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Qui se ressemble s’assemble ?

Oui, mais…
L’Actualité - Marina M. Doucerain, Université du Québec à Montréal (UQAM) - 13 décembre
2021

Comment favoriser un meilleur vivre-ensemble dans nos sociétés de plus en plus multiculturelles ? La
question est d’importance, car le coût humain et social des tensions interculturelles est substantiel.
Le vivre-ensemble décrit le « minimum vital requis pour vivre en paix avec ses voisins, sans avoir à
s’y investir démesurément », comme l’a écrit Lise Ravary. Ce terme se distingue de l’action de vivre
ensemble, qui fait simplement référence au fait d’exister au sein d’une communauté.
Chercheuse universitaire en psychologie sociale, j’explore cette question dans mes travaux.

Une ségrégation informelle


Au-delà du niveau individuel, la ségrégation ethnique de nos sociétés — la séparation systématique
des personnes selon des critères ethnoculturels — est probablement moins une chose du passé que l’on
aimerait le croire.
Bien sûr, de nombreux pays ont mis en place des législations visant à formellement contrer ce type de
ségrégation, qui résulte de pratiques discriminatoires. On peut penser à la Loi sur l’équité en matière
d’emploi au Canada ou au Fair Housing Act (1968), qui interdit la discrimination dans la vente ou la
location de logements aux États-Unis. Malheureusement, plusieurs études montrent que la ségrégation
ethnique persiste de manière informelle.
Dans l’une d’entre elles, l’équipe de recherche a construit une série de cartes documentant la
composition ethnique des plaisanciers sur une plage sud-africaine (période postapartheid, en 2000).
Ces cartes ont révélé des patrons d’isolement ethnique très clairs où les personnes blanches avaient
tendance à occuper des zones « blanches », et vice-versa pour les personnes noires. Plus encore, les
vacanciers blancs quittaient certaines zones lorsqu’elles devenaient densément occupées par des
vacanciers noirs.
Cette ségrégation ethnique — aussi documentée dans les écoles, les cafétérias, les files d’attente, les
bars, etc. — est complètement informelle. Aucune règle explicite n’indique qu’une personne devrait
choisir telle ou telle zone. Il s’agit donc d’un système de pratiques implicites qui imprègne nos
sociétés, quelque chose que le psychologue John Dixon et ses collègues appellent « la microécologie
de la ségrégation raciale dans les espaces de vie quotidiens ».

Ne pas jeter l’éponge


À première vue, le contact interculturel semble être une panacée pour favoriser le vivre-ensemble. Si
c’en est une, elle est plutôt laborieuse et passablement rare.
Cela ne veut pas dire qu’il faut jeter l’éponge. Au niveau individuel, il serait important d’être
conscient du malaise initial causé par les interactions interculturelles et de l’accepter.
Certaines approches thérapeutiques en psychologie apportent un mieux-être en amenant les individus à
accepter la présence de difficultés et à agir en accord avec leurs valeurs malgré ces difficultés. Une
approche semblable pourrait être envisagée pour le contact interculturel.
Au niveau plus large, une prise de conscience est également nécessaire, pour prendre acte de la
ténacité des pratiques quotidiennes favorisant implicitement la ségrégation ethnique dans nos sociétés.
Il serait aussi judicieux d’établir des partenariats entre les décideurs qui façonnent les espaces publics
et les psychologues spécialisés dans les dynamiques du comportement interculturel. Il devrait être
possible de concevoir des espaces publics qui contrent nos tendances à diviser l’espace selon des
lignes ethnoculturelles.
Aucune de ces recommandations n’est aisée, mais le jeu en vaut la chandelle. À l’instar de Martin
Luther King Jr., « I have a dream », et le contact interculturel reste une avenue prometteuse pour
réaliser cette vision d’un vivre-ensemble harmonieux.
 

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