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COURS DE PHILOSOPHIE TERMINALE / Djibouti

Chapitre : L’ART

INTRODUCTION :

Nous pouvons dire que le mot « art » vient de la racine indo-européenne « ar » qui signifie « arrangement ».
Or ces arrangements peuvent être de deux sortes. Ils viser l’utilité (artisanat) ou la beauté (beaux-
arts).L’esthétique désigne la théorie de l’art et du beau. Elle réfléchit également sur la nature de la création des
œuvres d’art, sur le rôle et la place de l’artiste dans la société. Selon le dictionnaire Lalande, l’art peut se définir
comme toute « production de beauté par les œuvres d’un être conscient ». À travers cette définition, il apparaît
l’idée que l’art est une œuvre spécifiquement humaine. Mais cette définition élémentaire fait problème : Qu’est-
ce que l’art ? Comment distinguer ce qui est de l’art ou pas ? L’œuvre d’art doit-elle être belle par définition ?
Qu’est-ce qui donne à une œuvre d’art sa qualité d’œuvre d’art ?

I. L’ART ET LA TECHNIQUE

L’opposition de l’art et de la technique, si commune aujourd’hui, est pourtant relativement récente à


l’échelle de l’Histoire des Idées. Auparavant l’art renvoyait à la technique, à toute technique permettant de
produire un résultat. Ici, l’art est une habileté, un savoir-faire, une maîtrise etc. Exemple, l’art martial, l’art de
gouverner etc. Au Moyen Âge, on ne distinguer pas l’artiste et de l’artisan, autrement du technicien. C’est sans
doute ce qui va influencer Hegel, sans réduire l’art à la technique, il remarque que « l’art a un côté purement
technique qui confine à (touche aux limites de) l’artisanal, surtout en architecture et en sculpture ». L’artiste
doit apprendre à maîtriser son matériau, à vaincre sa résistance et cela exige une réflexion, une application et une
pratique assidue.On refuse pourtant aujourd’hui de réduire l’artiste à l’artisan, l’art à la technique. L’artiste est à
nos yeux plus qu’un bon ouvrier ou un technicien habile : il se caractérise par sa créativité, son génie, c’est-à-
dire, sa capacité à créer une œuvre originale, unique dans laquelle s’exprime sa subjectivité.
Ce n’est qu’au XVIIIème siècle que le terme est essentiellement utilisé pour désigner les beaux-arts. En
parlant des arts, on entend les beaux-arts : l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la danse, le théâtre
la poésie. En effet, l’art se distingue de l’artisanat et de la technique par sa finalité, son but. En sculptant le bois
ou la pierre, en faisant des peintures ou des dessins, en composant des partitions, l’artiste crée des œuvres qui
plaisent seulement par leur beauté. Un tableau ou une statue n’ont aucune utilité précise. L’objet du beau a donc
sa fin en lui-même et procure un plaisir désintéressé. On le constate avec évidence lorsqu’on contemple une
peinture représentant une nature morte : les fruits, les poissons et les volailles, représentés ne se mangent pas.
En revanche le propre de l’artisanat, comme de la technique, est de produire des objets qui ont pour fin
l’utilité et qui, de ce fait, plaisent comme moyen de satisfaction de besoin. Une table, une chaise servent toujours
à quelque chose. Certes, l’objet artisanal, à la différence du produit industriel, porte la marque de l’habileté et du
talent d’un individu. Toutefois, l’œuvre artisanale n’a pas pour fonction première de procurer du plaisir
esthétique ni même d’exprimer la personnalité de son créateur. Elle tire plutôt son sens d’une activité
« vendue » : la recherche du gain est, en effet, ce qui motive l’artisan. C’est pourquoi l’artisanat est, comme
l’affirme Kant (Critique de la faculté de juger, 1790), considéré comme un travail, c’est-à-dire « comme une
activité qui est en elle-même désagréable (pénible) et qui n’est attirante que par ses effets (par exemple le
salaire) ». Indifférent au principe de gain, l’art apparaît, au contraire, comme une activité agréable. Ainsi, par
opposition à l’artisanat, l’art est une activité qui ne répond à aucun intérêt défini. L’art est à lui-même sa propre
fin. L’art est une fin en soi.
L’art se distingue aussi radicalement de la science et de la technique par son mode de production. Depuis le
XVIIIe siècle, la technique n’a cessé de se perfectionner jusqu’à devenir une activité analysée dans ses moindres
détails, où il suffit de savoir ce qu’il faut faire pour l’exécuter : par exemple, souder des morceaux d’acier les uns
aux autres. En effet, toute production technique, aussi complexe soit-elle obéit à des règles précises d’exécution
qui sont enseignables, répétables.
Or, rien de tel ne se trouve dans le domaine artistique. L’art, qui repose sur la fantaisie créatrice de l’artiste,
explique Kant, requiert autre chose que « l’aptitude à savoir faire ce qui peut être appris d’après une règle
quelconque » (Critique de la Faculté de juger). L’art ne s’apprend pas. Il requiert du génie. Kant définit le génie

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comme « l’art de produire ce dont on ne peut pas donner de règle déterminée ». Or, la production artisanale et
technique sont régies par des règles : les techniques, les méthodes et les règles permettent de reproduire des
résultats connus.
Dans une perspective voisine, Alain distingue ainsi le travail de l’artiste de celui de l’artisan. L’artisan exécute
un projet bien défini, il sait ce qu’il fait, alors que l’artiste, au contraire découvre ce qu’il fait en le faisant.
L’artiste est, selon Alain, « spectateur de son propre œuvre en train de naître ». Autrement dit, dans la production
technique, « l’idée précède et règle l’exécution », alors que dans la création artistique l’idée vient à mesure de
l’exécution et n’est complètement définie qu’une fois l’œuvre achevée.

II. ESTHETIQUE : La problématique du beau


Au premier abord, il semble que je ne puisse dire d’une œuvre qu’elle est belle que si elle me plaît.
Autrement dit, elle belle l’œuvre qui flatte mes sens ou qui suscite en moi l’émotion. Mais prendre comme
critère d’approbation d’une œuvre d’art un tel plaisir n’est-il pas la marque d’une certaine inculture ou d’un
mauvais goût ? Avoir du goût, n’est-ce pas reconnaître, par exemple, la beauté de la peinture de Picasso. Le beau
ne confond pas avec l’agréable et le plaisir causé par le beau n’est pas un simple plaisir de sens. Avoir du goût en
matière d’art, c’est donc bien pouvoir dire en même temps : « c’est beau » et « ça ne me plaît pas ».
En effet, le jugement qui déclare une chose agréable est subjectif, relatif à la personnalité de chacun. J’admets
fort bien que le goût des sens puisse varier d’une personne à l’autre. Pour l’un, la couleur violette est douce et
aimable, pour l’autre elle est morte et éteinte. En ce qui concerne l’agréable, je tolère que le goût d’autrui puisse
diffère du mien. Cela diffère dans le jugement du beau : ce qui est jugé beau doit l’être précisément pour
quiconque la juge esthétiquement. Mon jugement : « c’est beau » prétend donc à l’universalité. D’où la
question : sur quoi se fonde une telle prétention ? Y a-t-il un critère qui définit le beau ? Autrement dit, puis-je
convaincre autrui de la beauté d’une œuvre par concepts ?
Ces interrogations supposent d’emblée l’idée que le jugement esthétique repose sur un plaisir que le sujet estime
universalisable. Le jugement :« c’est beau » est donc un jugement qui prétenda valoir pour tous mais une telle
prétention ne peut reposer sur des concepts. Si le beau n’est pas définissable, c’est qu’il n’est pas réellement dans
l’objet regardé,mais qu’il renvoie au sujet le regarde. L’œuvre belle n’est pas celle qui répond au bon goût social,
à une règle, une technique. Elle n’est belle que pour celui qui la trouve belle.
Pourquoi donc celui qui la trouve belle dit-il : « c’est beau » et non « ça me plaît » ? Il dit : « c’est beau »
(comme si le beau était une qualité de l’objet et comme si quiconque devait trouver cet objet beau), parce qu’il a,
au fond, le sentiment que le plaisir qu’il éprouve est nécessaire et universel. Autrement dit, tout se passe comme
s’il avait le sentiment de tous les êtres humains, étant constitué de la même manière que lui, devraient éprouver
le même plaisir que lui face à cette même.
Quel est ce plaisir ? Ce plaisir n’est ni un simple plaisir de sens (le beau ne se confond pas avec l’agréable) ni un
plaisir spirituel (le beau n’est ni le bon ni le parfait), mais un plaisir désintéressé qui tient des deux à la fois.Kant
affirme que « le beau est ce qui est reconnu sans concepts comme d’une satisfaction universelle. »

III. SIGNIFICATION DE L’ART :


1. L’art : imitation ou création ?

On a longtemps conçu l’art comme une imitation ou une reproduction de la nature puisque nous avons des
beautés naturelles comme la mer, la forêt, les fleurs etc. qui mériteraient d’être bien vues sur des tableaux. Ces
beautés naturelles doivent inspirer l’homme dans sa tâche artistique. C’est dans cette mouvance que s’inscrit
Albert Dürer qui dit : « Plus ton œuvre sera conforme à la nature, meilleure elle sera ». La copie qu’on tire de
la nature fixe les beautés naturelles dans les maisons à travers, notamment, des tableaux d’art. Il est désormais
possible de contempler les œuvres de la nature sur nos murs. Mais copier ou imiter, est-ce réellement faire de
l’art ? En d’autres termes, l’art est-il une simple imitation de la nature ?
La première théorie du beau est celle de Platon. À la question « qu’est-ce que le beau ? », il répond que c’est
la « splendeur du bien ». Pour lui, la beauté ne se distingue pas de la beauté morale et il s’assimile au Bien.
Platon estime que le beau est une Idée, un concept du monde intelligible. La beauté sensible est, selon lui, une
copie imparfaite de l’Idée intelligible. Exemple, une belle femme n’est qu’une copie imparfaite de la femme en
soi. Il en déduit que la beauté artistique est une illusion, car elle copie la beauté sensible qui est elle-même une

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copie imparfaite de la beauté intelligible. L’artiste imite donc ce qui est déjà imité. Il y a chez Platon une
dévalorisation de l’art. L’artiste cherche à imiter la nature, les objets du monde sensible ; or ce monde est fait
d’apparences, ce qui l’amène à dire qu’il faut chasser les artistes et les poètes de la cité, car dit-il, ce sont des
illusionnistes. Pour lui, l’artiste prétend peindre la réalité, alors que la vérité ou la réalité n’est pas de ce monde
sensible, mais bien du monde intelligible.
Pour Aristote, l’imitation n’est pas à condamner. Il critique son maître et soutient que, plus qu’une imitation
de la nature, l’art achève des choses que la nature est incapable de réaliser. L’art serait une re-création. Aristote
accorde une place centrale à l’apparence dans la beauté artistique. Il écrit : « L'art complète en partie ce que la
nature ne peut pas achever ».
Dans son ouvrage Critique de la faculté de juger, Kantconsidère que « le beau est une finalité sans fin »,
c’est à dire que la beauté est en elle-même sa propre fin. Devant une œuvre d’art, on ne demande pas à quoi ça
sert, car dit Kant, elle ne sert à rien sinon qu’à susciter un sentiment de plaisir chez celui qui la perçoit. Le beau
est donc désintéressé. Autant il est désintéressé, autant il doit plaire à tout le monde, d’où la formule de Kant : «
Le beau est ce qui plait universellement sans concept ». Kant distingue « l’art pour l’art » de « l’art engagé ».
L’art engagé est celui qui est au service d’une cause politique ou sociale alors que l’art pour l’art a uniquement
une fonction de produire le beau comme l’ont enseigné les parnassiens pour qui l’art ne sert à rien. Selon Kant,
l’art doit être exclusivement au service de l’art. Il insiste, par ailleurs, sur la créativité de l’artiste qui ne doit pas
se limiter à une simple imitation de la nature. Il écrit à ce sujet : « L’art n’est pas la représentation d’une belle
chose, mais la belle représentation d’une chose ». Autrement dit, une chose peut paraître laide, horrible ou
tragique dans la nature, mais dès qu’elle est représentée sur un tableau, elle devient belle. Prenons l’exemple de
Guernica, ce célèbre tableau de Picasso où est représenté le massacre de la guerre d’Espagne. Dans la réalité, ces
images inspirent le dégoût ; mais sur le tableau, elles inspirent le beau et plaisent à la contemplation. En somme,
nous retiendrons avec Kant que l’art n’est pas une imitation, mais une création de la part de l’artiste qui doit, par
son génie, ajouter une touche personnelle à la nature.
Cependant, Hegel estime que l’art est l’expression des préoccupations d’une société. L’art est donc le reflet
en même temps que le produit des idées, des sentiments, des passions d’une société à une étape de son histoire.
On retrouve chez Hegel une analyse de la différence entre la beauté naturelle et la beauté artistique. Pour lui, la
beauté artistique est supérieure à la beauté naturelle, parce que dit-il, on peut ajouter dans l’art ce qui ne figure
pas dans la nature. Selon Hegel, l'œuvre d'art est le moyen privilégié par lequel l'esprit humain se réalise. Ce qui
l’amène à dire que l’art n’est pas une simple imitation des merveilles de la nature. Il est re-création,
transformation de la nature, transfiguration du réel au sens où l’artiste est celui qui, du laid, crée du beau. Et dans
cette transfiguration du monde, conclut Hegel, c’est toute une vision du monde de l’artiste qui intervient. On dit
alors que l’artiste manifeste son imagination, exprime sa personnalité dans son œuvre, ce qui veut dire que
l’œuvre d’art est le reflet de la personnalité de l’artiste.
2. L’explication psychologique de l’œuvre d’art

Dans l’interprétation psychanalytique qu’il fait de l’œuvre d’art, Freud dit qu’il n’y a pas de mystère : « la
production artistique est une forme de sublimation des désirs refoulés ». Il veut dire que ces désirs trouvent dans
la création artistique un moyen de s’exprimer. L’art peut donc être considéré comme une manière détournée de
satisfaire les désirs inassouvis, les peurs et craintes de l’artiste. Pour Freud : « L’artiste voudrait conquérir
honneurs, puissance, richesses, gloire et amour des femmes. Mais les moyens lui manquent pour se procurer ses
satisfactions. C’est pourquoi, comme tout homme, insatisfait, il se détourne de la réalité et concentre tout son
intérêt sur les désirs créés par sa vie imaginative ».
L’œuvre d’art demeure l’œuvre d’un homme qui a une histoire et qui appartient à une classe sociale et à un
milieu. Pour les psychanalystes, à travers une œuvre d’art, on peut savoir qui se cache derrière et connaître sa
psychologie, comme Léonard de Vinci et Toulouse Haurec qui, selon Freud, ne font que transférer leurs
personnalités sur leurs tableaux. Selon Karl Marx, l’artiste appartient à une société, à une classe, à un temps
déterminé. En cela, il vit des problèmes qui sont spécifiques à sa société. Son œuvre reflète ses problèmes. Il est
une sorte de porte-parole et ses œuvres sont une grille de lecture pour comprendre sa société. En d’autres termes,
l’œuvre d’art doit avoir pour fonction de traduire la réalité sociale, elle doit être engagée. L’artiste crée pour
rendre visible ce qu’il porte en lui. C’est en ce sens que Paul Klee a affirmé : « L’art ne reproduit pas le visible,
il le rend visible ». Cela veut dire que, habituellement, nous passons devant des choses auxquelles nous ne

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faisons pas attention. Mais il suffit qu’on les représente sur un tableau pour qu’elles attirent l’attention, pour
qu’elles soient visibles. Paul Valery confirme cette idée en disant : « Une œuvre d’art devrait toujours nous
apprendre que nous n’avions pas vu ce que nous voyons ».
IV. L’ART AFRICAIN
Pendant longtemps, l’Afrique a été considérée comme un continent qui n’a pas d’histoire. En témoignent les
propos racistes de Hegel, de David Hume, etc. qui pensent que l’Afrique est un continent de barbares et de
sauvages. Mais quand l’occident a été en panne d’art, il s’est tourné vers l’Afrique et a commencé à s’intéresser
à l’art africain. L’art nègre qui repose sur l’usage de matériaux humbles (fer, fibre, écorce, bois, coquillage, terre,
etc.) va donner un coup fatal à l’art occidental de la « belle matière » (marbre, peinture à l’huile, etc.). L’art
africain est présent à travers les danses, la musique, les statues, les masques, la sculpture et renferme des
fonctions sociales et magico religieuses. Joseph Ki Zerbo montre combien le masque des cérémonies africaines
représente un symbole important. Dans ces cérémonies, le porteur du masque se présente comme un dieu. L’art
africain a surtout une fonction thérapeutique dans la mesure où il rétablit l’ordre et la cohésion sociale. Dans les
moments de tension et de stupeur, les sages ou les initiés, par le biais de l’art, stabilisent le milieu social en
faisant appel à des types de pratiques magico religieuses. Ceci montre que l’art africain n’a pas pour but le beau
ou le divertissement, mais plutôt la réalité, l’utile et l’engagement. Le social ou l’action collective l’emporte sur
l’œuvre individuelle.

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