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Concurrence et structure de marché : les modèles d’affaires de la télévision


d’aujourd’hui

Chapter · January 2011

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Nathalie Sonnac
Université Panthéon-Assas Paris 2
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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

Chapitre 2

Concurrence et structure de marché :


les modèles d’affaires de la télévision
d’aujourd’hui
N a t h a l i e S o nn a c

Les médias français sont en pleine mutation. De nombreux bouleversements d’ordre


technologique, économique et social amènent à s’interroger sur la nouvelle organi-
sation qui se dessine, comme sur les nouveaux défis qui l’accompagnent.
Dans cette nouvelle ère, l’étude du média télévision est particulièrement prégnante.
D’une part, parce que la télévision est — et reste — le premier mode de distraction
des Français parmi l’ensemble des médias traditionnels (presse écrite, radio, cinéma,
affichage). D’autre part, parce que c’est elle qui a subi les mutations les plus pro- 161
fondes de son activité. Si, chronologiquement, quatre périodes peuvent être identifiées
dans l’histoire du paysage audiovisuel français (Paf ), de la télévision d’État financée
par la redevance à l’arrivée de la télévision payante avec Canal+ (nous y reviendrons
p. 165), deux événements majeurs marquent l’entrée de la télévision dans cette nou-
velle ère. D’abord, mars 2005, qui signe l’arrivée de la télévision numérique terrestre
(TNT). Puis, le développement de la télévision avec protocole internet, qui carac-
térise l’émergence de nouveaux modes d’accès aux programmes (en direct et en dif-
féré) et se traduit par une multitude de réseaux de diffusion (hertzien numérique,
câble, satellite, ADSL, fibre) et de services. Dans ce nouveau paradigme, trois élé-
ments majeurs caractérisent et modifient intrinsèquement les règles de fonctionne-
ment du secteur audiovisuel.
• Le premier concerne la dichotomie qui oppose classiquement les chaînes du ser-
vice public aux chaînes commerciales privées. Le développement du réseau numé-
rique terrestre permet aux opérateurs d’offrir aux téléspectateurs, sur une même
plate-forme de distribution, dix-huit chaînes gratuites ou quasi gratuites (notam-
ment les chaînes publiques du groupe France Télévisions et les chaînes commer-
ciales, comme TF1 ou M6) et neuf chaînes payantes (Planète, Paris Première, LCI,
etc.). Jusque-là, la division entre chaînes payantes et gratuites s’appuyait notamment
sur un modèle d’affaires distinct, mais aussi sur le genre de contenus diffusés, les
premières proposant une offre généraliste et les secondes ayant pour vocation d’of-
frir des contenus thématiques. Le développement de la TNT vient brouiller cette

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frontière. Gulli, par exemple, la chaîne pour enfants diffusée gratuitement sur la
TNT, concurrence directement des chaînes payantes consacrées à cette thématique
jeunesse, telles Canal J, Cartoon Network ou encore Boomerang. De même, i>Télé
ou BFM, chaînes gratuites d’information diffusées sur la TNT, concurrencent LCI,
la chaîne payante d’information du groupe TF1. Les règles du jeu concurrentiel sont
ainsi bousculées, ce qui rend caduc le critère de marché pertinent.
• Deuxième élément : l’offre de chaînes de télévision (gratuites — publiques ou com-
merciales — et payantes) diffusée sur une nouvelle plate-forme de distribution —
l’ADSL — constitue un deuxième bouleversement important. Dès 2009, l’ADSL
était le premier vecteur de télévision payante. La distribution de contenus par les
réseaux de télécommunication se traduit par l’arrivée en force de nouveaux opérateurs,
principalement, les fournisseurs d’accès internet, comme Free, et les opérateurs des
réseaux mobiles, tels Orange France-Télécom ou SFR. Ces derniers se confrontent
aux opérateurs historiques de services télévisuels. Soulignons d’ores et déjà que les
firmes installées ne doivent pas seulement faire face à une concurrence plus ardue,
liée à l’augmentation du nombre d’entreprises, mais aussi à un schéma plus général
de transformation profonde des pratiques et des usages des publics des médias en
général, en particulier de télévision. D’un point de vue technique, cette évolution
s’interprète comme le passage de la diffusion broadcast (sens unique) à la diffusion
broadband (échanges de données dans les deux sens, interactivité, ventes de services
162
groupées), et peut se concevoir du point de vue de l’offre, comme la création de nou-
veaux services (Vàd, podcast, multi-services tel le triple play) permettant l’interacti-
vité ou l’accès à de nouveaux contenus sous différents formats. D’un point de vue
économique, un nouveau modèle voit le jour : la télévision sur internet (webcasting).
La télévision généraliste (broadcast) se caractérise par un faible nombre de chaînes
et un choix de programmes limité pour les téléspectateurs ; la télévision thématique
(narrowcasting) comprend une offre très élargie de chaînes conduisant à une multi-
plication par 5 du nombre d’heures de programmes proposés entre 1994 et 2006 ; la
télévision sur internet correspond à la vidéo sur internet, qui « constitue un nouveau
modèle à part entière. […] Ces dernières années, la vidéo a été un des principaux
moteurs du développement d’internet. Les services audiovisuels et les supports de
diffusion se sont multipliés avec les nouvelles avancées technologiques. Cette dyna-
mique est accompagnée par l’émergence de nouveaux usages et de nouveaux modes
de consommation télévisuels, orientés vers l’individualisation et un contrôle accru
du contenu visionné »1.
• Troisième élément marquant : la transformation profonde des pratiques et des
usages des consommateurs dans leur consommation des médias. C’est notamment
vrai pour la population la plus jeune, marquée par l’arrivée de l’internet et plus

(1) Rémy Le Champion et Michel Agnola, « L’essor du webcasting, l’avènement d’un nouveau
modèle télévisuel », in Xavier Greffe et Nathalie Sonnac (dir.), Culture Web : création, contenus,
économie numérique, Dalloz, Paris, 2008, chapitre 15.

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particulièrement par le web 2.02. On observe pour la première fois que les jeunes
(16-24 ans) passent 10 % de temps supplémentaire à naviguer sur internet plutôt
qu’à regarder la télévision (chiffres 2009). Cette possible substitution entre un média
émergent et les médias traditionnels est un phénomène totalement nouveau. De
même, le développement des réseaux haut débit a permis l’émergence de ­nouvelles
formes de consommation des contenus audiovisuels — les services délinéarisés — :
télévision de rattrapage, vidéo à la demande, enregistrement sur DVD, sont les
nouveaux moyens pour regarder des contenus, à un moment choisi par les téléspec-
tateurs et non plus imposé par une grille de programmation. 9,3 millions de per-
sonnes ont regardé des programmes en différé, enregistrés sur DVD, cassette vidéo
ou magnétoscope numérique (PVR — personal video recorder) ; 10,6 millions de per-
sonnes ont regardé ou revu un programme via la télévision de rattrapage (source :
Médiamétrie, Global TV, 2009)3.
Ce nouvel environnement économique bouleverse les règles du jeu concurrentiel. Les
modalités de consommation des contenus audiovisuels ont changé et, avec elles, les
stratégies des chaînes. La publicité, de plus en plus sollicitée dans les modèles d’af-
faires, fait tomber l’étude des médias dans le champ de l’économie des plates-formes,
qui correspond à une classe de marché (marché à deux versants, média et publicité),
où le volume de la demande sur un marché dépend du volume de la demande sur
l’autre, et inversement. Nous nous intéressons à cette structure atypique de marché
et à ses conséquences sur les contenus éditoriaux des chaînes, en termes de diversité 163
et de qualité (cf. p. 164). Il n’existe pas un seul et unique modèle d’affaires pour la
télévision. Le déploiement de la TNT et l’arrivée de nouveaux acteurs soulignent la
place de plus en plus croissante de la télévision payante au sein du Paf (cf. p. 167).
Après avoir présenté l’organisation de ce marché, nous tenterons de mettre en évi-
dence les conséquences de l’arrivée des FAI et des Télécom sur la structure générale

(2) Créé par les américains Chris DeWolfe et Tom Anderson en août 2003, le web 2.0 est une sorte
de « toile vivante » (living web) évolutive qui met à disposition des internautes une série d’outils
leur permettant de faire eux-mêmes des images, du son, ou encore « fabriquer de l’info ». Il en
existe trois définitions. Le web 2.0 :
— encourage la collaboration et la participation des internautes, où les lieux sont avant tout des
lieux de rencontres, de partage et d’échanges et non des zones marchandes et monétisées ;
— regroupe l’ensemble des logiciels, des langages, des applications et des wiki, soit un ensemble
d’outils accessibles par et à tout le monde, faciles à maîtriser, offerts et partagés gratuitement et
reliés entre eux (cf. l’open source) ;
— désigne la volonté de faire de l’argent en finançant un site alimenté en contenus par les utili-
sateurs. Voir Xavier Greffe et Nathalie Sonnac (dir.), Culture Web : création, contenus, économie
numérique, op. cit.
(3) Selon les résultats de cette étude, la nature des programmes est différente selon le mode de
différé. On regarde plutôt des films via les DVD et les PVR et les séries via la télévision de rattra-
page. Dans ce nouveau paradigme, la gratuité semble être le maître mot du jeu concurrentiel. Les
annonceurs ne s’y trompent pas. Sur près de 30 milliards d’euros dépensés en communication
par l’ensemble des annonceurs, pour tous les moyens de communication mis à leur disposition en
2008, la télévision arrive en première position des dépenses médias pour un montant de l’ordre
de 3,6 milliards d’euros (les dépenses sur internet sont de l’ordre de 1,2 milliard d’euros). Les
dépenses médias (presse, télévision, radio, cinéma, affichage et internet) représentent 36,6 % du
montant total, contre près de 65 % dans le hors médias (marketing direct, PLV annuaires, salons,
parrainage) (source : France Pub, 2010).

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du Paf, sur les modalités de rémunération des chaînes et, enfin, nous étudierons l’inci-
dence de l’extension de ce modèle d’affaires sur les contenus audiovisuels. Présentons
d’abord le nouvel environnement économique du Paf.

■■ Le nouvel environnement économique


du Paf

■■ Modèles d’affaires et convergence


Il n’existe pas un, mais plusieurs modèles d’affaires des chaînes de télévision. Le finan-
cement global de la télévision est passé de 6,5 milliards d’euros en 1998 à 8,7 mil-
liards d’euros en 2007 (source : CNC) ; il se ventile entre les recettes de publicité
(40 %), l’abonnement (38 %) et la redevance (22 %). Historiquement, la redevance
a été le premier mode de financement de l’audiovisuel, du temps où la télévision se
réduisait à un service public en situation de monopole. En 1968, la publicité télé-
visée bouleverse le schéma organisationnel, mais le mode de financement demeure
indirect du point de vue du téléspectateur. En 1984, celui-ci est mis à contribution
directement au moyen de l’abonnement : le Paf est marqué par l’arrivée de Canal+.
164 Le téléspectateur s’est transformé pour la première fois en consommateur-abonné.
Le premier modèle d’affaires télévisuel correspond à celui des chaînes publiques finan-
cées en intégralité ou non par la redevance. C’est notamment le cas des chaînes du
groupe France Télévisions (France 2, France 3, France 4, France 5) et d’Arte France.
Il n’est pas possible de parler de client à propos de l’État-actionnaire, mais plutôt de
« prescripteur », sachant que les pouvoirs publics ont défini, depuis la loi 2000-719
du 1er août 2000 (JO du 2 août 2000), un contrat d’objectifs et de moyens en liaison
avec le diffuseur. Soulignons que, à la suite de l’annonce faite par Nicolas Sarkozy en
janvier 2008 d’une réforme de l’audiovisuel, la loi 2009-258 du 5 mars 2009 (JO du
7 mars 2009) a réformé en profondeur le modèle économique et l’organisation de
la télévision publique en France. Dans un secteur devenu hautement concurrentiel,
le gouvernement a d’une certaine façon décidé d’« extraire » le fonctionnement du
groupe des turbulences et des aléas du marché, notamment du marché publicitaire,
avec pour objectif, en 2012, que 95 % des ressources du groupe, devenu entreprise
commune, soient d’origine publique4.
Le deuxième modèle d’affaires correspond aux chaînes privées, dites commerciales,
comme TF1 ou M6, dont les recettes proviennent principalement de la publicité.

(4) Voir notamment sur ce sujet le rapport de la Cour des comptes, France Télévisions et la nou-
velle télévision publique, La Documentation française, Paris, octobre 2009, et l’ouvrage de Serge
Regourd, Vers la fin de la télévision publique ? Traité de savoir-vivre du service public audiovisuel,
Éditions de l’Attribut, Toulouse, 2008.

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Ces chaînes répondent en priorité aux attentes des annonceurs, à savoir « toucher au
meilleur prix le maximum de “cibles” qu’ils souhaitent atteindre ». Inscrites dans un
marché à deux versants (marché biface ou two-sided markets), cela signifie pour elles
vendre une audience à des annonceurs ; il importe donc auparavant de créer cette
audience parmi les téléspectateurs qui accèdent gratuitement aux contenus. On parle
de plus en plus d’« économie de l’attention » : celle-ci serait devenue, selon Michael
Goldhaber5, la richesse principale dans un univers informationnel où le consom-
mateur est sans cesse sollicité. Ce modèle économique est celui de la monétisation
de l’audience des téléspectateurs. À ce propos, Patrick Le Lay, président du conseil
d’administration de TF1, ne laisse planer à l’époque (2004) aucune ambiguïté sur
l’activité de sa chaîne : « À la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par
exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il
faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour voca-
tion de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le pré-
parer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de
cerveau humain disponible. »6 Cette catégorie de chaînes génère et commercialise
donc une audience, ayant pour client principal l’annonceur.
Enfin, le dernier modèle d’affaires correspond au financement par abonnement. Les
chaînes comme Canal+ visent notamment à maximiser la satisfaction de leurs clients.
Ici, il s’agit du téléspectateur-abonné. Ce type de chaînes conçoit donc un service
récréatif à l’attention des téléspectateurs, en offrant si possible des programmes exclu- 165
sifs et attrayants, comme le sport ou le cinéma récent. Dans ce cadre, l’indicateur d’au-
dience n’est que secondaire, puisque le client principal est le téléspectateur-abonné.
Si ces trois modèles coexistent depuis 1984, l’environnement technologique et concur-
rentiel a fortement évolué, bousculé pour partie par la numérisation et l’utilisation
générale de la norme IP dans les secteurs des télécommunications, de l’informatique
et des médias. La convergence entre ces trois secteurs se traduit par « une transfor-
mation de la configuration industrielle du secteur de l’économie numérique et par
de nouveaux défis », selon une étude Coe-Rexecode7. Pour ses auteurs, la conver-
gence favorise, notamment, l’innovation et suscite l’apparition de nouveaux services
et usages ; elle déplace progressivement « la concurrence intra-technologies vers une
concurrence entre technologies ». Aujourd’hui, il existe différentes technologies de
réseaux d’accès (ADSL, réseaux câblés, fibre optique, satellite) pour différents types de
terminaux (téléphone fixe et mobile, ordinateurs, tablettes numériques, téléviseurs).

(5) Michael Goldhaber, “The Value of Openness in an Attention Economy”, First Monday, vol. 11,
n° 6, 5 juin 2006.
(6) Patrick Le Lay, in Les associés d’EIM, Les dirigeants face au changement, les Éditions du
Huitième Jour, Paris, 2004.
(7) Coe-Rexecode, « Les opérateurs de réseaux dans l’économie numérique. Lignes de force,
enjeux et dynamiques », document de travail, n° 16, janvier 2010, p. 5-14.

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Pour expliquer cette convergence numérique, Didier Lombard, ancien P-DG de


France Télécom-Orange, dans son ouvrage Le village numérique mondial8, présente
le secteur des TIC comme un écosystème à quatre couches, qui étaient clairement
séparées jusqu’à l’arrivée du numérique. Chaque couche correspond à un ensemble
d’entreprises qui ont chacune une fonction industrielle principale et définie.
La première couche comprend la production d’éléments de réseaux et de terminaux :
ce sont les équipementiers (Alcatel, Cisco), les fabricants de téléphone (Nokia,
Motorola, Sony) et les entreprises spécialisées dans les logiciels et les équipements
électroniques (Microsoft, Apple, Dell).
La deuxième couche comprend les opérateurs historiques de téléphonie (France
Télécom, Deutsche Telekom, ATT), les FAI (Free), les opérateurs de téléphonie
mobile (Vodafone), les câblo-opérateurs (Virgin Media, Time Warner) ou de satel-
lite (BSkyB, Canal+ France).
Les entreprises de la troisième couche ont centré leur modèle économique sur l’in-
termédiation : elles constituent des plates-formes d’échanges qui proposent des ser-
vices aux consommateurs, tels les moteurs de recherche (Google, Yahoo!), les sites
de services (gmail, fichiers), la vente en ligne (Amazon, eBay) et les réseaux sociaux
(facebook, flickr). Enfin, le dernier niveau, en amont de l’écosystème, comprend
l’ensemble des producteurs de contenus numériques : son, texte, image, vidéo. Il
166
embrasse le secteur de l’édition (France Télévisions, TF1, NBC, Canal+) et des
contenus autoproduits par les consommateurs, appelés en anglais UGC (user gene-
rated content), tel YouTube. La convergence a conduit à cette perméabilité nouvelle
entre les couches, transformant en profondeur l’économie des secteurs, notamment
celui de l’audiovisuel. De nouvelles possibilités de création, de captation — mais
aussi de destruction — de valeur, voient le jour.

Modèle en couches appliqué à l’écosystème des TIC


Couche 4
Producteurs de contenus

Couche 3
Plates-formes de services et intermédiaires

Couche 2
opérateurs de réseaux

Couche 1
Production d’éléments de réseaux et terminaux

Source : Coe-Rexecode, « Les opérateurs de réseaux dans l’économie numérique. Lignes de force, enjeux
et dynamiques », document de travail, n° 16, janvier 2010, p. 5-14 (p. 9).

(8) Didier Lombard, Le village numérique mondial. La deuxième vie des réseaux, Odile Jacob,
Paris, 2008.

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Dès lors, en termes de concurrence économique, la convergence numérique et le


haut débit numérique positionnent les opérateurs de télécom, les câblo-opérateurs
et les opérateurs de satellite en concurrence frontale avec les opérateurs historiques
sur le marché des contenus : « Ces trois catégories d’opérateurs ont enrichi leur offre
de base en y incluant des services complémentaires, et se concurrencent dès lors, sur
des offres “triple play”. » La dynamique de la convergence se traduit par le dévelop-
pement d’une couche qui impacte le développement des autres (open innovation).
Cette dynamique conduit à un processus de concentration industrielle. Noos a acheté
UPC en 2004, avant de fusionner avec Numéricâble en 2006 ; CanalSat et TPS ont
fusionné pour ne créer qu’une seule et unique plate-forme satellitaire, Canal+ France.
On observe ces mêmes mouvements dans les FAI. Télé2 a été racheté par SFR et
AOL par Neuf-Cegetel en 2006 (lui-même venait de racheter Club Internet). En
2008, Neuf-Cegetel et SFR ont à leur tour fusionné.

■■Les conséquences économiques


du déploiement de la TNT
Le développement de la TNT a donc modifié en profondeur la consommation
de l’audiovisuel et l’environnement concurrentiel des industries audiovisuelles, les
téléspectateurs ayant ainsi accès à une offre élargie. La plate-forme de la TNT a
bénéficié, depuis son lancement, d’une pénétration dans les foyers rapide et impor- 167
tante : 48,3 % d’entre eux étaient équipés d’au moins un adaptateur fin 2009 (soit
12,9 millions de foyers) contre 3,6 % (soit 885 000 foyers) en 2005. En 2003, les
deux tiers des foyers équipés d’un poste de télévision recevaient en moyenne six
chaînes ; en 2008, les deux tiers des foyers équipés accédaient à 15 chaînes et plus
en moyenne ! Mais ce succès indéniable de la TNT s’est traduit, pour les princi-
pales chaînes historiques, par une chute de leurs parts d’audience. Toutes ont vu
leur pourcentage diminuer : 26,2 % en octobre 2008 contre 32 % en octobre 2001
pour TF1 ; 16,6 % en octobre 2008 contre 22,7 % en octobre 2001 pour France 2 ;
11,2 % en octobre 2008 contre 12,4 % en octobre 2001 pour M6. Durant la même
période, l’offre alternative représentée par l’agrégat « Autres chaînes » est de 25,2 %
en 2008 contre 8,5 % en 2001 ! Quant aux seules chaînes de la TNT (hors chaînes
nationales), leur part d’audience est de 12,3 %, un pourcentage supérieur à celui
de France 3, M6 ou encore Arte. Ainsi, les trois premières chaînes de télévision les
plus regardées ont perdu en 5 ans plus de 10 points de part d’audience au profit des
chaînes de la TNT, leur part d’audience ayant chuté de 78,7 % en 1995 à 62,9 %
en 20089. Cette multiplication du nombre de chaînes, qui traduit une fragmenta-
tion de l’offre, va de pair avec l’évolution des parts de marché publicitaires des dif-
férentes catégories de chaînes. En effet, le montant investi par les annonceurs dans

(9) CSA (février 2009), « Le marché publicitaire télévisuel français en 2009 : (r)évolution ? »,
Commission prospective.

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le média télévision en 2005 était de 5,8 milliards d’euros, les chaînes nationales en
absorbant 90 %. En 2009, ce montant total était de 7 milliards d’euros, avec 71 %
pour les chaînes nationales et déjà 18,6 % pour les « Autres chaînes » (présentes sur
le marché depuis 2005 seulement).

■■ Un changement d’univers concurrentiel


Les télécoms et les FAI (Free, Neuf/SFR, Orange) sont entrés sur le marché de la télé-
vision via la plate-forme ADSL. Son développement a permis l’explosion de l’offre
de chaînes de télévision, gratuites et payantes. Ces nouveaux opérateurs proposent
un groupement d’offre multi-services qui comprend la télévision. Il est important de
souligner qu’il existe une véritable asymétrie entre leurs modèles d’affaires. En effet,
l’opérateur historique offre un contenu audiovisuel payant (et en exclusivité) ; les opé-
rateurs des communications électroniques offrent un bouquet (bundle) de services
(internet, téléphonie) et du contenu audiovisuel (télévision). Dans la première situa-
tion, la télévision est le seul service offert, dans l’autre, elle en est un parmi d’autres.
Tous les abonnés à une offre multi-services sont considérés comme des abonnés à
une offre payante de télévision s’ils accèdent principalement à la télévision par ce
moyen. Ainsi, sur 25,2 millions de foyers français équipés d’un poste de télévision,
8,5 millions bénéficient d’une offre payante, ce qui représente 34 % de la popula-
168
tion. Selon l’Observatoire du CSA, 12 millions de personnes étaient abonnées à la
télévision multi-chaînes au 31 décembre 2009, avec la plate-forme ADSL : près de
5 millions d’abonnés ADSL, contre 4 millions pour le satellite, 2 millions pour le
câble et près de 1 million pour la TNT payante. Selon Médiamétrie, sur la période
de septembre 2008 au 15 février 2009, près de 9,5 millions de personnes étaient
équipées d’au moins un téléviseur relié à l’ADSL ! Le très haut débit permet à
13,2 millions des foyers d’accéder à une offre de 50 à 200 chaînes. L’ADSL est l’une
des principales technologies pour accéder à l’internet à haut débit. Ce marché très
dynamique bénéficie d’une croissance annuelle de 12 % sur la période 1999-2008,
où le nombre d’accès est passé de 3 à 18 millions. Cette nouvelle technologie est le
moteur de croissance de la télévision payante (cf. p. 175).

■■ La télévision gratuite : une plate-forme


d’échanges
Premier mode de distraction, la télévision occupe une place centrale dans la vie cultu-
relle des Français. Il convient de présenter l’organisation économique de ce marché,
les fondements théoriques qui permettent de comprendre son économie et les stra-
tégies déployées par les principaux acteurs.

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■■Les effets de réseaux


dans le secteur audiovisuel
Le financement des contenus audiovisuels par la publicité inscrit le modèle d’affaires
de la télévision dans ce qu’il est courant d’appeler un marché à deux versants10. Ce
dernier se caractérise par l’existence d’une plate-forme d’échanges qui joue le rôle
d’intermédiaire, rend possible et facilite les interactions entre deux groupes d’agents
qui ont des gains à interagir. Ces agents sont, dans le cas de l’audiovisuel, les télé­
spectateurs et les annonceurs. Ainsi, au sein d’une plate-forme d’échanges, les béné-
fices d’un agent appartenant à un groupe dépendent du nombre d’agents de l’autre
groupe, cet effet est un effet de réseau simple (direct). Il apparaît en particulier dans
les industries ouvrant des possibilités nouvelles en matière d’échange d’informations
entre les individus. L’exemple le plus connu est celui du téléphone, où plus le nombre
de consommateurs connectés au réseau est élevé, plus l’intérêt pour un consomma-
teur d’y être abonné s’accroît, lui donnant la possibilité de communiquer avec un
plus grand nombre de personnes.

Le modèle d’affaires de la télévision gratuite

Marché de la télévision Plate-forme Marché publicitaire


(prix d’accès aux contenus) audiovisuelle (tarif publicitaire)
169

 
Téléspectateurs Annonceurs

 
L’utilité dépend du contenu L’utilité dépend du nombre
médiatique et du volume publicitaire de téléspectateurs et de la cible
(réactions à la publicité). souhaitée.

Dans le modèle d’affaires de l’audiovisuel, ce sont des effets de réseaux croisés (indi-
rects) qui coexistent : la satisfaction d’un consommateur pour un bien vendu sur un
marché dépend de la taille de la demande pour un autre bien sur un marché diffé-
rent, et vice versa. Ainsi, les annonceurs achètent d’autant plus d’espaces publicitaires
que le nombre de téléspectateurs est grand ; l’impact du message publicitaire croît
avec la taille de l’audience. Du côté des téléspectateurs, ils regardent une chaîne de
télévision pour ses programmes, mais ils prennent aussi en considération la présence

(10) Voir notamment Jean-Charles Rochet et Jean Tirole, “Platform Competition in Two-Sided
Markets”, Journal of the European Economic Association, vol. 1, n° 4, juin 2003, p. 990-1029 ;
Jean Gabszewicz et Nathalie Sonnac, L’industrie des médias, La Découverte, Paris, 2006 ; Jorge
Ferrando, Jean Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Intermarket Network Externalities
and Competition: an Application to the Media Industry”, International Journal of Economic Theory,
vol. 4, n° 3, septembre 2008, p. 357-379.

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T élévision

de la publicité dans le média consommé. Leur appréciation ou non de la publicité


se traduit en termes économiques par des externalités positives, pour les téléspecta-
teurs publiphiles, ou par des externalités négatives, en cas de publiphobie. Chacune
des deux relations (annonceurs-médias et médias-téléspectateurs) constitue un effet
de réseau indirect. Le marché à deux versants fournit ainsi un service joint aux deux
groupes d’agents.
Ce schéma présente l’organisation du marché de la télévision et des relations entre
les trois agents acteurs — éditeurs de chaînes, téléspectateurs et annonceurs. Il est
représentatif de toutes les plates-formes médiatiques, des entreprises de presse aux
chaînes de télévision en passant par les stations de radio ou les sites internet, quel
que soit le mode de financement choisi par la plate-forme : publicité, abonnement
ou redevance. En effet, dans le cas des médias payants (presse écrite, chaînes de télé-
vision payantes), le consommateur paie un certain prix pour accéder aux contenus
édités ou diffusés par la plate-forme. Ce tarif dépendra de l’utilité des consomma-
teurs en partie pour les contenus, mais aussi du volume publicitaire autorisé à la
plate-forme. Dans le cas de médias gratuits (presse gratuite, radio, chaînes de télévi-
sion commerciales ou publiques), le prix d’accès à la plate-forme est nul, et cepen-
dant, le schéma n’est en rien altéré, dans la mesure où l’interaction stratégique entre
les acteurs demeure. L’utilité des annonceurs d’acheter des spots publicitaires auprès
de l’éditeur dépend de la taille de l’audience et du public des chaînes. L’intérêt du
170
téléspectateur est le même que dans la situation précédente, même si le prix d’accès
à la plate-forme est nul. Ici, l’audience est le premier déterminant de la tarification
publicitaire. C’est elle qui permet de fixer, voire de négocier, les tarifs de publicité
et donc le profit des chaînes. La performance des programmes de télévision, que la
chaîne soit publique ou privée, s’exprime par la mesure de cette audience. Les annon-
ceurs cherchent des laps de temps relativement courts pour plaire au plus grand
nombre et faire fuir le moins possible. Les téléspectateurs de spots de télévision d’au-
jourd’hui sont les consommateurs potentiels des produits de demain, produits pour
lesquels les annonceurs font la promotion. En mars 2008, selon le CSA, le tarif net
d’un passage de 30 secondes le dimanche à 20 h 40 était d’environ 50 000 euros sur
TF1 et 33 500 euros sur France 2.
Les éditeurs des plates-formes audiovisuelles, compte tenu des interactions straté-
giques entre le marché des médias et celui de la publicité, doivent choisir à la fois la
structure de prix, le niveau des prix et le ratio publicité/contenu.

Coût d’un spot de 30 secondes un dimanche vers 20 h 40 (en €)


TF1 France 2 M6 France 3 Canal+ France 4 W9
50 000 33 500 14 500 11 900 6 000 5 200 2 500

TMC NRJ12 Direct8 NT1 Source : Carat, net estimé,


1 800 1 600 1 000 700 mars 2008 in CSA, février 2009.

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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

Nous entendons par structure de prix la combinaison du mode de financement


« choisi » par le média. En effet, nous venons de le voir, un éditeur de programmes
peut choisir entre ne faire appel à aucun financement publicitaire et facturer aux
téléspectateurs les prix (élevés) des programmes diffusés, ou à l’inverse, laisser une
large place à la publicité et pratiquer un prix de vente nul aux téléspectateurs. C’est
le cas de la télévision commerciale. En revanche, en fixant un prix d’abonnement
aux téléspectateurs (clients abonnés) et un tarif publicitaire auprès des annonceurs,
la structure choisie est celle du double financement (voir p. 175). Ici, la structure
et le niveau des prix sont étroitement liés. En effet, dans la mesure où les préfé-
rences des consommateurs sont corrélées en partie au volume publicitaire du média
(­publiphobie, publiphilie), le ratio publicité/contenu dépend lui même du niveau
des prix pratiqués sur les deux marchés. Dans la détermination de ces prix, le choix
de la meilleure stratégie par l’entreprise médiatique dépend en partie de la sensibi-
lité du ­téléspectateur au prix (élasticité-prix de la demande) et de ce ratio. Enfin,
elle dépend évidemment aussi de la sensibilité de la demande des annonceurs au
tarif publicitaire.
La structure de marché atypique des médias n’est pas sans incidences sur l’économie
du secteur et sur les choix stratégiques des éditeurs de chaînes. Par exemple, sur un
marché à deux versants, le contenu médiatique peut être influencé par le désir de
propriétaires des médias d’offrir un vecteur qui touche le plus grand nombre possible
d’annonceurs et de consommateurs (biais potentiel dans la sélection d’informations). 171
Ou encore, sur les marchés traditionnels, les consommateurs ont une disponibilité
à payer pour les produits qu’ils souhaitent consommer — et ils sont seuls à le faire.
Sur un marché à deux versants, le pouvoir des consommateurs est, en partie, trans-
féré aux annonceurs qui ont la possibilité, en tant que principal financeur, d’im-
poser un type d’informations que les éditeurs sont dans l’obligation de proposer aux
consommateurs. Voyons à présent quels sont les types de stratégies possibles pour
les éditeurs de chaînes.

■■Les stratégies tarifaires des entreprises


audiovisuelles
Une des conséquences des marchés à deux versants est que la structure des prix est
souvent asymétrique : les deux acteurs des deux versants ne paient pas systématique-
ment le même prix, et même l’un des deux peut ne pas payer, étant ainsi subventionné
entièrement par l’autre. C’est le cas de la télévision gratuite, où seuls les annonceurs
paient l’accès à la plate-forme. Compte tenu de cette structure, on observe, et c’est
le cas pour l’ensemble des biens informationnels, que les éditeurs de la plate-forme

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T élévision

optent pour trois catégories de stratégies tarifaires : les stratégies de discrimination,


les stratégies de version (versioning) et les stratégies de bouquet (bundling)11.
• Les stratégies de discrimination ont pour objectif de faire payer aux consommateurs
des prix différents pour le même bien. Ces différences sont censées refléter l’hété-
rogénéité des consommateurs en termes de préférences et de revenus. La littérature
économique nous dit que, lorsque le consommateur paie exactement le prix égal à sa
disponibilité à payer, le fournisseur capte l’intégralité du surplus. Dès lors, en infor-
mation parfaite, cette théorie peut s’avérer socialement efficace (discrimination du
1er degré). Cependant, dans la réalité, cette pratique est rarement applicable, d’une
part, parce qu’il est difficile pour le fournisseur de connaître cette disponibilité à
payer et, d’autre part, parce que le consommateur n’est pas incité à la faire connaître,
la possibilité pour lui de ne rien payer étant toujours préférée à celle de payer, même
un tout petit peu ! Le fournisseur va alors proposer différents menus tarifaires, une
formule économique et une formule premium, par exemple, qui combine à la fois
un prix et un niveau défini de quantité ou de qualité (discrimination du 2e degré).
Dans la troisième situation (discrimination du 3e degré), le fournisseur offre une
grille tarifaire à des groupes de consommateurs, classés selon des critères objectifs :
âge, sexe, niveau de revenu, situation professionnelle. Ici, c’est le consommateur qui
affiche ses préférences en révélant ses disponibilités à payer.
• Les stratégies de version reposent sur un mécanisme par lequel un contenu donné
172 sera offert sous différentes formes, tel un livre en format de poche, en version bro-
chée ou encore en version reliée. Cette stratégie consiste donc à offrir plusieurs ver-
sions d’un même bien : une version de base, premium ou familiale. Le temps est aussi
un moyen de décliner différentes versions d’un même service. C’est sur la chrono-
logie médiatique que reposent, par exemple, les relations du cinéma et de la télé-
vision. Pour NPA12, « les chaînes thématiques jouent un rôle majeur dans le cycle
d’exploitation des œuvres audiovisuelles, en particulier les séries, parfois en amont
des grandes chaînes nationales ».
• Enfin, on trouve les stratégies de bouquet, qui correspondent à une vente groupée
de plusieurs biens au sein d’un même bouquet. Les biens peuvent être vendus sépa-
rément (bundling pur) ou de manière conjointe (bundling mixte). Sur le marché de
la télévision payante, il est de coutume de parler de ventes groupées dans le cas de
chaînes généralistes ou thématiques rassemblées au sein d’un même bouquet. Sur
le marché des communications électroniques, les produits « bundlés » s’apparen-
tent à un groupement d’offres de services, qui peuvent être vendus séparément, mais
aussi offerts de façon jointe : on parle alors de triple play, voire de quadruple play
(internet, téléphonie fixe et mobile et télévision). L’offre de tels produits présente
de nombreux avantages.

(11) Éric Malin et Thierry Pénard, Économie du numérique et de l’internet, Vuibert, Paris, 2010.
(12) NPA Conseil, Les chaînes thématiques à l’heure du paysage tout-numérique, décembre
2009, p. 49.

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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

La chronologie des médias

TV payante
 VàD  TV payante   TV  VàD  VàD
Cinéma (2e diff.) +
 payante  (1re diff.)   gratuite  par ab.*  gratuite
TV gratuite

   + 4 mois

      + 10 mois

          + 22 mois

             + 30 mois

                + 36 mois

                    + 48 mois

Sortie en salle
* Par abonnement.

Le premier est lié aux coûts de production. Lorsque les coûts marginaux sont faibles,
le bundle peut conduire à une tarification beaucoup plus efficace. Supposons deux
groupes de S consommateurs qui évaluent comme suit « les résultats du cham-
pionnat de foot » et « les résultats d’une émission de jeu » ; le groupe 1 donne 9 au
produit foot et 3 aux résultats du jeu ; le groupe 2 donne 10 au produit foot et 2 173
aux résultats du jeu. Dans le cas où les coûts de production seraient faibles, chaque
bien pourra être vendu à tous les consommateurs. Ainsi, les résultats du foot sont
vendus à 9 et les résultats du jeu à 2, soit un revenu total de 22S. En groupant les
deux biens, la commercialisation de l’ensemble des résultats se fera à 12, assurant
ainsi un revenu de 24S.
Un autre avantage est que la valeur économique du bundle est supérieure à la somme
de ses composantes : la valeur d’une unité d’information dépendra de son contexte
informationnel et des complémentarités entre ces unités.

■■ Les stratégies éditoriales


Quand les stratégies ne portent pas sur les prix, elles concernent les produits. Là
encore, les interactions entre les acteurs ont des conséquences sur les stratégies édi-
toriales. C’est notamment l’incidence du financement publicitaire sur la nature des
contenus médiatiques que nous allons analyser.
Les médias étant vecteurs de démocratie et de lien social, la nature et la diversité des
contenus audiovisuels sont susceptibles d’exercer une influence non négligeable sur
la formation des valeurs. Dès lors, il faut s’interroger sur l’effet possible du finance-
ment publicitaire sur la diversité de la programmation.

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T élévision

Soulignons d’abord que le financement publicitaire a une incidence sur la nature de


la concurrence que se livrent les entreprises du secteur. Ces entreprises sont confron-
tées à une concurrence sur deux marchés distincts, celui des programmes et celui de
la publicité. Or, les demandes qui émanent de ces deux marchés diffèrent : les télés-
pectateurs souhaitent un certain type de contenu (généraliste, thématique), alors que
les annonceurs s’intéressent principalement à la taille de l’audience (quantité) et à sa
composition (cible). Cependant, nous l’avons déjà évoqué, les consommateurs des
médias ne sont pas neutres envers la présence de publicité dans le contenu. Leurs
réactions, positives ou négatives, exercent une influence sur la concurrence entre les
entreprises audiovisuelles qui se disputent l’audience13. Ainsi, le système d’effets de
réseau indirects issu de l’interaction entre les deux marchés affecte la répartition en
volume et la formation des prix sur chacun des marchés. Par exemple, l’aversion de
téléspectateurs envers la publicité peut être en partie compensée par le fait qu’ils ne
paient pas pour regarder leurs programmes, comme dans le cas de la télévision gra-
tuite. C’est en quelque sorte le « prix à payer » pour la gratuité.
D’un point de vue stratégique, on constate que le financement publicitaire exerce
une influence sur le choix de la programmation audiovisuelle, voire sur sa diversité.
Lorsqu’un média est financé exclusivement par la publicité, on doit offrir aux annon-
ceurs un produit « attractif », la taille de son audience étant l’indicateur principal
de sa mesure. Or, cette taille dépend elle-même de son contenu. Dès lors, la dépen-
174
dance financière des programmateurs à l’égard des annonceurs peut les conduire
à orienter l’offre vers des contenus à « haute teneur d’audience », ce qui prive une
partie des téléspectateurs, minoritaires, de la diffusion de certains programmes. De
même, les chaînes de télévision en concurrence peuvent être conduites à privilégier
la réplication de leurs programmes plutôt que leur diversification.
L’illustration empirique a été fournie par Steiner, qui compare deux structures de
marché14 : l’une, de type concurrentiel, où trois chaînes de télévision, exclusivement
financées par la publicité, sont en concurrence ; l’autre, de type monopolistique,
toutes trois financées aussi par la publicité mais appartenant à un même propriétaire.
Avec une répartition asymétrique des audiences pour chacun des programmes, l’au-
teur, à contre-courant de toute intuition économique, montre que le second modèle
d’affaires (en concurrence) apporte moins de diversité que le premier (en mono-
pole). La bataille que se livrent les chaînes entre elles les conduit à dupliquer leur
programme et à éliminer celui qui génère l’audience la plus faible. Selon Steiner, la

(13) Comme le révèle par exemple le phénomène de « zapping » des téléspectateurs lors des
plages publicitaires. Voir, pour des traitements théoriques de cette question en économie indus-
trielle, Jean Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Press Advertising and the Ascent
of the ‘Pensée unique’”, European Economic Review, vol. 45, n° 4-6, mai 2001, p. 641-651 ; Jean
Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Programming and Advertising Competition
in the Broadcasting Industry”, Journal of Economics and Management Strategy, vol. 13, n° 4,
décembre 2004, p. 657-669.
(14) Peter O. Steiner, “Program Patterns and Preferences, and the Workability of Competition in
Radio Broadcasting”, Quarterly Journal of Economics, vol. 66, n° 2, 1952, p. 194-223.

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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

structure concurrentielle offre moins de diversité qu’une structure monopolistique,


car une certaine catégorie de téléspectateurs peut se voir priver de ses contenus pré-
férés en raison du peu d’attrait qu’elle représente aux yeux des annonceurs.
Ainsi, cette tendance à l’uniformisation du contenu médiatique s’accentue lorsque
l’accès au média est gratuit. En effet, la première raison pour laquelle les entreprises
sont incitées à se différencier est de vouloir atténuer la concurrence en prix, par défi-
nition inexistante dans le cas de médias gratuits15.

■■ Vers un nouveau modèle d’affaires :


l’exemple de la télévision à péage
Dans ce nouvel univers concurrentiel et d’innovation technologique, le modèle d’affaires
de la télévision payante est particulièrement intéressant à analyser. Historiquement,
le câble et le satellite étaient les deux seules plates-formes d’accès aux services payants
de télévision16. La convergence et la numérisation des biens informationnels ont
élargi les modes d’accès à ce type de service, avec le réseau hertzien numérique et
l’internet. Nous l’avons vu, ces innovations technologiques se traduisent par l’ar-
rivée des télécommunications17 et des FAI via la plate-forme ADSL. Fin 2009, 26
chaînes nationales étaient à la disposition des téléspectateurs de la TNT, dont 9 175
chaînes payantes, et 199 chaînes étaient conventionnées ou déclarées pour une dif-
fusion sur les réseaux n’utilisant pas de fréquences assignées par le CSA : câble, satel-
lite, ADSL, mobile, internet18.

■■ Le marché de la télévision payante


Du fait que le téléspectateur paie, l’organisation générale de la chaîne de valeur ainsi
que la nature des programmes présentent un certain nombre de spécificités.

(15) Jean Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Press Advertising and the Ascent of
the ‘Pensée unique’”, op. cit.
(16) Le plan câble date des années 1980, c’est la première plate-forme de télévision payante.
En 2006, il y avait 1,9 million de téléspectateurs abonnés et 1,6 million bénéficiant du « service
antenne » (service apporté par un opérateur dans des immeubles non pourvus de l’antenne-râteau,
mais raccordés au réseau câblé, permettant à des foyers de recevoir les chaînes gratuites, hert-
ziennes et TNT, moyennant un tarif couvrant les frais d’installation et de maintenance). Le satellite
avait 3,7 millions d’abonnés (2,5 millions pour CanalSat et 1,2 million pour TPS) ; Canal+ (chaîne
et bouquet) avait en 2006 4,5 millions d’abonnés (tous modes de diffusion confondus).
(17) France Télécom est aujourd’hui le troisième opérateur mobile et le premier fournisseur d’accès
internet ADSL en Europe.
(18) Acces, Guide des chaînes numériques, février 2010.

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T élévision

Organisation du marché
Le métier de l’audiovisuel consiste à éditer, assembler et distribuer des programmes.
Les éditeurs acquièrent des programmes ou des droits auprès d’ayants droit, les
assemblent afin de constituer des grilles de programmes et les proposent aux diffu-
seurs ou distributeurs. L’organisation du marché de la télévision payante repose sur
une chaîne de valeur verticale19 qui comprend trois parties :
— l’acquisition du droit de distribuer des chaînes ;
— l’agrégation de bouquets de télévision ;
— la commercialisation directe de ces offres aux abonnés (services techniques et
commerciaux). Le transport est généralement inclus dans l’activité de distribution20.

La chaîne de la valeur de la télévision payante

Marché Marché
Marché aval
amont intermédiaire

Production Transport
   
et cession Édition Distibution et
des droits    diffusion 

Téléspectateurs
176
Opérateurs
Détenteurs Distributeurs
Chaînes techniques de
des droits commerciaux
diffusion

Source : CSA.

Le modèle d’affaires de la télévision payante diffère de celui de la télévision gratuite


pour deux raisons principales. D’une part, le distributeur, via sa plate-forme, acquiert
le droit de distribuer des chaînes, principalement en exclusivité, contre le paiement
d’une redevance, dont le montant est corrélé, en grande partie, par la capacité de la
chaîne à assembler des programmes de qualité « haute » ; d’autre part, le téléspec-
tateur paie un abonnement pour accéder aux programmes. Ici, les contenus audio-
visuels ne sont financés ni par la publicité, ni par la redevance étatique. Dès lors, le

(19) La chaîne de valeur de la télévision payante comprend trois marchés : le marché amont (offre
des détenteurs de droits/demande des éditeurs de chaînes), le marché intermédiaire (offre des édi-
teurs de chaînes/demande des distributeurs), le marché aval (offre des distributeurs/demande des
téléspectateurs). D’autres marchés ont des liens connexes, comme les services interactifs, les ser-
vices techniques, les communications électroniques, la publicité télévisée, la radio et la musique, etc.
(20) Les câblo-opérateurs et le satellite sont des distributeurs. Les opérateurs de DSL sont tantôt
des distributeurs, tantôt des « transporteurs » (seule l’activité de transport de chaînes ou de
bouquets est assurée par une commission versée par le distributeur). De ce fait, on distingue le
marché de la distribution de celui du simple transport ; en revanche, on n’identifie pas des mar-
chés selon les types de diffusion.

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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

modèle d’affaires de la télévision payante repose principalement sur la disponibilité


à payer des téléspectateurs, et non sur le principe de la maximisation des revenus
publicitaires (convertie en taille d’audience).
Ainsi, ce marché répond à une logique industrielle et commerciale forte, où la
recherche de la satisfaction de l’abonné conduit le distributeur à s’assurer la maîtrise
des contenus, et, inversement, la nécessité de garantir l’amortissement de contenus à
forts coûts fixes conduit l’éditeur à rechercher la maitrise des débouchés et donc du
client final. Une offre de programmes attractifs est alors consubstantielle à l’économie
de la télévision payante. Et plusieurs éléments sont indispensables à la constitution
de ce type d’offre. Tout d’abord, cette offre doit comprendre des contenus premium,
qui sont les moteurs de l’abonnement autour desquels se structurent les offres et le
marketing des distributeurs des chaînes payantes : « Les chaînes premium sont fabri-
quées par les télévisions payantes ayant un contenu d’appel (sport et cinéma) préala-
blement acquis auprès des titulaires initiaux des droits. »21 Elles se caractérisent par
un niveau d’abonnement élevé, une offre de programmation mixte (sport et cinéma
essentiellement), et surtout, elles sont diffusées en exclusivité. Généralement, l’offre
se compose de films récents en première exclusivité, de matches de football de cham-
pionnats nationaux de 1re division et des principales compétitions européennes.
Ces programmes ne sont pas substituables22. D’autres éléments sont nécessaires à
la composition d’une offre attractive, telles des chaînes thématiques à forte attracti-
vité sur des thématiques incontournables (sport, cinéma, information, jeunesse ou 177
encore, plus récemment, fiction), des chaînes thématiques et diversifiées et des ser-
vices de paiement à l’acte.
Du point de vue du téléspectateur, la télévision payante implique un prix. Pourquoi
les téléspectateurs, dans un environnement aussi abondant en termes de contenus
audiovisuels, choisissent-ils de payer pour regarder la télévision ? De nombreuses
études mettent en évidence le fait que la diversité et la disponibilité des chaînes sur
l’ensemble des thématiques principales demeurent une motivation majeure d’abon-
nement. Les choix de programmes de qualité, notamment les films, le cinéma, le
sport, les exclusivités sont les principaux arguments avancés. Ces critères d’abon-
nement montrent que la télévision payante répond à une demande spécifique du
téléspectateur. Dès lors, la réussite d’une plate-forme dépend principalement de la
détention de contenus attractifs : coûteux, rares, parfois rendus indisponibles par
des exclusivités et des programmes bien identifiables.

(21) Décision de la Commission européenne n° COMP/M.2876 du 2 avril 2003.


(22) Une des spécificités du marché français est de considérer le cinéma national comme un contenu
premium. Cette situation est due en partie aux obligations faites au Groupe Canal+ de participer
très activement à son financement, notamment par le biais des préachats et des coproductions.

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T élévision

L’exclusivité : l’élément consubstantiel


de la télévision payante
L’exclusivité est une pratique commerciale courante, largement acceptée dans le sec-
teur de la télévision payante : elle garantit la valeur marchande d’un programme.
Elle est particulièrement importante, notamment dans le cas du sport, pour lequel
la diffusion n’est attractive aux yeux des consommateurs que dans un laps de temps
très bref (souvent essentiellement en direct). Si les consommateurs perçoivent les
chaînes comme parfaitement substituables, la concurrence peut être très intense et
conduire à des prix proches des coûts marginaux, donc ne permettant pas de financer
les coûts fixes de production des contenus ou d’investissement dans l’infrastructure
de diffusion. Il est par conséquent vital pour les chaînes de se différencier aux yeux
des consommateurs et, pour cela, de leur proposer des produits que leurs concur-
rents n’offrent pas, notamment des produits en exclusivité. C’est elle qui fonde une
grande partie de la valeur d’une chaîne aux yeux du public et qui lui permet d’at-
tirer et de fidéliser des abonnés. C’est pourquoi elle est reconnue par tous les obser-
vateurs comme une caractéristique importante des contrats de droits dans le secteur
des médias23.
Cependant, l’octroi de droits en exclusivité peut poser des problèmes de concurrence,
lorsque les vendeurs et les acheteurs disposent d’un pouvoir de marché important et
lorsque la durée et le champ de l’exclusivité sont excessifs. Ces problèmes consistent
178 notamment en la fermeture de marchés de diffusion, en particulier celui de la télé-
vision payante, qui peut apparaître lorsqu’un opérateur unique détient les droits de
contenus premium. Les autorités de concurrence doivent opérer un arbitrage entre
l’intérêt économique des clauses d’exclusivité et les risques de forclusion des mar-
chés aval. D’un côté, l’exclusivité est un instrument de différenciation, de l’autre
côté, elle peut fermer les marchés et restreindre la concurrence. Par exemple, l’ac-
quisition par un diffuseur unique de droits exclusifs pour des produits premium sur
une longue période peut réduire la concurrence réelle et potentielle sur le marché
aval, et constituer une barrière à l’entrée artificielle. Des problèmes de nature verti-
cale peuvent également se poser en cas de liens entre les diffuseurs et les clubs spor-
tifs. L’intégration verticale comporte le risque de fausser ou d’affaiblir la concurrence
sur le marché des droits24.

(23) Martin Cave et Robert Crandall (“Sports Rights and the Broadcast Industry”, The Economic
Journal, vol. 111, n° 469, février 2001, p. 4-26) observent que l’intérêt des téléspectateurs, qui,
en Europe, est très concentré sur un sport unique (le football), est mieux réparti aux États-Unis
entre plusieurs disciplines, possédant des ligues professionnelles puissantes : football (américain),
basket-ball, base-ball et hockey. Cependant, les évolutions récentes mettent en évidence le fait
que les contenus premium ne se réduisent plus de façon systématique en Europe, et notamment
en France, au cinéma et au football. En effet, certaines séries télévisées peuvent être aujourd’hui
considérées comme des contenus à haute valeur ajoutée.
(24) Même si, souvent, comme en France ou en Angleterre, ce sont les ligues, et non les clubs
directement, qui gèrent les droits.

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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

Les clauses d’exclusivité peuvent donc fermer les marchés de la diffusion. A contrario,
il arrive que, pour faciliter l’entrée d’un nouvel opérateur, en particulier quand celui-
ci introduit une technologie nouvelle coûteuse, les autorités acceptent de lui garantir
un accès exclusif pour une longue durée à certains contenus attractifs. L’étendue de
l’exclusivité accordée est alors déterminante25.

■■La télévision payante dans l’offre


des nouveaux opérateurs

Une concurrence inter-plates-formes asymétrique


Le marché de la télévision payante fait face depuis 2006 à deux évolutions majeures.
La première correspond à la date de la fusion des opérateurs satellitaires CanalSat et
TPS, qui a donné naissance, à l’instar des autres pays européens, à une entité unique :
Canal+ France. La seconde évolution offre la possibilité aux téléspectateurs, via la
plate-forme ADSL, d’accéder à des contenus audiovisuels gratuits et/ou payants.
En effet, grâce à cette technologie, les FAI et les opérateurs de télécommunications
peuvent proposer, parmi l’ensemble de leurs services, des contenus audiovisuels.
C’est le cas d’Orange TV. Dès lors, ces nouveaux acteurs sont devenus des concur-
rents directs des opérateurs historiques de télévision payante, pour autant avec un
179
modèle d’affaires radicalement différent. C’est l’objet de ce point.
Les plates-formes du câble et de l’ADSL26 sont des plates-formes multi-services, au
nombre de trois : le téléphone, l’internet et la télévision.
• Le service de téléphonie (fixe ou mobile). Le téléphone est un bien en réseau, donc
plus le nombre de consommateurs connectés au réseau est grand, plus l’utilité pour
un consommateur croît.

(25) Ajoutons qu’il convient de dissocier deux types de relations d’exclusivité sur le marché de la
télévision payante : les exclusivités d’accès aux contenus d’appel, qui se déclinent en exclusivités
d’exploitation par les parties en tant qu’éditeurs, d’une part ; des exclusivités de diffusion d’un cer-
tain nombre de chaînes, intégrées dans les seuls bouquets de chaînes des parties sur certaines
plates-formes (satellite, ou satellite et DSL ensemble), d’autre part.
Le traitement des questions d’exclusivité dans la littérature économique académique consacrée
à la télévision payante porte principalement sur les contenus premium. L’examen des différentes
analyses économiques met en évidence des résultats contradictoires quant aux conséquences
de ces pratiques sur le bon fonctionnement des marchés considérés. Il n’y a donc pas de résultats
tranchés sur le caractère anticoncurrentiel des contrats exclusifs. Voir notamment Mark Armstrong,
“Competition in the Pay-TV Market”, Journal of the Japanese and International Economies, vol. 13,
n° 4, décembre 1999, p. 257-280 ; Damien Geradin, “Access to Content by New Media Platforms:
A Review of the Competition Law Problems”, European Law Review, vol. 30, n° 1, février 2005,
p. 68-94 ; David Harbord et Marco Ottaviani, “Contracts and Competition in the Pay-TV Market”,
London Business School, Department of Economics, Working Paper n° DP 2001/5, juillet 2001.
(26) À la différence de la plate-forme satellitaire, qui, pour des raisons techniques, n’offre pas de
voie retour.

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T élévision

• Le service internet et l’ensemble des services associés (e-commerce, moteurs de


recherche, messagerie…). Ces services, financés pour la plupart par la publicité,
génèrent des effets de réseaux indirects. Ainsi, la plate-forme qui offre l’accès à l’in-
ternet bénéficie de ces effets en dégageant des sources de revenus via la publicité en
attirant deux catégories de clients, les internautes et les annonceurs. Plus le nombre
d’internautes présents sur la plate-forme est grand, plus les annonceurs sont enclins
à y investir, c’est l’effet d’une spirale vertueuse. Dès lors, les opérateurs pourront
tarifer un prix d’accès à l’internet à un prix faible, voire nul (tarification asymé-
trique), laissant la publicité assurer pleinement le financement aux services offerts.
Cette tarification rend bien évidement plus attractif l’accès aux téléspectateurs, plus
enclins à participer à la plate-forme et élargissant ainsi la base d’abonnés installés.
• Le service audiovisuel. Celui-ci, offert par les FAI et les opérateurs de télécommu-
nication, diffère in fine de celui proposé par un pure player, tel que Groupe Canal+,
par exemple. Ici, le service audiovisuel se déploie à deux niveaux.
Un premier niveau comprend, à la différence d’un opérateur audiovisuel pur, une
offre de chaînes gratuites et une offre de chaînes payantes. L’offre de chaînes gratuites
(dont le financement est assuré à 100 % par des revenus publicitaires) permet de
générer des effets de réseaux indirects en drainant des téléspectateurs (donc de l’au-
dience) et des annonceurs. Ces effets profitent à la plate-forme dans son ensemble.
Le second niveau des plates-formes de distribution ADSL est lui aussi enrichi. Les
180 opérateurs de FAI et les télécommunications peuvent voir leur rôle se résumer au
transport des contenus audiovisuels des chaînes indépendantes ou étrangères. Ainsi
un abonné aux chaînes du groupe Canal+ qui souhaiterait accéder à son offre via
l’ADSL, devra passer systématiquement par un distributeur ADSL, assignant de
facto le groupe Canal+ à une place de deuxième rang et se réservant l’accès direct
aux téléspectateurs. De plus, ces opérateurs peuvent aussi proposer des chaînes pro-
priétaires : c’est le cas du groupe Orange (avec Orange TV), qui offre à ses abonnés
l’accès exclusif à un certain nombre de chaînes payantes. Ils maintiennent là aussi
le contact direct avec le client.
Dans une chaîne verticale de valorisation, cette position est extrêmement avanta-
geuse. Comme le souligne Olivier Bomsel27 (2007) : « En distribution numérique,
l’enjeu repose sur le déploiement des infrastructures et des terminaux en sorte de
mutualiser les coûts fixes de réseaux. » Ainsi FAI et opérateurs de télécommunica-
tion bénéficient-ils de plusieurs sources d’effets de réseau grâce à une offre de ser-
vices diversifiés. La combinaison des effets directs (téléphone) et indirects (internet)
amplifie le volume de transactions, les sources de revenus et le degré d’attractivité de la
plate-forme aux yeux des consommateurs, ce qui fragilise l’économie des pure players.

(27) O. Bomsel, Gratuit ! Du déploiement de l’économie numérique, Gallimard, coll. « Folio Actuel »,
Paris, 2007.

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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

Un changement de politique de rémunération


L’arrivée des opérateurs multi-services se traduit aussi par un changement de pratiques
tarifaires en matière de rémunération des chaînes indépendantes qu’ils distribuent.
Rappelons que la rémunération d’une chaîne payante indépendante émane principa-
lement du versement d’une redevance par le distributeur et de recettes publicitaires.
Les chaînes peuvent choisir d’être distribuées en exclusivité (un seul distributeur)
ou non. Indépendantes et distribuées en exclusivité, elles bénéficient du versement
d’une redevance supérieure à celle perçue lorsqu’elles ne le sont pas. Depuis l’arrivée
de l’ADSL, deux principaux facteurs de changement sont observables.
D’une part, la redevance versée par le distributeur n’est plus systématiquement une
redevance forfaitaire, mais variable : son montant est calculé sur la base du nombre
d’abonnés à la chaîne. Ce montant est inférieur à l’unité, dans la mesure où le distri-
buteur prend en considération le fait que les chaînes perçoivent plusieurs redevances
versées par chacun des distributeurs qui la transporte (FAI et télécommunications).
De plus, le montant total perçu reste largement inférieur à la seule redevance versée
par le distributeur en exclusivité.
D’autre part, le complément de rémunération qui émane des recettes publicitaires
est aussi calculé sur la base du nombre d’abonnés à la chaîne, comme dans la situa-
tion antérieure. Cependant, le montant obtenu ici est beaucoup plus important,
dans la mesure où la base éligible est largement supérieure. Ce supplément de rému- 181
nération pourrait être considéré positivement par la chaîne ; pourtant, il apparaît
comme un élément de fragilisation de son modèle d’affaires. En effet, le passage à
une redevance variable et réévaluée chaque mois transforme l’économie de la chaîne
et, de facto, sa stratégie de programmation. Pourquoi ?
D’une part, parce que la redevance forfaitaire garantit à la chaîne un budget de
fonctionnement très élevé en contrepartie de l’exclusivité. En l’absence d’exclusi-
vité, la redevance sera généralement versée au variable par l’ensemble des distribu-
teurs (dont les montants versés sont très largement inférieurs). Dans ces conditions
de non-exclusivité, la chaîne payante ne bénéficie donc plus de l’avance de tréso-
rerie suffisante et nécessaire pour s’engager dans des dépenses importantes liées aux
coûts très onéreux d’acquisition de contenus, tels les événements sportifs ; elle n’est
plus en mesure d’amortir ni les coûts fixes incompressibles ni les coûts liés à l’in-
certitude inhérente à son activité ; enfin, elle perd l’assurance de sa pérennité. Elle
dépend à ce niveau plus largement du financement publicitaire.
D’autre part, dans ces conditions de non-exclusivité, le critère du nombre d’abonnés
à la chaîne est corrélé directement au montant de la redevance versée. Chaque mois,
il est révisé à l’aune des résultats d’audience (nombre d’abonnés à la chaîne). Là aussi,
le profit de la chaîne dépend largement des recettes publicitaires. On observe un
véritable transfert de risque éditorial du distributeur sur l’éditeur. L’audimat devient,
à l’instar des chaînes de télévision financées par la publicité, le critère pertinent de

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valorisation de la chaîne, transformant sa vocation originelle. Ainsi, ce passage à une


redevance variable fait peser un risque commercial supplémentaire à l’éditeur.
En conclusion, dans un modèle de distribution non exclusive des chaînes payantes
de télévision, une redevance réévaluée tous les mois selon des résultats d’audience et
une dépendance plus forte vis-à-vis du marché publicitaire redéfinissent la valorisa-
tion économique des contenus audiovisuels. L’économie des chaînes indépendantes
se trouve fragilisée, dépendant doublement du financement publicitaire. Le modèle
d’affaires de ces chaînes tend vers celui des chaînes commerciales, avec les consé-
quences en termes de diversité et de qualité des contenus mises en évidence plus haut.

*
**

Selon Jean-Louis Missika, la révolution numérique actuelle est comparable à celle


du début du XIXe siècle, où nous serions confrontés à une « technologie disruptive »
qui bouleverse à la fois les règles du jeu, les positions de force des principaux acteurs
et où la dimension socioculturelle du processus serait particulièrement importante.
La révolution technique servirait de révélateur à la révolution comportementale28.

182 Cette révolution numérique implique d’envisager l’économie de l’audiovisuel dif-


féremment. Acteurs historiques et nouveaux opérateurs n’exercent pas le même
métier, même si la convergence les conduit à offrir des services comparables, voire
communs. D’un côté, une offre variée et de qualité de contenus audiovisuels qui
constitue le cœur de métier de l’offreur ; de l’autre, une offre de contenus (cinéma,
football, séries) qui constituent des produits d’appel pour vendre de l’accès haut
débit et du téléphone. La plupart des innovations numériques, souligne O. Bomsel
(op. cit.), intervient dans les chaînes de biens et services complémentaires généra-
teurs d’effets de réseaux sur l’internet. Le phénomène économique nouveau est que
ces entreprises entrent en concurrence entre elles pour s’approprier les bénéfices :
« La firme capable de délivrer gratuitement une utilité nouvelle aux consommateurs
peut espérer devenir le distributeur de tous les autres. […] Chaque acteur va tenter
de subventionner le consommateur final, et, par le biais de cette subvention, lui fac-
turera les services de tous les autres ». Ainsi, l’objectif consiste à générer des masses
critiques afin d’asseoir une rente. Les FAI et autres opérateurs se positionnent sur le
marché des contenus et des services car ceux-ci constituent des perspectives promet-
teuses comparativement au marché des réseaux, qui devrait atteindre une limite :
« Les contenus sont l’oxygène de nos réseaux », titraient Les Échos du 7 avril 2008,
à la suite de l’interview de Didier Lombard. Les opérateurs semblent s’ancrer dans
une logique d’« écosystème fermé ».

(28) Jean-Louis Missika, La fin de la télévision, op. cit.

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C oncurrence et structure de marché : les modèles d ’ affaires
de la télévision d ’ aujourd ’ hui

Dans cette nouvelle ère, l’offre de services gratuits est déterminante pour plusieurs
raisons. D’une part, elle va de pair avec la « culture de l’internet ». D’autre part, la
gratuité des services permet aux opérateurs d’atteindre rapidement une masse cri-
tique de consommateurs. Pour autant, la gratuité n’existe pas économiquement :
elle est concomitante au financement par la publicité, ce qui n’est un phénomène ni
nouveau, ni récent dans les médias29. Les biens informationnels n’ont pas toujours
été payés par leurs utilisateurs directs : mise sous tutelle pour des raisons politiques
ou sociales, prescripteurs publics, publicitaires, etc. sont toujours intervenus dans
leurs financements. Cependant, ce modèle connaît deux évolutions. Faire appel à un
double financement — consommateurs-annonceurs — s’est répandu à l’ensemble
des médias de masse pour devenir le modèle dominant sur le web. Ensuite, le modèle
d’affaires s’est concentré sur une source unique de financement, le versant publici-
taire : l’ère du « tout-gratuit » a sonné comme une véritable révolution culturelle et
sociologique offrant la possibilité aux usagers de produits de contenus de ne plus
payer pour les consommer : journaux en ligne, musique, émissions de radio, films,
vidéos, etc. Cette asymétrie tarifaire porte aux nues l’audience et les publics. Ainsi,
avec les médias de masse, la publicité avait conduit à substituer la notion d’audience
à celle de public. Avec le web, la publicité conduit à évincer la notion d’audience au
profit de celle de public. L’internet conduit à un véritable phénomène de fragmenta-
tion des audiences faisant appel à une nouvelle réflexion : comment capter et retenir
l’attention des consommateurs ? Ce passage d’une « économie de l’information » à
une « économie de l’attention » ou celui d’une « économie des médias » vers « une 183
économie de plate-forme d’audience » amène à considérer que l’enjeu n’est plus la
simple production de contenus, mais de capture d’attention ; des efforts autrefois
dirigés vers la création ou la fabrication se concentrent aujourd’hui sur la réception.
Véritable révolution dans le métier !
Du financement publicitaire, clé de voûte de la gratuité, dérivent des questions rela-
tives à la qualité des services offerts et à leur diversité. De nombreuses études mettent
en évidence les dangers du « tout-gratuit » favorisant l’émergence de contenus maxi-
malement fédérateurs ou « à haute teneur d’audience » évinçant par là-même les
minorités, posant les problèmes non résolus d’agrégation des préférences ou d’inci-
tation à la production, etc. Dans la théorie classique, une façon pour une entreprise
d’éviter une guerre des prix consiste à différencier ses produits. Dans un modèle
gratuit, rien n’incite à se différencier de son concurrent, ce qui pose le problème
de l’incitation d’une offre variée. La gratuité ne signifie évidemment pas l’absence

(29) Le secteur de la presse écrite s’est tourné vers les petites annonces au XVIIe siècle et vers la
publicité au XIXe. Celle-ci s’est rapidement développée avec l’essor de l’économie et elle a joué un
rôle non négligeable dans le rapprochement de la presse avec les circuits marchands. Il revient à
Émile de Girardin, en 1836, d’avoir théorisé le rôle de la publicité en lançant La Presse, énonçant
de fait pour la première fois le double marché, avec l’idée selon laquelle si le journal est vendu deux
fois, alors il pourra être vendu moins cher aux lecteurs et donc voir sa diffusion augmenter plus
rapidement. Ainsi, la publicité comme seconde source de financement crée le bénéfice du journal.

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de valorisation économique, mais elle conduit à considérer d’autres mécanismes de


révélation et de mobilisation des valeurs économiques plus complexes.
Dans ce nouvel univers, deux questions méritent d’être soulevées.
D’une part, comment envisager un point d’équilibre entre, d’un côté, les intérêts des
créateurs producteurs ou des distributeurs d’œuvres audiovisuelles et, de l’autre, les
pressions des internautes habitués à la gratuité ? Cette question nous conduit à nous
interroger sur le modèle d’affaires qui va pouvoir naître de ces nouvelles pratiques.
D’autre part, nous l’avons vu, le renforcement des plates-formes multi-services sur
le marché de la télévision payante remet en cause intrinsèquement l’organisation et
la structuration du marché de l’audiovisuel payant mais, à terme, celui du gratuit.
Qui va assurer le financement des contenus audiovisuels ? Dans quelles conditions ?
Quelles incidences en termes de diversité et de qualité de contenus ?
De notre point de vue, une régulation s’impose aux pouvoirs publics, qui doit passer
par une volonté politique de fixer et de maintenir les principes fondamentaux de
ce que doivent être le pluralisme et la diversité, au sens, non pas tant du nombre de
produits ou de la largeur de gamme offerte, mais plutôt d’une conception reliée à
l’expression des minorités. Il est légitime de penser que les forces économiques des
nouveaux entrants, fondées en partie sur leur puissance financière mais aussi sur les
processus techniques qui sous-tendent les effets de réseaux économiques, via l’in-
184 ternet et les services de téléphonie, permettront à la seule logique économique de
s’imposer en favorisant notamment les pratiques de gratuité, qui peuvent être anti-
nomiques, à terme, avec les représentations de diversité culturelle et de pluralisme
des opinions dans le sens défini par nos démocraties.

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