Journalisme Et Communication 2020 2021

Licence professionnelle Communication des collectivités
territoriales et des associations | 2020-2021 | UE1-ECUE 1.4.
JOURNALISME ET
COMMUNICATION
BENJAMIN FERRON
1
Université Paris-Est Créteil

Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département de communication politique et publique
& IUT Sénart-Fontainebleau
Licence professionnelle Activités et techniques de communication, mention :

Communication des collectivités territoriales et des associations
Formation en apprentissage
année 2020 - 2021
2
RESUME, ORGANISATION ET
PLAN DU COURS
RESUME
Ce cours propose une introduction à la l’Etat et de ses publics en particulier), dans un rapport
sociologie des professions centrée sur le journalisme et de distinction voire d’opposition conflictuelle avec les
la communication. Il se compose pour moitié d’un cours métiers de la publicité, du marketing et de la
magistral et pour l’autre moitié d’un travail dirigé. Le communication. Ces derniers sont souvent associés aux
cours magistral analyse ces deux espaces professionnels tâches peu nobles de manipulation de la conscience des
qui sont à la fois proches, comparables, distincts, et consommateurs et des citoyens. Les communicants, de
interdépendants. leur côté, en particulier ceux qui travaillent pour de
puissantes organisations publiques ou privées, peuvent
Proches, car journalistes et communicants
considérer les journalistes et les médias d’informations
occupent des positions de relative proximité dans
avec un certain dédain, comme de simples moyens au
l’espace social. Membres des fractions cultivées des
service des objectifs stratégiques qui fondent leur propre
classes moyennes et supérieures, ils partagent des
légitimité professionnelle.
dispositions, des styles de vie et des systèmes de
coordonnées sociales qui facilitent l’entretien d’affinités Interdépendants, au sens où communicants et
électives. Toutefois, ils vivent souvent cette proximité journalistes travaillent ensemble et « se travaillent »
sur le registre de la dénégation. mutuellement : les journalistes peuvent être érigés en
« cibles » des communicants, et les communicants
Comparables, du fait que leurs activités
considérés comme « sources » des journalistes ; les
respectives sont celles d’intermédiaires culturels
communicants peuvent faire une partie de leur carrière
positionnées dans des champs de production
dans le journalisme, et les journalistes une partie de leur
symboliques relativement autonomes et stratifiés. Ces
carrière dans la communication ; enfin, l’emprise de la
derniers exigent l’intériorisation de « sens pratiques »
communication publicitaire dans les rédactions des
du métier partiellement similaires. Ces espaces, qui
entreprises de presse ne cesse d’interroger la frontière
participent aux luttes pour l‘imposition de
entre information et communication.
représentations légitimes du monde social, sont marqués
par une dépendance aux champs politique, économique L’ensemble de ces éléments d’analyse invitent
et intellectuel. Ils se caractérisent par une structure à mener une sociologie comparée et relationnelle de ces
interne inégalitaire, de type oligopolistique. Une espaces professionnels, qui permet de saisir les rapports
poignée d’agents et d’organisations formant les de force souvent invisibles qui président à leurs
« élites » de ces professions capte l’essentiel des interactions quotidiennes.
ressources professionnelles tandis qu’une masse
En lien étroit avec le cours, le travail dirigé se
croissante d’agents dont le capital culturel est
veut une initiation à la recherche sociologique. Il repose,
systématiquement exploité connait une précarisation de
d’une part, sur la lecture et la discussion d’articles
ses conditions de travail et une réduction des rétributions
scientifiques et, d’autre part, sur la constitution et
tant matérielles que symboliques attachées à leur
l’analyse d’un corpus de presse : les étudiant.e.s doivent
activité.
analyser d’un point de vue synchronique et diachronique
Distincts, dans la mesure où la profession les relations entre le service de communication de leur
journalistique a construit historiquement une partie de organisme employeur (collectivité locale ou
son autonomie professionnelle, de ses critères internes association) et la couverture de ses activités par les
d’excellence et de sa légitimité sociale (aux yeux de journalistes des médias d’information.
3
Université Paris-Est Créteil | Licence professionnelle Communication des collectivités territoriales et des associations | UE1
Environnement : Institutions, Associations, Médias | ECUE 1.5. : Communication d’intérêt général (B. Ferron & L. Thiong-Kay) | 3 ECTS
ORGANISATION
DOSSIER CALENDRIER
1/ NEVEU É., « II. L’espace des journalismes
aujourd’hui », in Sociologie du journalisme. Paris, La 5 janvier 2021 : cours I et travaux
Découverte, « Repères », 2019, p. 23-42 ; 2/ RIUTORT P., dirigés 1 et 2
« III / La communication politique en pratique », in
Sociologie de la communication politique. Paris, La 19 janvier 2021 : cours II et travaux
Découverte, « Repères », 2020, p. 55-82 ; 3/ KACIAF N., dirigés 3 et 4
NOLLET J., « Journalisme : retour aux sources »,
Politiques de communication, 2013/1 (N° 1), p. 5-34
(extrait) ; 4/ FRISQUE C., « Précarisation du journalisme et
porosité croissante avec la communication », Les Cahiers
du Journalisme, 26, 2014
ÉVALUATION
Le cours magistral est accompagné de quatre lectures obligatoires.
Chacune des deux journées de cours comportera une demi-journée de travail dirigé consacrée à
un travail d’analyse d’un corpus de presse en lien avec les organismes employeurs des
apprenti.e.s. Cet exercice est évalué (note sur 20)
PLANNING
Première journée Deuxième journée.
5 janvier 2021 19 janvier 2021
9h-17h 9h-17h
Cours magistral 1 Cours magistral 2
Présentation et introduction générale du cours (9h-

9h15) Deuxième partie. Section 1
(9h-10h45)
Première partie. Section 1 (9h15-10h45)
Pause 15 mn
Travail dirigé 1 Travail dirigé 3
Discussion textes 1 et 2 (11h-11h45) Discussion textes 3 et 4 (11h-11h45)
Consignes de travail (11h45-12h30) Discussion des travaux en cours (11h45-12h30)
PAUSE DEJEUNER (12H30-13H30)

Première partie. Section 2 (13h30-15h) Deuxième partie. Section 2 (13h30-15h)
Pause 15 mn
Travail dirigé 2 Travail dirigé 4
Définition objet et problématique Analyse du corpus
Constitution et analyse du corpus Plan et rédaction
4
Université Paris-Est Créteil | Licence professionnelle Communication des collectivités territoriales et des associations | UE1 Environnement :
Institutions, Associations, Médias | ECUE 1.5. : Communication d’intérêt général (B. Ferron & L. Thiong-Kay) | 3 ECTS
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PATRIN-LECLERC, Valérie (2004),
7
CONSTITUER ET ANALYSER UN CORPUS DE PRESSE :

METHODOLOGIE
........................................................................................................................................................................................
Dans le cours « Journalisme et communication », l’évaluation porte sur la constitution et l’analyse d’un
corpus de presse. Après avoir défini ce qu’est l’analyse d’un corpus de presse, nous donnerons des
consignes pour réaliser cet exercice.
QU’EST-CE QUE L’ANALYSE D’UN CORPUS DE PRESSE ?

C’est un exercice proche, mais toutefois différent, de ce que les organisations professionnelles
(entreprises, administrations, associations, collectivités…) appellent un « panorama de presse » ou de ce
que les journalistes appellent une « revue de presse » - autant d’exercices que vous pourrez être amené.e
à réaliser en tant que futur.e chargé.e de communication.
Un panorama de presse est un exercice qui relève pour l’essentiel de la compilation ou de
l’anthologie d’articles de presse, dont la diffusion est soumise à l’autorisation et à la perception d’une
redevance au titre de la propriété littéraire et artistique de la presse1. Le travail « éditorial » du concepteur
d’un panorama de presse est très limité : il consiste pour l’essentiel, sur un thème ou un événement
donné, à sélectionner des articles ou des communiqués publiés dans différents supports et à les regrouper
dans un dossier imprimé ou en format numérique qui est ensuite transmis au commanditaire. Ce dernier
est placé dans la position d’un lecteur, contemporain de l’événement, qui tire du panorama de presse des
informations (éventuellement) utiles à son action.
Une revue de presse est « stricto sensu, un genre journalistique à part entière, qui a pour objet le
commentaire et la comparaison de diverses sources sur un même thème ou à propos d’un même
évènement »2. Il s’agit d’une pratique journalistique qui consiste à recueillir une collection de citations
significatives d’informations ou de commentaires publiés dans différents journaux ou diffusés par des
médias audiovisuels et, bien souvent, d’en tirer une synthèse sous forme écrite ou orale. Elle suppose
donc un véritable travail éditorial qui engage son auteur vis-à-vis du média pour lequel il travaille et vis-
à-vis du public de ce média. Dans son Manuel de journalisme, Yves Agnès souligne ainsi que « la revue de
presse est une manière [pour un journaliste] de montrer à la fois l’ouverture du journal et de permettre
la comparaison avec son propre positionnement. Elle est confectionnée à partir des journaux eux-
mêmes, des ‘reprises’ de l’Agence France Presse ou d’autres agences, des communiqués envoyés par les
stations de radio et de télévision. C’est le plus souvent une succession de brèves ou de filets qui sont des
extraits d’articles ou de textes d’autres journalistes qui ont été choisis soit en rapport avec un même
événement d’actualité, soit sur des sujets différents. Dans ce cas, on titrera sur le sujet en même temps
que sur le média. Plus rarement, comme à la radio, c’est un texte ‘liant’ les extraits d’articles »3.
L’analyse d’un corpus de presse est un exercice distinct des deux précédents. Relevant de la
recherche universitaire, cet exercice suppose tout d’abord de se mettre dans une posture, un état d’esprit
particulier, celui de l’analyste. Il ne s’agit pas d’être dans la posture du lecteur (commanditaire d’un
panorama de presse), ni dans la posture du commentateur (journaliste menant une revue de presse), mais
dans la posture du chercheur. C’est une posture distanciée, tournée vers la connaissance et la réflexion
plutôt que vers l’action immédiate. Cela suppose d’avoir conscience, en arrière-plan du travail, de deux
choses :
1
« Journée d'étude ADBS. Diffuser un panorama de presse en ligne : quels droits ? », Documentaliste-Sciences de
l'Information, 3/40, 2003, p. 220-225
2
DANLOY Paul, « La ‘revue de presse’ : ouverture ou enfermement ? », Communication et langages, 115, 1998, p. 101.
3
AGNES Yves, Manuel du journalisme. Ecrire pour le journal, Paris, La Découverte, Grands Repères, coll. Guides, 2002,
p. 191.
8
« Premièrement, la posture de l’analyste est radicalement différente de celle du lecteur. La

tentation qu’on peut avoir d’imaginer qu’on est à la place du lecteur (et, par conséquent,
qu’on est à même de comprendre ce qui se passe dans l’esprit du lecteur au moment de la
parution du journal) est une tentation forte, mais elle doit être remise à sa place de désir […]
Deuxièmement, ce qui est écrit dans le journal n’est pas ce qui a été dit. Le discours de presse
doit alors être mis à sa place de discours relativement autonome, et en aucun cas réductible
à un reflet des prises de parole publiques » 4.
CONSIGNES DE TRAVAIL
Une fois ces précautions prises, il s’agit ensuite de procéder en trois étapes principales : la définition
d’un objet d’étude ; la constitution d’un corpus de presse et d’une grille d’analyse ; la rédaction d’une
synthèse.
Définition d’un objet d’étude

L’objet du corpus de presse doit être le traitement journalistique des activités de l’organisme
professionnel dans lequel vous réalisez votre apprentissage (FA) ou votre stage (FC). Vous travaillez
actuellement en tant que chargé de communication en alternance dans une association, une collectivité
locale ou un autre organisme public ou privé. L’exercice consiste à rendre compte des informations et
des points de vue publiés dans la presse à propos de cet organisme. Il peut s’agir, selon les cas, de titres
de presse généralistes et/ou spécialisés, nationaux et/ou locaux, de médias imprimés ou numériques (en
fonction de la disponibilité des sources), à condition qu’il ne s’agisse pas de supports de communication produits
par l’organisme en question. Il s’agira de se demander : Quels sont les effets du travail de communication
mené par votre équipe sur le traitement journalistique de cet organisme professionnel ou de tel ou tel
volet de ses activités ? Peut-on observer une correspondance importante ou, à l’inverse, des écarts
significatifs, entre la manière dont l’organisation entend construire son image publique et celle que
renvoient les médias d’information ? Comment les journalistes rendent-ils compte de ses activités ? Une
manière de répondre à ces questions consiste à élaborer un corpus d’articles de presse et de procéder à
son analyse problématisée.
Constitution d’un corpus de presse et d’une grille d’analyse

Comment constituer votre corpus ? Pour des raisons pratiques, vous limiterez vos recherches à la
presse écrite et en ligne (pure players). Pour accéder facilement et rapidement à des corpus exhaustifs
d’articles de journaux sur de longues périodes, commencez par vous rendre sur la base de données
Europresse (site web de la bibliothèque de l’UPEC > Bibliothèque en ligne > Ressources en ligne > presse
> Europresse5). Une page s’ouvre. Cliquez sur « accès distant au texte intégral par identification UPEC
sur Europresse » Entrez votre identifiant et mot de passe UPEC. Vous arrivez sur le moteur de recherche
de la base Europresse.
Europresse est une base de données d'informations accessible sur abonnement par Internet. Elle permet à des entreprises, à
des bibliothèques ou à des établissements d'enseignement et de recherche d'accéder à des ressources en ligne extraites de près
de 3 500 sources. Parmi ces sources, on trouve des articles de journaux et périodiques, des publications spécialisées, des fils
de presse, des transcriptions d'émissions télévisées et radio, une sélection de blogs et de sites Web, des fiches biographiques et
profils d'entreprises. Le système permet, outre l'accès à des documents numériques d'origine ou numérisés comme document
4
KRIEG-PLANQUE Alice, « Analyser le discours de presse. Mises au point sur le ‘discours de presse’ comme objet de
rercherche », Communication, 20/1, 2000, p. 75-97.
5
http://bibliotheque.u-pec.fr/bibliotheque-en-ligne/presse-519037.kjsp?RH=1377609327867
9
PDF à partir d'une publication papier scannée triés en ligne, une gestion des problèmes de droits de reproduction, droit
d'auteurs et droits de diffusion. Elle peut assurer une veille en ligne pour ses utilisateurs. Elle est utilisée par de nombreuses
médiathèques et bibliothèques pour donner accès aux lecteurs aux documents pertinents dans le respect des droits d'auteur
A partir de ce moment, vous pouvez commencer des recherches en sélectionnant le ou les mots-
clés (« association X », « collectivité Y », « organisme Z »…), une période (par exemple « du 1er janvier
2011 au 1er janvier 2021 » ou « depuis un an » ou « dans toutes les archives »), des catégories de journaux
ou des supports médiatiques particuliers (« presse généraliste nationale », « presse généraliste régionale »,
« Le Monde », « tout le contenu », etc.).
Analyse quantitative du corpus

Vous allez, dans un premier temps, analyser quantitativement l’ampleur et les variations dans le
temps du traitement journalistique dont votre organisme fait l’objet dans la presse, en constituant un
corpus étendu. Prenez comme mot-clé « le nom de l’organisme entre guillemets ». Sélectionner comme
période « toutes les archives ». Faites une recherche, disons, dans la presse généraliste nationale et dans la
presse généraliste régionale (mais d’autres choix sont possibles). Cliquez sur la loupe pour lancer la
recherche. Combien d’articles sortent de cette recherche (quelques dizaines, centaines, milliers ?) ? Quels
supports de presse parlent le plus de votre organisme ? Observe-t-on des variations importantes dans le
temps ? N’hésitez pas à effectuer des tests en comparant les résultats (pourquoi obtient-on plus de
résultats lorsqu’on tape tel ou tel mot-clé, par exemple ?). N’hésitez pas non plus à effectuer une ou des
comparaisons avec des organismes similaires.
Pour répondre à ces questions, vous devez affiner votre analyse quantitative. Vous pouvez par
exemple comparer le volume d’articles dans la presse nationale et dans la presse régionale (ou dans la
presse hors ligne et en ligne, de droite ou de gauche, etc.) et en tirer un graphique en entrant les données
dans un logiciel de tableur Vous pouvez également effectuer un calcul sur une base annuelle (« du
1/1/2008 au 31/12/2008 », puis « du 1/1/2009 au 31/12/2009 », etc.) et à partir des chiffres obtenus,
réaliser une courbe montrant l’évolution de la couverture médiatique dans le temps (toujours grâce à un
logiciel de tableur).
Faites attention : les archives des différents journaux ne commencent pas toutes au même moment :
certains remontent à 1987, d’autres à 2001, etc. Certaines variations peuvent donc être dues, non pas au
fait que la presse traitait moins de votre organisme à une période, mais au fait que la base Europresse ne
dispose pas d’archives sur cette période ! C’est ce que les chercheurs en sciences sociales appellent un
« artefact ». Vous pouvez vérifier à quelles dates commencent les archives des chaque support en cliquant
sur « recherche avancée » puis, dans la rubrique « sources disponibles » sur la lettre « i » qui suit chaque
nom de support. Exemple pour le quotidien Le Monde, dont les archives accessibles pour vous remontent
à 1987 :
Presse
Journaux
Nom de la source : Le Monde

ISSN : 0395-2037
Disponible en PDF : Oui
Langue : Français
10
Couverture géographique : Internationale

Domaine : Généraliste
Provenance : France, Europe
Site Internet : Visiter le site...
Depuis sa création par Hubert Beuve-Mery en décembre 1944, Le
Monde s'est imposé comme le quotidien de référence aussi bien par sa
rigueur dans le traitement de l'information que par sa tradition
Description : d'indépendance vis-à-vis des idéologies et des pouvoirs. Le Monde est
une entreprise moderne de plus de mille personnes dont le siège social
est à Paris. Des frais additionnels peuvent s'appliquer pour l'accès aux
archives entre 1944 et 1987.
Périodicité : Quotidien
Début des archives : 19/12/1944
Début des archives PDF : 19/12/1944
Code de source : LM
Par ailleurs prenez garde au fait que certains articles, en particulier dans la presse régionale qui propose
de nombreuses éditions locales de ses journaux, se retrouvent en double (« doublons »). Il faut dans la
mesure du possible essayer d’éliminer les doublons pour arriver à des chiffres fiables et des énoncés
factuellement exacts comme par exemple « entre le 1/1/1987 et le 31/12/2017, le quotidien Le Monde a
publié 742 articles contenant le mot-clé ‘association X’ ».
Remarque : il est possible que, dans certains cas, l’analyse quantitative ne soit pas possible. Il faudra dans
ce cas l’expliquer rapidement dans une note de bas de page et procéder directement à une analyse
qualitative.
Analyse qualitative du corpus

Vous allez, dans un second temps, chercher à sélectionner un corpus restreint à 15-20 articles
dans le but de répondre plus finement à votre problématique à partir d’une lecture attentive de ces articles.
Par exemple, si vous obtenez un ensemble de 350 articles durant la première phase (analyse quantitative),
vous allez devoir sélectionner parmi ces derniers quelques articles que vous jugez significatifs, selon des
critères qu’il faudra expliquer, afin de procéder à leur analyse qualitative.
Les critères de sélection des articles peuvent être liés à la date de parution (correspondant à
une phase ou un événement remarquable pour l’organisme), au(x) support(s) médiatique(s) (par exemple
une moitié des articles peut être issu d’un journal national comme Le Monde, et une autre moitié d’un
journal régional comme Le Parisien, ou bien d’un journal de droite comme Le Figaro et d’un journal de
gauche comme L’Humanité, etc.), au type d’article (reportage, interview, brève, éditorial, tribune libre, etc.),
au sujet annoncé dans le titre et/ou le chapô, à l’auteur, etc.
L’analyse qualitative du corpus de presse consiste, pour commencer, à lire de façon active
l’ensemble des articles dans l’ordre de votre choix (par thématique, par ordre chronologique, par support,
etc.). Une lecture active signifie que vous devez élaborer une grille d’analyse pour l’ensemble des articles
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du corpus, que vous pouvez éventuellement réaliser sur un tableur. Cette grille doit permettre de repérer
trois séries d’éléments. Tout d’abord, les caractéristiques para-textuelles de l’article : le support de
publication, la date de parution, le(s) nom(s) de l’auteur (ou des auteurs), la rubrique, la taille de l’article.
N’hésitez pas à télécharger la version PDF du journal pour repérer non seulement la rubrique mais le
positionnement dans la page (ou le site web) de l’article (en haut, en bas, à gauche à droite : cette position
est importante pour l’ordre de lecture, qui se fait habituellement de haut en bas et de gauche à droite).
Ensuite, cherchez à effectuer une analyse thématique (ou « de contenu ») de l’article : quelle est son
titre et son sujet ? Comment est-il structuré (chapô introductif ? Combien de sous-parties/sections ?
Combien de paragraphes par partie/section ?). Quelle est l’angle adopté par le/la journaliste ? Quelles
sont ses sources d’informations citées ? Les points de vue de certaines sources prédominent-ils ? L’article
fait-il référence ou s’inspire-t-il des supports de communication de votre organisme professionnel ? Peut-
on observer des formes de reprise des contenus diffusés dans ces supports ou de prise de distance
critique ? Enfin, cherchez à effectuer une analyse des discours présents dans l’article. Sélectionnez
quelques phrases ou formules que vous jugez significatives par rapport à votre problématique, et que
vous pourrez ensuite citer dans votre compte-tenu final. Quel vocabulaire, quel champ lexical
prédomine ? Peut-on y trouver des « formules toutes faites » ou des marques d’originalité dans
l’écriture (images, métaphores, signes d’ironie…) ? De quelle façon le choix des mots ou des expressions
contribue à donner une image plutôt valorisante, plutôt neutre, ou plutôt dévalorisante, de l’organisme
où vous travaillez ? Le/la journaliste est-il dans une posture empathique, critique vis-à-vis de l’organisme
et de ses activités ?
Rédaction de la synthèse
Une fois terminée cette double analyse quantitative et qualitative du corpus, vous pouvez
commencer le travail de rédaction de votre compte-rendu final.
Format et délais
Le format de cette synthèse est celui d’un document dactylographié de 12.000 signes espaces
compris (+/- 10%, police 12 interligne simple, Times New Roman). La première page est une page de
garde sur laquelle vous indiquerez vos nom et prénom, l’intitulé de la formation, du cours et le nom de
l’enseignant, ainsi que le titre et le sous-titre de votre revue de presse (en veillant à problématiser ces
derniers). Les pages 2, 3 et 4 sont constituées d’un texte rédigé et structuré selon le modèle présenté ci-
après. Les pages 5 et suivantes sont consacrées à une présentation quantitative et qualitative de votre
corpus, en particulier les principaux chiffres tirés de l’analyse quantitative (le cas échéant) et la liste des
15 à 20 articles retenus pour l’analyse qualitative (voir explications précédentes).
Ce document en format texte (word ou Openoffice -> pas de PDF) devra être déposé sur Eprel
et/ou envoyé par email à l’adresse email suivante : benjam1ferron@gmail.com pour le lundi 8 février
2021 à minuit dernier délai
Structure
La partie rédigée doit être structurée en 6 temps : une introduction et un développement en 5
parties.
L’introduction (1/2 page) présente le sujet de la recherche (le traitement journalistique de
l’organisme où vous travaillez), la problématique (la question à laquelle permet de répondre l’analyse
quantitative et qualitative du corpus de presse) et annonce le plan du développement. Exemple de
formulation de problématique (qui doit toujours concerner les enjeux de communication, pour votre
organisme, de ce traitement journalistique) : « comment expliquer le faible niveau de médiatisation des
12
activités de l’organisme Y entre 2009 et 2019 alors que ce dernier a investi des efforts sans précédents
dans ses stratégies de relations presse au cours de cette période ? ». « Comment expliquer que les
journalistes qui traitent des activités de l’organisme Z fassent preuve d’une telle propension à la reprise
des communiqués officiels de ce dernier, alors que leur journal se veut indépendant ? ».
Le développement (2,5 pages) se structure en 5 parties : 1/ une présentation synthétique de la
structure où vous travaillez et de ses activités de communication en lien avec la problématique retenue ;
2/ Une présentation de la méthode de constitution du corpus (base de données mots-clés, période,
supports, critères de choix des 15-20 articles) ; 3/ L’analyse quantitative du corpus étendu, composé de
plusieurs dizaines ou centaines d’articles (distribution dans le temps, selon les supports ou catégories de
supports, etc.) ; 4/.L’analyse qualitative du corpus restreint (analyse de contenu et analyse de discours) ;
5/ Une synthèse des résultats (principaux enseignements tirés de l’analyse). Vous devez indiquer les titres
des parties et les formuler de manière problématisée (exemple : « Un traitement médiatique globalement
faible mais favorable »). La structuration du plan doit répondre à votre problématique.
Dans l’écriture de votre synthèse, veillez à rédiger de véritables paragraphes, eux-mêmes
structurés en phrases articulées entre elles (une phrase ne peut pas constituer un paragraphe à elle toute
seule : un paragraphe se compose toujours, dans un travail universitaire, de plusieurs phrases). Lorsque
vous citez un article dans un paragraphe, vous devez indiquer entre parenthèse le nom du support et la
date. Exemple :
« Dès 2007, un article dénonce les pressions exercées par la Direction de l’organisme sur le
syndicat majoritaire (Le Monde, 12/4/2007). Ces dernières tendent à s’accentuer dans les mois
suivants, comme en témoigne la multiplication des articles à ce sujet dans la presse généraliste
nationale (Le Monde, 25/6/2007, L’Humanité, 13/5/2007, etc.) ».
Les références entre parenthèse renvoient à la liste complète des articles présentée dans les annexes.
Veillez à introduire et conclure les parties avec des phrases d’accroche et de transition. N’hésitez pas à
relancer l’attention du lecteur en posant des questions correspondant aux étapes de votre raisonnement
(comment se manifeste ce traitement globalement favorable ? »). Soyez précis dans la mobilisation des
chiffres et dans les citations des articles. Evitez par exemple une formule du genre : « les médias ne
s’intéressent pas à l’organisme X », mais préférez : « si l’on compare le volume du traitement médiatique
des activités de l’organisme X et de l’organisme Y dans la presse généraliste régionale durant la période
considérée, on se rend compte que le premier bénéficie d’un traitement dix fois plus faible (3 articles
entre 2010 et 2015) que le second (31 articles) ».
13
Environnement : Institutions, Associations, Médias | ECUE 1.5. : Communication d’intérêt général (B. Ferron & L. Thiong-Kay) | 3 ECTS
NEVEU ÉRIK, « II. L’ESPACE DES JOURNALISMES

AUJOURD’HUI », DANS : ÉRIK NEVEU ED.,
SOCIOLOGIE DU JOURNALISME. PARIS, LA
DECOUVERTE, « REPERES », 2019, P. 23-42.
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Plan
I. Morphologie d’une profession
1. Quatre évolutions majeures
2. Convergences et singularités
II. Les galaxies du journalisme
1. La presse magazine et spécialisée : le moteur des changements d’hier ?
2. La presse régionale et locale
3. L’identité brouillée du journalisme national d’information générale
4. Le journalisme audiovisuel
5. Agenciers
III. Le champ journalistique
1. Cartographier le champ
2. Champ journalistique, champ économique, pouvoirs sociaux
3. Conflit de légitimité
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Ce chapitre vise à dresser la carte de la I. Morphologie d’une

profession journalistique, de ses composantes profession
et évolutions, essentiellement sur le cas
français. Il mobilise pour cela les données de la Le journalisme français a connu, dans les
Commission de la carte, plus encore leurs années 1980-1990 en particulier, une énorme
analyses par les chercheurs parisiens du expansion de ses effectifs. Ils triplent entre 1960
CARISM et de l’équipe rennaise ARÈNES et 2000, doublent sur la seule période 1980-
[Leteinturier et Frisque, 2015]. 2000. Ils connaissent en revanche un
tassement, et même une légère régression
depuis 2008, ce qui reflète à la fois une crise de
la presse écrite… et au moins autant un
problème sur la nature de ceux et celles qui sont
comptés.
Les effectifs de la profession (Source : http://www.ccijp.net).
14
territoriales et des associations - 2019-2020
1. Quatre évolutions majeures profession intellectuelle supérieure dépassait 52 %.
Les changements du journalisme français peuvent Il ne faut certes pas oublier qu’une grande majorité
être cadrés à partir de quatre repères. Un premier des journalistes ne viennent pas des écoles de
trait du journalisme français a tenu à son intense journalisme, ni négliger le fait que d’autres de ces
rajeunissement sous l’effet des grandes vagues de formations (Lannion, Tours) ont un recrutement
recrutement des années 1980-1990, puisque, en socialement plus ouvert. Il demeure que les écoles
1999, 40 % des titulaires de la carte avaient moins les plus recherchées sont fréquentées
de quarante ans. La relative jeunesse du groupe massivement par des jeunes de familles favorisées,
professionnel reste attestée par une moyenne d’âge sans grande expérience d’autres milieux sociaux,
de 44,5 ans en 2017, mais les vagues de ayant majoritairement suivi les mêmes cursus
recrutement d’hier voudront aussi dire, sauf sorties scolaires, y côtoyant une part des futurs décideurs
massives du métier, nouveau cycle de de l’administration, du politique et des entreprises.
vieillissement dans les années 2020. Une seconde Le fait peut éclairer le conformisme inconscient de
tendance saillante est la montée du niveau de bien des journalistes, l’incapacité fréquente à
qualification. 18,6 % des journalistes ont suivi une adopter une posture d’empathie pour les milieux
formation au journalisme dans les écoles reconnues populaires, l’homogénéité de traitement de
nombreux dossiers entre titres et réseaux.
par la profession. C’est encore très minoritaire.
C’est aussi moitié plus qu’en 2000 (12,2 %). Ce sont La troisième mutation du journalisme vient de sa
désormais plus de 90 % des entrants qui ont un féminisation. Les femmes représentaient 15,3 %
diplôme du supérieur. Formations au journalisme, des journalistes en 1965, 39 % en 1999, 47 % en
études « littéraires », droit et science politique, 2017… où elles représentaient même 54 % des
sciences sociales fournissent, en des proportions journalistes recevant cette année-là leur première
comparables, 75 % des flux d’entrée. carte. Le poids des femmes est contrasté selon les
Au-delà de la hausse générale du niveau de médias. Majoritaires en presse magazine, elles sont
formation, deux points peuvent être soulignés. Il en revanche beaucoup moins présentes en presse
s’agit d’abord des différences persistantes de régionale (à peine 30 % en 2000), plus sous-
formation entre hommes et femmes. Les femmes représentées (42 % en 2016) en télévision et radio.
journalistes sont plus souvent diplômées des filières Elles sont aussi surreprésentées (59 % en 1999)
littéraires et « info-com », qui ne sont pas les plus dans les secrétariats de rédaction. Les femmes
porteuses pour accéder aux emplois de cadres journalistes se heurtent aux difficultés des femmes
dans la presse. Même si cet écart se réduit au travail. Elles sortent plus souvent que les
aujourd’hui, les hommes sont plus souvent hommes d’une profession qui exerce de fortes
diplômés des instituts d’études politiques (IEP) et contraintes de disponibilité et d’amplitude horaire.
des écoles de journalisme reconnues. Les travaux Elles ont plus de mal à devenir cadre, subissent
de Dominique Marchetti [Marchetti, 1998 ; Lafarge davantage la précarité. Les écarts de rémunération
et Marchetti, 2011] sont ici éclairants. Il est en persistent aussi, même dans la catégorie la plus
particulier pertinent d’isoler un quatuor des écoles stable des titulaires de CDI ; le salaire médian
les plus cotées (ESJ-CFJ-CUEJ-IPJ) dont le féminin était de 3 380 euros en 2017, soit 10 % de
diplôme facilite l’accès aux postes les plus moins que celui des hommes, et l’écart est proche
convoités, avec des frais de scolarité élevés (ils sont de 20 % chez les pigistes. Dans les rédactions des
souvent supérieurs à 6 000 euros par an en école titres d’information générale [Neveu, 2000b] la
privée, culminent à 14 000 euros à Sciences Po division du travail associe souvent les femmes à la
Paris pour les étudiants dont les parents sont au couverture du social, au culturel, au pratique, au
sommet des barèmes d’impôt sur le revenu). En monde des soft news faites d’analyse des
2005, la part des étudiants venus des Instituts tendances sociales et des comportements, de
dossiers, d’information utilitaire, par opposition aux
d’études politiques s’y situait entre 40 % et 50 %,
celle des jeunes dont le père était cadre ou hard news centrées sur l’événement, la tension de
15
l’actualité. passionnées.
La situation des écoles de journalisme est délicate
Les écoles de journalistes en France
[Chupin, 2018]. Leur équilibre financier est fragile,
Quatorze écoles de journalisme, dont quatre compte tenu des équipements coûteux dont elles
privées, sont reconnues par la convention ont besoin (studios, informatique, caméras) et du
collective des journalistes. Les plus connues sont fait que l’enseignement pratique y suppose un fort
l’ESJ de Lille, le CFJ et l’IPJ à Paris et le CUEJ à encadrement des étudiants. Elles opèrent dans
Strasbourg. Figurent aussi dans la liste les IUT de une concurrence croissante (près de soixante-dix
Bordeaux, Cannes, Lannion et Tours, le CELSA lié formations au total en 2018) tant au sein d’une
à Paris-IV et l’IFP de Paris-II. On y ajoutera les offre publique avec un nombre croissant de
écoles de journalisme de Grenoble, Marseille, masters que par la multiplication d’écoles privées
Toulouse et de Sciences Po Paris. D’autres non reconnues (vingt-neuf en 2012), dont les
formations existent à côté de celles-ci comme les promoteurs sont souvent liés à des entreprises de
masters « journalisme scientifique » à Paris-VII, presse et qui mettent en avant le caractère
« Reportage-Enquête » à Sciences Po Rennes. « opérationnel » d’une formation dominée par des
Analysant les flux étudiants dans les écoles stages et des enseignements exclusivement
reconnues, Lafarge et Marchetti [2011] mettent en pratiques. Si la place d’enseignements de sciences
évidence une série d’évolutions. Elles tiennent au sociales au service de la pratique journalistique a
premier chef à la multiplication par quatre des pu être confortée sur certains sites (ESJ Lille, EJ
effectifs de ces écoles depuis 1980. Elles résident Grenoble, IEP Rennes ou Toulouse), cette
aussi dans un processus de hiérarchisation. Il tendance n’est pas dominante, dans les petites
oppose d’abord les « grandes » écoles, écoles privées au premier chef. Mais, même dans
socialement plus sélectives, monopolisant les les écoles qui diplôment à bac + 5, une division
stages dans les médias parisiens les plus implicite de la scolarité s’est établie. À l’amont (fac,
recherchés, aux « petites » écoles (IUT). Mais IEP) la charge d’assurer la formation intellectuelle
l’opposition se complique d’un clivage entre des et académique (testée aux examens d’entrée aux
écoles où prime une logique de sélection écoles de journalisme sous des formes plus
académique, visible aux mentions du bac et au proches du Trivial Pursuit que d’une évaluation de
passage des étudiants dans des filières sélectives capacités réflexives). Aux formations au
(IEP), et d’autres où l’analyse met en évidence le journalisme la mission de se polariser sur le
rendement de traditions familiales dans le professionnel (écriture, expression, apprentissage
journalisme. Le niveau scolaire des candidats de l’information, maîtrise des outils techniques). Le
recrutés s’est fortement renforcé, tout comme la besoin d’une telle formation est incontestable ; elle
sélection sociale. 52,7 % des étudiants ont un père permet de faire intégrer par les rédactions des
cadre ou profession intellectuelle supérieure quand diplômés opérationnels. Mais cette division
ce groupe représente 18,5 % de la population séquentielle des formations n’est pas exempte
masculine active et ne pèse « que » 32 % sur d’ambiguïtés. Elle contribue, par la place donnée
l’ensemble du monde étudiant. À l’inverse, les en amont aux formations de type IEP, à une faible
enfants d’ouvriers (10,4 %), d’employés (5,8 %) et ouverture sociale du recrutement ainsi qu’au poids
de professions intermédiaires (14,6 %) constituent de ce qu’on peut difficilement ne pas décrire
moins du tiers des élèves pour 55 % de l’ensemble comme un sens commun, voire une idéologie faite
des étudiants, alors que leurs pères pèsent pour d’adhésion aux vertus du marché, de l’Europe telle
70 % de la population active masculine. Pour les qu’elle se fait, au bien-fondé des hiérarchies
étudiants, qui se positionnent très majoritairement sociales, d’identification de toute critique politique
« à gauche », les médias les plus attractifs sont radicale au malfaisant populisme. Ce sont
ceux du secteur public, de la presse écrite symétriquement les capacités d’ouverture à
parisienne, télévisions généralistes et titres l’altérité sociale, d’identification des objets et
« populaires » suscitant peu de vocations angles inédits, de déploiement d’analyses
16
problématisées qui peuvent rester en jachère. précaires sont celles des pigistes, mais aussi de
Cette division des formations aboutit encore à ce journalistes sur des CDD souvent très courts, des
que l’investissement dans la lecture des sciences journalistes encartés mais demandeurs d’emploi, ce
sociales ou un travail consistant de documentation qui pousse à 24 % les précaires titulaires de carte.
apparaissent, en formation au journalisme, comme Croisant d’autres données dont celles de l’Insee et
du temps mal rentabilisé, voire comme le signe d’Audiens qui gère les droits sociaux de travailleurs
d’un intellectualisme suspect (on lira sur ce point le de la culture et de la presse, elle situe aux environs
témoignage accablant d’un ancien élève du CFPJ de 48 000 le nombre des personnes qui — avec ou
devenu député insoumis [Ruffin, 2003]). Il n’est sans carte — contribuent de facto à alimenter en
pas certain que la dévaluation de tout contenus les médias, cumulant parfois les activités,
investissement intellectuel un peu soutenu soit la pratiquant des allers et retours entre les activités
promesse d’un journalisme précis, exigeant, habituellement opposées du journalisme et de la
émancipé des préjugés. communication, relevant d’une grande diversité de
Une évolution récente s’est traduite dans la création statuts (autoentrepreneurs, stagiaires,
en 2010 d’une Conférence nationale des métiers du correspondants locaux) et de rémunérations (y
Journalisme, interface entre les pouvoirs publics et compris par droits d’auteur, facturation de
la CPNEJ qui fédère les écoles reconnues. La prestation). Cette autre comptabilité propulse alors
création de cet espace de concertation manifeste le à 38 % le pourcentage des précaires. Elle met en
désir des ministères de la Culture et de évidence une « déstructuration de l’espace
l’Enseignement supérieur d’être plus présents dans professionnel », une érosion de la part des
la définition de la formation des journalistes. Une contenus informationnels produits par des titulaires
part des enjeux tiennent ici — en partie contre les de carte. Elle aide à comprendre les tensions entre
écoles privées les moins exigeantes amertume et cynisme que peuvent expérimenter
académiquement, les plus disposées à penser le des milliers de candidats au journalisme, pris entre
journalisme comme variante de la passion de cette activité et rapport désabusé à sa
communication — à négocier entre pressions pour pratique, rêves de produire un journalisme
plus de rigueur académique des formations et d’enquête et de terrain et obligation de produire son
parcimonie des reconnaissances de nouvelles quota de papiers en puisant dans des dossiers
formations pour veiller à l’adéquation du flux de concoctés par les sources [Accardo, 1998]. Le
diplômés à un marché de l’emploi (mais défini sur constat réactualise aussi la question des frontières
quel périmètre ?) en tension. de la profession : peut-elle fonctionner de façon de
plus en plus segmentée avec des couronnes
La plus saillante des évolutions récentes est sans
extérieures de précaires qui seront bientôt d’un
conteste l’explosion de la précarité qu’objective le
poids comparable à celui des statutaires ? Quel(s)
poids de la catégorie « pigiste ». Le terme désigne
statut(s) donner à des acteurs qui, sans tous ou
initialement les journalistes payés à la « pige », au
toujours prétendre au statut de journaliste, peuvent
papier ou au reportage produit. Certains
faire un travail fiable (blogueurs, sites Web
journalistes, s’ils disposent d’une reconnaissance et
spécialisés) ? Peut-on sacraliser une frontière entre
d’un réseau de médias qui les sollicitent, peuvent
vrais journalistes d’un côté, postulants illégitimes et
bien vivre de ce statut et y trouver une grande
amateurs de l’autre, sans exiger des premiers des
autonomie. Dans l’immense majorité des cas,
qualifications spécifiques ou des régulations
pigiste veut dire précarité, besoin d’être sans cesse
déontologiques effectives ?
en quête d’un petit contrat court, d’une commande.
Les pigistes représentaient 8,5 % des titulaires de 2. Convergences et singularités
carte en 1975, 14,7 % en 1990, 18,7 % en 2016. Les tendances observables en France le sont aussi
Comme le montre une analyse très fine de internationalement, qu’il s’agisse de féminisation
Cégolène Frisque sur les titulaires de carte en 2009, [Fröhlich et Lafky, 2008] ou de hausse des
ces chiffres doivent en fait être revus. Les positions qualifications scolaires. Il en va de même du
17
processus conjoint de tassement des effectifs prix.
officiels de journalistes et d’expansion du nombre
de personnes contribuant à la production
II. Les galaxies du journalisme
d’information. Alors que la réduction des rédactions Comme dans la plupart des mondes professionnels,
de quotidiens a concerné depuis 2000 près de 20 % dès que l’analyse sort des généralités, c’est une
de leurs journalistes aux États-Unis et un chiffre mosaïque d’activités qui se révèle. L’étude
comparable au Royaume-Uni, tant l’ONS classique de Tunstall [1971] sur les journalistes
(équivalent britannique de l’Insee) que des londoniens en donnait une illustration. Le choix des
organismes de la profession relèvent une hausse journalistes spécialisés des quotidiens londoniens
de 15 % (voire de 30 % sur le critère « Se déclarent « de qualité » se fixait pourtant sur un groupe en
journalistes ») des effectifs sur les années 2010. apparence homogène. Or c’est un monde de
Comment en faire sens ? En constatant que le différences qui se dégageait de l’enquête : écarts
centre de gravité de l’emploi n’est plus dans les considérables de prestige social entre les rubriques
quotidiens papier, en prenant acte de ce que, au- nobles des correspondants étrangers et du service
delà même de la vieille prétention des politique et des spécialités comme l’automobile et la
« communicateurs » à être membres de la famille mode, perçues comme subalternes ou comme
journaliste, la question d’une révision de la carte des simples instruments de récupération d’une manne
contributeurs à l’information se pose, et qu’elle ne publicitaire, écarts de rémunération, écarts de
peut s’évacuer par l’application d’une règle de droit formation entre le diplômé d’une public school en
du travail simple. L’observation suggère aussi poste à Washington et l’ancien footballeur
l’actualité d’entreprises de comparatisme sur les professionnel de la rubrique sportive. Ces
systèmes de médias et les cultures journalistiques journalistes spécialisés qui se côtoient dans les
[Hallin et Mancini, 2004]. couloirs de la rédaction vivent dans des mondes
Que seraient alors des singularités françaises ? sociaux différents : la majorité des journalistes
Assurément le poids considérable de la presse hommes qui travaillent en rubrique sport et
magazine qui emploie un pourcentage de automobile ont épousé des secrétaires, des
journalistes pratiquement double de ses infirmières, des employées qui seraient autant de
homologues allemand ou canadien. Les raisons de mésalliances pour leurs collègues des rubriques
cette singularité sont multiples. On y placera un nobles. En France, les travaux de Jean-Marie
usage opportuniste d’aides à la presse initialement Charon [1993] ont très tôt mis en lumière cet
conçues pour les quotidiens, une ouverture de ce « éclatement » croissant de la profession. Car si
segment de presse à des groupes étrangers près d’un journaliste sur deux a connu l’expérience
innovants, le fait que le secteur ait été un laboratoire du changement d’entreprise dans son parcours
d’innovations dans les contenus et les modes de professionnel, ils ne sont que 10 % à avoir changé
gestion. Une autre spécificité française tient au de média. C’est dire la singularité de ces
poids, systématiquement méconnu, de la presse « galaxies » qui définissent des manières diverses
quotidienne régionale. Si elle subit à son tour d’être journaliste.
l’érosion de sa diffusion, elle fait encore 70 % des
ventes de journaux chaque jour, tandis qu’Ouest
France diffuse encore 672 000 exemplaires chaque 1. La presse magazine et spécialisée : le
jour. Acheter un quotidien en Grande-Bretagne moteur des changements d’hier ?
suggère aussi une autre singularité majeure :
En rang modeste sur la lecture des quotidiens, les
tabloïds ou journaux plus denses de contenus y
Français sont les premiers lecteurs de magazines
coûtent de 35 à 70 pences, quand Le Dauphiné
au monde. La presse spécialisée grand public
libéré coûte 1,10 euro et Le Monde 2,60 euros. Ces
(sports, loisirs, santé…) et la presse technique et
prix presque trois fois supérieurs entretiennent un
professionnelle ont été jusqu’aux années 2000 au
cercle vicieux : faible diffusion, difficulté à casser les
cœur de la création d’emplois, pour représenter en
18
1998 42 % des cartes de presse (chiffre descendu journaliste est cadré à partir d’un cahier des charges
à 36 % en 2012). Du fait de la diversité de ses précis, où le travail rédactionnel est tributaire d’une
composantes, des écarts énormes de poids attention forte à l’aspect visuel du produit fini.
économique, de diffusion entre titres (plus de deux
Une autre particularité de ce journalisme est de
millions d’exemplaires pour deux hebdos TV, moins
condenser, parfois jusqu’à la caricature, les
de 10 000 pour des magazines dédiés à la chasse
tensions des rapports de force avec ses sources et
à cour ou au bel canto), cet univers évoque l’image
ses annonceurs publicitaires. Lecteurs, sources et
de la galaxie [Réseaux, 2001].
annonceurs se superposent parfois fortement.
Cinq traits du journalisme de cette presse sont à Difficile pour une revue exclusivement lue par les
souligner. Le premier concerne la rupture par professionnels de la grande distribution de multiplier
rapport à une représentation du journalisme comme les articles critiques sur les entorses aux normes
auxiliaire de la démocratie. Le lecteur auquel d’hygiène dont ses lecteurs — qui sont aussi
s’adresse cette presse n’est plus saisi dans la figure annonceurs et sources — peuvent être les
totale du citoyen mais à travers une de ses responsables. Une attention trop insistante
composantes identitaires (retraité, homosexuel, risquerait de porter préjudice à des acteurs
parent d’élève), un de ses loisirs (jardinage, opéra). stratégiques du secteur qui sont aussi acheteurs de
Tendanciellement, c’est une relation de service, pages de publicité. On trouvera sans peine nombre
souvent d’aide à la consommation que propose un de magazines spécialisés où le travail du journaliste
tel journalisme, davantage qu’un mode d’adresse diffère assez peu d’une activité de réécriture des
au lecteur en tant que citoyen. documents promotionnels produits par les
entreprises du secteur concerné.
Le journalisme de presse magazine est aussi le
terrain d’élection des soft news. Si une part de cette Plus que tout autre, enfin, le journalisme dans ces
presse est tributaire de calendriers événementiels médias spécialisés comporte pour ses
qui s’imposent à elle, comme ceux des compétitions professionnels le risque de fonctionner comme un
sportives, la plupart des magazines (cuisine, santé) irréversible enfermement. Un press-book composé
peuvent construire leurs contenus éditoriaux d’une de papiers sur la plongée sous-marine ou la critique
façon relativement déconnectée d’une actualité des derniers jeux vidéo risque de se révéler un
événementielle imprévisible. La préparation des « sésame » peu efficace pour des stratégies de
numéros, spécialement pour les mensuels et mobilité professionnelle.
trimestriels, se réalise avec des mois d’avance.
2. La presse régionale et locale
Comme le souligne Charon [1999, p. 82-83] : « Il
revient au journaliste d’identifier des tendances, des Deuxième employeur de journalistes français
phénomènes émergents, afin d’en tirer des sujets (21,3 % en 2012), la presse quotidienne régionale
d’enquête, de reportage, de dossiers… Le (PQR) — et la presse locale hebdomadaire et
journaliste de presse magazine doit donc être périodique — constitue un univers qui conserve de
créatif, imaginatif, ultrasensible à tout ce qui bouge forts particularismes. Si elle suit les tendances
et peut intéresser les lecteurs. » générales du métier de journaliste — en termes de
hausse des niveaux de diplôme et d’âge moyen en
Un troisième trait de ce journalisme est de
particulier —, la PQR a longtemps eu un
constituer le laboratoire des logiques marketing sur
recrutement plus masculin, moins diplômé, des
l’écriture et le travail rédactionnel. Le formatage
effectifs plus âgés… qu’on peut relier à une forte
organisé du travail journalistique vaut pour
stabilité puisque, jusqu’aux années 2000, 70 % des
l’identification de thèmes porteurs, le calibrage des
journalistes de la PQR faisaient toute leur carrière
articles. Liés à des groupes de presse (Bayard,
dans l’entreprise qui les avait embauchés. Cette
EMAP, Hachette, Prisma) dotés de service d’études
galaxie est aussi, au sein de la presse d’information
et de marketing performants, les titres locomotives
générale, celle qui a le plus longtemps résisté à
de ce segment de presse sont ceux où le travail du
l’érosion de la diffusion. Le particularisme du
19
journalisme local tient surtout au rapport de concurrence de l’audiovisuel, ce journalisme
proximité qu’il entretient avec ses sources et ses conserve un magistère moral et une légitimité que
lecteurs. Comme le note l’auteur d’un manuel lui donnent à la fois l’héritage de l’histoire et la
professionnel [Guery, 1992, p. 51 et 54], cette nature même des formats de la presse écrite dont
situation peut « rendre le journaliste plus ou moins le volume permet de pousser l’analyse, où les
prisonnier de ses sources d’information […]. La registres normatifs de l’éditorial ou de la tribune
pression qui s’exerce sur le journaliste de locale est permettent une intervention dans le débat public. Le
plus subtile et, partant, plus difficile à combattre. risque est cependant grand de percevoir ce
Elle tient aux liens qui s’établissent normalement journalisme, à la manière de l’iceberg, par sa partie
dans une petite ville où tout le monde se connaît et, la plus visible : dimension épique du journalisme
partant, se fréquente ». La notion de proximité d’investigation, raffinement d’analyse des
renvoie aussi au « pacte de lecture » implicite de ce éditorialistes politiques.
type de presse qui définit son lectorat par
Contre une réduction qui fait percevoir ce
l’appartenance à un territoire (souligné par les
journalisme au prisme des services politiques de
titres : Le Dauphiné libéré, Les Dernières Nouvelles
trois ou quatre titres, on en soulignera le
d’Alsace). Elle est portée à sélectionner les
morcellement, la diversité des rubriques et des
personnages, les événements qui valorisent un
spécialisations qui le travaillent de façon centrifuge.
« nous » territorialisé, d’où l’importance donnée aux
On s’arrêtera aussi sur la paradoxale combinaison
réussites locales, à la vie associative, et
de prestige et de fragilité de ce cœur historique de
corrélativement l’extrême prudence dans la
la profession. La presse quotidienne d’information
couverture de tout ce qui peut faire conflit entre générale subit, aux États-Unis, en Europe et en
acteurs du local, la quasi-inexistence de scoops sur
France, une crise sans précédent et la question de
des « affaires » mettant en cause des pouvoirs
sa disparition sous la forme papier, au profit d’une
locaux.
lecture sur tablettes et écrans, ne relève pas de la
On se gardera cependant d’associer la PQR à la science-fiction. Les ventes des hebdomadaires
seule image d’un journalisme vieillot et déférent. La d’information se tassent inexorablement vers
figure du « localier » y prend des incarnations 1,2 million d’exemplaires par semaine. Les
toutes différentes dans les villes importantes où la quotidiens parisiens, rachetés en cascade par de
diversité des pouvoirs sociaux vient desserrer les puissants actionnaires privés, sont dans des
contraintes de la proximité. Dans les rédactions situations économiques difficiles, la concurrence de
centrales, les conditions de travail des journalistes l’information en ligne s’exerçant sur une presse à la
spécialisés (économie, politique) sont proches de diffusion déjà modeste et aux prix élevés. Ces
celles des quotidiens parisiens. La PQR française a difficultés aiguillonnent des changements et des
aussi été l’un des foyers les plus actifs de la novations. On y mettra un usage croissant de
modernisation de la gestion et des techniques de l’infographie et des photos, le compactage des
travail avec ses innovations en matière de formats d’articles, l’essor de rubriques de soft news
publication assistée par ordinateur (PAO), de (gastronomie, style de vie, santé, voyages) parfois
décentralisation de la gestion des pages par les très agréables à lire. Le risque est aussi, à force de
rédactions locales [Ruellan et Thierry, 1998]. courir après les apparences et formats des écrans,
3. L’identité brouillée du journalisme d’y dissoudre singularités et forces de l’écrit que
national d’information générale sont la capacité d’approfondir, de raconter, le travail
sur le style, l’attention à l’international.
S’ils emploient en 2012 un peu plus de 10 % des
journalistes, les hebdos d’information et la presse Les contraintes du journalisme local
quotidienne nationale constituent à la fois le foyer « Le travail de locale c’est d’abord un “fonds de
initial de la pratique journalistique et l’héritier de ses commerce”, un agenda de contacts avec les
mythologies professionnelles. Malgré la interlocuteurs de la vie locale : responsables
syndicaux, paysans de base, mairies, gendarmerie
20
et police aussi. C’est aussi un rapport de confiance les écarts sensibles entre journalismes audiovisuel
qui se tisse au fil des mois et des années avec les national et local (le salaire brut médian est de
interlocuteurs de la vie locale. Cela veut dire pas 2 400 euros en radio locale). Le caractère quasi
de trahison, de l’honnêteté dans les relations. général du passage antérieur par d’autres
Quand on est en première ligne, en face ou à côté expériences professionnelles ou des séquences de
de quelqu’un, il y a une prudence obligée » pige sans carte de journaliste, la rareté des cas
(responsable de rédaction de sous-préfecture au d’accès direct aux fonctions occupées (21 % contre
Télégramme de Brest, 1998). 40 % dans la presse écrite) marquent l’importance
« Il y a une chose que je ne peux pas faire, ce sont particulière des situations de précarité et de
les courses au supermarché. Je ne peux pas être compétition professionnelle dans ce milieu qui se
tranquille sans qu’on m’accoste pour me parler caractérise aussi par l’amplitude exceptionnelle des
d’une manifestation à signaler, me faire des écarts de statut et de rémunération entre une élite
commentaires sur un article » (correspondant local restreinte et une masse de journalistes assignés à
Ouest-France, ville de 10 000 habitants, 1999). des tâches laissant peu d’autonomie [Balbastre, in
« Nous, on peut pas se permettre de faire la Accardo, 1995].
politique de la terre brûlée. Nous, on peut pas aller
Le chiffre des diplômés d’écoles de journalisme
voir des gens et puis en faire qu’à notre tête, parce
« reconnues », mérite aussi attention. De 26 %
que le mec qu’on a été voir, plus jamais il nous filera
dans les radios nationales et 22 % pour les
d’info. Nous, on peut pas dire on vient, on fait un
télévisions nationales, il est très supérieur tant à
coup, on est content de notre papier et puis on se
celui des quotidiens nationaux (16 %) ou
casse. On peut pas faire ça, donc on est tout de newsmagazines (10 %) qu’à celui de la moyenne de
suite un peu plus mesurés […]. Pour être clair, on
la profession (12 %) et atteste d’une révolution
s’autorise jamais de commentaire. En fait, on relate
symbolique. Longtemps snobés par les journalistes
[…]. Nous, on a forcément un journal un peu plus
de l’écrit comme de bêtes lecteurs de dépêches ou
consensuel. On a un taux de pénétration qui est très
les porte-parole du gouvernement, les journalistes
fort sur notre zone, qui est une petite zone. Si on n’a
de télévision ont conquis aux yeux de leurs pairs
pas ce taux de pénétration, nous, on meurt […]. On
une reconnaissance et une légitimité. Elle doit à leur
dit : “Ben voilà, ça s’est passé comme ça” et puis au
travail, à leur émancipation à l’égard du pouvoir
niveau des commentaires on dit : “Greenpeace
politique, mais aussi à la centralité prise par la
commente comme ça, Cogema commente comme
télévision comme lieu où se passe l’événement
cela” » (journaliste, La Presse de la Manche, à
dans des domaines comme la politique ou le sport.
propos des débats sur l’usine de retraitement
nucléaire de La Hague, 1998). 5. Agenciers
Source : entretiens par O. Baisnée, Y. Guégan, Les agenciers (9,1 % des journalistes en 2016)
E. Neveu. constituent la tribu la plus méconnue du public. Pas
de vedettariat chez ces invisibles du journalisme. Et
4. Le journalisme audiovisuel cependant, sans eux, la plupart des médias
Les journalistes de télévision représentent en 2016 d’information seraient hors d’état de fonctionner,
16,4 % de la profession, ceux de radio 9,5 %. puisque c’est à partir des nouvelles qui passent par
L’audiovisuel progresse ainsi de 20,7 % à 25,9 % le « fil » des grandes agences (Agence France
des effectifs de la profession par rapport à 1999, Presse, Reuter, Associated Press…) que
manifestant une forte attractivité qui conforte aussi l’événement pénètre dans les salles de rédaction, y
le profil plus jeune de son recrutement. Si le salaire suscite le branle-bas de combat. L’agence est un
brut médian des journalistes de télévision était en « média de médias », joue pour les entreprises de
1999 le plus élevé de la profession (3 650 euros), presse aux rédactions peu étoffées le rôle d’un
on soulignera la grande dispersion des revenus, grossiste dont le flux de dépêches ou d’images
entre vedettes et journalistes du rang, mais aussi (Reuter TV, APTN) permet — après un travail de
21
réécriture plus ou moins soutenu — de remplir les demande éventuellement une intensification de
pages du journal ou du magazine [Palmer, 1983]. qualités de réactivité, de concision, de pédagogie
Ce statut comporte pour l’agencier d’énormes qui sont celles du journalisme tout court [Estienne,
contraintes. Il doit produire vite pour offrir 2007]. Il est aussi un espace d’intégration dans les
l’événement en primeur. Il est tenu à des impératifs savoir-faire professionnels de compétences
particulièrement forts de fiabilité et de contrôle de inédites en matière de mobilisation des audiences,
l’information, de concision et de densité. Nulle part d’intégration de leurs contributions. Il est enfin une
ne pèsent davantage les impératifs d’une écriture scène de polarisation puisque les pratiques
efficace, capable dès les trente mots du lead de journalistiques sur le Web condensent et
capter l’essentiel de l’information. Il serait exacerbent la diversité des dynamiques qui
cependant réducteur d’identifier l’agencier à la fracturent la profession. On y observe d’une part
statue du commandeur d’un journalisme factuel, une logique de la vitesse et de l’immédiateté, où
économe de ses mots. Les agences se sont dégainer le premier est l’impératif, quitte à ne forcer
orientées vers des systèmes d’abonnements à la ni sur les vérifications ni sur la contextualisation, où
carte où les médias clients peuvent opter pour la l’information est une denrée plus périssable que
réception de dépêches plus interprétatives, de flux jamais, ne restant que quelques heures dans un
d’information plus copieux sur tel sujet, telle aire rang qui rende sa lecture probable. Mais le Web est
géographique. L’agencier devient donc aussi de d’autre part le lieu par excellence de déploiement de
plus en plus un journaliste subordonné à une forme toutes les innovations contemporaines des
de sur-mesure dans les commandes de ses pratiques, avec des registres de journalisme narratif
collègues clients. Un correspondant de Reuter fut sur des formats longs, des tissages d’images et
ainsi contraint de produire trente-huit dépêches d’analyses fouillées, des espaces de débat, y
distinctes lors d’une journée de siège de Sarajevo compris sur la pratique journalistique.
pour répondre aux demandes des abonnés, au
détriment de sa disponibilité à collecter III. Le champ journalistique
l’information. Avec ses collègues des chaînes Une exploration de la pratique journalistique est-elle
d’information permanentes, l’agencier a aussi pour condamnée au catalogage de la diversité des
singularité d’être le personnage clé d’une situations que recouvre la possession d’une carte
géopolitique de l’information où se joue la présence professionnelle ? Le recours à la notion de champ
de cultures et de regards nationaux sur un marché peut être l’outil d’une pensée doublement
désormais mondialisé [Tunstall, 1977]. relationnelle. Il invite à penser l’espace du
Faut-il ajouter une sixième galaxie, celle du journalisme comme un univers structuré par des
journalisme Web ? Elle représentait déjà 5 % des oppositions à la fois objectives et subjectives, à
titulaires de carte de presse en 2012, probablement percevoir chaque titre et chaque journaliste dans le
7 % en 2016 si on intègre les services Web des réseau des stratégies, des solidarités et des luttes
quotidiens papier, et ne peut que se développer qui le lient à d’autres membres du champ. Il appelle
entre processus de digitalisation [Boczkowski, à penser le champ journalistique dans sa relation à
2004] des rédactions vers le site Web du titre et d’autres espaces sociaux. Quelle est son
montée des pure players n’opérant qu’en ligne. autonomie ou, à l’inverse, sa dépendance à l’égard
Après avoir été le lieu, peu valorisé, d’une forme de des champs économique, politique, intellectuel ?
bizutage des nouveaux et jeunes arrivants dans le Objet d’un intérêt croissant, qui déborde les limites
journalisme, le journalisme Web s’est vu revalorisé de la France et les logiques d’école [Benson et
(aussi parce que 24 % de la publicité dans les Neveu, 2004], la problématique du champ
médias passe en 2014 par Internet !). Il s’inscrit appliquée au journalisme aide à dépasser
dans une triple dynamique. Il se normalise au sens beaucoup d’oppositions figées ou de fausses
où il est considéré comme une pratique du alternatives. Comme l’illustrent les livres d’Accardo,
journalisme normale et nullement mineure, mais qui l’attention aux structures n’exclut en effet en rien
une vision compréhensive des pratiques et
22
croyances des journalistes, de leurs stratégies producteurs de gibecières peuvent difficilement
personnelles. La mise en évidence de contraintes ignorer Le Chasseur français). Bref, les repères
institutionnalisées n’interdit pas de penser le esquissés ici se donnent comme un fond de carte,
changement que stimulent les évolutions des à réviser au fil de recherches qui demeurent
rapports entre champs, les altérations de leur largement à faire.
morphologie, les décalages entre les dispositions
Le champ journalistique partage des
des professionnels et leurs postes et missions
caractéristiques avec les champs de production
[Actes de la recherche en sciences sociales, 1994 ;
culturelle. Trois éléments de structuration ressortent
2000]. L’exploration d’un micro-univers
alors. Le premier repose sur l’opposition entre des
professionnel, comme celui des journalistes
titres « établis » et des outsiders. Les premiers,
médicaux [Marchetti, 1998], n’est pas condamnée à
dont Le Monde ou l’Américain Science seraient des
l’exotisme ethnographique puisque ce microcosme
illustrations, peuvent mobiliser tout un héritage de
peut être réinséré dans une vision globale de
ressources lié à la durée : image, réseaux
l’espace professionnel qu’elle peut en retour
organisés de liens avec sources et experts, prestige
éclairer tout entier.
accumulé par des prises de position, des scoops
1. Cartographier le champ inscrits dans une mémoire sociale. Les seconds
Passer aux travaux pratiques confronte à une série sont condamnés à construire ex nihilo une image,
de difficultés. Il s’agit d’abord d’articuler des niveaux poussés par là aux stratégies à risques des
d’analyse. Comment combiner nos données prétendant pressés qu’illustraient à la fin des
années 1980 les « unes » de L’Événement du jeudi
globales sur la population des titulaires de la carte,
dédiées aux « cons », « salauds » et autres
des monographies sur des rédactions et
entreprises, des analyses de spécialisations espèces nuisibles, plus récemment les surenchères
comme celle de Sandrine Levêque [2000] sur les de clichés volés par les paparazzis dans la guerre
journalistes sociaux ? Malgré un fort des magazines people. Faut-il dire que le défi posé
développement depuis le début des années 1990, aux outsiders est d’autant plus difficile que l’espace
ces divers travaux sont encore loin de constituer un éditorial concerné est verrouillé ? Il est plus difficile
stock de données énorme. Leur orientation, souvent de lancer un quotidien ou un hebdo d’information
qualitative, se paie d’un déficit de données qu’un magazine de mode ou un hebdomadaire de
statistiques fines. Rares sont les études comme ville.
celle de Julien Duval [2004] sur le journalisme Un deuxième principe d’opposition, transversal et
économique qui prennent appui sur un travail interne aux rédactions, renvoie au poids de
approfondi de traitement de données chiffrées. légitimité lié aux services. Certaines spécialisations
Ajoutons enfin qu’un recours intelligent à des (le service politique, l’économie et la finance de
données statistiques suppose à la fois de multiplier façon croissante) disposent d’un statut de rubriques
les indicateurs utilisés et de prendre en compte la nobles par opposition à des spécialités moins
variation possible des significations d’une donnée légitimes (faits divers, sports). La réalité de cette
en apparence cohérente. Peut-on comparer la hiérarchie s’observe sur de multiples critères :
place du sport en 1970 dans France-Soir et Le attraction exercée sur les diplômés des écoles de
Monde quand la rubrique du premier couvre tout journalisme, possibilité pour les journalistes du
l’éventail des sports alors que le second les aborde service d’accéder aux postes de direction. Elle
sélectivement, faisant une place inhabituelle à la s’exprime dans les processus de « remontée » qui
tauromachie ? Un pourcentage identique de permettent aux services nobles de s’approprier
recettes publicitaires affecte encore différemment le n’importe quel sujet lorsqu’il vient à faire les
travail d’une rédaction selon qu’il suppose un « unes ». S’il fait l’objet du vote d’une loi ou d’un
activisme de l’audimat dans un secteur mouvement social, le chômage, habituellement
concurrentiel, ou que les annonceurs soient en traité en « social » ou en « économie », tombera
quelque sorte obligés de recourir au titre (les ainsi sous la juridiction du service politique et des
23
éditorialistes. matrice de schèmes de jugements et de
comportements, qui est à la fois le fruit d’une
Du bon usage des champs
socialisation — et à ce titre susceptible d’évoluer —
La notion de champ appartient à la boîte à outils
et un principe organisateur des pratiques et des
sociologiques élaborée par Pierre Bourdieu [1992]
attitudes. Pour en donner un exemple simple,
qui l’a utilisée dans ses travaux sur le journalisme
l’intériorisation du style d’écriture propre à un titre
[1996 ; voir aussi Champagne, 1990]. Elle désigne
peut ainsi faire l’objet d’un lent processus
un espace social relativement autonome, structuré
d’apprentissage, dont Jean Padioleau [1985] donne
par des jeux de rivalités dont la limite est une
un exemple à partir du rituel de rédaction du défunt
commune adhésion des participants à des enjeux et
« Bulletin de l’étranger » qui se trouvait à la « une »
des valeurs. Tel éditorialiste matinal d’Europe 1, les
du Monde. Les nouveaux venus étaient invités à s’y
présentateurs des JT de TF1 et le directeur de la
exercer, jusqu’à ce que l’acquisition du style Monde
rédaction du Monde s’opposent ainsi tant dans leurs
permette de publier leur contribution et d’attester
orientations rédactionnelles que dans leurs prises
une socialisation réussie à l’esprit de la tribu. Une
de position publiques sur des conceptions
troisième notion est celle d’illusio qui renvoie à l’idée
divergentes du journalisme. Ils peuvent
d’un investissement, tout à la fois psychique,
simultanément participer d’un consensus minimal
intellectuel et professionnel, dans les jeux et enjeux
(immersion passionnée dans l’« actu »,
propres à un champ.
revendication d’une activité au service du public) ou
Illusio, habitus et capitaux ne prennent eux-mêmes
se sentir assez de solidarités corporatives pour
sens que pensés relationnellement en fonction de
qu’Edwy Plenel alors au Monde vienne
leur (in)adéquation aux caractéristiques du poste
publiquement déplorer dans Le Monde
occupé dans un champ, ou de leur potentiel de
diplomatique (février 1998) la teneur d’un livre de
subversion efficace de ses règles. Ainsi un habitus
Serge Halimi [1997] qui cible pourtant ses
littéraire peut être apprécié lorsqu’il est détenu par
concurrents et adversaires au sein du champ. Les
un éditorialiste de presse écrite, il devient un
champs sont — très inégalement —
handicap chez l’agencier. Une illusio qui se
institutionnalisés par des cadres juridiques (on peut
cristallise dans la vision du journaliste comme celui
penser pour le journalisme à la loi de 1881, à la
qui, selon le mot d’Albert Londres, porte « la plume
commission de la carte, au Conseil supérieur de
dans la plaie » fera merveille dans le journalisme
l’audiovisuel) et des règles pragmatiques. Ce terme
d’investigation. Elle risque de conduire à de sérieux
désigne des conventions pratiques de
ennuis le localier d’un chef-lieu de canton.
comportement entre acteurs, comme les règles
d’anonymat ou le tri des photos que se fixent Un troisième paramètre de hiérarchisation réfracte
certaines rédactions en matière d’information sur enfin la sociologie des lectorats. Tendanciellement,
des faits divers, ou le jeu du off [Legavre, 1992] qui le prestige social d’un type de titre et de journalisme
consiste pour une source à donner une information est fonction du profil social de ses consommateurs,
que le journaliste ne doit pas immédiatement d’autant plus grand que ceux-ci se recrutent chez
divulguer. les détenteurs de capital économique et culturel. Ce
Le concept de champ n’a toutefois d’utilité que classement implicite ressort de données telles que
combiné à un ensemble d’autres notions la hiérarchisation des titres cités dans les revues de
développées par Bourdieu. Il s’agit de la notion de presse matinales, la fréquence des « reprises » par
capitaux, désignant les ressources (économiques, d’autres médias, mais aussi la sélection des objets
symboliques…) dont disposent les protagonistes par les chercheurs, plus zélés à étudier le
d’un champ. Il peut s’agir pour un journaliste du journalisme politique et la presse parisienne que la
diplôme d’une école, d’un carnet d’adresses PQR ou les journalistes sportifs.
exceptionnel, de l’autorité acquise dans le Ces principes de hiérarchisation demandent à être
dévoilement d’une « affaire ». On sollicitera ensuite
pensés relationnellement. Appliqués
la notion d’habitus comme système de dispositions, mécaniquement, ils conduisent à des
24
généralisations du type « média ancien + lectorat historiquement conquis dans les pays de
dans les CSP supérieures + rubrique noble démocratie représentative une autonomie,
= journalisme dominant », et inversement. Une exprimée par des normes professionnelles, garantie
sociologie aussi simplette se heurte vite à de (inégalement) par des dispositifs juridiques destinés
nombreux faits têtus qui en manifestent les limites. à protéger le journalisme tant des atteintes à sa
L’une des clés d’un usage dynamique des liberté par le pouvoir politique que d’une
classifications consiste à considérer que tout subordination sans limites à des employeurs tout-
journaliste est établi dans une structure gigogne puissants (clause de conscience, lois
entreprise-rédaction-rubrique. La hiérarchie des anticoncentration). Ces cadres objectifs ont à la fois
rubriques varie en fonction des contextes sociaux et traduit et stimulé des croyances en les fonctions
des titres. Journalistes « fait-diversiers » et civiques du journalisme qui, pour être parfois
financiers occupent des positions inversées dans illusoires, étaient aussi l’énergie motrice (illusio) qui
les hiérarchies du Sun et du Financial Times. poussait le correspondant de guerre à risquer sa
Tunstall [1971] apporte une distinction précieuse en vie, motivait le journaliste d’investigation. Les
invitant à penser la dichotomie entreprise de logiques du champ économique viennent
presse/entreprise de production de l’information aujourd’hui sensiblement remettre en cause tant
cette autonomie que ces modèles professionnels du
comme une variable essentielle de la pratique
journalistique. Dans un média où les journalistes, champ journalistique. Chercher à dessiner une
organisés par exemple dans une société des carte, c’est se demander comment travaille ce front
rédacteurs, ont prise sur la ligne rédactionnelle, les entre autonomie de champs de production culturelle
impératifs de production de l’information — tels que et expansion des logiques du champ économique,
que l’on observe dans d’autres univers comme
les traduisent les chartes déontologiques et les
mythes professionnels — ont quelques chances de l’édition [Bourdieu, 1999].
gouverner leur pratique. À l’inverse, là où, comme Un premier axe d’opposition peut être recherché
dans beaucoup de segments de presse magazine, dans le poids des logiques commerciales, saisies
la production d’information est pensée comme une par le degré de subordination de l’« entreprise de
activité économique sans grand particularisme, production de l’information » à l’« entreprise de
marketée et normalisée, c’est un autre journalisme presse ». Il peut s’objectiver par une série
qui se développe. Le fait invite aussi à poser les d’indicateurs. Le premier [Tunstall, 1971] tient au
limites d’une analogie entre journalisme et poids accordé aux informations à visée d’audience
production culturelle (littérature, art). (faits divers, sports) et informations attrape-publicité
2. Champ journalistique, champ (comme ces suppléments consacrés aux cadeaux
économique, pouvoirs sociaux de Noël que les journalistes nomment « pièges à
pub ») au détriment des rubriques « non rentables »
L’accent mis par Tunstall sur la structure double qui n’attirent ni annonceurs ni public massif (qui se
dans laquelle se développe le travail journalistique souvient que, jusqu’aux années 1990, Le Monde
rejoint les questions suggérées par une publiait in extenso les discours de réception à
problématique des champs. Au-delà de hiérarchies, l’Académie française ?). Une orientation
il faut identifier de grands clivages qui opposent à la rédactionnelle « commerciale » implique aussi
fois des entreprises de presse et des manières d’y anticipation et mimétisme sur les verdicts de
pratiquer le journalisme. marché et les modes au sein de chaque rubrique.
Le dernier chapitre de ce livre évoquera un possible Le dernier Star Wars vaut alors plus qu’une
glissement vers un « journalisme de marché », rétrospective Tarkovsky ; un reportage croustillant
qu’on se contente ici de construire comme un idéal- sur une « mafia » géorgienne vaut plus en audimat
type permettant d’esquisser la carte du champ. Le qu’une investigation précise sur le délabrement de
cadre d’analyse prend acte d’un mouvement l’État russe. La recherche d’une marge bénéficiaire
contradictoire. Le champ journalistique a maximale (explicitement revendiquée dans les
25
grands groupes multimédia [Klinenberg, 2000]), le données, critiquées ; la rhétorique journalistique
poids des recettes publicitaires peuvent constituer s’emploie à aider le lecteur à clarifier ses besoins, à
d’autres indicateurs de la contrainte d’audience et décoder les notices, à saisir les limites des produits
de rendement. 100 % des recettes des « gratuits » offerts. Elle contribue aussi à susciter par divers
viennent de la publicité, 60 % à Marie-Claire, 12 % dispositifs (courrier, téléphone, émission sur une
à France Télévisions. radio) une intervention des consommateurs où leurs
attentes s’expriment sous une forme autre que
Dépendance et distanciation aux sources dans la
celles que leur prêtent les fournisseurs. « Nous
presse magazine
sommes des journalistes et non des techniciens.
Étudiant la presse magazine consacrée à
Notre méthode de travail ne s’arrête pas à la
l’aménagement des maisons, Madeleine Akrich
transmission de l’information » (rédacteur en chef,
[1992] met en évidence, à partir de revues
Maison et Travaux).
s’adressant aux bricoleurs (Système D et
Pratique), un modèle de journaliste À ce journalisme de marché s’opposent
« intermédiaire » des entreprises. Le journaliste structurellement des titres et des pratiques qui
agit alors comme le relais du discours cherchent à préserver l’autonomie de la logique
promotionnel des firmes d’équipement pour la d’information : valorisation de rubriques moins
maison. Il reprend sans distanciation critique les vendeuses mais capables d’éclairer les évolutions
informations des modes d’emploi et documents sociales, affirmation d’une visée critique, institution
des fournisseurs, leur vision des attentes des de dispositifs visant à limiter le poids du champ
usagers. Souvent eux-mêmes grands bricoleurs, économique. Alternatives économiques restreint à
ces journalistes (massivement pigistes : Système 10 % le poids des recettes publicitaires, qui est de
D repose alors sur une rédaction permanente de 0 % au Canard enchaîné. À ce pôle « intellectuel »
deux personnes) se posent à l’égard de leurs du champ journalistique, la reconnaissance par les
lecteurs dans une position d’experts et de pairs journalistes constitue également tant un
prescripteurs homologue de celle des fournisseurs élément d’identité professionnelle qu’un capital
et vendeurs. La frontière entre journalisme et collectivement détenu et valorisé par les rédactions.
communication d’entreprise est ici floue, comme
S’il recoupe partiellement le précédent — parce que
l’atteste le poids du publirédactionnel, le rôle de
le poids de la publicité en est encore un
relais entre lecteurs intéressés et entreprises
marqueur —, un axe de distance aux sources peut
pratiquant des mailings. Tourné vers l’offre constituer un deuxième principe d’opposition au
économique dont il se fait l’intermédiaire et le haut- sein du champ journalistique. Il confronte une
parleur, ce journalisme construit sa relation au pratique du journalisme qui se construit sur des
lectorat comme une fonction de vitrine du marché.
dispositifs destinés à préserver l’autonomie de
L’analyse de Maison et Travaux et Maison,
production de l’information face à tous les pouvoirs
Bricolages suggère un autre registre du journalisme sociaux à des pratiques dont le résultat est
de bricolage. Celui-ci prend — jusque dans la mise inversement une perméabilité des rédactions aux
en page nettement distincte du gros des discours d’institution. Une distance aux sources
publicités — sa distance au discours des firmes. La
suppose des investissements contraires à la visée
posture journalistique se distancie cette fois du pôle
de maximisation du profit : équipes rédactionnelles
de l’offre, valorise un rôle de « traducteur » et
étoffées et stables, services de documentation
« décodeur » qui place le journaliste en position de
autonomes, budgets d’enquête. Elle requiert un
proche ou d’ami aux côtés de ses lecteurs.
réseau complexe de connexions à des informateurs
L’existence d’une vraie rédaction (six journalistes
d’horizons différents, seul moyen de conjurer la
permanents, un « bricoleur professionnel » et deux
publication inconsciente, imprudente ou résignée
photographes à Maison et Travaux) permet la prise
de papiers que l’efficacité des sources
de distance à l’égard du discours des fabricants : les
institutionnelles transforme en publi-rédactionnel.
notices sont décortiquées dans une banque de
26
3. Conflit de légitimité valeurs de l’ancien modèle, mais y superpose de
Les tensions du champ journalistique s’expriment nouvelles formes d’excellence. Le grand
aussi en visions conflictuelles de l’excellence professionnel s’y mesure à sa capacité à faire de
professionnelle. Au modèle d’un journalisme l’audience, à travailler en direct, à exprimer
attaché à des valeurs d’objectivité, de rigueur l’actualité dans le langage de l’émotionnel, voire du
déontologique, de distanciation critique et d’analyse sensationnel. Sauf à tenir la confidentialité pour
s’opposent désormais d’autres références. On peut gage de profondeur et de vertu, cette consécration
songer au paradoxe que constitue l’inexistence de par l’audience n’est pas en soi scandaleuse. Elle
figures emblématiques du journaliste contemporain invite au débat lorsque la capacité à anticiper sur les
émergeant d’une presse magazine en plein essor, verdicts du marché et à voler au secours de succès
pour lier ce constat d’un journalisme désincarné au programmés devient la qualité journalistique
poids des recettes marketing. C’est davantage via première, ou lorsque, selon une imposture
la télévision et ses vedettes que s’affirme un modèle désormais routinisée, l’audimat est présenté
de légitimité alternatif. Il invoque volontiers les comme l’équivalent fonctionnel du suffrage
universel [Champagne et Marchetti, 1994].
27
RIUTORT PHILIPPE, « III / LA COMMUNICATION POLITIQUE EN

PRATIQUE », DANS : PHILIPPE RIUTORT ED., SOCIOLOGIE DE LA
COMMUNICATION POLITIQUE. PARIS, LA DECOUVERTE,
« REPERES », 2020, P. 55-82
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Plan
I. Genèses de la communication publique
1. Les tâtonnements de la communication gouvernementale
2. L’institutionnalisation de la communication publique
3. De la communication locale à la communication européenne
II. Le métier de communicant politique
1. Origines d’un « métier »
2. Savoirs, savoir-faire et faire savoir
III. L’« américanisation » de la communication politique
1. Une inexorable professionnalisation ?
2. L’extension du modèle américain
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La communication politique « moderne » a fini par « professionnalisation » et de son corollaire,

désigner dans la plupart des démocraties l’« américanisation », gagnent à être posées.
représentatives contemporaines, et parfois même
au-delà, l’ensemble des actions conduites par des I. Genèses de la communication
professionnels de la communication agissant pour publique
le compte des professionnels de la politique et à
destination des gouvernés. Pour qu’émergent et se
1. Les tâtonnements de la communication
généralisent ces pratiques, il a fallu que, au sein des
gouvernementale
institutions publiques, le « devoir » de communiquer
s’impose jusqu’à devenir, au cours des dernières
L’instauration d’une communication publique
décennies, une évidence de tous les instants. Le
institutionnalisée, produite par les pouvoirs publics
long et sinueux développement de la
à destination des citoyens, n’est absolument pas
« communication publique » au sein de l’appareil
allée de soi, notamment en France, même si la
d’État — qui s’étend aujourd’hui aux collectivités
puissance publique a affirmé assez tôt son autorité
locales et aux institutions européennes — mérite
dans la maîtrise de la circulation de l’information
d’être retracé. L’analyse de l’univers de la
officielle, notamment législative (renforçant par là
communication et des relations établies avec le
même la croyance en l’adage « nul n’est censé
personnel politique permet de saisir l’importance
ignorer la loi »), en rendant publiques, depuis la
prise par cette activité au sein du processus de
Révolution française, et en pratique sous la
division du travail politique. La communication
IIIe République, les décisions politiques publiées au
politique ayant été inventée, comme on l’a vu dans
Journal officiel [Gougeon, 1995]. Le développement
le chapitre précédent, aux États-Unis et ayant
d’un service spécialisé chargé de la
gagné désormais la quasi-totalité des régimes
« communication » a, en revanche, connu maintes
politiques sur les cinq continents, les épineuses
péripéties retracées par Georgakakis [2004]. Si une
questions de l’étendue de sa
28
coordination des activités de valorisation de et sa ligne politique, mais des mesures d’intérêt
l’activité gouvernementale, notamment à général assignées comme priorités d’État
destination des journalistes, se fait jour dès 1917 (campagne anti-tabac, tempérance en matière de
— en plein conflit — à l’initiative du ministère de la consommation d’alcool), affichant une neutralité sur
Guerre, les projets successifs esquissés ne le plan strictement politique, mais n’en anticipant
cessèrent de se heurter à l’hostilité de coalitions pas moins les attentes des journalistes, à la manière
d’acteurs, parmi lesquels les parlementaires. de la communication publique en matière de
Parvenant à amalgamer — particulièrement au sécurité routière, sujet qui présente à la fois le
cours des années 1930, avec la multiplication des mérite de drainer une audience grand public et
régimes politiques autoritaires en Europe — la d’assurer la promotion d’une cause « juste »
« communication d’État » et la « propagande », [Marchetti, 2008]. La frontière symbolique entre
l’avènement d’une instance administrative a été « propagande » politique et communication du
écarté à diverses reprises. À tel point que le premier gouvernement n’en demeure pas moins poreuse
organe de communication gouvernementale, le (comme l’attestent les critères de choix du chef du
Commissariat général à l’information (CGI), n’est service du SIG parmi les proches du Premier
créé qu’à la veille de Seconde Guerre mondiale, en ministre, dont il dépend directement). « Véritable
1939, et est confié à l’écrivain Jean Giraudoux, dans machine à rattraper les coups tordus » pour l’ancien
une conjoncture d’unité nationale. directeur de cabinet de Pierre Mauroy à Matignon,
Michel Delebarre, le SIG confère au Premier
La Ve République est marquée par l’instauration ministre le monopole d’agrément pour toutes les
d’une communication d’État et du gouvernement. campagnes publicitaires des différents ministères
L’histoire de cette institutionnalisation s’apparente à (ce qui permet d’éviter une éventuelle cacophonie)
l’abandon d’une croyance pour une autre, et apporte son savoir-faire technique dans leur mise
l’épouvantail de la propagande ayant laissé place à en œuvre. Le Premier ministre peut évidemment se
une « doctrine » de neutralisation des messages les servir de cet outil en tant qu’instrument de sa propre
plus explicitement « politiques », comme l’évolution communication, comme les attributions du SIG l’y
terminologique l’illustre, en débaptisant autorisent (puisque celui-ci remplit une mission
l’« information gouvernementale » puis la d’information à l’égard du Premier ministre) [Leyval-
« communication gouvernementale » en Granger, 1997]. La communication publique
« communication publique » [Ollivier-Yaniv, 2000]. demeure ainsi une activité mixte, évoluant sous la
En France, à la différence de l’Angleterre ou de double contrainte de la pression des allégeances
l’Allemagne, très peu de hauts fonctionnaires politiques et du souci d’efficacité persuasive.
possédaient, avant les années 1980, de familiarité L’obligation de s’adresser au grand public et, par
avec l’univers de la communication, réduite à un conséquent, à l’ensemble du corps électoral
rang subalterne des activités publiques. La création explique l’importance accordée aux sondages au
du SID en 1976 représente, sur ce point, un sein du SIG, rapidement considérés comme un outil
tournant significatif de par les objectifs mêmes visés « moderne » d’évaluation de l’activité
par la communication publique, non plus dirigée gouvernementale, détrônant les classiques revues
vers des publics captifs (comme les journalistes), de presse en tant qu’éléments de connaissance de
mais tournée vers le « grand public ». Cet impératif l’« opinion ». Construisant, à l’image de l’indicateur
s’est traduit par l’autocontrôle progressif des SID (l’indicateur mensuel de l’appréciation de
messages à caractère expressément politique, l’action gouvernementale), des instruments
stigmatisés par les professionnels de la d’objectivation de l’action publique, les services de
communication comme vestiges d’une époque communication gouvernementale sont ainsi
révolue. C’est dans ce contexte que la parvenus à faire émerger et à accréditer l’existence
communication institutionnelle a connu un d’un savoir expert en communication [Ollivier-Yaniv,
développement sensible en étant chargée de 2000], en instituant des échanges de services
promouvoir non plus la politique du gouvernement réguliers — que matérialisent les trajectoires
29
professionnelles — entre communicants Petite histoire de la communication du
gouvernementaux, sondeurs et consultants. La gouvernement
revendication d’une « science de l’opinion » rejoue
« à la française » l’alliance fondatrice américaine Après l’éphémère épisode du Commissariat général
entre l’industrie des sondages, l’espace à l’information, l’information d’État est rétablie, mais
universitaire et le monde de la presse. L’usage des assez rapidement vidée de sa substance, en 1945.
statistiques a permis aux agents de la Un ministère de l’Information est certes instauré
communication gouvernementale de consolider une mais il ne dispose d’aucune administration et de très
forme d’autorité professionnelle face aux peu de moyens, à la différence de son
éventuelles injonctions des responsables politiques « homologue » allemand le Bundespresseampt
en mettant à distance l’« opinion » en tant que (Office fédéral de presse, créé en 1947), seul
matériau à sonder. L’avènement d’un « État habilité à parler publiquement au nom du
communiquant », voire d’un « État annonceur », gouvernement, ou encore de son cousin anglais, le
traduit bien les ambiguïtés de toute communication Central Office of Information (créé en 1946, placé
gouvernementale [Ollivier-Yaniv, 2003 ; Berthelot- sous l’autorité du ministère des Finances et
Guiet et Ollivier-Yaniv, 2001]. Spécialistes du composé à l’origine exclusivement de
maniement des signes, les agents de la fonctionnaires). Sous la IVe République, la
communication gouvernementale œuvrent, en effet, configuration mouvante des alliances
à une tâche impossible en s’efforçant de croire et en parlementaires et, par conséquent, des
tentant de faire croire à une possible transparence gouvernements ne favorise guère, en outre,
de l’activité politique, en érigeant le secret en mode l’institutionnalisation d’un organe permanent. Il faut
de gouvernement à combattre mais également en attendre la Ve République, et le renforcement du
promouvant l’intérêt général par des campagnes pouvoir exécutif, pour que la communication
d’information visant à provoquer des changements gouvernementale s’assume comme telle, en dépit
de comportements de la population. Si l’« État d’une certaine instabilité que traduisent les
communiquant » est généralement considéré changements réguliers d’appellation : le Service de
comme un émetteur légitime, et ce d’autant que la liaison interministérielle à l’information (1963-1968)
« cause » défendue paraît à première vue laisse place au Comité interministériel de
désintéressée, le fait d’instrumentaliser une logique l’information (1968-1974), à la Délégation générale
publicitaire (le recours au slogan et la simplification à l’information (1974-1976), au Service
qu’il implique) peut prêter à confusion, obscurcir la d’information et de diffusion du Premier ministre
finalité ultime du message assimilable à de la (SID) (1976) devenu, en 1996, le Service
publicité commerciale, impression parfois renforcée d’information du gouvernement (SIG). L’évolution
par l’emploi de formules volontairement choc (« Un contemporaine témoigne de la progression de
verre ça va, trois verres bonjour les dégâts », « La l’intérêt pour la communication instituée en enjeu
sécu, c’est bien, en abuser ça craint », « les d’État et de la primauté exercée sur ce domaine,
antibiotiques, c’est pas automatique »), conçues comme dans d’autres, par le chef du gouvernement.
par les mêmes agences publicitaires qui conseillent La place prééminente du Premier ministre justifie
ordinairement les grandes marques. La désormais l’institutionnalisation d’une véritable
communication institutionnelle du gouvernement division du travail de communication au sein du
est, en outre, en permanence prise en tenailles cabinet, visant à unifier sa parole en tant que du
entre logique de séduction et logique de coercition, chef du gouvernement.
cherchant à atteindre, comme dans le cas de la Source : Daniel [1993] ; Nollet [2013].
sécurité routière, l’assentiment des automobilistes à
propos de la nocivité de l’alcool au volant, tout en
recourant, en parallèle, à la menace pour vaincre le
scepticisme des éventuels récalcitrants.
30
2. L’institutionnalisation de la premier temps, directement au service du public
communication publique des automobilistes en lui fournissant des
informations utiles pour ses déplacements (l’« info
Si la communication publique a pu longtemps faire trafic ») et la radio remplit parfaitement sa mission
figure de danger pour la démocratie, force est de de média de proximité en exerçant une véritable
constater que la situation a considérablement mission d’accompagnement, en proposant des
évolué, au point même de disposer aujourd’hui de programmes spécifiques. Le discours évolue
« théoriciens indigènes » de cette activité. nettement, à la fin des années 1990, n’hésitant plus
Quelques hauts fonctionnaires parmi lesquels à montrer du doigt certains conducteurs pour leur
Pierre Zémor (conseiller d’État, fondateur de inconduite au volant. Le réalisme des spots
l’association « Communication publique » télévisés, privilégiant désormais les images
regroupant les responsables de communication des « choc », prend le parti de mettre en scène les
divers « émetteurs publics », ancien conseiller catégories de la population les plus privilégiées qui
communication de Michel Rocard à Matignon) se trouvent être, au final, les moins concernées par
livrent désormais les clés de ce qu’ils entendent par les accidents mortels alors que les catégories
une communication publique « réussie ». Vantant populaires, davantage exposées, sont écartées car
les mérites de la participation des citoyens et jugées moins sensibilisées par la portée des
croyant déceler un « besoin » de feedback chez les messages.
gouvernants, ils érigent la communication en Source : Chupin et Hubé [2017] ; Grossetête [2011].
« partie intégrante de l’action publique » [Zémor,
2003], tentant même de subvertir la hiérarchie La promotion médiatique de toute action
administrative au sein de laquelle le poids des gouvernementale est devenue une préoccupation
communicants a longtemps pu paraître négligeable, continue assurant la visibilité sociale de l’action
même si la diffusion des impératifs managériaux et politique, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un
médiatiques au sein de l’État a largement contribué département ministériel placé au second plan,
à rehausser l’importance de leurs fonctions [Nollet, comme l’Environnement ou la Ville par exemple,
2006]. Loin de se cantonner à des personnages de jusqu’à constituer parfois le principal élément
second plan, annexes dans les processus de d’appréciation du ministre [Riutort, 2005]. Loin
décision politique, les conseillers en communication d’être réductible aujourd’hui à une activité
sont désormais étroitement associés, en tant secondaire, la communication peut constituer, ne
qu’experts de l’« opinion », à l’adoption des serait-ce qu’en ayant à l’esprit les « effets
mesures importantes, particulièrement lors de la d’annonce », une mobilisation constante des
gestion des crises — comme celle, emblématique, énergies d’un département ministériel. La mise en
de la « vache folle » [Nollet, 2014] ou encore de la place d’un Service d’information et de
grippe A (H1N1) [Ward, 2018]. communication (Sicom) au sein du ministère des
Affaires sociales en 1990 en témoigne [Lévêque,
Surveiller et prévenir : informer sur la sécurité 1993]. Fruit d’un redéploiement de bureaux
routière préexistants (la division de la documentation des
publications et de l’information avec le bureau de la
L’information routière apparaît, par sa nature même, presse), l’existence même du Sicom atteste la
dépolitisée, en raison de sa vocation évidente de requalification symbolique de l’activité
promotion d’une cause d’intérêt général. De la radio communicationnelle érigée en impératif d’action
publique, dès les années 1950, au moment où la publique. Le choix de l’appellation
voiture commence à se généraliser comme moyen « communication » s’apparente ainsi pleinement à
de transport, jusqu’à la diffusion ultérieure de spots un acte d’institution légitimant, au sein d’un
télévisés, l’information routière se mue en véritable ministère « technique », un nouvel espace de
cause nationale, tout en adaptant son discours aux compétences illustré par la position éminente
circonstances. L’État se place ainsi, dans un conquise au sein de l’organigramme. Un autre
31
exemple de la promotion des impératifs 3. De la communication locale à la
communicationnels est fourni par l’évolution des communication européenne
objectifs de politique sanitaire au sein du ministère
de la Santé. La conversion d’une éducation Le développement des compétences des
sanitaire en une éducation « pour la santé » invite à collectivités locales, depuis les lois de
envisager l’éventualité de « risques de santé » et à décentralisation de 1982, a érigé la dimension
tenter de convaincre la population dans son gestionnaire en qualité de l’élu local. Homme de
ensemble. Le recours régulier de la part du dossier et « entrepreneur », l’édile se transforme en
ministère, depuis le début des années 1970, à « communicant » célébrant les réalisations
divers experts, notamment en communication, territoriales qu’il se doit de personnifier. Ce souci de
parmi lesquels Émeric Deutsch (psychosociologue, promotion de soi encourage la professionnalisation
mais surtout président de Sofres-communication), a de la communication des collectivités territoriales :
grandement facilité la mutation. Le Comité français cette tâche longtemps jugée subalterne, confiée par
d’éducation pour la santé (CFES) créé pour l’élu à un militant en échanges de bons et loyaux
l’occasion est ainsi muni de deux services clés : le services, n’échappe plus guère aujourd’hui aux
« département études et recherches » et le spécialistes en « communication locale » [Legavre,
« département communication », chargés de mettre 1989]. La production du discours de légitimation
en œuvre les campagnes audiovisuelles, locale se confond la plupart du temps avec une pure
particulièrement celles axées sur la lutte contre le et simple célébration du territoire, comme l’illustrent
tabagisme. L’avènement de nouveaux dispositifs de à merveille les bulletins municipaux [Le Bart, 2000].
santé publique cherchant à accroître le degré Cette vision pacifiée et en grande partie
d’autocontrainte érigé en preuve d’autonomie désidéologisée de l’univers politique, si elle renoue
individuelle (« Une cigarette écrasée, c’est un peu avec des ressorts classiques de l’apolitisme de l’élu
de liberté gagnée » en 1978) a débouché sur la local, ne saurait pourtant s’y réduire. La légitimité
multiplication des dispositifs techniques de contrôle politique dont l’élu se prévaut repose, davantage
de l’action publique (comme le tableau de bord encore dans les petites agglomérations (mairie plus
censé rendre compte des résultats des campagnes que conseils généraux ou régionaux), sur la
et, en parallèle, de l’évolution du nombre de maîtrise pratique d’une image publique et
fumeurs au cours du temps), preuve d’une assez notamment par une présence physique régulière
large confiance envers les « effets » de la publicité, dans la presse régionale, comme l’atteste le rituel
quitte à les réorienter, dans un second temps, afin de « la photographie de l’élu en représentation »
de privilégier les messages portant sur l’estime de (inaugurant un édifice, participant à un vin
soi de l’individu (le pastiche du cow-boy Marlboro, d’honneur, accueillant une éminente personnalité)
devenu non fumeur en 1991, détournant l’image [Hélias, 1994 ; Le Bohec, 1994].
classique du western et l’audace généralement
attribuée au tabac, avec son slogan « Fumer, c’est La proximité, une idéologie territoriale ?
pas nature ») [Berlivet, 2004]. Ces exemples aident
à comprendre à quel point, d’activité dominée tenue Divers scrutins locaux ont pu être interprétés, telles
pour négligeable, la « communication publique » a les élections municipales de 1989, comme la
pu, dans les dernières décennies, se « revanche du local », ou encore celles de 2001,
métamorphoser en un des principaux impératifs de comme le « succès de la “génération terrain” »
l’action publique et une modalité centrale de [Lehingue, 2005]. Produit à la fois d’une
légitimation du pouvoir politique [Aldrin, Hubé, distanciation objective de l’élu envers ses
Ollivier-Yaniv et Utard, 2013]. administrés en raison de l’élévation du recrutement
social des élus locaux comme de la nécessité de
renouer avec sa « base électorale », la proximité a
été progressivement érigée — et même théorisée
par un Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin — en
32
nouvelle « loi » d’action politique. Cette rhétorique recomposition des territoires, à l’image du
qui privilégie en toutes circonstances la regroupement de communes, l’édification d’une
connaissance immédiate (le « vécu ») sur la prise identité locale stabilisée, tel le « modèle angevin »
de distance technocratique (que symbolise, avec [Teillet, 2005], facilite, grâce à l’invocation
toutes les tares qui lui sont prêtées, le « savoir d’expressions « magiques » (la prétendue
expert ») se décline désormais à tous les niveaux « douceur angevine »), l’adoption d’un projet
du champ politique. Ratifiant, sans examen, d’agglomération. Simple cosmétique de l’action
l’existence d’une crise de la représentation publique locale, cette production symbolique n’en
politique, cette vision, émanant d’acteurs souvent réussit pas moins le prodige d’attribuer par ricochet
éminents du jeu politique, érige la proximité en aux électeurs (l’attachement au « mode de vie à
sésame. L’invocation de la « France d’en bas » dont l’angevine ») les choix politiques de leurs élus.
se réclamerait l’élu « de terrain » contre les
« élites » (la stigmatisation de l’ENA devient Au niveau européen, la communication est, tout
topique, y compris par certains de ses anciens autant que sur le plan local, devenue un impératif
élèves), l’appel à la compétence postulée de institutionnel fortement ancré neutralisant toute
« citoyens-experts » (Ségolène Royal) se réclament représentation idéologique autre que celle visant à
du « pragmatisme » et tournent le dos aux célébrer pour elle-même l’« idée européenne ».
« idéologies » jugées « dépassées », quitte à en Force est de constater — en dépit des fantasmes
promouvoir une nouvelle, le « proximisme », de doxosophes, occupés à scruter l’« opinion
nouveau canon à partir duquel toute action politique publique européenne » afin d’espérer un jour la
gagnerait à être jaugée. faire éclore [Reynié, 2005] alors que, sous la forme
Source : Lefebvre [2005]. des « Eurobaromètres » promus par la
Commission, elle s’apparente bien davantage à un
La promotion du territoire peut donner lieu à de coup de force politique qu’à une réalité tangible
pénibles contorsions pour se métamorphoser en un [Aldrin, 2010] — que l’existence d’un « espace
discours politique cohérent, débouchant sur la mise public européen » [Baisnée, 2004] relève pour
en œuvre de politiques publiques, comme l’atteste l’instant davantage d’une croyance collective auto-
le projet de la région PACA (Provence-Alpes-Côte entretenue et de la juxtaposition d’espaces
d’Azur) axé sur la notion de « Méditerranée » nationaux que d’une réalité tangible faisant office de
[Visier, 2005]. Il s’agissait, à l’origine, de construire « météorologie de l’opinion » servant de guide pour
une riposte à la popularisation du « choc des l’action publique communautaire.
civilisations » et de défendre la diversité d’origine
des populations en tant que « richesse collective ». II. Le métier de communicant
Cette mise en récit du territoire glorifié pour son politique
exemplarité de « concorde » n’en débouche pas
moins sur une conception politique malléable et 1. Origines d’un « métier »
réappropriable par de multiples acteurs : pari
électoralement risqué dans une région où le Front La profession de spécialiste en communication
national constitue un adversaire avec lequel il faut politique est, à l’origine, tout comme l’activité de
compter, notion difficilement convertible en mesures sondeur, un produit d’importation en provenance
précises, ce discours finit, au bout du compte, par des États-Unis. L’avènement de conseillers chargés
produire une « communauté politique » territoriale à de la communication des candidats et des élus
destination de l’« extérieur », la Commission
repose sur une transposition de savoir-faire issus
européenne en l’occurrence, dans une conjoncture du marketing, à un point tel qu’ils peuvent être
où la constitution d’un hypothétique « arc désignés comme des héritiers en ligne directe des
méditerranéen » représente un enjeu décisif. professionnels des relations publiques [Nimmo,
1970]. L’organisation des campagnes
Dans une configuration locale marquée par une
33
présidentielles américaines a favorisé, dès la fin du dépenses électorales et où les trois quarts d’entre
xixe siècle, le développement d’un « style elles proviennent de fonds privés. En 2012, les
marchandisé » [Perloff, 1999] de campagne campagnes respectives des deux candidats Barack
électorale, ce dont témoignent déjà les élections Obama et Mitt Romney ont dépassé le milliard de
présidentielles. Cette « colonisation » [Wring, 1999] dollars. La somme a triplé en 2016, lors de l’élection
des campagnes électorales par le marketing qui a vu s’opposer Hillary Clinton et Donald Trump.
politique n’a cessé de se renforcer tout au long du Une part croissante des dépenses sont liées à la
xxe siècle. Primitivement instauré par les publicité politique, notamment télévisée, autorisée
conservateurs aux États-Unis, comme par ailleurs aux États-Unis (les spots négatifs, introduits en
en Grande-Bretagne, le recours aux conseillers en 1956, cherchent, par exemple, à déconsidérer
communication s’est progressivement étendu à l’adversaire politique) ainsi qu’à la rémunération des
l’ensemble des candidats, à la Maison Blanche conseillers en communication. Les médias, et
comme au Sénat et à la Chambre des particulièrement les télévisions, font figure de
représentants. L’élection de Kennedy en 1960 a, de principaux bénéficiaires du scrutin. Cette évolution,
ce point de vue, constitué un symbole visible qui favorise les « grands » candidats capables de
(devenu un mythe indigène) de la montée en lever des fonds considérables en offrant aux
puissance des communicants dans le jeu politique, contributeurs l’éventualité d’un « retour sur
crédités désormais de la capacité à « fabriquer » un investissement », encourage un recrutement
président [White, 1961]. La croissance numérique ploutocratique du personnel politique, à la manière
des consultants s’est accompagnée d’une de l’« indépendant » Ross Perot, candidat à la
accentuation de la division du travail entre présidentielle américaine de 1992, et, bien
spécialistes (sondeurs, anciens journalistes évidemment, de Donald Trump, qui affirmait avoir
reconvertis dans le training des hommes politiques réglé près du tiers de ses dépenses de campagne
à l’univers des médias, conseillers « image »…) au moyen de sa fortune personnelle. Ces évolutions
jusqu’à être érigée en progrès des régimes témoignent de la délégation accrue des activités de
démocratiques [Nimmo, 1970]. L’une des campagne à des sous-traitants, parmi lesquels les
spécificités du système politique des États-Unis est conseils en communication figurent en bonne place,
d’avoir érigé très tôt les consultants en vedettes même si les réseaux sociaux ont joué un rôle
médiatiques quittant les coulisses pour rejoindre particulièrement efficace dans la victoire du
l’avant-scène (à la manière de James Carville, le candidat Obama en 2008, comme dans celle de
conseiller de Bill Clinton, de Karl Rove, celui de Trump de 2016, au cours de laquelle la diffusion de
G.W. Bush, ou encore de Philip Gould, celui de Tony fake news a contribué activement à la
Blair) et devenant les sources d’information disqualification de son adversaire [Rebillard, 2017].
privilégiées et permanentes des journalistes. L’un Sources : Lee Kaid [1999] ; Serfaty [2009].
des effets mesurables de la généralisation des
entreprises de conseil en communication politique Splendeur et décadence des spin doctors
est d’avoir largement contribué à l’inflation des
coûts des campagnes électorales aux États-Unis L’appellation spin doctor désigne aux États-Unis le
comme ailleurs. conseiller en communication politique. Si la fonction
a fait son apparition dès les années 1930 et a été
Coûts des campagnes électorales et généralisée au cours des années 1960,
communication politique l’expression ne se diffuse dans le débat public qu’à
partir de l’élection présidentielle de 1984 qui a
L’inflation des frais de campagne semble se vérifier opposé R. Reagan à W. Mondale. L’origine de la
dans l’ensemble des démocraties représentatives formule mérite le détour : l’adjectif spin fait allusion
contemporaines et tout particulièrement aux États- à l’effet donné à une balle de tennis ou encore à la
Unis, où, à la différence de nombreux pays comme rotation de la toupie. Ces images évoquent les
la France, il n’existe pas de plafonnement de effets de mise en scène dont les spin doctors
34
rivalisent dans la promotion des candidats qu’ils International Association of Political Consultants,
conseillent. Autrefois anciens journalistes exerçant fondée à l’initiative de Joseph Napolitan et de
gracieusement leur expertise au profit d’une Michel Bongrand, regroupant plus d’une centaine
personnalité politique proche, à la manière de de membres en 2000) et en se dotant d’une
Pierre Salinger dans l’entourage de Kennedy en association professionnelle en 1969 (qui compte
1960, ils se consacrent désormais à temps plein à aujourd’hui plus de 800 membres) ainsi que d’un
ce « métier » et se voient attribuer par les médias, code déontologique en 1975.
en cas de réussite de leur « champion », les
mérites : il en a été ainsi aux États-Unis pour Karl L’acclimatation du « métier » de conseil en
Rove, principal conseiller auprès de G.W. Bush et communication politique en Europe, notamment en
inspirateur de ses deux campagnes présidentielles, France, ne peut paraître en comparaison que lente
comme pour Alastair Campbell en Angleterre, le et laborieuse. Cette activité s’est heurtée aux
conseiller « image » de Tony Blair. Les spin doctors résistances analogues à celles qui ont pesé sur
apparaissent régulièrement dans les médias en tant l’introduction des sondages (d’intention de vote et
qu’invités des émissions politiques et des talk- d’opinion) : si, en effet, le premier institut, l’IFOP, est
shows mais sont également représentés désormais créé en 1938 par le psychosociologue Jean
dans les films (Wag the Dog de B. Levinson (1997) Stoetzel, il faut attendre le milieu des années 1960
met en scène un président des États-Unis aux abois pour que leur irruption dans la vie politique soit
manipulant le public pour assurer sa réélection à perceptible [Blondiaux, 1998]. Les professionnels
l’aide de deux professionnels des médias incarnés de la communication politique ont également été
par Robert De Niro et Dustin Hoffman) et dans les placés en situation d’inventer leur propre rôle
fictions et séries télévisées (comme les séries [Legavre, 1993] en mettant l’accent, au fur et à
humoristiques américaines À la Maison-Blanche et mesure de leur émergence, sur la « contribution
Spin City, qui visent à dévoiler les coulisses de la fonctionnelle » qu’ils se faisaient fort d’exercer, en
politique, et celles qui se veulent réalistes comme la rapprochant les gouvernants des « attentes » des
Danoise Borgen ou la Française Baron noir). gouvernés. Sur ce point, les communicants
Certains auteurs et parfois des communicants eux- politiques ne se distinguent guère des autres
mêmes [Millot, 2012 ; Benedetti, 2017] n’hésitent professions de service étudiées par les sociologues
cependant pas à prédire un reflux pouvant conduire interactionnistes, notamment E. Hughes [1970],
à la « mort des spins » en estimant que cherchant patiemment à établir un monopole en se
l’engouement suscité, particulièrement dans la vie démarquant de professions plus établies qu’elles.
politique anglo-saxonne, ne saurait masquer le En ce sens, la formule de Hughes selon laquelle les
discrédit en cours, comme les désillusions membres des professions ne se borneraient pas à
provoquées par les « excès » de mises en scène offrir un service mais définiraient les besoins
communicationnelles du blairisme pourraient en mêmes qu’ils servent pourrait avoir été inventée
témoigner ou encore la décision de la part de Havas pour les conseils en communication. Activité
Worldwide (ex-Euro RSCG) de mettre en sommeil longtemps déniée y compris par ses promoteurs,
son activité de conseil politique à la suite des elle s’est longtemps exercée, en France, à titre
péripéties médiatiques de l’« affaire Strauss- « amateur » par des sondeurs ou des journalistes
Kahn ». alliés des politiques qu’ils conseillent, à la manière
Source : Pitcher [2003]. de Roland Cayrol (politologue et directeur de
l’institut CSA) [1986] œuvrant, selon ses dires,
Dès les années 1970, une enquête portant sur 360 auprès de Michel Rocard, dans les années 1970, à
firmes révélait que la moitié d’entre elles réalisait « traduire en français » le discours politique du
plus de 50 % de leur chiffre d’affaires avec le conseil PSU.
politique [Sabato, 1981]. La profession a été
conduite à s’organiser aux États-Unis en lançant Le succès rencontré depuis lors par l’activité de
une association internationale en 1968 (IAPC, conseiller en communication politique pourrait
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inciter à croire à l’histoire enchantée et rétrospective susceptibles de les orienter face à l’« opinion »
d’un « besoin » qu’aurait fait naître la télévision. [Champagne, 1990]. Cette évolution semble plus
Cette histoire indigène, comme toute idéologie tardive en France qu’ailleurs en Europe (notamment
professionnelle, repose en grande partie sur les en Angleterre ou en Allemagne) : ce n’est qu’en
intérêts croisés de ses promoteurs en quête d’un 1974 que l’Élysée se dote d’une « cellule
« moment fondateur » et d’un « inventeur » sondages » pilotée par Bernard Rideau et il faut
[Legavre, 2005]. Parmi les conditions qui ont rendu attendre le premier mandat de F. Mitterrand pour
possible l’avènement des métiers du conseil qu’une « cellule communication »
politique, les transformations du jeu politique ne s’institutionnalise, en 1984 [Guigo, 2019], confiée à
sont évidemment pas à négliger : l’avènement de la Jacques Pilhan (publicitaire, ancien collaborateur
Ve République et surtout, à partir de 1965, l’élection de l’agence RSCG, qui continuera à exercer,
du président de la République au suffrage direct, jusqu’à son décès en 1998, sa mission sous la
facilitent la formation d’un leadership partisan présidence Chirac [Bazin, 2009]) et Gérard Colé
(devenir « présidentiable »). Cette mutation légitime (qui exerçait déjà officieusement ce rôle auprès de
incontestablement l’initiative de médiateurs chargés F. Mitterrand avant 1981). Progressivement, les
d’intercéder entre le président (ou le présidentiable) conseillers en communication, à défaut de disposer
et l’« opinion », par-dessus le Parlement. Dans un d’une appellation d’origine contrôlée (les termes
premier temps pourtant, seuls des outsiders du jeu « communicant » et « communicateur » sont
politique osent recourir ostensiblement à des employés alternativement — « Tous ceux qu’on
conseillers en communication en en payant parfois emploie sont laids », confessait l’un de ses plus
le prix : la campagne de Jean Lecanuet, candidat notables représentants [Pilhan, 1995]), se sont
centriste à l’élection présidentielle, affublé du employés à se différencier d’éventuels concurrents
sobriquet de « Kennedy français » voire de « Dents « amateurs », comme les journalistes ou les
blanches » à force de sourire aux caméras, sondeurs : « La vérité est que le sondeur a été
orchestrée par Michel Bongrand (dirigeant de amené à jouer un rôle social qui l’a largement
l’agence publicitaire MBSA, qui conseille ensuite le dépassé », déplorait le même J. Pilhan qui
parti gaulliste ; pour un récit autobiographique, voir définissait ainsi le rôle du conseiller en
Bongrand [2006] et, pour une analyse, voir Pozzi communication : « Informer l’homme public qui va
[2019]), est décrite, sur le moment, comme une prendre une décision des conséquences dans
conversion à l’« américanisme » (même si son l’opinion qu’aura tel choix ou tel autre. » L’économie
relatif succès — 16 % des suffrages — a été du travail des auxiliaires politiques s’en trouverait
ensuite érigé en acte fondateur des bienfaits de alors établie : le sondeur scrute l’« opinion », le
l’action des communicants). De même, la conseiller en communication tente de l’infléchir et le
sollicitation par Michel Rocard de divers conseillers journaliste politique analyse les performances des
(notamment de Claude Marty, ancien publicitaire de professionnels de la politique. Ce partage des
l’agence TBWA, auteur du personnage imaginaire tâches harmonieux ne serait-il cependant pas un
« Madame Michu », censée incarner la Française peu trop idyllique ?
moyenne… à qui le professionnel de la politique est
censé s’adresser en priorité) lui fut abondamment La question des frontières : journaliste, sondeur,
reprochée au sein du Parti socialiste en tant que conseiller en communication ou politologue ?
dérive « américaine » vers l’« opinion ». Le
développement des activités de conseil en Ces activités qui, pour paraphraser Weber, ont pour
communication résulte d’une division croissante du point commun de vivre toutes, à leur manière, de et
travail politique et d’un souci de rationalisation des pour la politique ne sont guère cloisonnées en
intérêts en jeu. La lente mais irrésistible France avant la fin des années 1970. À partir de
consécration des sondages a rendu l’élection présidentielle au suffrage direct en 1965,
progressivement indispensable aux professionnels les présidentiables recourent volontiers à des
de la politique la mobilisation de savoirs experts conseillers susceptibles de les éclairer sur l’« état
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de l’opinion » et sur les manières d’appréhender les 2. Savoirs, savoir-faire et faire savoir
médias, notamment la télévision qui commence à
s’introduire dans les foyers. L’univers du conseil Hommes de l’ombre contraints d’ennoblir une
politique constitue alors un vaste terrain partagé activité qui a souffert des « tares » des origines
entre auxiliaires du jeu politique, hésitant d’autant — les techniques de la publicité et du marketing
plus entre ces divers univers professionnels qu’ils transposées au sein de l’univers politique ont été
paraissent voisins et compatibles, ainsi que les bien moins admises en France qu’aux États-Unis et
parcours très différents, en apparence, du politiste perçues comme un projet de réduction de l’homme
Frédéric Bon et du journaliste Alain Duhamel politique en vulgaire « marchandise » —, les
peuvent en témoigner. Si le chercheur en science « communicants » ont usé de la neutralité du terme
politique grenoblois trop vite disparu et l’éditorialiste « conseil » pour faire admettre leur spécialité
politique parisien multicartes ne sont à l’arrivée [Legavre, 1993]. Cette activité présente, en effet,
guère substituables, leurs débuts présentent un des contradictions difficilement surmontables qui
certain air de famille : intéressés l’un comme l’autre pèsent sur la définition même du « métier » et les
par les sondages (F. Bon est l’auteur de Les manières de l’exercer : cet acteur des coulisses est
sondages peuvent-ils se tromper ? en 1974), souvent tenté de passer de l’autre côté en
conseillers dans divers instituts qui se « montent » devenant, à son tour, un personnage public
au cours des années 1960 (A. Duhamel fait ses [Georgakakis, 1995] — et ce d’autant que les
débuts comme conseiller à la SOFRES), ils étudient médias l’y incitent avec insistance, ce qui ne saurait
et enseignent la science politique à l’IEP de Paris et parfois aller sans susciter de remous : de la Porsche
semblent hésiter entre la politique, le journalisme et « trop luxueuse » de Ramzi Khiroum (l’un des
la recherche. Si le premier publie en parallèle à ses dirigeants du groupe Lagardère, conseiller de DSK
activités de chercheur, avec le fondateur d’Actuel en précampagne), qui finit par devenir gênante pour
Michel-Antoine Burnier, divers pastiches et livres le futur candidat socialiste, en passant par la
humoristiques (de Roland Barthes sans peine à défense maladroite de Jacques Séguéla (« Si, à
Que le meilleur perde) et conseille à titre « amical » 50 ans, on n’a pas une Rolex, on a tout de même
Michel Rocard, tout en devenant un spécialiste de raté sa vie ») du président en exercice Nicolas
la méthodologie des sondages et des discours Sarkozy accusé de comportements « bling bling ».
politiques, le second, essayiste à gros tirages et L’auteur présumé du slogan de F. Mitterrand en
intervieweur attitré des politiques à la télévision et 1981, « La force tranquille », le publicitaire Jacques
sur les ondes, peut revendiquer le titre envié de Séguéla, a pu symboliser à lui seul ce phénomène
« politologue » auprès de ses confrères en devenant, à force d’autocélébration, parfois plus
journalistes. L’entrecroisement est alors tel entre les célèbre que les politiques qui recourent à ses
univers restreints du journalisme politique, des services. Agents de domination dominés [Legavre,
sondages et de la recherche en science politique 1993], lorsqu’on les compare à d’autres conseillers
que ces activités multiples peuvent s’exercer politiques (comme les membres des grands corps
conjointement. Ce n’est que dans une autre de l’État, par exemple), les spécialistes en
conjoncture, lorsque les frontières se sont communication sont, en outre, structuralement
(partiellement) consolidées — tant au sein de la placés dans une situation inconfortable : sommés
science politique, à partir du milieu des années de rassurer l’homme politique sur sa grandeur, de
1970, que du journalisme politique et du métier de lever les doutes et de dissiper les inquiétudes, ils se
sondeur qui disposent désormais de formations doivent d’inventer des artifices (modifier le « look »,
spécifiques —, que de telles trajectoires peuvent alléger le vocabulaire…) afin de le faire paraître plus
paraître rétrospectivement originales. naturel, et de s’interposer entre lui et les électeurs
Sources : Legavre [1992] ; Riutort [1997]. pour mieux les rapprocher les uns des autres
[Memmi, 1991].
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Sorcier et/ou conseiller ? l’une des principales missions du conseil en

communication est d’assurer pleinement une
L’efficacité symbolique des conseillers en communication résolument « nouvelle » en
communication repose sur la croyance accordée à direction des « gouvernés ». Il s’agirait alors, selon
leurs prédictions : selon la célèbre formule de Lévi- un credo qui se mue volontiers en novlangue, de
Strauss, « Quesalid n’était pas un grand sorcier transformer le jeu politique en soumettant l’univers
parce qu’il guérissait ses malades, il guérissait ses de la politique aux « lois » de la communication
malades parce qu’il était devenu un grand sorcier ». (simplifier le langage et les stratégies de
Cette réflexion a été prolongée par Geschiere qui a présentation de soi mais aussi transcender les
rapproché les spin doctors des witch-doctors clivages en pratiquant la « triangulation » qui
(guérisseurs, en l’occurrence africains) : le parallèle consiste, à la manière des arts martiaux, à
a priori inopiné opéré entre les adeptes de s’approprier les arguments de l’adversaire afin de
l’occultisme exorcisant les peurs au sud-est du les retourner contre lui) : si ces visions ne peuvent,
Cameroun et les communicants du président à coup sûr, s’imposer — lorsqu’il s’agit, par
Clinton présente l’intérêt de souligner, en dépit des exemple, de promouvoir un outsider, à l’exemple
différences évidentes des deux activités, le recours d’un Bernard Tapie, crédité et suspecté d’une
commun au registre magique (le spin doctor capacité de déstabilisation du jeu politique dans son
récemment nommé déclare qu’il œuvre à ensemble [Riutort, 2006] —, elles tendent à se
« renverser la malchance du président »), l’aspect diffuser au sein d’un univers politique désormais
« mercenaire » qui peut les conduire fréquemment présenté par les communicants comme régi par la
à changer de camp (le spin doctor ne saurait télévision, orienté par un souci partagé de
longtemps poursuivre son activité sans diversifier participation et marqué par une quasi totale
ses clients potentiels), la croyance en des indifférence idéologique partagée par les électeurs
méthodes infaillibles constitutives de son expertise [Legavre, 1999]. En dépit de l’engouement qu’ils
(le spiritualisme pour les guérisseurs et la technique suscitent, le rôle des spin doctors reste
des sondages pour les spins). L’analogie intrinsèquement fragile et encore fréquemment, à la
savoureuse et instructive souligne bien que le culte manière des communicants du secteur agricole,
de la publicité dans l’Occident « rationalisé » (dont faiblement autonome des journalistes, dont ils
la publicité politique n’est qu’un prolongement) n’est demeurent bien plus associés que rivaux, en
au fond pas si différent que cela de l’art des nganga somme [Chupin et Mayance, 2013]. Placés dans
dont la fonction est de protéger les dirigeants l’obligation de devoir croire et faire croire en la force
politiques africains contre de maléfiques actes de du discours politique, ils doivent se contenter
sorcellerie. d’observer en spectateurs (certes aux premières
Source : Geschiere [2001]. loges) les actions politiques — même s’ils
revendiquent volontiers les mérites des « coups
L’attribution par le politique d’un savoir pratique à d’éclat » de leurs protégés. Leur position
l’homme de communication dans la saisie des ambivalente — partagés entre la politique et la
« attentes » de l’« opinion publique » est renforcée communication [Riffault, 2017] — justifie la tentation
aujourd’hui par la croyance largement partagée en fréquente de « sauter le pas » et de faire usage pour
l’existence d’une « crise de la démocratie leur propre compte de leur connaissance indigène
représentative » [Neveu, 1992 ; Lacroix, 1994], du jeu politique [Legavre, 1996], comme de
laquelle, loin de relever de l’évidence, requiert un nombreux exemples l’attestent : de Michel Noir,
travail collectif de mobilisation d’acteurs qui, ancien maire de Lyon et pionnier du conseil en
scrutant avec soin les indices qu’ils élaborent (la communication politique, auteur d’un des premiers
baisse de la participation électorale, la progression « manuels » pratiques au titre évocateur (Comment
des « votes extrêmes »…), s’ingénient à délivrer réussir une campagne électorale ? Suivre l’exemple
après coup « leurs » solutions. Dans ce contexte, américain, 1977), jusqu’à l’ancien Premier ministre
Jean-Pierre Raffarin (ancien directeur général de
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Bernard Krief Communication), nombreux sont les communication politique entretient des liens ténus
anciens conseillers en communication (Thierry avec le monde des affaires où se concentrent les
Saussez, Michel Bongrand, Bernard Brochand…) à clients de grande envergure et les budgets les plus
avoir tenté leurs chances en politique, avec, il est importants : l’essentiel des chiffres d’affaires,
vrai, des fortunes diverses. comme par ailleurs pour les entreprises de
sondage, repose sur les liens structurels établis
Ressources de « communicants » avec les grands patrons adeptes d’interlocuteurs
fiables, capables de leur prodiguer, en cas de
Force est de constater, en dépit de la revendication besoin, des « éléments de langage »
de professionnalisation croissante des principaux indispensables lors d’une « communication de
acteurs de la communication politique, la diversité crise ». La multipositionnalité des conseillers en
des trajectoires qui conduisent toujours aujourd’hui communication politique, partagés entre l’expertise,
à cette activité. Une connaissance intime, parfois un la politique et les affaires, constitue un gage de
passé de militant, se révèle particulièrement utile longévité professionnelle au sein d’un univers
pour saisir les ressorts du monde politique extrêmement compétitif et offre parfois des
(Stéphane Fouks, patron de Havas Worldwide promesses de reconversion (à la manière de
— ex-Euro RSCG —, a fait ses premières armes l’ancien journaliste de L’Humanité Jean-Luc Mano,
dans l’entourage de Michel Rocard ; Bastien Millot, devenu conseiller de ministres UMP, ou, en sens
fondateur de sa propre entreprise, a été membre du inverse, de Laurent Solly, ancien conseiller de
cabinet de Jean-François Copé ; Anne Méaux, Nicolas Sarkozy, devenu, en 2007, directeur de la
créatrice d’Image 7, a été militante d’extrême droite régie publicitaire de TF1 et en 2013 DG de
à la fin des années 1960 avant de rejoindre l’équipe Facebook France).
de campagne de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 ; Sources : Gorius, Moreau [2011] ; Vielcanet [2011].
Gaspard Gantzer, membre du Parti socialiste,
énarque, a été tour à tour proche de Ségolène III. L’« américanisation » de la
Royal et de Dominique Strauss-Kahn avant d’être communication politique
en charge de la communication de François
Hollande, à l’Élysée). À cet ingrédient indispensable Le développement rapide de l’activité de conseil en
s’ajoute une connaissance quasi intuitive de communication politique aux États-Unis, dès la
l’opinion, que leur prêtent les politiques, première moitié du xxe siècle, a contribué, de fait, à
appréhendée sous différentes formes : de la qualité ériger ce modèle professionnel en norme
d’analyse imputée par Nicolas Sarkozy à l’historien d’excellence revendiquée par divers
devenu commentateur de sondages Patrick « importateurs » jouant de la connivence avec la
Buisson (par ailleurs ancien collaborateur du journal « modernité » d’outre-Atlantique. Le devoir
d’extrême droite Minute), « pronostiquant » la d’américanisation repéré par L. Boltanski dans Les
victoire du « non » lors du référendum européen de Cadres (1982), à propos de l’acculturation au
2005, à la dissection minutieuse des données management « à l’américaine », se vérifie
« quali » ou « quanti » (l’ancien directeur général pleinement ici. L’équivalence entre conseil en
d’Ipsos France, Pierre Giacometti, a créé en 2008 communication et américanisation est telle que les
son propre cabinet de conseil qui comptait l’Élysée controverses académiques portant sur le degré de
comme principal client sous la présidence Sarkozy ; professionnalisation de cet univers (et
Ismaël Emelien, membre de l’équipe des « strauss- l’établissement d’une frontière, au moins
khaniens », commence sa carrière comme symbolique, avec d’autres mondes sociaux
consultant chez Havas avant de rejoindre proches) évitent rarement l’évocation du « cas
Emmanuel Macron, d’abord à Bercy, puis à états-unien », à l’aune duquel les diverses
l’Élysée), ces éléments témoignent de la porosité de communautés de communicants sont évaluées.
l’univers des études d’opinion et du conseil en
communication politique. Enfin, le conseil en
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1. Une inexorable professionnalisation ? âge pourrait paradoxalement entretenir certaines
affinités avec le premier en encourageant des
La professionnalisation de la communication micro-ajustements de l’offre politique à destination
politique procède, de la part des politiques, d’un de publics restreints, clairement identifiés, comme
souci d’anticiper les effets éventuels de leurs prises la campagne Obama de 2008 a pu en témoigner
de position publiques, relayées par les médias. Cet [Pacewicz et Ollion, 2009]. L’un des mérites de cette
impératif de contrôle des possibles conséquences analyse est d’émettre de sérieux doutes sur
médiatiques d’un acte politique (un discours, une l’existence de tendances univoques (l’affirmation
mesure gouvernementale, un élément d’une « loi générale ») qui saisiraient l’évolution du
programmatique) est de nature à orienter la conseil comme de la vie politique.
conduite même des choix politiques (discours,
orientations et politiques publiques). La dévaluation Cette « professionnalisation » accrue de la
des techniques insérées dans un cadre territorialisé communication politique peut toutefois
(désormais qualifiées de « prémodernes », s’accompagner — sans qu’elle en soit évidemment
fortement « intensives en travail » : recourir aux la seule responsable — d’une homogénéisation des
militants, privilégier le contact direct et l’« intuition », messages politiques élaborés dans l’entourage des
en dépit d’une efficacité peu démentie au plan local) leaders (comme les campagnes électorales de
au profit de techniques « fortement intensives en Blair, Schröder ou Jospin l’ont pleinement illustré
capital » [Farrel, 1996] au sein d’un cadre dans les années 1990 et 2000, avec en point de
déterritorialisé (le pays dans son ensemble pour mire celles de Clinton) : c’est ainsi qu’en Angleterre
une élection présidentielle, voire une stratégie l’adoption croissante de techniques issues du
d’ensemble pour des élections législatives) accroît marketing a pu relever davantage de l’initiative du
fortement la dépendance des politiques envers les gouvernement Blair [Schlesinger, 2009] et de
communicants, (seul) filtre par lequel ils accèdent à l’accès de ses principaux conseillers en
une représentation des attentes des électeurs, ce communication à des postes de premier plan au
qui justifie leur intégration croissante aux états- sein du COI (Central Office of Information) et du GIS
majors de campagne [Nelson, 1998]. Dans une (Government Information Service) que de celle d’un
étude inscrite dans une perspective comparatiste, parti travailliste nettement plus réservé [Franklin,
Pippa Norris [2000] a pu, pour rendre compte des 1998]. La thèse de la « professionnalisation »
changements structurels de la communication croissante de la communication, si elle a l’intérêt de
politique, repérer trois âges : les campagnes souligner le détachement progressif — et exigé au
prémodernes (l’instauration du suffrage universel moins symboliquement — envers l’univers du
dans les années 1960) reposant sur une dimension marketing et de la publicité, colporte néanmoins
locale, un leadership partisan et une communication certains présupposés [Negrine et Lilleker, 2002].
interpersonnelle entre élus et électeurs ; une Elle pourrait s’apparenter à une pure et simple
communication moderne (à partir des années 1960) illusion lorsqu’on se penche sur l’extrême volatilité
marquée par une externalisation des tâches de des « savoirs » mis en œuvre par les communicants
communication confiées à des conseillers et des (rapidement dévalués en cas d’échec électoral, par
sondeurs en relation directe avec les états-majors exemple). Ces éléments jettent le doute sur
partisans ; la communication postmoderne, qui l’attribution rapide du label « professionnel »,
serait en train de s’imposer, est liée à la généralement revendiqué par les métiers récents
fragmentation des audiences politiques que rend qui renvoient au néant — autrement dit à
possible la multiplication des canaux de diffusion l’amateurisme — les activités qui les ont précédés.
des informations politiques (d’Internet aux À distance du discours indigène des communicants,
télévisions locales en passant par les blogs) et Negrine et Lilleker estiment, à partir du cas anglais,
encourage le narrowcasting (le ciblage fin des que les pratiques professionnelles ont, en fait, peu
publics par les programmateurs de télévision et des évolué durant les trente dernières années, ce qui
catégories d’électeurs par les politiques). Ce dernier rendrait illusoire la fixation d’une ligne de
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démarcation entre l’« âge de l’amateurisme » et multiplicité de programmes médiatiques, mais à lui
l’« ère de la professionnalisation ». interdire l’accès du prime time, pour cause de faible
audience ; de ce qui précède découlerait une
Ce processus de « professionnalisation » — au évolution dans les manières de « consommer »
sens restreint d’autonomisation — de la médiatiquement la politique, qui se présente de
communication politique n’en est pas moins analysé moins en moins comme un sujet sérieux
souvent comme un indice d’une « crise de la nécessitant un engagement civique de la part du
communication politique », à laquelle s’adjoindrait récepteur. Un quatrième âge [Blumler, 2016] se
une « crise de la citoyenneté » [Blumler, 1997] : dessinerait même avec la généralisation d’Internet,
dans ce type d’analyse, divers indices de défiance caractérisé par la prolifération des flux
que manifesteraient les citoyens à l’égard des d’information, une fragmentation en parallèle des
professionnels de la politique (mesurés aussi bien audiences et des publics, le recours croissant à
par l’abstention, la montée des votes extrêmes, la l’expertise, mais également… une attitude
faible écoute des émissions politiques télévisées) dubitative de plus en plus explicite des publics à
sont perçus comme autant d’« effets » résultant l’égard de la fiabilité des informations.
d’une professionnalisation « excessive » de la
communication, provoquant une déconsidération Qu’est-ce qu’une campagne électorale ?
générale de l’activité politique. En prolongeant cette
perspective, Blumler et Kavanagh [1999] proposent La généralisation des schèmes de pensée issus de
un spectre de l’histoire de la communication la communication politique pourrait hâtivement
politique marqué par la succession de trois laisser croire à une brusque accélération des
périodes : le premier — révolu dès les années temporalités politiques que symboliserait, à partir de
1960 — aurait été marqué par la stabilité des l’entrée en campagne, l’attention soudaine que les
préférences politiques (mesurable par la stabilité électeurs accorderaient aux candidats. Cette vision
électorale) comme par une vie politique organisée demeure cependant contestable sur bien des
autour des partis et de l’enceinte parlementaire. Le points : elle néglige le fait que le travail politique (de
deuxième âge émergeant au cours des années l’élu) est permanent afin de s’assurer le contrôle de
1960 (et qui s’est accompagné de la diffusion de la « son » territoire. Si les campagnes électorales
télévision dans les foyers) s’inscrirait en rupture peuvent s’apparenter à des « moments
avec le précédent en raison de l’essor d’un institutionnellement consacrés d’une rencontre
« électorat flottant » et de la transformation des entre spécialistes et profanes du politique » [Gaxie
organisations partisanes (à la recherche d’un leader et Lehingue, 1984], elles prennent toute leur
« passant » bien dans les médias) tournées vers la signification dans le temps long (celui de la
nouvelle arène politique constituée par la télévision socialisation politique et des relations sociales
qui supplante les autres lieux politiques. Le établies de longue date entre élus et électeurs qui
troisième âge est marqué par une surabondance de passent aussi par la circulation directe de rumeurs
la communication politique en raison de la profusion et de croyances réactivées) et ne sauraient se
de l’offre médiatique que caractériseraient cinq réduire à la seule réactivité immédiate des électeurs
principaux traits : une professionnalisation accrue aux effets conjoncturels de l’offre politique. Des
des conseils en communication tenus pour travaux invitent à déconstruire la notion de
indispensables par les politiques ; un « campagne électorale » qui revient trop souvent à
accroissement sensible des stratégies de accepter sans rechigner une imposition de
communication des sources politiques elles- problématique produite par les médias et les
mêmes ; la diffusion d’une humeur « antiélitiste » candidats (l’exceptionnalité du temps court de la
dans les médias — notamment dans les talk-shows campagne) au lieu de se saisir de ce moment de
politiques qui ont proliféré dans les pays anglo- ressourcement symbolique de la légitimité politique
saxons ; l’avènement d’une « diversification pour interroger la multiplicité des rapports à la
centrifuge » qui tend à diluer la politique dans une politique des citoyens ordinaires ainsi que les
41
variations des relations d’échange — et leurs solides fondements dans la montée en puissance
réaménagements contemporains — établies entre de la communication politique. Norris s’inscrit en
élus et électeurs. faux contre cette thèse en osant même avancer
Sources : Restier-Melleray [2002] ; Aldrin [2003]. l’avènement d’un « cercle vertueux » [2000] de la
communication politique postmoderne : pour elle,
Ce genre de description à gros traits présente le en dépit du discours catastrophiste des intellectuels
mérite de faire ressortir les saillances des mutations sur la tabloïdisation et l’infotainment, l’information
contemporaines, en évitant les naïvetés des politique n’a cessé de progresser en qualité comme
approches qui croient percevoir des signes de en quantité (ce qui s’explique tant par l’offre — la
repolitisation et de réconciliation du « populaire » multiplication des canaux et des réseaux — que par
avec la « politique » dans les talk-shows [Brants, la demande — l’élévation du niveau d’éducation de
1998], qui pourtant diluent tant qu’ils le peuvent le la population) et s’adresse à un public de plus en
contenu politique afin de le rendre soluble dans le plus large. Prenant le cas de l’information politique
divertissement [Neveu, 2003 ; Leroux et Riutort, consacrée à l’Union européenne, elle soutient que
2013]. L’identification rétrospective de moments sa qualité n’a cessé de s’accroître sensiblement au
appréhendés comme des blocs historiques cours des dernières décennies. Elle s’efforce
présente néanmoins le défaut majeur d’unifier de d’invalider, en outre, le lien établi entre exposition
manière factice des caractéristiques qui ne aux médias et progression du cynisme en
sauraient s’évaporer du jour au lendemain, d’autant soulignant que les individus les plus informés par
que le ton adopté n’évite pas toujours la rhétorique les médias sont également ceux qui manifesteraient
de la déploration et, en parallèle, la célébration le plus de confiance et d’intérêt pour la politique.
implicite d’un âge d’or — imaginaire — de la
politique irrémédiablement disparu. Le débat S’il est difficile de départager une controverse
demeure cependant ouvert sur les éventuels effets autant morale et politique que scientifique et qui
induits par le recours croissant au marketing renvoie à des positions adverses repérables à
politique et l’intensification des techniques issues maintes reprises dans les analyses de sciences
de la publicité. sociales consacrées aux médias (école de Francfort
versus école de Columbia, soit « théorie critique »
Un clivage marqué dans l’espace académique contre « optimisme empirique »), cette « dispute
anglo-saxon oppose ainsi les tenants d’une théorique » laisse entrevoir ce à quoi pourrait
approche « critique » (Blumler, Kavanagh, Franklin, ressembler un débat raisonné et empiriquement
Patterson) aux « empiristes » (Norris, Mc Nair) de argumenté portant sur les transformations de l’offre
l’autre. Les écrits de Bob Franklin et de Pippa Norris politique et sa conformation aux logiques
peuvent servir à éclairer la controverse. Pour communicationnelles. Il est d’ores et déjà possible
Franklin, l’entrée dans l’ère des Packaging Politics de s’accorder sur le fait que le téléspectateur (qui
[1994] conduit à une transformation structurelle du possède, en outre, nécessairement d’autres
jeu politique marquée par la prépondérance de la caractéristiques sociales) ne saurait adopter un
forme (les coups médiatiques) sur le fond (les rapport à la politique réductible à une mise en scène
programmes et les clivages idéologiques), la télévisuelle qu’il peut être capable de décoder, au
marchandisation de la vie politique et des fur et à mesure de sa socialisation aux médias
campagnes électorales et la promotion d’un [Gaxie, 2003 ; Darras, 2006]. Ceci étant, les
cynisme politique généralisé : les journalistes transformations de l’offre politique marquées par la
politiques, pressés par les spins, n’ont de cesse de prédominance des coups tactiques échangés entre
dévoiler les artifices et les insincérités des politiques compétiteurs (sound bites and image bites [Esser,
et de leurs entourages [Jones, 1995] et adoptent un 2008]) et la production d’actions à destination
traitement cynique de la politique [Schudson, 1999]. privilégiée (voire exclusive) des médias, comme
Les tendances au retrait, à l’indifférence à l’égard l’insertion croissante des professionnels de la
de la vie politique trouveraient alors leurs plus communication politique dans les organisations et
42
les états-majors politiques, exercent de multiples canaux de transmission passent autant par
injonctions pratiques qui s’imposent, du militant (qui l’exportation des conseillers nord-américains que
se voit adresser un argumentaire en kit (les fameux par la diffusion des journaux professionnels et la
« éléments de langage »), clés en main en tenue de séminaires de formation à destination des
campagne électorale) jusqu’au dirigeant (qui doit professionnels de la communication des « pays
être capable de « faire » l’actualité [Riffault, 2015]) émergents ». L’exportation de savoir-faire découle
et contribuent à la redéfinition de ce que doit être souvent de la conquête de marchés extérieurs
désormais l’activité politique. puisque 57 % des conseillers interrogés ont
préalablement exercé leur activité à l’étranger. En
2. L’extension du modèle américain outre, une part non négligeable des professionnels
de la communication entretient des relations
La notion d’« américanisation » fait également régulières avec des entreprises américaines (c’est
l’objet d’un usage croissant, même si elle revêt le cas, par exemple, pour 40 % des Allemands). La
parfois un caractère péjoratif, au sens où elle peut « mixité » des savoir-faire communicationnels, en
être synonyme de marchandisation et de perte raison des imbrications mutuelles, partagés par
éventuelle des singularités nationales. Des indices l’Europe et les États-Unis pourrait conduire à une
d’américanisation peuvent être légitimement hybridation des formes de communication politique.
recherchés dans la prépondérance des entreprises Il semble alors indispensable de réévaluer les
de conseil en communication d’origine nord- logiques internes à chaque système politique qui
américaine (BBDO) ou anglaise (Saatchi & Saatchi) ont rendu possibles les mutations des règles du jeu
qui exportent leurs activités en conquérant des politique. Le cas britannique étudié par Negrine et
marchés : en Amérique latine à partir des Lilleker [2002] plaide davantage — en dépit de sa
années 1970 et 1980, en Afrique, en Asie et en proximité culturelle avec l’univers nord-américain —
Europe de l’Est depuis les années 1990, à l’image pour une transformation endogène liée aux
de la Hongrie [Szabò et Kiss, 2012]. La vague de changements organisationnels et idéologiques
« démocratisation » s’est ainsi accompagnée d’une entrepris par le New Labour. Kavanagh [1996]
extension considérable des débouchés pour les relève, en outre, des différences significatives entre
principales firmes nord-américaines et d’une le « modèle » anglais et son homologue états-
diffusion de techniques précédemment éprouvées unien : le contrôle partisan semble — encore —
dans le cadre des démocraties représentatives régir la communication des partis britanniques (y
occidentales. L’histoire de Joe Napolitan, l’un des compris lors du « moment new labour »
premiers spin doctors ayant exporté ses savoirs en [Desrumaux, 2014]) alors que les conseillers en
secondant aux Philippines Ferdinand Marcos, communication disposeraient d’une latitude
apparaît bien banale aujourd’hui puisque les nettement plus importante aux États-Unis.
mêmes agences conseillent de multiples L’éventualité d’un « style » européen de
organisations politiques sur les divers continents : communication politique se trouve alors posée. Une
Saatchi & Saatchi a pu compter dans sa clientèle étude comparative portant sur seize pays
les tories britanniques (de 1979 à 1997), les européens souligne les « résistances » à
conservateurs danois (1990), les sociaux- l’importation d’un modèle américain et notamment
démocrates néerlandais (1989), le parti libéral- le maintien d’un certain contrôle de la
démocrate polonais (1993) et l’ANC sud-africain communication politique par l’organisation
(1994) [Farrell, 1998]. Une enquête comparative, partisane, même si, pour les consultants politiques
réalisée à la fin des années 1990, sur cinq cents interrogés, la pratique états-unienne fait encore
consultants américains présents sur les cinq largement figure de modèle à atteindre [Plasser,
continents (notamment en Nouvelle-Zélande, en Scheucher et Senft, 1999]. Finalement, l’un des
Inde, en Afrique du Sud et en Russie) souligne bien pièges contenus par la notion d’« américanisation »
l’ampleur de la diffusion des techniques en pourrait être sa dimension excessivement
provenance des États-Unis [Plasser, 2000] : les « paroissiale » [Esser et Pfetsch, 2004], qui
43
négligerait l’ampleur des « arrangements » pratiques de communication politique. Le
conduisant à importer, puis à naturaliser certaines mouvement général de dérégulation à l’œuvre au
pratiques d’un système politique à un autre. Les sein de l’audiovisuel européen depuis la fin des
interventions des spin doctors ne peuvent guère années 1980 semble ainsi déterminant : les
ainsi se confondre en Allemagne et en Angleterre : phénomènes de concentration au sein des
des différences considérables séparent le modèle industries médiatiques et la montée en puissance
anglais centralisé, où la communication est des objectifs de maximisation de l’audience n’ont pu
pleinement intégrée aux stratégies politiques au qu’affecter le « modèle traditionnel » de
point d’anticiper le travail journalistique, et le communication politique, comme l’exemple de
modèle allemand pour lequel on constate que, l’Allemagne [Pfetsch, 1996] l’atteste, ayant
malgré la progression numérique des spins, l’ordre abandonné en une dizaine d’années le modèle de
du jour de la campagne reste orienté par les « service public » au profit de la logique
organisations partisanes et se tourne commerciale. L’anticipation de l’impératif de
principalement vers les enjeux (discussions l’audience par les programmateurs a favorisé
programmatiques) [Esser, Reinemann et Fan, l’émergence de nouveaux formats télévisuels
2000]. hybrides minorant la place octroyée à la politique.
Ces processus, loin de se limiter aux seuls médias
Si la propagation du modèle de communication audiovisuels, se diffusent également aujourd’hui
politique « orienté vers les médias » traduit sans dans la presse écrite : la « tabloïdisation » des
conteste, au moins initialement, la domination nouvelles observée aussi bien aux États-Unis qu’en
culturelle des États-Unis [Hallin et Mancini, 2004], le Angleterre [Esser, 1999] — mais pas en Allemagne
processus en cours s’explique également par les puisque la stabilité des lectorats et l’importance des
transformations des paysages médiatiques : la ventes par abonnement la rendent inutile — traduit,
création d’un marché unique européen en matière à sa manière, la dévaluation des critères
de télécommunications et d’audiovisuel, depuis la journalistiques standards de la presse de qualité au
directive « Télévisions sans frontières » de 1989, a profit des critères commerciaux qui peuvent aller
rendu possible une sorte de « sécularisation » des jusqu’à ériger l’infotainment en nouveau modèle
sociétés européennes et a renforcé les professionnel et faire sensiblement évoluer les
convergences entre les logiques médiatiques et les traitements médiatiques de la politique.
44
KACIAF Nicolas, NOLLET Jérémie, « Journalisme :

retour aux sources », Politiques de communication,
2013/1 (N° 1), p. 5-34 (extrait).
Les « sources » d’information ont acquis, depuis I. AUX SOURCES D’UNE

une quarantaine d’années, une place centrale dans PROBLEMATIQUE
l’analyse sociologique de la fabrique de l’actualité. Il
est désormais impossible d’étudier l’activité Si les analyses des productions journalistiques
journalistique et, au-delà, les dynamiques de prennent en compte le rôle des sources [4]
médiatisation sans prendre en compte les d’information depuis les années 1960, il faut
stratégies d’accès aux médias mises en œuvre par attendre les années 1980 et 1990 pour que les
les organisations, leurs représentants, ainsi que par chercheurs systématisent cette réflexion en se
les communicants chargés de gérer leurs « préoccupant des pratiques communicationnelles
relations presse » [1]. Mais, si ce mot d’ordre a été des groupes et de leurs leaders, ainsi que des
particulièrement fécond dans les travaux anglo- conditions et ressources qui rendent possibles
américains et canadiens, il s’est longtemps réduit l’accès aux médias et permettent d’y imposer
en France à l’évocation de concepts-écrans, au informations et représentations.
premier rang desquels figurent cette métaphore des
« sources » et la référence à leur récente « 1. QUAND LA SOCIOLOGIE DU NEWSMAKING
professionnalisation » [2]. Le dossier présenté ici DECOUVRE LES SOURCES
ambitionne d’appréhender les processus de mise
en visibilité médiatique, en se focalisant sur les Au cours des années 1950 et 1960 se développe
interactions entre les journalistes et leurs une sociologie du journalisme qui met de côté la
interlocuteurs, que ces derniers soient ou non cités question des effets sociaux des médias pour celle
en tant qu’informateurs et/ou érigés en de la fabrique de l’information (newsmaking) [5].
protagonistes de l’actualité. Il s’agit donc de se Observant le travail journalistique, ces chercheurs –
pencher sur cette large diversité d’acteurs qui tantôt principalement nord-américains – s’efforcent de
s’efforcent de susciter l’attention des entreprises rendre compte des pratiques des rédacteurs et des
médiatiques, tantôt sont amenés à répondre à leurs déterminants de leurs productions : organisation du
sollicitations, tantôt cherchent à se protéger contre travail individuel et collectif, contraintes
leur intrusion. Cette introduction vise, quant à elle, marchandes, idéologies professionnelles, biais
à rappeler l’évolution des modalités de construction cognitifs liés à la socialisation des rédacteurs, etc.
et de problématisation scientifique d’un tel objet, et (par exemple White, 1950 ; Gieber, 1964).
à souligner en quoi celui-ci demeure l’objet Entreprises dans une période de forte concentration
d’interrogations primordiales, malgré les de l’espace médiatique, notamment audiovisuel
transformations récentes de l’espace public (Delli Carpini, Williams, 2011, p. 55), ces
médiatique. C’est donc bien à un retour aux sources recherches tendent à partager certains des
que convie ce premier numéro de Politiques de présupposés qui légitiment le travail journalistique
communication [3]. et attribuent à ses praticiens un réel rôle
démocratique. Armés de compétences et de
responsabilités professionnelles spécifiques, les
journalistes constitueraient les gatekeepers de
l’espace public, autrement dit des intermédiaires
45
autonomes chargés de gérer l’accès à la publicité œuvre par les protagonistes des affrontements
médiatique et de rendre visible auprès des citoyens politiques et administratifs pour susciter l’attention
ordinaires l’activité des élites et des institutions des correspondants à Washington et ainsi mobiliser
(ibid., p. 61). Il s’agit alors pour les chercheurs à leur profit les ressources offertes par la
d’interroger les principes qui conduisent les médiatisation (ibid., p. 131 sq.).
rédactions à évaluer la prévalence respective des
informations et des thèmes d’actualité. Ces travaux Dans son enquête sur les rédactions de quatre
ont offert une précieuse remise en cause des grands médias américains, Herbert Gans
postulats naturalistes qui sous-tendent la prétention systématise cette réflexion. Pour lui, la valeur
à l’objectivité journalistique (leurs récits journalistique d’une nouvelle n’émane pas
constitueraient un « miroir » de la réalité). Mais, en seulement de sa pertinence supposée auprès des
se focalisant de la sorte sur les biais générés par les audiences. Elle dépend également de sa
procédures de recueil et de formatage des disponibilité, autrement dit de la capacité des
nouvelles, ils suggèrent implicitement qu’il pourrait rédacteurs et de leurs sources à accéder les uns
exister une couverture non biaisée de l’actualité. aux autres (Gans, 1979 : p. 80) [8]. Gans montre
Pour le dire autrement, ces recherches laissent ainsi à quel point l’accès constitue « le reflet de la
entendre que les productions journalistiques structure sociale » : tandis que « le pouvoir politique
s’écarteraient de faits qui existeraient et économique permet d’obtenir un accès facile aux
indépendamment de leurs comptes rendus et ainsi journalistes », « ceux qui manquent de pouvoir ne
d’une réalité qui, elle, ne serait pas socialement sont généralement pas recherchés par les
construite [6]. journalistes à moins que leur activité ne produise du
désordre social ou moral » (ibid., p. 82). Comme le
Or, les « journalistes ne sont pas connectés avec souligne Gaye Tuchman, les rédactions sont en
des faits mais avec des paroles » (Mouillaud, Tétu, effet organisées pour « routiniser l’inattendu »
1989, p. 5). C’est un constat similaire qui traverse la (1973), c’est-à-dire qu’elles affectent leurs reporters
production scientifique anglo-américaine des auprès des organisations susceptibles de leur
années 1970 et 1980. Défendant une approche plus fournir la matière première des récits d’actualité [9].
résolument constructiviste, inscrits dans une Mark Fishman prolonge cette analyse en montrant
perspective critique soucieuse de mettre au jour et à quel point « le monde est bureaucratiquement
d’expliquer les orientations tendanciellement organisé pour les journalistes » (1980, p. 51) :
conservatrices des mass media états-uniens, ces comme les rédacteurs sollicitent prioritairement les
chercheurs vont accorder aux sources d’information sources jugées loquaces et crédibles (police et
un rôle actif dans la fabrique des récits justice dans le cas qu’il étudie), ils tendent à « voir
journalistiques. Leurs travaux tendent à reformuler » et à « cadrer » l’actualité à travers les lunettes de
la problématique de l’agenda médiatique : celui-ci ces organismes officiels.
n’est plus seulement appréhendé comme le produit
d’une sélection déterminée par les jugements Ces différents travaux offrent des résultats
professionnels des rédacteurs mais comme le paradoxaux. D’un côté, à rebours de l’image
résultat d’une compétition entre un ensemble valorisée du gatekeeper autonome et responsable,
d’acteurs et d’institutions, inégalement capables ils décrivent des journalistes plus passifs, chargés
d’enrôler les journalistes et de peser sur leurs moins de recueillir l’information que de mettre en
productions. L’analyse des logiques discriminant forme des discours produits à leur attention par les
cet accès apparaît désormais comme l’un des porte-parole des institutions dominantes [10]. Ce
problèmes primordiaux de la sociologie du formatage des nouvelles apparaît d’ailleurs lui aussi
journalisme. Elle est alors analysée « dans les deux comme le produit de procédures standardisées qui
sens : l’accès de la presse et l’accès à la presse » ne laissent que de faibles marges de manœuvre
(Sigal, 1973, p. 193) [7]. Cette perspective conduit aux rédacteurs. Ces derniers disposeraient en effet
Leon Sigal à observer les « tactiques » mises en de règles d’écriture destinées à la fois à satisfaire
46
leurs audiences et minimiser les risques la montée de la délinquance. Ils s’imposent ainsi
professionnels (Tuchman, 1972, p. 662) [11]. Mais, comme les « définisseurs primaires » des
d’un autre côté, malgré ce constat de relative problèmes de sécurité, les journalistes construisant
passivité, les investigations empiriques entreprises leurs récits à partir de leur vision des événements.
par ces chercheurs demeurent toujours
principalement conduites aux côtés des 2. LES APORIES DU « MEDIACENTRISME »
journalistes, plus qu’auprès de leurs informateurs.
À rebours de ces approches structurales des
L’appréhension des entreprises médiatiques relations entre sources et médias, les années 1980
comme simple réceptacle des activités et 1990 voient la montée en puissance de travaux
communicationnelles est particulièrement plus attentifs aux singularités organisationnelles et
prononcée chez Harvey Molotch et Marylin Lester conjoncturelles des secteurs au sein desquels se
(1974). En croisant deux dimensions du processus recrutent les interlocuteurs des journalistes et les
de production des nouvelles (la réalisation protagonistes des débats publics. Ils sont, surtout,
intentionnelle ou non d’un fait, et l’identité du plus qu’autrefois soucieux d’analyser ces rapports
promoteur de l’information auprès des médias), ils du point de vue des sources elles-mêmes, de leurs
élaborent une typologie des « événements publics activités communicationnelles et de leurs
» vis-à-vis desquels les journalistes, réduits au oppositions. L’enjeu est moins d’observer ce que
statut « d’assembleurs », ne sont les médias font aux sources que d’analyser ce que
qu’épisodiquement en recherche active les sources font aux médias.
d’informations. Constituant le type le plus fréquent,
les « événements de routine » sont principalement Dans son étude sur l’évolution de la couverture
promus par les groupes qui disposent d’un « accès médiatique de la guerre du Vietnam, Daniel Hallin
habituel » aux médias en raison de leur « richesse montre ainsi dans quelle mesure les postures
» et de leurs « sources institutionnelles de pouvoir adoptées par les journalistes vis-à-vis du conflit sont
». Quant aux autres groupes, ils doivent s’en redevables de l’état des rivalités parmi les élites
remettre à la « perturbation » : ils sont contraints de politico-administratives américaines. « Dans les
« créer » des événements, parfois violents, qui ne situations où le consensus politique semble
deviennent événements que parce qu’ils « prévaloir, les journalistes tendent à agir comme des
représente[nt] un problème pour les relativement membres “responsables” de l’establishment
puissants ». Focalisée sur la « façon de traiter les politique, endossant les perspectives politiques
dissidents » plus que sur « les questions que ceux- dominantes et transmettant plus ou moins
ci soulèvent », la couverture journalistique échappe rigoureusement le point de vue des autorités […].
généralement aux porte-parole de ces groupes [12]. En situation de conflit politique, ils deviennent plus
détachés voire oppositionnels, bien qu’ils restent
Ce sont des résultats convergents, mais à partir habituellement à l’intérieur des frontières du débat
d’une autre tradition intellectuelle, que va mettre au qui se déroule parmi les élites politiques et
jour l’équipe de Birmingham dirigée par Stuart Hall continuent de garantir un écho privilégié aux
(Hall et al., 1978). Défendant une approche néo- officiels les plus haut placés dans les sphères de
gramscienne de l’hégémonie culturelle, ces l’exécutif […]. Les nouvelles “reflètent” ces
derniers montrent que la construction médiatique divisions, pour utiliser l’analogie du miroir » (Hallin,
des « problèmes » sociaux résulte des inégalités 1986, p. 10).
structurelles entre les sources. En effet, certaines
sources « officielles » disposent d’un accès Ainsi, l’agencement d’un univers organisationnel
privilégié aux médias et parviennent à imposer donné conditionne l’identité des sources
durablement leurs cadrages interprétatifs. Le accessibles, leurs modalités de communication
ministère de l’Intérieur et la police britanniques ont (des communiqués de presse aux confidences
ici un quasi-monopole dans la problématisation de anonymes) et la nature des informations qu’elles
47
cherchent à promouvoir, autant d’éléments structuralisme qui tend à figer l’hégémonie des
déterminant ce que les journalistes peuvent « voir sources officielles. Il leur reproche de négliger les
», « entendre » et légitimement intégrer dans leurs luttes qui les déchirent, de sous-estimer l’existence
récits. Comme le soulignait déjà Fishman, « chaque en leur sein de porte-parole officieux, de ne pas
rubrique nécessite […] des façons différentes de suffisamment prendre en compte les changements
travailler, adaptées à l’activité particulière du à long terme dans la structure de l’accès aux
territoire couvert par la rubrique » (1980, p. 36). Il ne médias, et d’avoir promu un modèle unidirectionnel
suffit donc pas de postuler le caractère stratégique qui omet le pouvoir d’initiative des journalistes dans
de l’action des sources d’information, il faut la production de l’information. En d’autres termes,
également analyser dans quelle mesure le travail de Schlesinger invite les chercheurs à mieux analyser
promotion ou de rétention est rendu possible par les les stratégies, les intérêts et les pratiques des
spécificités des secteurs auxquels appartiennent agents sociaux en matière d’accès aux médias.
les interlocuteurs des journalistes. C’est cette
perspective que s’efforcent de suivre Ericson, Il s’efforce alors de définir un modèle qui puisse
Baranek et Chan (1989) dans leur analyse des servir de programme de recherche [13]. Son objectif
sources des informations relatives aux questions de est de « mettre au point un système capable de
criminalité. Ils y montrent notamment à quel point rendre compte des activités des sources non-
les acteurs concernés par cet enjeu (milieu officielles sous une forme qui ne les exclut pas de
judiciaire, police, législateurs, acteurs privés) la théorie et ne se contente pas non plus de les
entretiennent des rapports hétérogènes à la prendre en considération du seul point de vue
publicité médiatique : ils délimitent différemment les média-centrique des producteurs de l’information »
frontières entre la scène et les coulisses, mettent en (ibid., p. 91). Pour ce faire, il invite à prendre pour
place des dispositifs de communication variés et objet « l’action stratégique » par laquelle les sources
s’avèrent inégalement capables de promouvoir un parviennent à s’imposer comme définisseur
discours unifié et de l’imposer aux journalistes (ibid., primaire (plutôt que par l’effet mécanique de leur
p. 7-16 et 377-392). Les nouvelles apparaissent position). Il s’approprie alors la théorie des champs
ainsi comme le produit du degré d’ouverture des de Bourdieu, en raison de la place qu’elle accorde
institutions, cette ouverture étant elle-même en jeu à la mobilisation de différentes formes de capital
dans les « négociations » que mènent les dans l’accès aux positions dominantes. Soucieux
journalistes et leurs sources pour définir les d’évaluer « dans quelle mesure l’action de la source
informations auxquelles les premiers peuvent d’information se conforme à un calcul utilitaire en
accéder et rendre publiables. fonction duquel l’information est façonnée dans
l’optique d’une utilisation par les médias » (ibid.),
Comprendre la fabrique de l’actualité et des visions Schlesinger identifie différentes conditions de
du monde qu’elle incorpore suppose donc possibilité à la reprise d’un message par les médias
d’observer ce qui se passe à l’intérieur même des : la source doit 1) promouvoir un message bien
organisations, officielles ou non, en matière de défini et construit selon les critères de la
relations aux médias. Cette démarche est newsworthiness, 2) cibler ses publics et les médias
notamment défendue par Philip Schlesinger pertinents, et 3) anticiper les prises de position
lorsqu’il propose de partir « du point de vue des médiatiques des concurrents. Il devient alors
sources elles-mêmes » (1992, p. 77). Selon lui, « la possible d’objectiver trois types de ressources
sociologie des médias s’est montrée excessivement mobilisées par les sources : les ressources
média-centrique » jusqu’alors, puisqu’elle « a eu institutionnelles (en vertu desquelles se distinguent
pour principal – mais certainement pas unique?– les institutions étatiques, les groupes d’intérêts et
centre d’intérêt la manière dont les organismes de les groupes ad hoc), financières (et
médias […] utilisent les sources d’information » organisationnelles), et enfin culturelles (légitimité et
(ibid., p. 78). S’il reconnaît la contribution décisive autorité sociale).
de Hall et de ses collègues, il critique aussitôt leur
48
Il n’est sans doute pas fortuit que ces redéfinitions spécifique et relativement stable, d’institutions, de
conceptuelles et méthodologiques des relations normes, de mécanismes et d’acteurs qui façonnent
entre sources et médias aient lieu au cours des les attentes et les pratiques des producteurs et des
années 1980. Outre les effets d’une conjoncture consommateurs de médias » (ibid., p. 16). Si les
politico-intellectuelle marquée par l’essoufflement spécificités d’un régime médiatique résultent des
des théories critiques, ces reproblématisations luttes autour du rôle démocratique des médias,
émergent parallèlement à de profonds celui-ci détermine en retour les voies à travers
changements dans les univers des médias et de la lesquelles les informations circulent, façonnant de
communication. Le prodigieux développement des la sorte « l’environnement discursif » des citoyens.
relations publiques (Davis, 2000), articulé – selon L’âge des « nouvelles diffusées » apparaît ainsi
les contextes nationaux – à une dérégulation des comme le produit d’arrangements institutionnels,
marchés audiovisuels et à l’entrée dans une formalisés en réponse aux évolutions médiatiques
situation d’hyperconcurrence entre médias (Brin, du début du xxe siècle. Or, depuis les années 1990,
Charron, De Bonville, 2004), contribue à réévaluer ce régime est profondément bousculé par un
le poids des logiques commerciales et industrielles ensemble de mutations techniques et industrielles
dans la production de l’information médiatique. Plus (explosion du nombre de chaînes de télévision,
qu’autrefois, les institutions publiques et les acteurs développement d’Internet) qui multiplierait les
de la « société civile » doivent ajuster leur sources d’information, renforcerait la concurrence
communication aux attentes journalistiques en entre médias, rendrait possible de nouveaux
termes de formats et de capacité à capter l’attention usages (militants notamment) et brouillerait la
des audiences. Cette nouvelle configuration amène frontière entre producteurs et consommateurs de
certains chercheurs à en analyser les incidences contenus médiatiques. Si les contours du nouveau
sur le fonctionnement des institutions politiques régime restent pour l’heure indéterminés,
(Cook, 1998), sur les modalités de production et de l’environnement informationnel actuel serait dominé
circulation des informations politiques (à l’image par une situation de fluidité et d’instabilité plus forte
des « fuites » étudiées par Negrine, 1996, p. 23 sq.), du pouvoir politique que les auteurs qualifient de «
ou sur le poids croissant du « capital médiatique » multiaxialité » : la multiplication des points d’entrée
dans la production des hiérarchies internes au dans l’espace médiatique aurait conduit à une
champ politique (Davis et Seymour, 2010) [14]. diversification des acteurs qui participent aux luttes
pour façonner l’environnement discursif de la vie
Pour certains auteurs, c’est la notion même de politique (ibid., p. 147). Mais si les élites politiques
source et les problématiques qu’elle engage qui et journalistiques traditionnelles ont perdu le
sont aujourd’hui mises à mal par les monopole du contrôle de l’information politique, les
bouleversements technologiques et leur impact sur structures du pouvoir n’ont pas été soudainement
la publicité des luttes partisanes et idéologiques. abolies par les nouveaux médias : tous les groupes
Partant du constat d’un effacement croissant des ne disposent évidemment pas des mêmes
frontières entre information et divertissement, opportunités pour influencer les débats publics. La
producteurs et consommateurs de contenus couverture médiatique du « 11 septembre 2001 »
médiatiques, communication de masse et rappelle ainsi que ce nouvel environnement
communication interpersonnelle, Bruce Williams et médiatique n’empêche aucunement des
Michael Delli Carpini (2011) appréhendent ces circonstances d’hégémonie idéologique (ibid., p.
évolutions comme la fin de l’âge des « nouvelles 275).
diffusées », autrement dit comme la mise en cause
d’un système où les élites journalistiques et
politiques négociaient l’accès à un espace public
fortement centralisé. Leur démonstration s’appuie
sur le concept de « régime médiatique », qu’ils
définissent comme « un ensemble, historiquement
49
II. PERSPECTIVES ET POINTS des discours de presse défendue par Yves de la

AVEUGLES DE LA LITTERATURE Haye (1985). Pour lui, l’analyse de la confection des
messages journalistiques « n’a de sens que dans le
FRANÇAISE
rapport aux sources qui l’alimentent, aux politiques
de communication ou de secret qui l’insèrent, aux
Ce programme de recherche, centré sur les
institutions qui le surveillent » (ibid., p. 65). De fait,
relations entre les journalistes et leurs sources, a
le journalisme est historiquement et
été tardivement investi en
structurellement inscrit dans des rapports de
France [15][15]Contrairement au Canada où les
pouvoir et de domination qui délimitent les frontières
travaux qui analysent la…. La relative rareté des
du dicible et de l’indicible : « le ressort de
travaux directement consacrés aux stratégies
l’information est l’intérêt qu’un groupe social y
d’accès aux médias et/ou aux pratiques des «
attache » (ibid., p. 68). Chaque rubrique s’est ainsi
relations presse » tranche avec le fort
institutionnalisée en réponse à de nouvelles
développement de la sociologie du journalisme au
attentes sociales et, surtout, en réponse aux
cours des deux dernières décennies.
intentions des pouvoirs dont elles mettent en scène
les activités et relaient la communication.
1. UNE TRADITION « JOURNALISTICO-CENTREE »
Armés de ces problématiques initiales, la sociologie
Sans analyser directement l’activité des sources,
française du journalisme s’est enrichie depuis vingt
les premiers spécialistes du travail et de l’écriture
ans de nombreux travaux portant sur les « sous-
journalistique ont pourtant bien montré à quel point
champs spécialisés du journalisme » (Marchetti,
les contenus médiatiques étaient conditionnés par
2002). Ces études ont permis d’explorer, dans une
la nature des relations entre les rédacteurs et leurs
perspective souvent sociohistorique, le travail et
interlocuteurs privilégiés. Dès 1976, Jean-Gustave
l’environnement des rédacteurs spécialisés sur les
Padioleau s’est efforcé d’analyser les rhétoriques
questions médicales (Marchetti, 2010),
journalistiques comme « le produit de pratiques
économiques (Duval, 2004), sociales (Lévêque,
inscrites dans des contextes d’interaction
2000), européennes (Baisnée, 2003 ; Bastin, 2003),
spécifiques dont les caractéristiques influencent
politiques (Neveu, 1993 ; Saitta, 2005 ; Legavre,
l’occurrence et l’opportunité des dites rhétoriques »
2005 ; Kaciaf, 2013), locales (Frisque, 2002), ou
(1976, p. 268) : ce qui distingue alors le journalisme
encore politico-judiciaires [16]. Si les sources ne
« d’expertise critique » du « journalisme de routines
sont pas totalement absentes de ces recherches,
», c’est bien l’ambition de s’afficher auprès des
elles ne sont généralement convoquées que
audiences et des sources comme des spécialistes
comme éclairage secondaire de l’activité
compétents et autonomes, capables de mettre à
journalistique. Les constructions événementielles
distance les messages promus à leur attention par
privilégiées par ces rédacteurs sont ainsi en partie
ces dernières. De même, l’étude de Rémy Rieffel
redevables des caractéristiques des univers qu’ils
sur l’élite des journalistes met l’accent sur
sont amenés à couvrir : les propriétés sociologiques
l’importance du carnet d’adresses et de la
de leurs états-majors ; les préconstructions de la
constitution d’un réseau au sein de l’establishment
réalité et les illusio partagés dans ces secteurs ; leur
pour être reconnu comme un bon professionnel
perméabilité à l’intrusion des logiques
(1984, p. 65 sq.). La pauvreté des liens entretenus
communicationnelles ; les spécificités
avec les représentants des autres groupes sociaux
organisationnelles qui déterminent enfin la diversité
favorise, chez ces journalistes, une « tendance
des porte-parole, l’intérêt à accéder aux médias, la
intégratrice » (ibid., p. 182) qui ne les prédispose
nature des informations qu’ils cherchent à
pas à s’approprier les discours critiques à l’encontre
promouvoir ou à taire, les modalités de
de l’ordre établi. Enfin, une autre perspective
communication publique et d’interactions plus
centrale dans l’espace académique français des
informelles avec les acteurs médiatiques. Il n’en
années 1970 et 1980 est l’approche fonctionnaliste
demeure pas moins que peu de ces travaux
50
abordent frontalement la question de l’accès nombre croissant d’institutions gouvernementales
aux/des médias. D’une part, l’identité des sources et de groupes d’intérêts comme un enjeu
privilégiées par les rédacteurs apparaît plus stratégique, qui les oblige à développer leurs
souvent comme une variable explicative que dispositifs communicationnels. Ce processus a été
comme un objet à expliquer. D’autre part, focalisés mis en évidence au sujet d’enjeux sectoriels, tels
sur les rhétoriques et les cadrages, ces recherches que la sécurité alimentaire (Nollet, 2010), le
ont rarement investi l’examen des mécanismes de changement climatique (Comby, 2008) ou la
circulation et de publicisation des informations dans question des « banlieues » (Sedel, 2009) [17].
ces différents univers sociaux.
L’institutionnalisation de la communication n’épuise
2. SIX VOIES D’ACCES AUX SOURCES cependant pas la réflexion sur les sources : d’une
part, les interlocuteurs des journalistes ne sont
Si la sociologie française du journalisme n’a donc évidemment pas tous des professionnels de la
pas toujours placé l’activité des sources au cœur de communication ; d’autre part, l’activité
son questionnement, la multiplication récente des communicationnelle des organisations ne se réduit
recherches abordant cet objet a permis que les jamais aux seules « relations presse ». Le travail
logiques et conditions d’accès à la visibilité des conseillers en communication reste cependant
médiatique soient désormais relativement bien un terrain fécond pour l’analyse des sources
documentées. Malgré d’inévitables convergences, d’information, à condition d’améliorer les
six perspectives peuvent ainsi être distinguées. connaissances sur leurs positions dans les
organisations, leurs relations avec ceux dont ils sont
(1) Une première série de travaux s’est focalisée, chargés de fabriquer l’image, ou leur contribution
dès la fin des années 1980, sur l’institutionnalisation propre à la construction de contenus médiatiques.
de la fonction « communication » dans les
organisations et notamment dans les institutions (2) Un deuxième ensemble de recherches s’efforce
publiques (Levêque, 1993) et politiques (Legavre, de comprendre le réglage des relations entre les
1993). Cette démarche a notamment permis de journalistes et leurs sources. Ici, force est de
sortir l’analyse de la communication politique du constater la forte hétérogénéité des échelles
seul examen des discours et de se préoccuper de d’analyse et des paradigmes sociologiques
ses acteurs et de leurs efforts visant à justifier leur mobilisés. D’un côté, à travers notamment l’examen
présence auprès des élus et/ou des responsables des usages journalistiques et politiques du « off »,
administratifs (Champagne, 1990 ; Legavre, 1993 et Jean-Baptiste Legavre (1992 ; 2011) met en scène
2007 ; Ollivier-Yaniv, 2000 et 2008 ; Marchetti, 2008 des « associés-rivaux » stratèges, soumis à la
; Gatien, 2009 ; Aldrin et al., 2013). Plusieurs dialectique de la proximité et de la distance, et dont
auteurs soulignent notamment l’affinité élective les marges de manœuvre sont contraintes par les
entre le développement de la communication et ressources et les exigences associées à leurs rôles
l’évolution des fondements de la légitimité politique respectifs [18]. De l’autre, défendant une analyse
(Champagne, 1984 ; Neveu, 1994). grammaticale attentive aux spécificités des
L’institutionnalisation de la communication apparaît contextes d’interactions, Cyril Lemieux (2000) décrit
alors comme un indice d’une perte d’autonomie des les règles qui gouvernent différentiellement les
organisations face à la montée en puissance du relations, publiques ou privées, entre les
couple médias-sondages. Elle se développe en journalistes et leurs interlocuteurs. D’autres auteurs
effet en réponse, d’une part, à la prise en compte proposent, quant à eux, une approche plus
croissante de cette « opinion publique » que les structurale de ces chaînes d’interdépendances :
sondages prétendent mesurer et, d’autre part, à l’« c’est le cas de Jacques Le Bohec (1997) qui
emprise » d’un journalisme davantage soumis identifie cinq idéaltypes des rapports presse-
qu’autrefois aux logiques commerciales. L’accès à politique ou de Cégolène Frisque (2010) qui met au
l’espace médiatique tend à être perçu par un jour les transformations des relations entre pouvoirs
51
locaux et rédacteurs de la presse quotidienne la médiatisation met en jeu dans ces espaces. La
régionale. D’autres travaux reposent enfin sur des mise en place de dispositifs de communication et
observations ethnographiques minutieuses des l’institutionnalisation du porte-parolat au sein du PS
échanges au sein des « mondes de l’information » sont ainsi l’occasion de luttes internes complexes…
(Bastin, 2003). Mais, faute de se plonger que certains protagonistes n’hésitent d’ailleurs pas
complètement du côté des sources, ils nous à publiciser (Bachelot, 2008). De même, le recours
apprennent finalement peu sur ce qui se passe en à des stratégies d’accès aux médias au sein des
amont de ces interactions, à l’intérieur même de la institutions ministérielles, notamment à l’occasion
machinerie organisationnelle. de « crises » très médiatisées, permet à certains
hauts fonctionnaires aux propriétés sociales
(3) Il faut ensuite se tourner du côté de la sociologie atypiques d’accéder à des positions dominantes en
des mobilisations pour identifier des travaux inscrits renversant les modalités routinières de reproduction
dans la continuité des problématiques anglo- des hiérarchies administratives (Nollet, 2010).
américaines précédemment mentionnées (Lagneau
et Lefébure, 2001 ; Juhem 2001). Analysant les (6) Enfin, les recherches focalisées sur les flux
stratégies d’accès aux médias d’Act Up Paris au d’informations, à l’échelle nationale ou
prisme de la mobilisation des ressources, transnationale, permettent de déplacer les
Dominique Marchetti (1998) met l’accent sur les questionnements (pour une revue de cette
mécanismes d’accumulation et de conversion du « littérature, voir Lagneau et al., 2013). À travers
capital médiatique ». Grégory Derville (1997) l’adoption d’une conception plus extensive de la
s’approprie, quant à lui, la critique de la notion de « notion de sources, c’est l’ensemble des supports
définisseurs primaires » en montrant comment les d’information auxquels se connectent les
stratégies communicationnelles de Greenpeace lui journalistes qui sont pris pour objet. Ces approches
permettent, pendant un temps, de faire jeu égal s’avèrent évidemment sensibles aux
dans la bataille symbolique qui l’oppose au service transformations technologiques et
de presse des armées, à l’occasion de la reprise socioéconomiques de l’univers médiatique (réseaux
des essais nucléaires français dans le Pacifique. sociaux, data journalism, etc.) et à leur impact sur
la nature même des informations que peuvent
(4) Bien que tardivement introduite en France mobiliser les rédacteurs (Parasie et Dagiral, 2013).
(Cefaï, 1996 ; Neveu, 1999), la sociologie des L’avènement du Web 2.0. complexifie les pratiques
problèmes publics (Blumer, 1971 ; Gusfield, 1981) communicationnelles des sources et bouscule les
a également permis de penser les frontières traditionnelles entre acteurs de la vie
interdépendances entre les journalistes et les publique, médias et publics : d’une part, les
espaces politique, administratif, expert, militant, etc. journalistes ont perdu une partie de leur capacité à
C’est sans doute Emmanuel Henry (2007) qui, à « certifier l’information » (Schudson, 2003) et à
propos de la construction de l’amiante comme négocier l’accès à l’espace public médiatique ;
problème de santé publique, va le plus loin dans le d’autre part, désormais ouverte à une plus large
décloisonnement entre les sociologies du diversité de contributeurs, la parole publique
journalisme, des problèmes publics et de l’action s’énonce à présent sur des scènes hétérogènes en
publique. Le recours aux médias apparaît ici termes de situation de communication et de degré
comme l’un des éléments de répertoire d’action de publicité (Cardon, 2010).
utilisés avec succès par les groupes mobilisés dont
les journalistes se sont sentis les plus proches, 3. LES SOURCES : UNE METAPHORE OPAQUE
socialement parlant.
Malgré – ou peut-être à cause – de cette diversité
(5) Si beaucoup reste encore à faire sur ce terrain, d’usages dans la littérature académique, la notion
quelques travaux en sociologie des institutions de source est mobilisée d’une façon à ce point
(notamment politiques) ont eux aussi étudié ce que routinisée qu’il importe d’en clarifier les acceptions.
52
Erik Neveu (2004, p. 55) souligne que cette en scène dans le compte rendu journalistique) ou
métaphore, qui renvoie littéralement à l’origine des l’ensemble d’agents sociaux plus ou moins
informations que les journalistes exploitent dans spécialisés qui organisent la communication (i.e. la
leurs comptes rendus, récits, analyses et conférence de presse, le discours du ministre, etc.).
commentaires de l’actualité, est « grosse de
malentendus » : l’image de rédacteurs allant Ce questionnement renvoie à la distinction entre «
s’approvisionner à la source suggère un discours rapportés » (en tant qu’événements
comportement excessivement actif, alors même discursifs) et « informations » (imputées – ou non –
que ceux-ci sont souvent « submergés d’un déluge à un informateur donné), ce qui sous-tend des
d’informations ». Au-delà de cette question, déjà enjeux divergents : d’un côté la question de savoir
évoquée, de l’initiative journalistique, la notion de qui a la capacité de s’exprimer au sein des médias
source interroge sur l’identité des acteurs placés d’information (pour participer aux débats publics ou
sous un tel label. valoriser sa propre image), de l’autre la question de
savoir qui est reconnu comme un informateur
Ces limites peuvent être facilement perçues si l’on suffisamment crédible et/ou impartial pour que les
prend deux illustrations des plus banales. faits qu’ils rapportent aux journalistes soient relayés
Imaginons tout d’abord le cas d’un document par ces derniers comme des descriptions « vraies »
administratif confidentiel auquel un journaliste de la réalité.
accéderait par l’intermédiaire d’une « fuite » : le
terme de source désigne ici à la fois le document à La notion de « source » navigue ainsi entre des
partir duquel le journaliste va s’appuyer pour approches focalisées sur les luttes symboliques que
construire son récit et la personne qui lui a transmis mènent les personnalités et les groupes par médias
ce document. Or, ces deux dimensions ne se interposés et des approches plus attentives aux
recoupent pas nécessairement ; elles renvoient enjeux de citation et d’indexicalisation des discours
même le plus souvent à des agents sociaux à partir desquels les journalistes construisent leur
différents (l’auteur du document et celui de la « fuite description des événements et des phénomènes
») et à des problématiques distinctes (la question du sociaux. Cette ambiguïté renvoie plus
référencement de l’information et celle du généralement à l’insuffisant dialogue entre sciences
cheminement de ce document jusqu’au journaliste). du langage et sciences sociales du journalisme.
Prenons maintenant l’exemple d’une manifestation Tandis que les premières s’efforcent, par exemple,
ponctuée de prises de parole publiques (donc d’analyser la mécanique de l’intertextualité dans les
officielles), telle la conférence de presse d’un contenus journalistiques (par exemple,
ministre à laquelle assiste le journaliste. Son Charaudeau, 1998 ; Esquenazi, 2002 ; Tavernier,
compte rendu est constitué de discours rapporté, 2004), les secondes restent trop souvent confinées
mais dans quelle mesure le ministre peut-il être à l’analyse des cadres de la pratique journalistique.
identifié comme une source ? Tout dépend ce qui Ainsi, peu de travaux confrontent, avec un même
est considéré comme information par les étayage empirique, les logiques sociales et
journalistes : est-ce le contenu de la prise de parole discursives qui conditionnent, en amont, le rapport
(par exemple, la diminution du chômage) ou la prise plus ou moins distancié des journalistes à leurs
de parole elle-même (ici, une communication interlocuteurs et, en aval, les pratiques d’écriture
ministérielle appréhendée en tant que « coup » destinées à définir le statut de ces derniers (expert
dans l’espace politique) ? En d’autres termes, la impartial, témoin, acteur du débat public, etc.) et à
source est-elle la personne qui s’exprime et dont le marquer cette plus ou moins grande distanciation à
journaliste va rapporter les propos (i.e. l’acteur mis l’égard de leurs propos [19].
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Environnement : Institutions, Associations, Médias | ECUE 1.4. : Journalisme et communication (B. Ferron)
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Université Paris-Est Créteil

Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département de communication politique et publique
& IUT Sénart-Fontainebleau
Licence professionnelle Activités et techniques de communication, mention :

Communication des collectivités territoriales et des associations
Formation en apprentissage
année 2020 - 2021
65

Journalisme Et Communication 2020 2021

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territoriales et des associations | 2020-2021 | UE1-ECUE 1.4.

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Présentation et introduction générale du cours (9h-

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