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Communication et langages

La programmation d'une chaîne de télévision


Jacques Mousseau

Résumé
Les programmes de la télévision sont souvent critiqués, comme s'il appartenait à quelques hommes de faire la télévision
qu'ils souhaitent . Chaque Français, individuellement, a deux métiers : le sien et la télévision; les critiques qu'il formule
ignorent comment travaille une chaîne de télévision, et de quoi elle vit. Le public de la télévision, c'est-à-dire les Français,
globalement, ne boude, ni ne proteste, mais ne sait pas qu'il en est le maître et que ceux qui la dirigent sont les
exécutants anxieux de ses volontés. L'article de Jacques Mousseau, directeur de la planification de l'antenne à TF1,
énumère et analyse les règles de la programmation d'une chaîne de télévision : reconnues mais contournées à l'époque
de la télévision de service public, elles sont devenues contraignantes à l'ère de la télévision commerciale.

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Mousseau Jacques. La programmation d'une chaîne de télévision. In: Communication et langages, n°80, 2ème trimestre
1989. pp. 74-89.

doi : 10.3406/colan.1989.1103

http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1989_num_80_1_1103

Document généré le 15/10/2015


LA PROGRAMMATION

DUNE CHAÎNE

DE TÉLÉVISION

par Jacques Mousseau

Les programmes de la télévision sont souvent critiqués, comme s'il


appartenait à quelques hommes de faire la télévision qu'ils souhaitent .
Chaque Français, individuellement, a deux métiers : le sien et la
télévision; les critiques qu'il formule ignorent comment travaille une chaîne
de télévision, et de quoi elle vit. Le public de la télévision, c'est-à-dire
les Français, globalement, ne boude, ni ne proteste, mais ne sait pas
qu'il en est le maître et que ceux qui la dirigent sont les exécutants
anxieux de ses volontés. L'article de Jacques Mousseau, directeur de la
planification de l'antenne à TF1, énumère et analyse les règles de la
programmation d'une chaîne de télévision : reconnues mais contournées à
l'époque de la télévision de service public, elles sont devenues
contraignantes à l'ère de la télévision commerciale.

Si les programmes sont nés avec la télévision1, la programmation est


une préoccupation qui est apparue beaucoup plus tard. Remplir
quelques heures de diffusion quotidienne avec les rares produits
disponibles pour un public à la fois captif, parce qu'une seule chaîne
lui est accessible, et restreint, parce que le taux d'équipement en
récepteurs est faible, ce n'est pas faire de la programmation. Le
concept s'est dégagé lentement, à mesure que la télévision devenait
un média de masse et que la concurrence se durcissait avec la
o multiplication des chaînes.

|
La programmation d'une chaîne de télévision 75

chaînes commerciales majeures, donc seulement depuis 19872.


Dans sa forme actuelle, c'est un métier jeune : 2 ans. Aussi, les
programmateurs professionnels et expérimentés sont-ils peu
nombreux : leur liste se décompte sur les doigts des deux mains; d'une
seule main, affirment certains.
Au temps du service monopolistique, la programmation consistait en
la recherche d'un équilibre entre les contraintes de l'État, les
pressions des producteurs et réalisateurs de programmes, la vision
personnelle et subjective qu'avait de la télévision le « patron » en
exercice de la chaîne — et, accessoirement puisqu'en quatrième
position dans la hiérarchie des facteurs pris en compte, les attentes
du public. Ce temps-là a duré une trentaine d'années, y compris la
période qui a commencé en 1975 pendant laquelle les trois chaînes
du service public, TF1 , A2 et FR3 ont mené une existence autonome.
Pendant cette longue période, le public est devenu peu à peu
l'élément déterminant de la programmation et les règles de l'art moderne
de programmer une chaîne de télévision ont été découvertes (et non
inventées, nous le verrons).
En 1989, les téléspectateurs ont pris possession des télévisions
comme autant de Bastilles. Ils ont fait une révolution, mais ils ne le
pas.'
savent Naguère, la télévison était faite pour les « seigneurs » —
et par quelques « seigneurs ». Aujourd'hui, la télévision est faite pour
le peuple — et indirectement par le peuple. Chaque directeur des
programmes pourrait parodier Ledru-Rollin : « Je suis leur chef, je
dois donc les suivre ». Une chaîne privée donc commerciale de
télévision ne connaît qu'un maître : le public. Cette affirmation vaut
en France pour TF1, la Cinq, M6 et Canal Plus3.

LA RECHERCHE DE L'ADÉQUATION
ENTRE DES PRODUITS ET LE PUBLIC
La programmation comprend des règles valables pour tous les
programmateurs, plus quelques secrets de fabrication propres à
chacun d'eux et liés à la stratégie de la chaîne. Elle est un art plus qu'une

2. 16 avril 1987 : un groupe formé autour de Francis Bouygues prend la direction de


TF1 privatisée. Deux chaînes commerciales privées (les numéros 5 et 6) avaient
commencé à diffuser le 21 février 1986, mais ce n'est qu'avec la privatisation de TF1
que la télévision commerciale a touché la masse du public.
3. Aux États-Unis, ce souci de satisfaire le public de masse a été la règle de la
télévision dès son origine, dans les années 40. C'est une des raisons, insuffisamment
soulignée, du succès des productions américaines sur les marchés internationaux
des programmes. En Italie, la télévision privée ayant commencé à se développer à
partir de 1976, les chaînes italiennes ont découvert plus tôt que les chaînes
françaises (10 ans plus tôt) les impératifs d'une programmation efficace.
Mass média

LA PROGRAMMATION DANS LES ANNÉES 70


Le n°31 (mai 1982) de la revue Études de radio-télévision, éditée par la RTBF
(Radio télévision belge de la communauté francophone) était tout entier
consacré à « La programmation à la radio et à la télévision ». Il réunissait les
contributions de nombreux responsables de programmes de télévision en
Europe. Les pays européens vivaient alors presque exclusivement à l'heure de
la télévision de service public. Les textes publiés reflétaient ce qu'était la
programmation dans les années 70, l'idée qu'on s'en faisait et la hiérarchie des
facteurs dont elle tenait compte. Les citations ci-dessous permettent de réaliser
le changement de conception en dix ans. Elles sont extraites de l'article de
Monique Trnka, secrétaire générale des programmes de TF1 intitulé « La grille

,
des programmes, un dialogue à trois voix ».
« ...La disposition des produits lui est imposée (au téléspectateur) dans une
rationalité qui n'est pas la sienne, et qui correspond rarement à sa sensibilité ».
« ...Le contenu général des programmes dépend aussi d'autorités extérieures
(État, sociétés privées) et doit obéir à des règles de fonctionnement (service
public ou règles commerciales) ».
« ...Dans un système de distribution tel que le nôtre, comportant un nombre
limité de chaînes de télévision, l'harmonisation des programmes des trois
sociétés (TF1, Antenne 2, FR3) est une nécessité... ».
« ...La subjectivité est liée au fait que la grille est une construction volontaire.
Elle doit donc être la décision d'un responsable qui lui impose sa vision
personnelle...».
« ...La grille est aussi un dialogue avec le téléspectateur qu'elle doit, sinon
influencer, du moins « éduquer » au sens noble du terme, en le poussant à la
réflexion, en dérangeant ses habitudes, en provoquant parfois sa « grogne ».
Tenir compte de la demande, certes, la suivre aveuglément, non!... ».
« ...Cette finalité doit se retrouver dans la grille qui ne saurait toujours suivre les
goûts ou les penchants naturels des téléspectateurs qui souvent conduisent à
une certaine facilité, ou les contraintes commerciales qui privilégient l'audience
quantitative... ».

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I
La programmation d'une chaîne de télévision 77

moment donné4. Déjà, cette définition laisse deviner que le


programmateur doit intégrer nombre de contraintes. Il n'est pas un
ordonnateur libre livré à sa subjectivité; il doit démontrer son objectivité face
à des réalités qu'il ne peut écarter d'un revers de main.
Des produits donnés : les uns sont fabriqués, les autres achetés. En
règle générale, les seconds coûtent beaucoup moins cher — 5, 10,
20 fois moins cher — que les premiers. Décidant sous la vigilance
des directeurs financiers de la chaîne, le programmateur inscrira
dans sa grille des produits de coûts modérés aux heures où une
partie du public seulement est disponible : séries acquises à
modiques prix, programmes fabriqués à devis modeste (jeux), rediffusion
de produits dont 70 % du coût de production ont été amortis par la
première diffusion.
La disponibilité du public potentiel : la télévision, dans nos pays
développés, est une activité domestique5. Ce n'est guère que
pendant la période de temps baptisée « prime-time » (entre 19 h et 22 h)
que la quasi- totalité du public a la possibilité de s'intéresser à ce
qu'elle propose. Au long de la journée, le public potentiel est réduit,
variable et ciblé : les femmes qui ne travaillent pas, les personnes
âgées en retraite, les exclus momentanés de l'activité économique
(chômeurs, malades), les enfants. A l'heure du « prime-time », le
programmateur est conduit à prévoir des émissions longues (autour

LE JARGON DES PROFESSIONNELS AMÉRICAINS


DE LA PROGRAMMATION

Early Morning 6h- 9h


Day Time 9h- 16 h 30 découpé en Morning 10 h - 12h
Afternoon : 12 h - 16 h 30
:

Early Fringe 16h - 18h


Early Evening 18 h - 19 h 30 (réservé, aux USA, aux informations et
émissions locales)
Acess Prime-Time 19 h -20 h
Prime-time 20 h -23 h
Late Fringe 23 h - 23 h 30
Late Night 23 h 30 - 1 h 00
Overnight 2h- 6h

4. Cette définition a été donnée par Etienne Mougeotte, directeur général de


l'antenne à TF1 depuis mai 1987.
5. Domestique qui concerne la vie à la maison, en famille (Le Petit Robert).
:
Mass média

de 90', durée qui relie le spectacle de télévision à ceux dont le public


a l'habitude : le film de cinéma, la pièce de théâtre, le match de
football ou de rugby). Pendant la journée, il prévoira des émissions
courtes (30 ou 60 minutes) car, outre la disponibilité des gens, il doit
gérer les entrées et sorties des différentes couches du public6.
La totalité du public potentiel n'est pas pour autant disponible aux
horaires théoriques de présence au domicile. Le responsable des
programmes tient compte de ces réalités sociologiques dont
l'informe le service des études.

UNE DIFFICULTÉ :
LE DÉCALAGE ENTRE PRODUCTION ET PROGRAMMATION
Comme il l'informe sur les goûts de ce public : les attentes
manifestes que traduisent les réactions aux programmes offerts. Le
décideur de programmes doit compter surtout sur ses dons de médium-
nité pour déceler les aspirations latentes de ce public. Qu'aimera-t-
il dans un ou deux ans? La production des programmes les plus
prestigieux et en conséquence les plus coûteux de la télévision est
décidée longtemps à l'avance. Pour les téléfilms, les séries de
fiction, la participation à des films de cinéma (co-productions), l'acte
de production et l'acte de diffusion sont séparés par un important
laps de temps — l'acte de décision ayant lui-même précédé de
plusieurs mois l'acte de production.
Il n'est pas concevable aujourd'hui, comme ce fût le cas pendant
plusieurs décennies, que les activités de programmation et de
production soient séparées. Le directeur général des programmes et
de l'antenne d'une chaîne moderne concentre entre ses mains le
pouvoir en matière à la fois de production et de diffusion des
programmes. Longtemps, les programmateurs ont vu arriver sur leur
bureau des productions qui les embarrassaient beaucoup, quand ils
o ne les estimaient pas tout simplement indiffusables raisonnablement
Ç par leur chaîne. Ces produits qui parfois finissaient sur des étagères
<8 n'étaient pas pour autant intrinsèquement mauvais. Ils n'étaient pas
gj en harmonie avec une grille de programmes. La télévision ne crée
§ pas dans l'absolu. Elle invente en fonction d'une chaîne et d'un
^ public : c'est redécouvrir pour le petit écran, une vérité connue
§ depuis longtemps des radios et des journaux.

.oS
to 6. En juin 89, TF1 a enchaîné successivement trois jeux à la mi-journée (11 h 30 :
g Jeopardy, 12 h : Tournez manège, 12 h 30 : Le juste prix) avant le journal de 13 h. La
E: formule des jeux est populaire et il faut plaire à un public qui rentre chez lui par
O vagues pour le déjeuner.
La programmation d'une chaîne de télévision 79

LES EXIGENCES DES ANNONCEURS PUBLICITAIRES


Les contraintes liées au public ne sont pas les plus difficiles à gérer
par le programmateur. Il doit aussi répondre aux demandes des
annonceurs qui, pour une chaîne commerciale, constituent son
unique source de revenus. Ceux-ci souhaitent diffuser leurs spots
publicitaires à tels horaires, en les attachant à telle émission. Ils ne sont
pas encore dégagés des attraits et des facilités du « prime-time »,
en dépit de ses coûts élevés : attraits parce que le gros du public est
présent, facilités parce que certains annonceurs rencontreraient leur
clientèle à d'autres horaires pour une dépense réduite7.
Le public apprécie la publicité sous réserve qu'elle ne soit pas
massivement concentrée. Les « tunnels » entre deux programmes
majeurs, constitués d'écrans publicitaires séparés par des
interventions de présentatrices ou de courtes émissions comme le tirage du
Loto ou du Tapis Vert, sont des sources d'inquiétude pour le
responsable des programmes qui a le souci de veiller à un équilibre
efficace entre la publicité et les productions.

BATTRE LES CONCURRENTS SUR LE MÊME TERRAIN


La contrainte la plus lourde est la grille de la concurrence,
aujourd'hui les grilles des concurrents. Le programmateur doit faire preuve
d'imagination, mais aussi de séduction pour attirer vers lui les
meilleures idées, les meilleurs producteurs et animateurs, les
meilleurs films et séries, et enfin d'autorité pour, lorsqu'ils disposent
de ce qui existe de meilleur dans la télévision du moment, obtenir le
meilleur de leurs talents.
Sur un plateau de cinéma, sur une scène de théâtre, le metteur en
scène a le souci constant d'entourer, de provoquer, de contraindre
les comédiens qu'il dirige afin qu'ils se dépassent sans cesse. Le
directeur des programmes d'une chaîne de télévision est semblable
à un metteur en scène qui stimulerait plusieurs équipes en même
temps.
On ne combat pas la concurrence en mettant à l'antenne un produit
différent des siens à une heure donnée. On ne concurrence pas une
variété par un opéra, mais par une variété plus somptueuse et plus
originale. On ne concurrence pas un long métrage de cinéma par un
téléfilm mais par un autre long métrage de cinéma. On ne
concurrence pas un film comique par une histoire sentimentale. On ne

7. Un autre métier nouveau est apparu récemment le conseil en planification de la


publicité. Carat TV, filiale du groupe Gilbert Gross, spécialisé dans l'achat
:

d'espaces, a été leader dans cette activité.


Mass média

concurrence pas un film français avec des vedettes, qu'elles soient


Gérard Depardieu ou Louis de Funès, Catherine Deneuve ou
Isabelle Adjani, par une film américain, même prestigieux. Le
programme du « prime-time », pour attirer le public, doit proposer une
fiction (film ou téléfilm) ou une variété.
Pour concurrencer un événement spécial, il est souhaitable de
prévoir un événement spécial. Lorsque fin mai 89, Antenne 2 retransmet
en direct la finale du championnat de France de rugby (Toulouse
contre Toulon), TF1 programme un hommage à Romy Schneider à la
place d'une de ses variétés habituelles du samedi soir (Sébastien,
Collaro ou Leeb). Le programme d'Antenne 2 attirait les amateurs
d'un sport vigoureux; TF1 se préoccupait de séduire un public
romantique, plus féminin.
Ce sont les règles du moment — vérités aujourd'hui, erreurs de
demain peut-être. Le programmateur sait les utiliser, en surveillant
leurs évolutions.

LE RATIO FINANCIER : AUDIENCE POTENTIELLE/


COÛT DU PROGRAMME
Dans ses choix, il a l'obligation d'établir un ratio, déjà signalé, entre
l'audience et le coût. Lorsque l'audience ne peut dépasser 3 % dans
le meilleur des cas, même si ce pourcentage modeste représente
50 % de parts de marché ou plus, il serait irresponsable de
programmer un produit onéreux pour atteindre 3,5 % ou 4 %.
51 une série à 120 000 F l'épisode est remplacée par une série à
1 80 000 F dans une case quotidienne du matin (du lundi au vendredi
inclus), même si la nouvelle série est meilleure, même si elle attire un
peu plus de public, il n'est pas certain que la dépense
supplémentaire sera compensée par une recette supplémentaire supérieure, ni
même égale. Cette dépense supplémentaire sur une année s'élève à
© 60 000 x 5 jours x 52 semaines = 1 6,6 millions de francs. Or, ce type
\ de difficulté ou de tentation se pose pour de très nombreuses cases
H de la grille des programmes.
{3> Cette contrainte financière requiert de l'imagination pour être maîtri-
^ sée. Dans une activité réputée coûteuse, comment atteindre et con-
* server une part élevée du marché avec des budgets limités?
•j2 Le responsable de la programmation n'établit donc pas sa grille
.8 avec les meilleurs produits à sa disposition sur le marché des pro-
§ grammes. Il est contraint par les coûts. Il est aussi contraint par ses
| propres stocks qu'il doit utiliser. Une pratique des distributeurs sur
o les marchés des programmes de télévision est de proposer des en-
La programmation d'une chaîne de télévision 81

semblés d'émissions (packaging) : des programmes au succès


confirmé et d'autres de moindre attrait.
La gestion des « vedettes » de la chaîne, animateurs ou
producteurs, est un autre des devoirs, agréable mais délicat, du directeur
des programmes. Il importe de faire faire à ces « vedettes » ce
qu'elles doivent en leur laissant l'impression qu'elles font ce qu'elles
veulent. Comment interdire aux personnalités connues du public,
qui attirent ce public vers une chaîne, d'avoir des idées sur la
programmation, et d'abord sur la leur? Comment empêcher l'une de
penser qu'elle est mal aimée, brimée, exploitée si l'horaire qu'elle
convoite est donné à telle autre? L'anthropologie du mimétisme,
source de frustrations qui peut dégénérer en violence destructrice
ou auto-destructrice, s'applique au monde écorché de la télévision.
Comment convaincre, avant que l'Audimat ait apporté son verdict,
tel animateur qu'il rassemblera un public important en exprimant son
idée et son talent après 22 h 30?

LA HANTISE DU DIRECTEUR D'ANTENNE :


LES DÉBORDS DES ÉMISSIONS
Comment empêcher les animateurs, du journal télévisé ou d'une
émission en direct, qui battent des records d'audience, de jouer
avec les nerfs du téléspectateur, donc des dirigeants de l'antenne,
en dépassant de 1 0' ou 1 5" la durée qui est impartie à leur émission?
Le respect des horaires est cependant un autre impératif
catégorique pour le programmateur professionnel, non seulement parce qu'il
s'agit du respect essentiel du téléspectateur, mais aussi parce qu'il
s'agit du respect du positionnement dans la grille des émissions, de
leur début et de leur fin, qui a été pensé en fonction des décisions de
la concurrence. Commencer une émission 10 minutes après le
programme de la chaîne rivale peut faire baisser de plusieurs points
d'audience le score de cette émission : le public est impatient; s'il est
accroché par le programme qu'il est allé voir par curiosité, dans
l'attente de l'émission qu'il a prévu de regarder, il ne reviendra pas
toujours vers son choix initial. La généralisation de la télécommande
facilite ces comportements; les courbes d'audience en témoignent.
La rigueur dans la décision doit être accompagnée de discipline
dans l'application.

UNE PROGRAMMATION
CONFORME A L'IMAGE DE LA CHAÎNE
Le programmateur enfin est contraint dans ses choix et décisions
par la préoccupation de l'image de la chaîne qui l'emploie. Une grille
Mass média

de programme correspond à un concept cohérent de chaîne. C'est


par la recherche et la préservation de cette cohérence que la
télévision a évolué du support au média. N'importe quel programme
ne peut être diffusé sur n'importe quelle chaîne, même en
choisissant soigneusement l'horaire. Une grande chaîne populaire — donc
généraliste et familiale — ne peut évidemment pas annoncer un film
erotique à 20 h 30, mais pas plus à 22 h 30 : elle ferait peut-être un
« coup » spectaculaire le jour de la diffusion, mais déliterait son
image auprès de la majorité de son public. Ce type de programme
ne fait pas partie de ce qui est attendu d'elle.
Mais la règle ci-dessus énoncée ne vaut pas que pour un
programme trivial. Un opéra trouve difficilement sa place dans la grille
d'une chaîne populaire financée par la publicité. Le sport aussi
quand il ne s'agit pas d'événements à forte charge émotionnelle. Ce
sont là des exemples de programmes ciblés sur des publics définis
à l'avance et non sur le public.

L'INFORMATION, SECTEUR CLÉ D'UNE TÉLÉVISION


Une grille de programme n'est pas pour autant un puzzle de produits
similaires, aseptisés, fédérateurs. Une grille n'a jamais fait ses
preuves — ou plus exactement, dès qu'elle les a faites, il est temps de la
modifier. Un programmateur ne peut pas se reposer sur ses lauriers.
Le rythme des séries d'émissions à succès sera rompu de temps à
autre par un spectacle brillant, de même nature, autour d'un thème
correspondant à la sensibilité du moment de la société, comme le
cancer, le sida, l'écologie, ou l'anniversaire d'une vedette disparue.
Une grande chaîne commerciale inscrira dans sa grille des
émissions politiques en première partie de soirée, même si elle y sacrifie
en apparence 5 ou 10 points d'audience. La chaîne de télévision la
plus populaire est aussi celle qui doit offrir le meilleur journal télévisé
et la meilleure couverture de la vie politique8.
§ Tout comme la presse populaire a son ou ses éditorialistes, sa ou
^ ses personnalités — anciens ministres, académiciens — qui com-
& mentent l'actualité, une chaîne populaire doit avoir quelques
ai sions en rupture apparente avec sa tonalité fondamentale. Ainsi, TF1
^ qui est la première chaîne populaire en Europe a les journaux
q3
.oc
o 8. En Italie, les réseaux commerciaux de Silvio Berlusconi ont rapidement souffert de
S ne pas diffuser de journaux télévisés. La RAI (le service public italien) a pu retrouver
ç les faveurs du public et reprendre la tête des taux d'audience parce qu'elle couvrait
£ chaque jour l'actualité. Aux États-Unis, le chaîne CBS a plongé dans les sondages
Cj lorsqu'elle a sacrifié, au nom d'économies nécessaires, ses jounaux télévisés.
La programmation d'une chaîne de télévision 83

télévisés qui recueillent les plus fortes audiences9, une émission


politique mensuelle à 20 h 30 (Questions à domicile), une revue
hebdomadaire des événements nationaux et internationaux de la
semaine (7/7 le dimanche à 19 heures), une émission littéraire (Ex-
libris). Le dosage de ces programmes en rupture de ton fait partie de
la responsabilité du programmateur, et de son talent.

LE RESPECT DES OBLIGATIONS IMPOSÉES PAR L'ÉTAT


Le (fameux) cahier des charges est la dernière contrainte qui pèse
sur l'action du directeur des programmes. Des obligations
demeurent, pour les chaînes privées comme pour les chaînes publiques,
qui sont imposées par l'État représenté par le Conseil supérieur de
l'audiovisuel (CSA) qui veille à leur scrupuleux respect.
A côté des obligations de production, existent des obligations de
diffusion qui contraignent le programmateur : ne pas diffuser plus de
104 films de cinéma par an à 20 h 30 (2 par semaine au maximum),
ne pas diffuser de film de cinéma le vendredi soir, le samedi soir et le
dimanche avant 20 h 30; dans les cases réservées à la fiction entre
6 h et 1 h du matin, diffuser 50 % — ou même 60 % — d'œuvres de
création française ou européenne, limiter à 12 minutes par heure
glissante le temps d'antenne consacré à la publicité, limiter à 4
minutes la durée d'un écran publicitaire, couper une seule fois
seulement les œuvres de fiction pour une insertion publicitaire, etc. Ce
sont là seulement les plus marquantes des règles imposées à la
diffusion.

DES PROGRAMMES LIÉS ENTRE EUX


POUR LIER DES PUBLICS
Le programmateur doit donc se livrer à un gymkhana à travers toutes
ces contraintes qui sont autant d'obstacles empêchant la flèche (le
programme fabriqué ou acheté) d'aller droit au but (rassembler la
plus forte audience possible). L'américain Lee Brown a été sans
doute le premier à oser déclarer (en 1 971 ) que le but de la télévision
n'était pas tant de distraire ou d'informer que d'amener un public aux
annonceurs. Le programmateur a l'ambition de rassembler aux
différents moments successifs de la journée le maximum de l'audience
potentielle.
Les émissions doivent donc se succéder de manière à attirer vers le

9. Jean-Pierre Pernaut à 13 h + 5 points en moyenne d'avance sur le journal


:

d'Antenne 2; Patrick Poivre d'Arvor à 20 h + 12 points en moyenne d'avance sur le


:

journal d'Antenne 2. Le différentiel est équivalent avec Bruno Masure pendant le


week-end. Date mai 1989.
Mass média

petit écran la partie du public qui n'était pas jusqu'alors disponible


— soit qu'elle était occupée, soit qu'elle était ailleurs — tout en
conservant la partie du public qui était déjà accrochée. Sur une grille de
programmes efficace, les émissions ne sont pas sans rapport les
unes avec les autres. Elles sont comme des fusées gigognes ou
comme des vases communicants : ce qui s'emboîte, ce qui se
communique en passant de l'une à l'autre, c'est le public, ou du
moins la plus grande partie du public déjà mobilisé. Ainsi se crée la
cohérence d'une grille avec ses caractéristiques propres.
Cette continuité à la fois homogène et fluide a été jusqu'au milieu des
années 80 rompue — souvent au désespoir des responsables de
chaînes conscients déjà des règles d'une programmation efficace
— par des obligations des cahiers des charges (exemple :
l'enchaînement des émissions catholiques, protestantes, juives, islamiques
le dimanche matin, qui visaient chacune des publics distincts) ou
des émissions en provenance d'organismes para-étatiques et nées
sous la pression de l'État — à ne pas confondre ici avec le pouvoir
politique — qui n'oubliait pas qu'il était le propriétaire des chaînes :
programmes scolaires du CNDP en début d'après-midi, émissions
d'orientation, professionnelle de l'ONISEP, émissions sur la santé
produites et financées par la Sécurité sociale.
L'exercice, clairement conceptualisé aujourd'hui, qui consiste à
passer en souplesse d'un programme à l'autre sans décourager ceux
qui regardent déjà et en attirant ceux qui ne regardent pas, est
particulièrement important aux heures où les vagues successives et
immenses d'hommes et de femmes, d'enfants aussi, regagnent le
foyer familial : entre 12 h et 12 h 30, puis à partir de 18 h jusqu'à 20 h,
heure à laquelle la totalité du public potentiel se dispose à la grand-
messe du journal télévisé, avant la levée du rideau rouge à 20 h 30,
sur le spectacle de soirée. Les programmateurs ont adopté le jargon
des professionnels américains pour désigner ces tranches horaires
§ et les exercices délicats qu'ils imposent : l'access prime-time (I'ac-
"à ces au prime-time), le prime-time; le premier doit séduire en rassem-
too» blant, le second doit fédérer.

| UN PLAISIR QUI SE CONSOMME A PLUSIEURS


* La télévision se regarde à plusieurs : ce n'est pas une nécessité,
-â c'est le désir de son public, la raison la plus importante du succès de
.8 la télévision et l'aspiration la plus profonde des téléspectateurs. Être
§ ensemble, se distraire ensemble. Cette réalité s'impose encore au-
| jourd'hui, même si elle peut changer denain. Des études menées en
5 Grande-Bretagne ont montré que, dans les foyers où existent plu-
La programmation d'une chaîne de télévision 85

sieurs récepteurs de télévision, 85 % du temps consacré à la


télévision l'est autour d'un seul poste, en famille; 15 % seulement du
temps est consacré à une consommation solitaire, à des horaires
décalés (par exemple, très tard en soirée, ou tôt le matin).
Aux heures d'audience massive — celles qui attirent les annonceurs
et drainent les ressources d'une chaîne10 — le programmateur doit
non pas sélectionner le programme qui plaît le plus à monsieur, ou
celui qui plaît le plus à madame, ou à monsieur fils ou à
mademoiselle fille — en s'appuyant sur l'idée qu'il existe au foyer une autorité
qui sait s'imposer11; il doit retenir le programme qui ne fait fuir ni le
mari, ni l'épouse, ni les enfants sans pour autant qu'il soit celui qu'ils
choisiraient s'ils étaient seuls à décider; ils le choisissent — ou
l'acceptent — puisqu'ils aspirent avant tout à être ensemble...
Le programmateur doit choisir, selon l'expression américaine, le
« less objectionable programme » (l'émission qui soulève le moins
d'objections de la part des uns et des autres). Une somptueuse
émission de variétés avec célébrités et paillettes (le jeu des
lumières) fera toujours un meilleur score qu'un match de football de
qualité — sauf lorsqu'il s'agit d'une finale de Coupe d'Europe ou de
Coupe du Monde parce que la compétition s'élève alors du sport au
mythe et devient spectacle doté d'une puissance émotive
universelle.
C'est aux heures de « prime-time » — celles qui actuellement
génèrent 80 % des recettes d'une chaîne commerciale — que le public-
groupe impose au programmateur le respect de sa psychologie, de
ses modes secrets de fonctionnement. Pendant la journée et tard
dans la soirée, il sait qu'il a à satisfaire des publics-individus dont les
choix s'expriment de façon plus tranchée.

POUR LE PLAISIR, VARIÉTÉS OU FICTIONS


Guidé par le ressort secret de son art, le programmateur d'une
chaîne généraliste, pour le programme de première partie de soirée,
n'a qu'une alternative pour sa programmation régulière : une
émission de variétés ou un programme de fiction (cinéma les jours
autorisés et dans la limite des quotas, ou téléfilms). Les deux genres
rassemblent le groupe familial sans drame ni exclusion.
La multiplication des chaînes de télévision ne change rien. Pour
trouver les ressources qui lui sont indispensables, une chaîne
commerciale généraliste doit occuper au minimum 25 % du marché, de
10. 70 % des recettes publicitaires sont concentrées dans le « prime-time ».
1 1 . On a longtemps débattu pour savoir si le père ou l'adolescent était le prescripteur
du programme à regarder.
Mass média

préférence 30 %. Elle ne peut y parvenir qu'en respectant les règles


rigides d'une programmation efficace. On comprend pourquoi la
multiplication des chaînes n'engendre pas une diversification des
grilles : chaque chaîne caresse l'ambition de jouer dans la cour des
grands.
La cour est étroite d'ailleurs et l'on s'y bouscule vite : la contrainte
des 25/35 % de parts de marché — ligne au-dessous de laquelle les
annonceurs s'éclipsent — limite à trois le nombre des chaînes de
télévision qui, sur un marché national, peuvent prétendre au statut
de chaîne généraliste populaire et majeure. Les autres doivent se
résigner à jouer un rôle mineur, en ciblant leur programme sur un
public particulier, ou compter sur d'autres ressources comme
l'abonnement12.

LA TÉLÉVISION NE CONNAÎT QU'UN PUBLIC


L'idée qu'il existe plusieurs publics pour la télévision est une idée
fausse, souvent remise sur le métier par les hommes politiques et
toujours combattue par les professionnels13.
La télévision n'a affaire qu'à la foule anonyme dont les aspirations
varient moins avec le média qu'avec les moments de la journée. Une
chaîne cherche à établir avec cette foule, la plus large partie
possible de cette foule, une relation d'habitude. Ainsi se crée un public.
La sociologie connaît cette structuration progressive de la masse
indifférenciée en un auditoire organisé autour d'un leader, d'un
événement ou d'un organisme. Le respect des règles de la programmation
permet de réussir cette structuration et de la pérenniser. Hors
d'elles, point de salut.

DES RÈGLES QUI ONT UNE PORTÉE UNIVERSELLE


Ces règles ne sont pas sorties de la tête d'un homme plus créatif que
d'autres. Elles étaient inscrites dans la nature du support d'un côté,
§ dans l'attente de la foule de l'autre. C'est pourquoi ces règles sont
"^
D>
CD des contraintes : la compréhension de la disponibilité des gens au

O) 12. En France, Canal Plus en dépit de son succès public et financier, se définit elle-
,cg même comme une chaîne complémentaire. Elle programme les films du cinéma —
■^ qui constituent sa principale spécialité — de façon à ce qu'ils puissent être vus par
c ses abonnés sans que ceux-ci aient à sacrifier les programmes proposés par les
■ê grandes chaînes nationales.
S 13. Michel Souchon, directeur du service des études à Antenne 2, a publié dans Le
g Monde du 31 mars 1989 un article argumenté qui rappelait cette vérité fondamentale
ç au moment où les responsables politiques s'interrogeaient sur le type de public que
Ç devraient rechercher les chaînes de service public au moment où les chaînes
3 privées affichaient leur prééminence.
La programmation d'une chaîne de télévision 87

sein du foyer, la relation de plaisir qui fonde le rapport à la télévision,


l'enchaînement souple des émissions et des vagues de publics,
l'aspiration au divertissement du public, la cohérence de l'image de
la chaîne à travers sa grille de programmes.
Le pression inconsciente qu'excerce le public sur le programmateur
paraît bien avoir une portée universelle. Une des surprises des
études faites sur les télévisions dans le monde, la composition de
leur grille de programmes et les comportements de leurs audiences,
a été la découverte que, dans les pays industrialisés où le média
audiovisuel est sorti de l'âge préhistorique pour atteindre la maturité,
les enquêtes ont fait apparaître les mêmes chiffres : la structure des
programmes comporte partout 55 % d'émissions de divertissement
(35 % de fictions et 20 % de variétés), 20 % d'émissions
d'informations (journaux télévisés, débats politiques ou magazines
d'actualités), 10 % d'émissions pour les enfants et 5 % d'émissions
culturelles14.
Lorsque les grilles s'écartent de cette répartition, le public les y
ramène en composant son menu avec plusieurs chaînes. Si bien que
naturellement, la télévision offerte peu à peu et partout tend à se
rapprocher de la télévision consommée.

DE NOUVEAUX PUBLICS A DE NOUVEAUX HORAIRES


Le respect des règles de la programmation a, dans un premier
temps, été le plus rigoureux aux heures de « prime-time » : celles qui
installent la majorité du public devant le récepteur et génèrent
l'essentiel des recettes publicitaires. Les responsables de chaînes ont
d'abord évacué vers des tranches horaires moins sensibles les
exercices imposés par des autorités extérieures (émissions sur la santé,
la sécurité routière, l'orientation scolaire et professionnelle) ou les
programmes ciblés à l'excès (exemples : les magazines sur le sport,
les documentaires culturels). Mais la préoccupation de maintenir la
cohérence d'une grille des programmes et de rassembler le
maximum du public potentiel vaut pour toutes les heures de diffusion. En
conséquence, les règles de la programmation doivent être
respectées, sans faille, tout au long de la grille des programmes.
Cette évolution qui, par étape, fait table rase du passé, est en cours.
Les grilles peu à peu s'apurent et se densifient. Les enquêtes sur les
attentes du public ont révélé qu'un public potentiel existait à des
moments mal desservis par la télévision — au sens où une région est
mal desservie par l'avion ou le chemin de fer. C'est ainsi qu'à partir

14. 10 % du temps total de diffusion est occupé par la publicité.


Mass média

de septembre 1987, TF1 a fait une percée spectaculaire dans les


tranches horaires situées après 22 h et 22 h 30 avec des émissions
documentaires ou des magazines. « Ciel, mon mardi! », animé par
Christophe Dechavanne ou « Médiations », animé par François de
Closets, « Ushuaia » avec Nicolas Hulot ou « Sirocco » avec Carlos
rassemblent au-delà de 22 h 30 plus de 15 % du public. Elle réalise
aujourd'hui 7 % de son chiffre d'affaires publicitaire entre 22 h et
24h. La télévision s'est longtemps satisfaite, à ces horaires, de
scores situés entre 3 et 5 %, ne générant aucune recette publicitaire
significative. Il apparaît que ce n'est pas le genre documentaire ou
magazine qui n'était pas apprécié par un public large mais la façon
dont ils ont été longtemps traités par les producteurs : trop ciblés,
trop intellectuels, trop lents, trop didactiques, trop bavards. Quand
les sujets choisis sont fédérateurs, quand l'image prend le pas sur la
parole, le public ne boude pas son plaisir — car il s'agit bien toujours
d'un plaisir.

VERS UNE MEILLEURE RÉPARTITION DE LA PUBLICITÉ


Ce bouleversement très net des habitudes et comportements en
seconde partie de soirée gagne peu à peu les matinées et les après-
midi des chaînes de télévision. Des besoins latents sont repérés et
des réponses adéquates leur sont apportées. Une répartition mieux
équilibrée de la publicité à la télévision devrait suivre. L'évolution
des programmes, la connaissance du public, la fidélisation à des
horaires encore peu fréquentés pousseront les annonceurs à
rapprocher les produits de leurs consommateurs. Les chaînes
commerciales augmenteront leurs recettes non par une multiplication des
écrans à des horaires surchargés — ce que de toutes façons la
réglementation leur interdit de faire — mais par un renforcement des
écrans peu demandés. Le respect des règles de la programmation à
tout moment de la diffusion commande le développement des recet-
§ tes de la télévision.
^ Ces règles — qui ne sont que les ambassadeurs de la réalité — si
§j elles contraignent le programmateur, n'empêchent pas l'initiative, la
§> créativité, l'innovation de s'exprimer. La course à l'audience pour
S tous, si elle engendre la standardisation des programmes (fiction ou
fc variétés à 20 h 30 par exemple), n'entraîne pas leur uniformisation.
J Au contraire, à l'intérieur de la contrainte, il faut imaginer et innover
2 afin d'être meilleur que les autres. Le média est créé par la
nalité de ses responsables; sinon, la télévision ne reste qu'un sup-
| port vite érodé par le temps.
^ A condition de prendre en compte les principes ainsi repérés, plus
La programmation d'une chaîne de télévision 89

sans doute quelques autres encore à découvrir, « la programmation


est une chose simple », comme l'affirme Pierre Wiehm, ancien
directeur des programmes d'Antenne 2 et aujurd'hui consultant
auprès de plusieurs chaînes de télévision, reconnu comme un des
experts et des humoristes de la profession : après tout, il s'agit
seulement de mettre bout à bout des émissions inventées, écrites,
jouées, animées et réalisées par les vraies créateurs.
Jacques Mousseau

LES TECHNIQUES DE PROGRAMMATION


Stripping : programmation de la même série à la même heure. 5 jours par
semaine, du lundi au vendredi (en télévision, le week-end donne lieu à des
programmes spécifiques et à une programmation différente). Cette technique
permet de fidéliser le public. Elle est utilisée par TF1 pour ses jeux (Tounez
manège, La roue de la fortune) et ses séries (Santa Barbara, Ligne de chance).
Checkerboarding : programmation de 5 séries différentes, une par jour de la
semaine, du lundi au vendredi. Elle est utilisée lorsque le nombre des épisodes
prévus ou fabriqués ne permet pas le « stripping ». Antenne 2 l'a adoptée en
1988-1989 pour ses programmes d'avant-soirée sans grand succès.
Lead -in : diffusion des programmes les plus populaires au début d'une tranche
pour assurer l'audience des programmes suivants. Une forte partie de
l'audience ne change pas de choix entre deux programmes à l'intérieur d'une même
tranche. SurTFI le net succès des journaux télévisés constitue un atout pour les
programmes de soirée, et auparavant le net succès des jeux (Le juste prix à
,

12 h 30, La roue de la fortune à 19 h X) constitue un atout pour les JT.


Hammocking : insertion entre deux émissions à succès d'un nouveau
programme afin d'assurer son lancement.
Tent Poling : insertion d'un programme à succès entre deux programmes
nouveaux, afin de lancer ceux-ci. Plus risquée que le « hammocking », cette
technique est utilisée lorsqu'une chaîne compte insuffisamment de programmes
à succès et doit renouveler sa grille.
Starting : diffusion de programmes spéciaux avec modifications de la grille, aux
périodes où des enquêtes d'audience sont menées par des instituts spécialisés.
Cette technique longtemps utilisée en France tombe en désuétude à mesure que
les sondages deviennent réguliers, systématiques et automatisés.
Spinn-off : création d'une nouvelle série à partir des personnages secondaires
d'une série à succès, la France n'a pas encore produit de longues séries qui lui
auraient permis d'adopter ce procédé. Aux USA, les personnages secondaires
de « Dallas » sont devenus les héros d'autres séries.

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