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Université Mohamed V de Rabat

Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales – Agdal


Master Sciences Juridiques

La dématérialisation de la lettre de change

Fait par :

BENBOUCHTA Mostafa
DIABY Cheick Mouctar
EL HADI Hamza
MAIT Abdeljalil
NEMROURI Ahmed

Pour:

Pr. EL OUFIR Chakib

Année Universitaire : 2021-2022


Résumé :

Comme tout effet de commerce, la lettre de change (ou traite) est soumise à un formalisme
rigoureux sine qua non pour sa validité. Ce formalisme tel que prévu par les réglementations en
vigueur trouve son origine dans les dispositions de la Convention de Genève portant loi uniforme
sur les lettres de change et billets à ordre. Il condamne la lettre de change à être émise dans un
support papier que nous considérons comme précaire étant donné son aspect matériel fragile et
vulnérable. Ce support l’expose à plusieurs risques réels tels que le vol, la falsification,
l’altération etc…

Force est de constater que dans une ère où tout est digitalisé ; à commencer par les opérations
commerciales et financières Ce formalisme imposé par une convention datant de 1930 entrave la
dématérialisation entière de la lettre de change, donnant lieu à des pratiques profitant aux
institutions financières.

Nous soutenons que les technologies actuelles, notamment la chaîne de bloc (Blockchain), sont
favorables à une dématérialisation entière de la lettre de change apportant à la fois fiabilité,
sécurité et efficacité tout en se passant de sa centralisation dans le circuit bancaire. Ainsi,
pouvant redonner à la lettre de change son esprit originel voulant qu’elle soit instrument pour les
commerçants.

2
TABLES DE MATIERES

INTRODUCTION 5

PARTIE I DÉFAILLANCES ET CONSÉQUENCES DE LA CONCEPTION


MATÉRIELLE DE LA LETTRE DE CHANGE 8

Chapitre I Défaillance théorique : La précarité du support papier. 8

1 - La fausse signature : 9

2 - L’altération de la lettre de change : 9

3 - Le vol ou la perte de la lettre de change : 10

4 - La pluralité des exemplaires et des copies : 11

Chapitre II Conséquences pratiques : Systématisation de l’escompte 12

PARTIE II LA DIGITALISATION ET FIABILISATION DE LA LETTRE DE CHANGE


15

Chapitre I La lettre de change normalisée : Un premier pas dans la digitalisation 15

1 – Mécanisme et nature juridique de la LCN 16

2 – La LCN : Une lettre de change bridée ? 18

3 – Position de Bank Al Maghrib 19

Chapitre II Dématérialisation totale de la LC 20

1 - Pourquoi la block Chain ? 22

2 - Modèle de cycle de vie d’une LC sur la BC : 24

CONCLUSION 28

ANNEXES 29

BIBLIOGRAPHIE 31

3
LISTE DES ABREVIATIONS

BAM : Bank Al Maghrib


BC : Blockchain
DLT : Distributed Ledger Technology ; registre distribué
GSIMT : Groupement pour un Système Interbancaire Marocain de Télécompensation GSIMT
Ibid : Ibidem
LC : Lettre de Change
LCBC: Lettre de Change sur la BlockChain
LCN : Lettre de change normalisée
LCR : Lettre de change relevée
Op. Cit. : Opere citato
SIMT : Système Interbancaire Marocain de Télécompensation

4
INTRODUCTION

La lettre de change, ou " traite", est un effet de commerce soumis au droit commercial. C’est
l'article 9 du code de commerce qui répute la lettre de change "acte de commerce’’ entre toutes
personnes1. Elle fait partie intégrante des effets de commerce qui sont des titres négociables
représentatifs d’un droit de créance exigible à une échéance déterminée2.

Ce titre permet à une personne dénommée « le tireur » de donner l’ordre à une autre personne
appelée « le tiré » de payer, à une date convenue, une somme déterminée, à « un bénéficiaire »
qui peut être le tireur lui- même 3.

La lettre de change est un acte de commerce par la forme. De ce fait, les engagements résultant
de la lettre de change sont régis par le droit commercial, même s’ils correspondent à des
obligations civiles souscrites par des non commerçants. Il n'en est pas de même des billets à
ordre ou des chèques qui sont civils ou commerciaux suivant la nature de l'obligation principale.

La compétence concernant les lettres de change est celle du tribunal de commerce, mais surtout
le régime d'exécution des lettres de change est caractérisé par une rigueur particulière. En
exemple, l’article 150 de la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur
dispose que les lettres de change souscrites ou avalisées par des emprunteurs pour rembourser un
crédit à la consommation ou un crédit immobilier sont nulles4.

L’usage de l’instrument est traçable jusqu’en antiquité ; les banquiers d'Athènes ou de Rome
émettaient des titres pour le paiement de sommes d'argent. Au Moyen Age, le marchand
demandait à son banquier de lui procurer le change sur la place étrangère où il se rendait. La
lettre attestait d’un contrat de change. Le banquier remettait une lettre à son correspondant sur

1
Dahir n° 1-96-83 du 15 rabii I 1417 (1er août 1996) portant promulgation de la loi n° 15- 95 formant code de
commerce ; Bulletin Officiel n° 4418 du 19 Joumada I 1417 (3 octobre 1996), p. 568. Tel qu’il a été modifié et
complété.
2
Régis par les articles 159 à 238 du Code de Commerce.
3
(Bank Al Maghrib- Systèmes et Moyens de Paiement, bkm.ma)
4
Dahir n° 1-11-03 du 14 rabii I 1432 (18 février 2011) portant promulgation de la loi n°31-08 édictant des mesures
de protection du consommateur -Bulletin officiel n° 5932 du 3 Joumada I 1432 (07 avril 2011) p. 347.

5
cette place. L'expression de traite marquait ce genre de change comme remise sur une place. Le
marchand évitait ainsi le transport coûteux des monnaies et les risques s’y attachant5.

La lettre de change devint un instrument de paiement lorsqu'elle a été considérée comme


constituant un engagement distinct du contrat de change. Un commerçant détenant des traites
payables sur une place pour faire ses paiements par la remise de ses lettres. Ce rôle d’instrument
de paiement résulte de trois caractéristiques :

- La lettre est rédigée avec une clause à ordre et elle est ainsi transmise par endossement ;

- Le preneur a la certitude que le tiré est disposé à payer la traite par son acceptation de celle-ci ;

- Le droit commercial applicable aux lettres de change, le droit cambiaire, établit la règle de
l'inopposabilité des exceptions.

Par ailleurs, elle est considérée comme un instrument de crédit dans la mesure où elle n'est pas
payable immédiatement. Le titre représente la créance, et le droit cambiaire confère des garanties
au porteur de la lettre de change. Le vendeur remet à l'escompte les lettres de change. Les lettres
de change sont ainsi utilisées comme effets commerciaux ou comme effets financiers.

La lettre de change se démontre ainsi un instrument flexible et évolutif ; elle intégra au fil des
siècles l’évolution du commerce avec celle de la finance. En devenant un instrument de
paiement, elle remplaça la monnaie- moyen fiduciaire- dans les transactions commerciales ; étant
un moyen de paiement scriptural. En incorporant l’escompte et le concept de l’intérêt, elle
incorpora le socle de la finance. Elle devint un instrument de crédit qui n'est pas payable
immédiatement. En tant que tel, le titre représente la créance ; le droit cambiaire confère des
garanties au porteur de la lettre de change et le vendeur peut la remettre à l'escompte. Les lettres
de change sont ainsi utilisées comme effets commerciaux ou comme effets financiers.

La traite continue encore aujourd’hui à jouer un rôle important dans le commerce international ;
à ce titre, une Convention onusiennes sur les lettres de change internationales et les billets à
ordre internationaux a été adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre
1988.

5
ROOVER Raymond, évolution de la lettre de change XIV -XVIII èmeS, lib. Armand Colin, Paris, 1953

6
En effet, le vendeur peut choisir d’émettre une lettre de change internationale pour obtenir le
règlement de sa marchandise à la date prévue lors de la conclusion du contrat commercial. La
prépondérance des effets de commerce demeure amplement significative à l’international,
permettant aux entreprises de sécuriser leurs transactions commerciales tout en gérant de manière
efficace leur trésorerie.

En cas de litige commercial, l’effet de commerce matérialise une dette à payer. C’est, alors, au
droit commercial et notamment le droit de change (ou droit cambiaire) qui s’applique pour
obtenir le paiement tel que stipulé dans le contrat commercial.

Le constat établi aujourd'hui est que la majeure partie des traites sont escomptées par les banques
et il est rare, si ce n'est improbable, de croiser une traite qui circule en dehors du circuit bancaire.

Nous estimons que cette pratique est le résultat du rattachement aux textes d'une convention
élaborée un siècle auparavant6 et ne répondant plus aujourd'hui aux standards et exigences
modernes, ce qui a pour conséquences de dénaturer cet instrument conçu initialement pour
circuler entre les commerçants de son esprit originel, le rendant ainsi un énième instrument
profitant aux institutions bancaires.

Dans ce cadre, la problématique qui s’impose de prime abord, et selon notre humble avis, peut
être formulée comme suit : en vue d’un mécanisme d’émission et de circulation de la lettre de
change qui s’avère vulnérable au point de dénaturer l’instrument, quelles mises à jour
réglementaires et techniques pourraient remettre à cet instrument utile sa notoriété d’échange de
valeurs garanti ?

Pour présenter un éclairage sur la question, nous élaborons en un premier temps sur les failles
systémiques, d’une perspective réglementaire et pratique sur l’état actuel de la législation
concernant la lettre de change (I), pour enchainer sur l’évolution logique de l’ère du temps ; la
digitalisation (II).

6
« Convention portant loi uniforme sur les lettres de change et billets à ordre », Genève 1930.

7
PARTIE I
DÉFAILLANCES ET CONSÉQUENCES DE LA CONCEPTION
MATÉRIELLE DE LA LETTRE DE CHANGE
Le modèle de lettre de change tel que prévu par le livre III du Code de Commerce actuel reste
rattaché aux dispositions de la Convention portant loi uniforme sur les lettres de change et billets
à ordre. Les dispositions de cette convention n’ont que très peu évolués depuis sa conclusion en
1930, et s’adaptent difficilement aux exigences actuelles presque un siècle plus tard, en réalité
les notions rattachées à cet instrument telles que la signature sur le recto ou l’endossement sur le
verso exigent que cette traite soit établie sur un support papier que nous considérons comme
précaire (Chapitre I). La conséquence est qu’aujourd’hui les commerçants se sont tournés vers
banquiers pour quelque part se défaire de la responsabilité liée à la possession des traites, ce qui
a érigé les institutions financières comme uniques traitants d’un instrument crédit créé
initialement pour les commerçants (Chapitre II).

Chapitre I
Défaillance théorique : La précarité du support papier.

Les instruments de paiement et de crédit en général et la lettre de change en particulier jouent un


rôle important dans le monde des affaires et de commerce.

Dans le souci de réglementer et organiser la lettre de change, le législateur marocain a soumis cet
instrument à des conditions de forme et de fond tout en réglementant certaines pratiques et
principes.

Pour qu’un instrument de crédit soit qualifié de lettre de change, il faut obligatoirement qu’un
certain nombre de mentions soient portés sur un titre papier, c’est tout ce formalisme qui lui
procure son caractère cambiaire.

Cependant, il se trouve que le support papier ne procure pas suffisamment de sécurité et crée une
certaine incertitude puisque son caractère matériel l’expose à certains risques tels que le vol, la
perte, l’altération, ou d’autres pratiques frauduleuses telles que la fausse signature.

8
1 - La fausse signature :

L’une des principales failles de la conception traditionnelle de la lettre de change est la fragilité
du support papier qui peut faire l’objet d’une fausse signature.

Le tireur dont la signature a été contrefaite n’est pas obligé. Celui-ci peut opposer la nullité
résultant de la contrefaçon de la signature au porteur même si ce dernier l’a acquis de bonne foi.

Cependant cette nullité ne s’étend pas à l’ensemble de de l’opération cambiaire à cause du


principe de l’indépendance des signatures. C’est à dire que le tireur victime de la fausse signature
n’est pas engagé tout le contraire pour les autres signataires de la lettre de change qui restent
engagés cambiairement.

2 - L’altération de la lettre de change :

La conséquence de la fragilité du support papier est qu’il ne sécurise pas la lettre de change après
son émission contre la falsification ou la modification sans le consentement du tireur.

L’altération peut porter sur un élément quelconque de l’opération cambiaire. Il peut s’agir le nom
du bénéficiaire, l’échéance ou le montant7.

L’article 227 du code de commerce détermine les conséquences de l’altération frauduleuse.

Ainsi « en cas d’altération du texte de la lettre de change, les signataires postérieurs à cette
altération sont tenus dans les termes du texte altéré les signataires antérieurs le sont dans les
termes du texte original ».

Cet article qui est une pâle copie de son homologue français est quelque peu mystérieux, en effet
il est difficile de concevoir qu’une même traite puisse produire des effets différents à l’égard de
ces signataires et ce d’autant plus que la notion d’altération reste floue. La question qui se pose
est de savoir quelle est la portée de cet article ? Est-ce que cela concerne l’altération de la
signature ? L’altération du nom d’un signataire ? L’altération du montant indiqué ? Abstraction
faite de ces problèmes techniques reste toujours la question de comment s’assurer des termes du
texte original si la traite avait été émise en un exemplaire unique.

7
BENNIS Meryem, Lettre de change : Création, Casablanca, Lexis MA, 2019, p.8

9
3 - Le vol ou la perte de la lettre de change :

Comme tout objet physique destiné à circuler et être translatif de propriété, la lettre de change
peut-être perdue ou volée. Ceci remet encore une fois en question la sécurité du support papier
ainsi que les conséquences qui peuvent en découler.

En cas de vol par exemple, le porteur illégitime peut se présenter au tiré à l’échéance pour se
faire payer.

Pour pallier les risques liés à la perte ou au vol de la lettre de change, le législateur a prévu des
dispositions pouvant empêcher le porteur illégitime de se faire payer par le tiré, mais aussi
permettre au porteur légitime d’exiger le paiement.

Pour empêcher le porteur illégitime de se faire payer, la loi autorise le porteur ayant perdu le titre
de faire opposition auprès du tiré (art 189 du code de commerce).

La dépossession du porteur par la perte ou le vol n'entraîne pas l’extinction de sa créance. Le


porteur dépossédé peut obtenir le paiement :8

- sur autorisation du président du tribunal

- faire l’opposition aux mains du tiré

- justifié de sa propriété de la lettre de change

- Et donné caution

Malgré cette possibilité faite au porteur dépossédé de se faire payer, nous pouvons soulever
quelques problématiques. En cas de vol ou perte de titre il y a une grande chance que le porteur
illégitime se fasse payer avant même que le porteur légitime s’en rendre compte et fasse
opposition.

Pour ce qui est de l’obtention de l’autorisation du président du tribunal, il y a un risque que le


porteur dépossédé soit déchu de la plupart des recours cambiaire s’il n’arrive pas à payer caution
et obtenir l’autorisation du président du tribunal de commerce si la lettre de change à jour fixe est

8
- EL OUFIR Chakib, Les instruments de paiement et de crédit, Cours polycopié destiné aux étudiants de la FSJES
Agdal, Rabat, 2019, p.18

10
payable le jour indiqué ou dans les cinq jours qui suivent, à moins qu’il opte dès le départ pour
une procédure de requête aux fins d’injonction de payer, en saisissant le président du tribunal de
commerce. Si la créance paraît exigible et justifiée au président en tout ou en partie, il rend une
ordonnance faisant droit à la demande. Dans le cas contraire, si la rejette la demande est rejetée
par une décision motivée, cette décision n’est susceptible d’aucun recours.

Concernant la caution, il faudra que le porteur dépossédé soit en mesure de la payer pour obtenir
le paiement de la lettre de change.

Dans le souci de minimiser les risques liés à la perte ou le vol de la lettre de change, le
législateur a eu l’ingénieuse idée de permettre que la lettre de change soit tirée en plusieurs
exemplaires.

4 - La pluralité des exemplaires et des copies :

La pluralité des exemples et de copies est l’une des solutions palliatives que le législateur a
trouvées pour faire face aux risques liés à la perte ou le vol de la lettre de change.

L’article 222 du code de commerce prévoit que : « la lettre de change peut-être tirée en plusieurs
exemplaires identiques ».

Si la pluralité des exemplaires et des copies est perçue comme une solution permettant le porteur
ayant perdu le titre lettre d’en présenter un deuxième au paiement, cette pratique présente un
risque de fraude car les différents exemplaires d’une même lettre de change, peuvent faire l’objet
de plusieurs négociations auprès de personnes différentes et engendrer ainsi un risque de double,
voire de triple paiement9. Surtout que l’alinéa 2 de l’article 22210 du code de commerce considère
un exemplaire non numéroté comme une lettre de change distincte. D’où la nécessité de
numéroter les exemplaires.

Le paiement sur un des exemplaires est libératoire sans qu’il n’annule pour autant l’effet des
autres exemplaires conformément à l’article 223 du code de commerce : « le paiement fait sur un
9
BENNIS Meryem, op.cit., note (1) p.10
10
L’article 222 du Code de Commerce dispose : « Ces exemplaires doivent être numérotés dans le texte même du
titre ; faute de quoi chacun d’eux est considéré comme une lettre de change distincte ».

11
des exemplaires est libératoire alors même qu’il n’est pas stipulé que ce paiement annule l’effet
des autres exemplaires. Toutefois, le tiré reste tenu à raison de chaque exemplaire accepté dont il
n’a pas obtenu la restitution.

L’endosseur qui a transféré les exemplaires à différentes personnes ainsi que les endosseurs
subséquents, sont tenus à raison de tous les exemplaires portant leur signature et qui n’ont pas été
restitués ».

Ceci nous mène à d’autres problématiques concernant le sort des exemplaires non restitués au
tiré ou au tireur soit par mauvaise foi de leurs porteurs ou pour toutes autres raisons frauduleuses.

Force est de constater que la matérialisation de la lettre de change dans un support papier la rend
vulnérable et sujette à des problèmes de sécurité et de fiabilité. Il est évident que le législateur a
pensé à toutes ces problématiques éventuelles et leur a conçu des solutions possibles. Cependant
la majorité de ces solutions apportées restent tributaires d’un certain nombre de paramètres dont
notamment la bona fide des parties. Ce que nous essayons de véhiculer à travers notre réflexion
est que toutes ces failles et risques sont inhérents au matérialisme même de la lettre de change et
son quelque part inévitables, certes les solutions apportées se défendent mais il est indubitable
qu’un nombre important de ces problèmes auraient pu être évités par des moyens informatiques
plus fiables et correspondants aux standards de cette ère.

Face à tous ses risques, l’usage a fait que les commerçants se sont tournés vers les banques pour
le traitement des traites, c’est ainsi que l’opération d’escompte s’est érigée comme norme et
opération quasi systématique au profit des institutions financières.

Chapitre II
Conséquences pratiques : Systématisation de l’escompte

La transmissibilité est sans nul doute la caractéristique la plus importante des effets de
commerce, ainsi par voie d’endossement peuvent être effectuées des opérations de garantie ou
des opérations translatives de la propriété du titre cambiaire.

12
L’opération d’escompte se fait par le porteur qui a besoin de liquidités avant l’échéance de la
lettre de change, cet escompte est effectué en contrepartie d’agios au profit de banque, ils se
composent de la TVA, de la commission de manipulation ainsi que du montant de l’escompte.

Le Code de commerce marocain (15-95 du 1er août 1996) définit l’escompte 11 à l'article 526
comme suit : « L'escompte est la convention par laquelle l'établissement bancaire s'oblige à payer
par anticipation au porteur le montant d'effets de commerce ou autres titres négociables à
échéance déterminée que ce porteur lui cède à charge d'en rembourser le montant à défaut de
paiement par le principal obligé. L'opération comporte, au profit de l'établissement bancaire la
retenue d'un intérêt et la perception de commission ».

Ainsi, l'escompte permet au porteur de la lettre de change, titulaire d'une créance à terme, de
mobiliser avant terme, les créances qu'il détient sur sa propre clientèle, en les cédant à un
fournisseur de crédit dénommé l'escompteur (le plus souvent la banque) : ce dernier lui avance le
montant de la créance à terme, contre son transfert en propriété, moyennant une rémunération et
sous réserve d'encaissement à l'échéance.

L’intérêt d’une telle opération est qu’elle permet une sécurité en raison de ses garanties
cambiaires ainsi que par les avantages attachés à la propriété du titre. La banque peut par voie de
réescompte, mobiliser le titre auprès de la banque centrale (Bank al Maghrib), en vue d’amortir
ses moyens de trésorerie.

La nature juridique de l'escompte a suscité de nombreuses controverses doctrinales, partout dans


le monde12. Une partie de la doctrine française analyse l'escompte comme une cession de créance
tandis qu’une autre partie de la doctrine qualifie l'escompte de prêt sur titre garanti par la remise
d'un effet ou d'une créance.

 Cette dernière qualification met en évidence le fait que l'escompte est une opération de crédit.
Néanmoins, on ne peut assimiler l'escompte au prêt, qui théoriquement est un contrat unilatéral

11
Les titres escomptés sont des effets de commerce mais l'escompte peut porter sur d'autres titres comme le
bordereau de cession de créances professionnelles ou sur de simples créances. Sous réserve qu'il ne s'agisse pas
d'effets de complaisance, il suffit que le titre représente une somme d'argent. L'escompte s'applique à des créances
incorporées dans un titre (effets de commerce ou chèque)
12
BENNIS Meryem, Escompte, Casablanca, Lexis MA, 2019, p.4

13
contrairement à l'escompte qui a un caractère synallagmatique et commercial étant donné que la
remise du titre a pour contrepartie, la remise d'une valeur par la banque.

Abstraction faite de l’intérêt que nous portons pour l’aspect théorique de cette opération, il
s’apparente que par l’usage et la pratique cette opération est devenue une étape inévitable dans la
vie d’une traite. Les commerçants, n’étant pas certains de pouvoir recouvrer leurs traites à leur
échéance ont préféré remettre cette tâche aux institutions financières qui elles ont les moyens
pour y parvenir.

Résultat des courses, nous nous retrouvons face à un effet de commerce qui initialement a été
conçu pour les commerçants et à circuler entre eux, est devenu un instrument qui finit tôt ou tard
dans les tiroirs des banques.

Cette démocratisation de l’escompte a été quelque part profitable à quelques commerçants


malins qui grâce à des effets de complaisance et autres pratiques assimilables se servent des
lettres de changes comme instrument de déblocage de fonds et d’obtention frauduleuse de crédits
sans provision.

Ces effets de complaisance sont quelque part un simple effet collatéral de cet usage, les réels
bénéficiaires de la démocratisation de l’escompte sont naturellement les institutions financières
qui se sont érigées comme unique traitant des lettres de change et acteur incontournable pour leur
recouvrement. Ainsi, cette traite qu’on définissait comme un écrit « par lequel le tireur donne
l’ordre au tiré de payer le bénéficiaire ou porteur », peut dans l’état actuel des choses être
révisée pour dire « le tireur donne l’ordre au tiré de payer la banque ».

Les banques qui se sont retrouvées face à un nombre massif de traites à escompter ont dû, avec
l’avènement de l’ère du numérique et des monnaies fiduciaires, œuvrer pour la digitalisation de
cet effet de commerce afin qu’il soit traité et centralisé dans un système interbancaire de
télécompensation, réduisant ainsi sa circulation dans un circuit bancaire et la dénaturant de son
esprit qui voulait que ce soit un instrument conçu pour les commerçants.

14
PARTIE II
LA DIGITALISATION ET FIABILISATION DE LA LETTRE DE
CHANGE
Nous avons pu voir à travers la précédente partie que la précarité du support papier de la lettre de
change dans sa conception matérielle est susceptible de créer un certain sentiment d’insécurité et
d’incertitude face au sort de la traite. Pour remédier à cela, les commerçants pour qui une lettre
de change est un instrument incontournable dans l’exercice de leurs activités, se sont tournés
vers les banques pour déléguer le traitement de leurs traites.

Les banques se sont donc retrouvées face à un nombre volumineux de lettres de change entre les
mains et ont donc dû trouver un moyen efficace pour leur traitement de masse. Dans un contexte
historique où la mondialisation du numérique était à son essor et où les monnaies fiduciaires
étaient dans leurs prémices, les premiers paradigmes de Lettre de Change électronique se sont
imposés par l’usage et non par le droit.

Ces modèles de Lettre de Change qui depuis n’ont que très peu évolué depuis cette époque ont,
pour s’adapter aux dispositions de la convention de Genève et aux exigences du droit cambiaire,
conservé le papier comme support de base, nous appelons leur homologue marocain Lettre de
Change Normalisée (Chapitre I). Contrairement à la lettre de change, la technologie depuis cette
époque n’a pas stagné et nous nous retrouvons aujourd’hui avec entre les mains des moyens
techniques permettant la dématérialisation totale des traites pouvant redonner aux traites plus de
sécurité et de crédibilité ainsi que leur esprit initial purement commercial (Chapitre II).

Chapitre I
La lettre de change normalisée : Un premier pas dans la digitalisation

Face aux diverses lacunes sécuritaires que présente la conception de la lettre de change telle que
prévue dans le livre III du code de commerce ou dans toute autre législation qui serait toujours
rattachée aux dispositions de la convention de Genève, un modèle électronique de la lettre de
change est apparu sans toutefois déroger à la réglementation en vigueur. C’est en adaptant les
technologies de leurs époques aux textes que les premiers modèles de lettre de change

15
électronique sont apparus à l’étranger avant l’avènement d’un tel paradigme en droit marocain
appelé lettre de change normalisée.

La lettre de change normalisée peut être définie comme étant une lettre de change respectant les
règles de forme et format contenues dans la lettre circulaire relative à la lettre de change
normalisée, en vue de son traitement informatique dans le cadre de la compensation des
valeurs.13
Concrètement ces règles consistent en la disposition d’un certain nombre de mentions
obligatoires14 dans des espaces strictement précisés pour des raisons techniques par la circulaire
LC 41/DOMC/07, dont l’objet est d’une part d’assurer la présence de toutes les mentions
obligatoires d’une lettre de change classique et d’autre part d’uniformiser son format afin qu’il
soit adapté aux instruments informatiques conçus pour l’automatisation de son traitement.

Ce modèle de traite est assimilable à la Lettre de Change Relevé – Papier du droit français à
quelques nuances près, les données de la LCR sont recopiées manuellement par le banquier dans
un fichier informatique, là où le formalisme d’une LCN permet sa numérisation et son envoi
dans le SIMT.

La digitalisation de la LCN s’inscrit notamment dans une optique de traitement de masse, avant
d’analyser limites que présente cet effet de commerce bridé et dénaturé de son esprit (2), et de
s’intéresser au point de vue de Bank Al-Maghrib (3), il convient de mettre en exergue son
mécanisme ainsi que sa nature juridique (1).

1 – Mécanisme et nature juridique de la LCN

Le fonctionnement d’une LCN trouve son fondement dans la Convention Interbancaire sur
l’échange dématérialisé de la lettre de change normalisée. Ce dernier suppose la participation de
plusieurs acteurs avec la banque comme premier protagoniste.

13
C’est la définition apportée par l’article premier de la Décision Réglementaire Relative à la Lettre de Change
Normalisée D.20/G/2007
14
Voir annexe N° 1

16
En premier lieu le tireur remet une LCN papier respectant les conditions de forme précédemment
citées à son banquier (1)15, ce dernier doit s’assurer du respect des conditions de formes
nécessaires à sa validité avant de procéder à sa numérisation (2). L’image alors injectée dans le
système interbancaire de télé-compensation16, parviendra à la banque du tiré (3) qui a
l’obligation de s’assurer de la régularité de sa lettre de change ainsi que de la situation de son
client avant que ce dernier n’approuve par ordre écrit le paiement 17 (4) qui s’opérera dans le
cadre du système national unique de télé-compensation et de règlement centralisé et uniformisé
au lendemain de la date d’échange électronique (5).18

(Mécanisme de la LCN dans le SIMT)

Il faut toutefois noter que conformément à l’article 4.1.1 de la convention interbancaire, en


conséquence de la dématérialisation, le tiré ne reçoit plus après règlement le support papier de la
LCN, ce qui déroge au premier alinéa du code de commerce. Le débit inscrit sur le relevé de
compte de ce dernier sera la preuve du règlement.

L’intérêt d’un tel instrument réside au-delà du traitement massif de lettres de changes 19, dans sa
centralisation dans un système interbancaire unique apportant d’une part plus de sécurité et de

15
Cette opération sera assimilée soit à une opération d’escompte en cas de débloquement de fonds en contrepartie
d’agios, soit à un endossement par procuration qui conformément aux dispositions de l’article 172 du code de
commerce sera mandaté pour le recouvrement de la traite.
16
Voir annexe N° 2
17
L’article 185 du Code de Commerce dispose que « Le tiers domiciliataire de la lettre de change n'est tenu au
paiement de celle-ci que sur ordre écrit du tiré. »
18
Remarque : Selon le rapport de BAM de 2018 15,4 % des traites ont été rejetées, le plus souvent c’est pour cause
d’insuffisance de provisions.
19
Il s’agirait selon le rapport de BAM de 2018 de 6% des échanges interbancaires, soit près de 4 millions de traites.

17
contrôle. En effet si l’on se réfère au contenu du site web officiel du GSIMT 20, les objectifs de la
dématérialisation des moyens de paiement s’articulent autour de quatre principaux axes. -
Premièrement, ce processus doit permettre de sécuriser les transactions, objectif qu’on peut
qualifier d’acquis de facto puisque le traitement des LCN relève de la compétence des
institutions bancaires.
- En second lieu, la dématérialisation permettrait de réduire les délais de recouvrement étant
qu’elles sont traitées par des systèmes informatiques de façon automatisée.
- Troisièmement, la dématérialisation des lettres de changes permet leur traçabilité puisque leur
circulation se passe au niveau du circuit interbancaire, chose qui permet quelque part de se
conformer par la même occasion à la recommandation n° 16 du GAFI.
- Le dernier objectif est la facilité de l’archivage des données, l’établissement remettant est dans
l’obligation de conserver le support physique de la lettre de change pendant 10 ans, durée
pendant laquelle le GSIMT assure l’archivage de leur image.

La dématérialisation de la lettre de change permet également la réduction de certains des effets


dus à la précarité du support papier de la lettre de change dans sa conception traditionnelle, il
n’en demeure pas moins que la LCN n’est que le premier pas de sa digitalisation et que le
modèle actuel présente quelques limites entravant sa perfection.

2 – La LCN : Une lettre de change bridée ?

Il s'apparente au fait que le paradigme actuel de LCN ne permet qu’une dématérialisation


partielle. La digitalisation intégrale de cet instrument est entravée par la nécessité d’un support
papier, d’une signature ainsi qu’une valeur probatoire d’un document électronique devant une
cour21.

Certains pays ont déjà tenté de mettre en place un système de lettre de change entièrement
dématérialisé, c’est le cas de la France avec sa LCR Magnétique. Bien qu’elle porte la
dénomination lettre de change, la LCR Magnétique n’est pas considérée pour autant comme un

20
GSIMT, Dématérialisation, https://www.gsimt.ma/dematerialisation, Consulté le 6 Mai 2022
21
PONZA Andrea, SCANNAPIECO Simone, SIMONE Anna & TOMAZZOLI Claudio, "Envisioning the Digital
Transformation of Financial Documents : A Blockchain-Base Bill of Exchange", Article de la conférence
Blockchain and Applications, Ávila, Springer International Publishing, 2020, pp. 81-90. https://doi.org/10.1007/978-
3-030-52535-4_9

18
effet de commerce.22 En effet les règles de droit cambiaire exigent l’existence d’un support
papier23, ce formalisme pur et dur a pendant longtemps été considéré par la doctrine comme un
formalisme probatoire, pourtant à l’heure actuelle les progrès faits en matière de signature
électronique permettent une authenticité supérieure à celle d’une signature manuscrite.24 La LCR
magnétique a donc été créée pour reproduire le mécanisme d’une LCR papier qui serait
totalement dématérialisée, elle sera selon le contrat conclu avec le banquier soit qualifiée en tant
qu’escompte d’une créance ou de mandat de recouvrement de créance et ne pourra donc
bénéficier d’aucune garantie cambiaire.25

Bien qu’elle anéantisse entièrement les inconvénients liés au titre papier, la LCR magnétique
conserve les limites de la LCN dus à sa centralisation dans le système interbancaire. Cette
centralisation a pour conséquence de limiter sa circulation au sein de ce dernier. Ce paradigme
dénature cet effet de commerce de son esprit originel qui veut qu’elle soit un instrument voué à
circuler entre les commerçants.

La réalité est que les risques liés à sa conception traditionnelle accordent aux institutions
bancaires le monopole du traitement des traites d’où l’apparition entre autres des conventions
d’escompte.

3 – Position de Bank Al Maghrib


Chaque année, Bank Al Maghrib publie un rapport annuel sur les infrastructures des marchés
financiers et les moyens de paiement, leur surveillance et les initiatives d’inclusion financière.
Ce rapport constate entre autres à travers des chiffres l’utilisation des LCN dans l’économie
marocaine.

Il ressort du rapport de 2020 ainsi que des précédents que la proportion des LCN rejetées est en
constante évolution (18,05% en 2020) et ce principalement pour absence ou insuffisance de
provision. Ce qui tend à démontrer la fiabilité discutable de cet instrument dans sa conception
actuelle.
22
EMY Philippe, Droit Commercial : Instruments de paiement et de crédit, Paris, Éditions Bréal, 2010, p. 64.
23
BENNIS Meryem, op. cit., note (12). p. 6
24
Le Dahir n°1-07-129 du 30 novembre 2007 portant promulgation de la loi n°53-05 relative à l'échange
électronique des données juridiques (la "Loi 53- 05") a doté le Maroc d’un arsenal juridique reconnaissant la validité
et la force probante de l'écrit sous forme électronique et de la signature électronique et a instauré des conditions
d’équivalence entre la signature manuscrite et la signature électronique.
25
EMY Philippe, op. cit., note (22). p. 65.

19
A ce même titre BAM parle dans un paragraphe de son rapport, qui semble être copié et collé
chaque année de « rétablir une relative crédibilité de ce type d’instruments » à travers la mise en
place de mesures dissuasive dont la finalité serait de prévenir contre les incidents de paiement.
Difficile de savoir de quoi il s’agit précisément puisqu’au même titre que les propositions
d’amendements du Code de Commerce dans ce sens, les textes sont introuvables.

Ce qu’on peut naturellement conclure c’est que la position de Bank Al Maghrib est clairement en
faveur d’une refonte de cet instrument, ce même rapport démontre son importance pour les
commerçants à travers le la proportion de traites émises. Il aurait été appréciable d’analyser ces
fameuses proportions de BAM afin de savoir de quoi il en est, ce qui reste néanmoins certain
c’est que les progrès de la technologie ainsi que du droit donnent de bons espoirs pour la
modernisation de la lettre de change.

Chapitre II
Dématérialisation totale de la LC

A ce niveau de notre raisonnement, nous avons pu illustrer quelques risques inhérents relatifs à
l’émission ainsi qu’à la circulation de la LC. Le problème n’est pas strictement dû à la
réglementation, ni au support présumé de la LC (papier), mais c’est bien la combinaison des
deux qui s’avère problématique. L’état des lieux fait que la LC dans son état actuel se prête bien
aux mauvaises pratiques constatées ; certes, un couteau est un outil bien utile, mais ils se prête à
devenir une arme blanche par sa propre nature.

Nous constatons que les tentatives de mitiger ces risques sont surtout entreprises par le secteur
bancaire26. Nous ne pouvons léguer le Droit à des entités dont la motivation première de toute
action est le profit. En effet, il est facile de constater que la banque promulgue des directives
pour résoudre les problèmes de la banque. Ces solutions brident les fonctions de la LC pour ne
pas dire qu’elles la dénaturent carrément ; la LC en devient une reconnaissance de dette traitée de
sa conception à sa maturité dans un circuit strictement bancaire. Bien qu’au moment de sa
création la LC (normalisée, ou relevé) incorpore tous les droits de la LC classique, aussitôt

26
BAM , Décision Réglementaire Relative à la Lettre de Change Normalisée, 2007

20
qu’elle entre dans la banque, le titre est bloqué (tronqué) 27. Ce circuit bancaire qui prend la relève
est fermé au commerçant.

La dématérialisation totale de la LC est effective au point où on en est. Le problème est que


l’instrument s’en retrouve devenu autre. Le paradigme du document centralisé ne répond pas aux
dispositions concernant la LC comme décrite et élaborée dans le Code de commerce. La LC qui
transpire de la réglementation est par le commerce pour le commerce ; où l’établissement de
crédit n’est qu’un intermédiaire en sa qualité de tiroir-caisse ; la LC reste un titre négociable
représentatif d’un droit de créance exigible à échéance déterminée, tout simplement. Ce droit de
créance est émis et circule entre des paires sans intervention d’autorité centrale, si ce n’est le
législateur qui dessine son cadre légal et juridique. Ceci dit, notons que la LCN, la LCR ainsi que
la LC magnétique sont filles de leur contexte technologique, elles ont effectivement été des pas
vers l’avant.

La LC reste essentielle au commerce. L’instrument a incorporé pratiquement toutes les


révolutions financières du moyen-âge à la fin du 20e siècle. Ceci-dit, nous en sommes arrivé à un
point où le formalisme qui dépend du support papier rend les parties vulnérables aux actes
frauduleux, ainsi qu’à la lenteur des procédures bureaucratiques (surtout s’agissant de commerce
international) et enfin leur coût. La standardisation de la LC dans la convention de Genève est
certes un bel effort mondialiste, mais le fait que les mêmes dispositions soient toujours le repère
et la boussole ralenti le commerce plutôt que ne le facilite. Notons que le papier en tant que
medium de cet acte n’est que sous-entendu dans le Code de commerce marocain ; ce sont surtout
les mentions de « signature », de « recto », et « d’endossement » qui impliquent le papier en tant
que support. On arriverait facilement à faire abstraction de ce medium et à appliquer la même
réglementation à un autre. La question de la digitalisation qui se pose, alors, concerne la
possibilité d’intégrer les nouvelles technologies, sans porter atteinte aux garanties légales de ce
titre, et surtout pas à ses propriétés et fonctions28.

27
FERNANDEZ-HERRAIZ Carlos, ESCLAPES-MEMBRIVES Sara, PRADO-DOMINGUEZ Antonio, « The
materialization of a bill of exchange on blockchain : An examination from economics, law and technology. », La
Corogne, 2020
28
ibid

21
En promulguant et en mettant en vigueur la loi n° 53-05 relative à l’échange électronique de
données juridiques en 200729, ainsi que la loi n° 43-20 relative aux services de confiance pour les
transactions électroniques en 202030, le législateur marocain s’est doté de l’arsenal juridique
nécessaire. Ces lois, après lecture, dépassent le mode de conception de l’outil et embrassent la
solution informatique en tant que telle ; équivalente à ce qui lui précède sur papier. Ainsi le
silence coupable de la BAM et le GSIMT après la « Décision Règlementaire Relative à la Lettre
de Change Normalisée » est parfaitement dépassé ; le modèle en est centralisé, bride l’instrument
au point de le dénaturer, et n’est tout « bénef » que pour la banque. Le progrès technique ne s’est
pas arrêté le 27 février 2007.

Comme tout instrument financier, nous soutenons que la LC fait face à la digitalisation complète
ou la désuétude ; via substitution par un instrument certainement numérique qui remplit ses
principales fonctions. Ceci-dit, la LC se prête facilement à la digitalisation complète dans l’état
actuel de la réglementation combiné aux nouvelles technologies de l’information. Dans notre
essai, nous explorons une implémentation sur la chaîne de blocs (Blockchain) ainsi que ses
corollaires le contrat intelligent (Smart Contracts) et la technologie du registre distribué
(Distributed Ledger Technology : DLT).

Dans ce sens, quels avantages présenterait une LC électronique réglementée par le Code de
commerce national ainsi que les deux lois ; n° 43-20 et n° 53.05 ? Surtout, comment se
présenterait son cycle de vie d’un point de vue juridique et opérationnel ?

1 - Pourquoi la block Chain ?

Le choix n’est pas des plus évidents, si ce n’est le simple engouement qu’elle suscite; certes, les
applications de la BC hors de son domaine sont théoriques, ou au mieux, au stade d’études et
d’applications pilotes. Dans notre cadre elle présente des propriétés qui favorisent la

29
Promulguée par Dahir n° 1-07-129 du 19 Kaada 1428 (30 novembre 2007), BO N° 5584-25 kaada 1428 (6-12-
2007)
30
Promulguée par Dahir n° 1-20-100 du joumada I 1442 (31 décembre 2020), BO N° 6970-4 chaabane 1442 (18-3-
2021)

22
numérisation de la lettre de change tout en garantissant ses propriétés économiques et
juridiques31.

C’est la création de la crypto-monnaie « Bitcoin » qui a donné naissance à la Blockchain aux


environ de 2008-2009. Différents types de BC ont été développés depuis lors. Ceci-dit, la
technologie n’a cessé de fasciner les intervenants économiques par son concept et les promesses
de ses applications32. Nous nous restreindrons au DLT et au contrat intelligent dans notre essai ;
la BC et tout son potentiel est digne de toute un corpus littéraire et scientifique qui ne peuvent
être résumés aussi simplement.

La première propriété de la BC est le contrat intelligent qui devient unique à sa conclusion. En


effet, l’objectif premier de la technologie est de générer des jetons (tokens) de crypto-monnaies.
C’est via un contrat intelligent que ceci est fait ; ce jeton dans notre cas de figure serait la LC. Le
contrat est dit intelligent du fait qu’il dépasse le document électronique en incorporant les
données en parallèle avec les procédures et fonctions propres du titre. Ainsi, ce contrat
« programme » renforce toute règle de bonne pratique relative à l’effet et son exécution ; qu’il
s’agisse d’émission, de circulation, d’escompte, d’aval, etc… La bonne pratique fait partie
intégrante du contrat de par sa conception. En plus, c’est un programme qui ne va que de l’avant
dans son cycle de vie grâce au DLT.

Le registre distribué (DLT), lui, n’est pas sous le contrôle d’un seul opérateur, comme son nom
l’indique. C’est un registre en « ajout uniquement » (append-only) ; les données en sont donc
immuable après chaque opération, résistantes à la censure, inattaquables, inviolables et
synchrones sans l’implication d’aucun intermédiaire33, si ce n’est le réseau accessible aux
participants. Cette caractéristique d’altération du titre par l’ajout seulement améliore la sécurité
et l’intégrité des données dans un contexte sans confiance entre les participants membres du
réseau, ce qui simule parfaitement le mécanisme de transfert de la LC comme dans le Code de
Commerce. La confiance est mise dans le titre qui est détenteur d’une valeur intrinsèque.

31
Fernández-Herraiz et al, op. cit., p.6
32
TAKAHASHI Koji, “Blockchain Technology for Letters of and Escrow Arrangements”, The Banking Law
Journal, Février 2018, Volume 135 n°2, p 89-103.
33
Ibid.

23
Le cycle de vie de cette LC hypothétique est bien familier. Simulant celui de la LC classique, il
redonne le pouvoir et l’autorité aux signataires et remet la banque à sa place de témoin et
d’exécutant d’ordre.

2 - Modèle de cycle de vie d’une LC sur la BC34 :

Comme susmentionné, les lois 53-05 et 43-20 nous fournissent les outils élémentaires
nécessaires pour une telle entreprise. Ce qui manque par contre est l’écosystème dans lequel
notre LC va évoluer. Dans ce sens, la loi 43-20 dispose de l’aspect juridique concernant les
services de confiance et des transactions électroniques. Notre réseau, écosystème, peut être
envisagé comme une prestation du service de confiance qui est supervisé plutôt qu’administré.
Sur ce dernier point, même le réseau interbancaire peut s’avérer une bonne infrastructure.

Nous avancerons aussi la présomption qu’une autorité compétente de juristes et de


programmeurs logiciel ont développé le contrat intelligent noyau de la LCBC (Lettre de Change
en BlockChain). Cette autorité déploie sur le réseau de choix cette solution ainsi que toutes les
interfaces d’interaction nécessaires aux utilisateurs de la LCBC. Cette solution est, bien sûr,
développée selon le standard compatible au formalisme impliqué par la réglementation ainsi que
toutes les procédures nécessaires pendant l’évolution de la LC sujette aux altérations ultérieures
au cours de sa circulation en tant que jetons dans un réseau BC. Dans le monde du logiciel, les
mentions sont des données, les opérations des algorithmes, et les décisions des évènements.

Nous présenterons un modèle de cycle de vie sommaire en trois phases : émission, circulation, et
paiement à échéance35.

34
Inspiré du modèle élaboré par les auteurs Fernández-Herraiz et al, op. cit., p.14-16
35
Bien que les schémas dans notre essai utilisent des formes reconnues, ces dernières ne sont mises en page que
pour l’illustration et ne suivent pas les standards et règles de formats de ces outils. Nous essayons aussi de minimiser
le commentaire que chaque schéma nécessiterait en incluant le texte dedans.

24
a. Emission :

A ce moment, si le tiré accepte le formulaire de lettre de change une LC unique est créée comme
jeton qui incorpore les identités numériques du tireur, du tiré, de l’heure, la date, etc…
reformulée tous pour créer par les moyens de cryptographie le premier bloc de la chaîne que
personne ni rien ne pourra attaquer, nier, ou effacer, du fait que tous les participants du réseau y
ont accès puisque le registre contenant ce contrat est distribué.
Le rejet par le tiré arrête le processus et aucun jeton n’est créé.

b. Circulation :

25
L’escompte peut être considéré comme étant un endossement par la banque. En effet, la banque
prend possession de la LC en tant que porteur (n+1) ; libre à l’établissement d’utiliser
l’instrument dans son propre intérêt comme la réglementation l’implique.

Ce qu’il faut noter c’est que chaque opération rentre dans la définition du contrat intelligent
noyau, et qu’à son exécution un bloc est ajouté à la chaîne. Cette dernière est mise à la
disposition de tous les participants dans le réseau en parfaite transparence. Le mécanisme ne
nécessite pas la confiance entre ses participants, toutes les données figurent d’ores et déjà de
façon immuable du simple fait d’être exécuté sur le jeton qui a sa valeur intrinsèque. L’aval entre
autres propriétés et fonctions de la LC classique peut être configuré comme toute méthode ou
algorithme.

26
c. Paiement à échéance: processus de collecte de liquidité simple.

Seul le défaut de paiement se profile à ce stade comme problématique, ceci dit, nous sommes
d’avis que le mandat contenu dans la LCBC soit exécuté dès que l’ordre du porteur en est
exprimé à échéance. De prime abord la banque doit avoir les fonds nécessaires, le problème de
défaut est entre la banque et son client (le tiré) ; ainsi, le commerce ne s’est pas arrêté une
seconde, et la procédure judiciaire ou de restructuration de la dette du tiré auprès de sa banque
peut être lancée. Le fait est que chaque altération de la lettre de change, ainsi que tous les
participants sont accessibles et peuvent être notifiés et invités à la résolution de tout problème
par un simple clic ; ce qui devrait être une fonctionnalité du contrat intelligent.

27
CONCLUSION

Un instrument aussi essentiel, démocratique et pratique que la LC ne devrait pas être légué à une
simple reconnaissance de dette au profit de la banque ; on dispose d’autres instruments qui
remplissent parfaitement cette fonction. La BC n’est qu’une technologie dans ce sens qui suscite
de l’engouement par son potentiel, si ce n’est de la dévotion parfois. Nous la faisons (BC) figurer
dans notre étude en tant que prise de contact pour le juriste qui va la rencontrer dans d’autres
contextes certainement, mais elle demeure un simple outil informatique. La numérisation d’un
scan de document ne nous lance pas dans la numérisation proprement dite, mais plutôt essaie de
projeter le papier dans un monde qui n’en a pas besoin. Un cheval est certes beau, mais une
voiture est beaucoup plus pratique.

28
ANNEXES
Annexe N°1 : Modèle de la lettre de change normalisée

(Source : LETTRE CIRCULAIRE RELATIVE A LA LETTRE DE CHANGE NORMALISEE LC 41/DOMC/07)

Annexe N°2 : Le système interbancaire Marocain de Télé-compensation

Bank Al-Maghrib, en concertation avec la communauté bancaire, a mis en place, en 2003, une
architecture de paiement de masse de référence au plan national, dénommée Système
Interbancaire Marocain de Télé-compensation (SIMT) pour le traitement automatisé des
instruments de masse relatifs à l’ensemble des moyens de paiement scripturaux, à l’exclusion des
transactions sur cartes bancaires.

Il s’agit d’une infrastructure de marché qui s’est substituée au système d’échange physique des
moyens de paiement scripturaux par le canal des chambres de compensation. Elle fonctionne sur
la base d’une compensation nette multilatérale, avec un règlement différé intervenant une fois
par jour en « monnaie banque centrale » sur les comptes centraux de règlement des participants
ouverts dans le Système des Règlements Bruts du Maroc.

Le SIMT a pour objectifs :

29
- Automatiser et de sécuriser les échanges interbancaires
- Réduire les délais de recouvrement
- Centraliser les soldes de règlement
- Améliorer la gestion de trésorerie de ses participants
- Dématérialiser totalement les échanges des valeurs

Source : Bank Al-Maghrib, Système Interbancaire Marocain de télé-compensation, Consulté en


ligne sur www.bkam.ma le 15/05/2022

30
BIBLIOGRAPHIE
❖ Bank Al-Maghrib, BAM. (2020) Rapport annuel sur les infrastructures des marchés
financiers et les moyens de paiement, leur surveillance et inclusion financière.

❖ BENNIS Meryem, « Escompte », Casablanca, Lexis MA, 2019, Consulté le 14/05/2022.


https://www.lexisma.com/doctrine/maroc/202

❖ BENNIS Meryem, « Lettre de change » : Création, Casablanca, Lexis MA, 2019,


Consulté le 12/05/2022. https://www.lexisma.com/doctrine/maroc/211

❖ EL OUFIR Chakib, « Les instruments de paiement et de crédit », Cours polycopié destiné


aux étudiants de la FSJES Agdal, Rabat, 2019

❖ EMY Philippe, « Droit Commercial : Instruments de paiement et de crédit », Paris,


Éditions Bréal, 2010.
❖ FERNANDEZ-HERRAIZ Carlos, ESCLAPES-MEMBRIVES Sara, PRADO-
DOMINGUEZ Antonio, « The materialization of a bill of exchange on blockchain : An
examination from economics, law and technology. », La Corogne, 2020 ,preprint disponible
sur:
https://www.researchgate.net/publication/348477806_The_materialization_of_a_bill_of_exch
ange_about_blockchain_an_examination_from_the_econmy_law_and_technology

❖ PONZA Andrea, SCANNAPIECO Simone, SIMONE Anna & TOMAZZOLI Claudio, «


Envisioning the Digital Transformation of Financial Documents : A Blockchain-Base Bill of
Exchange », Article de la conférence Blockchain and Applications, Ávila, Springer
International Publishing, 2020, pp. 81-90. https://doi.org/10.1007/978-3-030-52535-4_9
❖ ROOVER Raymond, « Evolution de la lettre de change XIV -XVIII èmeS », Paris, lib.
Armand Colin, 1953

❖ TAKAHASHI Koji, « Blockchain Technology for Letters of and Escrow Arrangements »,


New-York, The Banking Law Journal, Février 2018, Volume 135 n°2, pp. 89-103.

31

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