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REVUE

MÉDICALE
SUISSE
693
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13 mai 2020

MÉDECINE
DES VOYAGES
COVID-19 : ET NOTRE
MONDE SE REFERMA
COMME UNE HUÎTRE…

Séjours en zone endémique de malaria :


prévention
Envenimations, infections
et traumatismes en mer
Santé de la femme en voyage dans
les pays tropicaux
Santé mentale et stress chez
les humanitaires expatriés
Gestion de la santé du personnel
humanitaire du CICR
Bloqueurs du système rénine-
angiotensine-aldostérone et Covid-19
Paradoxe des services d’urgence
durant la crise du Covid-19

Volume 16, 973-1016


ISSN 1660-9379

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Olivier Pasche
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13 mai 2020

ÉDITORIAL COVIDWATCH
1014 Transmission chez les nouveau-nés, les
975 COVID-19 : et notre monde se referma enfants et les adolescents symptomatiques.
comme une huître… F. Chappuis et B. Genton J.-F. Balavoine
1015 Le Covid-19 sur le site revmed.ch

MÉDECINE DES VOYAGES AVANCÉE THÉRAPEUTIQUE


1010 Prise en charge des asthmatiques au temps
978 Séjours prolongés en zone endémique de du COVID-19. J.-Y. Nau
malaria : quelles stratégies de prévention ?
A. Miauton et B. Genton POINT DE VUE
1012 Quels liens entre le SARS et la maladie
984 Envenimations, infections et traumatismes de Kawasaki ? J.-Y. Nau
en mer. G. Alcoba
EN MARGE
989 Santé de la femme en voyage dans les pays 1014 Miscellanées coronavirales, immunologiques,
tropicaux. J. Besson et I. Éperon huileuses et essentielles. J.-Y. Nau

ACTUALITÉ
993 Santé mentale et stress chez les humanitaires 1011 Carte blanche. La pandémie vue du bloc
expatriés. S. Aebischer Perone, M. Bavarel, opératoire : situation au 25 mars.
D. Suzic et F. Chappuis A. Perret Morisoli
998 Gestion de la santé du personnel humanitaire 1012 Lu pour vous. Les sodas augmenteraient-ils
du CICR. F. Althaus les décès toutes causes confondues ?
S. Zurita
977 Résumés des articles TRIBUNE
1016 Donald Trump et le dépistage du Covid-19.
1002 QCM d’autoévaluation J. Cornuz
COVID-19
1003 Les bloqueurs du système rénine-angiotensine-
aldostérone en temps de pandémie Covid-19 :
amis ou ennemis ? A. Pechère-Bertschy, B. Ponte
et G. Wuerzner
1008 Le paradoxe des services d’urgence durant
la crise du Covid-19. T. Schmutz et V. Ribordy

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973
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graves maladies cardiaques comme angor instable, grave insuffisance cardiaque, évènements cardiaques aigus, into-
lérance à la substance active. EI : mal de tête, rougissements, bouffées congestives, dyspepsie, nez bouché, vertiges,
troubles de la vue, priapisme, NAION, tachycardie, hypotonie, épistaxis, myalgie, fatigue. INT : inhibiteurs des enzymes
hépatiques cytochrome P450 3A4 et 2C9 comme le ritonavir, saquinavir, indinavir, érythromycine, cimétidine, itracona-
zole, voriconazole, clarithromycine, bosentan, rifampin et aussi anticoagulants, nicorandil, amlodipine, antagonistes
AT-II, inhibiteurs ACE, alpha-bloquant, utilisation concomitante d’autres inhibiteurs de la PDE5, jus de grapefruit.
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ÉDITORIAL

Covid-19 : et notre monde se


referma comme une huître…
Prs FRANÇOIS CHAPPUIS et BLAISE GENTON

L’écriture de cet éditorial précède de cinq monde dans cinq semaines ; sans vouloir être
­semaines sa parution dans le numéro de la exhaustif, on ne peut qu’espérer que :
Revue Médicale Suisse que vous allez dévorer • le gros de la vague soit derrière nous, avec
dans les minutes et heures qui viennent. Cinq une baisse du nombre de nouveaux cas
semaines paraissent une durée dérisoire, Covid+, celle de patients hospitalisés et
Articles publiés mais si l’on se retourne, on ne peut qu’avoir des hôpitaux qui « respirent » à nouveau.
sous la direction de le vertige en constatant les changements • Au moins un médicament ait démontré son
massifs qui ont bouleversé nos habitudes et efficacité et puisse être utilisé pour préve-
FRANÇOIS celles de milliards de personnes sur notre nir (ou traiter) les complications cliniques
CHAPPUIS planète pendant ces douze dernières semaines. du Covid, et qu’il soit aussi disponible
Service de médecine dans les pays à bas et moyens revenus.
tropicale et En résumé, notre monde s’est refermé • Les enquêtes de séroprévalence aient
humanitaire comme une huître. Au niveau international, ­démontré une immunité populationnelle
Département de les frontières se sont fermées, les assez élevée pour se prémunir
médecine avions sont paralysés sur les d’une deuxième vague ravageuse.
communautaire, de COMME TOUTE
­tarmacs, des passagers – par mil- • Le bilan de vies perdues ne
premier recours et CRISE, CELLE-CI
liers – sont bloqués aux quatre soit pas trop lourd, à la fois pour
des urgences A QUELQUES
HUG, Genève coins du monde, les congrès et les patients Covid+ et pour les
CONSÉQUENCES
manifestations sportives ont été personnes avec d’autres patho­
POSITIVES
annulés, les rêves de voyages logies aiguës ou maladies chro-
BLAISE GENTON ­tropicaux se sont évanouis… Les niques.
Policlinique de rouages du commerce international se sont • Les médecins de premier recours et de
médecine tropicale, grippés, l’offre ne pouvant plus répondre aux spécialités aient repris leurs activités
voyages et besoins avides de tant de pays (c’est une pan- ­ambulatoires normales, avec notamment
vaccinations
démie…) affamés de masques de protection, une reprise du suivi de patients avec des
Unisanté, Centre de
médecine générale et réactifs de laboratoire, respirateurs artificiels, pathologies chroniques.
santé publique etc. et que dire des pays qui n’ont pas les • Les mesures de déconfinement progres-
Lausanne moyens de les acheter. sives aient été prises dans le cadre d’une
concertation entre les milieux politiques,
Dans nos vies de tous les jours, le plafond de scientifiques, sociologiques, économiques,
nos appartements ou maisons est devenu etc.
notre ciel, les courses au supermarché l’évé- • La population ait été informée de manière
nement le plus excitant – et le plus risqué – optimale à ne pas relâcher ses efforts
de la journée, la distance de 2 mètres s’est pendant la phase de déconfinement et
­
gravée dans notre cortex visuel, et la vie continue à adhérer aux recommandations.
­sociale a été déléguée à l’univers digital (par • Les problèmes d’approvisionnement en
exemple : e-apéros sur Zoom) ; ces mesures matériel et en consommables (par exemple :
de confinement auraient même pu être plus masques de protection, solutions hydro­
sévères, comme dans certains pays européens. alcooliques, réactifs de laboratoire) soient
Néanmoins, la plupart d’entre nous, nous résolus, permettant leur application et
sommes adapté∙e∙s à ces contraintes. Même ­déploiement à large échelle (par exemple :
fermée, l’huître continue ainsi à respirer et dépistage très large des personnes symp-
­interagir avec son environnement. tomatiques, protection individuelle dans
les transports publics, etc.)
Il est bien difficile de prédire, au moment où • Les outils digitaux aient été développés et
nous écrivons ces lignes, ce que sera notre déployés pour faciliter et optimiser le s­ uivi

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des patients et des contacts. Globalement cependant, cette pandémie est


• La « relance » soit plutôt un lent redémar- un désastre pour de nombreux pays dont la
rage, au plus proche des préoccupations Suisse, avec des conséquences terribles sur
concernant le climat et la biodiversité les revenus d’un nombre considérable de nos
concitoyens employés dans les petites entre-
Comme toute crise, celle-ci a quelques consé- prises, les commerces de vente, l’économie
quences positives pour tou∙te∙s (diminution domestique, les salons de coiffure, les restau-
de l’empreinte carbone globale) ou pour rants, etc. Tout en remerciant la population
certain∙e∙s (par exemple : élans de solidarité, pour son soutien exprimé chaque soir à
plus de temps consacré à ses proches, vie 20h00, ce sont les personnes travaillant dans
plus simple). Au décours de cette première les secteurs précités auxquelles nous pensons,
vague, nous espérons également que notre et à qui nous dédions cet éditorial et ce
santé publique sortira renforcée et plus apte ­numéro de la Revue Médicale Suisse.
à répondre à une deuxième vague du Co-
vid-19 ou à d’autres épidémies ou pandémies
virales dans le futur.

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Résumés
Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 993-7 Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 984-8 Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 998-1001

Santé mentale et stress chez les Envenimations, infections et Gestion de la santé du personnel
humanitaires expatriés ­traumatismes en mer ­humanitaire du CICR
S. Aebischer Perone, M. Bavarel, D. Suzic G. Alcoba F. Althaus
et F. Chappuis
es baignades en mer aux bienfaits a mission humanitaire (expatriation)
e travail humanitaire est générateur L reconnus font souvent partie des L représente un type particulier de
L de stress qui peut avoir un impact
sur la santé mentale des expatriés
activités prioritaires des voyageurs.
Mais les dangers, notamment en mer
voyage de longue durée. Une mission
avec le Comité international de la Croix-
humanitaires. Afin de diminuer au ­tropicale, sont sous-estimés. Nous Rouge (CICR) dure en moyenne de 12 à
­maximum le stress et ses conséquences, ­décrivons l’éventail des envenimations, 18 mois en fonction du type de métier et
les organisations humanitaires mettent traumatismes et infections marins, soit du niveau de responsabilité. Les facteurs
en place différents dispositifs afin de 1 à 3 % des consultations de médecine de risque pour la santé sont la somme
­garder leur personnel en bonne santé. ­tropicale et des voyages dans la littérature. des risques liés au voyage et ceux liés au
L’humanitaire, quant à lui, doit mettre en Notre revue inclut l’éco-épidémiologie, monde du travail. Les destinations de ce
place des mécanismes d’autoprotection. l’approche c­ linique et la prévention des voyage présentent bien entendu un profil
La majorité des humanitaires vont bien. enveni­mations par des invertébrés de risque particulier avec des contraintes
Le médecin traitant joue un rôle clé dans ­(méduses, ­anémones, oursins, étoiles de de sécurité, d’acceptation de l’action du
la détection des personnes et conduites à mer, poulpes et cônes) et certains CICR et des conditions de vie qui
risque. À l’écoute de l’expatrié, il l’encou- ­vertébrés (raies, ­poissons-pierre, peuvent être difficiles. Cet article détaille
rage à utiliser ses ressources et met en ­serpents). Elle inclut les traumatismes les mesures prises par le CICR pour la
place un soutien adéquat ainsi qu’un ­suivi pénétrants (raies, ­poissons-pierre) et les gestion de la santé de son personnel,
médical si nécessaire. Une collaboration infections par contact (mycobactéries, dans le but de mieux articuler la collabo-
entre le médecin traitant et l’unité santé bactéries ­marines). Les dangers alimentaires ration entre médecin traitant et équipes
des collaborateurs des organisations (ciguatera, fugu, parasites) ne sont pas médicales au sein du CICR et accompagner
huma­nitaires permet une prise en charge décrits ici. Les antidotes, antivenins et le plus possible les humanitaires avant,
­optimale des problèmes médicaux. premiers ­secours sont également pendant et après leur mission sur le terrain.
­présentés.

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 978-83


Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 989-92
Séjours prolongés en zone
endémique de malaria : quelles Santé de la femme en voyage
stratégies de prévention ? dans les pays tropicaux
A. Miauton et B. Genton J. Besson et I. Éperon
es voyageur·euse·s de longue durée es problèmes de santé de la femme en
L sont particulièrement exposé·e·s à
la malaria. Il est essentiel de les
L voyage concernent principalement
la femme enceinte qui, en raison des
­informer sur ce risque, la reconnaissance changements physiologiques, présente
des symptômes de la maladie et la néces- une vulnérabilité aux risques infectieux
sité d’un traitement rapide. Aborder les et non infectieux en lien avec le voyage en
éventuelles craintes des voyageur·euse·s tant que tel ou les activités entreprises.
et répondre à leurs interrogations permet Cet article aborde les risques essentiels
d’améliorer l’adhésion thérapeutique. et détaille les recommandations actuelles
Les mesures de protection personnelles spécifiques à cette population vulnérable
(sprays répulsifs, moustiquaires) sont afin que le praticien soit plus à même de
fondamentales et sûres pour diminuer la conseiller avant le départ. Si le voyage
l’exposition au vecteur de la maladie. est adapté et en l’absence de complication
­Selon le risque individuel de malaria et préexistante, il n’est pas contre-indiqué
les facteurs de vulnérabilité du·de la durant la grossesse.
voyageur·euse, une chimioprophylaxie
initiale ou prolongée et/ou un auto­
traitement d’urgence et un test de
­diagnostic rapide de la malaria peuvent
être proposés.

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Séjours prolongés en zone


endémique de malaria : quelles
stratégies de prévention ?
Dr ALIX MIAUTON a et Pr BLAISE GENTON a

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 978-83

Les voyageur·euse·s de longue durée sont particulièrement Dans cet article, nous expliquerons comment évaluer les
exposé·e·s à la malaria. Il est essentiel de les informer sur ce risques d’exposition, de morbidité et de mortalité associés à
risque, la reconnaissance des symptômes de la maladie et la la malaria, puis nous exposerons les différentes stratégies
nécessité d’un traitement rapide. Aborder les éventuelles
­ préventives existantes et les conditions dans lesquelles les
craintes des voyageur·euse·s et répondre à leurs interrogations unes ou les autres doivent être favorisées.
permet d’améliorer l’adhésion thérapeutique. Les mesures de
protection personnelles (sprays répulsifs, moustiquaires) sont
fondamentales et sûres pour diminuer l’exposition au vecteur de ÉVALUATION DU RISQUE D’EXPOSITION
la maladie. Selon le risque individuel de malaria et les facteurs de
vulnérabilité du·de la voyageur·euse, une chimioprophylaxie
ET DE MORBI-MORTALITÉ LIÉE À LA MALARIA
­initiale ou prolongée et/ou un autotraitement d’urgence et un Afin de pouvoir proposer des mesures adaptées à chaque
test de diagnostic rapide de la malaria peuvent être proposés. voyageur·euse, il est utile en premier lieu d’évaluer le risque
individuel d’exposition à la malaria. D’un point de vue global,
après une diminution notable de l’incidence mondiale de la
Long-term travelers to malaria endemic areas : malaria entre 2000 et 2015, passant de 80 à 59  cas pour
What prevention strategies ? 1000 personnes à risque, l’incidence reste stable depuis 2015.1
Long-term travelers are particularly exposed to malaria. It is essential Lorsqu’on s’intéresse plus spécifiquement à l’incidence de la
to inform them about this risk, the recognition of the symptoms of malaria chez les voyageur·euse·s de longue durée, les chiffres
the disease and the need for prompt treatment. Addressing any sont aussi hétérogènes que les situations qu’ils ­décrivent.
fears of travelers and answering their questions improve therapeutic Quelques exemples : une étude publiée en 2000 a rapporté
adherence. Personal protective measures (repellents, mosquito nets) que 82 % des mineurs expatriés en Zambie ont d ­ éveloppé une
are fundamental and safe to reduce exposure to the vector of the malaria durant leur séjour.2 Plus récemment, en 2014, 12,8 %
disease. Depending on the individual risk of malaria and the special des employé·e·s du ministère des Affaires étrangères du
vulnerability of the traveler, short-term or prolonged chemopro- Royaume-Uni travaillant en zone d’endémie ont affirmé avoir
phylaxis and/or emergency self-treatment and a rapid diagnostic présenté un épisode de malaria en poste.3 L’armée française,
test for malaria may be offered. quant à elle, rapporte un taux d’incidence de malaria d’environ
20 pour 1000 personnes-année.4 Quoi qu’il en soit, la malaria
reste l’un des problèmes de santé principaux des voya­
INTRODUCTION geur·euse·s de longue durée en zone d’endémie. Quant à la
mortalité ­associée à la maladie, on l’estime aujour­d’hui de 1 à
La prophylaxie antimalarique pour les séjours prolongés en 2 % chez les personnes non immunes.5
zone d’endémie (plus de 6  mois) concerne une population
très diverse (expatrié·e·s en zone rurale/urbaine, globe-trotters, Si le risque d’exposition est très variable d’une région à l’autre,
militaires, missionnaires…), non immune à la malaria. Les il diffère également au sein d’une région donnée, selon le
­recommandations ne peuvent se calquer sur celles destinées degré d’urbanisation (risque majoré en régions rurales),
­
aux voyageur·euse·s de courte durée, compte tenu de multiples ­l’altitude (pas d’anophèles au-dessus de 2500  mètres), la
particularités. Une des difficultés réside dans le manque ­saison (augmentation des sites de multiplication du vecteur
­progressif d’adhésion aux mesures de protection, malgré un en saison des pluies). Le type d’habitation sur place (loge-
risque de malaria qui augmente proportionnellement à la ment avec air conditionné ou habitation rustique) et l’activité
­durée du séjour. Par ailleurs, peu de données existent sur la (travail en zone rurale ou travail administratif dans une
sécurité des répulsifs et de la chimioprophylaxie sur le long grande ville) sont également déterminants. Il convient donc
terme. Enfin, l’accès à des structures de soins adéquates peut de préciser ces différents éléments avec le·la voyageur·euse
être très variable d’une région à l’autre et fluctuant au cours puis d’estimer le risque d’exposition comme étant faible,
du séjour. ­modéré ou élevé (considéré par certains auteurs comme une
incidence annuelle au sein de la population autochtone de
respectivement < 1/1000, >1‑10/1000 et >10/1000).6
a Policlinique de médecine tropicale, voyages et vaccinations, Unisanté,
1011 Lausanne Il convient également d’évaluer les facteurs de vulnérabilité
alix.miauton@unisante.ch | blaise.genton@unisante.ch du·de la voyageur·euse, majorant son risque de développer

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MÉDECINE
DES VOYAGES

une malaria sévère. Il s’agit principalement d’une immuno- terrain montrent une protection de > 95 % 1 à 8 heures après
suppression, d’un âge < 5 ans ou > 65 ans, de comorbidités spé- leur application.10 La perméthrine est recommandée pour les
cifiques ou d’une grossesse. L’accès dans les 24‑48  heures à vêtements. Utilisé depuis 1946, le DEET est le répulsif le
une structure de soins adéquate est également déterminant. mieux étudié et son utilisation à long terme est considérée
comme sûre, les rares effets secondaires décrits ayant été
Ces différents éléments doivent ensuite être discutés avec provoqués par une utilisation inappropriée.11 Moins de
­
le·la voyageur·euse, plusieurs études ayant montré que la ­données existent quant à la sécurité d’emploi au long cours
prise de conscience du risque était particulièrement impor- de l’icaridine et du PMD. Le butylacétylaminopropionate
tante pour favoriser l’adhésion aux mesures de prophylaxie.7 d’éthyle (IR3535) n’offre pas une protection de durée suffi-
sante contre les anophèles. Plusieurs huiles essentielles ont
Enfin, il est important de s’assurer que le·la voyageur·euse une activité répulsive sur les moustiques, mais étant très
connaît les symptômes de la malaria, la gravité potentielle de ­volatiles, leur durée d’action est limitée et elles ne sont donc
la maladie et la nécessité d’un diagnostic et d’un traitement pas recommandées. Enfin, il n’y a aucune preuve d’efficacité
rapides. Il est également essentiel que le·la voyageur·euse ait quant à l’effet répulsif des préparations homéopathiques, des
un plan établi en cas de maladie, c’est-à-dire qu’il·elle vitamines B1 et B12 ou de l’ail.9
connaisse les structures de soins susceptibles de le·la recevoir
sur place. Lors du conseil au·à la voyageur·euse, l’accent doit être mis
sur les concentrations minimales de substances actives
­nécessaires, sur la fréquence et sur la dose d’application, une
MESURES DE PROTECTION PERSONNELLES étude ayant montré que seulement 2,5 % des voyageur·euse·s
appliquaient la dose recommandée.12 Une transpiration
Les mesures de protection personnelles constituent la pierre ­importante, la pluie, le vent ou des températures élevées
angulaire de la prophylaxie antimalarique. Dans le cas des ­diminueront l’efficacité du produit. Les principaux produits
voyageur·euse·s de longue durée, il faut favoriser des mesures disponibles en Suisse sont résumés dans le tableau 1.
dont l’effet est permanent : poser des moustiquaires aux
­fenêtres, dormir sous moustiquaire imprégnée (diminue jusqu’à
50 % l’incidence de malaria),8 dans une chambre climatisée. CHIMIOPROPHYLAXIE
Les spirales, les prises antimoustiques électriques ainsi que
les insecticides ne sont pas à recommander en première En complément aux mesures de protection personnelles, la
­intention, leur innocuité n’étant pas avérée.9 chimioprophylaxie antimalarique est indiquée au moins en
début de séjour en zone de haute endémicité de malaria. Les
Bien que requérant une bonne adhésion de la part du·de la trois antipaludéens disponibles –  l’atovaquone-proguanil, la
voyageur·euse, les répulsifs topiques pour la peau et les vête- méfloquine et la doxycycline  – offrent une protection simi-
ments sont extrêmement utiles. Des preuves d’efficacité suf- laire, de l’ordre de 75 à 95 %, ces chiffres étant surtout liés à
fisantes contre les anophèles existent pour trois répulsifs : le l’adhésion.13 Le choix d’un antimalarique tient compte des
N,N-diéthyl-m-toluamide (DEET), l’icaridine et l’essence considérations habituelles pour les séjours de courte durée14
d’eucalyptus (le P-menthane-3,8-diol (PMD)). Les études de (comorbidités, interactions médicamenteuses, effets secondaires

TABLEAU 1 Principaux répulsifs sur le marché suisse


Swiss TPH : Institut tropical et de santé publique suisse.
Principe actif Concentration Durée Sécurité sur Inconvénients Grossesse et Enfants Produits avec label de qualité
minimale d’action le long terme allaitement du Swiss TPH
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N,N-Diéthyl-­ 20 % 6-13 Considéré Abîme le Utilisation À partir de 2 mois • Antibrumm forte (30 %)
m-toluamide heures comme sûr plastique, ­possible (1 application/jour) • Nobite extrême peau
(DEET) l’acétate, le ­(icaridine 20 % et DEET 30 %)
cuir teint • Kik activ (20 %)

Icaridine 20 % Jusqu’à Peu d’études Variations Pas d’études À partir de 1 an • Anti Brumm Kids (25 %)
6 heures chez l’humain individuelles • Autan Protection Plus (20 %)
d’efficacité • Autan Tropical (20 %)
• Sensolar Zero Bite (20 %)
p-Menthane- 30 % 4-6 heures Peu d’études Variations Pas d’études À partir de 3 ans • Antibrumm Naturel
3.8-diol chez l’humain individuelles
(PMD) (huile d’efficacité
essentielle
d’eucalyptus
citronné)
Perméthrine 2 % Jusqu’au Peu d’études –  Utilisation Dès la naissance (sur les • Nobite vêtement
lavage ou chez l’humain possible parties des vêtements qui
> 1 mois ne peuvent pas être portés
à la bouche) (selon le
fabricant, dès 2 ans)
(D'après réf.9-11).

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TABLEAU 2 Comparaison des différents antimalariques utilisés en chimioprophylaxie


ClCr : clairance de la créatinine.
Atovaquone-proguanil Méfloquine Doxycycline
Schéma prophylactique 1×/jour 1×/semaine 1×/jour
1 jour avant le départ, pendant le 1 semaine avant le départ, pendant le 1 jour avant le départ, pendant le
voyage, 7 jours après le retour voyage, 4 semaines après le retour voyage, 4 semaines après le retour
Effets indésirables principaux Troubles gastro-intestinaux Anxiété, dépression, cauchemars, Mycoses vaginales
Ulcères buccaux psychose Phototoxicité
Céphalées Céphalées Troubles gastro-intestinaux
Vertiges Ulcérations de l’œsophage
Contre-indications/précautions Insuffisance rénale sévère (ClCr < 30 Antécédents psychologiques Phototypes I
ml/min) Épilepsie
Troubles du rythme cardiaque
Allergie à la quinine
Insuffisance hépatique Pas d’ajustement pour l’insuffisance Élimination retardée pouvant Ajustement posologique requis en cas
hépatique modérée augmenter les concentrations d’insuffisance hépatique sévère
Pas d’étude pour l’insuffisance plasmatiques
hépatique sévère
Insuffisance rénale Contre-indiqué si insuffisance rénale Pas d’adaptation nécessaire Pas d’adaptation nécessaire
sévère (ClCr < 30 ml/min)
Interactions Substrat du CYP 2C19 Substrat du CYP 3A4 Inhibiteur du CYP 3A4
Inhibiteur et substrat de la P-glyco­
protéine
Grossesse/allaitement Pas recommandé en 1er choix 1er choix Contre-indiqué pendant la grossesse et
Administrable pendant la grossesse en l’allaitement
dernier recours
Pour l’allaitement, à n’utiliser qu’en
dernier recours si l’enfant < 5 kg
Période préconceptionnelle 2 semaines après la dernière dose Pas de problème 1 semaine après la dernière dose
Enfants Autorisé si enfant > 11 kg Pas recommandé chez l’enfant < 5 kg Contre-indiqué chez l’enfant < 8 ans
Données limitées chez l’enfant < 5 kg (manque de données)
Prix indicatif pour un mois de 110.– à 126.– 62.– 54.–
traitement (en CHF)

potentiels, praticité, prix)15 qui sont rappelées dans le tableau 2. voyageur·euse·s ayant pris plus de 4 semaines de traitement
À noter que 80 % des voyageur·euse·s présentent des effets (certain·e·s jusqu’à 2 ans).20 Concernant la doxycycline, un
­secondaires légers quel que soit l’antimalarique utilisé, et large panel de militaires ayant pris le traitement à dose
­respectivement 12 % des voyageur·euse·s avec méfloquine, 6 % prophylactique en Somalie et au Cambodge pendant res-
avec doxycyline et 7 % avec atovaquone-proguanil présenteront pectivement 4 et 12 mois l’a bien toléré, avec uniquement
un symptôme nécessitant une consultation médicale.16 Concer- 1 % d’arrêt en raison de troubles gastro-intestinaux et de
nant la chimioprophylaxie pour les séjours de longue durée, plu- photosensibilité.21 Par ailleurs, plusieurs études, notamment
sieurs paramètres supplémentaires sont à prendre en compte : en dermatologie, ont étudié la tolérance aux tétracyclines
• La sécurité d’emploi des différents traitements sur le long pour des traitements de plusieurs années, concluant à une
terme. Peu de données existent, raison pour laquelle bonne tolérance.22 Pour finir, une large étude rétrospective
­Swissmedic limite la durée de prescription à un an pour sur 2701 volontaires du Peace Corps ayant pris en moyenne
l’atovaquone-proguanil et à deux ans pour la doxycycline. 19  mois de prophylaxie par méfloquine, doxycycline ou
Néanmoins, aucune preuve d’effet secondaire supplémen- chloroquine n’a pas relevé d’augmentation des effets
taire n’a été mise en évidence après utilisation prolongée ­secondaires avec le temps.23 En raison de ces données ras-
des différents antimalariques. Concernant la méfloquine, surantes, il n’y a désormais plus de limite maximale d’utili-
une étude prospective sur 421 volontaires du Peace Corps a sation pour les 3 antimalariques dans les recommandations
même constaté une diminution du nombre d’effets américaines. Les données et les recommandations actuel-
s­econdaires avec le temps (44 % à 4 mois versus 19 % après lement disponibles sont résumées dans le tableau 3.
1 année).17 Les analyses pharmacocinétiques ne parlent pas • Les difficultés d’adhésion au traitement sur le long cours.
non plus en faveur d’une accumulation de la molécule au Plusieurs études soulignent la problématique de l’adhésion
cours du temps.18 Quant à l’atovaquone-proguanil, des médicamenteuse sur le long cours, y compris dans des
données prospectives sur 154  voyageur·euse·s ayant pris ­milieux très encadrés comme l’armée. Par exemple, une étude
jusqu’à 34  semaines de traitement montraient un profil rétrospective portant sur environ 1200 soldats de l’armée
d’effets secondaires superposable à celui rencontré lors de française a conclu à une mauvaise adhésion thérapeutique
traitements plus courts, avec uniquement 1 % des patients chez près d’un soldat sur deux. L’adhésion est encore
ayant dû arrêter le traitement en raison de diarrhées.19 Des moins bonne dans une autre étude transversale portant sur
résultats similaires ont été obtenus auprès de 169 des employé·e·s des Affaires étrangères du Royaume-Uni :

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MÉDECINE
DES VOYAGES

TABLEAU 3 Résumé des évidences et recommandation sur la sécurité des antimalariques à long terme
Études États-Unis Royaume-Uni Canada (Guidelines Suisse
(Guidelines CDC 2020) (Guidelines ACMP 2019) CATMAT 2014 et 2019)
Méfloquine 2,5 ans17,23 Pas de limite 3 ans Pas de limite Pas de limite
Prolongation possible si nécessaire
Atovaquone-proguanil 8 mois19 Pas de limite 1 an 1 an 1 an
Quelques voyageur·euse·s Prolongation possible si nécessaire
jusqu’à 2 ans35
Doxycycline 19 mois21,23 Pas de limite 2 ans 2 ans 2 ans
Prolongation possible si nécessaire

la majorité des personnes (59 %) avait arrêté la prophylaxie


Antimalariques utilisés pour
après 3 mois de séjour sur place.3 Après une année de ­séjour TABLEAU 4 l’autotraitement d’urgence
sur place, l’adhésion était encore moindre. Les raisons
­invoquées sont principalement liées à la crainte d’effets ClCr : clairance de la créatinine.
­secondaires (réels ou supposés), à une fausse perception Atovaquone-proguanil Artéméther-
du risque, à l’impression d’avoir acquis une immunité luméfantrine
contre la maladie ou aux recommandations contradictoires Posologie (adulte) 4 cp 1×/jour pendant 3 4 cp de suite, 4 cp 8
des professionnel·le·s sur place. La praticité du traitement jours heures plus tard, puis 4
joue également un rôle, et l’adhésion à la méfloquine, prise cp toutes les 12 heures
pendant 48 heures (à
une fois par semaine, est ainsi en général meilleure.24 prendre avec un repas)
• Le prix, qui peut être décisif dans le choix d’une molécule
Avantages/inconvé- Pas recommandé si Clairance parasitaire très
au profit d’une autre. nients prise de prophylaxie rapide
par atovaquone-pro-
Encore une fois, le·la practicien·ne a donc un rôle fondamental guanil
à jouer lors de la prescription de cette prophylaxie, afin de Effets indésirables Troubles gastro-intesti- Nausées, vomissements
discuter des différents enjeux avec le·la voyageur·euse et de principaux naux Céphalées
partager la décision. Ulcères buccaux
Céphalées
Contre-indications/ Insuffisance rénale – 
précautions sévère (ClCr < 30 ml/min)
AUTOTRAITEMENT D’URGENCE
Insuffisance hépatique Pas d’ajustement en cas Pas d’ajustement en cas
Le traitement d’urgence est complémentaire à la chimio­ d’insuffisance hépa- d’insuffisance hépatique
tique modérée modérée
prophylaxie médicamenteuse, qui, rappelons-le, ne garantit Pas d’étude pour l’insuf-
pas une protection à 100 %. Il s’agit d’un traitement de réserve fisance hépatique
à prendre en cas de symptômes évocateurs de malaria, si le·la sévère
voyageur·euse est à plus de 24‑48 heures d’un centre médical Insuffisance rénale Contre-indiqué si Peu de données en cas
pouvant effectuer un diagnostic et un traitement adéquat. Il insuffisance rénale d’insuffisance rénale
ne supplée en aucun cas une consultation médicale, mais vise sévère (ClCr < 30 ml/ sévère
min)
par un traitement précoce à éviter le développement d’une
éventuelle malaria sévère.25 Les options médicamenteuses Interactions Substrat du CYP 2C19 Substrat majeur du CYP
3A4, substrat du CYP
sont similaires à celles du traitement d’une malaria non 2C9, 2C19, 2B6
compliquée, soit, en Suisse, l’artéméther-luméfantrine et
­ Inhibiteur du CYP2D6
l’atovaquone-proguanil, dont les caractéristiques sont rappe- Grossesse/allaitement Pas recommandé Prudence au 1er trimestre
lées dans le tableau 4. L’artéméther-luméfantrine est souvent pendant la grossesse ou (favoriser clindamycine
le premier choix de traitement (excellente efficacité, bonne si l’enfant allaité pèse et quinine)
tolérance, pas d’indication en prophylaxie). < 5 kg Autorisé aux 2e et 3e
trimestres
Pour l’allaitement, à
Si son utilisation est parfois controversée pour les n’utiliser qu’en dernier
voyageur·euse·s de courte durée, notamment en raison d’une recours si l’enfant < 5 kg
(sécurité inconnue)
utilisation souvent inadéquate (prise du traitement malgré
l’absence de critères, pas de consultation médicale après prise Enfants Autorisé si enfant > 5 kg Sécurité inconnue chez
du traitement),26 l’autotraitement d’urgence reste particuliè- Données limitées chez l’enfant < 5 kg
l’enfant < 5 kg
rement pertinent pour le·la voyageur·euse au long cours dans
des régions dépourvues de structures de santé adéquates ou
reculées, mais également pour éviter les contrefaçons. Les
faux médicaments sont en effet extrêmement répandus en TESTS DE DIAGNOSTIC RAPIDE
Asie du Sud-Est comme en Afrique, avec parfois plus de 50 %
des comprimés d’artésunate achetés sur place ne contenant En complément à l’autotraitement d’urgence, un test de
aucun principe actif.27 diagnostic rapide de la malaria peut être remis au·à la
­

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voyageur·euse. Ces tests immunochromatographiques détectent


Résumé des stratégies pour la
en 15  minutes à partir de sang capillaire la présence d’anti-
FIG 1 prévention de la malaria chez les
gènes circulants, spécifiques au Plasmodium. Réalisés par du voyageur·euse·s de longue durée
personnel qualifié, leur sensibilité et leur spécificité sont
­respectivement de l’ordre de 97 et 99 % pour la malaria à Voyageur de longue durée en zone d’endémie de malaria
P.  falciparum.28 Néanmoins, ils ne renseignent pas sur la Facteurs de vulnérabilité Risque individuel d’exposition
­parasitémie et des faux négatifs peuvent survenir en cas de Âge < 5 ans ou > 65 ans Situation géographique
Altitude
Grossesse
parasitémie faible, très élevée (effet prozone), de Plasmodium Immunosuppression
ÉVALUER Saison
Comorbidités spécifiques Région urbaine/rurale
mutants ou en cas de malaria à Plasmodium non falciparum. Isolement géographique Logement
Activité

INFORMER
La consigne donnée aux voyageur·euse·s est de réaliser ce test Prise de conscience du risque
en cas d’état fébrile et d’impossibilité de consulter un centre Reconnaissances des symptômes
Gravité de la maladie
médical dans les 24‑48  heures. Si le test est positif, le·la Nécessité d’un diagnostic et traitement rapides
Identifier les structures de soins sur place
voyageur·euse doit prendre l’autotraitement d’urgence, s’il

Favoriser
est négatif et que la fièvre persiste, il doit être répété 24 heures Mesures de protection personnelles contre le vecteur
Moustiquaires imprégnées de longue durée
plus tard. Quel que soit le résultat du test, le·la voyageur·euse Moustiquaires aux fenêtres
Chambre climatisée
doit consulter dans les meilleurs délais pour la suite de la Répulsifs pour la peau et les vêtements
prise en charge. Risque de malaria
Risque de malaria élevé
modéré ou faible

Si plusieurs voix se sont exprimées en défaveur de cette


Chimioprophylaxie continue Autotraitement d’urgence
­stratégie, pointant des difficultés dans la réalisation et l’inter- Doxycycline Envisager Artéméther-luméfantrine
Atovaquone-proguanil après 3 mois Atovaquone-proguanil
prétation du test par les voyageur·euse·s, plusieurs études Méfloquine ± Test de diagnostic rapide
­récentes montrent qu’après une formation adéquate dans un
centre spécialisé auprès d’un public sélectionné (notamment
les voyageur·euse·s de longue durée), ces tests sont globale-
ment bien utilisés et s’avèrent très utiles.29 Ils permettent test de diagnostic rapide peut être proposée. Ces différentes
d’éviter un surdiagnostic de malaria et le recours inutile aux options sont résumées dans la figure 1.
auto­traitements d’urgence. Par ailleurs, les voyageur·euse·s
étaient globalement très satisfait·e·s de ce test et se sentaient
plus en sécurité.30 CONCLUSION
La Suisse compte toujours environ 230 cas annuels de malaria
STRATÉGIES DE PRÉVENTION importée suite à un voyage,34 qui pourraient en grande partie
être évités grâce à une prophylaxie antimalarique bien
Pour les séjours en zone à risque minime ou modéré de conduite. Les voyageur·euse·s de longue durée sont particuliè­
­malaria, les éventuels effets secondaires d’une chimioprophy- rement exposés au risque de développer une malaria durant
laxie dépassent leur potentiel bénéfice : l’autotraitement leur séjour. Le risque d’exposition et de complications étant
­d’urgence associé ou pas à un test rapide est donc la solution de très variable d’une situation à l’autre, il est essentiel d’indivi-
choix.31 Cette stratégie est également utile pour des routards dualiser les recommandations, entre mesures de protections
(backpackers) voyageant dans des zones à risque variable de personnelles contre le vecteur, chimioprophylaxie, autotrai-
malaria (Asie du Sud-Est, Amérique latine), sans itinéraire tement d’urgence et test de diagnostic rapide. L’attention
préétabli. Concernant les femmes enceintes, plus exposées donnée aux conseils avant le voyage, la réponse aux éven-
(elles sont piquées plus fréquemment par les moustiques)32 et tuelles craintes et la décision partagée sont particulièrement
plus à risque de malaria sévère,33 la tendance sera de privilégier importantes afin d’améliorer l’adhésion thérapeutique.
une prophylaxie sur le long terme (en premier lieu par méflo-
quine), y compris dans des zones à risque modéré, en plus du
test rapide de malaria et de l’autotraitement d’urgence. Une
stratégie similaire peut être recommandée au cas par cas chez
les enfants de moins de 5 ans, les personnes de plus de 65 ans
ou immunosupprimées.6

Pour les séjours prolongés en zone à haut risque de malaria, il


semble illusoire de compter sur l’efficacité d’une chimiopro-
phylaxie de longue durée, au vu de la faible adhésion théra-
peutique à long terme. La chimioprophylaxie reste néanmoins
particulièrement importante les 3 premiers mois du séjour, le Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
temps notamment de se familiariser avec les structures avec cet article.
­médicales sur place. Aborder les craintes des voyageur·euse·s, Remerciements : À Mme Marie José Barbalat pour sa relecture.
notamment sur la sécurité d’utilisation de la chimioprophy-
Sites internet utiles : www.bagadmin.ch : Recommandations suisses de l’OFSP
laxie sur le long terme, peut améliorer l’adhésion. Par la suite, concernant les mesures de prévention de la malaria et les vaccinations par pays
en fonction des préférences ou réticences du·de la voyageur·euse, www.safetravel.ch : Conseils médicaux aux voyageur·euse·s du comité d’experts
une stratégie uniquement par autotraitement d’urgence et suisse en médecine des voyages

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MÉDECINE
DES VOYAGES

IMPLICATIONS PRATIQUES prevention in travelers. Infect Dis Clin meta-analysis. J Travel Med 2019;26
North Am 2012;26:637‑54. doi: 10.1093/jtm/taz027.
16 Schlagenhauf P, Tschopp A, Johnson 27 Dondorp AM, Newton PN, Mayxay
Discuter des différentes stratégies préventives avec le·la R, et al. Tolerability of malaria M, et al. Fake antimalarials in
voyageur·euse et aborder ses éventuelles craintes permettent chemoprophylaxis in non-immune Southeast Asia are a major impediment
d’améliorer l’adhésion thérapeutique travellers to sub-Saharan Africa: to malaria control: multinational
multicentre, randomised, double blind, cross-sectional survey on the
Les mesures de protection personnelles sont essentielles et four arm study. BMJ 2003;327:1078. prevalence of fake antimalarials. Trop
doivent être maintenues sur la durée 17 Lobel HO, Campbell CC, Hightower Med Int Health 2004;9:1241‑6.
AW, et al. Long-term malaria prophy- 28 Marx A, Pewsner D, Egger M, et al.
En région de haute endémie de malaria, une chimioprophylaxie laxis with weekly mefloquine. Lancet Meta-analysis: accuracy of rapid tests
est recommandée les 3 premiers mois de séjour. Par la suite, 1993;341:848‑51. for malaria in travelers returning from
18 Pennie RA, Koren G, Crevoisier C. endemic areas. Ann Intern Med
selon le souhait du·de la voyageur·euse, cette prophylaxie peut Steady state pharmacokinetics of 2005;142:836‑46.
être maintenue ou remplacée par un autotraitement d’urgence, mefloquine in long-term travellers. 29 Roukens AH, Berg J, Barbey A,
éventuellement associée à un test de diagnostic rapide Trans R Soc Trop Med Hyg Visser LG. Performance of self-diagno-
1993;87:459‑62. sis and standby treatment of malaria in
Pour les femmes enceintes, les enfants en bas âge, les per- 19 Overbosch D. Post-marketing international oilfield service employees
sonnes de plus de 65 ans ou immunosupprimées séjournant en surveillance: adverse events during in the field. Malar J 2008;7:128.
zone de haute endémie, la chimioprophylaxie doit en général être long-term use of atovaquone/proguanil 30 Berthod D, Rochat J, Voumard R, et
for travelers to malaria-endemic al. Self-diagnosis of malaria by
prolongée countries. J Travel Med 2003;10(Suppl. travellers: a cohort study on the use of
1):S16‑20; discussion S21‑3. malaria rapid diagnostic tests provided
20 Overbosch D, Schilthuis H, Bienzle by a Swiss travel clinic. Malar J
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REVUE MÉDICALE SUISSE

Envenimations, infections et
­traumatismes en mer
Dr GABRIEL ALCOBA a

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 984-8

Les baignades en mer aux bienfaits reconnus font souvent partie ÉCO-ÉPIDÉMIOLOGIE
des activités prioritaires des voyageurs. Mais les dangers,
­notamment en mer tropicale, sont sous-estimés. Nous décrivons Traitées sur place dans l’urgence, les pathologies marines
l’éventail des envenimations, traumatismes et infections marins, sont souvent sous-estimées par les cliniques de médecine
soit 1 à 3 % des consultations de médecine tropicale et des ­tropicale dans les pays d’origine. La plupart des patients ne
voyages dans la littérature. Notre revue inclut l’éco-épidémiologie, consultent que sur place, et non pas au retour en Suisse. En
l’approche clinique et la prévention des envenimations par des effet, leurs conséquences sont aiguës, courtes, parfois mortelles,
invertébrés (méduses, anémones, oursins, étoiles de mer, poulpes mais rarement chroniques. Leur épidémiologie est peu connue
et cônes) et ­certains vertébrés (raies, poissons-pierre, serpents). dans la plupart des pays à faible et moyen revenus.
Elle inclut les traumatismes pénétrants (raies, poissons-pierre)
et les ­infections par contact (mycobactéries, bactéries marines). De rares études précisent l’incidence des pathologies marines.
Les dangers alimentaires (ciguatera, fugu, parasites) ne sont pas Une étude canadienne3 d’une base de données sur 1076 voya­
­décrits ici. Les antidotes, antivenins et premiers secours sont geurs avec des pathologies cutanées (CanTravNet), en 2009-
également présentés. 2012, rapporte 37 envenimations et traumatismes marins dus
à des méduses, autres cnidaires, anémones, raies et poissons
venimeux. Il s’agit de 3,4 % des consultations post-voyage. Les
Sea bathing dangers: marine envenoming, trauma, États-Unis enregistrent en moyenne 1800  envenimations et
and infections infections marines annuelles, dont 500 requièrent une
Sea bathing is often a priority activity for travelers, with widely ­hospitalisation.2 À notre consultation de médecine tropicale
­recognized health benefits. The dangers, in contrast, are underesti- et des voyages aux HUG, nous avons traité 6 patients dans les
mated, especially in tropical seas. We describe the scope of marine 12  derniers mois pour les pathologies marines suivantes :
envenoming, trauma, and infections, representing 1-3 % of tropical ­traumatismes par épines d’oursins surinfectés et par dards de
and travel medicine consultations in the literature. Our review poissons-pierre et de raies, toxines de méduses, dermatite du
­includes the eco-epidemiology, clinical approach, and prevention surfeur (cnidaires), et une infection polybactérienne sur du
of envenoming by invertebrates (jellyfish, anemone, sea-urchin, corail.
starfish, octopus, sea cone) and some vertebrates (stingrays, stone
fish, snakes). We include penetrating trauma (by stingray, stonefish, Facteurs de risque
sea urchin, coral) and infections (mycobacteria, marine bacteria).
Eating-related dangers (ciguatera, fugu, parasites) are not described Le niveau de risque varie selon le type d’activité. Les nageurs
here. We also present antidotes, antivenoms, and first-aid. et surfeurs sont plus exposés aux coraux, oursins, étoiles de
mer et méduses. Les plongeurs, eux, sont plus exposés aux
­lésions pénétrantes graves par des raies, poissons-pierre ou
INTRODUCTION poissons-scorpions. Enfin, les pêcheurs triant leurs filets sont
les premières victimes des serpents de mer, qui mordent
Les baignades en mer, la pêche et les sports aquatiques sont ­rarement mais sont très létaux.1 Nous détaillerons ci-dessous
importants pour l’économie et le développement physico­ l’épidémiologie et les facteurs de risque (activité, géographie)
psychique d’une grande partie de la population mondiale. Les par type de pathologie marine.
bienfaits, reconnus, sont à mettre en contraste avec les
­dangers potentiels, notamment dans certaines mers tropicales. Infections marines
Cet article porte un regard nouveau sur les pathologies de la
« médecine marine » : envenimations, traumatismes et infections. Les infections marines les plus fréquentes sont dues à des
Ces chapitres sont retrouvés dans les livres de référence en mycobactéries et autres bactéries marines. Mycobacterium
médecine tropicale1 et médecine d’expédition.2 Nous aborderons marinum est fréquente chez le pêcheur, responsable d’ulcères
l’éco-épidémiologie, puis l’approche clinique et la prévention et de papules verruqueuses, parfois difficiles à traiter et déla­
des pathologies marines. brantes. Dans une étude australienne,4 sur 28 lésions marines
suppuratives cultivées, les deux pathogènes les plus fréquents
sont Staphylococcus aureus (64,3 %) et Vibrio  sp. (32,1 %). La
culture est polymicrobienne chez 11  patients (39,3 %). Les
bactéries Gram positif comprennent les staphylocoques, les
a Service de médecine tropicale et humanitaire, HUG, 1211 Genève 14 streptocoques et l’Erysipelothrix rhusiopathiae. Ce dernier,
gabriel.alcoba@hcuge.ch ­retrouvé sur les coquillages et épines de poissons-pierre, peut

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causer une cellulite érythémateuse classique, le « rouget » Les invertébrés comprennent :


(­figure 1), une simple urticaire, une arthrite, un sepsis, voire 1. Les cnidaires : méduses, coraux, anémones, plumes de mer…
une endocardite. 2. Les échinodermes : oursins, étoiles de mer.
3. Les mollusques : cônes, poulpes.
Les principales bactéries marines Gram négatif sont les 4. Les éponges.
­Vibrio, Aeromonas, Shewanella, Chromobacterium, Edwardsiel- Les vertébrés incluent :
la, Serratia sp., transmises lors de blessures. Vibrio vulnificus, 1. Les poissons-pierre et les scorpionidés.
V. carchariae et V. parahemolyticus préfèrent l’eau saumâtre 2. Les raies venimeuses.
des estuaires et infectent par inoculation traumatique (corail, 3. Les serpents de mer.
coquilles, raies). Les infections à V.  vulnificus causent une
dermatite bulleuse purpurique, parfois accompagnée de Méduses et cnidaires
­nécrose et d’un choc, avec une mortalité au-delà des 25 % en La piqûre de méduse est la première cause d’envenimation
cas d’immunosuppression ou de diabète.2 Elle peut être très marine et l’une des premières causes de décès, loin devant les
délabrante, à type de fasciite nécrosante (par exemple, morsures de requins. Les méduses sont responsables de
­épidémie de flesh-eating bacteria aux États-Unis lors du c­ yclone ­véritables « épidémies » d’envenimations saisonnières en été
Katrina). en zone méditerranéenne et pendant la saison chaude et
­humide en zone tropicale. Par exemple, 19 000  baigneurs
Traumatismes par animaux marins furent traités par la Croix-Rouge espagnole en 2006 sur la
Costa Brava ; 250 000 nageurs furent piqués en été 1978 par
Les traumatismes par des animaux marins, avec ou sans enve­ Pelagia noctiluca dans l’Adriatique.1 Les cuboméduses causent
nimation, sont de deux types : premièrement, les morsures de des centaines de décès par an dans les mers tropicales ; par
requins et d’autres grands poissons, murènes, mérous et exemple, en Australie, un décès tous les 2  ans (70 depuis
­barracudas. Une centaine de morsures et une moyenne de dix 1883). À Cairns, en Australie, 116 cas sévères ont été enregistrés
décès annuels par morsure de requin sont rapportés dans le en 3 ans.5 Aux Philippines, environ 20 à 50 personnes par an
monde.1 décèdent des piqûres de cuboméduses Chironex. En Malaisie,
plusieurs lieux sont connus pour des décès annuels dus à ces
L’autre type de traumatisme est dû aux dards et épines de cuboméduses.6
poissons, avec ou sans envenimation. Il s’agit des raies, dont
les dards peuvent atteindre le thorax et le cœur et causer des On distingue trois familles de méduses, présentées dans le
hémorragies sévères. D’autres dards-épines moins dangereux ­tableau 1 :
mais très douloureux et fréquents incluent ceux des oursins, 1. Les scyphozoaires, des méduses communes, présentes
étoiles de mer et coraux de feu. Ils s’accompagnent parfois dans toutes les mers, sont reconnaissables à leurs tenta­
d’envenimations ou de surinfections. cules à intervalles réguliers autour d’une cloche radiaire.
2. Les cubozoaires ou cuboméduses des mers tropicales, no­
Envenimations marines tamment d’Asie du Sud-Est et d’Australie, ont une forme
cubique, avec des tentacules uniquement aux quatre coins
L’épidémiologie des envenimations marines est très riche et inférieurs, dont les chirodropides (Box jellyfish, environ
complexe. On distingue les envenimations par invertébrés ou 3 m), et les charybdéides (par exemple, Irukandji, millimé­
vertébrés. triques), toutes dangereuses.
3. Les hydrozoaires, fausses méduses, présentes dans l’océan
Pacifique et dans les Caraïbes, qui sont des organismes
Érythème dû à une infection par
FIG 1 Erysipelothrix rhusiopathiae
complexes à flotteur et à voile (environ 15-20 cm), flottant
à la surface, au gré des vents et des courants. Les plus
connues sont les physalies ou galères portugaises (Physalia sp.,
Blue bottles), dont les tentacules peuvent atteindre 40  m.
Leur clinique très différente est décrite plus bas. Leur épi­
démiologie est résumée dans la figure 2. La figure 3 montre
les quatre classes de méduses d’importance médicale.

Les autres cnidaires, anémones, coraux mous et durs, plumes


de mer et autres organismes à nématocystes, causent des
­piqûres sous toutes les latitudes tropicales. L’épidémiologie
est moins connue que celle des méduses, mais probablement
confondue avec celle-ci, compte tenu de la ressemblance des
symptômes ressentis et de la difficulté à voir le cnidaire res­
ponsable. Le fardeau épidémiologique se situe probablement
autour du million de piqûres par an.

Oursins, étoiles, pieuvres, cônes et éponges


L’épidémiologie des piqûres d’échinodermes (étoiles de mer
Source : WikiDoc : Freely reusable, adapted from original Created by Samuel Freire da
Silva ; www.wikidoc.org/index.php/File:Erysipeloid01.jpg, www.atlasdermatologico. et oursins), venimeux ou non venimeux, est peu décrite. Des
com.br/disease.jsf?diseaseId=133 millions de piqûres d’épines d’oursins surviennent chaque

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TABLEAU 1 Classification syndromique et thérapeutique des piqûres de méduse


a Eau douce : hypotonique, fait éclater les nématocystes, empire l’envenimation ; b Application chaleur, eau salée chauffée à 48 °C, sèche-cheveux (attention
brûlures), sable au soleil, papier chaud (ne pas étaler).

Méduse ou physalie Clinique Traitement


1. Scyphozoaires Urticaire linéaire, plaques, vésicules, œdème, pas de Retrait à la pince ou à l’eau de mer (jamais d’eau douce
Méduses communes symptômes systémiques hypotoniquea)
Et larves de Linuche (prurit du baigneur) Crème stéroïde, antalgie
2. Cubozoaires Plaques linéaires pourpres et douleur intense Réanimation/Soins intensifs. Oxygène
2a. Cuboméduses chirodropides Sévère : perte de connaissance en 2-3 minutes, hypoten- Retrait à la pince des tentacules
Par exemple : Chironex fleckeri sion, paralysie respiratoire, arrêt cardiaque, œdème Vinaigre pendant 30-60 secondes
pulmonaire Réchauffer les lésions : 2 minutes à 53 °C ou 20 minutes
Mortalité : 15-20 % à 48 °C (attention aux brûluresb)
Nématocystes venimeux pendant 2 semaines Antivenin australien CSL en IV
Possible envenimation aiguë sur contact de méduses Antalgie : morphine
apparemment mortes, échouées sur une plage – Ne pas rincer/étaler avec l’eau de mer
– Ne pas racler avec une carte de crédit
– Pas d’eau doucea
2b. Cuboméduse Syndrome Irukandji : vomissements, céphalées, dorsalgies, Vinaigre
Charybdéides millimétriques type arthralgies (± chronique) Réchauffer (pas de cold-pack/froid)
Irukandji Sévère : œdème pulmonaire Syndrome Irukandji : morphine, oxygène
Par exemple : C. barnesi, M. kingi Insuffisance cardiaque Soins intensifs
Hémorragie cérébrale (selon échographie cardiaque, ECG, troponines)
3. Hydrozoaires Peau : œdème, douleur, nécrose Caraïbes : vinaigre
Physalia (organisme à flotteur et à voile) Systémique : douleur abdominale, vomissements, confusion, Indo-Pacifique : Chaleur environ 48 °C
Par exemple : galère portugaise spasmes musculaires, voire détresse respiratoire Mélange bicarbonate de soude et eau salée
(Adapté de réf.7)

année sans être rapportées, probablement en raison de


Épidémiologie globale des décès
FIG 2 dus aux méduses ­l’absence de gravité sauf rares exceptions (oursins venimeux).
Leur distribution est globale, les plus venimeux vivant dans
les mers chaudes.

Les mollusques venimeux, cônes de mer et pieuvres à anneaux


bleus, très venimeux, sont une menace rare et localisée dans
certaines zones des océans Indien et Pacifique (cônes) et sur
les côtes de Papouasie-Nouvelle-Guinée et d’Australie
(pieuvres à anneaux bleus).1 Les cônes de Méditerranée ne
sont pas dangereux. Enfin, les éponges toxiques sont ubiqui­
taires et leur épidémiologie est peu décrite.

Poissons-pierre, poissons-scorpions et raies venimeuses


Ces trois types de poisson sont fréquents dans toutes les
mers tropicales, ainsi que dans les mers tempérées (raie
Source : www.stingeradvisor.com/distribution.htm (open source)

FIG 3 Quatre méduses d’importance clinique

Cuboméduse Cuboméduse Irukandji Galère portugaise Méduse commune


Chironex fleckeri Malo kingi Physalia physalis Pelagia noctiluca
Auteurs :
Guido Gautsch Gondwana Girl NOAA/OER US dpt.com. Hans Hillewaert
Source : Wikipedia, Wikimedia Commons (reuse freely), Creative Commons (CC); © CC BY-SA 4.0 for H. Hillewaert.

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­astenague). L’épidémiologie aux États-Unis est mieux


p l’application de chaleur à 48 °C environ, et les soins intensifs
connue : 1500  piqûres de raie et 300  piqûres de poisson-­ améliorent la survie.7,8 Le seul antivenin spécifique (CSL Box
scorpion chaque année.1 La plupart des piqûres atteignent la Jellyfish) versus Chironex fleckeri s’administre en perfusion
plante de pied, sauf pour les raies dont l’épine mobile sur le intraveineuse.
haut de la queue peut atteindre – et parfois transpercer – le
mollet, la cuisse ou l’abdomen. Un point important commun à toutes les envenimations par
vertébrés ou invertébrés marins est que le réchauffement de
Serpents de mer la plaie à 48 °C (eau de mer, bouillotte) pendant 20 minutes
Contrairement aux envenimations par serpents terrestres, semble désactiver la plupart des toxines (cnidaires, échino­
première cause mondiale de décès par envenimation, soit dermes, poissons-pierre, raies…). En cas d’envenimation par
­environ 100  000  décès par an, les serpents de mer (Hydro­ coraux de feu ou éponges venimeuses, l’application de vinaigre
phiinae) ne causent que quelques dizaines de morts (enregis­ est efficace.
trées) chaque année. Timides et rapides, ils évitent les
­plongeurs. Ils ne mordent que quand ils sont directement En revanche, une envenimation par certains cônes de mer
­menacés ou manipulés, typiquement par erreur par les pêcheurs exotiques ou pieuvres à anneaux bleus cause une paralysie
qui trient à la main leurs filets, uniquement sur les côtes des ­rapide mortelle par différents mécanismes, insensibles à ces
océans Indien et Pacifique. méthodes. Ces deux mollusques produisent les venins les
plus puissants de la planète et se trouvent en Asie et en
­Australie (Japon, Indonésie, Australie). La pieuvre à anneaux
APPROCHE CLINIQUE DES PATHOLOGIES MARINES bleus cause une paralysie flasque due aux octopamines et
­tétrodotoxines (blocage des canaux sodiques) et 26 autres
Infections marines
toxines. Le cône de mer cause une paralysie spastique (téta­
L’un de nos patients, âgé de 22 ans, a consulté l’été passé après nie), due à la conotoxine qui bloque les canaux calciques,
un voyage en Indonésie en raison d’érosions sur du corail, potassiques et sodiques. Aucun antidote n’est disponible
­
­ulcérées, d’environ 1  cm de diamètre chacune sur les deux contre ces deux venins. Une intubation et une ventilation aux
gros orteils et la plante du pied droit. Il présente immédiate­ soins intensifs pendant 24 heures environ, jusqu’à dissipation
ment des douleurs intenses et, 3  jours plus tard, un pic de des effets toxiniques, sont la seule option salvatrice.
fièvre et des frissons. Le bilan sanguin est dans la norme et le
CT-scan ne montre qu’un œdème des tissus mous. S’ensuivent Vertébrés
un élargissement des trois ulcères et un écoulement purulent.
Un traitement empirique par co-amoxicilline et lévofloxacine Les serpents marins mordent rarement, mais leur venin est
est débuté. Les cultures montrent trois germes : Staphylo­ rapidement mortel en quelques minutes en l’absence de
coccus aureus, Streptococcus pyogenes et Serratia marcescens. La ­ventilation-réanimation. Comme leurs cousins élapidés (cobras,
réponse clinique est favorable en une semaine. mambas), ils produisent un venin essentiellement neuro­
toxique et myotoxique, causant non seulement une paralysie
Le diagnostic différentiel des infections marines doit inclure flasque descendante (ptose, diplopie, dysarthrie, dyspnée),
les mycobactéries (M.  marinum) dont le long temps d’incu­ mais également une rhabdomyolyse massive. Un antivenin
bation (≥  3  semaines) est utile à celui-ci. Son traitement spécifique (CSL Sea Snake Antivenom) en perfusion intra­
comporte une trithérapie par rifampicine, doxycycline et
­ veineuse est utilisé par les services d’urgences en Océanie.
­clarithromycine ou une bithérapie à base d’éthambutol (plus
rifampicine ou clarithromycine). En cas d’incubation courte, Les poissons de type rascasse Scorpaenidae, poissons-pierre
une infection à germes pyogènes communs ou bactéries poissons-scorpions, poissons-lions, possèdent une épine
­marines (cf. ci-dessus) est probable. L’antibiothérapie initiale, ­caudale ou dorsale venimeuse. L’injection cause localement
en attendant les résultats de la culture, recommandée en cas une douleur intense, un érythème, une cyanose puis une
de suspicion d’infection à V.  vulnificus est toujours double pâleur locale, des vésicules et une nécrose, ainsi qu’un
­
(par exemple, doxycycline ou lévofloxacine + ceftriaxone ou ­syndrome de fuite capillaire, accompagné d’un œdème pul­
ceftazidime) ; les deux en intraveineux en cas de forme septi­ monaire, d’une hypotension et d’une myotoxicité. L’enveni­
cémique. En cas d’érythème typique à Erysipelothrix rhusiopa- mation peut être mortelle en quelques heures. Un antivenin
thiae, une monothérapie par amoxicilline suffit. La ceftriaxone australien (CSL Stonefish Antivenom) intraveineux neutralise
est réservée aux rares formes septicémiques. efficacement ce syndrome. Par ailleurs, les antivenins
susmentionnés (serpents, cuboméduses, poissons-pierre)
­
Invertébrés sont à base d’immunoglobulines équines, fractionnées, associées
à un risque d’anaphylaxie immédiate ou de maladie sérique 4
Les cnidaires (méduses, coraux, anémones) ont en commun à 14 jours plus tard. Une surveillance initiale aux soins intensifs
des capsules venimeuses, ou nématocystes, déclenchées par est donc conseillée.
un simple contact physique sur un cil (cnidocil). L’ouverture
du nématocyste provoque le lancement, avec l’accélération la Enfin, les piqûres de raie sont complexes à traiter, car elles
plus rapide du règne animal, d’une épine en forme de harpon associent un traumatisme pénétrant, parfois dans des
­
sur un filament. Chaque tentacule de méduse est recouvert de ­organes vitaux (thorax, abdomen, artères), à certaines toxines
millions de nématocystes. Leurs effets cliniques sont très arythmogènes et hypotensives, et également une tendance à
­variables, ainsi que leurs traitements spécifiques (tableau 1). l’infection locale (par exemple, V. vulnificus). L’approche est
Le retrait à la pince des tentacules des grandes cuboméduses, multidisciplinaire : réanimation, neutralisation des toxines

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REVUE MÉDICALE SUISSE

(réchauffement prudent à 48 °C), chirurgie et antibiothérapie spécifiques, parfois mortelles. Les envenimations par des
ciblée décrite plus haut. cônes, pieuvres et serpents marins sont potentiellement
­mortelles, mais rares. Les traitements essentiels à retenir
sont le retrait de tentacules pour les cuboméduses, le vinaigre
PRÉVENTION pour les cuboméduses et autres cnidaires, le réchauffement à
48  °C pour neutraliser de nombreux venins de méduses,
La prévention des pathologies marines est un axe important ­d’invertébrés et de vertébrés. Enfin, il existe des antivenins
de santé publique des pays côtiers. Cela est particulièrement monovalents contre les toxines de cuboméduse Chironex,
développé en Australie et serait utile partout en Océanie, Asie serpent de mer et poisson-pierre. La connaissance de la faune
du Sud et du Sud-Est, Afrique de l’Est et dans les Caraïbes. Il marine, de la saisonnalité et des premiers soins, ainsi que
est important de connaître les saisons des migrations de l’usage de tenues antiméduses, chaussons et gants, sont des
­cuboméduses. Les sauveteurs, maître-nageurs et pêcheurs points cardinaux de la prévention en médecine marine.
peuvent renseigner avant toute baignade. L’observation des
panneaux informant sur la présence de cuboméduses ou
­requins est vitale et une obligation légale en Australie et aux Conflit d’intérêts : L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec
cet article.
États-Unis. Les balisages (drapeaux colorés) indiquent la
zone de baignade, et les postes de secours sont équipés de
­défibrillateurs mais aussi de récipients de vinaigre. Une tenue IMPLICATIONS PRATIQUES
antiméduses, stinger suit, tenue de plongée fine en lycra, qui
protège des nématocystes, est conseillée pour les mois les Les traitements essentiels à retenir sont le retrait de tentacules
plus chauds en Océanie et en Indonésie. Des chaussons et des pour les cuboméduses, le vinaigre pour les cuboméduses et
gants sont conseillés toute l’année pour les amateurs de surf, autres cnidaires, le réchauffement à 48 °C pour neutraliser les
plongée et snorkeling. Cela est particulièrement important venins de cuboméduses, coraux ainsi que de nombreux inverté-
pour les enfants, les personnes âgées ainsi que les personnes brés et vertébrés, raies et poissons-pierre
présentant une cardiopathie ou prédisposées aux anaphylaxies. Il existe trois antivenins monovalents contre les toxines de
cuboméduse Chironex, poisson-pierre et serpent de mer
Les raies infligent des traumatismes pénétrants, hémorra-
CONCLUSION giques, parfois plus graves que l’envenimation et l’infection
sous-jacente
Cette brève revue démontre l’importance et la fréquence des
pathologies marines. Les envenimations, infections et trau­ L’antibiothérapie doit cibler Vibrio, Erysipelothrix ou Myco-
matismes sont sous-estimés. Notre aperçu épidémiologique bacterium marinum selon la clinique
souligne la fréquence des piqûres de méduse, partout, et des La connaissance de la faune marine, de la saisonnalité, des
cuboméduses dangereuses sur le pourtour des océans Indien premiers soins, ainsi que l’usage de tenues antiméduses, chaus-
et Pacifique, ainsi que dans les Caraïbes. Les coraux, ané­ sons et gants, sont des points cardinaux de la prévention en
mones, oursins, étoiles, poissons-pierre et raies causent des médecine marine
envenimations, syndromes toxiques et infections marines

1 *Farrar J, Manson P, editors. Manson’s Dermatoses among returned Canadian Aust 1960;47:993-9. Sting-Site Seawater Rinse, Scraping, and
tropical diseases: expertconsult.com travellers and immigrants: surveillance 6 *Lippmann JM, Fenner PJ, Winkel K, Ice Can Increase Venom Load. Upending
gives you fully searchable text and more report based on CanTravNet data, Gershwin L. Fatal and Severe Box Jellyfish Current First Aid Recommendations.
online. 23e éd. Édinbourgh: Elsevier Saun- 2009-2012. CMAJ Open 2015;3:E119-26. Stings, Including Irukandji Stings, in Toxins 2017;9:105.
ders; 2014. 4 *Foote A, Henderson R, Lindberg A, Malaysia, 2000-2010. J Travel
2 **Auerbach PS, Cushing TA, Harris NS et al. The Australian Mid-West Coastal Med 2011;18:275-81.
(Norman S, editors. Auerbach’s wilder- Marine Wound Infections Study. Aust Fam 7 Reese E, Depenbrock P. Water
ness medicine. 7e éd. Philadelphie, PA: Physician 2017;46:923-7. Envenomations and Stings. Curr Sports
Elsevier/Mosby; 2017. 5 Barnes JH. Observations on jellyfish Med Rep 2014;13:126-31. *  à lire
3 Stevens MS, Geduld J, Libman M, et al. stingings in North Queensland. Med J 8 Yanagihara A, Wilcox CL. Cubozoan **  à lire absolument

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MÉDECINE
DES VOYAGES

Santé de la femme en voyage


dans les pays tropicaux
Drs JULIETTE BESSON a et ISABELLE ÉPERON b

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 989-92

Les problèmes de santé de la femme en voyage concernent prin- menstruations mais entraînent des métrorragies plus fréquentes.
cipalement la femme enceinte qui, en raison des changements Les règles de prescription de ces méthodes hormonales ne
physiologiques, présente une vulnérabilité aux risques infectieux diffèrent pas des recommandations habituelles et sont facile-
et non infectieux en lien avec le voyage en tant que tel ou les ment accessibles en ligne.1
­activités entreprises. Cet article aborde les risques essentiels et
­détaille les recommandations actuelles spécifiques à cette popu- Il est bien établi que la population voyage de plus en plus et il
lation vulnérable afin que le praticien soit plus à même de la en est de même pour les femmes et les femmes enceintes.
conseiller avant le départ. Si le voyage est adapté et en l’absence Une étude a démontré que jusqu’à 55 % des femmes ont voyagé
de complication préexistante, il n’est pas contre-indiqué durant par voie aérienne durant leur grossesse.2,3 Les destinations
la grossesse. choisies ne semblent pas différer de celles de la population
générale avec 45 % d’entre elles considérées à haut risque.2,4
Women’s health while travelling in tropical Les femmes enceintes sont plus à risque de développer des
countries complications du fait des changements physiologiques hor-
When considering women’s health during travels, it is mainly pregnant monaux et mécaniques de la grossesse. De plus, elles voyagent
women who are concerned. Indeed, because of the physiological souvent pour rendre visite à des amis ou membres de la
changes, they are more vulnerable to infectious and non-infectious ­famille durant cette période de leur vie. Cette catégorie de
diseases related to the trip itself or to specific activities. This article ­population (Visiting Friends and Relatives) est plus à risque de
lists the essential risks for pregnant women travelling in tropical ne pas consulter avant un voyage ou de le faire tardivement,
countries and provides specific recommendations, so that the ainsi que de contracter certaines maladies infectieuses comme
­general practitioner is better able to advise this vulnerable popula- les gastroentérites bactériennes, la fièvre entérique ou e­ ncore la
tion. If the trip is suitable and in the absence of any pre-existing malaria. Ceci en lien avec des conditions d’hygiène alimentaire
complication, travelling during pregnancy is not contraindicated. et de logement souvent moins favorables dans la population
locale ainsi qu’une tendance à une moins bonne adhérence à
la chimioprophylaxie antimalarique.2
INTRODUCTION
La grossesse en soi n’est pas une pathologie et, en l’absence
À l’ère où les voyages sont de plus en plus accessibles et de complication, elle ne contre-indique pas un voyage. Le
­communs, cet article aborde la question de la santé de la ­moment le plus propice pour voyager est le 2e trimestre.5 En
femme avec un focus plus spécifique sur la femme enceinte. effet, lors du 1er  trimestre, environ la moitié des femmes
­présentent des nausées et une fatigue importante. Les risques
La problématique de la femme en voyage porte tout d’abord de fausses couches et plus rarement de grossesse extra-­
sur les questions de sécurité. Bien que cela sorte du domaine utérine sont également présents, indépendamment du voyage.
médical, il paraît utile de rappeler, surtout à une femme voya- Il est recommandé en cas de séjour à l’étranger prévu au
geant seule, les mesures de sécurité élémentaires à respecter. 1er trimestre d’effectuer une échographie pour vérifier la loca-
Les menstruations sont une deuxième problématique spéci- lisation de l’embryon et les battements cardiaques au préa-
fique. Les conditions de vie et le confort sont souvent plus lable.2 Au 3e trimestre, la préoccupation principale est l’accou-
précaires en voyage. Certaines femmes sont amenées ainsi à chement et l’accouchement prématuré. La femme enceinte
demander un moyen de supprimer ou diminuer les menstrua- est encouragée à se renseigner sur les conditions d’accès aux
tions. Il existe plusieurs méthodes reconnues qui peuvent soins et les r­ essources disponibles en cas d’accouchement ou
être proposées, comme l’utilisation de la contraception de complication en voyage, ainsi que sur sa couverture assé-
­hormonale œstroprogestative en continu (par pilule, anneau curologique, pour elle-même et pour le nouveau-né.
ou patch) en cycles de 3 mois pour créer une aménorrhée. Les
méthodes à base de progestatifs seuls (par dispositifs intra-
utérins, implants ou injections) diminuent également les RISQUES POUR LA FEMME ENCEINTE EN VOYAGE
Risques infectieux
Vaccinations
a Service de médecine tropicale et humanitaire, Département de médecine de
premier recours, HUG, 1211 Genève 14, b Dianecho, 116 rue de Carouge,
La femme enceinte doit être à jour sur les vaccinations de
1205 Genève base, si possible avant la grossesse, et des rappels spécifiques
juliette.besson@hcuge.ch | isabelle.eperon@hin.ch sont recommandés (coqueluche, grippe…).

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13 mai 2020 989
REVUE MÉDICALE SUISSE

Les vaccins vivants (rougeole-oreillons-rubéole, varicelle, fièvre Si un voyage dans une zone à risque n’est pas évitable, un
jaune, fièvre typhoïde orale) sont contre-indiqués pendant la ­traitement préventif doit impérativement être mis en place.
grossesse en raison du risque théorique d’atteinte fœtale en Concernant la chimioprophylaxie, la molécule de premier
cas de maladie vaccinale, la femme enceinte présentant une choix est la méfloquine.10 Le profil de sécurité de l’atovaquone-
modulation de l’immunité cellulaire physiologique. Lorsque proguanil durant la grossesse est à l’heure actuelle encore
le risque de transmission est élevé (par exemple, situation controversé, surtout durant le 1er trimestre, mais cette combi-
d’épidémie), le bénéfice à vacciner dépasse cependant le naison pourrait être prescrite avec une supplémentation en
risque fœtal.2 Un délai d'un mois entre un vaccin vivant et un acide folique en raison de l’effet antifolate du proguanil.10-12 La
début de grossesse devrait être, si possible, respecté. doxycycline est en revanche contre-indiquée en raison du
risque de coloration dentaire irréversible chez le nouveau-né.10
Les vaccins inactivés peuvent être administrés et visent deux
buts : la protection de la mère et l’immunisation néonatale Concernant le traitement de la malaria, la plupart des molé-
­passive. Afin de protéger la mère, le vaccin est administré de cules peuvent être utilisées durant la grossesse (dérivés de
manière préférentielle dès le 2e trimestre au vu du risque natu- l’artémisine, de la quinine, de la clindamycine et de la lumé-
rel augmenté de fausses couches lors du 1er trimestre, ­pouvant fantrine) à l’exception de la primaquine.10 Les doses des médi-
être par la suite interprété comme en lien avec le v­ accin. Afin de caments devraient théoriquement être augmentées chez la
protéger l’enfant à naître, le vaccin se fera de préférence au femme enceinte, en raison des modifications pharmacociné-
­début du 3e trimestre, car la perméabilité placentaire augmente tiques en lien avec le volume de distribution augmenté durant
avec l’âge gestationnel et permet ainsi un meilleur passage des la grossesse et de la séquestration placentaire du parasite.10
anticorps de la mère au fœtus.
Dengue
Maladies vectorielles (moustiques) Une infection par le virus de la dengue durant la grossesse
Les femmes enceintes sont plus à risque de se faire piquer par n’est pas plus sévère pour la mère, cependant tout état
les moustiques. D’une part, l’élévation de la température ­inflammatoire expose à un risque d’accouchement prématuré
corporelle et l’augmentation de l’exhalation de CO2 les
­ ou de fausse couche.2
rendent plus attrayantes pour les moustiques, d’autre part,
les levers nocturnes plus fréquents les exposent à plus de Zika
temps hors de la moustiquaire.2 Actuellement, il n’y a plus de pays où l’épidémie de zika est
­active, ou considérés à risque élevé de transmission du virus. Il
Une protection optimale contre les moustiques est donc persiste cependant une zone d’endémie couvrant tous les pays
recom­mandée (vêtements couvrants, sprays répulsifs, mous- tropicaux et subtropicaux, considérés à risque faible.13 En dehors
tiquaires, climatisation). L’utilisation de répulsifs comme le des conseils habituels de protection contre les piqûres de mous-
N,N-diéthyl-3-méthylbenzamide ou diéthyltoluamide (DEET) tiques, il n’y a pas de recommandation particulière pour les
est possible durant la grossesse et l’allaitement ; les données femmes enceintes qui voyagent dans les pays à risque faible.14,15
rétrospectives sont nombreuses et rassurantes. Un dosage
­inférieur à 30 % est recommandé ainsi que le lavage des Les complications d’une infection par le virus zika durant la
mains et de l’aréole en cas d’allaitement. La perméthrine, grossesse concernent exclusivement le fœtus. En cas d’infec-
insecticide utilisé dans les sprays d’imprégnation pour
­ tion maternelle avérée, la transmission verticale est de 7 à
­vêtements et moustiquaires, est également validée durant la 26 %, et 4 à 9 % des fœtus infectés développeront le syndrome
grossesse (tableau 1).6,7 congénital du zika (atteintes neurologiques sévères principa-
lement motrices et cognitives, épilepsie, retards de croissance
Malaria intra-utérins) avec 1 à 4 % de pertes fœtales. Parmi les infec-
Les femmes enceintes sont plus vulnérables, de par leur immu­ tions fœtales avérées, on retrouve 45 % de formes asympto-
nité modulée, à certains agents infectieux comme la malaria. matiques, 20 % de formes légères à modérées, 21 % de formes
Elles présentent deux fois plus de risque de développer une sévères et 14 % de pertes foetales.16,17
malaria sévère, et la mortalité est cinq fois plus élevée.8
Maladies à transmission orofécale
Les pertes périnatales peuvent atteindre 70 % en raison de la La femme enceinte, de par les changements hormonaux et
séquestration placentaire du parasite.5,9 Les voyages en zones ­mécaniques, est plus à risque d’infection digestive, du fait de la
endémiques de malaria sont donc à éviter durant la grossesse. diminution de l’acidité gastrique et du transit ralenti, ainsi que
de déshydratation liée à la vasodilatation périphérique. Ces
maladies peuvent cependant être prévenues par l’hygiène des
Recommandations pour la mains et alimentaire (par exemple : eau bouillie ou filtrée).
TABLEAU 1 protection contre les moustiques
durant la grossesse6,7 Concernant les traitements antibiotiques, il convient de
a
Si allaitement, lavage des mains et de l’aréole recommandé ; b Absorption ­rappeler que les fluoroquinolones sont contre-indiquées. En
systémique faible (< 1 %). cas de nécessité, un traitement par azithromycine est possible.2
Les traitements symptomatiques comme le lopéramide ou le
• Habits longs
• Habits imprégnés d’insecticide (ex : perméthrine) métoclopramide sont utilisables durant la grossesse.
• Répulsifs, jusqu’à 30 % de DEET (diéthyltoluamide)a,b
• Moustiquaire imprégnée d’insecticide Certains pathogènes cosmopolites comme la listeria et la
• Chambre climatisée
toxoplasmose peuvent être responsables de fœtopathies

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MÉDECINE
DES VOYAGES

i­nfectieuses parfois sévères.2 De plus, les voyages en zone


Exemples d’activités physiques
d’épidémie d’hépatite  E doivent être évités par les femmes
TABLEAU 2 recommandées et contre-indiquées
enceintes, car la maladie est plus sévère et associée également durant la grossesse2
à des issues fœtales et néonatales défavorables.18
a Si grossesse non compliquée ; b Postures entraînant une compression de la
veine cave inférieure à éviter ; c Si déjà pratiqués avant la grossesse ; d Attention
toutefois au risque de chute en raison de la modification de l’équilibre.
RISQUES NON INFECTIEUX LIÉS AU VOYAGE Activités recommandéesa Activités qui devraient être évitées
ET AUX ACTIVITÉS • Marche • Sports de contact (hockey sur
Risques liés au voyage en avion • Natation glace, boxe, football, basketball)
• Vélo d’appartement • Activités à haut risque de chute
L’avion présente de multiples risques potentiels qui ne • Aérobic à faible impact (ski alpin ou nautique, surf, vélo
contre-indiquent pas les voyages occasionnels chez la femme • Yoga, si adaptéb tout-terrain, agrès, équitation)
enceinte en bonne santé. Il s’agit des problématiques des • Pilates, si adapté • Plongée sous-marine

­turbulences, des radiations, de l’hypoxie hypobare, des com-


• Course à piedc • Parachutisme
• Sports de raquettec,d • Hot yoga ou Pilates
plications thromboemboliques et des accouchements en vol. • Renforcement musculairec
(Adapté de l’American College of Obstetrician, avis d’experts numéro 650.)
Le port de la ceinture de sécurité est recommandé de manière
ferme et en dessous de l’abdomen afin de diminuer le risque
de traumatisme abdominal.2 Plongée
Les données sur la plongée sous-marine dans le cadre d’une
La limite de radiation tolérée durant les 40 semaines d’amé- grossesse sont limitées. La physiopathologie est controversée
norrhée (SA) est de 1 mSv. Un vol de 10 heures est bien en en cas d’accident de décompression fœtal ; le placenta semble
dessous de cette norme puisqu’il correspond à 0,05 mSv.2,19 agir comme filtre protecteur d’embolies gazeuses pour le
­fœtus, mais la circulation fœtale avec ses shunts droite-gauche
La pressurisation de la cabine correspond à une altitude de via le foramen ovale le met plus à risque d’embolies gazeuses au
1500 à 2500  mètres, ce qui diminue la pression partielle en niveau des organes nobles en l’absence de filtre pulmonaire.
oxygène. Cela ne comporte pas de risque pour le fœtus grâce Selon un principe de précaution, il est donc recommandé à la
à l’hémoglobine fœtale qui a une plus forte affinité pour l’O2. femme enceinte de ne pas effectuer de plongée sous-marine.2,23
Seulement dans de rares cas d’insuffisance cardiaque ou de
drépanocytose sévère, une supplémentation en O2 peut être
considérée.2 CONCLUSION
La grossesse et le post-partum augmentent le risque de mala- La femme enceinte est plus à risque de complications, infec-
dies thromboemboliques de cinq à dix fois en raison d’un état tieuses ou non, lors de voyages en région tropicale. Elle pré-
procoagulant et de la stase veineuse.2,20 Il est donc conseillé aux sente également certaines spécificités dans la prise en charge.
femmes enceintes de bien s’hydrater, de se mobiliser toutes les Le praticien doit donc être sensible à cette problématique afin
30 minutes pendant les longs voyages (définis comme supé- de mieux pouvoir conseiller cette population vulnérable. Une
rieurs à 4 heures), de porter des vêtements amples ainsi que fois le séjour adapté aux risques et en l’absence de complica-
des bas de contention. Une thromboprophylaxie peut être tion préexistante, les voyages ne sont pas contre-indiqués.
­discutée en présence de facteur de risque additionnel.2
Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
avec cet article.
Les accouchements en vol restent rares même lors de gros-
sesses à risque.2 Les compagnies aériennes acceptent généra-
lement les femmes enceintes jusqu’à 36 SA en l’absence de IMPLICATIONS PRATIQUES
complication.5
Les femmes enceintes sont une population vulnérable en cas de
Risques liés aux activités voyage en zone tropicale avec un risque accru de complications à
prendre en considération
Altitude
Les vaccins vivants sont contre-indiqués durant toute la gros-
Les séjours en altitude jusqu’à 2500 mètres ne présentent pas sesse
de contre-indication chez la femme enceinte. Au-delà, les
­mécanismes compensatoires de l’hypoxie hypobare risquent Il est par précaution déconseillé aux femmes enceintes de
d’être dépassés et de tels séjours sont par précaution décon- voyager dans une zone d’endémie de la malaria, mais en cas
seillés. Le profil de sécurité de l’acétazolamide est à l’heure d’absolue nécessité, la chimioprophylaxie de choix est la méflo-
actuelle controversé durant la grossesse.2,21 quine
Le risque de transmission du zika est actuellement considéré
Activité physique comme faible au niveau mondial, sans mesure à prendre autre que
L’exercice physique est bénéfique durant la grossesse et la protection contre les moustiques en cas d’exposition durant la
­recommandé par les sociétés d’experts (tableau  2).22 Les grossesse
risques de chute et de blessure en lien avec le déplacement du
Les sprays répulsifs antimoustiques à base de N,N-diéthyl-3-­
centre de gravité, le gain de poids et l’hyperlaxité ligamentaire
méthylbenzamide ou diéthyltoluamide sont sûrs durant la grossesse
sont toutefois à prendre en considération.

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13 mai 2020 991
REVUE MÉDICALE SUISSE

1 Organisation mondiale de la santé agents tératogènes [En ligne]. Jan- Dis 2019;27:20-6. 18 Patra S, Kunnar A, Trivedi SS, et al.
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de méthodes contraceptives. 5e éd. cy: a priority area of malaria research and vier 2020. Disponible sur : www.cdc.gov infection. Ann Intern Med 2007;147:28-33.
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Gynecol 2016;128:1111-5. for the prevention and treatment of study in French Guiana. *  à lire
7 Lecrat. Le centre de référence sur les malaria in pregnancy. Travel Med Infect BMJ 2018;363 :4431. ** à lire absolument

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992 13 mai 2020
MÉDECINE
DES VOYAGES

Santé mentale et stress


chez les humanitaires expatriés
Drs SIGIRIYA AEBISCHER PERONE a, MIRIAM BAVAREL b, DUBRAVKA SUZIC c et Pr FRANÇOIS CHAPPUIS a

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 993-7

Le travail humanitaire est générateur de stress qui peut avoir un d’urgence, dans des lieux reculés avec une autre culture/
impact sur la santé mentale des expatriés humanitaires. Afin de langue. Ils font face à une charge de travail élevée dans des
diminuer au maximum le stress et ses conséquences, les organi- conditions de vie difficiles (climat, logement, confinement).
sations humanitaires mettent en place différents dispositifs afin Ils peuvent être témoins de la souffrance humaine dans des
de garder leur personnel en bonne santé. L’humanitaire, quant à environnements périlleux (catastrophes, risques sanitaires
lui, doit mettre en place des mécanismes d’autoprotection. La ou sécuritaires) causant un sentiment d’impuissance. Tous ces
majorité des humanitaires vont bien. Le médecin traitant joue un facteurs peuvent présenter un risque pour la santé mentale,
rôle clé dans la détection des personnes et conduites à risque. À même chez des personnes socialement bien intégrées.1
l’écoute de l’expatrié, il l’encourage à utiliser ses ressources et
met en place un soutien adéquat ainsi qu’un suivi médical si
­nécessaire. Une collaboration entre le médecin traitant et l’unité DÉFINITION DU STRESS
santé des collaborateurs des organisations humanitaires permet
une prise en charge optimale des problèmes médicaux. Le stress correspond à une « réaction naturelle d’une personne
face à une difficulté, un stimulus ou une menace ».2 Il s’agit
d’une réaction ancestrale qui nous permet de focaliser
Mental health and stress in humanitarian ­l’attention sur la situation, mobiliser l’énergie et faire face à
expatriates une situation difficile.3 La courbe de performance en situation
Humanitarian work is stressful and can have an impact on the de stress (figure 1) permet de distinguer le bon du mauvais
­mental health of humanitarian expatriates. In order to reduce stress stress. Le bon stress permet d’affronter les défis et de rester
and its consequences, humanitarian organizations are implemen- efficace, tandis que le mauvais stress, ou stress dépassé,
ting various measures to keep their staff healthy. Humanitarian conduit à l’épuisement et diminue la performance. La percep­
­workers, on the other hand, must take care of themselves and apply tion du niveau de stress est subjective et varie dans le temps
self-protection mechanisms. Most humanitarian workers are doing et en fonction des circonstances. Une exposition trop pro­
well. The treating doctor plays a key role in detecting people and longée à celui-ci sans récupération peut conduire à un stress
behavior at risk. He/she encourages the expatriate to use his/her dépassé. Il faut donc s’autoévaluer régulièrement et tenter de
­resources and provide the adequate support and medical follow-up rester dans la zone de stress optimal.
if necessary. Collaboration with the staff health units of humanitarian
organizations allows for optimal care of humanitarian workers’
medical conditions. PROBLÈMES DE SANTÉ MENTALE DANS LA
POPULATION GÉNÉRALE, CHEZ LES VOYAGEURS
ET EXPATRIÉS
PARTICULARITÉS DES HUMANITAIRES
En Suisse, 21 % de la population active souffrait de stress en
Le profil type d’un humanitaire en 2020 est un homme, âgé 2017 et 49 % des personnes stressées présentaient un risque
d’environ 40  ans avec de l’expérience dans le milieu huma­
nitaire. Similaires aux autres professions du sauvetage, les
Courbe de performance en situation de
­humanitaires sont souvent des personnes qui ont une haute FIG 1 stress d’après la loi de Yerkes-Dodson
estime de soi, prêtes à prendre des risques. Elles ont un impor­
tant sens du devoir et de l’investissement dans le travail. En Stress optimal
moyenne, les humanitaires partent pour une mission de six
Niveau de performances

mois à une année. Ils travaillent souvent dans des contextes


Mauvais stress
Bon stress Zone
de réalisation Excès de stress

a Service de médecine tropicale et humanitaire, HUG, 1211 Genève 14,


b Staff health coordinator, Unité santé collaborateurs, Médecins Sans Frontières,
78, rue de Lausanne, 1211 Genève 1, c Chief, Psychosocial Wellbeing Section, Absence
Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), Case postale 2500, de stress
1211 Genève 2 Dépôt
sigiriya.aebischerperone@hcuge.ch | Staff-health.GVA@geneva.msf.org Niveau de stress
suzic@unhcr.org | francois.chappuis@hcuge.ch

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REVUE MÉDICALE SUISSE

TABLEAU 1 Problèmes de santé mentale chez les humanitaires, voyageurs, population générale
CICR : Comité international de la Croix-Rouge ; ESPT : état de stress post-traumatique ; MSF : Médecins Sans Frontières : UNHCR : Agence des Nations unies pour les
réfugiés.
Risques pour la santé Antares : ONG6 UNHCR7 Humanitaires CICR9 MSF10 Voyageurs1 Population suisse4
mentale Sud-Soudan8
2012 2016 2018 2009 2011 2017 2017
Anxiété 12 % 31 % 38 %
Dépression 20 % 25 % 39 %
ESPT Rare 36 % 24 %
Burnout 20 % 1,10 % 10 % à risque (49 % des
personnes stressées)
Consommation 25 % 35,50 %
d’alcool à risque
Stress/problème 43 % 11 % 21 %
psychologique
Évacuations médicales 18 % 15 à 20 %
liées à un problème
psychologique

de burnout.4 Chez les voyageurs, l’incidence d’un problème Le tableau  1 résume les risques de santé mentale chez les
psychologique durant un voyage était de 11,3 % et 15 à 20 % ­humanitaires, en Suisse et chez les voyageurs. On constate
des évacuations médicales étaient secondaires à un pro­ que, pour les organisations humanitaires étudiées, le risque
blème psychiatrique.1 Valk mentionne une proportion élevée de problèmes de santé mentale est plus élevé que dans la
­d’anxiété et de dépression chez les missionnaires et leurs ­population générale.
­familles, et un risque 23 fois plus élevé d’être évacué pour un
problème psychiatrique chez les étudiants que chez les
­voyageurs d’affaires.5 SOURCES DE « STRESS DÉPASSÉ »
CHEZ LES HUMANITAIRES
SANTÉ MENTALE ET STRESS CHEZ LES Les sources de stress « dépassé » chez les humanitaires sont le
stress de base, ou professionnel, suivi du stress cumulatif ou
TRAVAILLEURS HUMANITAIRES EXPATRIÉS fatigue de compassion, et finalement le stress traumatique et
Une proportion substantielle des humanitaires expatriés l’épuisement professionnel.
­européens et américains d’organisations non gouvernementales
présentent une anxiété (12 %), une dépression (20 %) et un Stress de base et professionnel
épuisement émotionnel (20 %) postdéploiement.6 Une étude
de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) Différents facteurs influencent le stress de base sous-jacent.
montrait aussi un risque de problèmes de santé mentale Ses composantes et déterminants liés au travail peuvent être
­augmenté chez son personnel international.7 Ceci a aussi été analysés séparément (tableau 2).
retrouvé au Sud-Soudan chez les humanitaires de 45 organi­
sations.8 Au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Plus les exigences du travail sont importantes, moins il y a
42,6 % des humanitaires mentionnaient avoir eu une mission de temps disponible pour effectuer les tâches, et plus le
stressante,9 et chez Médecins Sans Frontières (MSF), 18 % des travail sera perçu comme difficile. Le degré d’autonomie
­
évacuations médicales étaient secondaires à un problème ­laissé à une personne est essentiel, car si la personne peut
psychologique.10 s’organiser elle-même, une charge de travail même impor­
tante peut être maîtrisée sans effets négatifs sur sa santé
Modèle d’équilibre effort-­
FIG 2 récompense (UNHCR) Composantes et déterminants
UNHCR : Agence des Nations unies pour les réfugiés. TABLEAU 2 du travail influençant le stress
professionnel
Composantes Déterminants
Attentes
Contribution de la hiérarchie, Exigences du travail Quantité, complexité, temps
Surinvestissement obligations
(Besoin de reconnaissance Degré d’autonomie Décisions, choix
et de contrôle ) Soutien social Solidarité, soutien, compréhension
Salaire, gratification,
Rétribution carrière, statut, Équilibre effort-récompense Contribution : attentes de la hiérarchie, presta-
stabilité de l’emploi tion souhaitée par le salarié
Rétribution : gratifications, estime, statut

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MÉDECINE
DES VOYAGES

mentale. De plus, la solidarité entre les collègues et le soutien FACTEURS INFLUENÇANT NOTRE RÉPONSE
de la hiérarchie ­permettent de faire face à des situations AU STRESS
complexes et ­
­ potentiellement stressantes. Enfin, selon
l’étude de l’UNHCR,7 l’équilibre effort-récompense joue un Les facteurs influençant à tout moment notre réponse aux
rôle primordial chez les humanitaires (figure  2). L’effort différents stress sont : 1) l’état psychologique ; 2) la santé ­physique ;
­correspond au travail et aux exigences professionnelles et la 3) le soutien social ; 4) la spiritualité ; 5) le niveau de formation ;
récompense peut être financière, d’estime (respect et recon­ 6)  le niveau de maîtrise de situations similaires a­ uparavant ;
naissance), des perspectives de promotion et de sécurité de 7) l’identification avec la personne assistée, et 8) les éléments
l’emploi. On observe souvent un surinvestissement dans le déstabilisants de notre propre vie.14 Différentes p ­ ersonnes
travail qui fait partie de l’identité des humanitaires. En confrontées à une même situation réagiront donc chacune en
­effet, ces derniers peuvent manquer d’ambition et de réseau à fonction de ces éléments, qui peuvent varier avec le temps. Une
« l’extérieur ».3 De ce fait, les attentes de rétribution peuvent réaction plus forte n’est donc pas un signe de « faiblesse », car
être élevées. À l’UNHCR, ce déséquilibre entre effort et les seuils et facteurs de stress ne sont pas les mêmes pour
­récompense était un meilleur prédicteur de risque pour la tous et pour une même personne en fonction du moment.
santé mentale que l’exposition à un événement potentiel­
lement traumatique, avec risque augmenté, en cas de sur­
investissement non compensé. Cet effet a aussi été décrit GESTION DU STRESS CHEZ LES TRAVAILLEURS
chez les pompiers.11
HUMANITAIRES
Devoir de protection de l’employeur
Stress cumulatif ou fatigue de compassion
L’exposition professionnelle des humanitaires expatriés peut
Le stress cumulatif ou la fatigue de compassion sont ­similaires avoir un impact sur leur santé et induire un niveau de stress
et traités ici ensemble. Ce stress est consécutif à une exposi­ élevé qui peut, s’il perdure, augmenter la prise de risque.15
tion prolongée à la souffrance d’autrui et à nos propres événe­ Dans le cadre du devoir de protection de leur personnel, les
ments traumatisants non résolus, le « coût de soigner ».12 Les organisations humanitaires mettent en place différents
signes de ce stress graduel et cumulatif sont des problèmes ­dispositifs : politique de gestion du stress, examen médical avant
physiques, des troubles cognitifs, un isolement, l’épuisement déploiement, préparation, briefing et formation au départ,
du système émotionnel et enfin la perte du système de valeurs soutien interne ou externe pendant la mission, débriefing
personnelles.13 La personne reste résiliente au travail, mais avec soutien et accès à un suivi médical et psychologique si
est fragilisée dans d’autres circonstances, révélant l’impact de nécessaire après la mission.
la vie professionnelle sur la vie privée.
Responsabilité de l’expatrié humanitaire
Stress traumatique – état de stress post-traumatique
Afin de garder le stress à un niveau optimal, il faut gérer ses
La définition d’un stress traumatique comprend un événe­ ressources, connaître ses limites et savoir dire « non ». Chaque
ment violent, brutal, comme une agression physique et/ou personne devrait aborder son stress elle-même, respecter un
mentale ou une menace, qui évoque la mort, provoque un équilibre entre la vie privée et professionnelle, fixer des prio­
sentiment de terreur et d’impuissance. Après une phase de rités, organiser son emploi du temps et évaluer régulièrement
stress aigu suite à un incident de sécurité, la majorité des sa gestion du stress (tableau 3).16 Ceci permet d’identifier les
­humanitaires vont bien récupérer. Dans le cas où les symp­ sources de son stress, ses réactions et ses moyens de lutte
tômes persistent plus d’un mois, on parle alors d’état de contre le stress, les analyser, prendre des mesures, et demander
stress post-traumatique (ESPT) avec des symptômes de revi­ et accepter de l’aide si nécessaire.
viscence, évitement, altérations négatives persistantes dans
les cognitions et l’humeur, et hyperréactivité. Ensuite il faut subvenir aux besoins de base tels que le
sommeil, l’alimentation, pratiquer une activité physique
­
Épuisement professionnel ­régulière et mobiliser ses moyens de ressourcement.

L’épuisement professionnel ou burnout peut être la consé­ Communiquer permet de diminuer son stress. Le soutien et
quence d’un stress cumulatif de longue durée non géré.9 Le le partage avec ses proches sont un facteur majeur de rési­
burnout est caractérisé par une composante professionnelle lience. La prise de distance par rapport à son vécu peut aussi
prédominante par rapport à d’autres sources de stress. être faite par la rédaction d’un journal, de lettres ou par la

Gestion du stress : huit


INTERACTION ENTRE LES TYPES DE STRESS TABLEAU 3 questions à se poser
Les effets des différentes sources de stress s’additionnent • Quels facteurs sont stressants pour moi ?
et  un stress chronique va augmenter le risque d’ESPT et • Quels sont mes mécanismes d’adaptation ?
• Quels sont mes signes avant-coureurs de stress dépassé ?
d’épuisement professionnel.8 Toute diminution du stress • Qu’est-ce que je peux contrôler ?
­professionnel permettra de mieux faire face aux autres stress. • Comment est-ce que je vais (vérification régulière) ?
Les répercussions d’un même incident de sécurité sur une • Quelles sont mes limites ?
• Où puis-je me rendre si je suis allé trop loin ?
équipe unie seront bien moindres que sur une équipe
• Quelles sont mes ressources que je peux mobiliser ?
­dysfonctionnelle.

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REVUE MÉDICALE SUISSE

TABLEAU 4 Rôle du médecin traitant : avant, pendant et après la mission


Avant la mission Pendant la mission Après la mission
Dépistage, information Évaluer l’état de santé mentale et les capacités de Évaluer l’état de santé mentale, la récupération
résilience
Identifier les personnes à risque : problèmes non Identifier avec l’humanitaire ses vulnérabilités et Identifier les signes de stress dépassé persistants et
résolus, part pour soigner ses propres blessures, sensibilités pour prendre des mesures si nécessaire soutenir l’humanitaire dans l’estime de soi
réseau social pauvre, surinvestissement, perception
de soi comme « héros, invulnérable »
Identifier les conduites à risque : alcool, médicaments, Identifier les conduites à risque : alcool, médicaments, Identifier les conduites à risque : alcool, médica-
sexe, tabac sexe, tabac ments, sexe, tabac
Évaluer la capacité d’adaptation : ressources à Évaluer la capacité d’adaptation : ressources à Évaluer l’état de fatigue accumulée ou « usure »
disposition, liens sociaux disposition, liens sociaux. Déstigmatiser la santé (charge de travail, exposition régulière à la souf-
mentale et encourager l’humanitaire à demander de france, sentiment d’impuissance), les symptômes
l’aide ou à contacter l’unité santé collaborateurs si physiques, la capacité de récupérer, de partager le
indiqué vécu, le soutien social
Prévention : définir un cadre sain, mettre des limites, Proposer un retour anticipé en cas de stress dépassé Évaluer le temps de récupération/de repos nécessaire
respecter une hygiène de vie (nourriture, sommeil, avant une prochaine mission et le type de mission
activité physique, éviter l’alcool) (éviter plusieurs missions consécutives à haut risque)
Prendre contact (avec l’accord de l’humanitaire) avec Prendre contact (avec l’accord de l’humanitaire) avec Prendre contact (avec l’accord de l’humanitaire) avec
l’unité santé collaborateurs de l’organisation humani- l’unité santé collaborateurs de l’organisation humani- l’unité santé collaborateurs de l’organisation huma­
taire pour discuter de la prise en charge si indiqué taire pour discuter de la prise en charge si indiqué nitaire pour discuter de la prise en charge si indiqué
Référer vers un spécialiste de la santé mentale si Référer vers un spécialiste de la santé mentale si Référer vers un spécialiste de la santé mentale si
nécessaire nécessaire nécessaire

prière et la méditation. Différentes organisations proposent mentale. Cependant, la majorité de ceux-ci vont bien. Ceci est
le buddy system, un accord passé entre deux collègues qui vont en lien avec plusieurs facteurs, notamment le profil particu­
s’autoriser mutuellement à signaler, s’ils repèrent chez l’autre, lier de l’humanitaire avec sa propension à prendre des risques,
des signes de stress dépassé.3 à sa préparation prédéploiement et au soutien reçu. La ges­
tion du stress chez les humanitaires est une responsabilité
Beaucoup de personnes sont résilientes à un moment donné conjointe entre l’humanitaire, son organisation et le médecin
et ne le sont plus à un autre moment. La résilience est un traitant. Le rôle clé de ce dernier est le dépistage, l’informa­
­travail constant et continu. L’interaction entre les efforts tion, le soutien et le suivi de possibles problèmes de santé
­personnels « d’autosoins » et le soutien organisationnel est mentale. Une collaboration avec l’unité santé du personnel de
très importante pour garder une bonne santé mentale. l’organisation humanitaire permet une prise en charge opti­
male et de référer l’humanitaire à temps pour un suivi spécia­
Rôle du médecin lisé si nécessaire.

Le médecin traitant joue un rôle clé dans les différentes


phases d’un déploiement humanitaire (tableau 4), le métier
d’entraide humanitaire comportant un risque d’oublier ses
propres besoins. Le lien de confiance tissé avec son médecin,
qui reste à l’écoute, permet d’aborder des sujets parfois
délicats. Le médecin doit identifier les personnes et les
­
conduites à risque. Il évalue aussi les capacités d’adaptation,
la résilience et les possibilités de prévention. Le médecin peut
aider l’humanitaire à déstigmatiser la santé mentale, l’encou­ Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
rager à y réfléchir et à demander du soutien si nécessaire. En avec cet article.
cas de stress dépassé, le médecin peut proposer un retour
­anticipé et un suivi adapté. Au retour de mission, il identifie la
prise de risques, évalue le niveau de stress résiduel et le temps
IMPLICATIONS PRATIQUES
de repos avant une prochaine mission. Avec le consentement
de l’expatrié concerné, il peut prendre contact avec l’unité Le travail humanitaire met les expatriés à risque de problèmes
santé des collaborateurs de l’organisation humanitaire pour de santé mentale. Cependant la majorité se porte bien
discuter de la prise en charge et pour référer son patient vers
un spécialiste de la santé mentale. Il y a une responsabilité partagée de gestion du stress entre
l’organisation humanitaire, l’expatrié·e humanitaire et le médecin
traitant

CONCLUSION En cas de problèmes de santé mentale, une collaboration entre


le médecin traitant et l’unité santé des collaborateurs des
Les humanitaires, en raison de leur exposition profession­ organisations humanitaires permet une prise en charge optimale
nelle, sont une population à risque de problèmes de santé

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MÉDECINE
DES VOYAGES

1 Felkai P, Kurimay T. Patients with 5 Valk H. Psychiatric issues in travel 9 Dahlgren AL, Deroo L, Avril J, Bise G, compassion. Can Fam Physician
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10.1093/jtm/tax005. 6 **Managing stress in humanitarian tee of the Red Cross (ICRC) expatriates 14 De Soir E. Victimisation ou traumatisa-
2 Politique du Comité international de la workers. Guidelines for good practice. returning from humanitarian missions. J tion secondaire des intervenants ?
Croix-Rouge (CICR) en matière de 3e éd. Amsterdam: Antares Foundation; Travel Med 2009;16:382‑90. doi: 10.1111/j. Notions sur la résilience mentale,
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sociaux ont augmenté dans le monde 04.02.2020. org/10.1111/ajpy.12032. nals. Workshops for helping professions.
professionnel en 2017. Communiqué de 8 *Strohmeier H, Scholte WF, Ager A. 12 Figley CR. Compassion fatigue: Toward Rehab and Community Care Medicine
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Accès le 04.02.2020. pone.0205333. 13 *Gallagher R. Épuisement par ** à lire absolument

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REVUE MÉDICALE SUISSE

Gestion de la santé du personnel


­humanitaire du CICR
Dr FABRICE ALTHAUS a

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 998-1001

La mission humanitaire (expatriation) représente un type parti- mais nous allons nous concentrer ici sur le personnel expatrié,
culier de voyage de longue durée. Une mission avec le Comité car c’est la population qui est à même de consulter en Suisse. Plus
­international de la Croix-Rouge (CICR) dure en moyenne de 12 à de 30 % du personnel expatrié a moins de 2 ans d’ancienneté,
18 mois en fonction du type de métier et du niveau de responsa- alors que 22,5 % ont plus de 10 ans d’expérience au CICR. La
bilité. Les facteurs de risque pour la santé sont la somme des croissance du personnel a été considérable entre 2013 et 2019, et
risques liés au voyage et ceux liés au monde du travail. Les desti- le nombre des expatriés est ainsi passé de 1643 à plus de 2700.
nations de ce voyage présentent bien entendu un profil de risque
particulier avec des contraintes de sécurité, d’acceptation de
l’action du CICR et des conditions de vie qui peuvent être diffi- GESTION DE LA SANTÉ DU PERSONNEL
ciles. Cet article détaille les mesures prises par le CICR pour la
gestion de la santé de son personnel, dans le but de mieux articuler Le devoir de protection, de soins, ou de diligence (selon la
la collaboration entre médecin traitant et équipes médicales au manière dont on souhaite traduire le terme duty of care)
sein du CICR et accompagner le plus possible les humanitaires trouve son origine dans la morale, l’éthique ou la loi. La création
avant, pendant et après leur mission sur le terrain. dans les années  80 d’un service de santé du personnel au
CICR se base sur les composantes morales et éthiques du
­devoir de protection. Un soin spécifique est alors apporté à
Health management of ICRC humanitarian workers une population dont la souffrance commence à être identifiée
The humanitarian mission (expatriation) represents a particular après des décennies d’occultation liée à la difficulté de la
type of long-term travel. A mission with the ICRC lasts on average 12 ­reconnaître face à la souffrance des bénéficiaires de l’aide
to 18 months depending on the type of profession and the level of ­apportée par le CICR. Il existe pourtant un récit à l’origine de
responsibility. Health risk factors are the sum of the risks linked to la création de la Croix-Rouge par Henry Dunant – Un souvenir
travel and those linked to the work. The travel destinations naturally de Solferino – à forte composante cathartique, et qui pourrait
present a particular risk profile with security constraints, acceptance être interprété comme une thérapie post-traumatique face à
of the ICRC’s action and living conditions that can be difficult. This l’ampleur de l’horreur dont l’homme d’affaires genevois fut
article details the measures taken by the ICRC for the health mana- témoin.
gement of its staff, with the aim of better articulating the collaboration
between treating doctor and medical teams within the ICRC, and On assiste dès les années 2000 à un glissement progressif vers
providing the best possible support to humanitarian workers before, une approche plus légaliste du devoir de protection au sein
during and after their field assignment. des organisations humanitaires. En Suisse, nombreuses sont
les dispositions légales qui mentionnent expressément cette
obligation. Le CICR n’est pas soumis à l’ensemble de ce corpus
LE CICR ET SON PERSONNEL EN QUELQUES législatif en raison de son statut particulier, mais l’essentiel
des dispositions helvétiques, et notamment celles du Code
CHIFFRES des obligations (articles 328 et 328b), s’appliquent pleinement.
Le CICR, créé en 1863, fournit une assistance humanitaire aux
personnes touchées par un conflit ou une situation de Les activités en lien avec la santé du personnel ne sont qu’une
­violence armée et fait connaître les règles qui protègent les des facettes du devoir de protection et nous avions détaillé, il
victimes de la guerre. Institution neutre et indépendante, son y a quelques années, la manière dont le CICR gère la sécurité
mandat découle essentiellement des Conventions de Genève de son personnel sur le terrain,1 autre composante essentielle
de 1949. En décembre  2019, le personnel du CICR était de ce devoir.
­composé de 19  648  personnes, dont 34 % de femmes. Ces
hommes et ces femmes sont originaires de 140  pays. Le Examen médical d’aptitude pour la mission
personnel humanitaire expatrié était au nombre de 2719
­
(13,8 %), et 1213 personnes travaillaient au siège de l’organisa- Le personnel expatrié du CICR est soumis à un examen
tion à Genève. La proportion des femmes parmi les personnes ­médical complet au moment du recrutement. Cet examen est
expatriées est de 39,5 %. La gestion de la santé du personnel renouvelé chaque année. Le contenu exact de l’examen médical,
du CICR concerne bien entendu l’ensemble du personnel, des analyses sanguines, des vaccinations obligatoires et du
questionnaire de santé est défini par le CICR, mais les
aDépartement des ressources humaines, Comité international de la Croix-Rouge collaborateur·trice·s sont libres de se rendre chez le médecin
(CICR), 19, Avenue de la Paix, 1202 Genève de leur choix. Le médecin interniste généraliste et le spécialiste
falthaus@icrc.org en médecine des voyages sont les plus à même de pratiquer

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MÉDECINE
DES VOYAGES

cet examen. L’ensemble des résultats sont ensuite soumis au Suivi médical pendant la mission et réponse
médecin-conseil du CICR qui décide en dernier recours de aux urgences
l’aptitude à la mission, sur la base d’une liste de conditions
médicales (tableau  1). Ce feu vert médical est universel, Le CICR ne dispose pas de cliniques internes pour la prise en
c’est-à-dire qu’il permet à chacun·e d’être déployé·e dans charge des problèmes de santé de son personnel. Par
n’importe quelle mission du CICR pendant une année. C’est la ­conséquent, le système de santé local est le premier point de
raison pour laquelle les conditions pour l’obtention de ce feu référence après orientation par la personne en charge de la
vert médical sont restrictives, car il doit être en adéquation santé du personnel. En cas de nécessité, différents systèmes
avec les conditions de vie et de sécurité les plus difficiles, et de référence médicale interne sont en place, que ce soit pour
les accès aux soins les plus limités (Soudan du Sud, Irak, une seconde opinion médicale, pour un suivi psychologique,
­Afghanistan, Yémen, République centrafricaine par exemple). pour un soutien sur place ou pour l’organisation d’une
Il existe pour le médecin-conseil la possibilité de délivrer un ­évacuation médicale. Le CICR a également accès à un fournis-
feu vert avec des restrictions de destinations pour des per- seur de services spécialisés dans les évacuations médicales
sonnes ayant développé de manière transitoire ou définitive complexes, le dépôt de garantie hospitalière en urgence, ou
des problèmes de santé au cours de leur carrière. l’obtention de rendez-vous médicaux spécialisés.

Briefing médical avant la mission Il est possible de contacter 24 h/24 et 7 j/7 un des médecins
­basés au siège de l’organisation à Genève. La validation et
Avant le départ en mission, il existe plusieurs manières de l’organisation des évacuations médicales sont effectuées par
transmettre une information médicale ciblée. Un document cette équipe médicale. Chaque année, une centaine d’éva­
résumant les enjeux de santé et des conseils pratiques est cuations médicales sont organisées, dont 90 à 95 % en vol
­envoyé quelques semaines avant la mission. On y retrouve par commercial et 5 à 10 % en avion ambulance. En 2018, 17 éva-
exemple une liste permettant de constituer une trousse cuations ont été organisées depuis le Soudan du Sud, 8 depuis
­médicale personnelle, celle-ci n’étant désormais plus fournie l’Irak, 7 depuis la République démocratique du Congo et
par le CICR. l’Ukraine et 5 depuis le Nigeria. Ce sont là les 5 pays avec le
plus grand nombre d’évacuations ­ médicales en 2018. La
Un briefing médical en face à face est fourni au siège du CICR ­figure 1 résume les types de problèmes médicaux à l’origine
pour les personnes partant dans une zone présentant un des évacuations médicales en 2018.
risque de santé particulier, comme l’épidémie d’Ebola en
République démocratique du Congo, ou la pandémie de
­ Débriefing médical au retour de mission
­Covid-19. La majorité du personnel expatrié du CICR reçoit
désormais un briefing médical à l’arrivée sur le lieu de mission, En fin de mission, un premier débriefing médical a lieu sur
dispensé par un médecin ou un·e infirmier·ère spécialisé·e en place, auprès du médecin ou de l’infirmier·ère en charge de la
santé du personnel, les questions de prévention/traitement santé du personnel dans le but de relever les points à améliorer
de la malaria ayant été discutées en amont durant l’examen et d’identifier les sources de stress accessibles à une interven-
d’aptitude à la mission. tion. Dans un second temps, une intervention a lieu lors du
passage à Genève, auprès de l’équipe médicale ou d’un·e
­psychologue. Le but est de déterminer les sources de stress
Exemples de conditions médicales ­systémiques, de relever les problèmes médicaux présentés
TABLEAU 1 qui limitent ou empêchent un pendant la mission, d’identifier les personnes ayant subi un
départ en mission ou plusieurs incidents de sécurité, d’évoquer d’éventuelles
Cette liste n’est pas exhaustive.
violences sexuelles (y compris harcèlement) subies en cours
de mission et d’offrir des options de soins pour la suite. Les
• Asthme avec antécédent d’hospitalisation et/ou recours à un traitement par assurances médicales à disposition sont détaillées, car souvent
corticostéroïde oral
• Toute pathologie respiratoire limitant la capacité fonctionnelle
mal connues (maladie, accident, maladie professionnelle,
• Pathologies cardiovasculaires perte de gain).
• Hypertension artérielle non contrôlée
• Infarctus du myocarde récent (< 1 année)
• Pacemaker
Évacuations médicales par type de
• Intervention pour revascularisation coronarienne récente (< 1 année) FIG 1 problème en 2018 (n = 85)
• Toute pathologie cardiaque symptomatique
• Diabète non contrôlé ou insulino-requérant
30
• Infection VIH symptomatique et/ou CD4 < 500/mm³
Nombre de médévacs

• Antécédent d’épilepsie
25
• Traitement anticoagulant 20
• Hypothyroïdie post-thyroïdectomie totale
15 27
• Traitement oncologique en cours
• Toute pathologie nécessitant la prise d’un traitement immunosuppresseur ou 10
immunomodulateur 5 10 9 8
• Traitement en cours d’une hépatite B ou C 6 6 6 5
0
• Antécédents de trouble psychiatrique nécessitant ou ayant nécessité une
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hospitalisation, un suivi régulier ou un traitement au long cours (> 6 mois)


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• Toute problématique nécessitant la prise régulière d’un traitement anxiolytique


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• Antécédent d’allergie avec anaphylaxie (les types II, III et IV doivent être


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annoncés) Problème médical

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Une collaboration étroite avec les personnes en charge de problèmes moins connus comme le traumatisme vicariant6
l’organisation des prochaines missions permet de trouver des ou la fatigue de compassion touchent plus particulièrement
solutions adaptées aux différentes situations, en essayant certaines professions au sein du CICR et il importe d’améliorer
dans la mesure du possible d’alterner les missions difficiles la reconnaissance de ces situations pour y apporter une
avec des contextes moins opérationnels. Plusieurs facteurs ­réponse le plus précocement possible.7
viennent perturber cette recherche d’équilibre : 1) une nouvelle
classification des missions par degré de difficulté/pénibilité Prendre en compte et en charge la santé mentale du personnel
avec une meilleure compensation des missions les plus humanitaire8 n’est pas envisagé dans le simple but d’améliorer
­difficiles ; 2) un système de postulation interne ayant remplacé le bien-être au travail. Les besoins sont très importants et le
la planification centrale ; 3) la croissance du CICR au cours des CICR n’est pas encore en mesure d’y répondre pleinement.
7 dernières années entraînant une pression accrue sur l’affec- Nous envisageons de conduire en 2020 une vaste étude pour
tation des postes ; 4) un contrat à durée indéterminée proposé évaluer l’état de santé mentale de l’ensemble du personnel du
de manière systématique, qui permet une meilleure protection CICR pour mieux cibler la réponse à apporter.
en cas de problème médical entre les missions, mais qui enlève
de la souplesse au niveau de l’enchaînement des missions. Dans le cadre de la stratégie santé du personnel 2020-2025,
un volet santé mentale et soutien psychosocial pour le person­nel
Le passage par le siège du CICR avant ou après une mission sera déployé progressivement (tableau  2). Des ressources
devient de moins en moins systématique en raison des adapta­ spécifiques sont désormais disponibles : 1 psychologue clini-
tions mises en place pour répondre aux contraintes financières, cienne et 1 psychologue organisationnelle à Genève, et 4 postes
de l’accessibilité à l’espace Schengen et de la croissance du de psychologues régionaux dédiés uniquement à la santé du
terrain sans croissance du siège. De nouvelles formes de contact personnel ont été déployés entre 2018 et 2020, pour couvrir
devront être développées pour éviter la déconnexion du siège l’Afrique (2 postes), le Moyen-Orient (1 poste) et l’Asie (1 poste).
avec le terrain. Les services administratifs ont été ­délocalisés
aux Philippines, et la rencontre authentique entre le personnel Du côté du soin, une des priorités est d’améliorer la prise en
du siège et celui du terrain devient plus difficile. L’impact de charge des victimes/survivant·e·s de violence sexuelle (y
ce nouvel état de fait sur la santé des humanitaires devra être ­compris harcèlement) et les personnes ayant subi un incident
observé de manière détaillée durant les années à venir. de sécurité. L’approche organisationnelle permet de faire
prendre conscience aux managers et au personnel des res-
Pas de santé sans santé mentale sources humaines que chacun a un rôle à jouer pour l’amélio-
ration de la santé mentale du personnel du CICR. Le versant
Les sources de satisfaction et de stress sont nombreuses pour prévention (culture organisationnelle, people management) est
le personnel humanitaire.2 Dans la majorité des situations, il essentiel. La lutte contre le stigma lié à la santé mentale reste
est possible de trouver un équilibre satisfaisant entre les un travail de longue haleine.
­ressources et les contraintes.3 Parmi les personnes qui relèvent,
lors du débriefing médical, que le stress subi a eu un impact
négatif sur leur santé pendant au moins 3 semaines (figure 2), CONCLUSION
on retrouve la même proportion des différentes sources de
stress depuis plusieurs années : dans la majorité des cas, il Le médecin généraliste interniste qui reçoit à son cabinet une
s’agit de contraintes professionnelles classiques et non spéci- personne travaillant au CICR a un rôle essentiel à jouer pour
fiques au travail humanitaire (charge de travail, organisation donner du recul et de la perspective, et tirer la sonnette
du travail, relations conflictuelles, style de conduite, harcèle-
ment).4 Parmi les contraintes plus spécifiques, on relève la
­sécurité, l’éloignement de la famille et des proches, ou l’adap- Stratégie santé mentale et
TABLEAU 2 soutien psychosocial 2020-2025
tation culturelle. On retrouve des affections post-traumatiques5
liées à un incident de sécurité dans moins de 10 % des cas. Des Exemples d’actions à différents niveaux.
Niveau de base, pour • Briefing psychologique
Impact du stress sur la santé toutes et tous • Accès aux soins dans les délégations
FIG 2 durant la mission
• Sécurité
Niveau organisationnel • Soutien aux bonnes pratiques managériales
Proportion des personnes débriefées à Genève qui mentionnent un impact • Formations
significatif du stress sur leur santé durant la mission. • Gestion des conflits
• Politiques institutionnelles
% 45
38,7 Niveau communauté de Promotion et prévention en santé mentale
40 •

35 collègues • Self-care
31,8 37 • Soutien par les pairs
30 • Supervision d’équipe
25 27,1
24 25,3 25,9 26,3
20 Niveau d’intervention • Soutien psychologique de base
22,1 non spécialisée • Orientation vers des services spécialisés
15 • Formation des médecins et infirmier·ère·s en
10 charge de la santé du personnel
5
0 Niveau d’intervention • Psychologues à disposition du personnel
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 spécialisée • Intervention après un incident de sécurité
• Accès à des psychologues externes

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MÉDECINE
DES VOYAGES

d’alarme lorsque les contraintes liées à la mission ou l’enchaî- IMPLICATIONS PRATIQUES


nement des missions mettent à mal la santé physique et men-
tale de son patient. De plus, il est important de réaliser que la Le personnel humanitaire est exposé à de nombreux risques
gestion de la santé du personnel humanitaire avant, pendant pour sa santé physique et mentale
et après la mission continue de prendre de l’ampleur, dans le Dans la majorité des situations, la balance entre ressources et
but de prévenir les problèmes à venir et d’apporter une aide le contraintes est équilibrée
plus précocement possible. Au CICR, plus de 80 profession-
nels de santé, médecins, infirmier·ère·s et psychologues, sont Le médecin généraliste interniste participe à la gestion de la
à disposition de l’ensemble du personnel et du management. santé du personnel humanitaire, par exemple lors de l’examen
Et lorsque nos collègues le souhaitent, une collaboration d’aptitude à la mission ou lors de la consultation au retour de
entre médecin privé et service de santé du personnel peut ai- mission
der à apporter les solutions les plus adaptées. Une des priorités pour la santé du personnel du CICR de 2020
à 2025 est la santé mentale et le soutien psychosocial. Des
moyens importants sont mis en œuvre pour atteindre cet objectif
Il est important pour le personnel humanitaire de bénéficier du
regard externe de son médecin traitant, à même d’alerter son
patient en cas d’atteinte à la santé liée à cette activité profession-
Conflit d’intérêts : L’auteur est le médecin responsable du Centre d’expertise nelle particulière
santé du personnel du CICR dont les activités sont décrites dans cet article.

1 *Althaus F, Aebischer Perone S. Disasters 2019;43:67-87. Stress 2001;14: 205-12. Götestam KG. Social network as a
Sécurité: L’affaire de tous. Rev Med Suisse 4 Lopes Cardozo B, Gotway Crawford C, 6 Shah SA, Garland E, Katz C. Secondary moderator in the relation between
2014;10:997-1000. Eriksson C, et al. Psychological distress, traumatic stress: Prevalence in humanita- trauma exposure and trauma reaction: A
2 Eriksson CB, Lopes Cardozo B, Foy DW, depression, anxiety, and burnout among rian aid workers in India. Traumatology survey among UN soldiers and relief
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Effort – reward imbalance and burnout PTSD symptoms in international relief 2018;13:e0205333. *  à lire
among humanitarian aid workers. and development personnel. J Trauma 8 Kaspersen M, Matthiesen SB, **  à lire absolument

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REVUE MÉDICALE SUISSE

QCM D’AUTO-ÉVALUATION

Testez vos connaissances…


Santé de la femme en voyage Séjours prolongés en zone Santé mentale et stress chez les
dans les pays tropicaux endémique de malaria : quelles humanitaires expatriés
(voir article p. 989) stratégies de prévention ? (voir article p. 993)
(voir article p. 978)
Concernant la santé de la femme Concernant la santé mentale des
1. en voyage, quelle(s) affirmation(s) Pour un voyageur au long cours. 3. humanitaires expatriés, laquelle
est (sont) correcte(s) ?
2. Laquelle (lesquelles) de ces
propositions est (sont)
(lesquelles) des affirmations
suivantes est (sont) correcte(s) ?
A. Les Visiting Friends and Relatives correcte(s) ?
sont moins à risque de maladies A. La majorité des humanitaires
tropicales grâce à leur immunité A. La chimioprophylaxie est ont des problèmes de santé
acquise déconseillée car l’adhésion est mentale post-mission
B. Il est conseillé de voyager le plus mauvaise B. Le stress lié au travail est la
tôt possible durant la grossesse B. La méfloquine est une bonne première cause de stress
C. Les vaccins vivants peuvent être option en raison de sa sécurité C. Le surinvestissement non
administrés durant la grossesse en C. L’autotraitement par chloro­ reconnu dans la mission est un
cas d’épidémie lorsque le bénéfice quine-proguanil est recommandé bon prédicteur de problèmes de
dépasse le risque santé mentale
D. Les tests diagnostiques rapides
D. La prophylaxie antimalarique ne sont pas fiables lorsqu’ils sont D. Les organisations humanitaires,
par doxycycline peut être faits par le·la voyageur·euse humanitaires et médecin traitant
­administrée sans risque durant sont coresponsables de la gestion
toute la grossesse du stress en mission

Envenimations, infections et
traumatismes en mer
Gestion de la santé du personnel (voir article p. 984)
humanitaire du CICR
(voir article p. 998)
Parmi les traitements suivants,
Quelles sont les sources de stress 5. lequel (lesquels) est (sont)

4. les plus fréquemment citées par


le personnel humanitaire au
efficace(s) contre les
envenimations mortelles par
cuboméduses Chironex (par
moment du débriefing médical
exemple en Australie, en
en fin de mission ?
Indonésie et en Malaisie) ?

A. Les conditions de sécurité


A. Rinçage des lésions au vinaigre
B. Les conditions de vie
B. Rinçage abondant à l’eau douce
C. Le salaire et les compensations
C. Retrait à la pince des tentacules
D. La charge de travail, l’organi­
D. Antivenin monovalent Chironex
sation du travail et le style de
management E. Réchauffement des lésions à
48 °C pendant 20 minutes
E. L’éloignement de la famille
et des proches

Réponses correctes : 1C, 2B, 3BCD, 4D, 5B

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COVID-19

Les bloqueurs du système


rénine-­angiotensine-aldostérone
en temps de pandémie Covid-19 :
amis ou ennemis ?
Pr ANTOINETTE PECHÈRE-BERTSCHI a, Drs BELÉN PONTE a et GRÉGOIRE WUERZNER b

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 1003-7

L’enzyme de conversion de l’angiotensine ACE2 est le récepteur infectées. L’OFSP a rapidement listé l’hypertension artérielle
membranaire du virus SARS-CoV-2, permettant son entrée dans comme un facteur de risque pour l’infection par SARS-CoV-2.
les cellules cibles. ACE2 est également une enzyme qui contre­ De plus, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angio-
balance les effets de l’axe classique angiotensine II et récepteur tensine (IECA) et les bloqueurs du récepteur AT1 de l’angio-
AT1 du système rénine-angiotensine. Cette double fonction a tensine II (ARA2 ou sartans) ont été mis en cause comme
suscité des craintes par rapport à une augmentation du risque ­possibles facteurs facilitant l’infection à SARS-CoV-2 par le
d’infection ou de complications chez les patient·es traité·es par biais de l’enzyme de conversion 2 (ACE2). Ceci a généré une
cette classe d’antihypertenseurs. Toutefois il existe des arguments certaine confusion et inquiétude dans la population, motivant
opposés faisant penser que ces médicaments seraient plutôt de nombreux appels et demandes de patient·es ou médecins
­protecteurs dans certaines affections pulmonaires virales aiguës. quant à l’attitude à tenir face aux personnes hypertendues
Le consensus actuel est de ne pas interrompre ces médications, d’une part, et sur le fait d’arrêter ou non les bloqueurs du
sauf chez les patient·es hospitalisé·es hémodynamiquement ­système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) d’autre part.
­instables, au vu du danger d’une suspension brutale en cas de L’objectif de ce bref article est d’examiner les données dispo-
­pathologie cardiaque ou rénale. nibles à ce jour et de proposer des recommandations en
­accord avec les directives des sociétés savantes internationales.
Renin-angiotensin-aldosterone blockers and
Covic-19 infection : friends or enemies ?
HYPERTENSION ET RISQUE D’INFECTION OU DE
ACE2 is not only an enzyme that counters the effects of the renin-­
angiotensin-aldosterone system (RAAS) but is also the entry receptor
COMPLICATIONS DE LA MALADIE COVID-19
for SARS-CoV-2, the virus of the Covid-19 pandemic. Some experi­ La prévalence estimée de l’HTA émanant des études chinoises
mental data suggest that ACE inhibitors and ARBs increase ACE2 en cas d’atteinte par le SARS-CoV-2 est de 15 %, ce qui semble
­levels, thus raising concerns on their security in Covid-19 positive plus bas que la fréquence de l’HTA dans la population géné-
­patients. However, some studies have shown protection by these rale.1
drugs in lower tract respiratory infections and ARDS. The actual
consensus is to continue the treatment with RAAS inhibitors, abrupt De fait, il n’existe actuellement aucune étude qui montre que
withdrawal, especially in patients with cardiac or renal conditions, l’hypertension artérielle per se mette les patient·es plus à
being hazardous in terms of cardiovascular outcomes, except in risque de contracter l’infection à Covid-19, comparé à une
­patients hospitalized in intensive care with hemodynamic instability. personne normotendue. Par contre, la prévalence de l’HTA
This position statement is actually unanimous among all international est plus élevée chez les patient·es sévèrement touché·es par le
learned societies. coronavirus admises aux soins intensifs, des patient·es en
­général âgé·es. Une cohorte rétrospective de 201 patient·es
hospitalisé·es pour une infection par Covid-19 articule un
INTRODUCTION risque (Hazard ratio, HR) de 1,82 (IC 95 % : 1,13-2,84 ; p < 0,01) de
développer un SDRA (syndrome de détresse respiratoire aiguë)
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la pandémie de Covid-19 chez les personnes hypertendues comparé à des personnes avec
continue de s’étendre dans le monde. Dès février 2020, des une pression artérielle normale. La prévalence d’HTA en cas
rapports provenant de Chine ont souligné la forte prévalence de de SDRA était de 27 % versus 14 % en cas de normotension.2
l’hypertension artérielle (HTA) parmi les personnes Covid-19 Dans une autre analyse, la présence d’une HTA augmente le
positives. L’hypertension artérielle y est décrite comme une risque de décéder, en cas d’hospitalisation, de plus de 3 fois
comorbidité importante, qui grève le pronostic des personnes (HR : 3,5 ; IC 95 % : 1,57-5,92 ; p = 0,001).3 Dans une méta-ana-
lyse, l’HTA était le facteur métabolique le plus prévalent en
a Service de néphrologie et hypertension, HUG, 1205 Genève,
cas de Covid-19, soit 17 % (IC 95 % : 14-22 %).4 Un autre essai
b Service de néphrologie et hypertension, CHUV, 1011 Lausanne retrouve une prévalence d’HTA de 29 % chez les patient·es
antoinette.pechere@hcuge.ch | belen.ponte@hcuge.ch infecté·es par le SARS-CoV-2 hospitalisé·es aux soins inten-
gregoire.wuerzner@chuv.ch sifs, mais de 14 % chez ceux et celles n’ayant pas nécessité de

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REVUE MÉDICALE SUISSE

soins intensifs.4 Il faut remarquer que cette prévalence est rénale elle-même pourrait-elle engendrer ou majorer une
­inférieure à celle attendue dans la population générale, a HTA, qui pourrait être dès lors une conséquence de la sévérité
­fortiori dans la catégorie d’âge de plus de 65 ans, dite à risque de l’atteinte rénale plutôt qu’un facteur aggravant (facteur
pour le Covid-19. En effet, sur un échantillon de 1 700 000 confondant) ?8
personnes en Chine, dont l’âge moyen était de 56 ans, la
­prévalence de l’HTA était de 45 %.5
RAPPEL DE LA PHYSIOLOGIE DU SRAA
Malheureusement, il faut noter que dans la totalité des études
publiées, il n’y a pas d’ajustement pour l’âge, qui est un facteur Si l’on considère la cascade classique du système rénine-­
confondant majeur pour l’hypertension, et qu’il s’agit toujours angiotensine-aldostérone (SRAA), l’enzyme de conversion de
d’analyses univariées. De plus, la définition de l’HTA reste l’angiotensine (ACE1) convertit l’angiotensine (Ang) I en Ang II,
floue, toute comme sa durée, les traitements antihyperten- qui est un octapeptide aux effets vasoconstricteurs, inflam-
seurs administrés, les atteintes d’organes cibles, et les valeurs matoires, profibrotiques et favorisant une rétention hydro­
de pression artérielle au cours de l’infection aiguë. Le fait que sodée par sa liaison au récepteur AT1 de l’Ang II. Une autre
l’OFSP liste l’HTA comme un facteur de risque de mortalité enzyme de conversion, l’ACE2, dont les effets s’opposent à la
face au CoviD-19, initialement sans nuances, a généré un vent de cascade classique, est largement exprimée dans le cœur, les
panique chez toutes les personnes hypertendues, notamment reins, l’intestin, et dans une moindre mesure dans les poumons.9
chez les jeunes, eu égard à leurs conditions de travail par L’ACE2 a moins de 50 % d’homologie avec ACE1 et n’est pas
exemple. Cependant, les critères de vulnérabilité ont été inhibée par les IECA (Captopril, Enalapril). L’ACE2 convertit
­récemment affinés par l’OFSP, l’HTA devant être accompagnée l’Ang II en Ang 1-7 et l’Ang I en Ang 1-9, qui ont des propriétés
d’atteintes d’organes cibles, être résistante ou accompagnée plutôt vasodilatatrices, cardioprotectrices, et contrebalancent
d’autres facteurs de risque (diabète) pour être considérée les effets délétères de l’Ang II10 (figure 1).
comme un facteur de risque (tableau 1).

LE RÉCEPTEUR ACE2 : DOUBLE JEU ?


HYPERTENSION ET RISQUE DE DÉCÈS PAR
Les coronavirus comme le SARS-CoV-1, le MERS et le SARS-
COVID-19 CoV-2 utilisent l’ACE2 comme récepteur pour entrer dans les
Une étude chinoise de grande envergure portant sur 44 672 cellules cibles. L’ACE2 lie et internalise SARS-CoV-2 via une
cas confirmés de Covid-19 révèle un taux de létalité de 6 % protéase sérine 2, TMPRSS2, dont la coexpression est néces-
(case fatality rate) en cas d’HTA associée.6 L’HTA est associée saire pour l’internalisation et dont l’inhibition pourrait être
à une augmentation de la mortalité chez les patient·es une piste thérapeutique.11
­Covid-19 positifs hospitalisé·es particulièrement celles et ceux
aux soins intensifs. Cependant dans cette étude également,
l’ajustement n’a pas été fait pour l’âge alors que c’est un facteur DES EFFETS DÉLÉTÈRES DES BLOQUEURS DU SRAA
de risque connu de complications en cas de pneumonies.7
SUR LA MALADIE COVID-19 SONT-ILS POSSIBLES ?
Il avait été montré in vitro après la pandémie de SARS-CoV en
ATTEINTE RÉNALE PAR LE COVID-19 : RÔLE DANS 2003, qu’une augmentation de l’expression de l’ACE2 pouvait
favoriser l’infection par SARS-CoV.12 Depuis, plusieurs études
L’HYPERTENSION ? menées essentiellement sur des rongeurs, ont montré que les
Une étude avec examen de biopsies rénales post-mortem de IECA/sartans pouvaient influencer l’expression et l’activité
patient·es décédé·e·s de Covid-19 montre une cytotoxicité d’ACE2.13-15
­directe du virus sur les cellules tubulaires rénales, l’interstice
et les glomérules avec forte inflammation et nécrose tubulaire
aiguë. Des cas de glomérulopathies collapsantes et de syn- FIG 1 ACE2 et système rénine-angiotensine
drome de Fanconi sont également décrits faisant évoquer une ACE2 : enzyme de conversion de l’angiotensine 2 ; AT1 : récepteur de
atteinte glomérulaire et respectivement proximale. L’atteinte l’angiotensine II

Catégories de personnes
TABLEAU 1 vulnérables (OFSP, 22 avril 2020)
1. Hypertension artérielle
• Hypertension artérielle avec atteinte d’organes cibles
• Hypertension artérielle résistante au traitement
2. Maladies cardiovasculaires
Critères généraux
• Classe fonctionnelle NYHA ≥ II et NT-Pro BNP > 125 pg/ml
• Patients ayant ≥ 2 facteurs de risques cardiovasculaires (dont diabète ou

­hypertension artérielle)
• Antécédents d’attaque cérébrale et/ou d’artériopathie symptomatique
• Insuffisance rénale chronique (stade 3, DFG < 60 ml/min/1,73m2)
(Adapté de réf.10, avec permission).

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COVID-19

Considérant l’ensemble des données, il n’y a pas de réponse DES EFFETS BÉNÉFIQUES DES BLOQUEURS DU
cohérente et systématique de l’expression RNA de l’ACE2 et SRAA SUR LE COVID-19 SONT-ILS POSSIBLES ?
de son activité enzymatique entre les différents bloqueurs du
SRAA (IECA ou ARA2). Les ARA2 semblent en général réguler Toujours dans des modèles animaux, il a été montré que
l’ACE2 de façon moins variable que les IECA. Cet effet indi- ­l’infection par le SARS-CoV réduit l’expression de l’ACE2 et
rect sur la régulation de l’ACE2 a vite généré des hypothèses que cette baisse d’expression était associée à une dégradation
et des craintes par rapport à l’utilisation des bloqueurs du de la fonction respiratoire.18 Dans des modèles d’animaux
SRAA en pleine pandémie, et à leurs effets néfastes potentiels ­déficients en ACE2, l’atteinte pulmonaire est également plus
rapidement relayés par les réseaux sociaux. sévère, avec une perméabilité vasculaire augmentée. Ces
­anomalies ont été atténuées par de l’ACE2 exogène.19
Chez l’homme, il existe très peu de données sur le blocage du
SRAA et l’expression d’ACE2 en dehors d’une étude in vitro On connaît bien les méfaits de l’activation du SRAA sur les
réalisée à partir de biopsies duodénales qui montrait une ­atteintes d’organe. L’activation du SRAA et la diminution
­augmentation de l’expression de l’ACE2 avec le blocage par d’ACE2 semblent être impliquées dans la pathogenèse des
sartan ou IECA.16 Chez des patients coronariens, la perfusion ­lésions pulmonaires à SARS-CoV. Par exemple, l’Ang  II est
d’IECA n’a pas modifié la production d’Ang  1-7, médiée par élevée chez les patient·es atteint·es de SARS-CoV, et son taux
l’ACE2.13 Dans une autre étude plus ancienne, l’adminis­ plasmatique correspond linéairement à la charge virale et à
tration aiguë de captopril n’a pas affecté les taux d’Ang  1-7, l’atteinte pulmonaire.19 Une toute petite série de 12 patients
mais les a augmentés après 6 mois.14 Chez des patients en Chine a montré des taux élevés d’Ang II chez des patients
­souffrant de cardiopathie, l’activité plasmatique ou les taux sévèrement atteints par Covid-19, donnant une piste théra-
urinaires de l’ACE2 n’étaient pas plus élevés chez ceux sous peutique via le blocage de sa production.20 Un essai rétrospectif
sartans ou IECA, comparé à des patients sans traitement.15 de petite taille portant sur 42 patient·es hypertendu·es
Par contre, une étude japonaise a montré une franche éléva- positif·ves pour Covid-19, a montré que le groupe traité par
tion de l’ACE2 sous olmésartan, mais pas sous plusieurs bloqueurs du SRAA comparé à celui avec traitement anti­
autres sartans.17 Au niveau des poumons, il n’y a pas de hypertenseur sans bloqueurs du SRAA, développait des
­données, et il n’y a, à ce jour, aucune évidence entre le niveau formes moins sévères de l’infection, avec des marqueurs
d’expression d’ACE2 sur les cellules pulmonaires, et l’infec- ­inflammatoires moins élevés.21
tion à Covid-19.
La diminution de l’expression d’ACE2 a été montrée comme
Comme discuté ci-dessus, les hypothèses entre taux d’ACE2 étant associée aux maladies cardiovasculaires (CV). Non
et blocage du SRAA résultent surtout de l’expérimentation ­seulement le SARS-CoV-2 régule à la baisse l’activité d’ACE2,
animale préclinique et ont un faible niveau d’évidence (ta- mais il l’empêche aussi de déployer ses activités organo­
bleau 2). Les données les étayant sont contradictoires et protectrices. La dérégulation d’ACE2 par le coronavirus est
n’autorisent pas de les étendre à la physiologie humaine. On associée à une production augmentée d’Ang  II, qui ne peut
ne sait pas si une expression augmentée d’ACE2 au niveau plus être convertie en Ang 1-7, bénéfique, par manque d’ACE2.
pulmonaire humain facilite l’entrée de SARS-Cov-2 dans les L’Ang II en excès serait ainsi responsable de l’atteinte pulmo-
cellules cibles. Qui plus est, à ce jour, il n’y a pas de données naire du Covid-19, en augmentant la perméabilité vasculaire
montrant que les IECA/sartans facilitent l’entrée du SARS- pulmonaire. L’activation du récepteur AT1 de l’Ang II par le
CoV-2 dans les cellules cibles en augmentant l’ACE2. Pourtant, virus serait atténuée par les sartans (ARA2), en régulant à la
cette hypothèse a été fortement amplifiée dans les réseaux hausse l’ACE2. De même une expérimentation animale a
­sociaux, au point que des patient·es et/ou des médecins ont ­reproduit une insuffisance respiratoire aiguë in vivo, en injec-
arrêté brutalement ces traitements. tant à des souris des particules de SARS-CoV, (pandémie

TABLEAU 2 Niveaux d’évidence ou d’absence d’évidence pour indications aux bloqueurs du SRAA et Covid-19
* Niveau d’évidence A : résultats émanant d’essais randomisés contrôlés ou méta-analyses ; niveau d’évidence B : résultats dérivés d’un seul essai randomisé ou d’études de
grande taille non randomisées ; niveau d’évidence C : consensus d’experts, petite études, ou études rétrospectives. SRAA : système rénine-angiotensine-aldostérone
Évidence ou absence d’évidence Risque/bénéfices Niveau d’évidence*
Les bloqueurs du SRAA ont montré de manière incontestable leurs bénéfices dans Moins d’événements cardiovasculaires A
l’hypertension, l’infarctus du myocarde, l’insuffisance cardiaque et les néphropathies
diabétique ou non diabétique
Il n’y a pas d’évidence pour arrêter les traitements antihypertenseurs Risque cardiovasculaire augmenté en particulier B
chez les patients à haut risque
Il n’y a pas d’évidence à ce que les bloqueurs du SRAA doivent être changés pour Perte de l’effet protecteur prouvé dans l’insuffisance B
d’autres classes d’antihypertenseurs cardiaque, la néphropathie et le post-infarctus
Les bloqueurs du SRAA n’augmentent pas la susceptibilité à une infection par Covid-19 B
Les bloqueurs du SRAA semblent diminuer la mortalité des patients hypertendus C
hospitalisés et diagnostiqués positifs pour Covid-19
Les bloqueurs du SRAA doivent être arrêtés en cas d’état hémodynamique compromis B
(baisse du volume circulant efficace)

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2003), qui a été améliorée en bloquant le SRAA. Malgré les LES RISQUES DE L’ARRÊT BRUTAL DES
­effets secondaires défavorables que les IECA induisent parfois TRAITEMENTS PAR BLOQUEURS DU SRAA
au niveau des poumons, comme une toux sèche, par le truche-
ment des bradykinines et de la substance P, une méta-analyse L’interruption inopinée des traitements bloquant le SRAA
chez l’homme a montré un rôle protecteur des IECA dans le chez des patient·es à risque ou atteint·es par CoviD-19 est
développement de pneumonies non Covid-19, comparé aux ­hasardeuse. Nombre d’études ont montré, en cas de cardio­
sartans et à des contrôles sans traitement.22 pathie ou en post-infarctus, que des moments d’instabilité
tensionnelle même de courte durée, sont grevés d’une aug-
Une étude chinoise rétrospective parue portant sur 1128 mentation du risque cardiovasculaire.29
patient·es Covid-19 positifs hospitalisé·es, montre que la
­mortalité à 28 jours est plus faible dans le groupe prenant des
IECA/sartans (3,7 %), comparé au groupe sans ces traitements RECOMMANDATIONS
(9,8 % ; p < 0,01), après ajustement pour plusieurs facteurs
confondants.23 De même, une étude rétrospective monocen- A l’heure actuelle, et c’est l’écho unanime de toutes les sociétés
trique chinoise chez 126 patient·es Covid-19 positifs dont savantes internationales d’hypertension et de cardiologie, le
43 prenaient des bloqueurs du SRAA et 83 n’en prenait pas, a traitement par bloqueurs du SRAA ne doit pas être interrompu
montré que les paramètres inflammatoires étaient significati- chez les personnes non infectées par le coronavirus. Il en est
vement plus bas dans le groupe traité, avec une tendance non de même pour les individus infectés par le SARS-CoV-2, sauf
significative à une sévérité diminuée et une baisse de la si leur état hémodynamique le requiert, évidemment.
­mortalité dans le groupe traité par IECA ou sartans.24 Une
étude cas-témoin en Lombardie, comprenant 6272 patient·es
positifs pour le Covid-19 comparé·es à 30759 contrôles CONCLUSION
­appariés, a montré que l’utilisation des IECA et des ARAII
était plus fréquente dans le groupe Covid-19 positif, mais Sur la base des données scientifiques actuelles, qui sont pour
n’était pas associée à un risque augmenté d’infection par la plupart soit animales soit observationnelles, nous pensons,
­Covid-19, y compris pour les formes sévères après ajustement à l’instar de toutes les sociétés savantes internationales, que
multivarié.25 Une autre étude observationnelle émanant de les bloqueurs du système rénine angiotensine doivent être
3  continents, et portant sur 8910 patient·es infecté·es par poursuivis chez les patient·es stables à risque de développer
­Covid-19 totalisant 6 % de décès, n’a pas observé de risque de un Covid-19, ou chez celles et ceux qui en sont déjà atteint·es.
décès augmenté avec la prise de bloqueurs du SRAA.26 Fina­ L’interruption brutale de ces traitements est elle-même grevée
lement un essai réalisé à New-York à partir de données de complications.30
­électroniques, a recensé 12594 personnes dont 47 % étaient
positives pour le Covid-19, et 17 % avec une présentation
­sévère. Après analyse avec score de propension, aucune asso- Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
ciation entre la prise d’IECA ou d’ARAII ou toute autre classe avec cet article.
antihypertensive n’a été mise en évidence. 27

Au final, ces études portant sur des populations différentes


avec des concepts méthodologiques également différents IMPLICATIONS PRATIQUES REFLÉTANT LES ÉVIDENCES
sont rassurantes, et n’apportent aucune évidence étayant (MANQUANTES) ACTUELLES*
l’hypothèse que les IECA et les sartans favoriseraient une
­infection par Covid-19 et ses complications. Enfin, l’adminis- Pendant la pandémie Covid-19, le traitement antihypertenseur
tration d’ACE2 recombinante s’est montrée prometteuse doit être poursuivi
dans des modèles de pneumonies virales et de SDRA chez Chez les patient·es stables Covid-19 positif·ves ou à risque de
l’homme.28 développer une infection : les IECA et les ARA2 doivent être
prescrits selon les recommandations des sociétés européennes
Au total, les connaissances actuelles démontrent sans équivoque d’hypertension et de cardiologie 2018
un rôle protecteur des bloqueurs du SRAA sur le système Les données scientifiques actuelles disponibles ne permettent
­cardiovasculaire. Par contre, l’impact des IECA/sartans sur pas de dire que les IECA sont à préférer aux sartans, ou l’inverse,
l’ACE2 dans les autres organes, et notamment les poumons, chez les patient·es qui présentent un Covid-19
n’est pas connu. Si les bloqueurs du SRAA stimulaient l’activité
de ACE2 dans les poumons, ils pourraient alors jouer un Chez les patient·es présentant un Covid-19 sévère aux soins
double jeu. D’une part, un taux élevé d’ACE2 pourrait faciliter intensifs, les bloqueurs du SRAA peuvent être utilisés, ou arrêtés
l’entrée du coronavirus dans les pneumocytes, mais d’autre selon l’état hémodynamique
part, l’activation d’ACE2 semble améliorer les lésions pulmo- * en cas de nouvelles preuves, mise à jour nécessaire
naires aiguës imputables au coronavirus.

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medRxiv preprint, not peer reviewed Hypertens. 1996;14:799-805 use of angiotensin converting enzyme Combination renin-angiotensin system
9 Rice GI, Thomas DA, Grant PJ et al. 15 **Vaduganathan M, Vardeny O, Michel inhibitors and angiotensin receptor blockade and angiotensin-converting
Evaluation of angiotensin-converting T et al. Renin-angiotensin-aldosterone blockers: Systematic review and enzyme 2 in experimental myocardial
enzyme (ace), its homologue ace2 and system inhibitors in patients with meta-analysis. BMJ. 2012;345:e4260 infarction: Implications for future
neprilysin in angiotensin peptide covid-19. N Engl J Med. 2020 23 Zang P, Zhu L, Cai J et al. Association therapeutic directions. Clin Sci (Lond).
metabolism. Biochem J. 2004;383:45-51 16 Vuille-dit-Bille RN, Camargo SM, of Inpatients use of ACEI and AARB with 2012;123:649-658
10 Danser AHJ, Epstein M, Batlle D. Emmenegger L et al. Human intestine mortality among patients with hyperten-
Renin-angiotensin system blockers and luminal ace2 and amino acid transporter sion hospitalized with Covid-19.
the covid-19 pandemic: At present there expression increased by ace-inhibitors. Circulation Research, avril 2020. doi * à lire
is no evidence to abandon renin-angio- Amino Acids. 2015;47:693-705 10.1161/circresAHA.120.317134 ** à lire absolument

Recommandations des sociétés internationales • International Society of Hypertension. A statement from the Interna-
tional Society of Hypertension on COVID-19. ish-world.com/news/a/A-
• Swiss society of Hypertension. swisshypertension.ch statement-from-the-International-Society-of-Hypertension-on-CO-
VID-19/ (consulté le 18 avril 2020).
• Statement from the American Heart Association, the Heart Failure
Society of America and the American College of Cardiology. Patients • Position Statement of the ESC Council on Hypertension on ACE-In-
taking ACE-i and ARBs who contract COVID-19 should continue treat- hibitors and Angiotensin Receptor Blockers. escardio.org/Councils/
ment, unless otherwise advised by their physician. newsroom.heart. Council-on-Hypertension-(CHT)/News/position-statement-of-the-esc-
org/news/patients-taking-ace-i-and-arbs-who-contract-covid-19-should- council-on-hypertension-on-ace-inhibitors-and-ang (consulté le 18 avril
continue-treatment-unless-otherwise-advised-by-their-physician 2020).
(consulté le 18 avril 2020).
• Hypertension Canada’s Statement on:Hypertension, ACE-Inhibitors
• European Society of Hypertension. ESH Statement on COVID-19. es- and Angiotensin Receptor Blockersand COVID-19. hypertension.ca/wp-
honline.org/spotlights/esh-statement-on-covid-19/ (consulté le 18 avril content/uploads/2020/03/2020-30-15-Hypertension-Canada-Statement-
2020). on-COVID-19-ACEi-ARB.pdf (consulté le 18 avril 2020).

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13 mai 2020 1007
REVUE MÉDICALE SUISSE

Le paradoxe des services d’urgence


durant la crise du Covid-19
DR THOMAS SCHMUTZ et PR VINCENT RIBORDY

Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 1008-9

Les services d’urgence (SU) de tous ­ ôpitaux du canton de Fribourg ont chuté
h non urgents et aux questionnements de la
les pays de l’OCDE font face à des flux de significativement, à tel point que certains population. La relocalisation des patients
patients de plus en plus importants. Ces s’interrogent sur ce que sont devenus les hospitalisés en attente de placement et de
services, de plus en plus surchargés sont malades (figure 1). La tendance semble réadaptation, le report immédiat de l’activité
souvent les tristes témoins de système de être la même dans d’autres hôpitaux programmée ainsi que la collaboration avec
santé jugés par certains défaillants et suisses. L’activité baisse mais le travail des les cliniques privées ont libéré de multiples
­malmenés par des politiques de restriction urgentistes reste intense. La prise en lits d’hospitalisation. Aux urgences, l’effectif
financière infligées aux hôpitaux.1 La suisse, charge des urgences vitales noyée dans des équipes médico-soignantes est renforcé.
pourtant forte de sa bonne santé écono­ l’accueil des nombreux patients suspects Les patients jugés non graves après triage
mique, subit le même phénomène en lien de Covid-19 est nettement plus lourde et infirmier sont redirigés vers leurs médecins
avec le vieillissement de sa population, engagée pour les soignants. Les services de famille ou vers la garde médicale, plus
l’hyperspécialisation de la médecine, la de soins intensifs et les services d’hospita­ disponibles et engagés pour l’urgence. Toute
pénurie relative de médecins (pédiatre, lisation sont sollicités comme jamais. exploration complémentaire aux urgences
généraliste, psychiatre, urgentiste), l’aug­ Les plus sceptiques diront que la peur jugée inutile ou superflue est refusée puis
mentation de la fréquentation des SU et le confinement de la population sont les réalisée en hospitalisation ou en ambula­
(croissance de 2 à 3 % annuellement depuis principaux responsables de la diminution toire. L’accès à l’imagerie médicale est
les années 2000)2 et la diminution du d’activité des SU et que la reprise sera ­facilité. Les hospitalisations directes sont
nombre de lits hospitaliers. Dans ce con­ d’autant plus forte. Il existe probablement favorisées. Des programmes de téléméde­
texte, les épidémies virales, notamment de une part de vrai, mais l’analyse honnête cine sont déployés en quelques semaines.
grippe saisonnière, provoquent de fortes montre qu’ils ne peuvent pas être les seuls De nombreuses spécialités (cardiologie,
mises en tension de notre système de facteurs de cet effondrement de fréquen­ oncologie, psychiatrie…) organisent des fast-
­santé. Lors de ces épisodes de pression, les tation. Les campagnes d’information et track qui court-circuitent les urgences et
conséquences peuvent être désastreuses : d’éducation de la population dans la presse permettent l’accès aux consultations ou
les temps d’attente se prolongent, la qualité ont replacé sans attendre les SU dans leur hospitalisations directes. La généralisation
des soins se dégrade et la morbi-mortalité rôle propre, l’urgence vitale, en invitant à ne des directives anticipées évite le recours à
des patients augmente. Les patients se consulter qu’en présence de symptômes des structures hospitalières alors que des
plaignent et les soignants s’épuisent. Pour jugés graves. La mise en place d’une cen­ soins à domicile peuvent être envisagés. Le
l’hôpital, les risques sont multiples, princi­ trale téléphonique avec conseils médicaux suivi journalier de l’activité des urgences
palement financiers et médico-légaux. Les permet de répondre aux besoins de santé par une cellule de conduite médico-admi­
usagers, eux, perdent confiance. L’hôpital
en est le grand perdant. Plusieurs auteurs en
témoignent, et proposent des solutions.3 L’inédite salle d’attente vide du SU de l’HFR
FIG 1 en pleine épidémie Covid-19
L’adaptation de l’activité programmée à
l’activité non programmée, la collabora­
tion étroite avec les autres spécialités et la
médecine ambulatoire, la fluidification
des parcours hospitaliers des patients, des
plans de surcharge hivernale et enfin la
­reconnaissance de la médecine d’urgence
au rang de spécialité sont des solutions
qui peinent à émerger parce que jugées
déstabilisantes pour des hôpitaux centrés
sur des activités plus lucratives.2,4
En à peine deux semaines pourtant,
l’épidémie de Covid-19 a montré qu’avec
une volonté collective la fluidification du
parcours des patients aux urgences est
possible. À peine quelques jours après le
début de l’épidémie à coronavirus en
Suisse, les délais d’attente, les temps de
passage et la fréquentation du SU des

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1008 13 mai 2020
COVID-19

et la population applaudit tous les soi­


Visite de Madame la conseillère d’État à la
FIG 2 santé au SU de Fribourg le 25 mars 2020 gnants (figures 2 et 3).
Alors, si tout est possible en urgence
pour une épidémie d’une telle ampleur,
pourquoi ne pas rêver à un système pé­
renne ? L’après Covid-19 doit être source
d’enseignement et nous mettre face à
l’évidence. Le recours excessif aux SU, le
financement de l’hôpital public sur l’acti­
vité, la priorisation de l’activité médicale
élective et le fonctionnement à flux tendu
avec des capacités d’hospitalisation limitées
constituent un système dépassé et à long
terme défaillant. Chaque hiver, depuis de
nombreuses années, les épidémies de
grippe le démontrent, on ferme les yeux
en attendant que la crise passe. Ces varia­
tions saisonnières d’activité sont pourtant
prévisibles3 et ces épisodes de tension
­facilement surmontables. On ne pourra plus
le nier, et les soignants ne l’oublieront pas.
Un minimum de marge hôtelière et une
Témoignages de la population aux adaptation hospitalière aux flux des urgences
FIG 3 soignants le 30 mars 2020 (et non l’inverse) règlent définitivement
le problème de flux des SU. La crise du
Covid-19 ne sera probablement pas la
dernière, soyons clairvoyants et inno­
­
vants. Le remède au mal des urgences
existe, prenons soin de l’hôpital public,
soignons les urgences !

1 Schmutz T, Carron PN, Ribordy V, Braun F. Campagne


zéro « patient brancard » aux urgences en France : quel
enseignement ? Accepté pour publication par la Rev Med
Suisse, 2020.
2 Carron PN, Sarasin F. Médecine d’urgence : répondre à
l’accélération du temps. Rev Med Suisse 2019;15:1363-4.
3 Claret PG, Bobbia X, Richard P, Poher F, De La
Coussaye JE. Surcharge du service des urgences : cause,
conséquences et ébauches de solution. Ann Fr Med
Urgence 2014;4:96-105.
4 Schmutz T, Carron PN, Exadktylos A, Sarsin F, Ribordy
V. Développement de la médecine d’urgence en Suisse :
état des lieux et préoccupations. Ann Fr Med Urgence
2020; epub ahead of print.
nistrative adapte quotidiennement les conseillers de poids dans la mise en œuvre
moyens aux flux de patients. La durée de toutes ces solutions et la coopération
moyenne des patients hospitalisés est entre toutes les spécialités un formidable
­diminuée en anticipant la sortie ou l’ad­ atout. L’analyse a certes de nombreux
mission vers les instituts de réadaptation. biais d’interprétation, mais là où tous
Un plan de lutte contre la surcharge des criaient « impossible ! » à chaque épidémie DR THOMAS SCHMUTZ ET PR VINCENT RIBORDY
urgences, dans les cartons depuis des de grippe, Covid-19 l’a fait ! Les urgences Service des urgences - SMUR, HFR Fribourg – Hôpital
mois, est validé et diffusé sans discussion. sont devenues fluides et sans attente. Les cantonal, Chemin des pensionnats 2-6, 1708 Fribourg
Les médecins urgentistes ont été des politiques saluent la réactivité de l’hôpital thomas.schmutz@h-fr.ch | Vincent.Ribordy@h-fr.ch

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REVUE MÉDICALE SUISSE

AVANCÉE THÉRAPEUTIQUE

PRISE EN CHARGE DES ASTHMATIQUES AU TEMPS DU COVID-19


JEAN-YVES NAU des rhinites allergiques ? La perte ou dimi- chez l’enfant et 20,8 % chez l’adulte ce qui
jeanyves.nau@gmail.com nution de l’odorat avec obstruction nasale en place cette famille de virus au deuxième
cas d’allergie est bien connue et reconnue rang des virus identifiés chez l’adulte
par les patients allergiques habitués à leurs derrière les rhinovirus et au quatrième
­
C’est aujourd’hui une question récur- symptômes. Or, l’anosmie et l’agueusie sans rang chez l’enfant après les rhinovirus, le
rente qui témoigne de l’inquiétude actuelle obstruction nasale n’existent pas dans VRS et les entérovirus », rappelle-t-on
de nombre de personnes asthmatiques : ­l’allergie - et peuvent donc signifier qu’on ­auprès de la Société de pneumologie de
comment distinguer les signes liés au a contracté le Covid-19. langue française (SPLF).
­Covid-19 avec ceux d’une crise d’asthme ? En cas de doute, il est recommandé de Pour la SPLF, on pouvait donc raison-
Une inquiétude d’autant plus compréhen- rechercher l’existence ou l’absence d’obs- nablement redouter que la situation épi-
sible que nombre d’informations erronées truction à l’interrogatoire (en vidéo-con­ démiologique actuelle s’accompagne d’un
continuent ici ou là de circuler quant aux sultation, on peut, si besoin risque d’infection à Covid-19
meilleures conduites thérapeutiques à faire un test avec un miroir plus important chez les per-
­ternir pour soigner son asthme, qu’il s’agisse positionné horizontalement
LES CORTICOÏDES sonnes asthmatiques – risque
de traitements de fond ou de ceux de la sous les narines, la présence
INHALÉS DOIVENT associé à une augmentation
crise. C’est dire, ici, l’importance pratique de buée en expirant par le nez
IMPÉRATIVEMENT des formes sévères. « Or curieu­
des mises au point que vient de faire établissant que l’obstruction
ÊTRE POURSUIVIS sement, dans les premières
­l’Association Asthme & Allergies 1 en ras- n’est pas totale). Pour les publications que ce soit en
semblant les recommandations de plusieurs pneumologues et allergologues : « L’équa- Chine, en Italie ou aux USA, les patients
structures référentes de la pneumologie et tion à retenir est : agueusie/anosmie sans asthmatiques paraissent sous représentés
de l’allergologie (Société de pneumologie obstruction = Covid-19 » surtout si l’on considère la prévalence de
de langue française, Société pédiatrique de On sait que les infections liées aux l’asthme estimée entre 7 et 10 % selon les
pneumologie et allergologie, Société fran- ­virus à tropisme respiratoire (rhinovirus, pays, observe-t-elle. Ces données sont
çaise d’allergologie, Fédération française virus respiratoire syncitial, virus grippaux…) corroborées par les premiers retours
d’allergologie). constituent la principale cause d’exacer- d’expérience des centres du réseau
­
On sait que dans le cas de l’asthme, les bation de l’asthme – et qu’elles peuvent ­CRISALIS 3 qui participent, au titre des
symptômes les plus courants sont l’essouf­ être associées à des épisodes respiratoires services de pneumologie et soins intensifs
flement, les difficultés à respirer et la toux. sévères chez les patients asthmatiques. respiratoires, à la première ligne de la
En principe, ces symptômes sont rapide- Plusieurs mécanismes physiopathologiques lutte contre l’épidémie en France. »
ment soulagés par l’inhalation d’un bron- ont été mis en avant pour expliquer cette Ces premières données devront être
chodilatateur. En aucun cas, l’asthme n’a susceptibilité aux infections virales des confirmées à grande échelle. Mais d’ores
pour symptômes une fièvre, des maux de asthmatiques. On sait aussi que l’émer- et déjà, deux hypothèses peuvent être
tête, une perte du goût ou de l’odorat, une gence puis la progression de la pandémie avancées pour expliquer cette observation
fatigue très importante – ce qui est fré- Covid-19 liée au coronavirus SARS-CoV-2 paradoxale. La première est l’éventuelle
quemment observé chez les personnes est caractérisée, dans ses formes sévères, sous-estimation de l’asthme chez les
souffrant du Covid-19. par des pneumonies graves pouvant ­patients infectés par le Covid-19 (et ce
Autre question pratique :2 quelle dif­ conduire à un syndrome de détresse respi- d’autant que les comorbidités respiratoires
férence entre l’anosmie brutale en cas ratoire aigu potentiellement mortel ; un sont souvent mentionnées globalement sans
d’infection Covid-19 et la perte d’odorat phénomène faisant redouter un risque que l’asthme fasse l’objet d’une attention
­accru de formes graves chez spécifique). La seconde se focalise sur les
les personnes asthmatiques. traitements de fond de l’asthme et leur
Le tropisme respiratoire des possible impact sur la diminution du
coronavirus est connu : cer- risque d’infection ou de développement
tains d’entre eux ont déjà été des symptômes.
impliqués ces dernières années Pour sa part, la SPLF a d’ores et déjà
dans des épidémies de pneu- émis des recommandations de prise en
mopathies sévères comme le charge des patients asthmatiques en période
SARS (Severe Acute Respira- d’épidémie Covid-19. Et ce en soulignant
tory Syndrome) ou le MERS trois points essentiels : la nécessité de ne
(Middle East Respiratory Syn­ pas interrompre les traitements de fond en
drome). cours notamment les corticoïdes inhalés ;
« Dans une revue générale la possibilité d’initier un traitement par
publiée en 2018, avant l’ap­ biothérapie si le non contrôle et la sévérité
parition du SARS-CoV-2, la de l’asthme le justifient, l’utilisation sans
© istockphoto/ajr_images

prévalence d’identification retard d’une corticothérapie systémique


d’un coronavirus dans les pour le traitement d’une exacerbation de
pré­lèvements respiratoires l’asthme.
au cours d’une exacerbation Toutes les sociétés savantes sont ici
d’asthme varie entre 8,4 % unanimes : les corticoïdes inhalés, pierre

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1010 13 mai 2020
ACTUALITÉ

angulaire du traitement de fond de l’asthme, conduisant en réanimation, si l’asthme est tions et les expliquer, souligne la SPLF.
doivent impérativement être poursuivis. bien contrôlé notamment par les corticoïdes Elles ne doivent pas retarder le recours
Tout patient asthmatique ayant un traite- inhalés ». aux soins des patients asthmatiques en cas
ment de fond par corticoïdes inhalés doit L’information de la survenue d’une d’apparition de symptômes respiratoires
le maintenir, même en période de pandémie ­infection Covid-19 est désormais recensée ne répondant pas au traitement sympto-
au Covid-19. Tous les traitements de fond dans les cohortes nationales françaises matique habituel. Plus que jamais les
de l’asthme doivent être maintenus pendant ­incluant des asthmatiques. D’autre part, ­mesures de prévention, mesures barrières
la période de l’épidémie et adaptés pour un protocole de recherche clinique multi- et de confinement doivent être strictement
que l’asthme soit parfaitement contrôlé – centrique (visant à étudier le rôle protec- appliquées chez les asthmatiques comme
et tout particulièrement le traitement de teur de la corticothérapie inhalée dans les dans la population générale. »
fond par corticoïdes inhalés. « La cortico- pneumopathies à Covid-19 nécessitant
thérapie orale au long cours doit, elle une hospitalisation hors services de réani-
­aussi, être maintenue à la dose minimale mation – protocole INHASCO) va très
efficace pour contrôler l’asthme et doit prochainement débuter à l’initiative du Pr 1 https://asthme-allergies.org/
être poursuivie si elle est nécessaire pour Camille Taillé (AP-HP, Hôpital Bichat). 2 Lavaud S COVID-19 ou asthme : comment savoir ? Com-
ment agir ? – Medscape – 25 avril 2020.
conserver un bon contrôle de l’asthme. « Si les données actuellement disponibles 3 Constitué de centres regroupant des professionnels
Pour sa part, la Fédération française ne démontrent pas une augmentation du experts de l’asthme sévère, CRISALIS œuvre pour la
­d’allergologie souhaite rassurer les asthma­ risque d’infection à Covid-19 ou de formes concrétisation de projets nationaux et internationaux dans
tiques sur le fait que « l’asthme n’est pas sévères chez l’asthmatique, il convient de le domaine de l’asthme sévère ainsi que pour la constitu-
tion d’un maillage territorial fort entre les différents
un facteur de risque de développer des rester prudent et de poursuivre les recher­ intervenants de la prise en charge des patients. Pour plus
formes plus sévères de COVID-19 les ches pour vérifier ces premières observa- d’informations sur CRISALIS : www.crisalis-network.org

16 mars, le bloc opératoire Et l’angoisse s’est emparée des patients que nous voulions tous
CARTE BLANCHE
­commençait à réduire l’activité équipes. L’inquiétude première est soigner au mieux.
élective, puis tout est allé très vite allée aux patients, ces hommes et Durant cette période, j’ai souvent
parce que le mercredi de la même ces femmes que nous souhaitions eu en tête le souvenir du film « le
semaine toute activité ambulatoire pouvoir prendre en charge le mieux désert des Tartares » (V. Zurlini,
et élective était suspendue dans possible. Les images catastrophiques 1976), dans lequel les soldats d’un
l’ensemble de la Suisse. Il ne restait venant d’Italie n’ont pas aidé à poste avancé attendent l’invasion
plus que les opérations urgentes, ­calmer les soignants. Puis il y a eu de leur ennemi, qui ne survient
qui avaient bizarrement disparu, la peur du changement, notre qu’en toute fin de film. Comme des
nous n’avons pas compris où ­routine était complètement soldats cachés dans les tranchées,
Dr. Annouk Perret Morisoli
étaient passées toutes les appen- ­chamboulée, nous allions changer nous avons eu la chance de pouvoir
Service d’anesthésie
dicites et cholécystites que nous notre affectation, travailler de nous préparer pour la guerre,
Hôpital du Valais
annouk.perret-morisoli@hopitalvs.ch opérions jusque-là de jour comme concert avec les soins intensifs. puis, le ventre noué, nous avons
de nuit – mais d’ailleurs où étaient Nous allions devoir gérer des décès, attendu les premiers patients, qui
les patients –, les urgences étaient peut-être beaucoup. Les gens sont effectivement arrivés, sauf
LA PANDÉMIE VUE DU vides, tout était suspendu, irréel. avaient peur pour leur santé, leur que (malheureusement) le film
BLOC OPÉRATOIRE : Les couloirs étaient déserts suite vie surtout, et celles de leurs ne s’est pas terminé. Il s’est plutôt
­SITUATION AU 25 MARS à l’interdiction des visites. Nous proches. Les masques étaient transformé en une mauvaise série
nous sommes vite habitués à la ­rationnés. Les droits des soignants dont le nombre d’épisodes n’est
Fin février. Le premier cas avait été présence de la protection civile, avec la suspension provisoire de la pas encore connu…
diagnostiqué au Tessin, le nord de aux circuits spécifiquement dédiés loi sur le travail semblaient b­ afoués. En si peu de temps, nos vies
l’Italie flambait. Le discours des aux patients Covid, aux distances Nos vacances ont été annulées, et avaient complètement changé. Le
autorités fédérales était encore de sécurité. Par la suite l’armée nos pourcentages balayés. Nous passé semblait à des années
rassurant : les foyers étaient est arrivée pour installer un poste devions être appelables en tout ­lumières. Le futur s’était dilaté et
­circonscrits et les patients infectés médical avancé. Se serrer les temps. Toutes ces mesures ont n’existait plus parce qu’il n’était
isolés. Et il y eu le premier cas en mains, s’embrasser, n’étaient plus généré une peur panique et des plus possible de s’y projeter.
Valais. Il se portait bien, la chaîne à l’ordre du jour. réactions parfois inquiétantes de Au fond, il ne restait plus qu’à
de contagion était identifiée, il n’y Nous avons pris acte des mesures la part de certains soignants. vivre le moment présent. Se
avait pas de soucis à se faire nous destinées à l’accueil des patients À tout ceci se surajoutait l’inconnu concentrer sur les beaux moments
disait-on. Par la suite, le nombre de Covid intubés. Notre service concernant la durée de cette en famille, la nature qui se réveillait,
cas a inexorablement augmenté, d’anesthésie fusionnait en partie ­situation. la solidarité entre collègues, et
surtout au Tessin. avec celui des soins intensifs, la Nous avons aussi assisté à un essayer de se raisonner pour
Le 13 mars a été annoncée la moitié du bloc opératoire et la ­formidable élan de solidarité entre ­juguler l’angoisse qui nous tenaillait.
­fermeture des écoles. Beaucoup de salle de réveil seraient destinées à les soignants. Finies les guerres de Et surtout, comme toujours, revenir
gens, amis ou collègues, n’avaient accueillir des patients intubés. Il clocher, les gens se sont serrés les à l’essence de notre métier :
pas encore compris l’ampleur de s’agissait donc, en moins d’une coudes (au sens figuré) et se sont mettre les patients au centre de
la situation. Ce petit virus n’était semaine, de réorganiser les espaces, concentrés sur la prise en charge nos préoccupations et leur donner
pas plus offensif que celui de la d’équiper ces postes de ventilateurs, des patients. L’ennemi était les meilleurs soins possibles.
grippe disait-on. Mais à peine de former les équipes à leurs ­commun, c’était cette maladie qui
quelques jours plus tard, le lundi ­nouvelles tâches. causait des graves dommages aux

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REVUE MÉDICALE SUISSE

LU POUR VOUS Les sodas augmenteraient-ils les décès toutes causes confondues ?
Alors que l’épidémie d’obésité nale dans dix pays européens pour cela une base de données sodas édulcorés et les décès par
sévit dans le monde avec 2,8 tente de montrer un lien entre la EPIC (European Prospective maladies circulatoires dont les
millions de décès par an selon consommation de sodas (sucrés, Investigation into Cancer and explications ne sont pas encore
l’OMS, il existerait une forte édulcorés ou leur totalité (« total Nutrition), de laquelle ont été comprises.
association entre la consommation soft drinks »), qui inclut les sodas analysés 451 743 participants, Commentaire : Comme d’autres
de boissons sucrées et l’augmen- sucrés, les sodas édulcorés, les intégrés de 1992 à 2000 avec un études de cohortes sur le sujet, il
tation de décès toutes causes boissons énergisantes, les boissons suivi moyen sur 16,4 ans, et parmi est difficile d’établir définitivement
confondues aux États-Unis. Mais isotoniques et les sirops dilués) lesquels 41 693 décès ont été un lien de causalité directe. Malgré
qu’en est-il en Europe ? Cette étude avec le nombre de décès toutes comptabilisés. Avec un hazard de possibles biais et facteurs
prospective de cohorte internatio- causes confondues. Elle utilise ratio significatif, il existerait une confondants, cette première étude
augmentation statistique de décès européenne tente de tisser un lien
pour les personnes consommant entre la consommation de sodas
deux verres ou plus (250 ml) par et la mortalité, allant dans le sens
jour, versus moins d’un verre par du message de santé publique
mois, de tous types de sodas : actuel : le moins, c’est le mieux !
sodas sucrés (cola, limonade),
­sodas édulcorés (light, diet, ou Dr Santiago Zurita
sans calorie) ou « total soft Département des policliniques,
drinks ». Avec des stratifications Unisanté, Lausanne
statistiques selon l’âge, le genre
ou l’IMC, le résultat demeure le Coordination : Dr Jean Perdrix,
même. Concernant les décès Unisanté (jean.perdrix@unisante.ch)
spécifiques, il existerait une
© istockphoto/Ekely

association positive entre les


sodas sucrés et les décès par Mullee A, et al. Association between soft
drink consumption and mortality in 10
maladies intestinales, tout comme European countries. JAMA Intern Med
un lien entre la consommation de 2019;179:1479-90.

POINT DE VUE

QUELS LIENS ENTRE LE SARS-COV-2 ET LA MALADIE DE KAWASAKI ?


JEAN-YVES NAU ralement comme naturellement protégés alerte avait été lancée en Grande-Bretagne
jeanyves.nau@gmail.com contre le Covid-19, la question soulevée est par Matt Hancock, ministre de la Santé.
de savoir si certains sont ou non menacés « C’est une nouvelle maladie qui, selon
par une entité pathologique proche de la nous, peut être causée par le coronavirus,
A l’heure où nous écrivons ces lignes, maladie de Kawasaki (MK), du nom du avait-il déclaré publiquement, sans nulle-
dans les premiers jours du mois de mai, ­pédiatre japonais qui l’a identifiée il y a ment cacher son inquiétude. Nous ne
une nouvelle alerte sanitaire vient d’être plus d’un demi-siècle.1 sommes pas sûrs à 100 % parce que cer-
lancée en France ainsi que dans plusieurs La MK est une maladie fébrile de taines des personnes qui l’ont contractée
pays européens. C’est une alerte en marge l’enfant caractérisée par une vasculite
­ n’ont pas été testées positives au nouveau
de l’épidémie de Covid-19 témoignant de ­touchant les artères de taille moyenne, coronavirus. Nous faisons donc actuelle-
l’inquiétude de plusieurs catégories des notamment les artères coronaires. Son ment beaucoup de recherche. Mais c’est
soignants sans que rien ne permette encore étiologie est mal identifiée. C’est aussi la quelque chose qui nous préoccupe ».
de conclure quant à un lien de causalité première cause de maladie cardiovascu- Dans un premier temps, les autorités
avec le SARS-CoV-2 ou, a fortiori de fournir laire acquise chez l’enfant et la deuxième sanitaires britanniques se sont bornées à
une lecture à un décryptage physiopatho- vasculite la plus fréquente en pédiatrie évoquer « un petit nombre de cas ». On
logique. C’est la dernière et troublante après le purpura rhumatoïde. 80 % des ­apprenait peu après que le même phéno-
­interrogation en date face à une nouvelle ­patients atteints sont âgés de moins de mène avait été observé en France, notam-
infection virale qui en comporte déjà 5  ans. Sa distribution est inhomogène, ment dans certains services parisiens de
beaucoup. avec une prédilection pour les enfants réanimation. Olivier Véran, ministre des
Cette inquiétude tient à l’observation, d’origine japonaise (264,8/100 000 enfants Solidarités et de la Santé, se disait alors
d’une augmentation des cas d’une maladie de moins de 5 ans). En Europe, en Amé- « préoccupé ». Une alerte fut d’abord
rare affectant le muscle cardiaque chez rique du Nord et en Australie, l’incidence adressée aux autorités sanitaires par les
des enfants ayant été en contact avec le est évaluée à 4 25/100 000 enfants. cinq services de réanimation pédiatrique
SARS-CoV-2. Alors qu’on les tenait géné- Fin avril, avant la France, la première d’Ile-de-France, le 27 avril. Puis les sociétés

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ACTUALITÉ

savantes, dont la Société française de pé- est imprécis ». « Les modalités de ce recen- tante chez des enfants atteints par ce virus
diatrie, la Société francophone de rhuma- sement sont encore à définir mais il faut ou une autre maladie infectieuse ? Il y a
tologie et de médecine interne pédiatrique, conserver toutes les informations qui beaucoup de questions ».
le Groupe francophone de réanimation et semblent pertinentes, ajoutaient-ils. Il est Ces cas sont liés, et si oui de quelle
urgences pédiatriques (GFRUP) adressèrent également essentiel de donner toutes les manière, à l’infection par le coronavirus
également peu après une alerte aux pro- chances de faire la preuve de l’infection. SARS-CoV-2 ? « Tous ont été en contact
fessionnels de santé. » Une vingtaine de Le test par PCR pouvant être faussement avec le virus à un moment ou à un autre »,
cas, touchant des enfants âgés de 2 à 15 ans, négatif, nous recommandons la pratique a affirmé le Pr Sylvain Renolleau, chef du
avaient alors été recensés en France. du scanner thoracique, beaucoup plus service de réanimation de l’hôpital Necker,
Les spécialistes du centre de référence sensible pour la détection des infections lors d’une conférence de presse organisée
des malformations cardiaques de l’hôpital par le Covid-19. Il peut être aussi utile de par l’AP-HP jeudi 30 avril. Les tests sérolo-
Necker de Paris (M3C-Necker) expliquaient rechercher le virus dans les selles et si giques ont révélé la présence d’anticorps à
alors que depuis trois semaines possible de prélever une séro- la suite de l’infection au coronavirus
un nombre croissant d’enfants logie Covid-19. » SARS-CoV2. Ainsi, pour la plupart des spé-
de tous âges avaient été hos- AUCUN ENFANT Ils ajoutaient enfin qu’un cialistes interrogés il existe bel et bien une
pitalisés « dans un contexte HEUREUSEMENT traitement par immunoglo­ corrélation entre cette infection virale et
d’inflammation multi-systé- N’EST MORT bulines intraveineuses après ce nouveau tableau clinique. Pour autant,
mique associant fréquemment DE CES réalisation des examens à est-ce la manifestation directe du caractère
une défaillance circulatoire avec COMPLICATIONS visée diagnostique semblait
­ pathogène du virus ou, l’une des consé-
des éléments en faveur d’une améliorer l’état clinique – état quences des perturbations qu’il induit au
myocardite ». « La présenta- qui s’améliore le plus souvent sein du système immunitaire du jeune
tion clinique peut parler pour une forme assez vite même si un décès a été identifié ­organisme qu’il a infecté ?
incomplète de la maladie de Kawasaki, ce à Londres et que plusieurs enfants ont En toute hypothèse, ce ne serait pas la
d’autant que certains ont des dilatations ­requis des inotropes et/ou vasopresseurs à première découverte d’une manifestation
coronaires » expliquaient-ils. la phase initiale. initialement inattendue de ce cette infec-
La vingtaine de cas identifiés dans les « Les enfants présentent des symp- tion virale. On découvre en effet progres-
unités de cardiologie et de réanimation à tômes de fièvre, des symptômes digestifs sivement depuis trois mois qu’elle peut,
Necker présentaient selon eux certaines et une inflammation vasculaire assez outre l’appareil pulmonaire, toucher diffé-
particularités : présentation initiale respi- ­générale qui peut provoquer une défail- rents organes, comme le système nerveux
ratoire, hémodynamique, septique ou lance cardiaque, a pour sa part expliqué le central, le foie, le cœur, les yeux ou le
­digestive ; phase initiale pouvant évoquer ministre français des Solidarités et de la ­système digestif.
un orage cytokinique éventuellement avec Santé. A ma connaissance, aucun enfant
des signes d’activation macrophagique ; heureusement n’est mort de ces complica-
collapsus est fréquent et dysfonction sys- tions. Je prends ça très, très, au sérieux,
tolique du ventricule gauche variable mais a-t-il souligné. Nous n’avons absolument
parfois profonde ; élévation de la troponine pas d’explication médicale à ce stade. Est-
1 Bressieux-Degueldre S , Schaffner D, Hofer M et al
modérée ; modifications de l’ECG ténues. ce qu’il s’agit d’une réaction inflammatoire Maladie de Kawasaki : mise à jour Rev Med Suisse 2018;
Quant à la co-infection par le Covid-19, qui vient déclencher une maladie préexis- volume 14. 384-389
elle était selon eux documentée pour un
certain nombre de cas.
« Cette alerte à caractère épidémique
est à notre avis cruciale dans une période
où l’activité programmée est susceptible de
reprendre et à l’heure du dé-confinement,
expliquaient encore ces spécialistes à
l’attention de leurs confrères. Nous ne
­
comprenons pas encore pourquoi le
­démarrage de cet afflux de jeunes patients
est retardé par rapport à celui de la pandé-
mie en Ile-de-France. Nous n’affirmons
pas qu’il y a une causalité entre l’infection
par le Covid-19 et ces tableaux cliniques.
Nous sommes préoccupés du caractère
épidémique des cas sur nos réanimations
parisiennes de vingt-cinq au moins en
trois semaines et de neuf sur Necker ces
deux derniers jours. D’autre part, le contact
pris avec nos collègues londoniens, espa-
gnols et belges confirme ce problème
© istockphoto/Gargonia

émergent. »
Ces spécialistes qualifiaient « d’impor-
tance sanitaire majeure » le fait que tous
les cas soient recensés, et ce même s’ils
sont douteux « puisque le cadre nosologique

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REVUE MÉDICALE SUISSE

EN MARGE

MISCELLANÉES CORONAVIRALES, IMMUNOLOGIQUES, temps, souligne l’Institut national


français de la santé et de la
HUILEUSES ET ESSENTIELLES ­recherche médicale (Inserm).2
Si l’on prend l’exemple du
rhume hivernal banal, le fait de
la plupart des études montrent c­ ompliquées à mettre en œuvre l’attraper une fois ne signifie
JEAN-YVES NAU
jeanyves.nau@gmail.com certes que les personnes qui et à maintenir », observe le pas que l’on est protégé pour le
ont guéri du Covid-19 ont Pr Antoine Flahault, directeur reste de la saison. Des recherches
­développé des anticorps. « Mais de l’Institut de santé globale sont en cours pour mieux
L’OMS opposée aux certaines de ces personnes ont (université de Genève). ­répondre à ces interrogations,
« passeports immunitaires » des niveaux très faibles d’anti­ « En l’état actuel des connais­ les travaux les plus aboutis
corps dans le sang, ajoute-t-elle. sances, il est difficile de dire si n’ayant pour le moment donné
C’est une prise de position de Aucune étude n’a permis d’établir le fait d’avoir été infecté par le lieu qu’à des publications en
nature à compliquer la tâche de si la présence d’anticorps est virus signifie automatiquement pre-print et devant donc être
certaines autorités sanitaires : suffisante pour empêcher une que l’on est immunisé, et le cas analysés avec prudence. »
l’OMS estime depuis peu que la nouvelle infection. » En d’autres échéant, pour combien de On sait que certaines autorités
délivrance de futurs « passeports termes, il n’existe pas selon
immunitaires » aurait comme l’OMS de preuve que les
possible effet, loin de la freiner, ­personnes testées sérologique­
de favoriser la propagation de ment positives au nouveau
la pandémie. « Il n’y a actuel­ ­coronavirus soient immunisées
lement aucune preuve que les et protégées contre une
personnes qui se sont remises ­réinfection.
du Covid-19 et qui ont des anti­ C’est là un sujet d’une impor­
corps soient prémunies contre tance considérable, autant
une seconde infection », vient- ­sanitaire que politique, écono­
elle d’indiquer.1 A la date du 24 mique et diplomatique. « On
avril 2020, aucune étude n’a peut notamment observer que
évalué si la présence d’anticorps si le fait d’avoir été infecté

© istockphoto/diegograndi
au SARS-CoV-2 confère une (puisque immunisé) devenait
­immunité contre une future un avantage, alors les politiques
infection par ce virus chez les ultérieures d’éducation à la
humains. » ­prévention contre l’épidémie
Pour l’organisation onusienne, deviendraient encore plus

COVIDWATCH Transmission chez les nouveau-nés, les enfants et les adolescents symptomatiques
Les enfants sont sous-représentés tiques, enfants et adolescents) les adultes. stricte. Par ailleurs, nous ne
dans le nombre de cas COVID-19. atteints de COVID-19 diagnostiqués Par conséquent, la transmission connaissons pas l’importance de
De plus, la plupart des cas par RT-PCR. L’âge médian était de du SRAS-CoV-2 par les enfants est l’infection asymptomatique chez
pédia­triques présentent une 12,0 ans. La plupart des patients plausible. Des facteurs biologiques des enfants, laquelle pourrait
gravité limitée, et ne semblent pas avaient une infection des voies ou d’autres inconnues pourraient jouer un rôle important dans la
être des moteurs majeurs de respiratoires supérieures (n = 13), cependant réduire la capacité de surveillance de l’épidémie.
transmission, contrairement à ce suivie d’une fièvre sans source et transmission de cette population.
que l’on voit avec les autres virus d’une pneumonie (chacun, n = 2). Des enquêtes sérologiques et une Pr Jean-François Balavoine
respiratoires. Le plus jeune patient dont le surveillance systématique des Place du Manoir 12
L'étude montre cependant que le SRAS-CoV-2 a été isolé était un maladies respiratoires aiguës sont 1223 Cologny
SRAS-CoV-2 infecte les enfants de nouveau-né de 7 jours. Les nécessaires pour comprendre le
tous les groupes d’âge et que, données obtenues montrent que rôle des enfants dans cette
malgré la forte proportion les concentrations virales initiales nouvelle pandémie. L’Huillier AG, Torriani G, Pigny F et al.
d’infections légères ou asympto- chez les enfants symptomatiques Commentaire : Les résultats Shedding of infectious SARS-CoV-2 in
symptomatic neonates, children and
matiques, il est impossible de ne sont comparables à celles des montrent de manière très adolescents, medrevix preprints, https://
pas les considérer comme des adultes. convaincante la potentialité de doi.org/10.1101/2020.04.27.20076778
transmetteurs potentiels. Les enfants symptomatiques de transmission du SARS-CoV-2
Les auteurs ont utilisé la culture tout âge ont donc la potentialité provenant d’enfants infectés
cellulaire pour évaluer la présence d’excréter un virus infectieux en symptomatiques. Comme le
de SARS-CoV-2 dans les voies début de maladie aiguë. Les soulèvent les auteurs, il est
respiratoires supérieures. La schémas d’excrétion du SRAS-CoV-2 important que ces enfants soient
cohorte investiguée comprenait chez les enfants symptomatiques isolés et que l’on continue une
23 cas (nouveau-nés symptoma- ressemblent à ceux observés chez surveillance épidémiologique

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1014 13 mai 2020
ACTUALITÉ

sanitaires nationales (en France sprays et diffuseurs à base


notamment) ou municipales d’huiles essentielles sont souvent La Revue Médicale Suisse et le Covid-19
(comme la mairie de Paris) ont de plus en plus présents au sein
d’ores et déjà émis l’idée de des foyers. Les personnes Pour répondre aux besoins croissants d’information au sujet du
­délivrer des documents ­atteintes de maladies respira­ Covid-19, et dans le but de rassembler tous les textes de la
­(« p­asseports » ou « certificats ») toires chroniques, comme ­Revue Médicale Suisse sur le sujet, nous avons créé un onglet
attestant l’immunité de leur l’asthme, devraient être mieux dédié sur notre site :
­détenteur – et ce sur la base de informées des précautions
tests sérologiques révélant la d’utilisation des sprays et revmed.ch/covid-19
présence d’anticorps dans le ­diffuseurs à base d’huiles
sang. Ce serait là une procédure ­essentielles – et ce en raison • Vous y retrouverez : plus de 90 textes consacrés au Covid-19
qui permettrait selon elles de des substances irritantes qui
(état à ce jour)
« déconfiner » plus sûrement sont ici potentiellement émises. • Des articles cliniques, y compris en pré-publication
– et de permettre peu à peu Telle est la conclusion d’un
une reprise de l’activité rapport que vient de rendre (online first)
• En particulier, les articles des numéros spéciaux Covid-19 des
­économique. ­public 3 l’Agence nationale­
C’était parier ici sur le caractère française de sécurité sanitaire deux dernières semaines, ­discutant les enjeux de la pandémie
« protecteur » de ces anticorps, de l’alimentation, de l’environ­ pour chaque spécialité, sous la direction des Dres Sabine Blum
seul garant de la valeur de ces nement et du travail (Anses) ; il et Mathilde Gavillet
• Un suivi des articles de la littérature mondiale concernant le
documents. Et c’était sans est constitué d’une étude de
compter avec la mise en garde toxicovigilance sur l’exposition Covid-19 – y compris les sujets disputés – commenté par les Prs
officielle de l’OMS : « Les à ces produits, ainsi que d’une Pascal Meylan, Michel Glauser, Patrick Francioli et Jean-François
­personnes qui pensent être revue de la bibliographie scien­ Balavoine
­immunisées contre une seconde tifique sur les effets sanitaires • L’ensemble des textes publiés par la RMS au sujet du Covid :
infection parce qu’elles ont été des substances. des articles, de courtes mises au point, des tribunes politiques
testées positives pourraient L’analyse des cas d’intoxication et juridiques, des réflexions plus générales
ignorer les recommandations signalés aux centres français
de santé publique. Le recours à antipoison et de toxicovigilance Cette rubrique « Covid-19 » est libre d’accès et fait l’objet d’une
ce genre de certificats pourrait (CapTv) révèle des effets indé­ newsletter dédiée et gratuite : inscription sur la page revmed.
en conséquence augmenter les sirables, et ce dans les conditions ch/covid-19)
risques que la transmission normales d’utilisation. Il s’agit
continue ». notamment de symptômes Pour nous soumettre un texte sur le sujet : redaction@revmed.ch
Plus précisément l’OMS estime ­irritatifs des yeux et des voies
que les tests sérologiques aériennes supérieures (bouche,
­actuellement utilisés « ont nez, gorge, larynx et trachée), prudence et insiste pour que impliquant ces produits : auto-
­besoin d’une validation supplé­ ainsi que des symptômes de toux les consommateurs (en médication par voie orale,
mentaire pour déterminer leur et de difficultés respiratoires. ­particulier lorsqu’ils présentent ­pulvérisation d’huiles essentielles
exactitude et leur fiabilité ». Ils « Ces symptômes, probablement des maladies respiratoires par une personne asthmatique,
devront notamment faire la liés aux huiles riches en phénols chroniques comme l’asthme) ou encore utilisation inappro­
distinction entre la réponse ou en cétones, sont en grande observent les précautions priée pour désinfecter un
­immunitaire au nouveau corona­ majorité de faible gravité et ­d’utilisation. En pratique, cette masque chirurgical. » souligne-
virus et celles vis-à-vis des anti­ ­régressent rapidement après Agence recommande que les t-elle. Plus généralement, elle
corps produits à l’occasion arrêt de l’exposition » observe sprays ou diffuseurs ainsi que déconseille clairement aux
d’une infection par un autre toutefois l’Anses. les flacons d’huiles essentielles ­personnes souffrant d’affections
des six coronavirus humains Ces produits émettent aussi des « restent hors de portée des respiratoires et aux femmes
connus, dont quatre sont composés organiques volatils jeunes enfants », au même titre ­enceintes ou allaitantes,
­largement répandus, provoquant (COV) qui peuvent présenter que les produits détergents ou ­d’utiliser ces huiles essentielles.
des rhumes bénins. Or, souligne des propriétés irritantes ou les médicaments. Une étude de
l’OMS, « les personnes infectées sensibilisantes. En outre, en toxicovigilance montre que de
par l’un ou l’autre de ces virus s’additionnant aux autres nombreux cas d’intoxication
1 Immunity passports» in the context of
sont susceptibles de produire sources de COV (mobilier, sont liés à des accidents COVID-19 Scientific Brief, OMS, 24 Avril
des anticorps qui interagissent ­produits d’entretien, produits ­impliquant les plus petits qui 2020
avec des anticorps produits en cosmétiques), ces produits portent tout à leur bouche. 1 « Quelle immunité après une infection
par le SARS-CoV-2 ? » Inserm. 17 avril
réponse à l’infection provoquée ­participent de la pollution de Plus largement, l’Anses suggère 2020.
par le SARS-CoV-2 », et il est l’air intérieur. L’Anses reconnaît de limiter les sources de 3 Sprays et diffuseurs à base d’huiles
donc impératif de pouvoir les que « la littérature scientifique ­polluants intérieurs et d’aérer essentielles : l’Anses appelle à la vigilance
identifier. manque », et que « d’autres régulièrement les intérieurs. Agence nationale française de sécurité
sanitaire de l’alimentation de l’environne-
études sont nécessaires pour Mais elle prend aussi soin de ment et du travail (Anses). 28 avril 2020
Maladies respiratoires et mieux connaître les substances rappeler que les huiles essen­
huiles essentielles émises à partir de tels produits tielles « ne sont absolument
et la formation secondaire pas un moyen de lutter contre
Décrits comme des produits d’autres composés par oxydation le coronavirus ». « Les centres
aux vertus « assainissantes » ou dans l’air ». antipoison ont en effet identifié
encore « épuratrices » d’air, les Pour autant, elle appelle à la plusieurs situations à risques

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13 mai 2020 1015
REVUE MÉDICALE SUISSE

TRIBUNE

Donald Trump et le dépistage


du Covid-19
Depuis le début de la pandémie, il ne ne répondons donc pas à une plainte, tent par ailleurs actuellement pas de dé-
se passe pas une journée sans que l’on hormis peut-être à une angoisse (mais
­ terminer la  durée et l’intensité de cette
puisse lire ou entendre des informations, cela est une toute autre histoire !). Notre probable ­immunité.
des prises de position sur le dépistage et le responsabilité concerne dès lors la gestion Rappeler ces différences n’est peut-être
diagnostic de la maladie Covid-19. Ces deux du résultat : s’il est positif, s’assurer de la pas inutile au moment où le déconfine-
termes sont utilisés souvent de manière suite de l’intervention (par exemple un ment se met en place et que certaines voix
indifférenciée, alors qu’ils représentent test de confirmation dans le cas des réclament un dépistage large, par exemple
deux situations médicales bien différentes. ­cancers) et s’il est négatif, préciser l’inter- avant le retour des employés sur leur lieu
Lorsque le frottis des fosses nasales, valle pour répéter ce test, tout en gérant de travail. Espérer monitorer la conta­
couplé à une analyse de laboratoire (PCR), l’information à transmettre quant au risque giosité d’une population au moyen du
est réalisé chez les patients qui présentent de faux-négatif. ­dépistage est un vœu pieux ! En attente de
des signes ou des symptômes du Covid-19 Actuellement, dans la gestion de la nouvelles données scientifiques et d’un
(toux, fièvre, …), il s’agit de poser le pandémie de Covid-19, la seule situation où vaccin, seules les mesures d’hygiène connues
­diag­nostic de cette maladie. Ce contexte ce frottis est utilisé comme test de dépis- (distanciation sociale, lavage régulier des
engage une responsabilité claire : soulager, tage est celle des patients qui arrivent dans mains, port de masque pour certaines
soigner une plainte, même si celle-ci est une institution médico-sanitaire, souvent situations) et les enquêtes d’entourage
­
considérée comme légère. Cette stratégie un hôpital ou une clinique, pour une inter- permettront de contrôler la pandémie.
diagnostique n’est pas la plus vention élective, comme une À ma connaissance, il y a toutefois un
simple, en raison de sa sensi- opération de prothèse de personnage public, a priori asymptoma-
ESPÉRER
bilité non optimale (­environ hanche. Cette personne est, a tique, qui se fait pratiquer sur lui chaque
­MONITORER LA
70-80 %) et donc d’une valeur priori, sans symptôme du matin un frottis nasal suivi d’une analyse
CONTAGIOSITÉ
prédictive négative bien infé- ­Covid-19 et l’on veut confirmer PCR. Vous avez deviné ? Oui, il s’agit du …
D’UNE POPULA-
rieure à 100 % quand la pro­ qu’elle ne porte pas le v­irus Président Donald Trump. Selon l’agence
TION AU MOYEN
babilité prétest est élevée, dans son corps (en l’occurrence de presse AFP du 9 mai, ce dernier se fait
DU DÉPISTAGE
comme ­signalé dans la Revue son nez !), par exemple parce tester quotidiennement. Et cette agence
EST UN VŒU
médicale suisse du 8 avril qu’elle se trouverait dans la de nous informer que Donald Trump, 73 ans,
PIEUX
­dernier. ­D’ailleurs, le New phase initiale de la maladie, était non masqué alors qu’il a rencontré
York Times l’a mis en exergue lorsqu’on est porteur, pas huit vétérans américains âgés entre 96 et
par son titre provocateur du 1er avril « If ­encore malade, mais déjà contagieux ! Du 100 ans, à l’occasion du 75e anniversaire
you have Coronavirus symptoms, assume you moment que ces ­patients restent « confi- de la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
have the illness, even if you test negative ». nés » dans un lieu – l’hôpital ou la clinique Donald Trump a expliqué qu’il était à
Cela n’a bien sûr rien à voir avec le – dans lequel le virus ne circule pas, cette ­plusieurs mètres de ces derniers et a ajouté
profession­nalisme des centres d’analyses photographie (absence de virus) permet « le vent soufflait tellement fort que je
et la qualité de leurs compétences analy- dès lors de s­ écuriser la prise en charge de serais surpris si ce fléau avait pu les
­
tiques. Cela dépend notamment des ces patients (pas de mesure autre que le ­atteindre »
­compétences de celles et ceux qui frottent masque chirurgical, sauf situations cliniques Les choses sont dorénavant claires :
(variabilités i­ntra et interobservateur) et particulières). On veut ainsi éviter de les recommandations du Conseil fédéral
de l’importance de la charge virale, qui mettre, si vous me passez l’expression, le doivent être adaptées en cas de forte bise !
peut être basse au niveau nasopharyngé. loup dans la bergerie !
Dans la très grande majorité des situa- Les dispositifs cantonaux de recherche
tions, le frottis n’est donc pas un test de des personnes en contact avec une per-
dépistage, contrairement à ce qui est sonne malade (enquête d’entourage ou
­souvent relaté par la presse. Rappelons stratégie dite du contact tracing) ne pré-
que le dépistage est une intervention voient d’ailleurs pas de dépistage chez ces
­réservée aux personnes sans symptôme de premières ; le frottis ne sera réalisé que
la maladie recherchée, donc asymptoma- chez celles qui présentent des symptômes.
tiques, et qui permet, soit d’instaurer un De même, les tests sérologiques dont
traitement qui améliore le pronostic du on parle beaucoup et qui visent à identifier
patient (par exemple la présence de sang l’éventuelle présence d’anticorps contre le
PR JACQUES CORNUZ
dans les selles afin de dépister le cancer du coronavirus, ne représentent en rien un
côlon), soit des mesures de santé publique dépistage. Ils ne sont que la photographie Directeur général d’Unisanté, Centre universitaire
pour protéger d’autres personnes. Lorsque d’une possible infection antérieure ; les de médecine générale et santé publique,
1011 Lausanne
nous réalisons un test de dépistage, nous données scientifiques actuelles ne permet­

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1016 13 mai 2020
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