proprement humain. lance la liberté et la sécurité. privilèges.
adversaires sont principa- Le contrat social pose donc
lement Hobbes (1588-1679), D’où vient la nécessité d’opposer le principe de la souveraine-
Grotius (1583-1645) et Pu- société et État ? Toute forme d’État té du peuple comme fonde-
fendorf (1632-1694), qui ne Si dans la cité grecque, de dimension réduite, est-elle ment de tout État légitime :
sont à ses yeux que «  des chacun pouvait se sentir lié à tous par des légitime ? chacun, à la fois citoyen  et

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
fauteurs du despotisme  ». traditions, une religion et des sentiments Un État est légitime quand le sujet de l’État, est coauteur
Leurs théories politiques communs forts, l’idée d’État moderne distin- peuple y est souverain, c’est- de la loi à laquelle il devra
ont en  effet cela de com- gue la société civile, association artificielle à-dire quand les lois sont obéir. Il acquiert ainsi une
mun qu’elles s’appliquent de membres aux liens plus économiques que l’expression de la «  volonté «  liberté conventionnelle  »,
Portrait de Montesquieu.
à justifier les rapports po- sentimentaux, et l’État, comme puissance générale » (Rousseau). Celle-ci qui le délivre tout à la fois de
litiques de maîtrise et de publique posant les lois et contrôlant le n’est pas la volonté de la majo- la servitude qui règne dans
servitude entre les hommes. corps social. entre le cadre constitutionnel des lois et ceux rité mais ce que tout homme doit vouloir en les États illégitimes (où la loi
Or, « l’homme est né libre », L’État moderne a fait disparaître l’idée grecque qui exercent le pouvoir : ceux-ci ne sont que tant que citoyen ayant en vue le bien de tous, d’un seul ou de quelques-
et tous sont égaux en droit. de la politique comme prolongement de la des ministres, c’est-à-dire des serviteurs, dont et non en tant qu’individu n’ayant en vue que uns est imposée par la force)
Comment penser alors un sociabilité naturelle des hommes. le rôle est de faire appliquer la loi, de mainte- son intérêt propre. et de cette «  liberté natu-
ordre politique qui concilie nir l’ordre social et de garantir les droits des La force en effet ne fait pas le droit : les hommes relle  » de l’état de nature,
le devoir d’obéissance à la Qu’est-ce qui caractérise citoyens dans un cadre qui les dépasse. ne peuvent conserver et exercer leur liberté que qui n’est en  fait qu’une
loi de l’État, la sécurité de la notion d’État ? L’État se caractérise en effet par sa transcen- dans un État fondé sur des lois dont ils sont les servitude à l’égard des dé-
chacun et de ses biens et la L’idée moderne d’État pose la séparation dance (il est au-dessus et d’un autre ordre coauteurs. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils sirs. En  devenant citoyen,
liberté de tous ? que la société) et sa permanence sous les peuvent être libres tout en obéissant aux lois. l’homme devient vraiment
changements politiques. Expression du cadre homme : il acquiert la mora-
commun à la vie de tous les citoyens, on N’y a-t-il pas une fragilité fonda- lité qui manquait à l’homme
comprend qu’il doive se doter d’un appareil de mentale de tout État ? naturel et qui faisait de ce
« Chacun Page de titre du Léviathan de Thomas Hobbes. « Il apparaît qu’aussi contrainte apte à en assurer le respect. L’État, aussi fort soit-il, ne peut échapper à dernier un « animal stupide
de nous met longtemps que les
deux types de menaces fondamentales. Pre- et borné ».
en commun En quoi l’État est-il nécessaire ? mièrement, ceux qui sont délégués pour exer-
Peut-on concevoir une société hommes vivent sans Selon Hobbes, l’homme est guidé par le désir cer le pouvoir peuvent perdre de vue le bien
sa personne sans État ? pouvoir commun qui les de pouvoir  : sous l’état de nature, chacun commun et viser le pouvoir pour lui-même.
et toute Aristote définit trois ensembles nécessaires : tiennent en respect, ils désire dominer l’autre. C’est «  la guerre de Le gouvernement est animé d’une tendance « L’impulsion
sa puissance la famille, le village et la cité. La famille
sont dans cette situation
tous contre tous » qui menace la survie même constitutive à usurper la souveraineté à son au seul désir
sous la suprême organise la parenté et assure la filiation  ; le
village quant à lui pourrait correspondre à que l’on appelle la guerre,
de l’espèce. Il faut donc instaurer un pacte profit.
Deuxièmement, les volontés particulières ten-
est esclavage ;
direction ce que nous nommons la société civile  : il et cette guerre est dent toujours à se faire valoir contre la volonté l’obéissance
de la volonté assure la prospérité économique et pourvoit une guerre générale : nous voulons « jouir des droits du à la loi qu’on
générale. » aux besoins des familles par l’organisation du
de tous contre tous. » un article du Monde à consulter citoyen sans vouloir remplir les devoirs du s’est prescrite
travail et des échanges. sujet » (Rousseau). Un État est donc le résultat est liberté. »
Enfin, il y a la cité, parce que les seules commu- • Déraison d'État d’un fragile équilibre qui à tout moment peut
(Rousseau) nautés familiales et économiques ne satisfont (Hobbes) (Philippe Simonnot, 30 octobre 1998) p. 85 se rompre. La société comme somme d’intérêts
pas tous les besoins de l’homme  : il lui faut privés tend toujours à jouer contre lui. (Rousseau)
vivre sous une communauté politique, qui a

82 La politique, la morale La politique, la morale 83


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

MOTS CLÉS
Dissertation : L’État est-il
contrat social
Le contrat social est un pacte qui
détermine l’organisation d’une
société. Chez de nombreux phi-
losophes du xviiie  siècle, comme
Hobbes ou Rousseau, mais selon
au-dessus des lois ? Déraison d’État
E
des modalités différentes, le n ces temps de déréliction instrument au service de la satis- Hobbes, on le sait, se heurte à Il en résulte deux conceptions dif-
contrat social est l’origine et le L’analyse du sujet II. L’État respecte et sert des lois de la puissance publique, faction des désirs, la raison a pour une aporie sans doute incontour- férentes de la souveraineté. Pour
fondement même de toute com- I. Les termes du sujet essentielles. comment ne pas revenir à condition l’apparition du langage, nable  : pourquoi, si les contrats Hobbes, elle ne peut être qu’abso-
munauté politique. • L’État : a) L’État se constitue pour assurer Thomas Hobbes (1588-1679), qui lequel confère à chacun l’accès à la ne sont pas respectés dans l’état lue et indivisible. Quant au contrat
–  sens restreint  : pouvoir souve- l’ordre politique et la sécurité passe dans l’histoire de la pensée temporalité la plus lointaine tant de nature, l’autorité chargée par qui la fonde, il est impossible de
État rain, instance dirigeante d’un pays. (cf.  analyse de Hobbes). Il suit occidentale pour l’un des fonda- en ce qui concerne le passé que « contrat social » de les faire res- l’annuler. Chez Spinoza, aucune
Ensemble durable des institutions –  sens général  : organisation donc une loi naturelle fonda- teurs de l’État moderne ? Mais le futur. Chez Spinoza, la raison pecter respecterait-elle elle-même irréversibilité de ce genre. Il n’y a
politiques et juridiques qui organi- d’ensemble d’un pays, englobant mentale. la relecture du Léviathan (1651) est impuissante à raisonner les le contrat qui la fonde ? C’est poser pas de contrat social à la base de
sent une société sur un territoire dirigeants et peuple, sous la forme b) L’État se constitue pour assurer peut se faire plus utilement en passions, de sorte que le présent et en d’autres termes la vieille ques- l’État. Les gouvernements n’ont le
donné et définissent un espace d’une autorité indépendante, dans plus que cela : la liberté et le bien- prenant pour guide l’un de ses le passé pèsent plus sur les affects tion : qui gardera le gardien de la droit de commander que s’ils ont
public. des frontières reconnues. être de la population (cf. analyse contemporains les plus avertis, que le futur. D’où l’impossibilité Constitution ? Dans la logique la puissance de se faire obéir.
Le problème essentiel est celui • Est-il au-dessus : de Spinoza), c’est-à-dire une loi à savoir Baruch Spinoza (1632- pour lui de construire le concept hobbesienne, du reste, il ne peut Loin d’être le fondateur du posi-
de la légitimité des fondements – idée de supériorité et d’impunité. naturelle et morale de respect 1677), dont le célèbre Tractatus d’obligation contractuelle qui im- exister de pouvoir constituant. tivisme juridique que l’on croit,
de l’État. –  idée d’extériorité et d’indiffé- de l’individu. theologico-politicus date de 1670. plique une vision hors du présent En effet, les lois fondamentales Hobbes dénie toute autonomie du
rence. c) Même l’État totalitaire se veut Ce dialogue entre deux grands immédiat, alors que ce concept est qui forment la Constitution ne juridique et du politique à l’égard
loi • Des lois : soumis à l’exigence de réaliser la géants de la philosophie, Christian indispensable à Hobbes lorsqu’il deviennent effectives, comme de la morale. Au contraire, l’obliga-
En politique, la loi est la règle éta- – sens juridique et politique : les loi de l’histoire ou de la nature Lazzeri cherche à nous le restituer bâtit le contrat social par lequel n’importe quelle loi, que dans tion morale et elle seule fonde le
blie par l’autorité souveraine, à lois en vigueur dans un État donné. Nicolas Machiavel. Il est le premier à (cf. analyse de Arendt). dans un livre épais, difficile, mais l’humanité peut sortir du misé- la mesure où existe un pouvoir politique. Certes, rien ne garantit
laquelle les sujets de l’État qu’elle – sens général : lois au sens naturel, mettre à nu la politique, considérant Transition : Précisément, n’a-t-il tout à fait passionnant pourvu rable état de nature de guerre de coercitif pour les faire appliquer. la moralité ni la rationalité des

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
organise doivent obéir. moral, divin, etc. l’État comme il est et non comme il pas fait en cela la pire des choses ? que l’on fasse l’effort d’y entrer. tous contre tous. Or celui qui détient le droit d’exer- gouvernants. Et c’est pourquoi le
devrait être, séparant la politique de la Ne faut-il pas déterminer quelle Et d’autant plus précieux que la Du reste, chez Hobbes, tout conflit cer un tel pouvoir, celui-là est le philosophe doit les éduquer.
morale et aspirant à l’unité de l’Italie.
politique II. Les points du programme loi spécifique il doit suivre ? littérature contemporaine sur le risque de dégénérer en une esca- souverain, et aucune loi ne peut Pour Spinoza, la notion d’État de
Du grec polis, « la cité ». Désigne • L’État contrat social s’inspire davantage lade de violence réciproque, et ce lui être supérieure, puisqu’il est droit est purement tautologique,
l’art de gouverner la cité, de diriger • La justice et le droit. III. L’État n’est pas autre chose que le peuple qui de Hobbes que de Spinoza. Une risque même pousse chacun à s’at- lui-même source de toute loi sans car tout État est toujours un État de
un État. Repose-t-elle sur un savoir le constitue. fois de plus, on vérifie qu’un petit taquer le premier à n’importe qui. exception. droit (formule, soit dit en passant,
théorique ou n’est-elle qu’un en- L’accroche a)  L’État est légitime dans la mesure où il se écart dans les prémisses finit par Spinoza observe au contraire une Spinoza tourne l’obstacle en ad- que l’on retrouvera au début du xxe
semble de techniques  ? Sur quoi Le film Ennemi d’État (Tony Scott, 1998) montre matérialise dans le pouvoir législatif, lui-même creuser un abîme entre deux sys- alternance de guerre et de paix, mettant d’emblée que dans l’état siècle sous la plume du positiviste
se fonde l’autorité politique ? Tels comment un citoyen innocent se voit traqué et constitué par la volonté générale (cf.  analyse de tèmes de pensée. de conflit et d’échange. Hobbes de nature, les contrats seront vio- Hans Kelsen). Mais un État peut
sont les grands axes de réflexion démis de tous ses droits au nom d’un prétendu Rousseau). Ou dans la mesure où il vise à l’intérêt Les points de départ paraissent conçoit les rapports humains lés par presque tous les hommes agir contre lui-même, car les pas-
de la philosophie politique. intérêt supérieur de la nation. de tous, sans sacrifice de quelques-uns (cf. analyse identiques  : une anthropologie comme des rapports fondamen- à cause de l’impuissance de la sions, qui sont toujours là, peu-
d’Aristote). échafaudée sur le concept de la talement utilitaires. « Fais en sorte raison, et que par conséquent l’État vent s’emparer de gouvernants
souverain La problématique b) C’est en veillant à respecter le principe même conservation de soi qui s’exprime de toujours utiliser autrui comme ne pourra se fonder par contrat. « qui cherchent à satisfaire leur
Le souverain est la personne indi- Comment l’État pourrait-il incarner le pouvoir de la loi que les décisions de l’État sont légitimes. par l’effort constant de tout n’importe quel autre moyen en Si la multitude s’accorde naturel- besoin de domination et non à
viduelle ou collective qui détient souverain, s’il doit se soumettre aux lois ? Com- homme pour persévérer indéfini- vue de ta propre fin. » L’État ne fera lement, écrit-il, elle ne le fait pas assurer la conservation de l’État. Il
le pouvoir suprême. ment les lois pourraient-elles s’appliquer si ceux Conclusion ment dans son être, un droit natu- jamais que rendre acceptable cette sous la conduite de la raison, faut donc que l’État soit constitué
Plus précisément, chez Rousseau, qui les font respecter ne les respectent pas eux- L’État ne saurait être au-dessus des lois, celles-ci le rel fondé sur le déploiement sans instrumentalisation en l’organi- mais par la force de quelque pas- de telle sorte qu’ils ne puissent
le souverain est celui qui établit mêmes ? Enfin, l’État représente-t-il vraiment une constituant en tant que tel. limite de la puissance de chaque sant sur la base d’un fondement sion commune : espoir, crainte, agir contre sa nature. Ce n’est pas
les lois  ; la souveraineté doit ap- entité distincte du peuple ? individu dans le fameux « état de juridique artificiel. Toute l’éthique ou désir de tirer vengeance d’un une question de vertu comme
partenir au peuple pour que l’État nature  », cet hypothétique état de Spinoza consiste au contraire dommage subi en commun. » Il chez Hobbes, mais d’organisation
soit légitime. Le plan détaillé du développement Ce qu’il ne faut pas faire sans État, une «  loi naturelle  » à montrer qu’au-delà de l’ordre est donc inutile pour expliquer et d’agencement. Montesquieu ne
I. Le pouvoir souverain détient une place à part Énoncer des affirmations qui serait une sorte d’opérateur politique il est possible d’unifier l’État de présupposer une délibé- dira pas autre chose.
à l’égard des lois. contre le gouvernement ou l’État, de synthèse de la raison et de la les rapports interindividuels. ration rationnelle, au demeurant
a) L’État, compris comme autorité souveraine, est le sans analyse ni nuance. religion, un subjectivisme radical Même sur le droit naturel, les fort éloignée de l’histoire réelle Philippe Simonnot
garant des lois et dispose de la force pour les faire pour lequel aucune valeur n’est deux penseurs divergent. Chez des États. (30 octobre 1998)
« L’État consiste appliquer. À ce titre, il n’est pas au même rang que intrinsèque. « Nous ne désirons Hobbes, il se situe dans la lignée
en un rapport tout citoyen et n’engage pas son obéissance aux Les bons outils pas une chose parce qu’elle est de la théologie juive, accordant
de domination lois de façon équivalente (cf. analyse de Hobbes). • L’analyse des conditions du pacte social par Hobbes, bonne, mais au contraire c’est révélation et raison. Du fait de pourquoi Spinoza sur la question de l’État.
b) Les dangers et menaces pesant sur l’État doivent dans le Léviathan. parce que nous la désirons que son naturalisme intégral, Spinoza cet article ? Il en ressort des conceptions ra-
de l’homme sur être combattus avec le souci d’efficacité, et parfois • La théorie de la séparation des pouvoirs par Mon- nous la disons bonne. » Hobbes définit, quant à lui, le droit naturel dicalement différentes de la sou-
l’homme. » contre les lois en vigueur, y compris les lois mo- tesquieu dans L’Esprit des lois. aurait pu souscrire à cette for- non par la raison, mais par le désir Dans cet article, faisant suite à la veraineté : à l’inverse de Hobbes,
rales (cf. analyse de Machiavel). • Aristote, La Politique. mule typiquement spinozienne et la puissance, car pour  le juif de parution d’un essai de Christian Laz- Spinoza estime en effet qu’il n’y
(Weber) Transition : Justement, l’État n’est-il pas au moins • Rousseau, Du Contrat social. de L’Éthique (III, 9, sc.). La Haye » ainsi l’appelaient ses dé- zeri, Philippe Simonnot confronte a pas de contrat social à la base
soumis à la loi de sa propre conservation ? • Machiavel, Le Prince. Mais déjà le statut de la raison tracteurs , « l’essence de l’homme la pensée de Hobbes et celle de de l’État.
les fait diverger. Pour Hobbes, est le désir ».

84 La politique, la morale La politique, la morale 85


L’essentiel du cours L’essentiel du cours

ZOOM SUR… ZOOM SUR…

La liberté
nature en substituant les lois sociales aux lois natu- libre, ma volonté doit respecter la liberté en moi-
relles. C’est donc la culture au sens large, c’est-à-dire même comme en autrui : elle doit observer le com-
La pensée de Spinoza la façon que l’homme a de faire taire la nature en lui, mandement suprême de la moralité qui ordonne Le salut par la
qui nous fait accéder à la liberté. de considérer autrui toujours comme une fin en soi, connaissance
Nécessité et liberté et jamais comme un moyen de satisfaire mes désirs. Tout ce que peut la raison est
Imaginer que Dieu soit doté La liberté se conquiert donc en luttant contre les dans l’effort de connaître que tout

Ê
d’intellect et de volonté et qu’il
choisisse entre des possibles, selon
tre libre, c’est faire ce que je veux » : telle est notre définition désirs qui réduisent l’homme en esclavage et en
obéissant à l’impératif de la moralité.
suit de la nécessité des lois de la
nature. Spinoza montre dans le
certaines fins, ce qu’il va créer, ce courante de la liberté. Je ne serais donc pas libre lorsqu’on Traité théologico-politique qu’on
ne sont que préjugés de l’imagi- contraint ma volonté par des règles, des ordres et des lois. Comment être libre peut ainsi déduire la loi divine de
nation. Le finalisme n’est qu’une tout en obéissant la nature humaine, en tant qu’elle
illusion anthropomorphique  : Être libre serait alors la condition naturelle de l’homme, et la à une loi ? enveloppe des «  notions com-
Dieu (c’est-à-dire la nature) n’agit société la marque de son esclavage. Pourtant, cette opinion ne S’il suffisait d’obéir aux lois pour être libre, alors les munes  » où se puise la connais-
pas pour une fin, mais la seule sujets d’une tyrannie connaîtraient la liberté. Pour sance de Dieu, et par là l’amour
causalité à l’œuvre dans tout ce qui semble pas tenable. Rousseau, la seule solution à ce problème à la fois de Dieu.
est, c’est la causalité efficiente, mé- politique et moral, c’est que je sois aussi l’auteur de Ainsi «  la foi dans les récits
canique, selon un ordre de causes la loi à laquelle je me soumets. historiques  » des Saintes Ecri-
et d’effets absolument nécessaire. Sur le plan politique, le « contrat social » garantit la tures n’est pas une condition
Toute chose est tout ce qu’elle peut liberté des citoyens non en les délivrant de toute loi, nécessaire pour parvenir au
être. Il n’y a donc pas à se lamenter mais en faisant d’eux les auteurs de la loi : par le vote, souverain bien, même si elle
de ce qu’elle n’est pas comme on les hommes se donnent à eux-mêmes leurs propres peut être utile dans la vie civile.
désire qu’elle soit, mais seulement lois, en ayant en vue non leurs intérêts particuliers Par conséquent, d’une part, la
à comprendre l’ordre nécessaire mais le bien commun. liberté de penser et de s’expri-
de consécution des causes et des De même, sur le plan moral, Kant, en se référant à mer ne menace ni la piété ni la
effets. Rousseau, montre que la loi de la moralité à laquelle paix de l’Etat, et d’autre part,
Il faut donc également en finir avec je dois me soumettre (et qui s’exprime sous la forme la prétention d’une théologie
cet anthropomorphisme grossier d’un impératif catégorique) ne m’est pas imposée de qui serait fondée sur la seule

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
qui projette sur Dieu la conviction l’extérieur, mais vient de ma propre conscience : je autorité de l’Ecriture de gou-
illusoire qu’ont les hommes d’être suis libre lorsque j’obéis au commandement moral, verner les consciences est nulle
dotés d’un libre arbitre. Nous nous parce c’est moi-même qui me le prescris. et non avenue : c’est confondre
croyons libres parce que nous le rationnel et l’historique, la
avons conscience de nos appétits, La liberté est-elle philosophie et la philologie.
tout en ignorant les causes qui nous l’essence de l’homme ? Le salut n’est donc pas subor-
déterminent à vouloir ce que nous Dire que la liberté constitue la seule essence de donné à l’exécution des rites
voulons. Ainsi, entre une pierre qui l’homme, cela revient à dire que l’homme n’a pas que prescrit l’institution, mais
Baruch Spinoza (1632-1677).
se meut du fait d’une impulsion de nature, qu’il est ce qu’il a choisi d’être, même si uniquement à la connaissance
initiale et un homme qui agit, il ce choix n’est pas assumé comme tel voire même de toute chose en Dieu, et il
n’y a aucune différence de nature : À quelles conditions implicite (Sartre). n’est rien d’autre que la béa-
le second n’est pas plus libre que puis-je être libre ? Pour Heidegger, il faut aller jusqu’à dire que l’es- titude qui accompagne cette
la première, mais il le croit, sim- « Je suis libre quand je fais ce que je veux »... Certes, sence de l’homme, c’est l’existence  : parce qu’il connaissance même. L’âme
plement parce qu’il est conscient mais à quelles conditions suis-je libre de vouloir est temporel, l’homme est toujours jeté hors de heureuse, l’âme vertueuse et
de ses actes. Si la pierre avait ce que je veux  ? Le plus souvent, ma volonté est lui-même vers des possibles parmi lesquels il doit l’âme qui éprouve directement
conscience de son mouvement, elle déterminée par ce que je suis : il n’y aurait aucun choisir. sa nature, qui est de connaître,
croirait également en être la cause, sens à vouloir être plus grand si je n’étais pas petit. D’instant en instant, l’homme (qu’il le veuille ou c’est la même chose.
elle serait convaincue d’être libre. Ma volonté n’est alors pas libre ; bien au contraire, non) est une liberté en acte : j’ai à chaque instant
Ainsi, l’homme « n’est pas dans la elle est déterminée : je ne choisis pas plus de vouloir à choisir celui que je serai, même si la plupart du
nature comme un empire dans un
empire », et il n’y a donc pas plus
être grand que je n’ai choisi d’être petit. temps je refuse de le faire, par exemple en laissant
les autres décider à ma place. Que la liberté soit l’es-
CITATIONS
Delacroix, La Liberté guidant le peuple.
de libre décret en l’homme qu’en Ma volonté n’est donc libre que quand elle s’est sence de l’homme, cela signifie donc aussi qu’elle est «  Quand chacun pourrait
Dieu. Pourtant, Dieu peut être dit libérée de toutes les déterminations qu’elle a reçues, un fardeau écrasant : elle me rend seul responsable s’aliéner lui-même, il ne peut
cause libre, au sens qu’il n’est pas Peut-on dire que l’animal De quelle manière l’homme c’est-à-dire quand elle s’est affranchie de tout ce de ce que je suis. C’est précisément à cette respon- aliéner ses enfants  ; ils nais-
contraint par autre chose à faire ce est libre ? conquiert-il la liberté ? qui en fait ma volonté. Pour être réellement libre, sabilité que j’essaye d’échapper en excusant mon sent hommes et libres  ; leur
qu’il fait, mais qu’il le fait de par la Si la liberté est l’absence de toute règle et de toute Pour être libre, il faut pouvoir choisir de faire ou de il faudrait que ma volonté veuille ce que toute comportement et mes choix par un «  caractère  » liberté leur appartient, nul n’a
seule nécessité de sa propre nature. contrainte, alors l’animal est libre. Mais ce raisonne- ne pas faire. Seul donc un être qui s’est débarrassé de volonté peut vouloir, donc que ce qu’elle veuille soit ou une « nature » (sur le mode du : « ce n’est pas ma le droit d’en disposer qu’eux. »
Ainsi, pour Spinoza, la liberté n’est ment n’a qu’une apparence de vérité : le comporte- la tyrannie des instincts peut remplir les conditions universellement valable. faute : je suis comme cela ! »). (Rousseau)
pas le contraire de la nécessité ment d’un animal est en fait dicté par son instinct, minimales de l’accès à la liberté. Kant soutient que
mais de la contrainte. Or, toute de sorte que l’animal ne peut pas s’empêcher d’agir c’est précisément là le rôle de l’éducation : elle a pour «  Renoncer à sa liberté, c’est
chose étant contrainte (l’homme comme il agit. L’instinct commande, l’animal obéit : but premier de discipliner les instincts, c’est-à-dire Qu’est-ce qu’une volonté un article du Monde à consulter renoncer à sa qualité d’homme,
y compris), Dieu seul sera cause loin d’être le modèle de la liberté, l’animal est de les réduire au silence pour que l’homme ne se universelle ? aux droits de l’humanité, même
libre, parce que la nécessité de l’incarnation d’une totale servitude à la nature. On contente pas d’obéir à ce que sa nature commande. Kant affirme que ma volonté est universelle quand • Liberté à ses devoirs. Il n’y a nul dédom-
ses actes s’explique par sa seule ne peut parler de liberté que pour un être qui s’est C’est aussi, et plus largement, le rôle de la vie en elle veut ce que tout homme ne peut que vouloir : (Philippe Boucher, 7 octobre 1989) p. 89 magement possible à quiconque
nature. affranchi du déterminisme naturel. communauté  : la société civile nous libère de la être respecté en tant que volonté libre. Pour être renonce à tout. » (Rousseau)

86 La politique, la morale La politique, la morale 87


Un sujet pas à pas L'a rt i cle d u

Dissertation : Toute prise de


Liberté
MOTS CLÉS
destin
Du latin destinare, « fixer, assujettir ».
Enchaînement d’événements tels
qu’ils seraient fixés irrévocablement
conscience est-elle libératrice ?
Q
à l’avance, quoi que nous fassions.
L’analyse du sujet de son réel statut amène à le changer (exemple de ue la liberté puisse craindre police intérieure, qu’on se reporte Dans la vie quotidienne, perce la songent à vivre leur vie pour que
déterminisme I. Les termes du sujet la conscience de classe pour Marx). de la liberté, qu’elle puisse à la relation de voyage que publia liberté : de critiquer à visage décou- leur indépendance ne soit plus une
Relation nécessaire entre une cause • Prise de conscience : Transition : Mais la révolution ne donne pas toujours en être menacée, qu’elle Astolphe de Custine en 1843 sous le vert sans risquer la Sibérie, d’être fiction juridique.
et son effet. On parle de détermi- – aspect subjectif : effort de lucidité, de critique. lieu à un statut meilleur ou plus libre. puisse même en mourir, c’est davan- titre la Russie en 1839 et qui, par une informé de ce qui ne va pas et de Qui, naguère, aurait toléré qu’un
nisme naturel pour désigner le fait –  aspect objectif  : accession à une vérité, à une tage qu’un sujet de concours plutôt involontaire prescience, décrit... la l’être sincèrement, de manifester sur pays de l’Est soit désormais officiel-
que tous les phénomènes naturels connaissance. II. La lucidité repère, voire accroît, les limites de « bateau », c’est l’évidence qu’appor- Russie soviétique, demeurée terri- la voie publique sans qu’au bout de lement étiqueté comme un pays
sont soumis à des lois nécessaires • Libératrice : nos choix. tent, aujourd’hui comme hier, les blement semblable à celle des tsars. la rue se dessine une prison. que l’on fuit (même si auparavant
d’enchaînement causal. – sens politique : gain de droits, d’autonomie. a)  D’un point de vue philosophique, la prise de pays qui tentent de se soustraire à la Custine s’y montre reporter d’un Mille faits incontestés maintenant chacun savait à quoi s’en tenir) et
– sens psychologique : gain de choix, de possibilités conscience du déterminisme pesant sur nous ne le tyrannie, qui font irruption presque inimaginable futur, une manière arrivent à la connaissance du pu- que d’autres pays de l’Est adop-
devoir d’action. fait pas disparaître (cf. analyse critique de Spinoza par mégarde dans un univers où le de Jules Verne politique. C’est ce blic et qui, sous un autre maitre tent sans le dire une attitude qu’on
Il faut distinguer le devoir, comme sur le libre arbitre). mot liberté ne serait plus dépourvu qu’explique si bien Pierre Nora dans soviétique, eussent été, un par un, pourrait être tenté de comparer à un
obligation morale valant absolu- II. Les points du programme b)  D’un point de vue psychologique et moral, la de sens et de poids. la préface qu’il écrivit pour l’édition une révolution. droit d’asile, alors que ce droit est le
ment et sans condition, susceptible • La liberté. conscience plus aiguë de nos limites et de nos À plus forte raison si ce renver- abrégée de cet ouvrage, qu’édita la Pour qui ne se sentait pas inféodé à désaveu d’un pays-frère ?
d’être exigé de tout être raisonnable, • La conscience. défauts ne procure pas une grande confiance en soi sement de cours s’opère sans ces maison Gallimard il y a quelques l’URSS d’hier, mais n’en était pas Voilà donc que la liberté rend à M.
et les devoirs, comme obligations • L’histoire. (exemple du remords). bouleversements politiques, qu’on années. La Russie de 1839, celle de l’ennemi ; pour qui tout avancée Gorbatchev la vie beaucoup plus dif-
sociales, liées à une charge, une c)  D’un point de vue hypothétique, il serait alors les nomme guerres ou révolutions, Nicolas 1er, c’est, à trop peu près, de la liberté suscite une joie de ficile que s’il s’était conduit comme
profession ou un statut, qui n’ont L’accroche préférable d’ignorer beaucoup de choses et de se qui marquent la fracture entre une l’URSS d’avant M. Gorbatchev. citoyen qui voit croitre le nombre les potentats, rouges ou non, qui ont
qu’une valeur conditionnelle et ne En prenant conscience de sa situation, jusqu’alors sentir libre et heureux de ce fait (exemple analysé époque et une autre, et qui, ruinant Alors, déjà, il y a exactement cent de ses pairs, un sentiment nait : avant lui occupé le Kremlin.
peuvent prétendre à l’universalité. ignorée, Œdipe se crève les yeux et s’exile de par Descartes). l’ordre ancien, privent de toute cinquante ans, la Russie s’étend sur l’espoir, et sa jumelle la peur. Car Combien n’est-il pas paradoxal et
Kant fait de l’impératif catégorique Thèbes. Transition : Mais un être sans réflexion, sans prise parole ceux qui le soutenaient et deux parties du monde, et, avec la liberté est d’abord un désordre, logique à la fois que les libertés dont

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
de la moralité l’énoncé de notre de- de conscience, est-il libre ? s’offusquent du nouveau. soixante millions d’habitants, est ses conquêtes sont autant de ca- usent, fût-ce avec des mécomptes,
voir en tant qu’êtres raisonnables. La problématique La liberté engendre la liberté et, avant devenue la plus grosse population mouflets pour l’ordre ancien. Le Baltes, uniates ou Allemands de
A-t-on toujours intérêt à prendre conscience de III.  La liberté ne peut s’établir sans prise de d’en être repu, un pays qui en a été d’Europe. Déjà, Nicolas écrase (écra- porteur de liberté devient l’auteur l’Est, pour ne rien dire des Polonais,
impératif catégorique choses ou d’emprises auxquelles on ne pourra rien conscience. durablement privé, pour qui cette bouille serait plus juste) la Pologne, du désordre, et les camouflets en- nuisent à la solidité du pouvoir qui
Si les impératifs énoncent un de- changer ? Le gain de lucidité donne-t-il dans ce cas a) L’action politique vise à agir sur les inégalités et privation est presque un élément de persécute les uniates, ces chrétiens tretiennent l’idée de revanche. les a consenties !
voir, tous ne sont pas moraux. un gain de liberté ? les exploitations qui peuvent être changées. La prise civilisation, veut l’éprouver comme de rite grec qui ont le tort de n’être Le joug paraissant s’alléger, les peuples D’autant que, toujours mauvaise
Kant distingue ainsi les impératifs de conscience en est la première étape nécessaire, un pauvre gaspille une fortune ino- pas schismatiques comme l’empe- soumis s’émancipent et les peuples fille, éternellement mal mariée
hypothétiques, qui sont condition- quoique non suffisante. pinée. Au point de mettre en péril reur et de reconnaitre l’autorité du annexés appellent à la sécession. Dans avec la liberté, l’économie, à ce
nels, simples conseils de prudence b) D’un point de vue existentiel, la prise de conscience celui qui incarne ce mouvement. pape, déporte ses sujets par dizaines des sociétés encore incompatibles que disent les économistes dont
ou d’habileté (« si tu veux ceci, fais d’une liberté fondamentale pour l’homme l’amène Parce qu’aussi, la liberté fait peur à de milliers, soumet tous les autres à avec la liberté, se développent des il n’y a hélas ! pas lieu de douter,
cela »), de l’impératif catégorique. à revendiquer et à assumer sa liberté (cf.  analyse ceux qui étaient accoutumés à vivre un espionnage permanent et, selon usages que seule la liberté autorise. semble infliger la démonstration
Seul impératif moral, il com- de Sartre). sans elle ; quand ils ne tiraient pas une expression de l’époque, fait de La liberté en parait coupable. que le nouveau régime fait vivre
mande absolument et sans condi- c)  Tout refuge derrière un déterminisme supposé bénéfice de ce qu’elle était proscrite. la Russie une caserne. Autrefois ravagées pour avoir crié l’URSS encore plus mal que le
tion à tout être raisonnable, tou- est alors une perte de liberté et un exemple de La liberté devient une ennemie ; celui La comparaison avec son plus cé- le nom de liberté, des nations s’ins- précédent. Ce ne serait pas la pre-
jours et partout, indépendamment mauvaise foi. qui l’a restaurée, une cible. lèbre successeur soviétique est tout pirent maintenant, et sans dom- mière fois que des adversaires
des désirs, des conséquences et de L’URSS expose au reste du monde à fait superflue. S’il n’y a pas eu, mages pour elles, des pratiques s’appuieraient sur des émeutes
l’utilité. En voici une des formula- Conclusion cette leçon de choses qui serait sous Nicolas, de « procès des blouses économiques de l’Occident avant de la faim ou de la pénurie pour
tions : « Agis uniquement d’après La prise de conscience est libératrice si elle s’accom- banale si elle n’avait pas la taille blanches » comme celui que Staline de se laisser séduire par ses systèmes renverser un gouvernement qui
la maxime qui fait que tu peux pagne des conditions permettant de changer ou d’un empire ; composé, cet empire, ordonna, c’est qu’on n’avait pas en- politiques ; autrement dit, par les leur déplait et avant tout l’homme
vouloir en même temps qu’elle d’assumer ce qui est devenu conscient. comme il est de règle pour une telle core songé à l’utilisation politique différentes manières de mettre en qui l’incarne. Dans ce cas, n’est-il
devienne une loi universelle. » organisation politique, de peuples de la médecine et de ses praticiens. musique la démocratie. pas grand temps que l’Occident
asservis et de peuples soumis, de Soudain, pratiquement d’un jour à La société soviétique se réchauffe, songe à nourrir la liberté ?
liberté Ce qu’il ne faut pas faire nations annexées et de nations l’autre, la peur et le soupçon cessent et chacun sait que la chaleur est très
Contre le sens commun, qui dé- Traiter le sujet sans voir la différence entre sous surveillance ; les uns et les d’être ce principe de gouvernement néfaste aux banquises. Pour un pays Philippe Boucher
finit la liberté par la possibilité «  conscience  » et «  prise de conscience  » d’une autres manifestement prêts main- transmis sans retouche d’un régime qui, plutôt que d’être un «  État  », (7 octobre 1989)
de l’assouvissement des désirs, part, et entre « liberté » et « libération » d’autre tenant à faire éclater l’empire, pour à celui qui l’a abattu. Le pouvoir ne une « République », ou un nom de
Kant montre qu’il n’y a de liberté Le plan détaillé du développement part. emprunter à l’ouvrage qui valut à dédaigne plus de s’expliquer. lieu comme « France » ou « Italie »,
que dans l’autonomie, c’est-à-dire I.  La prise de conscience donne une expérience Mme Carrère d’Encausse peut-être Aux yeux du monde, ahuri et donc a choisi de se nommer «  Union  » pourquoi
l’obéissance à la loi morale, qui, de liberté. la fortune et assurément la célébrité. sceptique, d’autant que ce chan- et d’être ainsi alphabétiquement cet article ?
issue de la raison, assure notre a)  D’un point de vue individuel, «  prendre Les bons outils C’est une vérité rebattue que l’URSS gement agace le conservateur qui classé, c’est sa nature même qui
indépendance à l’égard de tout conscience » signifie se débarrasser d’une ignorance • Spinoza, Lettres à Schuller. L’auteur y présente son est l’héritière fidèle de la Sainte sommeille en chacun de nous, des peut paraitre compromise quand les Illustration récente de liberté
motif extérieur et pathologique. ou d’un préjugé sur une question. Cela implique une analogie de l’homme et de la pierre qui roule. Russie, dont elle ne supprima, pour élections ont lieu où le parti encore États baltes sortent leurs drapeaux battue en brèche dans l’ex-
La liberté est alors non pas tant action d’analyse personnelle (exemple du cogito de • Sartre, L’existentialisme est un humanisme. ainsi dire, que le gouvernement dy- unique renonce à la règle du candi- nationaux pour fredonner le Chant URSS − passerelle vers le pro-
un fait qu’une exigence dont Descartes). • Rousseau, Le Contrat social. nastique. Pour le reste, qu’il s’agisse dat unique et où bien des triompha- du départ et que les États voisins, gramme d’histoire.
l’homme a à se montrer digne. b) D’un point de vue collectif, prendre conscience • Hobbes, Léviathan. de la politique extérieure ou de la teurs désignés sont défaits. jusque-là des plus respectueux,

88 La politique, la morale La politique, la morale 89


le guide pratique

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
Le guide pratique Le guide pratique

conseilS conseilS
Une bonne culture
générale peut faire
la différence

Le nez plongé dans vos révisions,


Méthodologie et conseils 6 bonnes façons
de le faire

1. Tenez-vous au courant  : lisez


la presse quotidiennement, sous
vous en oubliez peut-être de gar- forme papier ou sur Internet.
der un œil sur ce qui se passe Bien sûr, on ne vous demande pas
autour de vous. Pourtant, rester de lire un journal de A à Z !
attentif au monde extérieur, se Mais informez-vous sur les évé-
tenir au courant, être éveillé et nements importants du moment
curieux sont une bonne façon de en regardant attentivement les
s’aérer entre deux séances de tra- premières pages, et choisissez
vail… puis par la suite d’enrichir ensuite quelques sujets qui vous
sa copie ! intéressent plus particulièrement
pour les approfondir.
5 bonnes raisons
d’améliorer votre 2. Lisez régulièrement des œuvres
culture générale des grands auteurs (écrivains, phi-
losophes)  : ce sont eux qui ont
1.Effectuer une mise en relation est souvent la plus difficile. Plutôt que d’utiliser une L’étude du texte ne consiste pas à analyser tous les contribué à façonner l’humanité
avec l’actualité. Les sujets philo- formule creuse du type De tout temps l’homme…, concepts mais uniquement ceux qui jouent un telle que nous la connaissons au-
sophiques en effet ne sont pas amenez la question à travers un exemple concret. rôle central. jourd’hui et qui ont donné du
déconnectés du monde qui vous C’est dans l’introduction de votre dissertation que Prenez garde, le commentaire de texte ne consiste ja- relief à la pensée.
entoure. vous annoncez le plan de votre raisonnement ; mettez-y mais à répéter ce qui se trouve dans le texte. Il s’agit
Bien au contraire, la philosophie en valeur l’articulation logique des parties. de faire parler le texte, de dégager son implicite. 3. Sortez… au théâtre, au cinéma,

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
pose des questions qui concer- Vous n’êtes pas obligés dans la conclusion d’ouvrir La connaissance de l’auteur peut vous aider à mieux dans des festivals.
nent chacun d’entre nous, ici et le débat ; vous pouvez vous contenter de rappeler le comprendre la problématique du texte. Car n’oubliez pas que la culture,
maintenant, au quotidien. problème initial et de montrer en quoi la réflexion Cependant ne transformez pas votre commentaire c’est aussi la culture vivante !
Comprendre les enjeux d’une a progressé. en un exposé doctrinal. De plus, ces sorties, ne coûtent pas
question d’actualité (par exemple Les exemples sont souvent utiles dans une disser- forcément cher  : de nombreux
les problèmes de bioéthique, la tation, ils permettent d’illustrer des explications III. Mettre en évidence son intérêt philosophique centres culturels organisent, au
guerre, les effets de la mondiali- conceptuelles ; mais attention ils ne peuvent tenir Qu’est-ce que dégager l’intérêt philosophique d’un sein des municipalités, des ma-
sation) et savoir les situer dans le La dissertation Quand vous établissez votre plan, ne perdez jamais lieu d’arguments. Ne confondez pas dissertation et texte ? C’est montrer la qualité de la réponse appor- nifestations culturelles.
débat philosophique, rien de tel I. Analyser le sujet de vue la question posée. Chaque partie doit s’y étude de cas. tée par l’auteur au problème posé. Renseignez-vous auprès de votre
pour nourrir en profondeur votre Surtout quand vous abordez un sujet de dissertation, rapporter d’une manière ou d’une autre. Pensez qu’un exemple bien choisi et bien analysé Dans la dernière partie du commentaire de texte, mairie, et demandez notamment
réflexion et copie ! faites-le autant que possible sans idée préconçue. Un plan dialectique procède par thèse, antithèse vaut mieux qu’une énumération d’exemples. vous pouvez introduire éventuellement une partie s’il existe des réductions pour les
Posez-vous vraiment la question posée par le sujet. et synthèse. Si vous utilisez une citation philosophique, n’ou- critique et prendre position par rapport aux thèses jeunes.
2. Trouver sans peine plein de Attention, la dissertation philosophique ne consiste Vous exposez une affirmation qui constitue la bliez pas qu’elle doit être exacte et attribuée à son de l’auteur ; évitez cependant des jugements négatifs
bons exemples à placer dans pas à parler d’un thème mais à analyser une question réponse la plus spontanée à la question posée (c’est auteur. Surtout, pensez à montrer en quoi elle éclaire trop rapides. 4. Facilitez-vous la vie  : grâce
les dissertations, mais aussi des précise se rapportant à ce thème. la thèse), puis vous montrez en quoi cette réponse votre raisonnement. aux podcasts radio et télé, par
pistes d’introduction (la fameuse Quand vous découvrez un sujet de dissertation, peut être critiquée (c’est l’antithèse), enfin vous tirez Attention à ne pas transformer votre dissertation de exemple, vous pouvez écouter
«  phrase d’accroche  » qui vous demandez-vous toujours en premier lieu pourquoi des conclusions personnelles des deux premières philosophie en une récitation de cours ou en un défilé ou revoir une émission que vous
donne tant de mal !). la question vaut d’être posée. La première étape de la parties (c’est la synthèse). de doctrines. Vous devez formuler la réponse à la Vous venez de découvrir auriez manquée en direct.
dissertation philosophique consiste à transformer Attention, une synthèse n’est pas un compromis question posée en des termes qui vous sont propres. votre sujet. Pas de panique !
3. Éviter les hors-sujets, les contre- la question posée en un problème philosophique. entre deux thèses  ; elle représente une nouvelle Pour éviter l’angoisse 5. Compulsez les programmes de
sens, les erreurs grossières d’ap- Cette étape s’appuie sur l’analyse des termes du étape de la réflexion. Le commentaire de texte de la page blanche, le hors-sujet télévision et de radio pour en
préciation qui risqueraient d’être sujet. Quand vous analysez les termes du sujet, ne Si, pour un sujet, vous ne pouvez opposer une thèse I. Prendre connaissance du texte ou l’à-peu-près, il faut prendre tirer les émissions intéressantes
fatales à votre copie. perdez jamais de vue le sens global de la question. à une antithèse, alors choisissez le plan progressif  : Lisez au moins le texte deux fois en entier pour en rapport avec les thèmes des
L’analyse des mots importants doit aider à com- partez du point de vue du sens commun et affinez déterminer son idée directrice.
le temps de préparer programmes.
4. Être plus à l’aise pour s’expri- prendre le sujet tout entier. progressivement la réponse à la question posée. Faites attention, elle n’est pas forcément contenue votre travail au brouillon, Voilà une autre façon de travailler,
mer à l’oral  : une bonne culture Pour analyser le sens d’un mot important du sujet, Une fois que vous avez fixé les différentes parties et dans la première phrase. avant de passer à la rédaction. qui semblera peut-être plus lu-
générale renforce généralement vous pouvez faire appel, selon le cas, aux différents sous-parties de votre dissertation, pensez à insérer, dans Prêtez une attention particulière aux dernières Cette phase préparatoire, dique, et vous permettra d’intro-
la confiance en soi et constitue un sens du mot, à des mots voisins ou encore au mot votre plan, exemples et références philosophiques. lignes du texte. Elles contiennent fréquemment une consacrée à la réflexion duire un peu de variété au milieu
«  fonds  » dans lequel puiser des ou à l’expression contraire. idée nouvelle qui permet de le comprendre sous un et à la construction, de vos révisions !
ressources, échanger, discuter avec III. Rédiger le devoir jour nouveau. est indispensable.
les autres. II. Construire le plan Rédigez l’introduction et la conclusion au brouillon 6. Dialoguez, échangez… avec vos
Une dissertation de philosophie, c’est une discus- mais seulement après avoir construit votre plan II. Dégager sa problématique
De cette étape initiale amis, les membres de votre fa-
5.Renforcer sa capacité à argu- sion argumentée. détaillé, quand vous avez une vision claire du rai- Une fois que vous avez déterminé l’idée directrice, dépend toute votre réussite. mille. Les débats avec autrui sont
menter sur un sujet, à donner son Attention à l’organiser, au moyen d’un plan, pour sonnement que vous voulez tenir. relisez le texte en l’annotant de façon à repérer ses souvent l’occasion d’apprendre
opinion. éviter qu’elle ne parte pas dans tous les sens. La première phrase de l’introduction – l’accroche – différentes étapes. quelque chose.

92 Le guide pratique Le guide pratique 93


Crédits

LE SUJET
La perception
p. 12 © Fotolia (œil) ; © Comstock (main)
Autrui
p. 15 © Hemera.
p. 16 Archive du journal argentin Clarin © Tous droits réservés.
Le désir
p. 18 © Getty Images./ p. 19 © Pixland.
L’existence et le temps
p. 22 Simone Martini, détail d’un retable (Cambridge) © Tous droits réservés.
p. 23 © Alexey Klementiev/ Fotolia (sablier).
p. 24 © Sale/ Fotolia.

LA CULTURE
Le langage
p. 30 © Vladimir Mucibacic/ Fotolia.
L’art
p. 33 © Mrakor/ Fotolia./ p. 34 © Mangia/ Fotolia.
Le travail
p. 37 © Getty Images.
La technique
p. 41 © Irina Yun/ Fotolia.
La religion

© rue des écoles, 2011-2012. Reproduction, diffusion et communication interdites sans accord préalable de rue des écoles.
p. 45 © iStockphoto.
L’histoire
p. 49 Portrait de Napoléon par Jean-Antoine Gros © Getty Images.
p. 50 © ELEN/ Fotalia (Egyptian papyrus)

LA RAISON ET LE RÉEL
Théorie et expérience
p. 52 © Getty Images./ p. 53 © Comstock.
Le vivant
p. 61 © Janis Smits/ Fotolia
p. 62 © Alexandr Mitiuc/ Fotolia
La matière et l’esprit
p. 65 © Tous droits réservés.
La vérité
p. 68 © Tous droits réservés.
p. 69 © javarman/ p. 70 © iStockphoto

LA POLITIQUE, LA MORALE
La société et les échanges
p. 74 © Jean-Régis Roustan/ Roger-Viollet.
p. 76 © Fotolia (263)
La justice et le droit
p. 78 © iStockphoto.
L’État
p. 82 © Tous droits réservés./ p. 83 © Tous droits réservés.
p. 84 © Tous droits réservés.
La liberté
p. 87 © Getty Images./ p. 88 © Anyka/ Fotolia.

LE GUIDE PRATIQUE
p. 93 © Chandelle/ Fotolia.
Réviser son bac

HORS-série
avec

sciences éco. SÉRIE ES


e
g ra mm
Pro minale l’essentiel du cours
er
de T
• Des fiches synthétiques
• Les points clés
du programme
• Les définitions clés
• Les repères importants

DES sujets de bac


• 22 sujets commentés
• L’analyse des sujets
• Les problématiques
• Les plans détaillés
• Les pièges à éviter

DES ARTICLES DU MONDE


• Des
 articles du Monde
en texte intégral
• Un accompagnement
pédagogique de chaque

3:HIKPNJ=]U\^UV:?a@k@k@b@f;
article

Hors-série Le Monde, avril 2012 un guide pratique


M 05398 - 1 H - F: 7,90 E - RD
• L a méthodologie
des épreuves
• Astuces et conseils

En partenariat avec

Vous aimerez peut-être aussi