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Le consentement de l’impôt en Grande Bretagne

PRESENTATION DU PRINCIPE DE CONSENTEMENT


DE L’IMPOT EN GRANDE BRETAGNE

Lamia NEJI*
Assistante Contractuelle
à la Faculté de Droit de Sfax

Sommaire

I- La consécration lente et progressive du droit des représentants


de consentir l'impôt
A- La représentativité du Parlement anglais
B- L’affirmation continue du pouvoir fiscal du Parlement
II- L’effort réel et continu d’association du contribuable à la vie
publique
A- La connaissance par les contribuables de la destination
de l’impôt
B- La reconnaissance de droits au profit des contribuables

********

Entre système politique et système fiscal, il existe une


dépendance réciproque dans la mesure où chaque système politique a
sa propre conception du prélèvement fiscal. Il peut le concevoir soit
comme moyen de domination et de spoliation soit comme moyen de
liberté et facteur de solidarité sociale ; et cette même conception du
prélèvement fiscal va modeler le système politique et va déterminer sa
nature et son destin1. Gabriel ARDANT n’a-t-il pas affirmé que
« l’histoire de l’impôt est intimement liée à l’histoire générale, … et

*
E-mail : lamianeji@yahoo.fr
1
V. S. BELAID, « Système fiscal et système politique », Mélanges offerts à
HABIB AYADI, Tunis, 2000, p. 30.

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plus qu’on ne le croirait, à l’histoire politique. Il est peu d’institutions


qui aient plus profondément marqué la vie des hommes, leurs
relations et leurs progrès »2. Dès lors, on peut distinguer à travers
l'histoire, entre deux grandes catégories de systèmes politiques : d'un
côté, des systèmes qui ont su maîtriser le pouvoir fiscal et ont profité
de l'impôt pour créer une certaine civilisation basée sur le
consentement et la transparence conduisant, à travers des siècles, à
l'apaisement de leurs sociétés; de l’autre côté, des systèmes ignorant le
principe de consentement et par conséquent instables, fragiles puisque
souvent secoués par les révoltes, synonymes de mécontentement et
d'agitation sociale3.

Contrairement aux Etats qui ont pris la voie de la contrainte et


de la spoliation, la Grande Bretagne s’est rendue compte, de très
bonne heure, que le consentement et le consentement de l’impôt, en
particulier, « est le fondement premier de toute légitimité, comme il
est une condition indispensable de l’efficacité du pouvoir »4.

Le principe de consentement de l’impôt, qui suppose que soit


acceptée la levée de l'impôt par les représentants des contribuables, a
connu en Grande Bretagne un développement singulier. Il a pu
prendre naissance et a pu durer alors qu’il était méconnu pendant
longtemps dans d’autres pays. Comment peut-on expliquer la

2
G. ARDANT, Histoire de l’impôt, Livre I, De l’Antiquité au XVIème siècle,
Fayard, 1971, p. 9.
3
Le professeur Sadok BELAID a procédé à la classification des systèmes
politiques par référence au critère fiscal. Il a opposé deux grandes catégories de
systèmes politiques : d’un côté ceux où le prélèvement fiscal est imposé par la
contrainte et où le régime politique est autoritaire ; de l’autre côté, ceux où le
prélèvement est consenti et où le régime politique est libéral. V. S. BELAID,
« Système fiscal et système politique », article précité, p. 31. V. dans ce sens, la
théorie du grand savant Ibn KHALDOUN concernant le rôle de l’impôt dans la
transformation des sociétés, Ibn KHALDOUN, Discours sur l’histoire
universelle, Al-Mukaddima, Beyrouth, 1968, pp. 569-571.
4
G. BURDEAU, Traité de science politique, Paris, LG DJ, 1980, p. 138.

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naissance du principe de consentement de l’impôt et sa résistance en


Grande Bretagne ?

« Il est… difficile de décider quel fut, dans l’ensemble du


régime juridique et fiscal de l’Angleterre, l’élément moteur. On peut,
en effet, soutenir que si le régime de l’assentiment prévalu de bonne
heure et, au travers de conflits violents, ne cessa de s’affirmer, ce fut
en raison de certains traits fondamentaux des mœurs et des
institutions britanniques »5. Ainsi, la réussite de l'expérience
britannique peut être expliquée par la réunion de deux facteurs
principaux. D'une part, la consécration lente et progressive du droit
des représentants de consentir l'impôt (Première partie) et d'autre
part, l'effort d'association réel et continu du contribuable à la vie
publique (Deuxième partie).

I- LA CONSECRATION LENTE ET PROGRESSIVE DU


DROIT DES REPRESENTANTS DE CONSENTIR L'IMPÔT

Un des traits particuliers qui distinguent l’expérience britannique


est cette corrélation étroite entre l’histoire de l’impôt et l’histoire du
Parlement. La consécration du droit des représentants des
contribuables de consentir l’impôt s'est faite à un double niveau, quant
à la représentativité du Parlement anglais (A) et quant à l'affirmation
de son pouvoir fiscal (B). En fait, il ne s’agit pas d’un remède
magique donné une fois pour toutes mais de tout un processus dur,
mais fécond.

A- La représentativité du Parlement anglais

En essayant d’expliquer les causes de l’originalité de


l’expérience britannique, A. ESMEIN affirmait que « … le Parlement
anglais contint, dès le début, la représentation élective de la nation

5
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt, op. cit., p. 965.

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tout entière... »6. En effet, composé au début du "Magnum Concilium"


qui unifiait uniquement les barons7 et les prélats8, le Parlement se voit
adjoindre les représentants des villes et des bourgs privilégiés, les
membres du clergé mais aussi les représentants des comtés. Ces
comtés sont des circonscriptions administratives locales ayant une
certaine autonomie9. Plus tard, le Parlement anglais se groupa en deux
chambres. Le clergé renonça à être représenté au Parlement et les
barons, les prélats, les représentants des comtés, les représentants des
villes et des bourgs privilégiés se partagèrent en deux chambres.
Prélats et barons, personnellement convoqués, composant la chambre
des lords et représentants des comtés des villes et des bourgs, qui sont
tous élus, composant la Chambre des Communes10.

Se basant sur des structures locales qui permettent l'envoi de


représentants élus, la Chambre des Communes devient plus forte et
arrive à se placer comme véritable représentant des citoyens anglais.
Gabriel ARDANT admet que "les centres actifs de l'administration
locale, les bourgs et les comtés, formaient l'infrastructure du
Parlement. Une sorte de conscience collective… s'était dégagée au
sein de ces cellules de base: chaque représentant pouvait se
considérer comme qualifié pour prendre des engagements au nom du
groupe territorial qui l'avait mandaté, accepter des impôts qu'il devait
ensuite faire appliquer, présenter ses revendications, défendre ses

6
A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Paris, L. G.
D. J., 2001, p. 73.
7
Ce sont des seigneurs féodaux relevant directement du roi.
8
Le dictionnaire « Le petit Robert » définit le prélat comme étant « un haut
dignitaire ecclésiastique ayant reçu la prélature à titre personnel ».
9
Pour plus de détails, V. A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français
et comparé, op. cit., p. 76 et G. VEDEL, Manuel élémentaire de droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2000, p. 34.
10
A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit.,
p.101 et s. V. aussi, M. CHARLOT, Le système politique britannique, Paris,
Armand Colin, 5ème édition, p. 18.

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intérêts… Le Parlement apparaissait ainsi comme le sommet d'une


pyramide dont la base était constituée par les groupements locaux"11.
Il ajoute que : "c'est peut être à la force de son "infrastructure" locale
que le Parlement anglais a dû de s'établir avec une force plus grande
que les Etats généraux du continent et de persister alors que ceux-ci
disparurent"12. A l'originalité de "l'infrastructure" locale du Parlement
anglais, on peut ajouter l'élargissement progressif du droit de suffrage
surtout depuis le 19ème siècle. En effet, « le suffrage universel est
instauré en cinq étapes successives qui, de 1832 à 1928, portent le
corps électoral britannique de 4% à près de 100% de la population
adulte, masculine et féminine, du pays. En même temps diverses lois
moralisent les pratiques électorales et distribuent plus équitablement
entre villes et compagnes les sièges à pourvoir »13.

La cohérence de la structure parlementaire et l'équilibre entre


ses composantes, lui ont permis de se placer comme un contre pouvoir
et de défendre les intérêts des contribuables contre les abus des
souverains.

B- L'affirmation continue du pouvoir fiscal du Parlement

En puisant aux historiens de l'Angleterre, on a relevé la


difficulté qu'ils ont éprouvée à préciser le fait générateur du principe
de consentement de l'impôt. D'ailleurs, "le principe était si ancien que
personne n'en peut préciser l'origine"14. MACAULAY affirmait que

11
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt, op. cit., p. 971. Montesquieu
théorise cette pratique en affirmant qu':" Il ne faut donc pas que les membres du
corps législatif soient tirés en général du corps de la nation, mais il convient
que, dans chaque lieu principal, les habitants se choisissent un représentant",
MONTESQUIEU, Esprit des lois, Chapitre I, Livre XIII, Paris, Flammarion,
1979, p. 297.
12
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt, op. cit., p. 970.
13
M. CHARLOT, Le système politique britannique, op. cit., p. 27.
14
A. ROYER, Du droit de consentir l’impôt, Thèse, Paris, Librairie de la société
du recueil général des lois et des arrêts, 1902, p. 64.

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Le consentement de l’impôt en Grande Bretagne

"sans doute, il n'existait pas d'acte spécial, qui relatât ces grands
principes (y compris le principe de consentement de l'impôt). Mais on
les trouvait épars dans tous nos anciens et vénérables statuts et, chose
plus importante, ils étaient depuis 400 ans, gravés dans tous les cœurs
anglais"15. Ces incertitudes quant à la première affirmation textuelle
du principe n’empêchent toutefois pas de fixer le point de départ de
l'évolution du principe de consentement de l'impôt en Grande
Bretagne à partir de la charte de GUILLAUME le conquérant "où il
est dit que le roi ne peut de sa propre autorité établir aucun impôt
sans le consentement du conseil commun du Royaume"16. Mais cette
charte fut souvent violée par les rois anglais. C'était en 1215, et à
l'occasion de l'augmentation très importante de "l'écuage" que les
barons et les prélats anglais arrivèrent à obliger le Roi Jean Sans Terre
à signer la Grande Charte qui défendait au roi de lever ni écuage ni
aide sans le consentement du "Commun Conseil du Royaume"17. Mais
la pratique du consentement de l'impôt est essentiellement le résultat
d'une lutte continue entre le Parlement et les souverains anglais qui
essayaient de temps à autre de s'en affranchir en limitant les pouvoirs
du Parlement de consentir l'impôt18.

15
MACAULAY, Histoire d'Angleterre, Cité par A. ROYER, Du droit de
consentir l’impôt, op. cit., p. 64.
16
A. ROYER, Du droit de consentir l’impôt, op. cit., p. 64.
17
L’article 12 de la Grande Charte annonçait qu’ « Aucun écuage ou aide ne sera
établi dans notre Royaume sans le consentement du commun conseil de notre
Royaume, à moins que ce ne soit pour le rachat de notre personne, la chevalerie
de notre fils aîné, et le mariage de notre fille aînée, une fois seulement, et en cas
ne sera levée qu’une aide raisonnable ».
18
W. STUBBS, Histoire constitutionnelle de l’Angleterre, Paris, 1913, pp. 1-6. V.
aussi, G. ORSONI, L’évolution de la notion d’impôt, Aix-en-Provence, Faculté
de droit et de science politique, 1975, p. 160 et M. CHARLOT, Le système
politique britannique, op. cit., p. 20-21.

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A la différence des Etats généraux qui n'ont pas réussi à


s'opposer à l'autoritarisme des rois français19, et à un moment où les
souverains arabo-musulmans décidaient à leur guise les impôts et
développaient les instruments de contrainte et de coercition afin de
procurer le maximum d’argent20, le Parlement en Grande Bretagne a
su faire valoir ses droits et acquérir le pouvoir de consentir l'impôt.
D'ailleurs, le droit de voter l'impôt par la nation anglaise était reconnu
de bonne heure et si les souverains, notamment les Tudors, Henri VIII
et Elisabeth I lui avaient parfois porté atteinte ce n'était que d'une
manière exceptionnelle et passagère21.

Progressivement, le Parlement confirma son consentement et


arracha le pouvoir financier au souverain. Il commença même à
demander la justification des dépenses avant de consentir l’impôt.
Mieux encore, en revendiquant avec ténacité son droit dans le
domaine financier22, il étendit ses compétences dans le domaine
législatif23, en matière de politique générale et même en ce qui

19
V. A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit.,
V. aussi, Ph. MILLAN, Le consentement à l'impôt, Thèse, Tome I, Paris, 1996,
p. 18 et s.
20
V. H. AYADI, Droit fiscal, Tunis, C. E. R. P., 1989, p. 7-8.
21
A. ROYER, Du droit de consentir l’impôt, op. cit., p. 69.
22
« Plusieurs fois sous le règne d’Edouard III, les communes demandèrent la
justification des dépenses, et, après avoir résisté, le roi pressé par le besoin
d’obtenir de nouvelles subsides, finit par céder. Il semble que ce droit réclamé
de nouveau sous Richard II ait été reconnu dès cette époque, et que l’usage ait
été respecté sous Henri IV et ses successeurs. Il en résulta l’examen détaillé des
comptes. En 1406, les communes refusèrent de voter un subside jusqu’à ce
qu’on leur eût soumis les comptes du subside précédent. Ce fut fait en 1407 et
par la suite ce droit ne fut plus contesté ». G. ARDANT, Théorie sociologique
de l’impôt, op. cit., p. 949.
23
« Les attributions législatives ont suivi les attributions financières, suivant un
mécanisme simple, conforme à l’esprit des institutions. Les représentants des
communes présentaient normalement leurs griefs, dans le domaine de
l’administration intérieure, préalablement au vote des subsides… », Ibid.

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Le consentement de l’impôt en Grande Bretagne

concerne la désignation des conseillers du roi24. Cette évolution a


conduit à un rétrécissement de la liberté d’action du souverain et à la
réduction de son rôle à l’exécution des lois avec seulement des
interventions minimes en matière législative. Mais sous les Stuarts, il
en fut autrement.

Le conflit entre le Roi et le Parlement s'aggrava dès le moment


où Jacques I et son fils Charles I prétendaient que le droit d'établir
l'impôt était une prérogative royale et essayaient de nier les acquis du
Parlement. Cette prétention leur a coûté cher et a entraîné la
Révolution de 1648. De ce conflit entre les Stuarts et le Parlement
devait sortir la restriction spectaculaire des prérogatives de la royauté
et la consolidation des pouvoirs du Parlement affirmée par le "Bill of
Rights" de 1689 qui niait le droit pour la couronne de lever des
impôts ou des taxes sans le consentement du Parlement25.

A partir de ce moment, la séparation des pouvoirs législatif et


exécutif est réalisée en Grande Bretagne donnant naissance à la
première forme du parlementarisme26. Gabriel ARDANT affirmait
que "L'origine du système représentatif du Moyen Age, et des temps
modernes a conduit naturellement à un système comportant un double
pouvoir, celui des représentants et celui du monarque. Ce mécanisme
de l'appel à l'assentiment des contribuables comportait, en germe, la

24
A. BARILARI, Le consentement à l’impôt, Paris, Presses de la Fondation
Nationale des sciences politiques, 2000, p. 38.
25
L'article 4 du Bill of Rights dispose: "Qu'une levée d'argent pour la couronne
ou à son usage, sous prétexte de prérogative, sans le consentement du
Parlement, pour un temps plus long et d'une manière autre qu'elle n'est ou ne
sera consentie par le Parlement est illégale". V. Ph. MILLAN, Le
consentement à l'impôt,op. cit., pp. 17-18.
26
« C’est la constatation de cet état de fait qui va donner naissance à la théorie
de séparation des pouvoirs ». B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, Paris,
Armand Colin, 2002, p. 102. V. aussi, A. BARILARI, Le consentement à
l'impôt, op. cit., p. 37.

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séparation des pouvoirs"27. C'est en interprétant ce "produit de


l'histoire anglaise" que MONTESQUIEU a créé sa théorie de
séparation des pouvoirs destinée à garantir la liberté politique. Dans
son "Esprit des lois", il insistait sur le caractère primordial du principe
de consentement de l'impôt pour assurer la liberté en affirmant que " si
la puissance exécutrice statue sur la levée des deniers publics
autrement que par son consentement, il n'y aura plus de liberté"28.

II- L'EFFORT REEL ET CONTINU D'ASSOCIATION DU


CONTRIBUABLE A LA VIE PUBLIQUE

L’ancrage de l’idée de participation dans la psychologie du


contribuable n’était possible que par la connaissance par les
contribuables de la destination de l’impôt (A) et par la reconnaissance
d’autres droits à leur profit (B).

A- La connaissance par les contribuables de la


destination de l'impôt

Le renforcement progressif du pouvoir fiscal du Parlement


anglais lui a permis de se placer comme défenseur des droits des
contribuables et d'exiger la séparation entre la fortune particulière du
prince et celle de la nation29. D'ailleurs, l'Etat est devenu, depuis le
19ème siècle, un Etat de service public ayant pour fonction la
réalisation du bien commun. Cette nouvelle fonction de l'Etat va lui
procurer une légitimité effective. Elle va procurer une légitimité réelle
aux impôts qui sont destinés principalement à financer les services
publics.

Il est vrai que l'impôt est un prélèvement sans contrepartie


directe. Mais cela ne signifie pas l'inexistence d'une corrélation entre

27
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt, op. cit., p. 936.
28
MONTESQUIEU, L'esprit des lois, XI, Chapitre VI, op. cit., p. 302.
29
A. ROYER, Du droit de consentir l’impôt, op. cit., p. 88.

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Le consentement de l’impôt en Grande Bretagne

l'impôt payé par le contribuable et les avantages que lui procure l'Etat.
L'impôt n'est pas destiné à alimenter les caisses du prince qui l’utilise
pour la satisfaction de ses ambitions personnelles, mais à dégager les
ressources nécessaires au fonctionnement des services publics30. "En
réalité, l'impôt n'est pas autre chose que la contrepartie des services
publics que fournit l'Etat aux particuliers et sa destination normale est
de procurer au trésor des recettes qui couvrent les dépenses faites
dans l'intérêt collectif"31. Le consentement de l'impôt par les
représentants leur permet de savoir la destination de l'impôt, de
négocier le montant de la charge fiscale et de demander des
contreparties pouvant intéresser la vie des contribuables. En un mot
défendre l'intérêt commun.

La connaissance de la destination de l’argent versé par les


contribuables favorise la transparence et crée chez eux un sentiment
de sécurité et de protection. En effet, "lorsque le contribuable voit
concrètement l'affectation de sa contribution, il accepte mieux. Il est à
même de s'assurer de l'intérêt du but poursuivi et d'apprécier les
bénéfices qu'il pourra en attendre pour lui-même. Cette notion de
juste retour est importante pour légitimer l'impôt. Elle peut exister
même de manière indirecte ou hypothétique. Financer l'armée, la
police, la magistrature, la diplomatie s'apparente à une sorte
d'assurance, sécurité et protection. Entretenir le patrimoine
monumental peut donner une gratification esthétique, faire partager
une certaine fierté"32.

B - La reconnaissance de droits au profit des contribuables

« Le passage de l’impôt édicté à l’impôt consenti ou, tout au


moins, l’accès à la garantie du consentement suppose un progrès
moral et intellectuel comparable au progrès nécessité par le passage

30
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt,Tome I, op. cit., p. 26.
31
C. SCAILTEUR, Le devoir fiscal, Belgique, Desclée De Brouwer, 1950, p. 114.
32
A. BARILARI, Le consentement à l’impôt, op. cit., p. 115.

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du pillage ou de la réquisition à l’impôt proprement dit. Il implique


lui aussi une modification considérable de la conception que l’on peut
se faire de la place de l’homme dans une société, des responsabilités
qui seront susceptibles d’être accordées au citoyen »33. En effet,
l’insertion du contribuable anglais dans la vie publique a été facilitée
par la reconnaissance de certains droits à son profit. Il y avait dès lors
un lien étroit entre le développement progressif du principe de
consentement de l’impôt et l’édiction au profit des citoyens anglais de
certaines garanties pour l’exercice effectif de leurs droits. Ces facteurs
expliquent la réussite de la Grande Bretagne à associer les
contribuables au pouvoir de décision et l’absorption de l’idée de
participation par les citoyens. Ils expliquent aussi l’échec des autres
expériences qui n’ont pas tenu compte de ces aspects fondamentaux
ou se sont limitées à des déclarations formelles des libertés des
citoyens.

Le système de consentement de l’impôt s’est accompagné de


la déclaration des libertés individuelles, mais aussi des procédures
pratiques destinées à en assurer le respect34. Il en a été ainsi de la
reconnaissance de la liberté d’expression, du droit de propriété, la
généralisation des associations et des syndicats qui permettent «de
discuter les affaires publiques et (fournissent) aux individus le moyen
de faire prévaloir leurs vues sur la gestion de l’Etat »35.
Progressivement, il s’est établi un système de « contrepoids » visant à
protéger le contribuable contre l’arbitraire du souverain, à l’affranchir
de l’Etat et à lui donner « un minimum de conscience collective »36.

Il s'est avéré que le principe de consentement de l’impôt


suppose l’existence de canaux qui permettent aux contribuables de

33
G. ORSONI, L’évolution de la notion d’impôt, op. cit., pp. 161-162.
34
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt, op. cit., p. 968.
35
Ibid., p. 978.
36
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt, op. cit., p. 944.

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Le consentement de l’impôt en Grande Bretagne

s’exprimer et de donner leurs vues à propos des affaires de l’Etat. Le


pouvoir politique a toujours été soucieux de mettre les individus au
courant des problèmes qui se posent. Il a créé chez les citoyens anglais
une culture de discussion, de participation. Ce climat de transparence
et de clarté entre les contribuables et le pouvoir politique a créé chez
les contribuables une attitude "responsable" à l’égard de l’Etat mais
aussi à l’égard de la loi d’impôt. « Le contribuable anglais, (affirmait
A. ESMEIN), a le sentiment du droit proprement dit, le respect et le
sens du droit strict et des formes »37.
CONCLUSION
L’association réelle du contribuable anglais au pouvoir de
décision ou simplement la consécration du principe de consentement
de l’impôt avec ses deux éléments, le consentement des représentants
de l'impôt d'une part et d'autre part le consentement des contribuables
à l'impôt38, explique le respect volontaire des lois fiscales par les
contribuables anglais et l’attitude offensive à l’égard du fraudeur. En
effet, «le régime représentatif fait de la loi l’œuvre de tous, c’est donc
à lui-même et à ses concitoyens que s’attaque celui qui ne la respecte
pas… D’une façon générale, l’Anglais n’a pas été habitué, par des
siècles d’absolutisme à considérer l’Etat comme un être extérieur,
comme un étranger, sinon comme un ennemi qui, sans lui donner son
avis, cherche à lui dérober tout ce qu’il peut. Les règles de la vie

37
A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op.cit.
p.73.
38
C'est-à-dire l'adhésion psychologique des contribuables à l'impôt, CH.
CADOUX affirme en ce sens:" Mais la notion de consentement de l'impôt
exige, selon nous, davantage. Si elle implique d'abord et avant tout le consente-
ment de l'impôt par les représentants de la Nation, elle implique aussi un
certain consentement à l'impôt voté…La notion de consentement populaire de
l'impôt n'a donc de signification et de portée qu'aussi longtemps qu'on peut
relever une corrélation à un degré suffisant entre les deux éléments qu'elle
implique, consentement authentique des représentants de la Nation d'une part et
d'autre part, croyance des contribuable dans la représentativité des élus". CH.
CADOUX,"Du consentement de l'impôt", RSF, 1961, pp. 427-450, pp. 428-429.

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Le consentement de l’impôt en Grande Bretagne

publique sont l’expression de la volonté commune au même titre que


les préceptes du droit privé. Voler l’Etat n’est pas différent de voler
son voisin »39. En revanche, l’absence d’association réelle du
contribuable dans beaucoup d’autres pays explique, de notre point de
vue, le rejet de l’impôt qui est, dans la représentation collective,
synonyme d’arbitraire et d’injustice. Le taux élevé de l’impôt,
conjugué avec l’arrogance du fisc, explique l’ampleur de la fraude
fiscale.

Il appartient aux gouvernants de méditer cette leçon que nous


livre l’histoire britannique.

39
G. ARDANT, Théorie sociologique de l’impôt, op. cit., p. 980.

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