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Nietzsche, Humain trop humain

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INTÉRÊT DU SUJET • Si j'ai bien travaillé et que l'on me récompense, peut-on considérer que
cela est juste ? Bien sûr, j'ai fait des efforts, mais je les ai faits parce que cela m'était possible.
Alors, pourquoi me récompense-t-on pour avoir fait ce que je pouvais faire ?

Expliquez le texte suivant :

Celui qui est puni ne mérite pas la punition : on se sert de lui que comme d'un moyen
d'intimidation pour empêcher à l'avenir certains actes ; celui que l'on récompense ne mérite pas
davantage sa récompense : il ne pouvait en effet agir autrement qu'il n'a agi. Ainsi la
récompense n'a d'autre sens que d'être un encouragement pour lui et pour les autres, elle a donc
pour fin de fournir un motif à de futures actions ; on acclame celui qui est en train de courir sur
la piste, non pas celui qui est au but. Ni la peine, ni la récompense ne sont choses qui reviennent
à l'individu comme lui appartenant en propre ; elles lui sont données pour des raisons d'utilité,
sans qu'il ait à y prétendre avec justice. Il faut dire « le sage ne récompense pas parce qu'on a
bien agi » de la même manière que l'on a dit « le sage ne punit pas parce qu'on a mal agi, mais
pour empêcher que l'on agisse mal ». Si peine et récompense disparaissaient, du même coup
disparaîtraient les motifs les plus puissants qui détournent de certaines actions et poussent à
certaines autres, l'intérêt de l'humanité en exige la perpétuation.

Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, 1878.

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication
rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

LES CLÉS DU SUJET

Repérer le thème et la thèse

■ Nietzsche se demande ici ce qui justifie et ce que visent les récompenses et les peines.
Ont-elles un quelconque rapport avec la justice ?
■ Récompenses et punitions se donnent ordinairement pour des actes de justice : à chacun
ce qui lui revient, tel est le principe central de la justice dite rétributive. Or, Nietzsche
démontre dans ce texte qu'elles n'ont rien à voir avec la justice et s'ordonnent à une
nécessité sociale.

Dégager la problématique

Repérer les étapes de l'argumentation

Les titres en couleur servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.

Introduction

[Question abordée] Nietzsche interroge ici le principe de la justice rétributive , selon lequel il
est juste de punir celui qui a mal agi et de récompenser celui qui a bien agi. Pourquoi punit-on
ou récompense-t-on un individu ? Que visent les punitions et les récompenses, qu'est-ce qui les
explique et quel est leur but ? On pourrait penser qu'on punit celui qui a mal agi parce qu'il est
responsable de sa mauvaise action. En ce sens, il mérite d'être puni à hauteur de son acte en ce
qu'il en est l'auteur : la sanction suppose ainsi qu'il est puni parce qu'il aurait pu agir autrement,
et c'est en cela que la punition se donne pour un acte de justice. [Problématique] Mais celui qui
a mal agi pouvait-il faire autrement ? Est-il si sûr que nous soyons comptables de nos bonnes ou
mauvaises actions ? Et finalement, les peines et les récompenses ne visent-elles pas un autre
but ? C'est précisément ce problème que soulève Nietzsche, en démontrant que loin d'être le
moyen d'établir la justice, elles sont le moyen de préserver la société. [Annonce du plan] Dans un
premier temps (l. 1-7), Nietzsche réfute l'idée commune selon laquelle récompense et punition
sont des actes de justice. En réalité, elles visent à produire des effets sur les actions futures
d'un ensemble d'individus. Dans un second temps (l. 8 à la fin), Nietzsche en déduit que punitions
et récompenses ne sont pas affaire de justice mais de prévention et de conservation.

DÉFINITION

Selon la théorie de la justice rétributive, il est juste, c'est-à-dire équitable, de répondre à un


acte réprouvé par une punition proportionnée, et à un acte valorisé par une récompense.

1. Punition et récompense visent des conduites

A. Je ne mérite ni punition ni récompense

■ Dans un premier temps, Nietzsche s'interroge sur le sens de la punition et de la récompense.


Qu'est-ce qui fonde l'idée selon laquelle il serait juste de punir celui qui a fait le mal, et de
récompenser celui qui a fait le bien ? En réalité, ce qui fonde cette idée, c'est celle d'un
« mérite » : au mal que j'ai fait répond en toute logique le mal que l'on me fait. Mais pourquoi
mériterait-on une punition pour avoir fait le mal ? Ce qu'indique Nietzsche, c'est que l'idée même
du mérite repose sur un présupposé. Si à mon acte doit répondre une punition, c'est que mon
acte était voulu, et que je pouvais agir autrement.

■ Ainsi, le raisonnement propre à la justice rétributive est le suivant : je suis libre, donc
responsable de mes actes, donc susceptible d'être puni. Mais celui qui a agi, bien ou mal, était-il
vraiment libre de le faire ? En réalité, « il ne pouvait, dit Nietzsche, agir autrement qu'il n'a agi ».

■ Ce qui se trouve remis en cause, c'est précisément le point de départ de ce raisonnement, à


savoir l'affirmation d'un libre arbitre , sur lequel reposerait l'idée même de ma responsabilité.
Mais si je ne suis pas libre de mes actes, si je suis déterminé à agir, alors en quoi serais-je
responsable de ces actes ?

À NOTER

La critique du libre arbitre, cette capacité à faire des choix sans y être déterminé par une
chose extérieure à moi-même, est le point de départ de la démonstration.
B. Punir pour décourager des conduites, récompenser pour en encourager d'autres

■ Si je ne suis pas responsable de mes actes, si j'en suis irresponsable ou, comme le dirait
Nietzsche, innocent, alors les peines et les récompenses ne sont jamais méritées : je ne peux
mériter une récompense que si j'ai voulu bien agir, et que j'étais libre de le faire. Mais alors, à
quoi servent les punitions et les récompenses, et qui visent-elles, si elles ne s'adressent pas à
l'individu ?

■ En réalité, elles visent moins l'acte passé d'un individu que les actions futures d'un ensemble
d'individus. Les punitions, dit Nietzsche, sont « un moyen d'intimidation pour empêcher à
l'avenir certains actes » comme, à l'inverse, les récompenses sont « un encouragement pour lui
et pour les autres ». L'effet voulu de la sanction et de la récompense déborde donc l'individu :
par elles, on encourage l'individu à faire à nouveau le bien, et on le dissuade de faire à nouveau le
mal, mais, à travers cet individu, on s'adresse à tous.

■ Les peines et les récompenses sont alors exemplaires : en punissant cet individu, je cherche
avant tout à indiquer aux autres ce qu'il ne faut pas faire, et ce qu'ils risquent au cas où ils le
feraient. C'est en cela, d'après Nietzsche, que l'on « se sert de lui » : on trouve dans son acte
l'occasion de produire un ensemble de conduites, par l'« encouragement » (récompense) ou
l'« intimidation » (punition).

■ Punition et récompense ont donc « pour fin de fournir un motif à de futures actions » ; elles
cherchent à orienter nos conduites plus qu'à sanctionner un acte passé auquel, de toute façon,
elles ne peuvent plus rien. Nietzsche fait alors intervenir une image : la preuve que la
récompense encourage des conduites futures plus qu'elle ne couronne un acte passé, c'est
qu'on « acclame celui qui est en train de courir sur la piste, non pas celui qui est au but ». En
d'autres termes, la récompense encourage : or, il ne sert à rien d'encourager le coureur à la fin
de sa course, on ne l'encourage que pendant sa course. De la même façon, on ne récompense
pas un homme pour son acte passé, mais dans la perspective de ses actes futurs.

LE CONSEIL DE MÉTHODE

Les transitions doivent rendre compte de la dynamique du texte. Nietzsche vient d'établir
l'absurdité des récompenses et punitions du point de vue de l'individu : reste maintenant à
savoir à quoi elles servent, en envisageant leur utilité sociale.

[Transition] Mais alors, si les récompenses et les punitions portent moins sur l'acte passé d'un
individu qu'elles n'orientent les conduites d'un ensemble d'individus, peut-on encore dire qu'elles
établissent une justice ? Et si punir celui qui a fait le mal n'a aucun sens, alors quel est le sens du
système punition/récompense ?
2. Punition et récompense ont une utilité

A. Punition et récompense ne sont pas affaire de justice

■ Dans un deuxième temps, Nietzsche se pose la question suivante : si punition et récompense


n'ont aucun sens par rapport à l'individu, si elles n'ont de sens que par rapport aux actions
futures d'un ensemble d'individus, alors peut-on les penser comme les instruments d'une
justice ?

■ La justice rétributive, qui entend rétribuer l'individu à hauteur de ses actes, est-elle vraiment
une forme de justice ? Est-il juste qu'on me punisse ? Est-il juste qu'on me récompense ?
Nietzsche répond d'emblée : punitions et récompenses sont données à l'individu « pour des
raisons d'utilité, sans qu'il ait à y prétendre avec justice ». Ce qui est utile, c'est ce qui aide à
satisfaire un besoin, et c'est donc la satisfaction d'un besoin que visent les peines et les
récompenses. Elles sont donc instrumentales.

■ Nietzsche souligne cette dimension instrumentale en précisant le sens de la question :


pourquoi me punit-on ? On pourrait penser que cette question signifie « à cause de quoi me
punit-on ? », auquel cas la justice rétributive répondrait : parce que tu as mal agi. Mais, comme
l'a établi Nietzsche, cette réponse apparaît absurde dans la mesure où nous ne sommes pas
responsables de nos actes. Cette question signifie donc : dans quel but me punit-on ? Nietzsche
répond : « le sage ne punit pas parce qu'on a mal agi, mais pour empêcher que l'on agisse mal. »,
comme « le sage ne récompense pas parce qu'on a bien agi », mais pour encourager à bien agir.
Ainsi, il n'est pas juste qu'on me punisse, mais cette punition est utile. Cependant, à quoi sont
nécessaires les sanctions et les récompenses et à quoi servent-elles ?

B. C'est l'intérêt qui les motive

■ Nietzsche a établi l'utilité des récompenses et des punitions en montrant qu'elles visent à
produire des conduites, en en encourageant certaines et en dissuadant d'en entreprendre
d'autres. Leur utilité est donc sociale : elles sont avant tout l'instrument par lequel se protège et
se défend une société.

■ Afin de souligner leur caractère nécessaire, Nietzsche se place dans l'hypothèse où peines et
récompenses disparaîtraient : « du même coup disparaîtraient les motifs les plus puissants qui
détournent de certaines actions, et poussent à certaines autres. » Autrement dit, le désir des
récompenses et la crainte des punitions sont les véritables causes de nos actions. Les peines et
les récompenses ont d'abord pour but de produire en nous un désir de récompense et une peur
de la punition qui détermineront nos conduites ; les supprimer mettrait finalement en danger
« l'humanité » elle-même, dans la mesure où ces conduites se trouveraient alors sans
orientation, sans motif stable. Aucun système moral, aucun système juridique, ne saurait se
passer des récompenses et des sanctions. Ce n'est donc pas une question de justice, mais de
conservation et de survie de l'homme.

Conclusion

En définitive, celui qui a bien agi n'avait pas d'autre choix que de bien agir, celui qui a mal agi
n'avait pas d'autre choix que de mal agir. Par conséquent, il est absurde de rétribuer leurs actes,
par une peine ou une récompense. Du point de vue de leur acte passé et de leur individu, ces
rétributions n'ont aucun sens. C'est seulement dans la perspective d'un ensemble de conduites
futures que ces rétributions ont une utilité. En d'autres termes, il n'est pas juste qu'un individu
soit récompensé d'avoir fait le bien. En revanche, qu'il soit récompensé est de la plus haute
utilité, en ce sens que le désir de la récompense – et la crainte de la punition – sont nécessaires
à la conservation de l'humanité. Ainsi, la critique de Nietzsche dévoile, sous ce qui se donne
pour justice, le pur souci qu'a la société de se conserver.

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