Vous êtes sur la page 1sur 9

CIVICIMA

ETUDES
SUR LE VOCABULAIRE INTELLECTUEL
DU MOYEN AGE

Actes du colloque
Tertninologie
de la vie intellectuelle
"
au tnoyen age
Leyde/ La Haye 20-21 septembre 1985

édités par

OLGA WEIJERS

BREPOLS
TURNHOUT BELGIQUE
1988
© Brepols 1988
No part of this work may be reproduced in any form,
by print, photoprint, microfilm or any other means
without written permission from the publisher.
TABLE DES MATIERES

O. Weijers, Préface 7
A.G. Weiler, La systématique de la théologie morale selon
Arnold Geilhoven 11
L.M. de Rijk, De quelques difficultés de nature linguistique dans
le vocabulaire de Gilbert de la Poirée 19
]. Monfrin, Lexiques latin-français du moyen âge 26
N. Lettinck, L'intérêt de l'analyse de termes pour l'étude de
l'historiographie médiévale 33
O. Weijers, La spécificité du vocabulaire universitaire du
xrne siècle 41
]. Fletcher, Sorne problems of collecting terms used in med-
ieval academic life as illustrated by the evidence
for certain exercises in the faculty of arts at
Oxford in the late middle ages 4 7
E. C. Coppens, L'interprétation analogique des termes de droit
romain en droit canonique médiéval 54
A. Garcia y Garcia, La terminologia en las Facultades Juridicas Ibéri-
cas 65
R. Feenstra, 'Legum doctor', 'legum professor' et 'magister'
comme termes pour désigner des juristes au moyen
âge 72
J. Hamesse, 'Collatio' et 'reportatio': deux vocables spécifiques
de la vie intellectuelle au moyen âge 78
F.P. W. Soetermeer, La terminologie de la librairie à Bologne aux
xnre et xrve siècles 88
J.P. Gumbert, Le texte intellectuel, sa forme physique et les
termes du métier 96
T. Gregory, Lessico Intellettuale Europeo: Recherches sur la
terminologie intellectuelle du moyen âge 105
Index 109
Liste des abréviations 112
Liste des auteurs 113
OLGA WEIJERS

LA SPECIFICITE DU
VOCABULAIRE UNIVERSITAIRE
DU XIIIe SIECLE.

Mon intérêt pour le vocabulaire des universités médiévales date de


1978, lorsque j'ai présenté une communication à Cologne, à l'occasion
de la 'Medievistentag ung', sous le titre de Terminologie des universités
naissantes 1 • Depuis, j'ai élargi et approfondi mes premières recherches,
en dépouillant notamment les sources universitaires en ce qui concerne
le XIIIe siècle. L'étude qui en résulte paraîtra ultérieurement 2 . Comme
c'est en fait la conclusion de ce travail que je vous présente ici, j'en
expliquerai rapidement le dessein et la nature.
Il ne s'agit pas d'un dictionnaire qui traite un par un les termes en
question dans l'ordre alphabétique. Les concepts universitaires y sont
analysés, groupés dans des chapitres thématiques, ayant trait par exemple
aux assemblées (congregatio, cetus, convocatio, conventus, consilium), à la pro-
duction et au commerce des livres (stationarius, librarius,peciarius, exemplator),
aux vacances (cessare, resumere, vacatio, crastina, terminus). L'ouvrage comprend
trois sections principales concernant les institutions, les personnes
(enseignants, étudiants et personnel) et les méthodes d'enseignement
(y compris les examens et les cérémonies). Les chapitres se laissent
également diviser en trois parties. D'abord, je résume ce que l'on sait
des concepts (et des réalités) en question dans le cadre universitaire,
en me basant principalement sur la littérature moderne à ce sujet.
Deuxièmement , je cite les premières attestations des termes que j'ai
trouvées dans les sources universitaires ou d'autres passages qui peuvent
illustrer leur emploi dans ce contexte. Finalement, et c'est la partie
essentielle, j'essaie d'expliquer de quelle façon et dans quelle mesure
l'histoire sémantique des termes est à l'origine de leur adoption par
les universités, autrement dit quelle partie de leur héritage (s'il y en
avait un) les rendait aptes à être utilisés comme des termes techniques
universitaires.
Avant d'en venir au thème principal de cette communication , à
savoir la spécificité du vocabulaire universitaire, je dois d'abord préciser
le contenu de ce que j'appelle le vocabulaire ou la terminologie des
universités. Je ne désigne pas par cette expression l'ensemble des termes

1. Dans Soziale Ordnungen im Selbstverstiindnis des Mittelalters, Miscellanea Mediaevalia 12/1


(1979) pp. 258-80.
2. Elle a paru à Rome en 1987 (Lessico Int. Europeo 39).
42 O. WEIJERS

que l'on trouve dans les statuts et autres documents officiels de cette
institution. D'un point de vue purement linguistique, il serait certai-
nement intéressant d'étudier la langue de ces sources de façon exhaustive.
Mon but est différent: je veux étudier les termes techniques en rapport
avec les concepts et les réalités auxquels ils renvoient.
D'autre part, ce vocabulaire technique dépend évidemment de la
documentation, qui n'a pas la prétention d'être complète. L'espace
européen semble conserver, au XIIIe siècle, suffisamment de cohérence
pour permettre une vue d'ensemble. Je me suis donc imposé des limites
chronologiques, mais non géographiques. Cependant, j'ai dû faire un
choix parmi les universités, notamment en ce qui concerne l'Italie, où
nombre de petites universités ont été fondées sans jamais atteindre plus
qu'une existence locale et ephémère. Voici la liste des universités que
j'ai retenues: pour l'Italie, Bologne, Padoue et Naples; pour la péninsule
ibérique, Salamanque, Valladolid et Lisbonne-Coïmbre; pour la France,
Paris, Montpellier, Toulouse et Orléans; pour l'Angleterre, Oxford et
Cambridge.
Ensuite, ma documentation est incomplète du fait que je me suis
servie essentiellement des sources éditées. Dans la plupart des cas, on
dispose de collections importantes de documents universitaires (le
cartulaire de l'université de Paris, les vieux statuts de l'université
d'Oxford, etc.) et d'autres textes ont été édités séparément ou en
appendice à des études historiques. Le dépouillement systématique des
archives et des manuscrits n'aurait pas sensiblement modifié, je crois,
la constitution du vocabulaire technique.
Enfin, je dois me justifier pour avoir délibérément exclu un certain
nombre de termes. D'une part, on cherchera en vain les mots se
rapportant aux diverses disciplines. Outre le fait que les universités
n'avaient pas le monopole de l'enseignement de cette matière, il aurait
été impossible de les incorporer dans une seule étude. D'autre part,
certains termes qui sont importants dans le contexte historique des
universités, dont statutum, privilegium, sigillum, sont en fait communs à
toutes les corporations et ne peuvent être considérés comme spécifi-
quement universitaires. J'ai également écarté l'aspect vestimentaire, qui
constitue un sujet à part et qui mérite d'être étudié en rapport avec
l'histoire de l'art. Finalement, des mots cités dans la littérature moderne
comme termes techniques ne le sont pas toujours: suspendium, par
exemple, ne signifie pas, comme on l'a dit, la suspension des cours
pour cause de grève, mais la pendaison de certains clercs, ce qui a
provoqué effectivement une grève de l'université d'Oxford.
Après ces mises en garde concernant la nature de ma documentation,
on peut aborder la question suivante: en quoi ce vocabulaire est-il
LE VOCABULAIRE UNIVERSITAIRE 43

spécifique, c'est-à-dire en quoi diffère-t-il de celui du monde scolaire


antérieur (et sans doute contemporain)?
Constatons d'abord que le vocabulaire universitaire du XIIIe siècle
contient peu de mots véritablement nouveaux. On peut citer à cet
égard studium generale comme unité terminologique , questionista, vesperie.
Souvent, ils ont été formés, au sein de l'université, sur la base d'autres
termes universitaires qui existaient déjà dans ce contexte, notamment
doctoratus et doctorare (de doctor), bursarius (de bursa), peciarius (de pecia),
conventare (de conventus), etc. La plupart des termes a été empruntée à
d'autres contextes et adaptée à l'utilisation par les universités, ce qui
impliquait parfois une légère modification d'emploi, parfois une véritable
mutation sémantique. Pour des raisons mentionnées plus haut, je ne
suis évidemment pas en mesure d'établir des statistiques pour illustrer
les différents terrains d'origine des termes, mais j'essaierai d'en dégager
les grandes lignes.
Dans l'ensemble, trois domaines d'emprunt se profilent clairement:
l'enseignement, le droit public et l'Eglise. Cependant, leur influence
relative varie selon les différentes sections de mon étude, qui représentent
des aspects très variés de la vie universitaire. Regardons un peu plus
en détail.
Dans la première partie, concernant les institutions, nombre de
termes ont été empruntés à l'administration des villes et des corporations
(dont universitas, societas, confratria, consilium, collegium dans le sens de collège
des docteurs). Quelques-uns viennent du vocabulaire de l'Eglise (collegium
dans le sens de maison d'étudiants, convocatio, peut-être congregatio). Plusieurs
autres étaient en usage dans ces deux domaines à la fois (notamment
consortium, communitas et communio, bursa, matricula, rotulus). Certains mots
viennent directement du monde scolaire (studium, licentia docendi, facultas,
cathedra). Restent évidemment des termes pour lesquels on ne peut
déterminer un contexte particulier et qui appartenaient simplement au
fonds commun de la langue latine à l'époque (par exemple natio,
hospitium, salarium). Il n'y a pas ici une nette prépondérance de l'un des
domaines d'emprunt mentionnés, sans doute parce qu'il s'agit de
concepts de nature diverse, les institutions immatérielles (universitas,
licentia, facultas, etc.) jouxtant les réalités concrètes (cista, cathedra, etc.).
Les termes désignant les personnes associées à l'université doivent
être divisés en quatre groupes. Les noms des professeurs sont tous
originaires de l'enseignement pré-universitair e (magister, doctor, prefessor,
dominus legum, lector). Par contre, ceux des étudiants sont d'origine variée.
Scolaris et socius étaient déjà en usage dans le monde scolaire, mais studens
en tant que substantif n'est probablement pas antérieur aux universités.
Dérivé du verbe studere, ce terme appartient, me semble-t-il, à un
contexte intellectuel plus large. La même chose vaut pour sophista, un
44 O. WEIJERS

mot ancien, mais qui a pris un tout autre sens dans le cadre de
l'université d'Oxford, à savoir celui qui 'répond' dans les disputes sur
les sophismata. Questionista, également un mot oxfordien, a été formé au
sein de l'université sur la base du terme questio 3 . Baccalarius a été
emprunté au vocabulaire des classes sociales.
La plupart des appellations données aux administrateurs et aux
employés des universités viennent du vocabulaire des corporations et
des villes ou des administrations régionales et nationales. Je cite comme
exemple: rector, procurator, consiliarius, statutarius, .ryndicus, notarius. D'autre
part, l'Eglise a fourni cancellarius, bien sûr, puis scrutator, hebdomadarius.
Pour d'autres termes, dont decanus et nuntius, on ne peut citer un contexte
particulier, tant ils sont communs aux différentes branches de la vie
médiévale. Quelques-uns viennent directement du système judiciaire
(commissarius, iustitiarius) ou en ont peut-être subi l'influence (bedellus,
apparitor), d'autres encore ont été empruntés au monde financier (receptor,
campsor). Ceux qui concernent la reproduction des livres forment un
sujet à part, étroitement lié à la vie universitaire et largement tributaire
d'elle 4 . Le vocabulaire du monde scolaire ne joue aucun rôle dans
cette section, ce qui est assez compréhensible : entre l'organisation
scolaire et celle des universités, il y a une rupture totale.
Les résidants et les dirigeants des collèges doivent généralement leur
nom au vocabulaire ecclésiastique (beneficiatus, provisor, custos, bursarius,
prior). C'est naturel, car ces institutions s'inspiraient fortement des
communautés religieuses.
La troisième partie, ayant trait à l'enseignement dispensé par les
universités, contient, bien entendu, plusieurs termes qui faisaient déjà
partie du vocabulaire des écoles. C'est le cas notamment d'audire (auditor,
auditio) et de regere 5 • Cependant, la plupart des mots que j'ai groupés
sous le titre "les cours et les vacances", n'ont pas d'origine spécifique.
Ainsi,punctum, ordinarius et extraordinarius, resumere, vacare (vacatio), terminus,
faisaient partie du vocabulaire commun avant d'acquérir un emploi
spécial dans le cadre universitaire.
L'influence du vocabulaire scolaire est plus nette en ce qui concerne
les méthodes de l'enseignement: lectio et legere, questio, disputatio, opponere,
et les autres termes des disputes étaient en usage dans les écoles pré-

3. Ces termes montrent évidemment une analogie avec les appellations des spécialistes
ou étudiants des diverses disciplines, comme artista, decretista, etc., dont je ne traiterai
pas ici.
4. Ainsi, l'emploi du mot pecia dans le sens dont il s'agit est peut-être originaire du
milieu parisien pendant la première moitié du XIIIe siècle. Peciarius et exemplator sont
des formations nouvelles. Stationarius, emprunté sans doute au milieu des marchands,
semble s'être imposé d'abord au sein de l'université de Bologne.
5. L'emploi absolu est nouveau, mais il vient de l'expression studium ou scolas regere,
en usage avant la naissance des universités.
LE VOCABULAIRE UNIVERSITAIRE 45

universitaires. Certains termes viennent du domaine de l'Eglise (.predicatio,


sermo, collatio) ou de l'enseignement des ordres religieux (biblice). D'autres,
appartenant auparavant au fonds commun de la langue, ont été adaptés
à des emplois très spécifiques, notamment cursorius (-rie), quodlibet, reportare
(-atio), repetere (-titio).
Cette dernière tendance est prépondérante dans la dernière section,
celle des examens et des grades, qui montre relativement peu d'influence
des vocabulaires techniques. Les termes licentiare et examinare sont
originaires des écoles, presentare et au/a du domaine de l'Eglise, deponere
de celui de la juridiction, mais pour le reste, on est en présence de
termes courants et peu spécifiques avant leur incorporation dans le
vocabulaire universitaire. C'est le cas notamment de gradus, promovere,
incipere (-ptio), principium, vesperie, resumere (-ptio ). De plus, on assiste ici
à des emprunts internes, car certains termes étaient déjà employés dans
le contexte universitaire dans un autre sens. Ainsi, conventus dans le sens
d'examen public vient de l'emploi du même mot dans le sens d'assemblée,
déterminatio comme examen dans la faculté des arts est directement
dérivé de l'emploi concernant les disputes. On peut en déduire d'une
part que la mise en place du système des examens s'est effectuée après
la formation du vocabulaire initial des universités, d'autre part, qu'il
s'agit d'une création presque ex nihilo, nécessitée par l'ampleur du
mouvement universitaire et le nombre des étudiants et beaucoup moins
préparée par la tradition scolaire que les méthodes de l'enseignement.
Essayons de résumer. Sur le terrain des institutions et de l'admi-
nistration universitaires, on constate une nette influence du droit public,
qui avait trouvé son essor et laissé son empreinte sur la gestion des
villes et des corporations au cours du xne siècle, et un rôle moins
prononcé qu'on aurait pu le croire joué par l'Eglise, qui a, par contre,
déterminé le vocabulaire des collèges. Il faut en outre citer le milieu
de la juridiction et le monde des sciences et du travail intellectuel 6 .
En ce qui concerne le vocabulaire scolaire, il est certes présent dans
le domaine des institutions, prépondérant dans les dénominations des
professeurs et des étudiants et important dans les méthodes de l'en-
seignement. D'autre part, il n'a joué aucun rôle par rapport à l'admi-
nistration des universités et son influence sur la terminologie de
l'enseignement universitaire en général est, somme toute, relativement
limitée. Cet enseignement a beaucoup évolué et s'est servi de méthodes
nouvelles. En témoignent des termes comme cursorie, quodlibet, reportatio,
repetitio. De plus, comme on vient de le voir, la terminologie des

6. Pour practica(re), sophista, et les termes de la dialectique qu'on ne peut considérer


comme purement scolaires.
46 O. WEIJERS

examens et des cérémonies n'a été que très partiellement préparée par
la tradition.
Par conséquent, je crois pouvoir répondre à la question que je m'étais
posée sur la spécificité du vocabulaire universitaire par rapport à celui
du monde scolaire antérieur, en disant que ce caractère spécifique existe
premièrement dans le domaine de l'organisation et de l'administration,
non seulement beaucoup plus complexes, mais aussi fondamentalement
différentes de celles des écoles, et, deuxièmement, sur le terrain de
l'enseignement, où les méthodes ont évolué assez vite et où un système
d'examens beaucoup plus élaboré a dû être créé du fait du développement
rapide de l'institution.
Au cours du XIIIe siècle, l'essentiel du vocabulaire universitaire s'est
constitué. Pourtant, il sera intéressant de suivre l'évolution de cette
terminologie à l'époque où les universités changent de caractère,
notamment du fait qu'à partir du XIVe siècle, les grands collèges se
chargent d'une partie importante de l'enseignement. L'éclosion de
nouveaux centres, non seulement dans les régions mentionnées, mais
aussi dans les pays germaniques et l'Europe de l'est, nécessite alors une
division géographique de l'espace européen pour approfondir les
recherches. On aimerait savoir dans quelle mesure les universités
allemandes ont enrichi ou modifié la terminologie de l'institution. Il
serait intéressant aussi de pouvoir suivre l'emploi de certains termes
qui commencent à se répandre au XIIIe siècle, pendant les siècles
ultérieurs. Il faudra recourir à l'informatique pour étudier, par exemple
pour une ou deux universités, les créations nouvelles et les modifications
de l'emploi des termes universitaires. Ce sera peut-être l'une des facettes
d'un projet qu'on arrêtera, je l'espère, ici même.

Vous aimerez peut-être aussi