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Faculté des sciences juridiques,

politiques et sociales de Tunis

Les effets
De Commerce

Cours pour la 3ème année


Licence en droit privé
Les effets de commerce

Introduction
L’introduction de ce cours portera sur deux questions :
 La notion d’effets de commerce.
 Les spécificités du Droit cambiaire.

Section 1
La notion d’effets de commerce

La notion d’effets de commerce ne fait l’objet d’aucune définition


législative, ni en Droit Tunisien, ni en droit français.
Le législateur tunisien se contente d’employer cette expression dans
plusieurs textes surtout dans le Code de Commerce, sans pour autant en
donner une définition. Même lorsqu’on se réfère au Code, on constate que
le législateur n’a pas prévu une réglementation générale commune à tous
les effets de commerce. Il a simplement consacré le livre III du Code à
la réglementation « de la lettre de change, bu billet à ordre et du
chèque » sans prévoir des dispositions générales communes à ces 3 effets
de commerce.
A défaut de définition législative, c’est la doctrine qui a essayé de définir
cette notion en dégageant les éléments caractéristiques des effets de
commerce. C’est ainsi que le doyen Roblot a défini l’effet de commerce
comme étant « un titre négociable, qui constate l’existence, au profit de
son porteur, d’une créance de somme d’argent stipulée à court terme et
qui sert à son paiement ». Cette définition permet de dégager les
caractéristiques des effets de commerce ainsi que leurs fonctions et
permet d’établir une liste indicative de ces titres.

I. Les éléments caractéristiques des effets de commerce


Il ressort de la définition que l’effet de commerce présente 3
caractéristiques essentielles :
 Il s’agit d’un titre négociable,
 Qui a une valeur monétaire (sert au paiement d’une créance),
 Qui constate l’existence et assure le paiement d’une créance à court
terme.

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1. Le caractère négociable
Il signifie que les effets de commerce sont transmissibles par des
techniques de cession simplifiées plus rapides et plus efficaces que celles
du droit civil. En effet, la cession de créance est régie par les règles de
Droit commun et plus précisément, par les articles 204 et 205 du COC.
D’abord, l’article 204 prévoit que « la cession contractuelle d’une
créance, ou d’un droit ou d’une action, est parfaite par le
consentement des parties », mais, l’article 205 relatif à l’opposabilité et
l’efficacité de cette cession précise que « le cessionnaire n’est saisi à
l’égard du débiteur et des tiers que par la signification du transport
faite au débiteur, ou par l’acceptation du transport faite par ce
dernier dans un acte ayant date certaine ».
La cession est donc soumise à des formalités et des procédures lourdes
et couteuses (signification par huissier notaire, ou acceptation par acte
ayant date certaine), ce qui est incompatible avec les impératifs de la
vie commerciale et surtout la matière cambiaire qui nécessite la rapidité
des transactions. La transmission des effets de commerce doit se faire
par des procédures plus simples, plus rapides et moins couteuses car il
s’agit d’instruments de paiement et de crédit qui doivent circuler
rapidement en assurant au porteur le maximum de sécurité.
C’est pourquoi le droit cambiaire a privilégié des modes de transmission
plus simples et plus rapides que les modalités de la cession de créance
‫ﺣ ّﻮاﻟﺔ اﻟﺪﻳﻦ‬:

 L’endossement: une simple signature apposée, généralement, au dos


du titre avec sa remise au porteur.
 La tradition ‫اﻟﻤﻨﺎوﻟﺔ‬: la remise du titre de main en main (mais cela
suppose que le titre soit au porteur ou endossé au porteur, c’est-à-
dire sans indication du nom du bénéficiaire).
L'arrêt de la Cour de cassation civile n°46476 du 13/11/1997 a souligné
l'importance de ce caractère négociable en ces termes: ‫"ﺣﻴﺚ أﻧﻪ ﻣﻦ أﻫﻢ‬
ّ ‫ﺧﺼﺎﺋﺺ اﻟﻜﻤﺒﻴﺎﻟﺔ ﻗﺎﺑﻠﻴﺘﻬﺎ ﻟﻠﺘﺪاول ﺑﺎﻟﻄﺮق اﻟﺘﺠﺎرﻳﺔ أي‬
‫أن اﻟﺤﻘﻮق اﻟﺜﺎﺑﺘﺔ ﺑﻬﺎ ﺗﻨﺘﻘﻞ ﺑﻄﺮﻳﻘﺔ‬
‫اﻟﺘﻈﻬﻴﺮ أو اﻟﻤﻨﺎوﻟﺔ وﻳﻘﺒﻠﻬﺎ اﻟﻌﺮف اﻟﺘﺠﺎري ﻛﺄداة ﻟﺘﺴﻮﻳﺔ اﻟﺪﻳﻮن ﺑﺴﺒﺐ ﺳﻬﻮﻟﺔ ﺗﺤﻮﻳﻠﻬﺎ إﻟﻰ‬
."...‫ﻧﻘﻮد‬

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2. Le caractère monétaire
L'effet de commerce doit comporter l'indication de sa valeur en monnaie
parce qu'il constitue un instrument de paiement. Il constate une créance
en somme d'argent qui doit être certaine et liquide.
3. Le court terme
L'effet de commerce est un instrument de crédit à court terme. Ce court
terme n’a pas été défini par le législateur et la doctrine estime qu'il ne
doit pas dépasser 3 mois. Mais, dans la pratique, le terme des effets de
commerce dépasse souvent 3 mois. L’intérêt de respecter le court terme
c’est qu’il permet au porteur de l’effet de commerce de mobiliser sa
créance auprès d'une banque par la technique de l'escompte.
En principe, le porteur doit attendre l’échéance pour réclamer le
paiement au débiteur, mais, il peut obtenir un paiement anticipé, en
transmettant son effet à un banquier qui deviendra le porteur du titre et
attendra les 3 mois pour réclamer le paiement au débiteur. Le banquier
accepte cette mobilisation de la créance contre rémunération et après
déduction des intérêts.

II. Les fonctions des effets de commerce


Sur le plan économique, la fonction des effets de commerce, surtout de
la lettre de change (considérée comme prototype des effets de
commerce) a connu une évolution historique.
1. La fonction initiale: la fonction de transfert ou de change
A l'origine, le commerçant qui voulait se procurer du change dans un
autre pays, surtout à l'occasion des foires, s'adressait à son banquier pour
conclure un contrat de change, il lui remettait de l'argent, en
contrepartie le banquier lui remettait une lettre adressée au banquier
étranger lui donnant l'ordre de payer la somme indiquée au porteur de
la lettre de change avec la désignation de son nom.
L'utilisation de la lettre de change en tant qu'instrument de transfert
présentait un intérêt sur le plan de la sécurité car elle était nominative
et évitait à son porteur le transport risqué de l'argent.

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Actuellement, cette fonction est dépassée et le transfert d'argent se fait


par d'autres procédés plus modernes (virements bancaires, cartes de
paiement, chèques de voyage ...).
2. La fonction de paiement
La fonction économique de la lettre de change a évolué du moment où
elle a été utilisée pour effectuer un paiement dans le même lieu de son
émission, elle s'est détachée du contrat de change pour devenir un
instrument de paiement. Cette nouvelle fonction a pu se développer
grâce à certaines techniques juridiques telles que la possibilité de
circulation du titre par simple signature, alors qu'il était, au départ,
nominatif et ne permettait que le paiement de son porteur. Elle a été
renforcée par la sécurité et les garanties de paiement offertes par le
droit cambiaire.
Actuellement, cette fonction de paiement est plutôt assurée par le
chèque même si, théoriquement, la lettre de change peut être utilisée
comme instrument de paiement lorsqu’elle est payable à vue (dès sa
présentation).
3. La fonction de crédit
Les effets de commerce constituent des instruments de crédit à court
terme dans la mesure où le débiteur ne devra payer la somme indiquée
sur le titre qu'après une certaine échéance. C'est le cas essentiellement
de la lettre de change et du billet à ordre (contrairement au chèque qui
est utilisé comme instrument de paiement).
D'autant plus, le même titre peut assurer une chaine d'opérations de
crédit et de mobilisation de créances, puisqu'il peut circuler jusqu'à la
date de son échéance.

III. Enumération des effets de commerce

1. La lettre de change
C'est le prototype des effets de commerce, régie par les articles 269 et
suivants du Code de Commerce. Il s'agit d'un titre négociable qui peut
circuler par voie d'endossement et, souvent, utilisée comme instrument
de crédit à court terme.

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2. Le billet à ordre
Il s'agit également d'un titre négociable régi par les articles 339 et
suivants du Code de Commerce. C'est un écrit par lequel une personne
appelée souscripteur s'engage à payer, à une échéance déterminée, une
somme d'argent à l'ordre d'une autre personne appelée bénéficiaire.
En pratique, le billet à ordre est généralement utilisé dans le secteur
bancaire.
3. Le warrant
C'est une forme particulière du billet à ordre, accompagnée d'une
garantie donnée par le souscripteur parce qu'il confère au bénéficiaire
un nantissement sur des marchandises déposées dans un magasin général
(avec dépossession) ou dans les locaux du souscripteur (sans
dépossession).
4. Le chèque
Il est régi par les articles 346 et suivants du Code de Commerce.
L'appartenance du chèque à la catégorie des effets de commerce a été
largement discutée par la doctrine et il est, à priori, exclu de cette
catégorie dans la mesure où il est exclusivement un instrument de
paiement et non de crédit. C'est un titre payable à vue et sa provision
doit exister dès la date de son émission, à défaut, des sanctions pénales
sont prévues pour l'émission d'un chèque sans provision.
Mais, certains auteurs assimilent le chèque aux effets de commerce en
raison des ressemblances qu'il présente avec la lettre de change au
niveau du régime juridique applicable (formalisme, caractère négociable,
solidarité des signataires, droits et recours du porteur impayé ...).
D'ailleurs, les anglais définissent le chèque comme étant une lettre de
change payable à vue et tirée sur un banquier.
D'autres auteurs, par contre, contestent cette assimilation et insistent
sur la distinction entre les instruments de crédit et les instruments de
paiement.
À côté de ces effets de commerce traditionnels, la pratique a donné lieu
à d'autres formes telles que les bons de caisse émis par les banques, les
bordereaux de cession de créances professionnelles (qui permettent à

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une entreprise de céder par simple endossement ses créances


professionnelles à une banque qui lui en verse immédiatement le
montant), la lettre de change relevée (traduite sur une bande
magnétique qui va circuler et qui sera présentée au paiement) ...

Section 2
Les spécificités du droit cambiaire

Le Droit cambiaire est l'ensemble des règles qui régissent la lettre de


change et, par extension, les autres effets de commerce ‫ ﻗﺎﻧﻮن‬/ ‫ﻗﺎﻧﻮن اﻟﺼﺮف‬
.‫اﻟﺴﻨﺪات اﻟﺘﺠﺎرﻳﺔ‬

NB : selon le « Vocabulaire juridique », le terme cambiaire signifie ce qui


est relatif à la lettre de change et, par extension, aux autres effets de
commerce.
 Le rapport cambiaire est le rapport né de la lettre de change
 Engagement cambiaire: engagement résultant de la signature
apposée sur la lettre de change.
 Débiteur cambiaire: débiteur sur la base de la lettre de change.
Ce droit se caractérise par la rigueur et le formalisme.

I. La rigueur
La rigueur du droit cambiaire par rapport au droit commun tend à
protéger le porteur du titre et, surtout, à encourager la circulation et
assurer le paiement à l'échéance. Cette rigueur se manifeste à travers
plusieurs dispositions particulières :
1) Le droit cambiaire n'admet pas les conditions résolutoires ou
suspensives de paiement; l'ordre de payer ainsi que l'engagement de
payer doivent êtres purs et simples c’est-à-dire inconditionnels.
2) Il y'a une solidarité présumée entre tous les signataires de la lettre
de change pour garantir le paiement au porteur, alors, qu'en matière
civile, la solidarité ne se présume pas et doit être prévue de manière
expresse.
3) L'engagement cambiaire est soumis au principe de l'indépendance
des signatures, c’est-à-dire que chaque signataire est obligé par sa seule

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déclaration de volonté, matérialisée par sa signature, et ce


indépendamment de la régularité des autres signatures apposées sur le
même titre. Ainsi, par exemple, si le titre comporte une signature
émanant d'un incapable ou une fausse signature, seul cet engagement
serait nul, la validité du titre et des autres signatures n'est pas atteinte.
Les autres signataires ne peuvent se prévaloir de ce vice pour échapper
à leurs obligations.
4) L'échéance est de rigueur en matière cambiaire (article 338) et le
débiteur ne peut pas bénéficier d'un délai de grâce, alors qu'en matière
civile et commerciale, le juge peut accorder un délai raisonnable pour
l'exécution de l'obligation. Cette rigueur de l'échéance joue également à
l'égard du porteur lui-même puisqu'il doit respecter certaines obligations
pour réclamer le paiement à cette échéance.
5) Des procédures particulières doivent être respectées en cas de défaut
de paiement qui doit être solennellement constaté dans un protêt établi
par un huissier notaire et déposé au greffe du tribunal. (protêt faute de
paiement ‫)ﻣﺤﻀﺮ اﺣﺘﺠﺎج ﺑﻌﺪم اﻟﺨﻼص‬.
6) En matière de procédures et voies d'exécution, le porteur d'une lettre
de change impayée (qui a respecté ses obligations à l'échéance) peut
obtenir, contre le tiré accepteur et les autres signataires du titre, une
injonction de payer exécutoire 24H après sa notification, nonobstant
appel. Il s'agit donc d'une simplification des procédures et une rapidité
dans le recouvrement.
7) Des poursuites pénales peuvent être engagées contre le tireur d'un
chèque sans provision (en cas d'inexécution d'une obligation civile).

II. Le formalisme cambiaire


Contrairement au consensualisme du droit commun où l'échange des
consentements des parties suffit pour la validité de l'obligation, c'est le
formalisme qui est consacré en matière cambiaire c’est-à-dire que la
validité de l'obligation est subordonnée au respect des formes
impératives déterminées par le législateur. Mais, il faut préciser que le
formalisme cambiaire se justifie par le rôle économique du titre en tant
qu'instrument de paiement et de crédit parce que c'est ce formalisme qui
garantit le paiement, facilite la circulation du titre et assure la

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protection et la sécurité juridique aussi bien pour le porteur que pour les
signataires du titre (il invite à la réflexion et permet à chaque signataire
de savoir avec précision l'étendue de son engagement).
Parmi les manifestations de ce formalisme :
1) Le fomalisme se manifeste notamment à travers l'article 269 du CC
qui exige des mentions obligatoires pour la validité du titre et prévoit
sa nullité, en tant que tel, s'il ne remplit pas les conditions prescrites par
la loi.
2) C'est la loi qui fixe la signification et la portée de chaque signature
apposée sur la lettre de change selon son emplacement, c’est-à-dire que
le législateur établit des présomptions de forme. Exemple: l'article 285
prévoit que « la simple signature du tiré opposée au recto de la lettre
vaut acceptation ».
 La simple signature au verso est présumée être un endossement.
 L'article 289 considère que toute autre signature au recto que celle du
tiré ou du tireur est présumée un aval (une garantie/une caution).
3) Les mentions qui ne sont pas insérées dans la lettre de change mais
dans d'autres documents (acte séparé) n'ont pas la valeur de
l'engagement cambiaire: principe de l'autosuffisance du titre (il doit se
suffire à lui-même).
4) Certaines notions sont définies par la seule référence à la forme et à
l'apparence. Exemple: la définition du porteur légitime selon l'article 279
du CC celui qui « justifie de son droit par une suite ininterrompue
d'endossements ». (il suffit donc de consulter le titre pour se prononcer
sur la qualité du porteur).
Ce cours portera sur l'étude de 3effets de commerce :
Titre I : La lettre de change.
Titre II : Le billet à ordre.
Titre III : Le chèque.

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Titre I
La lettre de change
Le législateur ne définit pas directement la lettre de change et se
contente, dans l'article 269 du CC, d'énumérer les mentions obligatoires
que doit contenir ce titre, tout en précisant qu'il s'agit d'un acte de
commerce par la forme « la loi répute acte de commerce, entre toutes
personnes, la lettre de change ».
Mais, il ressort de cet article qu'il s'agit d'un titre émis par une personne
appelée "tireur" et donnant à une autre personne appelée "tiré" l'ordre
de payer, à une échéance déterminée, une somme d'argent à une tierce
personne appelée "bénéficiaire" ou à l'ordre de celle-ci.
À partir de cette définition et des autres textes qui régissent la lettre de
change, nous pouvons dégager les différents aspects de ce titre qui
seront traités conformément au plan suivant :
Chapitre I : La création de la lettre de change
Chapitre II : La provision
Chapitre III : L'acceptation
Chapitre IV : L'endossement
Chapitre V : Le paiement.

Chapitre I
La création de la lettre de change
Avant d'étudier les conditions de création de la lettre de change (de
forme et de fond), il convient de s'arrêter sur le mécanisme de la lettre
de change pour comprendre les circonstances de sa création et la nature
des rapports qui en découlent.

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Les effets de commerce

Section 1
Les circonstances de création de la LC

§ 1  Le mécanisme de la lettre de change


Plusieurs questions se posent à partir de la définition de la lettre de
change :
 Pourquoi une personne crée une lettre de change?
 Pourquoi elle donne à une autre personne l'ordre de payer?
 Pourquoi la lettre de change est créée au profit d'une tierce
personne?
Pour comprendre ce mécanisme, on va prendre un cas concret en
raisonnant sur l'exemple de création d'une lettre de change à l'occasion
d'une vente à crédit : un commerçant A vend sa marchandise à un client B
pour le prix de 10 milles dinars. L'opération s'analyse juridiquement, à
l'origine, en un contrat de vente, et plus précisément, une vente à crédit
(c'est le cas le plus fréquent en pratique). Cette opération va se réaliser
techniquement au moyen d'un titre de crédit. C'est le vendeur A (créancier
de B) qui va créer un titre reconnaissant sa créance, il va donc tirer une
lettre de change sur son client B.
Ce dernier « accepte » généralement la lettre de change et s'engage à
payer à une certaine échéance (généralement dans 3 mois). L'intérêt du
tiré (l'acheteur) est évident : pratiquement, il ne paiera que dans 3 mois,
il va bénéficier, au moyen de la lettre de change, d'un crédit à court
terme. S'il s'agit d'un commerçant, il aura le temps de revendre la
marchandise avant que la lettre de change ne lui soit présentée au
paiement.
Mais, le vendeur émet la lettre de change dans son intérêt personnel parce
qu'il va l'utiliser pour régler ses dettes à l'égard d'une tierce personne (son
fournisseur ou le fabriquant), c'est pourquoi il va donner à l'acheteur
l'ordre de payer cette tierce personne C.
NB : Le tireur peut également émettre la lettre de change à son ordre,
en indiquant son nom en tant que bénéficiaire, et l'utiliser à son tour
pour se procurer du crédit auprès d'une banque par l'escompte (il
demande à un banquier, contre remise de la lettre de change, de lui

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avancer tout de suite la somme indiquée, après déduction de l'intérêt de


la créance, calculé d'après le temps restant à courir jusqu'à l'échéance et
d'une commission).
Le tireur peut ainsi mobiliser sa créance auprès de son banquier, ce qui
lui permet de bénéficier d'un crédit.
La chaine de crédit ne s'arrête pas là parce que le banquier peut soit
conserver la lettre de change jusqu'à l'échéance et la présenter au
paiement au tiré, soit la faire réescompter par un autre banquier ou par
la banque centrale.

A. Les personnes qui participent au mécanisme de la lettre de change


1. Le tireur
C'est la personne qui crée la lettre de change (le créancier ‫ )اﻟﺪاﺋﻦ‬et donne
l'ordre à une autre personne (le tiré) de payer, à une certaine date, une
somme d'argent à une 3ème personne (le bénéficiaire) ou à l'ordre de celle-
ci. Dans notre exemple, le tireur est le vendeur A.
2. Le tiré
C'est la personne qui reçoit l'ordre de payer à une autre personne. En
pratique, il accepte généralement cet ordre et s'engage à payer à
l'échéance. Dans notre exemple, le tiré est l'acheteur B.
3. Le bénéficiaire
C'est la personne au profit de laquelle la lettre de change a été émise,
celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait. Dans notre
exemple, le bénéficiaire est le fournisseur C.
NB : il peut y avoir intervention d'autres personnes puisque le
bénéficiaire peut également soit conserver la lettre de change jusqu'à
l'échéance et la présenter lui-même au paiement, soit, sans attendre
l'échéance, parce qu'il est lui-même débiteur à l'égard d'une 4ème
personne D transmettre la lettre de change à cette personne en
l'endossant à son profit. D devient le porteur de la lettre de change et
peut aussi l'endosser à l'un de ses créanciers... et ainsi de suite, jusqu'à
l'échéance.

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La lettre de change peut circuler jusqu'à son échéance. À cette date, elle
sera présentée au paiement par le dernier porteur au débiteur tiré (entre
temps, elle aura chaque fois servi à une nouvelle opération de crédit).

B. Les rapports entre ces personnes


La lettre de change établit 2 rapports juridiques entre 3 personnes (ou
un rapport triangulaire).
1. Le rapport entre le tireur (le vendeur) et le tiré (l'acheteur)
Il s'agit d'un rapport de créance ; le tireur est créancier du tiré. C'est
pourquoi il peut lui donner l'ordre de payer la lettre de change.
Cette créance du tireur contre le tiré s'appelle la provision.
NB : ce rapport de créance est extérieur au titre, il est généralement
préexistant c'est le rapport fondamental sur la base duquel a été émise
la lettre de change.
2. Le rapport entre le tireur (le vendeur) et le bénéficiaire (le fournisseur)
Il s'agit également d'un rapport de créance ; le bénéficiaire est créancier
à l'égard du tireur. C'est pourquoi le tireur émet la lettre de change au
profit du bénéficiaire.
Cette créance du bénéficiaire contre le tireur s'appelle la valeur fournie. Il
s'agit de l'équivalent qui a été fourni au tireur par le fournisseur, en
échange de quoi le tireur lui a souscrit la lettre de change. La lettre de
change permet ainsi au tireur de régler sa dette à l'égard du bénéficiaire
en lui cédant la créance qu'il a contre le tiré.
La valeur fournie est également la créance entre l'endosseur et
l'endossataire.
NB :
- Le rapport entre le bénéficiaire et le tiré n'est pas un rapport
préexistant, c'est le résultat de l'acceptation de la lettre de change par
le tiré.
- Le rapport entre le bénéficiaire et un nouveau porteur du titre nait de
l'endossement.
- En pratique, la circulation de la lettre de change est réduite. Il est
fréquent que la lettre de change ne mette en relation que 2 personnes;

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le tireur est en même temps le bénéficiaire (il donne l'ordre au tiré de le


payer lui-même). C’est un rapport bilatéral entre tiré et tireur/
bénéficiaire.

Tiré (Acheteur B)

Le dernier porteur
à l’échéance

Tireur Bénéficiaire
(Vendeur A) (Fournisseur C)
Rapport de créance
(Valeur fournie)

§ 2  La nature juridique de la lettre de change

A. Nature commerciale de la lettre de change


Il ressort de l'article 269 alinéa 1 du CC que la lettre de change est un
acte de commerce par la forme. Cela signifie que la signature de la lettre
de change, à quelque titre que ce soit (par le tireur, le tiré ou un
endosseur...) constitue un acte commercial quel que soit l'activité ou la
profession du signataire.
Il en résulte que le signataire de la lettre de change est soumis à la
rigueur du droit cambiaire quel que soit son activité, mais, les signatures
répétées des lettres de change ne confèrent pas au signataire la qualité
de commerçant.

B. La dualité du rapport fondamental et du rapport cambiaire


Lorsqu'une personne crée une lettre de change ou appose sa signature
sur une lettre de change, elle ne le fait pas sans raison.
En effet, l'engagement cambiaire se justifie par l'existence d'un rapport
juridique préexistant entre les parties, ce rapport est appelé rapport

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fondamental. Il y a lieu de faire quelques précisions concernant ces 2


rapports :
 Le rapport cambiaire: est le rapport né de la lettre de change c’est-à-
dire de la signature apposée sur ce titre (lors de sa création, son
acceptation, son endossement ...). C'est un engagement cambiaire
qui naît directement de la signature du titre. C'est un engagement
rigoureux soumis aux règles spéciales du droit cambiaire.
 Le rapport fondamental: c'est un rapport préexistant et extérieur au
titre (extra-cambiaire) mais il est à l'origine de sa création ou de sa
transmission.
1- La créance de provision: c'est la créance du tireur contre le tiré et
qui est à l’origine de la création de la lettre de change (1er rapport
fondamental).
2- La valeur fournie: c'est la créance du bénéficiaire contre le tireur
et qui est à l’origine de la remise de la lettre de change (c'est la
raison pour laquelle le tireur émet la lettre de change au profit du
bénéficiaire). C'est également la créance de l'endossataire contre
l'endosseur, qui justifie la transmission de la lettre de change par
endossement.
Le droit tunisien, comme le droit français, admet une conception dualiste
de ces rapports. Il y'a une certaine coexistence et une superposition des
deux rapports (malgré l'indépendance et l'autonomie du rapport
cambiaire). Ainsi, l'émission de la lettre de change n'entraine pas
novation (extinction d'une obligation moyennant la constitution d'une
obligation nouvelle qui lui est substituée). Elle n'entraine pas l'extinction
du rapport initial. Ce rapport de créance ne disparait pas, il survit et
continue à jouer un rôle important surtout dans certaines hypothèses
(nullité du titre en tant que lettre de change pour vice de forme).
Dans ce cas, il peut servir de base pour agir en justice et pour réclamer
le paiement malgré qu'il n’ait plus la valeur d'une lettre de change mais
d'un titre de créance soumis aux règles du droit commun (en cas de
prescription sur le plan cambiaire et en cas de défaut d'acceptation ...).
Grâce à cette dualité, le rapport fondamental ne disparait pas
totalement, mais, il est masqué par le rapport cambiaire.

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Les effets de commerce

Par contre, le droit allemand admet une conception abstraite du rapport


cambiaire et dissocie la lettre de change des rapports contractuels qui
lui sont extérieurs (c'est un rapport abstrait et détaché de sa cause).
L’émission de la lettre de change entraine novation c’est-à-dire
extinction des rapports préexistants (dissociation totale entre la lettre
de change et le rapport fondamental qui était à la base du rapport
cambiaire).

Section 2
Les conditions de forme :
(Le formalisme cambiaire)

C’est le principe de l'autosuffisance du titre qui permet à la lettre de


change de circuler rapidement et de jouer son rôle en tant qu'instrument
de crédit en toute sécurité. Conformément à ce principe, la lettre de
change doit se suffire à elle-même, c’est-à-dire qu'elle doit comporter
toutes les mentions nécessaires pour renseigner les tiers et pour protéger
le porteur ainsi que les signataires du titre.
Yves Chaput a pu dire, à ce propos, qu'il s'agit d'un « formalisme
ennuyeux, mais, facile à comprendre car il évite toute hésitation sur la
portée du titre et permet une vérification facile de sa validité formelle ».
Mais, il convient de distinguer entre les mentions obligatoires exigées
par l'article 269 du CC et les mentions facultatives qui peuvent être
ajoutées par les parties.

§ 1  Les mentions obligatoires


D'abord, il faut préciser que la loi n'exige pas, de façon expresse, la
rédaction d'un écrit comme condition de validité de la lettre de change,
mais, cette exigence évidente est prévue de manière indirecte dans
l'article 269 du CC, et peut être déduite même des termes employés par
le législateur (un titre, le texte, la rédaction). L'écrit est donc un élément
constitutif de la lettre de change qui est exigé non seulement à titre de
preuve, mais à titre de validité.
Le législateur ne précise ni la nature ni la forme de cet écrit. Donc,
théoriquement, il peut s'agir d'un acte authentique ou sous seing privée,
manuscrit ou imprimé. Mais, en pratique, la lettre de change n'est jamais

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établie sous forme authentique parce que c'est une source de frais
incompatible avec l'impératif de rapidité. De même, elle n'est jamais
établie sous forme totalement manuscrite parce qu'elle n'inspire pas
confiance et peut être falsifiée. En effet, la pratique recourt plutôt à des
formulaires imprimés de la lettre de change avec l'utilisation de plus en
plus fréquente d'un modèle standardisé (surtout dans la pratique
bancaire).
On doit préciser, également, que la loi n'exige pas que les mentions
indiquées sur la lettre de change soient rédigées par une personne
déterminée. Elles peuvent être rédigées par une ou plusieurs personnes,
par les parties ou par les tiers. L'essentiel est que la lettre de change doit
contenir les mentions obligatoires qu'il convient d'énumérer (A), avant
de déterminer les sanctions applicables en cas du non-respect de ce
formalisme (B).

A. Enumération des mentions obligatoires


L'article 269 du CC exige 8 mentions pour la validité de la lettre de
change.
1. La dénomination “lettre de change”
Cette mention doit être insérée dans le texte même du titre et exprimée
dans la langue employée pour la rédaction du titre. Le but de cette
mention est d'éviter les problèmes d'interprétation quant à la nature du
titre et attirer l'attention des signataires sur le caractère cambiaire de
leur engagement et sa rigueur.
2. Le mandat pur et simple de payer une somme detreminée
Il s'agit plutôt d'un ordre de payer parce que le terme « mandat » n'est
pas employé ici dans son sens civiliste et technique.
Cet ordre doit être inconditionnel (pur et simple) vu la rigueur du droit
cambiaire et il doit porter sur une somme d'argent déterminée vu le
caractère monétaire des effets de commerce.
NB : La stipulation des intérêts n'est permise que pour les lettres de
change payables à vue ou à un certain délai de vue (lorsque la date du
paiement est connue, les intérêts doivent être calculés à l'avance et
intégrés dans la somme).

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Les effets de commerce

La somme doit être indiquée en chiffres et en lettres pour éviter la


falsification. Selon l'article 272 du CC, en cas de différence entre le
montant inscrit en chiffres et le montant inscrit en lettres, la lettre de
crédit vaut pour la somme écrite en toutes lettres. Lorsque le montant
est écrit plusieurs fois et en cas de différence, la lettre de change ne vaut
que pour la moindre somme.
3. Le nom de celui qui doit payer (le tiré)
C'est une mention obligatoire pour permettre au porteur d'identifier la
personne à laquelle il va réclamer le paiement à l'échéance. Si le nom du
tiré n'inspire pas confiance, le porteur peut refuser le paiement par la
lettre de change.
NB : on constate que l'article se contente du nom du tiré et n'exige pas
l'indication de son domicile. Or, le lieu du paiement ne correspond pas
toujours au domicile du tiré ce qui donne lieu, en pratique, à des
problèmes dans l'exécution.
4. Indication de l'échéance (la date où le paiement doit être fait)
C'est une mention indispensable en raison de la rigueur de l'engagement
cambiaire puisque le paiement doit être fait à l'échéance sans aucune
possibilité de délai de grâce. De même, certaines obligations pèsent sur
le porteur à l'échéance. Il doit présenter la lettre de change au paiement
et à défaut de paiement, il doit dresser un protêt en respectant les délais
de prescription ...
Selon l'article 290 du CC, l'échéance ne peut être fixée que de 4 manières
:
1) à vue: le porteur peut présenter la lettre de change au paiement
quand il veut, à condition de ne pas dépasser le délai d'un an à partir de
sa création. La lettre de change est payable immédiatement dès sa
présentation, c'est ce qui explique que ce type de lettre de crédit est
rarement utilisé en pratique, parce qu'on utilise plutôt le chèque comme
instrument de paiement.
2) à un certain délai de vue (« payez à 3 mois de vue ... »): le porteur
peut choisir la date de présentation, mais, il ne peut exiger le paiement
qu'après l'expiration du délai à vue (après la présentation).

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Les effets de commerce

3) à jour fixe: c'est l'hypothèse la plus simple et la plus courante puisque


la date de paiement est directement fixée sur la lettre de change.
4) à un certain délai de date (« payez à 3 mois de date ... »): le porteur
n'est payé qu'à l'expiration du délai qui court à partir du jour de la
création de la lettre de change.
Ces 4 modalités sont les seules valables, ce qui entraine la nullité des
lettres de change tirées à d'autres échéances ou à échéances successives
(même en cas de vente avec facilités de paiement, il doit y avoir création
de plusieurs lettres de change avec des échéances différentes et non pas
une seule lettre de change à échéances successives).
5. Le lieu du paiement
C'est l'endroit où le porteur doit présenter son titre pour être payé.
NB : il s'agit d'une créance quérable 1 c’est-à-dire que c'est le porteur qui
doit présenter le titre et réclamer le paiement à l'échéance.
Le lieu du paiement ne correspond pas toujours au domicile du tiré. Les
parties peuvent indiquer un autre lieu de paiement et insérer une clause
facultative de domiciliation qui se fait généralement auprès de la
banque du tiré.
6. Le nom du bénéficiaire
C'est celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait. Le
législateur a exigé cette mention pour interdire les lettres de change
créées en blanc ou au porteur.
NB : cette interdiction peut être facilement détournée puisque le
bénéficiaire peut être le tireur lui-même (lorsque la lettre de change est
créée entre 2 personnes).
La loi permet l'endossement au porteur ou en blanc. Le tireur peut, dès
la création de la lettre de change, indiquer son nom en tant que
bénéficiaire et endosser la lettre au porteur ou en blanc.

1
Adjectif qualifiant une dette, lorsque du fait du contrat ou d'une disposition légale le créancier doit,
pour en obtenir le paiement, se présenter au domicile de son débiteur. La quérabilité est de droit si
la convention n'a pas exprimé le contraire ou si la loi n'en a pas disposé autrement. Les loyers, par
exemple, si le bail ne contient pas de dispositions contraires, sont des créances quérables. En revanche
pour des raisons tenant à leur nature, les créances d'aliments sont "portables" : dictionnaire-
juridique.com.

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Les effets de commerce

7. Date et lieu de création


 L'indication de la date de création permet de vérifier la capacité du
tireur et de calculer certains délais.
 L'indication du lieu de création permet de déterminer les règles de
compétence territoriale mais à titre subsidiaire (outre le tribunal du lieu
du domicile du défendeur, le porteur peut choisir le tribunal du lieu de
création de la lettre de change ou celui du paiement).
8. La signature du tireur (celui qui émet la lettre de change)
Cette signature est essentielle parce que le tireur est le premier à
s'engager sur le plan cambiaire. Elle matérialise sa volonté en tant que
créateur du titre et l'engage en tant que 1er garant du paiement.
La loi n'exige que la signature du tireur, mais, en pratique, son nom
apparait toujours sur la lettre de change.
En droit tunisien, la signature doit être manuscrite alors qu'en droit
français, elle peut être apposée par tout procédé non manuscrit (cachet,
griffe). Elle doit être normalement apposée au recto et au bas de l'acte.

B. Sanction du non-respect du formalisme cambiaire


On doit distinguer entre l'omission d'une mention obligatoire (défaut
d'indication), l'inexactitude (indication d'une mention erronée) et
l'altération (modification d'une mention).
I. Sanction de l'omission d'une mention obligatoire
Selon l'article 269 du CC, « le titre dans lequel une des énonciations
indiquées aux alinéas précédents fait défaut ne vaut pas comme lettre
de change, sauf dans les cas déterminés par les alinéas suivants ... ».
En principe, la sanction du formalisme est la nullité du titre incomplet en
tant que lettre de change parce que les mentions obligatoires sont
exigées à titre de validité.
Mais, ce formalisme cambiaire rigoureux connait quelques atténuations.
D'abord, la nullité n'est pas totale, elle ne joue que sur le terrain
cambiaire, c’est-à-dire que le titre incomplet ne vaut pas comme lettre
de change, mais, il conserve une valeur juridique certaine. Il subit
simplement une disqualification (une conversion par réduction). Ensuite,

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Les effets de commerce

la sanction n'est pas systématique, elle est parfois écartée par le


législateur lui-même. L’article 269 du CC énonce certaines règles de
suppléance pour remplacer les mentions manquantes et éviter la nullité
(la théorie des équivalents). La lettre de change incomplète peut être
régularisée (c'est la possibilité d'ajouter la mention qui manque.)
On constate que le formalisme de la lettre de change n'est pas rigide
parce que les mentions obligatoires peuvent paraitre contraignantes et
rigoureuses, mais, leur absence n'est pas sanctionnée par la nullité
systématique et complète de la lettre de change.
1.1 Spécificité de la sanction: nullité en tant que lettre de change (théorie de
la conversion par réduction)
Aux termes de l'article 269 du CC, le titre incomplet « ne vaut pas comme
lettre de change ». La sanction est donc la nullité de ce titre en tant que
lettre de change. C'est une nullité d'ordre public qui peut être opposée à
tout porteur, même s'il est de bonne foi (l'omission est apparente sur le
titre et le porteur peut la constater). Le tiré, même accepteur, peut
refuser le paiement sur la base de ce titre en tant que lettre de change.
Cette nullité peut être soulevée d'office par le juge parce que les
dispositions de l'article 269 sont des dispositions d'ordre public.
C'est une nullité absolue, mais, on doit préciser que c'est une nullité
spécifique et différente de la nullité au sens classique du terme (la nullité
en droit commun).
En effet, cette nullité ne joue que sur le terrain cambiaire puisque le titre
perd sa valeur en tant que lettre de crédit. Mais, il n'est pas frappé d'une
nullité totale et il n'est pas dépourvu de toute efficacité juridique. Il est
seulement disqualifié, il subit une conversion par réduction : il s'agit
d'une transformation qui entraîne le changement de la nature juridique
du titre avec une réduction de sa valeur juridique.
NB : la conversion par réduction est admise même en droit commun ;
l'article 328 du COC prévoit que « l'obligation qui est nulle comme telle
mais qui a les conditions de validité d'une autre obligation légitime, doit
être régie par les règles établies pour cette obligation ».

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Les effets de commerce

Le titre qui ne vaut pas comme lettre de change pourrait valoir comme
un billet à ordre s'il remplit les conditions requises par l'article 339 du CC
pour la validité du billet à ordre.
Il faut préciser que dans ce cas, la lettre de change est nulle en tant que
telle, mais elle conserve la qualité de titre cambiaire (effet de
commerce), le titre demeure régi par les règles du droit cambiaire.
Cependant, cette hypothèse est très rare vu le formalisme qui régit le
billet à ordre (presque les mêmes mentions obligatoires).
 Lorsque la lettre de change ne remplit pas les conditions requises pour
la validité du billet à ordre, elle peut valoir comme titre de créance
ordinaire soumis aux règles de droit commun.
 Lorsque le titre est signé par le débiteur (tiré), il peut valoir comme
une reconnaissance de dette (de la part du tiré à l'égard du tireur). Il
permet à son porteur d'agir sur sa base et d'obtenir une injonction de
payer.
 Lorsque le titre n'est pas signé par le tiré, il peut valoir comme une
promesse de payer (émanant du tireur à l'égard du bénéficiaire). Il peut
être considéré comme un simple commencement de preuve par écrit (une
lettre de change incomplète qui ne comporte ni la signature du tiré ni
celle du tireur peut être considérée comme une simple présomption et
doit être renforcée par d'autres moyens de preuve).
NB : Dans ces différents cas, la conversion fait sortir le titre du droit
cambiaire, il est soumis aux règles du droit commun.
 La lettre de change incomplète est donc nulle en tant que titre
cambiaire, mais, elle conserve une valeur judiciaire certaine et subsiste
en tant qu'engagement juridique susceptible de produire des effets.
 Ainsi cette nullité ne permet pas aux parties d'échapper aux
obligations qu'elles ont contractées sur le terrain du droit commun. Les
parties restent tenues en raison du rapport juridique fondamental
préexistant à la création de la lettre de change.
Le porteur peut exercer des recours sur le plan du droit commun et peut
obtenir une injonction de payer conformément à l'article 59 du CPCC (à
condition que l'origine de sa créance soit contractuelle et qu'elle soit
certaine et déterminée dans son montant).

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Les effets de commerce

1.2 Les règles de suppléance: théorie des équivalents


L'article 269 du CC établit un formalisme de substitution en édictant des
dispositions supplétives pour remplacer certaines mentions obligatoires
manquantes et échapper à la nullité :
1- A défaut d'indication de l'échéance, la lettre de change est considérée
comme payable à vue, c'est-à-dire dès sa présentation.
2- A défaut d'indication spéciale, le lieu désigné à côté du nom du tiré
est réputé être le lieu de paiement et le lieu du domicile du tiré.
3- A défaut d'indication du lieu de création, la lettre de change est
considérée comme souscrite (créée) dans le lieu désigné à côté du nom
du tireur.
NB : les cas de suppléance légale constituent des exceptions qui doivent
être normalement d'interprétation restrictive, mais la jurisprudence
(française et tunisienne) a créé d'autres cas de suppléance. Ainsi, par
exemple, l'absence de l'indication du nom du bénéficiaire et l'absence de
la signature du tireur au recto du titre, ont été parfois suppléées par sa
signature au verso en tant que premier endosseur (ce qui suppose qu'il
était lui-même le bénéficiaire).
De même, lorsque l'équivalent de la mention obligatoire existe sur la
lettre de change, il permet d'échapper à la nullité. La lettre de change
est considérée comme parfaitement valable. Il y a sauvetage de la lettre
de change (sinon, le titre serait nul en tant que tel).
1.3 La régularisation du titre incomplet
La régularisation consiste à ajouter les mentions initialement omises à
postériori, c’est-à-dire après l'émission d'une lettre de change
incomplète.
a. L'admission de la régularisation
Le principe de la régularisation des lettres de change incomplètes n'a pas
été réglementé par le législateur, ni en droit tunisien ni en droit français,
et l'interprétation étroite de l'article 269 du CC s'oppose, à priori, à toute
faculté de régularisation. Pourtant, le principe de la régularisation a été
admis, aussi bien par la jurisprudence que par la doctrine, pour des
considérations d'ordre pratique en raison de la fréquence des cas de

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Les effets de commerce

création de lettres de change incomplètes et de l'insécurité juridique


qu'entrainerait leur annulation dans les échanges commerciaux.
La régularisation a été essentiellement admise pour protéger le porteur
et favoriser la circulation des lettres de change.
NB : En droit tunisien, le principe de la régularisation peut être admis
par référence aux règles générales. La doctrine (essentiellement Mr.
Youssef KNANI) a considéré que l'article 329 du COC selon lequel « la
confirmation ou la ratification d'une obligation de plein droit n'a aucun
effet », ne s'applique pas à la régularisation de la lettre de change parce
qu'elle ne constitue pas une rénonciation à une condition d'ordre public,
mais, elle exprime plutôt le respect de l'ordre public en complétant, dans
un Droit marqué par le formalisme, la mention qui manque. En plus,
aucune disposition légale (même l'article 269 du CC) n'impose que les
mentions de la lettre de change soient rédigées par la même personne.
Les parties qui s'engagent par la lettre de change peuvent participer à
l'établissement du titre et à la rédaction des mentions en utilisant, à cet
effet, plusieurs écritures.
La régularisation pose un risque de fraude, c'est pourquoi elle doit être
soumise à des conditions.
b. Les conditions de la régularisation
1- La régularisation doit se faire avant la présentation au paiement. Si
le titre incomplet est présenté au paiement tel qu'il est (avant la
régularisation), il est nul comme lettre de change.
2- La condition la plus importante est relative au respect de la volonté
des parties et surtout du tiré. La régularisation est donc rejetée si elle
est effectuée unilatéralement par l'une des parties en violation de
l'accord exprès ou tacite conclu avec l'autre partie.
Ainsi, par exemple, le tireur peut, après l'acceptation du tiré, procéder à
la régularisation de la lettre de change par l'indication de l'échéance, à
condition de respecter ce qui a été convenu entre les deux parties.
NB : il faut préciser que l'accord des parties est généralement tacite et
peut être déduit des usages surtout dans le secteur bancaire. C'est ainsi,
par exemple, que la jurisprudence admet la régularisation effectuée par

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Les effets de commerce

la banque qui ajoute son nom en tant que bénéficiaire sur la lettre de
change remise pour l'escompte.
C’est tout à fait logique d'interpréter les signatures du tireur et du tiré
sur une lettre de change dépourvue du nom du bénéficiaire comme étant
un accord ou une autorisation tacite et préalable pour le bénéficiaire ou
un porteur subséquent de compléter le titre de son nom.
3- La doctrine et la jurisprudence françaises ajoutent une autre
condition en considérant que l'irrégularité doit être minime. Mais la
distinction entre irrégularité minime et mention essentielle est assez
délicate et peut poser problème, c'est pourquoi la Convention de la
CNUDCI 2 s'est prononcée sur ce problème en admettant la possibilité
de régularisation si le titre présente des conditions minima d'existence,
et en exigeant que le titre comporte, au moins, la dénomination et la
signature du souscripteur (la signature du tireur).
En pratique, c'est la régularisation du nom du bénéficiaire qui est
largement admise en jurisprudence, la justification est que le nom du
bénéficiaire est indifférent pour le tiré accepteur. Il est le débiteur
principal de la lettre de change à l'égard de tout porteur de bonne foi.
II. L'inexactitude d'une mention obligatoire
L'omission d'une mention obligatoire entraîne la nullité de la lettre de
change sur le plan formel parce qu'il s'agit d'un vice apparent, opposable
même au porteur de bonne foi. Par contre, l'inexactitude est un vice
caché, parce que la mention obligatoire existe mais elle est erronée, il
s'agit plutôt d'une supposition d'une mention qui n'entraine pas la nullité
du titre sur le plan cambiaire et formel (la théorie de l'apparence et
l'autosuffisance du titre).
Mais, la sanction de nullité peut être admise si l'inexactitude de la
mention tend à dissimuler l'absence d'une condition essentielle de
validité (condition de fond). C'est le cas, par exemple, de l'indication
d'une fausse date pour dissimuler l'incapacité du signataire. Dans ce cas,
l'incapacité est une cause de nullité opposable même au porteur de
bonne foi.

2
Commission des Nations Unies pour le droit commercial international.

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Les effets de commerce

En dehors de cette hypothèse, c'est le régime de la simulation de droit


commun qui doit s'appliquer (article 26 du COC).
Dans les rapports entre les parties, c'est la situation réelle gui prévaut
sur la situation simulée. À l'égard des tiers, les parties ne peuvent pas
opposer la situation réelle (l'inexactitude de la mention) aux tiers de
bonne foi (qui ignorent la réalité).
Le tiers de bonne foi peut :
 Soit se prévaloir de l'apparence (invoquer la mention mensongère).
 Soit contester cette apparence et invoquer l'inexactitude pour se
prévaloir de la situation réelle.
NB : La preuve de la simulation incombe à celui qui l'invoque et peut être
établie par tout moyen.
II faut préciser que le législateur tunisien a traité le problème de la
signature inexacte dans l'article 273 du CC qui a consacré le principe de
l'indépendance des signatures. Selon l'alinéa 2 de cet article, « si la lettre
de change porte des signatures fausses ou des signatures de personnes
imaginaires, les obligations des autres signataires n'en sont pas moins
valables ».
La fausse signature n'entraîne pas la nullité des engagements des autres
signataires et la lettre de change demeure valable à leur égard
puisqu'elle les engage.
Sur le plan pénal, malgré que le législateur n’ait pas prévu de règles
spéciales en matière de falsification de la lettre de change, l'indication
d'une mention erronée peut constituer une infraction par application des
règles générales du code pénal (délit d'escroquerie, infraction de faux ou
usage de faux).
III. L'altération d'une mention obligatoire
L'altération peut être définie comme étant la modification du texte
initial de la lettre de change intervenue sans le consentement des
intéressés.
Les altérations les plus fréquentes, en pratique, sont celles relatives au
montant de la lettre de change ou à la date de l'échéance. Ces
altérations présentent un danger pour les signataires parce qu'elles

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Les effets de commerce

entraînent une modification dans leur situation juridique et dans


l'étendue de leurs engagements.
En Droit tunisien, l'altération est régie par l'article 334 du CC qui a
également consacré le principe de l'indépendance des signatures en
opérant une distinction entre les signataires antérieurs à l'altération (qui
sont tenus par les termes du texte originel) et les signataires postérieurs
(qui sont tenus dans les termes du texte altéré).
L'auteur de l'altération est sanctionné sur le plan pénal pour faux et
usage de faux.
NB : l'altération d'une mention obligatoire n'entraine pas la nullité
formelle du titre.

§ 2  Les mentions facultatives


En vertu du principe de la liberté contractuelle, les parties peuvent
insérer dans la lettre de change des mentions facultatives à côté des
mentions obligatoires à condition de ne pas porter atteinte aux
principes du droit cambiaire.
Ces mentions peuvent figurer sur la lettre de change dès sa création ou
être ajoutée au cours de sa circulation.
Si elles sont insérées dès la création, elles lient tous les signataires.
Si elles sont ajoutées au cours de la circulation, elles ne lient que les
signataires postérieurs à leur insertion.
Parmi les mentions facultatives, on peut citer :
 La clause de domiciliation: c’est la clause la plus fréquente en pratique.
Elle consiste à indiquer, sur la lettre de change, que le paiement sera fait
au domicile d'un tiers (domiciliataire). Il s'agit, généralement, d'une
banque ou d'un établissement financier (mais, le domiciliataire peut être
également toute autre personne capable de payer). L'intérêt de cette
clause est qu’elle permet le paiement par prélèvement sur un compte
bancaire ou même par un virement bancaire quand il s'agit de deux
banques.
 La clause de retour sans frais ou sans protêt: c'est une clause qui
dispense le porteur, qui présente la lettre de change au paiement à
l'échéance, de faire dresser protêt (en cas de non-paiement par le tire et

Faculté de Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 26


Les effets de commerce

en cas de refus d'acceptation). Cette clause encourage la circulation de


la lettre de change.
 La clause de valeur fournie: elle consiste à indiquer la valeur fournie
par le bénéficiaire au tireur (cause de la remise du titre au bénéficiaire,
exemple: valeur fournie en marchandises / valeur fournie en service).
 La clause “sans garantie”: c'est une clause qui permet au signataire qui
l'insère de s'exonérer de la garantie. Il faut préciser que le tireur ne peut
pas s'exonérer de la garantie de paiement.
Cette clause n'encourage pas la circulation de la lettre de change.
 La clause “non-à-ordre” ou “non endossable”: le titre ne peut plus être
transmis par endossement, mais, il peut être transmis dans la forme et
avec les effets d’une cession de créance de droit commun.
 La clause d’aval: consiste à garantir le paiement de la lettre de change
(c’est un cautionnement spécifique car il a le caractère cambiaire).
 La clause relative aux intérêts: la stipulation d’intérêts n’est possible
que dans les lettres de change payables à vue ou à un certain délai de
vue.

Section 3
Les conditions de fond

La création de la lettre de change est un acte juridique qui est soumis,


pour sa validité, aux conditions générales de l’article 2 du COC
(consentement, capacité, objet et cause), mais, ces conditions
présentent certaines particularités en matière cambiaire.

§ 1  Le consentement
Comme tout acte juridique, la création de la lettre de change requiert,
pour sa validité, une volonté valable de s’obliger.
Concrètement, c’est la signature du tireur apposée sur la lettre de
change qui exprime son consentement et sa volonté de s’engager.
Le problème se pose lorsqu’il s’agit d’une fausse signature.

Faculté de Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 27


Les effets de commerce

Dans ce cas, le prétendu signataire ainsi que ses héritiers peuvent


désavouer la signature en cause, et le juge ordonne, généralement, une
expertise pour une vérification d’écriture.
La fausse signature n’engage pas le prétendu signataire (dont on a
imité la signature) et elle est opposable même au porteur de bonne foi
parce que la volonté de s’engager fait défaut.
Mais, malgré que la signature du tireur constitue une mention obligatoire
dont l’absence entraine la nullité du titre en tant que lettre de change,
la fausse signature n’entraine pas la nullité du titre pour 2 raisons
essentielles : d’abord, en vertu de la théorie de l’apparence parce que la
fausse signature ne constitue pas un cas d’omission (formellement, le
titre est complet). Ensuite, par application du principe de
l’indépendance des signatures prévu par l’article 273 alinéa 2 selon
lequel les autres signatures apposées sur la lettre de change restent
valables et engagent leurs auteurs. « Si la lettre de crédit porte des
signatures fausses ou des signatures de personnes imaginaires, les
obligations des autres signataires n’en sont pas moins valables ».
Sur le plan pénal, la fausse signature expose son auteur à la sanction
prévue pour l’infraction de faux (15 ans d’emprisonnement).

§ 2  La capacité
La capacité est régie par les règles de droit commun (le CSP et le COC),
mais, les textes régissant la lettre de change comportent quelques
dispositions spéciales qui s’appliquent en cas de création de la lettre de
change par un incapable ou par un représentant.

A. Création de la lettre de change par un incapable


L’article 273 du CC alinéa 1 prévoit que « les lettres de change souscrites
par des mineurs non commerçants sont nulles à leur égard, sauf les
droits respectifs des parties conformément à l’article 13 du COC ».
Le mineur (non-commerçant) ne peut pas créer une lettre de change,
mais, son représentant légal peut le faire s’il est autorisé à exercer le
commerce pour son compte, et c’est la date de création de la lettre de
change qui permet de se prononcer sur la capacité du tireur (c’est
pourquoi on l’exige en tant que mention obligatoire).

Faculté de Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 28


Les effets de commerce

Si le mineur incapable crée une lettre de change, elle est nulle à son
égard seulement, et il peut se prévaloir de cette nullité même à l’égard
du porteur de bonne foi.
Mais, cette lettre de crédit reste valable à l’égard des autres
signataires et les engage sur le plan cambiaire.
Par ailleurs, et par application de l’article 13 du COC, la nullité ne doit
pas permettre au mineur de s’enrichir au détriment de son cocontractant
qui a exécuté ses obligations c’est-à-dire qu’il doit lui restituer la valeur
de l’enrichissement et du profit qu’il a tiré.
Il convient de préciser que l’article 273 du CC ne vise que la situation de
l’incapable mineur à l’exclusion des autres incapables majeurs, tels que le
dément, le faible d’esprit et le prodigue. Ces personnes ne peuvent créer
une lettre de change à partir du jugement d’interdiction (et même avant
ce jugement lorsqu’il s’agit d’un état notoire). De même, le failli ainsi que
le condamné à une peine supérieure à 10 ans d’emprisonnement n’ont
pas le droit d’émettre des lettres de change.

B. Le pouvoir (La création de la lettre de change par


représentation)
Les textes régissant la lettre de change comportent 2 articles relatifs au
pouvoir :
1. L’article 270 du CC qui prévoit que la lettre de change peut être tirée
pour le compte d’un tiers.
2. L’article 273 alinéa 3 du CC relatif à la création de la lettre de change
par un mandataire (au nom et pour le compte d’un tiers).
1. Le tirage pour compte
Le tireur peut créer la lettre de change pour le compte d’un tiers sans
déclarer le nom de ce dernier.
Il y a donc un tireur pour compte qui est le tireur apparent parce que
c’est lui qui se présente aux tiers comme le véritable créateur du titre et
qui le signe de son propre nom, mais ce tireur agit en réalité pour le
compte d’une autre personne qui lui a donné l’ordre de le faire.

Faculté de Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 29


Les effets de commerce

L’intérêt de cette forme de création de la lettre de change apparaît


lorsque le donneur d’ordre ne veut pas se manifester pour des raisons
politiques ou commerciales (ne veut pas révéler ses engagements).
En ce qui concerne les effets de ce tirage pour compte, c’est le tireur
pour compte qui est personnellement engagé, sur le plan cambiaire, à
l’égard des porteurs successifs de la lettre de change. Et en cas de défaut
de paiement par le tiré, c’est lui qui est poursuivi en tant que premier
garant de paiement parce que le donneur d’ordre n’est pas un débiteur
cambiaire et le porteur est protégé par l’apparence.
Mais entre les parties, c’est-à-dire entre le tireur pour compte et le
donneur d’ordre, ce sont les règles du mandat du droit commun qui
s’appliquent. Le tireur pour compte doit se conformer aux instructions
du donneur d’ordre. A l’égard du tiré, c’est le donneur d’ordre qui doit lui
fournir la créance de provision. Si jamais le tiré paye à découvert, il peut
agir en remboursement contre le donneur d’ordre et il n’a pas d’actions
contre le tireur pour compte.
2. Création de la lettre de change par le mandataire
Contrairement au tireur pour compte, le mandataire crée la lettre de
change au nom et pour le compte du mandant qui peut être soit une
personne physique soit une personne morale.
 Pour les personnes physiques: le mandataire precise, généralement,
qu'il signe « par procuration » et indique le nom du mandant.
Lorsqu’il agit dans les limites du mandat, le problème ne se pose pas,
parce qu'il n'assume aucune obligation personnelle à l’égard des porteurs
de la lettre de change. C’est le mandant qui est engagé sur le plan
cambiaire.
Le problème se pose lorsque le mandataire dépasse les limites de ses
pouvoirs, ou lorsqu'il agit sans mandat. Dans ce cas, l'article 273 alinéa 3
du CC prévoit que c'est lui qui serait personnellement engagé en vertu de
la lettre de change.
 Pour les personnes morales: c'est la personne physique qui agit au nom
de la société (gérant / PDG) qui peut émettre des lettres de change au
nom et pour le compte de la société, mais dans les limites de ses pouvoirs
légaux et statutaires.

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Les effets de commerce

§ 3  L'objet
Par définition, l'objet de l’engagement cambiaire ne peut être qu'une
somme d'argent. D'ailleurs, c'est pourquoi l'article de 269 du CC exige
comme mention obligatoire « le mandat pur et simple de payer une
somme déterminée ».

§ 4  La cause
En général, la cause de l’engagement cambiaire n’est pas indiquée sur la
lettre de change. Mais, par application des règles du droit commun
(article 68 du COC), l'existence de la cause est présumée et elle est
réputée licite jusqu'à preuve du contraire.
En revanche, la création d'une lettre de change sans cause ou pour une
cause illicite entraîne la nullité d'ordre public.
Le problème de la cause se pose lorsque la création de la lettre de change
ne se justifie pas par l'existence d'un rapport de créance entre les parties,
mais par une complaisance qui a pour objectif l'obtention d'un crédit de
manière frauduleuse, ce type de lettre de change est appelé : effets de
complaisance (‫)ﺳﻨﺪات اﻟﻤﺠﺎﻣﻠﺔ‬.

A. Définition des effets de complaisance


René Roblot définit les effets de complaisance comme étant « ceux
destinés à tromper les tiers sur les relations existant entre les signataires,
ou entre ces derniers et les autres personnes indiquées sur le titre et qui,
dans l'esprit des parties, ne doivent pas contraindre le complaisant à
décaisser effectivement les sommes indiquées ».
Il ressort de cette définition que l'effet de complaisance se caractérise
par :
 L'absence de toute opération commerciale ayant servi de base à
l'émission de l'effet (absence de provision c’est-à-dire de toute créance
du tireur contre le tiré).
 L'absence de l'intention de payer.
 Ce sont des titres destinés à tromper les tiers.

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Les effets de commerce

En pratique, les effets de complaisance sont généralement destinés à


l'escompte et utilisés pour se procurer du crédit auprès d'une banque de
manière frauduleuse.
L'hypothèse classique d'un effet de complaisance c'est lorsqu'il s'agit d'un
commerçant qui passe par des difficultés financières (et qui cherche à se
procurer d’un crédit de manière frauduleuse), il demande à un ami de
l'autoriser à tirer sur lui une lettre de change et ce dernier l'accepte par
complaisance (malgré qu’il ne soit pas débiteur à son égard d'aucune
créance). Le tireur complu promet au tiré complaisant de lui fournir,
avant l’échéance, les sommes nécessaires au paiement, ou de retirer le
titre pour qu’il ne lui soit pas présenté au paiement. Ensuite, il fait
escompter la lettre de change par un banquier (ignorant les conditions
de son émission).
Ainsi, l'effet de complaisance permet au tireur complu (grâce à la
complaisance du tiré) d’obtenir les liquidités dont il a besoin et de
bénéficier d'un crédit à court terme.
La complaisance du tiré s'explique généralement par des rapports
familiaux, d'amitié ou d'affaires (société mère / filiale, société /
administrateur…).
La complaisance peut être réciproque (tirage croisé) lorsque deux
commerçants en difficulté tirent chacun sur l'autre une lettre de change
et accepte une autre de même valeur.
Les effets de complaisance peuvent se compliquer lorsqu'il s'agit de
traite cavalerie (renouvellement du tirage). Généralement, le tireur ne
dispose pas à l'échéance des sommes nécessaires, il retire la lettre de
change et la remplace par une autre lettre de change d'un montant
supérieur qui est accepté soit par le même tiré soit par un autre,
également escompté pour obtenir les liquidités nécessaires pour assurer
le paiement de la lettre de change.

B. Les dangers des effets de complaisance

 Danger pour le porteur de bonne foi (surtout pour le banquier


escompteur): il risque de ne pas être payé à l'échéance.

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Les effets de commerce

 Danger pour le tiré complaisant: il croit que le service qu’il a rendu au


complu ne lui coûte rien, alors qu'il peut être obligé de payer le titre au
porteur de bonne foi et s’il paye, il est privé de tout recours cambiaire
contre le complu.
 Danger pour le tireur complu lui-même: il s'agit d'un mauvais service
qui prolonge artificiellement son existence commerciale et qui peut
aggraver sa situation (ces lettres de crédit sont généralement impayées
ce qui implique le renouvellement avec un montant supérieur et ells
peuvent être retenues comme indice de cessation de paiement).
 Danger pour les créanciers du complu: il s'agit d'un prolongement
artificiel qui ne fait que différer l'ouverture de la faillite de leur débiteur
ou son règlement judiciaire, ce qui conduit à une réduction du gage des
créanciers. Ils sont trompés et induits en erreur sur la situation et la
solvabilité de leur débiteur et peuvent ainsi se fier à la fausse apparence
et continuer leurs transactions avec lui.
 Danger pour l'économie et pour l'intérêt général: il s’agit d'une
mauvaise utilisation du crédit, une forme artificielle et malsaine qui est
contraire aux bonnes mœurs des affaires.

C. Les sanctions des effets de complaisance: la nullité


Certains auteurs admettent la validité des lettres de complaisance parce
qu’elles ne sont condamnées expressément par aucun texte, et la
provision n’est pas une condition de validité de la lettre de change, mais,
la majorité de la doctrine et de la jurisprudence admettent la nullité des
effets de complaisance sauf que le fondement de cette nullité a été
controversé.
1. Fondement de la nullité
Plusieurs fondements ont été avancés :
 Absence de provision: puisque le tiré accepte la lettre de change par
complaisance, donc, il n'est pas débiteur à l'égard du tireur.
Ce premier fondement a été critiqué parce que la provision n'est pas une
condition de validité de la lettre de change, donc, son absence n'est pas
une cause de nullité.

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Les effets de commerce

 Absence de cause: ce fondement a été aussi critiqué parce que


l'engagement du complaisant a une cause: l’intention de rendre service
au complu (son service est parfois rémunéré).
L’engagement du complu a aussi une cause: se procurer du crédit par
l'escompte.
 L’illicéité de la cause (le véritable fondement de la nullité): la cause de
l'engagement des parties est contraire à l’ordre public; ils trompent les
tiers afin d'obtenir un crédit sur la base d'une opération fictive.
En droit tunisien, c'est sur la base de l'article 67 du COC que les effets de
complaisance sont frappés de nullité absolue.
NB : il convient de préciser que, malgré son caractère d’ordre public,
cette nullité est inopposable au porteur de bonne foi pour lequel l’effet
de complaisance est valable et produit ses effets contre tous les
signataires.
2. Les effets de la nullité dans les rapports entre les parties (complaisant /
complu)
Les effets de complaisance sont frappés de nullité d'ordre public, cette
nullité produit tous ses effets dans les rapports entre les parties.
Il en résulte que le tiré, même accepteur, peut refuser d'exécuter son
engagement à l'égard du tireur complu qui ne peut pas le contraindre à
payer.
Mais, le problème se pose lorsque le tiré complaisant a été obligé de
payer l’effet au porteur de bonne foi.
Dans ce cas, il ne dispose d'aucun recours cambiaire contre le tireur en
raison de la nullité de l'effet de complaisance mais il dispose d'un recours
extra cambiaire (action en répétition : la jurisprudence française et
tunisienne a reconnu au complaisant le droit d'agir contre le complu sur
la base de l'enrichissement sans cause : article 71 du COC).
Mais, en droit tunisien, on n’a même pas besoin de recourir à
l'enrichissement sans cause, l'action en répétition est possible sur la base
de l'article 77 du COC selon lequel « ce qui a été payé pour une cause
contraire à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs peut être
répété ».

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Les effets de commerce

3. Les effets de la nullité sur la situation des tiers


Il s'agit, généralement, du porteur de l'effet de complaisance, qui est le
plus souvent, dans la pratique, le banquier escompteur.
Une distinction fondamentale s'impose entre le porteur de bonne foi et
le porteur de mauvaise foi.
a. Le porteur de bonne foi
C’est celui qui a fait confiance à la forme du titre, qui s’est fié
légitimement à sa régularité formelle et qui ignorait la complaisance et
les circonstances de l'émission du titre au moment où il l’a acquis.
NB : si l’accord de complaisance n’est pas apparent, la bonne foi est
présumée.
Ce porteur de bonne foi est protégé par le principe de l'inopposabilité
des exceptions, consacré dans l'article 280 du CC. La nullité de l'effet de
complaisance est inopposable au porteur de bonne foi (le
tiré/complaisant ne peut pas se prévaloir de la nullité du titre qu’il a
accepté pour refuser de payer le porteur de bonne foi).
A l'égard de ce porteur de bonne foi, l'effet de complaisance est valable
et produit tous ses effets contre tous les signataires (malgré le caractère
d'ordre public de la nullité), il peut exercer les recours cambiaires contre
tous les signataires.
b. Le porteur de mauvaise foi
Ce porteur peut se voir opposer la nullité de l'effet de complaisance.
Cette nullité peut être invoquée aussi bien par le tiré accepteur que par
tout signataire. Il est, donc, privé de tous les recours cambiaires contre
tous les signataires qui ne sont pas engagés à son égard.
Il convient de préciser que le porteur est considéré de mauvaise foi s'il
connaît la nature de l'effet c’est-à-dire le vice de complaisance, même
s'il n'a eu aucune participation frauduleuse. Une différence avec la notion
de mauvaise foi de l'article 280 du CC qui suppose que le porteur agit
sciemment au détriment du débiteur. La conception de mauvaise foi
dans le cadre de l'effet de complaisance est plus large et plus sévère à
l'égard du porteur (la simple connaissance suffit).

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Les effets de commerce

De plus, la jurisprudence apprécie, parfois, la mauvaise foi du banquier


escompteur de manière plus sévère encore, puisqu'il s'agit d'un
professionnel qui doit s'assurer, avant d'accepter des effets à l'escompte,
de leur caractère sérieux.
Certains indices devraient attirer l'attention du banquier escompteur sur
la probabilité de complaisance, tels que l'existence de lien de parenté ou
le tirage entre une société mère et sa filiale…
En cas de négligence, il risque d'être réputé de mauvaise foi, parce qu’il
aurait dû douter du vice de complaisance et prendre les précautions
nécessaires.
Mais, même s'il s'agit d'un banquier, il ne faut pas oublier que c'est un
porteur, donc, sa bonne foi est présumée. Alors, c’est au signataire qui
invoque la nullité du titre d’établir la preuve de la mauvaise foi du
porteur (par tous les moyens). Même si le porteur de mauvaise foi est
privé de tout recours cambiaire, il ne faut pas oublier que lorsqu'il a
escompté l'effet, il a payé une somme d'argent au tireur, il est donc
logique qu'il dispose d'un recours extra cambiaire (action en répétition)
contre ce tireur complu.
NB : Le banquier escompteur (de mauvaise foi) peut engager sa
responsabilité civile envers les tiers (plus précisément envers les
créanciers du complu) sur la base des règles de droit commun.
La faute du banquier c'est que l’escompte d’un effet de complaisance, en
connaissance de cause, signifie qu'il a accordé un crédit fictif et un
soutien financier injustifié qui permet au complu de conserver une fausse
apparence de solvabilité et peut, donc, contribuer à tromper les tiers sur
sa situation et réduire le gage des créanciers (ceci va différer l'ouverture
de la faillite de leur débiteur ou de son règlement judiciaire), il s'agit d'un
prolongement artificiel et préjudiciable aux créanciers.
Les parties (complaisant et complu) peuvent également engager leur
responsabilité civile à l'égard des créanciers. Le complu peut être aussi
poursuivi sur le plan pénal pour escroquerie (‫ )اﻟﺘﺤ ّﻴﻞ‬conformément à
l’article 291 du CP ou banqueroute (‫ )اﻟﺘﺴﺒﺐ ﻓﻲ اﻹﻓﻼس‬conformément à
l’article 290 du CP.

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Les effets de commerce

Chapitre II
La provision
La provision ne constitue pas une véritable condition de validité de la
lettre de change, mais, elle a une grande incidence sur la situation des
parties et surtout sur les droits du porteur.
C’est ainsi, par exemple, qu’en pratique, le tiré n’accepte généralement
la lettre de change que s’il a déjà reçu provision.
Pour le porteur, la créance de provision constitue une garantie
fondamentale de paiement qui renforce sa situation et s’ajoute aux
garanties du Droit cambiaire. Ce rôle de garantie supplémentaire
apparait surtout dans certaines hypothèses où le porteur n’a pas le droit
d’agir sur le plan cambiaire (exemple : nullité du titre pour vice de forme,
lettre de change non acceptée par le tiré, prescription cambiaire…). Dans
ces différentes hypothèses, c’est la provision qui lui permet d’agir pour
réclamer le paiement par application des règles du droit commun.
Le législateur tunisien a consacré l’article 275 à la provision. Ce texte
nous permet de dégager, successivement, les spécificités de la créance
de provision (Section 1), les droits du porteur sur la provision (Section 2)
et la preuve de la provision (Section 3).

Section 1
Spécificités de la créance de provision

§ 1  Définition de la provision (article 275 alinéa 2) :


Le législateur a défini la provision dans l’alinéa 2 de l’article 275 du CC
comme suit : « il y a provision si, à l'échéance de la lettre de change,
celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour le
compte de qui elle est tirée, d'une somme au moins égale au montant
de la lettre de change ». Il s'agit de la créance du tireur contre le tiré
qui constitue le rapport fondamental sur la base duquel la lettre de
change a été créée.
Sur le plan terminologique, l’origine de la provision c’est le terme latin «
providere » qui signifie prévoir.

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Les effets de commerce

Le tireur doit prévoir le paiement du titre qu’il a émis, or ce paiement ne


peut avoir lieu que si le tireur est créancier à l’égard du tiré.

§ 2  Les conditions d'existence de la provision

A. Détermination de la personne qui doit fournir la provision


Selon l'article 275 alinéa 1 du CC, « la provision doit être faite par le
tireur ou par celui pour le compte de qui la lettre de change sera tirée,
sans que le tireur pour le compte d'autrui cesse d'être personnellement
obligé envers les endosseurs et le porteur seulement ».
Cet alinéa met à la charge du tireur l'obligation de fournir provision,
c'est-à-dire il doit être concrètement créancier à l'égard du tiré à
l'échéance (il lui a délivré une marchandise ou rendu un service).
Cet alinéa traite, également, l'hypothèse particulière du tirage pour
compte, en considérant que la provision doit être fournie par le donneur
d'ordre (et non par le tireur apparent).

B. Le moment de la constitution de la provision


La créance doit exister au plus tard le jour de l'échéance, il n'est pas
nécessaire qu'elle soit préalable ou qu'elle existe le jour même de
l’émission de la lettre de change.
Il en résulte que, contrairement au chèque, la lettre de change peut être
valablement créée sans provision, il suffit que le tireur devienne
ultérieurement créancier du tiré, et ce au plus tard au jour de l'échéance.
Cette spécificité de la lettre de change par rapport au cheque s’explique
par la fonction de crédit que la lettre de change est appelée à remplir.
Ainsi, le tireur peut émettre la lettre de change et l’utiliser pour régler
ses dettes ou pour se procurer du crédit par l’escompte avant même de
livrer la marchandise au tiré, c'est-à-dire avant d’être créancier à son
égard, mais avec l’intention de le faire avant l’échéance (ce qui distingue
cette hypothèse de celle des effets de complaisance).

C. Le montant de la provision
Cette créance doit être au moins égale au montant de la lettre de
change, c'est-à-dire qu'elle doit être égale ou supérieure.

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Les effets de commerce

La provision intégrale ne soulève pas de problème, mais, le législateur ne


s'est pas expressément prononcé sur la question de la provision partielle
(inférieure au montant de la lettre de change).
A priori, et selon une interprétation littérale de l’alinéa 2, on pourrait
déduire qu’il n'y a pas provision si, à l’échéance, la créance du tireur
contre le tiré est inférieure au montant de la lettre de change.
Cette interprétation semble inappropriée parce que le législateur
reconnaît, dans d'autres textes, certains effets juridiques à la provision
partielle. C’est ainsi que l'article 285 alinéa 4 du CC permet au tiré de
restreindre son acceptation à une partie de la somme indiquée sur la
lettre de change. De même, l'article 295 du CC interdit au porteur de
refuser un paiement partiel.

D. Caractères de la provision
Cette créance fondamentale doit remplir les conditions de validité
prévues par la théorie générale des obligations.
Il en résulte, qu’une créance entachée de nullité ne saurait constituer une
provision valable. C’est le cas par exemple si la provision est représentée
par une créance d'une dette de jeux ou de pari ou toute autre cause
immorale. Cette provision serait nulle (pour cause illicite). Mais, il faut
préciser que la nullité ou même l'inexistence de la provision n'entraîne
pas la nullité de la lettre de change à l'égard du porteur de bonne foi qui
peut réclamer et obtenir le paiement parce qu'il est protégé par le
principe de l'inopposabilité des exceptions.
Cette créance doit être certaine, liquide et exigible pour conférer au
porteur la garantie d'être payé. Elle ne peut pas être soumise à une
condition ou à un terme plus éloigné que l'échéance.
Si la provision ne présente pas ces caractères, le tiré peut refuser
l'acceptation. Mais, s’il accepte, il ne serait pas en droit d’opposer cette
exception au porteur de bonne foi.

§ 3  Les sources de la créance de provision (la cause de


provision)
La provision est toujours constituée par une créance de somme d'argent.

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Les effets de commerce

Cette créance peut avoir pour cause une livraison de marchandises, mais
même dans ce cas, la provision n'est pas constituée par les marchandises
elles-mêmes mais par la créance qui nait au profit du tireur, c’est-à-dire
par la valeur ou le prix de la marchandise.
Cette créance peut également résulter d'une prestation de service, de
l’octroi d'un prêt ou de certaines pratiques bancaires (tels que l’ouverture
d'un crédit ou la remise d’effets de commerce…).

Section 2
Les droits du porteur sur la provision
(Le transfert de la provision)

L'alinéa 3 de l'article 275 du CC prévoit que « la propriété de la


provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de
change ».
Il en résulte que le tireur de la lettre de change cesse d'être titulaire de
la créance contre le tiré ; cette créance est transmise au porteur de la
lettre de change qui devient le titulaire de la créance de provision.
Cette transmission s’explique par le rôle de garantie puisqu’elle constitue
une garantie supplémentaire de paiement (lorsque le porteur ne peut pas
agir sur la base du titre, en tant que lettre de change, il conserve le droit
de réclamer le paiement sur la base de la créance de provision).
A cet égard, il faut préciser que l’expression « propriété » de la provision
est inappropriée parce qu’il ne s’agit pas d’un droit réel mais d’un droit
personnel, un droit de créance.
Le transfert de la provision se fait de droit, c'est-à-dire de manière
automatique avec l’endossement et il n’est subordonné à aucune
formalité malgré que la provision soit une créance fondamentale.

Section 3
La preuve de la provision

Le législateur réglemente la charge de preuve dans les alinéas 4, 5 et 6


de l'article 275 du CC.
• Alinea 4: l’acceptation suppose la provision (une présomption).

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Les effets de commerce

• Alinéa 5: elle en établit la preuve à l'égard des endosseurs.


• Alinéa 6: soit qu'il y ait ou non acceptation, le tireur seul est tenu de
prouver, en cas de dénégation, que ceux sur qui la lettre était tirée
avaient provision à l'échéance, sinon, il est tenu de la garantie, quoique
le protêt ait été fait après les délais fixés.
L'interprétation de ces alinéas a donné lieu à une jurisprudence
abondante en raison de l’importance pratique du régime de la preuve et
la contradiction apparente entre les alinéas 4 et 6.
Alinéa 4 Alinéa 6 :
• Il y a une présomption: l'acceptation suppose la provision.
• La charge de preuve incombe au tireur (exigence de preuve directe).
Pour concilier entre ces deux alinéas, la jurisprudence et la doctrine ont
déterminé à chacun un champ d'application propre. Il convient donc de
faire la distinction entre le domaine d’application de la présomption de
l’alinéa 4 et le domaine d’application de l’alinéa 6.

§ 1  Signification et domaine d'application de la présomption


(alinéa 4)
Selon cette présomption, l'acceptation fait présumer la provision. Celui
qui invoque l'existence de la provision est dispensé de la prouver dès lors
que la lettre de change a été acceptée par le tiré.
 La justification de cette présomption est simple:
Puisque, si le tiré a accepté la lettre de change et a pris l'engagement de
la payer à l'échéance c'est qu'il s'est reconnu débiteur à l'égard du tireur,
c'est-à-dire qu’il a déjà reçu la provision. Cette présomption peut être
invoquée par le porteur, même s’il est en même temps tireur (rapport
bilatéral où le tireur est lui-même le bénéficiaire).
 L’alinéa 5 précise qu’elle en établit la preuve à l’égard des
endosseurs:
Même les endosseurs peuvent bénéficier de cette présomption dans le
cadre de leurs recours en remboursement contre le tiré-accepteur (cela
suppose que c’est un endosseur qui a été obligé de payer le porteur en
tant que garant de paiement).

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Les effets de commerce

La présomption joue dans les rapports suivants :


• tiré-accepteur / porteur (tiers)
• tiré-accepteur / tireur-porteur (rapport bilatéral)
• tiré-accepteur / endosseurs
Toutes ces personnes sont dispensées de la charge de preuve dans leurs
recours contre le tiré accepteur.

§ 2  Force de la présomption
La force de cette présomption diffère selon le type de rapport :
• Tiré-accepteur / tireur-porteur (rapport bilatéral)
• Tiré-accepteur / porteur ou endosseur (rapport triangulaire)
 La présomption est simple: dans certains cas, le tiré peut accepter
malgré qu’il ne soit pas débiteur à l'égard de tireur.
Exemple:
• Il peut accepter dans la perspective de recevoir la provision avant
l’échéance (commande d’une marchandise qui n’est pas encore livrée
lors de l’acceptation).
• Il peut accepter une lettre de change en paiement d'une marchandise
qui s'avère avariée ou non conforme à la commande.
• Il peut y avoir annulation ou inexécution du contrat initial (après
l’acceptation) …
Dans ces différentes hypothèses et puisque le tireur-porteur est lui-même
partie dans le rapport fondamental, il ne peut pas se prévaloir de sa
bonne foi ou de son ignorance du vice (il en est le responsable !).
La présomption est donc simple et le tiré peut la combattre par la preuve
contraire. Le principe de l’inopposabilité des exceptions ne s’applique
pas dans ce rapport, le tiré peut opposer au tireur-porteur le défaut de
provision pour justifier le refus de paiement.
 La présomption est irrefragable:
Si le tiré a accepté, c’est qu’il s’est reconnu débiteur à l’égard du tireur,
et il devient, par son acceptation, engagée sur le plan cambiaire à l’égard
du porteur.

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Les effets de commerce

Le porteur est protégé par l’apparence et par le principe de


l’inopposabilité des exceptions. Le tiré ne peut pas opposer au porteur
de bonne foi le défaut de provision parce qu'il s'agit d'une exception
fondée sur les rapports personnels des parties.

§ 3  Domaine exclu de la présomption : l'exigence d’une preuve


directe (alinéa 6)
La présomption est exclue dans les rapports entre tireur et porteur.
En effet, lorsque le tiré refuse le paiement et nie l'existence de la
provision, le porteur a le droit de poursuivre le tireur en tant que garant
de paiement.
Dans le cadre de ce recours, le tireur ne peut pas se prévaloir de la
présomption de l’alinéa 4. Il doit rapporter la preuve directe de la
provision, sinon il sera tenu de la garantie, c'est-à-dire qu’il sera obligé
de payer le porteur même si ce dernier est négligeant (s’il n’a pas dressé
le protêt ou qu’il l’a fait après les délais).
Dans ce cas, le tireur ne peut être dispensé de son engagement que s'il
prouve qu'il a fourni la provision.
NB : L’alinéa 6 ne concerne que les rapports triangulaires (le porteur
impayé par le tiré agit contre le tireur en tant que garant du paiement).
L’exigence d’une preuve directe n’a pas de signification dans le rapport
bilatéral. La garantie du tireur n'a aucun sens puisque c'est lui qui
demande le paiement. Dans ce cas, le tireur-porteur bénéficie de la
présomption et le tiré ne peut pas se prévaloir de l’alinéa 6.
Pourtant, on constate qu’en pratique le tiré invoque généralement
l’alinéa 6 pour mettre à la charge du tireur la preuve de la provision alors
que le rapport est bilatéral. En revanche, le tireur invoque généralement
l’alinéa 4 (même lorsqu’il est poursuivi par le porteur).
La présomption est également exclue lorsque le tiré n'a pas accepté la
lettre de change, dans ce cas, le défaut d’acceptation fait présumer qu’il
n’y a pas de provision et celui qui invoque son existence doit prouver
qu’elle a été fournie.

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Les effets de commerce

Chapitre III
L’acceptation
Le législateur a défini l'acceptation dans l'article 287 du CC selon lequel
« par l'acceptation, le tiré s'oblige à payer la lettre de change à
l'échéance… ». Il s'agit, donc, de l’engagement cambiaire que prend le
tiré de payer le montant de la lettre de change à l'échéance.
Il faut préciser que l'acceptation n'est pas une condition de validité de
la lettre de change, mais, elle présente plusieurs intérêts et a une
incidence très importante sur la situation des parties et sur les droits du
porteur.
Généralement, la lettre de crédit est présentée à l’acceptation par le
tireur lui-même avant la remise du titre au bénéficiaire. Mais, selon
l’article 283, la lettre de change peut être, jusqu'à l’échéance, présentée
à l’acceptation par le porteur ou même par un simple détenteur.
Lorsque la lettre est présentée à l’acceptation, le tiré doit normalement
répondre immédiatement, mais, il peut exceptionnellement demander
une 2ème présentation le lendemain de la première.
Il convient de préciser qu’il s’agit, en principe, d’une faculté et non pas
d’une obligation pour le porteur.
De même, l’acceptation est, en principe, facultative pour le tiré.

Section 1
Le caractère facultatif de l'acceptation

En principe, le tiré n'est pas obligé d'accepter la lettre de change, même


s'il a reçu provision et qu'il est débiteur sur le plan extra-cambiaire. La
justification c'est que l’acceptation va l’engager sur le plan cambiaire et
aggraver sa situation, or le législateur n'impose pas l'engagement
cambiaire au débiteur même si sa dette fondamentale est certaine (cet
engagement suppose une expression de volonté).
En principe, l'acceptation a un caractère facultatif. Mais, ce principe
reçoit deux exceptions (une exception légale et une exception
conventionnelle) où l'acceptation devient obligatoire pour le tiré.

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Les effets de commerce

§ 1  Exception légale (Obligation légale) contrat de fourniture


de marchandise
D’après l'article 283 alinéa 9 du CC, l'acceptation est obligatoire lorsque
la lettre de change est créée en exécution d'un contrat de vente de
marchandise, passé entre commerçants et que le tireur a satisfait aux
obligations contractuelles (il a fourni la provision en livrant la
marchandise).
Ces 3 conditions sont cumulatives (on élimine tous les autres contrats, les
actes mixtes, ainsi que les actes entre non commerçants). Si elles sont
réunies, le tiré doit accepter la lettre de change dès l'expiration d'un
délai conforme aux usages normaux du commerce en matière de
reconnaissance de marchandise.
Si le tiré, qui a reçu la provision, refuse de donner son acceptation, il perd
le bénéfice du terme et sa dette extra cambiaire devient
immédiatement exigible.

§ 2  Exception conventionnelle : promesse d'acceptation


Le tiré peut s'engager dans le contrat de vente ou dans un autre acte
extra cambiaire, à accepter, ultérieurement, les lettres de change qui
seraient, ultérieurement, émises par le tireur en exécution de leur
contrat.
Il s’agit d’une promesse d’acceptation et l’inexécution de cette
obligation de faire, peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Section 2
Les conditions d'acceptation

§ 1  Les conditions de fond


Comme tout acte juridique, l'acceptation est soumise aux conditions de
l'article 2 du COC, il doit y avoir capacité, consentement, cause licite et
objet.
Mais, ces conditions de droit commun doivent être complétées par
certaines exigences particulières :

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Les effets de commerce

 L'acceptation doit être pure et simple; c’est-à-dire l'acceptation


conditionnelle qui apporte une modification aux énonciations de la
lettre de change vaut comme un refus d'acceptation.
 Mais, l'acceptation peut être partielle; c'est-à-dire que le tiré peut la
restreindre à une partie de la somme indiquée sur le titre (généralement
en cas de provision partielle). Dans ce cas, le tiré serait cambiairement
tenu dans les limites de son acceptation.
 L'acceptation est irrevocable; c'est-à-dire que le tiré qui a donné son
acceptation ne peut pas la rétracter après la restitution du titre.

§ 2  Les conditions de forme


Elles sont prévues par l'article 285 du CC :
 L'acceptation doit être écrite sur la lettre de change.
 Elle peut être exprimée par l'expression « accepté » ou toute autre
formule équivalente suivie de la signature du tiré (indispensable).
 Elle peut résulter de la seule signature apposée au recto du titre et
cette signature doit être manuscrite.

Section 3
Les effets de l'acceptation

§ 1  L'engagement cambiaire du tiré


L'article 287 du CC précise que « par l'acceptation, le tiré s'oblige à
payer la lettre de change à l'échéance ».
En effet, avant l’acceptation, le tiré n’est pas partie dans la lettre de
change.
C’est le tireur qui est considéré comme le débiteur principal, alors que le
tiré n'est pas engagé sur le plan cambiaire parce qu'il n'a pas participé à
la création du titre et il n'est tenu que dans la limite de son obligation
fondamentale.
Mais, à partir de l’acceptation, le tiré devient partie à la lettre de
change, il prend l’engagement cambiaire de payer le porteur à l’échéance
et il devient le débiteur principal.

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Les effets de commerce

§ 2  L'action directe du porteur


A partir de l'acceptation, le tiré devient obligé directement et
personnellement à l'égard du porteur. Et à partir de cette date, le
porteur acquiert un droit irrévocable qui lui permet, conformément à
l'article de 287 alinéa 2 du CC, d’exercer une action directe résultant de
la lettre de change.
Cette action directe, sur le plan cambiaire, appartient à tout porteur de
la lettre de change et elle est indépendante de l’action extra-cambiaire,
fondée sur la transmission de la provision.

§ 3  Les effets de l’acceptation sur le plan extra-cambiaire


Sur le plan extra-cambiaire, l’acceptation renforce la situation du
porteur et consolide ses droits sur la créance fondamentale puisqu’elle
constitue une reconnaissance de la dette. Elle établit la présomption de
l’existence de la provision et elle lui permet d’agir contre le tiré sur le
plan extra-cambiaire (sur la base de son obligation fondamentale).
Ce recours fondé sur la transmission de la provision présente un grand
intérêt pour le porteur, surtout, en cas de défaillance sur le plan
cambiaire (nullité du titre en tant que lettre de crédit, prescription
cambiaire...).

Section 4
Les effets du refus d'acceptation

Malgré le caractère facultatif de l'acceptation, le défaut d'acceptation


rend la lettre de change suspecte, puisque le porteur peut légitimement
redouter le défaut de paiement à l'échéance, c'est pourquoi le défaut
d'acceptation est considéré comme un incident qui produit des effets
aussi bien à l'égard du tiré qu'à l'égard des autres signataires.

§ 1  Effets à l'égard du tiré

A. La déchéance du terme
Le tiré non-accepteur n'est pas engagé sur le plan cambiaire, donc, aucun
recours cambiaire n’est possible contre lui. En revanche, sur le plan extra
cambiaire, le tiré demeure débiteur à l'égard de tireur en vertu de son

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Les effets de commerce

obligation fondamentale, et puisqu'il a refusé l'acceptation, il perd le


bénéfice du terme et sa dette devient immédiatement exigible. L'article
283 CC prévoit dans son dernier alinéa que « le refus d'acceptation
entraîne de plein droit la déchéance du terme aux frais et dépens du
tiré ».
Il convient de préciser que cette déchéance du terme ne concerne que la
créance du tireur contre le tiré (la provision) qui devient immédiatement
exigible, donc, seul le tireur peut exiger le paiement immédiat du tiré.
En revanche, le porteur ne peut pas agir avant l'échéance contre le tiré,
ni sur le plan cambiaire ni sur le plan extra-cambiaire parce que son droit
sur la provision est un droit éventuel jusqu'à l’échéance. Donc, le seul
recours possible du porteur contre le tiré non-accepteur est le recours
extra-cambiaire sur la base du transfert de la provision et ce recours ne
peut être exercé qu’à l’échéance et il est soumis aux règles du droit
commun.

B. La responsabilité du tiré pour avis tardif du refus d'acceptation


Conformément à l’article 284 du CC, le tiré doit répondre au porteur qui
a présenté la lettre de change à l’acceptation tout de suite, mais, il peut
demander une seconde présentation le lendemain de la première. S’il ne
répond pas rapidement, il peut engager sa responsabilité à l’égard du
porteur.
La rapidité est nécessaire pour permettre au porteur de prendre les
mesures conservatoires et d’exercer les recours anticipés contre les
garants (le retard peut lui causer un préjudice).

§ 2  Les effets à l'égard des garants du paiement (recours


anticipés)
En principe, le porteur a le droit de demander le paiement et d'exercer
ses recours cambiaires contre tous les signataires à l’échéance de la lettre
de change. Mais, l’article 306 du CC permet, exceptionnellement, au
porteur d’agir contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés même
avant l’échéance en cas de refus total ou partiel d’acceptation.
Ce texte tend à protéger les droits du porteur qui peut redouter le défaut
de paiement à l'échéance parce que le refus d'acceptation rend la lettre

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Les effets de commerce

de change suspecte, il n'est donc pas obligé d’attendre l’échéance, et un


recours lui est immédiatement ouvert contre les garants du paiement.
Pour exercer ce recours, le porteur doit établir un protêt faute
d'acceptation dans les délais fixés pour la présentation à l'acceptation
(avant l’échéance), mais, le porteur peut être dispensé de cette
obligation si la lettre de change comporte la clause retour sans frais ou
sans protêt.
Le porteur doit, également, informer les signataires du défaut
d'acceptation. Si le porteur n’établit pas le protêt, il est déchu de ses
droits de recours contre tous les signataires, mais, cette déchéance n’a
lieu, à l’égard du tireur, que s’il justifie qu’il a fourni la provision. Le tireur
qui n'a pas fourni provision ne peut pas échapper aux recours du porteur
même s’il est négligeant. La négligence du porteur entraine la déchéance
de ses recours contre tous les signataires, sauf à l’encontre du tireur qui
n’a pas fourni provision.

Chapitre IV
L’endossement
L'endossement est une technique cambiaire de transmission des titres.
En effet, la lettre de change est un titre négociable qui est appelé à
circuler et cette circulation doit être rapide, mais, elle doit, également,
assurer au porteur le maximum de sécurité. C’est la raison pour laquelle
le législateur ne s’est pas contenté des modalités de la cession de créance
de droit commun, parce qu’elles ne permettent pas de répondre aux
impératifs de rapidité et de sécurité.
Ainsi, le Droit cambiaire a privilégié la technique de l’endossement qui
constitue un mode de transmission simple et rapide puisqu’il peut se
réaliser par une simple signature apposée, généralement, au dos du titre.
L'endossement peut être effectué à titre de procuration ou de gage
mais on va se limiter, dans le cadre de ce cours, à l’étude de
l’endossement translatif (endossement de principe). Cet endossement
est régi par les articles 276 et suivants du CC qui fixent les conditions de
validité de cet engagement cambiaire et réglementent ses effets.

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Les effets de commerce

Section 1
Les conditions de l'endossement

§ 1  Les conditions de forme


L’article 276 alinéa 8 du CC réglemente la forme de l’endossement en
précisant que « l'endossement doit être écrit sur la lettre de change ou
sur une feuille qui y est attachée (allonge). Il doit être signé par
l’endosseur ». Ce texte qui constitue l'une des manifestations du
formalise cambiaire exige que l'endosseur appose sa signature
manuscrite sur le titre lui-même ou sur une allonge (lorsque la lettre de
change a beaucoup circulé et ne comporte plus d’espace pour une
nouvelle signature).
Sur le plan terminologique, l'endossement devrait, a priori, figurer au dos
du titre, mais, aucun texte n'interdit l'endossement au recto. Ce dernier
doit, donc, être considéré comme valable, sauf s'il s'agit d'un
endossement en blanc parce que l'article 276 exige, dans son dernier
alinéa, que cet endossement soit inscrit au dos de la lettre de change
(pour éviter toute confusion avec l’aval).
Il ressort de l'article 276 du CC que l'endossement peut avoir 3 formes :
Il peut être nominatif, en blanc ou au porteur.
1. L'endossement nominatif
C’est celui qui indique le nom de l’endossataire avec la formule "endossé
au profit de Mr. X" ou toute autre formule équivalente, suivie de la
signature de l’endosseur.
2. L'endossement en blanc
Cet endossement ne désigne pas le nom du bénéficiaire et peut même
consister dans la simple signature de l'endosseur apposée au verso de la
lettre de change.
Le bénéficiaire de cet endossement en blanc dispose de plusieurs
alternatives puisqu’ il peut :
 soit compléter le blanc en indiquant son propre nom.
 soit endosser, à son tour, la lettre de change en blanc.

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Les effets de commerce

 soit endosser le titre en indiquant le nom d’une tierce personne en tant


qu'endossataire.
 soit faire circuler la lettre de change par simple tradition (remise de
main en main) sans porter aucune indication ou signature sur la lettre
de change, et dans cette dernière hypothèse, il n’est pas tenu, sur le
plan cambiaire, et ne garantit pas le payement.
3. L'endossement au porteur
Il comporte la mention "au porteur" et a la même valeur qu’un
endossement en blanc (il permet de détourner l‘interdiction d’émettre
des lettres de change au porteur).
L’endossement peut comporter certaines mentions facultatives telles
que l’indication de sa date, l’interdiction d’un nouvel endossement,
l’exclusion de la garantie, la clause "retour sans frais"...

§ 2  Les conditions de fonds

A. Les conditions relatives aux parties (à l’endosseur)


L’endosseur contracte un engagement cambiaire qui obéit, en tant
qu’acte juridique, aux conditions de validité de l’article 2 du COC.
Il doit y avoir un consentement non vicié, ainsi, la fausse signature
n’engage pas l’endosseur apparent (prétendu) pour absence de
consentement et constitue une exception opposable même au porteur
de bonne foi.
Mais, en vertu du principe de l'indépendance des signatures, la lettre de
change ainsi que les obligations des autres signataires restent valables.
La cause de l’endossement doit exister et être licite. Il s'agit de la valeur
fournie par l’endossataire à l'endosseur. L’endossement qui se fonde sur
une cause illicite ou dépourvue de cause serait nul mais cette nullité est
inopposable au porteur de bonne foi.
L'endosseur doit avoir la capacité commerciale vu le caractère cambiaire
de son engagement et la commercialité formelle de la lettre de change.
Le pouvoir requis pour l’endossement est le même que celui pour la
création de la lettre de change (l’endosseur doit être le propriétaire du
titre ou son mandataire).

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Les effets de commerce

B. Les conditions relatives à l'acte de l’endossement


L’endossement doit être inconditionnel, et la loi répute non écrite toute
condition à laquelle il serait subordonné. Il doit être intégral, c’est à dire
porter sur tout le montant de la lettre de change. L’endossement partiel
est nul selon l’article 276 alinéa 6 du CC.
L'indication de la date de l’endossement n’est pas obligatoire. Mais, pour
produire tous ses effets, il doit intervenir avant l’expiration du délai fixé
pour dresser protêt faute de paiement (2 jours qui suivent l’échéance).
L’endossement postérieur au protêt n’est pas nul selon l'article 282 du CC,
mais, ne produit que les effets d’une cession de créance (surtout
opposabilité des exceptions).
Lorsque l'endossement n’est pas daté, le législateur établit une
présomption dans l'article 282 alinéa 2 du CC selon laquelle «
l'endossement est censé avoir été fait avant l'expiration du délai fixé
pour dresser le protêt ». Mais, il s’agit d’une présomption simple qui
admet la preuve contraire.

Section 2
Les effets de l’endossement

L'endossement transmet tous les droits de l’endosseur à l’endossataire et


cette transmission s’accompagne de deux garanties fondamentales
prévues par les articles 278 (obligation de garantie qui pèse sur
l’endosseur) et 280 du CC (principe de l’inopposabilité des exceptions ‫ﻣﺒﺪأ‬
‫)ﻋﺪم اﻟﻤﻌﺎرﺿﺔ ﺑﺎﻟﺪﻓﻮع‬.

§ 1  L'effet translatif : transmission des droits de l'endosseur à


l'endossataire
L’article 277 alinéa 1 du CC dispose que « l’endossement transmet tous
les droits résultant de la lettre de change ».
Il en résulte que l’endossataire acquiert tous les droits de l’endosseur
contre le tiré et contre les garants de paiement. Mais, l’article 277 précise
qu’il s’agit de droits résultants de la lettre de change, c'est-à-dire des
droits propres en tant que porteur en vertu du principe de
l’autosuffisance du titre (des droits incorporés dans le titre).

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Les effets de commerce

Cette transmission porte sur la propriété de la lettre de change, ainsi que


les suretés et privilèges qui garantissent le paiement de cette créance
cambiaire. Mais, elle porte également sur la créance de provision
puisqu’elle est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de
change (article 275 du CC).
L’endossement transmet, en outre, à l’endossataire la qualité de porteur
légitime habilité à demander le paiement à l’échéance puisque cette
notion est définie par référence à la chaine ininterrompue des
endossements.
L’article 279 du CC prévoit que « le détenteur d’une lettre de change
est considéré comme porteur légitime s’il justifie de son droit par une
suite ininterrompue d’endossements, même si le dernier endossement
est en blanc... ».

§ 2  L'obligation de garantie de l’endosseur


L’article 278 du CC prévoit que « l’endosseur est, sauf clause contraire,
garant de l'acceptation et du paiement... ».
De même, l’article 274 du CC prévoit que « le tireur est garant de
l'acceptation et du paiement... ».
Cette obligation de garantie de l'endosseur est beaucoup plus large que
l'obligation du cédant en matière de cession de créance.
En effet, selon l'article 213 du COC le cédant ne garantit que sa qualité
de créancier, l’existence de la créance au moment de la cession et le droit
d'en disposer. Il ne garantit pas le paiement à la place du débiteur cédé.
En revanche, le tireur et les endosseurs garantissent la solvabilité du
débiteur (tiré) et s’engagent à payer à sa place en cas de défaillance.
Cette obligation de garantie se justifie par le souci de faciliter la
circulation des lettres de change et d’assurer la sécurité du porteur. Ce
dernier n’accepte d’être payé par une lettre de change tirée sur un
inconnu que parce que le cédant est garant du paiement.
Cette obligation de garantie qui pèse sur l’endosseur ne fait pas
disparaitre celle des endosseurs antérieurs, ce qui augmente, au fur et à
mesure des endossements, les chances d'obtenir le paiement (ils sont tous
tenus solidairement).

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Les effets de commerce

L'endossement a, donc, pour effet de rendre tous les endosseurs garants


solidaires du paiement envers le porteur.
La mise en œuvre de cette garantie est simple : lorsqu'il y a refus
d'acceptation ou de payement par le tiré, le porteur peut agir contre son
endosseur et contre tous les signataires individuellement ou
collectivement et il n'est même pas obligé de respecter l'ordre de leur
engagement puisqu’il peut se retourner contre les signataires antérieurs
qui restent garants à son égard (article 310 du CC).
Mais, il faut préciser que la garantie de l’endosseur n’est pas d’ordre
public. Elle peut être exclue ou restreinte par une clause de l'endosseur.
L'endosseur peut donc s'exonérer de la garantie de l'acceptation et du
paiement contrairement au tireur qui ne peut s’exonérer que de la
garantie d’acceptation (il est toujours garant du paiement).
La clause d’exonération doit être mentionnée sur la lettre de change
pour qu’elle soit opposable aux porteurs postérieurs.

§ 3  L’inopposabilité des exceptions


Ce principe prévu par l’article 280 du CC est une règle originale du droit
cambiaire et constitue une dérogation aux règles de droit commun. C'est
pourquoi son domaine est limité et il est soumis à des conditions.

A. Originalité du principe
En matière de cession de créance, le cessionnaire se présente comme
l'ayant cause du cédant (article 204 du COC). Il est substitué de droit au
cédant et acquiert, donc, un droit dérivé et c’est le même droit qui
appartenait au cédant. Il ne peut pas acquérir plus de droits que n’en
avait son cédant puisque l’art 551 du COC pose le principe selon lequel
nul ne peut conférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même.
Il en résulte que le cessionnaire acquiert la créance telle qu’elle est avec
toutes ses qualités (droit au paiement, droit sur les accessoires et les
suretés etc.…) mais également avec tous ses vices (article 212 du COC).
C’est ce qui explique que le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire
toutes les exceptions, c’est à dire les vices et les moyens de défense qu’il
pouvait opposer au cédant (nullité, extinction de la créance etc....) pour
justifier le refus de paiement.

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Les effets de commerce

Le principe en droit commun c’est l’opposabilité des exceptions


consacrée par l'article 217 du COC « le débiteur peut opposer au
cessionnaire toutes les dispositions qu’il aurait pu opposer au cédant,
si elles étaient déjà fondées au moment de la cession... ».
En revanche, en matière d’endossement, l’article 280 du CC pose le
principe inverse (inopposabilité des exceptions) en disposant que « les
personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas
opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports
personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que
le porteur en acquérant la lettre n’ait agit sciemment au détriment
du débiteur ».
C’est une règle originale du droit cambiaire et dérogatoire aux règles de
droit commun parce que l’endossataire n'est pas l'ayant cause de
l'endosseur et n'acquiert pas un droit dérivé, mais, il acquiert un droit
propre et direct en raison de sa possession du titre (son droit résulte
directement du titre).
L'endossement transmet, donc, au porteur un droit nouveau, c’est-à-dire
une créance modifiée et purgée. Il a pour effet de purger le titre de ses
vices et des exceptions qui deviennent inopposables au porteur.
Il en résulte que le porteur acquiert la créance avec ses qualités, à
l’exclusion de ses vices, et il se trouve, ainsi, dans une situation meilleure
que celle de son cédant. Il acquiert plus de droits.
Les vices qui grevaient la créance n’ont d’effet que contre le créancier
cédant. En revanche, le débiteur ne peut plus opposer ces vices au
cessionnaire.
Ce principe se justifie par le souci de protection du porteur et de favoriser
la circulation des effets de commerce.
En effet, le porteur acquiert, en toute sécurité, la lettre de change sans
se renseigner sur les rapports juridiques existants entre le tireur et le tiré
ou entre l’endosseur et les précédents signataires, il peut légitimement
se fier à l'apparence parce que ses droits sont incorporés dans le titre lui-
même.
Mais, il faut préciser que le principe de l'inopposabilité des exceptions
n'est pas absolu, il est soumis à certaines conditions.

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Les effets de commerce

B. Les conditions d'application du principe


Le principe d'inopposabilité est soumis à des conditions relatives au
porteur d'une part et aux exceptions d'autre part.
1. Conditions relatives au porteur de la lettre de change
L'article 280 du CC exclut l'application du principe lorsque le porteur qui
a acquis la lettre de change a « agi sciemment au détriment du
débiteur ». Ce porteur est qualifié de porteur de mauvaise foi et il n'est
pas protégé par l’inopposabilité des exceptions.
La notion de mauvaise foi telle que définie dans cet article suppose
l'existence de deux éléments :
 Un élément matériel (agir): il s’agit d’une action, une manœuvre
frauduleuse,
 Un élément moral psychologique (sciemment): c'est la conscience du
dommage, l'intention de nuire au débiteur.
Il ressort aussi de cette définition que la simple connaissance du vice est
insuffisante pour conférer au porteur la qualité de mauvaise foi.
En effet, le porteur qui connaît l’exception surtout l'absence de provision,
peut légitimement penser que cette exception disparaîtra et que la
provision sera fournie avant l'échéance. Encore, faut-il que le porteur soit
conscient du préjudice causé au débiteur en le mettant dans
l'impossibilité de se prévaloir d'une exception qu'il aurait pu opposer au
tireur ou à un autre débiteur cambiaire.
Mais, en pratique, l'appréciation de ces éléments soulève des difficultés
sur le terrain de la preuve.
La conscience du dommage étant, par définition, un phénomène
psychologique interne, sa preuve ne peut être établie que par des indices.
D’ailleurs, lorsqu'il s'agit d'un professionnel (banquier escompteur), la
connaissance de l'exception risque de se confondre avec la conscience du
dommage, c'est le cas, par exemple, lorsque le banquier connaît les
difficultés financières de son client tireur, ce qui laisse à supposer qu'il ne
fournira pas la provision au tiré à l'échéance. Cette connaissance de
l'exception peut être retenue comme l'un des indices de la conscience du

Faculté de Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 56


Les effets de commerce

dommage chez le porteur professionnel qui est souvent réputé de


mauvaise foi.
Il convient, cependant, de préciser que le banquier n'est pas présumé
connaître l’exception, c'est-à-dire qu'il n'est pas présumé de mauvaise
foi. En effet, c'est la bonne foi du porteur qui est toujours présumée, c'est
de dire qu'il appartient au débiteur cambiaire d'établir la preuve de la
mauvaise foi du porteur.
Mais, puisque la mauvaise foi est un fait juridique, sa preuve peut être
établie par tous moyens et notamment par présomptions et indices avec
la possibilité de recours à une expertise.
Il ressort, également, de l'article 280 que la mauvaise foi du porteur doit
être appréciée au moment de son acquisition du titre (« en acquérant la
lettre »). En revanche, si le porteur prend conscience du dommage après
l'acquisition de la lettre, il ne sera pas considéré comme de mauvaise foi.
L'appréciation de la mauvaise foi relève du pouvoir souverain des juges
de fond, mais, elle est soumise au contrôle de la cour de cassation sur la
qualification des faits.
En outre, le porteur doit se présenter comme un porteur légitime qui
justifie de son droit par une suite ininterrompue d'endossements. Il doit
être un tiers étranger au rapport personnel entre tiré et tireur et par
rapport au débiteur auquel il demande le paiement.
En effet, lorsque le rapport est bilatéral, le tireur-porteur se présente
comme le cocontractant direct du tiré et comme le sujet propre de
l'exception, ce qui l'exclut du bénéfice de l'inopposabilité des exceptions.
Il serait injuste d'ouvrir au tireur qui n'a pas fourni de provision une
action directe contre le tiré tout en lui permettant de se prévaloir du
principe d'inopposabilité des exceptions.
Il en est de même pour le bénéficiaire à l'égard du tireur et pour
l’endossataire à l'égard de son endosseur.
2. Conditions relatives aux exceptions
L'article 280 prévoit l'inopposabilité des exceptions fondées sur les
rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs.
À contrario, les exceptions qui ne sont pas fondées sur les rapports
personnels sont opposables même au porteur de bonne foi.

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Les effets de commerce

2.1 Les exceptions opposables à tout porteur (même de bonne foi)


Il s’agit des exceptions et des moyens de défense qui ne sont pas fondés
sur les rapports personnels et qui peuvent être invoqués par le débiteur
cambiaire pour justifier le refus de paiement :
 L’exception fondée sur un vice apparent du titre telle que l'absence
de l'une des mentions obligatoires prévues par l'article 269. Cette
opposabilité se justifie par la protection du porteur est fondée sur
l’apparence et l’autosuffisance du titre, il doit donc vérifier la régularité
formelle du titre.
Les mentions facultatives sont opposables aux porteurs successifs à
condition qu'elles soient insérées dans la lettre de change.
 L'exception fondée sur l'absence de consentement, surtout lorsqu'il
s'agit d'une fausse signature. À défaut de consentement, l'obligation
cambiaire ne peut prendre naissance, donc, le porteur ne peut pas
réclamer le paiement au prétendu « débiteur » dont la signature a été
imitée.
 L'exception fondée sur l’incapacité du débiteur peut être invoquée
par l'incapable (ou son représentant) contre tout porteur, même s'il a usé
des manœuvres frauduleuses pour induire son cocontractant en erreur sur
sa capacité (article 10 du COC). Cette opposabilité se justifie par la
protection de l'incapable qui l'emporte sur la protection du porteur.
NB : dans les 2 derniers cas (absence de consentement et incapacité),
malgré qu'il s’agisse d'un vice qui n'est pas apparent, le porteur n’est pas
protégé par le principe de l’inopposabilité des exceptions, mais, il est
protégé par le principe de l'indépendance des signatures, en vertu
duquel seul l'incapable ou le prétendu signataire peut invoquer
l'exception, elle ne peut pas être invoquée par les autres signataires qui
demeurent engagés par la lettre de change (article 273 du CC).
2.2 Les exceptions inopposables au porteur de bonne foi
Il s'agit des exceptions fondées sur les rapports personnels, cambiaires
ou extra cambiaires, et qui ne peuvent être invoquées par les débiteurs
cambiaires pour justifier le refus de paiement (sauf si le porteur est de
mauvaise foi) :

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Les effets de commerce

 Les exceptions fondées sur la nullité ou la disparition du rapport


fondamental (extra cambiaire):
 Absence ou insuffisance de provision.
 Défaut de la valeur fournie par un endosseur.
 Paiement ou extinction de la créance fondamentale par compensation
ou résolution du contrat initial (Cass. 4911 du 10/02/2006: le paiement
au tireur vaut une exception inopposable au porteur de bonne foi).
 Les causes de nullité du rapport fondamental, même si cette nullité est
d'ordre public (le cas d'absence de cause ou cause illicite…).
 Les exceptions fondées sur la nullité de l'obligation cambiaire elle-
même
 Absence de cause ou cause illicite (c'est le cas pour la nullité des effets
de complaisance qui est inopposable au porteur de bonne foi).
 Les clauses facultatives qui ne figurent pas sur la lettre de change sont
inopposables au porteur. Le principe de l’inopposabilité des exceptions
purge la lettre de change de tous ces vices qui restent opposables entre
les parties concernées seulement.

Chapitre V
Le paiement

Section 1
Les conditions du paiement

§ 1  Le moment du paiement
Le paiement de la lettre de change doit être fait à présentation.
D’ailleurs, cette présentation est obligatoire pour le porteur le jour même
de l'échéance, ou au plus tard dans les 2 jours ouvrables qui suivent selon
l'article 294 du CC.
Cette obligation de présentation au paiement est spécifique au droit
cambiaire puisqu’en Droit commun, le créancier n'est pas obligé de
réclamer le paiement à l'échéance.

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Les effets de commerce

D’autant plus, l'échéance en droit cambiaire revêt un caractère impératif


ce qui marque la rigueur de ce droit qui se manifeste à travers plusieurs
règles :
 Selon l’article 296 du CC, le porteur ne peut être contraint de recevoir
paiement avant l’échéance. Le tiré qui paye avant l'échéance le fait à
ses risques et périls.
 Selon l'article 315 du CC, le porteur qui ne présente pas la lettre de
change au paiement dans les délais est considéré comme porteur
négligeant et il est sanctionné par la déchéance.
 Selon l'article 338 du CC, le législateur interdit les délais de grâce «
aucun délai de grâce n’est admis... », sauf en cas de recours anticipés
contre les garants, ou en cas de force majeure.

§ 2  le lieu du paiement
L’indication du lieu de paiement est une mention obligatoire dans la
lettre de change.
En principe, le paiement doit avoir lieu au domicile du tiré (débiteur) car
la dette cambiaire est une dette quérable.
Mais, la lettre de change peut comporter une clause de domiciliation qui
se fait le plus souvent auprès d'une banque. Dans ce cas, la clause de
domiciliation s'impose au porteur.

§ 3  les vérifications préalables au paiement


Pour qu’il soit libératoire, le paiement doit être fait entre les mains du
porteur légitime.
C’est pourquoi le législateur oblige le débiteur auquel on réclame le
paiement à procéder aux vérifications nécessaires conformément à
l'article 296 alinéa 3 du CC : « il est obligé de vérifier la régularité de
la suite des endossements, mais non la signature des endosseurs ».
Il en résulte que le tiré doit, avant de payer, vérifier si la personne qui
lui présente la lettre de change a la qualité de porteur légitime. Mais, il
s'agit simplement de vérifier la légitimité formelle, apparente puisqu'il
n'est pas en mesure de vérifier l'authenticité des signatures ni la capacité
ou les pouvoirs des endosseurs.

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Les effets de commerce

§ 4  Cas de perte ou de vol de la lettre de change


Le porteur dépossédé (suite à la perte ou au vol de son titre) peut,
conformément à l'article 299 du CC, faire opposition au paiement auprès
du tiré, c’est-à-dire qu'il peut avertir le tiré pour qu'il ne paye pas une
autre personne (aucune forme spéciale n’est exigée pour la validité de
cette opposition, mais, il vaut mieux que le tiré soit averti par huissier
notaire, pour établir la preuve).
Ensuite, conformément à l'article 302 du CC « il peut demander le
paiement de la lettre de change perdue ou volée et l’obtenir, par une
ordonnance sur requête en justifiant de sa propriété par ses livres et
en donnant caution ». Ce moyen de preuve est cité par le législateur à
titre indicatif puisque le porteur n'est pas toujours commerçant, la
preuve peut être rapportée par tout moyen.

Section 2
Les recours du porteur impayé

§ 1  les recours possibles


En principe, le porteur doit exercer ce recours à l'échéance, mais, la loi
lui permet, exceptionnellement, de l'exercer de manière anticipée.
A. Recours à l'échéance (article 306 alinéa 1 du CC)
En principe, les recours du porteur légitime contre les débiteurs
cambiaires sont exercés à l'échéance, en cas de défaut de paiement de
la lettre de change. Ces recours sont soumis à une double condition :
1- Présenter la lettre de change au paiement à l’échéance, dans le délai
légal (dans les 2 jours ouvrables qui suivent).
2- Faire dresser un protêt pour constater le défaut de paiement dans le
même délai (c'est-à-dire dans les 2 jours ouvrables qui suivent
l'échéance), et donner avis à son endosseur (information de la chaîne
des signataires).
NB : ce recours est ouvert quelle que soit la cause du défaut de paiement
(refus, impossibilité, force majeure...). Ce défaut est constitué même en
cas de paiement partiel. Dans ce cas, le porteur ne peut pas refuser le
paiement partiel, mais il dispose d'un recours pour le surplus.

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Les effets de commerce

B. Recours anticipé
L’article 306 du CC permet, exceptionnellement, au porteur d'exercer ses
recours avant l'échéance dans certains cas :
1- en cas de refus total ou partiel d'acceptation.
2- en cas de faillite du tiré (ou cessation de paiement, ou saisie de ses
biens).
3- en cas de faillite du tireur lorsque la lettre est non acceptée.
Le point commun entre ces trois situations c'est que le porteur a très peu
de chances d'être payé dès la réalisation de ces événements. Il est inutile
d'attendre l'échéance.
Pour exercer ces recours anticipés, le porteur doit dresser un protêt faute
d'acceptation et procéder à l'information de la chaîne des signataires.
Il convient de préciser que, dans ce cas, les garants du paiement vont
être exposés à l'obligation de payer avant l'échéance ce qui est
imprévisible, c'est pourquoi le législateur admet une atténuation à la
rigueur des délais et leur permet de demander par ordonnance sur
requête des délais de grâce, qui ne peuvent dépasser l'échéance.
Le recours anticipé est une faculté pour le porteur et non pas une
obligation. Le porteur ne peut exercer ces recours anticipés que contre
les garants du paiement et non pas contre le tiré non accepteur.

§ 2  Les débiteurs cambiaires exposés aux recours


Il ressort des articles 306 et 310 du CC que le porteur a le droit d'agir
contre tous ceux qui ont signé la lettre de change en qualité de tireur,
tiré- accepteur, endosseur, donneur d'aval et tous les autres obligés.
Toutes ces personnes sont solidairement tenues envers le porteur qui
peut les poursuivre individuellement ou collectivement et il n'est pas tenu
de s'adresser à son endosseur, ni de respecter l'ordre dans lequel ces
signataires se sont obligés.
Même s'il agit contre l’un des obligés, cette action ne l'empêche pas
d'agir contre les autres signataires.
Mais, le porteur ne peut pas exercer ses recours contre les garants
qu'après avoir justifié de la défaillance du tiré.

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Les effets de commerce

Il convient de rappeler que l'existence des recours cambiaires n’interdit


pas au porteur d'exercer l’action de droit commun, issue du rapport
fondamental (sur la base de la provision).
L’intérêt de la coexistence de ces deux actions apparaît lorsque le
porteur ne peut pas agir sur le plan cambiaire (défaut d’acceptation,
nullité du titre en tant que lettre de change, prescription...).
Outre ces deux actions, l’article 310 alinéa 3 du CC précise que « le même
droit appartient à tout signataire d’une lettre de change qui a
remboursé celle-ci ».
Le signataire qui a payé le porteur acquiert, également, le droit d'agir
contre tous les autres débiteurs qui ont signé avant lui et qui sont
garants du paiement à son égard (action récursoire).
Exemples : l'action d'un endosseur contre tous les signataires antérieurs
/ l'action du tireur (qui a fourni provision) contre le tiré-accepteur /
l'action du tiré qui a payé le porteur contre le tireur qui n'a pas fourni
provision.

§ 3  La déchéance du porteur (la sanction du porteur


négligent)
Conformément à l'article 315 du CC, le porteur est considérée négligent
lorsqu'il ne respecte pas les obligations nécessaires pour l'exercice des
recours cambiaires, surtout s'il ne présente pas la lettre de change ou ne
dresse pas de protêt dans les délais.
Ce porteur négligent est sanctionné par la déchéance c’est-à-dire qu’il
perd le droit d’agir contre les endosseurs et contre les autres obligés à
l'exclusion du tiré-accepteur et du tireur qui n'a pas fourni provision.
NB : seul le tireur qui a fourni provision peut bénéficier de la déchéance
du porteur négligent. S’il n’a pas fourni provision, il ne peut pas se
prévaloir de la négligence du porteur pour échapper à son obligation de
garantie du paiement (sinon, il y’aurait enrichissement sans cause).
Le tiré accepteur ne peut pas se prévaloir de la déchéance du porteur.
Même si le porteur est négligent, il conserve le droit d’agir contre ces 2
débiteurs principaux.

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Les effets de commerce

§ 4  la prescription
Le délai de prescription pour les actions contre le tiré-accepteur est de
3 ans. Le délai pour les actions du porteur contre le tireur et les
endosseurs est d'un an. Le délai des actions des endosseurs les uns contre
les autres ou contre le tireur est de 6 mois.
NB : cette prescription abrégée (courte) ne joue que sur le plan cambiaire
(elle éteint les actions cambiaires seulement), ainsi, les actions extra-
cambiaires restent soumises au délai de prescription de droit commun
qui est 15 ans (C. Cass. du 27 février 2008).
Exemple : action contre le tiré sur la base de la provision, action de
l’endossataire contre son endosseur sur la base de la valeur fournie…

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