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Nathalie Sonnac
Université Panthéon-Assas Paris 2
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All content following this page was uploaded by Nathalie Sonnac on 04 June 2014.
Chapitre 2
frontière. Gulli, par exemple, la chaîne pour enfants diffusée gratuitement sur la
TNT, concurrence directement des chaînes payantes consacrées à cette thématique
jeunesse, telles Canal J, Cartoon Network ou encore Boomerang. De même, i>Télé
ou BFM, chaînes gratuites d’information diffusées sur la TNT, concurrencent LCI,
la chaîne payante d’information du groupe TF1. Les règles du jeu concurrentiel sont
ainsi bousculées, ce qui rend caduc le critère de marché pertinent.
• Deuxième élément : l’offre de chaînes de télévision (gratuites — publiques ou com-
merciales — et payantes) diffusée sur une nouvelle plate-forme de distribution —
l’ADSL — constitue un deuxième bouleversement important. Dès 2009, l’ADSL
était le premier vecteur de télévision payante. La distribution de contenus par les
réseaux de télécommunication se traduit par l’arrivée en force de nouveaux opérateurs,
principalement, les fournisseurs d’accès internet, comme Free, et les opérateurs des
réseaux mobiles, tels Orange France-Télécom ou SFR. Ces derniers se confrontent
aux opérateurs historiques de services télévisuels. Soulignons d’ores et déjà que les
firmes installées ne doivent pas seulement faire face à une concurrence plus ardue,
liée à l’augmentation du nombre d’entreprises, mais aussi à un schéma plus général
de transformation profonde des pratiques et des usages des publics des médias en
général, en particulier de télévision. D’un point de vue technique, cette évolution
s’interprète comme le passage de la diffusion broadcast (sens unique) à la diffusion
broadband (échanges de données dans les deux sens, interactivité, ventes de services
162
groupées), et peut se concevoir du point de vue de l’offre, comme la création de nou-
veaux services (Vàd, podcast, multi-services tel le triple play) permettant l’interacti-
vité ou l’accès à de nouveaux contenus sous différents formats. D’un point de vue
économique, un nouveau modèle voit le jour : la télévision sur internet (webcasting).
La télévision généraliste (broadcast) se caractérise par un faible nombre de chaînes
et un choix de programmes limité pour les téléspectateurs ; la télévision thématique
(narrowcasting) comprend une offre très élargie de chaînes conduisant à une multi-
plication par 5 du nombre d’heures de programmes proposés entre 1994 et 2006 ; la
télévision sur internet correspond à la vidéo sur internet, qui « constitue un nouveau
modèle à part entière. […] Ces dernières années, la vidéo a été un des principaux
moteurs du développement d’internet. Les services audiovisuels et les supports de
diffusion se sont multipliés avec les nouvelles avancées technologiques. Cette dyna-
mique est accompagnée par l’émergence de nouveaux usages et de nouveaux modes
de consommation télévisuels, orientés vers l’individualisation et un contrôle accru
du contenu visionné »1.
• Troisième élément marquant : la transformation profonde des pratiques et des
usages des consommateurs dans leur consommation des médias. C’est notamment
vrai pour la population la plus jeune, marquée par l’arrivée de l’internet et plus
(1) Rémy Le Champion et Michel Agnola, « L’essor du webcasting, l’avènement d’un nouveau
modèle télévisuel », in Xavier Greffe et Nathalie Sonnac (dir.), Culture Web : création, contenus,
économie numérique, Dalloz, Paris, 2008, chapitre 15.
particulièrement par le web 2.02. On observe pour la première fois que les jeunes
(16-24 ans) passent 10 % de temps supplémentaire à naviguer sur internet plutôt
qu’à regarder la télévision (chiffres 2009). Cette possible substitution entre un média
émergent et les médias traditionnels est un phénomène totalement nouveau. De
même, le développement des réseaux haut débit a permis l’émergence de nouvelles
formes de consommation des contenus audiovisuels — les services délinéarisés — :
télévision de rattrapage, vidéo à la demande, enregistrement sur DVD, sont les
nouveaux moyens pour regarder des contenus, à un moment choisi par les téléspec-
tateurs et non plus imposé par une grille de programmation. 9,3 millions de per-
sonnes ont regardé des programmes en différé, enregistrés sur DVD, cassette vidéo
ou magnétoscope numérique (PVR — personal video recorder) ; 10,6 millions de per-
sonnes ont regardé ou revu un programme via la télévision de rattrapage (source :
Médiamétrie, Global TV, 2009)3.
Ce nouvel environnement économique bouleverse les règles du jeu concurrentiel. Les
modalités de consommation des contenus audiovisuels ont changé et, avec elles, les
stratégies des chaînes. La publicité, de plus en plus sollicitée dans les modèles d’af-
faires, fait tomber l’étude des médias dans le champ de l’économie des plates-formes,
qui correspond à une classe de marché (marché à deux versants, média et publicité),
où le volume de la demande sur un marché dépend du volume de la demande sur
l’autre, et inversement. Nous nous intéressons à cette structure atypique de marché
et à ses conséquences sur les contenus éditoriaux des chaînes, en termes de diversité 163
et de qualité (cf. p. 164). Il n’existe pas un seul et unique modèle d’affaires pour la
télévision. Le déploiement de la TNT et l’arrivée de nouveaux acteurs soulignent la
place de plus en plus croissante de la télévision payante au sein du Paf (cf. p. 167).
Après avoir présenté l’organisation de ce marché, nous tenterons de mettre en évi-
dence les conséquences de l’arrivée des FAI et des Télécom sur la structure générale
(2) Créé par les américains Chris DeWolfe et Tom Anderson en août 2003, le web 2.0 est une sorte
de « toile vivante » (living web) évolutive qui met à disposition des internautes une série d’outils
leur permettant de faire eux-mêmes des images, du son, ou encore « fabriquer de l’info ». Il en
existe trois définitions. Le web 2.0 :
— encourage la collaboration et la participation des internautes, où les lieux sont avant tout des
lieux de rencontres, de partage et d’échanges et non des zones marchandes et monétisées ;
— regroupe l’ensemble des logiciels, des langages, des applications et des wiki, soit un ensemble
d’outils accessibles par et à tout le monde, faciles à maîtriser, offerts et partagés gratuitement et
reliés entre eux (cf. l’open source) ;
— désigne la volonté de faire de l’argent en finançant un site alimenté en contenus par les utili-
sateurs. Voir Xavier Greffe et Nathalie Sonnac (dir.), Culture Web : création, contenus, économie
numérique, op. cit.
(3) Selon les résultats de cette étude, la nature des programmes est différente selon le mode de
différé. On regarde plutôt des films via les DVD et les PVR et les séries via la télévision de rattra-
page. Dans ce nouveau paradigme, la gratuité semble être le maître mot du jeu concurrentiel. Les
annonceurs ne s’y trompent pas. Sur près de 30 milliards d’euros dépensés en communication
par l’ensemble des annonceurs, pour tous les moyens de communication mis à leur disposition en
2008, la télévision arrive en première position des dépenses médias pour un montant de l’ordre
de 3,6 milliards d’euros (les dépenses sur internet sont de l’ordre de 1,2 milliard d’euros). Les
dépenses médias (presse, télévision, radio, cinéma, affichage et internet) représentent 36,6 % du
montant total, contre près de 65 % dans le hors médias (marketing direct, PLV annuaires, salons,
parrainage) (source : France Pub, 2010).
du Paf, sur les modalités de rémunération des chaînes et, enfin, nous étudierons l’inci-
dence de l’extension de ce modèle d’affaires sur les contenus audiovisuels. Présentons
d’abord le nouvel environnement économique du Paf.
(4) Voir notamment sur ce sujet le rapport de la Cour des comptes, France Télévisions et la nou-
velle télévision publique, La Documentation française, Paris, octobre 2009, et l’ouvrage de Serge
Regourd, Vers la fin de la télévision publique ? Traité de savoir-vivre du service public audiovisuel,
Éditions de l’Attribut, Toulouse, 2008.
Ces chaînes répondent en priorité aux attentes des annonceurs, à savoir « toucher au
meilleur prix le maximum de “cibles” qu’ils souhaitent atteindre ». Inscrites dans un
marché à deux versants (marché biface ou two-sided markets), cela signifie pour elles
vendre une audience à des annonceurs ; il importe donc auparavant de créer cette
audience parmi les téléspectateurs qui accèdent gratuitement aux contenus. On parle
de plus en plus d’« économie de l’attention » : celle-ci serait devenue, selon Michael
Goldhaber5, la richesse principale dans un univers informationnel où le consom-
mateur est sans cesse sollicité. Ce modèle économique est celui de la monétisation
de l’audience des téléspectateurs. À ce propos, Patrick Le Lay, président du conseil
d’administration de TF1, ne laisse planer à l’époque (2004) aucune ambiguïté sur
l’activité de sa chaîne : « À la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par
exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il
faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour voca-
tion de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le pré-
parer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de
cerveau humain disponible. »6 Cette catégorie de chaînes génère et commercialise
donc une audience, ayant pour client principal l’annonceur.
Enfin, le dernier modèle d’affaires correspond au financement par abonnement. Les
chaînes comme Canal+ visent notamment à maximiser la satisfaction de leurs clients.
Ici, il s’agit du téléspectateur-abonné. Ce type de chaînes conçoit donc un service
récréatif à l’attention des téléspectateurs, en offrant si possible des programmes exclu- 165
sifs et attrayants, comme le sport ou le cinéma récent. Dans ce cadre, l’indicateur d’au-
dience n’est que secondaire, puisque le client principal est le téléspectateur-abonné.
Si ces trois modèles coexistent depuis 1984, l’environnement technologique et concur-
rentiel a fortement évolué, bousculé pour partie par la numérisation et l’utilisation
générale de la norme IP dans les secteurs des télécommunications, de l’informatique
et des médias. La convergence entre ces trois secteurs se traduit par « une transfor-
mation de la configuration industrielle du secteur de l’économie numérique et par
de nouveaux défis », selon une étude Coe-Rexecode7. Pour ses auteurs, la conver-
gence favorise, notamment, l’innovation et suscite l’apparition de nouveaux services
et usages ; elle déplace progressivement « la concurrence intra-technologies vers une
concurrence entre technologies ». Aujourd’hui, il existe différentes technologies de
réseaux d’accès (ADSL, réseaux câblés, fibre optique, satellite) pour différents types de
terminaux (téléphone fixe et mobile, ordinateurs, tablettes numériques, téléviseurs).
(5) Michael Goldhaber, “The Value of Openness in an Attention Economy”, First Monday, vol. 11,
n° 6, 5 juin 2006.
(6) Patrick Le Lay, in Les associés d’EIM, Les dirigeants face au changement, les Éditions du
Huitième Jour, Paris, 2004.
(7) Coe-Rexecode, « Les opérateurs de réseaux dans l’économie numérique. Lignes de force,
enjeux et dynamiques », document de travail, n° 16, janvier 2010, p. 5-14.
Couche 3
Plates-formes de services et intermédiaires
Couche 2
opérateurs de réseaux
Couche 1
Production d’éléments de réseaux et terminaux
Source : Coe-Rexecode, « Les opérateurs de réseaux dans l’économie numérique. Lignes de force, enjeux
et dynamiques », document de travail, n° 16, janvier 2010, p. 5-14 (p. 9).
(8) Didier Lombard, Le village numérique mondial. La deuxième vie des réseaux, Odile Jacob,
Paris, 2008.
(9) CSA (février 2009), « Le marché publicitaire télévisuel français en 2009 : (r)évolution ? »,
Commission prospective.
le média télévision en 2005 était de 5,8 milliards d’euros, les chaînes nationales en
absorbant 90 %. En 2009, ce montant total était de 7 milliards d’euros, avec 71 %
pour les chaînes nationales et déjà 18,6 % pour les « Autres chaînes » (présentes sur
le marché depuis 2005 seulement).
Téléspectateurs Annonceurs
L’utilité dépend du contenu L’utilité dépend du nombre
médiatique et du volume publicitaire de téléspectateurs et de la cible
(réactions à la publicité). souhaitée.
Dans le modèle d’affaires de l’audiovisuel, ce sont des effets de réseaux croisés (indi-
rects) qui coexistent : la satisfaction d’un consommateur pour un bien vendu sur un
marché dépend de la taille de la demande pour un autre bien sur un marché diffé-
rent, et vice versa. Ainsi, les annonceurs achètent d’autant plus d’espaces publicitaires
que le nombre de téléspectateurs est grand ; l’impact du message publicitaire croît
avec la taille de l’audience. Du côté des téléspectateurs, ils regardent une chaîne de
télévision pour ses programmes, mais ils prennent aussi en considération la présence
(10) Voir notamment Jean-Charles Rochet et Jean Tirole, “Platform Competition in Two-Sided
Markets”, Journal of the European Economic Association, vol. 1, n° 4, juin 2003, p. 990-1029 ;
Jean Gabszewicz et Nathalie Sonnac, L’industrie des médias, La Découverte, Paris, 2006 ; Jorge
Ferrando, Jean Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Intermarket Network Externalities
and Competition: an Application to the Media Industry”, International Journal of Economic Theory,
vol. 4, n° 3, septembre 2008, p. 357-379.
(11) Éric Malin et Thierry Pénard, Économie du numérique et de l’internet, Vuibert, Paris, 2010.
(12) NPA Conseil, Les chaînes thématiques à l’heure du paysage tout-numérique, décembre
2009, p. 49.
TV payante
VàD TV payante TV VàD VàD
Cinéma (2e diff.) +
payante (1re diff.) gratuite par ab.* gratuite
TV gratuite
+ 4 mois
+ 10 mois
+ 22 mois
+ 30 mois
+ 36 mois
+ 48 mois
Sortie en salle
* Par abonnement.
Le premier est lié aux coûts de production. Lorsque les coûts marginaux sont faibles,
le bundle peut conduire à une tarification beaucoup plus efficace. Supposons deux
groupes de S consommateurs qui évaluent comme suit « les résultats du cham-
pionnat de foot » et « les résultats d’une émission de jeu » ; le groupe 1 donne 9 au
produit foot et 3 aux résultats du jeu ; le groupe 2 donne 10 au produit foot et 2 173
aux résultats du jeu. Dans le cas où les coûts de production seraient faibles, chaque
bien pourra être vendu à tous les consommateurs. Ainsi, les résultats du foot sont
vendus à 9 et les résultats du jeu à 2, soit un revenu total de 22S. En groupant les
deux biens, la commercialisation de l’ensemble des résultats se fera à 12, assurant
ainsi un revenu de 24S.
Un autre avantage est que la valeur économique du bundle est supérieure à la somme
de ses composantes : la valeur d’une unité d’information dépendra de son contexte
informationnel et des complémentarités entre ces unités.
(13) Comme le révèle par exemple le phénomène de « zapping » des téléspectateurs lors des
plages publicitaires. Voir, pour des traitements théoriques de cette question en économie indus-
trielle, Jean Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Press Advertising and the Ascent
of the ‘Pensée unique’”, European Economic Review, vol. 45, n° 4-6, mai 2001, p. 641-651 ; Jean
Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Programming and Advertising Competition
in the Broadcasting Industry”, Journal of Economics and Management Strategy, vol. 13, n° 4,
décembre 2004, p. 657-669.
(14) Peter O. Steiner, “Program Patterns and Preferences, and the Workability of Competition in
Radio Broadcasting”, Quarterly Journal of Economics, vol. 66, n° 2, 1952, p. 194-223.
(15) Jean Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, “Press Advertising and the Ascent of
the ‘Pensée unique’”, op. cit.
(16) Le plan câble date des années 1980, c’est la première plate-forme de télévision payante.
En 2006, il y avait 1,9 million de téléspectateurs abonnés et 1,6 million bénéficiant du « service
antenne » (service apporté par un opérateur dans des immeubles non pourvus de l’antenne-râteau,
mais raccordés au réseau câblé, permettant à des foyers de recevoir les chaînes gratuites, hert-
ziennes et TNT, moyennant un tarif couvrant les frais d’installation et de maintenance). Le satellite
avait 3,7 millions d’abonnés (2,5 millions pour CanalSat et 1,2 million pour TPS) ; Canal+ (chaîne
et bouquet) avait en 2006 4,5 millions d’abonnés (tous modes de diffusion confondus).
(17) France Télécom est aujourd’hui le troisième opérateur mobile et le premier fournisseur d’accès
internet ADSL en Europe.
(18) Acces, Guide des chaînes numériques, février 2010.
Organisation du marché
Le métier de l’audiovisuel consiste à éditer, assembler et distribuer des programmes.
Les éditeurs acquièrent des programmes ou des droits auprès d’ayants droit, les
assemblent afin de constituer des grilles de programmes et les proposent aux diffu-
seurs ou distributeurs. L’organisation du marché de la télévision payante repose sur
une chaîne de valeur verticale19 qui comprend trois parties :
— l’acquisition du droit de distribuer des chaînes ;
— l’agrégation de bouquets de télévision ;
— la commercialisation directe de ces offres aux abonnés (services techniques et
commerciaux). Le transport est généralement inclus dans l’activité de distribution20.
Marché Marché
Marché aval
amont intermédiaire
Production Transport
et cession Édition Distibution et
des droits diffusion
Téléspectateurs
176
Opérateurs
Détenteurs Distributeurs
Chaînes techniques de
des droits commerciaux
diffusion
Source : CSA.
(19) La chaîne de valeur de la télévision payante comprend trois marchés : le marché amont (offre
des détenteurs de droits/demande des éditeurs de chaînes), le marché intermédiaire (offre des édi-
teurs de chaînes/demande des distributeurs), le marché aval (offre des distributeurs/demande des
téléspectateurs). D’autres marchés ont des liens connexes, comme les services interactifs, les ser-
vices techniques, les communications électroniques, la publicité télévisée, la radio et la musique, etc.
(20) Les câblo-opérateurs et le satellite sont des distributeurs. Les opérateurs de DSL sont tantôt
des distributeurs, tantôt des « transporteurs » (seule l’activité de transport de chaînes ou de
bouquets est assurée par une commission versée par le distributeur). De ce fait, on distingue le
marché de la distribution de celui du simple transport ; en revanche, on n’identifie pas des mar-
chés selon les types de diffusion.
(23) Martin Cave et Robert Crandall (“Sports Rights and the Broadcast Industry”, The Economic
Journal, vol. 111, n° 469, février 2001, p. 4-26) observent que l’intérêt des téléspectateurs, qui,
en Europe, est très concentré sur un sport unique (le football), est mieux réparti aux États-Unis
entre plusieurs disciplines, possédant des ligues professionnelles puissantes : football (américain),
basket-ball, base-ball et hockey. Cependant, les évolutions récentes mettent en évidence le fait
que les contenus premium ne se réduisent plus de façon systématique en Europe, et notamment
en France, au cinéma et au football. En effet, certaines séries télévisées peuvent être aujourd’hui
considérées comme des contenus à haute valeur ajoutée.
(24) Même si, souvent, comme en France ou en Angleterre, ce sont les ligues, et non les clubs
directement, qui gèrent les droits.
Les clauses d’exclusivité peuvent donc fermer les marchés de la diffusion. A contrario,
il arrive que, pour faciliter l’entrée d’un nouvel opérateur, en particulier quand celui-
ci introduit une technologie nouvelle coûteuse, les autorités acceptent de lui garantir
un accès exclusif pour une longue durée à certains contenus attractifs. L’étendue de
l’exclusivité accordée est alors déterminante25.
(25) Ajoutons qu’il convient de dissocier deux types de relations d’exclusivité sur le marché de la
télévision payante : les exclusivités d’accès aux contenus d’appel, qui se déclinent en exclusivités
d’exploitation par les parties en tant qu’éditeurs, d’une part ; des exclusivités de diffusion d’un cer-
tain nombre de chaînes, intégrées dans les seuls bouquets de chaînes des parties sur certaines
plates-formes (satellite, ou satellite et DSL ensemble), d’autre part.
Le traitement des questions d’exclusivité dans la littérature économique académique consacrée
à la télévision payante porte principalement sur les contenus premium. L’examen des différentes
analyses économiques met en évidence des résultats contradictoires quant aux conséquences
de ces pratiques sur le bon fonctionnement des marchés considérés. Il n’y a donc pas de résultats
tranchés sur le caractère anticoncurrentiel des contrats exclusifs. Voir notamment Mark Armstrong,
“Competition in the Pay-TV Market”, Journal of the Japanese and International Economies, vol. 13,
n° 4, décembre 1999, p. 257-280 ; Damien Geradin, “Access to Content by New Media Platforms:
A Review of the Competition Law Problems”, European Law Review, vol. 30, n° 1, février 2005,
p. 68-94 ; David Harbord et Marco Ottaviani, “Contracts and Competition in the Pay-TV Market”,
London Business School, Department of Economics, Working Paper n° DP 2001/5, juillet 2001.
(26) À la différence de la plate-forme satellitaire, qui, pour des raisons techniques, n’offre pas de
voie retour.
(27) O. Bomsel, Gratuit ! Du déploiement de l’économie numérique, Gallimard, coll. « Folio Actuel »,
Paris, 2007.
*
**
Dans cette nouvelle ère, l’offre de services gratuits est déterminante pour plusieurs
raisons. D’une part, elle va de pair avec la « culture de l’internet ». D’autre part, la
gratuité des services permet aux opérateurs d’atteindre rapidement une masse cri-
tique de consommateurs. Pour autant, la gratuité n’existe pas économiquement :
elle est concomitante au financement par la publicité, ce qui n’est un phénomène ni
nouveau, ni récent dans les médias29. Les biens informationnels n’ont pas toujours
été payés par leurs utilisateurs directs : mise sous tutelle pour des raisons politiques
ou sociales, prescripteurs publics, publicitaires, etc. sont toujours intervenus dans
leurs financements. Cependant, ce modèle connaît deux évolutions. Faire appel à un
double financement — consommateurs-annonceurs — s’est répandu à l’ensemble
des médias de masse pour devenir le modèle dominant sur le web. Ensuite, le modèle
d’affaires s’est concentré sur une source unique de financement, le versant publici-
taire : l’ère du « tout-gratuit » a sonné comme une véritable révolution culturelle et
sociologique offrant la possibilité aux usagers de produits de contenus de ne plus
payer pour les consommer : journaux en ligne, musique, émissions de radio, films,
vidéos, etc. Cette asymétrie tarifaire porte aux nues l’audience et les publics. Ainsi,
avec les médias de masse, la publicité avait conduit à substituer la notion d’audience
à celle de public. Avec le web, la publicité conduit à évincer la notion d’audience au
profit de celle de public. L’internet conduit à un véritable phénomène de fragmenta-
tion des audiences faisant appel à une nouvelle réflexion : comment capter et retenir
l’attention des consommateurs ? Ce passage d’une « économie de l’information » à
une « économie de l’attention » ou celui d’une « économie des médias » vers « une 183
économie de plate-forme d’audience » amène à considérer que l’enjeu n’est plus la
simple production de contenus, mais de capture d’attention ; des efforts autrefois
dirigés vers la création ou la fabrication se concentrent aujourd’hui sur la réception.
Véritable révolution dans le métier !
Du financement publicitaire, clé de voûte de la gratuité, dérivent des questions rela-
tives à la qualité des services offerts et à leur diversité. De nombreuses études mettent
en évidence les dangers du « tout-gratuit » favorisant l’émergence de contenus maxi-
malement fédérateurs ou « à haute teneur d’audience » évinçant par là-même les
minorités, posant les problèmes non résolus d’agrégation des préférences ou d’inci-
tation à la production, etc. Dans la théorie classique, une façon pour une entreprise
d’éviter une guerre des prix consiste à différencier ses produits. Dans un modèle
gratuit, rien n’incite à se différencier de son concurrent, ce qui pose le problème
de l’incitation d’une offre variée. La gratuité ne signifie évidemment pas l’absence
(29) Le secteur de la presse écrite s’est tourné vers les petites annonces au XVIIe siècle et vers la
publicité au XIXe. Celle-ci s’est rapidement développée avec l’essor de l’économie et elle a joué un
rôle non négligeable dans le rapprochement de la presse avec les circuits marchands. Il revient à
Émile de Girardin, en 1836, d’avoir théorisé le rôle de la publicité en lançant La Presse, énonçant
de fait pour la première fois le double marché, avec l’idée selon laquelle si le journal est vendu deux
fois, alors il pourra être vendu moins cher aux lecteurs et donc voir sa diffusion augmenter plus
rapidement. Ainsi, la publicité comme seconde source de financement crée le bénéfice du journal.