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Théo ROSEAU Entraînement à la dissertation 

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T03
Faut-il être cultivé pour apprécier une œuvre d’art  ?

L’art est le domaine de la création d’œuvres destinées à la contemplation. En effet, au


contraire de l’artisan qui vise à fabriquer des objets destinés à être utilisés ou consommés,
l’artiste produit des œuvres qui répondent à une inspiration proprement humaine, celle liée à
la beauté. Le spectateur attend d’une œuvre qu’elle lui procure un plaisir particulier, le plaisir
lié à la contemplation du beau. L’art aurait donc pour fonction de produire des œuvres dont la
beauté suscite en nous ce plaisir. Apprécier une œuvre d’art reviendrait donc à éprouver des
émotions lors de sa contemplation. A première vue, être éduqué ne serait donc pas
nécessaire pour parvenir à cette appréciation. En effet, ressentir des émotions est le propre
de l’homme quel que soit son âge, sa culture, son origine ou son degré d’éducation.
Pourtant, réduire l’appréciation d’une œuvre à une simple approche émotionnelle ne peut-il
pas représenter un risque, celui d’une appréciation superficielle, partielle voire erronée de
l’œuvre ? L’éducation ne pourrait-elle pas au contraire nous aider à mieux connaître, mieux
comprendre et mieux juger une œuvre? Cette éducation est-elle alors nécessaire ou
obligatoire ? Ne pourrait-elle pas représenter un obstacle à l’appréciation esthétique ? Nous
sommes ainsi conduits au problème suivant : La capacité à apprécier une œuvre d’art est-
elle dépendante de notre éducation ? En d’autres termes, peut-on apprécier l’art, parvenir à
une expérience esthétique sans être éduqué ? En quoi l’éducation peut-elle enrichir cette
expérience ? A termes, en quoi cette éducation ne pourrait-elle pas au contraire limiter notre
appréciation et constituer un obstacle au plaisir esthétique ?

I) Il n’est pas nécessaire d’être cultivé pour apprécier une œuvre d’art.

Dans l’art, l’être humain recherche la beauté et en tant que spectateurs, nous recherchons
dans une œuvre qu’elle nous procure un plaisir particulier, le plaisir esthétique lié à la
contemplation du beau.

a) Si apprécier une œuvre d’art signifie éprouver du plaisir à sa contemplation, il n’est


pas nécessaire d’être cultivé. En effet, la contemplation de l’œuvre suffit à elle seule pour
nous faire ressentir des émotions, ce plaisir propre à soi-même et donc subjectif. Par
exemple, on peut apprécier un tableau, une œuvre musicale sans connaître rien de son
auteur, son contexte, ni de son message éventuel.
Kant parle de plaisir esthétique, pur plaisir de contemplation, plaisir libre,
désintéressé : Critique de la faculté de juger.

b) Apprécier une œuvre d’art n’est pas réservé qu’à certains « spécialistes » ou
« connaisseurs ». Une même œuvre peut-être appréciée par beaucoup de spectateurs où
que ce soit dans le monde et quelle que soit la période.
Kant : « est beau ce qui plaît universellement ». L’appréciation d’une œuvre d’art,
parce qu’elle relève d’un plaisir désintéressé, d’un pur plaisir de contemplation, est donc
partageable et commune à tous, quel que soit sa culture, ses origines ou ses connaissances
intellectuelles.

Transition : S’il n’est pas nécessaire d’être éduqué pour apprécier une œuvre d’art, le
spectateur court cependant des risques. En effet, son approche de l’oeuvre risque d’être
superficielle, incomplète. Il peut aussi se méprendre sur le sens de l’oeuvre, l’ignorer ou au
contraire lui donner un sens totalement contraire. Enfin, le spectateur non cultivé peut se
sentir démuni face à une œuvre, incapable d’expliquer, de verbaliser ou même de justifier
ses émotions.
II) Être cultivé est nécessaire.

a) Apprécier = comprendre = connaître.


Pour apprécier une œuvre, il faut être capable de la comprendre. Pour cela, il est nécessaire
d’avoir des connaissances par exemple sur l’auteur, sur les techniques utilisées, sur le
contexte artistique, politique, etc... Être cultivé permet donc d’approfondir ma perception de
l'œuvre , d’enrichir mon appréciation. Cela nous donne également la capacité d’exprimer
dans un langage adéquat, de verbaliser nos émotions.

b) Apprécier = juger = avoir du goût.


Avoir du goût n’est pas inné mais s’acquiert par l’éducation. C’est l’éducation qui permet à
l’homme de déterminer la valeur d’une œuvre et donc de l’apprécier. La connaissance de
multiples œuvres d’art est nécessaire pour formuler un jugement esthétique pertinent. ⇒
Hume, La Règle du goût.

c) Apprécier = reconnaître une œuvre en tant qu’œuvre.


L’oeuvre d’art s’apprécie dans son contexte culturel ; sortie de la tradition, elle peut perdre
toute sa valeur. Pour comprendre une œuvre d’art, il faut connaître son contexte culturel et la
tradition dans laquelle elle s’inscrit. ⇒ Adorno, Minima Morelia (exemple de La Chauve-
souris).

Transition : Être cultivé permet donc une appréciation plus raisonnée, plus complète et plus
riche d’une œuvre. Cela nous permet donc de pouvoir exercer un jugement esthétique. Et
pourtant être cultivé peut aussi nuire à notre appréciation artistique et révéler les limites de la
culture.

III) Être cultivé a ses limites et ne doit donc pas être obligatoire.

a) Apprécier une œuvre d’art, c’est éprouver un plaisir esthétique. Or la culture peut
devenir envahissante et empêcher toute spontanéité. L’émotion est étouffée alors car
l’évaluation intellectuelle de l’oeuvre prend le pas sur l’appréciation émotionnelle.

b) La culture est liée à notre éducation, à notre milieu social et elle exerce une fonction
sociale discriminante. Si l’on veut être reconnu socialement, il faut exprimer son goût pour les
Beaux-Arts et pour un type de pratique culturelle. On est donc amené à apprécier une œuvre
non pas pour ce qu’elle nous apporte mais pour se conformer à une tradition liée à une
classe sociale. ⇒ Bourdieu, La Distinction.

c) Être cultivé peut représenter un obstacle à l’appréciation d’œuvres originales qui ne


correspondraient pas aux règles ou techniques traditionnelles. La culture pourrait ainsi
empêcher d’apprécier des œuvres nouvelles : on ne reconnaîtrait pas le génie dans une
œuvre avant-gardiste parce qu’on l’analyserait avec des grilles traditionnelles.
Être cultivé empêcherait d’apprécier le génie tel que Kant le définit. Dans ce cas, le
spectateur cultivé se retrouverait dans la même position que le spectateur non cultivé, c’est-
à-dire dans l’appréciation spontanée de l’oeuvre sans éclairage intellectuel.

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