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Métayer Gérard. Publicité et nouvelle technologie des communications. In: Communications, 17, 1971. pp. 106-112.
doi : 10.3406/comm.1971.1249
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1971_num_17_1_1249
Gérard Métayer
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matiquement des émissions télédiffusées, pour les conserver et les revoir, comme
un magnétophone permet d'enregistrer un concert radiodiffusé pour l'écouter
à nouveau. Certains équipements lui permettront de plus, grâce à une caméra
de télévision simplifiée, de créer ses propres émissions, par exemple de « filmer »
ses enfants, comme il pourrait le faire avec une caméra de cinéma amateur.
Mais surtout, et c'est la novation essentielle, tous ces équipements seront
associés à un catalogue de vidéocassettes préenregistrées, que l'utilisateur pourra
louer ou acheter (100 F pour une heure de programme en couleur, suivant les
estimations actuelles) pour se constituer une « vidéothèque » en plus (ou à la
place) de sa discothèque et de sa bibliothèque. La composition de ces catalogues
est encore la grande inconnue de ce développement. On y trouvera certainement
des programmes de divertissements (variétés, magazines audio-visuels, films
cinématographiques), des programmes culturels (théâtre, poésie, concert), des
programmes éducatifs (enseignement scolaire ou professionnel). Mais la forme
de ces programmes différera probablement à terme considérablement de leurs
équivalents cinématographiques ou télévisés actuels.
Les possibilités d'intervention du spectateur sur le déroulement d'une video-
cassette (arrêt sur image, ralenti, retour arrière) et les conditions particulières du
spectacle (à domicile, individuel) devront être prises en compte par les produc
teurset aboutiront à un mode d'expression nouveau. Par ailleurs, le contenu
même de ces catalogues de vidéocassettes est encore très incertain : on y trouvera
certainement au départ des copies de la production cinématographique ou télé
visuelle actuelle (des accords ont d'ores et déjà été passés entre certains promot
eursde matériels à vidéocassettes — Avco, Philips par exemple, et certains
producteurs de Hollywood — United Artists, M.G.M.). En outre, des programmes
particuliers, destinés non plus à des publics larges et indifférenciés, mais à des
segments précis et limités du marché, feront leur apparition : le responsable d'une
des firmes qui proposent un procédé de vidéocassette, annonçait ainsi, en petit
comité, que son catalogue initial pourrait être orienté vers deux marchés spéci
fiques — celui des enfants et celui... des amateurs de pornographie. Dès à présent,
des programmes à vocations particulières sont apparus. Ainsi, une expérience de
formation permanente destinée à des médecins est en cours, à l'aide de program
mes pré-enregistrés pour magnétoscopes : le financement en a été partiellement
assumé par des laboratoires pharmaceutiques, en contrepartie de l'insertion de
séquences de présentation de leurs produits dans les programmes.
Plus important encore que l'apparition des vidéocassettes, pourrait être l'av
ènement d'une infrastructure collective de communications audio-visuelles.
Le germe de ce développement est la télédistribution, par câbles, d'émissions
de télévision, née aux U.S.A. vers 1950 des difficultés techniques s'opposant à la
réception d'émissions télédiffusées dans certaines régions (obstacles naturels,
éloignement des émetteurs). Il s'agissait à l'origine de constituer, à partir d'une
antenne collective suffisamment importante pour capter correctement les émis
sions, un réseau de distribution par câbles vers les usagers. 4,5 millions de foyers
américains sont ainsi raccordés à un système de C.A.T.V. (Community Antenna
TV).
Ce procédé est ensuite apparu comme un moyen efficace de lutter contre la
« pollution » hertzienne qui limite le nombre et la qualité des chaînes de télé
diffusion : la transmission par câble élimine les interférences entre chaînes et
permet de distribuer simultanément vingt ou quarante chaînes, alors que la
réception hertzienne la plus favorable est limitée à sept ou huit chaînes (en
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France, le nombre de chaînes qu'il serait techniquement possible de diffuser
simultanément sur la totalité du territoire est tout au plus de quatre).
Enfin, la disponibilité sur un seul câble coaxial d'une capacité de transmission
énorme (l'équivalent de 50 chaînes TV ou de 100 000 circuits téléphoniques)
a conduit à penser que le réseau constitué pour recevoir des émissions télédiffu
sées pourrait servir à bien d'autres communications : émissions de programmes
locaux, chaînes à usage particulier (éducation, informations météorologiques,
cours boursiers, surveillance de police ou d'incendie...), transmission de données
(téléinformatique), videophone.
Parallèlement, l'évolution des techniques de télécommunication (commutat
ion électronique) et de l'informatique (banques de données) conduisait à envi
sager des réseaux de communication bidirectionnels (de centres émetteurs vers
les usagers, et des usagers vers des centres commutateurs) qui assureraient la
totalité des services de communications actuels et prévisibles.
De ces considérations est né le concept de « ville câblée » qui décrit une zone
urbaine dont l'infrastructure comporterait, outre les réseaux classiques de dis
tribution d'eau, de gaz, d'électricité, un réseau de distribution d'information
sur lequel chaque résidence pourrait être branchée. La liste des services qui
pourraient être assurés par uîï tel réseau dépasse probablement ce qu'il est
possible d'imaginer actuellement. Elle comporterait au moins les rubriques su
ivantes :
— Services de diffusion générale :
1. Télévision de loisirs.
2. Télévision éducative.
3. Nouvelles, musique d'ambiance, publicité, conférences.
4. Données audiovisuelles d'intérêt général, avec possibilité de sélection.
5. Journaux et magazines.
— Service de diffusion sélective :
1. Courrier publicitaire, circulaires.
2. Données audiovisuelles sélectionnées par catégories de public.
3. Télévision éducative.
3. Services de presse.
— Service de communication de point à point :
1. Courrier de première classe.
2. Bibliothèque.
3. Transactions commerciales ou financières.
4. Informations commerciales et catalogues.
5. Services de presse.
6. Publications.
7. Transmission de données.
8. Sécurité et surveillance.
Un tel système pourrait incorporer une vidéothèque publique dont il est per
mis d'imaginer le fonctionnement comme suit : un téléspectateur appellerait,
grâce à un téléphone à clavier, la vidéothèque, en identifiant par un numéro
d'abonné sa demande à l'ordinateur de la vidéothèque. Il aurait le choix, soit
directement d'indiquer le code de la vidéocassette qu'il désire, soit, plus vra
isemblablement, de demander la diffusion d'un extrait du catalogue correspondant
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à ses goûts, sur l'écran de son récepteur. Il déclencherait alors (toujours en action
nantles touches de son téléphone à clavier) la transmission du titre choisi, soit
immédiatement, soit à une heure qu'il spécifierait. Peut-être, lorsqu'il recevrait
cette transmission, l'enregistrerait-il sur son propre équipement pour en conser
ver une copie. Peut-être aussi aurait-il la possibilité de choisir entre un programme
incorporant de la publicité (qui lui serait transmis gratuitement) ou un programme
sans publicité (dont la transmission déclencherait, par simple échange de données
entre l'ordinateur et la vidéothèque et celui de la banque du téléspectateur,
le prélèvement sur son compte d'un droit de transmission).
Cette description n'est pas empruntée à un ouvrage de science fiction, mais au
livre d'un Commissaire de la Federal Commission for Communication des U.S.A.1 :
de fait, tous les éléments techniques permettant de réaliser ce réseau sont dès à
présent disponibles.
Un projet de réalisation pilote est soutenu aux U.S.A. par la puissante E.I.A.
(Electronic Industries Association) et il semblerait que le Japon se soit déjà
engagé dans la construction d'une telle infrastructure. En Europe, des réseaux
de télédistribution de type C.A.T.V., existent en Belgique et en Grande-Bretagne
et leur extension en réseaux bidirectionnels est à l'étude. Il y a donc de bonnes
raisons de croire à l'implantation de tels réseaux avant 1980.
L'extension des services de communication qui leur est liée laisse présumer de
leur influence sur la vie sociale : un impact particulièrement marquant pourrait
être la déconcentration des émetteurs de programmes télévisés. En effet, la
disponibilité d'un « service public » de transmission faciliterait l'émission de
programmes locaux, ou destinés à des publics particuliers, en réduisant les
coûts de la diffusion qui n'exigerait plus, comme actuellement, des équipements
complexes et puissants : les monopoles (O.R.T.F.) ou les oligopoles (C.B. S.,
N.B.C., A.B.C.) fondés sur la pénurie des media de transmission (quelques chaînes
de télédiffusion hertzienne seulement), et la concentration des moyens de diffu
sion (émetteur à grande énergie, faisceaux hertziens) seront menacés par l'abon
dance des media (plusieurs dizaines de canaux video disponibles) et la rusticité
des moyens nécessaires (une caméra et un magnétoscope). Un exemple prémonit
oire pourrait être fourni par la campagne présidentielle de 1968 aux U.S.A. :
près de 60 millions de dollars ont été dépensés pour les émissions des candidats
sur les trois grands réseaux nationaux, alors qu'il a suffi, pour présenter les
candidats aux 4,5 millions d'abonnés des 350 systèmes de C.A.T.V. de reproduire
en 350 exemplaires des bandes de magnétoscope enregistrées par ces candidats,
ce qui représente des frais de l'ordre de la centaine de milliers de dollars.
Cet exemple met en relief l'opposition entre « l'économie de pénurie » propre
à la télédiffusion hertzienne et « l'économie d'abondance » des systèmes de télé
distribution. Dans le premier cas, les dépenses engagées par les deux candidats
ont servi principalement à l'achat de cette denrée rare et recherchée : la minute
d'antenne sur un des grands réseaux nationaux, qui permet d'atteindre, par un
nombre limité de chaînes (trois en moyenne) l'ensemble des 200 millions de tél
éspectateurs américains. Dans le second cas, au contraire, le temps de programmat
ion était offert gratuitement aux candidats par les promoteurs des systèmes
de C.A.T.V. — qui ne faisaient pas là un grand sacrifice, puisque, sur les
20 canaux disponibles en moyenne sur ces réseaux, cinq à sept seulement sont
1. Johnson (N.), How to talk back to your television set, New York, Bantam, 1970.
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effectivement utilisés pour diffuser des programmes commerciaux (en majeure
partie relayés depuis les réseaux nationaux), les autres étant libres, ou utilisés
pour des services non lucratifs aux abonnés (nouvelles permanentes, bulletins
météorologiques, télévision scolaire, services municipaux...).
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et un nombre important de programmes non commerciaux répondant à des
préoccupations spécifiques de catégories particulières de téléspectateurs (grou
pesethniques, régionaux, professionnels, sportifs, etc.) réduirait certainement
de façon sensible l'audience des annonces publicitaires — donc leur tarif et les
revenus correspondants.
L'hostilité des grands réseaux américains à la prolifération des systèmes de
C.A.T.V. peut, sans doute, s'expliquer par les considérations précédentes : il
est probable qu'en effet, l'apparition d'une infrastructure collective de commun
ication offrant des moyens de diffusion bon marché, soumis à une réglementation
de service public, porterait un coup très dur à la publicité que pratiquent
actuellement ces réseaux. Toutefois, une autre forme de publicité pourrait alors
se développer : une publicité orientée vers la sélection de publics particuliers,
cherchant moins la maximation que l'optimisation de l'audience — le cas limite
pouvant être la publicité locale d'un supermarché auprès des familles résidant
dans son périmètre d'attraction : il s'agirait, en fait, du renouvellement des
media de la publicité par affichage ou par correspondance.
Ainsi, l'avènement des nouveaux procédés de communication audio-visuelle
pourrait renouveler la forme et le contenu de la publicité — à moins que le fo
rmidable pouvoir des détenteurs des moyens de diffusion actuels ne canalise au
contraire l'évolution technologique vers un développement compatible avec la
forme actuelle de la publicité : en effet, il se pourrait que le jeu de pressions poli
tiques et financières favorise, au détriment des autres, certains procédés de
communication — en particulier les réseaux de télédistribution — susceptibles
de maintenir la concentration des moyens de diffusion.
Les systèmes à vidéocassettes par exemple, tout en offrant la possibilité
d'audience sélective (à l'instar des périodiques de presse, des magazines video-
scopiques spécialisés peuvent être envisagés), exigent des moyens d'édition et
de distribution importants (reproduction de masse) et impliquent donc la concen
tration des émetteurs de programmes. De même, les systèmes de télédiffusion
directe par satellite offrent, du mênie point de vue, le double « avantage » de
limiter le nombre de chaînes disponibles (encombrement du spectre hertzien)
et d'impliquer des équipements d'émission au sol très puissants : la réaction des
détenteurs actuels du pouvoir de diffusion face aux dangers de la nouvelle technol
ogie pourrait ainsi consister à favoriser le développement des media qui leur sont
inoffensifs (vidéocassettes, télédiffusion par satellites), pour retarder — voire
interdire — l'avènement d'une infrastructure de communication par câbles :
certains indices laissent penser que telle est en effet la politique adoptée par les
grands réseaux commerciaux aux U.S.A.
L'enjeu des développements technologiques en cours pourrait bien être, en
fin de compte, la démocratisation des media. La publicité est un des facteurs
qui orienteront cette évolution dont le livre déjà cité de N. Johnson étudie
certaines implications politiques et économiques : « beaucoup d'Américains
essaient de parler à leurs concitoyens. Mais les media ne les écoutent pas. Et
vous n'avez pas été informés de ce qu'ils disent. Aussi certains se sont-ils résignés
à la violence pour être entendus ».
GÉRARD MÉTAYER
Compagnie Française d'Organisation.